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COUR SUPRÊME DU CANADA

 

Référence : R. c. Gauthier, 2013 CSC 32, [2013] 2 R.C.S. 403

Date : 20130607

Dossier : 34444

 

Entre :

Cathie Gauthier

Appelante

et

Sa Majesté la Reine

Intimée

- et -

Procureur général de l’Ontario

Intervenant

 

 

Traduction française officielle : Motifs du juge Fish

 

 

Coram : Les juges LeBel, Fish, Abella, Rothstein, Moldaver, Karakatsanis et Wagner

 

Motifs de jugement :

(par. 1 à 65)

 

Motifs dissidents :

(par. 66 à 107)

 

Le juge Wagner (avec l’accord des juges LeBel, Abella, Rothstein, Moldaver et Karakatsanis)

 

Le juge Fish

 

 

 

 


 


R. c. Gauthier, 2013 CSC 32, [2013] 2 R.C.S. 403

Cathie Gauthier                                                                                             Appelante

c.

Sa Majesté la Reine                                                                                            Intimée

et

Procureur général de l’Ontario                                                                  Intervenant

Répertorié : R. c. Gauthier

2013 CSC 32

No du greffe : 34444.

2012 : 13 décembre; 2013 : 7 juin.

Présents : Les juges LeBel, Fish, Abella, Rothstein, Moldaver, Karakatsanis et Wagner.

en appel de la cour d’appel du québec

                    Droit criminel — Moyens de défense — Exposé au jury — Défenses incompatibles en théorie — Accusée inculpée d’avoir participé avec son conjoint au meurtre de leurs trois enfants — Moyen de défense subsidiaire selon lequel l’accusée avait abandonné le projet commun de tuer les enfants — La défense de renonciation devait‑elle être exclue des moyens de défense soumis à l’appréciation du jury en raison de son caractère incompatible avec la thèse principale de la défense, soit l’absence d’intention coupable?

                    Droit criminel — Moyens de défense — Renonciation — Participation criminelle — Accusée inculpée d’avoir participé avec son conjoint au meurtre de leurs trois enfants — Moyen de défense subsidiaire selon lequel l’accusée avait abandonné le projet commun de tuer les enfants — Éléments essentiels à l’existence d’une défense de renonciation dans le contexte de la participation criminelle prévue aux par. 21(1)  et 21(2)  du Code criminel  — La défense de renonciation invoquée par l’accusée répondait‑elle au critère de la vraisemblance?

                    G a été accusée d’avoir participé avec son conjoint L au meurtre de leurs trois enfants à l’aube de l’année 2009.  Selon la thèse du ministère public, G aurait participé au meurtre en planifiant le tout au moyen d’un pacte de meurtre‑suicide et en fournissant l’arme du crime.  Elle aurait omis d’intervenir afin d’empêcher les enfants d’être intoxiqués par les boissons servies par son conjoint, lesquelles contenaient du Gravol et de l’oxazépam.  Elle aurait donc aidé L à tuer les enfants.  À son procès devant jury, G a soutenu en défense qu’elle n’a pas acheté les médicaments dans le but d’empoisonner les enfants, qu’elle était dans un état de dissociation le 31 décembre 2008 lorsqu’elle a rédigé des documents incriminants et que cet état l’empêchait de formuler l’intention spécifique de commettre les meurtres.  Subsidiairement, dans la mesure où son argument fondé sur l’absence d’intention coupable ne serait pas retenu, elle a prétendu qu’elle avait abandonné le projet commun de tuer les enfants, intention qu’elle avait clairement signifiée à son conjoint.  Le jury a déclaré G coupable du meurtre au premier degré de ses trois enfants.  La Cour d’appel a maintenu le verdict de culpabilité et a conclu que le juge du procès n’avait pas commis d’erreur en refusant de soumettre au jury la défense d’abandon d’intention (ou défense de renonciation) puisqu’elle était incompatible avec la thèse principale de la défense.

                    Arrêt (le juge Fish est dissident) : Le pourvoi est rejeté.

                    Les juges LeBel, Abella, Rothstein, Moldaver, Karakatsanis et Wagner : Il n’existe pas de règle cardinale s’opposant à la présentation au jury d’un moyen de défense subsidiaire incompatible à première vue avec le moyen de défense principal.  La question n’est pas de savoir si de telles défenses sont compatibles ou incompatibles avec la thèse principale, mais plutôt de déterminer si elles satisfont au critère de la vraisemblance.  Dans tous les cas, le juge du procès doit vérifier si le moyen de défense subsidiaire a un fondement factuel suffisant, c’est-à-dire si un jury raisonnable ayant reçu des directives appropriées pourrait y adhérer, s’il ajoutait foi à cette preuve.

                    La défense d’abandon d’intention doit être soumise au jury uniquement s’il existe au dossier une preuve raisonnablement susceptible d’étayer les inférences nécessaires quant à l’existence de chacun des éléments de ce moyen de défense.  Une telle défense peut être invoquée par l’accusé qui participe à une infraction en accomplissant ou en omettant d’accomplir quelque chose dans le but d’aider quelqu’un à la commettre ou en encourageant quelqu’un à la commettre (par. 21(1)  du Code criminel ), ou encore en formant avec d’autres le projet de poursuivre une fin illégale et de s’y entraider et qu’une infraction est commise lors de la réalisation de cette fin commune (par. 21(2)  du Code criminel ), si la preuve permet d’établir les éléments suivants : (1) il existe une intention d’abandonner le projet criminel ou de s’en désister; (2) cet abandon ou ce désistement a été communiqué en temps utile par l’intéressé à ceux qui désirent continuer; (3) la communication a servi d’avis non équivoque à ceux qui désirent continuer; (4) l’accusé a pris, proportionnellement à sa participation à la commission du crime projeté, les mesures raisonnables, dans les circonstances, soit pour neutraliser ou autrement annuler les effets de sa participation soit pour empêcher la perpétration de l’infraction.  Dans certaines circonstances, la communication en temps utile par l’accusé de son intention non équivoque d’abandonner l’entreprise illégale sera jugée suffisante pour neutraliser les effets de sa participation criminelle.  En d’autres circonstances, et principalement dans les cas où une personne aide à la commission de l’infraction, il est difficile de concevoir que le simple fait pour cette personne de communiquer en temps opportun à l’auteur principal sa volonté de se retirer du projet d’infraction sera jugé raisonnable et suffisant.

                    En l’espèce, la preuve de G selon laquelle elle a communiqué de façon non équivoque et en temps utile son retrait du plan meurtrier est insuffisante.  Le seul passage pertinent de son témoignage est celui où elle utilise le pronom « on » comme synonyme du pronom pluriel « nous », dans la phrase « j’ai dit à Marc que on pouvait pas [faire cela] ».  Néanmoins, même en tenant pour acquis que cette preuve est suffisante pour qu’un jury puisse raisonnablement conclure que G a communiqué sa volonté de se retirer du plan de manière non équivoque et en temps utile, dans les circonstances de la présente affaire, cette communication n’était pas suffisante à elle seule pour autoriser le juge à soumettre la défense d’abandon aux jurés.  Les gestes de G ne se sont pas limités à une simple promesse de participer au pacte de meurtre‑suicide.  G a fourni et mis à la disposition de son époux les substances intoxicantes utilisées par ce dernier pour provoquer la mort des enfants.  En conséquence, elle devait faire davantage soit pour neutraliser les effets de sa participation soit pour empêcher la perpétration de l’infraction.  Elle aurait pu, par exemple, cacher ou détruire les médicaments achetés, demeurer vigilante et emmener les enfants dans un endroit sûr pour la soirée, insister pour obtenir une confirmation verbale de son époux au sujet de ses intentions ou tout simplement faire appel aux autorités.  Il n’y avait donc au dossier aucune preuve permettant à un jury ayant reçu les directives appropriées et agissant raisonnablement de conclure que G avait abandonné le projet d’infraction commun et ainsi de prononcer l’acquittement, s’il ajoutait foi à cette preuve.  Partant, la défense d’abandon ne satisfaisait pas au critère de la vraisemblance, et le juge du procès n’était pas tenu de la soumettre aux jurés.

                    Le juge Fish (dissident) : Les tribunaux canadiens affirment depuis plus de 70 ans que le moyen de défense de la renonciation (ou défense d’abandon d’intention) comporte uniquement deux éléments essentiels : (i) un changement d’intention; (ii) un avis non équivoque de retrait donné en temps opportun lorsqu’il est pratique et raisonnable de le faire.  Ce critère a été appliqué régulièrement et à maintes reprises tant dans des poursuites engagées en application du par. 21(1) que dans d’autres intentées en vertu du par. 21(2)  du Code criminel .  Le moyen de défense de la renonciation n’exige pas que l’accusé prenne des mesures pour annuler sa participation antérieure à l’entreprise criminelle ou empêcher la perpétration de l’infraction.  Bien que la preuve de telles mesures puisse renforcer ce moyen de défense, l’absence de mesures d’annulation ou de prévention n’est pas fatale.  

                    Il serait fondamentalement inéquitable à ce stade de reprocher à G de ne pas avoir démontré davantage qu’un changement d’intention et un avis non équivoque de retrait du pacte de meurtre‑suicide donné en temps opportun, compte tenu de l’état du droit reconnu par tous au Canada au moment de son procès.  Puisque le témoignage de G contient une certaine preuve de ces deux éléments essentiels, le moyen de défense était vraisemblable.  Le juge du procès a donc commis une erreur en soustrayant le moyen de défense de la renonciation à l’examen du jury.  Il ne faut pas s’appuyer sur l’incompatibilité entre le moyen de défense de la renonciation invoqué par G et son moyen de défense principal pour la priver d’un moyen de défense dont la vraisemblance a été établie.

                    G a affirmé avoir dit à L que son plan n’avait aucun sens et qu’il ne « pouvait pas faire ça ».  Elle lui a également fait part de son refus d’y participer.  Elle a manifesté son désaccord avec le pacte de meurtre‑suicide en déchirant deux documents : un testament qu’elle avait rédigé et une biographie de L faisant état du pacte.  En outre, l’expression faciale de ce dernier l’a convaincue que le pacte avait été abandonné.  Ce témoignage contient une certaine preuve que G ne voulait plus participer au pacte de meurtre‑suicide et qu’elle avait fait part sans équivoque de cette volte‑face à l’auteur principal de l’infraction en temps opportun.  Tout ce qui était nécessaire, c’était la possibilité qu’un doute raisonnable subsiste dans l’esprit du jury à propos de la culpabilité de G.  Il appartenait au jury de décider si les propos et la conduite de G étaient crédibles et suffisants pour établir qu’un avis non équivoque de retrait avait été donné en temps opportun. 

                    G a droit à un nouveau procès durant lequel le jury ne serait pas empêché à tort d’examiner sur le fond le moyen de défense de la renonciation qu’elle invoque, aussi faible et peu prometteur puisse‑t‑il paraître aux yeux de la Cour.

Jurisprudence

Citée par le juge Wagner

                    Arrêts examinés : Wu c. The King, [1934] R.C.S. 609; R. c. Whitehouse (1940), 55 B.C.R. 420; arrêts mentionnés : R. c. Cinous, 2002 CSC 29, [2002] 2 R.C.S. 3; R. c. Caron (1998), 16 C.R. (5th) 276; R. c. Graveline, 2006 CSC 16, [2006] 1 R.C.S. 609; R. c. Faid, [1983] 1 R.C.S. 265; Miller c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 680; Henderson c. The King, [1948] R.C.S. 226; R. c. Kirkness, [1990] 3 R.C.S. 74; R. c. Bird, 2009 CSC 60, [2009] 3 R.C.S. 638; R. c. Fournier, 2007 QCCA 1822 (CanLII).

Citée par le juge Fish (dissident)

                    R. c. Whitehouse (1940), 55 B.C.R. 420; Henderson c. The King, [1948] R.C.S. 226; R. c. de Tonnancourt (1956), 115 C.C.C. 154; R. c. Merrifield, 1977 CarswellOnt 1806; Miller c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 680; R. c. Wagner (1978), 8 B.C.L.R. 258; R. c. Joyce (1978), 42 C.C.C. (2d) 141; R. c. Kirkness, [1990] 3 R.C.S. 74; R. c. Johanson (1995), 166 A.R. 60; R. c. Fournier, 2002 NBCA 71, 252 R.N.‑B. (2e) 256; R. c. McKercher, [2002] O.J. No. 5859 (QL); R. c. Forknall, 2003 BCCA 43, 176 B.C.A.C. 284; R. c. Lacoursière (2002), 7 C.R. (6th) 117; R. c. P.K., 2006 ABCA 299, 397 A.R. 318; R. c. S.R.B., 2009 ABCA 45, 448 A.R. 124, inf. par 2009 CSC 60, [2009] 3 R.C.S. 638 (sub nom. R. c. Bird); R. c. Ball, 2011 BCCA 11, 298 B.C.A.C. 166; R. c. Leslie, 2012 BCSC 683 (CanLII); R. c. O’Flaherty, [2004] EWCA Crim 526, [2004] 2 Cr. App. R. 20 (p. 315); R. c. Otway, [2011] EWCA Crim 3 (BAILII); R. c. Fournier, 2007 QCCA 1822 (CanLII); R. c. Edwards, 2001 BCSC 275 (CanLII); R. c. Cinous, 2002 CSC 29, [2002] 2 R.C.S. 3.

Lois et règlements cités

Code criminel , L.R.C. 1985, ch. C‑46, art. 21 .

Doctrine et autres documents cités

Campbell, Mark. « Turning Back the Clock : Aiders and the Defence of Abandonment » (2010), 14 Rev. can. D.P. 1.

Manson, Allan. « Re‑codifying Attempts, Parties, and Abandoned Intentions » (1989), 14 Queen’s L.J. 85.

Smith, John C.  Commentary on R. v. Mitchell, [1999] Crim. L.R. 497.

Stuart, Don.  Canadian Criminal Law : A Treatise, 6th ed.  Scarborough, Ont. : Carswell, 2011.

                    POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Québec (les juges Rochette, Morin et Bouchard), 2011 QCCA 1395 (CanLII), SOQUIJ AZ-50774324, [2011] J.Q. no 9850 (QL), 2011 CarswellQue 7766, qui a confirmé les déclarations de culpabilité de meurtre au premier degré prononcées contre l’accusée.  Pourvoi rejeté, le juge Fish est dissident.

                    René Duval, pour l’appelante.

                    Sonia Rouleau, Régis Boisvert et Mélanie Paré, pour l’intimée.

                    Grace Choi et Christine Bartlett‑Hughes, pour l’intervenant.

                    Le jugement des juges LeBel, Abella, Rothstein, Moldaver, Karakatsanis et Wagner a été rendu par

                    Le juge Wagner —

I.  Aperçu

[1]                              Le droit canadien admet qu’une personne qui a l’intention de commettre une infraction criminelle peut se raviser et ainsi échapper à la responsabilité criminelle en abandonnant cette intention. Le présent pourvoi porte tout d’abord sur les circonstances qui autorisent le juge du procès à soumettre à l’appréciation des membres d’un jury des moyens de défense en apparence incompatibles. Il soulève également la question de savoir dans quelles circonstances le juge du procès doit soumettre aux jurés la défense d’abandon d’intention (ou défense de renonciation) dans le contexte d’une participation criminelle selon les dispositions du par. 21(1)  du Code criminel , L.R.C. 1985, ch. C-46 .

[2]                              L’appelante, Cathie Gauthier, a été accusée d’avoir participé avec son conjoint au meurtre de leurs trois enfants à l’aube de l’année 2009. Le 24 octobre de la même année, au terme d’un procès devant juge et jury, elle a été reconnue coupable des trois chefs d’accusation de meurtre au premier degré des enfants.

[3]                              Elle soutient que le juge du procès a fait erreur lorsqu’il a décidé de ne pas présenter au jury la défense d’abandon du projet commun de tuer les enfants. Pour des motifs qui diffèrent de ceux de la Cour d’appel, je suis d’avis que le juge n’a pas commis d’erreur et je rejetterais l’appel.

II.  Les faits

[4]                              Les faits du pourvoi révèlent un ensemble de circonstances, tout aussi dramatiques que tragiques, à l’origine du désespoir qui a ultimement conduit au meurtre de trois jeunes enfants.

[5]                              Il convient donc de rappeler brièvement les faits avant d’examiner les questions de droit soulevées par le pourvoi.

[6]                              L’appelante rencontre Marc Laliberté en 2000 et décide d’emménager avec lui à Chibougamau, en compagnie de sa fille Joëlle née d’une première union. Le couple aura deux autres enfants, Marc-Ange né en 2001 et Louis-Philippe en 2004. Ils déménagent à Amos en 2002. Le mauvais sort semble s’acharner sur la famille. L’appelante est agressée sexuellement, événement qui lui cause d’importantes souffrances psychologiques l’empêchant de s’éloigner du foyer familial trop longtemps. Marc Laliberté perd sa mère et sombre dans une profonde dépression.  Espérant des jours meilleurs, la famille quitte Amos pour Saguenay, où habite une amie d’enfance de l’appelante, Kathie Ouellet. Marc Laliberté vend la maison familiale, quitte son emploi et la famille s’installe dans son nouvel environnement. La nouvelle vie s’annonce toutefois pénible.

[7]                              Une fois rendu à Saguenay, Marc Laliberté peine à dénicher un emploi stable et se résigne à recevoir des prestations d’assurance-emploi. L’appelante, pour sa part, ne peut conserver les quelques emplois précaires qu’elle parvient à trouver. Bref, les difficultés financières s’accumulent et amènent le couple à faire cession de ses biens en octobre 2008.

[8]                              La période des Fêtes approche. À la veille de Noël, et malgré leur infortune, le couple décide néanmoins d’offrir aux enfants la chance de profiter de cette période qui se veut festive. Marc Laliberté refuse de payer le loyer du mois de décembre et consacre l’argent ainsi épargné à l’achat de nombreux cadeaux pour les enfants et les amis.

[9]                              Le 27 décembre 2008, l’appelante renouvelle, avant terme et sous de faux prétextes, sa prescription d’oxazépam — somnifère utilisé pour traiter les crises d’anxiété — et celle de son époux. Pour ce faire, elle explique à la pharmacienne que son époux traverse une période difficile et qu’ils sont sur le point de partir en voyage. Elle se procure à la même occasion du Gravol pour enfants. Le même jour, la famille se rend à Normandin pour une visite de quelques heures dans la famille de Marc Laliberté.

[10]                          Le 28 décembre 2008, l’appelante adresse à la Fondation maman Dion un courriel intitulé « un miracle s.v.p. » dans lequel, après avoir fait le récit des difficultés que traverse la famille, elle demande de l’aide. Elle écrit : « . . . j’aimerais un miracle pour le 31 déc. 2008 ».

[11]                          Le soir du 29 décembre, elle rend visite à son amie, Kathie Ouellet, et lui confie qu’elle ne sait pas ce qu’elle ferait avec les enfants sans son époux. Le lendemain, l’appelante donne ses plus beaux vêtements à Kathie Ouellet.

[12]                          Le 31 décembre, au dire de l’appelante, son époux consacre la matinée à travailler à l’ordinateur et ferme l’écran chaque fois qu’elle s’en approche. Vers midi, il la rejoint dans la cuisine et lui mentionne qu’il a pris une décision et que toute la famille va partir ensemble. Il lui dicte par la suite le contenu de documents qu’elle rédige comme un automate dit-elle, sans avoir aucun souvenir de leur contenu. Marc Laliberté quitte ensuite la maison. Selon l’appelante, c’est à ce moment qu’elle remarque la présence des papiers laissés sur le comptoir de la cuisine et que, après en avoir pris connaissance, elle se rend compte de ce qui se trame. Au retour de son époux, en après-midi, elle lui signifie son désaccord au sujet du plan de meurtre-suicide et déchire les documents. Selon ses dires, elle aurait compris, d’après l’expression faciale de son conjoint, que celui-ci s’était résigné à abandonner le sombre projet.

[13]                          Toujours selon le témoignage de l’appelante, le reste de la journée s’est déroulé sans événement particulier. Le soir, comme prévu, la famille s’assoit devant la télé pour visionner un film. Marc Laliberté a préparé des boissons et du maïs soufflé pour toute la famille. Peu après, l’appelante remarque qu’un des garçons s’est endormi, juste avant qu’elle ne s’endorme elle-même. Elle déclare ne pas avoir soupçonné que les boissons étaient empoisonnées.

[14]                          Suivant la preuve matérielle déposée, deux documents déchirés ont été découverts dans une poubelle, soit un testament conjoint manuscrit rédigé par l’appelante, ainsi qu’un document préparé à l’ordinateur par Marc Laliberté, dans lequel ce dernier fait le récit de sa vie. Une autre copie du testament, dactylographiée et signée par les deux conjoints, a été trouvée sur l’îlot de la cuisine.  Trois lettres manuscrites adressées par Cathie Gauthier respectivement à son amie Kathie Ouellet, à sa mère biologique et à son dernier employeur complètent la preuve. Toutes font état de la décision commune du couple de mettre fin à leurs jours, ainsi qu’à ceux de leurs enfants.  De plus, on a retrouvé dans la cuisine des flacons vides qui contenaient des médicaments, ainsi que les prescriptions d’oxazépam et la facture de la pharmacie datée du 27 décembre 2008.

[15]                          Dans la soirée du 1er janvier 2009, l’appelante compose le numéro des services d’urgence, demande l’aide d’ambulanciers et souligne à la préposée qu’elle a le poignet gauche ouvert et dit « c’était un pacte, mon mari a tué nos trois enfants », puis ajoute « on se l’était dit qu’on commencerait pas l’année 2009, mais . . . ».

[16]                          Une fois arrivés sur les lieux, les premiers répondants trouvent l’appelante blessée au poignet, puis constatent le décès de son conjoint et de leurs trois enfants. La preuve révèle que les enfants ont été intoxiqués au Gravol et à l’oxazépam. Des traces de cette seconde substance sont également décelées chez l’appelante, dont le poignet gauche aurait été lacéré par son conjoint, Marc Laliberté.

III.  Procès devant juge et jury

[17]                          À son procès devant jury, l’appelante a soutenu en défense qu’elle n’a pas acheté les médicaments dans le but d’empoisonner les enfants, qu’elle était dans un état de dissociation le 31 décembre 2008 lorsqu’elle a rédigé les documents incriminants et que cet état l’empêchait de formuler l’intention spécifique de commettre les meurtres. Subsidiairement, dans la mesure où son argument fondé sur l’absence d’intention coupable ne serait pas retenu, elle a prétendu qu’elle avait abandonné le projet commun de tuer les enfants, intention qu’elle avait clairement signifiée à son conjoint.

[18]                          La thèse du ministère public s’articule autour de la proposition selon laquelle l’appelante aurait participé avec son conjoint au meurtre de ses trois enfants en planifiant le tout au moyen d’un pacte de meurtre-suicide, et en fournissant l’arme du crime. Elle aurait omis d’intervenir le 31 décembre 2008 afin d’empêcher les enfants d’être intoxiqués par les boissons contenant les médicaments. Elle aurait donc aidé Marc Laliberté à tuer les enfants.

[19]                          Dans ses directives finales, le juge du procès a résumé les choix du jury aux trois verdicts suivants : meurtre au premier degré, meurtre au second degré ou acquittement. Relativement à l’opportunité de soumettre au jury la défense d’abandon du projet commun, le juge a signalé aux avocats, en l’absence du jury, que la jurisprudence canadienne traite de la défense d’abandon dans le contexte de la participation criminelle prévue au par. 21(2)  du Code criminel , et il s’est interrogé sur la disponibilité de cette défense à l’égard de la participation criminelle visée au par. 21(1). Bien qu’il ait fait mention de la défense d’abandon d’intention lorsqu’il a résumé aux jurés la plaidoirie de l’avocat de l’appelante, le juge n’a pas soumis ce moyen de défense subsidiaire à l’appréciation du jury. Après trois jours de délibérations, le jury a déclaré l’appelante coupable du meurtre au premier degré de ses trois enfants.

[20]                          Saisie du pourvoi de Cathie Gauthier contre cette décision, la Cour d’appel a maintenu le verdict de culpabilité. Le juge Bouchard a conclu que le juge du procès n’avait pas commis d’erreur en refusant de soumettre au jury la défense d’abandon d’intention. À son avis, un moyen de défense subsidiaire incompatible avec la thèse principale de la défense ne peut être présenté au jury (2011 QCCA 1395 (CanLII)).

IV.  Les dispositions pertinentes

[21]                          L’article 21  du Code criminel  prévoit ce qui suit :

                              21. (1) [Participants à une infraction] Participent à une infraction :

 

      a)   quiconque la commet réellement;

 

      b)   quiconque accomplit ou omet d’accomplir quelque chose en vue d’aider quelqu’un à la commettre;

 

      c)   quiconque encourage quelqu’un à la commettre.

 

                               (2) [Intention commune] Quand deux ou plusieurs personnes forment ensemble le projet de poursuivre une fin illégale et de s’y entraider et que l’une d’entre elles commet une infraction en réalisant cette fin commune, chacune d’elles qui savait ou devait savoir que la réalisation de l’intention commune aurait pour conséquence probable la perpétration de l’infraction, participe à cette infraction.

 

V.  Les questions en litige

[22]                          Deux questions sont au cœur du présent pourvoi. Premièrement, la défense d’abandon d’intention devait-elle être exclue des moyens de défense soumis à l’appréciation du jury en raison de son caractère incompatible avec la thèse principale de la défense, soit l’absence d’intention coupable? Dans le cas contraire, la défense d’abandon répondait-elle au critère de la vraisemblance? Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis qu’il faut répondre négativement à ces deux questions.

VI.  Analyse

A.    La défense subsidiaire d’abandon d’intention devait-elle être exclue des moyens de défense soumis à l’appréciation du jury pour la seule raison qu’elle est théoriquement incompatible avec la thèse principale de la défense?

                    1.      L’opportunité de présenter un moyen de défense aux membres du jury

[23]                          Il est acquis que tout moyen de défense qui satisfait au critère de la vraisemblance doit être soumis au jury (R. c. Cinous, 2002 CSC 29, [2002] 2 R.C.S. 3, par. 51). Notre Cour a établi qu’une défense satisfait à ce critère s’il existe « (1) une preuve (2) qui permettrait à un jury ayant reçu des directives appropriées et agissant raisonnablement de prononcer l’acquittement, s’il y ajoutait foi » (Cinous, par. 82).

[24]                          Il convient de rappeler pourquoi le juge du procès a l’obligation de filtrer les défenses qui peuvent être soumises à l’appréciation des membres du jury. Cette obligation repose essentiellement sur le souci d’éviter de semer la confusion dans l’esprit des jurés en leur présentant un moyen de défense dénué de fondement probant. Deux principes découlent de cette prémisse.  D’une part, le juge du procès doit soumettre aux membres du jury tous les moyens de défense qui peuvent être invoqués eu égard aux faits, peu importe que l’accusé les ait expressément plaidés ou non. D’autre part, le juge est tenu de soustraire à l’appréciation du jury les moyens de défense qui sont dépourvus de vraisemblance.

[25]                          L’accusé a uniquement un fardeau de présentation. Lorsque le juge du procès applique adéquatement les principes pertinents, il doit dégager les éléments de preuve les plus favorables à l’accusé et les tenir pour avérés, qu’ils aient ou non été produits ou annoncés par ce dernier. Le juge ne doit pas aborder la question de la crédibilité des témoins ou apprécier la valeur probante de cette preuve. Ainsi, si chacun des éléments d’un moyen de défense est appuyé par une preuve directe ou s’il peut raisonnablement être inféré de la preuve circonstancielle, le juge du procès doit soumettre ce moyen à l’appréciation du jury.

                    2.     Les moyens de défense subsidiaires incompatibles avec la thèse principale de la défense

[26]                          La Cour d’appel a conclu que le juge du procès n’avait pas l’obligation de soumettre au jury la défense subsidiaire d’abandon d’intention, parce que ce moyen était incompatible avec la thèse principale de l’appelante :

À mon avis, le juge a eu raison de ne pas attirer l’attention du jury sur ce moyen de défense. Je rappelle que, pour l’appelante, il n’y a pas eu de pacte de suicide, aucune planification et qu’elle était dans un état de dissociation lorsque son conjoint lui a fait part de son projet de partir tout le monde ensemble. Partant, elle ne saurait être admise à changer son fusil d’épaule si elle n’est pas crue et soutenir s’être retirée d’un plan qu’elle nie depuis le début. Prendre part à un pacte de suicide et se retirer par la suite est une chose plausible en soi. Ce n’est pas, toutefois, ce que plaide l’appelante. Elle nie plutôt l’existence d’un pareil pacte puis prétend pouvoir s’en retirer si elle n’est pas crue. Le juge n’avait pas à soumettre au jury ce moyen alternatif de défense incompatible avec la thèse principale de l’appelante . . . [par. 71]

[27]                          Adoptant une position plus nuancée, le ministère public soutient que la défense d’abandon d’intention ne satisfait pas au critère de la vraisemblance, parce que la défense principale invoquée par l’appelante — qui repose essentiellement sur l’absence totale d’intention coupable — a pour effet de priver le moyen subsidiaire de tout fondement factuel essentiel à son application :

Le refus de participer à un projet et l’abandon d’un projet sont logiquement deux défenses incompatibles. Si, tout au long du procès, l’appelante nie avoir eu l’intention de tuer ses enfants, comment peut-elle, si elle n’est pas crue à cet égard, adopter un discours différent et dire qu’elle s’est dissociée d’un projet qu’elle niait auparavant? La défense d’abandon d’un projet commun implique nécessairement une reconnaissance d’avoir été partie à ce projet commun : ce que l’appelante a toujours nié. [m.i., par. 57]

[28]                          En l’espèce, tout comme la Cour d’appel, mais pour des raisons différentes de cette dernière, je suis d’avis que la défense d’abandon d’intention ne devait pas être soumise à l’appréciation du jury. Je m’explique.

[29]                          Dans l’arrêt Wu c. The King, [1934] R.C.S. 609, qui est mentionné dans l’arrêt R. c. Caron (1998), 16 C.R. (5th) 276 (C.A. Qué.), auquel la Cour d’appel réfère avec approbation, on a affirmé qu’un juge n’a pas l’obligation d’offrir au jury un moyen de défense subsidiaire dont le fondement factuel est contredit par la thèse principale de la défense. Dans cette affaire, après avoir invoqué uniquement une défense d’alibi en première instance, l’accusé a reproché en appel au juge du procès de ne pas avoir soumis au jury les moyens subsidiaires de légitime défense et de provocation. Le juge Lamont a formulé les observations suivantes :

[traduction]  Par conséquent, la règle voulant qu’au procès l’accusé ait droit de faire examiner par les jurés tous les moyens de défense subsidiaires qu’il invoque ne s’applique qu’à ceux pour lesquels un fondement factuel ressort du dossier.  Et même là, cette règle comporte à mon avis des exceptions, dont l’une est que la règle est inapplicable lorsque, en raison de la défense qu’il oppose au procès, l’accusé neutralise le moyen de défense subsidiaire qu’il compte invoquer, dans un second temps, pour demander la tenue d’un nouveau procès.

 

. . .

 

. . . Le moyen de défense selon lequel l’accusé se trouvait à Victoria au moment de la fusillade était non seulement incompatible avec celui qu’il souhaite maintenant invoquer, mais il avait pour effet de le réfuter.  Dans ces circonstances, je ne vois pas comment le juge du procès aurait pu avoir l’obligation de dire au jury de considérer un moyen de défense subsidiaire que l’accusé lui-même, par la défense qu’il a opposée, déclarait être dénué de fondement factuel. [p. 617]

[30]                          Avec égards, l’arrêt Wu n’appuie pas la proposition voulant que le juge n’ait pas l’obligation de soumettre au jury un moyen de défense subsidiaire théoriquement incompatible avec la thèse principale de la défense.  Cet arrêt réaffirme plutôt la règle cardinale selon laquelle le juge du procès n’est pas tenu de soumettre — et ne doit d’ailleurs pas soumettre — aux jurés une défense à l’égard de laquelle il n’y a au dossier aucune preuve qui, si elle existait et s’il y était ajouté foi, permettrait à un jury agissant raisonnablement d’adhérer à cette défense. Cette conclusion ressort de la lecture intégrale des propos du juge Lamont à ce sujet :

[traduction] Il ne fait aucun doute que, devant le tribunal, l’accusé a habituellement le droit d’invoquer tous les moyens de défense subsidiaires pour lesquels un fondement factuel ressort du dossier, et, selon moi, il est sans importance que la preuve constituant ce fondement ait été présentée par les témoins du ministère public, par ceux de l’accusé ou autrement.  Ce qui est essentiel, c’est que le dossier renferme une preuve qui, si elle était acceptée par le jury, constituerait un moyen de défense valide à l’égard des accusations.  En présence d’une telle preuve, il incombe au juge du procès d’attirer l’attention des jurés sur celle-ci et de leur donner des directives à son sujet.  Les seuls éléments de preuve figurant au dossier sur lesquels on pourrait peut-être à la limite fonder l’argument que l’accusé a fait feu pour se défendre sont les déclarations de MM. Irwin et Bodner selon lesquelles, avant la fusillade, le plaignant poursuivait l’accusé et son camarade en agitant les bras et en criant dans une langue orientale.  Nous ignorons ce qu’il a dit.  S’il était important pour établir le bien‑fondé de ce moyen de défense de prouver que les propos constituaient de la provocation, il incombait à l’accusé de prouver quels étaient ces propos. Quoi qu’il en soit, la provocation — qui permettrait de réduire l’accusation de meurtre à homicide involontaire coupable — n’est pas un moyen de défense à l’accusation telle qu’elle a été déposée.  Faire feu sur quelqu’un pour se défendre constituerait un moyen de défense valide, à la condition que la situation de l’accusé relève des articles 53  et 54  du Code criminel .  Un accusé peut justifier d’avoir utilisé la force pour repousser une attaque non provoquée si cette force ne visait pas à causer la mort ou de graves lésions corporelles et n’excédait pas ce qui était nécessaire pour se défendre.  L’utilisation de la force est justifiée, même si celle‑ci cause effectivement la mort ou de graves lésions corporelles, si la personne y a eu recours parce qu’elle craignait raisonnablement la mort ou de graves lésions corporelles et croyait, pour des motifs raisonnables, qu’il était nécessaire de le faire pour assurer sa propre sécurité.  Le dossier ne renferme aucune preuve à partir de laquelle un jury pouvait raisonnablement déduire que, lorsqu’il a fait feu sur le plaignant, l’accusé l’a fait parce qu’il craignait raisonnablement la mort ou des lésions corporelles, ou qu’il croyait raisonnablement qu’il n’avait d’autre moyen d’éviter des lésions corporelles.  [Je souligne; p. 616-617.]

[31]                          Le passage de l’arrêt Wu cité dans les motifs de la Cour d’appel, au par. 71, à l’appui de la proposition selon laquelle le juge du procès n’est pas tenu de soumettre au jury une défense subsidiaire incompatible avec la défense principale, n’est qu’une remarque incidente qui peut prêter à confusion et qu’il faut se garder d’invoquer. À titre d’exemple, un accusé pourrait plaider une défense d’alibi et témoigner qu’il n’était pas dans la ville où le crime a été commis au moment pertinent. Par ailleurs, des témoins du ministère public pourraient venir dire qu’il se trouvait sur les lieux du crime, mais qu’il était dans un état d’ébriété avancé. Même si la défense d’alibi et celle d’intoxication volontaire sont en théorie incompatibles, j’estime que le juge qui préside un procès devrait soumettre ces deux défenses aux jurés si elles satisfont au critère de la vraisemblance.

[32]                          Plus récemment, dans l’arrêt R. c. Graveline, 2006 CSC 16, [2006] 1 R.C.S. 609, notre Cour a clarifié le principe selon lequel deux défenses incompatibles en théorie peuvent néanmoins être soumises au jury, pour autant qu’elles satisfont au critère de la vraisemblance. Attirant l’attention sur les dangers que soulève la présentation au jury de défenses théoriquement incompatibles, le juge Fish n’a pas décelé d’erreur dans la décision du juge du procès de soumettre aux jurés le moyen subsidiaire de légitime défense qu’entendait plaider l’accusée, en plus de son argument principal, la défense d’automatisme. Au sujet de l’incompatibilité des deux défenses, le juge Fish s’est exprimé ainsi, au par. 10 :

. . . les moyens de défense particuliers en l’espèce — l’automatisme et la légitime défense — sont, comme l’a dit le ministère public à l’audition du présent pourvoi, incompatibles en théorie, même si ce n’est peut-être pas toujours le cas en pratique.  Cela s’explique par le fait que la légitime défense suppose une conduite délibérée qui va à l’encontre de la prémisse fondamentale de l’automatisme, soit un état de dissociation et une conduite involontaire.

[33]                          Néanmoins, dans R. c. Faid, [1983] 1 R.C.S. 265, la Cour a décidé que le juge du procès n’avait pas commis d’erreur en refusant de soumettre au jury la défense de provocation comme moyen subsidiaire, en plus de la thèse principale, à savoir la légitime défense. Bien qu’il soit vrai que ces deux moyens sont théoriquement incompatibles — la légitime défense impliquant une conduite raisonnée, alors que la provocation suppose au contraire la perte temporaire du pouvoir de se maîtriser —, il est important de souligner que le refus n’était pas fondé sur cette incompatibilité. La Cour a plutôt constaté qu’il n’y avait au dossier aucun élément de preuve étayant l’argument selon lequel les accusés auraient agi sous le coup de la colère. Il ne s’agissait donc pas d’une situation où la thèse principale avait pour effet de priver la défense subsidiaire d’éléments de preuve par ailleurs présents au dossier. Il ressort de l’arrêt Faid que la défense de provocation ne satisfaisait tout simplement pas au critère de la vraisemblance, parce que la preuve de ses éléments constitutifs n’avait jamais été établie. Cet arrêt est une illustration du principe suivant lequel tout moyen de défense vraisemblable doit être soumis à l’appréciation du jury.

[34]                          En conclusion, il n’existe pas de règle cardinale s’opposant à la présentation au jury d’un moyen de défense subsidiaire incompatible à première vue avec le moyen de défense principal. La question n’est pas de savoir si de telles défenses sont compatibles ou incompatibles avec la thèse principale, mais plutôt de déterminer si elles satisfont au critère de la vraisemblance. Dans tous les cas, le juge du procès doit vérifier si le moyen de défense subsidiaire a un fondement factuel suffisant, c’est‑à‑dire si un jury raisonnable ayant reçu des directives appropriées pourrait y adhérer, s’il ajoutait foi à cette preuve.

B.     Si la défense d’abandon d’intention n’était pas incompatible avec la thèse principale, répondait-elle par ailleurs au critère de vraisemblance?

           1.      Les éléments essentiels de la défense d’abandon

[35]                          La défense d’abandon d’intention devait être soumise au jury uniquement s’il existait au dossier une preuve raisonnablement susceptible d’étayer les inférences nécessaires quant à l’existence de chacun des éléments de ce moyen de défense. Cela dit, encore faut-il d’abord dégager les éléments essentiels de la défense d’abandon. 

[36]                          En droit canadien, bien qu’elle soit rarement invoquée, la défense d’abandon a été énoncée pour la première fois dans l’arrêt R. c. Whitehouse (1940), 55 B.C.R. 420 (C.A.). Il s’agissait, dans cette affaire, de circonscrire son application dans le contexte particulier de l’infraction de participation criminelle prévue au par. 21(2)  du Code criminel .

[37]                          Dans ce contexte, l’analyse en question — qui a été citée subséquemment avec approbation dans Miller c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 680, Henderson c. The King, [1948] R.C.S. 226, et R. c. Kirkness, [1990] 3 R.C.S. 74 — a été formulée ainsi dans l’arrêt Whitehouse, p. 425 :

[traduction] Je ne suis pas d’avis de tenter de définir de manière trop précise ce qui doit être fait dans des affaires criminelles concernant la participation à une fin illégale commune pour briser le lien de causalité et de responsabilité.  Cela doit dépendre des circonstances de chaque cas, mais il me semble qu’un élément essentiel devrait être établi dans un cas de ce genre : lorsque cela est possible et raisonnable, ceux qui désirent se dissocier du crime envisagé doivent communiquer en temps utile leur intention d’abandonner la fin commune à ceux qui désirent continuer dans sa réalisation.  Ce qui constituerait une communication « en temps utile » doit être déterminé par les faits de chaque cas mais lorsque c’est possible et raisonnable cette communication doit être verbale ou autre et servira d’avis non équivoque à l’autre partie à la fin illégale commune que si elle continue dans la réalisation de celle‑ci, elle le fera sans autre aide et appui de ceux qui se retirent.  La fin illégale de celui qui continue seul lui revient alors entièrement et n’est pas commune à ceux qui désormais n’y participent plus et ne sont donc plus responsables de ses conséquences finales.

[38]                          On reconnaissait alors trois éléments essentiels à l’existence d’une défense d’abandon d’intention : (1) l’existence d’une intention d’abandonner le projet criminel ou de s’en désister, (2) la communication en temps utile de cet abandon ou de ce désistement par l’intéressé à ceux qui désirent continuer et (3) le caractère non équivoque de l’avis ainsi communiqué à ceux qui continuent à participer au projet commun.

[39]                          Le présent pourvoi soulève la question de l’application de la défense d’abandon dans le contexte de la participation criminelle définie au par. 21(1)  du Code criminel .

[40]                          Il n’est pas inutile de réitérer les raisons qui justifient, en droit canadien, la reconnaissance de la défense d’abandon d’intention. Deux raisons de politique générale en matière criminelle expliquent la possibilité pour les participants à des infractions criminelles d’invoquer cette défense. D’une part, il y a l’impératif de veiller à ce que seules les personnes moralement coupables soient punies et, d’autre part, il y a l’avantage que tire la société du fait d’encourager les individus impliqués dans des activités infractionnelles à s’en désister et à les dénoncer. 

[41]                          Dans R. c. Bird, 2009 CSC 60, [2009] 3 R.C.S. 638, notre Cour a implicitement reconnu l’application de la défense d’abandon dans le contexte du par. 21(1), lorsqu’elle a conclu que ce moyen ne satisfaisait pas au critère de la vraisemblance dans le cas d’une accusée qui avait aidé à la commission du crime (voir aussi R. c. Fournier, 2007 QCCA 1822 (CanLII)). Comme elle avait conclu que la défense d’abandon n’était pas vraisemblable, la Cour ne s’est cependant pas prononcée, à cette occasion, sur le contenu de ce moyen de défense dans le contexte particulier de la participation criminelle définie au par. 21(1)  du Code criminel .

[42]                          Il est acquis que le champ d’application de la défense d’abandon varie selon les circonstances de chaque espèce (voir le passage cité ci-dessus de l’arrêt Whitehouse, p. 425). Dans l’arrêt Kirkness, la juge Wilson a exprimé l’avis que le contenu de la défense d’abandon est tributaire du type d’infraction, ainsi que du degré et de la forme de la participation de l’accusé. Elle a fait sienne, à la p. 115, l’observation suivante du professeur Manson :

                          [traduction] Si l’on examine le moyen de défense de l’intention abandonnée à l’égard des participants, les questions principales concernent la qualité du retrait du projet initial et la question de savoir s’il faut davantage pour se disculper. Ces questions ont une signification différente selon la forme considérée de responsabilité à titre de complice et les circonstances particulières d’une affaire.

 

(A. Manson, « Re‑codifying Attempts, Parties, and Abandoned Intentions » (1989), 14 Queen’s L.J. 85, p. 95)

[43]                          La juge Wilson a également souligné qu’il existe une différence entre les formes de participation criminelle prévues aux par. 21(1) et 21(2) respectivement du Code criminel  :

À mon avis, puisque les personnes qui aident et qui encouragent ont été traitées par le législateur de manière différente de celles qui forment ensemble un projet commun, il faut reconnaître une certaine différence entre ces deux paragraphes.

 

(Kirkness, p. 116)

[44]                          Le paragraphe 21(2)  du Code criminel  précise que quiconque forme avec d’autres personnes le projet de poursuivre une fin illégale participe à l’infraction incidente commise par l’une de ces personnes lors de l’exécution du projet principal commun, au même titre que l’auteur principal. Sa participation est la conséquence de sa promesse de fournir des ressources physiques et intellectuelles pour la réalisation du projet commun. En conséquence, sa responsabilité à l’égard de l’infraction incidente découle de sa décision de participer au projet d’infraction et d’apporter des ressources destinées à la réalisation de ce projet.

[45]                          Dans ce contexte, la volonté de se retirer du projet commun — si elle est communiquée en temps utile et en termes non équivoques aux co-conspirateurs qui persistent dans l’exécution de la fin illégale — sera suffisante pour permettre à l’accusé d’invoquer avec succès la défense d’abandon. La communication de l’intention d’abandonner le projet commun réduit les ressources disponibles pour la réalisation de la fin illégale et, par le fait même, a pour résultat d’annuler les effets de la participation de celui qui se désiste ou abandonne.

[46]                          La situation est tout autre dans le contexte de la participation criminelle prévue au par. 21(1)  du Code criminel . Ceux qui apportent aide ou encouragement à la commission d’une infraction font généralement beaucoup plus que promettre leur soutien à la réalisation d’une fin illégale dans le futur. En effet, ils posent des gestes concrets dans le but d’assister l’auteur principal dans la commission de l’infraction ou de l’encourager à la commettre. Leur responsabilité criminelle et leur culpabilité morale sont proportionnelles à ces démarches et découlent de l’accomplissement de ces actes. En conséquence, la simple communication en termes non équivoques de leur volonté de ne plus participer à la commission de l’infraction ne sera pas suffisante [traduction] « pour briser le lien de causalité et de responsabilité », pour reprendre les propos du juge Sloan dans l’arrêt Whitehouse

[47]                          Lorsque la participation criminelle va au-delà du simple engagement de poursuivre un projet d’infraction commun, dans le cas de la participation criminelle envisagée au par. 21(1)  du Code criminel  par exemple, la communication en termes non équivoques de la volonté de ne plus participer à la commission de l’infraction (analyse de Whitehouse) entraîne pour l’accusé l’obligation de démontrer les gestes raisonnables qu’il a entrepris pour neutraliser les effets de sa participation. Comme l’explique de façon imagée un auteur, il est nécessaire que la volonté de se retirer s’accompagne d’actes propres à annuler les effets des gestes déjà accomplis dans le but d’aider ou d’encourager :

[traduction] Une fois la flèche dans les airs, il est vain de souhaiter ne jamais l’avoir décochée — « Je vous en prie, mon Dieu, faites qu’elle rate la cible! » L’archer est coupable d’homicide lorsque la flèche transperce le cœur de la victime. Il est vrai que la personne qui renonce à un projet ne fait pas que changer d’avis : elle se retire — mais est-ce que cette décision a quelque importance si la renonciation ne produit pas plus d’effets sur la suite des événements que le repentir de l’archer? [Je souligne.]

 

(J. C. Smith, Commentary on R. v. Mitchell, [1999] Crim. L.R. 497)

[48]                          Dans l’arrêt Fournier de la Cour d’appel du Québec, l’accusée a été reconnue coupable du meurtre au premier degré de son époux parce qu’elle avait retenu les services d’un tueur à gages pour assassiner ce dernier, et qu’elle avait promis et ultérieurement payé à l’assassin une contrepartie financière, en plus de lui fournir les coordonnées de temps et de lieu requises, de même que les informations nécessaires pour identifier la cible. En raison des nombreux gestes accomplis pour aider à la commission du meurtre, la simple communication par l’accusée de sa volonté de se désister, en laissant sur le répondeur de l’assassin le message « cancelle », n’a pas été jugée suffisante pour la disculper. Les gestes d’abandon n’étaient pas proportionnels à ceux faits dans l’accomplissement de l’infraction criminelle.

[49]                          Pour toutes ces raisons, je reformulerais ainsi l’analyse déjà énoncée dans Whitehouse et Kirkness pour statuer sur la recevabilité de la défense d’abandon, afin de répondre aux particularités qui marquent les différents degrés et formes de participation criminelle. 

[50]                          La personne qui participe à une infraction en accomplissant ou en omettant d’accomplir quelque chose dans le but d’aider quelqu’un à la commettre ou en encourageant quelqu’un à la commettre (par. 21(1)  du Code criminel ), ou encore en formant avec d’autres le projet de poursuivre une fin illégale et de s’y entraider et qu’une infraction est commise lors de la réalisation de cette fin commune (par. 21(2)  du Code criminel ), peut invoquer la défense d’abandon si la preuve permet d’établir les éléments suivants :

(1)     il existe une intention d’abandonner le projet criminel ou de s’en désister;

(2)     cet abandon ou ce désistement a été communiqué en temps utile par l’intéressé à ceux qui désirent continuer;

(3)     la communication a servi d’avis non équivoque à ceux qui désirent continuer;

(4)     l’accusé a pris, proportionnellement à sa participation à la commission du crime projeté, les mesures raisonnables, dans les circonstances, soit pour neutraliser ou autrement annuler les effets de sa participation soit pour empêcher la perpétration de l’infraction.

[51]                          Je reconnais que, dans certaines circonstances, et ce, même selon le mode de participation mentionné au par. 21(1)  du Code criminel , la communication en temps utile par l’accusé de son intention non équivoque d’abandonner l’entreprise illégale sera jugée suffisante pour neutraliser les effets de sa participation criminelle.  En d’autres circonstances, et principalement dans les cas où une personne aide à la commission de l’infraction, il est difficile de concevoir que le simple fait pour cette personne de communiquer en temps opportun à l’auteur principal sa volonté de se retirer du projet d’infraction sera jugé raisonnable et suffisant pour satisfaire à l’analyse formulée au paragraphe précédent. 

[52]                          En conclusion et plus particulièrement dans le cadre du par. 21(1)  du Code criminel , la défense d’abandon d’intention ne devrait être soumise au jury que s’il existe au dossier des éléments de preuve susceptibles d’étayer la conclusion selon laquelle une personne ayant initialement participé à la poursuite d’une fin illégale a subséquemment pris les mesures raisonnables dans les circonstances soit pour neutraliser les effets de sa participation soit pour empêcher la perpétration de l’infraction.

                    2.      Application à la présente espèce

[53]                          En l’espèce, la défense d’abandon d’intention n’était pas vraisemblable.

[54]                          La preuve a établi que l’appelante a rédigé plusieurs documents, dont certaines lettres incriminantes témoignant de l’intention des deux époux de mettre fin à leurs jours et à ceux de leurs enfants. Les lettres sont explicites sur la manière choisie par le couple pour tuer les enfants et pour se donner la mort, soit l’intoxication au moyen de somnifères. C’est l’appelante qui s’est procuré les médicaments qui ont causé la mort des enfants.

[55]                          En conséquence, quels étaient les éléments de preuve qui auraient pu justifier le juge du procès de présenter cette défense d’abandon aux membres du jury?

[56]                          La preuve est pour le moins lacunaire.

[57]                          La seule preuve repose sur le témoignage de l’appelante selon lequel, dans l’après-midi du 31 décembre 2008, elle a avisé son époux de son changement d’intention et de sa volonté de ne plus participer au projet commun :

J’ai remarqué des papiers qu’il avait laissé traîner. Je me suis, je me suis rendue compte de ce qui se préparait. Je voulais pas ça. Quand Marc est revenu, j’ai, j’ai dit que ça avait pas de bon sens là ce qu’il me disait, j’ai déchiré les papiers. [d.a., p. 834]

En contre-interrogatoire, elle a déclaré :

Quand j’ai vu les papiers que j’ai porté attention à ce qui était écrit dessus, là j’ai dit ça a pas de bon sens. Pis j’ai dit à Marc que on pouvait pas . . .

. . .

J’ai dit à Marc qu’il pouvait pas faire ça. Que je voulais pas embarquer là dedans. [Je souligne; d.a., p. 910.]

[58]                          L’appelante a également témoigné qu’elle avait été convaincue, par l’expression sur le visage de son époux, que celui-ci avait lui aussi abandonné le sinistre projet : 

Mais dans son visage j’en ai déduit que il allait allumer aussi pis que c’était correct. [d.a., p. 913]

[59]                          Sur la base de cette preuve, l’avocat de l’appelante plaide que le juge du procès disposait de raisons suffisantes pour soumettre aux membres du jury la thèse de la défense d’abandon. Cet argument est un peu court.

[60]                          À mon avis, la preuve de l’appelante selon laquelle elle a communiqué de façon non équivoque et en temps utile son retrait du plan meurtrier est insuffisante et ne permet pas de satisfaire au critère de la vraisemblance. Je rappelle que, pour satisfaire à ce critère, il n’est pas suffisant d’identifier « une preuve » ou « quelque élément de preuve »; il faut que cette preuve soit « raisonnablement susceptible d’étayer les inférences requises pour que le moyen de défense invoqué soit retenu » (Cinous, par. 82-83).

[61]                          Le seul passage pertinent du témoignage de l’appelante est celui où elle utilise le pronom « on » comme synonyme du pronom pluriel « nous », dans la phrase « j’ai dit à Marc que on pouvait pas [faire cela] ». L’extrait est isolé dans le récit principal de l’appelante selon lequel elle n’a jamais acquiescé au pacte de meurtre-suicide, elle a écrit les lettres incriminantes dans un état de dissociation et elle a signifié à son époux son désaccord vis-à-vis des plans de celui-ci, dès qu’elle s’en est rendu compte. 

[62]                          Néanmoins, même en tenant pour acquis que la preuve invoquée par l’appelante est suffisante pour qu’un jury puisse raisonnablement conclure que celle-ci a communiqué sa volonté de se retirer du plan de manière non équivoque et en temps utile, dans les circonstances de la présente affaire, cette communication n’était pas suffisante à elle seule pour autoriser le juge à soumettre la défense d’abandon aux jurés.

[63]                          Les gestes de l’appelante ne se sont pas limités à une simple promesse de participer au pacte de meurtre-suicide. L’appelante a fourni et mis à la disposition de son époux les substances intoxicantes utilisées par ce dernier pour provoquer la mort des enfants. En conséquence, elle devait faire davantage soit pour neutraliser les effets de sa participation soit pour empêcher la perpétration de l’infraction. Elle aurait pu, par exemple, cacher ou détruire les médicaments achetés, demeurer vigilante et emmener les enfants dans un endroit sûr pour la soirée, insister pour obtenir une confirmation verbale de son époux au sujet de ses intentions ou tout simplement faire appel aux autorités.

[64]                          Je conclus qu’il n’y avait au dossier aucune preuve permettant à un jury ayant reçu les directives appropriées et agissant raisonnablement de conclure que l’appelante avait abandonné le projet d’infraction commun et ainsi de prononcer l’acquittement, s’il ajoutait foi à cette preuve. Partant, la défense d’abandon ne satisfaisait pas au critère de la vraisemblance, et le juge du procès n’était pas tenu de la soumettre aux jurés.

VII.  Dispositif

[65]                          Pour ces motifs, je suis d’avis de rejeter l’appel.

                    Version française des motifs rendus par

                    Le juge Fish (dissident)

I

[66]                          Le juge Wagner a exposé avec soin et sensibilité le contexte tragique et désespéré à l’issue duquel l’époux de l’appelante s’est suicidé peu après avoir tué leurs trois enfants. 

[67]                          Dans la foulée de cette situation tragique et désespérée, l’appelante, Cathie Gauthier, a été reconnue coupable de meurtre au premier degré et condamnée à l’emprisonnement à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle avant 25 ans.

[68]                          Selon la thèse du ministère public contre Mme Gauthier, celle‑ci et son époux ont conclu un pacte de meurtre‑suicide qui a été mis à exécution avec son concours.  Elle a affirmé au procès avoir manifesté son désaccord avec le pacte avant le meurtre des enfants et avoir avisé son époux qu’elle ne voulait pas donner suite au plan.

[69]                          L’avocat de la défense a exhorté le juge du procès à laisser à l’appréciation du jury le moyen de défense de la renonciation (ou défense d’abandon d’intention) présenté par Mme Gauthier.  Le juge a toutefois refusé de le faire.  La Cour d’appel a confirmé la décision du juge du procès au motif qu’il s’agissait d’un « moyen [. . .] de défense incompatible » : 2011 QCCA 1395 (CanLII).  Le tribunal de première instance et la Cour d’appel ont tous les deux erré en droit à cet égard.

[70]                          La Cour d’appel ne s’est pas demandé si le moyen de défense de renonciation invoqué par l’appelante était « vraisemblable » ― c’est‑à‑dire s’il existait une preuve qui permettrait à un jury ayant reçu des directives appropriées d’entretenir un doute raisonnable à cet égard.

[71]                          D’après l’état du droit à l’époque, le juge du procès était tenu de soumettre le moyen de défense de la renonciation à l’appréciation du jury si des éléments de preuve indiquaient que l’appelante a) avait changé d’avis ou « abandonné » son intention antérieure d’aider ou d’encourager à tuer ses enfants, et b) avait signifié adéquatement à son époux qu’elle s’était retirée de leur pacte.

[72]                          La Cour a affirmé à maintes reprises que le moyen de défense de la renonciation ne comporte aucun autre élément essentiel.  En outre, aucune décision contraire d’un tribunal canadien, toutes juridictions confondues, n’a été portée à notre attention. 

[73]                          À mon avis, on a de fait produit au procès de Mme Gauthier des éléments de preuve à partir desquels un jury ayant reçu des directives appropriées aurait fort bien pu conclure qu’elle avait renoncé au pacte de suicide à l’origine de sa mise en accusation et de sa déclaration de culpabilité pour meurtre ou, à tout le moins, considérer qu’il subsistait un doute raisonnable à cet égard, ce qui, bien entendu, aurait été suffisant pour justifier l’acquittement de Mme Gauthier.

[74]                          Avec égards, j’estime que l’appelante a droit à un nouveau procès durant lequel le jury ne serait pas empêché à tort d’examiner sur le fond le moyen de défense de la renonciation invoqué par Mme Gauthier, aussi faible et peu prometteur puisse‑t‑il nous paraître.  Je ne connais aucun principe juridique nous permettant de la priver de ce droit.

[75]                          Dans ses motifs approfondis et mûrement réfléchis, le juge Wagner propose que la Cour établisse maintenant des conditions supplémentaires de validité du moyen de défense de la renonciation.  Ceux‑ci s’ajouteraient à la nécessité de satisfaire aux deux éléments de la renonciation dans les cas où l’accusé, comme Mme Gauthier en l’espèce, a aidé ou encouragé la perpétration de l’infraction.  Comme nous le verrons, il y a de sérieuses raisons fondées sur des principes et sur la jurisprudence de rejeter les modifications proposées.

[76]                          Comme nous le verrons aussi, je ne suis pas convaincu que les modifications qu’adopte la Cour devraient s’appliquer à un nouveau procès de l’appelante.  Cependant, si nous décidions qu’il en soit ainsi, celle‑ci devrait au moins se voir accorder une possibilité raisonnable de répondre à ces nouvelles exigences.  Le fait de ne pas y avoir répondu lors de son premier procès ― soit avant qu’elles soient reconnues par la Cour ou, semble‑t‑il, par quelque autre tribunal canadien ― ne peut guère priver Mme Gauthier d’une possibilité suffisante d’y répondre maintenant.

[77]                          Avec égards pour les tenants de l’opinion contraire, je suis donc d’avis d’accueillir le pourvoi, d’annuler les déclarations de culpabilité visant l’appelante et d’ordonner la tenue d’un nouveau procès. 

II

[78]                          Les tribunaux canadiens affirment depuis plus de 70 ans que le moyen de défense de la renonciation comporte uniquement deux éléments essentiels : (i) un changement d’intention; (ii) un avis non équivoque de retrait donné en temps opportun lorsqu’il est pratique et raisonnable de le faire. 

[79]                          Ces conditions tirent leur origine de R. c. Whitehouse (1940), 55 B.C.R. 420 (C.A.), un arrêt approuvé et appliqué maintes fois par la Cour, comme je l’ai déjà mentionné, et fermement ancré depuis longtemps en droit canadien : voir Henderson c. The King, [1948] R.C.S. 226, p. 236‑237; R. c. de Tonnancourt (1956), 115 C.C.C. 154 (C.A. Man.), p. 176 et 201‑203; R. c. Merrifield, 1977 CarswellOnt 1806 (C.A.), par. 3; Miller c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 680, p. 708; R. c. Wagner (1978), 8 B.C.L.R. 258 (C.A.), p. 260‑261; R. c. Joyce (1978), 42 C.C.C. (2d) 141 (C.A.C.-B.), p. 150; R. c. Kirkness, [1990] 3 R.C.S. 74, p. 89; R. c. Johanson (1995), 166 A.R. 60 (C. prov.), par. 23; R. c. Fournier, 2002 NBCA 71, 252 R.N.-B. (2e) 256, par. 22; R. c. McKercher, [2002] O.J. No. 5859 (QL) (C.J.), par. 77; R. c. Forknall, 2003 BCCA 43, 176 B.C.A.C. 284, par. 51‑53; R. c. Lacoursière (2002), 7 C.R. (6th) 117 (C.A. Qué.), par. 25‑29; R. c. P.K., 2006 ABCA 299, 397 A.R. 318, par. 12; R. c. S.R.B., 2009 ABCA 45, 448 A.R. 124, par. 10, 19‑20 et 24‑30, inf. par R. c. Bird, 2009 CSC 60, [2009] 3 R.C.S. 638, par. 1; R. c. Ball, 2011 BCCA 11, 298 B.C.A.C. 166, par. 44‑47; R. c. Leslie, 2012 BCSC 683 (CanLII), par. 552‑558.

[80]                          Le juge Wagner ne suggère pas que le moyen de défense de la renonciation, tel qu’il existait au moment du procès de Mme Gauthier, exigeait quoi que ce soit de plus qu’un changement d’intention et un avis non équivoque de retrait donné en temps opportun.  Mon collègue propose plutôt un critère nouveau et différent.

[81]                          À cette fin, le juge Wagner établit, pour les besoins de l’espèce, une distinction entre les par. 21(1)  et 21(2)  du Code criminel , L.R.C. 1985, ch. C‑46 .  Le premier traite de la responsabilité pour avoir aidé ou encouragé autrui à commettre un crime précis; le deuxième, de la responsabilité quant à une infraction commise par une autre personne dans la poursuite d’une fin commune illégale.

[82]                          Le juge Wagner veut assortir de conditions supplémentaires le moyen de défense de la renonciation — particulièrement en ce qui concerne la responsabilité visée au par. 21(1) — de sorte que l’accusé aurait à produire des éléments de preuve indiquant qu’il a pris des mesures pour annuler toute contribution antérieure à la perpétration de l’infraction ou, subsidiairement, pour en empêcher la perpétration.

[83]                          Avec égards, j’estime que cette approche néglige le fait que tant le par. 21(1) que le par. 21(2) peuvent viser la participation active de l’accusée : voir par exemple Henderson et Miller.

[84]                          De plus, le critère énoncé dans l’arrêt Whitehouse a été appliqué régulièrement et à maintes reprises tant dans des poursuites engagées en application du par. 21(1) que dans d’autres intentées en vertu du par. 21(2).

[85]                          L’application du critère de l’arrêt Whitehouse dans une affaire d’aide et d’encouragement a reçu très récemment l’aval de la Cour, en 2009, et encore plus récemment celui d’autres tribunaux canadiens : Bird (qui a confirmé le bien‑fondé de la dissidence du juge Costigan); Ball, par. 44‑47; Leslie, par. 552‑558.

[86]                          En fait, l’affaire Whitehouse elle‑même mettait en cause des participants à une infraction qui avaient [traduction] « aidé et encouragé [quelqu’un] à commettre le crime » : p. 424.  Ils avaient « exécuté au moins une partie des tâches qui leur avaient été confiées » : encore à la p. 424. 

[87]                          C’est dans ce contexte factuel que le test de renonciation a vu le jour.  En outre, la Cour n’a dégagé que deux conditions : premièrement, un changement d’intention; deuxièmement, un avis non équivoque de retrait donné en temps opportun ― autrement dit, l’accusé doit clairement faire savoir à l’auteur principal [traduction] « que s’il continue dans la réalisation de la fin illégale commune, il le fera sans autre aide et appui de ceux qui se retirent » : Whitehouse, p. 425 (italiques ajoutés).

[88]                          Comme l’indiquent clairement les termes de cet extrait maintes fois cité, le critère de renonciation énoncé dans Whitehouse vise expressément l’aide et l’appui antérieurs.

[89]                          Qui plus est, en soutenant que la personne accusée en vertu de l’un ou l’autre des paragraphes de l’art. 21 doit annuler sa participation antérieure, on passe outre à un fondement important du moyen de défense de la renonciation, soit celui de donner à l’auteur principal de l’infraction la possibilité de renoncer à la fin criminelle.  Comme l’explique Allan Manson dans « Re‑codifying Attempts, Parties, and Abandoned Intentions » (1989), 14 Queen’s L.J. 85, p. 101 : 

                          [traduction] . . . la prémisse sur laquelle repose l’arrêt Whitehouse [est la suivante] : « Sachez que, si vous allez de l’avant, vous le ferez seul. »  Le retrait non équivoque et la communication de celui‑ci en temps opportun sont suffisamment larges pour répondre aux besoins tant des personnes qui aident l’auteur de l’infraction à la commettre que de celles qui l’encouragent à le faire parce que, tout comme dans Becerra et Gundy, l’objectif est de contraindre l’auteur principal de l’infraction à reconsidérer la fin assez tôt pour qu’il y renonce.  Après tout, c’est là l’objectif de prévention de la responsabilité des participants.  Ainsi, le moyen de défense de la renonciation formulé dans Whitehouse peut s’appliquer de façon aussi équitable et avec autant d’effet à tous les participants, y compris à ceux qui aident l’auteur de l’infraction, par l’interprétation du caractère opportun du moment de l’annonce de la renonciation compte tenu de l’infraction et de l’objectif de renonciation en dernière analyse.

[90]                          Même les plus ardents tenants d’un moyen de défense de la renonciation plus strict reconnaissent qu’il faudrait modifier le droit canadien si on exigeait la prise de mesures d’annulation ou de prévention : voir M. Campbell, « Turning Back the Clock : Aiders and the Defence of Abandonment » (2010), 14 Rev. can. D.P. 1, p. 16‑17.

[91]                          Approuvant Whitehouse, les tribunaux du Royaume‑Uni ont conclu que la prise de mesures d’annulation ou de prévention n’est pas nécessaire pour établir la renonciation.  Dans R. c. O’Flaherty, [2004] EWCA Crim 526, [2004] 2 Cr. App. R. 20 (p. 315), par. 60, la Cour d’appel a reconnu que le fait de savoir si l’accusé en avait fait assez [traduction] « pour prouver son retrait de l’entreprise commune [. . .] est, en définitive, une question de fait et de degré relevant du jury ».  Celui‑ci doit tenir compte de « la nature de l’appui et de l’encouragement déjà fournis, de la mesure dans laquelle l’infliction de la ou des blessures fatales est imminente ainsi que de la nature de l’acte considéré comme un retrait ».  Et la Cour d’appel a explicitement rejeté la proposition qu’un retrait effectif requiert la prise de mesures raisonnables visant à prévenir le crime :

                    [traduction]  On a dit parfois que, dans les cas d’appui, des mesures raisonnables doivent avoir été prises dans le but de prévenir le crime pour qu’il y ait bel et bien retrait.  Cela n’est toutefois clairement pas nécessaire.  [Par. 60; voir aussi le par. 61.]

Voir aussi R. c. Otway, [2011] EWCA Crim 3 (BAILII), par. 32, où la cour a affirmé que les mesures de prévention du crime étaient pertinentes, mais non nécessaires pour établir le retrait.

[92]                          Le juge Wagner cite R. c. Fournier, 2007 QCCA 1822 (CanLII), à l’appui de sa position que la simple communication d’un changement d’intention doit désormais être jugée insuffisante pour qu’il y ait renonciation dans les affaires mettant en cause le par. 21(1) (par. 48 des motifs du juge Wagner).  Or, dans Fournier, contrairement à la présente affaire, le moyen de défense de la renonciation a été soumis au jury.  La Cour d’appel a d’ailleurs conclu que le juge du procès avait informé comme il se doit le jury que le moyen de défense de la renonciation exigeait la communication en temps opportun d’un avis non équivoque de retrait : Fournier, par. 18‑20.

[93]                          À l’instar de mon collègue, j’estime que l’archer éprouvant un repentir intérieur ne peut se prévaloir du moyen de défense de renonciation après avoir décoché la flèche (par. 47 des motifs du juge Wagner).  Le moyen de défense n’est d’aucun secours à l’archer dans l’exemple donné par Sir John Smith, non pas parce que des mesures de prévention ou d’annulation s’imposent, mais parce que l’avis de retrait est donné trop tard ou n’est pas donné du tout. 

[94]                          Il ressort clairement de toutes ces sources doctrinales et jurisprudentielles que le moyen de défense de la renonciation n’exige pas que l’accusé prenne des mesures pour annuler sa participation antérieure à l’entreprise criminelle ou empêcher la perpétration de l’infraction.  Bien que la preuve de telles mesures puisse renforcer ce moyen de défense, l’absence de mesures d’annulation ou de prévention n’est pas fatale.  Ainsi, par exemple, dans R. c. Edwards, 2001 BCSC 275 (CanLII), par. 186, les efforts déployés par l’accusé pour empêcher la perpétration de l’infraction ont été reconnus comme établissant le respect du critère énoncé dans Whitehouse, et non pas comme des conditions supplémentaires auxquelles il faut satisfaire pour se prévaloir avec succès du moyen de défense.

[95]                          Si nous devions accepter que le moyen de défense de la renonciation exige désormais que l’accusé agisse pour annuler son soutien antérieur ou prévenir la perpétration du crime, j’ai tendance à penser que cette modification ne devrait valoir que pour l’avenir, du moins en l’espèce.  Comme l’explique Don Stuart dans Canadian Criminal Law : A Treatise (6e éd. 2011), p. 9 : [traduction] « Presque tous conviennent du caractère désuet et erroné de l’opinion selon laquelle les juges ne font qu’énoncer l’état du droit actuel plutôt que de créer du droit nouveau. » 

[96]                          Mais quel que soit l’angle sous lequel on aborde la question, il serait fondamentalement inéquitable à ce stade de reprocher à l’appelante de ne pas avoir démontré davantage qu’un changement d’intention et un avis non équivoque de retrait du pacte de meurtre‑suicide donné en temps opportun, compte tenu de l’état du droit reconnu par tous au Canada au moment de son procès.  Puisque le témoignage de l’appelante contient une certaine preuve de ces deux éléments essentiels, le moyen de défense était vraisemblable.  Le juge du procès a donc commis une erreur en soustrayant le moyen de défense de la renonciation à l’examen du jury.

III

[97]                          Je partage l’avis du juge Wagner que l’« incompatibilité » entre le moyen de défense de la renonciation invoqué par Mme Gauthier et son moyen de défense principal ne justifie pas la décision du juge du procès de ne pas les soumettre tous les deux à l’appréciation du jury.  Je me contenterai donc de faire les brèves remarques qui suivent sur l’incompatibilité.

[98]                          Il ne faut pas s’appuyer sur l’incompatibilité pour priver l’accusé d’un moyen de défense dont la vraisemblance a été établie, surtout dans un cas, comme celui‑ci, où l’avocat de la défense a demandé au juge d’en parler dans son exposé : d.a., p. 1018 et 1037‑1038.

[99]                          Comme l’a affirmé le juge Kellock dans Henderson : [traduction] « Un principe de droit primordial veut que le moyen de défense invoqué par un accusé, aussi faible puisse‑t‑il être, soit soumis en toute justice au jury » : p. 241.  Le juge Taschereau a lui aussi souligné le [traduction] « droit fondamental de l’[accusé] [. . .] à ce que toutes les caractéristiques de [la] défense soient soumises adéquatement au jury » : Henderson, p. 237.

IV

[100]                      Pour que le moyen de défense de la renonciation soit laissé à l’appréciation du jury, il doit exister une preuve qui permettrait à un jury ayant reçu des directives appropriées d’entretenir un doute raisonnable sur les deux éléments essentiels du moyen de défense : R. c. Cinous, 2002 CSC 29, [2002] 2 R.C.S. 3, par. 2, 49, 52‑54 et 83.  Le témoignage de l’appelante me semble avoir satisfait à ce critère de preuve peu exigeant.

[101]                      En fait, le ministère public n’a pas laissé entendre au procès — pas plus que le juge de première instance ou la Cour d’appel dans leurs conclusions — que le moyen de défense de la renonciation n’était pas vraisemblable.

[102]                      L’appelante a affirmé avoir dit à Marc Laliberté que son plan n’avait aucun sens et qu’il « pouvait pas faire ça ».  Elle lui a également fait part de son refus d’y participer.  Elle a manifesté son désaccord avec le pacte de meurtre‑suicide en déchirant deux documents : un testament qu’elle avait rédigé et une biographie de Marc Laliberté faisant état du pacte.  En outre, l’expression faciale de ce dernier l’a convaincue que le pacte avait été abandonné : d.a., p. 834‑835 et 910‑911.

[103]                      Ce témoignage contient à tout le moins une certaine preuve que l’appelante ne voulait plus participer au pacte de meurtre‑suicide et qu’elle avait fait part sans équivoque de cette volte‑face à l’auteur principal de l’infraction en temps opportun.  Tout ce qui était nécessaire, c’était la possibilité qu’un doute raisonnable subsiste dans l’esprit du jury à propos de la culpabilité de l’appelante. 

[104]                      Le fait de savoir si l’appelante en avait fait assez en dernière analyse pour signifier sans équivoque son retrait en temps opportun constitue une question de fait qui aurait dû être laissée à l’appréciation du jury : P.K., par. 11; O’Flaherty, par. 60; Cinous, par. 52 et 54. 

[105]                      Bref, il appartenait au jury de décider si les propos et la conduite de l’appelante étaient crédibles et suffisants pour établir qu’un avis non équivoque de retrait avait été donné en temps opportun.  Comme l’a dit le juge Taschereau, toujours dans Henderson, p. 237 : [traduction] « La question de savoir si on a mis fin à l’entente doit être examinée au vu de l’ensemble des circonstances qui se dégagent de la preuve, et il n’y a aucun doute dans mon esprit que c’est une question relevant du jury. » 

[106]                      Avec égards, j’estime donc devoir conclure que le juge du procès a empiété « sur le rôle traditionnel du jury en tant que juge des faits » en refusant de lui donner des directives sur le moyen de défense de la renonciation : Cinous, par. 56.

V

[107]                      Pour les motifs qui précèdent, je suis d’avis d’accueillir le pourvoi, d’annuler les déclarations de culpabilité visant l’appelante et d’ordonner la tenue d’un nouveau procès.

                    Pourvoi rejeté, le juge Fish est dissident.

                    Procureurs de l’appelante : Duval Lauzon Ménard, Trois‑Rivières.

                    Procureur de l’intimée : Directeur des poursuites criminelles et pénales du Québec, Chicoutimi.

                    Procureur de l’intervenant : Procureur général de l’Ontario, Toronto.

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