Symes c. Canada, [1993] 4 R.C.S. 695
Elizabeth C. Symes Appelante
c.
Sa Majesté la Reine Intimée
et
Le procureur général du Québec,
le Comité de la Charte et des
questions de pauvreté et
l'Association du Barreau canadien Intervenants
Répertorié: Symes c. Canada
No du greffe: 22659.
1993: 2 mars; 1993: 16 décembre.
Présents: Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier, Cory, McLachlin, Iacobucci et Major.
en appel de la cour d'appel fédérale
Impôt sur le revenu ‑‑ Déductions ‑‑ Frais de garde d'enfants ‑‑ Une associée dans un cabinet d'avocats a déduit dans sa déclaration d'impôt sur le revenu le salaire versé à une gardienne d'enfants ‑‑ Les frais de garde d'enfants sont‑ils déductibles à titre de dépense d'entreprise? ‑‑ Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, ch. 148, art. 9(1), 18(1)a), h), 63.
Droit constitutionnel ‑‑ Charte des droits ‑‑ Droits à l'égalité ‑‑ Impôt sur le revenu ‑‑ Frais de garde d'enfants ‑‑ Une associée dans un cabinet d'avocats a déduit dans sa déclaration d'impôt sur le revenu le salaire versé à une gardienne d'enfants ‑‑ Les frais de garde d'enfants sont‑ils déductibles à titre de dépense d'entreprise? ‑‑ Dans la négative, y a‑t‑il violation des droits à l'égalité? ‑‑ Charte canadienne des droits et libertés, art. 15(1).
L'appelante exerçait le droit à temps plein à titre d'associée dans un cabinet d'avocats au cours des années d'imposition 1982 à 1985. Au cours de cette période, elle avait à son service une gardienne d'enfants (elle avait un enfant pendant les années d'imposition 1982, 1983 et 1984 et deux enfants en 1985). Dans ses déclarations personnelles de revenu pour ces années, l'appelante a déduit le salaire versé à la gardienne à titre de dépense d'entreprise. Revenu Canada a d'abord accepté les déductions pour 1982 et 1983, mais a ensuite, par avis de nouvelle cotisation, rejeté les déductions pour les quatre années. L'appelante s'y est opposée, mais le rejet des déductions a été confirmé pour le motif que les dépenses n'étaient pas des débours ou des dépenses faites ou engagées en vue de tirer un revenu d'une entreprise, comme l'exige l'al. 18(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu, mais constituaient des frais personnels ou de subsistance, dont la déduction était interdite par l'al. 18(1)h). Au lieu des déductions refusées, Revenu Canada a autorisé une déduction révisée de 1 000 $ pour frais de garde d'enfants pour 1982, de 2 000 $ pour 1983 et 1984 et de 4 000 $ pour 1985, conformément à l'art. 63 de la Loi. La Section de première instance de la Cour fédérale a jugé que l'appelante pouvait déduire les paiements faits à la gardienne à titre de dépense d'entreprise. La Cour d'appel fédérale a infirmé la décision et rétabli les avis de nouvelle cotisation.
Arrêt (les juges L'Heureux‑Dubé et McLachlin sont dissidentes): Le pourvoi est rejeté. Les frais de garde d'enfants de l'appelante ne sont pas déductibles à titre de dépense d'entreprise.
Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, Sopinka, Gonthier, Cory, Iacobucci et Major: Les principes bien reconnus de la pratique courante des affaires visés au par. 9(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, en vertu duquel le revenu tiré par un contribuable d'une entreprise est le bénéfice qu'il en tire pour cette année, auraient généralement pour effet d'interdire la déduction de dépenses qui n'ont pas pour objet de tirer un revenu, ou qui sont des dépenses personnelles, de la même façon que les al. 18(1)a) et h) visent expressément à interdire de telles déductions. L'analyse fiscale traditionnelle qualifiait les frais de garde d'enfants de frais personnels, de sorte que l'al. 18(1)h) aurait pour effet, de nos jours, de les interdire spécifiquement. On doit toutefois procéder à une analyse plus critique de la corrélation entre les frais de garde d'enfants et les revenus d'entreprise pour déterminer si cette corrélation suffit à justifier la déduction des frais de garde. Le libellé actuel de l'al. 18(1)a) indique que le Parlement a modifié l'ancien article pour élargir les déductions au titre des dépenses d'entreprise. Le libellé de la disposition en question offre le critère le plus approprié: a‑t‑on engagé les dépenses en vue de tirer un revenu de l'entreprise ou de faire produire un revenu à l'entreprise? Les tribunaux examineront comment l'objet se manifeste objectivement, et l'objet est en définitive une question de fait à trancher en tenant compte de toutes les circonstances. Il pourrait être pertinent d'examiner si une déduction donnée est ordinairement acceptée à titre de dépense d'entreprise par les comptables, si la dépense en cause est habituellement engagée par d'autres dans une entreprise de même nature que celle du contribuable, et si cette dépense aurait été engagée si le contribuable ne visait pas la production d'un revenu d'entreprise.
En l'espèce, on peut avancer des arguments qui appuient ou contestent la classification des frais de garde d'enfants parmi les dépenses d'entreprise. Bien qu'il soit clair que l'appelante n'aurait pas engagé les frais en question si elle n'avait pas eu son entreprise, il est tout aussi évident que le besoin auquel répondent les frais de garde d'enfants existe indépendamment de l'activité d'entreprise poursuivie par l'appelante. Par ailleurs, bien qu'il n'existe aucune preuve que les comptables considèrent les frais de garde d'enfants comme des dépenses d'entreprise, de nombreux parents, plus particulièrement un grand nombre de femmes, doivent faire face à des frais de garde pour travailler. Enfin, la décision de l'appelante d'avoir des enfants ne devrait pas être considérée seulement comme un choix de consommation ou un choix personnel. Lorsqu'on examine la déductibilité en fonction seulement de l'art. 9 et des al. 18(1)a) et 18(1)h), les frais de garde d'enfants peuvent demeurer difficiles à qualifier.
Cependant, compte tenu du libellé de l'art. 63, l'art. 9 et les al. 18(1)a) et 18(1)h) ne peuvent être interprétés de façon à justifier une déduction des frais de garde d'enfants à titre de dépense d'entreprise. Il est évident que la définition de «frais de garde d'enfants» à l'art. 63 mentionne spécifiquement l'objet pour lequel l'appelante a engagé des dépenses de garde d'enfants. Selon une partie de cette définition, les frais de garde d'enfants sont engagés dans le but de faire assurer des services de garde d'enfants «pour permettre au contribuable [. . .] d'exploiter une entreprise, soit seul, soit comme associé». Par ailleurs, l'al. 63(1)e) a pour effet de limiter la déduction en fonction du «revenu gagné» incluant «des revenus qu'il tire de toutes les entreprises qu'il exploite soit seul, soit comme associé participant activement à l'exploitation de l'entreprise». Si l'intention de l'art. 63 est de limiter les déductions aux personnes assumant les frais d'entretien qui ont un revenu moins élevé, cet objet serait grandement contrecarré si l'appelante était autorisée à déduire complètement les frais de garde d'enfants, qu'elle soit ou non la personne ayant le revenu le moins élevé. Le paragraphe 4(2), qui prévoit qu'aucune des déductions autorisées par les art. 60 à 63 n'est applicable à une source déterminée, pourrait être une autre preuve que l'art. 63 se veut une réponse législative complète à la question des frais de garde d'enfants. Les propositions qui ont directement abouti à son adoption appuient le point de vue que l'art. 63 constitue cette réponse complète. Puisque l'article 63 élimine toute ambiguïté, il élimine aussi la nécessité du recours aux valeurs de la Charte canadienne des droits et libertés à des fins d'interprétation.
Il n'y a pas eu violation du par. 15(1) de la Charte en l'espèce. Puisque l'art. 63 crée un code complet à l'égard des frais de garde d'enfants, l'argument fondé sur la Charte doit être axé sur cet article. L'appelante n'a pas démontré que l'art. 63 constituait une violation du par. 15(1) de la Charte, puisqu'elle n'a pas prouvé que cet article établit une distinction fondée sur la caractéristique personnelle que constitue le sexe. Bien qu'il soit évident que les femmes assument une part disproportionnée de la garde des enfants dans la société, il n'a pas été établi que les femmes paient une part disproportionnée des frais de garde d'enfants. Bien que l'appelante ait fort bien établi comment la question de la garde des enfants a, du point de vue de l'emploi, un effet négatif sur les femmes, la preuve que les femmes paient les coûts sociaux ne suffit pas à établir que ce sont elles qui paient les frais de garde d'enfants.
Le juge L'Heureux‑Dubé (dissidente): La détermination du bénéfice en vertu du par. 9(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu se rattache à la question de savoir si une dépense constitue une véritable dépense d'entreprise devant être incluse dans le calcul du gain net. Dans le calcul du bénéfice net, la question cruciale est de savoir si une déduction est interdite parce que la dépense n'a pas été engagée en vue de tirer un revenu comme l'exige l'al. 18(1)a), ou parce que la dépense est de nature personnelle conformément à l'al. 18(1)h). Il s'est produit au cours des 40 dernières années des changements importants et fondamentaux au sein du marché du travail et de la structure de la famille. Une majorité de femmes, même celles avec de très jeunes enfants, font partie de la population active. L'interprétation d'une loi peut changer au fil des ans pour s'adapter à l'évolution constante de la société. En outre, le respect des valeurs de la Charte doit jouer un rôle de premier plan dans l'interprétation des lois. Les textes de loi sont censés être réparateurs et doivent ainsi s'interpréter de façon juste, large et libérale. Dans le passé, on a constamment élargi la gamme des dépenses d'entreprise déductibles et il a été décidé qu'elles comprenaient un vaste éventail de dépenses. Toute dépense légitime encourue pour les fins d'une entreprise peut être déduite à titre de dépense d'entreprise. L'interprétation traditionnelle de «dépense d'entreprise» a été formulée en fonction de la situation des hommes d'affaires et de la façon dont ils font affaires. Le monde actuel des affaires est de plus en plus peuplé d'hommes et de femmes, et l'interprétation de l'expression «dépense d'entreprise» doit tenir compte de la situation de tous les participants dans ce domaine. Le soin des enfants est un élément essentiel de la capacité des femmes de gagner un revenu. L'appelante a été «logique sur le plan commercial» en engageant une gardienne d'enfants. Ces dépenses ont été engagées «en vue de tirer un revenu [. . .] ou de faire produire un revenu» et, par conséquent, leur déduction en vertu du par. 9(1) n'est pas interdite par l'al. 18(1)a) tel que rédigé.
Les frais de garde d'enfants ne devraient pas être refusés à titre de dépense d'entreprise en vertu de l'al. 18(1)h) parce qu'ils constituent des frais de nature personnelle. Bien que la responsabilité du soin des enfants n'ait aucune incidence sur le nombre d'heures de travail de la plupart des hommes, ni d'ailleurs sur leur capacité de travailler, la capacité même d'une femme d'entrer sur le marché du travail peut dépendre entièrement de sa capacité d'obtenir des services de garde. De nombreuses déductions d'entreprise ont été autorisées dans le passé même si les dépenses possèdent un élément personnel. Les coûts réels engagés par les femmes d'affaires ayant des enfants sont tout aussi réels, tout aussi dignes d'être pris en considération et tout aussi encourus pour tirer un revenu de l'entreprise ou faire produire un revenu à l'entreprise. Enfin, bien que l'éducation des enfants présente un élément personnel, ce «choix» bénéficie à l'ensemble de la société et, pourtant, ce sont les femmes qui assument la majeure partie des responsabilités à ce chapitre.
L'article 63 de la Loi n'empêche pas la déduction des frais de garde d'enfants à titre de dépense d'entreprise. L'article 63 offre un avantage général aux parents, mais son libellé n'a pas pour effet d'abolir ou de restreindre les déductions possibles en vertu du par. 9(1). En établissant qu'aucune des déductions autorisées par les art. 60 à 63 n'est applicable à une source déterminée de revenus, le par. 4(2) dispose clairement que certaines déductions pourront légitimement exister en vertu de deux dispositions de la Loi. L'article 63 est, à tout le moins, ambigu quant à son incidence sur le par. 9(1), et en vertu des règles générales d'interprétation des lois, toute ambiguïté doit jouer en faveur du contribuable. En l'absence de termes précis et clairs dans la Loi quant à l'effet de l'art. 63 sur le par. 9(1), des frais généraux de garde d'enfants susceptibles d'être déductibles en vertu de l'art. 63 peuvent coexister avec des frais de garde d'enfants déductibles à titre de dépense d'entreprise. Conclure que l'art. 63 vise à limiter la possibilité pour une femme d'affaires de déduire ses frais de garde d'enfants va à l'encontre de l'objet même de la loi, qui est d'aider les femmes sur le marché du travail et leur famille à assumer les coûts élevés de la garde des enfants. La préoccupation que les employés et les gens d'affaires ne seront pas traités de la même façon est un fait lié au fondement même de la Loi: généralement, seuls les gens d'affaires peuvent se prévaloir des déductions pour dépenses d'entreprise et non les employés. L'établissement par le gouvernement d'une déduction pour les frais de garde d'enfants dont peuvent bénéficier tous les parents, y compris les employés, qui bénéficient habituellement de très peu de déductions, indique bien que le gouvernement reconnaît les frais de garde d'enfants comme une dépense légitime des parents sur le marché du travail, tout particulièrement les mères. Puisque, ou la Loi permet de déduire les frais de garde d'enfants à titre de dépense d'entreprise, ou la Loi est ambiguë à ce sujet, il faut examiner cette ambiguïté à travers le prisme des valeurs de la Charte, plus particulièrement ses art. 15 et 28 qui reconnaissent l'importance de l'égalité entre les sexes. Refuser les frais de garde à titre de dépense d'entreprise a clairement une incidence différente sur les femmes. L'examen des valeurs de la Charte aux fins de l'interprétation de la Loi renforce la conclusion que l'appelante devrait pouvoir déduire ses frais de garde d'enfants à titre de dépense d'entreprise.
Une interprétation qui empêche l'appelante de déduire ses frais de garde d'enfants à titre de dépense d'entreprise porte atteinte au droit à l'égalité que lui garantit l'art. 15 de la Charte. L'appelante a prouvé qu'elle avait engagé des frais réels et calculables pour la garde d'enfants et que ces frais sont assumés d'une façon disproportionnée par les femmes.
Le juge McLachlin (dissidente): L'interprétation que le juge L'Heureux‑Dubé donne aux art. 9, 18 et 63 de la Loi de l'impôt sur le revenu et à l'art. 15 de la Charte et sa conclusion que les frais de garde d'enfants sont déductibles à titre de dépense d'entreprise sont acceptées.
Jurisprudence
Citée par le juge Iacobucci
Arrêt examiné: Olympia Floor & Wall Tile (Quebec) Ltd. c. Ministre du Revenu National, [1970] R.C. de l'É. 274; arrêts mentionnés: Bowers c. Harding (1891), 3 Tax Cas. 22; Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143; Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038; Hills c. Canada (Procureur général), [1988] 1 R.C.S. 513; Ontario Public Service Employees Union c. National Citizens Coalition Inc. (1987), 60 O.R. (2d) 26; Royal Trust Co. c. Minister of National Revenue, 57 D.T.C. 1055; Daley c. Minister of National Revenue, [1950] R.C. de l'É. 516; The Queen c. MerBan Capital Corp., 89 D.T.C. 5404; Neonex International Ltd. c. The Queen, [1978] C.T.C. 485; Associated Investors of Canada Ltd. c. Minister of National Revenue, [1967] 2 R.C. de l'É. 96; Canadian General Electric Co. c. Minister of National Revenue, [1962] R.C.S. 3; R. c. Salituro, [1991] 3 R.C.S. 654; Imperial Oil Ltd. c. Minister of National Revenue, [1947] C.T.C. 353; Minister of National Revenue c. Dominion Natural Gas Co., [1941] R.C.S. 19; Kellogg Co. of Canada Ltd. c. Minister of National Revenue, [1942] C.T.C. 51; Hudson's Bay Co. c. Minister of National Revenue, [1947] C.T.C. 86; Premium Iron Ores Ltd. c. Minister of National Revenue, [1966] R.C.S. 685; Mattabi Mines Ltd. c. Ontario (Ministre du Revenu), [1988] 2 R.C.S. 175; Brooks c. Canada Safeway Ltd., [1989] 1 R.C.S. 1219; Impenco Ltée c. Minister of National Revenue, 88 D.T.C. 1242; R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295; AFPC c. Canada, [1987] 1 R.C.S. 424; Tétreault‑Gadoury c. Canada (Commission de l'Emploi et de l'Immigration), [1991] 2 R.C.S. 22; McKinney c. Université de Guelph, [1990] 3 R.C.S. 229; Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons‑Sears Ltd., [1985] 2 R.C.S. 536; R. c. Turpin, [1989] 1 R.C.S. 1296; R. c. Swain, [1991] 1 R.C.S. 933; Janzen c. Platy Enterprises Ltd., [1989] 1 R.C.S. 1252; Schachtschneider c. Minister of National Revenue (1993), 154 N.R. 321; R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103; Schachter c. Canada, [1992] 2 R.C.S. 679.
Citée par le juge L'Heureux‑Dubé (dissidente)
Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143; AFPC c. Canada, [1987] 1 R.C.S. 424; Daley c. Minister of National Revenue, [1950] R.C. de l'É. 516; Mattabi Mines Ltd. c. Ontario (Ministre du Revenu), [1988] 2 R.C.S. 175; Premium Iron Ores Ltd. c. Minister of National Revenue, [1966] R.C.S. 685; Edmonton Journal c. Alberta (Procureur général), [1989] 2 R.C.S. 1326; Murdoch c. Murdoch, [1975] 1 R.C.S. 423; Rathwell c. Rathwell, [1978] 2 R.C.S. 436; Canada (Procureur général) c. Mossop, [1993] 1 R.C.S. 554; Hills c. Canada (Procureur général), [1988] 1 R.C.S. 513; Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038; Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1987] 1 R.C.S. 1114; Olympia Floor & Wall Tile (Quebec) Ltd. c. Ministre du Revenu National, [1970] R.C. de l'É. 274; Impenco Ltée c. Minister of National Revenue, 88 D.T.C. 1242; Kellogg Co. of Canada Ltd. c. Minister of National Revenue, [1942] C.T.C. 51; Royal Trust Co. c. Minister of National Revenue, 57 D.T.C. 1055; Friedland c. The Queen, 89 D.T.C. 5341; Brooks c. Canada Safeway Ltd., [1989] 1 R.C.S. 1219; Stubart Investments Ltd. c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536; Johns‑Manville Canada Inc. c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 46; Ontario Public Service Employees Union c. National Citizens' Coalition Inc. (1987), 60 O.R. (2d) 26 (H.C.), conf. par (1990), 74 O.R. (2d) 260 (C.A.); R. c. Turpin, [1989] 1 R.C.S. 1296; R. c. Seaboyer, [1991] 2 R.C.S. 577.
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés, art. 1, 15, 28, 32.
Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, art. 215.
Income Tax Act (R.-U.), 16 & 17 Vict., ch. 34, art. 51.
Loi constitutionnelle de 1982, art. 52(1).
Loi de l'impôt de guerre sur le revenu, S.R.C. 1927, ch. 97, art. 3, 6a).
Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1948, ch. 52, art. 12(1)a).
Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, ch. 148 [mod. 1970‑71‑72, ch. 63], art. 2(1), (2), 3, 4, 8(1)f), h), (2), (9), 9(1), 14, 18(1)a), h), (12), 20(1)b), 60 à 62, 63, 67, 67.1, 118.1.
Règlement de l'impôt sur le revenu, C.R.C. 1978, ch. 945, Annexe II, Catégorie 8(i).
Doctrine citée
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POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel fédérale, [1991] 3 C.F. 507, [1991] 2 C.T.C. 1, 91 D.T.C. 5397, 7 C.R.R. (2d) 333, 127 N.R. 348, qui a infirmé une décision de la Section de première instance de la Cour fédérale, [1989] 3 C.F. 59, [1989] 1 C.T.C. 476, 89 D.T.C. 5243, 40 C.R.R. 278, 25 F.T.R. 306, qui avait décidé que l'appelante pouvait déduire ses frais de garde d'enfants à titre de dépense d'entreprise. Pourvoi rejeté, les juges L'Heureux‑Dubé et McLachlin sont dissidentes.
Mary Eberts et Wendy M. Matheson, pour l'appelante.
John R. Power, c.r., et Sandra E. Phillips, pour l'intimée.
Monique Rousseau, pour l'intervenant le procureur général du Québec.
Raj Anand, pour l'intervenant le Comité de la Charte et des questions de pauvreté.
J. J. Camp, c.r., et Melina Buckley, pour l'intervenante l'Association du Barreau canadien.
Version française du jugement du juge en chef Lamer et des juges La Forest, Sopinka, Gonthier, Cory, Iacobucci et Major rendu par
Le juge Iacobucci ‑‑ Le présent pourvoi vise principalement à déterminer si les frais de garde d'enfants sont en l'espèce déductibles à titre de dépense d'entreprise dans le calcul du bénéfice, en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, ch. 148, et modifications (la "Loi").
I. Les faits
La contribuable appelante, Elizabeth Symes, est avocate et mère de famille. Au cours de la période en cause, elle exerçait sa profession à temps plein à titre d'associée dans un cabinet d'avocats de Toronto. Elle était mère d'un enfant (pendant les années d'imposition 1982, 1983 et 1984), puis mère de deux enfants (pendant l'année d'imposition 1985). L'appelante est mariée.
Au cours desdites années d'imposition, l'appelante avait à son service une gardienne d'enfants, Mme Simpson (Simpson). Le travail de Simpson consistait uniquement à s'occuper des enfants de l'appelante à la maison de l'appelante. Au cours des années 1982, 1983 et 1984, l'appelante a respectivement versé à Simpson les sommes de 10 075 $, de 11 200 $ et de 13 173 $ pour la garde de son enfant. En 1985, l'appelante a payé Simpson la somme de 13 359 $ pour le soin des deux enfants. L'appelante, comme elle était tenue de le faire, a déduit du salaire de Simpson, et remis à Revenu Canada, des paiements au titre de l'impôt sur le revenu, des cotisations au Régime de pensions du Canada et des primes d'assurance‑chômage. L'appelante a aussi remis les cotisations de pension et d'assurance‑chômage exigées des employeurs. Simpson a reçu de l'appelante un feuillet T‑4 pour chacune des années d'imposition.
Dans ses déclarations personnelles de revenu pour les années 1982 à 1985, l'appelante a déduit le salaire versé à Simpson à titre de dépense d'entreprise. Par avis de cotisation reçus par l'appelante en 1983 et 1984, Revenu Canada a accepté les déductions. Toutefois, par avis de nouvelles cotisations en date du 9 décembre 1985 et du 7 novembre 1986, Revenu Canada a rejeté les déductions pour les quatre années. L'appelante s'est opposée, mais le rejet des déductions a été confirmé pour le motif que les dépenses n'étaient pas des débours ou des dépenses faites ou engagées en vue de tirer un revenu d'une entreprise. Les dépenses ont été considérées comme des frais personnels ou des frais de subsistance. Au lieu des déductions refusées, Revenu Canada a autorisé une déduction révisée de 1 000 $ pour frais de garde d'enfants pour l'année 1982, de 2 000 $ pour les années 1983 et 1984 et de 4 000 $ pour l'année 1985 conformément à l'art. 63 de la Loi.
Après l'opposition de l'appelante et la confirmation par Revenu Canada des avis de nouvelles cotisations, l'appelante a eu gain de cause dans la contestation de ces avis devant la Section de première instance de la Cour fédérale, qui a statué que l'appelante pouvait déduire les paiements faits à Simpson à titre de dépense d'entreprise: [1989] 3 C.F. 59, [1989] 1 C.T.C. 476, 89 D.T.C. 5243, 40 C.R.R. 278, 25 F.T.R. 306. Le ministre du Revenu national a interjeté appel et, en accueillant l'appel, la Cour d'appel fédérale a rétabli les avis de nouvelle cotisation: [1991] 3 C.F. 507, [1991] 2 C.T.C. 1, 91 D.T.C. 5397, 7 C.R.R. (2d) 333, 127 N.R. 348. Notre Cour a accordé l'autorisation d'appel: [1992] 1 R.C.S. xi.
II. Les dispositions constitutionnelles et législatives pertinentes
A. Les dispositions constitutionnelles
1.Charte canadienne des droits et libertés, art. 1, 15 et 32
1. La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique.
15. (1) La loi ne fait acception de personne et s'applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge ou les déficiences mentales ou physiques.
(2) Le paragraphe (1) n'a pas pour effet d'interdire les lois, programmes ou activités destinés à améliorer la situation d'individus ou de groupes défavorisés, notamment du fait de leur race, de leur origine nationale ou ethnique, de leur couleur, de leur religion, de leur sexe, de leur âge ou de leurs déficiences mentales ou physiques.
32. (1) La présente charte s'applique:
a) au Parlement et au gouvernement du Canada, pour tous les domaines relevant du Parlement, y compris ceux qui concernent le territoire du Yukon et les territoires du Nord‑Ouest;
b) à la législature et au gouvernement de chaque province, pour tous les domaines relevant de cette législature.
(2) Par dérogation au paragraphe (1), l'article 15 n'a d'effet que trois ans après l'entrée en vigueur du présent article.
2.Loi constitutionnelle de 1982, par. 52(1):
52. (1) La Constitution du Canada est la loi suprême du Canada; elle rend inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit.
B. Les dispositions législatives
Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, ch. 148, modifiée et applicable aux années d'imposition 1983 à 1985, art. 4, 9(1), 18(1), 63 et 67
4. (1) Aux fins de la présente loi,
a) le revenu [. . .] d'un contribuable pour une année d'imposition, provenant d'une charge, d'un emploi, d'une entreprise, de biens ou d'une autre source [. . .] signifie le revenu [. . .] du contribuable, calculée conformément à la présente loi, en supposant que ce contribuable n'a eu, durant l'année d'imposition, aucun revenu [. . .] sauf ce qui provenait de cette source [. . .] et qu'il n'avait droit à aucune déduction lors du calcul de son revenu pour l'année d'imposition à l'exception des déductions qui peuvent raisonnablement être considérées comme entièrement applicables à cette source [. . .] et à l'exception de la partie de toutes autres déductions qui peut raisonnablement être considérée comme applicable à cette source . . .
. . .
(2) Sous réserve du paragraphe (3), pour l'application du paragraphe (1) aux fins de la présente Partie, aucune des déductions autorisées par les articles 60 à 63 n'est applicable, en totalité ou en partie, à une source déterminée . . .
. . .
(4) Sauf intention contraire évidente, aucune des dispositions de la présente Partie ne doit s'interpréter comme exigeant l'inclusion ou permettant la déduction, lors du calcul du revenu d'un contribuable pour une année d'imposition ou du revenu ou de la perte de ce contribuable pour une année d'imposition, provenant d'une source déterminée ou de sources situées dans un endroit déterminé, de toute somme dans la mesure où celle‑ci a été, selon le cas, incluse ou déduite lors du calcul de ce revenu ou de cette perte en conformité ou en vertu de toute autre disposition de la présente Partie.
9. (1) Sous réserve des dispositions de la présente Partie, le revenu tiré par un contribuable d'une entreprise ou d'un bien pour une année d'imposition est le bénéfice qu'il en tire pour cette année.
18. (1) Dans le calcul du revenu du contribuable, tiré d'une entreprise ou d'un bien, les éléments suivants ne sont pas déductibles:
a) un débours ou une dépense sauf dans la mesure où elle a été faite ou engagée par le contribuable en vue de tirer un revenu des biens ou de l'entreprise ou de faire produire un revenu aux biens ou à l'entreprise;
. . .
h) le montant des frais personnels ou frais de subsistance du contribuable, sauf les frais de déplacement (y compris la somme intégrale dépensée pour les repas et le logement) engagés par le contribuable alors qu'il était absent de chez lui, dans le cadre de l'exploitation de son entreprise;
63. (1) Sous réserve du paragraphe (2), il peut être déduit dans le calcul du revenu d'un contribuable pour une année d'imposition le total des montants dont chacun représente un montant payé dans l'année à titre ou au titre de frais de garde d'enfants pour un enfant admissible du contribuable pour l'année.
. . .
b) par le contribuable ou la personne assumant les frais d'entretien de l'enfant pour l'année . . .
dans la mesure où le montant
c) n'est pas inclus par un autre particulier dans le calcul du montant déductible en vertu du présent paragraphe,
d) n'est pas un montant (sauf un montant qui est inclus dans le calcul du revenu d'un particulier et qui n'est pas déductible dans le calcul de son revenu imposable) à l'égard duquel un particulier a droit, ou avait droit, à un remboursement ou à une autre forme d'aide,
et dont le paiement est établi en produisant auprès du Ministre un ou plusieurs reçus délivrés par le bénéficiaire du paiement et portant, lorsque celui‑ci est un particulier, le numéro d'assurance sociale de ce particulier; le total ne doit pas être supérieur à l'excédent éventuel
e) du moins élevé des montants suivants:
(i) $8, 000,
(ii) le produit de $2, 000 par le nombre d'enfants admissibles du contribuable pour l'année pour lesquels les frais de garde d'enfants ont été supportés, ou
(iii) 2/3 du revenu gagné par le contribuable pour l'année
sur
f) le total des montants dont chacun représente un montant déduit, à l'égard des enfants admissibles du contribuable visés au sous‑alinéa e)(ii), en vertu du présent paragraphe pour l'année par un particulier (autre que le contribuable) à qui le paragraphe (2) s'applique pour l'année.
. . .
(3) Dans le présent article
a) «frais de garde d'enfants» signifie tous frais engagés dans le but de faire assurer au Canada la garde de tout enfant admissible du contribuable, en le confiant à des services de garde d'enfants, notamment à une gardienne d'enfants, à une garderie ou en le plaçant dans un pensionnat ou dans une colonie de vacances, si les services étaient assurés
(i) pour permettre au contribuable, ou à la personne assumant les frais d'entretien de l'enfant pour l'année, qui résidait avec l'enfant au moment où les frais ont été engagés,
(A) de remplir les fonctions d'une charge ou d'un emploi,
(B) d'exploiter une entreprise, soit seul, soit comme associé participant activement à l'exploitation de l'entreprise,
. . .
b) «revenu gagné» d'un contribuable signifie le total
(i) des traitements, salaires et autre rémunération, y compris les gratifications, reçus par lui dans le cadre de charges ou d'emplois, et de toutes les sommes incluses dans le calcul de son revenu en vertu des articles 6 et 7,
(ii) des sommes incluses dans le calcul de son revenu, en vertu de l'alinéa 56(1)m), n) ou o), et
(iii) des revenus qu'il tire de toutes les entreprises qu'il exploite soit seul, soit comme associé participant activement à l'exploitation de l'entreprise;
c) «enfant admissible» d'un contribuable pour une année d'imposition désigne
(i) l'enfant du contribuable ou de son conjoint, ou
(ii) un enfant à l'égard duquel le contribuable a déduit un montant pour l'année en vertu de l'article 109,
si, à une date quelconque de l'année, l'enfant était âgé de moins de 14 ans ou était âgé de plus de 13 ans et était, en raison d'une infirmité physique ou mentale, à la charge du contribuable; et
d) «personne assumant les frais d'entretien» d'un enfant admissible d'un contribuable pour une année d'imposition désigne
(i) un parent de l'enfant,
(ii) le conjoint du contribuable, ou
(iii) un particulier qui a déduit un montant à l'égard de l'enfant pour l'année en vertu de l'article 109,
si le parent, le conjoint ou le particulier, selon le cas, a résidé avec le contribuable à une date quelconque au cours de l'année et à une date quelconque dans les 60 jours de la fin de l'année.
67. Lors du calcul du revenu, aucune déduction ne doit être faite relativement à un débours ou à une dépense à l'égard de laquelle une somme est déductible par ailleurs en vertu de la présente loi, sauf dans la mesure où ce débours ou cette dépense était raisonnable eu égard aux circonstances.
III. Les instances inférieures
A.La Section de première instance de la Cour fédérale, [1989] 3 C.F. 59 (le juge Cullen)
1. Les frais de garde d'enfants à titre de dépense d'entreprise
Abordant tout d'abord les questions d'interprétation des lois, le juge Cullen précise que «[l]a détermination du bénéfice et la question de savoir si une dépense est une véritable dépense d'entreprise qui doit être incluse dans le calcul du bénéfice sont des questions de droit» (p. 66). Après avoir examiné la jurisprudence, il affirme que l'approche appropriée à adopter pour déterminer ce que constitue une dépense d'entreprise légitime «consiste à se demander si la dépense ou le débours était conforme aux principes ordinaires des affaires commerciales ou aux principes bien reconnus de la pratique courante des affaires» (pp. 66 et 67). Le juge Cullen estime qu'il faut appliquer un «critère des affaires» (p. 67) pour déterminer le sens juridique du terme «bénéfice».
Outre le critère des affaires auquel il faut satisfaire, le juge Cullen fait remarquer qu'une dépense d'entreprise doit être faite ou engagée en vue de tirer un revenu de l'entreprise ou de faire produire un revenu à l'entreprise conformément à l'al. 18(1)a) de la Loi. Il examine ensuite plusieurs décisions portant sur l'interprétation de cette exigence avant d'affirmer que les tribunaux ont donné «une interprétation [. . .] progressiste» (p. 71) de l'al. 18(1)a). Pour le juge Cullen, le concept de «bénéfice» a été «adapté[. . .] pour refléter la pratique changeante des affaires» (p. 71).
Dans un même ordre d'idée, le juge Cullen examine un argument de l'intimée fondé sur le concept du «cercle» des affaires ou de la production de revenu. D'après ce concept, seules les dépenses faites à l'intérieur du cercle de la production de revenus sont déductibles. L'intimée qualifie le paiement du salaire à Simpson «de dépense qui permettait à la demanderesse de sortir et d'exercer sa profession, mais qui n'a pas été faite dans l'exercice de sa profession» (p. 70, souligné dans l'original). Le juge Cullen rejette cet argument ainsi que le concept en question puisque le concept proposé «semblerait laisser entendre que le cercle des affaires et de la production de revenu a un contenu fixe» (p. 70).
Le juge Cullen examine ensuite les frais de garde d'enfants en fonction de son analyse du concept des bénéfices. L'intimée avait cité plusieurs décisions dans lesquelles les frais de garde d'enfants avaient été considérés comme des frais personnels. Le juge Cullen rejette la pertinence de ces décisions parce qu'elles sont toutes fondées sur l'arrêt Bowers c. Harding (1891), 3 Tax Cas. 22 (Q.B.), affaire qui «provenait d'un autre âge, d'un autre système portant sur une question fiscale qui était reliée à l'emploi plutôt qu'aux bénéfices tirés d'une entreprise» (p. 72). Il examine également le témoignage d'expert de Mme Patricia Armstrong (Armstrong), décrivant l'afflux de femmes en âge d'avoir des enfants dans les affaires et en milieu de travail, à la fin des années 1970 et au début des années 1980.
En définitive, le juge Cullen conclut que la contribuable a fait preuve de bon sens commercial en décidant de consacrer une partie de ses ressources tirées de la pratique du droit au soin de ses enfants, affirmant à la p. 73:
Cette décision est acceptable selon les principes commerciaux qui incluent le développement du capital intellectuel, l'amélioration de la productivité, la fourniture des services aux clients et la disponibilité de la ressource qu'elle vend, c'est‑à‑dire son temps.
De plus, le témoignage d'Armstrong étaye l'idée que la disponibilité du soin des enfants augmente la productivité en ce sens qu'elle accroît la tranquillité d'esprit des employés. Augmenter la productivité est quelque chose qui correspond parfaitement à la pratique bien établie des affaires. Son témoignage fait voir en outre que l'absence de soin des enfants est un obstacle à la participation des femmes à l'économie, pour ce qui est du travail rémunéré et du travail générateur de revenus, et que, en conséquence, lever l'obstacle en arrivant à un moyen satisfaisant de faire face au coût du soin des enfants serait logique sur le plan commercial.
Après avoir conclu que les dépenses relatives à la gardienne d'enfants satisfont à l'art. 9 et à l'al. 18(1)a), le juge Cullen examine si l'al. 18(1)h) interdit de les déduire à titre de frais personnels ou de frais de subsistance. Sur cette question, il dit que, compte tenu des faits de l'espèce, «une distinction s'impose entre le soin des enfants qui permet de participer à l'économie et de générer un revenu et le soin des enfants qui permet une vie mondaine» (p. 74). À son avis, seules ces dernières dépenses sont des frais de subsistance personnels et facultatifs. Le juge Cullen fait une distinction entre les frais de garde d'enfants et d'autres dépenses qui peuvent être qualifiées de frais personnels ou de frais de subsistance, en raison principalement de l'obligation légale pour l'appelante de s'occuper de ses enfants.
Pour ces motifs, compte tenu des principes d'interprétation des lois et des faits particuliers de l'espèce, le juge Cullen conclut que les dépenses relatives à la gardienne des enfants avaient le caractère d'une dépense d'entreprise déductible dans le calcul du bénéfice du contribuable. Il importe de signaler à cet égard les propos du juge Cullen (à la p. 75): «Pour ce qui est de l'article 63 de la Loi, j'aimerais souligner à ce point dans mes motifs que la défenderesse a reconnu que si la dépense liée à l'engagement d'une bonne d'enfants est une dépense d'entreprise appropriée en vertu des articles 3, 9 et 18 de la Loi, alors l'article 63 ne saurait l'empêcher d'être accueillie comme telle.» Enfin, le juge indique brièvement qu'il ne fait pas de doute que les sommes versées étaient raisonnables au sens de l'art. 67 de la Loi.
2. Le paragraphe 15(1) de la Charte
Malgré ses conclusions sur la question d'interprétation, le juge Cullen examine ensuite l'argument subsidiaire de la contribuable fondé sur la Charte. Il reconnait que, puisque le par. 15(1) n'est entré en vigueur que le 17 avril 1985 et n'a pas d'effet rétroactif, la contribuable ne peut invoquer la Charte relativement aux frais de garde d'enfants engagés avant l'entrée en vigueur de cette disposition.
Le juge Cullen cite de nombreux passages de l'arrêt de notre Cour Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143, s'attachant surtout aux principes qui y sont énoncés dans le cadre de l'examen de l'art. 15. Premièrement, il dit que l'art. 15 s'applique puisque c'est une loi du Parlement qui est en cause. Deuxièmement, il examine s'il y a application inégale de la loi et discrimination. Bien que le juge Cullen ait sans aucun doute eu l'intention d'examiner ces deux derniers concepts relativement à la Loi elle‑même, je remarque que le juge Cullen met l'accent sur le traitement accordé à la contribuable par Revenu Canada.
Sur la question du traitement inégal, le juge Cullen cherche et trouve tout d'abord une distinction (à la p. 80): «En refusant à la demanderesse sa déduction, le MRN lui réserve un traitement différent de celui destiné aux autres contribuables pour ce qui est des dépenses qui sont considérées comme nécessaires à la production d'un revenu d'entreprise». En ce qui concerne la discrimination, le juge Cullen dit que les dispositions de la Loi sont neutres d'après leur formulation, mais qu'elles ont eu une incidence négative sur la contribuable car, en raison du traitement inégal, elle était obligée de payer des impôts plus élevés et de s'occuper des «paperasseries». Autrement dit, il conclut que l'«on refuse [à la contribuable] l'avantage d'une déduction fiscale» (p. 82). Le juge Cullen rattache la discrimination aux «caractéristiques personnelles que sont le sexe et l'état familial ou parental» (p. 84).
Le juge Cullen conclut ainsi que le refus de la déduction pour frais de garde d'enfants dans le cadre de la détermination du bénéfice violerait le par. 15(1) de la Charte. Examinant ensuite l'article premier, il dit que l'on n'a présenté aucun objectif réel et urgent pour justifier le refus de la déduction. En conséquence, il ne traite pas du critère de la proportionnalité en soi.
Ayant conclu que l'on n'a pas établi que le Parlement a fait un choix législatif interdisant la pleine déductibilité des dépenses liées aux frais de garde d'enfants, le juge Cullen indique qu'on laisse aux tribunaux le soin de décider, en conformité avec la Charte, «si les concepts de bénéfice et de dépenses d'entreprise permettent une telle déduction» (p. 87). Pour ce motif, il conclut que l'art. 9 et l'al. 18(1)a) autorisent la déduction des frais de garde d'enfants à titre de dépense d'entreprise. Cette conclusion constitue une interprétation dite «conforme aux exigences de la Charte», sans qu'il soit besoin de faire une ««suppression», une «modification» ou de «faire dire à un texte quelque chose qu'il ne dit pas»» (p. 87).
En définitive, le juge Cullen conclut que la contribuable avait le droit de déduire les paiements versés à Simpson à titre de dépense d'entreprise pour les années d'imposition 1982, 1983, 1984 et 1985. Cette conclusion repose seulement sur son application des principes d'interprétation des lois. En ce qui concerne sa conclusion subsidiaire fondée sur l'analyse de la Charte, le juge Cullen statue que ces paiements étaient déductibles pour l'année d'imposition 1985 et les années d'imposition ultérieures.
B.La Cour d'appel fédérale, [1991] 3 C.F. 507 (le juge Décary avec l'appui des juges Pratte et MacGuigan)
Après avoir examiné les faits, le juge Décary établit le contexte de la décision de la Cour d'appel fédérale. Il examine tout d'abord l'historique fiscal des frais de garde d'enfants, plus particulièrement l'art. 63 de la Loi, citant un rapport de commission royale d'enquête et un livre blanc gouvernemental. À partir du compte rendu officiel des débats de la Chambre, il cherche à décrire la politique gouvernementale en matière de frais de garde d'enfants. Enfin, il mentionne divers rapports et documents d'étude traitant de garde des enfants qui ont été cités devant la cour.
1. Les frais de garde d'enfants à titre de dépense d'entreprise
Dans son analyse, le juge Décary examine tout d'abord le l'al. 18(1)a) de la Loi. En ce qui concerne la prétention que les frais de garde d'enfants de la contribuable ont été engagés dans le cours ordinaire des affaires ou pendant le processus de gain, il qualifie l'obligation légale de garde des enfants d'obligation indépendante de l'entreprise. À son avis, l'obligation de garde d'enfants est imposée également aux deux parents et constitue par ailleurs «une obligation naturelle» (p. 522).
On ne sait pas exactement si le juge Décary accepte ou rejette les prétentions de la contribuable relativement aux critères qu'il convient d'appliquer en vertu du par. 9(1) et de l'al. 18(1)a) de la Loi. Toutefois, il se dit d'accord avec la contribuable et le juge de première instance, que l'interprétation jurisprudentielle «doit être assez souple et perméable pour s'adapter aux changements de circonstances» (p. 523). Il précise aussi que «des concepts devront être élargis par les tribunaux de manière à tenir compte de la présence des femmes dans le milieu des affaires» (p. 523). Mais il résume ensuite son désaccord avec la contribuable et le tribunal de première instance relativement à la bonne interprétation de la Loi. Il dit (à la p. 523) que:
. . . le concept de dépense d'entreprise a été développé exclusivement en fonction des besoins d'affaires de l'entreprise, en faisant abstraction des besoins particuliers des personnes qui dirigent cette entreprise, et je vois difficilement en quoi un changement dans les besoins particuliers de ces personnes justifierait qu'on modifiât une interprétation qui n'a rien à voir avec ces besoins. Quoi qu'il en soit, je n'ai pas vraiment à trancher cette question, pour la simple raison que le Parlement, de lui‑même, a déjà modifié la Loi de l'impôt sur le revenu de manière à tenir compte de la situation précise qu'invoque l'intimée.
À l'appui de cette conclusion, le juge Décary examine le libellé de l'art. 63. Cet examen l'amène à conclure que l'art. 63, adopté par le Parlement, vise clairement le «parent qui exploite une entreprise et le revenu tiré par le parent de l'exploitation d'une entreprise» (p. 525). C'est pour ce motif qu'il rattache les frais de garde d'enfants seulement à l'art. 63 de la Loi, excluant ces dépenses du concept de «dépense d'entreprise» implicite dans le contexte de l'al. 18(1)a). Il n'examine pas par ailleurs le sens de «bénéfice» à l'art. 9 de la Loi.
2. Le paragraphe 15(1) de la Charte
Le juge Décary commence son analyse fondée sur la Charte en résumant le principal argument de la contribuable. Il fait observer que la violation alléguée du par. 15(1) ne concerne pas le texte même de la Loi, mais plutôt toute interprétation du texte de la Loi qui empêcherait de déduire les frais de garde d'enfants à titre de dépense d'entreprise. Il dit ensuite que la contribuable cite à l'appui de son argument les arrêts de notre Cour Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038, et Hills c. Canada (Procureur général), [1988] 1 R.C.S. 513. Puisque le juge Décary cite des passages de ces arrêts d'une manière qui laisse entendre qu'il examine dans quelle mesure les valeurs de la Charte devraient pénétrer l'interprétation ordinaire des lois, il n'est pas tout à fait clair si certains de ses commentaires subséquents se rapportent à ce type d'interprétation des lois ou à l'analyse fondée sur la Charte.
Quoi qu'il en soit, le juge Décary fait ensuite des observations générales relativement au bien‑fondé d'une contestation, fondée sur la Charte, de ce que l'on peut généralement appeler les «lois socio‑économiques». Après avoir cité des passages de plusieurs arrêts, il cite l'arrêt Ontario Public Service Employees Union c. National Citizens Coalition Inc. (1987), 60 O.R. (2d) 26 (H.C.) et, s'appuyant apparemment sur le texte de cet arrêt, précise: «L'approche proposée par l'intimée risque au fond de banaliser la Charte» (p. 528). À son avis, retenir les prétentions de la contribuable serait «tomber dans le piège de l'«overshooting» («aller au‑delà de l'objet véritable du droit ou de la liberté en question») contre lequel la Cour suprême du Canada n'a cessé de mettre les tribunaux en garde» (p. 529). Le juge Décary recule devant l'idée que le contribuable pourrait se prévaloir des dispositions de l'art. 15 de la Charte pour obtenir une garantie positive d'égalité, garantie qui exigerait «des législatures qu'elles adoptent les mesures nécessaires pour lui permettre de travailler» (p. 530).
S'éloignant de ce raisonnement, le juge Décary qualifie l'art. 63 d'avantage législatif adopté par le Parlement «dans l'exercice éclairé de sa discrétion» (p. 530). Il arrive ensuite à la conclusion suivante, laquelle se rattache clairement à une analyse fondée sur la Charte, plutôt qu'à l'utilisation des valeurs de la Charte dans l'interprétation des lois (aux pp. 531 et 532):
Le Parlement, en adoptant l'article 63 et en décidant de créer un nouveau type de déduction personnelle destiné aux parents et visant les frais de garde d'enfants, a fait un choix politique, social et économique. Ce choix favorise, selon la preuve faite, davantage les femmes que les hommes, ce dont ne s'est pas plainte l'intimée. Je ne vois pas comment une disposition qui favorise toutes les femmes pourrait porter directement ou indirectement atteinte au droit des femmes à l'égalité, et je ne suis pas prêt à reconnaître que les femmes professionnelles forment un groupe défavorisé à l'égard duquel une forme de discrimination reconnue par l'article 15 a été exercée par l'adoption de l'article 63 ou serait exercée par le refus de cette Cour d'interpréter l'alinéa 18(1)a) de manière à accorder à une mère travaillant à son propre compte une déduction additionnelle pour dépense d'entreprise. Et si tant est qu'il y avait discrimination au sens de l'article 15, je suis d'avis, à la lumière de la preuve abondante de justification qui nous a été soumise, qu'il n'appartient pas à cette Cour de substituer son choix à celui qu'a fait le Parlement en toute connaissance des options proposées et dans le contexte d'une politique globale d'aide à la famille.
La Cour d'appel fédérale a accueilli l'appel, rétabli les avis de nouvelle cotisation et ordonné à l'appelante de payer les dépens en première instance et en appel.
IV. Les questions en litige
Le 14 juillet 1992, le Juge en chef a formulé les questions constitutionnelles suivantes:
1. Si les art. 9, 18 et 63 de la Loi de l'impôt sur le revenu ne se prêtent pas à une interprétation autre que celle selon laquelle il est impossible pour l'appelante de déduire tous ses frais de garde d'enfants à titre de dépense d'entreprise, l'un ou l'autre ou l'ensemble de ces articles, en tout ou en partie, portent‑ils atteinte aux droits garantis par l'art. 15 de la Charte canadienne des droits et libertés?
2. Dans la mesure où les articles de la Loi de l'impôt sur le revenu mentionnés ci‑dessus portent atteinte aux droits et libertés garantis par l'art. 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, sont‑ils justifiés par l'article premier de la Charte canadienne des droits et libertés et, par conséquent, conformes à la Loi constitutionnelle de 1982?
Pour répondre à ces questions constitutionnelles, je structurerai mon analyse en fonction des trois grandes questions suivantes:
1. Les frais de garde d'enfants sont‑ils déductibles dans le calcul d'un bénéfice en vertu du par. 9(1) de la Loi?
2. Si les frais de garde d'enfants ne sont pas déductibles dans le calcul d'un bénéfice en vertu du par. 9(1) de la Loi, y a‑t‑il eu violation du par. 15(1) de la Charte?
3. S'il y a eu violation du par. 15(1) de la Charte, cette violation se justifie‑t‑elle en vertu de l'article premier?
V. Analyse
1.Les frais de garde d'enfants sont‑ils déductibles dans le calcul d'un bénéfice en vertu du par. 9(1) de la Loi?
Cette question présente deux volets: a) Les frais de garde d'enfants sont‑ils déductibles en vertu des principes de droit fiscal applicables aux déductions des dépenses d'entreprise? b) Si les frais de garde d'enfants ne sont pas déductibles selon ces principes, le sont‑ils par le recours aux valeurs de la Charte dans l'interprétation? Pour les motifs qui suivent, je suis d'avis qu'il faut répondre par la négative à ces deux questions.
a)Les frais de garde d'enfants sont‑ils déductibles en vertu des principes de droit fiscal applicables aux déductions des dépenses d'entreprise?
Voici comment je procéderai à l'analyse des principes de droit fiscal applicables aux déductions des dépenses d'entreprise. Je commencerai tout d'abord par décrire le contexte législatif de la déductibilité des dépenses d'entreprise. J'examinerai ensuite, en quatre temps, les questions de déductibilité. Premièrement, j'analyserai la corrélation entre le par. 9(1), l'al. 18(1)a) et l'al. 18(1)h) de la Loi afin d'établir clairement la méthode d'analyse qui convient en l'espèce. Deuxièmement, je traiterai de la classification historique des frais de garde d'enfants dans les frais personnels en vue d'établir la pertinence de l'al. 18(1)h) de la Loi. Troisièmement, j'examinerai l'al. 18(1)a) de la Loi pour déterminer s'il renferme des indices relatifs aux dépenses d'entreprise pouvant se rapprocher des faits en l'espèce. Enfin, j'examinerai la pertinence de la déduction des frais de garde d'enfants visée à l'art. 63 de la Loi.
Il est tout d'abord utile de décrire brièvement le contexte législatif de mon analyse. Toute personne résidant au Canada paie des impôts conformément à la disposition fondamentale en cette matière, le par. 2(1) de la Loi qui établit l'assujettissement à l'impôt pour les résidents et le rattache au concept du «revenu imposable». Selon le par. 2(2), le calcul du revenu imposable d'un contribuable implique tout d'abord la détermination de son «revenu pour l'année». Cette notion exige à son tour le recours à l'art. 3 de la Loi qui exige notamment pour le calcul du revenu du contribuable pour une année d'imposition, le calcul du revenu du contribuable en provenance de chacune de diverses sources. Selon l'al. 3a), une source de revenu est le «revenu tiré de chaque [. . .] entreprise».
Comme elle est avocate indépendante, c'est la source du revenu d'entreprise pour fins d'impôt qui touche l'appelante. Elle soutient essentiellement que la Loi peut englober une déduction de dépenses d'entreprise pour garde d'enfants dans le calcul ordinaire du revenu d'entreprise. Cet argument exige donc qu'on examine comment la Loi définit ordinairement le revenu d'entreprise.
(i)Revenu d'entreprise: La corrélation entre le par. 9(1), l'al. 18(1)a) et l'al. 18(1)h)
Si l'on oublie pour le moment l'incidence possible de l'art. 63, trois dispositions de la Loi sont pertinentes aux fins du calcul du revenu d'entreprise, et il est bon d'en signaler le libellé. Premièrement, en vertu du par. 9(1), le revenu tiré par un contribuable d'une entreprise est le «bénéfice qu'il en tire pour cette année»; le terme «bénéfice» n'est défini nulle part dans la Loi. Deuxièmement, l'al. 18(1)a) prévoit que, dans le calcul du revenu d'une entreprise, n'est pas déductible une dépense «sauf dans la mesure où elle a été faite ou engagée par le contribuable en vue de tirer un revenu des biens ou de l'entreprise ou de faire produire un revenu». Enfin, l'al. 18(1)h) interdit de déduire «le montant des frais personnels ou frais de subsistance». Le premier point à examiner est la bonne méthode d'analyse de ces trois dispositions.
À une certaine époque, il n'était pas clair si le fondement de la déduction des dépenses d'entreprise se trouvait dans la disposition qui est maintenant le par. 9(1) ou dans celle qui est l'al. 18(1)a) actuel. Toutefois, dans une série d'arrêts ayant abouti à l'arrêt Royal Trust Co. c. Minister of National Revenue, 57 D.T.C. 1055 (C. de l'É.), le président Thorson a reconnu que la déduction des dépenses d'entreprise constitue une partie nécessaire du calcul du «bénéfice» en vertu du par. 9(1). Dans l'arrêt Daley c. Minister of National Revenue, [1950] R.C. de l'É. 516, le président Thorson disait ce qui suit au sujet de l'art. 3 (qui est à l'origine de l'art. 9) et de l'al. 6a) (qui est à l'origine de l'al. 18(1)a)) de la Loi de l'impôt de guerre sur le revenu, S.R.C. 1927, ch. 97 (à la p. 521):
[traduction] À mon avis, il est exact de dire que la déductibilité des débours et dépenses qui peuvent à juste titre être déduits «dans le calcul du montant des bénéfices ou gains à imposer» se rattache au concept de «bénéfice ou gain net annuel» dans la définition du revenu imposable figurant à l'article 3. La déductibilité de débours ou dépenses des recettes d'une année d'imposition découle donc de l'article 3 de la Loi et ne résulte pas du tout, même par déduction, de l'alinéa 6a).
En d'autres termes, le concept de «bénéfice» au par. 9(1) est en soi un résultat net qui présuppose des déductions de dépenses d'entreprise. Il est maintenant généralement reconnu que c'est le par. 9(1) qui autorise la déduction des dépenses d'entreprise; le par. 18(1) est limitatif seulement. Voir l'arrêt The Queen c. MerBan Capital Corp., 89 D.T.C. 5404 (C.A.F.).
Décrire ainsi le par. 9(1) et l'al. 18(1)a) ne permet toutefois pas de clarifier la méthode d'analyse qu'il convient d'utiliser en l'espèce. S'il semble que, selon l'économie de la Loi, les al. 18(1)a) et h) peuvent logiquement paraître limiter des déductions déjà autorisées par le par. 9(1), cette organisation peut être moins logique qu'on le supposerait. La raison en est que l'on ne sait généralement pas quels types de dépenses pourraient être déductibles en vertu du par. 9(1), mais interdites par les al. 18(1)a) ou h).
En vertu du par. 9(1), la déductibilité est habituellement considérée de la façon dont elle l'avait été par le président Thorson dans Royal Trust, précité (à la p. 1059):
[traduction] . . . pour savoir si un débours ou une dépense était déductible aux fins d'impôt la première étape était de déterminer si la déduction était conforme aux principes ordinaires des affaires commerciales ou aux principes bien reconnus de la pratique courante des affaires . . . [Je souligne.]
En conséquence, dans l'analyse des déductions, il faut commencer par le par. 9(1), disposition qui englobe, comme l'a précisé le juge de première instance, un «critère des affaires» aux fins du calcul du bénéfice imposable.
C'est un critère qui a été formulé de bien des façons. Comme le juge de première instance l'a bien fait ressortir, la détermination du bénéfice en vertu du par. 9(1) est une question de droit: Neonex International Ltd. c. The Queen, [1978] C.T.C. 485 (C.A.F.). C'est peut‑être pour ce motif (comme le laisse entendre implicitement Neonex) que les tribunaux ont hésité à énoncer, relativement au par. 9(1), un critère fondé «sur les principes comptables généralement reconnus» (P.C.G.R.): voir aussi «Business Income and Taxable Income» (1953 Conference Report: Association canadienne d'études fiscales) cité dans B. J. Arnold et T. W. Edgar, dir., Materials on Canadian Income Tax (9e éd. 1990), à la p. 336. Toute mention des P.C.G.R. comporte l'idée d'un degré de contrôle exercé par des comptables professionnels, ce qui est incompatible avec un critère juridique du «bénéfice» en vertu du par. 9(1). Alors qu'un comptable s'interrogeant sur l'opportunité d'une déduction peut être motivé par le désir de présenter un tableau plutôt conservateur du niveau des profits courants, la Loi vise une fin différente: la perception de revenus publics. Pour ces motifs, dans l'examen du par. 9(1), il convient davantage de parler de «principes bien reconnus de la pratique courante des affaires (ou comptable)» ou de «principes bien reconnus des affaires commerciales».
Si l'on adopte cette conception de la déductibilité, on se rend immédiatement compte que les principes bien reconnus de la pratique courante des affaires visés au par. 9(1) auraient généralement pour effet d'interdire la déduction de dépenses qui n'ont pas pour objet de gagner un revenu ou qui sont des dépenses personnelles, de la même façon que les al. 18(1)a) et h) visent expressément à interdire de telles déductions. Pour ce motif, il est artificiel de dire qu'il faut tout d'abord examiner le par. 9(1) pour déterminer si une déduction est autorisée, et que l'on peut ensuite se fonder sur le par. 18(1) pour procéder à une autre analyse: N. Brooks, «The Principles Underlying the Deduction of Business Expenses» dans B. G. Hansen, V. Krishna et J. A. Rendall, dir., Essays on Canadian Taxation (1978), 249, aux pp. 253 et 254; V. Krishna, The Fundamentals of Canadian Income Tax (4e éd. 1992), à la p. 365, renvoi 44, et à la p. 367.
En conséquence, bien que les al. 18(1)a) et h) puissent, sur le plan analytique, simplement reprendre ou confirmer les interdictions déjà comprises dans le par. 9(1), ils peuvent servir à renforcer le point déjà mentionné, savoir que le critère visé au par. 9(1) est un critère juridique plutôt qu'un critère comptable. En outre, ces alinéas résument d'une façon utile ce qui pourrait par ailleurs constituer des principes abstraits de la pratique commerciale. Comme l'ont indiqué D. Ish, J. A. Rendall et C. A. Brown («Deductions» dans Materials on Canadian Income Tax, op. cit., aux pp. 387 et 388):
[traduction] . . . la fréquence avec laquelle l'alinéa 18(1)a) apparaît dans la jurisprudence confirme qu'il est utile, sinon nécessaire, que le ministre fasse des déclarations précises auxquelles on pourra se fier. [. . .] On peut soutenir que l'alinéa 18(1)h) vient seulement préciser l'alinéa 18(1)a); en fait, on pourrait supposer que les frais personnels ou les frais de subsistance du contribuable ne seraient pas déduits selon les pratiques ordinaires en matière comptable applicables aux bénéfices d'entreprise, le critère établi par le paragraphe 9(1). Le processus que nous décrivons est une diminution progressive du champ. Bien que l'on puisse soutenir que les frais personnels ou les frais de subsistance interdits par l'alinéa 18(1)h) le seraient également en vertu de l'alinéa 18(1)a) [. . .] le ministre peut néanmoins juger utile d'attirer l'attention sur la caractérisation précise d'une dépense contestée comme dépense de consommation personnelle.
Il n'y a pas de doute que, dans certains cas, le par. 9(1) s'appliquera isolément pour l'examen de déductions conformément aux principes bien reconnus de la pratique courante des affaires. À cet égard, je renvoie à des arrêts, également mentionnés par le juge de première instance, dans lesquels la véritable question était de savoir si une méthode comptable particulière pouvait servir à éviter l'assujettissement à l'impôt: par exemple, Associated Investors of Canada Ltd. c. Minister of National Revenue, [1967] 2 R.C. de l'É. 96; Canadian General Electric Co. c. Minister of National Revenue, [1962] R.C.S. 3. Cependant, dans d'autres cas, comme en l'espèce, la véritable question est de savoir si une déduction est interdite par les principes bien reconnus de la pratique courante des affaires au motif que la dépense en question n'a pas été engagée en vue de tirer un revenu ou au motif que la dépense constitue des frais personnels ou des frais de subsistance. Dans ces cas, l'examen de la question confondra nécessairement le par. 9(1) et les al. 18(1)a) et h).
Je passerai donc maintenant à l'examen des arguments étroitement connexes relatifs au libellé particulier des al. 18(1)a) et 18(1)h). Ce faisant, je ne veux pas mettre en doute que c'est le par. 9(1) qui constitue le fondement des déductions, ni laisser entendre que le par. 9(1) n'est pas la première disposition par rapport à laquelle une déduction peut être mesurée. Je veux tout simplement reconnaître que je ne peux, à partir des faits en l'espèce, répondre aux prétentions des parties sans examiner en même temps le libellé général du par. 9(1) et le libellé précis des al. 18(1)a) et 18(1)h).
(ii) Les frais personnels et l'al. 18(1)h)
Je commence par l'examen de l'al. 18(1)h), puisque l'analyse fiscale traditionnelle qualifiait les frais de garde d'enfants de frais personnels, et que l'al. 18(1)h) aurait pour effet, de nos jours, de les interdire spécifiquement. Je ne me propose pas d'examiner les nombreux arrêts susceptibles d'être cités à l'appui de ce point: voir B. J. Arnold, «The Deduction for Child Care Expenses in the United States and Canada: A Comparative Analysis» (1973), 12 West. Ont. L. Rev. 1, à la p. 27, renvoi 141; J. E. Hershfield, «Recent Trends in the Deduction of Expenses in Computing Income», dans 1989 Conference Report (Association canadienne d'études fiscales), à la p. 44:2, renvoi 3. Qu'il suffise de faire remarquer, comme l'a fait le juge de première instance, que le raisonnement à l'appui de cette qualification se trouve en définitive fondé sur l'arrêt anglais Bowers c. Harding, précité; un bref examen de cet arrêt peut aider à expliquer la classification historique des frais de garde d'enfants parmi les frais personnels.
Dans l'arrêt Bowers c. Harding, les Harding (un couple marié) étaient employés dans une école et recevaient un salaire conjoint. Suivant l'exposé conjoint des faits, M. Harding avait engagé un domestique pour [traduction] «permettre à son épouse d'avoir le temps d'exécuter ses fonctions d'institutrice» (p. 23). Puisque la loi fiscale en cause considérait le salaire conjoint du couple comme appartenant à M. Harding seulement, ce dernier a demandé la déduction des dépenses liées à l'engagement d'un domestique au motif qu'elles avaient été engagées [traduction] «totalement, exclusivement et nécessairement pour lui permettre de s'acquitter de ses fonctions»: Income Tax Act (R.‑U.), 16 & 17 Vict., ch. 34, art. 51.
La déduction demandée a été rejetée. De l'avis du tribunal, les Harding se trouvaient à proposer un critère du «à défaut de» pour la déductibilité en cause. En d'autres termes, ils soutenaient que «à défaut de domestique», le revenu n'aurait pu être gagné. Le baron Pollock a rejeté ce critère de la façon suivante (à la p. 26):
[traduction] Lorsqu'un homme et son épouse acceptent un poste, cela entraîne certains inconvénients et certains bénéfices, mais il ne s'agit pas d'une dépense qui leur permet de gagner un revenu au sens où l'argent aurait servi à l'achat de biens ou au paiement de commis, pour que le négociant ou le marchand puisse gagner un revenu [. . .] S'il fallait examiner ces questions avec grande précision, on devrait, avant d'arriver à une conclusion, examiner où vit la personne, le prix de la viande, et le type de vêtements dont elle a besoin, dans de nombreux cas la nature des services et le salaire payé à certains serviteurs ainsi que le style de vie de la personne.
Je sais que beaucoup pourraient douter de l'applicabilité des propos et des circonstances de l'arrêt Bowers c. Harding, précité. En fait, on peut établir des distinctions à de nombreux points de vue. Premièrement, il s'agissait d'un revenu d'emploi, plutôt que d'un revenu d'entreprise. Deuxièmement, les dépenses en cause se rattachaient aux «travaux ménagers» plutôt qu'à la garde d'enfants (ou tout au moins il n'en est pas fait mention dans l'arrêt). Troisièmement, les dépenses ont été examinées par rapport à l'exigence très stricte qu'elles soient effectuées «totalement, exclusivement et nécessairement» en vue de gagner un revenu; en l'espèce, il n'existe pas d'exigence identique. Enfin, comme l'a affirmé le juge de première instance à la p. 72, on pourrait simplement faire ressortir que l'affaire provient «d'un autre âge» et «d'un autre système» (p. 72).
Toutefois, même sans établir de distinctions avec l'arrêt Bowers c. Harding, je crois que je devrais aller au‑delà de l'al. 18(1)h) de la Loi et de la classification traditionnelle des frais de garde d'enfants dans l'analyse visant à déterminer si ces frais sont vraiment de nature personnelle. La corrélation entre les dépenses et le revenu dans l'arrêt Bowers c. Harding se trouvait subsumée, comme dans d'autres arrêts ultérieurs, à l'intérieur d'une dichotomie apparente. Comme l'a fait remarquer le professeur Arnold, dans «The Deduction for Child Care Expenses», op. cit., à la p. 27:
[traduction] Selon le critère énoncé par cet arrêt pour établir une distinction entre des frais personnels et des frais de subsistance, il faut rechercher l'origine des dépenses. Si elles ont été engagées dans le cadre de circonstances personnelles plutôt que dans le cadre de circonstances liées à la pratique des affaires, les dépenses sont personnelles et non déductibles.
Cette conception renferme des tautologies évidentes. Les «dépenses personnelles» découlent de «circonstances personnelles» et les «dépenses d'affaires» découlent de «circonstances liées à la pratique des affaires». Mais, comment situe‑t‑on une dépense particulière dans la dichotomie des dépenses d'affaires et des dépenses personnelles?
Le présent pourvoi vise une dépense qui a traditionnellement été qualifiée de dépense de nature personnelle. Si notre Cour, en rendant sa décision, disait que les dépenses en cause sont maintenant personnelles parce qu'elles ont toujours été personnelles, on pourrait facilement et à juste titre attaquer sa conclusion. C'est pourquoi il faut une analyse plus critique de la corrélation entre les frais de garde d'enfants et les revenus d'entreprise pour déterminer si cette corrélation suffit à justifier la déduction des frais de garde. À mon avis, cette proposition mène naturellement à l'al. 18(1)a) qui établit la corrélation requise par la Loi.
Toutefois, dans l'examen de l'al. 18(1)a), je dois veiller à ne pas vider de tout sens l'al. 18(1)h) et la jurisprudence s'y rattachant. Face à une dépense donnée, il pourrait être à la fois opportun et indiqué d'examiner les arrêts antérieurs dans lesquels la dépense en cause a été qualifiée de «personnelle» au sens de l'al. 18(1)h); dans ce cas, il pourrait ne pas être nécessaire de procéder à une analyse approfondie du libellé de l'al. 18(1)a). À partir des faits en l'espèce, l'al. 18(1)a) pourrait bien être plus utile que la simple interdiction de la déduction des «frais personnels» à l'al. 18(1)h), lorsque je réexamine la question de savoir si les frais de garde d'enfants constituent vraiment des frais personnels. Toutefois, il ne sera pas nécessaire de procéder à un réexamen similaire de toutes les dépenses traditionnellement qualifiées de frais personnels.
Pourquoi convient‑il en l'espèce de réexaminer en détail si les frais de garde d'enfants sont à juste titre définis comme des frais personnels? Se fondant sur le témoignage de l'expert, Armstrong, le juge de première instance a dit (à la p. 72):
. . . la fin des années 1970 et le début des années 1980 ont connu un changement social important avec l'afflux des femmes en âge d'avoir des enfants dans les affaires et en milieu de travail. Ce changement survient après les causes antérieures qui avaient rejeté les dépenses liées à l'engagement de bonnes d'enfants à titre de déduction d'entreprise légitime et, en conséquence, il ne s'ensuit pas nécessairement que les conditions qui prévalaient dans la société de l'époque de ces décisions antérieures vont s'imposer maintenant.
J'estime que la réalité de l'évolution mentionnée dans ce passage est relativement peu controversée et que ce point aurait pu être accepté même sans recourir à un expert.
Ce sont des juges qui ont pris la décision de qualifier les frais de garde d'enfants de frais personnels. Comme toute décision jurisprudentielle, elle peut être réexaminée dans un cas approprié. Dans l'arrêt R. c. Salituro, [1991] 3 R.C.S. 654, notre Cour a affirmé (à la p. 670):
Les juges peuvent et doivent adapter la common law aux changements qui se produisent dans le tissu social, moral et économique du pays. Ils ne doivent pas s'empresser de perpétuer des règles dont le fondement social a depuis longtemps disparu. D'importantes contraintes pèsent cependant sur le pouvoir des tribunaux de changer le droit. [. . .] Le pouvoir judiciaire doit limiter son intervention aux changements progressifs nécessaires pour que la common law suive l'évolution et le dynamisme de la société.
La participation accrue des femmes dans le monde du travail au Canada est certainement un changement dans le «fondement social» au sens de l'arrêt Salituro. En conséquence, je ne crois pas être tenu de suivre servilement les arrêts qui ont qualifié les frais de garde d'enfants de frais personnels. Il faut examiner maintenant si l'autre possibilité est appropriée, en d'autres termes, se demander si les frais de garde d'enfants ne sont pas exclus par l'al. 18(1)a) de la Loi?
(iii) Les dépenses d'entreprise et l'al. 18(1)a)
Pour être déductibles à titre de dépense d'entreprise, les frais de garde d'enfants de l'appelante doivent avoir été engagés «en vue de tirer un revenu [. . .] de l'entreprise ou de faire produire un revenu [. . .] à l'entreprise» au sens de l'al. 18(1)a) de la Loi. Cela ne veut pas dire que les dépenses doivent directement mener à la production d'un revenu. Même à partir du libellé plus restrictif de la disposition antérieure à l'al. 18(1)a), on avait reconnu dans l'arrêt Imperial Oil Ltd. c. Minister of National Revenue, [1947] C.T.C. 353 (C. de l'É.), à la p. 371, qu'il n'est pas nécessaire d'établir un lien causal entre une dépense donnée et une recette donnée. En fait, une dépense peut être déductible même si elle donne lieu à une perte pourvu qu'elle satisfasse par ailleurs à l'al. 18(1)a).
Toutefois, il est difficile de déterminer comment une dépense peut satisfaire autrement à l'al. 18(1)a). Cette question a été examinée en profondeur dans plusieurs arrêts relativement au libellé plus restrictif de la Loi de l'impôt de guerre sur le revenu, al. 6a). Cette disposition interdisait la déduction de dépenses lorsqu'elles n'avaient pas été «totalement, exclusivement et nécessairement faites en vue de la production du revenu» (je souligne).
L'arrêt Minister of National Revenue c. Dominion Natural Gas Co., [1941] R.C.S. 19, est l'arrêt de principe sur l'application de l'al. 6a) de la Loi de l'impôt de guerre sur le revenu. Dans cette affaire, un contribuable avait engagé d'importants frais juridiques dans sa défense d'une franchise de gaz naturel. Notre Cour a qualifié les frais en question de dépenses en immobilisations non déductibles et a indiqué que ces frais ne satisfaisaient pas à l'al. 6a). Selon le juge en chef Duff, l'al. 6a) visait [traduction] «des charges d'exploitation, c'est‑à‑dire des dépenses faites dans le processus de production du «revenu»» (p. 22, je souligne).
L'arrêt Dominion Natural Gas établit en conséquence un critère relativement aux dépenses d'entreprise que l'on appelle souvent le critère de «production du revenu». Dans les arrêts qui ont suivi, ce critère a été appliqué par les tribunaux, mais pas toujours d'une façon qui laisse supposer qu'il s'agit d'une application simple. Dans l'arrêt Kellogg Co. of Canada Ltd. c. Minister of National Revenue, [1942] C.T.C. 51 (C. de l'É.) par exemple, Kellogg avait engagé d'importants frais juridiques pour contester une action en contrefaçon de marque de commerce. Malgré l'arrêt Dominion, le juge Maclean a statué dans Kellogg que ces dépenses étaient généralement déductibles à titre de dépenses d'entreprise. Il a tout particulièrement souligné que, comme l'action n'avait pas été intentée par la contribuable, les frais juridiques de Kellogg n'étaient pas voulus, sans tenir compte toutefois du fait que c'était également le cas des frais juridiques dans l'arrêt Dominion. On peut discerner une ambiguïté similaire dans l'arrêt Imperial Oil, précité, et dans l'arrêt Hudson's Bay Co. c. Minister of National Revenue, [1947] C.T.C. 86 (C. de l'É.): voir Brooks, loc. cit., à la p. 255.
En 1948, la disposition législative dont il est question dans les arrêts précités a été remplacée par la version immédiatement antérieure à l'al. 18(1)a): l'al. 12(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1948, ch. 52. Il importe de faire ressortir les modifications alors apportées. Premièrement, alors que l'ancienne disposition exigeait que les dépenses soient «totalement, exclusivement et nécessairement» faites à la fin prévue, la nouvelle disposition n'assortit d'aucun qualificatif l'objet de la dépense. Deuxièmement, alors que l'ancienne disposition précisait qu'une dépense d'entreprise était une dépense faite «en vue de la production du revenu», la nouvelle disposition parle «de tirer [. . .] ou de faire produire» un revenu.
À plus d'une reprise depuis la modification législative, on a reconnu que le libellé actuel de la Loi fournit une assise plus large à la déductibilité que l'ancienne disposition. Dans l'arrêt Premium Iron Ores Ltd. c. Minister of National Revenue, [1966] R.C.S. 685, un contribuable avait subi d'importants frais judiciaires pour s'opposer à une demande d'impôt présentée par un ressort étranger. Dans l'examen de la déductibilité de ces dépenses, le juge Martland dit: [traduction] «Il semble clair que le libellé actuel de [l'al. 18(1)a)] [. . .] avait pour but d'élargir la définition des dépenses déductibles» (p. 702). Voir aussi le juge Hall, à la p. 711; l'arrêt Royal Trust, précité, à la p. 1059. Dans l'arrêt Premium, notre Cour a statué que les dépenses en question étaient déductibles, et a rejeté l'idée que les opérations devaient être prises [traduction] «séparément selon les secteurs de production du revenu ou de répartition du revenu» (p. 711, le juge Hall).
En examinant dans quelle mesure ces arrêts et les autres cités par le juge de première instance illustrent une libéralisation des principes de déduction relativement à l'al. 18(1)a) de la Loi, il est pertinent d'en reconnaître le contexte historique. Plus particulièrement, puisque les arrêts examinés ont été rendus avant 1972, ils se situaient dans le contexte d'un régime fiscal qui n'autorisait pas les déductions pour dépenses en immobilisations incorporelles. Les tribunaux avaient donc deux options face à une dépense au titre de biens incorporels. Premièrement, cette dépense pouvait être considérée comme faite à compte de capital; dans ce cas, elle n'était pas déductible du tout puisqu'il ne pouvait y avoir déduction des dépenses en immobilisations qu'à l'intérieur du régime de déduction pour amortissement, lequel prévoit seulement l'amortissement des biens corporels; voir le Règlement de l'impôt sur le revenu, C.R.C. 1978, ch. 945, Annexe II, catégorie 8(i). Deuxièmement, une dépense incorporelle pouvait être considérée comme une dépense courante et être alors totalement déductible.
Dans l'examen de dépenses incorporelles comme d'importants frais juridiques, les tribunaux d'avant 1972 ont donc peut‑être été influencés par plus qu'une libéralisation de la formulation du critère visé à l'al. 18(1)a). Dans l'analyse du traitement des dépenses en immobilisations incorporelles avant 1972, le professeur Woodman a dit («A Child Care Expenses Deduction, Tax Reform and the Charter: Some Modest Proposals» (1990), 8 Rev. Can. D. Fam. 371, à la p. 377):
[traduction] Les tribunaux, reconnaissant l'effet préjudiciable d'une telle qualification, ont tenté de contourner l'interdiction prévue à l'alinéa 18(1)(b) en élargissant la définition d'une dépense d'entreprise courante déductible. En d'autres termes, il est exact que les tribunaux ont élargi l'étendue des déductions, mais il ne s'ensuit pas nécessairement que la prochaine étape est de rendre déductibles les frais de garde d'enfants.
Aujourd'hui, le traitement des déductions d'entreprise est prévu dans des dispositions légales qui traitent des biens incorporels en immobilisations par application de la notion de dépenses en immobilisations admissibles: voir l'art. 14 et l'al. 20(1)b) de la Loi.
Sans vouloir diminuer l'importance de cette dernière observation, on ne peut pas nier que le libellé actuel de l'al. 18(1)a) suffit à justifier le point de vue que le Parlement a procédé à la modification de l'ancien article pour élargir les déductions au titre des dépenses d'entreprise. Le professeur Brooks est de cet avis et dit que la seule véritable question en vertu de l'al. 18(1)a) est la suivante: [traduction] «la dépense a‑t‑elle été engagée à une fin personnelle ou à une fin commerciale?» (loc. cit., à la p. 253). D'autres commentateurs proposent d'autres critères qui empruntent plus ou moins directement au libellé de l'al. 18(1)a). Par exemple, on parle d'un critère de [traduction] «l'objet prédominant» (C. F. L. Young, «Case Comment on Symes v. The Queen», [1991] Brit. Tax Rev. 105, à la p. 105), ou d'un critère qui exige simplement un but de production de revenu: Krishna, The Fundamentals of Canadian Income Tax, op. cit., aux pp. 365 et 366; E. C. Harris, Canadian Income Taxation (4e éd. 1986), aux pp. 191 et 192.
Tous ces critères renvoient dans une certaine mesure à l'objet d'une dépense. Pour déterminer s'il convient d'adopter un critère fondé sur l'objet, je souhaite prendre note de la décision du juge Wilson dans l'arrêt Mattabi Mines Ltd. c. Ontario (Ministre du Revenu), [1988] 2 R.C.S. 175. Dans cette affaire, le juge Wilson a examiné une disposition fiscale assez semblable à l'al. 18(1)a) ainsi que la jurisprudence s'y rapportant et a tiré la conclusion suivante (à la p. 189):
Tout ce qui importe, c'est que les dépenses aient été engagées légitimement dans le cours ordinaire des affaires et dans le but qu'il en découle ultérieurement un revenu imposable pour la compagnie.
En faisant cette déclaration et en procédant ensuite à l'étude du «processus de gain» (aux pp. 189 et 190) mentionné dans un bulletin d'interprétation, le juge Wilson ne visait pas la dichotomie entre les dépenses personnelles et les dépenses d'entreprise. Elle rejetait à la fois l'exigence d'un lien de causalité entre une dépense particulière et un revenu particulier et l'idée que le revenu devait être généré dans l'année où la dépense avait été engagée. La mention qu'elle fait du «cours ordinaire des affaires» ne fait que refléter ces autres conclusions. Elle n'est pas le rejet de l'idée que l'al. 18(1)a) met l'accent sur l'objet ni l'indication qu'elle accepte l'existence d'un critère du «processus de gain» destiné à établir une distinction analytique entre les dépenses personnelles et les dépenses d'entreprise. En fait, à cet égard, il est intéressant de constater que le juge Wilson parle de l'«intention» du contribuable.
Le bien‑fondé d'un critère fondé sur l'objet doit également être examiné par rapport à d'autres critères qui ont été proposés en l'espèce. Tant devant notre Cour que devant les instances inférieures, l'intimée a prôné ce qu'on peut appeler le critère du «cercle de la production de revenus». Selon ce critère, il faut faire une distinction entre les dépenses engagées pour approcher du cercle (par exemple, les dépenses d'habillement et de transport), et les dépenses engagées à l'intérieur du cercle même. Ce critère présuppose bien entendu que seulement ces dernières seraient déductibles à titre de dépenses d'entreprise.
À mon avis, ce critère du cercle est de faible secours pour l'analyse d'un cas comme l'espèce, bien qu'il puisse avoir son utilité pour comprendre les dépenses d'entreprises généralement acceptées. En laissant entendre qu'il existe une ligne de démarcation entre les dépenses d'entreprise proprement dites, et les dépenses faites pour approcher le monde des affaires, ce prétendu critère ne fait que reformuler la dichotomie entre les dépenses personnelles et les dépenses d'entreprise qui a déjà été examinée. Pis encore, en faisant de cette reformulation un critère, le concept du cercle peut avoir des effets pernicieux. Le juge de première instance en a mentionné un, savoir que le concept semble vouloir dire que le contenu du cercle de la production de revenu est figé dans le temps. Dans la mesure où le contenu de ce cercle a été nourri de considérations fondées sur le sexe et non pertinentes, le concept du cercle pourrait être trop rigide.
À mon avis, ce critère présente un deuxième problème: il introduit l'image d'un cercle de la production de revenu qui est entièrement séparé et distinct d'un cercle domestique. Prenons l'exemple des frais de transport; on a tendance à imaginer un contribuable qui quitte le «cercle domestique» et qui fait des dépenses pour approcher du «cercle de la production de revenu». C'est une vision simpliste du monde moderne des affaires. Il suffit de penser à la déduction possible pour le travail au domicile (par. 18(12) de la Loi) pour se rendre compte que les activités dites personnelles et d'affaires d'un contribuable peuvent être étroitement liées, à l'intérieur même du foyer du contribuable. Par ailleurs, puisque notre Cour doit maintenant déterminer si les besoins des femmes ont été ignorés dans la définition de «dépenses d'entreprise», il est trompeur de présupposer que les activités se déroulant au domicile sont, pour ce motif seulement, plus susceptibles d'être exclues du cercle de la production de revenu, alors que, historiquement, les préoccupations des femmes se sont rattachées au contexte domestique.
Un critère se rapprochant de celui du cercle consiste à déterminer si une dépense en est une «du commerçant» ou «du commerce». J. E. Hershfield, loc. cit., décrit comment cette terminologie a été introduite dans le droit canadien dans une citation de l'arrêt Dominion Natural Gas, précité, à la p. 28 (le juge Crocket). Hershfield soutient qu'une partie de ce critère de déductibilité vise à [traduction] «déterminer si la dépense était accessoire au commerce ‑‑ un élément de l'entreprise elle‑même. Le fait que le «commerçant» a fait la dépense pour tirer un revenu de l'entreprise n'est pas suffisant» (p. 44:9). Vu sous un angle, cet argument serait à peine plus qu'une reformulation de l'argument du cercle puisqu'il pourrait bien être difficile de faire une distinction entre un «cercle de la production de revenu» et «l'entreprise elle‑même». Vu sous un autre angle moins critique, toutefois, demander si une dépense a été faite par le commerçant ou est liée au commerce revient peut‑être simplement à se rendre compte que la déductibilité d'une dépense [traduction] «ne doit pas être déterminée en l'isolant» (Hershfield, loc. cit., à la p. 44:8). Dans la mesure où ce critère exige simplement que les frais de garde d'enfants soient examinés dans le contexte de l'entreprise de l'appelante en tant qu'avocate, je l'accepte.
Des notions comme le «cercle de production de revenu» ou comme la distinction «commerçant/commerce» indiquent que la qualification d'une dépense implique une question incontournable. Par exemple, ces notions exigent qu'on se demande si la dépense répond à un besoin de l'entreprise ou à un besoin du contribuable. Sans vouloir retirer les critiques que je viens de faire de ces notions, je reconnais franchement que cette question est souvent suffisante pour qualifier la dépense. Cependant, je ne pense pas que cette question soit nécessairement suffisante dans des cas, comme l'espèce, où il est allégué qu'une dépense constitue des «frais personnels». Autrement dit, il y a un grand nombre de dépenses qu'on n'allègue jamais être des «frais personnels». Pour ce qui les concerne, la méthode est normalement beaucoup plus objective et l'analyse se limite généralement à l'art. 9 de la Loi. Ce n'est que lorsqu'on allègue qu'une dépense constitue des «frais personnels» qu'il faut aller plus loin et se demander ce que signifie la notion de «besoin d'entreprise».
En conséquence, à la réflexion, on n'a proposé aucun critère qui améliorerait ou modifierait sensiblement un critère reposant directement sur le libellé de l'al. 18(1)a). L'analyse nous ramène à la source, et je peux simplement me poser la question suivante: l'appelante a‑t‑elle engagé des frais de garde d'enfants en vue de tirer un revenu de l'entreprise ou de faire produire un revenu à l'entreprise?
Comme dans d'autres domaines du droit, lorsqu'il faut établir l'objet ou l'intention des actes, on ne doit pas supposer que les tribunaux se fonderont seulement, en répondant à cette question, sur les déclarations du contribuable, ex post facto ou autrement, quant à l'objet subjectif d'une dépense donnée. Ils examineront plutôt comment l'objet se manifeste objectivement, et l'objet est en définitive une question de fait à trancher en tenant compte de toutes les circonstances. C'est pourquoi il n'est pas possible de formuler une liste fixe de circonstances qui permettront de prouver d'une façon objective que le contribuable visait à tirer un revenu ou à faire produire un revenu. En résumant certains faits fréquemment observés, le professeur Brooks a cependant dégagé certains facteurs à examiner et j'estime que son analyse est généralement utile: loc. cit., aux pp. 256 à 259. Dans les paragraphes qui suivent, je mentionnerai certains de ces facteurs.
Dans un cas particulier, il pourrait être pertinent d'examiner si la déduction est ordinairement acceptée à titre de dépense d'entreprise par les comptables. Il ne s'agit pas de revenir à l'idée que la comptabilité régit l'application du par. 9(1) de la Loi, puisque les comptables [traduction] «ne possèdent pas d'expertise spéciale lorsqu'ils doivent décider» s'il s'agit d'une dépense personnelle ou d'entreprise (Brooks, loc. cit., à la p. 256). Une telle preuve pourrait tout simplement indiquer qu'un type particulier de dépense est généralement reconnu comme dépense d'entreprise. De même, il pourrait être pertinent d'examiner si la dépense en cause est habituellement engagée par d'autres dans une entreprise de même nature que celle du contribuable. Dans l'affirmative, il peut être plus probable que la dépense constitue une dépense d'entreprise.
Il pourrait également être pertinent d'examiner si une dépense donnée aurait été engagée si le contribuable ne visait pas la production d'un revenu d'entreprise. Voici les commentaires du professeur Brooks sur ce point (à la p. 258):
[traduction] Lorsqu'une personne aurait engagé une dépense particulière même si elle ne travaillait pas, il y a de bonnes raisons de penser que cette dépense sert une fin personnelle. Par exemple, pour obtenir un revenu d'une entreprise une personne en affaires doit être nourrie, vêtue et logée. Toutefois, puisque ce sont des dépenses qu'une personne ferait même si elle ne travaillait pas, on peut supposer qu'elles servent un objet personnel ‑‑ demeurer en vie, être vêtu et se protéger de la pluie. Ces dépenses n'augmentent pas sensiblement lorsqu'une personne entreprend de gagner un revenu.
En disant qu'une personne doit se nourrir, se vêtir et s'héberger, je reconnais que je me trouve à revenir à un critère du «à défaut de» qui est l'inverse de celui que j'ai déjà examiné. Ici, le critère serait le suivant: «à défaut de gain ou de production de revenu, les dépenses en question auraient de toute façon été faites». Je dois reconnaître que ce genre de critère peut être manipulé. Par exemple, on peut soutenir que «à défaut de travail, le contribuable n'aurait plus besoin de vêtements coûteux.» Toutefois, dans la plupart des cas, ce type de manipulation pourra être facilement rejetée. Toujours avec le même exemple, on peut conclure que les dépenses d'habillement «n'augmentent pas sensiblement» (Brooks, loc. cit., à la p. 258) du point de vue fiscal lorsqu'une personne améliore sa garde‑robe. Subsidiairement, on peut dire que le changement de garde‑robe constitue un choix personnel. Enfin, puisque toutes les satisfactions psychiques représentent une forme de consommation à l'intérieur de l'assiette fiscale exhaustive idéale, on peut mettre l'accent sur la satisfaction personnelle accrue liée à la possession d'une belle garde‑robe.
Sur ce dernier point, je tiens à faire remarquer qu'à l'intérieur d'un régime fiscal orienté, au moins en partie, vers le maintien d'une équité verticale et horizontale (l'équité horizontale exige simplement que les «égaux» soient traités également; le terme «égaux» étant l'égalité quant à la capacité de payer» et [traduction] «l'équité verticale exige simplement que l'incidence du fardeau fiscal repose davantage sur les riches que sur les pauvres»: V. Krishna, «Perspectives on Tax Policy» dans Essays on Canadian Taxation, op. cit., aux pp. 5, 6 et 7), on cherche à empêcher les déductions correspondant à des dépenses de consommation personnelle. Dans la mesure où un contribuable peut exercer un choix quant à son style de vie et conserver la même capacité de tirer un revenu ou de faire produire un revenu, on a tendance à considérer ces choix comme des décisions de consommation personnelle, et les dépenses qui en résultent, comme des dépenses personnelles. Le professeur Brooks donne l'exemple des frais de déplacement qui varient nécessairement selon l'endroit où une personne choisit de vivre (en supposant bien sûr que le contribuable a un choix à cet égard). Dans certains cas, il peut être utile d'analyser les dépenses en ces termes.
Puisque j'ai fait quelques commentaires sur la notion sous‑jacente de «besoins de l'entreprise», il peut être utile aussi de parler des facteurs qui entrent en jeu dans la classification des dépenses en fonction des besoins. Plus précisément, il peut être utile de recourir au critère du «à défaut de» pour l'appliquer non pas à la dépense mais aux besoins que la dépense satisfait. Indépendamment de l'entreprise, le besoin existerait‑il? Si un besoin existe même en l'absence de l'activité d'entreprise, et indépendamment de ce que le besoin a été ou aurait été satisfait par des sommes versées à un tiers ou par le coût d'option du labeur personnel, la dépense faite pour répondre au besoin est considérée traditionnellement comme une dépense personnelle. Des dépenses qui peuvent être identifiées ainsi sont des dépenses engagées par le contribuable pour se dégager d'obligations personnelles et être disponible pour des activités d'entreprise. Traditionnellement, des dépenses permettant simplement au contribuable de se libérer pour affaires ne sont pas considérées comme des dépenses d'entreprise parce qu'on attend du contribuable qu'il soit disponible pour exercer des activités d'affaires en contrepartie du revenu reçu. Cela se traduit dans la distinction fondamentale souvent mentionnée entre la production ou la source du revenu, d'une part, et la réception ou l'utilisation du revenu d'autre part.
Il reste maintenant à examiner les frais de garde d'enfants de l'appelante par rapport à cette analyse. Premièrement, d'après les faits en l'espèce, il est clair que l'appelante n'aurait pas engagé les frais en question si elle n'avait pas eu son entreprise. Il est pertinent de signaler que son choix de service de garde d'enfants était adapté aux besoins de son entreprise. En tant qu'avocate, elle ne pouvait s'occuper de ses enfants personnellement pendant la journée puisqu'il lui aurait été impossible de rencontrer ses clients et de comparaître en cour; elle ne pouvait non plus avoir recours aux services de garde en établissement en raison de son horaire de travail. Ces points ont été reconnus par le juge de première instance.
Deuxièmement, il est tout aussi évident cependant que le besoin auquel répondent les frais de garde d'enfants selon les faits de l'espèce, c'est‑à‑dire la garde des enfants de l'appelante, existe indépendamment de l'activité d'entreprise poursuivie par l'appelante. Elle a engagé ces dépenses pour être disponible pour l'exercice de sa profession plutôt que pour une autre fin associée à l'entreprise elle‑même.
Troisièmement, je constate qu'il n'existe aucune preuve que les comptables considèrent les frais de garde d'enfants comme des dépenses d'entreprise. Il y a cependant bien des raisons de croire que de nombreux parents, plus particulièrement un grand nombre de femmes, doivent faire face à des frais de garde pour travailler. Il y a d'abord la preuve du témoin expert mentionnée précédemment. En outre, on a déposé devant notre Cour un rapport de Condition féminine Canada, intitulé Rapport du Groupe d'étude sur la garde des enfants (1986) qui démontre qu'un très grand nombre de parents sur le marché du travail ont besoin de services de garde non parentale pour leurs enfants (voir, par exemple, le tableau 4.2). De plus, l'intervenante, l'Association du Barreau canadien, a présenté à notre Cour des résultats de sondages qui portent spécifiquement sur la situation des avocats en Ontario. Ces sondages indiquent que, pour les avocats qui ont des enfants, une partie importante de la responsabilité de la garde des enfants est confiée à des gardiens rémunérés, la proportion moyenne étant de 250 pour 100 plus élevée chez les femmes (25,56 heures par semaine) que chez les hommes (9,53 heures par semaine): Barreau du Haut‑Canada, Transitions in the Ontario Legal Profession (1991). Ce tableau démographique pourrait bien accroître la probabilité que les frais de garde d'enfants constituent une forme de dépense d'entreprise.
Enfin, et c'est le quatrième point de mon analyse, j'ai de la difficulté à accepter l'idée que la décision de l'appelante d'avoir des enfants devrait être considérée seulement comme un choix de consommation. J'admets franchement que ma difficulté se rattache à un certain élément d'ordre public. Dans l'arrêt Brooks c. Canada Safeway Ltd., [1989] 1 R.C.S. 1219, le juge en chef Dickson affirme (à la p. 1243):
Il semble aller de soi que celles qui donnent naissance à des enfants et favorisent ainsi l'ensemble de la société ne devraient pas en subir un désavantage économique ou social. Seules les femmes portent des enfants; aucun homme n'en a la possibilité. [. . .] il est injuste d'imposer tous les coûts de la grossesse à une seule moitié de la population.
C'est en toute liberté que l'appelante et son mari ont choisi d'avoir des enfants, et ils ont décidé que c'est l'appelante qui allait assumer les coûts des frais de garde. Toutefois, il faut veiller à ne pas se laisser induire en erreur par les faits. Les décisions en matière de grossesse et de naissance se rattachent à toute une série d'influences opposées sur les plans éthique, juridique, religieux et socio‑économique, et c'est ignorer toutes ces influences que de conclure que la décision d'avoir des enfants devrait, du point de vue fiscal, être qualifiée de décision entièrement personnelle. Bien qu'il puisse être correct de considérer, dans les faits, cette décision de l'appelante comme un choix personnel, je suis d'avis qu'il est plus approprié de n'associer cette décision à aucun élément de consommation personnelle.
Par ailleurs, je constate que cette conclusion n'englobe pas nécessairement le fait que l'appelante a l'obligation légale de s'occuper de ses enfants, comme le sous‑entend ce passage souvent cité d'un auteur américain (M. J. McIntyre, «Evaluating the New Tax Credit for Child Care and Maid Service» (1977), 5 Tax Notes 7, à la p. 8):
[traduction] La déduction des frais de garde d'enfants est quelque peu différente compte tenu de l'obligation légale de prendre soin des enfants. Personne n'irait jusqu'à dire que les coûts des soins d'un éléphant apprivoisé sont déductibles, simplement parce qu'il est impossible pour une personne d'aller travailler et de laisser l'éléphant seul. La garde des enfants est différente puisque, après avoir fait le choix fondamentalement personnel d'avoir un enfant, le parent ne peut revenir sur sa décision en donnant l'enfant au zoo local. Toutefois, cette différence ne suffit pas pour faire des frais de garde une dépense d'entreprise . . .
L'obligation légale qu'a l'appelante de prendre soin de ses enfants est pertinente en l'espèce: voir par exemple, Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, art. 215. Toutefois, il est faux de supposer que la décision d'avoir un animal familier et celle d'avoir un enfant se distingue à ce point de vue seulement. Comme je viens de l'indiquer, ces décisions se différencient également si l'on choisit d'écarter tout élément de consommation personnelle lié à la décision d'avoir des enfants, ou, pour reprendre l'expression, si l'on rejette qu'un enfant est toujours un «choix fondamentalement personnel» du parent.
D'après les facteurs analysés jusqu'à maintenant, si l'on se fonde seulement sur l'art. 9 et les al. 18(1)a) et 18(1)h), on peut avancer des arguments qui appuient ou contestent la classification des frais de garde d'enfants parmi les dépenses d'entreprise. Dans un autre cas, on pourrait pondérer ces arguments de façon différente puisque l'existence d'un objet lié à l'entreprise au sens de l'al. 18(1)a) est une question de fait, et que l'importance relative des facteurs analysés variera d'un cas à l'autre. Toutefois, d'une manière générale, je suis d'avis que les frais de garde d'enfants sont foncièrement différents des autres: les frais de garde d'enfants peuvent représenter un pourcentage important du revenu du contribuable et ces dépenses sont généralement liées à la capacité du contribuable de tirer ou de faire produire un revenu, et pourtant ces dépenses sont engagées pour que le contribuable soit disponible pour l'entreprise et sont engagées aussi en partie dans le cadre du développement d'un autre être humain. Il peut être difficile de déterminer quels éléments personnels et quels éléments liés à l'entreprise entrent en jeu.
À cet égard, le professeur Arnold a analysé la nature des frais de garde d'enfants peu après l'insertion de l'art. 63 dans la Loi. Après avoir examiné dans quelle mesure les tribunaux canadiens ont généralement rationalisé la distinction entre les dépenses personnelles et les dépenses d'entreprise, le professeur Arnold dit ceci (loc. cit., à la p. 39):
[traduction] Cette analyse nous amène à conclure que la distinction entre les dépenses personnelles et les dépenses d'entreprise n'offre pas de justification satisfaisante quant au traitement à accorder aux frais de garde d'enfants. Ces frais comportent des éléments personnels, mais ils renferment également d'importants éléments d'entreprise qui les distinguent des dépenses «purement» personnelles.
Je suis d'accord avec cette déclaration dans la mesure où elle reconnaît que les frais de garde d'enfants peuvent demeurer difficiles à qualifier lorsque l'on examine leur déductibilité en fonction seulement de l'art. 9 et des al. 18(1)a) et 18(1)h).
Je suis conscient du fait que si j'étais obligé de décider de la classification appropriée des frais de garde d'enfants en me fondant uniquement sur l'art. 9 et les al. 18(1)a) et 18(1)h) de la Loi, ma conclusion devrait tenir compte de considérations de principe. D'un côté, il y a du bon dans le critère traditionnel en droit fiscal qui cherche à identifier les frais qui permettent seulement au contribuable de se rendre disponible pour l'entreprise et qui les qualifient alors de frais «personnels» pour la raison qu'un besoin personnel est satisfait. De l'autre côté, par contre, il est malvenu d'écarter à la légère les considérations de principe qui indiquent que le choix et la consommation n'ont aucun rôle à jouer dans la classification des frais de garde d'enfants.
En Cour d'appel fédérale c'est l'analyse fondée sur les besoins qui a prévalu. La cour a conclu que «le concept de dépense d'entreprise a été développé exclusivement en fonction des besoins d'affaires de l'entreprise, en faisant abstraction des besoins particuliers des personnes qui dirigent» (p. 523). Si d'autres considérations de principe sont écartées, une analyse fondée sur la disponibilité commande virtuellement cette conclusion. À ce sujet, toutefois, je trouve intéressants les commentaires du professeur Macklin sur l'extrait précité de la conclusion de la Cour d'appel (A. Macklin, «Symes v. M.N.R.: Where Sex Meets Class» (1992), 5 R.F.D. 498, aux pp. 507 et 508):
[traduction] Cette affirmation ne tient pas compte du fait suivant: aussi longtemps que les affaires sont demeurées l'apanage des hommes, les besoins commerciaux en affaires étaient déterminés par ce dont les hommes avaient (croyaient avoir) besoin de dépenser pour produire un revenu. Le fait que ces dépenses comportent aussi un élément «personnel» n'a jamais été traité comme une interdiction complète. [. . .] On se rapproche davantage de la vérité en affirmant que ces pratiques sont propres aux hommes ou à certains hommes qui sont en affaires. Certes, puisque les hommes (jusqu'à tout récemment) étaient les seuls à {oe}uvrer en affaires, il est assez facile de confondre les besoins des hommes d'affaires et les besoins des affaires. Les besoins des femmes en affaires différeront nécessairement, et on pourrait raisonnablement s'attendre à l'établissement d'un nouveau concept de «dépenses d'entreprise» adapté à l'évolution du monde des affaires.
Bien que je préfère m'abstenir de tout commentaire sur certaines dépenses qui comportent un élément «personnel» mais qui sont pourtant traitées comme des dépenses d'entreprise et bien que le professeur Macklin ait omis le rôle que joue l'aspect «disponibilité» de la contribuable dans sa discussion des besoins, il est difficile de contester que l'Histoire a confondu les «besoins des hommes d'affaires et les besoins des affaires», comme le suggère le professeur Macklin. Par conséquent, dans la mesure où le droit fiscal traditionnel placerait les frais de garde d'enfants dans les frais «personnels» pour la simple raison que ces dépenses sont faites pour que le contribuable soit «disponible» pour travailler ‑‑ et en l'absence de l'art. 63 ‑‑ on pourrait affirmer à bon droit que l'évolution de la composition de la classe des affaires et de la structure sociale exige une nouvelle approche conceptuelle.
Toutefois, j'estime inutile de décider si une nouvelle approche conceptuelle s'impose, en raison de l'art. 63 de la Loi, dont on ne peut ignorer l'existence à la légère (E. A. Driedger, Construction of Statutes (2e éd. 1983), à la p. 87):
[traduction] . . . les mots d'une loi doivent être interprétés dans le contexte global, selon leur acception logique courante en conformité avec l'esprit et l'objet de la loi et l'intention du législateur.
En fait, comme je tenterai maintenant de le démontrer, compte tenu du libellé de l'art. 63, je ne crois pas que l'art. 9 et les al. 18(1)a) et h) puissent être interprétés de façon à justifier une déduction des frais de garde d'enfants à titre de dépense d'entreprise.
(iv) L'incidence de l'art. 63
L'appelante soutient que l'existence de l'art. 63 de la Loi ne devrait pas influer sur la déductibilité des frais de garde d'enfants à titre de dépense d'entreprise. Elle dit que le libellé de cette disposition n'a pas pour effet de limiter les déductions demandées par les contribuables pour les frais de garde d'enfants. En outre, elle se fonde sur l'arrêt Olympia Floor & Wall Tile (Quebec) Ltd. c. Ministre du Revenu National, [1970] R.C. de l'É. 274, pour soutenir que, si un contribuable a des dépenses qui excèdent le montant de la déduction prévue dans une disposition spécifique de la Loi, il peut recourir à une disposition plus générale pour déduire le plein montant. À mon avis, ses arguments doivent échouer.
Examinons tout d'abord le libellé de l'art. 63: il est évident que la définition de «frais de garde d'enfants» dans la Loi mentionne spécifiquement l'objet pour lequel l'appelante a engagé des dépenses de garde d'enfants. Selon une partie de cette définition, les frais de garde d'enfants sont engagés dans le but de faire assurer la garde d'un enfant par des services de garde «pour permettre au contribuable [. . .] d'exploiter une entreprise, soit seul, soit comme associé»: div. 63(3)a)(i)(B). Par ailleurs, l'al. 63(1)e) a pour effet de limiter la déduction en fonction du «revenu gagné» incluant, selon le sous‑al. 63(3)b)(iii), «des revenus qu'il tire de toutes les entreprises qu'il exploite soit seul, soit comme associé participant activement à l'exploitation de l'entreprise».
Le fait que ces dispositions décrivent exactement la situation en l'espèce ‑‑ une associée dans un cabinet d'avocats qui paie des frais de garde afin de pouvoir travailler ‑‑ est en soi un motif convaincant de supposer que l'art. 9 et les al. 18(1)a) et 18(1)h) ne peuvent être interprétés de façon à autoriser une déduction des frais de garde d'enfants à titre de dépense d'entreprise. Le juge Décary de la Cour d'appel fédérale a dit, en l'espèce, que l'art. 63 «de par ses termes mêmes, clairs, indiscutables» est «un véritable code en soi, complet, autonome» (p. 525). Toutefois, outre les termes clairs des dispositions mentionnées, il existe d'autres motifs de croire que c'est l'interprétation correcte.
Un de ces motifs est l'économie même de l'art. 63. L'article 63 prévoit un certain nombre de restrictions quant aux déductions pour frais de garde d'enfants. Le montant de la déduction varie en fonction du revenu gagné, ou du produit obtenu par la multiplication d'une somme fixe par le nombre d'enfants ayant besoin de soins de garde, sous réserve d'une limite annuelle. En outre, si plus d'un contribuable a participé aux frais d'entretien d'un enfant, le régime établi par l'art. 63 limite habituellement les déductions d'une autre façon: seule la personne qui a le revenu le moins élevé peut se prévaloir des déductions ‑‑ voir le par. 63(2).
Si l'intention de l'art. 63 est de limiter les déductions aux personnes assumant les frais d'entretien qui ont un revenu moins élevé, la position de l'appelante pourrait grandement contrecarrer cet objet. En l'espèce, l'appelante et son mari ont admis avoir pris une «décision de famille» visant à ce que l'appelante assume seule les frais de garde d'enfants: voir le jugement de la Cour d'appel fédérale à la p. 513. En présentant des éléments de preuve sur ce point, l'appelante chercherait à se soustraire à la définition de «personne assumant les frais d'entretien» prévue à l'al. 63(3)d) de la Loi, qui légalement définirait son conjoint comme répondant à cette définition, nonobstant la «décision de famille». En définitive, elle déduirait complètement les frais de garde d'enfants, qu'elle soit ou non la personne ayant le revenu le moins élevé.
La démarche de l'appelante est inapplicable. Prenons par exemple, le cas où deux conjoints vivent avec un enfant admissible; un des conjoints est un employé qui a un revenu peu élevé, l'autre est en affaires et gagne un revenu plus élevé. La démarche de l'appelante invite clairement le couple à prendre une «décision de famille» visant à établir que c'est le contribuable avec un revenu d'entreprise qui assumera en totalité les frais de garde. Sans vouloir dénigrer l'appelante, je crains que, dans de nombreux cas, ce soit là plus un exercice comptable qu'une image de la réalité. Les tribunaux étant mal placés pour évaluer la validité de telles «décisions de famille», je tendrais à croire que l'objet de l'art. 63 est justement d'empêcher le recours à ces évaluations. Par ailleurs, lorsqu'il dit que les deux parents sont responsables des frais d'entretien de l'enfant aux fins fiscales, l'al. 63(3)d) est entièrement compatible avec la perception contemporaine que l'on a des obligations parentales à cet égard.
En outre, il importe de reconnaître le contexte dans lequel se situe l'art. 63 dans l'ensemble de la Loi. L'article 63 est situé dans la section B, sous‑section e de la Loi. Comme le prévoit l'al. 3c), les déductions autorisées par cette sous‑section sont faites seulement après le calcul du revenu en provenance des diverses sources. À cet égard, il est pertinent d'examiner l'art. 4. L'alinéa 4(1)a) de la Loi dit qu'il faut examiner séparément chaque source de revenu pour déterminer le revenu global du contribuable pour l'année. Le paragraphe 4(2) prévoit ensuite que pour l'application du par. 4(1): «aucune des déductions autorisées par les articles 60 à 63 n'est applicable, en totalité ou en partie, à une source déterminée».
Dans son mémoire, l'intimée fait brièvement mention du par. 4(2). À part cette mention, les parties en l'espèce n'ont pas examiné davantage cette disposition; à ma connaissance, celle‑ci n'a pas fait l'objet de commentaires importants. C'est pourquoi je ne veux pas exagérer l'importance du par. 4(2) dans le cadre de mon analyse. Le paragraphe 4(2) signifie de toute évidence que la déduction pour frais de garde d'enfants selon l'art. 63 n'est pas applicable à une source particulière de revenus. En d'autres termes, le calcul visé à l'art. 63 n'est pas pertinent dans le calcul du revenu d'entreprise. Toutefois, il n'est peut‑être pas aussi évident que le type de déduction prévue à l'art. 63 (c.‑à‑d. toute déduction ayant trait aux frais de garde d'enfants) ne peut avoir lieu dans le cadre du calcul du revenu. En d'autres termes, le par. 4(2) pourrait bien être une autre preuve que l'art. 63 se veut une réponse législative complète à la question des frais de garde d'enfants.
Il convient à ce stade d'analyser l'arrêt Olympia Floor & Tile, précité, sur lequel l'appelante se fonde pour nier que la déduction spécifique autorisée par l'art. 63 doit l'emporter sur toute autre déduction générale prévue ailleurs dans la Loi. Dans cette affaire, des éléments de preuve non contestés établissaient que les dons de charité représentaient entre 25 et 30 pour 100 des ventes du contribuable dans chacune des deux années d'imposition en cause. Le contribuable avait cherché à déduire la totalité du montant de ces dons, soutenant qu'il les avait faits pour accroître ses ventes futures et qu'ils constituaient en conséquence des dépenses d'entreprise. Cependant, le ministre avait adopté comme position que la déduction de ces dons était régie par l'al. 27(1)a) de la Loi (maintenant l'art. 118.1) en vertu duquel un contribuable pouvait déduire les «dons» de charité jusqu'à concurrence de 10 pour 100 de son revenu imposable pour l'année.
Le président Jackett a accepté la position de l'appelante. Il était convaincu que les contributions étaient versées essentiellement, sinon entièrement, «aux fins d'accroître ses ventes et seulement subsidiairement, le cas échéant, pour des motifs de charité ou de bienfaisance» (p. 277). Pour ce motif, il était convaincu que les dépenses pouvaient constituer des dépenses d'entreprise, et la question importante était alors de savoir quel était l'effet de l'al. 27(1)a). Le président Jackett a reconnu que l'al. 27(1)a) permettait de calculer la déduction de charité admissible relativement au revenu du contribuable; il affirme (à la p. 283):
. . . il s'ensuit que cet article autorise la déduction d'une somme qui a été donnée par la corporation sur son revenu après qu'il a été gagné, et non la déduction d'une somme qui a été engagée pour gagner ce revenu. . .
Se fondant sur cette position, il était ensuite facile pour le président Jackett de conclure que les dépenses du contribuable n'étaient pas du type de celles visées par l'al. 27(1)a) (à la p. 285):
À mon avis, lorsque un contribuable engage une dépense en vue de produire un revenu -‑ c'est‑à‑dire afin de réaliser des bénéfices -‑ même si cette dépense se présente sous la forme d'un «don» à une organisation de charité, il ne s'agit pas d'un «don» au sens que donne à ce terme l'article 27(1)a), qui, d'après le rôle qu'il joue dans la méthode de calcul du revenu imposable, avait certainement pour but de conférer un avantage aux personnes qui ont fait des contributions en les retirant de leur revenu, et non de permettre de déduire des débours engagés en vue de gagner un revenu. [En italique dans l'original.]
En définitive, le contribuable pouvait déduire les dons de charité dans le calcul de ses bénéfices d'entreprise, nonobstant la disposition spécifique relative à la déduction pour dons de charité.
La décision du président Jackett dans Olympia Floor & Tile, précité, a récemment été suivie dans l'arrêt Impenco Ltée c. Minister of National Revenue, 88 D.T.C. 1242 (C.C.I.). Je ne veux exprimer ni accord ni désaccord quant à la démarche adoptée dans ces deux cas relativement à la question des dons de charité. En fait, qu'il suffise de faire ressortir le véritable fondement de l'arrêt Olympia Floor & Tile. À mon avis, cet arrêt affirme qu'une dépense donnée, tel un don de charité, peut avoir plus d'un objet. Dans un tel cas, il sera pertinent d'examiner si le véritable objet de la dépense est prévu dans la Loi. S'il existe une disposition spécifique limitant la déduction relativement à l'objet en question, cela devrait clore la discussion. Toutefois, si l'objet en question n'est pas prévu dans une disposition spécifique, on pourrait alors recourir aux règles générales applicables aux déductions.
En l'espèce, l'appelante admet volontiers ‑‑ en fait, elle soutient ‑‑ qu'elle a engagé des frais de garde d'enfants pour tirer ou faire produire un revenu. Les dépenses n'avaient qu'un seul objet. D'après les faits de l'affaire Olympia Floor & Tile, précité, un don fait avec une intention véritablement charitable (sur le «revenu» calculé d'un contribuable) aurait sans aucun doute été assujetti aux restrictions explicites de l'al. 27(1)a). De même, d'après les faits en l'espèce, l'objet des frais de garde d'enfants, selon l'appelante, est précisément visé par le libellé de l'art. 63; ces frais, soutient‑elle, ont été engagés pour lui «permettre» «d'exploiter une entreprise [. . .] comme associé participant» au sens de la div. 63(3)a)(i)(B), et ils ont été engagés pour ce motif seulement. Puisque cet objet est spécifiquement prévu à l'art. 63 de la Loi, elle ne peut demander une déduction utilisant le même objet en vertu de l'art. 9. En conséquence, je ne pense pas que l'arrêt Olympia Floor & Tile, précité, appuie d'une façon convaincante la position de l'appelante.
Enfin, bien que ce ne soit pas nécessaire pour étayer ma conclusion, je tiens à faire remarquer que la preuve de l'intention du législateur paraît appuyer mon point de vue. Au début de ses motifs, le juge Décary de la Cour d'appel fédérale examine l'historique fiscal des frais de garde d'enfants ainsi que les politiques gouvernementales en cette matière; son analyse est utile. Je tiens cependant à faire tout particulièrement état des propositions qui ont directement abouti à l'adoption de l'art. 63 en 1972. Voici comment les «Propositions de réforme fiscale» (1969) (E. J. Benson, ministre des Finances), proposaient de traiter les frais de garde d'enfants (aux pp. 17 et 18):
2.7 Nous proposons de permettre aux parents qui travaillent de déduire certaines dépenses afférentes à la garde des enfants. Lorsque les deux conjoints travaillent ou lorsque l'enfant n'a qu'un parent et que ce dernier travaille, bien prendre soin des enfants est un problème personnel aussi bien que social. Nous estimons souhaitable, tant du point de vue social qu'économique, qu'il soit possible de déduire du revenu, en plus de la déduction générale accordée à l'égard des enfants, certaines dépenses afférentes à la garde des enfants, sous certaines conditions bien déterminées.
. . .
2.9 Cette nouvelle déduction pour la garde des enfants constituera une réforme majeure. Le nombre exact des familles qui pourront en bénéficier ne peut pas être prévu mais, selon toute probabilité, il se chiffrera par plusieurs centaines de milliers. Cette nouvelle déduction aidera les nombreuses mères qui travaillent ou qui veulent travailler afin d'accroître le revenu familial, mais qui reculent devant les dépenses qu'entraîne la garde de leurs enfants. [Je souligne.]
À mon avis, ces propositions laissent entendre que le législateur avait l'intention que l'art. 63 couvre de façon exhaustive la question des frais de garde d'enfants. Je ne peux concevoir comment un régime, qui autoriserait certains parents à déduire des dépenses en vertu de dispositions générales relatives au revenu d'entreprise, mais qui limiterait les autres au régime établi par l'art. 63, permettrait les déductions «sous certaines conditions bien déterminées» au sens du passage que je viens de citer. Par ailleurs, je n'appuie pas l'idée que le législateur a voulu limiter aux employés seulement les déductions visées à l'art. 63. Les propositions ne précisent pas le type de «travail» qu'il faut favoriser, et le libellé de l'art. 63 traite clairement du revenu d'entreprise.
Pour ces motifs, une analyse simple des principes d'interprétation des lois m'amène à conclure que la Loi vise à traiter des frais de garde d'enfants, et qu'elle le fait entièrement à l'intérieur de l'art. 63. Il n'est pas nécessaire de décider si, en l'absence de l'art. 63, l'art. 9 et les al. 18(1)a) et 18(1)h) pourraient englober une déduction des frais de garde d'enfants à titre de dépense d'entreprise. Toutefois, compte tenu de l'art. 63, il est clair que les frais de garde d'enfants ne peuvent être considérés comme déductibles en vertu des principes de droit fiscal applicables aux déductions de dépenses d'entreprise.
b)Si les frais de garde d'enfants ne sont pas déductibles en vertu des principes de droit fiscal applicables aux déductions de dépenses d'entreprise, le sont‑ils par le recours aux valeurs de la Charte dans l'interprétation?
L'appelante soutient que les valeurs de la Charte peuvent être utilisées en l'espèce pour aider à l'interprétation. Elle invoque tout particulièrement les arrêts Hills c. Canada (Procureur général) et Slaight Communications Inc. c. Davidson, précités.
Dans l'arrêt Hills, précité, notre Cour devait interpréter le mot «finance» dans le contexte d'une loi sur l'assurance‑chômage. Pour arriver à sa décision, notre Cour a notamment parlé de l'objet de la disposition où se trouvait le terme en question, de l'objet de la loi dans son ensemble et du fait que tout doute doit bénéficier au prestataire. Enfin, ma collègue le juge L'Heureux‑Dubé a fait la déclaration suivante (à la p. 558):
Bien qu'il n'invoque aucune disposition précise de la Charte, l'appelant a néanmoins soutenu que, dans l'interprétation d'une loi, on doit donner la préférence aux valeurs consacrées dans la Charte, notamment à celle de la liberté d'association. Je suis d'accord que ces valeurs doivent être préférées à une interprétation qui leur serait contraire . . .
De la même façon, dans l'arrêt Slaight Communications, précité, notre Cour devait déterminer si le libellé de la législation du travail conférait à un arbitre le pouvoir de rendre une ordonnance particulière. Dans sa réponse, le juge Lamer (maintenant Juge en chef) a dit (à la p. 1078):
Or, quoique cette Cour ne doive pas ajouter ou retrancher un élément à une disposition législative de façon à la rendre conforme à la Charte, elle ne doit pas par ailleurs interpréter une disposition législative, susceptible de plus d'une interprétation, de façon à la rendre incompatible avec la Charte et, de ce fait, inopérante. Une disposition législative conférant une discrétion imprécise doit donc être interprétée comme ne permettant pas de violer les droits garantis par la Charte.
Je suis d'accord avec le sentiment exprimé dans ces deux citations, mais je ne réussis pas à en établir la pertinence en l'espèce. Dans les arrêts Hills et Slaight Communications, notre Cour devait examiner des dispositions législatives ambiguës. Dans chaque cas, on a examiné les valeurs de la Charte pour résoudre l'ambiguïté. Toutefois, chaque arrêt reconnaît que consulter la Charte en l'absence d'une telle ambiguïté la prive d'un objet plus important, la détermination de la constitutionnalité d'une loi. Si les dispositions législatives devaient être rendues compatibles avec la Charte même en l'absence d'ambiguïté, alors il ne serait jamais possible d'appliquer, plutôt que de simplement consulter, les valeurs de la Charte. En outre, le gouvernement ne pourrait jamais justifier une atteinte à la Charte comme une limite raisonnable en vertu de l'article premier puisque le processus d'interprétation empêcherait initialement de conclure à l'existence d'une atteinte à la Charte.
En l'absence de l'art. 63, on aurait peut‑être pu soutenir que les valeurs en matière d'égalité prévues dans la Charte auraient pu servir à interpréter l'art. 9 et les al. 18(1)a) et 18(1)h) de la Loi. Toutefois, comme je l'ai déjà précisé, l'art. 63 élimine toute ambiguïté et, ce faisant, élimine aussi en l'espèce la nécessité du recours aux valeurs de la Charte. Mon analyse de la Loi de l'impôt sur le revenu m'amène inévitablement à conclure que la Loi n'autorise pas, dans le calcul du bénéfice visé à l'art. 9, une déduction de dépense d'entreprise relativement à la garde des enfants, mais limite plutôt la déduction des frais de garde en conformité avec l'art. 63.
En conséquence, en ce qui concerne les années d'imposition qui, du point de vue de la Constitution, ne peuvent être directement visées par le par. 15(1) de la Charte, je confirmerais les nouvelles cotisations établies par Revenu Canada qui avait refusé les déductions demandées par l'appelante.
2.Si les frais de garde d'enfants ne sont pas déductibles dans le calcul d'un bénéfice en vertu du par. 9(1) de la Loi, y a‑t‑il violation du par. 15(1) de la Charte?
a)Le paragraphe 15(1) de la Charte peut‑il s'appliquer à la Loi de l'impôt sur le revenu?
Au cours d'un «débat» préliminaire devant notre Cour, on s'est demandé s'il convient d'utiliser la Charte pour contester le régime de déductions établi par la Loi. J'ai deux brefs commentaires sur ce débat.
Premièrement, on a soutenu que l'on court le risque d'«aller au delà» des objets de la Charte en assujettissant la Loi à la Charte. Toutefois, le risque dont il est question ne se rapporte pas aux types de lois qui sont assujetties à la Charte, mais à la méthode d'interprétation que les tribunaux devraient adopter lorsqu'ils donnent un sens aux droits et libertés garantis par la Charte: voir l'arrêt R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295, à la p. 344. Deuxièmement, on a affirmé que les tribunaux devraient faire preuve de déférence à l'égard des législatures dans le cas de questions économiques difficiles. Toutefois, cette proposition se fonderait sur des arrêts dans lesquels on a fait preuve de déférence dans le cadre d'une analyse fondée sur l'article premier de la Charte: voir par exemple l'arrêt AFPC c. Canada, [1987] 1 R.C.S. 424, à la p. 442. Ces arrêts ne préconisent pas la déférence à aucune autre étape antérieure d'une analyse fondée sur la Charte.
Puisque ni l'une ni l'autre des propositions sur lesquelles se fonde le «débat» préliminaire ne peuvent résister à une analyse critique même brève, j'estime inutile de s'y arrêter davantage. La Loi n'est certainement pas à l'abri de toutes les formes d'examen fondé sur la Charte.
b)Le paragraphe 15(1) de la Charte: Une méthode d'analyse
Avant d'examiner les détails de la violation du par. 15(1) alléguée par l'appelante, il est utile de formuler certains des principes fondamentaux de l'analyse des principes d'égalité dans la Charte, sur lesquels repose mon analyse. Bon nombre de ces principes sont directement tirés de l'arrêt Andrews c. Law Society of British Columbia, précité, dans lequel notre Cour a entrepris l'importante démarche de préciser le contenu du par. 15(1) de la Charte. Toutefois, en exposant de nouveau ces principes, je ne dois pas oublier que l'égalité «est un concept difficile à saisir qui, plus que tous les autres droits et libertés garantis dans la Charte, ne comporte pas de définition précise»: voir l'arrêt Andrews, à la p. 164.
Tout d'abord, il est important de comprendre que, pour déterminer si des faits donnés établissent l'égalité ou l'inégalité, on doit nécessairement procéder à une forme d'analyse comparative. Aux fins du par. 15(1), l'arrêt Andrews a rejeté l'idée que l'analyse devrait être régie par la comparaison des personnes qui se trouvent dans une situation analogue. Le paragraphe 15(1) garantit davantage qu'une égalité formelle; il garantit que l'égalité s'intéressera principalement à «l'effet de la loi sur l'individu ou le groupe concerné»: Andrews, à la p. 165. Le juge McIntyre affirme, à la p. 164, que l'égalité
est un concept comparatif dont la matérialisation ne peut être atteinte ou perçue que par comparaison avec la situation des autres dans le contexte socio‑politique où la question est soulevée. Il faut cependant reconnaître dès le départ que toute différence de traitement entre des individus dans la loi ne produira pas forcément une inégalité et, aussi, qu'un traitement identique peut fréquemment engendrer de graves inégalités. [Je souligne.]
La contestation fondée sur le par. 15(1) vise bien entendu à déterminer si une «différence de traitement» entre des individus, ou si un «traitement identique» engendre l'application de la Charte. En d'autres termes, son but est de s'assurer qu'«une loi destinée à s'appliquer à tous n'[ait] pas, en raison de différences personnelles non pertinentes, [. . .] un effet plus contraignant ou moins favorable sur l'un que sur l'autre»: Andrews, à la p. 165. Vers la réalisation de cet objectif, le juge McIntyre mène à un stade plus poussé l'analyse comparative et laisse entendre que la Charte ne vise pas à éliminer toutes les distinctions, mais, compte tenu du libellé et de l'objet de l'art. 15, seulement celles qui sont «discriminatoires».
Heureusement, dans l'arrêt Andrews, et dans le présent pourvoi, notre Cour a pu consulter une jurisprudence abondante sur l'application des lois en matière de droits de la personne. Le concept de «discrimination» au sens du par. 15(1) de la Charte a été précisé par cette jurisprudence, et la définition donnée à ce terme par le juge McIntyre est la preuve de son utilité. Le juge McIntyre affirme (à la p. 174):
J'affirmerais alors que la discrimination peut se décrire comme une distinction, intentionnelle ou non, mais fondée sur des motifs relatifs à des caractéristiques personnelles d'un individu ou d'un groupe d'individus, qui a pour effet d'imposer à cet individu ou à ce groupe des fardeaux, des obligations ou des désavantages non imposés à d'autres ou d'empêcher ou de restreindre l'accès aux possibilités, aux bénéfices et aux avantages offerts à d'autres membres de la société.
Le juge McIntyre conclut ensuite que c'est une interprétation du par. 15(1) qui tient à la fois compte des motifs énumérés et des motifs analogues de discrimination qui se rapproche le plus de cette définition. Une des raisons de cette conclusion tient à ce qu'une telle analyse présente l'avantage de laisser les questions de justification à l'examen de l'article premier de la Charte.
Il peut être utile à ce stade de faire ressortir deux aspects du concept de discrimination qui se dégagent de l'arrêt Andrews. Premièrement, il est clair qu'une loi peut être discriminatoire même si elle n'est pas directement ou expressément discriminatoire. En d'autres termes, le par. 15(1) vise aussi la discrimination par suite d'un effet préjudiciable: voir aussi les arrêts Tétreault‑Gadoury c. Canada (Commission de l'Emploi et de l'Immigration), [1991] 2 R.C.S. 22, à la p. 41; McKinney c. Université de Guelph, [1990] 3 R.C.S. 229, à la p. 279. Dans l'arrêt Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons‑Sears Ltd., [1985] 2 R.C.S. 536, le juge McIntyre a mis en contraste la discrimination directe et la discrimination par suite d'un effet préjudiciable dans le contexte de l'emploi (à la p. 551):
On doit faire la distinction entre ce que je qualifierais de discrimination directe et ce qu'on a déjà désigné comme le concept de la discrimination par suite d'un effet préjudiciable en matière d'emploi. À cet égard, il y a discrimination directe lorsqu'un employeur adopte une pratique ou une règle qui, à première vue, établit une distinction pour un motif prohibé. Par exemple, «Ici, on n'embauche aucun catholique, aucune femme ni aucun Noir». [. . .] D'autre part, il y a le concept de la discrimination par suite d'un effet préjudiciable. Ce genre de discrimination se produit lorsqu'un employeur adopte, pour des raisons d'affaires véritables, une règle ou une norme qui est neutre à première vue et qui s'applique également à tous les employés, mais qui a un effet discriminatoire pour un motif prohibé sur un seul employé ou un groupe d'employés en ce qu'elle leur impose, en raison d'une caractéristique spéciale de cet employé ou de ce groupe d'employés, des obligations, des peines ou des conditions restrictives non imposées aux autres employés.
Dans le même arrêt, le juge McIntyre est arrivé à la conclusion connexe que l'animus n'est pas pertinent en matière de discrimination. On pourra conclure à la discrimination même s'il n'existe pas d'intention de discriminer.
Le deuxième aspect de la discrimination qui m'intéresse est moins une exigence du par. 15(1) qu'une tendance d'analyse qui se dégage de l'arrêt Andrews, précité, et qui a été précisée dans des arrêts ultérieurs. En examinant dans quelle mesure des personnes qui n'ont pas la citoyenneté et qui sont résidents permanents au Canada peuvent réclamer la protection du par. 15(1), le juge McIntyre a indiqué dans l'arrêt Andrews que ce groupe constitue «un bon exemple [. . .] d'une «minorité discrète et isolée»» (à la p. 183). En empruntant cette citation à la jurisprudence américaine, le juge McIntyre a fait ressortir la nécessité de situer dans son contexte l'analyse de la discrimination. Le juge Wilson a précisé cette ligne de pensée dans l'arrêt R. c. Turpin, [1989] 1 R.C.S. 1296, lorsqu'elle affirme (aux pp. 1331 et 1332):
Pour déterminer s'il y a discrimination pour des motifs liés à des caractéristiques personnelles d'un individu ou d'un groupe d'individus, il importe d'examiner non seulement la disposition législative contestée qui établit une distinction contraire au droit à l'égalité, mais aussi d'examiner l'ensemble des contextes social, politique et juridique. [. . .] En conséquence, ce n'est qu'en examinant le contexte général qu'une cour de justice peut déterminer si la différence de traitement engendre une inégalité ou si, au contraire, l'identité de traitement engendre, à cause du contexte particulier, une inégalité ou présente un désavantage. À mon avis, la constatation d'une discrimination nécessitera le plus souvent, mais peut‑être pas toujours, de rechercher le désavantage qui existe indépendamment de la distinction juridique précise contestée.
Les arrêts Andrews et Turpin, précités, reconnaissent tous deux que la définition de base du terme «discrimination» établie dans Andrews n'est pas d'application automatique. En fait, à l'intérieur des paramètres analytiques établis par cette définition, notre Cour doit chercher «des signes de discrimination»: voir Turpin, à la p. 1333.
Dans l'arrêt R. c. Swain, [1991] 1 R.C.S. 933, le juge en chef Lamer a résumé la jurisprudence sur le par. 15(1) en des termes qui récapitulent les principaux éléments de l'analyse du par. 15(1) que j'ai exposés (à la p. 992):
La cour doit d'abord déterminer si le plaignant a démontré que l'un des quatre droits fondamentaux à l'égalité a été violé (i.e. l'égalité devant la loi, l'égalité dans la loi, la même protection de la loi et le même bénéfice de la loi). Cette analyse portera surtout sur la question de savoir si la loi fait (intentionnellement ou non) entre le plaignant et d'autres personnes une distinction fondée sur des caractéristiques personnelles. Ensuite, la cour doit établir si la violation du droit donne lieu à une "discrimination". Cette seconde analyse portera en grande partie sur la question de savoir si le traitement différent a pour effet d'imposer des fardeaux, des obligations ou des désavantages non imposés à d'autres ou d'empêcher ou de restreindre l'accès aux possibilités, aux bénéfices et aux avantages offerts à d'autres. De plus, pour déterminer s'il y a eu atteinte aux droits que le par. 15(1) reconnaît au plaignant, la cour doit considérer si la caractéristique personnelle en cause est visée par les motifs énumérés dans cette disposition ou un motif analogue, afin de s'assurer que la plainte correspond à l'objectif général de l'art. 15, c'est-à-dire corriger ou empêcher la discrimination contre des groupes victimes de stéréotypes, de désavantages historiques ou de préjugés politiques ou sociaux dans la société canadienne.
Avant de faire cette déclaration, le Juge en chef reconnaît qu'il serait mal avisé d'essayer de donner des définitions exhaustives pendant les débuts de l'interprétation du par. 15(1) (voir Turpin, précité, à la p. 1326). De la même manière, je dois signaler qu'en reprenant les points énoncés dans d'autres arrêts, je ne dis pas que ces points constituent un «critère» aux fins du par. 15(1). Je pense plutôt qu'il n'est pas nécessaire, compte tenu des faits en l'espèce, d'aller au‑delà de la conception d'égalité que je viens de résumer.
c) L'application du par. 15(1) de la Charte en l'espèce
L'appelante soutient qu'elle a été privée de l'égalité de bénéfice de la loi et, en outre, que cette inégalité constitue un acte de discrimination fondé sur le sexe. Plus particulièrement, compte tenu de l'interprétation que je donne à la Loi, l'appelante semble soutenir deux points connexes. Premièrement, elle semble soutenir qu'une déduction en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu peut être qualifiée de bénéfice dont elle peut être privée. Deuxièmement, elle semble soutenir que l'art. 63 de la Loi porte atteinte au par. 15(1) de la Charte dans la mesure où il l'empêche de déduire le plein montant de ses frais de garde d'enfants en vertu de l'art. 9. Les arguments de l'appelante se rapportent seulement à la partie des frais de garde d'enfants engagés après le 17 avril 1985, date d'entrée en vigueur du par. 15(1).
Il importe que je clarifie dès maintenant la façon dont j'interprète la contestation de l'appelante puisque le pivot de son argument concernant le par. 15(1) n'est pas du tout évident. Plus particulièrement, je dois examiner la qualification préliminaire des déductions de la Loi de l'impôt sur le revenu qui, selon l'appelante, sont des «bénéfices» équivalant à des «dépenses gouvernementales». Cette qualification fait implicitement appel au concept de la théorie fiscale appelé «dépense fiscale». Pour éviter que ce concept ne sème la confusion à l'égard de la contestation fondée sur le par. 15(1), je dois le commenter brièvement.
Dans son important ouvrage, Pathways to Tax Reform (1973), le professeur Stanley S. Surrey de Harvard a dit qu'une déduction s'écartant du régime fiscal normatif est, à de nombreux égards, l'équivalent logique d'une subvention gouvernementale directe. Ces déductions sont appelées «dépenses fiscales», et sont expliquées de la façon suivante (S. S. Surrey et P. R. McDaniel, Tax Expenditures (1985), à la p. 3):
[traduction] Le concept des dépenses fiscales pose comme postulat qu'un impôt sur le revenu se compose de deux éléments distincts. Le premier élément comprend des dispositions structurelles nécessaires à la mise en {oe}uvre d'un impôt normal, comme la définition de revenu net, l'établissement des règles comptables, la détermination des entités imposables, des taux d'impôt et des exemptions, et l'application de l'impôt aux opérations internationales. Ces dispositions visent les aspects perception dans le régime fiscal. Le deuxième élément comprend les préférences spéciales que l'on retrouve dans tout régime d'impôt sur le revenu. Ces dispositions, souvent appelées stimulants fiscaux ou subventions fiscales, s'écartent de la structure fiscale normale et sont conçues pour favoriser des industries, des activités ou des catégories de personnes particulières. Elles prennent de nombreuses formes, comme les exclusions permanentes de revenus, les déductions, les reports d'impôt, les crédits d'impôt ou les taux spéciaux. Quelle qu'en soit la forme, ces écarts par rapport à la structure fiscale normative représentent des dépenses gouvernementales en faveur d'activités ou de groupes, par l'intermédiaire du régime fiscal plutôt que par la voie de subventions, de prêts ou d'autres types directs d'aide gouvernementale.
À mon avis, qualifier initialement la déduction des frais de garde d'enfants de dépense fiscale en l'espèce peut soulever des problèmes. Pour considérer la déduction des frais de garde d'enfants comme une dépense gouvernementale au sens de l'extrait que je viens de citer, il faut conclure que la déduction est autorisée en dehors du régime fiscal normatif, régime qui interdit directement la déduction. Si l'on poursuit ce raisonnement, il semble qu'il n'y a plus alors une seule contestation fondée sur la Charte, mais deux: une première concernant la dépense à titre de bénéfice, l'autre concernant la structure du régime normatif.
Toutefois, en l'espèce, mon analyse des principes d'interprétation des lois ne comporte aucune tentative de déterminer si l'art. 63 fait partie du régime fiscal normatif ou non. En fait, le but d'une telle détermination ne relève pas du domaine juridique, mais du domaine de la théorie fiscale. Au lieu de cela, j'ai simplement conclu que l'art. 63 crée un code complet à l'égard des frais de garde d'enfants. En conséquence, à mon avis, un seul argument fondé sur la Charte peut être invoqué en l'espèce, et cet argument doit être axé sur l'art. 63.
Je reconnais que le législateur, en adoptant l'art. 63, a choisi de dissocier les frais de garde d'enfants des dispositions traditionnellement considérées comme faisant partie [traduction] «des aspects perception dans le régime fiscal»: Surrey et McDaniel, op. cit., à la p. 3. En d'autres termes, par l'art. 63, le législateur a choisi de ne pas s'occuper de l'interprétation donnée à l'art. 9 et aux al. 18(1)a) et 18(1)h), qui a traditionnellement été d'exclure les frais de garde d'enfants. Au lieu de cela, le législateur a choisi d'établir un régime distinct pour ces frais de garde. Ce régime étant établi par l'art. 63, la question pertinente n'est pas de savoir si les mesures gouvernementales auraient théoriquement dû se rattacher aux prétendues dispositions normatives existant ailleurs dans la Loi, puisque la Loi ne traite nulle part de classifications normatives ou de classifications de dépenses fiscales. Il n'existe pas de «droit» garanti par la Charte qui exige que la Loi désigne une déduction particulière comme «déduction à titre de dépense d'entreprise». Le seul droit tient à la nécessité de veiller à ce que la réponse systémique de la Loi à la question des frais de garde d'enfants soit compatible avec la Charte.
À cet égard, je suis d'accord avec la description qui suit de l'incidence du concept de la dépense fiscale dans le cadre d'une analyse fondée sur la Charte (Woodman, «Some Modest Proposals», loc. cit., à la p. 386):
[traduction] L'analyse fondée sur les dépenses fiscales se fonde sur le concept d'un régime fiscal normatif. En d'autres termes, les dépenses fiscales sont des écarts par rapport à quelque chose; c'est‑à‑dire l'aspect perception du régime fiscal. C'est le talon d'Achille du concept: il n'est pas facile de décider ce qui fait partie du régime fiscal normatif . . .
L'analyse fondée sur les dépenses fiscales ne résout pas les problèmes propres aux contestations du régime fiscal fondées sur la Charte. Toutefois, elle aide à préciser le débat. [Je souligne.]
Comme y fait allusion cette citation, il pourrait être utile, à une certaine étape d'une analyse de l'imposition du revenu fondée sur la Charte, de revenir à la notion qu'une déduction peut être considérée comme un type de dépense, puisqu'elle permet d'examiner l'approche globale du gouvernement relativement aux dépenses connexes. Toutefois, cet examen n'est pas le premier problème à régler dans une analyse fondée sur le par. 15(1) de la Charte. Comme nous le verrons, il est préférable qu'un tel examen se fasse dans le cadre d'une analyse fondée sur l'article premier.
Ces brefs commentaires clarifieront, je l'espère, l'axe d'analyse de la contestation fondée sur la Charte présentée par l'appelante. Pour commencer, on peut reformuler la question relative au par. 15(1) de la Charte. Puisque notre Cour examine une disposition d'une loi fédérale, il n'y a pas de doute qu'il existe une «loi», soit l'art. 63, au sens du par. 15(1): Andrews, précité, à la p. 164. La question pertinente est alors la suivante: l'art. 63 de la Loi porte‑t‑il atteinte au droit à l'égalité garanti par le par. 15(1) de la Charte?
Comme le démontre le résumé que j'ai fait de la jurisprudence du par. 15(1), la réponse à cette question se fait en plusieurs étapes. Premièrement, il faut déterminer si l'art. 63 crée une inégalité: l'art. 63 établit‑il (intentionnellement ou non) une distinction entre l'appelante et d'autres personnes, qui est fondée sur des caractéristiques personnelles? Deuxièmement, s'il y a inégalité, la Cour doit déterminer si cette inégalité donne lieu à une discrimination: la distinction établie par l'art. 63 a‑t‑elle pour effet d'imposer des fardeaux, des obligations ou des désavantages non imposés à d'autres ou d'empêcher ou de restreindre l'accès à des possibilités, bénéfices et avantages offerts à d'autres? Enfin, s'il y a à la fois inégalité et discrimination, il faut déterminer, aux fins du par. 15(1) de la Charte, si la caractéristique personnelle en cause est un motif énuméré ou un motif analogue.
Quant à savoir si l'art. 63 crée une distinction, le libellé de l'art. 63 doit être dissocié de son effet. De toute évidence, le libellé de cette disposition ne comporte pas de termes qui limitent expressément la déduction des frais de garde d'enfants aux membres d'un sexe ou de l'autre. En fait, par souci de simplicité, compte tenu des exigences multiples de l'art. 63, je peux affirmer que cet article crée, d'après sa formulation, une distinction entre les personnes qui assument les frais d'entretien d'un enfant admissible et les personnes qui ne sont pas dans cette situation. Je tiens à signaler que le juge de première instance a examiné le par. 15(1) de la Charte du point de vue des «caractéristiques personnelles que sont le sexe et l'état familial ou parental» (p. 84), mais que l'appelante a en fait restreint son argumentation devant notre Cour à l'argument fondé sur le sexe seulement. À première vue, la distinction créée par l'art. 63 n'est pas fondée sur la caractéristique personnelle invoquée par l'appelante, savoir le sexe.
Toutefois, quel est l'effet de la distinction créée par l'art. 63? Cet article a‑t‑il pour effet d'établir une distinction fondée sur le sexe? Plus précisément, compte tenu de la façon dont a été formulé le présent pourvoi, l'art. 63 a‑t‑il un effet préjudiciable sur les femmes qui doivent payer des frais de garde d'enfants pour leur permettre de gagner un revenu d'entreprise?
La documentation abondante présentée à notre Cour démontre de façon concluante que les femmes assument une part disproportionnée du fardeau de la garde des enfants au Canada. Par exemple, en première instance, le témoin expert a fait ressortir ce point et a affirmé que ce fardeau est disproportionné, que la femme travaille ou non à l'extérieur du foyer. De même, Statistique Canada rapporte que les hommes qui travaillent sont principalement responsables de la garde des enfants dans 6 pour 100 des familles seulement: S. Crompton, «Qui s'occupe des enfants lorsque la mère travaille à l'extérieur?, dans Statistique Canada, L'Emploi et le revenu en perspective, vol. 3, no 2 (été 1991), à la p. 72. De même, on a fait remarquer que «la plupart des femmes, même celles ayant des enfants en très bas âge, sont maintenant actives» et «qu'au moins 70 % des mères occupées ayant des enfants de moins de six ans travaillent à temps plein»: D. S. Lero, et autres, Étude nationale canadienne sur la garde des enfants: les régimes de travail des parents et leurs besoins en matière de garde des enfants (1992), à la p. 24.
D'autres documents soumis à notre Cour indiquent la même chose dans le cas des femmes entrepreneures, plus particulièrement, les avocates. Il vaut la peine de signaler à ce sujet l'étude intitulée Une cage de verre: les entrepreneures au Canada (M. Belcourt, R. J. Burke et H. Lee‑Gosselin (Conseil consultatif canadien sur la situation de la femme, 1991), qui a conclu que la plupart des femmes entrepreneures sont principalement responsables de l'éducation et de la garde des enfants. Par ailleurs, j'ai déjà fait allusion aux résultats d'enquête obtenus par le Barreau du Haut‑Canada. D'après ces résultats, les avocates consacrent en moyenne 48,82 heures par semaine à la garde des enfants, comparativement à 21,38 heures pour leur conjoint: Transitions, op. cit., à la p. 47. En d'autres termes, les avocates ont aussi la responsabilité principale du soin des enfants, nonobstant leur situation professionnelle.
À partir de ces renseignements ‑‑ et même par connaissance d'office de cette question ‑‑ il n'y a pas de doute que les femmes assument une part disproportionnée des coûts sociaux de la garde des enfants. Toutefois, la question soulevée par le par. 15(1) ne vise pas à déterminer si la société impose ou non aux femmes ces coûts. Du point de vue du par. 15(1), il faut plutôt déterminer si l'art. 63 de la Loi a un effet préjudiciable sur les femmes en ce qu'il crée de façon non intentionnelle une distinction fondée sur le sexe. À mon avis, pour établir cet effet, il ne suffit pas pour l'appelante d'établir que les femmes assument une part disproportionnée de la garde des enfants dans la société. Elle doit plutôt démontrer que les femmes paient une part disproportionnée des frais de garde d'enfants. C'est seulement si les femmes paient une part disproportionnée de ces frais que l'art. 63 peut avoir un effet quelconque, puisque le seul effet de cette disposition est de limiter le montant de la déduction fiscale à cette fin.
Malheureusement, les faits en l'espèce ont tendance à masquer le problème de l'appelante par rapport au par. 15(1). Comme je l'ai déjà dit dans mon analyse, l'appelante et son époux ont pris une «décision de famille» selon laquelle c'était l'appelante seule qui devait assumer le fardeau financier des enfants. Si, par extrapolation, on pouvait affirmer que les femmes, beaucoup plus souvent que les hommes, paient les frais de garde d'enfants, les limites imposées par l'art. 63 pourraient bien créer l'effet préjudiciable que l'appelante doit démontrer. Toutefois, il est difficile de concevoir comment ces statistiques pourraient se présenter. J'affirme cela parce que ni la loi ni l'ordre public n'exigent que l'appelante et son époux prennent la «décision de famille» qu'ils ont prise. Dans les dispositions du Code criminel auxquelles j'ai fait allusion, en droit familial contemporain et, plus particulièrement, dans la définition de «personne assumant les frais d'entretien» à l'al. 63(3)d) de la Loi, on considère que les parents (et en particulier les parents qui vivent avec des enfants) ont une responsabilité légale conjointe de la garde des enfants. En conséquence, dans la plupart des foyers où plus d'une personne assume les frais d'entretien, indépendamment des «décisions de famille», la loi impose une obligation de partager les frais de garde d'enfants, sinon nécessairement l'obligation de partager la responsabilité de l'entretien des enfants.
Autrement dit, je crois que l'appelante a présenté à notre Cour des éléments de preuve quant au fardeau social de la garde des enfants, et qu'elle demande que nous inférions, à partir de ce fardeau, qu'une charge positive en matière de frais de garde d'enfants est également imposée directement aux femmes, plus particulièrement aux femmes d'affaires, y compris les femmes d'affaires mariées. Je tiens à citer le commentaire suivant qui est tiré du rapport Abella sur l'égalité en matière d'emploi (R. S. Abella, Rapport de la Commission sur l'égalité en matière d'emploi (1984), à la p. 195):
Selon le droit canadien, il incombe aux deux parents de prendre soin des enfants. Toutefois, selon la coutume, c'est la mère qui s'est toujours vu attribuer cette responsabilité. Par conséquent, c'est sur elle que retombe la culpabilité ou qui est critiquée par la société lorsqu'elle se joint à la population active. Et c'est elle qui habituellement a la responsabilité morale de faire garder les enfants et de prendre les dispositions nécessaires.
Pour que l'analyse des effets préjudiciables soit cohérente, il ne faut pas présumer qu'une disposition législative possède un effet qui n'est pas prouvé. Nous devons prendre soin d'établir une distinction entre les effets qui sont causés en totalité ou en partie par une disposition contestée et les circonstances sociales qui existent indépendamment de la disposition en question. En l'espèce, cela signifie qu'il faut savoir que l'art. 63 définit les frais de garde d'enfants comme une dépense réelle. Pour démontrer l'existence d'une distinction fondée sur le sexe à l'intérieur d'une analyse des effets préjudiciables, il faut donc prouver que l'art. 63 limite d'une façon disproportionnée les déductions au titre des dépenses réelles engagées par les femmes.
À mon avis, la contribuable appelante n'a pas réussi à établir que l'art. 63 avait créé un effet préjudiciable ou y avait contribué; cependant, elle a fort bien établi comment la question de la garde des enfants a, du point de vue de l'emploi, un effet négatif sur les femmes. Malheureusement, la preuve que les femmes paient les coûts sociaux ne suffit pas à établir que ce sont elles qui paient les frais de garde d'enfants. Ces coûts sociaux, quoique très réels, existent indépendamment de la Loi. Notre régime fiscal ne reconnaît pas certains types de revenus théoriques; de la même façon, il ne vise pas non plus les dépenses théoriques quelle qu'en soit la forme. À cet égard, l'argumentation dans le présent pourvoi ne visait pas à prétendre que le gouvernement avait, avant d'assujettir ses citoyens à l'impôt, l'obligation positive de tenir compte des coûts sociaux de la garde des enfants. Une telle supposition entraînerait notre Cour à examiner des questions qui dépassent de beaucoup le cadre du pourvoi.
En conséquence, je conclus que l'appelante n'a pas été en mesure de démontrer que l'art. 63 de la Loi constituait une violation du par. 15(1) de la Charte, puisqu'elle n'a pas prouvé que cet article établit une distinction fondée sur la caractéristique personnelle que constitue le sexe. Toutefois, en arrivant à cette conclusion, je tiens à préciser que je ne dis pas qu'une telle distinction ne pourrait pas être établie dans un autre cas. L'appelante appartient à un sous‑groupe particulier de femmes, celui des femmes mariées entrepreneures. Il est important de comprendre que c'est sur cet aspect qu'elle a axé ses éléments de preuve.
Je tiens à faire remarquer qu'un aspect curieux du pourvoi tient à ce que le pourvoi de l'appelante est axé sur la situation des travailleuses indépendantes à l'exclusion des femmes ayant un revenu d'emploi. Il est utile de signaler le commentaire du professeur Macklin, loc. cit., à la p. 512:
[traduction] Si l'article 15 vise dans ce contexte à remédier à l'incidence discriminatoire des lois fiscales sur les membres des groupes défavorisés, il n'existe aucun prétexte pour limiter l'examen au paragraphe 18(1) de la Loi ou les réparations aux femmes d'affaires. En ce qui concerne les déductions fiscales, la véritable question serait l'insuffisance de la déduction partielle prévue à l'article 63 quand il s'agit de faciliter l'accès des travailleuses indépendantes et salariées au marché du travail rémunéré. [. . .] Le fait qu'une femme soit qualifiée de travailleuse indépendante ou salariée n'a aucune importance lorsqu'il faut déterminer si le régime existant perpétue un état de subordination. [En italique dans l'original.]
C'est certainement la juxtaposition du par. 8(2) et de l'art. 9 de la Loi qui a amené l'appelante à prendre la position qu'elle a adoptée. En vertu du par. 8(2) de la Loi, il est généralement interdit aux employés de faire des déductions sur un revenu d'emploi. C'est pourquoi l'appelante a jugé souhaitable en l'espèce de particulariser sa situation par rapport à celle des personnes ayant un revenu d'emploi. Lorsqu'on examine ses arguments à partir des principes d'interprétation des lois, ce raisonnement est compréhensible. Lorsque l'on se fonde sur la Charte, il l'est moins.
Dans un autre contexte, un sous‑groupe différent de femmes, qui présenterait des éléments de preuve différents relativement à l'art. 63, pourrait bien arriver à démontrer les effets préjudiciables exigés par le par. 15(1). Par exemple, bien que je ne désire pas exprimer d'opinion sur ce sujet, je remarque que l'on ne s'est pas efforcé en l'espèce de faire ressortir la situation des mères célibataires. Si, par exemple, on pouvait démontrer que plus de femmes que d'hommes sont chefs de familles monoparentales, on peut imaginer que l'analyse des effets préjudiciables concernant la situation des mères célibataires pourrait bien avoir un cheminement différent, puisque les frais de garde d'enfants incomberaient alors, dans une mesure disproportionnée, à des femmes. Il s'agirait d'une question de preuve, susceptible de soulever d'autres questions complexes se rattachant aux dispositions alimentaires de la Loi. Notre Cour n'a pas eu l'avantage d'entendre des arguments relativement à ces questions.
De même, les documents déposés devant notre Cour démontrent que l'art. 63 crée certaines distinctions; toutefois, on n'a pas tenté d'établir un lien entre ces distinctions et les caractéristiques personnelles visées dans l'analyse des motifs énumérés ou analogues relativement au par. 15(1) de la Charte. À cet égard, je cite un extrait du Rapport du Groupe d'étude sur la garde des enfants, op. cit., (à la p. 202) qui parle des limites du revenu gagné visé à l'art. 63:
Ces limites pénalisent les familles où l'un des conjoints, que ce soit de façon régulière ou intermittente, ne gagne qu'un revenu très modique. Ces mesures touchent principalement les femmes qui travaillent à temps partiel et dont les gains sont faibles, les gens d'affaires qui subissent des pertes commerciales à court terme et les agriculteurs qui subissent une perte de revenus ou traversent une période de faibles revenus. [. . .] Même si l'autre conjoint a gagné un revenu, aucune déduction n'est permise, car seul le conjoint dont le revenu est le moins élevé peut se prévaloir de la déduction.
Dans la mesure où ce passage traite d'une distinction à l'art. 63 entre les parents et d'autres, je tiens à répéter que, devant notre Cour, l'appelante, dans son argument fondé sur l'égalité, a écarté en fait la pertinence d'une distinction fondée sur l'état parental. On peut en dire autant des gens d'affaires qui subissent une perte et des agriculteurs. Enfin, dans la mesure où cet extrait parle d'un effet des mesures en question sur «les femmes qui travaillent à temps partiel et dont les gains sont faibles» et, en conséquence, semble indiquer un effet sur les femmes en tant que catégorie, j'ai deux commentaires.
Premièrement, affirmer que l'on refuse plus souvent aux femmes la déduction visée à l'art. 63 est reconnaître une réalité: lorsque deux personnes dans un ménage assument les frais d'entretien, la femme est beaucoup plus souvent celle qui a le revenu le moins élevé. Bien que ces deux personnes participent aux frais réels de garde des enfants, la déduction est alors refusée à la femme du fait de son revenu moins élevé. En ce sens alors, la femme est plus souvent «touchée» par l'art. 63. Toutefois, cette façon de décrire l'art. 63 ne revient pas à admettre que l'art. 63 a un «effet préjudiciable» qui subordonne les femmes. Comme je l'indiquais précédemment, refuser la déduction à la femme ne ferait qu'exagérer une inégalité sociale si c'est la femme qui a assumé la plus grande partie des frais de garde des enfants. Puisqu'il manque, comme je l'ai déjà indiqué, des éléments de preuve sur ce point, la seule distinction évidente est celle qui repose sur l'état parental, et, comme je viens de le mentionner, l'argumentation de l'appelante revenait à exclure les moyens fondés sur l'état parental.
Mon deuxième commentaire découle du premier. Si l'on accepte que deux personnes assumant les frais d'entretien contribuent financièrement aux frais de garde d'enfants, l'art. 63, en refusant une déduction par application de la limite du revenu gagné, n'entraînera pas toujours un préjudice. Par exemple, dans le cas des familles où la femme occupe un emploi à temps partiel lui procurant un revenu peu élevé, l'art. 63 peut reconnaître dans une certaine mesure «la préférence non imposée que le système fiscal accorde au revenu familial imputé hors-marché assuré par les épouses non rémunérées»: Rapport du Groupe d'étude sur la garde des enfants, op. cit., à la p. 346. D'après ce raisonnement, la limite en fonction du revenu gagné mettrait en évidence une situation d'inégalité dans le cas de familles possédant un revenu global peu élevé. On pourrait soutenir que ces familles se verraient privées de la déduction visée à l'art. 63 dans un cas de besoin démontré. Les arguments fondés sur la Charte en l'espèce n'ont en aucune façon tenté de traiter de la situation des Canadiens à revenus peu élevés.
Après avoir examiné ainsi la façon dont le par. 15(1) a été invoqué en l'espèce, il est juste d'ajouter quelques commentaires quant au reste de l'analyse fondée sur le par. 15(1), à laquelle il n'est pas, à strictement parler, nécessaire de procéder. Comme le laissent entendre les commentaires que je viens de faire sur les mères célibataires, si j'étais convaincu que l'art. 63 a un effet préjudiciable sur certaines femmes (par exemple, en l'espèce, les travailleuses indépendantes), je ne serais pas préoccupé par le fait que toutes les femmes ne se trouvent pas à subir cet effet préjudiciable. Mon examen de la jurisprudence montre clairement qu'un effet préjudiciable subi par un sous‑groupe de femmes peut quand même constituer une discrimination: Brooks c. Canada Safeway Ltd., précité; Janzen c. Platy Enterprises Ltd., [1989] 1 R.C.S. 1252; voir aussi Schachtschneider c. Minister of National Revenue (1993), 154 N.R. 321 (C.A.F.), le juge Linden.
Dans l'arrêt Brooks c. Canada Safeway Ltd., il fallait décider si un régime d'assurance maladie qui privait les femmes enceintes de certaines prestations créait une discrimination fondée sur le sexe. De toute évidence, toutes les femmes ne deviennent pas enceintes et elles ne le sont pas toutes en même temps. Néanmoins, on a conclu qu'il y avait discrimination fondée sur le sexe. Le juge en chef Dickson affirmait (à la p. 1247):
Quoique la discrimination fondée sur la grossesse ne puisse frapper qu'une partie d'un groupe identifiable, elle ne peut frapper personne en dehors de ce groupe. Un grand nombre, sinon la majorité, des cas de discrimination partielle possèdent cette caractéristique.
De même, dans l'arrêt Janzen c. Platy Enterprises, précité, on a statué que le harcèlement sexuel constituait une discrimination fondée sur le sexe, même si l'auteur du harcèlement n'harcèle pas uniformément toutes les femmes. Le juge en chef Dickson exprime ce point de vue de la façon suivante (aux pp. 1288 et 1289):
Bien que le concept de discrimination trouve sa source dans le traitement accordé à un particulier en raison de son appartenance à un groupe plutôt qu'en raison de ses caractéristiques personnelles, il n'est pas nécessaire, pour qu'il y ait discrimination, que tous les membres du groupe concerné soient traités de la même façon. Il suffit que l'attribution d'une caractéristique du groupe visé à un de ses membres en particulier constitue un facteur du traitement dont il fait l'objet. S'il fallait, pour conclure à la discrimination, que tous les membres du groupe visé soient traités de façon identique, la protection législative contre la discrimination aurait peu ou pas de valeur.
À mon avis, s'il était possible d'établir dans un autre cas que l'art. 63 de la Loi a un effet préjudiciable sur un certain groupe de femmes, cet article serait discriminatoire pour un motif fondé sur le sexe, selon les arrêts Brooks et Janzen, précités. À certains égards, cela semble un résultat général, dans la mesure où le fondement de la discrimination n'est pas particularisé au‑delà du «sexe». Toutefois, conclure qu'il y a discrimination fondée sur le sexe n'aura pas nécessairement des effets généraux. Il faut toujours examiner si la disposition discriminatoire peut se justifier en vertu de l'article premier de la Charte. En supposant qu'elle ne puisse l'être, il semble évident que l'on pourrait, dans le cas où une disposition préjudicie quelques femmes seulement, concevoir des réparations visant seulement le sous‑groupe préjudicié, et non toutes les femmes.
En plus de reconnaître les questions que pourraient soulever les réparations, je tiens à préciser que conclure que l'art. 63 établit une distinction fondée sur le sexe impliquerait un élément que l'on ne retrouve ni dans Brooks ni dans Janzen. Alors que dans l'arrêt Brooks on a fait remarquer que «seules les femmes ont la possibilité de devenir enceintes» (à la p. 1242) et que, dans l'arrêt Janzen, on a précisé que «seules les employées étaient exposées au harcèlement sexuel» (à la p. 1290), dans un cas nécessitant une analyse des effets préjudiciables relativement à l'art. 63 de la Loi, on pourrait faire ressortir qu'une limite de la déduction pour frais de garde d'enfants pourrait avoir une incidence négative tant sur les hommes que sur les femmes.
Cela étant, il importe maintenant de se rendre compte qu'il existe une différence entre l'identification de personnes subissant l'effet défavorable d'une disposition et la démonstration qu'un groupe ou un sous‑groupe subit un effet préjudiciable en droit en raison d'une disposition contestée. Comme je l'ai déjà fait remarquer, la preuve de l'inégalité est un processus comparatif: Andrews, précité. Si un groupe ou un sous‑groupe de femmes pouvait prouver l'effet préjudiciable requis, la preuve proviendrait d'une comparaison avec le groupe d'hommes pertinent. En conséquence, bien qu'une disposition contestée puisse avoir une incidence négative sur des hommes pris individuellement, ceux‑ci ne feraient pas partie d'un groupe ou sous‑groupe d'hommes en mesure de prouver l'effet préjudiciable requis. En d'autres termes, seulement des femmes pourraient soutenir qu'il y a effet préjudiciable, ce qui est entièrement compatible avec les énoncés formulés dans l'arrêt Brooks, précité, savoir que «seules les femmes ont la possibilité de devenir enceintes» (à la p. 1242).
Prenons ce point sous un autre angle: si l'art. 63 créait un effet préjudiciable sur les femmes (ou un sous‑groupe) par rapport aux hommes (ou un sous‑groupe), l'étape initiale de l'analyse fondée sur le par. 15(1) serait satisfaite: il se trouverait à exister une distinction fondée sur la caractéristique personnelle que constitue le sexe. Toutefois, au deuxième stade de l'analyse fondée sur le par. 15(1), la distinction fondée sur le sexe ne pourrait être discriminatoire qu'à l'endroit des femmes ou des hommes, et non pas des deux. Le demandeur devrait établir si la distinction «a pour effet d'imposer des fardeaux, des obligations ou des désavantages non imposés à d'autres ou d'empêcher ou de restreindre l'accès aux possibilités, aux bénéfices et aux avantages offerts à d'autres» (voir l'arrêt Swain, précité, à la p. 992). En toute logique, le fardeau ou l'avantage ne pourrait exister à la fois pour les femmes et les hommes. De même, si un tribunal pouvait entreprendre la recherche plus large d'un «désavantage qui existe indépendamment de la distinction juridique précise contestée» (arrêt Turpin, précité, à la p. 1332), je ne peux voir comment ce désavantage pourrait exister à la fois pour les hommes et les femmes.
d) Conclusions quant au par. 15(1) de la Charte
Vu l'orientation de la preuve en l'espèce, je conclus que l'appelante n'a pas établi que l'art. 63 de la Loi comporte une distinction entre les hommes et les femmes, comme l'exige la contestation fondée sur l'égalité qu'elle a engagée en vertu du par. 15(1) de la Charte. En conséquence, on n'a pas établi en l'espèce que les limites des déductions pour frais de garde d'enfants sont inconstitutionnelles. La nouvelle cotisation de Revenu Canada quant aux déductions de l'appelante pour l'année d'imposition 1985 est confirmée.
3. Conclusions quant à l'article premier de la Charte
Bien que de nombreuses questions complexes soient soulevées dans le présent pourvoi, je conclus qu'il doit être rejeté puisque la preuve présentée ne suffit pas à appuyer la position de l'appelante. Toutefois, j'estime devoir ajouter à cette conclusion certaines remarques quant au type de preuve nécessaire dans ce type de dossier, et à la nature de la discrimination fondée sur le sexe dans le cadre d'une affaire portant sur des effets préjudiciables entraînés par la Loi de l'impôt sur le revenu. Pour clore la discussion, il pourrait être utile d'ajouter deux remarques relativement à l'article premier de la Charte, quoiqu'il ne soit pas nécessaire de l'appliquer en l'espèce et que je n'aie pas l'intention de procéder à une véritable analyse fondée sur l'article premier.
Premièrement, je tiens à exprimer certaines préoccupations quant à la façon dont l'intimée a présenté son argumentation relative à l'article premier. Certes, il incombe au gouvernement d'établir qu'une violation de la Charte constitue une limite raisonnable dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique: R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103, aux pp. 136 et 137. Bien que divers documents aient été présentés à notre Cour aux fins d'une analyse fondée sur l'article premier (les livres blancs, le compte rendu officiel des débats et des rapports sur la garde des enfants mentionnés devant la Cour d'appel fédérale), la plupart ne se rapportaient pas spécifiquement à l'article premier de la Charte. Ces documents visaient plutôt à établir un contexte d'interprétation de la Loi. Comme l'a souligné notre Cour dans l'arrêt Schachter c. Canada, [1992] 2 R.C.S. 679, à la p. 695, les tribunaux ne devraient pas être devant un vide factuel lorsqu'il faut déterminer l'objectif législatif de la disposition attaquée.
Toutefois, même après avoir exprimé ce point de vue, je dois faire une deuxième observation sur l'analyse de l'objectif législatif en vertu de l'article premier de la Charte. Comme je l'ai précisé au début de mon analyse fondée sur le par. 15(1), l'appelante, dans le cadre de ses arguments fondés sur la Charte, n'a pas envisagé l'importance de considérer l'art. 63 comme une réponse complète à la question des frais de garde d'enfants. À mon avis, en procédant ainsi, l'appelante s'est trouvée à présenter ses arguments d'une façon curieusement isolée. On nous a demandé d'examiner la Charte par rapport aux travailleuses indépendantes seulement; on a aussi indiqué qu'une réparation pourrait être accordée sans qu'il soit nécessaire d'examiner la situation d'autres femmes ou d'autres parents, ni l'ensemble des mesures gouvernementales relatives aux besoins de garde d'enfants.
Au lieu d'examiner comment l'art. 63 de la Loi crée un régime relatif aux frais de garde d'enfants, le présent pourvoi a mis l'accent seulement sur le bien‑fondé d'un résultat fractionné. On a invité notre Cour à utiliser la Charte pour remédier à un désavantage allégué des femmes d'affaires par rapport aux hommes d'affaires et, de ce fait, à ne pas considérer l'incidence d'une déduction complète sur le reste du système. Toutefois, à l'étape de l'analyse fondée sur l'article premier de la Charte, une telle analyse fractionnée ne convient pas. Pour bien examiner la validité des objectifs législatifs dans un cas comme en l'espèce, il importe d'examiner à la fois l'effet de la Loi dans son ensemble ainsi que l'effet d'autres régimes gouvernementaux sur la garde des enfants.
En ce qui concerne la Loi, il est certainement pertinent d'examiner comment les déductions fiscales touchent la catégorie des contribuables qui ont besoin d'aide relativement à la garde d'enfants. Je fais allusion au fait bien connu que les déductions fiscales agissent à titre de subventions inversées. Cet aspect des déductions est fort bien examiné dans le Rapport du Groupe d'étude sur la garde des enfants (loc. cit., à la p. 196):
. . . comme la valeur de la déduction dépend du taux d'imposition marginal le plus élevé du contribuable, la valeur de la déduction est plus intéressante pour les personnes qui touchent des revenus élevés que pour celles qui touchent des revenus modiques; il s'agit là d'une caractéristique marquante d'une mesure fiscale régressive. En fait, et cela est surprenant, la déduction semble reposer sur le principe que la nécessité de cette déduction augmente proportionnellement au revenu. Par ailleurs, la déduction n'est d'aucun avantage aux personnes qui, n'ayant pas gagné de revenus suffisants, n'ont pas d'impôt à payer, même si ce sont elles qui en ont le plus besoin.
Le Groupe d'étude sur la garde des enfants n'a pas recommandé que l'élaboration d'un système de garde des enfants prévoie une assistance sous forme de mesures fiscales, mais il a recommandé que dans l'intervalle les limites actuelles des déductions pour frais de garde demeurent inchangées: op. cit., à la p. 437. À mon avis, il serait plutôt étrange que notre Cour lève la limite de la déduction pour frais de garde, sans même tenir compte des désavantages très réels des déductions fiscales sur le plan de l'égalité.
De même, je ne crois pas que notre Cour puisse correctement examiner la déduction fiscale pour frais de garde d'enfants sans se pencher sur toute la gamme des mesures gouvernementales relatives à la famille et à la garde des enfants. Si l'on établit que l'art. 63 entraîne des inégalités, il doit certainement être pertinent d'examiner dans quelle mesure d'autres programmes gouvernementaux répondent à ces inégalités. Je ne veux pas laisser entendre qu'il existe au Canada un ensemble exhaustif de mesures en matière de garde d'enfants, ni que les tribunaux doivent seulement organiser les pièces du casse‑tête fort compliqué de la garde des enfants. En fait, je veux tout simplement reconnaître qu'il faut le plus possible situer dans le contexte approprié les mesures fiscales en matière de frais de garde d'enfants lorsqu'il s'agit de déterminer si une apparente inégalité révèle un objectif législatif justifiable de beaucoup plus grande envergure.
Compte tenu de ces brefs commentaires, j'estime inutile de pousser davantage l'analyse en vertu de l'article premier de la Charte ou d'examiner le bien‑fondé de la contestation fondée sur le par. 15(1) en l'espèce.
VI. Conclusion
Pour les motifs qui précèdent, je conclus que les frais de garde d'enfants sont déductibles seulement en vertu de l'art. 63 de la Loi, et que l'art. 63 représente une réponse systémique à la question de la garde des enfants du point de vue fiscal. En ce qui concerne les questions constitutionnelles, je conclus qu'on n'a pas établi en l'espèce la violation de l'art. 15 de la Charte, et plus particulièrement, la violation des droits à l'égalité de l'appelante par l'art. 63. Cela étant, il est inutile d'examiner la deuxième question constitutionnelle.
Je répondrais de la façon suivante aux questions constitutionnelles:
Question 1:Si les art. 9, 18 et 63 de la Loi de l'impôt sur le revenu ne se prêtent pas à une interprétation autre que celle selon laquelle il est impossible pour l'appelante de déduire tous ses frais de garde d'enfants à titre de dépense d'entreprise, l'un ou l'autre ou l'ensemble de ces articles, en tout ou en partie, portent‑ils atteinte aux droits garantis par l'art. 15 de la Charte canadienne des droits et libertés?
Réponse:Non.
Question 2:Dans la mesure où les articles de la Loi de l'impôt sur le revenu mentionnés ci‑dessus portent atteinte aux droits et libertés garantis par l'art. 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, sont‑ils justifiés par l'article premier de la Charte canadienne des droits et libertés et, par conséquent, conformes à la Loi constitutionnelle de 1982?
Réponse:Il n'est pas nécessaire de répondre à cette question.
Je suis d'avis de rejeter le pourvoi avec dépens et de confirmer les nouvelles cotisations du ministre qui rejetaient les déductions demandées par l'appelante.
Les motifs suivants ont été rendus par
Le juge L'Heureux‑Dubé (dissidente) ‑‑ Madame Elizabeth Symes est avocate et, en conséquence, femme d'affaires; elle est également mère de deux enfants. Au cours des années d'imposition de 1982 à 1985, elle a réclamé la déduction de ses frais de garde d'enfants à titre de «dépense d'entreprise» en vertu des dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, ch. 148 (la «Loi»). Le présent pourvoi porte sur l'interprétation de la Loi, plus particulièrement l'art. 9, les al. 18(1)a) et 18(1)h) et l'art. 63. Il nous oblige également à nous poser des questions fondamentales et complexes sur les principes d'égalité et de participation qui imprègnent nos concepts juridiques.
I. Les faits
Les faits pertinents peuvent être facilement résumés et ne sont pas contestés. Elizabeth Symes pratique la profession d'avocat et, pour pouvoir l'exercer, elle a engagé, entre 1982 et 1985, une gardienne d'enfants, Mme Simpson, pour s'occuper de ses deux enfants. Pour les années d'imposition 1982, 1983, 1984 et 1985, elle a déduit le salaire versé à Mme Simpson à titre de dépense d'entreprise. Le ministre du Revenu national (MRN) a refusé ces déductions tout en permettant une déduction révisée pour frais de garde d'enfants en vertu du par. 63(1) de la Loi, soit 1 000 $ à titre de dépense pour 1982, 2 000 $ pour les années 1983 et 1984 et une déduction de 4 000 $ pour 1985. Le MRN a refusé les déductions réclamées au motif que le salaire versé constituait des frais personnels ou des frais de subsistance en vertu de l'al. 18(1)h) de la Loi, et non un débours ou une dépense engagés en vue de tirer un revenu de l'entreprise ou de faire produire un revenu à l'entreprise en vertu de l'al. 18(1)a) de la Loi.
Madame Symes en a appelé des nouvelles cotisations auprès de la Section de première instance de la Cour fédérale. Le juge Cullen a conclu que les frais de garde d'enfants pouvaient être déduits à titre de dépense d'entreprise. L'intimée a porté cette décision en appel devant la Cour d'appel fédérale, laquelle a accueilli l'appel et rétabli les avis de nouvelle cotisation émis par le MRN.
II. Les dispositions législatives pertinentes
Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, ch. 148, modifiée:
3. Le revenu d'un contribuable pour une année d'imposition, aux fins de la présente Partie, est son revenu pour l'année, déterminé selon les règles suivantes:
a) en calculant le total des sommes qui constituent chacune le revenu du contribuable pour l'année [. . .] dont la source se situe à l'intérieur ou à l'extérieur du Canada, y compris, sans restreindre la portée générale de ce qui précède, le revenu tiré de chaque charge, emploi, entreprise et bien;
. . .
4. (1) Aux fins de la présente loi,
a) le revenu [. . .] d'un contribuable pour une année d'imposition, provenant d'une charge, d'un emploi, d'une entreprise, de biens ou d'une autre source [. . .] signifie le revenu [. . .] du contribuable, calculé conformément à la présente loi, en supposant que ce contribuable n'a eu, durant l'année d'imposition, aucun revenu [. . .] sauf ce qui provenait de cette source [. . .] et qu'il n'avait droit à aucune déduction lors du calcul de son revenu pour l'année d'imposition à l'exception des déductions qui peuvent raisonnablement être considérées comme entièrement applicables à cette source [. . .] et à l'exception de la partie de toutes autres déductions qui peut raisonnablement être considérée comme applicable à cette source . . .
(2) Sous réserve du paragraphe (3), pour l'application du paragraphe (1) aux fins de la présente Partie, aucune des déductions autorisées par les articles 60 à 63 n'est applicable, en totalité ou en partie, à une source déterminée . . .
. . .
(4) Sauf intention contraire évidente, aucune des dispositions de la présente Partie ne doit s'interpréter comme exigeant l'inclusion ou permettant la déduction, lors du calcul du revenu d'un contribuable pour une année d'imposition ou du revenu ou de la perte de ce contribuable pour une année d'imposition, provenant d'une source déterminée ou de sources situées dans un endroit déterminé, de toute somme dans la mesure où celle‑ci a été, selon le cas, incluse ou déduite lors du calcul de ce revenu ou de cette perte en conformité ou en vertu de toute autre disposition de la présente Partie.
9. (1) Sous réserve des dispositions de la présente Partie, le revenu tiré par un contribuable d'une entreprise ou d'un bien pour une année d'imposition est le bénéfice qu'il en tire pour cette année.
18. (1) Dans le calcul du revenu du contribuable, tiré d'une entreprise ou d'un bien, les éléments suivants ne sont pas déductibles:
a) un débours ou une dépense sauf dans le mesure où elle a été faite ou engagée par le contribuable en vue de tirer un revenu des biens ou de l'entreprise ou de faire produire un revenu aux biens ou à l'entreprise;
. . .
h) le montant des frais personnels ou frais de subsistance du contribuable, sauf les frais de déplacement (y compris la somme intégrale dépensée pour les repas et le logement) engagés par le contribuable alors qu'il était absent de chez lui, dans le cadre de l'exploitation de son entreprise;
63. (1) Sous réserve du paragraphe (2), il peut être déduit dans le calcul du revenu d'un contribuable pour une année d'imposition le total des montants dont chacun représente un montant payé dans l'année à titre ou au titre de frais de garde d'enfants pour un enfant admissible du contribuable pour l'année.
. . .
b) par le contribuable ou la personne assumant les frais d'entretien de l'enfant pour l'année . . .
dans la mesure où le montant
c) n'est pas inclus par un autre particulier dans le calcul du montant déductible en vertu du présent paragraphe,
d) n'est pas un montant (sauf un montant qui est inclus dans le calcul du revenu d'un particulier et qui n'est pas déductible dans le calcul de son revenu imposable) à l'égard duquel un particulier a droit, ou avait droit, à un remboursement ou à une autre forme d'aide,
et dont le paiement est établi en produisant auprès du Ministre un ou plusieurs reçus délivrés par le bénéficiaire du paiement et portant, lorsque celui‑ci est un particulier, le numéro d'assurance sociale de ce particulier; le total ne doit pas être supérieur à l'excédent éventuel
e) du moins élevé des montants suivants:
(i) $8,000,
(ii) le produit de $2,000 par le nombre d'enfants admissibles du contribuable pour l'année pour lesquels les frais de garde d'enfants ont été supportés, ou
(iii) 2/3 du revenu gagné par le contribuable pour l'année
sur
f) le total des montants dont chacun représente un montant déduit, à l'égard des enfants admissibles du contribuable visés au sous‑alinéa e)(ii), en vertu du présent paragraphe pour l'année par un particulier (autre que le contribuable) à qui le paragraphe (2) s'applique pour l'année.
. . .
(3) Dans le présent article
a) "frais de garde d'enfants" signifie tous frais engagés dans le but de faire assurer au Canada la garde de tout enfant admissible du contribuable, en le confiant à des services de garde d'enfants, notamment à une gardienne d'enfants, à une garderie ou en le plaçant dans un pensionnat ou dans une colonie de vacances, si les services étaient assurés
(i) pour permettre au contribuable, ou à la personne assumant les frais d'entretien de l'enfant pour l'année, qui résidait avec l'enfant au moment où les frais ont été engagés,
(A) de remplir les fonctions d'une charge ou d'un emploi,
(B) d'exploiter une entreprise, soit seul, soit comme associé participant activement à l'exploitation de l'entreprise,
. . .
b) "revenu gagné" d'un contribuable signifie le total
(i) des traitements, salaires et autre rémunération, y compris les gratifications, reçus par lui dans le cadre de charges ou d'emplois, et de toutes les sommes incluses dans le calcul de son revenu en vertu des articles 6 et 7,
(ii) des sommes incluses dans le calcul de son revenu, en vertu de l'alinéa 56(1)m), n) ou o), et
(iii) des revenus qu'il tire de toutes les entreprises qu'il exploite soit seul, soit comme associé participant activement à l'exploitation de l'entreprise;
c) "enfant admissible" d'un contribuable pour une année d'imposition désigne
(i) l'enfant du contribuable ou de son conjoint, ou
(ii) un enfant à l'égard duquel le contribuable a déduit un montant pour l'année en vertu de l'article 109,
si, à une date quelconque de l'année, l'enfant était âgé de moins de 14 ans ou était âgé de plus de 13 ans et était, en raison d'une infirmité physique ou mentale, à la charge du contribuable; et
d) "personne assumant les frais d'entretien" d'un enfant admissible d'un contribuable pour une année d'imposition désigne
(i) un parent de l'enfant,
(ii) le conjoint du contribuable, ou
(iii) un particulier qui a déduit un montant à l'égard de l'enfant pour l'année en vertu de l'article 109,
si le parent, le conjoint ou le particulier, selon le cas, a résidé avec le contribuable à une date quelconque au cours de l'année et à une date quelconque dans les 60 jours de la fin de l'année.
III. Les jugements
La Section de première instance de la Cour fédérale, [1989] 3 C.F. 59 (le juge Cullen)
En donnant gain de cause à l'appelante Symes, le juge de première instance a précisé qu'il faut, lorsqu'il s'agit de déterminer les dépenses qui doivent être considérées comme des dépenses d'entreprise dans le calcul des bénéfices d'entreprise, se demander si la dépense est conforme «aux principes ordinaires des affaires commerciales ou aux principes bien reconnus de la pratique courante des affaires» (pp. 66 et 67). De plus, la dépense doit être faite ou engagée «en vue de tirer un revenu de l'entreprise ou de faire produire un revenu à l'entreprise» (p. 67). Le juge Cullen a conclu qu'on a de plus en plus tendance à interpréter l'al. 18(1)a) de la Loi de façon plus libérale. Il a ajouté que, puisque aucune définition du mot «bénéfice» ne figure à l'art. 9 de la Loi, il appartient aux tribunaux de «dégage[r] du terme le sens qui reflète les réalités de l'époque» (p. 71).
À cette fin, le juge Cullen a tenu compte du témoignage du témoin expert, le Dr Patricia Armstrong, qui a indiqué que la fin des années 70 et le début des années 80 ont connu un changement social important avec l'afflux des femmes en âge d'avoir des enfants, dans les affaires et en milieu de travail. Puisque ce changement est survenu depuis les décisions qui avaient rejeté les frais de garde d'enfants à titre de déduction légitime d'entreprise, le juge Cullen a affirmé que son interprétation n'était pas affectée par ces décisions.
Il a conclu que l'«on peut dire qu'il existe un rapport de cause à effet entre la consécration des ressources provenant de l'exercice de [l]a profession [de l'appelante] au soin des enfants et la production de ces ressources» (p. 73). Il était également convaincu que la demanderesse a fait preuve d'un bon sens des affaires en décidant de consacrer une partie de ses ressources tirées de la pratique du droit au soin de ses enfants. Il affirme, à la p. 73:
Cette décision est acceptable selon les principes commerciaux qui incluent le développement du capital intellectuel, l'amélioration de la productivité, la fourniture des services aux clients et la disponibilité de la ressource qu'elle vend, c'est‑à‑dire son temps.
De plus, le témoignage d'Armstrong étaye l'idée que la disponibilité du soin des enfants augmente la productivité en ce sens qu'elle accroît la tranquillité d'esprit des employés. Augmenter la productivité est quelque chose qui correspond parfaitement à la pratique bien établie des affaires.
Le juge Cullen a ensuite examiné l'art. 63 de la Loi qui porte sur les frais de garde d'enfants et a affirmé que l'adoption de cette disposition visait «à faciliter l'entrée des femmes dans la population active, favorisant par là l'égalité économique entre les sexes et soulageant les familles à faible revenu» (p. 75). Toutefois, il a conclu que, puisque le salaire payé à la gardienne d'enfants était déductible à titre de dépense d'entreprise en vertu de l'art. 9 et de l'al. 18(1)a) de la Loi, l'art. 63 ne saurait «l'empêcher d'être accueillie comme telle» (p. 75).
Ayant déterminé que les frais de garde d'enfants de Mme Symes constituaient des dépenses légitimes d'entreprise, le juge Cullen n'avait pas à examiner l'incidence de l'art. 15 de la Charte canadienne des droits et libertés. Toutefois, il l'a fait. Il a statué que l'art. 15 de la Charte, entré en vigueur le 17 avril 1985, était applicable à une partie de l'année 1985 et aux années d'imposition ultérieures. Le juge Cullen, se fondant sur l'arrêt de notre Cour Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143, a conclu que le MRN, en refusant à l'appelante la déduction réclamée, «lui réserve un traitement différent de celui destiné aux autres contribuables pour ce qui est des dépenses qui sont considérées comme nécessaires à la production d'un revenu d'entreprise» (p. 80). Il a ajouté que le MRN ne traite pas l'appelante «comme une personne sérieuse qui s'engage dans des affaires et qui fait une dépense sérieuse en vue d'une fin légitime» (p. 81). En fait, l'appelante «est traitée comme n'importe quel employeur qui engage une dépense d'entreprise et, pourtant, elle n'est pas autorisée à déduire cette dépense», ce qui signifie qu'elle paie plus d'impôts. Il a statué que cela allait à l'encontre de l'objet de l'art. 15 de la Charte.
Le juge Cullen a également utilisé l'art. 15 de la Charte comme moyen pour interpréter la Loi. À son avis, depuis l'arrêt Andrews, la Loi doit être interprétée d'une manière qui reconnaît l'expérience spécifique des femmes comme principalement responsables de la garde des enfants. Il a également fait remarquer qu'une interprétation de la Loi qui ne tient pas compte que, dans la réalité, les femmes sont principalement responsables du soin des enfants et que les frais de garde d'enfants constituent un obstacle important à la participation des femmes au marché du travail, violerait en soi l'art. 15 de la Charte.
En conséquence, le juge de première instance a conclu que l'appelante avait été victime de discrimination pour des motifs fondés sur ses caractéristiques personnelles en tant que parent et que femme, ce qui a eu pour effet de lui imposer des charges, obligations et désavantages qu'on n'impose pas aux autres.
Examinant l'article premier de la Charte, le juge Cullen a statué que l'intimée n'avait prouvé aucun objectif «réel et urgent» pour justifier le refus de la déduction des frais de garde d'enfants à titre de dépense d'entreprise, et n'a pas jugé nécessaire de procéder à une analyse détaillée fondée sur l'article premier. Il a soutenu que son interprétation du terme «bénéfice» était conforme à la Charte.
En définitive, le juge Cullen a conclu que l'appelante avait droit de déduire le coût de sa gardienne d'enfants à titre de dépense d'entreprise, conformément aux dispositions pertinentes de la Loi. Il a ajouté (à la p. 87) que, si les concepts de bénéfice et de dépense d'entreprise permettaient en l'espèce la déduction du salaire de la gardienne d'enfants, «[c]ela ne veut pas dire que les dépenses liées à l'engagement d'une bonne d'enfants vont toujours être considérées comme des dépenses d'entreprise, ni que l'article 63 de la Loi a été rendu inopérant en vertu de l'article 52 de la Charte».
La Cour d'appel fédérale, [1991] 3 C.F. 507 (le juge Décary, avec l'appui des juges Pratte et MacGuigan)
La Cour d'appel fédérale a infirmé la décision du juge Cullen. Le juge Décary, s'exprimant au nom de la cour, a rejeté la prétention que l'existence d'une obligation légale de s'occuper de ses enfants est un élément qui permet la déduction des frais de garde d'enfants à titre de dépense d'entreprise. À son avis, cette obligation, imposée également aux personnes d'un sexe ou l'autre, constitue une «obligation naturelle» qui suit les parents en tout temps puisque «[c]e n'est pas parce que [l'appelante] exploite une entreprise que la loi lui impose l'obligation de surveiller ses enfants» (p. 522). Tout en reconnaissant que l'interprétation judiciaire doit être «souple et perméable pour s'adapter aux changements de circonstances», le juge Décary précise à la p. 523:
. . . le concept de dépense d'entreprise a été développé exclusivement en fonction des besoins d'affaires de l'entreprise, en faisant abstraction des besoins particuliers des personnes qui dirigent cette entreprise, et je vois difficilement en quoi un changement dans les besoins particuliers de ces personnes justifierait qu'on modifiât une interprétation qui n'a rien à voir avec ces besoins. [. . .] je n'ai pas vraiment à trancher cette question, pour la simple raison que le Parlement, de lui‑même, a déjà modifié la Loi de l'impôt sur le revenu de manière à tenir compte de la situation précise qu'invoque [l'appelante].
Le juge Décary a fondé sa conclusion sur le fait que, selon lui, le sous‑al. 63(3)a)(i) et l'al. 63(3)b) de la Loi visaient les parents à leur propre compte et les parents salariés, le terme «parent» signifiant le particulier assurant les frais d'entretien de l'enfant. Il a conclu que «[l]'article 63 eût été rédigé en vue de s'appliquer précisément au cas de l'[appelante], qu'il n'aurait pas été rédigé autrement», et il a ajouté que le sous‑al. 63(3)b)(iii) de la Loi qui définit l'expression «revenu gagné» comme comprenant «des revenus qu'il tire de toutes les entreprises qu'il exploite soit seul, soit comme associé participant activement à l'exploitation de l'entreprise», l'amène à conclure que le revenu gagné par l'appelante est le revenu qu'elle a tiré de sa société, et c'est «ce revenu que vise l'article 63» (p. 524). Il affirme à la p. 525:
L'article 63 est un véritable code en soi, complet, autonome, et il importe peu en l'espèce qu'il ait été inséré dans une sous‑section de la Loi plutôt que dans une autre, car de par ses termes mêmes, clairs, indiscutables, il vise le parent qui exploite une entreprise et le revenu tiré par le parent de l'exploitation d'une entreprise.
Le juge Décary a affirmé que l'art. 63 de la Loi a été modifié à maintes reprises afin de tenir compte des changements socio‑économiques, et il a conclu que la situation de l'appelante est clairement celle que le Parlement avait en vue lorsqu'il a adopté, puis modifié, l'art. 63.
Le juge Décary s'est ensuite penché sur l'art. 15 de la Charte dans le contexte des droits économiques. À cette fin, il a examiné la jurisprudence, plus particulièrement les arrêts Andrews c. Law Society of British Columbia, précité, et AFPC c. Canada, [1987] 1 R.C.S. 424, pour conclure que l'approche proposée par l'appelante «risque au fond de banaliser la Charte», et il ajoute aux pp. 530, 531 et 532:
La proposition de l'intimée signifierait, à toutes fins utiles, que par le biais du droit à l'égalité reconnu à l'article 15, la Charte garantirait aux citoyens tous les droits, qu'ils soient ou non de ceux définis expressément dans la Charte. Par exemple, dans le cas présent, même si le droit au travail et le droit d'être en mesure de travailler ne sont pas reconnus par la Charte, un individu ‑‑ une femme, un parent, en l'espèce, mais ce pourrait être quiconque peut se prévaloir des dispositions de l'article 15 ‑‑ pourrait, sous le couvert de l'article 15, exiger des législatures qu'elles adoptent les mesures nécessaires pour lui permettre de travailler et d'être en mesure de travailler. Tel n'est pas l'effet de l'article 15.
Personne, à mon avis, ne pouvait exiger du Parlement qu'il adoptât l'article 63 et permît à un parent de déduire les frais de garde d'enfants. Le Parlement a adopté l'article 63 dans l'exercice éclairé de sa discrétion, et je ne vois pas en vertu de quel fondement un groupe particulier de femmes ou de parents professionnels, qui profite de la déduction établie à cet article, pourrait exiger que l'article soit modifié par le législateur ou interprété par les tribunaux de manière à donner au groupe la possibilité d'une déduction additionnelle . . .
Je ne vois pas comment une disposition qui favorise toutes les femmes pourrait porter directement ou indirectement atteinte au droit des femmes à l'égalité, et je ne suis pas prêt à reconnaître que les femmes professionnelles forment un groupe défavorisé à l'égard duquel une forme de discrimination reconnue par l'article 15 a été exercée par l'adoption de l'article 63 ou serait exercée par le refus de cette Cour d'interpréter l'alinéa 18(1)a) de manière à accorder à une mère travaillant à son propre compte une déduction additionnelle pour dépense d'entreprise.
Toutefois, quoi qu'il en soit, si tant est qu'il y avait discrimination au sens de l'art. 15 de la Charte, le juge Décary a été d'avis, à la lumière de la preuve de justification présentée, qu'il n'appartenait pas à la cour de substituer son choix à celui qu'a fait le Parlement.
IV. Les questions en litige
Le Juge en chef a formulé les questions constitutionnelles suivantes:
1. Si les art. 9, 18 et 63 de la Loi de l'impôt sur le revenu ne se prêtent pas à une interprétation autre que celle selon laquelle il est impossible pour l'appelante de déduire tous ses frais de garde d'enfants à titre de dépense d'entreprise, l'un ou l'autre ou l'ensemble de ces articles, en tout ou en partie, portent‑ils atteinte aux droits garantis par l'art. 15 de la Charte canadienne des droits et libertés?
2. Dans la mesure où les articles de la Loi de l'impôt sur le revenu mentionnés ci‑dessus portent atteinte aux droits et libertés garantis par l'art. 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, sont‑ils justifiés par l'article premier de la Charte canadienne des droits et libertés et, par conséquent, conformes à la Loi constitutionnelle de 1982?
Pour répondre à ces questions constitutionnelles, il faut tout d'abord déterminer si les art. 9, 18 et 63 de la Loi sont susceptibles d'être interprétés comme signifiant que les frais de garde d'enfants sont, en fait, déductibles à titre de dépense d'entreprise. Bien qu'il s'agisse principalement d'une question d'interprétation de la Loi, il demeure néanmoins qu'elle est intimement liée à des questions d'égalité. L'appelante demande à notre Cour de statuer que ce serait aller à l'encontre de l'art. 15 de la Charte que d'interpréter la Loi de façon à refuser la déduction des frais de garde d'enfants à titre de dépense d'entreprise légitime. Les arguments des parties et des intervenants établissent clairement que le présent pourvoi, même s'il porte en apparence sur l'interprétation de la Loi, englobe un débat beaucoup plus complexe sur des questions fondamentales, soit comment interpréter le concept d'égalité et la mesure dans laquelle les valeurs en cause exigent que l'on tienne compte de la situation des femmes dans l'interprétation de concepts juridiques. En ce qui concerne l'interprétation de la Loi, notre Cour doit examiner le rapport qui existe entre les femmes et les hommes à l'égard de la garde des enfants et du travail, ainsi que l'incidence des concepts d'égalité sur l'interprétation des lois. Comme le professeur Claire F. L. Young l'indique dans son article intitulé: «Impact of Feminist Analysis on Tax Law and Policy», dans Feminist Analysis: Challenging Law and Legal Processes (1992 Institut d'éducation permanente juridique, Association du Barreau canadien -‑ Ontario, le 31 janvier 1992), à la p. 1:
[traduction] Le régime fiscal est [. . .] un important mécanisme utilisé pour orienter l'activité sociale et économique au Canada.
On ne peut faire abstraction du rôle que cet «important mécanisme» peut jouer pour empêcher la réalisation de l'égalité fondamentale des femmes.
V. L'interprétation de la Loi
Quel type de dépense constitue une dépense d'entreprise? Pour interpréter l'expression «dépense d'entreprise» visée dans la Loi, il faut répondre aux questions suivantes:
1.Quel est le sens de l'expression revenu tiré d'une entreprise ou d'un bien à l'art. 9?
2.Dans quelle mesure les restrictions prévues au par. 18(1), relativement aux dépenses faites ou engagées en vue de tirer un revenu (alinéa a)), ou aux frais personnels ou frais de subsistance (alinéa h)), influeront‑elles sur cette détermination?
3.L'article 63 influe‑t‑il sur la possibilité pour un contribuable de déduire les frais de garde d'enfants à titre de dépense d'entreprise?
Je ne suis pas d'accord avec les motifs que mon collègue le juge Iacobucci invoque à l'égard de l'art. 63 de la Loi, ni de l'art. 15 de la Charte ni d'ailleurs, avec la décision à laquelle il arrive. Toutefois, je souscris, pour l'essentiel, à son approche relativement à la définition de l'expression «dépense d'entreprise» par application du par. 9(1) et des al. 18(1)a) et 18(1)h) de la Loi, et, en conséquence, je ne reprendrai pas une analyse aussi détaillée sur cette question. J'examinerai donc uniquement les points essentiels apportant ma propre réponse aux deux premières questions. À mon avis, la conclusion logique de l'analyse de mon collègue, bien qu'il ne l'énonce pas ainsi, est que l'art. 9 et les al. 18(1)a) et 18(1)h) n'empêchent pas la déduction des frais de garde d'enfants à titre de dépense d'entreprise. Par conséquent, mes observations porteront principalement sur les différences évidentes qui existent entre nos deux positions, plus particulièrement en ce qui concerne l'art. 63 de la Loi.
A.L'article 9 de la Loi de l'impôt sur le revenu: Les principes ordinaires des échanges commerciaux
Avant de procéder à un examen détaillé des questions soulevées, il est essentiel de reconnaître que le régime fiscal canadien repose sur l'imposition du revenu en provenance de sources diverses, conformément à l'art. 3 de la Loi, que j'ai déjà reproduit. L'une de ces sources est le revenu tiré d'une entreprise, conformément à l'al. 3a), et c'est cette source qui nous intéresse dans le présent pourvoi.
Conformément au par. 9(1) de la Loi, que j'ai aussi déjà reproduit, le revenu tiré par un contribuable d'une entreprise pour une année d'imposition est le bénéfice qu'il en tire pour cette année. Le terme «bénéfice» n'est pas défini dans la Loi, mais on lui a donné le sens de bénéfice net. La détermination du «bénéfice» se rattache à la question de savoir si une dépense constitue une véritable dépense d'entreprise devant être incluse dans le calcul du gain net (Daley c. Minister of National Revenue, [1950] R.C. de l'É. 516). Dans le calcul du bénéfice net, la question cruciale est de savoir si une déduction est interdite parce que la dépense n'a pas été engagée en vue de tirer un revenu comme l'exige l'al. 18(1)a), ou parce que la dépense est de nature personnelle conformément à l'al. 18(1)h). À l'instar du juge Iacobucci, je crois que, pour répondre à cette question, il faut essentiellement explorer l'interaction de l'art. 9, qui autorise les déductions, et des al. 18(1)a) et h), qui interdisent certaines des déductions possibles.
Ces deux importants critères ressortent de l'analyse que fait le juge Cullen de la jurisprudence pour déterminer si une dépense peut être déduite du revenu de l'entreprise. Il a statué: (1) qu'elle doit être conforme aux principes commerciaux ordinaires et à la pratique courante des affaires, compte tenu des circonstances de chaque cas, et (2) qu'elle doit avoir été faite ou engagée en vue de tirer un revenu de l'entreprise ou de faire produire un revenu à l'entreprise. Ce critère a été appliqué par notre Cour dans l'arrêt Mattabi Mines Ltd. c. Ontario (Ministre du Revenu), [1988] 2 R.C.S. 175, dans lequel le juge Wilson affirme (à la p. 189):
Tout ce qui importe, c'est que les dépenses aient été engagées légitimement dans le cours ordinaire des affaires et dans le but qu'il en découle ultérieurement un revenu imposable pour la compagnie.
[Je souligne.]
Le juge de première instance et mon collègue le juge Iacobucci ont tous deux adopté cette conception large, dont l'objet principal est de mettre l'accent sur un contribuable donné et sur les dépenses que celui‑ci fait légitimement dans le cours de ses affaires.
Toutefois, la Cour d'appel a rejeté cette interprétation parce que, à son avis, «le concept de dépense d'entreprise a été développé exclusivement en fonction des besoins d'affaires de l'entreprise, en faisant abstraction des besoins particuliers des personnes qui dirigent cette entreprise» (p. 523). En conséquence, le juge Décary a statué que les frais de garde d'enfants ne constituaient pas une «dépense d'entreprise» puisqu'il voyait «difficilement en quoi un changement dans les besoins particuliers de ces personnes justifierait qu'on modifiât une interprétation qui n'a rien à voir avec ces besoins» (p. 523). Je ne peux souscrire à l'approche de la Cour d'appel. À mon avis, ce qui a traditionnellement été reconnu comme un «besoin d'affaires» a justement été établi par rapport aux personnes qui détiennent des postes dans le domaine commercial ‑‑ principalement les hommes. Par ailleurs, un examen de l'évolution des dispositions législatives de nature fiscale et de leur interprétation indique clairement que la définition de ce qui constitue un besoin d'affaires a aussi été élargie parallèlement aux besoins des gens d'affaires. J'examinerai certains de ces développements et ensuite, brièvement, le fondement sur lequel doit reposer la réponse à ces questions complexes.
B.L'alinéa 18(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu: en vue de tirer un revenu de l'entreprise ou de faire produire un revenu à l'entreprise
Il existe une abondante jurisprudence sur l'interprétation de cette disposition; mon collègue le juge Iacobucci en a fait un examen approfondi et je ne reviendrai pas sur cette question. Toutefois, je tiens à rappeler que dans l'arrêt Premium Iron Ores Ltd. c. Minister of National Revenue, [1966] R.C.S. 685, à la p. 702, notre Cour a examiné le libellé actuel de l'al. 18(1)a). Le juge Martland, s'exprimant au nom de la Cour, a statué que la modification du libellé (auparavant «en vue de la production du revenu» devenu «en vue de tirer un revenu [. . .] ou de faire produire un revenu . . .») avait pour but d'élargir la définition des dépenses déductibles. Mon collègue spécule que cet élargissement découle peut‑être du fait qu'il n'existait pas, avant les modifications, de déductions pour les biens incorporels en immobilisations sauf pour ce qui est de la déduction générale prévue dans la disposition ayant précédé l'al. 18(1)a), ce qui expliquerait l'élargissement de la portée de cet alinéa. Cet élargissement pourrait, en fait, être la démonstration que le régime fiscal est depuis longtemps en mesure de s'adapter aux situations et aux développements nouveaux, grâce à l'application des dispositions générales allouant des déductions. Toutefois, comme le souligne mon collègue, aucun critère n'est plus certain et plus clair que le libellé même de la disposition. Par conséquent, la question fondamentale est de savoir si l'appelante a engagé des frais de garde d'enfants en vue de tirer un revenu de l'entreprise ou de faire produire un revenu à l'entreprise.
J'aimerais ici faire un bref commentaire sur l'analyse fondée sur le sexe à laquelle donne lieu l'application des principes d'interprétation de la Loi en l'espèce. Bien que l'appelante soit une avocate qui demande une déduction pour frais de garde d'enfants à titre de dépense d'entreprise, l'art. 9 de la Loi n'établit aucune distinction fondée sur le sexe. Une telle demande aurait tout aussi bien pu être présentée par un homme d'affaires dans la même situation que Mme Symes. Par exemple, si cet homme d'affaires se trouvait le principal gardien de ses enfants, la justification et la décision finale seraient les mêmes. La possibilité pour quiconque de déduire une dépense légitime d'entreprise, dépense encourue en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou de faire produire un revenu à l'entreprise ne devrait pas être fondée sur le sexe de cette personne. En effet, toute personne en affaires aurait droit à une déduction si elle peut établir que les dépenses ont été engagées à des fins d'affaires. Toutefois, en réalité, ce sont généralement les femmes, plutôt que les hommes, qui s'occupent exclusivement ou principalement du soin des enfants, et ce sont elles qui encourent et paient ces dépenses. Jusqu'à tout récemment, les hommes étaient rarement principal gardien ou chef de famille monoparentale, et n'encouraient, en conséquence, aucune dépense directe de garde d'enfants. Traditionnellement, dans de nombreuses situations de famille, les questions de garde d'enfants ne constituaient pas des dépenses d'affaires concrètes pour les hommes d'affaires, car la plupart des femmes demeuraient au foyer pour s'occuper des enfants ou avaient pris des dispositions à cet égard. Par conséquent, un homme d'affaires dans cette situation n'était aucunement fondé à réclamer une déduction pour frais de garde d'enfants à titre de dépense d'entreprise. Toutefois, au sein de notre société en pleine évolution, dans laquelle on demande aux hommes d'assumer une plus grande part des responsabilités et des dépenses liées à la garde des enfants, ce qui est susceptible d'entraver leur capacité de bénéfices, les hommes d'affaires pourraient bien avoir le droit de se prévaloir d'une telle déduction à titre de dépense d'entreprise pour autant qu'ils satisfassent aux critères prévus à l'al. 18(1)a). Cependant, quelle que soit cette possibilité future, pour l'instant, ce sont principalement les femmes qui assument les coûts, tant sociaux que financiers, de la garde des enfants et notre Cour ne peut, en prenant sa décision, faire abstraction du véritable contexte lorsqu'elle examine si les frais de garde d'enfants peuvent être considérés comme une dépense d'entreprise.
Comme l'affirme mon collègue, les frais de garde d'enfants ont traditionnellement été considérés comme des dépenses qui n'étaient pas engagées en vue de tirer un revenu ou de faire produire un revenu puisqu'elles étaient considérées de nature personnelle et, en conséquence, non commerciales. Selon mon collègue (aux pp. 742 et 743):
. . . il y a du bon dans le critère traditionnel en droit fiscal qui cherche à identifier les frais qui permettent seulement au contribuable de se rendre disponible pour l'entreprise et qui les qualifient alors de frais «personnels» pour la raison qu'un besoin personnel est satisfait. [Souligné dans l'original.]
À mon avis, un tel critère n'est d'aucune utilité. Le raisonnement qui sous-tend le fait de se rendre disponible à l'entreprise n'est ni objectif ni déterminant. Être disponible à l'entreprise est l'exigence primordiale pour faire affaires, sinon, il n'y a pas d'entreprise. À cet égard, il serait impensable que les besoins spéciaux d'une personne en affaires, par exemple ceux qui se rapportent à une invalidité, ne puissent pas faire l'objet d'une déduction parce qu'ils servent à satisfaire un «besoin personnel». La nécessité pour une femme d'avoir recours à des services de garde d'enfants pour être en affaires n'est pas différente. Les besoins personnels d'un individu ne peuvent simplement pas être déterminés de façon objective, ils sont, de par leur nature même, subjectifs.
Par le passé, les tribunaux, et la Cour d'appel en l'espèce, ont, de même, toujours présumé que les besoins d'affaires étaient une gamme objectivement neutre de besoins. C'est pourquoi ils n'ont pas examiné le lien étroit entre la garde des enfants et les revenus d'entreprise des femmes. À mon avis, il est essentiel de considérer le lien entre la garde des enfants et la production de revenus d'entreprise, comme l'a fait le juge Cullen. Après avoir fait état du témoignage de l'expert, le Dr Armstrong, le juge de première instance a dit, à la p. 72:
. . . la fin des années 1970 et le début des année 1980 ont connu un changement social important avec l'afflux des femmes en âge d'avoir des enfants dans les affaires et en milieu de travail.
Dans son témoignage, le Dr Armstrong a affirmé qu'il s'était produit au cours des 40 dernières années des changements importants et fondamentaux au sein du marché du travail et de la structure de la famille. En 1951, seulement 24 pour 100 des femmes canadiennes étaient sur le marché du travail par rapport à 56 pour 100 en 1987. En ce qui concerne l'évolution de cet accroissement, le Dr Armstrong a affirmé:
[traduction] Ce fut assez rapide à partir du milieu des années 70 ‑‑ du début des années 70. L'accroissement a été assez lent dans les années 50, mais dans les années 60, cet accroissement a été plus rapide et s'est poursuivi dans les années 70.
En outre, c'est dans le groupe des femmes en âge de procréer que s'est produit le changement le plus important: près des trois quarts des femmes entre 16 et 44 ans faisaient partie de la population active, notamment dans les années 80. De nos jours, une majorité de femmes, même celles avec de très jeunes enfants, font partie de la population active. Au moins 70 pour 100 des mères qui ont un emploi et dont les enfants ont moins de six ans travaillent à temps plein; c'est également le cas de 75 pour 100 de celles qui ont un emploi dont les enfants sont d'âge scolaire (entre 6 et 15 ans). Selon les prévisions actuelles, d'ici l'an 2000, au moins 88 pour 100 des femmes entre 25 et 34 ans seront sur le marché du travail. Cet accroissement est particulièrement remarquable puisque ce sont les femmes de ce groupe d'âge qui sont le plus susceptibles d'avoir de jeunes enfants à la maison, et d'avoir besoin de services de garde. De toute évidence, la question de la garde des enfants revêt une importance cruciale pour la plupart des familles canadiennes.
C'est en tenant compte de ces statistiques et de ce témoignage d'expert que nous devons examiner si les frais de garde d'enfants peuvent être inclus dans la définition d'une dépense d'entreprise. À cet égard, je suis d'accord avec l'analyse sérieuse et approfondie que le juge Cullen fait des questions complexes soulevées en l'espèce, analyse qui, à la fois, reconnaît l'évolution de la structure de notre société et exige que les lois soient interprétées en fonction du contexte et non dans l'absolu (Edmonton Journal c. Alberta (Procureur général), [1989] 2 R.C.S. 1326, à la p. 1355).
Cette analyse part de principes généraux et bien connus d'interprétation des lois; par exemple, que le sens clair et non ambigu d'un mot qui n'aboutit pas à un résultat déraisonnable doit être respecté et, de plus, que l'interprétation d'une loi peut changer au fil des ans pour s'adapter à l'évolution constante de la société (voir E. A. Driedger, Construction of Statutes (2e éd. 1983), à la p. 89, et P.‑A. Côté, Interprétation des lois (2e éd. 1990), aux pp. 252 et 253). Dans le passé, notre Cour a, dans certains arrêts, modifié l'interprétation qu'elle avait donnée à des textes législatifs de façon à tenir compte de l'évolution de la société (voir les arrêts Murdoch c. Murdoch, [1975] 1 R.C.S. 423, Rathwell c. Rathwell, [1978] 2 R.C.S. 436, et, plus récemment l'arrêt Canada (Procureur général) c. Mossop, [1993] 1 R.C.S. 554). En outre, le respect des valeurs de la Charte doit jouer un rôle de premier plan dans l'interprétation des lois (voir les arrêts Hills c. Canada (Procureur général), [1988] 1 R.C.S. 513, et Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038).
Comme je l'ai mentionné dans l'arrêt Mossop, précité, à la p. 613, dans l'arrêt Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1987] 1 R.C.S. 1114 («Action Travail des Femmes»), le juge en chef Dickson a passé en revue la jurisprudence relative à l'interprétation des lois et a formulé le principe suivant, à la p. 1134:
La législation sur les droits de la personne vise notamment à favoriser l'essor des droits individuels d'importance vitale, lesquels sont susceptibles d'être mis à exécution, en dernière analyse, devant une cour de justice. Je reconnais qu'en interprétant la Loi, les termes qu'elle utilise doivent recevoir leur sens ordinaire, mais il est tout aussi important de reconnaître et de donner effet pleinement aux droits qui y sont énoncés. On ne devrait pas chercher par toutes sortes de façons à les minimiser ou à diminuer leur effet. Bien que cela puisse sembler banal, il peut être sage de se rappeler ce guide qu'offre la Loi d'interprétation fédérale lorsqu'elle précise que les textes de loi sont censés être réparateurs et doivent ainsi s'interpréter de la façon juste, large et libérale la plus propre à assurer la réalisation de leurs objets. [Je souligne.]
À mon avis, cette analyse est également pertinente en l'espèce. La déduction établie par le par. 9(1) devrait aussi s'interpréter d'une «façon juste, large et libérale».
Dans le passé, on a constamment élargi la gamme des dépenses d'entreprise déductibles. Ainsi, il a été décidé qu'elles comprenaient un vaste éventail de dépenses: cotisations à un club, frais de repas et de représentation, dépenses liées à l'utilisation d'une voiture, d'un bureau à domicile, frais judiciaires et comptables, pour n'en nommer que quelques‑uns. Afin d'analyser dans le contexte des autres «dépenses d'entreprise», les frais réclamés par l'appelante à titre de dépense d'entreprise, je ferai une brève revue de certaines des nombreuses déductions que les tribunaux ont considérées comme des dépenses engagées en vue de tirer un revenu de l'entreprise ou de faire produire un revenu à l'entreprise.
Le paragraphe 18(12) de la Loi prévoit qu'une personne en affaires peut déduire les dépenses pour un bureau à domicile. Cependant, le critère applicable à ce type de déduction est très rigoureux. Aux fins de la déduction, le bureau doit servir exclusivement à l'entreprise, constituer le principal établissement du contribuable et être utilisé régulièrement et de façon continue.
Les travailleurs indépendants peuvent également déduire 80 pour 100 de leurs frais de représentation et de repas encourus en vue de tirer un revenu ou de faire produire un revenu. L'article 67.1 de la Loi limite le montant d'une dépense déductible vu l'avantage, en partie personnel, tiré de ces dépenses (C. F. L. Young, «Case Comment on Symes v. The Queen», [1991] Brit. Tax Rev. 105).
Pour ce qui est des dons de charité, les arrêts Olympia Floor & Wall Tile (Quebec) Ltd. c. Ministre du Revenu National, [1970] R.C. de l'É. 274, et Impenco Ltée c. Minister of National Revenue, 88 D.T.C. 1242 (C.C.I.), indiquent clairement que certains dons de charité apparemment personnels peuvent constituer des déductions acceptables à titre de dépense d'entreprise. Dans ces deux affaires, les compagnies avaient donné d'importantes sommes d'argent à des organisations de charité afin de tirer ou de faire produire un revenu. Comme les compagnies l'ont indiqué, elles gagnaient leur revenu en encourageant ceux avec qui elles faisaient affaires à acheter leur produit parce qu'elles étaient bien connues dans la collectivité pour leur grande générosité envers les organisations charitables.
D'autres déductions sont également considérées comme des dépenses d'entreprise, notamment les frais judiciaires et comptables et les dommages‑intérêts. Dans l'arrêt Kellogg Co. of Canada Ltd. c. Minister of National Revenue, [1942] C.T.C. 51 (C. de l'É.), par exemple, les frais juridiques engagés par Kellogg pour contester une action en contrefaçon de marque de commerce ont été admis à titre de déduction d'une dépense encourue pour en tirer ou faire produire un revenu. Selon Eva Krasa dans «The Deductibility of Fines, Penalties, Damages, and Contract Termination Payments» (1990), 38 Rev. fiscale can. 1399, les dommages‑intérêts et les amendes ont également, à l'occasion, été admis à titre de dépenses d'entreprise.
Dans l'arrêt Royal Trust Co. c. Minister of National Revenue, 57 D.T.C. 1055, la Cour de l'Échiquier du Canada a statué que la compagnie de fiducie appelante devrait pouvoir déduire les cotisations à un club et les frais d'initiation qu'elle payait pour ses cadres et le personnel de direction. Le tribunal a jugé que la preuve établissait de façon concluante que la pratique du paiement des cotisations à un club donnait lieu à des affaires dont l'appelante tirait ou faisait produire un revenu.
Dans l'arrêt Friedland c. The Queen, 89 D.T.C. 5341 (C.F. 1re inst.), le contribuable a été autorisé à déduire les dépenses engagées relativement à sa Rolls Royce et à sa BMW, dans la mesure où ces automobiles étaient utilisées à des fins d'affaires.
Enfin, il est particulièrement pertinent en l'espèce de signaler que l'on reconnaît généralement que le concept de bénéfice repose sur le calcul d'un montant net; de toute évidence, un employeur ou une entreprise peut ainsi se prévaloir d'une déduction relativement aux salaires versés à ses employés et à ses contributions à un régime de prestations aux employés. Une garderie peut constituer un avantage offert aux employés. (Voir Kathleen Mahoney, «Daycare and Equality in Canada» dans Research Studies of the Commission on Equality in Employment (1985), 157, à la p. 166.) En fait, comme l'a noté le juge Cullen à la p. 70 relativement aux opérations d'affaires:
Il n'est pas contesté que les salaires payés aux employés sont déductibles à titre de dépenses d'entreprise, pourvu qu'ils le soient dans le but de tirer un revenu et qu'ils soient raisonnables. De plus, dans certaines circonstances, des salaires versés à des conjoints ou à des enfants sont également déductibles à titre de dépenses d'entreprise. S'il en est ainsi, selon la demanderesse, pourquoi les salaires versés à sa bonne d'enfants ne devraient‑ils pas être déductibles à titre de dépenses d'entreprise? Certainement, si la demanderesse engageait un avocat en second ou un stagiaire dont les fonctions consistaient également à s'occuper des enfants de l'associé (si par hasard le cabinet fournissait une garderie), il n'y aurait pas contestation du fait que les salaires de l'avocat en second et du stagiaire seraient déductibles à titre de dépense d'entreprise.
De toute évidence, la gamme de déductions admises vise maintenant un certain nombre de situations qui n'avaient pas été envisagées à une autre époque et qui permettent de tenir compte de tout un éventail de pratiques commerciales différentes et nouvelles. Cette évolution repose sur des principes de déductibilité qui ont été succinctement analysés par Neil Brooks dans «The Principles Underlying the Deduction of Business Expenses» dans Hansen, Krishna et Rendall, dir., Essays on Canadian Taxation (1978), 249. L'auteur précise qu'un certain nombre de critères servent à déterminer quel type de dépense peut être déduit à titre de dépense d'entreprise. Par exemple, la dépense est-elle déductible selon les principes comptables généralement reconnus, s'agit-il d'une dépense normalement effectuée par d'autres qui exploitent le même type d'entreprise, la dépense aurait-elle été engagée par le contribuable même s'il n'avait pas tiré un revenu de l'entreprise, le contribuable aurait-il pu éviter la dépense sans affecter son revenu brut; existe-t-il d'autres faits et circonstances qui permettent d'établir le but du contribuable en effectuant la dépense? À mon avis, vu la multiplicité des critères, on peut conclure que toute dépense légitime encourue pour les fins d'une entreprise peut être déduite à titre de dépense d'entreprise. À cet égard, Brooks confirme que l'expérience personnelle d'un juge peut fortement influer sur sa décision de qualifier une dépense de dépense d'entreprise. Il écrit (à la p. 259):
[traduction] En raison de leur expérience personnelle, les juges savent qu'une dépense encourue dans certaines circonstances le serait à une fin personnelle; ils en déduisent, par conséquent, qu'il est probable qu'une autre personne, dans les mêmes circonstances, engagerait la dépense aux mêmes fins.
Un examen de la jurisprudence sur l'interprétation de l'expression «dépense d'entreprise» révèle clairement que ce domaine du droit est basé sur la conception traditionnelle d'entreprise comme une entreprise masculine et que le concept de dépense d'entreprise a été interprété en fonction des besoins des hommes d'affaires. Cette réalité n'est ni étonnante ni sinistre puisque la preuve indique bien que ce n'est qu'assez récemment que les femmes ont commencé à jouer un plus grand rôle dans le milieu des affaires comme dans d'autres secteurs d'ailleurs, comme le droit et la médecine. La définition de «dépense d'entreprise» a été formulée en fonction de la situation des hommes d'affaires et de la façon dont ils font affaires. Comme l'indique Dorothy Smith dans «A Peculiar Eclipsing: Women's Exclusion From Man's Culture» (1978), 1 Women's Studies Int. Quart. 281, lorsque les membres d'un seul sexe définissent les idées, les règles et les valeurs dans un domaine particulier, on en vient à considérer ce point de vue unilatéral comme naturel, évident et général. En conséquence, ce sont actuellement des critères établis par des hommes qui forment la toile de fond des prémisses en vertu desquelles on détermine si une dépense donnée constitue ou non une dépense légitime d'entreprise. Compte tenu de cette toile de fond, il est peu étonnant que les frais de garde d'enfants aient été considérés comme non pertinents pour ce qui est de tirer un revenu de l'entreprise ou de faire produire un revenu à l'entreprise, et plutôt comme une dépense personnelle non déductible.
Comme l'a reconnu le juge Cullen, le monde d'hier diffère de celui d'aujourd'hui. En 1993, le monde des affaires est de plus en plus peuplé d'hommes et de femmes, et l'interprétation de l'expression «dépense d'entreprise» doit tenir compte de la situation de tous les participants dans ce domaine. Ce fait ressort également de la preuve d'expert selon laquelle les pratiques et les exigences des femmes d'affaires pourraient bien être différentes de celles des hommes d'affaires. Lorsque l'on examine la situation actuelle, on se rend compte que l'une des principales différences entre les besoins des hommes et des femmes d'affaires a trait à l'importance de la garde des enfants pour les gens d'affaires ayant des enfants, plus particulièrement les femmes. Le juge Cullen, comme l'a confirmé l'expert qui a témoigné devant lui, a reconnu que le soin des enfants est un élément essentiel de la capacité des femmes à gagner un revenu. À cet égard, je souscris entièrement à la conclusion du juge Cullen que Mme Symes a été «logique sur le plan commercial» en engageant une gardienne d'enfants et que cette dépense devrait entrer dans le calcul du bénéfice. À mon avis, les frais de garde d'enfants de Mme Symes constituent des dépenses engagées «en vue de tirer un revenu [. . .] ou de faire produire un revenu» et, par conséquent, l'al. 18(1)a) tel que rédigé n'a pas pour effet d'empêcher de les déduire en application du par. 9(1).
Le second point que j'examinerai maintenant vise à déterminer si les frais de garde d'enfants peuvent être refusés à titre de dépense d'entreprise en vertu de l'al. 18(1)h) parce qu'ils constituent des frais de nature personnelle.
C.L'alinéa 18(1)h) de la Loi de l'impôt sur le revenu: Frais personnels ou frais de subsistance
Comme je l'ai déjà mentionné, la logique fiscale permet de déduire du revenu brut des dépenses légitimes d'entreprise aux fins du calcul du revenu. Toutefois, les dépenses personnelles ne constituent pas des déductions légitimes. Ces dépenses sont considérées comme des dépenses de «consommation» qui devraient à juste titre faire partie de l'assiette fiscale. On soutient que les frais de garde constituent une dépense de ce type et que les décisions relatives à la procréation et à la garde d'enfants sont des décisions de nature privée qui n'ont rien à voir avec les affaires. À partir de cette logique, on soutient que Mme Symes ne devrait pas bénéficier d'un traitement spécial ou préférentiel; elle ne devrait pas pouvoir déduire une dépense personnelle ‑‑ ses frais de garde d'enfants. Bien que mon collègue le juge Iacobucci ait discuté de cette question, je tiens à exprimer mon point de vue sur ce qui fait qu'une dépense est personnelle et sur la question de savoir si les frais de garde d'enfants constituent une dépense de ce type.
À mon avis, il est important d'examiner attentivement la dichotomie dépenses d'entreprise contre dépenses personnelles. Lorsque l'on regarde l'expérience de nombre d'hommes, on comprend facilement pourquoi certains d'entre eux peuvent intuitivement considérer que les frais de garde sont clairement de nature personnelle. À beaucoup d'égards, cette conclusion pourrait bien être un reflet de l'expérience que de nombreux hommes ont de leurs responsabilités en matière de garde d'enfants. En fait, d'après la preuve, la responsabilité du soin des enfants n'a aucune incidence sur le nombre d'heures de travail de la plupart des hommes, ni d'ailleurs sur leur capacité de travailler. De plus, très peu d'hommes ont indiqué qu'ils prenaient des décisions professionnelles en fonction de leurs responsabilités en matière de garde d'enfants. On ne peut tout simplement pas affirmer la même chose relativement à la situation actuelle des femmes. En effet, pour les femmes, la vie professionnelle et la vie familiale ne sont pas si distinctes et, dans de nombreux cas, une telle distinction est tout à fait irréelle puisque la capacité même d'une femme d'entrer sur le marché du travail peut dépendre entièrement de sa capacité d'obtenir des services de garde. La décision d'obtenir des services de garde d'enfants fait inextricablement partie de la décision de travailler, en affaires ou autrement. Cette réalité est exprimée en des termes similaires par Grace Blumberg dans «Sexism in the Code: A Comparative Study of Income Taxation of Working Wives and Mothers» (1971‑1972), 21 Buff. L. Rev. 49, à la p. 64:
[traduction] La garde des enfants [. . .] est [. . .] une dépense qui, nécessairement, n'existe que lorsque les deux parents travaillent [. . .] Pour une mère sur le marché du travail, les frais de garde d'enfants constituent une dépense non discrétionnaire directement liée à son emploi.
Dans l'étude publiée récemment par le Groupe de travail de l'Association du Barreau canadien sur l'égalité des sexes dans la profession juridique, Les assises de la réforme: Égalité, diversité et responsabilité (1993), on a fait ressortir les difficultés que de nombreuses avocates éprouvent lorsqu'elles tentent d'établir un équilibre entre leur famille et leur carrière. Le rapport indique (à la p. 70):
L'une des principales causes de discrimination à l'encontre des avocates tient aux valeurs culturelles qui entourent le travail dans la profession juridique. Ces valeurs culturelles ont été déterminées par et pour des avocats. Elles sont fondées sur des modèles historiques de travail qui présument que les avocats n'ont pas de responsabilités familiales importantes. Le «sexisme caché» qui existe dans l'organisation actuelle du travail juridique se manifeste de plusieurs manières, notamment: les heures de travail extrêmement longues et irrégulières, l'idée selon laquelle l'avocat peut faire son travail au bureau parce qu'il est libéré des charges domestiques qui sont assumées par une tierce personne; la promotion dans les cabinets d'avocats qui est incompatible avec les cycles de maternité et d'éducation des enfants dans la vie de la plupart des femmes; et le conflit qui est perçu entre les fidélités dues au travail et à la famille.
Plus particulièrement en ce qui concerne les responsabilités relatives au soin des enfants, les enquêtes provinciales démontrent clairement que les avocates assument beaucoup plus que leurs confrères les responsabilités à ce chapitre (à la p. 72):
La proportion de la responsabilité assumée par les avocates auprès de leurs enfants est pratiquement le double de celle assumée par les avocats.
Lorsqu'elles sont interrogées sur la proportion de la responsabilité qui leur incombe, les femmes ont répondu 49 % (Ontario); 40 % (Colombie‑Britannique) et 44 % (Alberta), tandis que les hommes ont répondu 26 % (Ontario), 20 % (Colombie‑Britannique) et 26 % (Alberta).
L'enquête de la Saskatchewan a montré que les femmes assumaient la principale responsabilité pour les soins donnés aux enfants dans tous les domaines, ventilés par activité. Par exemple, 50 % des femmes signalent qu'elles soignent leurs enfants lorsqu'ils sont malades, contre seulement 4 % des hommes.
De plus, les enquêtes ont révélé que les avocates avaient plus souvent recours que les avocats à des personnes rémunérées pour garder les enfants (aux pp. 72 et 74):
Les avocates sont beaucoup plus susceptibles que les avocats de payer une personne pour garder les enfants ‑ par une proportion de trois contre un.
En Ontario, les répondantes ont identifié la proportion de la responsabilité assumée par des personnes rémunérées pour s'occuper des enfants comme étant de 26 %, tandis que les hommes ont répondu 10 %. En Colombie‑Britannique, la proportion de la responsabilité pour les soins donnés aux enfants assurée par des gardiennes rémunérées était déclaré à 26 %, selon les avocates, et à 10 %, selon les avocats. En Alberta maintenant, cette proportion était de 29 % pour les avocates, et de 8 % pour les avocats.
Dans les enquêtes de la Saskatchewan et du Québec, 70 % des femmes ont déclaré qu'elles avaient la charge de l'organisation des soins à donner aux enfants.
À l'inverse, les avocats peuvent compter trois fois plus souvent que les avocates sur une conjointe ou une conjointe de fait pour s'occuper des enfants.
. . .
Bien que les avocats comme les avocates aient ressenti de la tension du fait de la conciliation des responsabilités professionnelles et des responsabilités familiales, les femmes ont signalé des effets matériels, sous forme de perte de revenus ou de réduction des possibilités de carrière, à un niveau que les hommes n'ont pas signalé.
Par exemple, une majorité de femmes a déclaré avoir perdu des revenus pour élever leurs enfants tandis que seulement une faible minorité d'hommes l'a fait. [En caractères gras dans l'original.]
La vie professionnelle de Mme Symes fait qu'elle a nécessairement besoin de services de garde pour ses enfants. En 1993, le concept des dépenses d'entreprise doit tenir compte des diverses pratiques commerciales ainsi que des besoins des personnes qui, traditionnellement, ne participaient pas pleinement au monde des affaires. L'énoncé du juge Décary que «le concept de dépense d'entreprise a été développé [. . .] en faisant abstraction des besoins particuliers des personnes qui dirigent cette entreprise» (p. 523) ne tient pas compte de cette réalité. À cet égard, les commentaires formulés par Isabel Grant et Lynn Smith dans un ouvrage rédigé pour la Commission de réforme du droit de l'Ontario («Gender Representation in the Canadian Judiciary», dans Appointing Judges: Philosophy, Politics and Practice (1991), 57, à la p. 79) sont tout à fait à propos:
[traduction] . . . personne n'est «objectif» au sens où une personne agirait dans l'absolu, sans points de référence; toutefois, nous omettons parfois de tenir compte des points de référence des personnes qui ont défini les termes et les concepts mêmes qui régissent notre façon de penser.
Audrey Macklin dans «Symes v. M.N.R.: Where Sex Meets Class» (1992), 5 R.F.D. 498, à la p. 507, réplique que l'affirmation du juge Décary:
[traduction] . . . ne tient pas compte du fait suivant: aussi longtemps que les affaires sont demeurées l'apanage des hommes, les besoins commerciaux en affaires étaient déterminés par ce dont les hommes avaient (croyaient avoir) besoin de dépenser pour produire un revenu. Le fait que ces dépenses comportent aussi un élément «personnel» n'a jamais été traité comme une interdiction complète. En conséquence, les tribunaux ont dans le passé permis aux hommes d'affaires de déduire les cotisations à un club parce que les hommes aiment faire des affaires entre eux au golf. [Royal Trust Co. c. Minister of National Revenue, précité] [. . .] Parce que certains hommes estiment que des voitures coûteuses rehaussent leur image professionnelle, la conduite d'une Rolls Royce a été jugée comme faisant partie d'une entreprise professionnelle. [Friedland c. The Queen, précité.]
On doit donc se demander s'il est si évident que les nombreuses déductions d'entreprise possibles (dépenses de voitures, cotisations et droits à un club, frais de représentation extravagants et dîners bien arrosés à l'intention des clients et dons de charité importants) sont des dépenses d'entreprise plutôt que des dépenses personnelles. Bien que chacune de ces dépenses puisse être personnelle, elles ont toutes été acceptées à titre de dépenses d'entreprise légitimes et admises comme déduction, représentant chacune un coût réel engagé par certains types de gens d'affaires pour faire produire un revenu à l'entreprise. Les coûts réels engagés par les femmes d'affaires ayant des enfants sont tout aussi réels, tout aussi dignes d'être pris en considération et tout aussi encourus pour tirer un revenu de l'entreprise ou faire produire un revenu à l'entreprise.
Enfin, en ce qui concerne le caractère personnel possible des frais de garde d'enfants, la question du «choix» a été soulevée pour faire obstacle à la déductibilité de ces dépenses. Comme je suis d'accord avec le raisonnement du juge Iacobucci sur cette question, je ne ferai que quelques brefs commentaires. Bien que l'éducation des enfants présente un élément personnel et que le soin des enfants puisse être gratifiant sur le plan personnel, ce «choix» n'est pas un choix comme les autres. Ce «choix» bénéficie à l'ensemble de la société et, pourtant, ce sont les femmes qui assument la majeure partie des responsabilités à ce chapitre. Les femmes «choisissent» de participer à une activité qui n'est pas à leur seul avantage et, ce faisant, elles accomplissent une fonction pour l'ensemble de la société. Comme le juge en chef Dickson l'a très bien fait remarquer dans l'arrêt Brooks c. Canada Safeway Ltd., [1989] 1 R.C.S. 1219, à la p. 1243:
Il semble aller de soi que celles qui donnent naissance à des enfants et favorisent ainsi l'ensemble de la société ne devraient pas en subir un désavantage économique ou social. Seules les femmes portent des enfants; aucun homme n'en a la possibilité. [. . .] il est injuste d'imposer tous les coûts de la grossesse à une seule moitié de la population.
La décision d'avoir des enfants n'est pas assimilable à toute autre décision de «consommation». On ne peut tout simplement pas décrire le fait d'élever des enfants comme on décrirait le «choix» d'acheter un certain type d'automobile ou de vivre dans un certain type d'habitation. En outre, le grand nombre de questions complexes liées aux soins des enfants fait qu'il n'est pas approprié qu'on traite comme un choix volontaire le fait d'assumer les coûts à ce chapitre lorsque ces coûts peuvent, en fait, être répartis d'une façon discriminatoire, le fardeau reposant principalement sur les épaules des femmes.
En ce qui concerne la question de savoir si le par. 9(1) empêche de déduire les frais de garde d'enfants à titre de dépense d'entreprise en raison de l'interaction des al. 18(1)a) ou 18(1)h) de la Loi, je conclus donc que les frais de garde d'enfants peuvent être considérés comme une dépense d'entreprise déductible conformément au par. 9(1) et aux al. 18(1)a) et 18(1)h) de la Loi, si tous les autres critères ont par ailleurs été respectés. Ce résultat m'amène à examiner la question cruciale soulevée dans le présent pourvoi, celle de savoir si l'art. 63 de la Loi empêche la déduction des frais de garde d'enfants à titre de dépense d'entreprise. Sur ce point, je diverge d'opinion avec mon collègue car, d'après moi, l'art. 63 de la Loi, correctement interprété, n'empêche pas une telle déduction.
D.L'article 63 de la Loi de l'impôt sur le revenu
(i) Commentaires généraux
L'article 63 de la Loi, que j'ai déjà reproduit, limite le montant de la déduction pour frais de garde d'enfants. Cette déduction est disponible, dans la plupart des cas, pour le conjoint ayant le revenu le moins élevé dans la famille. Il s'agit d'une déduction qui n'est pas applicable à une source déterminée et dont tous les parents peuvent se prévaloir. En première instance l'art. 63 n'a pas été discuté de façon élaborée puisque, comme l'a brièvement souligné le juge Cullen (à la p. 75):
. . . la défenderesse [l'intimée] a reconnu que si la dépense liée à l'engagement d'une bonne d'enfants est une dépense d'entreprise appropriée en vertu des articles 3, 9 et 18 de la Loi, alors l'article 63 ne saurait l'empêcher d'être accueillie comme telle.
Toutefois, en appel, le MRN a retiré cette admission et la pertinence de l'art. 63 a, en conséquence, pris beaucoup plus d'importance. Le juge Décary de la Cour d'appel a conclu que l'art. 63 était un code complet qui empêchait de déduire quoi que ce soit au‑delà d'un maximum prévu. En conséquence, même si les frais de garde étaient susceptibles d'être considérés comme une dépense d'entreprise, contrairement à l'opinion du juge Décary, l'art. 63 écarterait cette possibilité. Mon collègue est également de cet avis. Je ne suis pas d'accord.
Comme je l'ai déjà indiqué, le calcul du revenu en vertu de la Loi repose sur le concept du revenu provenant de diverses sources. L'article 3 de la Loi, que j'ai déjà mentionné, prévoit que le contribuable doit, dans le calcul de son revenu pour une année d'imposition, tenir compte du revenu provenant de chaque source d'où il le tire, l'ensemble constituant son revenu total. En l'espèce, nous nous intéressons uniquement au revenu tiré d'une source: l'entreprise. Conformément à l'art. 3 de la Loi, après le calcul de son revenu, le contribuable doit calculer et soustraire les déductions autorisées en vertu de la sous‑section e de la section B ‑‑ Calcul du revenu. C'est dans ce calcul que l'on tient compte de la déduction prévue à l'art. 63. La sous‑section e diffère des déductions admises en vertu des sous‑sections a, b et c, lesquelles ne se rapportent qu'à une source particulière de revenu. Conformément au par. 4(2) de la Loi, la déduction autorisée par l'art. 63 n'est pas applicable, en totalité ou en partie, à une source déterminée de revenu. L'argument de l'intimée repose sur la proposition que la déduction possible en vertu de l'art. 63 est incompatible avec celle des frais de garde d'enfants conformément au par. 9(1). En d'autres termes, la simple existence de l'art. 63 empêche toute déduction pour frais de garde d'enfants sous le par. 9(1) de la Loi.
Ma réponse comporte deux volets. Premièrement, il n'y a rien dans le libellé de l'art. 63 qui soit de nature à écarter l'application de l'art. 9. Deuxièmement, une telle interprétation est, à mon avis, contraire à l'objet de l'art. 63 et à l'historique législatif au moment de son adoption, à l'analyse traditionnelle des diverses déductions prévues dans la Loi et, enfin, à la Charte. Depuis l'adoption de la Loi, son interprétation a fait couler beaucoup d'encre. Dans l'arrêt Stubart Investments Ltd. c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536, le juge Estey s'exprime au nom de notre Cour, à la p. 578, citant Driedger, Construction of Statutes, op. cit., à la p. 87:
[traduction] Aujourd'hui il n'y a qu'un seul principe ou solution: il faut lire les termes d'une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur.
À mon avis, compte tenu de ce qui précède, il faut, dans le contexte de l'art. 63, reprendre un grand nombre des mêmes questions étudiées au regard du par. 9(1) et des al. 18(1)a) et 18(1)h). De la même façon que ces dispositions de la Loi ont évolué en fonction uniquement des besoins d'une entreprise traditionnellement exploitée par des hommes, l'historique de l'art. 63 a également été marqué par une vision particulière du monde. À cet égard, le commentaire sur l'évolution de la common law que fait Oliver Wendell Holmes dans The Common Law (1881), à la p. 1, est tout aussi pertinent aujourd'hui qu'il l'était en 1881, dans le contexte du raisonnement des tribunaux relativement à la législation fiscale:
[traduction] L'évolution du droit n'a pas été logique: c'est une question d'expérience. Les nécessités de l'époque, les théories morales et politiques courantes, les intuitions d'ordre public, avouées ou non, même les préjudices communs aux juges et au reste des mortels, ont joué un rôle beaucoup plus important que le syllogisme dans la détermination des règles qui devraient régir les hommes.
La reconnaissance de la non‑neutralité des lois n'est pas chose nouvelle. Tout comme l'interprétation de l'expression «dépense d'entreprise» s'est révélée imprégnée d'une perspective masculine et subjective, c'est également le cas d'une interprétation des dépenses d'entreprise limitée par l'art. 63 de la Loi. Cet article a été adopté pour les besoins de la société de l'époque. En 1972, lors de l'adoption de la disposition en question, l'idéal social d'égalité des sexes et de participation égale des femmes à tous les aspects de la société n'était pas aussi avancé qu'il ne l'est aujourd'hui. En 1993, lorsque l'on procède à l'interprétation des lois, on espère, comme le fait remarquer Joan Brockman dans «Social Authority, Legal Discourse, and Women's Voices» (1992), 21 R.D. Man. 213, à la p. 233, que [traduction] «[l]e mythe de la neutralité des lois est en grande partie disparu». Une interprétation qui tient que l'art. 63 empêche la déduction des frais de garde, lesquels constitueraient par ailleurs une dépense d'entreprise valide, repose, à mon avis, sur le mythe de la neutralité, question dont je discuterai maintenant.
(ii) L'interaction de l'art. 63 et du par. 9(1)
D'après mon collègue et, d'ailleurs selon le juge Décary, puisque le libellé de l'art. 63 de la Loi inclut manifestement les frais de garde des enfants de l'appelante, il crée une interdiction absolue qui rend impossible pour l'appelante Symes de déduire ses frais de garde d'enfants à titre de dépense d'entreprise. Je n'interprète pas ainsi l'art. 63 de la Loi. À mon avis, l'art. 63 et le par. 9(1) peuvent coexister. L'adoption par le législateur d'une disposition visant à profiter à tous les parents faisant partie de la population active rémunérée sans distinction n'empêche pas un contribuable en affaires de déduire une dépense susceptible d'être légitimement réclamée à titre de dépense d'entreprise. L'article 63 offre un avantage général aux parents, mais son libellé n'a pas pour effet d'abolir ou de restreindre les déductions possibles en vertu du par. 9(1). Si le législateur avait eu l'intention d'assujettir la déductibilité des frais de garde d'enfants à l'application de l'art. 63, il l'aurait clairement indiqué. En établissant qu'aucune des déductions autorisées par les art. 60 à 63 n'est applicable à une source déterminée de revenus, le par. 4(2) de la Loi dispose clairement que certaines déductions pourront légitimement exister en vertu de deux dispositions de la Loi. En outre, il n'est pas sans importance de constater que le libellé de l'art. 63 est rédigé d'une façon positive contrairement aux al. 18(1)b) et 18(1)e) qui visent clairement à établir que les déductions possibles sont uniquement celles autorisées en vertu de ces dispositions. Enfin, il importe de signaler que la contribuable en l'espèce ne cherche pas à réclamer une déduction applicable à une source en vertu de l'art. 63, mais cherche à obtenir une déduction d'une source, à titre de dépense d'entreprise, indépendamment de la déduction pour garde d'enfants visée à l'art. 63.
L'appelante soutient que la déductibilité des frais de garde d'enfants est compatible avec les principes fiscaux reconnus dans l'arrêt Olympia Floor & Wall Tile (Quebec) Ltd. c. Ministre du Revenu national, précité (qui a été suivi dans Impenco Ltée. c. Minister of National Revenue, précité). Dans l'arrêt Olympia, le contribuable avait été autorisé à déduire, à titre de dépense d'entreprise, l'argent versé en dons de charité pour tirer un revenu de l'entreprise ou faire produire un revenu à l'entreprise. Le tribunal a statué que cette déduction n'était pas interdite en vertu de ce qui est maintenant l'art. 9 de la Loi même si elle pouvait être autorisée en vertu du par. 27(1) de la Loi. Mon collègue fait une distinction entre cet arrêt et le présent pourvoi au motif que la déduction autorisée dans Olympia, précité, diffère de celle réclamée en l'espèce. Dans cet arrêt, le contribuable soutenait que la dépense avait été engagée à deux fins distinctes, alors qu'en l'espèce, l'appelante affirme qu'elle n'a été encourue qu'à une seule fin. J'estime que ceci n'a absolument aucune incidence sur l'interprétation de l'art. 63, contrairement à ce qu'affirme mon collègue. Certes, ici la contribuable a prétendu uniquement que les frais de garde d'enfants qu'elle a encourus l'ont été en vue de tirer un revenu de l'entreprise ou de faire produire un revenu à l'entreprise, mais la philosophie sous-jacente est la même dans les deux cas et on ne saurait établir entre eux de distinction significative. Les commentaires du président Jackett à ce sujet étant pertinents, j'en reproduis au long l'extrait suivant (aux pp. 283 et 285):
Habituellement, on considère la charité comme une question d'ordre personnel. On donne, à même ce dont on dispose personnellement, pour soulager la pauvreté des autres ou pour l'enseignement ou pour d'autres «bonnes {oe}uvres». D'après son premier sens, on ne déduirait donc pas un don de charité dans le calcul de son bénéfice ou de son revenu, parce qu'il s'agit par définition d'un don pris sur le bénéfice ou le revenu après qu'il a été gagné. Il est certain, à mon sens, qu'à l'origine, un don de charité constituait une dépense «personnelle», dont la déduction aurait été interdite par l'article 12(1)h).
. . .
Bien qu'on n'ait pas jusqu'ici prévu le cas, je ne vois cependant aucune incompatibilité de nature entre une «dépense . . . en vue de . . . produire un revenu» et un don à une organisation de charité. Si les faits, dans une situation particulière, démontrent que ce don a été fait de bonne foi, en tant que dépense en vue de faire naître un revenu, je pense qu'il échappe en principe à l'interdiction de l'article 12(1)a).
Il reste à savoir, en considérant l'article 27(1)a) dans le contexte de la loi, s'il faut attribuer au Parlement l'intention d'interdire dans tous les cas la déduction de dons faits à des organisations de charité, sauf de la façon et dans la mesure autorisée par cet alinéa. En d'autres termes, doit‑on conclure que l'article 27(1)a) interdit toute déduction des contributions à une {oe}uvre de bienfaisance, dans le calcul du revenu?
. . .
À mon avis, lorsque un contribuable engage une dépense en vue de produire un revenu ‑‑ c'est‑à‑dire afin de réaliser des bénéfices ‑‑ même si cette dépense se présente sous la forme d'un «don» à une organisation de charité, il ne s'agit pas d'un «don» au sens que donne à ce terme l'article 27(1)a), qui, d'après le rôle qu'il joue dans la méthode de calcul du revenu imposable, avait certainement pour but de conférer un avantage aux personnes qui ont fait des contributions en les retirant de leur revenu, et non de permettre de déduire des débours engagés en vue de gagner un revenu. [En italique dans l'original.]
Les arrêts Olympia et Impenco, précités, reconnaissent tous les deux que certaines personnes font affaires d'une façon différente des autres et engagent des dépenses différentes de celles qui correspondent à la conception traditionnelle d'une dépense d'entreprise. Dans ces deux arrêts, les pratiques particulières des hommes d'affaires de la communauté juive ont été reconnues. Ici, c'est la situation particulière d'une femme d'affaires qui est en jeu. En principe, et conformément au fondement de l'art. 9 de la Loi, les deux situations sont similaires. Le fait que d'autres puissent se prévaloir de l'art. 63 ou que le même contribuable préfère se prévaloir des déductions autorisées par cette disposition n'empêche aucunement l'application de l'art. 9, qui vise clairement les dépenses d'entreprise.
Par ailleurs, même si l'on pouvait distinguer le présent pourvoi d'avec les arrêts mentionnés, comme le laisse entendre mon collègue, je suis d'avis que ces arrêts viennent confirmer plutôt qu'infirmer l'opinion selon laquelle, même dans le cas où une déduction est apparemment visée par une disposition de la Loi, elle ne rend pas pour autant les dépenses en question inadmissibles à une fin différente visée par une autre disposition de la Loi. En fait, il existe dans la Loi un certain nombre de cas où un contribuable peut réclamer une déduction en vertu de plus d'une disposition de la Loi relativement à une dépense encourue à une seule fin. Par exemple, les frais de scolarité peuvent être déduits en vertu de la disposition relative aux frais de scolarité ou à titre de dépense d'entreprise générale engagée pour tirer ou faire produire un revenu. Comme l'affirme le professeur Woodman, dans «A Child Care Expenses Deduction, Tax Reform and the Charter: Some Modest Proposals» (1990), 8 Rev. Can. D. Fam. 371, à la p. 377, note 30, [traduction] «une personne en affaires peut déduire des frais de scolarité qui peuvent ou non être visés par l'art. 118.5 L.I.R. (maintenant un crédit d'impôt, mais auparavant une déduction en vertu de l'art. 60 L.I.R.)». De même, les dépenses de vendeurs peuvent, en vertu du libellé de la Loi, être déduites en conformité avec plusieurs dispositions, les al. 8(1)f) et h), le par. 8(9) et l'al. 18(1)l).
Que les nombreux facteurs que j'ai énumérés soient déterminants ou non, ces nombreuses considérations emportent certainement la conclusion que l'art. 63 est, à tout le moins, ambigu quant à son incidence sur le par. 9(1). Dans ces circonstances, il faut appliquer, comme l'a fait le juge Cullen, les règles générales d'interprétation des lois qui établissent clairement que toute ambiguïté doit jouer en faveur du contribuable. Dans l'arrêt Johns‑Manville Canada Inc. c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 46, à la p. 72, le juge Estey dit:
La caractérisation, en droit fiscal, d'une dépense est, en dernière analyse (à moins que la loi ne soit claire, ce qui n'est pas le cas en l'espèce), une question de principe. [. . .] Une telle décision est de plus conforme à un autre concept fondamental de droit fiscal portant que, si la loi fiscale n'est pas explicite, l'incertitude raisonnable ou l'ambiguïté des faits découlant du manque de clarté de la loi doit jouer en faveur du contribuable. Ce principe résiduel doit d'autant s'appliquer au présent pourvoi qu'autrement une dépense annuelle entièrement liée à l'exploitation quotidienne de l'entreprise de la contribuable ne lui procurerait aucun dégrèvement d'impôt sous forme de déduction pour amortissement ou pour épuisement s'il s'agit d'une dépense de capital, ou de déduction applicable au revenu s'il s'agit d'une dépense d'exploitation. [Je souligne.]
Le professeur Woodman, loc. cit., à la p. 377, émet, toutefois, la réserve que l'énoncé du juge Estey visait seulement le cas où un régime fiscal ne tiendrait pas compte des dépenses d'immobilisation. Quels que soient les faits particuliers de cet arrêt, le concept fondamental en droit fiscal portant que les ambiguïtés doivent jouer en faveur du contribuable est bien reconnu. Si l'on applique, au besoin, cette règle d'interprétation des lois à la présente situation, en l'absence de termes précis et clairs dans la Loi quant à l'effet de l'art. 63 sur le par. 9(1), les frais généraux de garde d'enfants susceptibles d'être déductibles en vertu de l'art. 63 peuvent coexister avec les frais de garde d'enfants déductibles à titre de dépense d'entreprise. Dans son article intitulé: «No to Nanny Expense Deduction» (1991), 39 Rev. fiscale can. 950, à la p. 953, Richard B. Thomas fait ressortir cette ambiguïté:
[traduction] À notre avis, l'admission du ministère public en première instance était probablement correcte ‑‑ l'existence de l'article 63 ne devrait pas déterminer si les frais de garde d'enfants en cause constituent une dépense d'entreprise aux fins de l'alinéa 18(1)a). Au mieux, l'existence de l'article 63, si on analyse le sens de la Loi en fonction de son objet et de son esprit, laisse entendre que le législateur a présumé que les frais de garde d'enfants n'étaient pas des dépenses d'entreprise déductibles.
Pour se prévaloir des déductions visées à l'art. 63 de la Loi, par opposition aux déductions de dépenses d'entreprise, le contribuable doit manifestement satisfaire à certains critères pour bénéficier d'une déduction en vertu de l'une ou l'autre disposition. En outre, chaque disposition vise une fin particulière. Les parents sur le marché du travail, auxquels s'appliquent la déduction visée à l'art. 63, n'auraient droit à aucune déduction si l'art. 63 n'avait pas été adopté. Par contre, les gens d'affaires peuvent avoir le droit de déduire leurs frais de garde d'enfants comme toute autre dépense d'entreprise, s'ils sont en mesure de satisfaire aux exigences en vertu des art. 9 et 18 de la Loi. Toutefois, il peut y avoir de nombreux parents propriétaires d'entreprise qui ne soient pas en mesure de satisfaire à ces exigences, auquel cas ils pourraient se prévaloir de la déduction en vertu de l'art. 63.
Enfin, à cet égard, on ne doit pas oublier que l'art. 63, qui est de nature générale, a été rédigé à une époque où, comme l'a précisé le juge Iacobucci, les frais de garde d'enfants étaient considérés comme une dépense entièrement personnelle. Lorsque le législateur a adopté l'art. 63, il a conféré à l'ensemble des contribuables un nouvel avantage, qui n'existait pas alors dans la Loi, afin d'améliorer la situation des parents sur le marché du travail. Dans cette perspective, il semble évident que le législateur ne peut avoir eu l'intention d'interdire la déduction des frais de garde d'enfants à titre de dépense d'entreprise. Conclure que l'art. 63 vise à limiter la possibilité pour une femme d'affaires de déduire ses frais de garde d'enfants va à l'encontre de l'objet même de la loi, qui est d'aider les femmes sur le marché du travail et leur famille à assumer les coûts élevés de la garde des enfants. Un examen de l'historique et de l'objet du texte législatif jettera un certain éclairage sur ce point.
(iii) L'historique et l'objet de la loi
Le juge Iacobucci renvoie aux propositions qui ont abouti à l'adoption de l'art. 63 en 1972 et dit qu'il «n'appuie pas l'idée que le législateur a voulu limiter aux employés seulement les déductions visées à l'art. 63» (p. 750). À l'instar du juge Iacobucci, je trouve l'historique de l'art. 63 fort révélateur, mais je tire une conclusion tout à fait différente de cette analyse.
Le rapport publié en 1966 par la Commission Carter recommandait l'établissement de crédits d'impôt pour les mères sur le marché du travail (Rapport de la Commission royale d'enquête sur la fiscalité, t. 3, L'imposition du revenu: Première partie ‑‑ Les particuliers et les familles (1966), à la p. 21). Six ans plus tard, en 1972, l'art. 63 faisait partie d'un programme de réforme fiscale dans lequel le législateur conférait aux employés certaines nouvelles déductions. Après avoir fait remarquer que six contribuables canadiens sur sept gagnaient un traitement ou un salaire, E. J. Benson, alors ministre des Finances, annonçait dans un document intitulé: Propositions de réforme fiscale (1969), à la p. 12, par. 1.33, l'établissement d'une déduction limitée pour les frais de garde d'enfants ainsi que de certaines autres déductions pour les outils et les frais de déplacement:
Le coût de la garde des jeunes enfants lorsque les deux parents travaillent, ou lorsqu'il n'y a qu'un parent et que celui‑ci travaille, serait déductible dans certaines conditions. Cette nouvelle déduction destinée principalement à venir en aide aux mères qui doivent travailler pour subvenir aux besoins de leur famille . . . [Je souligne.]
Le ministre Benson, que cite aussi le juge Iacobucci, a ensuite ajouté, op. cit., aux pp. 17 et 18, par. 2.7 et 2.9:
Nous proposons de permettre aux parents qui travaillent de déduire certaines dépenses afférentes à la garde des enfants. Lorsque les deux conjoints travaillent ou lorsque l'enfant n'a qu'un parent et que ce dernier travaille, bien prendre soin des enfants est un problème personnel aussi bien que social. Nous estimons souhaitable, tant du point de vue social qu'économique, qu'il soit possible de déduire du revenu, en plus de la déduction générale accordée à l'égard des enfants, certaines dépenses afférentes à la garde des enfants, sous certaines conditions bien déterminées.
. . .
Cette nouvelle déduction pour la garde des enfants constituera une réforme majeure. Le nombre exact des familles qui pourront en bénéficier ne peut pas être prévu mais, selon toute probabilité, il se chiffrera par plusieurs centaines de milliers. Cette nouvelle déduction aidera les nombreuses mères qui travaillent ou qui veulent travailler afin d'accroître le revenu familial, mais qui reculent devant les dépenses qu'entraîne la garde de leurs enfants.
La déduction prévue à l'art. 63 a, de façon uniforme, été décrite par rapport aux mères employées comme une «déduction spéciale pour les mères de famille qui travaillent» (Comité permanent des finances, du commerce et des questions économiques de la Chambre des communes, Procès‑verbaux et témoignages, 23 juin 1970, à la p. 70:145).
Il n'est pas sans importance de signaler, comme je l'ai déjà mentionné, que le nombre de femmes sur le marché du travail en 1972 était de beaucoup inférieur à ce qu'il est aujourd'hui et que le nombre de femmes d'affaires était alors minime. Il est fort probable que le législateur n'ait même pas envisagé la possibilité que les femmes se retrouvent un jour, en grand nombre, dans le monde des affaires et dans le secteur professionnel et que ces femmes puissent avoir du monde des affaires une conception tout à fait différente de leurs prédécesseurs de sexe masculin; et, qui plus est, le législateur n'avait certainement pas imaginé que les frais de garde d'enfants puissent constituer autre chose qu'une dépense personnelle.
Deuxièmement, je tiens à relever le point soulevé par de nombreux commentateurs, dont mon collègue le juge Iacobucci, qui estiment que la déductibilité des frais de garde d'enfants à titre de dépense d'entreprise irait carrément à l'encontre de l'objet de l'art. 63, qui est d'accorder une déduction générale pour les frais de garde d'enfants à tous les parents, qu'ils soient travailleurs employés ou travailleurs indépendants. De toute évidence, cette analyse est très étroitement liée à l'objet que l'on prête à la loi. Dans une réponse très appropriée à ces préoccupations, Audrey Macklin, loc. cit., fait remarquer que, même en vertu de la déduction visée à l'art. 63, plus une personne a un revenu élevé et, par conséquent, plus élevée est sa tranche d'imposition, plus elle pourra se prévaloir d'une déduction élevée. Ce fait vient aussi contrecarrer le but d'équité. Qui plus est, la préoccupation que les employés et les gens d'affaires ne seront pas traités de la même façon est un fait lié au fondement même de la Loi; généralement, seuls les gens en affaires peuvent se prévaloir des déductions pour dépenses d'entreprise et non les employés. Ainsi, un employé ne peut déduire le coût de son bureau à la maison, ni ses dépenses d'automobile, ni ses frais de repas ou de représentation, ni ses cotisations ou droits à un club. En outre, les employeurs qui embauchent du personnel peuvent en déduire les salaires et les employeurs qui offrent à leurs employés des services de garderie peuvent en déduire les dépenses (D. Goodison, «Nanny Means Business», CGA Magazine, septembre 1989, p. 15). Les employés ne bénéficient pas de déductions comparables.
Comme mon collègue l'a indiqué, notre régime fiscal est fondé sur des principes d'équité horizontale et d'équité verticale. Le premier type vise à ce que soient imposés de la même façon les particuliers se trouvant dans des situations similaires, tandis que le second porte sur l'imposition similaire de particuliers dans des situations différentes. Ce sont là des objectifs importants qui ont été placés en tête de liste des priorités dans le Rapport de la Commission royale d'enquête sur la fiscalité, op. cit. La Commission Carter affirme dans le t. 2, aux pp. 20 et 21:
En tête sur la liste des priorités, nous plaçons l'équité. [. . .] notre tâche consiste à formuler des recommandations propres à assurer une répartition équitable du fardeau des impôts. Nous sommes convaincus que si nous ne parvenons pas à rendre le régime d'imposition plus équitable, nos autres réalisations n'auront guère d'importance. C'est pourquoi l'édification d'un tel régime a été notre principal souci et guide dans toutes nos délibérations.
Bien que nous tenions à l'équité du régime fiscal, force nous est de constater qu'il crée et perpétue de nombreuses inégalités. Comme le professeur Claire Young, loc. cit., l'observe aux pp. 108 et 109:
[traduction] De par sa nature même, la législation fiscale est à la fois ouvertement et systémiquement discriminatoire. Par exemple, au Canada, la loi établit une discrimination en faveur des résidents canadiens et contre les non‑résidents en imposant davantage ces derniers relativement à certains types de revenus réalisés. Elle établit une discrimination contre les employés en faveur des travailleurs indépendants en offrant à ceux‑ci un plus grand éventail de déductions sur le revenu. Elle établit une discrimination en faveur des investisseurs en actions et contre les investisseurs en titres d'emprunt en imposant les gains en capital à un taux moins élevé que les revenus d'intérêt et en accordant à chaque résident une exonération cumulative de 100 000 $ sur les gains en capital.
Toute analyse du traitement différent accordé aux employés et aux gens d'affaires doit reposer sur la prémisse fondamentale suivante: la reconnaissance que la Loi peut avoir un effet discriminatoire. Bien que la Loi n'ait peut‑être jamais tenté de maintenir un équilibre entre les gens d'affaires et les employés, il faut reconnaître que l'on ne peut faire abstraction de la réalité du monde des affaires. Contrairement aux entreprises, les employés n'ont pas de frais généraux. Les employés ne peuvent déduire les dépenses qu'ils encourent pour travailler parce que leur revenu est fondé sur leur salaire brut, alors que le revenu d'entreprise est fondé sur le calcul des bénéfices ou du gain nets de l'entreprise. En conséquence, les déductions sont monnaie courante. Ce qui constitue une dépense d'entreprise aux fins de l'impôt n'est pas coulé dans le béton à tout jamais. On doit interpréter le concept de dépense d'entreprise d'une façon qui tienne compte de la réalité; soit que les femmes d'affaires doivent encourir des dépenses pour la garde des enfants. Toutefois, le fait de reconnaître qu'il existe dans la Loi une distinction entre le traitement des employés et celui des gens d'affaires n'implique pas pour autant que cela ne constitue pas une difficulté réelle à l'intérieur de notre régime fiscal.
Cela dit, le présent pourvoi ne porte pas, pour l'essentiel, sur les nombreuses iniquités verticales qui peuvent exister, mais plutôt sur une question d'équité horizontale et sur la nécessité de traiter sur un pied d'égalité tous les gens d'affaires. En outre, l'établissement par le gouvernement d'une déduction pour les frais de garde d'enfants dont peuvent bénéficier tous les parents, y compris les employés, qui bénéficient habituellement de très peu de déductions, indique bien que le gouvernement reconnaît les frais de garde d'enfants comme une dépense légitime des parents sur le marché du travail, tout particulièrement les mères. Enfin, on ne doit pas croire que la plupart des entrepreneurs indépendants, favorisés par la Loi, sont multimillionnaires ‑‑ ils ne le sont pas, comme le montre le témoignage du Dr Armstrong, qui indique que les travailleuses indépendantes ont généralement des petites entreprises de trois à quatre personnes. C'est dans le secteur des services que se retrouvent la plupart de ces entreprises dans lesquelles les femmes doivent être physiquement présentes au lieu de travail pour assurer le fonctionnement de l'entreprise; citons, par exemple, les salons de beauté, les magasins, les bureaux de médecins, les cabinets d'avocats et les entreprises de traiteurs, etc. Compte tenu des longues heures de travail et de la nécessité de travailler sur place, plutôt qu'à la maison, le besoin de services de garde est extrêmement important pour ces femmes. Les femmes d'affaires et, quant à cela, les hommes d'affaires qui engagent légitimement des frais de garde d'enfants pour tirer un revenu de l'entreprise ou faire produire un revenu à l'entreprise ne doivent pas être privés de l'avantage d'une déduction pour ces dépenses.
Enfin, sur un point technique, mon collègue soutient que permettre la déductibilité des frais de garde d'enfants entraîne la possibilité que la répartition de la responsabilité des frais de garde d'enfants devienne plus un «exercice comptable» qu'une image de la réalité, une création fictive visant à faire en sorte que le conjoint qui travaille à son compte puisse bénéficier de la déduction des frais de garde d'enfants à titre de dépense d'entreprise. À mon avis, cette détermination ne pose pas suffisamment de problèmes pour justifier le refus des déductions pour frais de garde d'enfants à titre de dépense d'entreprise. Le contribuable devra d'abord, comme pour toute autre dépense, prouver qu'il a besoin de services de garde d'enfants pour tirer un revenu de l'entreprise ou faire produire un revenu à l'entreprise et, à cet égard, il devra indiquer dans quelle mesure il est responsable de la garde des enfants. Cet examen n'est pas différent en fait de la procédure que suit le MRN pour déterminer si les frais de bureau à domicile et nombre d'autres dépenses sont déductibles.
E.Conclusion relative à l'interprétation de la Loi de l'impôt sur le revenu
En conclusion, l'art. 63 et le par. 9(1) de la Loi peuvent, à mon avis, coexister. Le libellé de l'art. 63 n'a pas pour effet d'exclure l'application de l'art. 9. De plus, prétendre le contraire serait incompatible avec l'objet et le fondement historique de l'art. 63 et avec les méthodes traditionnelles d'analyse des diverses déductions prévues dans la Loi. Dans toute analyse nécessitant l'examen de l'interaction du par. 9(1) et de l'art. 63, on ne saurait négliger l'effet d'une interprétation qui conclut que l'art. 63 écarte toute possibilité de déduire les frais de garde d'enfants à titre de dépense d'entreprise. Cette interprétation, apparemment neutre, pourrait bien porter l'empreinte d'une perspective sélective. En effet, bien que, sans aucun doute, le législateur vise l'objectivité, les lois sont inévitablement rédigées en fonction de la vision sociale de leurs auteurs et de leur propre expérience; c'est pourquoi certaines interprétations ainsi que les solutions retenues paraîtront évidentes ou neutres à certains. Toutefois, des situations différentes peuvent donner lieu à des interprétations différentes comme le fait remarquer Margrit Eichler dans Nonsexist Research Methods: A Practical Guide (1988), à la p. 78:
[traduction] Aussi longtemps que la situation sociale des femmes et des hommes sera sensiblement différente, il sera nécessaire de reconnaître qu'une situation donnée peut entraîner des interprétations et des répercussions fort différentes pour les membres de l'un ou l'autre sexe.
La définition de ce qui constitue une dépense d'entreprise au sens de la Loi a évolué d'une façon qui n'a pas tenu compte de la situation des femmes d'affaires. Il est donc impératif de reconnaître que toute interprétation de l'art. 63 qui empêche la déduction des frais de garde d'enfants à titre de dépense d'entreprise peut, en fait, être alimentée par cette méthode d'analyse partiale.
Enfin, comme je l'ai déjà mentionné, en plus de s'en remettre au texte de loi qui fait l'objet du présent examen, on ne doit pas oublier que les valeurs de la Charte doivent guider cette interprétation: Hills c. Canada (Procureur général) et Slaight Communications Inc. c. Davidson, précités. Puisque, selon moi, ou la Loi permet de déduire les frais de garde d'enfants à titre de dépense d'entreprise ou elle est ambiguë à ce sujet, il faut, contrairement à l'opinion de mon collègue, décoder cette ambiguïté à travers le prisme des valeurs de la Charte, plus particulièrement ses art. 15 et 28. Ces articles reconnaissent l'importance de l'égalité entre les sexes, et la Loi doit être interprétée d'une façon qui ne va pas à l'encontre de ces principes, mais qui, plutôt, les mette en valeur. À cet égard, tout en s'assurant que les lois respectent les impératifs de la Charte, il importe de voir si une situation ou une loi entraîne des répercussions différentes pour les femmes et les hommes. Refuser les frais de garde à titre de dépense d'entreprise a clairement un incidence différente sur les femmes, et nous ne pouvons tout simplement pas parler d'égalité et, du même souffle, maintenir une interprétation qui favorise les hommes d'affaires et qui continue de nier les besoins professionnels des femmes d'affaires qui ont charge d'enfants. À mon avis, l'examen des valeurs de la Charte aux fins de l'interprétation de la Loi renforce la conclusion que Mme Symes devrait pouvoir déduire ses frais de garde d'enfants à titre de dépense d'entreprise.
Puisque j'ai conclu, sur la base de l'interprétation de la Loi, que Mme Symes a le droit de déduire ses frais de garde d'enfants à titre de dépense d'entreprise conformément au par. 9(1), aux al. 18(1)a) et h) et à l'art. 63 de la Loi, les questions constitutionnelles ne se posent pas. Toutefois, puisque mon collègue le juge Iacobucci a soulevé de nombreux points qui font l'objet de préoccupations et de difficultés en ce qui concerne l'application de l'art. 15 de la Charte à la Loi, je tiens à faire les commentaires qui suivent.
VI. L'article 15 de la Charte
Mon collègue, le juge Iacobucci, a formulé les principes fondamentaux d'une analyse fondée sur la Charte, particulièrement en ce qui concerne l'art. 15 et les droits garantis par cette disposition. Je suis d'accord pour dire que l'égalité est «un concept difficile à saisir» (Andrews, précité, à la p. 164) et que le par. 15(1) garantit beaucoup plus que l'égalité formelle. En ce qui concerne l'égalité des sexes, l'art. 15 vise la réalisation d'une véritable et substantielle égalité entre les femmes et les hommes; c'est pourquoi il faut en l'espèce accorder une importance considérable à l'égalité reconnue par la Charte.
Contrairement à mon collègue, toutefois, j'estime qu'une interprétation qui empêche Mme Symes de déduire ses frais de garde d'enfants à titre de dépense d'entreprise en vertu de la Loi porte atteinte au droit à l'égalité que lui garantit l'art. 15 de la Charte. Mon collègue ainsi que la Cour d'appel ont soulevé plusieurs points que j'estime nécessaire de commenter. Ils ont, entre autres, mis l'accent sur l'art. 63 de la Loi plutôt que sur l'ensemble des déductions pour dépenses d'entreprise, et cherché à déterminer si l'on a prouvé les coûts réels engagés par Mme Symes, voire s'il est nécessaire de le faire, et si le présent pourvoi soulève la question des coûts encourus par toutes les femmes par suite de la nécessité de la garde des enfants et non simplement par les femmes d'affaires. J'examinerai séparément chacun de ces points.
Dans son analyse fondée sur la Charte, mon collègue examine principalement l'art. 63. À son avis, il faut déterminer si l'appelante a établi qu'elle a été victime de discrimination par suite de l'incidence de l'art. 63 de la Loi. Selon lui, pour satisfaire à ce critère, Mme Symes doit prouver que «l'art. 63 limite d'une façon disproportionnée les déductions au titre des dépenses réelles engagées par les femmes» et que «la preuve que les femmes paient les coûts sociaux ne suffit pas à établir que ce sont elles qui paient les frais de garde d'enfants» (p. 65). Je ne suis pas d'accord. À mon avis, cette inférence est inéluctable; de toute façon, on a établi, en l'espèce, que Mme Symes avait en fait encouru les dépenses dont elle demande la déduction.
Cette inférence découle nécessairement de la reconnaissance que les responsabilités en matière de garde d'enfants constituent un obstacle important pour les femmes dans le secteur socio‑économique, qu'il s'agit d'une question d'égalité et que l'interprétation des lois peut et doit composer avec l'égalité et avec l'évolution de notre société. Selon Edward J. McCaffery, dans «Taxation and the Family: A Fresh Look at Behavioral Gender Biases in the Code» (1993), 40 UCLA L. Rev. 983, aux pp. 987 et 988:
[traduction] . . . les lois fiscales contribuent à la marginalisation des femmes sur le marché du travail et empêchent une formulation plus créative de modèles différents du travail et de la famille. D'importants aspects structurels des lois fiscales remontent à une époque dominée par les familles traditionnelles ‑‑ c'est‑à‑dire les ménages dans lesquels les hommes travaillaient à l'extérieur du foyer et les femmes, au foyer. Ces aspects continuent d'exister aujourd'hui, limitant l'apparition de modèles plus modernes et plus souples de la famille. [Notes en bas de page omises.]
C'est la situation que vit Mme Symes en tant qu'avocate et mère, situation dans laquelle elle se trouve préjudiciée d'une façon disproportionnée par rapport aux hommes et victime de discrimination fondée sur le sexe. Elle a prouvé qu'elle avait engagé des frais réels et calculables pour la garde des enfants et que ces frais sont assumés d'une façon disproportionnée par les femmes.
À mon avis, le fait que Mme Symes doive se comparer aux hommes d'affaires n'est pas un retour au critère selon lequel les personnes qui se trouvent dans une situation analogue doivent être traitées de façon analogue. Comme le juge McIntyre l'indique relativement à l'égalité dans l'arrêt Andrews, précité, à la p. 164:
C'est un concept comparatif dont la matérialisation ne peut être atteinte ou perçue que par comparaison avec la situation des autres dans le contexte socio‑politique où la question est soulevée.
Le fait que Mme Symes soit une femme d'affaires est évident, mais on ne doit pas pour autant affirmer qu'il s'agit d'un retour à un critère que Catharine A. MacKinnon, dans «Reflections on Sex Equality Under Law» (1991), 100 Yale L.J. 1281, à la p. 1297, décrit ainsi:
[traduction] Une telle analyse est conçue pour le particulier exceptionnel, habituellement de sexe masculin, et ne peut toucher la situation de la plupart des femmes, dans les cas où l'importance de l'inégalité sociale empêche effectivement toute comparaison entre les sexes.
Madame Symes demande d'être traitée, en vertu de la Loi, d'une façon égale, indépendamment de son sexe. Elle a fourni de nombreux éléments de preuve pour établir que les femmes subissent les coûts sociaux de la garde des enfants et que les frais de garde d'enfants qu'elle engage, et a payés, ne sont pas une dépense purement personnelle, mais qu'ils ont été encourus pour tirer un revenu de l'entreprise ou faire produire un revenu à l'entreprise. À mon avis, Mme Symes a subi une perte réelle et calculable liée au fait qu'elle n'a pas été en mesure de déduire une dépense d'entreprise légitime qu'elle avait encourue. Le but et l'exigence d'égalité, prévus à l'art. 15 de la Charte, font qu'il est inacceptable de refuser à Mme Symes le droit de déduire ses dépenses d'entreprise simplement parce que ce genre de dépense n'est généralement pas encouru par des hommes d'affaires. Le refus d'accorder ces déductions constituerait de la discrimination aux termes de la Loi.
Le juge Iacobucci soutient que le dilemme ne devrait pas être formulé comme une question de déduction de dépenses d'entreprise, mais plutôt comme une question touchant les frais de garde d'enfants imposés à toutes les femmes, employées ou travailleuses indépendantes. À cet égard, il cite le professeur Audrey Macklin, loc. cit., à la p. 512:
[traduction] Si l'article 15 vise dans ce contexte à remédier à l'incidence discriminatoire des lois fiscales sur les membres des groupes défavorisés, il n'existe aucun prétexte pour limiter l'examen au paragraphe 18(1) de la Loi ou les réparations aux femmes d'affaires. En ce qui concerne les déductions fiscales, la véritable question serait l'insuffisance de la déduction partielle prévue à l'article 63 quand il s'agit de faciliter l'accès des travailleuses indépendantes et salariées au marché du travail rémunéré. [. . .] Le fait qu'une femme soit qualifiée de travailleuse indépendante ou salariée n'a aucune importance lorsqu'il faut déterminer si le régime existant perpétue un état de subordination.
Je suis sensible aux questions soulevées par le professeur Macklin. Je suis tout à fait d'accord que toutes les femmes subissent d'importants coûts sociaux et financiers associés au soin des enfants et que les femmes engagent ces coûts, qu'elles soient propriétaires d'une petite entreprise indépendante, avocates, employées ou gardent le foyer à temps plein. En fait, j'estime que toutes les femmes subissent, en raison de leur sexe, des désavantages liés aux soins des enfants.
Par ailleurs, je n'ignore pas que les déductions fiscales ne sont certainement pas la meilleure façon pour le gouvernement d'offrir une aide relativement aux frais élevés de garde d'enfants et que les déductions admises en vertu de l'art. 63 ne sont pas représentatives des coûts réels de garde d'enfants. Peut‑être ne devrait‑on pas subventionner la garde d'enfants par l'intermédiaire du régime fiscal, mais d'une autre façon. De toute évidence, les déductions fiscales bénéficient seulement aux personnes qui ont un revenu imposable et elles constituent de ce fait une sorte de subvention à l'inverse qui permet à une personne ayant plus de revenus de dépenser davantage au titre de la garde des enfants et, en conséquence, de recevoir en retour une plus grande part du programme de dépenses fiscales du gouvernement, la déduction n'aidant pas les familles qui ne peuvent tout simplement pas s'offrir des services de garde. Enfin, ce type de subvention gouvernementale ne permet aucunement la mise sur pied de services fort nécessaires de garderie.
En outre, je ne suis pas sans savoir que le traitement différent accordé aux employés et aux gens d'affaires en vertu de la Loi est problématique et pourrait bien devoir être examiné dans l'avenir. (Voir l'arrêt Ontario Public Service Employees Union c. National Citizens' Coalition Inc. (1987), 60 O.R. (2d) 26 (H.C), conf. par (1990), 74 O.R. (2d) 260 (C.A.), dans lequel la Cour d'appel de l'Ontario a statué que les déductions dont bénéficient les travailleurs indépendants par opposition aux employés ne violaient pas l'art. 15.) Comme je l'ai déjà mentionné, la Loi traite différemment des groupes différents de personnes et l'équité verticale entre les employés et les travailleurs indépendants n'a jamais été maintenue. Toutefois, on ne s'est jamais préoccupé de cette dichotomie dans le cas des autres déductions pour dépenses d'entreprise autorisées en vertu des art. 9 et 18 de la Loi et le traitement différent qui existe entre les contribuables en affaires et les autres n'est pas que je sache soulevé en l'espèce. Si notre Cour devait se prononcer sur ces nombreuses questions complexes, elle devrait procéder à un examen sérieux de l'effet des classes socio‑économiques sur le régime fiscal, de la situation de toutes les femmes dans la société et des incidences de la garde d'enfants. Toutefois, ces questions ne sont pas devant la Cour. Madame Symes n'a pas soulevé le dilemme fort complexe du désavantage que subissent généralement les femmes en raison des coûts socio‑économiques de la garde des enfants. Elle a, toutefois, soulevé la question beaucoup moins vaste mais non moins importante de la discrimination subie par les gens d'affaires, plus particulièrement les femmes, si l'on interprète la Loi de façon à refuser les frais de garde d'enfants à titre de dépense d'entreprise encourue pour tirer un revenu de l'entreprise ou faire produire un revenu à l'entreprise. Cette question, soit la distinction qui existe entre contribuables en affaires, doit recevoir une réponse.
La réclamation de Mme Symes ne peut pas être examinée simplement en orientant le débat vers la question plus générale de la situation de l'ensemble des femmes. Lui accorder une déduction à laquelle elle a clairement droit en vertu de la Loi ne minimise aucunement l'importance de la question générale de la garde d'enfants qui préoccupe l'ensemble des parents, plus particulièrement les femmes, mais cette question devra être examinée à un autre moment. Je suis d'accord avec l'intervenant, le Comité de la Charte et des questions de pauvreté, que l'appelante ne conteste pas l'art. 63 au motif que cette disposition est inadéquate ou inclusive; Mme Symes conteste la constitutionnalité de l'art. 63 seulement dans la mesure où il affecte l'interprétation et l'application par la cour des autres dispositions de la Loi relatives aux déductions pour dépenses d'entreprise.
Mon collègue se réfère à la situation familiale comme approche alternative ainsi qu'au fait que la situation des mères chefs de familles monoparentales, plutôt que celle de Mme Symes, pourrait bien constituer un exemple plus clair des difficultés liées à la garde des enfants. Cela peut bien être exact, mais ce n'est pas une raison de ne pas protéger les droits de l'appelante en vertu de la Loi ou de l'art. 15 de la Charte. On ne saurait justifier une discrimination en en dénonçant une autre. Ce n'est pas le critère auquel a dû satisfaire M. Andrews dans l'arrêt Andrews c. Law Society of British Columbia, précité. Dans cet arrêt, à partir de la situation de l'intimé, notre Cour n'a pas justifié la violation de ses droits garantis par l'art. 15 en soutenant que, dans tous les autres aspects de sa vie, comme avocat de race blanche de descendance britannique, la discrimination fondée sur la citoyenneté était acceptable puisqu'il se trouvait probablement dans une meilleure situation que la plupart des autres individus du groupe défavorisé de personnes privées de la citoyenneté canadienne. Madame Symes ne peut non plus être tenue de satisfaire à ce critère. Il n'est pas question ici de l'avantage dont jouissent certaines femmes dans la société par rapport à d'autres, mais plutôt de l'examen de l'avantage dont jouissent les hommes d'affaires par rapport aux femmes d'affaires. S'il fallait chaque fois qu'une demande est présentée en vertu de l'art. 15 de la Charte résoudre tous les problèmes de discrimination d'un groupe donné, l'arrêt Andrews n'aurait probablement pas encore été rendu. Le fait que Mme Symes puisse appartenir à une classe économique plus favorisée ne rend pas invalide en soi la demande qu'elle a présentée en vertu de l'art. 15 de la Charte. Elle ne doit pas être tenue responsable de toutes les mesures discriminatoires susceptibles d'exister à l'intérieur du régime fiscal, ni du fait que d'autres femmes puissent être désavantagées sur le marché du travail par la nécessité d'assurer la garde des enfants. Comme le soutient l'appelante, nous ne pouvons [traduction] «garder toutes les femmes dans la situation des femmes les plus défavorisées, apparemment au nom de l'égalité des sexes».
Il importe, je crois, de rappeler le contexte dans lequel il faut examiner les questions fondées sur la Charte, comme l'a indiqué mon collègue en se référant aux affirmations de Madame le juge Wilson dans l'arrêt R. c. Turpin, [1989] 1 R.C.S. 1296, et, comme je l'ai mentionné dans l'arrêt R. c. Seaboyer, [1991] 2 R.C.S. 577, à la p. 647:
J'estime que les questions constitutionnelles doivent être examinées dans un plus large contexte politique, social et historique pour tenter d'en arriver à une analyse constitutionnelle qui ait quelque sens.
En l'espèce, dans le contexte de l'examen fondé sur la Charte, nous devons avant tout avoir à l'esprit que les femmes ont traditionnellement assumé une part inégale des coûts de garde d'enfants, que ces coûts ont eu une incidence sur la capacité des femmes de participer à une entreprise ou d'avoir un autre genre de travail rémunéré et, enfin, que la garde des enfants a eu une incidence sur la situation et l'indépendance financières des femmes. À mon avis, cette méthode «contextuelle» tente de s'attaquer au problème du privilège et de saisir la diversité des expériences humaines. Lorsque des questions sont examinées dans leur contexte, il devient évident que certaines présumées «vérités objectives» peuvent correspondre seulement à la situation d'un groupe donné dans la société et peuvent, en fait, être entièrement inadéquates relativement à la situation d'autres groupes. Comme l'affirme l'honorable Bertha Wilson dans «Women, the Family, and the Constitutional Protection of Privacy» (1992), 17 Queen's L.J. 5, à la p. 13:
[traduction] La vraie vie, la vie des femmes contemporaines, doit non seulement être prise au sérieux, mais devrait être considérée comme primordiale dans l'interprétation des garanties constitutionnelles qui influent directement ou indirectement sur l'égalité des femmes. La situation ne doit pas être adaptée aux garanties constitutionnelles, mais celles‑ci doivent plutôt être interprétées en fonction de la situation des femmes.
L'application d'une méthode contextuelle différente peut avoir un effet différent qui affecte de façon importante l'issue d'un dossier comme celui-ci. Comme le professeur Audrey Macklin, loc. cit., le décrit, les méthodes contextuelles opposées adoptées par le juge de première instance et la Cour d'appel ont joué un rôle crucial sur l'issue du litige (aux pp. 508 et 509):
[traduction] La façon la plus simple de bien saisir les opinions divergentes exprimées par les juges Cullen et Décary relativement aux questions fondées sur la Charte est d'imaginer que les juges ont examiné la situation de Beth Symes à travers des lunettes différentes. Le juge de première instance a vu une femme d'affaires se tenant à côté d'un homme d'affaires. Pour leur part, les juges de la Cour d'appel ont vu une femme professionnelle travaillant à son compte à côté d'une femme salariée. Dans le premier scénario, Mme Symes était victime de discrimination pour un motif fondé sur son sexe en contravention de l'art. 15 et méritait d'être traitée de la même façon qu'un homme d'affaires quant à ses dépenses d'entreprise. Dans le second scénario, Mme Symes était favorisée en raison de la catégorie à laquelle elle appartient et trivialisait l'article 15 de la Charte en tentant d'utiliser son statut de femme d'affaires pour obtenir plus d'avantages que ceux dont bénéficient les femmes salariées.
L'essentiel de la position du juge Décary est qu'il est absurde de mettre Mme Symes sur un pied d'égalité avec les hommes d'affaires si, ce faisant, elle se trouve dans une position supérieure par rapport aux autres femmes. En d'autres termes, il est préférable que toutes les femmes soient également défavorisées par rapport aux hommes si l'alternative est d'améliorer la situation des femmes les mieux nanties.
La méthode d'interprétation appropriée pour les questions portant sur l'égalité est de reconnaître que l'on ne peut solutionner le problème de la discrimination sans tenir compte de la perspective du groupe victime de discrimination. En l'espèce, l'art. 15 de la Charte exige que les dépenses d'entreprise soient définies par rapport à la situation tant des femmes que des hommes. Que les frais de garde d'enfants soient compatibles avec les valeurs d'égalité et représentatifs de la situation que vivent les femmes ne soulève aucun doute dans mon esprit.
De façon plus générale, j'aimerais faire les observations qui suivent.
A.Les femmes et la garde des enfants
Dans le Rapport de la Commission sur l'égalité en matière d'emploi de 1984, Rosalie Abella (maintenant juge de la Cour d'appel de l'Ontario) affirme (à la p. 195):
Selon le droit canadien, il incombe aux deux parents de prendre soin des enfants. Toutefois, selon la coutume, c'est la mère qui s'est toujours vu attribuer cette responsabilité. Par conséquent, c'est sur elle que retombe la culpabilité ou qui est critiquée par la société lorsqu'elle se joint à la population active. Et c'est elle qui habituellement a la responsabilité morale de faire garder les enfants et de prendre les dispositions nécessaires. [Je souligne.]
La mise en {oe}uvre de l'art. 15 de la Charte en 1985 n'a pas entraîné un revirement instantané de cette situation. Comme l'a dit le Dr Armstrong dans son témoignage, la recherche au Canada et à l'étranger a constamment démontré que ce sont les femmes qui demeurent principalement responsables de la garde des enfants, qu'elles travaillent au foyer ou à l'extérieur. Lorsqu'on lui a demandé de résumer ces études, elle a dit:
[traduction] À mon avis, elles ont toutes donné des résultats très uniformes; bien que les hommes s'occupent d'une certaine partie du soin des enfants, et ce dans tout le Canada, que ce soit à Vancouver, à Halifax, à Toronto ou à Flin Flon, il est clair que la principale responsabilité et la plus grande partie du travail reposent sur les femmes; les hommes ont tendance à fournir aux enfants les soins de type discrétionnaire: prendre une marche avec les enfants, lire une histoire avant de les mettre au lit ou toute autre chose similaire plutôt que les tâches nécessaires reliées aux enfants; les études donnent des résultats uniformes, que nous parlions d'un ménage où la femme est employée à temps plein ou de celui où elle travaille à temps plein au foyer.
En fait, Statistique Canada signale que les hommes qui travaillent sont principalement responsables de la garde des enfants dans seulement 6 pour 100 des familles (Susan Crompton, «Qui s'occupe des enfants lorsque la mère travaille à l'extérieur?, dans Statistique Canada, L'Emploi et le revenu en perspective, vol. 3, no 2 (été 1991), à la p. 72).
Par ailleurs, la responsabilité de la garde des enfants a également une très grande incidence sur les modèles d'emploi des femmes. Selon l'enquête de Statistique Canada sur les familles, la permanence des services de garde d'enfants avait une incidence importante sur la continuité de l'emploi de la majorité des femmes, mais pratiquement aucune sur celle des hommes. Cela est compatible avec les travaux de recherche effectués auprès des femmes qui occupent des postes de direction ou de nature professionnelle, selon lesquels le fait d'avoir des enfants constitue une interruption majeure du cheminement professionnel et un problème pour les femmes. (Voir aussi M. Gunderson, L. Muszynski et J. Keck, Vivre ou survivre? Les femmes, le travail et la pauvreté (1990), aux pp. 34 et 35.) Le Dr Armstrong n'était pas au courant de travaux similaires sur les hommes dans lesquels ceux‑ci auraient dit que l'éducation des enfants influe sur leur carrière. Par ailleurs, comme je l'ai déjà mentionné, l'étude récemment complétée par l'Association du Barreau canadien indique que les avocats n'ont pas mentionné de façon régulière que la garde des enfants avait une incidence quelconque sur leur carrière (Les assises de la réforme, op. cit.), alors que les avocates ont indiqué subir des pertes financières découlant des responsabilités de garde d'enfants. En fait, le Dr Armstrong a fait remarquer que leur coût seul peut absorber une grande partie du revenu d'une femme. Les femmes d'affaires ne diffèrent pas sensiblement de l'ensemble des femmes en ce qui concerne l'effet de la garde des enfants.
B.Les femmes d'affaires
En 1991, le Conseil consultatif canadien sur la situation de la femme a réalisé une étude sur la vie et l'expérience en affaires de plus de 200 femmes propriétaires d'entreprises au Canada. Les résultats de l'étude ont été publiés dans un document intitulé Une cage de verre: les entrepreneures au Canada. Les auteurs ont constaté que les entreprises des femmes se retrouvent principalement dans les secteurs du détail et des services, reconnus pour leurs longues heures, leurs fortes exigences personnelles et leurs faibles rendements financiers. Comme au sein de la population active généralement, où les femmes sont regroupées dans des emplois de secrétariat et de soins infirmiers, cette «compartimentation» a pour effet de réduire le rendement financier du propriétaire de l'entreprise.
Les auteurs du rapport décrivent le profil type des participantes (à la p. 11):
On pourrait décrire la participante type comme une femme blanche, mariée, mère de deux enfants et possédant la totalité d'une entreprise de vente au détail. Diplômée d'études secondaires, elle a travaillé dans un domaine connexe avant de lancer son entreprise, mais sans aucune expérience de gestion.
Son entreprise actuelle est la seule qu'elle ait fondée, il y a entre six et dix ans, avec moins de 25 000 $ comme mise de fonds initiale, puisés à même ses économies personnelles. Elle continue d'ailleurs de financer elle‑même l'entreprise en se versant moins de 30 000 $ par année en salaire, même si elle travaille de 50 à 70 heures par semaine. L'entreprise emploie, en moyenne, trois personnes. L'impression qui se dégage de nos entretiens avec des centaines de propriétaires est celle de la mesure: leurs entreprises ne sont pour la plupart ni avant‑gardistes, ni importantes.
Les revenus annuels déclarés par les femmes dans le cadre de cette étude permettent de discréditer une grande partie du mythe de la femme d'affaires riche. Un tiers des femmes qui faisaient partie de l'échantillon ont déclaré ne recevoir aucun salaire. Vingt pour cent gagnaient entre 30 000 $ et 50 000 $ et seulement 15 pour 100 gagnaient plus de 50 000 $. Les hommes propriétaires d'entreprise ont déclaré des revenus de quelque 66 pour 100 plus élevés que ceux rapportés par les femmes propriétaires d'entreprise.
Dans l'étude en question, le facteur de discrimination a été signalé par un peu plus de la moitié des femmes d'affaires. Plus particulièrement, les créanciers semblent se servir de critères non pertinents, comme l'état matrimonial et l'âge (risque de grossesse), lorsqu'ils procèdent à l'examen des demandes de prêts. Les auteurs ont signalé que le fait d'être marié et d'avoir des enfants était considéré comme un signe de stabilité chez les hommes, mais que les mêmes facteurs suggéraient que les femmes ne sont pas fiables. Il existe d'autres formes plus subtiles de traitement différent; par exemple, les femmes découvrent qu'elles n'existent pas pour les clients, les fournisseurs et les créanciers; pour bon nombre d'entre eux, s'il y a un homme dans l'entreprise, c'est lui le patron. Aux pages 72 et 73 de leur rapport, les auteurs de Une Cage de verre affirment:
Au cours de nos entrevues auprès des femmes propriétaires d'entreprises dans les parcs industriels et les centres commerciaux achalandés, l'image de la femme isolée dans une cage de verre s'est fait jour. Isolée par son activité inhabituelle d'entrepreneure, par le fait qu'elle est propriétaire unique de son affaire, par son statut d'immigrante, par ses réseaux restreints de collègues et de relations professionnelles, et surtout par les longues heures que lui réclament son entreprise et son foyer, la femme propriétaire d'entreprise ne peut saisir les nombreuses occasions qui s'offrent à elle. Ainsi, outre les difficultés qui se présentent à toute personne qui souhaite lancer et réussir une nouvelle affaire, au delà des défis à relever, de la satisfaction personnelle et du sentiment d'indépendance, l'entrepreneure doit surmonter des obstacles qui semblent tenir au fait qu'elle est une femme exerçant une activité non traditionnelle. Voilà pourquoi nous parlons de la cage de verre de l'entrepreneuriat féminin. Isolée des nombreuses occasions à saisir, la femme propriétaire d'entreprise doit franchir un certain nombre d'obstacles qui se dressent sur la voie de son succès professionnel et personnel.
Presque la moitié des femmes qui ont participé à l'étude étaient mariées et avaient des enfants au foyer. Contrairement aux hommes entrepreneurs, la plupart assumaient l'entière responsabilité du foyer et des enfants. Seulement 10 pour 100 avaient engagé de l'aide domestique, signe d'un manque de ressources financières ou d'une hésitation à déléguer quelque partie d'un rôle important. Les auteurs de la Une Cage de verre indiquent que les responsabilités liées aux soins des enfants constituent l'un des principaux obstacles qui empêchent la femme d'affaires de réaliser son plein potentiel d'entrepreneur. C'est dans ce contexte ‑‑ la situation des femmes et les sérieuses répercussions qu'a pour elles la garde des enfants ‑‑ que, dans le présent pourvoi, l'analyse fondée sur la Charte doit être examinée.
VII. Conclusion
Mon incursion dans l'art. 15 de la Charte a été suscitée uniquement en raison des commentaires de mon collègue à ce sujet. À mon avis, Mme Symes doit avoir gain de cause principalement en se fondant sur l'interprétation de la Loi, plus particulièrement ses art. 9 et 18. De plus, si l'art. 63 doit guider l'interprétation de ces articles, ils coexistent clairement. Les frais de garde d'enfants peuvent être déductibles à titre de dépense d'entreprise dans les cas où les exigences en matière de déductibilité à cet égard sont respectées. En ce qui concerne l'art. 15 de la Charte, je suis d'avis que les valeurs d'égalité qu'il véhicule doivent inspirer la résolution des questions d'interprétation de l'art. 63 de la Loi. Une interprétation qui va à l'encontre de ces valeurs doit être rejetée.
En définitive, je suis d'avis d'accueillir le pourvoi, d'infirmer l'arrêt de la Cour d'appel et de rétablir la décision du juge de première instance, avec dépens dans toutes les cours.
Version française des motifs rendus par
Le juge McLachlin (dissidente) ‑‑ Je souscris à l'interprétation que donne le juge L'Heureux‑Dubé des art. 9, 18 et 63 de la Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, ch. 148, et de l'art. 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, ainsi qu'à sa conclusion que les frais de garde d'enfants de l'appelante sont déductibles comme dépense d'entreprise en vertu de l'art. 9 de la Loi de l'impôt sur le revenu.
Pourvoi rejeté, les juges L'Heureux‑Dubé et McLachlin sont dissidentes.
Procureurs de l'appelante: Tory Tory DesLauriers & Binnington, Toronto.
Procureur de l'intimée: John R. Power, Ottawa.
Procureur de l'intervenant le procureur général du Québec: Monique Rousseau, Ste‑Foy.
Procureurs de l'intervenant le Comité de la Charte et des questions de pauvreté: Scott & Aylen, Toronto.
Procureur de l'intervenante l'Association du Barreau canadien: L'Association du Barreau canadien, Ottawa.