Supreme Court Judgments

Decision Information

Decision Content

Supreme Court of Canada

Aubertin v. Cité de Montréal, [1957] S.C.R. 643

Date: 1957-10-01

Benjamin Aubertin Et Al. (Plaintiffs) Appellants;

and

La Cite de Montréal (Defendant) Respondent.

and

Caisse Et Hurteau Mis-En-Cause.

Gifts—Interpretation—Whether gift in usufruct or in substitution-Effect of sheriffs sale—Civil Code, arts. 443, 935, 928, 959—Code of Civil Procedure, art. 781.

The essence of the creation of a usufruct is that there are double gifts, one of the jouissance and the other of the nue propriété, taking effect simultaneously and without any lapse of time. In a substitution fidéicommissaire, on the other hand, the donee is charged to deliver the thing given, or another thing, to a third person, benefited in second place; in other words, two benefits are conferred, but in succession rather than simultaneously, and there is an interval between the enjoyment of the grevé and the opening of the substitution. Under art. 928 of the Civil Code a disposition may create a substitution notwithstanding the use of the word "usufruct"; the terms of the deed, and the intention there disclosed, rather than the ordinary interpretation of particular terms, must determine whether or not a substitution has been created.

A testator, by cl. 5 of his will, devised "la jouissance et usufruit" of his estate to his four sons and made them universal legatees "en jouissance et usufruit comme susdit". By cl. 6, he devised "la nue propriété" of his estate "aux enfants de ces derniers [his four sons] nés et à naître …" One of the assets of the estate, an immoveable, was seized by the sheriff to satisfy a judgment against the estate and was subsequently sold to the defendant. An opposition to secure charges was made by the grandchildren but rejected by a judgment which was not appealed. The grandchildren instituted this action to have the sale declared null on the ground that it had not discharged the right of substitution not then open. The trial judge held that the will had created a substitution, and gave judgment for the plaintiffs, but this judgment was reversed by the Court of Appeal.

Held: The appeal should be dismissed. The rights of the plaintiffs in the immoveable were discharged by the sheriff's sale since the terms of the will indicated that a usufruct rather than a substitution was created.

APPEAL from the judgment of the Court of Queen's Bench, Appeal Side, Province of Quebec 1, reversing the judgment at trial. Appeal dismissed.

[Page 644]

C. A. Geoffrion, for the plaintiffs, appellants.

Philippe Beauregard, Q.C., for the defendant, respondent.

The judgment of the Court was delivered by

Taschereau J.:—Il s'agit dans la présente cause d'un appel d'un jugement de la Cour du Banc de la Reine 2, qui a maintenu l'appel de la Cité de Montréal et infirmé le jugement rendu par la Cour Supérieure du District de Montréal.

Les appelants sont tous les petits-enfants de feu Alexandre Aubertin, décédé à Montréal le 28 octobre 1924. Dans son testament, exécuté devant les notaires J. A. Brunet et J. H. Lippé le 2 novembre 1916, Alexandre Aubertin qui avait quatre fils, Joseph, Paul, Albert et Raoul, a disposé de ses biens de la façon suivante:

5°. Je donne et lègue la jouissance et usufruit de tous mes biens meubles et immeubles de nature quelconque que je délaisserai aux jour et heure de mon décès, sans exception ni réserve, à Joseph Aubertin, Albert Aubertin, Paul Aubertin, et Raoul Aubertin, mes quatre fils que j'institue mes légataires universels en jouissance et usufruit comme susdit.

Pour par eux avoir la dite jouissance et usufruit, leur vie durant, à leur caution juratoire et sans être tenus de faire inventaire et être partagée par parts et portions égales entre eux, savoir un quart à chacun d'eux.

6º. Je donne et lègue la nue propriété des biens ci-dessus légués à mes dits fils Joseph Aubertin, Albert Aubertin, Paul Aubertin et Raoul Aubertin, en jouissance, aux enfants de ces derniers, nés et à naître en légitimes mariages.

Pour être, mes dits biens partagés entre les enfants des dits Joseph Aubertin, Albert Aubertin, Paul Aubertin et Raoul Aubertin, par souche suivant l'ordre ordinaire des Successions, à l'exclusion de tous autres, lequel partage ne sera fait qu'après le décès du dernier des mes dits enfants ci-dessus nommés.

Dans le cas de décès d'aucun des dits Joseph Aubertin, Albert Aubertin, Paul Aubertin et Raoul Aubertin avant moi, en laissant des enfants, sa part dans ma Succession accroîtra à ses dits enfants.

Dans le cas où aucun des dits Joseph Aubertin, Albert Aubertin, Paul Aubertin et Raoul Aubertin mes fils viendrait à décéder sans laisser d'enfants ou qu'en ayant il vient ou vinssent à décéder en minorité et sans laisser d'enfants, sa part dans ma succession accroîtra à ses frères ci-dessus nommés lui survivant et dans le cas de prédécès d'aucun d'eux ci-dessus nommés aux enfants de ce dernier, à l'exclusion de tous autres, pour être partagée entre ses frères survivants et les enfants d'aucun de ses frères susnommés, décédé, par souche et suivant l'ordre des Successions.

[Page 645]

Je donne cependant à aucun de mes enfants qui décéderait sans laisser d'enfants, le droit de léguer par testament, à son épouse la vie durant de cette dernière en gardant viduité, la jouissance des biens à lui présentement légués.

Je veux et entends et c'est une clause expresse de mon présent Testament que les biens meubles et immeubles, ainsi que les fruits, revenus et intérêts de ces dits biens présentement légués à mes enfants ci-dessus nommés ou petits enfants, leur soient propres, qu'ils ne fassent partie d'aucune communauté de biens; de plus que ces dits biens et les fruits, revenus et intérêts de ces dits biens soient insaisissables par aucun des créanciers de mes enfants ci-dessus nommés et petits-enfants, leur étant donnés à chacun d'eux à titre d'aliments et de pension alimentaire, cependant la présente clause n'aura en aucune manière effet d'empêcher mes petits-enfants de vendre, hypothéquer ou autrement aliéner leur part dans les biens de ma Succession.

Par la clause 8 de son testament, le testateur a nommé son fils Joseph Aubertin exécuteur testamentaire, et a étendu ses pouvoirs au delà de l'an et jour, et lui a donné l'autorisation de vendre et de disposer de l'actif de sa succession.

Parmi cet actif dont le testateur était propriétaire à son décès, se trouvaient les 7/10 d'un lot de terre, situé dans la cité de Montréal et portant le numéro 3607 du plan officiel et du livre de renvoi de la paroisse de Montréal. Les autres 3/10 du lot en question appartenaient à trois des fils du testateur, Joseph, Paul et Albert Aubertin.

Par acte authentique en date du 27 août 1937, l'exécuteur testamentaire et les héritiers ont vendu à la compagnie Canada Packers Limited une partie du lot 3607 ci-dessus mentionné, pour le prix de $12,000 comptant. Le 1er février 1939, la Canada Packers Limited a institué des procédures judiciaires contre les vendeurs et contre tous les appelants dans la présente cause, et a réclamé le paiement de la somme de $1,157.80 pour taxes d'église affectant le lot 3607, que la Canada Packers Limited avait payées avec subrogation, et avec les conclusions hypothécaires sur la balance du lot 3607 non vendue et appartenant encore à la succession du testateur Alexandre Aubertin. Cette action a été contestée par la succession, mais a été maintenue par jugement de la Cour Supérieure rendu par l'honorable Juge Louis Cousineau le 21 décembre 1939. Un bref d'exécution a en conséquence été émis le 12 avril 1940, à la réquisition de Canada Packers Limited, et le résidu de ce lot 3607 appartenant à la succession, a été saisi pour satisfaire le jugement rendu.

[Page 646]

Les appelants actuels ont, le 31 mars 1940, produit une opposition à fin de charges dans laquelle ils ont conclu que la propriété soit vendue par le shérif, sujette aux droits des opposants comme "nus propriétaires". Cette opposition a été rejetée par jugement rendu par l'honorable Juge Surveyer le 9 octobre 1940, pour le motif que les opposants étaient parties à l'action, et l'appel à la Cour du Banc du Roi qui a suivi ce jugement a été subséquemment abandonné. Le 12 septembre 1940, la partie du lot saisie a été vendue par le shérif et adjugée à la cité de Montréal, l'intimée dans la présente cause, pour la somme de $3,300.

On voit donc par les termes du testament dont j'ai reproduit les parties essentielles et nécessaires à la détermination de cette cause, que le testateur a laissé à ses quatre fils Joseph, Albert, Paul et Raoul la jouissance et usufruit de tous ses biens meubles et immeubles pour leur vie durant, sans être tenus de faire inventaire. Quant à la nue propriété des biens affectés à l'usufruit, il l'a donnée et léguée aux enfants de ses quatre fils nés et à naître en légitimes mariages. Il a été stipulé que les biens ainsi légués devaient être partagés entre les enfants des quatre usufruitiers par souche suivant l'ordre ordinaire des successions, après le décès du dernier des enfants du testateur.

Il s'agit de savoir, dans la présente cause, si ce testament a créé un usufruit ou s'il a créé une substitution fidéicommissaire. Evidemment, s'il s'agit d'un usufruit, les droits des parties ont été purgés par la vente du shérif le 12 septembre 1940, mais s'il s'agit au contraire d'une substitution, alors, en vertu des termes de l'art. 781 du Code de procédure civile, le décret aurait purgé tous les droits réels, sauf la substitution non ouverte à cette date.

La Cour Supérieure a décidé qu'il s'agissait d'une substitution non ouverte, et que l'action instituée par les présents appelants était bien fondée, qu'en conséquence la cité de Montréal n'avait pas un titre de propriété absolu et parfait sur l'immeuble vendu par le shérif, que le droit de propriété de la cité de Montréal était sujet à caducité en faveur des demandeurs appelés à la substitution créée par le testament de feu Alexandre Aubertin, enregistré contre ledit immeuble.

[Page 647]

La Cour du Banc de la Reine 3 a adopté une opinion contraire. Elle a renversé ce jugement, a déclaré qu'il s'agissait d'un legs d'usufruit en faveur des quatre fils Aubertin, qu'il ne s'agissait nullement d'une substitution, et que les demandeurs-appelants n'avaient pas le droit de demander que l'immeuble possédé par la cité de Montréal soit déclaré affecté d'une substitution en leur faveur et qu'à tout événement, si telle substitution existait, elle aurait été purgée par la vente du shérif à cause des dispositions de l'art. 959 du Code Civil, qui dit que: "Les jugements intervenus en faveur des tiers contre le grevé ne peuvent être attaqués par les appelés sur le motif de la substitution, si on les a mis en cause …"

Je partage les vues de la Cour du Banc de la Reine, car je vois clairement dans les termes mêmes du testament tous les éléments essentiels à la constitution d'un usufruit. On sait que l'usufruit est le droit de jouir des choses dont un autre a la propriété, comme le propriétaire lui-même, mais à la charge d'en conserver la substance: C.C. 443. Le legs en usufruit constitue un démembrement de la propriété, car le droit de l'usufruitier qui en est un de jouissance, comporte seulement le droit d'utiliser la chose et d'en recueillir les fruits, mais non celui de disposer de cette chose. L'usufruitier a, en conséquence, le jus utendi et le jus fruendi, mais est privé du jus abutendi. Il n'a pas la plénitude du droit de propriété, qui ne se complétera que par la fin de l'usufruit en faveur du nu propriétaire.

L'usufruit comporte simultanément une double libéralité, prenant effet au même moment, soit la jouissance pour l'usufruitier, et la nue propriété pour l'autre bénéficiaire. Les libéralités ne comportent pas d'ordre successif. Dans la substitution fidéicommissaire, au contraire, celui qui reçoit une chose est chargé de rendre cette chose, soit à son décès, soit à un autre terme. La substitution fidéicommissaire est en effet une disposition par laquelle, en gratifiant quelqu'un expressément ou tacitement, on le charge de rendre la chose qui lui a été donnée, ou une autre chose à un tiers que l'on gratifie en second ordre: Thevenot D'Essaule no. 7. Il n'y a donc pas de libéralité simultanée, soit la jouissance d'un bien à une personne et la nue propriété à une autre en même temps. Il y a bien, comme

[Page 648]

le dit Mignault, vol. 5, p. 8, deux libéralités, mais d'ordre successif, et il existe aussi un trait de temps entre la jouissance des grevés et l'ouverture de la substitution, quand l'appelé aura la propriété des biens.

En vertu de l'art. 928 du Code civil, il est bien vrai qu'une substitution peut exister quoique le terme d'"usu-fruit" ait été employé pour exprimer le droit du grevé. C'est d'après l'ensemble de l'acte et l'intention qui s'y trouve suffisamment manifestée, plutôt que d'après l'acceptation ordinaire de certaines expressions, qu'il est décidé s'il y a ou non substitution.

Dans le cas qui est soumis à la considération de cette Cour, il me semble clair d'après les termes du testament, qu'il y a eu en premier lieu une double libéralité simultanée, soit la jouissance des biens aux quatre fils Joseph, Albert, Paul et Raoul Aubertin, et en même temps, en vertu du paragraphe 6 de son testament, le testateur a donné et légué la nue propriété des biens ci-dessus légués à ses petits-enfants, soit les enfants des quatre fils ci-dessus mentionnés, nés et à naître en légitimes mariages. Tous ces biens doivent être partagés entre les enfants de Joseph, Albert, Paul et Raoul Aubertin par souche suivant l'ordre ordinaire des successions, et le partage ne doit être fait qu'après le décès du dernier des quatre fils ci-dessus mentionnés. Il n'y a pas d'ordre successif qui est créé, comme il n'y a pas davantage de trait de temps entre le droit de chacun des légataires. S'il y avait une substitution, il faudrait voir dans les termes du testament, et a défaut de précisions satisfaisantes, par l'ensemble de l'acte et l'intention qui s'y trouve manifestée par le testateur, un ordre successif, c'est-à-dire des libéralités successives, et un trait de temps qui est essentiel à la substitution.

En d'autres termes, l'usufruit est un droit réel limité à la vie de son titulaire auquel il permet de se servir d'une chose appartenant à autrui et d'en prendre les fruits, sans en altérer la substance ni en modifier la destination:

Capitant, "Vocabulaire Juridique" p. 488.

C'est pourquoi dans l'usufruit il y a deux libéralités simultanées, la jouissance à un, la nue propriété à un autre, tandis que la substitution, pour employer l'expression de

[Page 649]

Pothier (Œuvre de Pothier vol. 8, p. 455), est une disposition que l'on fait de ses biens au profit d'un autre par le canal d'une personne interposée que l'on charge de remettre à cet autre. Comme le dit M. le Juge L. P. Demers dans la cause de Gauthier v. L'Hon. M. Wilson et al. et Antigna 4:

Ce qui caractérise la substitution, c'est que le testateur fait pour ainsi dire le testament de chacun des grevés quant aux biens donnés.

Dans le cas de substitution, les biens passent d'une personne à une autre mais non pas dans le cas d'usufruit. L'appelé n'a nullement la propriété, mais la reçoit par l'intermédiaire d'un grevé qui est chargé de la lui remettre. Ce n'est qu'à cette époque, à l'ouverture de la substitution, que l'appelé recevra la propriété de la chose. Les mots "nue propriété" comportent à mon sens l'idée d'un usufruit, à moins que le contraire n'apparaisse, car dans le cas de substitution le droit de propriété de l'appelé ne naîtra qu'à la mort du grevé. Dans le cas qui nous occupe, il n'y a rien de semblable. Seul le partage se fait à la mort du dernier des fils, de tous les biens dont les petits-fils avaient déjà la propriété.

Pour ces raisons, et celles données par la Cour du Banc de la Reine, je suis d'avis de rejeter le présent appel avec dépens.

Appeal dismissed with costs.

Solicitors for the plaintiffs, appellants: Pager & Pager, Montreal.

Solicitors for the defendant, respondent: Choquette & Berthiaume, Montreal.



1 [1956] Que. Q.B. 817.

2 [1956] Que. Q.B. 817,

3 [1956] Que. Q.B. 817.

4 (1925), 31 R.L.N.S. 50 at 58.

 You are being directed to the most recent version of the statute which may not be the version considered at the time of the judgment.