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Cour suprême du Canada

Dagenais v. Gervais, [1964] S.C.R. 40

Date: 1963-10-01

Madeleine Dagenais (Demanderesse) Appelante;

et

Josephat Gervais et Josephat Beauchamp (Defendeurs) Intimés.

Automobile—Passagère blessée—Accident dû à la faute d'un mineur au volant avec la permission d'un autre mineur à qui son père permettait de se servir du véhicule—Action intentée contre les deux pères—Responsabilité—Code Civil, arts. 1053, 1054.

Une automobile, dans laquelle la demanderesse était passagère, dérapa sur la route, avec le résultat qu'une des portes s'ouvrit et la demanderesse fut projetée sur des pierres qui lui causèrent de graves blessures. La voiture appartenait au défendeur G et elle était conduite par le fils mineur du défendeur B à qui le fils mineur de G avait permis de

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prendre le volant. Dans l'action, basée sur les arts. 1053 et 1054 du Code Civil, intentée aux deux pères seuls, il fut allégué contre G que l'automobile était défectueuse, qu'il avait prêté sa voiture à son fils mineur qu'il savait être un conducteur téméraire, incompétent et imprudent, et qui à son tour avait permis au fils de B de prendre le volant. Contre B, il fut allégué qu'il avait autorisé l'émission d'un permis de conduire pour son fils mineur alors qu'il savait que ce dernier était un conducteur incompétent et imprudent. La Cour supérieure a rejeté l'action et ce jugement fut confirmé par une décision majoritaire de la Cour du banc de la reine.

Arrêt: L'appel doit être rejeté.

Les défendeurs ne peuvent être recherchés en dommages en vertu de l'art. 1053 du Code Civil. Les deux Cours inférieures ont eu raison de statuer que la voiture n'était pas défectueuse, que les deux garçons étaient des chauffeurs expérimentés et que ce n'était pas une négligence de la part des défendeurs de leur confier la conduite de cette voiture.

En vertu de l'art. 1054 du Code, la responsabilité du père disparaît si ce dernier a agi comme un homme prudent, s'il a donné à son fils une bonne éducation et s'il a exercé sur lui une surveillance adéquate. Alain v. Hardy, [1961] R.C.S. 540. Cette défense trouve son application dans le cas présent. De plus, il n'y a pas lieu pour cette Cour d'intervenir puisque la responsabilité sous l'un et l'autre de ces deux articles ne repose que sur des questions de faits.

APPEL d'un jugement de la Cour du banc de la reine, Province de Québec1, confirmant un jugement du Juge Côté. Appel rejeté.

M. Bourassa, C.R., et A. Nadeau, C.R., pour la demanderesse, appelante.

A. Lemieux, C.R., pour les défendeurs, intimés.

Le jugement de la Cour fut rendu par

Le juge en chef:—Le 6 septembre 1953, vers 11:30 p.m., Madeleine Dagenais, alors fille mineure, était passagère dans une automobile qui, au moment de l'accident, était la propriété du défendeur Josephat Gervais de St-Antoine-Abbé, district de Beauharnois, et qui circulait à ce moment sur la route n° 4 venant de Huntingdon en direction de Ormstown.

Dans sa déclaration le demandeur es-qualité, tuteur de Madeleine Dagenais, allègue qu'en arrivant à une courbe assez prononcée, l'automobile du défendeur Josephat Gervais, conduite par Carmel Beauchamp, fils mineur du défendeur Josephat Beauchamp, circulait à une vitesse excessive et dangereuse sur un pavé glissant alors qu'il pleuvait et que la visibilité était mauvaise. Il est allégué

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en outre qu'en approchant la courbe, Carmel Beauchamp, conducteur, a perdu le contrôle de la voiture et la porte avant du côté droit s'ouvrit subitement et la demanderesse qui était assise sur le siège avant fut projetée hors de l'automobile, et elle tomba sur un amoncellement de roches et de pierres sur le côté droit de la route et la voiture alla s'arrêter plus loin sur le bord du fossé.

Il ne fait pas de doute que Madeleine Dagenais a été blessée très gravement et a dû être conduite immédiatement après l'accident à l'hôpital d'Ormstown, et la preuve médicale révèle qu'elle sera pratiquement invalide pour le reste de ses jours.

C'est la prétention de l'appelante, maintenant fille majeure, qui a repris l'instance, que le défendeur Josephat Gervais est responsable de cet accident parce qu'il était propriétaire de l'automobile dans laquelle la victime était passagère, que la porte avant droite était défectueuse et en mauvaise condition, que Josephat Gervais n'avait pas pris les précautions nécessaires pour assurer la sécurité des passagers qui voyageaient dans sa voiture, et qu'il avait prêté son automobile à Claude Gervais, son fils mineur, et que ce dernier a permis à Carmel Beauchamp, fils mineur de Josephat Beauchamp, de conduire cette voiture. On prétend également que Josephat Gervais savait que son fils Claude était un conducteur téméraire, incompétent et imprudent, qu'il conduisait son automobile d'une façon dangereuse, et que ce fait était de notoriété publique.

On a également soumis à la Cour que Claude Gervais conduisait sous l'influence de la boisson, qu'il transportait dans son automobile des boissons alcooliques qu'il consommait sur le bord de la route, qu'il avait l'habitude de laisser conduire la voiture par d'autres jeunes gens et jeunes filles qui étaient des conducteurs incompétents et imprudents et qui faisaient également un usage excessif et immodéré de bière et de boissons alcooliques. Josephat Gervais n'aurait pas exercé la surveillance voulue sur les allées et venues de son fils mineur Claude qui se servait à volonté de la voiture de son père sans que ce dernier s'assurât au préalable qu'il en ferait un bon usage et qu'il la conduirait avec compétence et en état de sobriété.

Quant à l'autre intimé Josephat Beauchamp, père de Carmel Beauchamp qui conduisait la voiture, on le tient responsable de cet accident parce qu'il est le père de

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Carmel, fils mineur, et qu'il a autorisé l'émission d'un permis de conduire pour l'année 1953, date de l'accident, alors que son fils était un conducteur incompétent et imprudent.

La responsabilité reposerait sur les épaules de Carmel Beauchamp, comme auteur du quasi-délit, vu qu'il s'est engagé dans une courbe prononcée à une vitesse excessive et dangereuse, ce qui aurait été la cause que Madeleine Dagenais fut projetée hors de l'automobile.

La responsabilité de Josephat Beauchamp proviendrait du fait qu'il savait que son fils mineur avait l'habitude de conduire son automobile d'une façon imprudente, qu'il était souvent sous l'influence de la boisson, et que le défendeur Josephat Beauchamp n'exerçait aucune surveillance sur les allées et venues de son fils et qu'il lui prêtait même sa propre automobile. On reproche au défendeur Beauchamp d'avoir donné son consentement à l'émission d'un permis de conduire pour l'année 1953, et c'est la prétention de l'appelante qu'il n'a pas donné à son fils une éducation sérieuse et que ce dernier avait une conduite désordonnée.

La responsabilité des deux défendeurs-intimes reposerait donc sur les arts. 1053 et 1054 du Code Civil, en ce sens qu'il y a eu faute de leur part (culpa in eligendo), que la voiture n'était pas en bon état, que la porte était défectueuse, et aussi parce qu'ils n'auraient pas réussi à faire disparaître la responsabilité qui s'attache à leur qualité de père (1054 para. 6). Ils auraient failli de démontrer qu'ils n'auraient pu empêcher le fait qui a causé le dommage.

M. le Juge Côté, de la Cour supérieure, a rejeté l'action. Il a retenu la faute du jeune Carmel Beauchamp, conducteur de la voiture, soulignant qu'il n'aurait pas pris toutes les précautions requises pour empêcher la voiture de quitter la route comme elle l'a fait. Il retient aussi la faute de Jean-Claude Gervais qui, selon lui, était le préposé de Carmel Beauchamp. Mais ces deux derniers n'ont pas été poursuivis, et la seule question à déterminer est donc de savoir si les deux défendeurs sont responsables des actes de leurs fils.

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La Cour d'Appel2 a confirmé ce jugement, M. le Juge Bissonnette ayant enregistré sa dissidence aurait maintenu l'action jusqu'à concurrence de $23,781.70.

Je m'accorde avec la Cour supérieure et la Cour d'Appel que les intimés ne peuvent être recherchés en dommages, en vertu de l'art. 1053 du Code Civil. Sous l'empire de cet article, il incombe à la victime du délit ou du quasi-délit de prouver la faute, soit qu'elle naisse d'une imprudence, d'une négligence ou d'une inhabileté. Il me paraît clair, en vertu des jugements de la Cour supérieure et de la Cour d'Appel, que la voiture prêtée par Josephat Gervais était une voiture en bon état, que la porte du côté droit fonctionnait bien et que son fils, de même que Carmel Beauchamp, étaient des chauffeurs expérimentés, et que ce n'était pas une négligence de la part des intimés de leur confier la conduite de cette voiture. La cour Supérieure et la cour d'Appel, à mon sens, ont eu raison de statuer ainsi.

En ce qui concerne la responsabilité découlant de l'art. 1054 du Code Civil, les principes qui déterminent la responsabilité des parents sont bien établis. Vide Alain v. Hardy3; Foley v. Marcoux4.

Dans ces causes, où la jurisprudence a été définitivement établie, cette Cour a décidé que la responsabilité disparaît, si le père a agi comme un homme prudent, s'il a donné à son fils une bonne éducation et s'il a exercé sur lui une surveillance adéquate. Alors là, il n'a pu empêcher le fait qui a causé le dommage. Comme cette Cour le dit dans Alain v. Hardy:

Le père n'est pas tenu de démontrer qu'il y avait impossibilité complète d'empêcher le fait qui a causé le dommage. En effet, si le texte devait être interprété de cette façon, et s'il fallait lui donner une telle rigidité, seule la preuve du cas fortuit, de la force majeure ou de l'acte d'un tiers, pourraient faire disparaître la responsabilité. Il doit y avoir plus de flexibilité, et ce qu'il faut rechercher, c'est toujours la faute, et s'il y a eu surveillance, bonne éducation, prêt d'une auto à un chauffeur compétent, on peut dire que le père a agi comme un homme prudent, et il est alors exempt de responsabilité.

Dans le cas qui nous occupe, cette clause d'exonération doit trouver la plénitude de son application, et libérer les deux défendeurs-intimes de toute responsabilité civile découlant de l'art. 1054 C.C. C'est ce qu'ont pensé le juge au

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procès et la majorité des juges de la Cour d'Appel, et sur cette question de responsabilité, comme d'ailleurs celle dérivant de l'art. 1053, où il ne s'agit que de questions de faits, je crois qu'il n'y a pas lieu que cette Cour intervienne.

L'appel doit être rejeté avec dépens si les intimés les demandent.

Appel rejeté avec dépens si demandés.

Procureur de la demanderesse, appelante: Maurice Bourassa, Verdun.

Procureur des défendeurs, intimés: Albert Lemieux, Valleyfield.



1 [1962] B.R. 866.

2 [1962] B.R. 866.

3 [1951] R.C.S. 540 à 552.

4 [1957] R.C.S. 650.

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