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COUR SUPRÊME DU CANADA

 

Référence : Envision Credit Union c. Canada, 2013 CSC 48, [2013] 3 R.C.S. 191

Date : 20130926

Dossier : 34619

 

Entre :

Envision Credit Union

Appelante

et

Sa Majesté la Reine

Intimée

 

Traduction française officielle

 

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Rothstein, Cromwell, Moldaver, Karakatsanis et Wagner

 

Motifs de jugement :

(par. 1 à 60)

 

 

Motifs concordants quant au résultat :

(par. 61 à 72)

Le juge Rothstein (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges LeBel, Moldaver, Karakatsanis et Wagner)

 

Le juge Cromwell


 

Envision Credit Union c. Canada, 2013 CSC 48, [2013] 3 R.C.S. 191

Envision Credit Union                                                                                   Appelante

c.

Sa Majesté la Reine                                                                                            Intimée

Répertorié : Envision Credit Union c. Canada

2013 CSC 48

No du greffe : 34619.

2013 : 19 mars; 2013 : 26 septembre.

Présents : La juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Rothstein, Cromwell, Moldaver, Karakatsanis et Wagner.

en appel de la cour d’appel fédérale

                    Droit fiscal — Impôt sur le revenu — Sociétés — Fusions — Caisses de crédit fusionnantes cherchant à éviter le transfert de certains attributs fiscaux pour demander deux fois la déduction pour amortissement et remettre à zéro le montant imposable à taux réduit — La fusion constitue‑t‑elle une « fusion admissible » répondant aux exigences de l’art. 87  de la Loi de l’impôt sur le revenu ? — Les dispositions sur la « fusion admissible » emportent‑elles le rajustement des attributs fiscaux de la société issue de la fusion? — Credit Union Incorporation Act, R.S.B.C. 1996, ch. 82, art. 20, 23 — Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5  suppl .), art. 87 .

                    Deux caisses de crédit, D et F (collectivement appelées les « caisses remplacées »), ont fusionné pour former E.  L’unification n’était pas motivée par des raisons fiscales; l’opération a toutefois été structurée de manière à donner la meilleure issue fiscale possible.  La fusion a été effectuée sous le régime de la Credit Union Incorporation Act, R.S.B.C. 1996, ch. 82 (« CUIA »).  En fusionnant, D et F ont tenté de contourner l’application de l’art. 87  de la Loi de l’impôt sur le revenu , L.R.C. 1985, ch. 1 (5 e  suppl .) (« LIR  ») et de procéder ainsi à une fusion non admissible en transférant, au moment de la fusion, l’intérêt bénéficiaire à l’égard de certains biens réels qui excédaient leurs besoins commerciaux (les « biens excédentaires ») à une filiale nouvellement créée, 619.  En échange de ces biens excédentaires, 619 a émis des actions en faveur des caisses remplacées, qui ont été transférées à E par suite de la fusion. Dès la fusion, E conservait le titre juridique sur les biens excédentaires en tant que nue‑fiduciaire, alors que l’intérêt bénéficiaire était conféré à 619.

                    Selon E, la fusion dont elle est issue ne constituait pas une fusion admissible au titre de l’art. 87, car les dispositions de cet article relatives au transfert ne s’appliquent que lorsque tous les biens appartenant aux sociétés fusionnantes deviennent les biens de la société issue de la fusion.  E fait valoir que, comme certains biens ont été vendus au moment précis de la fusion, cette condition préalable au transfert des attributs fiscaux n’était pas remplie.  Deux attributs fiscaux particuliers sont en cause dans le présent pourvoi : la déduction pour amortissement (« DPA ») et le montant imposable à taux réduit (« MITR »).  E prétend que l’unification non admissible a eu pour effet de ramener le MITR à zéro dans son cas, et elle était ainsi peut‑être davantage en mesure de demander le crédit d’impôt relatif au MITR.  Bien qu’E ait produit ses déclarations de revenus en partant de cette hypothèse, il n’est pas contesté que la remise à zéro du MITR ne lui a pas bénéficié au cours des années d’imposition en cause en l’espèce.  Quoi qu’il en soit, c’est en raison du MITR qu’il avait été décidé de procéder à une fusion non admissible.  E fait également valoir que les DPA demandées par les caisses remplacées avaient aussi été ramenées à zéro lors de la fusion, de sorte qu’elle pouvait les demander en fonction du coût en capital initial des actifs assumé par les caisses remplacées.  Le ministre a établi de nouvelles cotisations à l’égard d’E pour 2001, 2002, 2003 et 2004.  La Cour de l’impôt a rejeté l’appel interjeté par E à l’égard des nouvelles cotisations, à l’exception de celle établie pour 2001, qu’elle a jugé prescrite.  La Cour d’appel fédérale a rejeté l’appel. 

                    Arrêt :  Le pourvoi est rejeté.

                    La juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Rothstein, Moldaver, Karakatsanis et Wagner : Une fusion admissible au titre de l’art. 87  de la LIR  doit répondre aux trois exigences fondamentales suivantes : a) les biens appartenant aux sociétés remplacées immédiatement avant l’unification doivent devenir des biens de la société issue de la fusion en vertu de l’unification; b) les engagements des sociétés remplacées existant immédiatement avant l’unification doivent devenir des engagements de la société issue de la fusion en vertu de l’unification; c) les actionnaires qui possédaient des actions du capital‑actions d’une société remplacée immédiatement avant l’unification doivent recevoir des actions du capital‑actions de la société issue de la fusion en raison de l’unification.  Dès lors qu’il est satisfait à ces prescriptions, la LIR  prévoit le transfert de divers attributs fiscaux et interdit le transfert d’autres attributs fiscaux. Toute autre fusion n’est pas visée par l’art. 87. Les conséquences fiscales d’une fusion non admissible ne sont pas prévues dans la LIR .  

                    Les caisses de crédit en Colombie‑Britannique ne peuvent fusionner qu’en conformité avec l’art. 20 de la CUIA. Bien que l’art. 20 habilite les caisses remplacées à fixer les conditions de la fusion, ces dernières ne peuvent contredire ou contourner les conséquences automatiques de la fusion prévues à l’art. 23 de la CUIA.  Aux termes de cette loi, les caisses remplacées se prorogent en la caisse issue de la fusion : par. 20(1) et al. 23a). La caisse issue de la fusion « entre en possession » des biens et « prend en charge » les engagements des caisses remplacées : al. 23b).  Rien à l’art. 20 ni à l’art. 23 de cette loi ne permet aux caisses fusionnantes de se soustraire par contrat aux conséquences de la fusion expressément prévues par la loi, et il n’existe aucun pouvoir indépendant en common law en vertu duquel des caisses de crédit pourraient fusionner autrement que conformément au libellé de la CUIA.  Permettre aux caisses fusionnantes de se soustraire par contrat à l’application de l’art. 23 de la CUIA affaiblirait le régime établi par le législateur en mettant en péril le rôle de protection des créanciers que joue l’al. 23b).  La protection des créanciers est un enjeu clé lors d’une fusion.  La fusion ne saurait permettre à une société de dissocier le passif de l’actif. 

                    La fusion en l’espèce satisfait aux prescriptions de l’art. 87 de la LIR et il s’agissait d’une fusion admissible.   En application de l’al. 23b), E est entrée en possession des biens excédentaires au moment précis de la fusion.  La condition prévue à l’al. 87(1) a) de la LIR  était par le fait même remplie.  Les biens appartenant aux caisses remplacées sont devenus des biens appartenant à E en vertu de l’unification.  La CUIA ne permet pas aux parties de prévoir que certains biens appartenant aux caisses remplacées ne deviennent pas des biens d’E lors de la fusion.  Les dispositions de la LIR  qui prévoient le transfert des DPA et du MITR s’appliquent, et les attributs fiscaux d’E doivent être rajustés en conséquence.  Même si E est entrée en possession des biens excédentaires au moment de la fusion — résultat que les caisses remplacées cherchaient à éviter —, les contrats relatifs à la vente des biens excédentaires et la convention de fusion ont néanmoins produit les effets escomptés.  Ces conventions ont eu l’effet voulu par les caisses remplacées, à l’exception des conséquences fiscales auxquelles l’al. 23b) de la CUIA a fait obstacle.  Les conséquences d’une loi fiscale ne sauraient être adaptées de manière à éviter des conséquences défavorables sur le plan du droit des sociétés.  

                    Le juge Cromwell : À la création d’E, les sociétés remplacées ont perdu leur existence juridique distincte.  Par conséquent, D, F et E n’ont jamais coexisté comme entités juridiques distinctes, de sorte que les premières aient pu céder leurs biens à la dernière, car au moment de la fusion, la seule entité juridique distincte qui existait était E.  Cette conclusion suffit pour permettre de statuer entièrement sur l’appel, et il conviendrait d’en rester là. 

                    Il n’est ni nécessaire ni désirable de trancher le pourvoi sur le fondement de l’al. 23b).  Dès lors que l’on conclut à l’absence d’incompatibilité entre l’opération en cause et le résultat d’une fusion énoncé à l’art. 23, il n’est pas nécessaire de se perdre en conjectures sur les conséquences potentielles qui découleraient de la situation contraire.  L’interprétation proposée de l’art. 23 est susceptible de produire des effets qui transcendent la seule interprétation de la CUIA.  Dans les faits, elle crée une règle voulant qu’aucune fusion effectuée en vertu de la CUIA (et par extension en vertu de toute disposition semblable d’une autre loi sur les sociétés) ne puisse en droit être soustraite à l’application des al. 87(1) a) et b) de la LIR .  Il s’agit d’une conclusion d’importance, mais qui n’est fondée sur aucune source. 

                    En outre, il y a lieu de douter de la justesse de l’interprétation proposée compte tenu du libellé et de la structure de la loi.  L’article 23 n’établit pas les conditions préalables à une fusion; c’est là le rôle de l’art. 20.  En revanche, il énumère tout simplement les effets de la fusion et indique que la convention de fusion joue le rôle crucial de les préciser.  Étant donné que les caisses évoluent dans un cadre fortement réglementé, il semble également très improbable que la protection des créanciers dépende si fortement de l’al. 23b).  L’article 20, en exigeant l’approbation par l’organisme de réglementation de toute fusion proposée, répond à cette préoccupation.  De surcroît, il est reconnu qu’une telle interprétation risque d’engendrer des problèmes pratiques importants dans d’autres affaires.  

Jurisprudence

Citée par le juge Rothstein

                    Arrêt analysé : R. c. Black and Decker Manufacturing Co., [1975] 1 R.C.S. 411; arrêts mentionnés : Manco Home Systems Ltd., Re, 1989 CanLII 2819; Wotherspoon c. Canadien Pacifique Ltée, [1987] 1 R.C.S. 952.

Lois et règlements cités

Business Corporations Act, S.B.C. 2002, ch. 57, art. 279b)(ii).

Company Act, R.S.B.C. 1996, ch. 62, art. 251.

Credit Union Incorporation Act, R.S.B.C. 1996, ch. 82, art. 16 à 18, 20 à 24.

Loi de l’impôt sur le revenu , L.R.C. 1985, ch. 1 (5 e  suppl .), art. 87, 137(4.3)b), 256(1.2).

Doctrine et autres documents cités

British Columbia Company Law Practice Manual, 2nd ed., vol. 1.  Vancouver : Continuing Legal Education Society of British Columbia, 2007.

Dictionnaire de la comptabilité et de la gestion financière, 3e éd.  Toronto : Institut canadien des comptables agréés, 2011.

McMeel, Gerard.  The Construction of Contracts : Interpretation, Implication, and Rectification, 2nd ed.  Oxford : Oxford University Press, 2011.

                    POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel fédérale (les juges Evans, Layden‑Stevenson et Stratas), 2011 CAF 321, 425 N.R. 261, 2012 D.T.C. 5055, 94 B.L.R. (4th) 14, [2012] 3 C.T.C. 66, [2011] A.C.F. no 1857 (QL), 2011 CarswellNat 6343, qui a confirmé une décision du juge Webb, 2010 CCI 576, 2010 D.T.C. 1399, [2011] 2 C.T.C. 2229, 79 B.L.R. (4th) 38, [2010] A.C.I. no 469 (QL), 2010 CarswellNat 5708.  Pourvoi rejeté.

                    Joel A. Nitikman et Jessica Fabbro, pour l’appelante.

                    Daniel Bourgeois et Eric Noble, pour l’intimée.

                    Version française du jugement de la juge en chef McLachlin et des juges LeBel, Rothstein, Moldaver, Karakatsanis et Wagner rendu par

                    Le juge Rothstein —

I.     Introduction

[1]                              Tout contribuable a le droit d’organiser ses affaires de façon à réduire le montant de l’impôt qu’il aurait autrement à payer.  Les contribuables procèdent souvent à la planification fiscale pour y parvenir.  Bien entendu, pour qu’elle puisse permettre d’obtenir la réduction d’impôt souhaitée, cette planification fiscale doit être conforme aux dispositions pertinentes de la Loi de l’impôt sur le revenu , L.R.C. 1985, ch. 1 (5 e  suppl .) (« LIR  »), et d’autres lois. Si elle ne l’est pas, la réduction d’impôt recherchée n’est pas obtenue.  C’est le résultat du présent pourvoi.

[2]                              En l’espèce, deux caisses de crédit ont fusionné pour devenir la Envision Credit Union (« Envision »).  Elles cherchaient ainsi à se soustraire à l’application de l’art. 87  de la LIR , qui exige que des attributs fiscaux précis des sociétés qui fusionnent « soient transférés » à la société issue de la fusion lorsque certains critères sont remplis.  En s’y soustrayant, la caisse de crédit a tenté de demander deux fois la déduction pour amortissement et d’imposer à un taux inférieur une tranche plus importante de son revenu. 

[3]                              Envision prétend avoir réussi à contourner l’exigence.  En particulier, Envision fait valoir que cette exigence ne s’applique que lorsque « les biens » appartenant aux sociétés fusionnantes deviennent sans exception des biens de la société issue de la fusion.  Selon Envision, comme certains biens ont été vendus au moment précis de la fusion, cette condition préalable au transfert des attributs fiscaux n’était pas remplie.

[4]                              La fusion est une création de la loi.  Pour les motifs qui suivent, je conclus qu’Envision ne pouvait se soustraire à l’application de la LIR  en vendant certains biens au moment de la fusion, parce que le respect des conditions prévues par cette loi découle automatiquement de l’application de la loi provinciale autorisant la fusion.  La fusion satisfait donc aux conditions nécessaires au transfert des attributs fiscaux au titre de la LIR . Je suis d’avis de rejeter le pourvoi.

II.    Faits

[5]                              Le 1er janvier 2001, deux caisses de crédit de la Colombie‑Britannique, Delta Credit Union (« Delta ») et First Heritage Savings Credit Union (« First Heritage ») (collectivement appelées les « caisses remplacées ») ont fusionné pour former Envision.  L’unification n’était pas motivée par des raisons fiscales; l’opération a toutefois été structurée de manière à donner la meilleure issue fiscale possible.

[6]                              La fusion a été effectuée sous le régime de la Credit Union Incorporation Act, R.S.B.C. 1996, ch. 82 (« CUIA »).  Aux termes de cette loi, les caisses remplacées se prorogent en la caisse issue de la fusion (par. 20(1) et al. 23a)).  La caisse issue de la fusion [traduction] « entre en possession » des biens et « prend en charge » les engagements des caisses remplacées  (al. 23b)).  Les dispositions législatives applicables de la CUIA et de la LIR sont reproduites en annexe.

[7]                              Il existe deux types de fusions sous le régime de la LIR .  La « fusion admissible » est celle qui respecte les prescriptions de l’art. 87  de la LIR .  Dès lors qu’il est satisfait à ces prescriptions, la LIR  prévoit le transfert de divers attributs fiscaux et, en même temps, elle détermine le début de la nouvelle année d’imposition et interdit le transfert d’autres attributs fiscaux.  Toute autre fusion appartient à l’autre type, parfois appelé « fusion légale » ou « fusion non admissible », qui n’est pas visé par l’art. 87.  Les conséquences fiscales d’une fusion non admissible ne sont pas prévues dans la LIR ; elles doivent donc être établies à l’aide des autres dispositions pertinentes de la LIR , s’il y a lieu, des autres lois applicables et de la common law.

[8]                              Une fusion admissible au titre de l’art. 87  de la LIR  doit répondre aux trois exigences fondamentales suivantes :

a)         les biens appartenant aux sociétés remplacées immédiatement avant l’unification doivent devenir des biens de la société issue de la fusion en vertu de l’unification;

b)         les engagements des sociétés remplacées existant immédiatement avant l’unification doivent devenir des engagements de la société issue de la fusion en vertu de l’unification;

c)         les actionnaires qui possédaient des actions du capital‑actions d’une société remplacée immédiatement avant l’unification doivent recevoir des actions du capital‑actions de la société issue de la fusion en raison de l’unification.

[9]                              En l’espèce, Delta et First Heritage ont tenté de contourner l’application de l’art. 87 et de procéder à une fusion non admissible en transférant, au moment de la fusion, l’intérêt bénéficiaire à l’égard de certains biens réels qui excédaient leurs besoins commerciaux (les « biens excédentaires ») à une filiale nouvellement créée, 619547 B.C. Ltd. (« 619 »).  En échange de ces biens excédentaires, 619 a émis des actions en faveur des caisses remplacées, qui ont été transférées à Envision par suite de la fusion.  Dès la fusion, Envision conservait le titre juridique sur les biens excédentaires en tant que nue‑fiduciaire, alors que l’intérêt bénéficiaire était conféré à 619.

[10]                          Selon Envision, la fusion dont elle est issue ne constituait pas une fusion admissible parce que les biens des caisses remplacées n’étaient pas tous devenus ses biens.  Plus particulièrement, la propriété effective des biens excédentaires avait été dévolue à 619 et n’avait pas été transférée à Envision.  Certes, les actions de 619 ont été transférées à Envision, mais bien qu’Envision fut propriétaire des actions, elle n’était pas propriétaire des biens de cette société  (m.a., par. 68, note de bas de page 49).  Les dispositions de l’art. 87 relatives au transfert de divers attributs fiscaux ne s’appliqueraient pas parce que les biens appartenant aux caisses remplacées n’ont pas tous été transférés à Envision.

[11]                          Deux attributs fiscaux particuliers sont en cause dans le présent pourvoi : la déduction pour amortissement (« DPA ») et le montant imposable à taux réduit (« MITR »).  Les détails de l’application du MITR importent peu en l’espèce.  Il suffit de savoir que le MITR sert à calculer le crédit d’impôt qui s’y rapporte et que, de façon générale, un MITR faible est préférable pour les contribuables.  Le crédit d’impôt relatif au MITR accroît la tranche de revenu assujettie au taux d’imposition inférieur applicable aux petites entreprises.

[12]                          Envision prétend que la fusion non admissible a eu pour effet de ramener le MITR à zéro dans son cas, et elle était ainsi peut‑être davantage en mesure de demander le crédit d’impôt relatif au MITR.  Bien qu’Envision ait produit ses déclarations de revenus en partant de cette hypothèse, il n’est pas contesté que la remise à zéro du MITR ne lui a pas bénéficié au cours des années d’imposition en cause en l’espèce.  Quoi qu’il en soit, c’est en raison du MITR qu’il avait été décidé de procéder à une fusion non admissible.  Envision fait également valoir que les DPA demandées par les caisses remplacées avaient aussi été ramenées à zéro lors de la fusion; elle affirme toutefois avoir adopté ce point de vue uniquement par souci de « cohérence » entre son traitement du MITR et celui des DPA.

[13]                          La DPA est bien entendu très connue des milieux juridiques et comptables.  Une brève explication de cette notion pourrait toutefois être utile pour l’analyse qui va suivre.  La DPA est une déduction accordée aux entreprises qui tient compte du fait que, bien que les coûts d’acquisition de certains actifs immobilisés amortissables (bâtiments, équipement, véhicules, etc.) soient engagés au cours d’une année d’imposition donnée, leur utilisation s’étale en fait sur plus d’une année.  Dans le régime applicable aux DPA, les actifs sont classés par catégories selon leur type.

[14]                          Chaque année, les contribuables peuvent déduire un pourcentage (prévu par la LIR  pour chaque catégorie) de la fraction non amortie du coût en capital (« FNACC ») des actifs de chaque catégorie.  Le montant déduit est ce qu’on appelle la DPA.  La FNACC initiale pour chaque catégorie est établie en fonction du coût réel d’acquisition par le contribuable des actifs de la catégorie.  Chaque année, la FNACC est réduite en fonction de la DPA demandée par le contribuable pour cette année d’imposition.

[15]                          Partant de sa thèse selon laquelle, par suite de la fusion, le MITR était ramené à zéro dans son cas, Envision soutient que comme les DPA demandées par les caisses remplacées n’avaient pas été transférées à Envision, la FNACC pouvait être fixée au coût en capital initial des actifs.  Ainsi, Envision serait en mesure de réclamer les montants de DPA qu’avaient déjà demandé les caisses remplacées.  Par suite de ce nouveau calcul, la FNACC d’Envision était établie à environ 51 millions de dollars, soit le coût initial des actifs des caisses remplacées, plutôt qu’à environ 20 millions de dollars, soit le total du solde de la FNACC des deux caisses remplacées au moment de la fusion.

[16]                          Le ministre a établi de nouvelles cotisations à l’égard d’Envision pour 2001, 2002, 2003 et 2004 au motif que le MITR et la FNACC des caisses remplacées devaient être transférés à Envision.  Envision a interjeté appel de ces nouvelles cotisations.

III.  Historique judiciaire

A.    Cour canadienne de l’impôt, 2010 CCI 576 (CanLII)

[17]                          Le juge Webb (maintenant juge à la Cour d’appel fédérale) de la Cour de l’impôt a conclu que l’art. 87 ne s’appliquait pas à la fusion en l’espèce.  Les caisses remplacées avaient à son avis la capacité juridique de vendre les biens excédentaires au moment de la fusion, puisqu’elles se prorogeaient en tant que personnes morales en application des dispositions législatives pertinentes.  Selon lui, puisque le par. 20(2) de la CUIA prévoit la possibilité pour les parties à une fusion d’indiquer les conditions de réalisation de la fusion, il était loisible aux caisses remplacées de convenir que certains biens ne deviendraient pas des biens d’Envision au moment de la fusion.  En substance, il a conclu que, même si, aux termes de l’al. 23b), tous les biens appartenant aux caisses remplacées deviennent des biens de la caisse issue de la fusion, il s’agit là d’une règle applicable par défaut à laquelle les caisses remplacées peuvent (comme elles l’ont fait en l’espèce) se soustraire par contrat.  En conséquence de quoi, il a statué que l’art. 87 ne s’appliquait pas à la fusion en l’espèce.

[18]                          Le juge Webb s’est ensuite penché sur les conséquences fiscales d’une fusion non admissible.  Il a conclu que l’arrêt rendu par notre Cour dans R. c. Black and Decker Manufacturing Co., [1975] 1 R.C.S. 411, s’appliquait de sorte qu’Envision, qui était réputée par la loi proroger les caisses remplacées, ne pouvait prétendre qu’aucune DPA n’avait été demandée par ces dernières.  Suivant l’arrêt Black and Decker, les sociétés remplacées « subsiste[nt] dans leur intégralité » au sein de la société issue de la fusion créée selon le modèle de la prorogation (p. 422).  La CUIA prévoit la fusion suivant ce modèle; il n’était donc pas loisible à Envision d’adopter uniquement le coût en capital initial des actifs qu’elle avait reçus des caisses remplacées sans faire siennes également les DPA demandées à l’égard de ceux‑ci.

[19]                          Le juge Webb a également rejeté l’argument selon lequel la CUIA, une loi provinciale, n’avait aucune incidence sur le calcul de l’impôt sous le régime de la LIR , une loi fédérale.  Selon lui, le simple fait que l’application de l’arrêt Black and Decker aux faits de l’espèce arrive au même résultat que celle de l’art. 87 ne justifiait pas qu’on opte pour un résultat différent.  En conséquence, la FNACC d’Envision devait être réduite en fonction des DPA déjà demandées par les caisses remplacées.

[20]                          Enfin, le juge Webb a conclu que la nouvelle cotisation établie par le ministre à l’égard d’Envision pour 2001 était prescrite.  Le ministre n’a pas interjeté appel de cette conclusion.

B.    Cour d’appel fédérale, 2011 CAF 321 (CanLII)

[21]                          La Cour d’appel fédérale a conclu que l’art. 87 s’appliquait à la fusion en l’espèce parce que les biens appartenant aux caisses remplacées (les biens excédentaires) pouvaient être rattachés aux biens appartenant à Envision (les actions de 619).  La fusion n’avait fait que modifier la forme du droit de propriété détenu par Envision sur les biens excédentaires, ceux‑ci ayant en fait été convertis en actions de 619.

[22]                          La Cour d’appel a également souscrit à la conclusion de la Cour de l’impôt selon laquelle l’arrêt Black and Decker avait pour effet d’obliger Envision à adopter le solde combiné de la FNACC des deux caisses remplacées même s’il s’agissait d’une fusion non admissible. 

IV.  Questions en litige

[23]                          Le présent pourvoi soulève trois questions :

(1)     La fusion ayant donné naissance à Envision constituait‑elle une fusion admissible au titre de l’art. 87  de la LIR ?

(2)     Si la fusion ayant donné naissance à Envision constituait une fusion non admissible, comment faut‑il calculer la FNACC et le MITR?

(3)     Si la fusion ayant donné naissance à Envision constituait une fusion non admissible et que la LIR  autorise par ailleurs Envision à calculer la FNACC et le MITR sans égard aux déductions réclamées par les caisses remplacées, la règle générale anti‑évitement s’applique‑t‑elle pour empêcher Envision d’obtenir l’avantage fiscal découlant de cette conclusion?

[24]                          Vu la conclusion exposée ci‑dessous selon laquelle il s’agit d’une fusion admissible, point n’est besoin pour la Cour de répondre aux autres questions.  Il n’est donc pas nécessaire de trancher la question de savoir si le transfert des attributs fiscaux à la suite d’une fusion non admissible est, comme l’ont affirmé les juridictions inférieures, régi par l’arrêt Black and Decker.  Je remets l’examen de cette question à une autre occasion.

V.    Analyse

[25]                          À mon avis, la fusion en l’espèce satisfait aux prescriptions de l’art. 87 parce qu’Envision est entrée en possession des biens excédentaires au moment de la fusion.  Il s’agit donc d’une fusion admissible. Pour tirer cette conclusion, je me fonde sur les dispositions de la CUIA, le libellé de la convention de fusion et le libellé des conventions de vente des biens excédentaires.  À mon avis, la CUIA ne permet pas aux parties de prévoir que certains biens appartenant aux caisses remplacées ne deviennent pas des biens d’Envision lors de la fusion.

A.    Article 23 de la CUIA

[26]                          C’est la première fois que la Cour interprète l’art. 23 de la CUIA.  En effet, à ma connaissance, avant le présent pourvoi, aucun tribunal n’avait encore été appelé à interpréter cette disposition.  La Cour dispose pour toute source des motifs des juridictions inférieures en l’espèce.  Bien qu’ils puissent lui être utiles, la Cour n’est pas liée par les jugements rendus par la Cour de l’impôt en matière d’interprétation législative.  J’ai lu attentivement les motifs du juge Webb, mais j’arrive à la conclusion contraire quant à l’interprétation qu’il faut donner à l’al. 23b) de la CUIA et à ses effets.

[27]                          L’alinéa 23b) de la CUIA est rédigé en ces termes :

[traduction]

 

23 À compter de la date de la fusion . . .

. . .

                              b) la caisse issue de la fusion entre en possession des biens, droits et intérêts et prend en charge les dettes, engagements et obligations de chaque caisse fusionnante . . .

Vu le libellé de cette disposition, par suite d’une fusion sous le régime de la CUIA, la caisse issue de la fusion devient propriétaire de tous les biens des caisses remplacées.

[28]                          Contrairement à la Business Corporations Act de la Colombie‑Britannique, S.B.C. 2002, ch. 57, sous‑al. 279b)(ii), qui prévoit que si l’heure de la fusion n’est pas fixée, la fusion a lieu au début du jour fixé pour celle‑ci, la CUIA ne prévoit aucune présomption déterminant l’heure de la fusion.  La fusion doit cependant avoir lieu à une heure précise, et non pas seulement à une date donnée.  En l’espèce, les parties s’entendent pour dire que, suivant la convention de fusion, la fusion était réalisée à la première heure le 1er janvier 2001.

[29]                          Envision soutient que les caisses de crédit peuvent soustraire par contrat certains biens à l’application de l’al. 23b).  À l’appui de sa conclusion, Envision invoque l’art. 20 de la CUIA qui permet aux caisses fusionnantes d’indiquer [traduction] « les conditions de la fusion » et « la façon de réaliser la fusion ».  Selon Envision, les caisses remplacées peuvent prévoir que certains biens ne seront pas assujettis à la règle énoncée à l’al. 23b) et seront plutôt transmis à un tiers au moment précis de la fusion.  Envision fait valoir que l’al. 23b) ne s’applique qu’aux biens dont il n’est pas disposé autrement dans la convention de fusion.  Envision prétend qu’elle ne pouvait être entrée en possession des biens excédentaires en application de l’al. 23b), parce que les caisses remplacées avaient convenu que ces biens seraient transmis à 619.

[30]                          À mon avis, l’al. 23b) ne constitue pas une disposition à l’application de laquelle les caisses fusionnantes peuvent se soustraire par contrat.  Il s’agit plutôt d’une disposition impérative qui établit les conséquences d’une fusion sous le régime de la CUIA.

[31]                          Les caisses de crédit en Colombie‑Britannique ne peuvent fusionner qu’en conformité avec l’art. 20 de la CUIA.  Le sous‑alinéa 20(2)a)(ii) autorise les caisses remplacées à fixer les conditions de la fusion tandis que l’art. 23 décrit les conséquences de la fusion.  Bien que l’art. 20 habilite les caisses remplacées à fixer les conditions de la fusion, ces dernières ne peuvent contredire ou contourner les conséquences automatiques de la fusion prévues à l’art. 23 de la CUIA.  Rien à l’art. 20 ne permet expressément aux caisses fusionnantes de choisir les effets ou conséquences de la fusion sur leurs biens ou engagements.  Les effets de la fusion sont énoncés à l’art. 23

[32]                          À cet égard, je souscris à l’avis du juge Cromwell.  L’article 20 décrit les conditions de la fusion; l’art. 23 en décrit les effets.  Je conviens également que cette même structure est reprise à l’égard des acquisitions aux art. 16-18.  Or, je ne puis voir pourquoi cette distinction entre les effets et les conditions de la fusion empêche mon collègue de conclure que les parties ne peuvent se soustraire par contrat aux effets de l’al. 23b). 

[33]                          Permettre aux caisses fusionnantes de se soustraire par contrat à l’application de l’art. 23 de la CUIA affaiblirait le régime établi par le législateur.  Rien à l’art. 20 ni à l’art. 23 de cette loi ne permet aux caisses fusionnantes de se soustraire par contrat aux conséquences de la fusion expressément prévues par la loi, et il n’existe aucun pouvoir indépendant en common law en vertu duquel des caisses de crédit pourraient fusionner autrement que conformément au libellé de la CUIA.

[34]                          Le juge Cromwell accorde de l’importance au fait que les autres alinéas de l’art. 23 renvoient expressément à la convention de fusion : [traduction] « . . . les caisses visées fusionnent et sont prorogées en une seule et même caisse sous la dénomination sociale et selon la constitution et les règles précisées dans la convention de fusion » (al. 23a)); « tout membre et membre auxiliaire de chacune des caisses fusionnantes est lié par la convention de fusion » (al. 23c)).  Selon mon collègue, comme ces dispositions incorporent le libellé de la convention de fusion, il devrait en aller de même de l’al. 23b), qui est dépourvu de tout renvoi à la convention de fusion.  Soit dit en tout respect, je ne saurais concevoir comment l’incorporation expresse de la convention de fusion à l’al. 23a) pourrait susciter la même conclusion quant à l’al. 23b), qui n’est pas rédigé suivant les mêmes termes.  À la limite, cette incorporation expresse suggère la conclusion contraire, à savoir que les conséquences prescrites par l’al. 23b) ne sauraient être modifiées par le libellé de la convention de fusion.  En outre, l’al. 23c), qui précise simplement que les membres des caisses sont liés par la convention de fusion, ne saurait porter à croire que le libellé de la convention de fusion puisse être non conforme à l’al. 23b).

[35]                          Les raisons de principe pour lesquelles le législateur ne permet pas que l’on se soustraie par contrat à l’application de l’art. 23 sont faciles à comprendre.  La protection des créanciers est un enjeu clé lors d’une fusion.  Si l’interprétation donnée par Envision à la loi était correcte, rien n’empêcherait alors les caisses remplacées de se soustraire également aux effets de l’al. 23b) en précisant que les engagements et obligations ne deviennent pas ceux de la caisse issue de la fusion.  Un tel résultat serait insoutenable.  La fusion ne saurait permettre à une société de dissocier le passif de l’actif.  Le rôle de protection des créanciers que joue l’al. 23b) est d’autant plus important que, contrairement à la Business Corporations Act de la Colombie‑Britannique, la CUIA ne comporte aucune disposition protégeant expressément les droits des créanciers.

[36]                          Je suis d’accord avec le juge Cromwell pour dire que la fusion de caisses doit être approuvée conformément aux prescriptions réglementaires et que les caisses sont régies par un cadre hautement réglementé.  Cependant, l’organisme de réglementation qui approuve la convention de fusion est tenu par la loi de déterminer si cette dernière est [traduction] « contraire aux intérêts d’une ou de plusieurs caisses fusionnantes ou de ses membres » (CUIA, al. 20(3)b)).  Il se peut que l’organisme de réglementation se préoccupe de la protection des créanciers, mais ce n’est pas là l’objet du processus d’approbation.  L’alinéa 23b) demeure donc un élément important permettant d’assurer la protection des créanciers. 

[37]                          En application de l’al. 23b), Envision est donc entrée en possession des biens excédentaires au moment précis de la fusion. La condition prévue à l’al. 87(1) a) de la LIR  était par le fait même remplie.  Les biens appartenant aux caisses remplacées sont devenus des biens appartenant à Envision en vertu de l’unification.

[38]                          Envision soutient que, suivant cette interprétation, les prescriptions relatives aux biens et aux engagements prévues à l’art. 87  de la LIR  seraient redondantes, parce qu’il serait impossible d’y manquer vu que, dans les faits, toutes les lois sur les fusions de sociétés au Canada comportent des dispositions assurant la continuité à l’égard des actifs et des engagements.  Si c’est le cas à l’heure actuelle, ces dispositions sont susceptibles de modification à tout moment.  Ce n’est pas parce que le jeu des dispositions actuelles des lois sur les sociétés emporte nécessairement le respect des deux conditions de la LIR  qu’il faut donner à ces lois une autre interprétation.  La LIR a pour objet d’établir des conséquences fiscales compte tenu des principes du droit des sociétés et non pas de permettre une interprétation différente de ces lois.

[39]                          La fusion ayant donné naissance à Envision constitue une fusion admissible.  Les alinéas 87(2)d) et 137(4.3)b), soit les dispositions de la LIR  qui prévoient le transfert des DPA et du MITR, s’appliquent, et les attributs fiscaux d’Envision doivent être rajustés en conséquence.

[40]                          Selon le juge Cromwell, l’analyse fondée sur l’al. 23b) n’est pas nécessaire.  Or, c’est sur ce fondement que la présente affaire a été plaidée devant notre Cour et devant les juridictions inférieures.  Les parties ont présenté des arguments sur l’interprétation et l’effet de ces dispositions de la CUIA.  Bien que mon collègue laisse entendre qu’un tel résultat aura pour effet de créer des problèmes non négligeables sur le plan pratique dans d’autres cas, je ne crois pas qu’il y ait quelque avantage à refuser de trancher une question après l’instruction complète d’un appel et l’audition de l’ensemble des plaidoiries des parties.  En effet, dans la mesure où l’existence de problèmes sur le plan pratique doit guider les décisions judiciaires, j’estime que les présents facteurs appellent la Cour à trancher maintenant, pour éviter que la question demeure en suspens, et le droit à cet égard incertain. 

B.    Effets de la fusion et des conventions d’achat et de vente

[41]                          L’analyse qui précède suffit pour trancher la question fiscale en l’espèce, parce que l’application de l’al. 23b) de la CUIA emporte le respect des conditions énoncées à l’art. 87  de la LIR .  Envision soulève toutefois la question de l’effet utile de la convention de fusion, qui, à son avis, permettait de contourner l’al. 23b).  Selon Envision, s’il lui était impossible d’organiser ses affaires de sorte que les biens excédentaires ne deviennent pas des biens lui appartenant, la convention de fusion entre les caisses remplacées était peut‑être invalide (mémoire en réplique de l’appelante, par. 18).

[42]                          Dans la mesure où Envision prétend que notre interprétation de l’al. 23b) de la CUIA et de l’art. 87  de la LIR  devrait dépendre de l’effet de ces dispositions sur une opération privée entre les parties en cause, je suis d’avis de rejeter pareil argument.  Les conséquences d’une loi fiscale ne sauraient être adaptées de manière à éviter des conséquences défavorables sur le plan du droit des sociétés.

[43]                          Je suis conscient que l’invalidation potentielle d’une fusion remontant à plus de 10 ans risque d’entraîner des problèmes pratiques importants.  Je ne suis toutefois pas convaincu que c’est le cas en l’espèce.  Même si Envision est entrée en possession des biens excédentaires au moment de la fusion — résultat que les caisses remplacées cherchaient à éviter —, les conventions de vente et la convention de fusion ont néanmoins produit les effets escomptés.  Comme je l’expliquerai plus loin, ces conventions ont eu l’effet voulu par les caisses remplacées, à l’exception des conséquences fiscales auxquelles l’al. 23b) de la CUIA a fait obstacle.

                    (1)     Les conventions de vente des biens excédentaires

[44]                          Bien qu’Envision n’ait pas invoqué directement l’effet utile des conventions d’achat et de vente, il est nécessaire de bien comprendre l’effet de ces conventions pour saisir l’application de la convention de fusion en l’espèce.

[45]                          Deux conventions ont été conclues eu égard à la vente des biens excédentaires.  Elles identifiaient Delta et First Heritage à titre de vendeuses et fixaient la vente des biens excédentaires au moment précis de la fusion, prévu dans la convention de fusion.  Selon Envision, les caisses remplacées, à titre de vendeuses, constituaient les parties qui avaient procédé à la vente des biens excédentaires.  En conséquence, Envision n’avait pas vendu les biens à la filiale, et n’aurait pas pu le faire. Je ne suis pas d’accord.

[46]                          Au moment de la fusion, les caisses remplacées, Delta et First Heritage, avaient perdu la personnalité juridique distincte qui leur aurait permis de satisfaire aux conditions des conventions de vente.  Bien que les caisses remplacées aient subsisté en application de la CUIA, elles ont subsisté au sein d’Envision : Black and Decker, p. 422.  C’est Envision qui devait s’acquitter de toutes les obligations juridiques contractées par elles et auxquelles il fallait satisfaire au moment de la fusion ou subséquemment. Tel est l’effet de l’al. 23b) de la CUIA, en vertu duquel la caisse issue de la fusion a pris en charge toutes les obligations des caisses remplacées à la date de la fusion. Même si les conventions identifiaient Delta et First Heritage à titre de vendeuses, au moment de la fusion, la vendeuse était Envision.

[47]                          Ce principe découle de l’arrêt Black and Decker où la Cour souligne, à la p. 418, que, suivant le modèle de la prorogation, « par la fusion chaque compagnie constituante perd son existence “distincte” mais il ne s’ensuit pas pour autant qu’elle a cessé d’exister ».  Il découle d’une telle conception de la fusion que les contrats conclus au nom des sociétés remplacées lient la société issue de la fusion, qui doit les honorer, sauf clauses restrictives à l’effet contraire : British Columbia Company Law Practice Manual (2e éd. 2007), vol. 1, p. 11‑7.

[48]                          Rien dans les conventions relatives à la vente des biens excédentaires ne faisait obstacle au respect de celles‑ci par suite d’une fusion.  En fait, les conventions prévoient expressément qu’elles lient les sociétés remplaçant Delta et First Heritage.  Les sociétés remplaçantes s’entendent généralement notamment de celles qui sont créées à l’issue d’une fusion (Dictionnaire de la comptabilité (3e éd. 2011)).  En conséquence, vu qu’au moment de la fusion, Delta et First Heritage étaient dépourvues d’existence distincte et que les conventions relatives à la vente des biens excédentaires liaient Envision, ces conventions ont été dûment exécutées par Envision au moment de la fusion.

[49]                          La présente affaire porte, selon les parties, sur des opérations simultanées.  Bien qu’il ne fasse aucun doute que deux actions se produisaient en même temps (Envision entrait en possession des biens en application de l’al. 23b) et les biens excédentaires étaient vendus en application des conventions de vente), les parties n’ont pas reconnu la distinction entre elles, c’est‑à‑dire entre une opération relative aux biens (la vente) et une opération plus générale ayant une incidence sur les biens (la fusion).

[50]                          Envision n’est pas entrée en possession des biens conformément à une convention d’achat et de vente; l’opération ne saurait équivaloir à une cession : Black and Decker, p. 417.  Elle est plutôt assimilée à un changement de la raison sociale du titulaire du droit de propriété.  Il est logique de la distinguer de la cession des actifs, étant donné l’adoption du modèle de la prorogation pour les fusions.  Dans le cadre d’une cession, le vendeur et l’acheteur doivent être des entités juridiques distinctes au moment du transfert du bien.  À la création d’Envision, les caisses remplacées avaient perdu leur existence juridique distincte; il n’existait donc plus deux parties ayant la faculté de procéder à une cession.  En l’espèce, Delta, First Heritage et Envision n’ont jamais coexisté comme entités juridiques distinctes, de sorte que les premières aient pu céder leurs biens à la dernière. Au moment de la fusion, la seule entité juridique distincte qui existait était Envision.

[51]                          Aucun tribunal n’a encore interprété les mots [traduction] « entre en possession » dans le contexte de la CUIA. Des termes semblables figuraient à l’art. 251 de la Company Act, R.S.B.C. 1996, ch. 62, régissant les fusions de sociétés.  Suivant les interprétations données à cette disposition, il convient d’assimiler ces termes à ceux des dispositions interprétées par notre Cour dans l’arrêt Black and Decker (Manco Home Systems Ltd., Re, 1989 CanLII 2819 (C.S.C.-B.)).  Comme nous l’avons vu précédemment, la Cour dans Black and Decker conclut que les fusions suivant le modèle de la prorogation ne constituent pas des transferts ni des cessions d’actifs.

[52]                          À sa création, Envision est entrée en possession des biens et pouvait dès lors en disposer.  Elle s’est donc trouvée immédiatement en mesure — et effectivement tenue — de s’acquitter des obligations des caisses remplacées, comme celle de vendre les biens excédentaires à 619.  Il s’ensuit que les conventions relatives à la vente de ces biens ont produit leurs effets.

                    (2)     La convention de fusion

[53]                          J’examine maintenant la question de savoir si l’al. 23b) invalide certaines parties de la convention de fusion.  La partie 6.1 de la convention de fusion des caisses remplacées dispose :

[traduction]  À la date de prise d’effet, Delta et First Heritage fusionnent et sont prorogées en une seule caisse issue de la fusion sous la dénomination sociale et en vertu des statuts constitutifs et règles énoncés ci‑dessus, et, sous réserve de la partie 8 de la présente convention, la caisse issue de la fusion entre en possession des biens, droits et intérêts et prend en charge les dettes, engagements et obligations de Delta et de First Heritage . . . [Je souligne; d.a., p. 116.]

À l’exception du texte souligné, il s’agit là d’une simple répétition de l’effet prévu à l’art. 23 de la CUIA.  La partie 8 prévoit qu’à la date de prise d’effet, les caisses remplacées transféreront certains biens excédentaires à une filiale.

[54]                          Rien dans la partie 8 n’est incompatible avec les prescriptions de l’al. 23b) de la CUIA.  Comme nous l’avons vu relativement aux conventions de vente et d’achat des biens excédentaires, les caisses remplacées pouvaient prendre des engagements qui seraient remplis au moment de la fusion ou après.  Cependant, à la date de la fusion, les caisses remplacées avaient perdu leur existence juridique distincte et c’est donc la caisse issue de la fusion, Envision, qui a pris les mesures nécessaires pour satisfaire à ces engagements.

[55]                          L’énoncé contenu dans la partie 6, selon lequel la caisse issue de la fusion entre en possession des actifs « sous réserve de la partie 8 », doit être interprété eu égard au sens de cette dernière.  Elle a pour effet d’obliger les caisses remplacées à vendre les biens excédentaires au moment de la fusion. Rien dans son libellé n’empêchait Envision d’entrer en possession des biens excédentaires au moment de la fusion.  Cette partie obligeait plutôt tout simplement les caisses remplacées, et par extension Envision, à procéder à la vente.

[56]                          Même si, selon la preuve extrinsèque, les caisses remplacées entendaient éviter qu’Envision entre en possession des biens excédentaires, une telle entente contreviendrait à l’al. 23b) de la CUIA. Lorsque deux interprétations d’un contrat sont possibles, il faut choisir l’interprétation légale plutôt que celle qui ne l’est pas : G. McMeel, The Construction of Contracts : Interpretation, Implication, and Rectification (2e éd. 2011), par. 7.31.  Par conséquent, il faut donner aux termes du contrat (et non pas à l’intention des parties relativement aux conséquences fiscales) l’interprétation selon laquelle ils visent uniquement à faire en sorte que les biens excédentaires soient vendus au moment de la fusion.  Cette interprétation est conforme à l’al. 23b) de la CUIA.  En conséquence, la convention de fusion n’est pas invalide.

C.    Rejet de la thèse du rapprochement

[57]                          Compte tenu des conclusions qui précèdent, point n’est besoin d’examiner le raisonnement de la Cour d’appel par lequel elle rattache les biens excédentaires aux actions de 619.  J’estime toutefois que s’il avait été nécessaire d’examiner ce raisonnement, il aurait fallu le rejeter.  Il existe une règle fondamentale en droit des sociétés selon laquelle les actionnaires ne sont pas propriétaires des actifs de la société : voir, p. ex., Wotherspoon c. Canadien Pacifique Ltée, [1987] 1 R.C.S. 952, p. 1033.  Bien que certaines dispositions de la LIR  prévoient des règles de « transparence » permettant de se soustraire à l’application de cette règle fondamentale aux fins d’imposition, de telles dispositions sont rédigées en termes exprès : voir, p. ex., le par. 256(1.2), qui prévoit que les actions (biens) d’une société sont réputées être contrôlées par les actionnaires de cette société.

[58]                          Le ministre fait valoir que la définition large du terme « biens » et les mots « de façon que » figurant à l’art. 87 suffisent à établir cette règle de la transparence ou du rapprochement.  Un tel argument ne peut à mon avis être retenu. Le libellé de cet article n’est pas aussi explicite que celui des dispositions de la LIR  précisant que les actions (biens) qui appartiennent à une société sont réputées être contrôlées par les actionnaires de cette société.  Une fusion ne saurait devenir conforme à l’art. 87 par le jeu d’un tel raisonnement.

VI.  Dispositif

[59]                          L’application de l’al. 23b) de la CUIA empêchait les caisses remplacées de prévoir une fusion qui ne satisfaisait pas à la condition établie à l’al. 87(1) a) de la LIR .  Par conséquent, la fusion ayant donné naissance à Envision constituait une fusion admissible au titre de cette loi, et le solde de la FNACC et celui du MITR doivent être établis conformément à l’art. 87  de la LIR .

[60]                          Je suis d’avis de rejeter le pourvoi avec dépens.

                    Version française des motifs rendus par

[61]                          Le juge Cromwell — Je souscris à l’avis de mon collègue, le juge Rothstein, selon qui le présent pourvoi doit être rejeté avec dépens.  Je tire cette conclusion en me fondant sur le raisonnement énoncé au par. 50 des motifs de mon collègue.  Essentiellement, il convient de rejeter la thèse de l’appelante, car elle repose sur une séquence de faits qui ne correspond pas à l’opération réalisée par les parties.  Comme le souligne mon collègue, à la création d’Envision, les sociétés remplacées ont perdu leur existence juridique distincte.  Par conséquent, Delta Credit Union, First Heritage Savings Credit Union et Envision Credit Union n’ont jamais coexisté comme entités juridiques distinctes, de sorte que les premières aient pu céder leurs biens à la dernière, car au moment de la fusion, la seule entité juridique distincte qui existait était Envision.  Cette conclusion suffit pour nous permettre de statuer entièrement sur l’appel, et je serais d’avis d’en rester là.

[62]                          Mon collègue s’appuie également sur l’art. 23 de la Credit Union Incorporation Act, R.S.B.C. 1996, ch. 82 (« CUIA ») pour trancher le présent pourvoi.  Selon lui, les caisses fusionnantes ne peuvent se soustraire par contrat à l’application de l’al. 23b) (par. 30).  Cependant, j’estime qu’une telle interprétation en l’espèce n’est ni nécessaire ni désirable.  Elle n’est pas nécessaire, car le raisonnement que je mentionne au premier paragraphe de mes motifs suffit à résoudre la question en litige.  Dès lors que l’on conclut à l’absence d’incompatibilité entre l’opération en cause et le résultat d’une fusion énoncé à l’art. 23, il n’est pas nécessaire de se perdre en conjectures sur les conséquences potentielles qui découleraient de la situation contraire.  À mon humble avis, cette interprétation est indésirable pour plusieurs raisons.

[63]                          Selon mon collègue, l’al. 23b) de la CUIA établit un préalable à une fusion légale.  Ses motifs créent pour ainsi dire une règle voulant qu’aucune fusion effectuée en vertu de la CUIA (et par extension en vertu de toute disposition semblable d’une autre loi sur les sociétés) ne puisse en droit être soustraite à l’application des al. 87(1) a) et b) de la Loi de l’impôt sur le revenu , L.R.C. 1985, ch. 1 (5 e  suppl .) (« LIR  »).  Il s’agit d’une conclusion d’importance.  Or, elle ne semble fondée sur aucune source — et certainement aucune n’est citée — et le juge de la Cour de l’impôt n’a pas retenu pareille thèse en l’espèce : voir les motifs du juge Webb (maintenant juge de la Cour d’appel fédérale), 2010 CCI 576 (CanLII), par. 50.  En outre, il y a lieu de douter de la justesse de l’interprétation proposée compte tenu du libellé et de la structure de la loi.  De surcroît, il est reconnu qu’une telle interprétation risque d’engendrer des problèmes pratiques importants dans d’autres affaires.  À mon avis, ces considérations nous invitent à la prudence et jettent un doute sur l’opportunité de trancher la question. 

[64]                          Je ne m’attarderai pas sur l’absence de sources — le juge Rothstein n’en mentionne aucune à l’appui de sa conclusion — sauf pour observer que la Cour étaie généralement ses décisions par les motifs d’autres tribunaux.  Ce n’est pas le cas en l’espèce.  Je ne m’étendrai pas sur le fait que le juge de la Cour de l’impôt n’a pas retenu l’interprétation préconisée en l’occurrence, mais je signale que sa conclusion laisse entendre que la question d’interprétation dont nous sommes saisis à tout le moins en est une à propos de laquelle des fiscalistes raisonnables et chevronnés sont à juste titre susceptibles de différer.  Je traiterai plus en détail des aspects du libellé et de la structure de la loi qui me font douter de la justesse de l’interprétation proposée par mon collègue. 

[65]                          Je me penche premièrement sur le libellé.  Selon le juge Rothstein, l’art. 23 établit des exigences juridiques en matière de fusion auxquelles les parties ne peuvent se soustraire par contrat.  Cependant, si l’on compare le libellé de l’art. 23 à celui de l’art. 20, une telle interprétation semble pour le moins douteuse.  

[66]                          Dans les cas où le législateur entendait établir des exigences juridiques en matière de fusion, il a employé les termes nécessaires pour atteindre ce résultat.  C’est ce qu’il a fait très clairement à l’art. 20.  Cette disposition habilite deux caisses ou plus à fusionner [traduction] « à condition de satisfaire aux dispositions du présent article » (par. 20(1)).  On ne pourrait guère trouver d’expression plus limpide d’une intention d’établir des exigences juridiques.  L’article 20 énonce ensuite une liste détaillée d’exigences relatives au fond et à la procédure, dont l’obligation de faire approuver la fusion par l’organisme de réglementation.  Ce qu’il faut retenir, c’est que les exigences y sont établies en termes non équivoques et c’est manifestement là l’objet de l’art. 20. 

[67]                          Comparons le libellé de l’art. 20 à celui de l’art. 23.  Les termes de ce dernier décrivent les effets d’une fusion; ils n’établissent pas les préalables à une fusion légale.  L’article 23 suppose la délivrance d’un certificat de fusion et renvoie aux termes de la convention de fusion en ce qui concerne [traduction] « la dénomination sociale [. . .] la constitution et les règles précisées dans la convention de fusion » (al. 23a)).  Il dispose en outre que tout membre de chacune des caisses fusionnantes est lié par la convention de fusion (al. 23c)).  Ce serait un choix de mots étrange pour une disposition censée établir des règles absolues en matière de fusion.  En outre, il semblerait étrange de la part du législateur d’intercaler une disposition censée interdire certaines stipulations dans la convention de fusion (l’al. 23b)) entre deux autres, à savoir les al. 23a) et 23c), qui prévoient que cette dernière s’applique dès la délivrance du certificat de fusion.  Bref, il y a lieu de croire que l’art. 23 n’établit pas les conditions préalables à une fusion; c’est là le rôle de l’art. 20.  Il se peut plutôt que l’art. 23 énumère tout simplement les effets de la fusion et indique que la convention de fusion joue le rôle crucial de les préciser.  

[68]                          Examinons ensuite la structure de la CUIA, qui jette également un certain doute sur la justesse de l’interprétation de l’art. 23 proposée par le juge Rothstein.  Les dispositions de cette loi régissant l’acquisition (art. 16 à 18) et celles régissant la fusion (art. 20 à 24) sont structurées de manière semblable.  L’article 16 énonce les conditions préalables à l’acquisition d’une caisse par transfert d’éléments d’actif tout comme l’art. 20 énonce les conditions préalables à la fusion.  L’article 17 traite de l’acquisition ordonnée par la commission tout comme l’art. 20 traite de la fusion ordonnée par la commission.  L’article 18 énumère les effets de l’opération suivant la convention d’acquisition tout comme l’art. 23 traite des effets de la fusion suivant la convention de fusion.

[69]                          Mon collègue soutient que l’interprétation de l’art. 23 qu’il propose est un moyen essentiel de parer à la préoccupation selon laquelle sans cette disposition les créanciers des caisses remplacées se trouveraient sans protection ou risqueraient de l’être par suite de la fusion.  Or, l’article 20, en exigeant l’approbation par l’organisme de réglementation de toute fusion proposée, répond à cette préoccupation.  Je signale également que les caisses évoluent dans un cadre fortement réglementé, et il est très improbable à mon avis que la protection des créanciers dépende si fortement de l’al. 23b). 

[70]                          Vu les points qui précèdent, il semble y avoir de bonnes raisons de remettre en question l’interprétation proposée par mon collègue.

[71]                          J’ai également des réserves en ce qui a trait à de possibles conséquences involontaires de son interprétation.  Comme il le reconnaît à juste titre au par. 43, « l’invalidation potentielle d’une fusion remontant à plus de 10 ans risque d’entraîner des problèmes pratiques importants ».  Bien que, dans les faits, la présente espèce ne soulève pas de tels problèmes, je suis d’avis qu’il faut se garder d’adopter une interprétation que l’on sait susceptible de créer des problèmes pratiques importants dans d’autres affaires si ce n’est pas nécessaire pour trancher le présent pourvoi.  Étant donné que l’interprétation proposée par le juge Rothstein risque de mettre en doute la légalité de fusions dûment entérinées par l’organisme de réglementation et compte tenu de surcroît que la question ne semble jamais avoir été soulevée auparavant, j’estime que trancher ce point lorsque ce n’est pas nécessaire risque beaucoup plus d’emporter des problèmes que d’en régler. 

[72]                          Pour conclure, le juge Rothstein propose une interprétation : (1) qui est susceptible de produire des effets qui transcendent la seule interprétation de la CUIA; (2) qui ne s’appuie sur aucune source; (3) qui achoppe sur le libellé et la structure de la loi; (4) que l’on sait susceptible de créer des problèmes pratiques importants dans d’autres affaires.  Malgré tout le respect que je dois à mon collègue, j’estime que c’est là un pas que la Cour doit s’abstenir de franchir si ce n’est vraiment pas nécessaire pour trancher le présent pourvoi. 

ANNEXE

Dispositions pertinentes

Loi de l’impôt sur le revenu , L.R.C. 1985, ch. 1 (5 e  suppl .)

                           87. (1) [Fusions] Au présent article, « fusion » s’entend de l’unification de plusieurs sociétés dont chacune était, immédiatement avant l’unification, une société canadienne imposable (chacune de ces sociétés étant appelée une « société remplacée » au présent article) destinée à former une société (appelée la « nouvelle société » au présent article) de façon que, à la fois :

 

                           a)      les biens (à l’exception des sommes à recevoir d’une société remplacée ou des actions du capital‑actions d’une société remplacée) appartenant aux sociétés remplacées immédiatement avant l’unification deviennent des biens de la nouvelle société en vertu de l’unification;

 

                           b)      les engagements (à l’exception des sommes payables à une société remplacée) des sociétés remplacées, existant immédiatement avant l’unification, deviennent des engagements de la nouvelle société en vertu de l’unification;

 

                           c)      les actionnaires (à l’exception des sociétés remplacées) qui possédaient des actions du capital‑actions d’une société remplacée immédiatement avant l’unification reçoivent des actions du capital‑actions de la nouvelle société en raison de l’unification,

 

                    autrement qu’à la suite de l’acquisition de biens d’une société par une autre société, de l’achat de ces biens par l’autre société ou de l’attribution de ces biens à l’autre société lors de la liquidation de la société.

Credit Union Incorporation Act, R.S.B.C. 1996, ch. 82

                    [traduction]

 

                    20    (1)     [Fusion] Deux caisses de crédit ou plus (les « caisses fusionnantes ») peuvent fusionner et être prorogées en une seule et même caisse (la « caisse issue de la fusion »), à condition de satisfaire aux dispositions du présent article.

 

                           (2)  Les caisses fusionnantes, y compris toute caisse à laquelle il a été ordonné de fusionner en vertu de l’alinéa 227 g) de la Financial Institutions Act, soumettent à la commission une convention de fusion

 

                                a)     indiquant

 

                                   (i)    la dénomination sociale de la caisse issue de la fusion,

 

                                   (ii)   les conditions de la fusion,

 

                                   (iii)  la façon de réaliser la fusion,

 

. . .

                           (3) Sur réception d’une convention de fusion, y compris s’il s’agit d’une fusion où l’une des caisses fusionnantes est représentée par un administrateur conformément à l’article 21, la commission, selon le cas

                                 a)     approuve la fusion;

 

                                 b)    refuse d’approuver la fusion, si elle estime que la convention de fusion est contraire aux intérêts d’une ou de plusieurs caisses fusionnantes ou de ses membres.

 

                    23    [Transfert des droits et obligations] À compter de la date de la fusion indiquée dans le certificat de fusion délivré en vertu de l’alinéa 20 (7) b) :

 

                                 a)     les caisses visées fusionnent et sont prorogées en une seule et même caisse sous la dénomination sociale et selon la constitution et les règles précisées dans la convention de fusion;

                                 b)    la caisse issue de la fusion entre en possession des biens, droits et intérêts et prend en charge les dettes, engagements et obligations de chaque caisse fusionnante, y compris toute obligation envers les membres, auxiliaires ou autres prévue à l’article 24;

                                 c)     tout membre et membre auxiliaire de chacune des caisses fusionnantes est lié par la convention de fusion.

                    Pourvoi rejeté avec dépens.

                    Procureurs de l’appelante : Dentons Canada, Vancouver.

                    Procureur de l’intimée : Procureur général du Canada, Ottawa.

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