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Supreme Court of Canada

Cambrai Construction Inc. v. Corporation de l'Hôpital de St-Ambroise de Loretteville, [1963] S.C.R. 391

Date: 1963-02-26

Cambrai Construction Inc. (Demanderesse) Appelante;

et

La Corporation de L'Hôpital de St-Ambroise de Loretteville (Défenderesse) Intimée.

Contrat—Construction d'un hôpital—Droit de canceller pour raisons estimées raisonnables—Octrois du gouvernement refusés—Cancellation—Action en dommages—Code Civil, arts. 1061, 1691.

En juillet 1957, la demanderesse s'est engagée par contrat à construire un hôpital pour la défenderesse. Cette dernière devait fournir les matériaux et s'engageait à payer une rémunération de $50,000. La clause 8 du contrat stipulait que la défenderesse pourrait mettre fin au contrat «pour des raisons qu'elle estimera raisonnables», et dans ce cas la demanderesse ne pourra réclamer aucun dommage. Une autre clause du contrat était à l'effet que le contrat «sera considéré comme nul» si certains octrois n'étaient pas donnés par les autorités provinciales. En novembre 1957, le contrat fut cancellé et le même jour l'exécution des travaux, assez avancés déjà, fut confiée à un autre entrepreneur.

La demanderesse a alors réclamé des dommages généraux et spéciaux de $69,654.54. La Cour supérieure a maintenu l'action pour la somme de $49,654.54 et ce montant fut réduit par la Cour du banc de la reine à $5,000. Aucune des deux Cours n'a accepté la clause 8 comme étant une fin de non recevoir. La demanderesse en a appelé à cette Cour et la défenderesse a produit un contre-appel.

Arrêt: L'appel doit être rejeté et le contre-appel maintenu.

Il n'était pas nécessaire de décider, comme l'on fait les deux autres Cours, si la clause 8 du contrat était absolue ou non, parce que la défenderesse avait des motifs raisonnables de changer d'entrepreneur. La preuve révèle que la défenderesse fut forcée de canceller le contrat vu le refus des autorités de donner les octrois nécessaires à moins que le contrat ne soit alloué à un autre entrepreneur. Il s'ensuit nécessairement qu'aucun dommage, soit général ou spécial, ne peut être accordé.

APPEL et Contre-Appel d'un jugement de la Cour du banc de la reine, Province de Québec1, modifiant un jugement de Lizotte J. Appel rejeté et contre-appel maintenu.

Georges Pelletier, C.R., et Yves Pratte, C.R., pour la demanderesse, appelante.

[Page 392]

Jean Turgeon, c.r., pour la défenderesse, intimée.

Le jugement de la Cour fut rendu par

Le Juge Taschereau:—Le 24 juillet 1957, la Cambrai Construction Inc. et la Corporation de l'Hôpital de St-Ambroise de Loretteville ont signé un contrat en vertu duquel cette dernière a confié à l'appelante la construction d'un hôpital à Loretteville, dont le coût approximatif devait être de $750,000.

Par ce contrat reçu devant le notaire André Cossette, la Compagnie de Construction s'engageait à faire les travaux, à procurer la main-d'œuvre, et l'hôpital devait fournir les matériaux et s'engageait à payer une rémunération au montant de $50,000 à la Compagnie de Construction. Cette dernière, tel qu'il est stipulé au contrat, agissait comme «agent» de la Corporation de l'Hôpital de St-Ambroise.

Le 26 novembre 1957, l'hôpital intimé a résilié ce contrat, et le même jour a confié l'exécution des travaux, assez avancés déjà, à une autre compagnie appelée la «Komo Construction Limited» qui a complété l'ouvrage qui restait à faire. L'appelante a alors poursuivi l'intimée et a réclamé en dommages la somme de $69,654.54.

M. le Juge Lizotte de la Cour supérieure a maintenu cette action jusqu'à concurrence de $49,654.54, mais la Cour d'Appel2 a substantiellement modifié ce jugement et a condamné l'hôpital à payer seulement la somme de $5,000. M. le Juge Rivard, dissident en partie, aurait réduit le montant accordé par la Cour supérieure à $31,655.34.

En Cour d'Appel, M. le Juge Casey parlant pour la majorité des membres du tribunal, a rejeté l'item des dommages spéciaux et, pour justifier ce rejet, il s'est exprimé de la façon suivante:

While I have no doubt that the special damage suffered by Respondent would be the profit that it would have made had it been allowed to complete the contract, it does not follow that the stipulated fee of $50,000 was all profit. To earn this Respondent had to spend some money and in addition had to bear the cost of «toute la machinerie et l'outillage nécessaire à l'exécution du contrat à l'exclusion des …». Despite the statement (p. 224) that—«La demanderesse avait droit à un profit net de $50,000»— some evidence was needed to establish the portion of the $50,000 that should be regarded as profit and recoverable as damage. On this there is no proof with the result that since this type of damage cannot. be presumed and cannot be fixed arbitrarily the Superior Court should have disallowed the item.

[Page 393]

En ce qui concerne les dommages généraux réclamés au montant de $25,000, M. le Juge Casey s'accorde avec M. le Juge Lizotte, et croit que la somme de $5,000 est un montant qui, quoique généreux, est légalement réclamé et ne voit pas comment la Cour d'Appel aurait pu intervenir.

L'une des clauses importantes de ce contrat est la clause 8 qui se lit de la façon suivante:

8. Il est spécialement convenu entre les parties que la Corporation, en aucun temps et de sa seule autorité, pourra suspendre, résilier et ou annuler le présent contrat pour des raisons qu'elle estimera raisonnables et sa décision sera finale et sans appel;

Il sera alors payé à l'agent tout ce qui lui est dû à date, suivant les termes du contrat, mais l'agent ne pourra réclamer aucun dommage, compensation ou indemnité, sous quelque forme que ce soit.

La Cour supérieure pas plus que la Cour d'Appel n'a accepté cette clause comme étant une fin de non recevoir. Les deux tribunaux en sont arrivés à la conclusion que l'hôpital, malgré les mots que l'on trouve à l'article 8 «pour des raisons qu'elle estimera raisonnables», n'était pas investi du pouvoir de mettre un terme au contrat, et que son droit n'était pas absolu.

Il est bon de remarquer qu'il ne s'agit pas ici d'un contrat à forfait. S'il s'agissait d'un semblable contrat, la clause 8 n'aurait pas été nécessaire car, par l'opération de la loi, l'art. 1691 du Code Civil aurait trouvé son application:

1691. Le maître peut résilier, par sa seule volonté, le marché à forfait pour la construction d'un édifice ou autre ouvrage, quoique l'ouvrage soit déjà commencé, en dédommageant l'entrepreneur de ses dépenses actuelles et de ses travaux et lui payant des dommages-intérêts suivant les circonstances.

Mais cet article ne s'applique que lorsqu'il s'agit d'un marché à forfait, et non pas lorsque les parties ont fait un contrat dans le genre de celui qui nous occupe actuellement où l'entrepreneur était «agent» pour l'hôpital. C'est précisément à cause du défaut d'application de l'art. 1691 que les parties ont convenu d'intercaler au contrat la clause 8 qui, pour moi, ne présente aucune ambiguïté vu les faits révélés par la preuve.

Il est certain que cet hôpital ne pouvait être construit à moins que les octrois ne soient donnés par les autorités

[Page 394]

provinciales. Le contrat fait mention de ces octrois, et l'une des clauses se lit ainsi:

Il est entendu entre les parties que le présent contrat sera considéré comme nul si la Corporation n'obtient pas du Gouvernement Provincial l'octroi de Cent cinquante mille dollars échu en juin dernier (1957) et l'octroi de Cent mille dollars payable au cours de 1958.

Or, il est clair que tous ces octrois n'étaient pas payés quand le contrat a été résilié par l'Hôpital St-Ambroise de Loretteville. M. le Docteur Larochelle, président de l'hôpital, témoigne ainsi:

Q. Quand la corporation a résilié la contrat, le 26 novembre 1957, est-ce qu'à ce moment-là la corporation avait recu l'octroi provincial mentionné dans cette clause-là?

R. Non.

Q. Vous ne l'aviez pas eu?

PAR LA COUR:

Q. Aucun octroi?

PAR Me JULES ROYER:

Q. Les octrois mentionnés ici dans le contrat?

R. Probablement que nous avions reçu le premier.

Q. Il y avait eu des octrois de payés avant?

R. Oui.

Plus loin dans son témoignage le Dr Larochelle explique que le premier octroi a été versé mais que le deuxième ne l'a jamais été, qu'il y avait bien une promesse de $150,000 sans arrêté ministériel. Il affirme que l'hôpital était dans l'impossibilité de continuer les travaux, car il n'avait pas les fonds voulus et l'octroi de $100,000 n'arrivait pas. L'hôpital a emprunté de l'argent des banques et s'est engagé, comme le dit le Dr Larochelle, jusqu'aux limites légales et financières possibles, et a été forcé de suspendre les travaux.

L'hôpital ne voulait pas entreprendre la construction sans être assuré des octrois nécessaires et, évidemment, avec la «Cambrai Construction», les octrois promis n'étaient pas payés, et l'hôpital n'avait plus de fonds nécessaires pour poursuivre son entreprise.

La seule alternative était de changer d'entrepreneur, et le jour même où le contrat a été résilié avec la «Cambrai Construction», un nouveau contrat a été signé avec la «Komo Construction», et des octrois de $1,250,000 ont été versés à l'hôpital. Il est certain qu'il fallait un changement d'entrepreneur si les octrois devaient être payés.

[Page 395]

Il me semble évident que l'hôpital ne pouvait continuer dans de semblables conditions, et que le succès de son entreprise, vu l'absence d'octrois, était sérieusement compromis.

M. le Dr Larochelle résume ainsi son témoignage:

Q. C'est que vous voulez dire si vous ne pouviez pas les recevoir finalement ces octrois-là, vous n'étiez plus capable de marcher?

R. Exactement.

Et plus loin, le Dr Larochelle s'exprime ainsi:

Q. Est-ce que vous voulez dire par là, vous, qu'il n'y a aucun hôpital à moins d'avoir déjà de la finance qui ne peut procéder sans des octrois?

R. A moins d'avoir un philanthrope en arrière …

Q. Et le jour même que vous résiliiez le contrat, vous le donniez à une autre compagnie?

R. Oui.

Q. Parce que vous étiez assurés de recevoir vos subsides, n'est-ce pas, sans ça vous ne l'auriez pas donné si vous n'aviez pas été assurés de recevoir vos subsides?

R. C'est exact.

Q. Et, en fait, vous avez reçu $1,250,000?

Le changement d'entrepreneur est la seule raison qui a justifié cette façon d'agir, car l'appelante, nous révèle la preuve, a très bien exécuté les travaux qui lui ont été confiés. Il n'y a jamais eu de conflit entre les parties.

L'intimée me paraît avoir agi avec clairvoyance, car l'hôpital qui devait coûter $750,000 a reçu en octrois $1,250,000. Ce qui évidemment inquiétait l'intimée, c'est que le second octroi de $150,000 n'a jamais été autorisé légalement, et il n'y avait même pas de promesse pour l'avenir. Le nouveau contrat a créé une nouvelle atmosphère dont l'intimée a grandement bénéficié.

La Cour d'Appel, comme je l'ai signalé antérieurement, a jugé que la clause 8 du contrat n'était pas absolue. Quoique l'hôpital eût le droit «en aucun temps et de sa seule volonté» de «suspendre, résilier ou annuler le contrat», il fallait tenir compte des mots «pour des raisons qu'elle estimera raisonnables» et «cette décision sera finale et sans appel», et on a décidé qu'il fallait des raisons et que l'hôpital ne pouvait pas unilatéralement mettre un terme à son contrat.

Je ne crois pas qu'il soit nécessaire de décider cette question, car je suis convaincu que l'hôpital avait des motifs raisonnables de changer d'entrepreneur, afin de lui permet-

[Page 396]

tre de mener son entreprise à bonnes fins, et de la conduire à son complet développement. Il s'ensuit nécessairement qu'aucun dommage ne peut être réclamé. Comme l'article 8 du contrat doit trouver toute sa rigide application, parce qu'il constitue la loi des parties, je ne vois pas comment l'appelante peut réussir. L'agent a été payé de tout ce qui lui était dû à la date de la résiliation, y compris la proportion des honoraires auxquels il avait droit, et il est convenu que dans le cas d'un telle éventualité, il ne pourrait réclamer aucun dommage ou compensation. Si la clause 8 est absolue, tout recours est évidemment interdit. Mais si la clause, comme je le crois, justifie la résiliation pour des motifs que l'intimée a cru raisonnables, alors je suis d'opinion qu'il a été établi à ma satisfaction que des causes suffisantes existaient pour autoriser la répudiation de la convention intervenue.

A ces raisons qui à mon sens justifient le rejet de l'appel principal, je dois ajouter qu'il n'est pas nécessaire de décider si les dommages spéciaux doivent ou non être accordés. En ce qui concerne les dommages généraux, estimés à $5,000 par le juge au procès et par la majorité de la Cour d'Appel, je crois qu'ils ne peuvent être accordés pour les motifs qui justifient le rejet de la réclamation pour dommages spéciaux.

Par l'application des termes du contrat (clause 8), qui est la souveraine expression de la volonté commune des parties, aucun dommage quel qu'il soit ne peut être réclamé, que ce soit comme résultat de l'absolutisme de ces termes ou de la présence de motifs raisonnables qui ont justifié sa résiliation. Le contrat n'établit aucune différence entre les dommages généraux et les dommages spéciaux.

L'appel doit être rejeté, de même que l'action intentée, avec dépens de toutes les Cours. Le contre-appel doit être maintenu avec dépens devant cette Cour.

Appel rejeté et contre-appel maintenu.

Procureur de la demanderesse, appelante: Georges Pelletier, Québec.

Procureur de la défenderesse, intimée: Jean Turgeon, Québec.



1 [1962] B.R. 134.

2 [1962] B.R. 134.

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