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Supreme Court of Canada

Beaudry v. Randall, [1963] S.C.R. 418

Date: 1963-03-07

Joseph Beaudry (Défendeur) Appelant;

et

Lewis V. Randall (Demandeur) Intimé.

Trust Général Du Canada (Défenderesse) Appelante;

et

Lewis V. Randall (Demandeur) Intimé.

Joseph Beaudry (Défendeur) Appelant;

et

Lewis V. Randall (Demandeur) Intimé.

Lewis V. Randall (Demandeur) Appelant;

et

Trust Général du Canada (Défenderesse) Intimé.

Contrat—Option d'achat—Actions de compagnie—Dépôt d'actions à une compagnie de fidéicommis pour être livrées sur paiement du prix—Révocation unilatérale avant expiration du terme—Refus de livraison—Action en dommages—Intérêts—Stipulation pour autrui—Responsabilité solidaire—Code Civil, arts. 1029, 1065.

Les défendeurs Beaudry et Butler accordèrent au demandeur une option d'un an pour acheter en tout ou en partie un certain nombre de parts du capital actions d'une compagnie aux prix de $5 l'unité. Ces parts, tel que mentionné dans l'option, furent déposées entre les mains d'une compagnie de fidéicommis, le Trust Général du Canada, qui avisa le demandeur du dépôt et du fait qu'elles seraient détenues par elle selon les termes de l'option. Six mois plus tard, le défendeur Butler, par lettre enregistrée, avisa le demandeur que l'option était révoquée. Copie de cette lettre fut aussi adressée au fidéicommis. Le demandeur, accompagné d'un notaire, se présenta immédiatement aux bureaux du

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fidéicommis, offrit l'argent et réclama la livraison des parts, ce qui fut refusé. Le demandeur intenta une action pour dommages-intérêts au montant de $72,000, étant la différence entre le prix prévu et le prix supérieur prévalant à ce moment à la bourse. Cette action ne procéda éventuellement que contre Beaudry et le fidéicommis.

Le juge de première instance évalua les dommages à $68,500, et l'action fut maintenue pour ce montant. Par un jugement majoritaire, la Cour d'appel modifia ce jugement pour condamner conjointement et solidairement les deux défendeurs pour le tout. Les défendeurs et le demandeur aussi appelèrent à cette Cour.

Arrêt: Les appels doivent être rejetés.

L'entente entre les parties étant devenue, tel que voulu, une entente tripartite, ne pouvait être révoquée sans l'intervention du demandeur. Indivisible, elle avait le double objet de consacrer une option unilatéralement irrévocable, et de consacrer l'obligation du fidéicommis d'en assurer l'exercice éventuel. Il ne peut donc être question d'une stipulation pour autrui au bénéfice du demandeur puisqu'il était partie à cette entente. C'est donc à bon droit qu'on a jugé que Beaudry et Butler n'avaient aucun droit de révoquer, que le fidéicommis était tenu de livrer les actions lors de l'offre de paiement et qu'il y avait eu rupture de contrat engageant la responsabilité des défendeurs. Cette responsabilité était conjointe et solidaire puisque la transaction était commerciale et sa révocation dolosive. Il n'apparaît au dossier aucune raison pour modifier le quantum des dommages.

Il n'y avait pas lieu de demander la résolution de la vente, puisque la vente n'a jamais eu lieu. L'offre d'achat n'a pas été acceptée. L'action en dommages pour cause de révocation de l'option était donc bien fondée. Le demandeur avait le choix soit d'opter pour la possession des actions soit de demander des dommages-intérêts.

APPELS de trois jugements de la Cour du banc de la reine, province de Québec1, modifiant en partie un jugement du Juge Smith. Appels rejetés.

Edouard Masson, C.R., pour le défendeur Beaudry.

Antoine Geoffrion, C.R., et G. Laurendeau, C.R., pour la défenderesse Trust Général du Canada.

Le jugement de la Cour fut rendu par

Le Juge Fauteux:—En août 1956, Joseph Beaudry et C. J. Butler, principaux intéressés d'Aconic Mining Corporation, accordaient à Lewis V. Randall une option pour acheter 20,000 parts du capital actions de cette compagnie au prix de $5 l'unité. La considération, le terme et les conditions de cette option, aussi bien que la procédure adoptée pour son exercice, sont consignés dans la lettre ci-après, datée le 29 août 1956, signée par Beaudry et Butler et remise par ce dernier à Randall, au bureau même de la compagnie:

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ACONIC MINING CORPORATION                           Telephone: UNiversity 6-6882

Craig at Victoria Square                                            Cable: Coaconic

The Canada Building                                                 29 August, 1956

Montreal 1

Mr. L. V. Randall,

1374 Sherbrooke Street, West,

Suite "A",

Montreal, Que.

Dear Mr. Randall,

This will confirm that in recognition of your continued cooperation and assistance in the financing of Aconic Mining Corporation to major production, we, the undersigned, Joseph Beaudry and C. J. Butler, do hereby grant to you an option to purchase twenty thousand (20,000) shares of Aconic Mining Corporation, Capital Stock, at a price of $5.00 per share.

This option shall be valid for a period of one year from today's date. We will leave on deposit with the General Trust of Canada, 84 Notre Dame Street, West, Montreal, the said 20,000 shares which can be picked up anytime within the said period of one year, upon payment to the General Trust of Canada, for the account of Joseph Beaudry and C. J. Butler, $5.00 per share for the stock being taken down, and the General Trust of Canada is hereby authorized to issue this stock to you, upon receipt of payment for same.

We request the General Trust to notify you when they are in receipt of the 20,000 shares and that they are holding same in accordance with this letter.

Yours very truly,

JOSEPH BEAUDRY,

C. J. BUTLER,

Quelques jours plus tard, le 4 septembre 1956, Beaudry et Butler précisaient dans une lettre adressée à Randall leur accord sur son droit d'exercer cette option, soit pour la totalité ou soit pour partie seulement des 20,000 parts et ce, jusqu'au 29 août 1957:

ACONIC MINING CORPORATION                           Telephone: UNiversity 6-6882

The Canada Building                                                 Cable: Coaconic

Craig at Victoria Square                                            4 September, 1956

Montreal 1

Mr. L. V. Randall,

1374 Sherbrooke Street, West,

Suite "A",

Montreal, Que.

Dear Mr. Randall,

With reference to our letter of the 29th August, 1956, regarding the option for 20,000 shares of capital stock of Aconic Mining Corporation at $5.00 per share, we, Joseph Beaudry and C. J. Butler, agree that you have the right to take down the whole or any part of these said 20,000 shares prior to the 29th August, 1957.

Yours very truly,

JOSEPH BEAUDRY,

C. J. BUTLER,

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Par la suite, Randall reçut par courrier, à son adresse à Montréal, une lettre du Trust Général du Canada dûment signée par Oscar Lauzon, gérant de la division des «corporate trusts», l'avisant que copie de la lettre du 29 août 1956 leur avait été transmise, que les 20,000 parts en question avaient été déposées en leurs mains et que ces parts seraient détenues par eux selon les termes de la lettre du 29 août 1956. Cette lettre du Trust Général du Canada, en date du 3 octobre 1956, se lit comme suit:

TRUST GENERAL DU CANADA

GENERAL TRUST OF CANADA

84 ouest, rue Notre-Dame                                         Casier postal

Notre-Dame Street West,                                    P.O. Box No. 968

(Place d'Armes)                                                    Place d'Armes

Marquette 9422

Montréal 1, October 3rd 1956.

Mr. L. V. Randall,

1374 Sherbrooke Street West,

Suite "A",

Montreal, Que.

Dear Sir:

We wish to inform you that we have been transmitted copy of a letter dated August 29th 1956, by Messrs. Joseph Beaudry and C. J. Butler and yourself, regarding one option to purchase twenty thousand (20,000) shares of Aconic Mining Corporation.

We also wish to confirm that these shares have been deposited with us, and will be held according to the terms of this letter.

We beg to remain,

Yours very truly,

O. LAUZON,

Oscar Lauzon, Manager,

Corporate Trusts Department.

Quelque six mois plus tard et avant l'expiration du terme fixé pour l'exercice de l'option, Butler adressait, sous pli recommandé, la lettre suivante à Randall:

COPY                                 ACONIC MINING CORPORATION

(personal)

14 March, 1957.

BY REGISTERED MAIL

Mr. L. V. Randall,

1374 Sherbrooke Street, West,

Suite "A",

Montreal, Que.

Dear Sir:

Please be advised that your option to purchase 20,000 shares of Aconic Mining Corporation capital stock at $5.00 per share, under date of August 29th, 1956, is hereby cancelled due to your failure to provide the

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promised cooperation and assistance in securing senior financing for Aconic Mining Corporation, and the General Trust of Canada is being advised accordingly.

Yours very truly,

C. J. BUTLER

Registered copy to

General Trust of Canada.

(Pencil Note): No-62826

Copie de cette lettre, adressée au Trust Général du Canada, fut reçue par Oscar Lauzon, le gérant de la division d'administration concernée.

Le lendemain, 15 mars, Randall se présenta au bureau du Trust Général du Canada, accompagné du notaire John Everett Todd qui, s'adressant au président de l'institution, lui offrit en bonne et due forme la somme de $100,000 et réclama la livraison des 20,000 parts. A ce protêt, celui-ci répondit:—«I cannot do it at the present time owing to the revocation of Mr. Randall's option by Mr. Butler»; et, requis par le notaire de signer sa réponse, il refusa de ce faire. C'est alors que Randall s'adressa aux tribunaux.

Dans son action intentée une quinzaine de jours plus tard contre Beaudry, Butler, le Trust Général du Canada et Aconic Mining Corporation, il invoqua les faits ci-dessus et demanda à ce que tous les défendeurs soient condamnés conjointement et solidairement à lui payer, à titre de dommages résultant de rupture de contrat, la somme de $72,000, différence entre le prix prévu à l'option et subséquemment offert, et le prix supérieur prévalant à ce temps à la Bourse pour les 20,000 actions.

Cette action en justice ne procéda éventuellement que contre Beaudry et le Trust Général du Canada; Randall s'en étant désisté dans le cas d'Aconic Mining Corporation et Butler ayant fait cession de ses biens:

En défense, Beaudry, d'une part, plaida principalement que l'option était révocable en aucun temps; que donnée en considération de services à rendre et subséquemment non rendus, elle avait été validement révoquée et qu'aucuns dommages n'avaient été subis par Randall par suite de cette révocation. De son côté, le Trust Général du Canada soumit en substance qu'il était simplement dépositaire de ces actions, qu'il n'avait commis aucune faute, qu'il n'avait

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contracté aucune obligation à l'endroit de Randall et qu'entre ce dernier et le Trust Général du Canada, il n'y avait aucun lien de droit.

A l'enquête, la preuve faite par les parties et retenue par le Juge de première instance se limite, à vrai dire, à la preuve orale faite pour établir les dommages et aux écrits ci-dessus reproduits, auxquels écrits les parties ont donné une interprétation différente pour en tirer, en droit, des conclusions opposées.

Dans un jugement très élaboré, M. le Juge Smith, de la Cour supérieure, jugea en somme que l'option donnée à Randall n'avait jamais été révoquée légalement; que le Trust Général du Canada avait assumé des obligations, non seulement envers Beaudry et Butler mais également à l'égard de Randall; qu'il ne pouvait se libérer de ces obligations en l'absence du consentement de ce dernier à la révocation de l'option; que le Trust Général du Canada était tenu de livrer les 20,000 actions lorsque lui fut faite l'offre de paiement de la somme de $100,000; et qu'il y avait eu, de la part des défendeurs, rupture de contrat engageant leur responsabilité pour les dommages en résultant. Considérant la différence entre le prix de $5 l'unité, prévu à l'option, et le prix moyen de $8.42 ½ prévalant, dans ses vues, sur le marché aux 14 et 15 mars 1957, il évalua les dommages à la somme de $68,500. Enfin, étant d'avis que la transaction entre Beaudry et Butler, d'une part, et Randall, d'autre part, n'était pas d'une nature commerciale, il condamna le Trust Général du Canada à payer au demandeur $68,500 avec intérêts, dont $34,250 conjointement et solidairement avec Beaudry, montant au paiement duquel celui-ci fut lui-même condamné.

De ce jugement, il y eut trois appels, celui de Beaudry et celui du Trust Général du Canada, tous deux pour obtenir le rejet de l'action de Randall, et celui de Randall contre Beaudry et le Trust Général du Canada pour obtenir une augmentation du montant accordé, en première instance, pour dommages, et une condamnation conjointe et solidaire des deux défendeurs pour le tout.

Par un jugement majoritaire, la Cour d'Appel2 rejeta les deux premiers appels et accueillit en partie le troisième,

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pour modifier, tel que demandé, la nature de la condamnation.

Des notes très détaillées fournies par chacun des Juges apparaît leur accord à déclarer, comme l'avait fait le Juge de première instance, que sans l'assentiment de Randall, l'option qui lui avait été donnée par Beaudry et Butler ne pouvait être validement révoquée et que le Trust Général du Canada avait, au moment où on lui offrit la somme de $100,000, l'obligation de livrer les 20,000 parts. MM. les Juges Hyde, Taschereau et Choquette, de la majorité, furent en outre d'avis que Randall n'était pas tenu, contrairement à la prétention des défendeurs-appelants, de conclure à la résolution du contrat pour obtenir les dommages; que la transaction intervenue étant de nature commerciale et la révocation de l'option étant dolosive, les défendeurs devaient être condamnés conjointement et solidairement au paiement de tous les dommages; que le montant accordé à ce titre par le Juge de première instance était justifié par la preuve et qu'il n'y avait pas lieu de le modifier.

Dissidents, MM. les Juges Rinfret et Badeaux furent d'avis que Randall aurait dû demander la résolution des ententes intervenues et que le défaut de ce faire ne permettait pas de faire droit à l'action en dommages qu'il avait prise contre les défendeurs. Dans ces vues, n'ayant pas à considérer les autres questions, ils auraient maintenu les appels de Beaudry et du Trust Général du Canada et renvoyé celui de Randall.

Ces trois jugements de la Cour d'Appel ont donné lieu à quatre pourvois devant cette Cour: celui de Beaudry et celui du Trust Général du Canada pour faire infirmer le jugement rejetant leur appel respectif, celui de Beaudry à l'encontre du jugement accueillant en partie l'appel de Randall, et celui de Randall pour obtenir cette augmentation du montant des dommages que la Cour du banc de la reine refusa de lui accorder sur son appel du jugement de première instance.

La question fondamentale à déterminer est évidemment celle de la portée des engagements assumés dans les circonstances par Beaudry et Butler et par le Trust Général du Canada par suite des lettres du 29 août et du 3 octobre 1956.

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La première de ces lettres, de Beaudry et Butler à Randall, est, en termes exprès, confirmative de pourparlers et d'un accord de volonté préalablement intervenus entre ces trois personnes. Suivant cet accord, Beaudry et Butler donnent à Randall, en considération des services par lui rendus à Aconic Mining Corporation, le droit, valable pour un an à compter du 29 août 1956, d'acheter, s'il le désire et au moment de son choix, 20,000 actions d'Aconic Mining Corporation, au prix de $5 l'unité; et pour assurer évidemment l'exercice éventuel de ce droit, on pourvoit à l'entiercement des actions entre les mains du Trust Général du Canada requis, dès que mis en possession, d'en aviser Randall et de lui signifier en outre son acceptation de la mission qu'on entend lui confier. Cette lettre, constitutive (i) du titre permettant à Randall d'exiger du Trust Général du Canada et (ii) de l'autorité du Trust Général du Canada de faire la livraison de ces actions sur offre du paiement du prix dans le délai imparti, fut remise de main à main par Butler à Randall l'acceptant, au bureau même d'Aconic Mining Corporation où elle apparaît avoir été faite et signée.

Par la seconde lettre, celle du 3 octobre suivant, le Trust Général du Canada avise Randall de la réception de copie de la lettre du 29 août «by Messrs. Joseph Beaudry and C. J. Butler and yourself», de la réception des actions, et lui signifie, tel que requis, l'acceptation de la mission qui lui est confiée; le tout étant en parfaite exécution des termes de la lettre du 29 août 1956.

Ainsi donc, les parties à l'entente confirmée par la lettre du 29 août 1956, ont jugé opportun et convenu, pour en assurer l'exécution éventuelle, de recourir à l'intervention d'un tiers, soit le Trust Général du Canada. Le Trust, fidèlement instruit de cette entente en recevant copie même de cette lettre, accéda à leur demande et signifia son assentiment à Beaudry et Butler par l'acceptation des actions et à Randall par sa lettre du 3 octobre. Dès lors, l'entente devenait, tel que voulu, une entente tripartite. Cette entente tripartite ne pouvait, sans l'intervention de Randall, être révoquée. Indivisible, elle avait un double objet, (i) consacrer une option,—de sa nature irrévocable sans l'assentiment de Randall, ainsi qu'en ont jugé le Juge de première

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instance et tous les Juges de la Cour d'Appel en s'appuyant sur une doctrine depuis longtemps arrêtée,—et (ii) consacrer l'obligation du Trust Général du Canada, où on entierça les actions, d'assurer l'exercice éventuel de cette option irrévocable. Dans ces vues, il ne peut être question, à mon avis, d'une stipulation pour autrui au bénéfice de Randall puisqu'il était partie à cette entente. On ne peut davantage avoir intérêt à poursuivre la question pour déterminer dans quelle mesure l'obligation ainsi assumée par le Trust participe des contrats de dépôt ou de mandat dont elle peut emprunter quelques-uns des éléments sans nécessairement tous les contenir; l'intention des parties contractantes est claire et doit recevoir son effet. Telle est, en somme, la portée des engagements assumés dans les circonstances par Beaudry et Butler et par le Trust Général du Canada par suite des lettres du 29 août et du 3 octobre 1956. C'est donc à bon droit que la Cour Supérieure et la Cour d'Appel ont jugé que Beaudry et Butler n'avaient aucun droit de révoquer l'option, que le Trust Général du Canada était tenu de livrer les actions au moment où paiement lui en fut offert, et qu'il y avait eu de leur part rupture de contrat engageant leur responsabilité pour les dommages en résultant. Beaudry prétend échapper à la responsabilité parce que la lettre de la révocation de l'option ne fut signée que par Butler; cette prétention ne peut être retenue; il a donné son accord à cette révocation, ainsi qu'il appert de ses admissions aux plaidoiries.

Partageant également l'avis exprimé en Cour d'Appel que la transaction intervenue était de nature commerciale et que la révocation de l'option était, dans les circonstances, dolosive, il s'ensuit, comme on a jugé, que Beaudry et Butler sont conjointement et solidairement responsables, avec le Trust Général du Canada, de tous les dommages.

Randall, par son action, réclama $72,000 à titre de dommages, en adoptant, comme mesure de son préjudice, la différence, soit $3.60, entre le prix unitaire établi à l'option et celui prévalant au marché le 18 mars 1957, cette date étant, suivant lui, le premier jour où il lui était possible de vendre ces actions. Le Juge de première instance aurait préféré prendre en considération le prix du marché obtenant à la date de la levée de l'option, soit le 15 mars, mais en

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l'absence de preuve du prix pour cette date, il a pris en considération le prix moyen de $8.42 ½ payé pour les 17,925 actions transigées à la Bourse le 14 mars, jour de la révocation de l'option, et accorda ainsi la somme de $68,500. En Cour d'Appel, seuls les Juges de la majorité eurent à considérer la question. S'appuyant particulièrement sur les raisons du Juge Migneault dans The Mile End Milling Company v. Peterborough Cereal Company3, ils ont approuvé la méthode d'évaluation du préjudice suivie par le Juge au procès et donné, de plus, leur accord au montant auquel celui-ci s'était arrêté. Au regard du dossier, il n'apparaît aucune raison d'intervenir pour modifier cette évaluation du préjudice de Randall.

Reste à considérer la prétention, retenue en appel par les Juges dissidents, que Randall ne peut obtenir de dommages-intérêts pour rupture de contrat parce qu'il n'a pas conclu, dans son action, à la résolution de ce contrat.

La fidèle exécution éventuelle de l'obligation des promettants-vendeurs fut, en vertu de l'entente tripartite, assumée par le Trust Général du Canada qui, aux fins de cette exécution, devait agir aux lieu et place des promettants-vendeurs et à l'exclusion même d'une intervention unilatérale de leur part. Ceci était de l'essence même de l'entente. Bénéficiant de cette entente tripartite, Randall était libre, durant la période impartie pour ce faire, d'accepter la promesse de vente et ce, au moment même de son choix. Jusqu'à ce moment, il n'y avait encore aucun contrat de vente. Ce contrat ne pouvait se former en l'espèce que par le concours de volontés de Randall et du Trust Général du Canada agissant, comme ci-dessus indiqué, pour les promettants-vendeurs. La notion de concours de volontés implique qu'à un même moment donné, deux volontés coexistent. Planiol et Ripert, Droit Civil, 2e éd., tome VI, 241, au n° 126. Cette simultanéité de volontés ne s'est pas produite, car au moment où Randall signifiait son consentement au Trust Général du Canada par l'offre de paiement et la réquisition de livraison des actions, le Trust, en violation de son engagement, donna effet à l'intervention et à la révocation préalables de Beaudry et Butler. Sans doute, cette inexécution de leurs obligations par Beaudry, Butler et le Trust

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Général du Canada constitue-t-elle une source de responsabilité pour les dommages en résultant pour Randall, mais il ne s'ensuit pas que, du fait de l'illégalité du retrait de la promesse de vente, le contrat de vente doive être considéré comme conclu. On trouve, sur le point, les commentaires suivants de Planiol et Ripert, supra, à la page 152, n° 132:

Dès lors que l'offre comporte obligation de la maintenir pendant un temps, la révocation avant l'expiration de celui-ci est pour l'offrant une source de responsabilité, par le fait même de la révocation, sans que l'acceptant ait à établir une faute de l'offrant dans l'exercice de celle-ci, sauf à celui-ci à prouver l'absence de faute. Mais faut-il déclarer la révocation inefficace et considérer l'offre, qui devait être maintenue, comme l'ayant été en droit, et par suite considérer le contrat comme nécessairement conclu, par la jonction en temps utile de l'acceptation avec l'offre?

Nous ne le croyons pas. Il manque l'accord de volontés qui est l'élément essentiel du contrat. Sans doute les conditions pratiques de sa conclusion, lorsqu'il a lieu entre absents, forcent à ne pas exiger strictement la coïncidence de cet accord au moment décisif de la formation du contrat. Mais la doctrine d'après laquelle le contrat serait formé malgré la révocation conduit à dire que le révoquant peut lui-même invoquer cette formation: ce qui, dans les contrats qui par leur seule formation transportent les risques d'une chose d'une partie à l'autre, lui permettrait malgré sa révocation, de mettre la perte de sa chose à la charge de l'acceptant. Cette conséquence est contraire à la bonne foi.

Le contrat peut sans doute être déclaré conclu par le juge, mais seulement sur la demande de l'acceptant, et à titre de dommages et intérêts. L'auteur de l'offre sera condamné à passer le contrat, et faute de le faire à voir le jugement en tenir lieu.

La vente ne s'est donc pas formée et il n'y avait pas lieu, par conséquent, d'en demander la résolution.

Et alors que restait-il de cette entente tripartite, de cette option déjà périmée avant l'instruction de l'action, ou de la possibilité, même avant sa péremption, de l'exécuter suivant sa teneur véritable par suite de la révocation préalable à l'acceptation de Randall et à laquelle le Trust Général du Canada donna effet? Les actions d'Aconic Mining Corporation étaient, ainsi qu'il appert au dossier, hautement spéculatives. Le temps était de l'essence de cette entente tripartite et il appartenait exclusivement à Randall de choisir le moment de la levée de l'option. Dès le retrait illégal de cette promesse de vente, Randall pouvait par action en justice opter pour la possession dé ces actions ou une somme d'argent à titre de dommages-intérêts. L'action qu'il a prise implique nécessairement qu'il a abandonné la première alternative-offrant une compensation de mesure

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aléatoire—pour opter pour la seconde. En toute déférence pour les Juges dissidents et d'accord avec les Juges de la majorité en Cour d'Appel, je dirais que, dans les circonstances, l'action en dommages-intérêts était bien fondée.

Il en résulte que les trois jugements de la Cour d'Appel doivent être maintenus et que les quatre appels devant cette Cour doivent être renvoyés, avec dépens dans chacun des cas.

Appels rejetés avec dépens.

Procureur du défendeur Beaudry: Edouard Masson, Montréal.

Procureurs de la défenderesse Trust Général du Canada: Laurendeau & Laurendeau, Montréal.

Procureurs du demandeur Randall: Hyde & Ahern, Montréal.



1 [1962] B.R. 577.

2 [1962] B.R. 577.

3 [1924] R.C.S. 120 à 132, 4 D.L.R. 716.

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