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Supreme Court of Canada

The Queen v. Després, [1963] S.C.R. 440

Date: 1963-04-01

Sa Majesté La Reine Appelante;

et

Normand Després Intimé.

Droit criminel—Acceptation d'argent en vue d'exercer une influence auprès d'un fonctionnaire—Obtention d'un permis de bière—Employés de la Commission des Liqueurs sont-ils des officiers publics—Statut de la Commission—Code Criminel, arts. 99(d)(e), 102.

L'intimé a été accusé et trouvé coupable d'avoir accepté de l'argent en considération d'un exercice d'influence concernant l'obtention auprès de la Commission des Liqueurs d'un permis pour la vente de bière, contrairement à l'art. 102(2) du Code criminel. Devant la Cour d'Appel, l'intimé a soutenu que la Commission était indépendante du Gouvernement et par conséquent ne tombait pas sous la définition de gouvernement de l'art. 102. La Cour d'Appel a acquitté l'intimé, et la Couronne appelle devant cette Cour.

Arrêt: L'appel de la Couronne doit être maintenu.

La preuve révèle que l'intimé a véritablement prétendu avoir de l'influence auprès du gouvernement ou d'un ministre ou d'un fonctionnaire. En prétendant exercer de l'influence auprès de la Commission des Liqueurs, l'intimé a violé les dispositions du Code criminel. Il est vrai que la Commission est une corporation, mais ses activités ne sont qu'un prolongement des activités gouvernementales. Les employés de la Commission sont des «officiers publics». Conséquemment, par l'effet combiné des arts. 99 et 102 du Code, toute personne qui prétend exercer de l'influence auprès de ces employés, moyennant rémunération en considération de l'obtention d'un avantage ou bénéfice, est coupable d'une offense criminelle.

APPEL de la Couronne d'un jugement de la Cour du banc de la reine, province de Québec1, acquittant l'intimé. Appel maintenu.

Jacques Bellemare, pour l'appelante.

Marcel Bourget, pour l'intimé.

Le jugement de la Cour fut rendu par

Le Juge Taschereau:—Le 22 septembre 1961, l'intimé-accusé, Normand Després, était trouvé coupable par M. le Juge Armand Cloutier, de la Cour des sessions de la paix,

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pour le district judiciaire de Montréal, sur l'accusation suivante, à savoir:

NORMAND DESPRÉS, à Ville St-Michel, district de Montréal, le ou vers le 3 octobre 1960, ayant et prétendant avoir de l'influence auprès du gouvernement de la province de Québec et des fonctionnaires dudit gouvernement, d'avoir illégalement accepté pour lui-même et d'autres personnes une récompense de mille dollars ($1,000.00) en considération d'une collaboration, d'une aide, d'un exercice d'influence concernant la conclusion d'affaires avec le gouvernement et un sujet d'affaires ayant trait audit gouvernement, savoir: l'obtention auprès de la Commission des Liqueurs de Québec du permis n° 3103-60 pour la vente de bière dans l'épicerie dudit Antoine Théoret, au n° 2614, Place Bon-Air, Ville St-Michel, district de Montréal, commettant par là un acte criminel, contrairement à l'article n° 102, par d, sous-par I, du code criminel.

L'accusé a été condamné par le juge au procès à un mois de prison. Devant la Cour d'Appel2 il a prétendu, en premier lieu, que la Commission des Liqueurs de Québec était indépendante du Gouvernement de la Province, et qu'en conséquence, il ne pouvait être trouvé coupable en vertu du Code Criminel, art. 102, para, (d), sous-para. (1). L'intimé a également demandé à la Cour d'Appel de réduire la sentence qui a été prononcée contre lui. Les honorables Juges Bissonnette et Taschereau ont conclu que le jugement de M. le Juge Armand Cloutier était erroné, mais M. le Juge Owen a enregistré sa dissidence, et ce dernier aurait confirmé le jugement de culpabilité. Quant à l'appel de la sentence, où cette Cour n'a pas juridiction, M. le Juge Owen l'aurait rejeté étant d'opinion qu'elle était raisonnable, mais MM. les Juges Bissonnette et Taschereau n'ont pas cru devoir se prononcer sur ce point, vu l'opinion qu'ils ont émise sur le jugement de culpabilité. Ils ont conclu, à cause de l'acquittement, que cet appel devait être tenu pour non avenu et qu'il devait être rejeté.

La preuve révèle que l'accusé-intimé a reçu $1,000 d'Antoine Théoret afin de lui obtenir une licence pour la vente de la bière, de la Régie des Alcools de la Province de Québec. Peu après avoir reçu les $1,000 l'appelant a fait une confession à la Sûreté provinciale de Québec, et après avoir été mis en garde, voici ce qu'il a dit:

La sûreté provinciale du Québec—Mise en garde à une personne détenue comme témoin. Nous devons vous dire que nous sommes des officiers de police et que vous êtes maintenant détenu comme témoin important concernant la cause de: perception de $1,000.

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Désirez-vous dire quelque chose en rapport avec cette cause? Vous êtes entièrement libre, vous n'êtes obligé de rien dire, à moins que vous désiriez le faire, mais tout ce que vous direz sera pris par écrit et pourra servir de preuve devant le tribunal.

LE TÉMOIN DIT: Je NORMAND DESPRÉS, 39 ans, fils de Félix, numéro 7270, rue 7ème avenue, V. St-Michel, déclare solennellement que: Je suis prêt à vous raconter pourquoi j'ai reçu $1,000 dollars de M. Antoine Théoret et aussi je vais vous dire à qui devait aller cet argent.

Q. Avez-vous bien compris la mise en garde?

R. Oui.

Q. Depuis combien de temps connaissez-vous M. Antoine Théoret?

R. Je le connais depuis environ 4 ans, car je suis un de ses clients, à sa grocerie à Ville St-Michel, de plus, j'ai eu l'occasion de le mieux connaître, car un peu après les élections de l'été 1960, il est venu me voir pour obtenir une licence de bière pour sa grocerie, je suis allé avec lui rencontrer le secrétaire du député Jean Meunier, c'est-à-dire M. Raoul Laforte, j'ai recommandé M. Théoret pour avoir la dite licence. Je dois vous dire qu'auparavant M. Théoret m'avait dit qu'il me récompenserait, il m'a demandé combien cela lui coûterait et je lui ai dit que d'habitude, pour avoir une licence de bière, ça coûtait $1,000, il a fait un signe affirmatif. Par la suite au mois de septembre, j'ai eu des entrevues avec lui, je lui ai dit que des inspecteurs iraient chez lui pour inspection, peut-être. Le 28 septembre 1960, M. Théoret m'a informé qu'il avait reçu un téléphone du département des permis et je lui ai dit d'y aller. Le lendemain soir, à 6.00 p.m., M. Théoret est venu chez moi à 7270, 7ème avenue, il m'a dit qu'il n'avait pas d'argent et il m'a dit qu'il viendrait au commencement de la semaine prochaine pour régler ça. Je lui ai dit que j'avais quelqu'un à rencontrer en la personne d'un monsieur que je ne lui ai pas nommé.

Q. Voulez-vous nous dire à qui devait aller l'argent que nous avons saisi chez-vous?

R. Une somme de $200 devait me revenir et la balance devait aller à un nommé Bélanger dont j'ai le numéro de téléphone chez moi, celui-ci m'a dit par téléphone que le restant était pour la caisse du comté.

signé: NORMAND DESPRÉS

témoin: Paul-E. LAPIERRE, agent P.J.

Déclaration faite à Montréal,

ce 3° jour d'octobre 1960, à 7.45 p.m.

Témoin: Lucien Dubuc, Agent P.J.

Théoret, au nom de qui le permis pour la vente de la bière a été émis, corrobore cette déclaration de l'intimé.

Je n'entretiens pas de doute, comme d'ailleurs M. le Juge Owen l'a dit dans son jugement, que l'intimé a véritablement prétendu avoir de l'influence auprès «du gouvernement ou d'un ministre du gouvernement», ou d'un «fonctionnaire». Le texte anglais emploie le mot «official» pour traduire le mot «fonctionnaire».

[Page 443]

Or, l'article 99 (d) et (e) définit ces mots. Cet article se lit ainsi:

99. d) «charge» ou «emploi» comprend

(i) une charge ou fonction sous l'autorité du gouvernement;'

(ii) une commission civile ou militaire; et

(iii) un poste ou emploi dans un département public;

e) «fonctionnaire» désigne une personne qui

(i) détient une charge ou un emploi, ou

(ii) est nommée pour remplir une fonction publique;

Je suis d'opinion que l'accusé-intimé, en prétendant exercer de l'influence auprès de la Commission des Liqueurs ou de ses fonctionnaires, a violé les dispositions ci-dessus du Code Criminel. Les fonctionnaires de la Commission des Liqueurs sont nommés pour remplir une fonction publique. La Commission a été créée par une loi de la Législature. Ses officiers dirigeants sont nommés par le Gouvernement de la province, et tous les profits qui sont réalisés par la vente des alcools sont versés dans le fonds consolidé. Il est vrai que la Commission est une corporation, mais ses activités ne sont qu'un prolongement des activités gouvernementales. Ce serait une erreur de penser qu'il existe au point de vue légal une cloison étanche entre le Gouvernement et la Commission. Cette dernière, évidemment, a plus de liberté d'action et d'indépendance qu'un autre département gouvernemental. Elle est une émanation de la Couronne, et toute personne qui y occupe un poste, tient un emploi dans un département public, au sens de l'article 99 (d) du Code Criminel.

Le statut de la Commission des Liqueurs de Québec a été examiné déjà par notre Cour dans la cause de La Commission des Ligueurs de Québec v. Moore3, alors que Sir Lyman Duff s'est ainsi exprimé:

That the Commission is an instrumentality of government is clear from the circumstances that the members of the Commission are appointed by the Governor in Council and are removable at pleasure (s. 6); that all property in the possession of or under the control of the Commission is expressly declared to be the property of the Crown; and that all moneys received by the Commission at the discretion of the Provincial Treasurer are remissible to him, and, on receipt by him, become part of the consolidated funds of the province (s. 18); that the Commission is accountable to the Treasurer in the manner and at the times indicated by the

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latter (s. 19). The Commission, moreover, exercises authority respecting the sale of liquor in the province, and infractions of the law dealing with that subject are prosecuted in the name of the Commission or of the municipality where the infraction occured. By s. 13, the employees of the Commission are declared to be public officers, and they are required to take the oath of public service as such.

De plus, dans Regina v. Gibson4, la Cour Suprême de la Nouvelle-Écosse, après avoir considéré les structures, les fins, l'objet et les pouvoirs de la Commission des Liqueurs de cette province, en est venue à la conclusion suivante:

Applying that test to the present case, it is clear that the Commission is only a manager for carrying on as an agent or servant of the Government of the Province what has been made by the Act, the business of the Government, or, in other words, the Commission is merely an administrative body appointed by the Government with certain duties and powers entrusted to it for carrying out the administration of the Act, through the instrumentality of which the Government exercises government control over transactions in liquor within the Province.

Je dois donc nécessairement conclure que les employés de la Commission des Liqueurs sont des «officiers publics», et que par l'effet combiné des articles 102 et 99 du Code Criminel, toute personne qui prétend exercer de l'influence auprès d'eux, moyennant rémunération en considération de l'obtention d'un avantage ou bénéfice, est coupable d'une offense criminelle.

L'appel de la Couronne doit donc être maintenu, et le jugement de culpabilité prononcé par le juge au procès doit être rétabli. Mais comme l'accusé a appelé à la Cour d'Appel de la sentence prononcée et que, par suite de l'acquittement, la Cour n'a pas cru devoir se prononcer sur le mérite de ce dernier appel, le dossier est retourné à la Cour inférieure pour adjudication définitive, si celle-ci le juge à propos.

Appel maintenu.

Procureur de l'appelante: Claude Wagner, Montréal.

Procureur de l'intimé: Raymond Daoust, Montréal.



1 [1962] B.R. 567, 38 C.R. 337.

2 [1962] B.R. 567, 38 C.R. 337.

3 [1924] R.C.S. 540, 4 D.L.R. 901.

4 (1954), 20 C.R. 330, 35 M.P.R. 265, 111 C.C.C. 72.

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