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COUR SUPRÊME DU CANADA

 

Référence : La Souveraine, Compagnie d’assurance générale c. Autorité des marchés financiers, 2013 CSC 63, [2013] R.C.S. 756

Date : 20131121

Dossier : 34699

 

Entre :

La Souveraine, Compagnie d’assurance générale

Appelante

et

Autorité des marchés financiers

Intimée

 

 

Traduction française officielle : Motifs du juge Fish et motifs de la juge Abella

 

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Fish, Abella, Rothstein, Cromwell, Moldaver, Karakatsanis et Wagner

 

Motifs de jugement :

(par. 1 à 95)

 

 

Motifs dissidents :

(par. 96 à 118)

 

Motifs dissidents :

(par. 119 à 141)

Le juge Wagner (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges Rothstein, Cromwell, Moldaver et Karakatsanis)

 

Le juge Fish (avec l’accord du juge LeBel)

 

 

La juge Abella


 

La Souveraine, Compagnie d’assurance générale c. Autorité des marchés financiers, 2013 CSC 63, [2013] R.C.S. 756

La Souveraine, Compagnie d’assurance générale                                      Appelante

c.

Autorité des marchés financiers                                                                        Intimée

Répertorié : La Souveraine, Compagnie d’assurance générale c. Autorité des marchés financiers

2013 CSC 63

No du greffe : 34699.

2013 : 20 mars; 2013 : 21 novembre.

Présents : La juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Fish, Abella, Rothstein, Cromwell, Moldaver, Karakatsanis et Wagner.

en appel de la cour d’appel du québec

                    Infractions provinciales — Produits et services financiers — Nature des infractions — Responsabilité stricte — Société d’assurance accusée d’avoir commis une infraction à de multiples reprises en aidant ou en amenant, par son consentement et/ou son autorisation, un tiers à enfreindre une disposition de droit réglementaire — Autorité réglementaire n’ayant pas répondu aux explications écrites de la société d’assurance avant d’émettre les constats d’infraction — L’infraction en cause est‑elle de responsabilité stricte? — Dans l’affirmative, la preuve de la mens rea est‑elle requise? — La preuve de l’actus reus de l’infraction a‑t‑elle été faite hors de tout doute raisonnable? — L’infraction reprochée constitue‑t‑elle une infraction distincte ou une infraction de responsabilité stricte en tant que participant? — Les déclarations de culpabilité multiples inscrites au procès devraient‑elles être remplacées par une seule déclaration de culpabilité? — Loi sur la distribution de produits et services financiers, L.R.Q., ch. D‑9.2, art. 482, 491.

                    Infractions provinciales — Moyens de défense — Diligence raisonnable — Erreur provoquée par une personne en autorité — Conditions de recevabilité de la défense fondée sur une erreur de droit raisonnable — La conduite passive d’une personne en autorité peut‑elle raisonnablement être interprétée comme une approbation ou une incitation?

                    S est une société d’assurance albertaine inscrite auprès de l’Autorité des marchés financiers (« AMF » ou « Autorité ») et autorisée à vendre des produits d’assurance au Québec, lesquels sont offerts par l’entremise de courtiers.  L’AMF a déposé 56 constats d’infraction contre S pour avoir aidé ou amené, par son consentement et/ou son autorisation, un courtier non‑inscrit auprès de l’AMF à enfreindre une disposition de la Loi sur la distribution de produits et services financiers, L.R.Q., ch. D‑9.2 (« LDPSF »).

                    Préalablement au dépôt des constats d’infraction, S avait répondu par écrit à la demande d’informations de l’AMF en précisant les raisons pour lesquelles sa conduite ne posait pas, selon S, problème.  L’AMF a procédé au dépôt des constats d’infraction plus de six mois plus tard sans répondre aux explications écrites données par S.

                    Le juge du procès a conclu à la culpabilité de S au motif qu’elle avait autorisé, permis ou consenti que soient distribués par son courtier des produits d’assurance à l’égard de biens situés au Québec sachant que ce dernier ne détenait pas les permis requis par la LDPSF.  Selon le juge du procès, l’infraction en cause en est une de responsabilité stricte, et le moyen de défense invoqué par S sur la base d’une erreur de droit n’était pas recevable.

                    La Cour supérieure a accueilli l’appel de S et a prononcé son acquittement au motif que ni l’actus reus, ni la mens rea de l’infraction n’ont été prouvés hors de tout doute raisonnable.  Selon la Cour supérieure, l’infraction en cause exigeait la preuve d’un acte volontaire de même que d’une intention spécifique, laquelle n’a pas été démontrée car S ne savait pas que son courtier avait agi en violation de la loi.

                    La Cour d’appel a fait droit à l’appel de l’AMF et a rétabli les 56 condamnations de S quant à l’infraction en cause, qualifiant cette dernière de responsabilité stricte.  Au sujet de l’actus reus, la majorité de la Cour d’appel est d’avis que l’autorisation donnée par S à son courtier était suffisante pour établir l’élément matériel de l’infraction.  Elle ajoute que la défense de diligence raisonnable n’est pas recevable en cas d’erreur de droit et que le défaut de l’AMF de répondre aux explications écrites de S ne transforme pas cette erreur en erreur mixte de fait et de droit.

                    Arrêt (les juges LeBel et Fish sont dissidents en partie et la juge Abella est dissidente) : Le pourvoi est rejeté avec dépens.

                    La juge en chef McLachlin et les juges Rothstein, Cromwell, Moldaver, Karakatsanis et Wagner : La Cour d’appel a eu raison de traiter des conclusions de la Cour supérieure tant en ce qui concerne la mens rea que l’actus reus.  N’eût été la conclusion de la Cour supérieure sur l’exigence d’une mens rea eu égard à l’infraction en cause, elle n’en serait pas arrivée à la même interprétation du contenu de l’actus reus, et le ratio decidendi de son jugement aurait été autre.  Ces questions sont inextricablement liées et la Cour d’appel avait donc compétence pour trancher la question de l’actus reus et annuler l’acquittement prononcé par la Cour supérieure.  S’il en avait été autrement, le pourvoi formé devant la Cour d’appel sur la question de la mens rea devenait théorique et dénué de tout intérêt.

                    L’infraction créée par l’art. 482 de la LDPSF est une infraction réglementaire.  Une infraction de cette nature appartient en général à la catégorie des infractions de responsabilité stricte, lesquelles n’exigent pas la preuve de mens rea.  En adoptant la LDPSF, le législateur québécois a choisi d’édicter à l’art. 482 une infraction autonome, et non d’établir un mode de participation à la commission d’une infraction analogue à ce qui est prévu à l’al. 21(1) b) du Code criminel , L.R.C. 1985, ch. C‑46 .

                    La différence textuelle entre l’al. 21(1) b) du Code criminel  et l’art. 482 de la LDPSF, notamment l’omission d’inclure les mots « en vue de » à l’art. 482 de la LDPSF, confirme la règle générale selon laquelle, sauf indication contraire, les infractions réglementaires adoptées pour la protection du public appartiennent à la catégorie des infractions de responsabilité stricte.  En l’espèce, aucune preuve de mens rea n’était requise : il n’était pas nécessaire de prouver que S savait que son courtier entendait enfreindre la loi ou encore qu’elle avait l’intention spécifique de l’aider ou de l’amener à le faire.

                    Quant à l’actus reus de l’infraction, la preuve démontre que la conduite de S n’était pas stricto sensu passive car son défaut de s’opposer en temps utile aux gestes de son courtier constitue un consentement et/ou une autorisation au sens de l’art. 482 de la LDPSF.  La conduite de S a eu l’effet de provoquer une violation de loi par son courtier et, partant, l’élément matériel de l’infraction a été établi hors de tout doute raisonnable.  S ne peut écarter sa responsabilité qu’en démontrant qu’elle a agi avec diligence raisonnable.

                    La défense de diligence raisonnable est recevable si le défendeur croyait pour des motifs raisonnables à un état de faits inexistant qui, s’il avait existé, aurait rendu l’acte ou l’omission innocent.  De plus, le défendeur qui démontre qu’il a pris toutes les précautions raisonnables pour éviter que l’événement en question ne se produise pourra échapper à la responsabilité.  Cette défense ne sera cependant pas recevable si le défendeur n’invoque qu’une erreur de droit pour expliquer la commission de l’infraction.  L’erreur de droit ne peut servir à fonder une défense valable que si elle a été provoquée par une personne en autorité et si les conditions limitant l’application de cette défense sont respectées.  Aussi raisonnable que puisse être une erreur de droit, contrairement à l’erreur de fait et à l’exception fondée sur une erreur de droit provoquée par une personne en autorité, cette erreur de droit ne peut servir de défense valable dans le cas d’une infraction de responsabilité stricte.  L’objectif de la protection du public qui est à la base de la création des infractions réglementaires milite fortement contre la recevabilité d’une défense générale d’erreur de droit raisonnable dans ce domaine.

                    Enfin, s’il est vrai que l’infraction définie à l’art. 482 de la LDPSF est une infraction distincte et indépendante et que S n’est pas responsable des infractions commises par son courtier, ce constat n’exclut pas pour autant la possibilité que S ait commis plusieurs infractions distinctes.  Tel est le cas en l’espèce.  Il serait néanmoins souhaitable que le poursuivant apprécie, au cas par cas, le contexte entourant la perpétration des infractions lorsqu’il exerce son pouvoir discrétionnaire de déposer des constats d’infractions multiples.

                    Les juges LeBel et Fish (dissidents en partie) : Le pourvoi devrait être accueilli en partie afin de substituer une seule déclaration de culpabilité aux 56 qui ont été inscrites à l’issue du procès et rétablies par la Cour d’appel.

                    S a été reconnue coupable de 56 accusations qui, en droit, ne visaient qu’une seule et même infraction.  L’article 482 de la LDPSF crée une infraction substantielle distincte, plutôt qu’une infraction de responsabilité en tant que participant.  De toute évidence, l’assureur reconnu coupable d’avoir enfreint l’art. 482 de la LDPSF n’est ni coupable de la même infraction, ni passible de la même peine que le cabinet qu’il a aidé ou amené à enfreindre une autre disposition de la Loi ou de ses règlements.  La responsabilité en tant que participant est expressément prévue à l’art. 491 de la LDPSF.

                    L’article 491 a été adopté dans sa forme actuelle en 2009.  S’il avait été en vigueur en 2006, lorsque la poursuite a été intentée dans la présente affaire, il aurait été loisible à l’Autorité d’accuser S d’avoir agi en tant que participant aux 56 infractions prévues par une autre disposition de la Loi commises par son courtier.  En l’espèce, alors qu’elle ne disposait pas de l’art. 491, l’Autorité a déposé contre S 56 chefs d’accusation en vertu de l’art. 482 ― une infraction substantielle passible d’une peine différente ― et a réclamé pour chacune des 56 accusations la peine minimale obligatoire prévue à l’égard de l’art. 482, tout comme si S était, sur le fondement de cette disposition, responsable en tant que participant des infractions reprochées à son courtier. 

                    L’article 482 de la LDPSF n’indique d’aucune façon qu’un assureur ou, selon le cas, son mandataire est responsable des infractions commises par la personne ou le cabinet que l’un ou l’autre a amené à commettre.  Tant les assureurs que leurs mandataires, lorsqu’ils aident ou amènent quelqu’un à commettre une infraction substantielle établie par la LDPSF, par exemple celle prévue à l’art. 482, peuvent désormais être poursuivis en vertu de l’art. 491 de cette loi en tant que participants à cette infraction.  Ils n’engagent cependant pas leur responsabilité en tant que participants lorsqu’ils font l’objet d’accusations fondées sur l’art. 482, comme le fut S en l’espèce.  La décision de créer une infraction substantielle distincte en édictant l’art. 482 représente un choix législatif délibéré, auquel les tribunaux doivent donner effet.

                    La juge Abella (dissidente) : Le pourvoi devrait être accueilli et les procédures arrêtées.

                    Jusqu’à maintenant, la défense fondée sur l’erreur provoquée par une personne en autorité n’a été invoquée que dans des cas où la personne en autorité a concrètement fourni des renseignements erronés à l’accusé.  Autrement dit, on a considéré que ce moyen de défense exigeait une conduite de nature active de la part de la personne en autorité.  Aucun principe ne justifie toutefois d’exclure une conduite de nature plus passive, par exemple le silence d’une personne en autorité.  Dans certaines circonstances, un tel silence pourrait raisonnablement être interprété comme une approbation ou une « incitation ».  C’est particulièrement le cas si le silence survient dans le contexte d’activités réglementées requérant manifestement célérité, comme celui dans lequel agissait la société d’assurances S.  La défense fondée sur l’erreur provoquée par une personne en autorité repose sur le principe général selon lequel un individu ne doit pas être déclaré coupable lorsque la conduite d’une personne en autorité l’a amené à se fonder sur une interprétation raisonnable, mais incorrecte, du droit applicable.  Punir une entité réglementée qui avait besoin d’une réponse en temps utile de la part de l’organisme de réglementation et qui, raisonnablement, s’est fiée au silence de ce dernier, a pour effet de perpétuer l’injustice même qui est à l’origine de la reconnaissance de moyens de défense opposables aux infractions de responsabilité stricte : les déclarations de culpabilité prononcées contre des personnes moralement innocentes.

                    Lorsque le tribunal apprécie la conduite passive d’une personne en autorité, il doit se demander si une personne raisonnable se trouvant dans la situation de l’accusé se serait attendue à ce que la personne en autorité l’informe en temps utile que son interprétation de la loi était incorrecte.  Les responsabilités exercées par la personne en autorité ainsi que le domaine et la complexité du règlement en litige devront être examinés, tout comme la mesure dans laquelle l’accusé pouvait raisonnablement s’attendre à recevoir en temps utile une réponse lui permettant d’exercer ses activités.  Si une entité chargée de la supervision d’un secteur réglementé omet de manière inexplicable de réagir relativement promptement à une affirmation erronée de l’accusé, elle partage la responsabilité à l’égard de l’ignorance de la loi de l’accusé.  En pareilles circonstances, il est malvenu pour ce même organisme de réglementation de porter des accusations contre une personne qui s’est raisonnablement fondée sur son silence.

                    S a pris des mesures raisonnables pour s’assurer qu’elle ne contrevenait pas à la loi.  Elle a exposé son interprétation des exigences légales pertinentes, ainsi que les fondements de cette interprétation, dans une lettre rédigée en termes non ambigus qu’elle a adressée à l’enquêteur responsable du dossier.  Malgré cela, au lieu de répondre à la lettre de S, l’organisme de réglementation a plutôt déposé 56 accusations contre celle‑ci 7 mois plus tard.  Il était raisonnable pour S de considérer la conduite de l’organisme de réglementation — en l’occurrence son silence — comme une confirmation que l’interprétation qu’elle faisait du droit applicable était exacte, et comme une invitation à agir sur la foi de cette interprétation.  L’organisme de réglementation avait l’obligation de s’acquitter avec diligence du rôle qui lui est conféré par la loi.  Si cet organisme avait répondu d’une quelconque façon, et en temps utile de surcroît, S aurait pu se conformer à la loi.

Jurisprudence

Citée par le juge Wagner

                    Arrêt appliqué : R. c. Ville de Sault Ste‑Marie, [1978] 2 R.C.S. 1299; arrêts mentionnés : R. c. Keegstra, [1995] 2 R.C.S. 381; Vézeau c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 277; Lévis (Ville) c. Tétreault, 2006 CSC 12, [2006] 1 R.C.S. 420; Marston c. Autorité des marchés financiers, 2009 QCCA 2178 (CanLII); R. c. F. W. Woolworth Co. Ltd. (1974), 3 O.R. (2d) 629; R. c. Briscoe, 2010 CSC 13, [2010] 1 R.C.S. 411; R. c. Hibbert, [1995] 2 R.C.S. 973; Demers c. Autorité des marchés financiers, 2013 QCCA 323 (CanLII); R. c. Jorgensen, [1995] 4 R.C.S. 55; Molis c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 356; R. c. Wholesale Travel Group Inc., [1991] 3 R.C.S. 154; R. c. Power, [1994] 1 R.C.S. 601; R. c. O’Connor, [1995] 4 R.C.S. 411.

Citée par le juge Fish (dissident en partie)

                    Demers c. Autorité des marchés financiers, 2013 QCCA 323 (CanLII).

Citée par la juge Abella (dissidente)

                    R. c. Ville de Sault Ste‑Marie, [1978] 2 R.C.S. 1299; Lévis (Ville) c. Tétreault, 2006 CSC 12, [2006] 1 R.C.S. 420; R. c. Jorgensen, [1995] 4 R.C.S. 55.

Lois et règlements cités

Code criminel , L.R.C. 1985, ch. C‑46, art. 21 .

Code de procédure pénale, L.R.Q., ch. C‑25.1, art. 291.

Loi sur l’Autorité des marchés financiers, L.R.Q., ch. A‑33.2, art. 4(2), (3), 7.

Loi sur la distribution de produits et services financiers, L.R.Q., ch. D‑9.2, art. 71, 462, 482, 487, 491 [mod. 2009, ch. 58, art. 85].

Loi sur les assurances, L.R.Q., ch. A‑32.

Loi sur les valeurs mobilières, L.R.Q., ch. V‑1.1, art. 208.

Doctrine et autres documents cités

Côté‑Harper, Gisèle, Pierre Rainville et Jean Turgeon.  Traité de droit pénal canadien, 4e éd.  Cowansville, Qué. : Yvon Blais, 1998.

Létourneau, Gilles.  Code de procédure pénale du Québec : annoté, 9e éd.  Montréal : Wilson & Lafleur, 2011.

Parent, Hugues.  Traité de droit criminel, t. 1, 3e éd.  Montréal : Thémis, 2008.

Parent, Hugues.  Traité de droit criminel, t. 2, 2e éd.  Montréal : Thémis, 2007.

Québec.  Assemblée nationale.  Journal des débats de la Commission permanente des finances publiques, vol. 41, no 47, 1re sess., 39e lég., 26 novembre 2009, p. 20‑21.

                    POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Québec (les juges Dalphond et Kasirer et le juge Cournoyer (ad hoc)), 2012 QCCA 13, [2012] R.J.Q. 111, [2012] J.Q. no 33 (QL), 2012 CarswellQue 36, SOQUIJ AZ‑50819137, qui a infirmé une décision du juge Martin, 2009 QCCS 4494, [2009] Q.J. No. 10913 (QL), 2009 CarswellQue 10003, SOQUIJ AZ‑50578234, laquelle avait infirmé une décision du juge Boisvert, 2008 QCCQ 10557, [2008] J.Q. no 12056 (QL), 2008 CarswellQue 11563, SOQUIJ AZ‑50522982.  Pourvoi rejeté, les juges LeBel et Fish sont dissidents en partie et la juge Abella est dissidente.

                    Jean‑Claude Hébert et Patrick Henry, pour l’appelante.

                    Éric Blais et Tristan Desjardins, pour l’intimée.

                    Le jugement de la juge en chef McLachlin et des juges Rothstein, Cromwell, Moldaver, Karakatsanis et Wagner a été rendu par

[1]                              Le juge Wagner — L’appelante, La Souveraine, Compagnie d’assurance générale (« La Souveraine »), se pourvoit contre un arrêt rendu le 10 janvier 2012 par la Cour d’appel du Québec. Cette dernière a accueilli l’appel formé par l’intimée, l’Autorité des marchés financiers (« AMF »), contre un jugement daté du 6 octobre 2009 de la Cour supérieure du Québec, qui avait infirmé une décision rendue le 10 novembre 2008 par la Cour du Québec déclarant La Souveraine coupable d’avoir commis à 56 reprises l’infraction définie à l’art. 482 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers, L.R.Q., ch. D-9.2 (« LDPSF »).

[2]                              L’appelante plaide qu’elle a été reconnue coupable d’une infraction exigeant la preuve de la mens rea et que l’élément subjectif de l’infraction n’a pas été établi hors de tout doute raisonnable. Subsidiairement, elle soutient que, même s’il s’agissait d’une infraction de responsabilité stricte, l’actus reus n’a pas été prouvé. Finalement, elle ajoute qu’en tout état de cause, elle a fait preuve de diligence raisonnable et que, pour toutes ces raisons, notre Cour devrait prononcer l’acquittement.

[3]                              Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que l’appel est mal fondé. L’infraction reprochée est une infraction de responsabilité stricte. L’actus reus a été établi et, en l’espèce, la défense de diligence raisonnable n’était pas recevable car l’appelante invoquait une pure erreur de droit.

I.    Le contexte

[4]                              L’appelante est une société d’assurance albertaine, dûment inscrite auprès de l’AMF en vertu de la Loi sur les assurances, L.R.Q., ch. A-32, et autorisée à vendre des produits d’assurance au Québec.  De façon générale, elle offre ses produits par l’entremise d’un certain nombre de courtiers qui exercent leurs activités dans diverses régions du Canada. Flanders Insurance Management and Administrative Services Ltd. (« Flanders »), entreprise basée à Winnipeg, est l’un de ces courtiers, mais comme il n’était pas inscrit auprès de l’AMF, il n’était pas autorisé à offrir des produits d’assurance au Québec.

[5]                              En 2004, ce courtier négocie et délivre pour le compte de l’appelante une police-cadre d’assurance à l’assuré, GE Financement commercial aux détaillants Canada (« GE »), pour assurer les inventaires des biens financés par cette dernière, à savoir des véhicules récréatifs chez différents concessionnaires situés partout au Canada.  De ce groupe, 56 concessionnaires ayant leur établissement au Québec ont adhéré à la police-cadre, strictement pour assurer la partie de leur inventaire soumise à la garantie de GE. Le courtier a par la suite délivré à chacun des adhérents québécois un certificat individuel d’assurance qui désigne GE à titre d’« assuré » et le concessionnaire comme « titulaire du certificat ».  Il convient d’ajouter que les primes d’assurance sont payées directement au courtier par GE, qui les facture mensuellement aux concessionnaires. Toute indemnité payable par l’appelante à la suite de la réalisation d’un risque garanti est encaissée directement par GE en Ontario. 

[6]                              Une entreprise concurrente de Flanders qui occupait le même rôle que ce courtier auparavant, dépose une plainte auprès de l’AMF et allègue, entre autres, que Flanders exerce ces activités au Québec sans détenir les permis requis. Le 13 janvier 2005, l’AMF entreprend son enquête.

[7]                              En avril 2005, l’AMF demande à l’appelante certaines informations sur ses rapports commerciaux avec Flanders et GE, ainsi que sur les produits d’assurance garantissant les inventaires financés par GE pour le compte des concessionnaires situés au Québec.

[8]                              Le 10 juin 2005, l’appelante répond par écrit que, selon elle, la question des permis ne pose pas problème car GE, le client de Flanders, a son siège social en Ontario. L’appelante ajoute que la police-cadre d’assurance a été négociée et conclue en Ontario et que les primes d’assurance sont payées directement à Flanders par GE. L’appelante précise également qu’en cas de sinistre, l’indemnité est payable directement à GE, et non au concessionnaire. À la même occasion, l’appelante transmet à l’AMF la liste des concessionnaires québécois qui ont adhéré à la police-cadre délivrée à GE.

[9]                              Le 25 août 2005, Flanders sollicite les concessionnaires québécois pour renouveler leurs certificats d’assurance individuels respectifs.

[10]                          Au mois de janvier 2006, l’AMF dépose 56 constats d’infraction contre l’appelante. Il s’agit de la première « communication » entre les parties depuis la dernière lettre transmise par l’appelante le 10 juin 2005.

[11]                          Les constats d’infraction qui seront contestés par l’appelante sont ainsi rédigés :

À [localité], le ou vers le 25 août 2005, a consenti et/ou autorisé Flanders [. . .], un cabinet non inscrit auprès de l’Autorité des marchés financiers, à délivrer à [nom du concessionnaire] une police d’assurance sur les stocks, numéro [. . .], le tout en contravention de l’article 71 de la [LDPSF] (la « Loi »), commettant ainsi l’infraction prévue à l’article 482 de la Loi et se rendant ainsi passible de la peine prévue à l’article 490 de la Loi.

II. Historique des procédures judiciaires

[12]                          Le juge Boisvert de la Cour du Québec déclare l’appelante coupable des 56 infractions (2008 QCCQ 10557 (CanLII)). Il conclut que l’infraction définie à l’art. 482 de la LDPSF en est une de responsabilité stricte. Il ajoute que quelque soit la nature de l’infraction, à savoir de responsabilité stricte ou spécifique, la preuve démontre que l’appelante savait qu’elle assurait des biens situés au Québec et que son courtier, Flanders, n’y était pas dûment inscrit. Selon le juge Boisvert, l’appelante a donc autorisé, permis ou consenti que soient distribués par son courtier des produits d’assurance à l’égard de biens situés au Québec, sachant que ce dernier ne détenait pas les permis requis. 

[13]                          Le juge Boisvert reconnaît que l’appelante ignorait que les lois québécoises s’appliquaient à la police-cadre d’assurance relativement aux inventaires des biens situés au Québec et que son mandataire devait être enregistré dans cette province.  De l’avis du juge, ce type d’erreur de droit ne constitue pas une défense recevable. Le juge précise également que l’appelante n’a pas effectué des démarches suffisantes pour s’assurer que ses opérations commerciales respectaient la législation provinciale, mais s’est plutôt fiée à l’opinion de son courtier sans obtenir d’avis juridique indépendant.

[14]                          En Cour supérieure, le juge Martin accueille l’appel de La Souveraine et acquitte celle-ci de tous les chefs d’accusation (2009 QCCS 4494 (CanLII)). Il conclut que l’actus reus — le fait matériel — de l’infraction n’a pas été prouvé hors de tout doute raisonnable. Les termes « aide » et « amène » figurant à l’art. 482 de la LDPSF requièrent la preuve d’un acte volontaire de la part du défendeur, et le comportement passif de l’appelante à l’égard des opérations commerciales en cause n’équivaut pas à un tel acte. Le juge Martin ajoute également qu’il s’agit, en l’espèce, d’une infraction qui requiert la preuve de la mens rea, d’une intention coupable. À son avis, une infraction de complicité qui sanctionne non pas le comportement de l’auteur principal, mais celui du délinquant secondaire, à savoir l’individu qui aide ou amène le premier à commettre l’infraction principale, demeure une infraction exigeant la preuve de la mens rea, et ce, même si l’infraction principale est de responsabilité stricte. Or, puisque l’appelante ne savait pas que Flanders agissait en violation de la loi, la mens rea n’a pas été prouvée.

[15]                          À tous égards, selon le juge Martin, l’appelante dispose d’une défense valable, car l’erreur qu’elle invoque n’est pas une pure erreur de droit, mais plutôt une erreur mixte de fait et de droit.  Cette erreur découle non seulement d’une mauvaise interprétation du droit applicable, mais aussi du fait que le silence de l’AMF, après la lettre du 10 juin 2005, a été interprété comme une confirmation de la légalité des opérations commerciales envisagées.

[16]                          La Cour d’appel du Québec autorise l’AMF, en vertu de l’art. 291 du Code de procédure pénale, L.R.Q., ch. C-25.1, à se pourvoir sur la question de droit suivante (2012 QCCA 13, [2012] R.J.Q. 111) : le juge de la Cour supérieure a-t-il erré en droit en imposant à l’AMF un fardeau de prouver la mens rea spécifique pour l’infraction édictée à l’art. 482 de la LDPSF?

[17]                          La Cour d’appel, pour les motifs exposés par les juges Kasirer et Cournoyer, fait droit à l’appel de l’AMF et rétablit les condamnations. La majorité estime qu’il s’agit, en l’espèce, d’une infraction de responsabilité stricte et que l’actus reus de l’infraction a été prouvé hors de tout doute raisonnable : l’appelante n’a jamais soutenu que Flanders avait délivré les produits d’assurance en cause sans son autorisation, laquelle est suffisante pour établir l’actus reus. De plus, la défense de diligence raisonnable n’est pas recevable en l’espèce, puisque l’erreur invoquée est une erreur de droit et que la diligence raisonnable déployée pour s’enquérir du droit applicable n’est pas une défense valable, tant en matière criminelle qu’en matière réglementaire. Finalement, le défaut de l’AMF de répondre à la lettre de l’appelante du 10 juin 2005 ne transforme pas cette erreur de droit en erreur mixte de fait et de droit.

[18]                          Le juge Dalphond, dissident, aurait pour sa part rejeté l’appel de l’AMF et acquitté l’appelante.  À l’instar de la majorité, il conclut que l’infraction définie à l’art. 482 de la LDPSF en est une de responsabilité stricte. Cependant, tout comme la Cour supérieure, il estime que l’actus reus n’a pas été prouvé, étant donné que le texte de l’infraction exige une participation active à la violation de la loi. Or, l’« acquiescement passif » (par. 56) de l’appelante aux opérations de Flanders ne pouvait avoir pour effet d’« aider » ou d’« amener » cette dernière à commettre une telle violation. Selon le juge Dalphond, même si l’actus reus avait été établi, l’appelante devait être acquittée, parce qu’elle avait fait montre en l’occurrence de diligence raisonnable en « cherch[ant] activement à se conformer à la loi » (par. 68).

[19]                          Plus particulièrement, le juge Dalphond note que l’appelante a analysé le processus de distribution de son produit et considéré le traitement de ce dernier dans les autres provinces canadiennes. Elle s’est informée auprès de Flanders et a obtenu des avis juridiques selon lesquels les opérations commerciales en cause respectaient la loi. Il est d’avis que la défense de diligence raisonnable était recevable en l’espèce, puisque l’erreur de l’appelante résultait non seulement d’une interprétation erronée de la loi, mais « aussi d’un ensemble de faits concomitants qui laissaient croire à La Souveraine que cette interprétation était bien fondée » (par. 76). Parmi ces faits, le juge Dalphond retient notamment la complexité des opérations commerciales en cause, le fait que les primes d’assurance et les indemnités étaient payables hors du Québec, le fait aussi que la couverture ne visait que des biens appartenant à GE, les réassurances données par Flanders et ses avocats sur la légalité des opérations commerciales et, finalement, le silence de l’AMF à la suite de la lettre explicative de l’appelante du 10 juin 2005.

III. Questions en litige

[20]                          Dans un premier temps, l’appelante soutient que la Cour d’appel n’avait pas compétence pour annuler le jugement d’acquittement rendu par la Cour supérieure, en l’absence d’une autorisation à se pourvoir contre la conclusion du jugement de la Cour supérieure selon laquelle la preuve de l’actus reus était absente en l’espèce. L’appel, plaide-t-elle, était limité à la question de savoir si l’infraction prévue à l’art. 482 de la LDPSF exigeait la preuve de la mens rea.

[21]                          Dans un deuxième temps, l’appelante soutient que l’infraction en cause fait partie de celles qui exigent la preuve d’une intention coupable. Elle plaide que, suivant la common law, la mens rea est toujours requise dans les cas où l’infraction entraîne une responsabilité pénale secondaire. Subsidiairement, si notre Cour qualifie l’infraction en cause de responsabilité stricte, l’appelante soutient que l’actus reus de l’infraction n’a pas été prouvé. Finalement, elle affirme que la défense de diligence raisonnable était recevable car elle n’a commis, tout au plus, qu’une erreur de droit raisonnable en l’espèce.

[22]                          L’AMF pour sa part est d’avis que l’infraction définie à l’art. 482 de la LDPSF en est une de responsabilité stricte dont l’actus reus a été prouvé hors de tout doute raisonnable. De plus, elle affirme que l’appelante a commis une pure erreur de droit en l’espèce, ce qui ne peut fonder un moyen de défense.

[23]                          Je vais d’abord traiter de la question préliminaire de la compétence de la Cour d’appel pour examiner par la suite les quatre questions principales soulevées par ce pourvoi.  Premièrement, je m’interrogerai sur la nature de l’infraction définie à l’art. 482 de la LDPSF au regard des trois catégories reconnues depuis l’arrêt R. c. Ville de Sault Ste-Marie, [1978] 2 R.C.S. 1299 : les infractions exigeant la preuve de la mens rea, les infractions de responsabilité stricte et les infractions de responsabilité absolue.  Deuxièmement, j’étudierai le contenu de l’élément matériel de l’infraction en cause et je déterminerai s’il a été prouvé hors de tout doute raisonnable. Troisièmement, je me pencherai sur le contenu de la défense de diligence raisonnable et déciderai si, en l’espèce, elle était recevable.  Finalement, j’examinerai la question de l’opportunité de reconnaître une défense fondée sur une erreur de droit raisonnable.

IV.  Analyse

A.  La compétence de la Cour d’appel

[24]                          Je considère que la Cour d’appel a eu raison de traiter des conclusions de la Cour supérieure tant en ce qui concerne la mens rea que l’actus reus. Dans l’arrêt R. c. Keegstra, [1995] 2 R.C.S. 381, notre Cour s’est penchée sur les arguments qui peuvent être avancés en appel en matière criminelle.  Au sujet des pourvois formés à la suite d’une autorisation d’en appeler, le juge en chef Lamer a, d’abord, posé la règle générale (par. 28), pour ensuite apporter des nuances significatives (par. 29 et 31) : 

. . . la Cour peut choisir d’accorder soit une autorisation restreinte à certains moyens, soit une autorisation générale. Restreindre l’autorisation à des questions précises revient à dicter les arguments que peuvent avancer des parties appelantes. Une ordonnance qui accorde une autorisation restreinte à certains moyens ne change rien aux arguments qui peuvent être avancés par des parties intimées. . .

 

L’autorisation accordée en vertu des dispositions du Code criminel  diffère de celle accordée en vertu de l’art. 40 de la Loi sur la Cour suprême en matière civile. Bien que les moyens d’appel dans les affaires civiles ne soient pas en cause dans la présente requête, il est utile de préciser que l’arrêt Idziak c. Canada (Ministre de la Justice), [1992] 3 R.C.S. 631, n’est pas pertinent quant aux appels en matière criminelle. Dans l’arrêt Idziak, l’autorisation n’a été accordée que pour un seul moyen et, dans leurs plaidoiries, les deux parties ont dû se contenter de ne débattre que ce moyen. En matière civile, l’autorisation de pourvoi peut être demandée pour toute conclusion défavorable à la partie requérante. De telles conclusions sont presque toujours beaucoup plus nombreuses en matière civile qu’en matière criminelle. Pour cette raison, en principe, lorsqu’une autorisation restreinte est accordée dans une affaire civile, l’intimé ne pourra normalement débattre que les questions énoncées par la Cour dans son ordonnance accordant l’autorisation. . .

 

. . .

 

. . . dans certains cas, deux questions qui peuvent avoir été débattues séparément en cour d’appel seront si inextricablement liées qu’elles formeront deux aspects d’une même question de droit. Dans ce cas, la partie appelante qui jouit d’un droit d’appel restreint fondé sur une dissidence, ou qui a obtenu l’autorisation de se pourvoir relativement à certains moyens seulement, pourra aborder tous les aspects de la question, même si la cour d’appel les a traités séparément. On peut constater l’existence de cette relation étroite dans la question de savoir si une erreur de droit donnée est grave au point de justifier l’annulation du verdict prononcé au procès. Les dispositions relatives à la prise en compte de la gravité des erreurs (le sous‑al. 686(1)b)(iii) dans le cas de déclarations de culpabilité, et le critère établi dans Vézeau c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 277, dans le cas d’acquittements) seront toujours étroitement liées à toute erreur de droit considérée par notre Cour. [Je souligne; par. 28-31.]

[25]                          Bien qu’ils soient formulés au sujet d’une infraction criminelle, ces enseignements sont également pertinents dans le contexte d’une infraction réglementaire. 

[26]                          Dans le présent dossier, le juge Martin de la Cour supérieure en est arrivé à la conclusion qu’il y avait absence de preuve concernant l’actus reus et la mens rea compte tenu de son interprétation des mots « aide » et « amène » du texte de l’art. 482 de la LDPSF (par. 140) :

[traduction] Les termes pertinents — « aide » et « amène » — revêtent toutefois une importance primordiale pour trancher la présente affaire. Ils jouent un rôle décisif quant à la culpabilité de l’appelante.  À mon sens, ces termes ont pour effet d’exiger, en tant qu’élément essentiel de l’infraction, une certaine forme d’acte volontaire de la part de l’accusé, en plus d’intégrer à l’infraction une composante de mens rea.

[27]                          Il ressort de la lecture des motifs du juge Martin que son interprétation du contenu de l’actus reus, de même que sa conclusion quant à l’absence de preuve à cet égard, découlent directement de son raisonnement au sujet de la mens rea, le tout étant inextricablement lié. De l’avis du juge, l’autorisation accordée par l’appelante à son courtier de distribuer des produits d’assurance en son nom n’était pas suffisante pour constituer l’acte volontaire requis pour établir l’infraction. Or, l’autorisation en question a eu clairement pour effet d’amener le courtier à commettre l’infraction. Cela signifie que le juge a dû nécessairement présumer de l’existence d’un élément de mens rea dans le contenu de l’infraction, soit le fait d’agir dans un certain but ou « en vue » d’aider ou d’amener un tiers, en l’occurrence le courtier de l’appelante, à poser un certain geste. En d’autres mots, n’eut été de sa conclusion sur l’exigence d’une mens rea, le juge Martin n’en serait pas arrivé à la même interprétation du contenu de l’actus reus, et le ratio decidendi de son jugement aurait été autre (Vézeau c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 277). La Cour d’appel avait donc compétence pour trancher la question de l’actus reus et annuler l’acquittement prononcé par le juge Martin. 

[28]                          Cette conclusion au sujet de la compétence de la Cour d’appel s’impose également pour une raison de pure logique. En effet, si la Cour d’appel n’avait pas été légalement autorisée à intervenir sur le moyen fondé sur l’actus reus et qu’il y avait eu chose jugée sur cette question en faveur de l’appelante, le pourvoi formé devant elle sur la question de la mens rea, autorisé sur permission, serait devenu théorique et dénué de tout intérêt. Je ne peux me convaincre que la Cour d’appel aurait ainsi autorisé un appel sans pertinence.

[29]                          Les prétentions de l’appelante à cet égard sont donc mal fondées et doivent être rejetées.

B.  La nature de l’infraction définie à l’art. 482 de la LDPSF

[30]                          L’article 482 de la LDPSF est rédigé ainsi :

482. Un assureur qui aide ou, par un encouragement, un conseil, un consentement, une autorisation ou un ordre, amène un cabinet, ou un représentant autonome ou une société autonome par l’entremise de qui il offre des produits d’assurance, ou un dirigeant, administrateur, associé, employé ou représentant de ce cabinet ou de cette société autonome, à enfreindre une disposition de la présente loi ou de ses règlements commet une infraction.

 

Il en est de même de tout administrateur, dirigeant, employé ou mandataire d’un assureur.

[31]                          Afin de déterminer la nature d’une infraction, il faut interpréter la disposition législative en cause. Dans le cadre de cette démarche, il est important de tenir compte de la présomption établie par notre Cour suivant laquelle les infractions réglementaires appartiennent en général à la catégorie des infractions de responsabilité stricte. Dans l’arrêt Lévis (Ville) c. Tétreault, 2006 CSC 12, [2006] 1 R.C.S. 420, par. 16, le juge LeBel a donné les explications suivantes à cet égard en rappelant la présomption d’interprétation articulée par notre Cour dans Sault Ste-Marie :

Le classement de l’infraction dans l’une des trois catégories désormais reconnues par la jurisprudence devient alors une question d’interprétation législative. Le juge Dickson souligne que les infractions réglementaires ou de bien-être public se retrouvent habituellement dans la catégorie des infractions de responsabilité stricte, plutôt que dans celle des infractions de mens rea. En effet, on présume, en règle générale, qu’elles appartiennent à la catégorie intermédiaire, pour respecter le principe de droit reconnu par la common law selon lequel, ordinairement, l’imposition d’une responsabilité pénale suppose l’existence d’une faute :

 

Les infractions contre le bien-être public appartiennent généralement à la deuxième catégorie. Elles ne sont pas assujetties à la présomption de mens rea proprement dite. Une infraction de ce genre tombera dans la première catégorie dans le seul cas où l’on trouve des termes tels que « volontairement », « avec l’intention de », « sciemment » ou « intentionnellement » dans la disposition créant l’infraction. [p. 1326]

[32]                          Je souligne d’entrée de jeu que l’infraction créée par l’art. 482 de la LDPSF est une infraction réglementaire.  La raison d’être des infractions de cette nature est la protection du public. Elles sont édictées à titre de « sanctions accessoires destinées à assurer le respect d’obligations diverses, préservant ainsi le bien-être commun de la société » (Ville de Lévis, par. 13, le juge LeBel). Or, l’objectif du régime établi par la LDPSF, dont fait partie l’infraction prévue à l’art. 482 de la LDPSF, consiste essentiellement à encadrer le secteur de la distribution des produits d’assurance afin de protéger le public (Marston c. Autorité des marchés financiers, 2009 QCCA 2178 (CanLII), par. 46).

[33]                          En conséquence, suivant la présomption d’interprétation de l’arrêt Sault Ste-Marie et en l’absence de termes spécifiques traduisant une intention contraire de la part du législateur, l’infraction réglementaire définie à l’art. 482 de la LDPSF sera présumée appartenir à la catégorie des infractions de responsabilité stricte, lesquelles n’exigent pas la preuve de mens rea.

[34]                          En l’espèce, l’appelante évoque d’autres considérations au soutien de sa prétention suivant laquelle l’infraction énoncée à l’art. 482 de la LDPSF appartiendrait à la catégorie des infractions de mens rea. Selon l’appelante, en cas d’infractions de complicité comme celle en cause, la preuve de mens rea demeure requise par la common law et ce, même lorsque l’infraction principale relève de la responsabilité stricte. Il s’agit de la norme de responsabilité pénale secondaire qui exige plus précisément la preuve d’une mens rea de connaissance : le complice doit avoir connu les éléments essentiels de l’infraction principale, et avoir agi comme il l’a fait, avec l’intention spécifique d’aider ou d’amener l’auteur principal à enfreindre la loi.

[35]                          À cet égard, l’appelante s’appuie notamment sur l’arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario dans R. c. F. W. Woolworth Co. Ltd. (1974), 3 O.R. (2d) 629, où il était question de la participation à une infraction au sens de l’al. 21(1) b) du Code criminel  (maintenant L.R.C. 1985, ch. C-46 ). Dans cette affaire, deux vendeurs avaient été reconnus coupables d’avoir fait de fausses déclarations au public au sujet du prix des produits qu’ils offraient en vente dans l’espace mis à leur disposition, par un magasin Woolworth, en échange d’une commission sur les ventes. La question en litige était de savoir si Woolworth devait, en vertu de l’art. 21  du Code criminel , être déclarée coupable en tant que participante à la même infraction parce qu’elle avait aidé les deux vendeurs à la commettre.

[36]                          La Cour d’appel de l’Ontario a jugé que, pour être reconnu coupable en tant que participant à une infraction en vertu de l’art. 21  du Code criminel , un défendeur doit avoir su que les gestes accomplis par l’auteur principal constituaient une infraction et avoir agi dans le but d’aider celui-ci à commettre cette infraction. Elle s’est exprimée ainsi :

[traduction] . . . même dans le cas des infractions de responsabilité stricte, pour faire déclarer une personne coupable d’avoir fourni aide et encouragement, le ministère public devait établir que la personne accusée d’avoir fourni de l’aide était au fait des circonstances nécessaires pour constituer l’infraction qu’on lui reproche d’avoir aidé à commettre, sans toutefois être tenu de prouver que cette personne savait que les circonstances en question constituaient une infraction.

 

. . .

 

. . . Selon l’article 21, la personne à qui on reproche d’avoir participé à une infraction doit accomplir une chose ou omettre d’accomplir une chose en vue d’aider l’auteur principal à commettre l’infraction.  La fin reprochée doit être celle que poursuivait la personne à qui l’on reproche d’avoir participé à l’infraction (Sweet c. Parsley, précité), car le fait que des gestes accomplis accessoirement et innocemment aident quelqu’un à commettre une infraction ne suffit pas pour impliquer le présumé participant qui n’a pas agi en vue de favoriser la perpétration de l’infraction.

 

. . . une personne ne se rend pas coupable en louant ou en prêtant une voiture pour des activités commerciales ou récréatives légitimes simplement parce que la personne à qui elle a prêté ou loué la voiture décide au cours de l’utilisation de transporter des articles volés, ou en louant une maison à des fins résidentielles à un locataire qui l’utilise à son insu pour entreposer des drogues. [p. 639-640]

[37]                          Le raisonnement adopté par notre Cour dans l’arrêt R. c. Briscoe, 2010 CSC 13, [2010] 1 R.C.S. 411, la juge Charron, est également noté :

Évidemment, accomplir ou omettre d’accomplir une chose qui a pour effet d’aider une autre personne à commettre un crime ne suffit pas à engager la responsabilité criminelle. [. . .] La personne qui aide ou qui encourage doit aussi avoir l’état d’esprit requis ou la mens rea requise. Plus précisément, aux termes de l’al. 21(1)b), la personne doit avoir prêté assistance en vue d’aider l’auteur principal à commettre le crime.

 

L’exigence de la mens rea qui ressort de l’expression « en vue de » à l’al. 21(1)b) comporte deux éléments : l’intention et la connaissance. En ce qui concerne l’élément d’intention, il a été établi dans R. c. Hibbert, [1995] 2 R.C.S. 973, que l’expression « en vue de » de l’al. 21(1)b) devrait être considérée comme étant essentiellement synonyme d’« intention ». Le ministère public doit établir que l’accusé avait l’intention d’aider l’auteur principal à commettre l’infraction. . .

 

En ce qui concerne l’élément de connaissance, l’intention d’aider à commettre une infraction suppose que la personne doit savoir que l’auteur a l’intention de commettre le crime, bien qu’elle n’ait pas à savoir précisément la façon dont il sera commis. Il relève tout simplement du bon sens qu’il faut avoir une connaissance suffisante pour avoir l’intention requise. [En italique dans l’original; par. 15-17.]

[38]                          Avec égards pour l’opinion contraire, j’estime que les arrêts Woolworth et Briscoe n’appuient pas la proposition selon laquelle la preuve de la mens rea est requise dans tous les cas de responsabilité pénale secondaire. Il est vrai que le raisonnement formulé dans les arrêts Woolworth et Briscoe s’applique lorsqu’il s’agit de la responsabilité pénale secondaire prévue à l’art. 21  du Code criminel . Cependant, pour les motifs énumérés ci-après, je suis d’avis que ce raisonnement n’est pas applicable en l’espèce.

[39]                          En premier lieu, il existe une différence marquée entre le texte de l’infraction autonome définie à l’art. 482 de la LDPSF et celui de l’al. 21(1) b) du Code criminel  qui définit un « participant à une infraction ». Tandis que le premier texte édicte qu’« [u]n assureur qui aide ou [. . .] amène un cabinet [. . .] à enfreindre une disposition de la présente loi [. . .] commet une infraction », le second prévoit que « [participe] à une infraction [. . .] quiconque accomplit ou omet d’accomplir quelque chose en vue d’aider quelqu’un à la commettre ».

[40]                          Cette différence textuelle est dirimante. Comme notre Cour l’a souligné, l’expression « en vue de » est synonyme d’intention, d’où l’obligation d’établir l’intention et la connaissance du complice pour conclure à sa culpabilité en vertu de l’al. 21(1) b) du Code criminel  (R. c. Hibbert, [1995] 2 R.C.S. 973).

[41]                          Je remarque également qu’en adoptant la LDPSF, au lieu d’imposer une infraction de responsabilité pénale secondaire en reprenant, par exemple, le libellé de l’al. 21(1) b) du Code criminel , le législateur québécois a choisi d’édicter à l’art. 482 de la LDPSF une infraction autonome. Dans l’arrêt Woolworth, il ressortait du texte de loi en cause que le législateur fédéral avait opté pour la solution contraire :  

[traduction]  Lorsque le Parlement a édicté l’art. 33 [de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, L.R.C. 1970, ch. C-23], il lui était loisible d’insérer dans la Loi des dispositions étendant la culpabilité pour l’infraction prévue à cet article à d’autres personnes que celles l’ayant effectivement commise, et même dans ce cas, les tribunaux auraient été appelés à interpréter la portée des mots employés par le législateur pour exprimer son intention.  Or, plutôt que de procéder de la sorte, le législateur a choisi de s’en remettre à l’art. 21, lequel élargit le champ d’application de la responsabilité découlant de toute infraction créée par la loi. [p. 637]

[42]                          À mon avis, le choix du législateur québécois n’est pas sans conséquence. La différence textuelle entre l’al. 21(1) b) du Code criminel  et l’art. 482 de la LDPSF entraîne des conclusions différentes quant à la qualification des infractions en cause. L’omission d’inclure les mots « en vue de » à l’art. 482 de la LDPSF confirme la règle générale selon laquelle, sauf indication contraire, les infractions réglementaires adoptées pour la protection du public appartiennent à la catégorie des infractions de responsabilité stricte.

[43]                          En sus de la distinction fondée sur l’exigence de la mens rea qui ressort de l’expression « en vue de » employée à l’al. 21(1) b) du Code criminel , laquelle est absente du texte de l’art. 482 de la LDPSF, une autre distinction d’ordre plus général me convainc que l’art. 482 de la LDPSF n’est pas assujetti à la règle de common law selon laquelle une preuve de mens rea demeure requise en cas d’infractions de complicité, même lorsque l’infraction principale relève de la responsabilité stricte. Cette distinction tient à la différence entre une disposition qui édicte une infraction autonome, d’une part, et une disposition qui établit un mode de participation à la commission d’une infraction, d’autre part.

[44]                          La Cour d’appel du Québec, dans l’arrêt Demers c. Autorité des marchés financiers, 2013 QCCA 323 (CanLII), s’est prononcée récemment sur une disposition qui établit un mode de participation à la commission d’une infraction plutôt qu’une infraction autonome. Il s’agit de l’art. 208 de la Loi sur les valeurs mobilières, L.R.Q., ch. V-1.1 (« LVM »), qui se lit comme suit :

208. Celui qui, par son acte ou son omission, aide quelqu’un à commettre une infraction est coupable de cette infraction comme s’il l’avait commise lui-même. Il est passible des peines prévues à l’article 202, 204 ou 204.1 selon les infractions en cause.

 

La même règle s’applique à celui qui, par des encouragements, des conseils ou des ordres, amène quelqu’un à commettre une infraction.

[45]                          Compte tenu de son arrêt dans la présente affaire, la Cour d’appel aurait pu conclure dans Demers que l’art. 208 de la LVM édicte une infraction de responsabilité stricte. Une telle conclusion aurait pu s’imposer au motif qu’à l’instar de l’art. 482 de la LDPSF, l’art. 208 de la LVM n’exige pas la preuve d’une mens rea spécifique, contrairement à l’al. 21(1) b) du Code criminel .

[46]                          Or, la Cour d’appel a rejeté cet argument et en est arrivée à la conclusion qu’elle n’avait pas à statuer sur la nature de l’infraction définie à l’art. 208 de la LVM. En fait, puisque la preuve au dossier était suffisante pour établir hors de tout doute raisonnable l’intention spécifique de la partie en cause d’« aide[r] quelqu’un à commettre une infraction » au sens de cette disposition, une déclaration de culpabilité était justifiée.  Néanmoins, la Cour d’appel a pris la peine de souligner qu’il y avait une distinction importante à faire entre l’infraction définie à l’art. 208 de la LVM et celle dont il est question dans la présente affaire (Demers, par. 54-56) :

Contrairement à l’article 482 [LDPSF], l’article 208 LVM édicte un mode de participation et non une infraction autonome. L’article 208 LVM est plus proche, en ce sens, de l’article 21(1) b) C.cr . que de la disposition visée dans La Souveraine.

 

On notera que l’article 208 LVM précise que le complice est coupable de l’infraction commise par l’acteur principal « comme s’il l’avait commise lui-même/as if he had committed it himself ». En revanche, l’article 482 [LDPSF] prévoit que l’assureur qui se livre au comportement visé est coupable d’« une infraction/an offence », infraction distincte de celle commise par l’acteur principal. L’article 208 est donc un simple mode de participation [. . .] et non d’une « infraction » en elle-même.

 

Notons, de plus, que la [LDPSF] comporte une disposition pratiquement identique à celle prévue à l’article 208 LVM — l’article 491 [LDPSF]. Comme le fait l’article 208 LVM, cet article définit un mode de participation qui rend le complice coupable de la même infraction que le contrevenant principal, « comme s’il l’avait commise lui-même/as if the person had committed it himself ». Ce dernier texte, cousin de l’article 208 LVM, n’a nullement été soulevé dans La Souveraine pour fonder la responsabilité de l’assureur. Les différences entre l’article 208 LVM et l’article 482 [LDPSF] suffisent pour conclure que l’arrêt de cette Cour dans La Souveraine ne peut servir de précédent dans la présente affaire.

[47]                           En somme, le texte de l’art. 482 de la LDPSF, en créant une infraction distincte, se démarque de celui des art. 208 de la LVM et 491 de la LDPSF, lesquels créent des modes de participation qui ressemblent davantage à ce qu’édicte l’al. 21(1) b) du Code criminel  (voir aussi les motifs de la Cour d’appel, par. 41-44, le juge Dalphond, dissident, mais pas sur cette question). Il s’ensuit que l’infraction définie à l’art. 482 de la LDPSF n’a pas à être assujettie à la règle de common law selon laquelle la preuve de mens rea demeure requise en cas d’infractions de complicité.

[48]                          Avant de conclure sur cette question, j’ajouterai quelques observations au sujet de l’affirmation de la Cour d’appel de l’Ontario dans l’affaire Woolworth selon laquelle une personne n’engage pas sa responsabilité en prêtant ou louant une voiture pour des activités légitimes, du seul fait que la personne à qui elle a prêté ou loué la voiture décide, au cours de son utilisation, de transporter des biens volés, ou encore en louant une maison à des fins résidentielles à un locataire qui l’utilise à son insu pour y entreposer des drogues.

[49]                          Je reconnais le bien-fondé de ces propos en matière criminelle et je suis d’avis qu’en exigeant la preuve de la mens rea, l’al. 21(1) b) du Code criminel  répond à ces préoccupations. Néanmoins, j’estime que la situation est tout autre en matière d’infractions réglementaires. Les personnes qui exercent des activités réglementées acceptent au préalable de se soumettre à des normes strictes, et elles reconnaissent qu’elles seront rigoureusement tenues de respecter ces normes, typiques de telles sphères d’activités. Dès lors, il n’est pas surprenant, en droit réglementaire, d’être en présence d’infractions de responsabilité stricte qui englobent des formes de responsabilité pénale secondaire dans l’ultime but d’assurer avec vigilance le respect d’un cadre réglementaire établi afin de protéger le public en général.

[50]                          Pour ces motifs, je conclus que l’infraction définie à l’art. 482 de la LDPSF participe des infractions de responsabilité stricte et qu’il n’était pas nécessaire de prouver que l’appelante savait que son courtier entendait enfreindre la loi ou encore qu’elle avait l’intention spécifique de l’aider ou de l’amener à le faire. La preuve que les gestes posés par l’appelante ont, dans les faits, aidé ou amené son courtier à contrevenir à l’art. 71 de la LDPSF en délivrant des produits d’assurance sans détenir les permis requis est suffisante pour entraîner sa culpabilité.

C.  Le contenu et la preuve de l’actus reus

[51]                          L’appelante avance que l’actus reus de l’infraction prévue à l’art. 482 de la LDPSF, qu’elle qualifie d’infraction « prenant la forme d’une incitation à violer la loi » compte tenu des termes « aider » et « amener » qui s’y trouvent, exige la preuve que le défendeur a « recommandé ou suggéré à quelqu’un de commettre une infraction ». Cela suppose, toujours selon l’appelante, l’existence d’« une conduite positive de la part du défendeur et non simplement un acquiescement passif ou une attitude de laisser-faire de sa part » (m.a., par. 37-39). L’appelante soumet qu’en l’espèce, la « conduite positive » requise pour les fins d’une condamnation n’a pas été établie, puisqu’elle a simplement acquiescé passivement à l’infraction commise par son courtier, à savoir la délivrance sans les permis requis des certificats d’assurance individuels aux concessionnaires québécois.

[52]                          Cet argument est voué à l’échec. Je partage l’opinion de la majorité de la Cour d’appel sur ce point : l’appelante a aidé Flanders à commettre l’infraction prévue à l’art. 71 de la LDPSF en donnant son autorisation ou son consentement à la délivrance des certificats d’assurance individuels aux concessionnaires québécois. La preuve démontre que l’appelante était consciente que les biens assurés étaient situés au Québec. Elle connaissait la liste des concessionnaires québécois qui ont adhéré à la police-cadre d’assurance délivrée à GE au plus tard le 10 juin 2005, car elle l’avait communiquée à l’AMF à ce moment. Flanders n’a donc pas émis les certificats d’assurance individuels aux concessionnaires québécois à l’insu de l’appelante, et cette dernière ne s’est jamais opposée à ce que ses produits d’assurance soient ainsi délivrés. En conséquence, la conduite de l’appelante n’était pas stricto sensu passive.  Au contraire, cette conduite a eu l’effet de provoquer une violation de la loi et, partant, l’élément matériel de l’infraction a été établi hors de tout doute raisonnable.

[53]                          Il importe de rappeler qu’en décrivant cet élément matériel, le législateur précise que celui-ci peut se traduire « par un encouragement, un conseil, un consentement, une autorisation ou un ordre ». À mes yeux, le défaut de l’appelante de s’opposer en temps utile au plan de délivrance des certificats d’assurance individuels par Flanders constitue un consentement et/ou une autorisation au sens de la loi. Ce faisant, elle a aidé et/ou amené Flanders à enfreindre les dispositions de l’art. 71 de la LDPSF. Cela suffit pour établir l’actus reus de l’infraction définie à l’art. 482 de la LDPSF.

[54]                          À l’audience, l’appelante a invoqué un argument supplémentaire suivant lequel l’actus reus n’avait pas été établi en l’espèce vu que l’appelante ignorait que Flanders ne détenait pas les permis requis afin de délivrer les produits d’assurance en cause. Selon l’appelante, son ignorance de ce fait signifie que sa conduite n’était pas volontaire. Je suis d’avis que la prétention de l’appelante quant à son ignorance de la situation n’est pas appuyée par la preuve. Pour cette raison, son argument fondé sur cette prétention ne lui est d’aucun secours et je n’ai donc pas à examiner cet argument relatif à l’absence du caractère volontaire de l’élément matériel de l’infraction.

[55]                          Je réitère que l’infraction définie à l’art. 482 de la LDPSF constitue une infraction de responsabilité stricte. Une fois l’actus reus prouvé hors de tout doute raisonnable, le défendeur ne peut écarter sa responsabilité qu’en démontrant qu’il a agi avec diligence raisonnable. Il convient donc de se demander si la défense de diligence raisonnable était recevable et, le cas échéant, si l’appelante s’est acquittée de son fardeau de preuve à cet égard.

D.  La défense de diligence raisonnable

[56]                          La défense de diligence raisonnable est recevable si le défendeur croyait pour des motifs raisonnables à un état de faits inexistant qui, s’il avait existé, aurait rendu l’acte ou l’omission innocent. De plus, le défendeur qui démontre qu’il a pris toutes les précautions raisonnables pour éviter que l’événement en question ne se produise pourra échapper à la responsabilité (Sault Ste-Marie, p. 1326). La défense de diligence raisonnable est assujettie à une norme objective et elle suppose l’examen de l’attitude d’une personne raisonnable placée en pareilles circonstances.

[57]                          Cette défense ne sera cependant pas recevable si le défendeur n’invoque qu’une erreur de droit pour expliquer la commission de l’infraction.  En droit canadien, l’erreur de droit ne peut servir à fonder une défense valable que si elle a été provoquée par une personne en autorité et si les conditions limitant l’application de cette défense énoncée dans l’arrêt R. c. Jorgensen, [1995] 4 R.C.S. 55, sont respectées. Ainsi, il est inutile pour un défendeur de démontrer qu’il a déployé des efforts raisonnables pour connaître la loi ou que, par méconnaissance de celle-ci, il a agi de bonne foi.  Une telle preuve ne saurait écarter sa responsabilité. 

[58]                          Devant notre Cour, l’appelante plaide que la défense de diligence raisonnable était recevable en l’espèce, étant donné qu’elle ignorait que son courtier ne détenait pas de permis d’exercice au Québec. Pour elle, il s’agit d’une pure question de fait.

[59]                          Je ne peux accepter cette prétention. Il ressort de la preuve testimoniale que l’appelante a consenti et/ou autorisé son courtier, Flanders, à délivrer les certificats d’assurance individuels aux concessionnaires québécois parce qu’elle croyait que son courtier n’avait pas besoin de permis étant donné que les certificats n’étaient que l’accessoire de la police-cadre d’assurance émise à GE en Ontario. La preuve ne permet pas de conclure, comme l’appelante nous invite à le faire, qu’elle a consenti et/ou autorisé la délivrance des certificats au motif qu’elle croyait erronément que Flanders était dûment inscrit auprès de l’AMF au Québec. Au contraire, l’appelante explique qu’elle se serait alarmée si elle avait appris que Flanders délivrait au Québec des produits d’assurance autres que ceux accessoires à la police-cadre émise à GE. Flanders l’aurait assuré que, dans un tel cas, on faisait appel aux services d’un courtier titulaire d’un permis d’exercice au Québec.

[60]                           Voici des extraits du témoignage du représentant de l’appelante, Robert Phillips, sur cette question :

[traduction]

 

Q. Donc, là, vous saviez qu’il s’agissait d’un problème de courtier ne détenant pas de permis d’exercice au Québec?

 

R. Oui, à l’égard duquel nous avons téléphoné [. . .] comme je l’ai dit plus tôt, nous avons subséquemment téléphoné à Flanders . . .

 

Q. Et vous avez demandé?

 

R. . . . et nous avons demandé et on nous a dit qu’ils faisaient [. . .] nous faisons appel aux services d’un courtier au Québec qui agit comme signataire autorisé pour leur compte.

 

Q. Même pour la police-cadre d’assurance?

 

R. Pas nécessairement pour la police-cadre d’assurance, mais pour toutes les autres protections qu’ils offriraient parce que nous revenons constamment à celle-ci, la police-cadre. En ce qui nous concerne, c’était le compte de GE Ontario qui ne requérait pas . . .

 

Q. Donc, il n’y avait aucun problème pour ce qui est de Flanders?

 

R. Bien, pour autant que la police-cadre d’assurance était concernée.  S’ils avaient offert d’autres protections et que nous en avions offert d’autres, nous les aurions suspendues sur-le-champ et pris d’autres mesures.

 

Q. Donc . . .

 

R. Donc, nous n’émettions pas d’autres protections au Québec pour GE ou les concessionnaires, ni ne savions ce que faisait Flanders. [Je souligne; d.a., vol. III, p. 106-107.]

[61]                          La preuve révèle donc que l’appelante ignorait non pas que son courtier n’était pas inscrit au Québec, mais plutôt qu’un permis était nécessaire au courtier pour délivrer les certificats d’assurance individuels aux concessionnaires québécois. Or, il s’agit là non pas d’une erreur de fait, mais d’une pure erreur de droit qui ne peut servir à fonder la défense de diligence raisonnable.

[62]                          Subsidiairement, l’appelante plaide que sa participation aux opérations commerciales en cause repose sur une erreur mixte de fait et de droit, assimilable à une erreur de fait et que, pour cette raison, elle est toujours en droit d’invoquer la défense de diligence raisonnable. En d’autres mots, elle prétend avoir cru pour des motifs raisonnables à un état de faits ou une situation juridique inexistants qui, s’ils avaient existé, auraient rendu sa conduite innocente.

[63]                          En ce qui concerne sa prétention relative à une situation juridique inexistante, l’appelante réitère sa conviction que l’inscription de Flanders auprès de l’AMF n’était pas nécessaire dans les circonstances. Son erreur de fait serait fondée sur plusieurs autres éléments. L’appelante explique notamment que l’absence de réponse de la part de l’AMF à sa lettre explicative du 10 juin 2005 l’a indûment rassurée sur le caractère légal de ses opérations commerciales. De plus, les avis juridiques des juristes agissant pour Flanders, ainsi que la reconnaissance de la légalité de ses opérations dans toutes les autres provinces canadiennes, l’ont également confortée dans son appréciation de la situation à cet égard. Finalement, le rôle accessoire et minimal réservé aux concessionnaires québécois dans les opérations commerciales complexes se déroulant essentiellement en Ontario appuyait le caractère raisonnable de sa croyance :  la police-cadre avait été négociée et signée en Ontario, le client « principal », GE, avait son siège social dans cette province, les primes d’assurance étaient payées directement par GE à Flanders, sise à Winnipeg, et toute indemnité éventuelle était payable directement à GE en Ontario. Bref, il était raisonnable pour l’appelante de croire à la légalité de son mode d’exploitation des produits d’assurance en cause.

[64]                          À mon avis, les arguments soulevés par l’appelante ne mènent qu’à une seule conclusion : il s’agit d’une erreur de droit. Je constate d’ailleurs qu’elle ne prétend pas avoir cru à une situation juridique inexistante et, en même temps, à un état de faits inexistant. Elle affirme plutôt avoir erronément cru à l’existence d’une situation juridique en raison d’un état de faits qui existait bel et bien. Elle prétend qu’à tout le moins, sa croyance en cette situation juridique inexistante était justifiée et devait être excusée au regard de la réalité factuelle ainsi décrite.

[65]                          À cet égard, je partage l’opinion du juge Cournoyer selon laquelle « [l]e seul silence de l’AMF ne peut transformer une erreur de droit en erreur mixte de fait et de droit » (par. 232). Je rappelle également que dans l’état actuel du droit au Canada, aussi raisonnable que puisse être une erreur de droit, contrairement à l’erreur de fait et à l’exception fondée sur une erreur de droit provoquée par une personne en autorité, cette erreur de droit ne peut servir de défense valable dans le cas d’une infraction de responsabilité stricte. Dans l’affaire Molis c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 356, le juge Lamer souligne :

. . . l’arrêt Sault Ste-Marie parle de la défense de diligence raisonnable par rapport à l’accomplissement d’une obligation imposée par la loi et non par rapport aux recherches sur l’existence d’une interdiction ou sur son interprétation. [p. 364]

[66]                          Puisque l’erreur invoquée par l’appelante est une pure erreur de droit, je conclus que son argument fondé sur l’erreur mixte de droit et de fait doit être écarté et que la défense de diligence raisonnable n’est pas recevable en l’espèce.

[67]                          Toutefois, l’appelante plaide aussi subsidiairement que notre Cour devrait nuancer la règle relative à l’ignorance de la loi et reconnaître l’erreur de droit raisonnable dans la vaste mosaïque des infractions réglementaires. Plus spécifiquement, elle demande la reconnaissance de cette défense dans les cas où l’ignorance raisonnable ou la confusion honnête au sujet du droit applicable est intimement liée au comportement abusif d’un organisme de réglementation.  En conséquence, elle plaide l’existence d’un « piège » qu’aurait créé l’autorité compétente en adoptant un comportement inéquitable à son égard. Je vais maintenant examiner ce dernier argument. 

E.  L’erreur de droit raisonnable

[68]                          Notre Cour a maintes fois affirmé que la diligence raisonnable déployée par un défendeur pour connaître et vérifier la nature du droit applicable ne constitue pas un moyen de défense (Ville de Lévis, par. 22).  Elle a qualifié la règle relative à l’ignorance de la loi de « principe directeur de notre droit criminel qui ne devrait pas être perturbé à la légère »  (Jorgensen, par. 5, le juge en chef Lamer). Dans l’arrêt Ville de Lévis, aux par. 22-27, le juge LeBel rappelle que la règle a le même poids en droit réglementaire.

[69]                          La raison d’être de la règle relative à l’ignorance de la loi est d’assurer la bonne marche du système de justice pénale et le maintien de l’ordre social. Les auteurs G. Côté-Harper, P. Rainville et J. Turgeon donnent les explications suivantes à l’égard de cette règle traduite par la maxime « nul n’est censé ignorer la loi » (Traité de droit pénal canadien (4e éd. 1998), p. 1098) :

La présomption de connaissance de la loi devient la contrepartie du principe de la légalité. Le législateur assure les citoyens qu’il ne les punira pas sans leur avoir au préalable indiqué ce qui est interdit ou impératif. Mais, en échange, il leur impose l’obligation de se renseigner avant d’agir. . .

 

La crainte du désordre social et de l’anarchie est l’argument majeur invoqué par ceux qui désirent le maintien de la maxime. Il serait dangereux et abusif d’admettre sans restriction que l’on puisse s’abriter derrière une excuse subjective d’ignorance.

[70]                          Dans l’arrêt Jorgensen, le juge en chef Lamer abonde dans le même sens en citant ce qui suit au sujet de la justification de la règle qui fait obstacle à une défense fondée sur l’erreur de droit :

Don Stuart fait ressortir quatre aspects de la justification de la règle qui s’oppose à l’acceptation de l’ignorance de la loi à titre d’excuse :

 

 [traduction]

 

 1.  L’admission du moyen de défense d’ignorance de la loi causerait aux tribunaux des problèmes insurmontables en matière de preuve.

 

 2.  Elle encouragerait l’ignorance alors que la connaissance est souhaitable du point de vue social.

 

 3.  Sinon, chacun ne connaîtrait d’autre loi que la sienne, ce qui contreviendrait au principe de la légalité et contredirait les principes moraux qui sous‑tendent le droit.

 

 4. L’ignorance de la loi est répréhensible en soi.

 

(Canadian Criminal Law : A Treatise (3e éd. 1995), pp. 295 à 298) [par. 5]

[71]                          Néanmoins, il convient de souligner que l’absolutisme de la règle ignorantia juris non excusat — l’ignorance de la loi n’excuse pas — pourrait entraver sérieusement l’application d’une autre règle cardinale de notre système de justice pénale : il ne saurait y avoir de sanction en l’absence de faute. Le chevauchement de ces règles est d’autant plus significatif que l’on assiste aujourd’hui à une prolifération simultanée de mesures réglementaires et de lois pénales.  Plusieurs auteurs soulignent d’ailleurs que la connaissance exhaustive des lois par le citoyen est maintenant chose impossible :

La présomption de la connaissance des lois était tolérable et se justifiait autrefois parce que l’on ne retrouvait dans ces lois que les infractions graves et des crimes contre la loi morale. La situation a beaucoup évolué de nos jours et le droit criminel ou pénal doit s’interpréter avec l’aide d’une jurisprudence volumineuse. De plus, il faut aussi considérer cette fameuse inflation des lois pénales et personne, même les criminalistes et autres spécialistes en la matière, n’a la prétention de les connaître toutes. La situation créée par cette multiplication des textes légaux est aggravée par le problème de leur publicité qui, bien que formelle, n’est souvent guère effective.

 

(Côté-Harper, Rainville et Turgeon, p. 1099)

[72]                          Le juge Dickson fait le même constat lorsqu’il écrit dans l’arrêt Sault Ste-Marie, p. 1310 :

Les infractions contre le bien-être public mettent manifestement en jeu des valeurs contradictoires. Il est essentiel que la société maintienne, par un contrôle efficace, un haut niveau d’hygiène et de sécurité publiques. Il faut sérieusement prendre en considération les victimes potentielles de ceux qui exercent des activités comportant un danger latent. En revanche, on répugne généralement à punir celui qui est moralement innocent.

[73]                          Malgré les difficultés qu’ils engendrent, l’accroissement des mesures réglementaires et la multiplication proportionnelle des dispositions pénales visant à assurer leur respect vont de pair avec l’évolution des sociétés modernes. Ces phénomènes sont bien enracinés. La raison d’être des mesures réglementaires est la protection du public contre les dangers auxquels peut donner lieu l’exercice d’activités par ailleurs légitimes. L’emploi de sanctions pénales dans ce contexte, plutôt que de sanctions civiles ou administratives, s’explique par le pouvoir dissuasif du droit pénal (H. Parent, Traité de droit criminel, t. 2 (2e éd. 2007), par. 496-500). Le juge Cory a éloquemment décrit l’importance des infractions réglementaires dans l’arrêt R. c. Wholesale Travel Group Inc., [1991] 3 R.C.S. 154, p. 221-222 :

Il est difficile de penser à un aspect de nos vies qui n’est pas réglementé pour notre propre avantage et pour la protection de la société dans son ensemble. Du berceau à la tombe, nous sommes protégés par des dispositions réglementaires; elles s’appliquent tant aux médecins qui nous mettent au monde qu’aux entrepreneurs de pompes funèbres présents à notre départ. Chaque jour, du lever au coucher, nous profitons de mesures réglementaires que nous tenons souvent pour acquises. . .

 

En bref, les mesures réglementaires sont absolument essentielles pour assurer notre protection et notre bien-être en tant qu’individus et pour permettre le fonctionnement efficace de la société. Elles sont justifiées dans tous les aspects de notre vie.

[74]                           Ce qui précède met en relief les tensions inévitables résultant de la place sans cesse croissante qu’occupent les mesures réglementaires. Ces mesures sont indispensables pour la mise en œuvre des politiques d’intérêt public. La règle selon laquelle l’ignorance de la loi ne constitue pas une défense valable appuie le devoir de l’État à cet égard. Pour cette seule raison, elle doit être respectée.

[75]                          En même temps, force est de constater que l’accroissement du nombre de textes légaux, conjugué à leur complexité grandissante, augmentent le risque qu’un justiciable soit sanctionné dans des circonstances où la méconnaissance de la loi pourrait par ailleurs être compréhensible. 

[76]                          En tenant compte de toutes ces considérations, je suis d’avis que l’objectif de la protection du public qui est à la base de la création des infractions réglementaires milite fortement contre la recevabilité d’une défense générale d’erreur de droit raisonnable dans ce domaine. Comme l’a souligné le juge Cory dans l’arrêt Wholesale Travel, p. 219 :

La législation réglementaire implique que la protection des intérêts publics et sociaux passe avant celle des intérêts individuels et avant la dissuasion et la sanction d’actes comportant une faute morale. 

[77]                          De plus, il incombe à l’entité réglementée qui s’engage dans une activité qui requiert des connaissances particulières, y compris le droit applicable en la matière, de les obtenir. Les observations suivantes de l’auteur Hugues Parent sont fort pertinentes dans un contexte de réglementation comme celui qui nous concerne. Tout en s’opposant au caractère absolu de la règle évoquée par la maxime « nul n’est censé ignorer la loi », l’auteur Parent fait état d’une limite très importante à laquelle devrait se conformer un éventuel assouplissement de cette règle, à savoir celle de l’imprévisibilité de l’erreur en cause :

L’individu qui agit dans l’ignorance d’une disposition qu’il n’était pas en mesure de connaître, malgré sa bonne foi et sa diligence raisonnable, agit mal sans le savoir et, par conséquent, sans le vouloir. Aucune responsabilité ne peut donc lui être imputée.

 

Pour être alléguée avec succès, l’ignorance invincible de la loi doit être imprévisible, c’est-à-dire qu’elle ne doit pas être reliée à une activité qui exige une connaissance particulière, de sorte que le pêcheur professionnel, accusé d’avoir en sa possession une quantité de homards immatures, ne pourra soulever en défense son ignorance de la loi. Comme le mentionne le juge O’Hearn dans l’arrêt [R. c. Maclean (1974), 17 C.C.C. (2d) 84 (C. cté N.-É.)], « si une personne veut se lancer dans une activité qui exige des connaissances particulières, dont la connaissance de la loi applicable, on peut à juste titre conclure qu’elle a l’obligation d’acquérir cette connaissance ». Les informations permettant d’accéder à cette connaissance étant essentielles, celles-ci doivent être accessibles et compréhensibles. [En italique dans l’original.]

 

(Traité de droit criminel, t. 1 (3e éd. 2008), par. 580-581)

[78]                          L’organisme de réglementation en cause dans cette affaire, à savoir l’AMF, n’est pas tenu par la loi de répondre ou de renseigner ceux et celles visés par cette loi quant à leurs droits et obligations, si bien qu’en l’espèce, il n’était pas raisonnable pour l’appelante de considérer le silence de l’AMF en tant que confirmation de son interprétation de ladite loi. Cela dit, l’attitude de l’AMF laisse néanmoins songeur. Sans témoigner de la plus grande transparence qui doit normalement guider les actions d’un organisme de réglementation et aussi regrettable qu’elle puisse être, l’attitude de l’AMF ne saurait cependant être assimilée à de l’abus ou de la mauvaise foi de sa part.

[79]                          De plus, même si la conduite de l’AMF était vexatoire au point de justifier la reconnaissance d’une nouvelle exception à la règle relative à l’ignorance de la loi, solution à laquelle je ne peux conclure en l’espèce, je suis d’avis que les gestes posés par l’appelante afin d’éviter d’enfreindre la loi ne satisfont pas aux exigences de la défense de diligence raisonnable. L’appelante s’est fiée uniquement aux avis juridiques fournis par des professionnels agissant pour le compte d’un tiers, à savoir Flanders au Manitoba. Une personne raisonnable aurait au moins sollicité une opinion indépendante d’un avocat inscrit au Barreau du Québec et exerçant préférablement dans le domaine du droit des assurances. Quoi qu’il en soit, dans le présent cas, l’appelante n’a pas démontré qu’elle a pris toutes les précautions raisonnables pour éviter de contrevenir à la loi.

[80]                          Je suis bien conscient des difficultés d’interprétation de la loi qui peuvent résulter de la complexité de certaines activités réglementées. En l’espèce, il est préoccupant de constater que l’AMF ait elle-même éprouvé de sérieuses difficultés à interpréter le droit applicable pour se prononcer sur la légalité des opérations commerciales en cause. Est-il raisonnable d’exiger de ceux et celles visés par des mesures réglementaires une connaissance plus étendue de la loi que celle qu’en a l’organisme chargé de l’appliquer?

[81]                          Je réitère que la complexité de la réglementation découle du besoin de veiller au bon fonctionnement de la société civile (Wholesale Travel, Sault Ste-Marie, Ville de Lévis). À cet égard, je fais miens les propos suivants du juge en chef Lamer dans Jorgensen :

. . . la complexité des règlements actuels permet de présumer qu’un citoyen responsable ne peut raisonnablement avoir une connaissance approfondie du droit. Toutefois, cette complexité ne justifie pas le rejet d’une règle qui encourage les citoyens à devenir responsables et le gouvernement à rendre publiques les règles de droit, et qui constitue un fondement essentiel de la primauté du droit. [par. 25]

[82]                          En conséquence, je propose de reporter à plus tard le débat sur l’opportunité de reconnaître une nouvelle exception à la règle selon laquelle l’erreur de droit ne peut constituer une défense recevable que dans des circonstances bien spécifiques.

F.  Nombre de constats d’infraction

[83]                          Mon collègue, le juge Fish, invoque au soutien de son opinion la distinction soulevée par la Cour d’appel dans l’arrêt Demers entre le contenu de l’art. 482 de la LDPSF créant une infraction autonome et celui des art. 208 de la LVM et 491 de la LDPSF qui crée un mode de participation à une infraction. Il conclut que l’art. 482 est constitutif d’une seule et même infraction et que l’AMF a eu tort de déposer 56 constats d’infraction distincts contre l’appelante.

[84]                          En d’autres mots, alors que l’auteur de l’infraction identifiée aux arts. 208 de la LVM et 491 de la LDPSF est un auteur secondaire, ce dernier, dans le contexte de l’art. 482, se rend coupable d’une seule infraction distincte et indépendante. S’il a consenti et/ou autorisé le courtier à agir en son nom, il n’a commis qu’une seule faute et, par voie de conséquence, il ne devrait recevoir qu’un seul constat d’infraction.

[85]                          Je suis d’accord avec mon collègue que l’infraction définie à l’art. 482 de la LDPSF est une infraction distincte et indépendante et que l’appelante n’est pas responsable des infractions commises par son courtier. Néanmoins, je suis d’avis que ce constat n’exclut pas pour autant la possibilité que l’appelante ait commis plusieurs infractions distinctes. Tel est le cas en l’espèce.

[86]                          Il ressort de la preuve au dossier que le consentement ou encore l’autorisation accordés par l’appelante à son courtier n’étaient pas seulement d’ordre général, mais également spécifique. En fait, à partir du mois de juin 2005, celle-ci était en possession de la liste des concessionnaires québécois dont les inventaires devaient être assurés à partir du mois d’août 2005.  De plus, son courtier a émis chacun des certificats d’assurance individuels aux concessionnaires québécois en apposant sa signature en dessous de la formule : « Signé au nom du ou des assureurs par Assurances Flanders ltée, Services administratifs et de gestion. » L’appelante a donc, par l’entremise de son représentant, Flanders, participé à l’émission de chacun des certificats d’assurance individuels au Québec. Partant, l’appelante a spécifiquement donné son consentement et/ou son autorisation à chacune des 56 transactions intervenues au Québec, commettant ainsi l’infraction identifiée à l’art. 482 de la LDPSF à 56 reprises. Bref, il s’agit de 56 actes distincts d’autorisation et/ou de consentement.

[87]                          Même si je ne peux conclure en droit qu’il s’agit en l’espèce d’une transaction unique et que l’appelante n’est coupable que d’une seule infraction, j’estime nécessaire néanmoins d’ajouter quelques commentaires au sujet de la décision de l’AMF de déposer 56 constats d’infraction distincts contre l’appelante.

[88]                          Je reconnais que le poursuivant, en l’espèce l’AMF, bénéficie d’un large pouvoir décisionnel de nature quasi-judiciaire qui découle de la faculté et surtout de la discrétion de déposer des constats d’infraction dans les cas qu’elle détermine (G. Létourneau, Code de procédure pénale du Québec : annoté (9e éd. 2011), p. 324). La révision judiciaire de ce vaste pouvoir doit d’ailleurs respecter une norme d’intervention très exigeante. Les tribunaux ne peuvent ordonner l’arrêt de poursuites pénales que dans les « cas les plus manifestes », lorsque « la preuve démontre clairement l’existence de motifs illégitimes, de mauvaise foi ou d’un acte si fautif qu’il viole la conscience de la collectivité à un point tel qu’il serait vraiment injuste et indécent de continuer » (R. c. Power, [1994] 1 R.C.S. 601, p. 616, la juge L’Heureux-Dubé; voir aussi R. c. O’Connor, [1995] 4 R.C.S. 411). De toute évidence, nous ne sommes pas en présence d’un tel cas.

[89]                          Toutefois, j’estime qu’il est important de rappeler la distinction fondamentale entre le régime du droit pénal réglementaire et celui du droit criminel au Canada. Dans l’arrêt de principe Sault Ste-Marie, aux p. 1302-1303, notre Cour a formulé les enseignements suivants :

[Les] infractions [réglementaires] ne sont pas criminelles au plein sens du terme, mais sont prohibées dans l’intérêt public. [. . .] Bien qu’appliquées comme lois pénales par le truchement de la procédure criminelle, ces infractions sont essentiellement de nature civile et pourraient fort bien être considérées comme une branche du droit administratif à laquelle les principes traditionnels du droit criminel ne s’appliquent que de façon limitée. 

[90]                          Chacun de ces régimes, soit le régime pénal réglementaire et le régime criminel, répond à des objectifs sociaux importants et complémentaires, mais par ailleurs différents. Pour citer le juge Cory, tandis « que les infractions criminelles sont habituellement conçues afin de condamner et de punir une conduite antérieure répréhensible en soi, les mesures réglementaires visent généralement à prévenir un préjudice futur par l’application de normes minimales de conduite et de prudence » (Wholesale Travel, p. 219). Il est donc essentiel de ne pas occulter les différences essentielles entre les deux régimes et ainsi affaiblir l’application de l’un en dénaturant l’application de l’autre.

[91]                          En l’espèce, au risque d’empiéter sur la ligne de démarcation entre la responsabilité pénale réglementaire et la responsabilité criminelle, l’existence d’une amende minimale substantielle pour sanctionner la commission de l’infraction définie à l’art. 482 de la LDPSF nous amène à nous interroger sur la justesse de la décision de l’AMF de déposer 56 chefs d’accusation distincts contre l’appelante.

[92]                          Peut-être qu’en l’espèce il eût été préférable que l’AMF dépose un seul constat d’infraction plutôt que de procéder avec le dépôt des 56 constats en cause. Mais il n’est pas nécessaire de déterminer si la conduite de l’AMF en procédant comme elle l’a fait constitue un abus de procédure puisque la question ne fut pas abordée devant les autres cours et seulement de façon indirecte à l’occasion des plaidoiries devant cette Cour.

[93]                          Dura lex, sed lex : La loi est dure, mais c’est la loi, et l’AMF a de toute évidence consacré à cette expression toute sa signification eu égard à l’appelante. Et pourtant, eu égard à Flanders, l’auteur principal de la faute, l’AMF a choisi de la poursuivre en vertu de l’art. 462 de la LDPSF, l’assujettissant ainsi à une sanction bien moindre qui n’a aucune commune mesure avec l’amende imposable à l’appelante en vertu de l’art. 487 de la même loi. Même si techniquement l’appelante a consenti et/ou autorisé la délivrance de certificats d’assurance individuels à 56 reprises, il reste que ces infractions découlaient d’une seule et même décision de retenir les services de Flanders à titre de courtier.

[94]                          À mon avis, il serait souhaitable que le poursuivant apprécie, au cas par cas, le contexte entourant la perpétration des infractions lorsqu’il exerce son pouvoir discrétionnaire de déposer des constats d’infraction multiples. Ainsi, les procédures qu’il entreprendra n’empiéteront pas sur le contentieux du droit criminel et n’alimenteront pas la confusion des genres entre la responsabilité pénale réglementaire et la responsabilité criminelle.

V. Conclusion

[95]                          Pour ces motifs, je suis d’avis de rejeter le pourvoi avec dépens.

                    Version française des motifs des juges LeBel et Fish rendus par

                    Le juge Fish  (dissident en partie)

I

[96]                          L’appelante a été reconnue coupable de 56 accusations qui, en droit, ne visaient à mon sens qu’une seule et même infraction.  Pour les motifs qui suivent, je prononcerais donc une seule déclaration de culpabilité.

II

[97]                          Selon l’intimée (l’« Autorité »), l’appelante (« La Souveraine ») a enfreint l’art. 482 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers, L.R.Q., ch. D‑9.2 (« LDPSF »), à 56 reprises le même jour, et ce, à 56 endroits différents au Québec. 

[98]                          À l’exception de l’endroit où chaque infraction aurait été commise, les 56 chefs d’accusation sont virtuellement identiques.  Ils reprochent tous à La Souveraine d’avoir « consenti et/ou autorisé » Flanders Insurance Management and Administrative Services Ltd. (« Flanders ») ― un cabinet non inscrit ― à enfreindre l’art. 71 de la LDPSF, commettant ainsi elle‑même l’infraction visée à l’art. 482 de la LDPSF

[99]                          Si elle est déclarée coupable des 56 chefs d’accusation, La Souveraine est passible d’une amende obligatoire d’au moins 560 000 $. 

[100]                      L’article 482 de la LDPSF est rédigé ainsi :

                    482.  Un assureur qui aide ou, par un encouragement, un conseil, un consentement, une autorisation ou un ordre, amène un cabinet, ou un représentant autonome ou une société autonome par l’entremise de qui il offre des produits d’assurance, ou un dirigeant, administrateur, associé, employé ou représentant de ce cabinet ou de cette société autonome, à enfreindre une disposition de la présente loi ou de ses règlements commet une infraction.

                    Il en est de même de tout administrateur, dirigeant, employé ou mandataire d’un assureur.

[101]                      Je suis convaincu que la disposition précitée crée une infraction substantielle distincte, plutôt qu’une infraction de responsabilité en tant que participant.  De toute évidence, l’assureur reconnu coupable d’avoir enfreint l’art. 482 de la LDPSF n’est ni coupable de la même infraction, ni passible de la même peine que le cabinet qu’il a aidé ou amené à enfreindre une autre disposition de la Loi ou de ses règlements.  La responsabilité en tant que participant est expressément prévue à l’art. 491 de la LDPSF.

[102]                      Cette opinion est appuyée par l’arrêt Demers c. Autorité des marchés financiers, 2013 QCCA 323 (CanLII), un jugement unanime rendu par la Cour d’appel du Québec postérieurement à son jugement en l’espèce.  Dans Demers, le juge d’appel Kasirer a expliqué en ces termes ce qui distingue l’infraction visée à l’art. 482 de la LDPSF des véritables infractions de responsabilité en tant que participant (par. 55‑56) :

                         On notera que l’article 208 [Loi sur les valeurs mobilières, L.R.Q., ch. V‑1.1] précise que le complice est coupable de l’infraction commise par l’acteur principal « comme s’il l’avait commise lui‑même/as if he had committed it himself ».  En revanche, l’article 482 [LDPSF] prévoit que l’assureur qui se livre au comportement visé est coupable d’« une infraction/an offence », infraction distincte de celle commise par l’acteur principal.  L’article 208 est donc un simple mode de participation —Mme Demers a été déclarée coupable d’avoir enfreint l’article 11 de la LVM par le truchement de la règle de l’article 208 — et non d’une « infraction » en elle‑même.

                         Notons, de plus, que la Loi sur la distribution des produits financiers [sic] comporte une disposition pratiquement identique à celle prévue à l’article 208 LVM — l’article 491 [LDPSF].  Comme le fait l’article 208 LVM, cet article définit un mode de participation qui rend le complice coupable de la même infraction que le contrevenant principal, « comme s’il l’avait commise lui‑même/as if the person had committed it himself ».  Ce dernier texte, cousin de l’article 208 LVM, n’a nullement été soulevé dans La Souveraine pour fonder la responsabilité de l’assureur.  Les différences entre l’article 208 LVM et l’article 482 [LDPSF] suffisent pour conclure que l’arrêt de cette Cour dans La Souveraine ne peut servir de précédent dans la présente affaire.  [Italiques ajoutés.]

[103]                      Je partage l’avis du juge Kasirer.

[104]                      L’article 491 a été adopté dans sa forme actuelle en 2009 (L.Q. 2009, ch. 58, art. 85).  S’il avait été en vigueur en 2006, lorsque la poursuite a été intentée dans la présente affaire, il aurait été loisible à l’Autorité d’accuser La Souveraine d’avoir agi en tant que participant aux 56 infractions à l’art. 71 de la LDPSF commises par Flanders.  Ce n’est que dans une telle situation que La Souveraine aurait pu à juste titre être déclarée coupable, comme l’accusée dans Demers, « de la même infraction que le contrevenant principal, “comme [si elle] l’avait commise [elle]‑même/as if the person had committed it himself” » (Demers, par. 56).  La Souveraine aurait alors été passible, évidemment, de la peine applicable en cas de violation de l’art. 71, et non de la peine minimale obligatoire beaucoup plus lourde qu’entraîne la violation de l’art. 482.

[105]                      Chose certaine : aucune accusation de ce genre ne pouvait être portée, comme ce fut le cas en l’espèce, en vertu de l’art. 482.  C’est précisément pour cette raison que l’art. 491 a été adopté dans sa forme actuelle.  Il avait pour objet déclaré d’établir l’infraction de responsabilité en tant que participant ― responsabilité qui n’était prévue ni par l’art. 482, ni apparemment par quelque autre disposition pertinente dans la présente instance.  Le ministre des Finances l’a d’ailleurs reconnu en 2009, quand la modification proposée à l’art. 491 de la LDPSF a été déposée à l’Assemblée nationale.

[106]                      Le ministre a expliqué que la modification « introduit un nouvel article 491 pour ajouter la complicité parmi les infractions.  Et [la note] ajoute aussi que la même règle s’applique à celui qui, par des encouragements, des conseils ou des ordres, amène quelqu’un à commettre une infraction » (R. Bachand, Journal des débats de la Commission permanente des finances publiques, vol. 41, no 47, 1re sess., 39e lég., 26 novembre 2009, p. 21 (italiques ajoutés)).

[107]                      En l’espèce, alors qu’elle ne disposait pas de l’art. 491, l’Autorité a déposé contre La Souveraine 56 chefs d’accusation en vertu de l’art. 482 ― une infraction substantielle passible d’une peine différente ― et a réclamé pour chacune des 56 accusations la peine minimale obligatoire prévue à l’égard de l’art. 482, tout comme si La Souveraine était, sur le fondement de cette disposition, responsable en tant que participant des infractions reprochées à Flanders.

[108]                      C’est essentiellement de cette façon que l’Autorité elle‑même a tenté, à l’audition du pourvoi, de défendre les multiples accusations déposées contre La Souveraine.  En réponse aux questions de la Cour, l’avocat de l’Autorité a avancé que La Souveraine avait commis par procuration une infraction prévue à l’art. 482 de la LDPSF chaque fois que Flanders, son mandataire, commettait une infraction prévue à quelque autre disposition de la Loi ou de ses règlements (transcription, p. 37‑40).

[109]                      Toutefois, comme nous l’avons vu, le premier paragraphe de l’art. 482 ne crée ni une infraction fondée sur la responsabilité du fait d’autrui, ni une infraction de responsabilité en tant que participant.  Il crée plutôt une infraction substantielle distincte, dont l’essentiel consiste pour un assureur à aider ou à amener un autre cabinet à enfreindre la Loi ou ses règlements d’application.  

[110]                      Aux termes du second alinéa de l’art. 482, le mandataire d’un tel assureur commet lui aussi l’infraction substantielle énoncée au premier alinéa s’il aide ou amène une autre personne ou un autre cabinet à enfreindre la Loi ou ses règlements d’application. 

[111]                      L’article 482 de la LDPSF n’indique d’aucune façon qu’un assureur ou, selon le cas, son mandataire est responsable des infractions commises par la personne ou le cabinet que l’un ou l’autre a amené à commettre.  Tant les assureurs que leurs mandataires, lorsqu’ils aident ou amènent quelqu’un à commettre une infraction substantielle établie par la LDPSF, par exemple celle prévue à l’art. 482, peuvent désormais être poursuivis en vertu de l’art. 491 de cette loi en tant que participants à cette infraction.  Ils n’engagent cependant pas leur responsabilité en tant que participants lorsqu’ils font l’objet d’accusations fondées sur l’art. 482, comme le fut La Souveraine en l’espèce.

[112]                      Bien que Flanders ait délivré 56 certificats individuels, chacun signé pour le compte de La Souveraine, il est loin de s’ensuivre que Flanders agissait en vertu de 56 autorisations distinctes ― le fondement de l’infraction substantielle prévue par l’art. 482 et dont La Souveraine a été accusée.  Cette dernière n’a pas été accusée de l’infraction prévue à l’art. 71 et, comme nous l’avons vu plus tôt, elle n’aurait pas non plus pu être accusée, en vertu de l’art. 491, d’avoir commis cette infraction en tant que participant.  Flanders a enfreint l’art. 71 de la LDPSF sur la base d’une seule et même autorisation de La Souveraine.

[113]                      La décision de créer une infraction substantielle distincte en édictant l’art. 482 représente un choix législatif délibéré, auquel les tribunaux doivent donner effet.  Il en est de même de la décision qu’a prise le législateur, bien après l’introduction des procédures dans la présente affaire, d’établir une infraction de responsabilité en tant que participants à l’art. 491 (voir G. Létourneau, Code de procédure pénale du Québec : annoté (9e éd. 2011), p. 118‑119).

[114]                      Quel que soit l’angle sous lequel la question est examinée, il est impossible d’affirmer, comme le fait l’Autorité en l’espèce, qu’un assureur est coupable, par application de l’art. 482, des infractions à quelque autre disposition de la Loi que commet son mandataire. 

III

[115]                      Nul ne conteste que Flanders, avec l’autorisation de La Souveraine, a renouvelé les polices d’assurance des 56 marchands québécois établis à Alma et ailleurs au Québec, enfreignant ainsi l’art. 71 de la LDPSF.

[116]                      Personne ne conteste non plus que l’endroit précis où l’autorisation a été accordée n’a aucune pertinence quant à l’issue de la présente instance, que la présente affaire relève en tout état de cause de la compétence territoriale de la Cour du Québec et que les endroits indiqués dans la plainte n’ont pas eu pour effet d’induire La Souveraine en erreur en ce qui concerne sa défense ou son appel ou de lui causer préjudice à cet égard.

[117]                      Il n’y aurait donc aucune injustice si La Souveraine était déclarée coupable du premier chef d’accusation, tel qu’il est rédigé, même si elle a effectivement consenti à ce que Flanders enfreigne la LDPSF ailleurs au Québec ou qu’elle l’a autorisée à le faire.

IV

[118]                      Par conséquent, comme je l’ai mentionné au tout début des présents motifs, j’accueillerais le pourvoi en partie et je substituerais une seule déclaration de culpabilité aux 56 qui ont été inscrites à l’issue du procès et rétablies par la Cour d’appel (2012 QCCA 13, [2012] R.J.Q. 111).

                    Version française des motifs rendus par

[119]                      La juge Abella (dissidente)  — Je suis d’accord avec le juge Wagner pour dire que l’art. 482 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers, L.R.Q., ch. D‑9.2, crée une infraction de responsabilité stricte.  Toutefois, avec égards pour l’opinion contraire exprimée par mon collègue, je suis d’avis que la défense d’erreur provoquée par une personne en autorité devrait s’appliquer et que le pourvoi de La Souveraine devrait être accueilli.

[120]                      Les infractions de responsabilité stricte constituent une « catégorie intermédiaire » d’infractions, qui se situe entre les infractions criminelles — qui exigent la mens rea — et les infractions de responsabilité absolue — infractions où la preuve d’un acte prohibé suffit à elle seule pour entraîner une déclaration de culpabilité.  La catégorie des infractions de responsabilité stricte a été élaborée par le juge Dickson dans l’arrêt R. c. Ville de Sault Ste-Marie, [1978] 2 R.C.S. 1299, pour tenir compte de la nature unique des infractions contre le bien‑être public, lesquelles

                    sont nées en Angleterre au milieu du 19e siècle [. . .] comme moyens de se débarrasser de la mens rea en matière de contraventions de simple police.  Le concept était une création judiciaire fondée sur des raisons de commodité.  Il est maintenant fermement ancré dans les jurisprudences anglo‑américaine et canadienne et son importance s’est accrue avec la complexité grandissante de la société moderne.  [p. 1310]

[121]                      La Cour a conclu que, en l’absence de termes indiquant une intention différente du législateur, les infractions contre le bien‑être public doivent être considérées comme étant des infractions de responsabilité stricte.  Cette conclusion avait pour but d’éviter qu’un individu « moralement innocent sous tous rapports [soit] traité de criminel et puni comme tel », comme cela se produisait dans le cas des infractions de responsabilité absolue (p. 1310).  Comme l’a expliqué le juge Dickson :

                         Les infractions contre le bien‑être public mettent manifestement en jeu des valeurs contradictoires.  Il est essentiel que la société maintienne, par un contrôle efficace, un haut niveau d’hygiène et de sécurité publiques.  Il faut sérieusement prendre en considération les victimes potentielles de ceux qui exercent des activités comportant un danger latent.  En revanche, on répugne généralement à punir celui qui est moralement innocent.  [p. 1310]

[122]                      Tout comme pour les infractions de responsabilité absolue, le ministère public devait continuer de prouver la perpétration de l’acte prohibé, mais, dans le cas des infractions de responsabilité stricte, il devenait loisible à l’accusé d’établir que « toutes les précautions raisonnables ont été prises » (p. 1315).  La notion de diligence raisonnable a été définie ainsi :

Ceci comporte l’examen de ce qu’une personne raisonnable aurait fait dans les circonstances.  La défense sera recevable si l’accusé croyait pour des motifs raisonnables à un état de faits inexistant qui, s’il avait existé, aurait rendu l’acte ou l’omission innocent, ou si l’accusé a pris toutes les précautions raisonnables pour éviter l’événement en question. [p. 1326] 

(Voir également Lévis (Ville) c. Tétreault, 2006 CSC 12, [2006] 1 R.C.S. 420, par. 15.)

Il existait donc deux moyens de défense pouvant être invoqués à l’égard des infractions de responsabilité stricte : l’erreur de fait et la diligence raisonnable — à savoir le fait d’avoir pris toutes les mesures raisonnables pour éviter l’acte reproché.

[123]                      Depuis l’arrêt Sault Ste-Marie, un nouveau moyen de défense s’est développé en matière d’infractions de responsabilité stricte : l’erreur provoquée par une personne en autorité.  Cette défense a été reconnue pour la première fois par le juge en chef Lamer dans ses motifs concordants dans l’arrêt R. c. Jorgensen, [1995] 4 R.C.S. 55 :

                         L’erreur de droit provoquée par une personne en autorité existe à titre d’exception à la règle selon laquelle l’ignorance de la loi ne constitue pas une excuse. [. . .] [L]a complexité des règlements actuels permet de présumer qu’un citoyen responsable ne peut raisonnablement avoir une connaissance approfondie du droit.  Toutefois, cette complexité ne justifie pas le rejet d’une règle qui encourage les citoyens à devenir responsables et le gouvernement à rendre publiques les règles de droit, et qui constitue un fondement essentiel de la primauté du droit.  La multiplicité des règlements est un motif qui permet de créer une exception limitée à la règle selon laquelle l’ignorance de la loi n’est pas une excuse.  [par. 25]

[124]                      Le juge en chef Lamer a expliqué ainsi les différences entre l’erreur provoquée par une personne en autorité et la diligence raisonnable :

                    Bien que la diligence raisonnable exercée pour vérifier le droit ne constitue pas une excuse, le fondement raisonnable sur un avis officiel qui est erroné excusera l’accusé mais, à mon avis, n’écartera pas la culpabilité.  Il existe deux distinctions importantes entre ces dispositions connexes. Premièrement, la diligence raisonnable dans des circonstances appropriées constitue un moyen de défense complet.  S’il est soulevé avec succès, les éléments de l’infraction ne sont pas complétés.  Par ailleurs, l’erreur provoquée par une personne en autorité n’écarte pas la culpabilité.  Elle fonctionne plutôt comme la provocation policière, c’est‑à‑dire comme une excuse pour un accusé dont la culpabilité a été établie par le ministère public.  Deuxièmement, la diligence peut être nécessaire pour obtenir le conseil sur lequel est fondée l’erreur provoquée par une personne en autorité.  Il en est ainsi parce qu’un accusé qui cherche à se fonder sur cette excuse doit avoir évalué la possibilité d’illégalité de ses actions et s’être renseigné de façon raisonnable.  Toutefois, cette norme ne permet pas de convertir en diligence raisonnable l’erreur provoquée par une personne en autorité.  [Italiques ajoutés; par. 22.]

[125]                      Le juge en chef Lamer a énoncé six critères qui doivent être réunis pour que s’applique l’« excuse » qu’il a appelée erreur provoquée par une personne en autorité.  Dans l’arrêt Lévis, le juge LeBel a formellement souscrit à cette excuse comme moyen de défense, et il a décrit ces six critères de la manière suivante :

                    (1)     la présence d’une erreur de droit ou d’une erreur mixte de droit et de fait;

                    (2)     la considération par son auteur des conséquences juridiques de l’acte accompli;

                    (3)     le fait que l’avis obtenu provenait d’une personne compétente en la matière;

                    (4)     le caractère raisonnable de l’avis;

                    (5)     le caractère erroné de l’avis reçu;

                    (6)     l’accomplissement de l’acte sur la base de cet avis. [par. 26]

[126]                      Le juge LeBel a souligné que l’accusé a l’obligation d’établir non seulement que les renseignements qu’il a obtenus étaient objectivement raisonnables, mais également qu’il était raisonnable de se fier sur ceux-ci.  La question de savoir s’il était raisonnable de se fier à ces renseignements doit être décidée en fonction de facteurs tels les suivants :

                    . . . les efforts faits par le prévenu pour se renseigner, la clarté ou l’obscurité du texte de la loi, le poste et le rôle du fonctionnaire qui a fourni le renseignement ou l’opinion, ainsi que la précision, la fermeté et le caractère raisonnable de ceux‑ci . . .  [par. 27]

[127]                      Jusqu’à maintenant, la défense fondée sur l’erreur provoquée par une personne en autorité n’a été invoquée que dans des cas où la personne en autorité a concrètement fourni des renseignements erronés à l’accusé.  Autrement dit, on a considéré que ce moyen de défense exigeait une conduite de nature active de la part de la personne en autorité.  À mon avis toutefois, aucun principe ne justifie d’exclure une conduite de nature plus passive, par exemple le silence d’une personne en autorité.  En effet, dans certaines circonstances, un tel silence pourrait raisonnablement être interprété comme une approbation ou une « incitation ».  C’est particulièrement le cas si le silence survient dans le contexte d’activités réglementées requérant manifestement célérité.  Punir une entité réglementée qui avait besoin d’une réponse en temps utile de la part de l’organisme de réglementation et qui, raisonnablement, s’est fiée au silence de ce dernier, a pour effet de perpétuer l’injustice même qui est à l’origine de la reconnaissance de moyens de défense opposables aux infractions de responsabilité stricte : les déclarations de culpabilité prononcées contre des personnes moralement innocentes.

[128]                      Les six éléments de la défense fondée sur l’erreur provoquée par une personne en autorité reposent sur le principe général selon lequel un individu ne doit pas être déclaré coupable lorsque la conduite d’une personne en autorité l’a amené à se fonder sur une interprétation raisonnable, mais incorrecte, du droit applicable.  L’analyse correspondante dans les cas où l’accusé s’est appuyé sur le silence d’une personne en autorité consiste à se demander si ce silence a eu pour effet d’amener l’accusé à se fonder sur une interprétation raisonnable, mais incorrecte, du droit applicable.  Pour paraphraser le juge LeBel dans Lévis, il sera nécessaire de démontrer non seulement que l’« avis » inféré du silence était raisonnable, mais aussi qu’il était raisonnable de s’y fier dans les circonstances.

[129]                      Par conséquent, lorsque le tribunal apprécie la conduite passive d’une personne en autorité, il doit se demander si une personne raisonnable se trouvant dans la situation de l’accusé se serait attendue à ce que la personne en autorité l’informe en temps utile que son interprétation de la loi était incorrecte.  Les responsabilités exercées par la personne en autorité ainsi que le domaine et la complexité du règlement en litige devront être examinés, tout comme la mesure dans laquelle l’accusé pouvait raisonnablement s’attendre à recevoir en temps utile une réponse lui permettant d’exercer ses activités.  Si une entité chargée de la supervision d’un secteur réglementé omet de manière inexplicable de réagir relativement promptement à une affirmation erronée de l’accusé, elle partage la « responsabilité » à l’égard de l’ignorance de la loi de l’accusé (Jorgensen, par. 36).  En pareilles circonstances, il me semble particulièrement malvenu pour ce même organisme de réglementation de porter des accusations contre une personne qui s’est raisonnablement fondée sur son silence.

[130]                      Cela nous amène aux faits de la présente espèce.  L’Autorité des marchés financiers (« AMF ») est l’organisme de réglementation chargé de superviser le secteur financier au Québec et de régir les activités des personnes exploitant une entreprise dans ce secteur.  Suivant le par. 4(3) de la Loi sur l’Autorité des marchés financiers, L.R.Q., ch. A‑33.2, l’AMF est chargée des responsabilités suivantes :

                    . . . assurer l’encadrement des activités de distribution de produits et services financiers en administrant en outre les règles d’admissibilité et d’exercice de ces activités et en prenant toute mesure prévue à la loi à ces fins;

Elle doit également

                    veiller à ce que les institutions financières et autres intervenants du secteur financier [. . .] se conforment aux obligations que la loi leur impose en vue de protéger les intérêts des consommateurs de produits et utilisateurs de services financiers et prendre toute mesure prévue à la loi à ces fins; [par. 4(2)]

En outre,

                    [l]’Autorité agit également à titre de centre de renseignements et de référence dans tous les domaines du secteur financier.  [art. 7]

L’AMF est donc l’organisme expert en ce qui concerne les textes de loi qui régissent le secteur financier, notamment la Loi sur la distribution de produits et services financiers, et qu’elle est chargée d’administrer.  Elle est également la ressource désignée pour fournir l’information au sujet du secteur financier qu’elle régit, un environnement assujetti à une réglementation singulièrement complexe.

[131]                      Société d’assurance basée en Alberta et inscrite auprès de l’AMF à titre d’assureur au Québec, La Souveraine délivre des certificats d’assurance par l’entremise de courtiers, dont l’un était Flanders Insurance Management and Administrative Services Ltd.  Elle avait recours aux services de Flanders pour assurer des inventaires de produits récréatifs.  Ces produits, qui étaient financés par GE Financement commercial aux détaillants Canada (« GE ») dans le cadre de ce qu’on appelle un « financement de stocks », étaient distribués à 56 concessionnaires au Québec.

[132]                      La chronologie des événements est un élément essentiel pour bien comprendre la présente espèce.  Lorsque Flanders a commencé à agir comme courtier à l’égard des inventaires de GE, l’ancien courtier, Hayhurst Elias Dudek Inc., a déposé auprès des autorités de réglementation de chaque province des plaintes reprochant à Flanders d’avoir contrevenu à leur régime législatif respectif.  Dans la plainte datée du 1er novembre 2004 qu’il a adressée à l’AMF, l’ancien courtier prétendait que Flanders agissait à titre de courtier en assurance au Québec sans détenir de permis, en contravention de l’art. 71 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers.

[133]                      Le 28 avril 2005, par suite de la plainte à l’AMF, le directeur adjoint des enquêtes de cette dernière a écrit à La Souveraine pour lui demander des documents et des renseignements au sujet de l’assurance « financement de stocks » qu’elle offrait au Québec par l’entremise de Flanders.  Il a également enjoint à La Souveraine d’envoyer les documents à l’enquêteur responsable du dossier.

[134]                      Le 10 juin, La Souveraine a envoyé les documents demandés à l’enquêteur.  Dans une lettre d’accompagnement, elle décrivait en détail ses rapports commerciaux avec Flanders au Québec.  En particulier, elle affirmait que selon elle l’absence de permis ne causait aucun problème, opinion qui, comme l’a constaté le juge du procès, était appuyée par un avis juridique qu’avait obtenu La Souveraine des avocats de Flanders :

                    [traduction] Comme GE‑FCD est le client de Flanders et que son siège social se trouve en Ontario, il n’existe aucun problème de permis.

. . .

                    Nous savons qu’un ancien courtier [. . .] a décidé de porter plainte contre Flanders dans toutes les provinces du pays.  Nous croyons que, à ce jour, la plupart des provinces, sinon toutes, ont accueilli favorablement la réponse qu’a donnée Flanders par l’entremise de ses avocats.

                    Nous espérons que les renseignements fournis sauront répondre à vos besoins.  Si vous avez d’autres questions ou désirez obtenir des précisions supplémentaires, n’hésitez pas à communiquer avec le soussigné.  [d.a., vol. X, p. 15‑16]

[135]                      L’AMF n’a pas répondu.  Le 25 août, Flanders a renouvelé les certificats d’assurance des 56 concessionnaires québécois.

[136]                      En janvier 2006, l’AMF a déposé 56 accusations contre La Souveraine à l’égard des renouvellements survenus à la fin du mois d’août.  Chacune des accusations reprochait l’infraction d’avoir « consenti et/ou autorisé » une entité non inscrite à délivrer une police d’assurance au Québec.  La peine minimale était de 10 000 $ pour chaque accusation.

[137]                      Je vois dans ces faits tous les éléments requis pour l’application de la défense d’erreur provoquée par une personne en autorité.  La Souveraine a pris des mesures raisonnables pour s’assurer qu’elle ne contrevenait pas à la loi.  Elle a fondé sa conduite sur un avis juridique des avocats de Flanders, avis qu’elle pouvait raisonnablement considérer comme fiable, non seulement parce qu’il est permis de supposer que les conseils donnés par un avocat sont exacts, mais aussi parce que cet avis avait été accepté par les autres organismes provinciaux de réglementation.  La Souveraine était justifiée de penser que, du fait que Flanders est une société d’envergure nationale, les avocats de cette dernière font les démarches nécessaires pour veiller au respect de la réglementation applicable dans chaque province.  Le ressort dans lequel était établi le cabinet d’avocats en question n’est pas pertinent.

[138]                      Le contexte juridique était loin d’être facile à déterminer.  L’AMF est chargée de réglementer un secteur financier très complexe et d’agir comme source de renseignements à cet égard.  Elle a l’obligation de s’acquitter avec diligence du rôle qui lui est conféré par la loi.  La plupart des entités qu’elle réglemente ont besoin d’obtenir l’information requise en temps utile afin de pouvoir exercer leurs activités.  C’est certainement vrai dans le domaine des assurances, où les conséquences découlant de l’absence de couverture peuvent être catastrophiques.  La Souveraine a exposé son interprétation des exigences légales pertinentes, ainsi que les fondements de cette interprétation, dans une lettre rédigée en termes non ambigus qu’elle a adressée à l’enquêteur responsable du dossier.  Malgré cela, au lieu de répondre à la lettre de La Souveraine, l’AMF a plutôt déposé 56 accusations contre celle‑ci 7 mois plus tard.  Comme l’a souligné le juge Cournoyer (2012 QCCA 13, [2012] R.J.Q. 111) :

                    . . . l’AMF agit à titre de centre de renseignements et de référence dans tous les domaines du secteur financier au sens de sa loi constitutive.  Il n’est pas surprenant que les dirigeants de l’intimée [La Souveraine] aient cru que l’AMF répondrait à leurs questions.  On peut même penser que cela aurait pu éviter la commission des infractions en l’espèce.  [par. 249]

L’observation suivante du juge en chef Lamer dans Jorgensen est particulièrement à propos dans les circonstances : « Comme dans le cas de la provocation policière [. . .] l’État a eu une conduite qui l’empêche d’obtenir une déclaration de culpabilité » (par. 37).

[139]                      De plus, il convient de rappeler que la « clarté ou l’obscurité » du texte de loi est un facteur à considérer pour décider s’il est raisonnable de se fonder sur les renseignements provenant d’une personne en autorité (Lévis, par. 27).  La question de droit en litige dans le présent pourvoi était incontestablement complexe.  Comme le précise le juge Wagner, l’organisme de réglementation lui‑même éprouvait beaucoup de difficulté à déterminer si la loi était enfreinte.  En fait, l’interprétation que La Souveraine a dit faire du droit applicable de la loi ne comportait aucun élément manifestement déraisonnable au point d’inciter l’enquêteur responsable du dossier à lui répondre pour corriger cette interprétation.

[140]                      Dans ces circonstances, il me semble qu’il était raisonnable pour La Souveraine de considérer la conduite de l’AMF — en l’occurrence son silence — comme une confirmation que l’interprétation qu’elle faisait du droit applicable était exacte, et comme une invitation à agir sur la foi de cette interprétation et à permettre à Flanders de renouveler la couverture des 56 concessionnaires.  Si l’AMF avait répondu d’une quelconque façon, et en temps utile de surcroît, La Souveraine aurait pu se conformer à la loi.  Comme l’a affirmé le juge Martin en Cour supérieure (2009 QCCS 4494 (CanLII)) :

                    [traduction]  [L’organisme de réglementation] ne doit pas donner l’impression qu’il se cache dans les buissons, prêt à bondir, si l’on peut dire, dès qu’il est convaincu que des infractions ont été commises. [par. 12]

[141]                      J’accueillerais le pourvoi et ordonnerais l’arrêt des procédures.

                    Pourvoi rejeté avec dépens, les juges LeBel et Fish sont dissidents en partie et la juge Abella est dissidente.

                    Procureurs de l’appelante : Robinson Sheppard Shapiro, Montréal.

                    Procureurs de l’intimée : Girard et al., Québec; Lepage Carette, Montréal.

 

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