COUR SUPRÊME DU CANADA
Référence : Cinar Corporation c. Robinson, 2013 CSC 73, [2013] 3 R.C.S. 1168 |
Date : 20131223 Dossier : 34466, 34467, 34468, 34469 |
Entre :
Cinar Corporation et Les Films Cinar inc.
Appelantes
et
Claude Robinson et Les Productions Nilem inc.
Intimés
- et -
France Animation S.A., Christophe Izard, Ravensburger Film + TV GmbH, RTV Family Entertainment AG, Christian Davin, Ronald A. Weinberg, Ronald A. Weinberg, ès qualités d’unique liquidateur de la succession de feu Micheline Charest, BBC Worldwide Television, Theresa Plummer-Andrews, Hélène Charest, McRaw Holdings Inc.,
Videal Gesellschaft Zur Hertellung Von Audiovisuellen Produkten MHB,
3918203 Canada Inc. et Music Canada
Intervenants
Et entre :
Ronald A. Weinberg et
Ronald A. Weinberg, ès qualités d’unique liquidateur
de la succession de feu Micheline Charest
Appelants
et
Claude Robinson et Les Productions Nilem inc.
Intimés
- et -
Christophe Izard, France Animation S.A., Ravensburger Film + TV GmbH, RTV Family Entertainment AG, Cinar Corporation, Les Films Cinar inc., Christian Davin, BBC Worldwide Television, Theresa Plummer-Andrews, Hélène Charest, McRaw Holdings Inc.,
Videal Gesellschaft Zur Hertellung Von Audiovisuellen Produkten MHB,
3918203 Canada Inc. et Music Canada
Intervenants
Et entre :
Christophe Izard, France Animation S.A.,
Ravensburger Film + TV GmbH et RTV Family Entertainment AG
Appelants
et
Claude Robinson et Les Productions Nilem inc.
Intimés
- et -
Les Films Cinar inc., Cinar Corporation, Ronald A. Weinberg,
Ronald A. Weinberg, ès qualités d’unique liquidateur
de la succession de feu Micheline Charest et Music Canada
Intervenants
Et entre :
Claude Robinson et Les Productions Nilem inc.
Appelants
et
France Animation S.A., Ravensburger Film + TV GmbH, Videal Gesellschaft Zur Hertellung Von Audiovisuellen Produkten MHB, RTV Family Entertainment AG, Christian Davin, Christophe Izard, Les Films Cinar inc., Cinar Corporation, 3918203 Canada Inc., Ronald A. Weinberg et Ronald A. Weinberg, ès qualités d’unique liquidateur de la succession de feu Micheline Charest
Intimés
- et -
Music Canada
Intervenante
Traduction française officielle
Coram : La juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Fish, Abella, Rothstein, Cromwell et Moldaver
Motifs de jugement : (par. 1 à 152) |
La juge en chef McLachlin (avec l’accord des juges LeBel, Fish, Abella, Rothstein, Cromwell et Moldaver) |
Cinar Corporation c. Robinson, 2013 CSC 73, [2013] 3 R.C.S. 1168
Cinar Corporation et Les Films Cinar inc. Appelantes
c.
Claude Robinson et Les Productions Nilem inc. Intimés
et
France Animation S.A., Christophe Izard,
Ravensburger Film + TV GmbH,
RTV Family Entertainment AG,
Christian Davin, Ronald A. Weinberg,
Ronald A. Weinberg, ès qualités d’unique liquidateur
de la succession de feu Micheline Charest,
BBC Worldwide Television, Theresa Plummer‑Andrews,
Hélène Charest, McRaw Holdings Inc.,
Videal Gesellschaft Zur Hertellung Von Audiovisuellen
Produkten MHB, 3918203 Canada Inc. et Music Canada Intervenants
‑ et ‑
Ronald A. Weinberg et Ronald A. Weinberg,
ès qualités d’unique liquidateur de la succession
de feu Micheline Charest Appelants
c.
Claude Robinson et Les Productions Nilem inc. Intimés
et
Christophe Izard, France Animation S.A.,
Ravensburger Film + TV GmbH,
RTV Family Entertainment AG,
Cinar Corporation, Les Films Cinar inc.,
Christian Davin, BBC Worldwide Television,
Theresa Plummer‑Andrews,
Hélène Charest, McRaw Holdings Inc.,
Videal Gesellschaft Zur Hertellung Von Audiovisuellen
Produkten MHB, 3918203 Canada Inc. et Music Canada Intervenants
‑ et ‑
Christophe Izard, France Animation S.A.,
Ravensburger Film + TV GmbH et
RTV Family Entertainment AG Appelants
c.
Claude Robinson et Les Productions Nilem inc. Intimés
et
Les Films Cinar inc., Cinar Corporation, Ronald A. Weinberg,
Ronald A. Weinberg, ès qualités d’unique liquidateur
de la succession de feu Micheline Charest et Music Canada Intervenants
‑ et ‑
Claude Robinson et Les Productions Nilem inc. Appelants
c.
France Animation S.A., Ravensburger Film + TV GmbH,
Videal Gesellschaft Zur Hertellung Von Audiovisuellen Produkten MHB,
RTV Family Entertainment AG, Christian Davin, Christophe Izard,
Les Films Cinar inc., Cinar Corporation, 3918203 Canada Inc.,
Ronald A. Weinberg et Ronald A. Weinberg,
ès qualités d’unique liquidateur de la succession
de feu Micheline Charest Intimés
et
Music Canada Intervenante
Répertorié : Cinar Corporation c. Robinson
2013 CSC 73
Nos du greffe : 34466, 34467, 34468, 34469.
2013 : 13 février; 2013 : 23 décembre.
Présents : La juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Fish, Abella, Rothstein, Cromwell et Moldaver.
en appel de la cour d’appel du québec
Propriété intellectuelle — Droit d’auteur — Violation — Reproduction d’une partie importante d’une œuvre originale — Le juge de première instance a‑t‑il omis de suivre la démarche appropriée pour déterminer si une « partie importante » d’une œuvre avait été reproduite? — Le juge de première instance a‑t‑il omis d’accorder suffisamment de poids aux différences entre les œuvres en cause? — Le juge de première instance a‑t‑il commis une erreur en concluant que les éléments de l’œuvre originale sont protégés par la Loi sur le droit d’auteur? — Le juge de première instance a‑t‑il commis une erreur en se fondant sur une preuve d’expert inadmissible?
Propriété intellectuelle — Droit d’auteur — Violation — Dommages‑intérêts — Quantum — Restitution des profits — La Cour d’appel a‑t‑elle commis une erreur en modifiant l’évaluation des profits faite par le juge de première instance? — La responsabilité quant à la restitution des profits peut‑elle être solidaire? — Le plafond fixé dans la trilogie Andrews s’applique‑t‑il aux dommages‑intérêts non pécuniaires ne découlant pas d’un préjudice corporel? — La Cour d’appel a‑t‑elle commis une erreur en modifiant le montant des dommages‑intérêts punitifs établi par le juge de première instance? — Des dommages‑intérêts punitifs peuvent‑ils être octroyés sur une base solidaire? — Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. 1985, ch. C‑42, art. 35 — Code civil du Québec, L.Q. 1991, ch. 64, art. 1621 — Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q., ch. C‑12, art. 49.
R a passé des années à créer une série télévisée éducative pour enfants, Les aventures de Robinson Curiosité (« Curiosité »). Pour ce faire, il s’est inspiré du roman Robinson Crusoé de Daniel Defoe, ainsi que de son propre vécu. Il a créé des personnages, dessiné des croquis détaillés, élaboré des story‑boards, écrit des scénarios ainsi que des synopsis et conçu du matériel promotionnel pour son projet Curiosité.
De 1985 à 1987, R et son entreprise, Les Productions Nilem inc. (« Nilem »), ont entrepris plusieurs démarches dans le but de faire avancer le projet Curiosité. Ce faisant, R a donné une copie de l’œuvre Curiosité aux administrateurs et dirigeants de Corporation Cinar (« Cinar »), W et C. Pendant la même période, une présentation du projet Curiosité a été faite à I, un créateur français de séries télévisées pour enfants. Malgré les efforts de R et de ses partenaires, le projet n’a pas attiré d’investisseurs et a stagné.
R a mis son projet de côté, sans pour autant l’oublier. Le 8 septembre 1995, il a regardé à la télévision le premier épisode d’une nouvelle série pour enfants : Robinson Sucroë (« Sucroë »). Il a constaté avec stupéfaction que Sucroë était, à ses yeux, manifestement une copie de Curiosité. R a par la suite appris que plusieurs parties ayant eu accès au projet Curiosité, à savoir Cinar, W, C et I, avaient aussi participé à la production de Sucroë.
R et Nilem ont intenté une action pour violation du droit d’auteur contre Cinar, W, C et I de même que contre plusieurs coproducteurs et distributeurs de Sucroë.
Le juge de première instance a conclu que l’œuvre Curiosité de R était une œuvre originale protégée par le droit d’auteur, que les créateurs de Sucroë avaient copié Curiosité et que les caractéristiques reprises dans Sucroë constituaient une partie importante de Curiosité. Il a jugé que Cinar, W, C, I, France Animation S.A., Ravensburger Film + TV GmbH et RTV Family Entertainment AG (désignés collectivement les « appelants Cinar ») étaient responsables pour la violation du droit d’auteur. Il a également tenu D, le président‑directeur général de France Animation à l’époque pertinente, personnellement responsable de la violation. Enfin, le juge de première instance a conclu que Cinar, W et C étaient responsables sur le plan extracontractuel, envers R et Nilem, du manquement à leurs obligations de bonne foi et de loyauté.
Le juge de première instance a condamné les défendeurs à payer 5 224 293 $ solidairement à titre de dommages‑intérêts et d’honoraires extrajudiciaires. De ce montant, 607 489 $ ont été octroyés à titre de dommages‑intérêts compensatoires pour les pertes pécuniaires subies par R par suite de la violation du droit d’auteur, 1 716 804 $ pour la restitution des profits générés par suite de la contrefaçon, 400 000 $ pour le préjudice psychologique subi par R, 1 000 000 $ à titre de dommages‑intérêts punitifs et 1 500 000 $ à titre d’honoraires extrajudiciaires.
La Cour d’appel a confirmé les conclusions du juge de première instance sur la violation du droit d’auteur. Elle a également confirmé ses conclusions sur la responsabilité personnelle à l’égard de la violation du droit d’auteur, sauf en ce qui concerne D, contre qui, à son avis, la preuve était insuffisante.
La Cour d’appel a confirmé l’octroi par le juge de première instance de dommages‑intérêts compensatoires pour les pertes pécuniaires subies par R, sous réserve d’une correction mathématique mineure. Elle a rejeté l’ordonnance du juge de première instance selon laquelle W, C et I étaient tenus de restituer les profits parce que ce sont des sociétés qui les avaient réalisés, et elle a ordonné la restitution des profits en question sur une base conjointe plutôt que solidaire. La Cour d’appel a aussi exclu des sommes qui avaient été incluses à tort par le juge de première instance dans le calcul des profits, réduisant ainsi le montant des profits à restituer.
La Cour d’appel a conclu que le plafond fixé dans la trilogie Andrews s’appliquait à l’octroi de dommages‑intérêts pour le préjudice psychologique subi et a réduit ces derniers à 121 350 $, ce qui représente 50 p. 100 du plafond à la date de l’assignation.
En outre, la Cour d’appel a réduit les dommages‑intérêts punitifs de 1 000 000 $ à 250 000 $ au motif que les dommages‑intérêts punitifs au Québec doivent être octroyés avec modération. Elle a conclu que ces dommages‑intérêts ne pouvaient être octroyés sur une base solidaire. Enfin, elle a condamné Cinar à verser 100 000 $ en dommages‑intérêts punitifs, puis W, C et I à en verser 50 000 $ chacun. Elle a aussi confirmé la décision du juge de première instance d’accorder 1 500 000 $ en honoraires extrajudiciaires, mais a refusé d’en accorder pour l’appel.
Quatre appels ont été interjetés contre la décision de la Cour d’appel (dans les dossiers 34466, 34467, 34468 et 34469). Les appelants Cinar contestent la conclusion de responsabilité pour la violation du droit d’auteur (dans les dossiers 34466, 34467 et 34468). R et Nilem interjettent appel de la décision de la Cour d’appel quant à la réduction des dommages‑intérêts et la restitution des profits (dans le dossier 34469).
Arrêt : Les pourvois interjetés dans les dossiers 34466, 34467 et 34468 sont rejetés, et le pourvoi dans le dossier 34469 est accueilli en partie.
La nécessité d’établir un juste équilibre entre, d’une part, la protection du talent et du jugement qu’ont exercés les auteurs dans l’expression de leurs idées et, d’autre part, le fait de laisser des idées et des éléments relever du domaine public afin que tous puissent s’en inspirer forme le contexte en fonction duquel il faut examiner les arguments des parties.
En l’espèce, le juge de première instance a conclu que les appelants Cinar avaient reproduit un certain nombre de caractéristiques de l’œuvre Curiosité de R, et que, prises dans leur ensemble, les caractéristiques reproduites constituaient une partie importante de l’œuvre de R. Les appelants Cinar prétendent qu’au lieu d’employer une démarche globale, le juge aurait dû adopter une démarche en trois étapes l’obligeant (1) à déterminer quels éléments de Curiosité sont « originaux », au sens de la Loi sur le droit d’auteur; (2) à exclure les caractéristiques de l’œuvre de R qui ne peuvent être protégées (comme les idées, les éléments qui relèvent du domaine public et les éléments génériques qui se retrouvent couramment dans les séries télévisées pour enfants); et (3) à comparer Sucroë avec ce qui serait resté de Curiosité après ce processus d’élimination puis à juger si une partie importante de cette dernière avait été reproduite.
En général, il importe de ne pas analyser l’importance des caractéristiques reproduites en les examinant chacune isolément. Si elle était retenue, l’approche proposée par les appelants Cinar risquerait de mener à la dissection de l’œuvre de R en ses éléments constitutifs. L’« abstraction » qui consisterait à réduire l’œuvre de R à l’essence même de ce qui la rend originale et l’exclusion des éléments non susceptibles d’être protégés dès le début de l’analyse aurait pour effet d’empêcher le juge d’effectuer une évaluation réellement globale. Cette approche mettrait indûment l’accent sur la question de savoir si chacune des parties de l’œuvre de R, prise individuellement, est originale et protégée par la législation sur le droit d’auteur. Il faut plutôt examiner l’effet cumulatif des caractéristiques reproduites de l’œuvre afin de décider si elles constituent une partie importante du talent et du jugement dont a fait preuve R dans l’ensemble de son œuvre. Le juge de première instance n’a donc pas commis d’erreur en omettant de suivre la démarche en trois étapes préconisée par les appelants Cinar.
De même, le juge de première instance n’a pas commis d’erreur en procédant à une évaluation qualitative et globale des similitudes entre les œuvres en tenant compte des ressemblances et des différences pertinentes. Pour décider si une partie importante de l’œuvre a été reproduite, il faut s’attacher à déterminer si les caractéristiques reprises constituent une partie importante de l’œuvre du demandeur, et non de celle du défendeur. Le fait de modifier certaines caractéristiques reproduites ou de les intégrer dans une œuvre qui est considérablement différente de celle du demandeur n’a pas nécessairement pour effet d’écarter la prétention selon laquelle une partie importante d’une œuvre a été reproduite.
En fait, les appelants Cinar contestent essentiellement des conclusions mixtes de fait et de droit que le juge de première instance a tirées dans ses motifs. Ils invitent la Cour à procéder à une nouvelle évaluation des caractéristiques reproduites de Curiosité. Cependant, ils n’ont pas prouvé que les conclusions du juge de première instance relatives à l’importance de la partie reproduite de l’œuvre sont entachées d’erreurs manifestes ou dominantes.
Les appelants Cinar soutiennent également que le juge de première instance a fondé la majeure partie de ses conclusions relatives à la reproduction d’une partie importante de l’œuvre sur le témoignage inadmissible d’un expert. Pour que la preuve d’expert soit admise au procès, elle doit a) être pertinente; b) se révéler nécessaire pour aider le juge des faits; c) ne pas contrevenir à une règle d’exclusion; et d) être présentée par un expert suffisamment qualifié. Ces critères s’appliquent tant aux procès pour violation du droit d’auteur qu’aux autres affaires de propriété intellectuelle.
Les appelants Cinar soutiennent que, en l’espèce, il n’a pas été satisfait au deuxième critère — la nécessité de la preuve. Selon eux, la preuve d’expert n’était pas nécessaire pour aider la cour parce que la question de savoir si une partie importante d’une œuvre a été reproduite doit être évaluée du point de vue du profane faisant partie de l’auditoire visé par les œuvres en question.
Il est utile de connaître le point de vue du profane faisant partie de l’auditoire visé par les œuvres en question. La connaissance de ce point de vue présente un avantage, soit que l’analyse des similitudes demeure concrète et fondée sur les œuvres elles‑mêmes plutôt que sur des théories ésotériques à propos des œuvres. Cependant, la question reste celle de savoir si une partie importante de l’œuvre du demandeur a été reproduite et il faut répondre à cette question du point de vue d’une personne dont le jugement et les connaissances lui permettent d’évaluer et d’apprécier pleinement tous les aspects pertinents — apparents ou latents — des œuvres en question. Dans certains cas, il peut être nécessaire de ne pas s’en tenir au point de vue d’un profane faisant partie de l’auditoire visé par l’œuvre et de demander à un expert d’éclairer le juge de première instance de manière à ce que celui‑ci soit en mesure de poser sur les œuvres le regard d’une personne raisonnablement versée dans l’art ou la technologie en cause. En l’espèce, il a été satisfait au critère de nécessité du test applicable pour juger de l’admissibilité d’un témoignage d’expert.
En ce qui concerne les dommages‑intérêts, R et Nilem demandent notamment le rétablissement de la restitution des profits ordonnée par le juge de première instance. Relativement aux profits provenant de la trame sonore de Sucroë, ils prétendent qu’il existe un lien de causalité entre la contrefaçon et ces profits, et que le juge de première instance a donc inclus ceux‑ci à bon droit dans la restitution accordée. La répartition des profits entre les composantes d’une œuvre qui violent le droit d’auteur et celles qui ne le violent pas est essentiellement une décision factuelle qui relève du pouvoir discrétionnaire du tribunal. La cour d’appel ne peut modifier les conclusions du juge de première instance sur la répartition des profits que si ce dernier a commis une erreur de droit ou une erreur de fait manifeste et dominante. Le juge de première instance n’a pas commis une erreur susceptible de révision en concluant qu’il était inopportun de répartir les profits attribuables à la trame sonore en considérant celle‑ci comme une composante de l’œuvre ne violant pas le droit d’auteur. La Cour d’appel a donc commis une erreur en modifiant la conclusion du juge de première instance à cet égard.
Quant au fait que le juge de première instance a qualifié de revenu la somme versée par Ravensburger Film + TV GmbH à France Animation S.A., la Cour d’appel a eu raison d’affirmer qu’il s’agit là d’une erreur manifeste et dominante et que cette somme devrait être soustraite des revenus pris en considération dans le calcul des profits générés par Sucroë. Toutefois, le juge de première instance n’a pas commis d’erreur en qualifiant de revenu la somme due par Cinar à une société de personnes nommée Jaffa Road, et il n’y a pas lieu de soustraire cette somme à titre de dépense du calcul des profits provenant de Sucroë.
S’agissant de la responsabilité relativement à la restitution des profits sous le régime de la Loi sur le droit d’auteur, la Cour d’appel a conclu à bon droit que le juge de première instance avait commis une erreur en condamnant tous les contrefacteurs à restituer solidairement les profits. L’article 35 de la Loi sur le droit d’auteur offre deux remèdes pour la violation du droit d’auteur : des dommages‑intérêts pour les pertes subies par le demandeur et la restitution des profits réalisés par le défendeur. La raison d’être de cette restitution n’est pas d’indemniser le demandeur et elle n’est pas assujettie aux principes qui régissent les dommages‑intérêts généraux octroyés en vertu du droit québécois de la responsabilité extracontractuelle, qui visent un but compensatoire. La restitution des profits prévue à l’art. 35 de la Loi sur le droit d’auteur se limite à ce qui est nécessaire pour empêcher chaque défendeur de conserver des gains illicites. On ne saurait donc tenir un défendeur responsable des gains des codéfendeurs en lui imposant l’obligation de restituer solidairement les profits. Pour les mêmes raisons, W, C et I ne sont pas personnellement dans l’obligation de restituer les profits. En outre, il y a lieu de maintenir la répartition fixée par la Cour d’appel quant à la restitution des profits.
En ce qui concerne les dommages‑intérêts non pécuniaires, et plus particulièrement la question de savoir s’il convient d’appliquer le plafond fixé dans la trilogie Andrews en l’espèce, il est conclu qu’il n’y a pas lieu d’étendre l’application de ce plafond au‑delà des dommages‑intérêts non pécuniaires découlant d’un préjudice corporel. De plus, on ne peut pas dire que le préjudice non pécuniaire subi par R découle d’un préjudice corporel au sens de l’art. 1607 du Code civil du Québec. Il convient davantage de qualifier les souffrances psychologiques subies par R de préjudice non pécuniaire découlant d’un préjudice matériel. De fait, la violation du droit d’auteur constituait une violation des droits de propriété de R. C’est la violation initiale, plutôt que les conséquences de cette violation, qui sert de fondement pour décider du type de préjudice subi. La Cour d’appel a donc commis une erreur en appliquant le plafond fixé dans la trilogie Andrews en l’espèce.
Lorsqu’il s’agit de déterminer le montant des dommages‑intérêts à accorder pour le préjudice subi en l’espèce, le juge de première instance a eu raison d’affirmer que le préjudice non pécuniaire de R est semblable à celui invoqué par une victime de diffamation. Le juge de première instance a eu l’occasion d’observer R en salle d’audience sur une longue période et il était bien placé pour procéder à une évaluation personnalisée de son préjudice non pécuniaire. Il n’a commis aucune erreur manifeste et dominante dans son évaluation des dommages‑intérêts non pécuniaires.
En ce qui concerne les dommages‑intérêts punitifs, ils ne peuvent être attribués sur une base solidaire. La Cour a reconnu l’autonomie du régime de dommages‑intérêts punitifs de la Charte par rapport au régime de responsabilité civile extracontractuelle établi dans le Code civil du Québec. L’article 1526 du Code civil du Québec s’applique à la faute extracontractuelle qui entraîne un préjudice et ne peut servir de fondement à la solidarité des dommages‑intérêts punitifs attribués en vertu de la Charte. De plus, l’attribution des dommages‑intérêts sur une base solidaire serait incompatible avec les principes énoncés à l’art. 1621 du Code civil du Québec, qui impose expressément la prise en compte des objectifs des dommages‑intérêts punitifs — la prévention, la dissuasion (particulière et générale) et la dénonciation des actes qui sont particulièrement répréhensibles dans l’opinion de la justice. Les objectifs des dommages‑intérêts punitifs et les facteurs pertinents pour les apprécier donnent à penser que ces dommages‑intérêts doivent être adaptés à chaque défendeur condamné à les payer, ce qui milite contre leur attribution sur une base solidaire.
Par ailleurs, la Cour d’appel a eu raison de réévaluer le montant des dommages‑intérêts punitifs, mais elle n’a pas accordé suffisamment d’importance à la gravité du comportement en l’espèce. En effet, Cinar, W, C et I ont constamment nié avoir eu accès à l’œuvre de R et décrié avec mépris les allégations de R selon lesquelles ils avaient reproduit son œuvre. Les conséquences de ce comportement pour R sont tout aussi graves. Ce dernier a non seulement été privé d’une source de revenus, mais aussi de son sentiment de paternité et de contrôle sur un projet auquel il attribuait une valeur presque indicible. Cela dit, les dommages‑intérêts punitifs doivent être accordés avec retenue. L’article 1621 du Code civil du Québec prévoit expressément que les dommages‑intérêts punitifs « ne peuvent excéder, en valeur, ce qui est suffisant pour assurer leur fonction préventive ». Le montant de 500 000 $ atteint un juste équilibre entre, d’une part, le principe de modération qui régit ces dommages‑intérêts et, d’autre part, la nécessité de décourager un comportement de cette gravité. La Cour d’appel a condamné Cinar à payer les deux cinquièmes des dommages‑intérêts punitifs, et W, C et I, à en payer un cinquième chacun, ce qui représente une répartition raisonnable dans les circonstances.
Jurisprudence
Distinction d’avec les arrêts : Andrews c. Grand & Toy Alberta Ltd., [1978] 2 R.C.S. 229; Thornton c. School District No. 57 (Prince George), [1978] 2 R.C.S. 267; Arnold c. Teno, [1978] 2 R.C.S. 287; arrêts mentionnés : Massie & Renwick Ltd. c. Underwriters’ Survey Bureau Ltd., [1940] R.C.S. 218; Théberge c. Galerie d’Art du Petit Champlain inc., 2002 CSC 34, [2002] 2 R.C.S. 336; Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Bell Canada, 2012 CSC 36, [2012] 2 R.C.S. 326; Entertainment Software Association c. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2012 CSC 34, [2012] 2 R.C.S. 231; Rogers Communications Inc. c. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2012 CSC 35, [2012] 2 R.C.S. 283; CCH Canadienne Ltée c. Barreau du Haut‑Canada, 2004 CSC 13, [2004] 1 R.C.S. 339; Ladbroke (Football), Ltd. c. William Hill (Football), Ltd., [1964] 1 All E.R. 465; Designers Guild Ltd. c. Russell Williams (Textiles) Ltd., [2001] 1 All E.R. 700; Nichols c. Universal Pictures Corporation, 45 F.2d 119 (1930); Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235; Baigent c. The Random House Group Ltd., [2007] EWCA Civ 247, [2007] F.S.R. 24; Delrina Corp. c. Triolet Systems Inc. (2002), 58 O.R. (3d) 339; Computer Associates International, Inc. c. Altai, Inc., 982 F.2d 693 (1992); Productions Avanti Ciné Vidéo inc. c. Favreau, [1999] R.J.Q. 1939, autorisation de pourvoi refusée, [2000] 1 R.C.S. xi; R. c. Mohan, [1994] 2 R.C.S. 9; Masterpiece Inc. c. Alavida Lifestyles Inc., 2011 CSC 27, [2011] 2 R.C.S. 387; Preston c. 20th Century Fox Canada Ltd. (1990), 33 C.P.R. (3d) 242, conf. par (1993), 53 C.P.R. (3d) 407; Arbique c. Gabriele, [1998] J.Q. no 3794 (QL), conf. par 2003 CanLII 16298; Mentmore Manufacturing Co. c. National Merchandising Manufacturing Co. (1978), 89 D.L.R. (3d) 195; Longpré c. Thériault, [1979] C.A. 258; Sheldon c. Metro‑Goldwyn Pictures Corporation, 106 F.2d 45 (1939); Wellcome Foundation Ltd. c. Apotex Inc., [2001] 2 C.F. 618; Lubrizol Corp. c. Compagnie Pétrolière Impériale Ltée, [1997] 2 C.F. 3; Monsanto Canada Inc. c. Schmeiser, 2004 CSC 34, [2004] 1 R.C.S. 902; Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l’hôpital St‑Ferdinand, [1996] 3 R.C.S. 211; Lindal c. Lindal, [1981] 2 R.C.S. 629; Hill c. Église de scientologie de Toronto, [1995] 2 R.C.S. 1130; Snyder c. Montreal Gazette Ltd., [1988] 1 R.C.S. 494; Schreiber c. Canada (Procureur général), 2002 CSC 62, [2002] 3 R.C.S. 269; Landry c. Audet, 2011 QCCA 535, [2011] R.J.Q. 570, autorisation d’appel refusée, [2011] 3 R.C.S. v; Gauthier c. Beaumont, [1998] 2 R.C.S. 3; Stations de la Vallée de Saint‑Sauveur inc. c. M.A., 2010 QCCA 1509, [2010] R.J.Q. 1872; Société Radio‑Canada c. Gilles E. Néron Communication Marketing inc., [2002] R.J.Q. 2639, conf. par 2004 CSC 53, [2004] 3 R.C.S. 95; Construction Denis Desjardins inc. c. Jeanson, 2010 QCCA 1287, [2010] R.J.Q. 1600; Markarian c. Marchés mondiaux CIBC inc., 2006 QCCS 3314, [2006] R.J.Q. 2851; Genex Communications inc. c. Association québécoise de l’industrie du disque, du spectacle et de la vidéo, 2009 QCCA 2201, [2009] R.J.Q. 2743; Solomon c. Québec (Procureur général), 2008 QCCA 1832, [2008] R.J.Q. 2127; de Montigny c. Brossard (Succession), 2010 CSC 51, [2010] 3 R.C.S. 64; Richard c. Time Inc., 2012 CSC 8, [2012] 1 R.C.S. 265; Whiten c. Pilot Insurance Co., 2002 CSC 18, [2002] 1 R.C.S. 595.
Lois et règlements cités
Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q., ch. C‑12, art. 1, 4, 6, 49.
Code civil du Québec, L.Q. 1991, ch. 64, art. 1525, 1526, 1607, 1618, 1619, 1621, 2846, 2849.
Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. 1985, ch. C‑42, art. 2 « contrefaçon », 3, 5, 27(1), 34 [mod. 2012, ch. 20, art. 43], 34.1, 35.
Doctrine et autres documents cités
Baudouin, Jean‑Louis, et Patrice Deslauriers. La responsabilité civile, 7e éd., vol. I, Principes généraux. Cowansville, Qué. : Yvon Blais, 2007.
Baudouin, Jean‑Louis, et Pierre‑Gabriel Jobin. Les obligations, 7e éd. par Pierre‑Gabriel Jobin et Nathalie Vézina. Cowansville, Qué. : Yvon Blais, 2013.
Clermont, Benoît. « Les compilations et la Loi sur le droit d’auteur : leur protection et leur création » (2006), 18 C.P.I. 219.
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Tarantino, Bob. « “I’ve Got This Great Idea for a Show. . .” ― Copyright Protection for Television Show and Motion Picture Concepts and Proposals » (2004), 17 I.P.J. 189.
Vaver, David. Intellectual Property Law : Copyright, Patents, Trade‑marks, 2nd ed. Toronto : Irwin Law, 2011.
POURVOIS contre un arrêt de la Cour d’appel du Québec (les juges Thibault, Morin et Doyon), 2011 QCCA 1361, [2011] R.J.Q. 1415, 108 C.P.R. (4th) 165, [2011] J.Q. no 9469 (QL), 2011 CarswellQue 7652, SOQUIJ AZ‑50771854, qui a infirmé en partie une décision du juge Auclair, 2009 QCCS 3793, [2009] R.J.Q. 2261, 83 C.P.R. (4th) 1, [2009] R.R.A. 1135, [2009] J.Q. no 8395 (QL), 2009 CarswellQue 8380, SOQUIJ AZ‑50572488. Pourvois dans les dossiers 34466, 34467 et 34468 rejetés. Pourvoi dans le dossier 34469 accueilli en partie.
William Brock et Cara Cameron, pour les appelantes (34466)/intimées (34469) Cinar Corporation et Les Films Cinar inc. et pour l’intimée (34469) 3918203 Canada Inc.
Guy Régimbald, Normand Tamaro, Gilles M. Daigle et Marie‑Catherine Deschênes, pour les intimés (34466, 34467, 34468)/appelants (34469) Claude Robinson et Les Productions Nilem inc.
Pierre Y. Lefebvre et Alain Y. Dussault, pour les appelants (34468)/intimés (34469) Christophe Izard, France Animation S.A., Ravensburger Film + TV GmbH et RTV Family Entertainment AG et pour l’intimée (34469) Videal Gesellschaft Zur Hertellung Von Audiovisuellen Produkten MHB.
Guy J. Pratte, Daniel Urbas et Marc‑André Grou, pour l’intimé (34469) Christian Davin.
Raynold Langlois, c.r., Dimitri Maniatis, Jean‑Patrick Dallaire et Fabrice Vil, pour les appelants (34467)/intimés (34469) Ronald A. Weinberg et Ronald A. Weinberg, ès qualités d’unique liquidateur de la succession de feu Micheline Charest.
Barry B. Sookman et Daniel G. C. Glover, pour l’intervenante Music Canada.
Version française du jugement de la Cour rendu par
[1] La Juge en chef — La législation canadienne protège le droit exclusif des titulaires de droits d’auteur de reproduire leurs œuvres ou d’en autoriser la reproduction. Lorsqu’elle n’est pas autorisée, la reproduction d’une partie importante d’une œuvre originale constitue une violation du droit d’auteur donnant ouverture à l’exercice, par son titulaire, de divers recours. Pour trancher les présents pourvois, la Cour doit déterminer si une partie importante d’une œuvre a été reproduite, examiner le rôle de la preuve d’expert dans les affaires de violation du droit d’auteur et évaluer si le juge de première instance a commis des erreurs susceptibles de révision dans l’octroi des dommages‑intérêts.
[2] Je conclus que le droit d’auteur a été violé et je suis d’avis d’accorder des dommages‑intérêts compensatoires, la restitution des profits ainsi que des dommages‑intérêts punitifs.
I. Contexte
[3] Claude Robinson était un rêveur. Il a passé des années à créer minutieusement l’univers imaginaire d’une série télévisée éducative pour enfants, Les aventures de Robinson Curiosité (« Curiosité »). Pour ce faire, il s’est inspiré du roman Robinson Crusoé de Daniel Defoe, ainsi que de son propre vécu. Il a créé un personnage — Robinson Curiosité — qui habite sur une île tropicale et doit apprendre à interagir avec les autres habitants. À partir de 1982, M. Robinson a dessiné des croquis détaillés, élaboré des story-boards, écrit des scénarios ainsi que des synopsis et conçu du matériel promotionnel. En octobre 1985, le Bureau du droit d’auteur a délivré un certificat d’enregistrement l’identifiant comme l’auteur de Curiosité et Les Productions Nilem inc. (« Nilem ») — une société dont M. Robinson est le seul administrateur et actionnaire — comme la titulaire de l’œuvre littéraire.
[4] De 1985 à 1987, M. Robinson et Nilem ont entrepris plusieurs démarches dans le but de faire avancer le projet Curiosité. Il importe ici de signaler qu’en 1986, un des partenaires de production de M. Robinson, la société Pathonic International Inc. (« Pathonic »), a retenu les services de Corporation Cinar (« Cinar ») afin qu’elle agisse comme consultante pour la promotion du projet aux États‑Unis et qu’elle donne des conseils généraux sur la production. Les administrateurs et dirigeants de Cinar, Ronald Weinberg et feu Micheline Charest, ont commencé à participer au projet. M. Robinson leur a alors donné une copie de l’œuvre Curiosité. Au final, toutefois, les efforts déployés par Cinar en vue de trouver des partenaires financiers pour le projet aux États‑Unis n’ont rien donné.
[5] En 1987, M. Robinson s’est associé à la société Les Productions SDA ltée (« SDA ») pour produire l’émission télévisée. Nilem et SDA ont mis sur pied deux sociétés, Les Productions de l’Île Curieuse inc. et Les Entreprises de l’Île Curieuse inc., qui devaient servir d’intermédiaires pour la production.
[6] La même année, M. Robinson et SDA ont participé à Cannes, en France, à une foire destinée aux professionnels de l’industrie de la télévision. À cette occasion, ils auraient fait une présentation du projet Curiosité à Christophe Izard, un créateur français de séries télévisées pour enfants.
[7] Malgré les efforts de M. Robinson et de ses partenaires, le projet n’a pas attiré d’investisseurs et a stagné. Les Productions de l’Île Curieuse et Les Entreprises de l’Île Curieuse ont été dissoutes le 12 décembre 1990.
[8] Monsieur Robinson a mis son projet de côté, sans pour autant l’oublier. En 1995, il a étudié la possibilité de convertir Curiosité en un logiciel éducatif interactif pour enfants. Cette nouvelle initiative a toutefois été interrompue quand, le 8 septembre 1995, il a regardé à la télévision le premier épisode d’une nouvelle série pour enfants : Robinson Sucroë (« Sucroë »). Il a constaté avec stupéfaction que Sucroë était, à ses yeux, manifestement une copie de Curiosité.
[9] Selon M. Robinson, les personnages et l’environnement de Sucroë ressemblaient étrangement à son œuvre. À l’instar du protagoniste dans Curiosité, celui de Sucroë est barbu, inspiré du personnage de Robinson Crusoé et porte des lunettes ainsi qu’un chapeau de paille. De plus, dans les deux œuvres, le protagoniste habite sur une île et interagit avec d’autres personnages. Il y a toutefois des différences notables entre les œuvres. Plusieurs des comparses du protagoniste de Curiosité sont des animaux tandis que ceux du protagoniste de Sucroë sont principalement des humains. En outre, il y a des « méchants » dans Sucroë, en l’occurrence une bande de pirates maraudeurs, ce qui n’est pas le cas dans Curiosité.
[10] Monsieur Robinson a appris que plusieurs parties ayant eu accès au projet Curiosité, à savoir Cinar, M. Weinberg, Mme Charest et M. Izard, avaient aussi participé à la production de Sucroë. Il en a conclu que Sucroë était non pas une création indépendante, mais une reproduction de Curiosité. M. Robinson et Nilem ont intenté une action pour violation du droit d’auteur contre Cinar, M. Weinberg, Mme Charest et M. Izard de même que contre plusieurs coproducteurs et distributeurs de Sucroë. Ils ont aussi réclamé des dommages‑intérêts en application des règles de responsabilité extracontractuelle, alléguant que Cinar, M. Weinberg et Mme Charest avaient manqué à l’obligation de bonne foi et au devoir de loyauté que leur imposait le contrat de service qu’ils avaient conclu avec Pathonic et que, ce faisant, ils leur avaient sciemment causé un préjudice.
[11] Le procès a duré 83 jours et a donné lieu à la présentation d’un dossier de preuve volumineux. Après avoir entendu les dépositions de plus de 40 témoins et de 4 experts et avoir examiné de nombreux éléments de preuve documentaire et audiovisuelle, le juge de première instance a conclu que l’œuvre Curiosité de M. Robinson était une œuvre originale protégée par le droit d’auteur, que les créateurs de Sucroë avaient copié Curiosité et que les caractéristiques reprises dans Sucroë constituaient une partie importante de Curiosité. Il a jugé que Cinar, M. Weinberg, Mme Charest, M. Izard, France Animation S.A., Ravensburger Film + TV GmbH et RTV Family Entertainment AG (désignés collectivement les « appelants Cinar » dans les présents motifs) étaient responsables pour la violation du droit d’auteur. Il a également tenu Christian Davin, le président‑directeur général de France Animation à l’époque pertinente, personnellement responsable de la violation. Enfin, le juge de première instance a conclu que Cinar, M. Weinberg et Mme Charest étaient responsables sur le plan extracontractuel envers M. Robinson et Nilem en raison du manquement à leurs obligations de bonne foi et de loyauté : 2009 QCCS 3793, [2009] R.J.Q. 2261.
[12] Le juge de première instance a condamné les défendeurs à payer 5 224 293 $ solidairement à titre de dommages‑intérêts et d’honoraires extrajudiciaires. De ce montant, 607 489 $ ont été octroyés à titre de dommages‑intérêts compensatoires pour les pertes pécuniaires subies par M. Robinson par suite de la violation du droit d’auteur, 1 716 804 $ pour la restitution des profits générés par suite de la contrefaçon, 400 000 $ pour le préjudice psychologique subi par M. Robinson, 1 000 000 $ à titre de dommages‑intérêts punitifs et 1 500 000 $ à titre d’honoraires extrajudiciaires.
[13] La Cour d’appel a confirmé les conclusions du juge de première instance sur la violation du droit d’auteur. Elle a également confirmé ses conclusions sur la responsabilité personnelle à l’égard de la violation du droit d’auteur, sauf en ce qui concerne M. Davin, contre qui, à son avis, la preuve était insuffisante : 2011 QCCA 1361, [2011] R.J.Q. 1415.
[14] La Cour d’appel a confirmé l’octroi par le juge de première instance de dommages‑intérêts compensatoires pour les pertes pécuniaires subies par M. Robinson, sous réserve d’une correction mathématique mineure. Elle a rejeté l’ordonnance du juge de première instance selon laquelle M. Weinberg, Mme Charest et M. Izard étaient personnellement tenus de restituer les profits parce que ce sont des sociétés qui les avaient réalisés. La Cour d’appel a aussi ordonné la restitution des profits en question sur une base conjointe plutôt que solidaire. En outre, elle a exclu des sommes qui avaient été incluses à tort par le juge de première instance dans le calcul des profits, ce qui a réduit ainsi le montant des profits à restituer.
[15] La Cour d’appel a conclu que le plafond fixé dans la trilogie Andrews (Andrews c. Grand & Toy Alberta Ltd., [1978] 2 R.C.S. 229, Thornton c. School District No. 57 (Prince George), [1978] 2 R.C.S. 267, et Arnold c. Teno, [1978] 2 R.C.S. 287) s’appliquait à l’octroi de dommages‑intérêts pour le préjudice psychologique subi par M. Robinson et a réduit ces derniers à 121 350 $, ce qui représente 50 p. 100 du plafond à la date de l’assignation.
[16] La Cour d’appel a réduit les dommages‑intérêts punitifs de 1 000 000 $ à 250 000 $ au motif que les dommages‑intérêts punitifs au Québec doivent être octroyés avec modération. Elle a conclu que ces dommages‑intérêts ne pouvaient être octroyés sur une base solidaire. Enfin, elle a condamné Cinar à verser 100 000 $ en dommages‑intérêts punitifs, puis M. Weinberg, Mme Charest et M. Izard à en verser 50 000 $ chacun.
[17] La Cour d’appel a conclu que les intérêts et l’indemnité additionnelle (art. 1618 et 1619 du Code civil du Québec, L.Q. 1991, ch. 64 (« CcQ »)) devaient être calculés à partir du 16 juillet 1996 en ce qui concerne les dommages‑intérêts compensatoires, et à partir du 1er juillet 2001 pour la restitution des profits. Elle a aussi confirmé la décision du juge de première instance d’accorder 1 500 000 $ à titre d’honoraires extrajudiciaires, mais a refusé d’en accorder pour l’appel.
[18] Quatre pourvois ont été interjetés contre la décision de la Cour d’appel (dans les dossiers 34466, 34467, 34468 et 34469). Les appelants Cinar contestent la conclusion de responsabilité pour la violation du droit d’auteur. M. Robinson et Nilem interjettent appel de la décision de la Cour d’appel quant à la réduction des dommages‑intérêts et à la restitution des profits.
II. Questions en litige
[19] Les présents pourvois soulèvent un certain nombre de questions, que je vais examiner de la façon suivante :
A. La qualité de M. Robinson et de Nilem
B. La violation du droit d’auteur
C. La responsabilité personnelle de M. Weinberg, de Mme Charest et de M. Davin pour violation du droit d’auteur
D. La responsabilité extracontractuelle de Cinar, de M. Weinberg et de Mme Charest
E. La restitution des profits
F. Les dommages‑intérêts non pécuniaires
G. Les dommages‑intérêts punitifs
III. Analyse
A. La qualité de M. Robinson et de Nilem
[20] L’appelant Weinberg fait valoir que ni M. Robinson ni Nilem n’ont qualité pour intenter une action pour violation du droit d’auteur. Selon lui, M. Robinson a cédé tous ses droits sur Curiosité à Nilem, qui a ensuite cédé ces droits à la société Les Entreprises de l’Île Curieuse. Il prétend que, par suite de ces cessions, ni M. Robinson ni Nilem n’ont conservé de droits sur Curiosité.
[21] Il incombe à M. Weinberg de prouver la perte du droit d’auteur : art. 34.1 de la Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. 1985, ch. C‑42 (« Loi » ou « Loi sur le droit d’auteur ») (art. 34 au moment où la présente action a été intentée); Massie & Renwick Ltd. c. Underwriters’ Survey Bureau Ltd., [1940] R.C.S. 218, p. 233‑234. À mon avis, il ne s’est pas acquitté de ce fardeau de preuve. Au vu du dossier dont dispose la Cour, je suis d’avis de ne pas modifier la conclusion des cours d’instance inférieure selon laquelle M. Robinson et Nilem sont cotitulaires des droits relatifs à Curiosité. Je suis aussi d’accord avec leur conclusion selon laquelle les droits qui auraient été cédés par Nilem à la société Les Entreprises de l’Île Curieuse lui ont été rétrocédés. En effet, la convention d’actionnnaires conclue en 1987 qui prévoyait la cession par Nilem de ses droits à la société Les Entreprises de l’Île Curieuse comportait une clause résolutoire selon laquelle les droits seraient rétrocédés à Nilem si la Société Les Entreprises de l’Île Curieuse était dissoute. Or, cette dissolution a eu lieu le 12 décembre 1990.
[22] En conséquence, M. Robinson et Nilem ont qualité pour intenter leur recours.
B. La violation du droit d’auteur
(1) La portée de la protection conférée par la Loi sur le droit d’auteur
[23] La Loi sur le droit d’auteur établit « un équilibre entre, d’une part, la promotion, dans l’intérêt du public, de la création et de la diffusion des œuvres artistiques et intellectuelles et, d’autre part, l’obtention d’une juste récompense pour le créateur » : Théberge c. Galerie d’Art du Petit Champlain inc., 2002 CSC 34, [2002] 2 R.C.S. 336, par. 30; voir aussi Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Bell Canada, 2012 CSC 36, [2012] 2 R.C.S. 326, par. 8-11; Entertainment Software Association c. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2012 CSC 34, [2012] 2 R.C.S. 231, par. 7-8; Rogers Communications Inc. c. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2012 CSC 35, [2012] 2 R.C.S. 283, par. 40. Elle vise à faire en sorte que l’auteur tirera un avantage de ses efforts, dans le but de favoriser la création de nouvelles œuvres. Toutefois, elle ne donne pas à l’auteur le monopole sur les idées ou sur les éléments qui relèvent du domaine public et dont tous sont libres de s’inspirer. Par exemple, [traduction] « [l]es circonstances génériques relatées dans les ouvrages de fiction ou les ouvrages dramatiques peuvent être reprises — il s’agit d’une partie importante de la culture collective, et non d’une œuvre individuelle » : D. Vaver, Intellectual Property Law : Copyright, Patents, Trade-marks (2e éd. 2011), p. 182.
[24] La Loi protège toute œuvre littéraire, dramatique, musicale ou artistique originale (art. 5). Elle protège l’expression des idées dans ces œuvres, et non les idées comme telles : CCH Canadienne Ltée c. Barreau du Haut‑Canada, 2004 CSC 13, [2004] 1 R.C.S. 339, par. 8. Une œuvre originale est l’expression d’une idée qui résulte de l’exercice du talent et du jugement : CCH, par. 16. La violation du droit d’auteur consiste à s’approprier cette originalité sans autorisation.
[25] Cependant, la Loi ne protège pas chaque [traduction] « infime partie » de l’œuvre originale, « chaque petit détail qui, si on se l’approprie, ne risque pas d’avoir une incidence sur la valeur de l’œuvre dans son ensemble » : Vaver, p. 182. L’article 3 de la Loi sur le droit d’auteur confère en effet au titulaire du droit d’auteur le droit exclusif de reproduire « [une] œuvre [. . .] ou une partie importante de celle-ci ».
[26] Le concept de « partie importante » de l’œuvre est souple. Il s’agit d’une question de fait et de degré. [traduction] « La question de savoir si une partie est importante est qualitative plutôt que quantitative » : Ladbroke (Football), Ltd. c. William Hill (Football), Ltd., [1964] 1 All E.R. 465 (H.L.), p. 481, lord Pearce. On détermine ce qui constitue une partie importante en fonction de l’originalité de l’œuvre qui doit être protégée par la Loi sur le droit d’auteur. En règle générale, une partie importante d’une œuvre est une partie qui représente une part importante du talent et du jugement de l’auteur exprimés dans l’œuvre.
[27] Ce ne sont pas seulement les mots sur la page ou les coups de pinceau sur la toile qui peuvent constituer une partie importante d’une œuvre. La Loi protège les auteurs tant contre la reproduction littérale que contre la reproduction non littérale, pourvu que le matériel reproduit constitue une partie importante de l’œuvre contrefaite. Comme l’a affirmé la Chambre des lords :
[traduction] la « partie » jugée importante peut être une caractéristique ou une combinaison de caractéristiques de l’œuvre qui représentent l’œuvre d’un point de vue non littéral plutôt que d’en constituer une partie distincte. [. . .] [L]es éléments originaux de l’intrigue d’une pièce de théâtre ou d’un roman peuvent constituer une partie importante, de sorte qu’il est possible que le droit d’auteur soit violé par une œuvre qui ne reprend aucune phrase du texte original.
(Designers Guild Ltd. c. Russell Williams (Textiles) Ltd., [2001] 1 All E.R. 700, p. 706, lord Hoffmann; voir aussi Nichols c. Universal Pictures Corporation, 45 F.2d 119 (2d Cir. 1930), le juge Learned Hand.)
[28] La nécessité d’établir un juste équilibre entre, d’une part, la protection du talent et du jugement qu’ont exercés les auteurs dans l’expression de leurs idées et, d’autre part, le fait de laisser des idées et des éléments relever du domaine public afin que tous puissent s’en inspirer forme la trame de fond en fonction de laquelle il faut examiner les arguments des parties.
(2) La question litigieuse en appel
[29] Les appelants Cinar ne contestent plus certaines des conclusions du juge de première instance, à savoir que l’œuvre de M. Robinson dans son ensemble était originale, que plusieurs des appelants ont eu accès à l’œuvre et, enfin, que Sucroë et Curiosité partagent des éléments communs. Ils prétendent plutôt que le juge de première instance a commis plusieurs erreurs lorsqu’il a examiné la question de savoir si une partie importante de Curiosité avait été reproduite dans Sucroë, donnant ainsi ouverture à une réparation pour violation du droit d’auteur.
(3) La norme de contrôle
[30] La conclusion du juge de première instance selon laquelle une partie importante de l’œuvre d’un demandeur a été reproduite doit être abordée avec déférence par les tribunaux d’appel. La question de l’importance de la partie reproduite est une question mixte de fait et de droit. Par conséquent, en règle générale, les tribunaux d’appel doivent s’en remettre aux conclusions du juge de première instance sur ce point, sauf si elles découlent d’une erreur de droit ou d’erreurs de fait manifestes et dominantes : Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235; Designers Guild, p. 707, lord Hoffman, et p. 708, lord Millett; Baigent c. The Random House Group Ltd., [2007] EWCA Civ 247, [2007] F.S.R. 24, par. 125‑126; Delrina Corp. c. Triolet Systems Inc. (2002), 58 O.R. (3d) 339 (C.A.), par. 81; Vaver, p. 182.
(4) Le juge de première instance a‑t‑il commis une erreur en concluant qu’une partie importante de l’œuvre de M. Robinson avait été reproduite dans Sucroë?
[31] Le juge de première instance, dont la décision à cet égard a été confirmée par la Cour d’appel, a conclu que les appelants Cinar avaient violé le droit d’auteur de M. Robinson en reproduisant une partie importante de son œuvre originale sans son autorisation ni celle de Nilem : voir les par. 3(1) et 27(1) de la Loi sur le droit d’auteur.
[32] Les appelants Cinar prétendent que le juge de première instance a) a omis de suivre la démarche appropriée pour évaluer l’importance de la partie reproduite de l’œuvre; b) n’a pas accordé suffisamment de poids aux différences notables entre Sucroë et Curiosité; c) a commis une erreur en concluant que les caractéristiques de Curiosité reproduites dans Sucroë étaient protégées par la Loi sur le droit d’auteur; et d) a fondé ses conclusions sur un témoignage d’expert inadmissible. J’examinerai successivement chacune de ces prétentions.
a) Le juge de première instance a‑t‑il omis de suivre la démarche appropriée pour déterminer si une « partie importante » d’une œuvre avait été reproduite?
[33] Selon le juge de première instance, les appelants Cinar ont reproduit un certain nombre de caractéristiques de l’œuvre Curiosité de M. Robinson, y compris l’apparence visuelle du personnage principal, les traits de personnalité de ce dernier et d’autres personnages, des aspects visuels des lieux ainsi que des éléments scénographiques récurrents. Il a conclu que, prises dans leur ensemble, les caractéristiques reproduites constituaient une partie importante de l’œuvre de M. Robinson.
[34] Les appelants Cinar prétendent qu’au lieu d’employer une démarche globale, le juge aurait dû adopter une démarche en trois étapes l’obligeant (1) à déterminer quels éléments de Curiosité sont originaux, au sens de la Loi sur le droit d’auteur; (2) à exclure les caractéristiques de l’œuvre de M. Robinson qui ne peuvent être protégées (comme les idées, les éléments qui relèvent du domaine public et les éléments génériques qui se retrouvent couramment dans les séries télévisées pour enfants); et (3) à comparer Sucroë avec ce qui serait resté de Curiosité après ce processus d’élimination puis à juger si une partie importante de cette dernière avait été reproduite.
[35] La démarche proposée par les appelants Cinar ressemble à l’approche « abstraction‑filtration‑comparaison » utilisée par les tribunaux américains pour évaluer l’importance de la partie reproduite de l’œuvre lorsqu’il y a violation du droit d’auteur sur des logiciels : voir Computer Associates International, Inc. c. Altai, Inc., 982 F.2d 693 (2d Cir. 1992); B. Clermont, « Les compilations et la Loi sur le droit d’auteur : leur protection et leur création » (2006), 18 C.P.I. 219, p. 237; B. Tarantino, « “I’ve Got This Great Idea for a Show. . .” — Copyright Protection for Television Show and Motion Picture Concepts and Proposals » (2004), 17 I.P.J. 189, p. 199-200. Cette approche a été examinée, sans être formellement adoptée, par la jurisprudence canadienne : Delrina Corp., par. 43‑47. Je n’exclus pas la possibilité qu’une telle approche puisse être utile pour déterminer s’il y a eu reproduction d’une partie importante d’une œuvre comme un programme informatique. Cependant, de nombreux types d’œuvres ne se prêtent pas à une analyse réductrice. Dans l’ensemble, les tribunaux canadiens ont adopté une approche qualitative et globale pour évaluer l’importance de la partie reproduite de l’œuvre. [traduction] « Le tribunal examinera la nature des œuvres et, dans tous les cas, il examinera non pas des extraits isolés, mais les deux œuvres dans leur ensemble pour déterminer si le projet du défendeur a indûment porté atteinte au droit du demandeur » : J. S. McKeown, Fox on Canadian Law of Copyright and Industrial Designs (feuilles mobiles), p. 21‑16.4 (je souligne).
[36] En général, il importe de ne pas analyser l’importance des caractéristiques reproduites en les examinant chacune isolément : Designers Guild, p. 705, lord Hoffman. Si elle était retenue, l’approche proposée par les appelants Cinar risquerait de mener à la dissection de l’œuvre de M. Robinson en ses éléments constitutifs. L’« abstraction » qui consisterait à réduire l’œuvre de M. Robinson à l’essence même de ce qui la rend originale et l’exclusion des éléments non susceptibles d’être protégés dès le début de l’analyse auraient pour effet d’empêcher le juge d’effectuer une évaluation réellement globale. Cette approche mettrait indûment l’accent sur la question de savoir si chacune des parties de l’œuvre de M. Robinson, prise individuellement, est originale et protégée par la législation sur le droit d’auteur. Il faut plutôt examiner l’effet cumulatif des caractéristiques reproduites de l’œuvre afin de décider si elles constituent une partie importante du talent et du jugement dont a fait preuve M. Robinson dans l’ensemble de son œuvre.
[37] J’arrive donc à la conclusion que le juge de première instance n’a pas commis d’erreur en omettant de suivre la démarche en trois étapes préconisée par les appelants Cinar.
b) Le juge de première instance a‑t‑il omis d’accorder suffisamment de poids aux différences entre Sucroë et Curiosité?
[38] Les appelants Cinar affirment que le juge de première instance s’est concentré presque exclusivement sur les similitudes entre Sucroë et Curiosité, et n’a pas tenu compte des différences — importantes selon eux — entre les œuvres. Ces différences tiennent notamment à ce que les personnages secondaires dans Sucroë sont des humains, tandis que dans Curiosité plusieurs d’entre eux sont des animaux; à ce que Sucroë met en vedette de façon évidente ses « méchants », en l’occurrence une bande de pirates maraudeurs, tandis que dans Curiosité il ne semble pas y avoir de méchants; et à ce que le protagoniste dans Sucroë n’est pas particulièrement curieux, tandis que la curiosité est le principal trait de personnalité du protagoniste dans Curiosité.
[39] Pour décider si une partie importante de l’œuvre a été reproduite, il faut s’attacher à déterminer si les caractéristiques reprises constituent une partie importante de l’œuvre du demandeur, et non de celle du défendeur : Vaver, p. 186; E. F. Judge et D. J. Gervais, Intellectual Property : The Law in Canada (2e éd. 2011), p. 211. Le fait de modifier certaines caractéristiques reproduites ou de les intégrer dans une œuvre qui est considérablement différente de celle du demandeur n’a pas nécessairement pour effet d’écarter la prétention selon laquelle une partie importante d’une œuvre a été reproduite. Comme le prévoit la Loi sur le droit d’auteur, la contrefaçon comprend « toute [. . .] imitation déguisée » d’une œuvre : définition de « contrefaçon », art. 2.
[40] Cela ne veut pas dire que les différences n’ont pas leur place dans l’analyse de l’importance de la partie reproduite de l’œuvre. Si les différences sont telles que l’œuvre, prise dans son ensemble, constitue non pas une imitation, mais plutôt une œuvre nouvelle et originale, il n’y a pas violation du droit d’auteur. Comme l’a indiqué la Cour d’appel, « les différences peuvent n’avoir aucun impact si l’emprunt demeure substantiel. À l’inverse, il se peut aussi qu’il en résulte une œuvre nouvelle et originale, qui s’est tout simplement inspirée de la première. Tout est donc question de nuance, de degré et de contexte » (par. 66).
[41] Le juge de première instance a procédé à une évaluation qualitative et globale des similitudes entre les œuvres en tenant compte des ressemblances et des différences pertinentes. Par exemple, il a accordé peu de poids aux ressemblances attribuables au lieu — une île — où se déroule l’histoire dans les deux œuvres : le fait qu’il y ait une plage, une végétation abondante et des bananes dans les deux œuvres n’était tout au plus qu’une similitude « mineure » (par. 621 et 631). Il a aussi accordé peu d’importance aux ressemblances qu’il y aurait entre Gladys, un personnage féminin dans Sucroë, et Gertrude, un personnage féminin dans Curiosité (par. 577‑581). Il s’est demandé si Robinson Sucroë pouvait être considéré comme aussi curieux que Robinson Curiosité, et il a reconnu que la curiosité était un trait de personnalité du protagoniste moins important dans Sucroë qu’il ne l’était dans Curiosité (par. 529‑531). Il a conclu que, malgré les différences entre les œuvres, il était toujours possible de relever dans Sucroë des caractéristiques tirées de Curiosité et que ces caractéristiques constituaient une partie importante de l’œuvre de M. Robinson. Le juge de première instance n’a pas commis d’erreur en abordant la question de cette manière.
c) Le juge du procès a-t-il commis une erreur en concluant que les éléments de Curiosité reproduits dans Sucroë sont protégés par la Loi sur le droit d’auteur?
[42] Les appelants Cinar prétendent que, en ne suivant pas la démarche en trois étapes qu’ils préconisent et en n’accordant pas suffisamment de poids aux différences entre les œuvres, le juge de première instance a considéré une série de caractéristiques qui ne sont pas protégées par la législation sur le droit d’auteur comme formant une partie importante de l’œuvre. Ils affirment que Sucroë reproduit, tout au plus, des idées véhiculées dans Curiosité, des éléments qui relèvent du domaine public (comme le protagoniste du roman de Daniel Defoe qui remonte à près de 300 ans) et d’autres éléments qui ne sont pas originaux au sens de la Loi sur le droit d’auteur.
[43] Je vais d’abord examiner l’argument selon lequel Sucroë n’est que la reproduction de l’idée d’une série télévisée pour enfants portant sur un personnage inspiré de Robinson Crusoé qui habite sur une île tropicale, plutôt que de l’expression de cette idée par M. Robinson. Je ne peux retenir cet argument. Le juge de première instance a clairement fondé sa conclusion selon laquelle une partie importante avait été reproduite non pas sur l’idée qui sous‑tend Curiosité, mais sur la façon dont M. Robinson a exprimé cette idée. Il a affirmé que la structure de base du projet de série télévisée de M. Robinson avait été reprise. Il a aussi conclu que la présentation graphique et plusieurs traits de personnalité du personnage principal de Curiosité avaient été repris, qu’il en était de même de la personnalité des personnages secondaires qui gravitent autour du protagoniste dans Curiosité et que la présentation graphique du village où habitent ces personnages avait pour sa part été reprise en partie (par. 685 et 824-826). Ces conclusions ne se limitent pas à la reproduction d’une idée abstraite; elles mettent l’accent sur l’expression détaillée des idées de M. Robinson.
[44] Il reste donc le deuxième argument selon lequel, dans la mesure où les personnages et les lieux dans Sucroë étaient une reproduction de ceux figurant dans Curiosité, ces éléments, génériques, ne sont pas protégés par la législation sur le droit d’auteur. Selon les appelants Cinar, le récit d’un homme abandonné sur une île et qui interagit avec les animaux, les habitants et l’environnement du lieu en question est une histoire type reprise depuis des siècles.
[45] Là encore, les conclusions du juge de première instance réfutent cet argument. Il a conclu que Curiosité était une œuvre originale au sens de la Loi sur le droit d’auteur. Il a fondé cette conclusion non pas sur la nature générique des personnages, mais sur leur présentation visuelle singulière et leur personnalité particulière, qui sont le fruit du talent et du jugement de M. Robinson. L’île dans Curiosité n’était pas non plus une île complètement générique. Le juge de première instance a cité des éléments visuels précis du lieu qui avaient été conçus par M. Robinson et reproduits par les appelants Cinar.
[46] L’élaboration de plusieurs personnages ayant des traits de personnalité particuliers et dont les interactions dépendent de ces traits de personnalité requiert un exercice de talent et de jugement suffisant pour satisfaire au critère d’originalité de la Loi sur le droit d’auteur : voir par exemple Productions Avanti Ciné Vidéo inc. c. Favreau, [1999] R.J.Q. 1939 (C.A.), autorisation de pourvoi refusée, [2000] 1 R.C.S. xi. L’émission Sucroë n’est pas seulement la reproduction d’éléments génériques dont tous peuvent s’inspirer. Elle est également la reproduction de la combinaison particulière de personnages qui figurent dans Curiosité et qui ont des traits de personnalité distincts, habitent ensemble et interagissent sur une île tropicale — des éléments qui représentent une partie importante du talent et du jugement exprimés dans Curiosité.
[47] En fait, les appelants Cinar contestent essentiellement des conclusions mixtes de fait et de droit que le juge de première instance a tirées dans ses motifs. Ils invitent la Cour à procéder à une nouvelle évaluation des caractéristiques reproduites de Curiosité. Je décline cette invitation. Les appelants Cinar n’ont pas prouvé que les conclusions du juge de première instance relatives à l’importance de la partie reproduite de l’œuvre sont entachées d’erreurs manifestes ou dominantes.
d) Le juge de première instance a‑t‑il commis une erreur en se fondant sur une preuve d’expert inadmissible?
[48] Les appelants Cinar soutiennent que le juge de première instance a fondé la majeure partie de ses conclusions relatives à la reproduction d’une partie importante de l’œuvre sur le témoignage inadmissible d’un expert sémiologue, le Dr Charles Perraton. La sémiologie est l’étude des signes et des symboles ainsi que de la façon dont ceux-ci transmettent un message. Le Dr Perraton a affirmé que, indépendamment des similitudes visuellement observables entre les œuvres en question, il y avait des similitudes latentes dans la façon dont les deux œuvres avaient utilisé l’ambiance, la dynamique, les motifs, les symboles et la structure pour transmettre un message. Le juge de première instance s’est fondé sur ce témoignage pour conclure que les appelants Cinar avaient reproduit une partie importante de l’œuvre de M. Robinson.
[49] Pour que la preuve d’expert soit admise au procès, elle doit a) être pertinente; b) se révéler nécessaire pour aider le juge des faits; c) ne pas contrevenir à une règle d’exclusion; et d) être présentée par un expert suffisamment qualifié : R. c. Mohan, [1994] 2 R.C.S. 9. Ces critères s’appliquent tant aux procès pour violation du droit d’auteur qu’aux autres affaires de propriété intellectuelle : Masterpiece Inc. c. Alavida Lifestyles Inc., 2011 CSC 27, [2011] 2 R.C.S. 387, par. 75.
[50] Les appelants Cinar soutiennent que, en l’espèce, il n’a pas été satisfait au deuxième critère — la nécessité de la preuve. Selon eux, la preuve d’expert n’était pas nécessaire pour aider la cour parce que la question de savoir si une partie importante d’une œuvre a été reproduite doit être évaluée du point de vue du profane faisant partie de l’auditoire visé par les œuvres en question : voir Preston c. 20th Century Fox Canada Ltd. (1990), 33 C.P.R. (3d) 242 (C.F. 1re inst.), conf. par (1993), 53 C.P.R. (3d) 407 (C.A.F.); Arbique c. Gabriele, [1998] J.Q. no 3794 (QL) (C.S.), conf. par 2003 CanLII 16298 (C.A. Qué.). Ils affirment que le juge de première instance est bien placé pour comprendre le point de vue d’un tel profane et qu’il n’a pas besoin de l’aide d’un expert pour bien saisir ce point de vue.
[51] À mon avis, il est utile de connaître le point de vue du profane faisant partie de l’auditoire visé par les œuvres en question. La connaissance de ce point de vue présente un avantage, soit celui que l’analyse des similitudes demeure concrète et fondée sur les œuvres elles‑mêmes plutôt que sur des théories ésotériques à propos des œuvres. Cependant, la question reste celle de savoir si une partie importante de l’œuvre du demandeur a été reproduite et il faut répondre à cette question du point de vue d’une personne dont le jugement et les connaissances lui permettent d’évaluer et d’apprécier pleinement tous les aspects pertinents — apparents ou latents — des œuvres en question. Dans certains cas, il peut être nécessaire de ne pas s’en tenir au point de vue d’un profane faisant partie de l’auditoire visé par l’œuvre et de demander à un expert d’éclairer le juge de première instance de manière à ce que celui-ci soit en mesure de poser sur les œuvres le regard d’une [traduction] « personne raisonnablement versée dans l’art ou la technologie en cause » : Vaver, p. 187.
[52] À titre d’exemple, deux œuvres de musique classique peuvent sembler différentes pour un profane, peut‑être parce qu’on les joue avec des instruments différents ou à un rythme différent. Cependant, un musicien averti pourrait entendre des similitudes donnant à penser qu’une partie importante de l’œuvre originale a été reproduite — la même armature de clef, le même arrangement des notes dans les passages récurrents, ou un accord harmonique récurrent et inhabituel. Certes, il reviendra au juge de déterminer si les similitudes permettent de conclure qu’une partie importante de l’œuvre originale a été reproduite. Cependant, pour trancher cette question, il pourrait devoir examiner non seulement la façon dont les œuvres sonnent à l’oreille d’un profane faisant partie de l’auditoire visé, mais aussi les similitudes structurales que seul un expert peut déceler.
[53] En l’espèce, il a été satisfait au critère de nécessité du test applicable pour juger de l’admissibilité d’un témoignage d’expert. Premièrement, les œuvres visent un auditoire de jeunes enfants. Une application stricte de la norme du « profane faisant partie de l’auditoire visé » limiterait indûment la capacité de la cour de répondre à la question qui est au cœur du présent pourvoi, soit celle de savoir si une partie importante de l’œuvre de M. Robinson a été reproduite. Cette approche déplacerait le débat puisqu’il faudrait alors déterminer si les caractéristiques reprises sont manifestes aux yeux d’un enfant de cinq ans.
[54] Deuxièmement, la nature des œuvres en question les rend difficiles à comparer. Le juge de première instance devait comparer le projet, en pleine élaboration, d’une émission de télévision qui n’avait pas été réalisée avec un produit fini qui avait été diffusé à la télévision. Ce ne sont pas des œuvres qui se prêtent facilement à une comparaison visuelle côte à côte menée par un juge sans l’aide d’un expert.
[55] Enfin, les œuvres en question avaient à la fois des similitudes apparentes et des similitudes latentes. Ou, comme l’a expliqué le Dr Perraton, elles partageaient des similitudes « perceptibles » et des similitudes « intelligibles ». Les premières sont celles qui peuvent être directement observées, tandis que les secondes — comme l’ambiance, la dynamique, les motifs et la structure — influent indirectement sur l’expérience vécue par le spectateur de l’œuvre. Le témoignage d’expert était nécessaire pour aider le juge de première instance à distiller et à comparer les aspects « intelligibles » des œuvres en question, qu’il n’aurait pas été en mesure d’apprécier sans ce témoignage. Par conséquent, le juge de première instance n’a pas commis d’erreur en admettant le témoignage d’expert du Dr Perraton.
(5) Résumé
[56] Les appelants Cinar n’ont pas réussi à démontrer que le juge de première instance avait commis une erreur en concluant qu’ils avaient reproduit une partie importante de l’œuvre de M. Robinson.
C. La responsabilité personnelle de M. Weinberg, de Mme Charest et de M. Davin pour violation du droit d’auteur
[57] France Animation, Cinar, Ravensburger et RTV Family Entertainement ne soutiennent plus qu’ils ne peuvent pas être tenus responsables à titre de producteurs de Sucroë. De même, M. Izard ne prétend plus qu’il ne peut être tenu personnellement responsable. En revanche, M. Weinberg, Mme Charest et M. Davin soutiennent qu’ils ne peuvent être tenus personnellement responsables de la violation du droit d’auteur.
(1) M. Weinberg et Mme Charest
[58] Le juge de première instance a conclu que M. Weinberg et Mme Charest étaient personnellement responsables de la violation du droit d’auteur de M. Robinson puisqu’ils l’ont violé sciemment et délibérément.
[59] M. Weinberg prétend que M. Robinson n’a pas établi, selon la prépondérance des probabilités, que Mme Charest et lui avaient sciemment violé son droit d’auteur puisque, selon sa prétention, ils ont eu peu d’implication directe dans la création de Sucroë.
[60] Pour qu’un administrateur et/ou un dirigeant soit tenu responsable de la violation d’un droit d’auteur commise par sa société, « il existe [. . .] certainement des circonstances à partir desquelles il y a lieu de conclure que ce que visait l’administrateur ou le dirigeant n’était pas la conduite ordinaire des activités de fabrication et de vente de celle‑ci, mais plutôt la commission délibérée d’actes qui étaient de nature à constituer une contrefaçon ou qui reflètent une indifférence à l’égard du risque de contrefaçon » : Mentmore Manufacturing Co. c. National Merchandising Manufacturing Co. (1978), 89 D.L.R. (3d) 195 (C.A.F.), p. 204‑205, le juge Le Dain.
[61] À la lumière de l’ensemble de la preuve, le juge de première instance a conclu que M. Weinberg et Mme Charest avaient délibérément, volontairement et sciemment violé le droit d’auteur de M. Robinson. Cette conclusion était étayée par la preuve. Le juge a accepté le témoignage selon lequel M. Weinberg et Mme Charest avaient personnellement eu accès aux dessins de M. Robinson et les avaient consultés pendant l’élaboration de Sucroë (par. 786‑799). Il a tiré des conclusions défavorables de la persistance de M. Weinberg et de Mme Charest à ne pas reconnaître qu’ils avaient eu accès à l’œuvre de M. Robinson, malgré le fait qu’ils avaient obtenu des copies de l’œuvre et même fait certains commentaires dans le cadre de leur mandat de consultants auprès de Pathonic (par. 254‑258). Les conclusions selon lesquelles ils étaient personnellement responsables sont étayées par la preuve et ne devraient pas être annulées.
(2) M. Davin
[62] Le juge de première instance a tenu M. Davin, le président‑directeur général de France Animation à l’époque pertinente, personnellement responsable de la violation du droit d’auteur. Pour ce faire, il s’est fondé sur des éléments de preuve démontrant que M. Davin avait participé à des stratagèmes de Cinar visant à toucher frauduleusement des redevances et des subventions gouvernementales. Il a aussi souligné que M. Davin était le supérieur de M. Izard qui, lui, avait personnellement participé à la reproduction de l’œuvre de M. Robinson. La Cour d’appel a infirmé cette conclusion selon laquelle M. Davin était personnellement responsable au motif qu’elle n’était pas étayée par la preuve. Je suis d’accord avec la conclusion de la Cour d’appel.
[63] Le juge de première instance a conclu à la responsabilité de M. Davin par présomption, c.‑à‑d. grâce au processus par lequel, de l’existence de faits connus (le poste occupé par M. Davin chez France Animation et sa participation à d’autres stratagèmes frauduleux), on induit l’existence d’un fait inconnu (la participation personnelle de M. Davin à la violation du droit d’auteur) : art. 2846 CcQ. Les tribunaux ne peuvent se fonder que sur des présomptions qui sont « graves, précises et concordantes » : art. 2849 CcQ; voir aussi Longpré c. Thériault, [1979] C.A. 258, p. 262.
[64] La preuve sur laquelle s’est fondé le juge de première instance n’appuyait pas une présomption grave, précise et concordante selon laquelle M. Davin avait personnellement, délibérément et sciemment participé à la reproduction de l’œuvre de M. Robinson, comme l’exige l’arrêt Mentmore. Le juge de première instance a déduit d’éléments de preuve circonstancielle générale que M. Davin y avait sciemment et délibérément participé. Il a souligné que M. Davin était le « personnage teflon » qui avait participé à des stratagèmes frauduleux (par. 835). Cependant, ces stratagèmes n’avaient rien à voir avec la reproduction de l’œuvre de M. Robinson. Or, la preuve d’une personnalité malhonnête et arrogante ne suffit pas à fonder une conclusion de participation à la violation d’un droit d’auteur. Le juge s’est aussi appuyé sur le statut de supérieur hiérarchique de M. Izard qu’avait M. Davin. Cela, pris isolément, ne permet toutefois pas d’établir sa participation personnelle à la violation du droit d’auteur. Le dirigeant d’une société ne saurait être tenu personnellement responsable de la violation d’un droit d’auteur sur la seule base de son statut de dirigeant.
[65] Monsieur Robinson prétend également que M. Davin a « autorisé » la reproduction de son œuvre, au sens de l’art. 3 de la Loi sur le droit d’auteur. « Suivant le par. 27(1) de la Loi sur le droit d’auteur, constitue une violation du droit d’auteur l’accomplissement d’un acte que seul le titulaire du droit d’auteur a, en vertu de la Loi, la faculté d’accomplir, y compris autoriser l’exercice de ses propres droits » : CCH, par. 37. Comme la Cour l’a précisé dans l’arrêt CCH :
« Autoriser » signifie « sanctionner, appuyer ou soutenir » (« sanction, approve and countenance ») [. . .] Lorsqu’il s’agit de déterminer si une violation du droit d’auteur a été autorisée, il faut attribuer au terme « countenance » son sens le plus fort mentionné dans le dictionnaire, soit [traduction] « approuver, sanctionner, permettre, favoriser, encourager » [. . .] L’autorisation est néanmoins une question de fait qui dépend de la situation propre à chaque espèce et peut s’inférer d’agissements qui ne sont pas des actes directs et positifs, et notamment d’un degré suffisamment élevé d’indifférence . . . [Renvois omis; par. 38.]
[66] Rien n’indique que M. Davin a autorisé, activement ou passivement, la reproduction de l’œuvre de M. Robinson en ce sens. De fait, la preuve au dossier n’établit pas que M. Davin savait même ou aurait dû savoir que Sucroë était une reproduction de l’œuvre de M. Robinson.
[67] Enfin, M. Robinson prétend que M. Davin est responsable en tant que producteur de Sucroë. Son nom apparaît dans le générique de l’émission comme « producteur exécutif » au Canada, et comme « producteur délégué » en France. Ce seul fait ne suffit pas pour tenir M. Davin personnellement responsable. En tant que producteur exécutif, il agissait à titre de dirigeant de France Animation. C’est France Animation, à titre de personne morale distincte de ses administrateurs et de ses dirigeants, qui a reproduit une partie importante de l’œuvre de M. Robinson en commandant et en commercialisant Sucroë. Comme l’a souligné à juste titre la Cour d’appel, plusieurs contrats démontrent que ce sont France Animation et ses coproducteurs, Cinar et Ravensburger, qui ont engagé le personnel nécessaire à la réalisation et qui ont assumé la responsabilité de la production de Sucroë, tant sur le plan artistique que sur le plan financier (par. 141).
[68] Je conviens donc avec la Cour d’appel que M. Davin ne peut être tenu personnellement responsable de la violation du droit d’auteur pour l’un ou l’autre des motifs invoqués par M. Robinson.
D. La responsabilité extracontractuelle de Cinar, de M. Weinberg et de Mme Charest
[69] Vu ma conclusion que Cinar, M. Weinberg et Mme Charest sont responsables de la violation du droit d’auteur, il n’est pas nécessaire de déterminer s’ils peuvent être tenus responsables sous le régime de responsabilité extracontractuelle du Québec. Cette forme de responsabilité n’a été invoquée que de façon subsidiaire par M. Robinson et Nilem.
E. La restitution des profits
[70] En application de l’art. 35 de la Loi sur le droit d’auteur, le juge de première instance a condamné tous les appelants Cinar à payer solidairement à M. Robinson des dommages‑intérêts compensatoires pour l’indemniser de ses pertes (y compris des dommages‑intérêts non pécuniaires, dont il sera question plus loin) et 50 p. 100 des profits réalisés par les auteurs de la contrefaçon.
[71] La Cour d’appel s’est dite en désaccord avec le juge de première instance quant à la restitution des profits accordée et y a apporté plusieurs corrections. Premièrement, elle a soustrait la somme de 1 117 816 $ du calcul des profits provenant de la trame sonore de Sucroë au motif qu’il n’y avait aucun lien de causalité entre la contrefaçon et la trame sonore. Deuxièmement, elle a conclu que le juge de première instance avait commis une erreur en qualifiant de revenu la somme de 684 000 $ versée par Ravensburger à France Animation (la « somme de Ravensburger ») et elle a soustrait ce montant du calcul des profits. Troisièmement, elle a conclu que la somme de 1 111 201 $ versée par Cinar à une société de personnes nommée Jaffa Road (la « somme de Jaffa Road ») aurait dû être considérée comme une dépense et soustraite du calcul des profits. Quatrièmement, elle a conclu que seules les sociétés défenderesses auraient dû être condamnées à restituer les profits et que, selon l’art. 35 de la Loi sur le droit d’auteur, ceux‑ci ne peuvent être restitués que sur une base conjointe. Enfin, elle a modifié la date à retenir pour le calcul des intérêts et de l’indemnité additionnelle afférents à la restitution des profits.
[72] Ayant conclu que l’art. 35 de la Loi sur le droit d’auteur ne permet pas la restitution solidaire des profits, la Cour d’appel a réparti le montant total des profits entre France Animation (60 p. 100), Ravensburger (15 p. 100) et Cinar (25 p. 100).
[73] Monsieur Robinson et Nilem demandent maintenant le rétablissement de la restitution des profits ordonnée par le juge de première instance. Aucun appel n’est interjeté à l’encontre de la condamnation par le juge de première instance à verser des dommages‑intérêts compensatoires en application de l’art. 35 de la Loi sur le droit d’auteur pour compenser les pertes pécuniaires de M. Robinson.
[74] Le juge de première instance a refusé d’ordonner la reddition de compte, une décision qui n’a pas été portée en appel. Il a plutôt calculé les profits nets tirés de Sucroë en s’appuyant sur la preuve documentaire produite par les parties. Par conséquent, la Cour n’a pas à sa disposition le genre de dossier détaillé qui résulte habituellement d’une reddition de compte et doit se contenter, d’une part, des conclusions de fait du juge de première instance et, d’autre part, de la preuve documentaire au dossier.
[75] Je vais examiner à tour de rôle chacune des failles qu’il y aurait dans la restitution des profits ordonnée par le juge de première instance.
(1) Les profits provenant de la trame sonore de Sucroë
[76] La trame sonore de Sucroë est le fruit d’un processus de création indépendant. Elle n’est pas le fruit d’une copie de l’œuvre de M. Robinson; elle a plutôt été incorporée à l’œuvre reproduite. M. Robinson prétend qu’il existe malgré tout un lien de causalité entre la contrefaçon et les profits provenant de la trame sonore. Selon lui, cette dernière constitue un élément inextricable d’une émission de télévision qui a été créée en violant un droit d’auteur. Pour leur part, les appelants Cinar prétendent que, comme la trame sonore est le fruit d’une création indépendante, il ne peut y avoir de lien de causalité entre la contrefaçon et les profits afférents aux droits musicaux.
[77] Suivant l’art. 35 de la Loi sur le droit d’auteur, un défendeur peut être condamné à [traduction] « restituer ses profits dans la mesure où ils découlent de la contrefaçon. Comme il doit y avoir un lien de causalité entre la contrefaçon et les profits, il peut être nécessaire de diviser ces derniers en profits attribuables à la contrefaçon et en profits non attribuables à la contrefaçon » : McKeown, p. 24‑82.3 (je souligne). Il incombe au contrefacteur de [traduction] « dissocier, de façon satisfaisante, les activités qui constituent de la contrefaçon de celles qui n’en constituent pas » : Vaver, p. 653; Sheldon c. Metro‑Goldwyn Pictures Corporation, 106 F.2d 45 (2d Circ. 1939), le juge Learned Hand. Dans certains cas, « l’œuvre du contrefacteur est si inextricablement liée à celle du titulaire du droit d’auteur qu’il est impossible de les dissocier » : Vaver, p. 637.
[78] La répartition des profits entre les composantes d’une œuvre qui violent le droit d’auteur et celles qui ne le violent pas est essentiellement une décision factuelle qui relève du pouvoir discrétionnaire du tribunal : Wellcome Foundation Ltd. c. Apotex Inc., [2001] 2 C.F. 618 (C.A.), par. 23; Lubrizol Corp. c. Compagnie Pétrolière Impériale Ltée, [1997] 2 C.F. 3 (C.A.), par. 9. La cour d’appel ne peut modifier les conclusions du juge de première instance sur la répartition des profits que si ce dernier a commis une erreur de droit ou une erreur de fait manifeste et dominante (Housen).
[79] En l’espèce, le juge de première instance a conclu que « les revenus musicaux ne peuvent être dissociés de l’ensemble de l’œuvre » (par. 1016). La Cour d’appel n’était pas de cet avis et s’est demandée quels profits auraient été réalisés si la trame sonore avait été commercialisée comme un produit distinct, indépendamment du matériel qui viole le droit d’auteur (par. 196). Elle s’est fondée sur la méthode du « profit différentiel » utilisée dans les affaires de contrefaçon de brevet, méthode qui consiste à comparer « le profit que l’invention a permis au défendeur de réaliser à celui que lui aurait permis de réaliser la meilleure solution non contrefaisante » : Monsanto Canada Inc. c. Schmeiser, 2004 CSC 34, [2004] 1 R.C.S. 902, par. 102.
[80] À mon avis, la Cour d’appel a commis une erreur en modifiant la conclusion du juge de première instance selon laquelle il est impossible de dissocier les profits provenant de la trame sonore de ceux tirés du matériel violant le droit d’auteur. La méthode du « profit différentiel » retenue par la Cour d’appel est généralement utilisée dans les affaires où la contrefaçon permet à son auteur de commercialiser un produit d’une façon plus rentable qu’il n’aurait pu le faire sans la contrefaçon. Cependant, rien n’indique que la trame sonore aurait pu être commercialisée de façon distincte si l’œuvre Curiosité n’avait pas été contrefaite au départ. La trame sonore a été commercialisée seulement à titre de composante de l’émission de télévision Sucroë, qui est elle‑même une reproduction d’une partie importante de l’œuvre créée par M. Robinson. Le juge de première instance était en droit de conclure que la trame sonore n’avait aucune valeur en soi et qu’elle a généré des profits seulement à titre d’accessoire de l’émission de télévision. Par conséquent, il n’a pas commis une erreur susceptible de révision en concluant qu’il était inopportun de répartir les profits attribuables à la trame sonore en considérant celle-ci comme une composante de l’œuvre ne violant pas le droit d’auteur.
(2) La somme de Ravensburger
[81] La somme de Ravensburger désigne les 684 000 $ que cette dernière a versés à France Animation. Le juge de première instance a qualifié cette somme de revenu provenant de Sucroë. Je suis d’accord avec la Cour d’appel pour dire que cette qualification constitue une erreur manifeste et dominante.
[82] Le juge de première instance a calculé les profits nets tirés de Sucroë dans l’ensemble, en tenant compte des revenus et des dépenses de tous les coproducteurs. Cependant, il a analysé la somme de Ravensburger séparément, en s’attardant seulement au fait qu’il s’agissait d’une forme de revenu pour l’un des coproducteurs, France Animation. Cette analyse de la somme de Ravensburger ne concordait pas avec l’approche globale qu’il avait adoptée à l’égard des autres profits. La somme représentait aussi une dépense en capital pour un autre coproducteur, Ravensburger. Il s’agissait de la contribution de Ravensburger au financement de Sucroë, et elle a eu simplement pour effet net de faire passer, en partie, à Ravensburger le fardeau des dépenses de production qui incombait à France Animation. La somme ne constituait pas une forme de revenu pour le groupe de coproducteurs pris dans son ensemble. La Cour d’appel a donc eu raison de la soustraire des revenus pris en considération dans le calcul des profits générés par Sucroë.
(3) La somme de Jaffa Road
[83] Conformément à un contrat de distribution, Cinar a vendu pour 1 853 333 $ à Jaffa Road ses droits sur Sucroë. Personne ne conteste que cette somme a été perçue par Cinar et qu’elle constitue un revenu tiré de Sucroë. Dans un contrat subséquent, Jaffa Road a rétrocédé à Cinar ses droits de distribution au Canada et aux États‑Unis. Aux termes de ce contrat, une somme minimale de 1 111 201 $ devait être versée par Cinar de façon inconditionnelle environ un an après la signature du contrat comme portion d’une « garantie de revenus ». Le juge de première instance n’a pas considéré cette somme comme une dépense engagée par Cinar. C’est toutefois ce qu’a fait la Cour d’appel.
[84] Selon le juge de première instance, essentiellement, les appelants Cinar n’avaient pas prouvé que Cinar avait réellement payé 1 111 201 $ à Jaffa Road (par. 1022). Dans le document présenté pour prouver que ce paiement avait été fait, il était seulement indiqué qu’une « garantie de revenus » devait être versée un an après la signature du contrat. Aucune preuve n’a été produite pour démontrer que cette garantie a été versée à la date d’échéance. Le juge de première instance était en droit de conclure que ce document ne constituait pas une preuve de paiement. Contrairement à ce qu’a laissé entendre la Cour d’appel, il n’était pas tenu d’accorder foi à cette preuve. Par conséquent, je ne soustrairais pas cette somme à titre de dépense du calcul des profits provenant de Sucroë.
(4) La condamnation de tous les contrefacteurs à restituer solidairement les profits
[85] Le juge de première instance a condamné toutes les parties qu’il a tenues responsables de la contrefaçon à restituer solidairement les profits. La Cour d’appel a conclu que cette décision tenait d’une mauvaise interprétation du recours en restitution fondé sur l’art. 35 de la Loi sur le droit d’auteur. Elle a conclu qu’un défendeur ne peut être condamné à restituer que les profits qu’il a réalisés, et non les profits touchés par les autres défendeurs avec lesquels il a participé à la contrefaçon.
[86] Je suis d’accord avec la Cour d’appel. L’article 35 de la Loi sur le droit d’auteur offre deux remèdes pour la violation du droit d’auteur : des dommages‑intérêts pour les pertes subies par le demandeur et la restitution des profits réalisés par le défendeur. La restitution des profits prévue à l’art. 35 vise principalement à empêcher l’enrichissement injustifié, bien qu’elle ait aussi une fonction dissuasive secondaire : Vaver, p. 650. Sa raison d’être n’est pas d’indemniser le demandeur. Ce recours n’est pas assujetti aux principes qui régissent les dommages‑intérêts généraux octroyés en vertu du droit québécois de la responsabilité extracontractuelle, qui visent un but compensatoire. Par conséquent, on ne peut pas déduire de l’art. 1526 du CcQ — qui impose aux coauteurs d’une faute « l’obligation [solidaire] de réparer le préjudice causé à autrui » — la solidarité de la restitution des profits ordonnée en application de l’art. 35 de la Loi sur le droit d’auteur.
[87] La restitution des profits prévue à l’art. 35 de la Loi sur le droit d’auteur se limite à ce qui est nécessaire pour empêcher chaque défendeur de conserver des gains illicites. On ne saurait donc tenir un défendeur responsable des gains des codéfendeurs en lui imposant l’obligation de restituer solidairement les profits.
[88] Pour les mêmes raisons, M. Weinberg, Mme Charest et M. Izard ne sont pas personnellement dans l’obligation de restituer les profits provenant de Sucroë puisque ceux‑ci ont été conservés par les personnes morales qui ont agi à titre de coproducteurs. M. Weinberg, Mme Charest et M. Izard ne devraient donc pas être tenus de restituer des profits qu’ils n’ont pas conservés en leur qualité personnelle.
[89] Ayant conclu que la restitution doit être ordonnée sur une base conjointe, je confirmerais la répartition des profits décrétée par la Cour d’appel. France Animation doit ainsi restituer 60 p. 100 des profits, Ravensburger, 15 p. 100, et Cinar, 25 p. 100.
(5) Les intérêts et l’indemnité additionnelle
[90] Le juge de première instance a ajouté les intérêts et l’indemnité additionnelle (art. 1618 et 1619 CcQ) aux profits à restituer, et ce, à partir de la date de la mise en demeure, soit le 5 décembre 1995.
[91] La Cour d’appel a conclu que cela revenait à imposer des intérêts sur les profits avant qu’ils ne soient réalisés. Les profits à restituer ont été réalisés sur une période de plus de 10 ans, mais majoritairement après le 5 décembre 1995. Comme le juge de première instance a refusé d’ordonner une reddition de compte, il est impossible de fixer les intérêts avec précision. Par conséquent, la Cour d’appel a ajouté les intérêts et l’indemnité additionnelle calculés à compter du 1er juillet 2001, une date située approximativement au milieu de la période durant laquelle l’œuvre Sucroë a généré des revenus.
[92] La solution de la Cour d’appel était juste dans les circonstances de l’espèce. Les parties condamnées à restituer les profits ne devraient pas payer des intérêts à partir d’une date clairement antérieure à la période durant laquelle la majeure partie des profits a été réalisée.
F. Les dommages‑intérêts non pécuniaires
[93] Le juge de première instance a accordé à M. Robinson 400 000 $ en dommages‑intérêts non pécuniaires à titre de compensation pour son préjudice psychologique. Il a fait une analogie entre le préjudice psychologique subi par M. Robinson et le préjudice subi par une victime de diffamation.
[94] La Cour d’appel a réduit ces dommages‑intérêts à 121 350 $. Elle a expliqué que les symptômes physiques de choc et de dépression ressentis par M. Robinson étaient attribuables à un préjudice corporel. Par conséquent, selon la Cour d’appel, le juge de première instance aurait dû appliquer le plafond fixé aux dommages‑intérêts non pécuniaires par la Cour dans la trilogie Andrews.
(1) L’applicabilité du plafond fixé dans Andrews
[95] Dans la trilogie Andrews, la Cour a fixé un plafond de 100 000 $ aux pertes non pécuniaires pour lesquelles il est possible d’obtenir réparation à la suite d’un préjudice corporel catastrophique. Les pertes non pécuniaires forment une catégorie qui regroupe des éléments disparates comme « la perte de jouissance de la vie, le préjudice esthétique, les douleurs et souffrances physiques et psychologiques, les inconvénients, de même que le préjudice d’agrément et le préjudice sexuel » : Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l’hôpital St‑Ferdinand, [1996] 3 R.C.S. 211, par. 63; Andrews, p. 264. Dans les cas où le plafond s’applique, il est ajusté en fonction de l’inflation depuis les trois arrêts rendus en 1978 : Lindal c. Lindal, [1981] 2 R.C.S. 629, p. 640‑641.
[96] Bien que le plafond ait été fixé par la Cour dans le cadre de pourvois provenant de provinces de common law, les tribunaux québécois l’appliquent lorsqu’ils évaluent les dommages‑intérêts non pécuniaires découlant d’un préjudice corporel : J.-L. Baudouin et P. Deslauriers, La responsabilité civile (7e éd. 2007), vol. I, p. 481‑484; D. Gardner, Le préjudice corporel (3e éd. 2009), p. 376‑377. Cette uniformité est compatible avec le souci, exprimé dans Andrews, selon lequel « [i]l ne devrait pas y avoir de trop grandes disparités dans les indemnités accordées au Canada [pour ce type de dommages non pécuniaires]. Tous les Canadiens, où qu’ils résident, ont droit à une indemnisation à peu près équivalente pour des pertes non pécuniaires semblables » (p. 263).
[97] Cependant, le plafond fixé dans Andrews ne s’applique pas aux dommages‑intérêts non pécuniaires qui ne découlent pas d’un préjudice corporel, comme ceux qui résultent de la diffamation : Hill c. Église de scientologie de Toronto, [1995] 2 R.C.S. 1130, par. 168; voir aussi Snyder c. Montreal Gazette Ltd., [1988] 1 R.C.S. 494, où la proposition du juge Lamer selon laquelle les dommages‑intérêts dans les affaires de diffamation en droit civil devraient être assujettis à un plafond n’a pas recueilli l’appui de la majorité de la Cour.
[98] Les appelants Cinar prétendent (i) qu’un plafond devrait être imposé à tous les dommages‑intérêts non pécuniaires, qu’ils découlent ou non d’un préjudice corporel et, subsidiairement (ii) que les dommages‑intérêts non pécuniaires en l’espèce résultent en fait d’un préjudice corporel.
[99] En ce qui concerne le premier argument, je refuserais d’étendre l’application du plafond fixé dans Andrews au‑delà des dommages‑intérêts non pécuniaires découlant d’un préjudice corporel. Dans Hill, la Cour a refusé d’appliquer le plafond aux dommages‑intérêts non pécuniaires découlant de la diffamation. Elle a conclu que les considérations de principe propres aux affaires de préjudice corporel identifiées dans la trilogie Andrews — notamment l’augmentation outrancière, lourde de conséquences systémiques, des sommes accordées à titre de dommages‑intérêts non pécuniaires — n’avaient pas été établies en droit de la diffamation. De même, les appelants Cinar ne m’ont pas convaincue qu’il existe un risque imminent d’augmentation outrancière des sommes accordées à titre de dommages‑intérêts non pécuniaires dans les affaires de violation de droits d’auteur.
[100] En ce qui concerne le deuxième argument, je ne suis pas d’accord pour dire que le préjudice non pécuniaire subi par M. Robinson découle d’un préjudice corporel au sens de l’art. 1607 du CcQ. En droit civil québécois, un préjudice ne peut être qualifié de préjudice corporel que si « la présence d’une atteinte à l’intégrité physique » est établie : Schreiber c. Canada (Procureur général), 2002 CSC 62, [2002] 3 R.C.S. 269, par. 62. Pour qualifier le préjudice, il importe de déterminer si l’acte qui a causé le préjudice était en soi une atteinte à l’intégrité physique de la victime, plutôt que de déterminer si l’acte a eu une incidence sur la santé physique de la victime : Gardner, p. 17. À l’inverse, « l’atteinte à des droits dûment qualifiés de droits d’ordre moral n’est pas incluse dans cette catégorie d’actions » : Schreiber, par. 64.
[101] La violation du droit d’auteur de M. Robinson n’était pas une atteinte à son intégrité physique. Certes, elle lui a causé un grave choc qui a entraîné une détérioration de sa santé physique. Cependant, comme je l’ai déjà expliqué, les répercussions sur la santé physique de la victime ne suffisent pas à qualifier le préjudice de préjudice corporel en l’absence d’une atteinte à l’intégrité physique : voir par exemple Landry c. Audet, 2011 QCCA 535, [2011] R.J.Q. 570, par. 107, autorisation d’appel refusée, [2011] 3 R.C.S. v. Avec égards, la Cour d’appel a perdu de vue cette distinction.
[102] Il convient davantage de qualifier les souffrances psychologiques subies par M. Robinson de préjudice non pécuniaire découlant d’un préjudice matériel. De fait, la violation du droit d’auteur constituait une violation des droits de propriété de M. Robinson. C’est la violation initiale, plutôt que les conséquences de cette violation, qui sert de fondement pour décider du type de préjudice subi. Comme l’affirme le professeur Gardner, « la spoliation de l’œuvre de Claude Robinson constitue pour lui un préjudice matériel avec des conséquences pécuniaires (les profits générés par son exploitation) et des conséquences non pécuniaires (le stress, les souffrances morales ou, dit autrement, le préjudice psychologique qui en résulte) » : « Revue de la jurisprudence 2011 en droit des obligations » (2012), 114 R. du N. 63, p. 70. Rappelons que le plafond fixé dans Andrews est d’application limitée; il ne s’applique pas à des dommages‑intérêts non pécuniaires découlant d’un préjudice matériel.
[103] J’arrive donc à la conclusion que la Cour d’appel a commis une erreur en appliquant le plafond fixé dans Andrews en l’espèce.
(2) Le montant des dommages‑intérêts non pécuniaires
[104] Les appelants Cinar soutiennent que même si le plafond fixé dans Andrews ne s’applique pas aux dommages‑intérêts non pécuniaires octroyés à M. Robinson, le juge de première instance a néanmoins commis une erreur manifeste et dominante en accordant une somme exagérément disproportionnée au titre de ces dommages‑intérêts.
[105] Les tribunaux québécois établissent généralement le montant des dommages‑intérêts non pécuniaires en combinant les approches conceptuelle, personnelle et fonctionnelle : St-Ferdinand, par. 72-73, 75 et 77; Gauthier c. Beaumont, [1998] 2 R.C.S. 3, par. 101. L’approche conceptuelle mesure la perte [traduction] « en fonction de la gravité objective du préjudice » : Stations de la Vallée de Saint‑Sauveur inc. c. M.A., 2010 QCCA 1509, [2010] R.J.Q. 1872, par. 83, le juge Kasirer. L’approche personnelle « s’attache plutôt à évaluer, d’un point de vue subjectif, la douleur et les inconvénients découlant des blessures subies par la victime » : St-Ferdinand, par. 75, citant A. Wéry, « L’évaluation judiciaire des dommages non pécuniaires résultant de blessures corporelles : du pragmatisme de l’arbitraire? », [1986] R.R.A. 355. Enfin, l’approche fonctionnelle vise à fixer une indemnité pour fournir à la victime une consolation : Andrews, p. 262. Ces approches « s’appliquent conjointement, favorisant ainsi l’évaluation personnalisée » des dommages‑intérêts non pécuniaires : St-Ferdinand, par. 80.
[106] En plus d’appliquer ces approches, les tribunaux appelés à fixer le montant des dommages‑intérêts non pécuniaires devraient comparer l’affaire dont ils sont saisis à d’autres affaires analogues où des dommages‑intérêts non pécuniaires ont été octroyés : Stations de la Vallée, par. 83. Ils doivent tenter de traiter [traduction] « les cas semblables de semblable façon » (ibid.), en accordant des indemnités à peu près équivalentes aux victimes dont les préjudices sont semblables du point de vue des approches combinées dont il a été question précédemment. Cependant, il n’est pas utile de comparer des cas où les dommages‑intérêts non pécuniaires sont plafonnés à des cas où ils ne le sont pas. Les arguments selon lesquels la victime d’une violation de son droit d’auteur ne devrait pas recevoir une indemnité plus élevée pour le préjudice non pécuniaire que la victime d’un accident devenue quadriplégique n’ont aucune valeur puisque le plafond fixé dans Andrews lie les tribunaux dans un cas, et non dans l’autre.
[107] En l’espèce, le juge de première instance s’est surtout fondé sur l’approche personnelle, soulignant les répercussions subjectives de la violation du droit d’auteur sur l’état mental et la vie personnelle de M. Robinson. Il a étayé son analyse en comparant l’angoisse subie par M. Robinson à celle subie par le demandeur dans l’affaire de diffamation Société Radio‑Canada c. Gilles E. Néron Communication Marketing inc., [2002] R.J.Q. 2639 (C.A.), conf. par 2004 CSC 53, [2004] 3 R.C.S. 95. Dans cette décision, la Cour d’appel avait confirmé l’octroi de 300 000 $ à titre de dommages‑intérêts non pécuniaires. Le juge de première instance a aussi examiné l’arrêt Hill, où la Cour a accordé 300 000 $ en dommages‑intérêts généraux à une victime de diffamation. Il a tenu compte à juste titre du fait que Hill avait été tranché plus de 10 ans avant le présent pourvoi et que, pour que la comparaison soit valable, il fallait ajuster la somme octroyée en fonction de l’inflation.
[108] Je conviens avec le juge de première instance que le préjudice non pécuniaire de M. Robinson est semblable à celui invoqué par une victime de diffamation. Le fruit des efforts artistiques de M. Robinson lui a été enlevé, l’intégrité de son processus de création a été violée, et cela a provoqué chez lui une profonde détresse psychologique. Ces souffrances ressemblent à celles subies par une victime de diffamation.
[109] Le juge de première instance a eu l’occasion d’observer M. Robinson en salle d’audience sur une longue période et il était bien placé pour procéder à une évaluation personnalisée de son préjudice non pécuniaire; il n’a commis aucune erreur manifeste et dominante dans son évaluation.
G. Les dommages‑intérêts punitifs
[110] Outre les dommages‑intérêts compensatoires et la restitution des profits, le juge de première instance a condamné Cinar, M. Weinberg, Mme Charest, M. Izard, M. Davin et France Animation à payer solidairement 1 000 000 $ en dommages‑intérêts punitifs. Il a justifié en bonne partie l’octroi de ces dommages‑intérêts en invoquant le comportement constamment malhonnête des parties en cause : elles ont participé à des stratagèmes frauduleux dans le but d’obtenir des redevances et des subventions gouvernementales, elles ont menti à répétition à propos de leur participation à ces stratagèmes, elles ont menti à la cour à propos de leur accès à l’œuvre de M. Robinson et elles ont fait preuve d’une totale indifférence à l’égard de ce dernier.
[111] La Cour d’appel a réduit les dommages‑intérêts punitifs à 250 000 $, a conclu qu’ils devaient être payés conjointement et les a répartis de la façon suivante : 100 000 $ pour Cinar, et 50 000 $ chacun pour M. Weinberg, Mme Charest et M. Izard. Elle a aussi conclu que les autres défendeurs n’avaient pas intentionnellement et délibérément violé les droits de M. Robinson et que, par conséquent, ils n’avaient pas à payer de dommages‑intérêts punitifs; que les dommages‑intérêts punitifs, compte tenu de leur nature, doivent être évalués et attribués de façon individuelle, ce qui exclut la solidarité; et que la modération est de mise dans l’attribution de dommages‑intérêts punitifs au Québec.
[112] Monsieur Robinson et Nilem prétendent que le juge de première instance n’a commis aucune erreur en attribuant des dommages‑intérêts punitifs et que la Cour d’appel n’aurait pas dû modifier sa décision.
(1) Le fondement législatif des dommages‑intérêts punitifs
[113] Au Québec, des dommages‑intérêts punitifs ne peuvent être attribués que s’ils sont prévus par une loi particulière : art. 1621 CcQ. Les tribunaux d’instance inférieure n’ont pas examiné en profondeur le fondement des dommages‑intérêts punitifs attribués en l’espèce, bien que la Cour d’appel ait fait allusion à la Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q., ch. C-12 (« Charte »).
[114] Aux termes de l’art. 49 de la Charte, des dommages‑intérêts punitifs peuvent être attribués en cas d’atteinte illicite et intentionnelle à un droit ou à une liberté reconnus par la Charte. La preuve démontre qu’il y a eu atteinte illicite et intentionnelle à plusieurs droits garantis par la Charte à M. Robinson. La violation du droit d’auteur est une violation de l’art. 6 de la Charte, qui prévoit que « [t]oute personne a droit à la jouissance paisible et à la libre disposition de ses biens, sauf dans la mesure prévue par la loi » : voir Construction Denis Desjardins inc. c. Jeanson, 2010 QCCA 1287, [2010] R.J.Q. 1600, par. 47. De plus, la violation du droit d’auteur en l’espèce a porté atteinte aux droits personnels de M. Robinson à l’intégrité et à la dignité, reconnus à l’article premier et à l’art. 4 de la Charte.
[115] L’atteinte au droit à l’intégrité « doit affecter de façon plus que fugace l’équilibre physique, psychologique ou émotif de la victime » : St-Ferdinand, par. 97. Le juge de première instance a tiré des conclusions de fait détaillées selon lesquelles l’équilibre psychologique et émotif de M. Robinson avait été profondément affecté par la contrefaçon et les procédures judiciaires qui ont suivi (par. 981-982).
[116] L’atteinte au droit à la dignité est une contravention au « respect auquel toute personne a droit du seul fait qu’elle est un être humain et au respect qu’elle se doit à elle‑même » : St‑Ferdinand, par. 105. Dans Markarian c. Marchés mondiaux CIBC inc., 2006 QCCS 3314, [2006] R.J.Q. 2851, la Cour supérieure du Québec a conclu que
[l]e manque de respect, le mépris et le traitement dégradant constituent des atteintes à la dignité. Ils doivent atteindre un certain degré pour être sanctionnés sous l’empire de la charte. [par. 589]
[117] En l’espèce, Cinar, M. Weinberg, Mme Charest et M. Izard ont constamment nié avoir eu accès à l’œuvre de M. Robinson et décrié avec mépris les allégations de M. Robinson selon lesquelles ils avaient reproduit son œuvre. Leur comportement constitue une atteinte au droit à la dignité garanti par la Charte à M. Robinson et un motif supplémentaire justifiant l’attribution de dommages‑intérêts punitifs.
(2) Les parties tenues de payer des dommages‑intérêts punitifs
[118] La Cour d’appel a eu raison de conclure que seuls Cinar, M. Weinberg, Mme Charest et M. Izard pouvaient être tenus de payer des dommages‑intérêts punitifs. Aux termes de l’art. 49 de la Charte, des dommages‑intérêts punitifs ne sont attribués que si l’atteinte aux droits ou aux libertés garantis par la Charte est « intentionnelle ». Une atteinte est intentionnelle lorsque « l’auteur de l’atteinte illicite a un état d’esprit qui dénote un désir, une volonté de causer les conséquences de sa conduite fautive ou encore s’il agit en toute connaissance des conséquences, immédiates et naturelles ou au moins extrêmement probables, que cette conduite engendrera » : St-Ferdinand, par. 121. Les conclusions détaillées du juge de première instance établissent que Cinar, M. Weinberg, Mme Charest et M. Izard ont intentionnellement porté atteinte à des droits garantis.
[119] Je le rappelle, on ne peut pas en dire autant de M. Davin. Le dossier n’étaye pas la prétention voulant qu’il ait été au courant des actes à l’origine de l’atteinte aux droits garantis par la Charte à M. Robinson ou aurait dû l’être. On ne peut pas affirmer non plus que France Animation a intentionnellement porté atteinte aux droits de M. Robinson du fait de sa relation employeur‑employé avec M. Izard, qui a personnellement participé à la contrefaçon. Je conviens avec la Cour d’appel que ce dernier occupait un échelon relativement bas de la hiérarchie de France Animation et que la relation employeur‑employé ne suffit pas pour tenir cette dernière responsable de l’atteinte intentionnelle par son employé aux droits garantis par la Charte à M. Robinson. Pour prouver qu’un employeur partage l’intention de son employé de porter atteinte à des droits garantis par la Charte, il faut établir l’existence d’éléments comme « [l]es ordres donnés par le commettant, la connaissance ou la non‑interdiction des actes illicites, l’omission d’ordonner la cessation de ceux‑ci » ou le niveau hiérarchique relativement élevé du poste de l’employé au sein de l’organisation : Gauthier, par. 111. Ces éléments ne sont pas présents en l’espèce.
(3) La solidarité des dommages‑intérêts punitifs
[120] À mon avis, la Charte ne permet pas d’attribuer des dommages‑intérêts punitifs sur une base solidaire. J’arrive à cette conclusion pour deux raisons.
[121] Premièrement, la solidarité des dommages‑intérêts punitifs ne repose sur aucun fondement législatif, que ce soit dans le Code civil ou dans la Charte. En droit civil québécois, la solidarité des obligations entre les débiteurs est l’exception, et non la règle : D. Lluelles et B. Moore, Droit des obligations (2e éd. 2012), p. 1524. L’article 1525 du CcQ précise que « [l]a solidarité entre les débiteurs ne se présume pas; elle n’existe que lorsqu’elle est expressément stipulée par les parties ou prévue par la loi. » « Pour réclamer le bénéfice de la solidarité, en l’absence de stipulation contractuelle, il faut donc pouvoir invoquer un texte législatif qui l’accorde clairement » : J.‑L. Baudouin et P.‑G. Jobin, Les obligations (7e éd. 2013), par P.‑G. Jobin et N. Vézina, p. 710.
[122] La jurisprudence de la Cour d’appel du Québec est divisée sur la question de savoir si la solidarité des dommages‑intérêts punitifs attribués en vertu de la Charte s’appuie sur un fondement législatif. Dans Genex Communications inc. c. Association québécoise de l’industrie du disque, du spectacle et de la vidéo, 2009 QCCA 2201, [2009] R.J.Q. 2743, le juge Dalphond a conclu, au nom de la Cour d’appel, que l’art. 1526 du CcQ fournit un fondement législatif à la solidarité puisque, selon son raisonnement, les coauteurs d’une atteinte intentionnelle à des droits garantis par la Charte se trouvent essentiellement dans la même situation que les coauteurs d’une faute extracontractuelle qui seraient tenus responsables solidairement en application de l’art. 1526 du CcQ.
[123] Cependant, dans Solomon c. Québec (Procureur général), 2008 QCCA 1832, [2008] R.J.Q. 2127, le juge Pelletier a conclu, au nom de la Cour d’appel, que l’art. 1526 du CcQ ne peut servir de fondement à l’attribution en vertu de la Charte de dommages‑intérêts punitifs sur une base solidaire. La Cour d’appel a souligné que la disposition s’applique à « l’obligation de réparer le préjudice ». Cette formulation donne à penser que la solidarité entre les coauteurs d’une faute s’applique uniquement aux dommages‑intérêts compensatoires, qui visent à réparer le préjudice. Or, les dommages‑intérêts punitifs, eux, ont pour objectifs non pas la réparation du préjudice, mais la prévention, la dissuasion et la dénonciation.
[124] Je préfère le raisonnement et le résultat dans Solomon. Le libellé de l’art. 1526 du CcQ, qui souligne son application à l’obligation de réparer le préjudice, ne s’étend pas aux dommages‑intérêts punitifs prévus par la Charte. En outre, depuis que les arrêts Solomon et Genex ont été rendus, la Cour a reconnu l’autonomie du régime de dommages‑intérêts punitifs de la Charte par rapport au régime de responsabilité civile extracontractuelle établi dans le Code civil : de Montigny c. Brossard (Succession), 2010 CSC 51, [2010] 3 R.C.S. 64, par. 44, le juge LeBel. À mon avis, l’art. 1526 du CcQ s’applique à la faute extracontractuelle qui entraîne un préjudice et ne peut servir de fondement à la solidarité des dommages‑intérêts punitifs attribués en vertu de la Charte.
[125] La deuxième raison pour laquelle je suis arrivée à la conclusion que les dommages‑intérêts punitifs ne peuvent être attribués sur une base solidaire est que cela serait incompatible avec les principes énoncés à l’art. 1621 du CcQ, selon lequel :
1621. Lorsque la loi prévoit l’attribution de dommages‑intérêts punitifs, ceux‑ci ne peuvent excéder, en valeur, ce qui est suffisant pour assurer leur fonction préventive.
Ils s’apprécient en tenant compte de toutes les circonstances appropriées, notamment de la gravité de la faute du débiteur, de sa situation patrimoniale ou de l’étendue de la réparation à laquelle il est déjà tenu envers le créancier, ainsi que, le cas échéant, du fait que la prise en charge du paiement réparateur est, en tout ou en partie, assumée par un tiers.
[126] L’article 1621 du CcQ impose expressément la prise en compte des objectifs des dommages‑intérêts punitifs — la prévention, la dissuasion (particulière et générale) et la dénonciation des actes qui sont particulièrement répréhensibles dans l’opinion de la justice : Richard c. Time Inc., 2012 CSC 8, [2012] 1 R.C.S. 265, par. 155, les juges LeBel et Cromwell. Parmi les facteurs à prendre en compte au moment d’établir le montant des dommages‑intérêts punitifs, mentionnons « (1) [. . .] la gravité de la faute du débiteur, (2) [. . .] sa situation patrimoniale ou (3) [. . .] l’étendue de la réparation à laquelle il est déjà tenu envers le créancier, ainsi que (4) le cas échéant, [le] fait que la prise en charge du paiement réparateur est, en tout ou en partie, assumée par un tiers » (p. ex. un assureur) : ibid., par. 199.
[127] Les objectifs des dommages‑intérêts punitifs et les facteurs pertinents pour les apprécier donnent à penser que ces dommages‑intérêts doivent être adaptés à chaque défendeur condamné à les payer, ce qui milite contre leur attribution sur une base solidaire.
[128] Comme l’indique clairement l’art. 1621 du CcQ, les dommages‑intérêts punitifs « ne peuvent excéder, en valeur, ce qui est suffisant pour assurer leur fonction préventive ». On détermine si le montant des dommages‑intérêts est suffisant pour assurer la prévention en tenant compte de facteurs qui, de par leur nature même, sont propres à chaque défendeur condamné à verser des dommages‑intérêts punitifs : V. Karim, Les obligations (3e éd. 2009), vol. 2, p. 801‑802. La gravité du comportement des codéfendeurs peut varier d’un défendeur à l’autre (ibid.). De même, la situation patrimoniale des codéfendeurs, l’étendue de la réparation à laquelle ils sont déjà tenus et la prise en charge des paiements par un tiers sont tous des facteurs qui sont propres à chaque défendeur.
[129] On soutient que condamner les coauteurs d’une atteinte intentionnelle à des droits garantis par la Charte à payer solidairement des dommages‑intérêts punitifs serait favorable à la fonction préventive de ces dommages‑intérêts. « [D]ans certains cas, une telle condamnation ne peut qu’inciter une personne à refuser de s’associer à la commission d’une telle faute civile de peur de devoir répondre de dommages punitifs en lieu et place d’un coauteur » : Genex, par. 135, le juge Dalphond.
[130] Je conviens que la possibilité d’être condamné à payer solidairement des dommages‑intérêts punitifs peut avoir un effet dissuasif. Cependant, l’octroi de dommages‑intérêts punitifs bien adaptés au défendeur et qui tient compte des facteurs énumérés à l’art. 1621 du CcQ et de toutes les autres circonstances pertinentes aura déjà un effet suffisamment dissuasif. Le fait de rendre solidaires ces dommages‑intérêts punitifs fixés judicieusement ne ferait que créer le risque que leur montant excède ce qui est suffisant pour assurer la prévention. Ce serait le cas si l’un des défendeurs devenait insolvable, ce qui empêcherait les codéfendeurs de recouvrer la part des dommages‑intérêts de ce défendeur et augmenterait en fait le montant des dommages‑intérêts punitifs qu’ils devraient payer : Jobin et Vézina, p. 716.
[131] J’ajouterai ceci. La Cour a attribué des dommages‑intérêts punitifs sur une base solidaire dans St-Ferdinand. S’exprimant au nom de la Cour, la juge L’Heureux‑Dubé a conclu que « rien [ne] s’oppose à ce que la solidarité joue » dans le contexte des dommages‑intérêts punitifs « comme en matière de dommages d’une autre nature » (par. 131). Cependant, cet arrêt a été rendu en application des dispositions du Code civil du Bas-Canada. À mon avis, les développements législatifs et jurisprudentiels depuis cet arrêt, notamment l’adoption de l’art. 1621 du CcQ, justifient que l’on s’écarte du précédent établi dans cette affaire.
[132] Pour ces motifs, je conclus que le juge de première instance a commis une erreur en attribuant des dommages‑intérêts punitifs en vertu de la Charte sur une base solidaire.
(4) Le montant des dommages‑intérêts punitifs
[133] La Cour d’appel a réduit les dommages‑intérêts punitifs de 1 000 000 $ à 250 000 $. À mon avis, la Cour d’appel a eu raison de réévaluer les dommages‑intérêts octroyés par le juge de première instance. Cependant, elle n’a pas accordé suffisamment d’importance à la gravité du comportement de Cinar, de M. Weinberg, de Mme Charest et de M. Izard. J’accorderais donc 500 000 $ en dommages‑intérêts punitifs.
[134] La Cour a conclu dans Richard qu’une cour d’appel ne peut modifier le montant des dommages‑intérêts punitifs établi par le juge de première instance que (1) en présence d’une erreur de droit; ou que (2) lorsque ce montant n’a pas de lien rationnel avec les objectifs de l’attribution de dommages‑intérêts punitifs, soit la prévention, la dissuasion (particulière et générale) et la dénonciation (voir par. 190).
[135] La Cour d’appel était justifiée de réduire le montant des dommages‑intérêts punitifs octroyés par le juge de première instance puisque ce dernier a pris en considération des facteurs dénués de pertinence pour leur évaluation. Il a tenu compte du fait que les appelants Cinar avaient participé à des stratagèmes frauduleux pour obtenir des redevances et des subventions gouvernementales auxquelles ils n’avaient pas droit. Or, en l’espèce, des dommages‑intérêts punitifs sont accordés en raison d’une atteinte intentionnelle à plusieurs droits garantis par la Charte à M. Robinson. Les stratagèmes frauduleux employés à l’endroit de tiers sont susceptibles d’entraîner des réparations distinctes en droit civil ou des sanctions pénales, mais ces réparations et sanctions n’ont rien à voir avec les objectifs visés par la condamnation à des dommages‑intérêts punitifs en l’espèce. Compte tenu de cette erreur de droit, il faut réévaluer le montant des dommages‑intérêts punitifs accordés par le juge de première instance : Richard, par. 198.
[136] Rappelons‑le, les dommages‑intérêts punitifs sont évalués en fonction des fins auxquelles ils sont utilisés : la prévention, la dissuasion et la dénonciation. Parmi les facteurs à prendre en considération figurent la gravité de la faute du débiteur, sa situation patrimoniale, l’étendue de la réparation à laquelle il est déjà tenu envers le créancier et le fait que la prise en charge du paiement des dommages‑intérêts sera, en tout ou en partie, assumée par un tiers : art. 1621 CcQ. Je souligne également qu’en droit civil québécois, « [i]l est [. . .] tout à fait acceptable [. . .] d’utiliser les dommages‑intérêts punitifs, comme en common law, pour dépouiller l’auteur de la faute des profits qu’elle lui a rapportés lorsque le montant des dommages‑intérêts compensatoires ne représenterait rien d’autre pour lui qu’une dépense lui ayant permis d’augmenter ses bénéfices tout en se moquant de la loi » : Richard, par. 206.
[137] En outre, il faut accorder une attention particulière à la gravité de la faute du débiteur, qui « constitue sans aucun doute le facteur le plus important » : Richard, par. 200. Le degré de gravité s’apprécie sous deux angles : « . . . la conduite fautive de l’auteur et l’importance de l’atteinte aux droits de la victime » (ibid.).
[138] Cela dit, les dommages‑intérêts punitifs doivent être accordés avec retenue. L’article 1621 du CcQ prévoit expressément que les dommages‑intérêts punitifs « ne peuvent pas excéder, en valeur, ce qui est suffisant pour assurer leur fonction préventive ». Au Québec, les dommages‑intérêts punitifs varient habituellement entre 5 000 $ et 250 000 $ : voir l’examen de la jurisprudence dans les motifs de la Cour d’appel, par. 249. Cependant, dans les cas où la gravité du comportement le justifie, les tribunaux ont accordé des dommages‑intérêts punitifs s’élevant à 1 000 000 $ ou plus : Markarian; Whiten c. Pilot Insurance Co., 2002 CSC 18, [2002] 1 R.C.S. 595.
[139] Dans le présent pourvoi, les facteurs pertinents militent en faveur de résultats différents. D’une part, la gravité du comportement milite en faveur de dommages‑intérêts punitifs élevés. Cinar, M. Weinberg, Mme Charest et M. Izard ont violé un droit d’auteur de manière intentionnelle et calculée. Ils prévoyaient garder le secret tout en tirant des profits d’une série télévisée pour enfants de renommée internationale. Ils ont continuellement nié avoir reproduit une partie de l’œuvre de M. Robinson pendant les longues procédures judiciaires. Une conduite de cette nature compromet la réalisation de l’un des objectifs fondamentaux visés par la législation canadienne sur le droit d’auteur, à savoir « l’assurance que personne d’autre que le créateur [de l’œuvre] ne pourra s’approprier les bénéfices qui pourraient être générés » : Théberge, par. 30. Les conséquences de ce comportement pour M. Robinson sont tout aussi graves. Ce dernier a non seulement été privé d’une source de revenus, mais aussi de son sentiment de paternité et de contrôle sur un projet auquel il attribuait une valeur presque indicible. Il a souffert d’une douleur profonde. Et comme si cela ne suffisait pas, les appelants Cinar ont nié impitoyablement avoir reproduit son œuvre et insinué que M. Robinson n’était qu’un excentrique en quête d’attention.
[140] D’autre part, Cinar, M. Weinberg, Mme Charest et M. Izard ont déjà été condamnés à payer à M. Robinson des sommes d’argent importantes. Comme l’a souligné la Cour d’appel, ils seront privés en bonne partie des avantages qu’ils peuvent avoir tirés de la contrefaçon.
[141] J’accorderais 500 000 $ en dommages‑intérêts punitifs. Le montant de 1 000 000 $ octroyé par le juge de première instance est trop élevé. Ce dernier a tenu compte de facteurs non pertinents et n’a pas accordé suffisamment d’importance aux sommes considérables octroyées au titre d’autres catégories de dommages‑intérêts. En revanche, la somme de 250 000 $ octroyée par la Cour d’appel ne reflète pas entièrement la gravité du comportement et la nécessité de dissuader d’autres personnes de se comporter pareillement. Le comportement fautif s’est révélé extrêmement lucratif; les pénalités qui en découlent doivent être proportionnellement lourdes. Le montant de 500 000 $ atteint un juste équilibre entre, d’une part, le principe de modération qui régit ces dommages‑intérêts et, d’autre part, la nécessité de décourager un comportement de cette gravité.
[142] Vu ma conclusion que ces dommages‑intérêts ne peuvent être attribués sur une base solidaire, je dois les répartir entre les parties. La Cour d’appel a condamné Cinar à payer les deux cinquièmes des dommages‑intérêts punitifs, et M. Weinberg, Mme Charest et M. Izard, à en payer un cinquième chacun. Cette décision semble raisonnable puisque Cinar a tiré plus d’avantages financiers de la contrefaçon que M. Weinberg, Mme Charest ou M. Izard.
IV. Conclusion
[143] Je conclus que le droit d’auteur relatif à Curiosité a été violé. Le juge de première instance n’a commis aucune erreur susceptible de révision en concluant que Sucroë était une reproduction d’une partie importante de Curiosité. Les appelants Cinar plaident, à tort, en faveur d’une approche qui dissèque l’œuvre de M. Robinson en ses éléments constitutifs. Il faut plutôt adopter une approche qualitative et globale. Pour déterminer si une partie importante de l’œuvre de M. Robinson a été reproduite, les caractéristiques reprises par les appelants Cinar doivent être examinées cumulativement en tenant compte de l’œuvre de M. Robinson dans son ensemble. C’est justement l’approche qu’a adoptée le juge de première instance. De plus, la preuve d’expert sur laquelle il s’est fondé dans son analyse était admissible.
[144] S’agissant de la responsabilité, je conviens avec la Cour d’appel que le dossier ne permet pas de conclure à la responsabilité personnelle de M. Davin. Pour ce qui est de M. Weinberg, de Mme Charest et de M. Izard, ils sont personnellement responsables pour la contrefaçon. Je tiens aussi Cinar, France Animation, Ravensburger et RTV Family Entertainment responsables de la contrefaçon.
[145] Vu mes conclusions sur la contrefaçon, il n’est pas nécessaire d’examiner la responsabilité extracontractuelle de Cinar, de M. Weinberg et de Mme Charest.
[146] En ce qui concerne les dommages‑intérêts, je conviens avec la Cour d’appel que les profits ne peuvent pas être restitués solidairement en vertu de l’art. 35 de la Loi sur le droit d’auteur. Je partage également son avis que la somme d’argent versée par Ravensburger à France Animation ne pouvait pas être considérée comme un revenu aux fins du calcul des profits. En revanche, j’inclurais dans ce calcul les profits provenant de la trame sonore de Sucroë. Je ne déduirais pas non plus des profits la somme d’argent qui aurait été versée par Cinar à Jaffa Road. Finalement, je maintiendrais la répartition fixée par la Cour d’appel quant à la restitution des profits.
[147] En ce qui concerne les dommages‑intérêts non pécuniaires, la Cour d’appel a commis une erreur en appliquant le plafond fixé dans la trilogie Andrews aux dommages‑intérêts qui ne découlent pas d’un préjudice corporel. Pour ce qui est de leur montant, j’estime que le juge de première instance n’a commis aucune erreur manifeste et dominante dans son évaluation et je rétablirais les dommages‑intérêts non pécuniaires de 400 000 $.
[148] En ce qui concerne les dommages‑intérêts punitifs, je conviens avec la Cour d’appel qu’ils ne peuvent être attribués sur une base solidaire. Par ailleurs, la Cour d’appel a eu raison de réévaluer le montant des dommages‑intérêts, mais elle n’a pas accordé suffisamment d’importance à la gravité du comportement en l’espèce. J’accorderais la somme de 500 000 $. Cinar est condamnée à payer les deux cinquièmes de ce montant, et M. Weinberg, Mme Charest et M. Izard doivent en payer chacun un cinquième.
[149] Enfin, je souscris à la solution retenue par la Cour d’appel en ce qui concerne le calcul des intérêts et de l’indemnité additionnelle.
[150] Ainsi, je suis d’avis de rejeter les pourvois interjetés dans les dossiers 34466, 34467 et 34468.
[151] En ce qui concerne le dossier 34469, je suis d’avis d’accueillir en partie le pourvoi. Plus particulièrement, je rétablirais les profits provenant de la trame sonore de Sucroë et la somme de Jaffa Road dans le calcul que le juge de première instance a fait des profits, je rétablirais les dommages‑intérêts non pécuniaires accordés par ce dernier et j’accorderais 500 000 $ en dommages‑intérêts punitifs, sous réserve de leur répartition sur une base conjointe conformément aux présents motifs.
[152] Je suis d’avis d’accorder à M. Robinson et à Nilem leurs dépens devant toutes les cours en plus des honoraires extrajudiciaires de 1 500 000 $ pour les procédures de première instance accordés par le juge du procès. Ce dernier était bien placé pour observer la stratégie des appelants Cinar, ainsi que tous les autres facteurs à prendre en considération dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire d’accorder des honoraires extrajudiciaires en vertu de la Loi sur le droit d’auteur. Je suis d’avis de refuser d’octroyer à M. Robinson et à Nilem les dépens sur une base avocat-client pour les appels devant la Cour d’appel et devant notre Cour. Il y avait des questions de droit importantes à débattre et il n’est pas établi que, en appel, les appelants Cinar ont agi de mauvaise foi ou qu’ils se sont autrement conduits d’une manière qui justifie l’octroi de dépens sur la base avocat‑client.
Pourvois 34466, 34467 et 34468 rejetés. Pourvoi 34469 accueilli en partie avec dépens devant toutes les cours.
Procureurs des appelantes (34466)/intimées (34469) Cinar Corporation et Les Films Cinar inc. et de l’intimée (34469) 3918203 Canada Inc. : Davies Ward Phillips & Vineberg, Montréal.
Procureurs des intimés (34466, 34467, 34468)/appelants (34469) Claude Robinson et Les Productions Nilem inc. : Gowling Lafleur Henderson, Ottawa; Mannella Gauthier Tamaro, Montréal.
Procureurs des appelants (34468)/intimés (34469) Christophe Izard, France Animation S.A., Ravensburger Film + TV GmbH et RTV Family Entertainment AG et de l’intimée (34469) Videal Gesellschaft Zur Hertellung Von Audiovisuellen Produkten MHB : Fasken Martineau DuMoulin, Montréal.
Procureurs de l’intimé (34469) Christian Davin : Borden Ladner Gervais, Montréal.
Procureurs des appelants (34467)/intimés (34469) Ronald A. Weinberg et Ronald A. Weinberg, ès qualités d’unique liquidateur de la succession de feu Micheline Charest : Langlois Kronström Desjardins, Montréal.
Procureurs de l’intervenante Music Canada : McCarthy Tétrault, Toronto.