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COUR SUPRÊME DU CANADA

 

Référence : R. c. Vuradin, 2013 CSC 38, [2013] 2 R.C.S. 639

Date : 20130627

Dossier : 35143

 

Entre :

Fabian Vuradin

Appelant

and

Sa Majesté la Reine

Intimée

 

 

Traduction française officielle

 

Coram : Les juges Fish, Rothstein, Cromwell, Moldaver et Karakatsanis

 

Motifs de jugement :

(par. 1 à 29)

La juge Karakatsanis (avec l’accord des juges Fish, Rothstein, Cromwell et Moldaver)

 

 

 


 


R. c. Vuradin, 2013 CSC 38, [2013] 2 R.C.S. 639

Fabian Vuradin                                                                                               Appelant

c.

Sa Majesté la Reine                                                                                            Intimée

Répertorié : R. c. Vuradin

2013 CSC 38

No du greffe : 35143.

2013 : 16 mai; 2013 : 27 juin.

Présents : Les juges Fish, Rothstein, Cromwell, Moldaver et Karakatsanis.

en appel de la cour d’appel de l’alberta

                    Droit criminel — Jugements et ordonnances — Suffisance des motifs — Fardeau de la preuve — Accusé déclaré coupable d’agression sexuelle et de contacts sexuels illégaux à l’endroit de quatre plaignantes — Les motifs de jugement du juge du procès étaient‑ils suffisants? — Le juge du procès a‑t‑il appliqué comme il se doit le fardeau de la preuve?

                    Le présent pourvoi soulève les questions de savoir si les motifs de jugement du juge du procès étaient suffisants et si le juge a appliqué comme il se doit le fardeau de la preuve en matière criminelle.

                    Arrêt : Le pourvoi est rejeté.

                    Pour décider si les motifs du juge du procès sont suffisants, la question principale est de savoir si les motifs, considérés dans leur contexte, indiquent pourquoi le juge a rendu la décision qu’il a rendue.  Les motifs du juge du procès satisfont à ce critère.  Les motifs permettent un examen valable en appel parce qu’ils indiquent à l’accusé pourquoi le juge du procès a rendu la décision qu’il a rendue.  Selon le juge du procès, le témoignage de la plaignante était convaincant, les failles de son témoignage étaient anodines, et les hypothèses de l’accusé quant à l’invention étaient conjecturales.  Il appert des motifs que le juge du procès a retenu le témoignage de la plaignante lorsque celui‑ci contredisait le témoignage de l’accusé.  Aucune autre explication n’était nécessaire pour justifier le rejet du témoignage de l’accusé.

                    Le juge du procès a également appliqué comme il se doit le fardeau de la preuve.  Bien qu’un juge du procès ne soit pas tenu d’énoncer les étapes décrites dans W.(D.), le juge en l’espèce a fait mention de cet arrêt et des dangers qu’on y signale : la possibilité de simplement comparer les versions et de déplacer le fardeau de la preuve sur les épaules de l’accusé.  Les motifs du juge du procès pour déclarer l’accusé coupable sur les chefs 1 et 2, considérés dans leur contexte global, ne révèlent pas que les principes pertinents ont été incorrectement appliqués.  En l’espèce, le juge du procès n’a pas cru l’accusé.  Il a examiné la preuve du ministère public en gardant à l’esprit la dénégation de l’accusé et a conclu, comme il lui était loisible de le faire, que cette dénégation ne soulevait pas de doute raisonnable.

Jurisprudence

                    Arrêts mentionnés : R. c. R.E.M., 2008 CSC 51, [2008] 3 R.C.S. 3; R. c. W.(D.), [1991] 1 R.C.S. 742; R. c. Sheppard, 2002 CSC 26, [2002] 1 R.C.S. 869; R. c. Dinardo, 2008 CSC 24, [2008] 1 R.C.S. 788; R. c. C.L.Y., 2008 CSC 2, [2008] 1 R.C.S. 5; R. c. Boucher, 2005 CSC 72, [2005] 3 R.C.S. 499.

                    POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Alberta (les juges Côté, McDonald et O’Ferrall), 2011 ABCA 280, 515 A.R. 25, 55 Alta. L.R. (5th) 45, [2012] 4 W.W.R. 264, 532 W.A.C. 25, [2011] A.J. No. 1057 (QL), 2011 CarswellAlta 1687, qui a annulé trois déclarations de culpabilité prononcées contre l’accusé et qui a ordonné la tenue d’un nouveau procès.  Pourvoi rejeté.

                    Peter J. Royal, c.r., et Tara E. Hayes, pour l’appelant.

                    Joanne Dartana, pour l’intimée.

                    Version française du jugement de la Cour rendu par

                    La juge Karakatsanis —

I.     Introduction

[1]                              Le présent pourvoi soulève les questions de savoir si les motifs de jugement du juge du procès étaient suffisants et s’il a appliqué comme il se doit le fardeau de la preuve en matière criminelle.

[2]                              L’appelant a été accusé de quatre chefs d’agression sexuelle et d’un chef de contacts sexuels illégaux à l’endroit d’une personne âgée de moins de 14 ans.  Trois enfants et une adulte sont les plaignantes à l’origine de ces accusations.  Au procès, l’appelant a été déclaré coupable relativement à tous les chefs d’accusation.  Les juges majoritaires de la Cour d’appel ont annulé trois condamnations et ordonné la tenue d’un nouveau procès parce que la preuve de faits similaires avait été admise à tort.  Le juge dissident de la Cour d’appel aurait annulé toutes les condamnations et ordonné la tenue d’un nouveau procès : 2011 ABCA 280, 515 A.R. 25.  Le litige porte donc sur les deux chefs d’accusation relatifs à la plaignante la plus jeune (les chefs d’accusation 1 et 2).

[3]                              Il s’agit d’un appel de plein droit qui porte uniquement sur les questions de droit à l’égard desquelles un juge de la Cour d’appel a exprimé sa dissidence.  L’appelant invoque deux de ces questions, à savoir si les motifs du juge du procès sont suffisants et si le juge du procès a appliqué correctement le fardeau de la preuve.  La décision du juge du procès relative à la preuve de faits similaires ne nous a pas été soumise. 

[4]                              Les motifs du juge du procès sont peu étoffés et ne traitent pas directement du témoignage de l’appelant.  Cependant, pour les motifs qui suivent, je partage l’avis des juges majoritaires de la Cour d’appel que les motifs du juge du procès étaient suffisants et que ce dernier n’a pas commis d’erreur en appliquant le fardeau de la preuve.

II.    Contexte

[5]                              Le juge du procès a estimé que le témoignage de la plaignante la plus jeune était [traduction] « convaincant » et a fait remarquer que la plaignante et le policier chargé de l’enquête avaient eu une « conversation particulièrement poignante » qui avait un « accent de vérité ».  Le juge a affirmé que a) la plaignante n’avait pas été ébranlée lors du contre‑interrogatoire; b) les contradictions relevées dans son témoignage étaient légères et prévisibles (surtout de la part d’une enfant témoin); c) les arguments de l’appelant concernant l’impossibilité physique que les incidents se soient produits comme l’a raconté la plaignante étaient une  « simple conjecture »; et d) bien que le policier qui a interrogé la plaignante lui ait posé des questions suggestives, celles-ci ne se rapportaient pas aux « aspects essentiels » des faits à l’origine des infractions.  En outre, le juge du procès a qualifié de conjecturale la suggestion de l’appelant selon laquelle la plaignante avait inventé les allégations.

[6]                              Pour ce qui est du témoignage de l’appelant, le juge du procès a fait remarquer que l’appelant avait [traduction] « simplement nié l’ensemble des allégations ».  Peu après avoir réitéré sa conclusion que le témoignage de la plaignante était convaincant, le juge du procès a énoncé sa conclusion sur les chefs 1 et 2 : « [e]n définitive, malgré la dénégation [de l’appelant], je n’ai aucun doute raisonnable que l’[appelant] a commis les actes décrits par [la plaignante] ».

[7]                              S’exprimant au nom des juges majoritaires de la Cour d’appel à propos des questions dont notre Cour est saisie, le juge McDonald a conclu que le juge du procès avait fait une synthèse correcte des règles de droit relatives au fardeau de la preuve en matière criminelle et avait fourni des motifs suffisants parce qu’ils répondaient [traduction] « aux exigences établies dans l’arrêt Sheppard et indiquaient clairement à l’appelant pourquoi il avait été déclaré coupable à son procès » (par. 66).  S’appuyant sur l’arrêt de notre Cour R. c. R.E.M., 2008 CSC 51, [2008] 3 R.C.S. 3, le juge McDonald a conclu que les motifs démontraient de façon générale que, lorsque les témoignages de la plaignante et de l’accusé se contredisaient, le juge du procès avait retenu celui de la plaignante.

[8]                              Le juge Côté, dissident, a estimé que le juge du procès avait mal appliqué le fardeau de la preuve et que ses motifs étaient inadéquats.  Quant au fardeau de la preuve, les verdicts de culpabilité relatifs à la plaignante la plus jeune constituaient [traduction] « tout au plus [. . .] une conclusion inexpliquée » parce que le juge du procès n’avait pas fait état du lien entre le témoignage de l’appelant et les chefs d’accusation en cause (par. 100).  En ce qui concerne le caractère suffisant des motifs, le juge du procès n’y a pas traité adéquatement des failles du témoignage de la plaignante.  Les motifs n’expliquaient pas non plus pourquoi le témoignage de l’appelant avait été rejeté ou n’avait pas soulevé de doute raisonnable, et ne permettaient pas à une cour d’appel de décider si le juge du procès avait mal appliqué les principes énoncés dans R. c. W.(D.), [1991] 1 R.C.S. 742.

III.    Les motifs du juge du procès étaient‑ils suffisants?

[9]                              L’avocat de l’appelant a affirmé avec franchise qu’il ne demandait pas à la Cour d’établir une nouvelle règle de droit.  Il a plutôt soutenu que le juge du procès n’avait pas expliqué dans ses motifs pourquoi il avait retenu le témoignage de la plaignante en dépit des questions de crédibilité en litige, et n’y avait pas traité du témoignage de l’appelant ni motivé son rejet.  Les motifs ne permettaient pas à une cour d’appel de déterminer si l’application de l’arrêt W.(D.) était entachée d’une erreur de droit.

[10]                          Une cour d’appel chargée de décider si un juge de première instance a suffisamment motivé sa décision doit appliquer une approche fonctionnelle : R. c. Sheppard, 2002 CSC 26, [2002] 1 R.C.S. 869, par. 55.  Un appel fondé sur l’insuffisance des motifs « ne sera accueilli que si les lacunes des motifs exprimés par le juge du procès font obstacle à un examen valable en appel » : R. c. Dinardo, 2008 CSC 24, [2008] 1 R.C.S. 788, par. 25.

[11]                          En l’espèce, la crédibilité était la question clé au procès.  Les décisions d’un juge du procès relatives à la crédibilité commandent un degré élevé de déférence.  La juge Charron donne les précisions suivantes dans Dinardo :

                    Dans un litige dont l’issue est en grande partie liée à la crédibilité, on tiendra compte de la déférence due aux conclusions sur la crédibilité tirées par le juge de première instance pour déterminer s’il a suffisamment motivé sa décision.  Les lacunes dans l’analyse de la crédibilité effectuée par le juge du procès, telle qu’il l’expose dans ses motifs, ne justifieront que rarement l’intervention de la cour d’appel. Néanmoins, le défaut d’expliquer adéquatement comment il a résolu les questions de crédibilité peut constituer une erreur justifiant l’annulation de la décision (voir R. c. Braich, [2002] 1 R.C.S. 903, 2002 CSC 27, par. 23). Comme notre Cour l’a indiqué dans R. c. Gagnon, [2006] 1 R.C.S. 621, 2006 CSC 17, l’accusé est en droit de savoir « pourquoi le juge du procès écarte le doute raisonnable » . . .  [par. 26] 

[12]                          En dernière analyse, lorsqu’un tribunal d’appel examine les motifs pour déterminer s’ils sont suffisants, « il doit les considérer globalement, dans le contexte de la preuve présentée, des arguments invoqués et du procès, en tenant compte des buts ou des fonctions de l’expression des motifs » : R.E.M., par. 16.  Ces buts « seront atteints si les motifs, considérés dans leur contexte, indiquent pourquoi le juge a rendu sa décision » (par. 17).

[13]                          Notre Cour a également précisé dans R.E.M. que l’omission du juge du procès d’expliquer pourquoi il a écarté une dénégation plausible des accusations par l’accusé ne rend pas les motifs déficients, pourvu que ceux‑ci démontrent, de façon générale, que lorsque les témoignages de la plaignante et de l’accusé se contredisaient, il a retenu celui de la plaignante.  Aucun autre motif n’est nécessaire pour justifier le rejet du témoignage de l’accusé puisque les déclarations de culpabilité elles‑mêmes permettent d’inférer raisonnablement que l’accusé n’a pas réussi à soulever un doute raisonnable en niant les accusations (voir le par. 66).

[14]                          L’appelant plaide que les motifs n’indiquaient pas pourquoi le juge du procès avait rendu la décision qu’il a rendue.  Ce dernier n’a pas examiné les questions en litige concernant la crédibilité de la plaignante avant de retenir son témoignage.  Le juge du procès n’a pas abordé plusieurs des questions en litige énumérées en détail par le juge dissident de la Cour d’appel.  S’il l’a fait, il a ensuite tiré une conclusion sommaire à leur égard.  Selon l’appelant, bien qu’on ne doive pas modifier à la légère les conclusions d’un juge du procès relatives à la crédibilité des témoins, le juge du procès n’explique pas adéquatement dans ses motifs pourquoi il a retenu le témoignage de la plaignante, ni pourquoi le témoignage de l’appelant ne soulevait pas un doute raisonnable.

[15]                          Pour décider si les motifs du juge du procès sont suffisants, la question principale à trancher est la suivante : considérés dans leur contexte, les motifs indiquent‑ils pourquoi le juge a rendu la décision qu’il a rendue relative aux chefs d’accusation concernant la plaignante?  En l’espèce, les motifs du juge du procès satisfont à ce critère.

[16]                          Premièrement, le juge du procès a estimé que le témoignage de la plaignante était convaincant, c’est‑à‑dire crédible et fiable.  Il a motivé cette opinion en signalant un échange entre la plaignante et le policier chargé de l’enquête à qui elle a exprimé sa crainte d’être considérée comme une mauvaise fille parce qu’elle avait peut‑être aimé ce que lui avait fait l’appelant.  Le juge du procès a dit que ces propos [traduction] « avaient un accent de vérité ».

[17]                          Deuxièmement, le juge du procès a reconnu les questions en litige relatives à la crédibilité de la plaignante.  Il n’était pas tenu de traiter de tous les éléments de preuve sur un point donné ou de répondre à chaque argument soulevé par les avocats : R.E.M., par. 32 et 64; Dinardo, par. 30.  En l’espèce, il a relevé les failles du témoignage de la plaignante — l’absence d’un hymen, les contradictions quant au nombre d’incidents, l’impossibilité physique de certaines allégations et les questions suggestives posées par le policier qui a enregistré sa déclaration.  Il a traité de chacune de ces failles, quoique brièvement, estimant en fin de compte qu’elles n’avaient aucune incidence sur sa conclusion globale.  Il a qualifié d’hypothétique la suggestion d’invention faite par l’appelant.

[18]                          Troisièmement, le juge du procès a tenu compte de la dénégation des allégations par l’appelant.  Il a reconnu que si l’appelant avait mieux maîtrisé l’anglais, il aurait peut‑être présenté un témoignage plus étoffé.  Considérés dans leur contexte, les motifs du juge du procès révèlent qu’il a rejeté la dénégation de l’appelant.  Plus loin dans ses motifs, le juge du procès a affirmé, à propos des autres chefs d’accusation, que la dénégation n’était pas sincère et ne soulevait pas de doute.

[19]                          Je conclus que les motifs étaient suffisants.  Ils permettent un examen valable en appel parce qu’ils indiquent à l’appelant pourquoi le juge du procès a rendu la décision qu’il a rendue.  Selon le juge du procès, le témoignage de la plaignante était convaincant, les failles de son témoignage étaient anodines, et les hypothèses de l’appelant quant à l’invention étaient conjecturales.  Il appert des motifs que le juge du procès a retenu le témoignage de la plaignante lorsque celui‑ci contredisait le témoignage de l’appelant.  Aucune autre explication n’était nécessaire pour justifier le rejet du témoignage de l’appelant.

IV.    Le juge du procès a‑t‑il fait erreur en appliquant le fardeau de la preuve?

[20]                          L’appelant plaide que le juge du procès n’a pas appliqué correctement le fardeau de la preuve en matière criminelle en ne respectant pas le critère établi dans W.(D.), et qu’il a omis de ce fait d’apprécier correctement le témoignage de l’appelant.

[21]                          La question primordiale qui se pose dans une affaire criminelle est de savoir si, compte tenu de l’ensemble de la preuve, il subsiste dans l'esprit du juge des faits un doute raisonnable quant à la culpabilité de l'accusé : W.(D.), p. 758.  L’ordre dans lequel le juge du procès énonce des conclusions relatives à la crédibilité des témoins n’a pas de conséquences dès lors que le principe du doute raisonnable demeure la considération primordiale.  Un verdict de culpabilité ne doit pas être fondé sur un choix entre la preuve de l’accusé et celle du ministère public : R. c. C.L.Y., 2008 CSC 2, [2008] 1 R.C.S. 5, par. 6‑8.  Les juges de première instance n’ont cependant pas l’obligation d’expliquer par le menu le cheminement qu’ils ont suivi pour arriver au verdict : voir R. c. Boucher, 2005 CSC 72, [2005] 3 R.C.S. 499, par. 29.

[22]                          Le juge du procès a fait allusion aux principes de l’arrêt W.(D.) au début de ses motifs :

                    [traductionW.(D.) m’oblige à évaluer le témoignage de l’accusé d’une façon en particulier.  Cela ne signifie pas cependant que le témoignage de l’accusé est examiné en vase clos.  La possibilité de simplement comparer les versions et de déplacer le fardeau de la preuve sur les épaules de l’accusé constituent les dangers dont il est question dans W.(D.). Toutefois, le témoignage de l’accusé fait partie d’un ensemble d’éléments de preuve qui influent tous sur le poids qui peut être accordé à son témoignage.

                    On ne peut déterminer si le témoignage de l’accusé est véridique ou soulève à tout le moins un doute raisonnable simplement en examinant ce témoignage ainsi que la manière dont l’accusé l’a présenté.  Cette façon de faire néglige une des [règles] fondamentales de la recherche des faits.  Ce n’est pas seulement la cohérence interne du témoignage qui renforce celui‑ci.  Sa compatibilité avec d’autres éléments entre aussi en jeu dans l’analyse.  Le témoignage incompatible avec un fait établi ou admis peut être écarté, peu importe son auteur.  [Je souligne.]

[23]                          Immédiatement après ces paragraphes, le juge du procès a entrepris en ces termes son appréciation de la crédibilité de la plaignante : [traduction] « Le témoignage [de la plaignante] en l’espèce était convaincant. »

[24]                          L’appelant plaide qu’en l’absence de quelque motif que ce soit expliquant pourquoi son témoignage a été rejeté ou n’a pas soulevé un doute raisonnable, les motifs laissent entendre que le juge du procès a d’abord trouvé la plaignante crédible, puis s’est servi de cette conclusion — ou de ce [traduction] « fait établi », pour reprendre les propos du juge du procès — pour rejeter ensuite le témoignage de l’appelant, choisissant effectivement la preuve du ministère public au détriment de celle de la défense.

[25]                          À mon avis, le juge du procès ne faisait qu’énoncer des principes de droit généraux susceptibles d’être utilisés pour apprécier le témoignage de l’accusé.  En outre, lorsqu’il a évalué la preuve du ministère public, le juge du procès a mentionné explicitement la dénégation de l’appelant : [traduction] « . . . malgré la dénégation [de l’appelant], je n’ai aucun doute raisonnable que l’[appelant] a commis les actes décrits par [la plaignante] ».

[26]                          J’en viens donc à la conclusion que le juge du procès a appliqué comme il se doit le fardeau de la preuve.  Bien qu’un juge du procès ne soit pas tenu d’énoncer les étapes décrites dans W.(D.), le juge en l’espèce a fait mention de cet arrêt et des dangers qu’on y signale : [traduction] « . . . [l]a possibilité de simplement comparer les versions et de déplacer le fardeau de la preuve sur les épaules de l’accusé ».  À mon avis, les motifs du juge du procès pour déclarer l’appelant coupable sur les chefs 1 et 2, considérés dans leur contexte global, ne révèlent pas que les principes exposés dans cet arrêt ont été incorrectement appliqués. 

[27]                          En définitive, le juge du procès a rejeté le témoignage de l’appelant.  Dans Boucher, la juge Charron (dissidente en partie) a affirmé que, lorsque le juge du procès rejette le témoignage d’un accusé, « il est généralement permis de conclure que le témoignage n’a pas soulevé de doute raisonnable dans son esprit » (par. 59).  De même, la juge en chef McLachlin a affirmé dans R.E.M. que « les condamnations elles‑mêmes permettent d’inférer raisonnablement que l’accusé n’a pas réussi à soulever un doute raisonnable en niant les accusations » (par. 66).

[28]                          En l’espèce, le juge du procès n’a pas cru l’appelant.  Il a examiné la preuve du ministère public en gardant à l’esprit la dénégation de l’appelant et a conclu, comme il lui était loisible de le faire, que cette dénégation ne soulevait pas de doute raisonnable.

V.    Conclusion

[29]                          Pour ces motifs, je suis d’avis de rejeter le pourvoi.

                    Pourvoi rejeté.

                    Procureurs de l’appelant : Royal Teskey, Edmonton.

                    Procureur de l’intimée : Procureur général de l’Alberta, Edmonton.

 

 

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