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Supreme Court of Canada

Samson v. Holden, [1963] S.C.R. 373

Date: 1963-01-22

Jean-Marie Samson (Défendeur) Appelant;

et

Dame Issie Holden et Autres (Demandeurs) Intimés.

Conflit de lois—Loi étrangère—Quasi-délit—Accident fatal dans l'État du Maine—Victime y domiciliée—Défendeur domicilié dans la Province de Québec—Action prise dans Québec par la veuve et les enfants personnellement—Loi du Maine exigeant qu'une telle action soit prise par l'administrateur de la succession—Question de procédure ou de substance—Validité de l'action—Code Civil, art. 1056—Code de Procédure Civile, arts. 174 et seq.

Une automobile, conduite par son propriétaire, le défendeur, dont le domicile était dans la Province de Québec, a frappé et mortellement blessé dans l'État du Maine un résident de cet État. La veuve et les deux fils majeurs de la victime poursuivirent personnellement dans la Province de Québec pour réclamer des dommages. En vertu de la loi du Maine, une telle action, lorsque la victime décède ab intestat comme dans le cas présent, doit être prise par et au nom de l'administrateur de la succession. Un des fils avait été nommé administrateur, mais il s'est porté demandeur avec les autres comme bénéficiaire et non comme administrateur. Le juge de première instance a conclu à la responsabilité du défendeur et à la validité de l'action telle que prise. En Cour d'Appel, la responsabilité du défendeur a été unanimement retenue et cette question n'a pas été débattue devant la Cour suprême. La majorité des juges de la Cour d'Appel se sont prononcés en faveur de la validité de l'action. Le défendeur en a appelé de ce jugement.

Arrêt: L'appel doit être rejeté, le Juge Taschereau dissident.

Le Juge en chef Kerwin et les Juges Cartwright, Fauteux et Abbott: En vertu du droit international privé de Québec—lieu où le litige a été

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soumis—l'accident était selon les dispositions du Code Civil un acte actionnable comme quasi-délit dans Québec et selon la loi du Maine un acte actionnable ou punissable dans le Maine. Cet accident a donc donné, au bénéfice des demandeurs, dans Québec, un droit d'action en dommages contre le défendeur.

Suivant ce même droit international privé, la question de savoir si les demandeurs pouvaient poursuivre personnellement doit être considérée comme une question de procédure n'affectant pas la substance du droit donné aux demandeurs par la loi lex loci delicti.

La prépondérance de la preuve sur la loi du Maine établit que la prescription voulant que l'action soit portée par et au nom du représentant personnel en est aussi une de procédure. Cette disposition n'a que pour seule fin que d'assurer qu'il n'y ait qu'une seule action et que tous les bénéficiaires y soient mentionnés. Les demandeurs ici sont tous et seuls bénéficiaires du droit d'action créé par la loi du Maine. Il s'en suit que vu que c'est la procédure du for qui régit, on doit conclure à la validité de l'action poursuivie conformément à cette procédure.

Le Juge Taschereau, dissident: En vertu de l'art. 6 du Code Civil, les lois qui règlent l'état et la capacité des personnes ne s'appliquent pas à celui qui n'est pas domicilié dans la province. Comme les demandeurs personnellement n'avaient pas la qualité ni la capacité de poursuivre dans le Maine, ils ne pouvaient donc pas instituer une action ici et se substituer à l'administrateur qui seul est investi de ce droit. Il ne s'agit pas ici d'une question de procédure, mais d'un droit fondamental—le droit de plaider. Même s'il s'agissait d'une question de procédure, c'est la procédure de Québec—lieu du procès—qui s'appliquerait; et en vertu de notre loi aucun amendement ne peut être admis pour substituer un demandeur à un autre. Il n'était pas nécessaire de soulever par exception à la forme cette absence de qualité des demandeurs, ceci pouvait être invoqué à tout autre stade de la procédure.

APPEL d'un jugement de la Cour du banc de la reine, province de Québec1, affirmant un jugement de Marquis J. Appel rejeté, le Juge Taschereau dissident.

Robert Cannon, c.r., et R. Drouin, pour le défendeur, appelant.

R. Letarte, pour les demandeurs, intimés.

Le jugement du Juge en Chef Kerwin et des Juges Cartwright, Fauteux et Abbot fut rendu par

Le Juge Fauteux:—Dans la soirée du 20 octobre 1952, Henry L. Holden, domicilié à Jackman dans l'État du Maine, y fut accidentellement et mortellement heurté par une automobile conduite par l'appelant sur la route 201. Il décéda le lendemain, laissant comme héritiers légaux immédiats sa veuve et ses deux fils, Milford R. Holden et Harold C. Holden, tous trois intimés en cet appel.

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Dans l'année du décès, soit le 14 octobre 1953, ces derniers, domiciliés aux États-Unis, poursuivirent l'appelant dans la province de Québec où celui-ci avait son domicile, pour lui réclamer $4,728.35 dont $728.35 pour frais d'hospitalisation, médicaux et funéraires et la somme de $4,000 pour dommages à être répartie entre eux dans la proportion déterminée par la Cour. Aux fins de cette action, les demandeurs invoquèrent particulièrement, mais sans aucune précision, la Loi du Maine «en tant qu'applicable à l'espèce» et produisirent, à la suite d'une ordonnance de la Cour, une procuration donnée à leur avocat, Me Robert Perron, par Milford R. Holden, l'un des demandeurs, en sa qualité d'administrateur nommé suivant la loi du Maine aux fins de ce recours en justice.

En défense, l'appelant plaida que la victime avait, par sa faute, rendu cet accident inévitable et ajouta que l'action était mal fondée en fait et en droit.

A l'enquête, on apporta une preuve circonstanciée de l'accident et de ses conséquences. On produisit de plus certains extraits de la Loi du Maine et, de part et d'autre, on fit entendre sur la portée de la loi de cet État des avocats y exerçant, et ce (i) tant sur la question de la responsabilité que (ii) sur celle de la validité d'une action similaire, eûtelle été intentée dans l'État du Maine par et au nom de ceux au bénéfice desquels elle y est autorisée, au lieu de l'être suivant une disposition de cette loi par et au nom de l'exécuteur testamentaire ou de l'administrateur nommé à ces fins, pour leur bénéfice.

Adjugeant sur le premier point, le Juge au procès trouva que le défendeur avait commis une faute causant l'accident en conduisant à une vitesse prohibée par la loi et en déviant vers la gauche pour aller heurter la victime avec violence, lui fracturer le crâne, les jambes, un bras et causer sa mort presque immédiate. Cette opinion, partagée en appel, n'a pas été remise en question devant nous par l'appelant.

Sur le second point, le Juge au procès eut d'abord à considérer les arts. 9 et 10 du chapitre 152 des Statuts Revisés du Maine, 1944, se lisant respectivement comme suit:

Section 9.—Whenever the death of a person shall be caused by wrongful act, neglect or default, and the act, neglect or default is such as would, if death had not ensued, have entitled the party injured to maintain an action and recover damages in respect thereof, then, in every such case,

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the person who or the corporation which would have been liable, if death had not ensued, shall be liable to an action for damages, notwithstanding the death of the person injured, and although the death shall have been caused under such circumstances as shall amount to a felony.

Section 10.—Every such action shall be brought by and in the names of the personal representatives of such deceased person, and the amount recovered in every such action, except as hereinafter provided, shall be for the exclusive benefit of the widow or widower, if no children, and of the children, if no widow or widower, and if both, then for the exclusive benefit of the widow and widower and the children equally, and if neither, of his or her heirs. The jury may give such damages as they shall deem a fair and just compensation, not exceeding $10,000, with reference to the pecuniary injuries resulting from such death to the persons for whose benefit such action is brought, and in addition thereto, shall give such damages as will compensate the estate of such deceased person for reasonable expenses of medical, surgical and hospital care and treatment and for reasonable funeral expenses, provided that such action shall be commenced within 2 years after the death of such person.

Le Juge apprécia en outre les témoignages contradictoires donnés sur la portée de la loi de cet État par Mes Wallace A. Bilodeau et Carl Wright, en demande, et par Me John L. Merrill, en défense. Sur le tout, il jugea que, suivant la prépondérance de la preuve, les dispositions prescrivant que l'action résultant d'un décès doit être intentée par un administrateur ou un exécuteur testamentaire sont matière de procédure; que la défense doit se plaindre du défaut de s'y conformer avant l'instruction au mérite par un plaidoyer préliminaire de la nature d'une exception à la forme ou d'une inscription en droit; qu'en matière de procédure, c'est la «lex fori» et non la «lex loci delicti» qui s'applique; que, dès lors, cette question doit être solutionnée, non pas d'après la Loi de l'État du Maine, mais selon celle de la province de Québec qui exige que, dans l'espèce, l'action soit—comme elle le fut—intentée au nom de la veuve et des deux fils du défunt. La Cour supérieure fit donc droit à l'action des demandeurs.

En Cour du banc de la reine2, les Juges, d'accord, comme déjà indiqué, à retenir la responsabilité de l'appelant, se sont divisés sur la question de la validité de l'action.

Pour la majorité, formée par M. le Juge en chef Galipeault et lui-même, M. le Juge Hyde motive comme suit, en substance, le jugement affirmant la validité dé l'action. S'appuyant sur l'autorité de Lafleur, Conflict of Laws, il rappelle que la preuve de la loi étrangère est, au Québec,

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une question de fait et qu'en l'absence d'une erreur manifeste—qu'il ne peut trouver en l'espèce—, il n'y a pas lieu de modifier l'appréciation qu'en a faite le Juge au procès; notant que ce dernier a jugé que l'irrégularité invoquée par l'appelant est matière de procédure, il s'ensuit que la nullité en résultant est purement relative et non d'ordre public. Retenant de plus que l'appelant ne s'en est pas prévalu par exception préliminaire et que tous les bénéficiaires du recours en dommages, ayant plein exercice de leurs droits, étaient partie à l'action, il considère qu'inclure l'administrateur comme demandeur n'ajouterait rien puisque, suivant l'appréciation de la preuve sur la Loi du Maine faite par le Juge au procès, l'administrateur n'est partie à l'action que pour faire valoir les droits des demandeurs. Il invoque enfin Hammond v. Augusta Railway Company3, une décision de la Cour Suprême de cet État citée et produite par l'avocat Wright au cours de l'enquête, et conclut au rejet de l'appel.

Dissident, M. le Juge Taschereau estime que les opinions des experts étant partagées, la Cour n'est pas liée par la conclusion du premier Juge; qu'au regard des dispositions de la loi, du témoignage de l'expert de la défense et de la jurisprudence par lui citée, il s'agit non pas d'une simple question de procédure comme l'ont prétendu les experts de la demande, mais d'une question de fond et que les demandeurs agissant personnellement n'auraient pu validement, faute de qualité, intenter une telle action dans l'État du Maine. Se posant alors la question de savoir si les demandeurs ont qualité pour poursuivre en leur nom personnel, comme ils l'ont fait, dans la province de Québec, le savant Juge répond négativement et ce, pour deux raisons. Il s'appuie d'abord sur des décisions et traités, respectivement rendues et écrits en France, pour supporter la proposition générale que suivant le droit international privé, la qualité doit s'apprécier non pas en fonction de la loi du for mais d'après la loi qui régit le fond du litige. Il convient de signaler, je crois, qu'aucune de ces autorités, postérieures à la codification du Code Civil de la province de Québec et énonçant la doctrine moderne française en droit international privé, ne réfère à un cas en tous points similaire à celui qui nous occupe. Comme second motif, le savant Juge

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note que les conditions fondant l'exercice d'un recours en dommages dans la province de Québec à la suite d'un délit commis dans une autre juridiction ont donné lieu à diverses interprétations, mais que le principe posé par le Comité Judiciaire du Conseil Privé dans Canadian Pacific Railway Co. v. Parent4 paraît bien s'appliquer à l'espèce. Il en conclut que l'appel devait être maintenu et les demandeurs déboutés.

Sur le pourvoi subséquent de l'appelant à cette Cour, la question de notre juridiction relativement aux intimés Milford R. Holden et Harold C. Holden ayant été soulevée par le Juge en chef, l'appelant fit motion pour permission d'appeler; cette motion, du consentement du procureur de ces intimés, fut accordée mais sans frais.

La solution des conflits des lois varie suivant le droit international privé de chaque État; c'est là une conséquence de leur indépendance. Niboyet, Manuel du Droit International Privé, 2e éd., 463 et seq. Au Canada, où la souveraineté législative en matière de droit civil appartient exclusivement aux provinces, c'est le droit international privé de la province où le litige est soumis—en l'espèce, la province de Québec—qui régit. La règle de ce droit, en ce qui concerne l'obligation résultant de délit ou quasi-délit est, suivant une jurisprudence maintenant définitivement arrêtée, la même, mutatis mutandis, que celle du droit international privé en Angleterre. Voir McLean v. Pettigrew5 et décisions y citées On trouve l'expression de cette règle dans Dicey's Conflict of Laws, 7e éd., à la page 940:

An act done in a foreign country is a tort, and actionable as such in England, only if it is both

(i) actionable as a tort, according to English law, or, in other words, is an act which, if done in England, would be a tort; and

(ii) not justifiable, according to the law of the foreign country where it was done.

Dans McLean v. Pettigrew, supra, on a rappelé que l'expression «actionable» dans (i) signifie «un acte qui, s'il était fait en Angleterre, donnerait ouverture à une action suivant la loi anglaise» et que l'expression «not justifiable» dans (ii) signifie un acte qui n'est pas innocent ou excusable ou, en d'autres mots, «which is either actionable or punishable

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according to the law of the country where it is done». Pour juger du droit d'action au lieu du for, on s'arrête donc à la nature et aux conséquences juridiques de l'acte et on détermine si cet acte est à la fois (i) actionnable comme délit ou quasi-délit au lieu où il est poursuivi et (ii) ou bien actionnable ou bien punissable au lieu où il a été commis. En présence des dispositions de l'art. 1056 du Code Civil de la province de Québec d'une part et, d'autre part, des dispositions de l'art. 9 de la loi précitée du Maine, on ne peut mettre en doute qu'en l'espèce, ces deux conditions sont présentes et que l'accident causé par l'appelant dans l'État du Maine donne, au bénéfice des intimés, dans le Québec, droit d'action en dommages contre lui.

Ces derniers pouvaient-ils, comme ils l'ont fait, se porter personnellement demandeurs pour l'exercice de ce remède établi à leur bénéfice? Poursuivant, à la page 954, ses explications sur la règle précitée de droit international privé régissant en Angleterre et adoptée dans le Québec, Dicey écrit ce qui suit:

To be, in the traditional sense, "of such a character that it would have been actionable if committed in England" the act must be of such a kind as would, if done in England, have given rise to a cause of action in favour of the plaintiff who is claiming redress. Thus, if by the lex loci delicti rights resembling those created by the English Fatal Accident Acts were conferred upon relatives of a deceased person who have no such rights under English law, they could not successfully sue in England. On the other hand, if, by the lex loci delicti, the personal representative of the deceased, or a person occupying a position similar to that of a personal representative in the English sense, is entitled to claim such rights for the benefit of the deceased's next-of-kin, any personal representative deriving his title from English letters of administration or an English grant of probate should, it is submitted, be regarded as a proper plaintiff in England. Whether, e.g., the deceased's brother can claim damages by reason of his death, is a matter of substantive law, but who—as personal representative—may act for the dependants is a matter of procedural machinery. Hence the fact that, by the lex loci delicti, a person other than the English personal representative can, in a representative capacity, enforce these rights, should not stand in the way of an action brought in England by the English personal representative.

The plaintiff will, however, only succeed, if the right which he claims vests in him by virtue of the lex loci delicti as well as the lex fori. Thus, a dependant claiming damages by reason of the death of a person must satisfy the court that he belongs to the category of relatives entitled to raise this claim both under a statute of the jorum and under a statute in force at the locus delicti.

Ces commentaires de Dicey, étayés de renvois apparaissant au bas de la même page, doivent, aussi bien que la

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règle qu'ils précisent, être retenus comme l'expression du droit international privé du Québec sur la question de la validité de l'action qui nous occupe. Sous cet aspect, suivant ce droit et dans les circonstances de cette cause, la question soulevée doit être considérée comme matière de procédure ou, suivant les termes de Dicey, de «procedural machinery» n'affectant pas la validité de l'action poursuivie, en l'espèce, suivant la loi du Québec.

D'accord avec le Juge au procès et ceux de la majorité en Cour d'Appel, je dirais que la prépondérance de la preuve sur la Loi du Maine établit que cette disposition de l'art. 10 prescrivant que l'action doit être portée par et au nom du «personal representative» en est une de procédure. Le caractère impératif de la disposition n'en change pas cette nature; les experts de la demande affirment que le défaut de s'y conformer est couvert si on ne s'en est pas plaint avant l'audition au mérite par le jury. Tenant de l'opinion contraire, l'expert de la défense a de plus, contrairement aux experts de la demande, affirmé que le «personal representative»—en l'espèce, l'administrateur—est obligé d'intenter l'action même si ceux au bénéfice desquels elle est autorisée expriment la volonté d'y renoncer; c'est là, à mon avis, une opinion extravagante atténuant la valeur qu'il convient de donner à ce témoin comme expert. Au surplus, et de la décision dans Hammond v. Augusta Railway Company, supra, il y a lieu de reproduire, au soutien de l'opinion exprimée par les experts de la demande, les extraits suivants sur l'interprétation donnée à cette Loi du Maine par la Cour Suprême de cet État:

The suit is not for the benefit of the estate and creditors have no interest in it. True, such suit is brought in the name of the Administrator but he is merely the nominal party and acts as trustee.

* * *

Under section 10, the party for whose benefit the action is brought depends upon the nature of the family that is left..........But in any event the immediate, absolute and final vesting of the right occurs at the time of the decease, not at the time of bringing suit or of recovery. The beneficiaries have a right of action then or not at all and the facts of each particular case determine which beneficiaries have the right.

* * *

Upon her death, therefore, the right of action by the statute, vested solely and exclusively for the benefit of her husband. He alone was entitled to the amount to be recovered, and could hold and dispose of the same at pleasure.

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Les demandeurs en cette cause sont tous majeurs, usant de leurs droits, et sont tous et seuls bénéficiaires du droit d'action créé par la Loi du Maine. La disposition voulant que cette action soit portée par et au nom du «personal representative» n'a pour seule fin, suivant la preuve non contredite, que d'assurer qu'il n'y ait qu'une seule action et que tous les bénéficiaires y soient mentionnés. La qualité en laquelle agirait, en l'espèce, le «personal representative» n'est pas, au sens propre, la qualité dont il s'agit dans le cas des tuteurs, curateurs, exécuteurs ou autres agissant pour des incapables ou saisis eux-mêmes ès-qualité d'un droit qu'ils doivent faire valoir par action.

Enfin, et en tout respect pour le Juge dissident, j'ajouterais que rien de ce qui a été dit par le Comité Judiciaire du Conseil Privé dans Canadian Pacific Railway Company v. Parent, supra, ne vient en conflit avec les vues qui précèdent. Dans cette cause on jugea en somme que la compagnie appelante n'étant ni civilement—parce que préalablement et contractuellement libérée de toute responsabilité quasi-délictuelle—ni criminellement responsable de la mort du défunt survenue à la suite d'un accident dans la province d'Ontario et que l'application territoriale de l'art. 1056 du Code Civil étant présumée limitée à la province de Québec, l'action intentée dans la province de Québec ne pouvait être maintenue.

Étant d'avis que tant d'après le droit international privé du Québec que d'après la Loi du Maine, il s'agit en l'espèce d'une question de procédure n'affectant pas la substance du droit donné aux intimés par la lex loci delicti et que c'est alors la procédure du for, soit du Québec, qui régit, je dois conclure à la validité de l'action poursuivie par les intimés conformément à cette procédure.

Pour ces raisons, je renverrais l'appel avec dépens.

Le Juge Taschereau (dissident):—Cette cause présente de sérieuses difficultés, comme d'ailleurs la plupart des litiges entre personnes qui sont domiciliées dans des juridictions différentes. Les faits qui sont essentiels à l'intelligence de ce procès peuvent se résumer ainsi:

Le 20 octobre 1952, Henry L. Holden, domicilié à Jackson dans l'État du Maine, se dirigeait de l'est à l'ouest, lorsqu'il fut frappé par une automobile conduite par le défendeur-

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appelant, domicilié à Lévis, P.Q., et qui procédait vers le nord. Holden subit de très graves blessures qui, le lendemain, devaient entraîner sa mort.

Les demandeurs, l'épouse de la victime Dame Issie Holden et ses deux fils, Milford et Harold, ont réclamé devant la Cour supérieure de Québec la somme de $4,728.15, à être répartie entre les trois demandeurs dans la proportion déterminée par la Cour.

L'honorable Juge Marquis siégeant à Québec, a conclu à la responsabilité de l'appelant-défendeur, et l'a condamné à payer aux demandeurs la somme de $2,728.35, dont $2,000 payables à l'intimée, épouse de la victime, et $728.35 aux deux autres demandeurs. La Cour d'Appel6 a confirmé ce jugement, l'honorable Juge André Taschereau étant dissident.

La question de responsabilité ne se présente pas devant cette Cour. Dans son factum en effet, l'appelant admet qu'il y a sur ce point des vues identiques exprimées par la Cour supérieure et la Cour d'Appel, et ne voit pas comment il pourrait réussir à obtenir un jugement différent sur les faits. D'ailleurs, lors de l'audition, il a formellement abandonné ce moyen.

Mais l'appelant soumet que les demandeurs ne peuvent réussir à cause de leur état et de leur capacité, et son argument peut se résumer ainsi:—Les trois demandeurs sont domiciliés dans l'État du Maine où s'est produit l'accident. Ils ont institué la présente action, et d'après l'appelant, ils ne pouvaient le faire, car en vertu de la loi de l'État du Maine, c'est l'administrateur nommé comme il l'a été dans le présent cas, qui doit toujours se porter demandeur dans les cas comme celui qui nous occupe.

L'un des témoins experts des demandeurs, M. Carl Wright, commentant les, lois du Maine au sujet du droit de poursuivre, s'exprime de la façon suivante:

In the State of Maine before any person has a right for a cause of action, an administrator of the estate must be appointed, and the law only gives that right if an administrator is appointed. If there had been a will the claim of the representative of the estate would have been executor, but there was no will in this particular case, therefore an administrator was appointed and the administrator is given a right to bring an action against the party allegedly causing the accident, for death and also for conscious pain and suffering preceding and up to death.

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M. Wallace A. Bilodeau, un autre avocat expert entendu par les demandeurs, a témoigné dans le même sens:

De par nos lois, il faut que l'action soit commencée par un représentant personnel de la succession, soit un exécuteur, ou un administrateur de, la succession.

M. John L. Merrill, avocat entendu comme expert par la défense, s'accorde entièrement avec les vues exprimées par les témoins des demandeurs. Voici ce qu'il dit:

He (the administrator) under the terms of our statute, is the only person who may come in and have, standing as a party, a mandate under the Wrongful Act Statute, because the so-called administrator or representative well appointed in the State of Maine could, and no one else, obtain a right under the statute.

Il me semble clair que si la présente action avait été instituée dans l'État du Maine, comme elle aurait pu l'être, l'action n'aurait pu réussir. Le statut qui accorde un recours en dommages dans l'État du Maine, dans les circonstances qui se présentent actuellement, est une dérogation au droit commun qui dénie l'action. Il faut que ses prescriptions soient rigoureusement observées. Les dispositions importantes de cette loi (ch. 124 Public Laws 1891) sont les arts. 9 et 10 qui se lisent de la façon suivante:

(9) Whenever the death of a person shall be caused by wrongful act, neglect, or default and the act, neglect or default is such as would, if death had not ensued, have entitled the party injured to maintain an action and recover damages in respect thereof, then, and in every such case, the party who, or the corporation which, would have been liable, if death had not ensued, shall be liable to an action for damages notwithstanding the death of the person injured and although the death shall have been caused under such circumstances as shall amount to a felony.

(10) Every such action shall be brought by and in the names of the personal representatives of such deceased person and the amount recovered in every such action, except as hereinafter provided, shall be for the exclusive benefit of the widow or widower, if no children, and of the children, if no widow or widower, and if both then for the exclusive benefit of the widow or widower and the children equally, and if neither of his or her heirs the jury may give such damages as they shall deem fair and just compensation not exceeding $10,000 with reference to the pecuniary injuries resulting; from such death to the persons for whose benefit such action is brought and in addition thereto shall give damages as will compensate the estate of such deceased person for reasonable expenses of medical surgical and hospital care and treatment, and for reasonable funeral expenses, provided that such action shall be ceommenced within two years after the death of such person.

Ces deux articles permettent donc d'exercer trois recours. En premier lieu, ils autorisent le maintien d'une action pour

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réclamer des dommages qu'aurait eu le droit de réclamer la victime si la mort n'avait pas résulté; en second lieu, le droit d'exiger la perte pécuniaire occasionnée au demandeur; et en troisième lieu, les frais médicaux, les frais d'hospitalisation et les frais funéraires. Mais dans tous les cas, les seuls bénéficiaires seront l'époux survivant et les enfants s'il y en a. Mais, nous dit l'art. 10, seul l'administrateur d'une succession ab intestat, comme c'est le cas qui nous occupe, peut instituer cette action; et dans le cas de la succession testamentaire, ce sera l'exécuteur qui devra se porter demandeur. Évidemment, le législateur a voulu investir l'exécuteur testamentaire, ou l'administrateur suivant le cas, du droit exclusif de poursuivre, afin d'éviter la multiplicité des actions, et qu'une seule ne soit instituée, à condition qu'elle le soit dans les deux ans du décès de la victime.

Comme on peut le voir, ce statut confond dans un même article (10) le droit qu'ont les héritiers chez-nous de poursuivre comme héritiers (C.C. 607) pour exercer les actions du défunt, et le droit que peuvent avoir le conjoint survivant et les descendants de réclamer pour dommages personnels en vertu des dispositions de l'art. 1056 C.C. Les premiers sont des droits patrimoniaux dont sont investis les héritiers, parce qu'ils sont transmissibles, et les seconds sont des droits extra-patrimoniaux qui n'ont une valeur pécuniaire que pour leurs titulaires (1056 C.C.) et, par conséquent, ne sont pas susceptibles de transmission. (Vide Driver et al. v. Coca-Cola7.)

Ceux qui peuvent réclamer ici ne sont pas nécessairement, comme dans le Maine, les mêmes personnes. En effet, les héritiers testamentaires pourront poursuivre sous l'art. 607 du Code Civil, et exercer les droits qu'aurait eus le testateur s'il eût vécu, mais le droit de réclamer sous 1056 sera toujours du droit propre aux ascendants, au conjoint et aux descendants, mais c'est le contraire qui existe dans l'État du Maine où il ne peut y avoir qu'une seule et même action, instituée au nom de l'administrateur qui, comme je l'ai dit déjà, puise ses droits de la loi de son domicile.

C'est ainsi que l'a voulu le législateur. En vertu de l'art. 6 du Code Civil de la province de Québec, l'habitant du Bas-Canada, tant qu'il y conserve son domicile, est régi, même

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lorsqu'il en est absent, par les lois qui règlent l'état et la capacité des personnes; mais elles ne s'appliquent pas à celui qui n'y est pas domicilié, lesquel reste soumis à la loi de son pays quant à son état et à sa capacité.

Ce principe est universellement reconnu. Ainsi, commentant l'art. 6 du Code Civil, Mignault dit, vol. 1, page 79:

On le voit, il ne s'agit nullement de la nationalité, c'est le domicile qui suit l'individu partout où il porte ses pas et qui règle sa capacité civile.

A la page 84, il amplifie:

Je trouve dans la disposition suivante de l'article 14 (maintenant 79 et 80 C.P.) un développement de ce principe.

Et il ajoute:

C'est encore que la capacité ou l'incapacité de la personne la suit partout. Si elle est capable d'ester en justice dans son pays, elle le sera également ici.

Trudel, Traité de droit civil du Québec, vol. 1, page 41:

A la règle générale que nos lois personnelles s'appliquent à quiconque se trouve dans la province, existe une exception aussi importante que la règle elle-même. En effet, l'état et la capacité des personnes sont déterminés par la loi de leur domicile et non pas par nos lois locales.

A la page 46:

Un curateur nommé en vertu d'une loi étrangère conserve devant nos tribunaux tous les pouvoirs qui lui sont conférés par cette loi.

En Cour de Revision, dans une cause de Breault et al. v. Wadleigh8, MM. les juges Routhier, Andrews et Larue ont décidé, et ils citent une nombreuse jurisprudence, ce qui suit:

An administrator duly appointed in the State of New Hampshire, to the estate of a person dying there, intestate, but owning property in Canada, is the legal representative of the deceased in this province as well as in New Hampshire; he alone is entitled to administer the estate, and the heirs-at-law here have no right, adversely to him, to obtain payment of any sums due deceased in this province.

Les demandeurs personnellement ne pouvaient donc pas poursuivre chez eux, et comme le dit M. Bilodeau, un expert entendu au procès pour prouver la loi étrangère:

Q. Monsieur Bilodeau, dans le Maine, si cette action est prise, comme la désignation est actuellement, je comprends qu'il y aurait eu des procédures, soit un plaidoyer disant que c'est pas correct; est-ce que la

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partie pourrait payer les frais, recommencer et continuer? … ou si l'action aurait été rejetée?

R. L'action aurait été rejetée mais il aurait pu recommencer.

Q. Si c'était prescrit, est-ce qu'il aurait perdu ses droits?

R. C'est mon opinion qu'il aurait perdu ses droits.

Comme les demandeurs, dans la présente cause, importent avec eux leur état d'héritiers et la capacité qui en résulte suivant les lois de leur domicile, ils ne peuvent donc pas instituer une action ici, comme celle qui l'a été, et se substituer à l'administrateur qui seul est investi de ce droit.

Les effets de l'art. 79 du Code de procédure civile doivent nécessairement se combiner avec ceux de l'art. 6 du Code Civil. L'article 79 est en effet rédigé dans les termes suivants:

Art. 79. Une corporation ou personne, dûment autorisée à l'étranger à ester en justice, peut exercer cette faculté devant tout tribunal de la province.

Cet article donne à l'étranger accès à nos tribunaux, et permet à ceux-ci d'accueillir l'action de celui qui, dans un pays étranger, a la qualité voulue pour se porter demandeur chez lui.

Il y a évidemment de nombreuses sortes de «qualités». Ainsi, le tuteur agit en qualité de représentant de son pupille, le syndic en matière de faillite représente le failli ou la masse, et l'administrateur agit en sa qualité de représentant de ceux pour qui il occupe. C'est à eux que donne le droit de plaider dans la province de Québec l'art. 79 du Code de procédure, quand les demandeurs ont la qualité voulue dans leur pays. Le mot «état» se compose des droits inhérents à une personne, et que la loi civile prend en considération pour y attacher des effets. La «qualité» au contraire est le titre sous lequel une partie ou un plaideur figure dans un acte juridique ou dans une instance. Chez nous, le mot «état» peut se confondre avec le mot «qualité». Ainsi, la veuve a l'état de veuve et la femme mariée a un état différent, et leur capacité juridique sera conséquemment différente. Le tuteur qui poursuit ès-qualité aura une situation particulière, mais c'est toujours de l'«état» ou de la «qualité» que découlent la capacité et le droit de plaider.

On a prétendu à l'argument qu'il s'agissait ici d'une question de procédure et qu'en conséquence, si l'action avait été

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instituée dans l'état du Maine, la Cour aurait pu autoriser un amendement et substituer à ceux qui ont poursuivi illégalement le nom de l'administrateur. Je ne puis partager ces vues en ce qui concerne la procédure dans la province de Québec. La procédure est en effet l'ensemble des actes accomplis pour parvenir à une solution juridictionnelle. C'est, en d'autres termes, la branche de la science du droit qui a pour objet de déterminer l'instruction des procès.

Le droit de plaider est un droit civil fondamental, sur lequel repose la validité d'une action, et il est impossible de dire que ce droit fasse partie de l'ensemble des règles auxquelles sont assujetties les actions en justice pour en arriver à une détermination. Comme le droit au procès par jury, le droit de plaider est un droit supérieur et indépendant de la procédure. Dudemaine v. Coutu9; Picard v. Warren10.

Même s'il fallait erronément conclure que ce droit fait partie de la procédure civile, ce serait sûrement la loi de Québec qui s'appliquerait, car en vertu des dispositions de l'art. 6, para. 1 du Code Civil, c'est la loi de Québec qu'il faut appliquer lorsqu'il s'agit de procédure civile. Le paragraphe 1 de l'art. 6 C.C. se lit ainsi:

Les biens meubles sont régis par la loi du domicile du propriétaire. C'est cependant la loi du Bas-Canada qu'on leur applique dans le cas où il s'agit de la distinction et de la nature des biens, des privilèges et des droits de gage de contestations sur la possession, de la juridiction des tribunaux, de la procédure, des voies d'exécution et de saisie, de ce qui intéresse l'ordre public et les droits du souverain, ainsi que dans tous les autres cas spécialement prévus par ce code.

Si l'étranger doit importer avec lui son état et sa capacité, il n'importe pas la procédure de son pays, et c'est la procédure de la province qui règle la façon de conduire un procès et qui peut autoriser ou refuser les amendements. Peut-être que si l'action avait été instituée au nom des héritiers dans l'état du Maine, un amendement eut possiblement été permis suivant la procédure de la loi du forum, mais je ne connais aucune disposition légale dans la province de Québec qui permette, une fois le procès commencé, de changer le demandeur. D'ailleurs, et ceci me semble-t-il dispose du litige, l'action a été prise dans la province de Québec, et aucun amendement n'a été proposé. Les demandeurs n'ont

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done pas la qualité voulue pour plaider devant nos tribunaux.

En vertu des dispositions du Code de procédure civile, les parties peuvent avant jugement, avec la permission du juge, amender le bref d'assignation, la demande et la défense, ou toute autre pièce de la plaidoirie. On peut ainsi par amendement corriger une simple erreur dans le bref d'assignation: Home Insurance Company of New York v. La Société Coopérative11. Mais la Cour supérieure de Québec dans Dufour v. Guay12 a décidé qu'un amendement à l'effet de réclamer à titre d'héritier une créance réclamée originairement à titre de créance personnelle, ne peut être accueilli. Dans Ellis v. Griab13, M. le Juge Bruneau a décidé qu'il ne pouvait pas être permis, sous prétexte d'amendement, de substituer un défendeur à un autre, sans recourir à la voie ordinaire de l'assignation.

Les intimés ont invoqué, pour appuyer leur droit de poursuivre, l'art. 174 du Code de procédure civile qui est à l'effet que le défendeur peut invoquer par exception à la forme, lorsqu'ils lui causent un préjudice, les moyens qui résultent de l'incapacité du demandeur ou du défendeur et de l'absence de qualité du demandeur ou du défendeur.

Je suis clairement d'opinion que le défendeur n'était pas obligé d'invoquer cette absence de qualité par exception préliminaire. L'article 174 permet de soulever ce moyen par exception préliminaire, mais l'article n'est pas impératif, et il y a des cas où les moyens peuvent être soulevés à tout stade de la cause. Il serait en effet extraordinaire qu'un mineur qui n'a pas le droit de poursuivre, puisse tout de même, sans être représenté par son tuteur, obtenir gain de cause parce que le défendeur aurait négligé d'invoquer le moyen de son incapacité par exception à la forme. Ainsi en est-il de la femme mariée en communauté de biens qui prendrait une action pour réclamer une créance due à la communauté, quand seul le mari, chef de la communauté, est investi du droit de poursuivre. Je ne puis admettre que le Code de procédure, qui ne détermine pas les droits, mais qui ne donne que les moyens de les exercer, soit supérieur aux dispositions du Code Civil de la province. C'est résoudre la question que de la proposer.

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D'ailleurs, c'est bien ce que nos tribunaux ont déclaré. La Cour Suprême du Canada, dans un arrêt rendu en 1900 de McFarran v. Montreal Park and Island Ry. Co.14, a décidé que l'art. 174 n'a pas cette rigidité, et M. le juge Taschereau s'exprime de la façon suivante:

We are of opinion that the plaintiff's appeal from that judgment should be dismissed upon the ground that she had, as «commune en biens», no right of action, and that the defendant was not obliged to plead it by exception to the form.

Dans la même cause, la Cour de Révision15 avait antérieurement décidé ce qui suit:

Juge:—1. Que la femme qui n'allègue et ne prouve pas qu'elle est séparée de biens, ne peut intenter, même avec l'autorisation de son mari, une action en dommages-intérêts pour accident, cette action appartenant au mari seul.

2. Qu'une telle action, prise par la femme, manquant complètement de base, le verdict du jury, en faveur de la demanderesse peut être annulé en révision, même si la question d'incapacité n'a pas été soulevée devant le tribunal de première instance.

Dans Pouliot v. Thivierge16, M. le juge Létourneau, parlant pour la majorité de la Cour, déclare clairement que si l'exception à la forme est permise en vertu du Code, elle n'empêche pas le défendeur de soulever ce moyen à tout stade de la procédure. Voici ce qu'il dit:

Il me parait certain que ce défaut d'autorisation doive entraîner une nullité absolue de la procédure.

Et si l'on objecte que l'exception à la forme n'était pas le moyen qu'aurait dû prendre l'appelant, je rappelle seulement que cette nullité absolue et qui pouvait être invoquée en tout temps, se rapporte en somme à une incapacité de la demanderesse, et que notre Code de procédure nouveau (art. 174, par. 2) permet que cette question d'une incapacité du demandeur soit désormais soulevée par exception à la forme, et nous ne pourrions que louer le défendeur appelant de s'être ainsi pourvu par exception préliminaire, s'il redoutait qu'on soulevât la question d'une autorisation tacite résultant de sa contestation au mérite, et qui longtemps a été controversée.

Dans une cause de Vizien v. Rozon et al.17, M. le juge Surveyer a décidé que le tribunal pouvait, au cours de l'instance, après les délais dans lesquels on peut faire une objection préliminaire, proprio motu soulever l'objection résultant du fait que la demande est portée par la femme

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autorisée par son mari, au lieu qu'elle ne soit instituée par le mari lui-même, chef de la communauté.

Quand le droit d'action n'existe pas, à cause de l'absence de qualité ou de capacité du demandeur, le défendeur pourra sans doute soulever ce moyen par exception préliminaire, mais son défaut de le faire n'investit pas le demandeur d'un droit que lui dénie le Code Civil.

Pour résumer ma pensée, je suis d'opinion que la loi du Maine détermine seulement l'état, la capacité ou la qualité des demandeurs; que les demandeurs n'avaient ni la qualité ni la capacité de poursuivre; que seul l'administrateur avait la capacité qui découle de sa qualité; que l'action dans l'état du Maine leur serait interdite et par conséquent, ici, à cause des dispositions impératives de l'art. 6 C.C.; qu'il ne s'agit pas dans la présente cause d'une question de procédure, mais bien d'un droit fondamental qui s'appelle le droit de plaider; qu'à tout événement si, ce que je ne puis admettre, il s'agissait d'une question de procédure, c'est la procédure de Québec où a lieu le procès qui devrait s'appliquer, et qu'en vertu de notre loi, aucun amendement ne peut être admis ici pour substituer un demandeur à un autre. Je crois enfin, suivant une décision de cette Cour, supra, qu'il n'était pas nécessaire de soulever par exception à la forme cette absence de qualité des demandeurs à qui la loi du Maine interdit de plaider, et que ce moyen pouvait être invoqué à tout autre stade de la procédure.

Je suis d'avis que l'appel doit être maintenu, l'action rejetée avec dépens de toutes les cours.

Appel rejeté avec dépens, le Juge Taschereau dissident.

Procureur du défendeur, appelant: Ross Drouin, Québec.

Procureur des demandeurs, intimés: Pierre Letarte, Québec.



1 [1961] B.R. 239.

2 [1961] B.R. 239.

3 106 Maine 109.

4 [1917] A.C. 195, 20 C.R.C. 141, 33 D.L.R. 12.

5 [1945] R.C.S. 62, 2 D.L.R. 65.

6 [1961] B.R. 239.

7 [1961] R.C.S. 201, 27 D.L.R. (2d) 20.

8 (1894) 6 C.S. 79.

9 [1943] R.C.S. 464.

10 [1952] 2 R.C.S. 433.

11 (1929) 36 R.P. 102.

12 (1919) 58 C.S. 97.

13 (1917) 19 R.P. 332.

14 (1900) 30 R.C.S. 410.

15 (1899) 2 R.P. 14.

16 (1928) 45 B.R. 1 à 7.

17 (1935) 39 R.P. 200.

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