COUR SUPRÊME DU CANADA
Référence : Dionne c. Commission scolaire des Patriotes, 2014 CSC 33, [2014] 1 R.C.S. 765 |
Date : 20140501 Dossier : 34854 |
Entre :
Marilyne Dionne
Appelante
et
Commission scolaire des Patriotes et Commission des lésions professionnelles
Intimées
- et -
Commission de la santé et de la sécurité du travail et
Fédération des syndicats de l’enseignement
Intervenantes
Traduction française officielle
Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Abella, Cromwell, Moldaver et Karakatsanis
Motifs de jugement : (par. 1 à 46) |
La juge Abella (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges Cromwell, Moldaver et Karakatsanis) |
dionne c. commission scolaire des patriotes, 2014 CSC 33, [2014] 1 R.C.S. 765
Marilyne Dionne Appelante
c.
Commission scolaire des Patriotes et
Commission des lésions professionnelles Intimées
et
Commission de la santé et de la sécurité du travail et
Fédération des syndicats de l’enseignement Intervenantes
Répertorié : Dionne c. Commission scolaire des Patriotes
2014 CSC 33
No du greffe : 34854.
2014 : 13 janvier; 2014 : 1er mai.
Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Abella, Cromwell, Moldaver et Karakatsanis.
en appel de la cour d’appel du québec
Droit de l’emploi — Santé et sécurité du travail — Lieu de travail dangereux — Contrat de travail — Une enseignante suppléante enceinte est-elle un « travailleur » admissible au programme de retrait préventif et à l’indemnité de remplacement du revenu en vertu de la législation provinciale applicable? — Le refus d’effectuer des tâches dans un lieu de travail dangereux empêche-t-il la formation d’un contrat de travail? — Loi sur la santé et la sécurité du travail, RLRQ, ch. S-2.1, art. 1 « travailleur », 2, 4, 11, 12, 14, 30, 40, 41 — Code civil du Québec, art. 2085.
La Loi sur la santé et la sécurité du travail du Québec crée un régime conçu pour assurer la sécurité financière des travailleurs qui doivent se retirer temporairement de l’effectif pour éviter un travail dangereux. Elle énonce des mesures de protection particulières en matière de santé et de sécurité qui permettent aux femmes enceintes de refuser d’effectuer des tâches dans des conditions qui mettraient en danger leur santé ou leur sécurité ou celles de leur enfant à naître, et d’être affectées à d’autres tâches pour éviter ces risques. Si cette réaffectation est impossible, elles ont droit à un retrait préventif au cours duquel elles cessent de travailler et reçoivent des indemnités de remplacement du revenu pendant leur grossesse.
D, une enseignante suppléante enceinte, a appris de son médecin qu’elle était vulnérable à des virus contagieux qui peuvent causer du tort au fœtus. Parce que ces virus peuvent se propager par des groupes d’enfants, la salle de classe posait un risque. La commission scolaire lui a présenté une offre de suppléance pour la journée, ce qu’elle a accepté. En raison du risque pour la santé que posait le lieu de travail, la Commission de la santé et de la sécurité du travail a informé D qu’elle avait droit à une réaffectation ou à un retrait préventif. La commission scolaire a interjeté appel à la Commission des lésions professionnelles (« CLP »), qui a conclu que D n’était pas admissible au retrait préventif parce qu’elle ne pouvait entrer dans la salle de classe. D échappait en conséquence à l’application de la protection de la Loi. À l’issue d’une révision judiciaire, la Cour supérieure a conclu que la décision de la CLP était raisonnable. Les juges majoritaires de la Cour d’appel du Québec ont confirmé la décision de la Cour supérieure.
Arrêt : Le pourvoi est accueilli.
La Loi sur la santé et la sécurité du travail a pour objet d’assurer la santé et la sécurité des travailleurs en les protégeant contre les dangers sur le lieu de travail. En vertu du régime législatif, lorsqu’un travailleur invoque le droit de refuser d’exécuter un travail dangereux, une nouvelle affectation ou un retrait temporaire du lieu de travail ne sont pas considérés comme une absence du travail mais sont réputés remplacer le travail normalement attendu de l’employé n’eût été le danger. Un refus d’exécuter un travail dangereux n’est pas un refus d’exécuter le contrat de travail; c’est plutôt l’exercice d’un droit prévu par la loi. Les travailleurs sont ainsi assurés de ne pas avoir à choisir entre la sécurité d’emploi et leur santé ou sécurité.
À l’instar de tout autre travailleur qui a le droit de refuser d’exécuter un travail dangereux, une travailleuse enceinte est réputée, suivant la Loi, être encore « au travail » pendant sa réaffectation ou son retrait préventif. La Loi protège donc les femmes enceintes de deux façons importantes : elle protège leur santé en remplaçant des tâches dangereuses par des tâches sécuritaires, et elle protège leur emploi en leur assurant la sécurité financière et la sécurité d’emploi. Pour contrer les hypothèses discriminatoires qui avaient attribué aux femmes enceintes une incapacité de travailler, le régime protège non seulement leur droit de travailler, mais aussi leur droit de travailler dans un milieu sécuritaire, en présumant qu’elles sont disponibles pour travailler tout autant que le sont les travailleuses non enceintes.
Un contrat a été formé lorsque D a accepté l’offre de suppléance de la commission scolaire et elle est donc devenue un « travailleur » conformément à la définition prévue à la Loi. Le droit que la loi confère à une travailleuse enceinte de se retirer d’un lieu de travail dangereux ne permet pas de conclure que son retrait préventif fait obstacle à la formation du contrat de travail. La grossesse de D n’était pas une incapacité qui l’empêchait d’exécuter son travail; c’était plutôt le lieu de travail dangereux qui l’en empêchait. C’est ce qui a rendu applicable son droit légal à la réaffectation ou au retrait préventif. Ce n’est pas la grossesse qui empêche la prestation de travail mais l’incapacité de l’employeur de fournir un travail de substitution sans danger. Toute autre conclusion fait échec aux objectifs de la Loi et pénalise les femmes enceintes qui font précisément ce que prescrit le régime législatif, c’est-à-dire éviter les risques pour la santé au lieu de travail pendant la grossesse.
Jurisprudence
Arrêt appliqué : Bell Canada c. Québec (Commission de la santé et de la sécurité du travail), [1988] 1 R.C.S. 749; arrêts mentionnés : Commission des écoles catholiques de Québec c. Gobeil, [1999] R.J.Q. 1883; AT & T Corp. c. Hulteen, 129 S. Ct. 1962 (2009); Cabiakman c. Industrielle-Alliance Cie d’Assurance sur la Vie, 2004 CSC 55, [2004] 3 R.C.S. 195; Westmount (Ville) c. Rossy, 2012 CSC 30, [2012] 2 R.C.S. 136.
Lois et règlements cités
Code civil du Québec, disposition préliminaire, art. 1385, 2085.
Loi d’interprétation, RLRQ, ch. I-16, art. 41.
Loi sur la santé et la sécurité du travail, RLRQ, ch. S-2.1, art. 1 « travailleur », 2, 4, 11, 12, 14, 30, 36, 40, 41, 43, 45.
Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, RLRQ, ch. A-3.001, art. 60, 63 à 76.
Règlement sur le certificat délivré pour le retrait préventif et l’affectation de la travailleuse enceinte ou qui allaite, RLRQ, ch. S-2.1, r. 3.
Doctrine et autres documents cités
Cliche, Bernard, Serge Lafontaine et Richard Mailhot. Traité de droit de la santé et de la sécurité au travail : Le régime juridique de la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles. Cowansville, Qué. : Yvon Blais, 1993.
Gagnon, Robert P., Louis LeBel et Pierre Verge. Droit du travail, 2e éd. Sainte-Foy, Qué. : Presses de l’Université Laval, 1991.
Lafontaine, Serge. « Le retrait préventif de la travailleuse enceinte ou qui allaite : qui décide quoi? », dans Service de la formation permanente du Barreau du Québec, Développements récents en droit du travail (1991). Cowansville, Qué. : Yvon Blais, 1991, 133.
Lippel, Katherine. « Preventive Reassignment of Pregnant or Breast-Feeding Workers : The Québec Model » (1998), 8 New Solutions 267.
Messing, Karen, et al. « Equality and Difference in the Workplace : Physical Job Demands, Occupational Illnesses, and Sex Differences » (2000), 12 NWSA Journal 21.
Morin, Fernand, et autres. Le droit de l’emploi au Québec, 4e éd. Montréal : Wilson & Lafleur, 2010.
Plante, Robert, and Romaine Malenfant. « Reproductive Health and Work : Different Experiences » (1998), 40 JOEM 964.
Québec. Ministre d’État au développement social. Santé et sécurité au travail : Politique québécoise de la santé et de la sécurité des travailleurs. Québec : Éditeur officiel du Québec, 1978.
Trudeau, Gilles. « Aspects constitutionnels du travail salarié », dans Katherine Lippel et Guylaine Vallée, dir., Rapports individuels et collectifs du travail. Montréal : LexisNexis, 2009, 1/1 (feuilles mobiles mises à jour mars 2013, envoi no 6).
POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Québec (les juges Dalphond, Giroux et Wagner), 2012 QCCA 609, SOQUIJ AZ-50844625, [2012] J.Q. no 2984 (QL), 2012 CarswellQue 3214, qui a confirmé une décision du juge Crête, 2010 QCCS 1550, [2010] C.L.P. 251, SOQUIJ AZ-50628222, [2010] J.Q. no 3332 (QL), 2010 CarswellQue 3470, qui avait rejeté une requête en révision judiciaire d’une décision de la Commission des lésions professionnelles, 2008 QCCLP 3215, SOQUIJ AZ-50496029, 2008 LNQCCLP 141 (QL). Pourvoi accueilli.
Denis Lavoie, Graciela Barrère, Pierre Brun et Isabelle Bolla, pour l’appelante.
Yann Bernard, Paule Veilleux et René Paquette, pour l’intimée la Commission scolaire des Patriotes.
Marie-France Bernier, pour l’intimée la Commission des lésions professionnelles.
Pierre-Michel Lajeunesse et Marie-Anne Lecavalier, pour l’intervenante la Commission de la santé et de la sécurité du travail.
Claudine Morin et Nathalie Léger, pour l’intervenante la Fédération des syndicats de l’enseignement.
Version française du jugement de la Cour rendu par
[1] La juge Abella — La législation québécoise sur la santé et la sécurité du travail, de pair avec la législation sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, crée un régime conçu pour assurer la sécurité financière des travailleurs qui doivent se retirer temporairement de l’effectif pour éviter un travail dangereux. Le présent pourvoi concerne une enseignante suppléante enceinte qui s’est retirée d’un lieu de travail dangereux en raison des risques pour elle et son enfant à naître, ce qui a amené un tribunal administratif à conclure qu’elle n’avait pas droit, pour cette raison, aux indemnités de remplacement du revenu prévues par la loi. À mon avis, cette conclusion fait échec aux objectifs du régime et pénalise les femmes enceintes qui font précisément ce que prescrit le régime législatif, c’est-à-dire éviter les risques pour la santé au lieu de travail pendant la grossesse.
Contexte
[2] La Loi sur la santé et la sécurité du travail, RLRQ, ch. S-2.1, énonce des mesures de protection particulières en matière de santé et de sécurité qui permettent aux femmes enceintes de refuser d’effectuer des tâches dans des conditions qui mettraient en danger leur santé ou leur sécurité ou celles de leur enfant à naître, et d’être affectées à d’autres tâches pour éviter ces risques. Si la réaffectation est impossible, elles ont le droit de cesser de travailler et de recevoir des indemnités de remplacement du revenu pendant leur grossesse. Ces droits sont énoncés aux art. 40 et 41 de la Loi :
40. Une travailleuse enceinte qui fournit à l’employeur un certificat attestant que les conditions de son travail comportent des dangers physiques pour l’enfant à naître ou, à cause de son état de grossesse, pour elle-même, peut demander d’être affectée à des tâches ne comportant pas de tels dangers et qu’elle est raisonnablement en mesure d’accomplir.
. . .
41. Si l’affectation demandée n’est pas effectuée immédiatement, la travailleuse peut cesser de travailler jusqu’à ce que l’affectation soit faite ou jusqu’à la date de son accouchement.
On entend par « accouchement », la fin d’une grossesse par la mise au monde d’un enfant viable ou non, naturellement ou par provocation médicale légale.
[3] Pour avoir droit à une réaffectation, la travailleuse enceinte doit présenter à son employeur un « certificat visant le retrait préventif et l’affectation de la travailleuse enceinte ou qui allaite » établi par un médecin qui confirme le danger du lieu de travail.
[4] Le Règlement sur le certificat délivré pour le retrait préventif et l’affectation de la travailleuse enceinte ou qui allaite, RLRQ, ch. S-2.1, r. 3, prescrit la forme et la teneur du certificat. La travailleuse doit identifier dans le certificat les risques qu’elle appréhende à son lieu de travail. Un médecin doit confirmer les conditions de travail qui comportent des dangers pour la travailleuse ou pour son enfant à naître et doit indiquer si elle est par ailleurs apte médicalement à faire un travail.
[5] Soulignons notamment qu’un certificat constitue automatiquement une demande d’affectation à une tâche sans risque (Bernard Cliche, Serge Lafontaine et Richard Mailhot, Traité de droit de la santé et de la sécurité au travail (1993), p. 243-244). Si l’employeur ne peut affecter la travailleuse enceinte ou s’il ne le fait pas, elle peut cesser de travailler jusqu’à ce que l’affectation soit faite ou jusqu’à la date de son accouchement[1]. Une travailleuse en retrait préventif a droit à sa pleine rémunération pendant les cinq premiers jours ouvrables de cessation de travail[2] et elle reçoit par la suite 90 pour 100 de son salaire net pour les jours où elle aurait normalement travaillé, n’eût été le risque pour la santé ou la sécurité[3]. Ces prestations sont payées à même un fonds auquel tous les employeurs québécois contribuent[4] et sont calculées en fonction du revenu gagné par la travailleuse pendant l’année précédant la grossesse[5]. Pendant son retrait préventif, elle conserve tous les avantages liés à l’emploi qu’elle occupait[6].
[6] Marilyne Dionne a obtenu un baccalauréat en enseignement préscolaire et primaire en décembre 2005. Au début de 2006, elle a été inscrite sur la liste des quelque 500 enseignants et enseignantes suppléants de la Commission scolaire des Patriotes (« commission scolaire »). Une convention collective oblige la commission scolaire à tenir cette liste et à l’utiliser en cas de besoin d’enseignants suppléants. Une autre convention collective prévoit les salaires et autres avantages payables aux enseignants suppléants appelés de la liste. Les suppléants sont appelés d’un centre d’appel. Plutôt que d’attendre qu’on les appelle, il arrive à l’occasion que les suppléants appellent directement le centre d’appel pour voir s’il y a du travail disponible. La convention collective n’oblige pas la commission scolaire à appeler un enseignant en particulier de la liste, laissant le choix de l’enseignant à la commission scolaire.
[7] Une fois inscrite sur la liste, Mme Dionne a travaillé fréquemment. Elle a fait 88,15 jours de suppléance sur 200 jours d’école au cours de l’année scolaire 2005-2006, travaillant presque à temps plein en 2006.
[8] Le 24 septembre 2006, Mme Dionne a appris qu’elle était enceinte. Le lendemain, elle a communiqué avec le centre d’appel pour informer les préposés de son état et leur dire qu’elle attendait les résultats de sa consultation médicale pour déterminer si elle était immunisée contre certaines maladies contagieuses.
[9] Le 5 octobre 2006, Mme Dionne a appris de son médecin qu’elle était vulnérable au Parvovirus B-19, un virus contagieux qui peut causer du tort au fœtus. Parce que ce virus peut se propager par des groupes d’enfants, la salle de classe posait un risque. Son médecin a rempli un certificat visant le retrait préventif et la réaffectation, confirmant que son lieu de travail présentait un risque pour la santé. Peu de temps après, son médecin a rempli un deuxième certificat confirmant que le lieu de travail la mettait également à risque par exposition à la rubéole.
[10] Madame Dionne a remis les certificats à la Commission de la santé et de la sécurité du travail (« CSST »). Le 3 novembre 2006, elle a été informée que si elle obtenait un contrat, elle était admissible au retrait préventif dans le cadre du programme « Pour une maternité sans danger ». La lettre de la CSST indiquait notamment ce qui suit :
Nous vous informons que vous êtes admissible au programme « Pour une maternité sans danger ».
Cependant, étant donné que vous êtes une travailleuse contractuelle, et dans l’alternative où votre employeur est dans l’impossibilité de respecter les dangers émis dans le rapport de CLSC, votre retrait préventif débutera le jour où vous serez appelée au travail par votre employeur pour effectuer un contrat. Votre employeur devra nous communiquer cette date en temps et lieu.
Madame Dionne a tenu la commission scolaire informée de sa situation médicale et lui a remis une copie des certificats.
[11] Le 13 novembre 2006, le centre d’appel lui a présenté une offre de suppléance pour la journée, offre qu’elle a acceptée. Au total, Mme Dionne a reçu 10 offres de suppléance du centre d’appel entre le 13 et le 30 novembre 2006, offres qu’elle a toutes acceptées. Elle n’a jamais été affectée à d’autres tâches.
[12] Le 27 novembre 2006, la CSST a informé Mme Dionne que parce qu’un contrat avait été conclu le 13 novembre, elle avait droit de se prévaloir d’un retrait préventif et de toucher une indemnité de revenu durant sa grossesse tant qu’elle restait admissible à l’indemnité conformément à la Loi. L’établissement de l’indemnité par la CSST n’est pas en cause devant la Cour.
[13] La commission scolaire a demandé à la CSST de revoir cette décision. Le 20 décembre 2006, la CSST a confirmé que le droit de Mme Dionne à un retrait préventif et à une indemnité de remplacement du revenu était applicable depuis le 13 novembre 2006 lorsqu’elle avait reçu et accepté l’offre de la commission scolaire.
[14] La commission scolaire a interjeté appel à la Commission des lésions professionnelles (« CLP »), qui a annulé la décision de la CSST et a conclu que Mme Dionne n’était pas admissible au retrait préventif. À son avis, le retrait préventif était réservé exclusivement aux « travailleurs » au sens de la Loi. Parce qu’elle ne pouvait entrer dans l’école en raison des risques pour sa santé, elle était incapable d’effectuer la tâche d’enseignante suppléante que demandait la commission scolaire. Du fait de cette incapacité, aucun contrat de travail n’avait été formé. Sans un tel contrat, Mme Dionne n’était pas une « travailleuse » et elle échappait en conséquence à l’application de la protection prévue aux art. 40 et 41 de la Loi.
[15] À l’issue d’une révision judiciaire, la Cour supérieure a conclu que la décision de la CLP était raisonnable. Les juges majoritaires de la Cour d’appel du Québec ont rejeté l’appel de la décision de la Cour supérieure.
[16] Le juge dissident s’est dit d’avis que la décision de la CLP aurait pour effet de priver de prestations des milliers d’enseignantes suppléantes. Selon lui, Mme Dionne n’était pas incapable de travailler, elle ne faisait que refuser, conformément aux droits que lui confère la Loi, de travailler dans un lieu de travail dangereux. Je suis d’accord avec lui.
Analyse
[17] La Loi sur la santé et la sécurité du travail a pour objet d’assurer la santé et la sécurité des travailleurs en les protégeant contre les dangers sur le lieu de travail. Cet objet est énoncé à l’art. 2 :
2. La présente loi a pour objet l’élimination à la source même des dangers pour la santé, la sécurité et l’intégrité physique des travailleurs.
Elle établit les mécanismes de participation des travailleurs et de leurs associations, ainsi que des employeurs et de leurs associations à la réalisation de cet objet.
[18] Les mesures de protection énoncées dans la Loi reflètent une longue histoire de mesures législatives prises au Québec en vue de s’attaquer aux problèmes, et d’améliorer la situation, de la santé et de la sécurité du travail. Ces efforts ont abouti à un vaste processus de consultation amorcé par le gouvernement du Québec à la fin des années 70 en vue de déterminer une politique générale sur la santé et la sécurité du travail et d’élaborer les mécanismes nécessaires pour atteindre des objectifs en la matière (Fernand Morin et autres, Le droit de l’emploi au Québec (4e éd. 2010), p. 679; Robert P. Gagnon, Louis LeBel et Pierre Verge, Droit du travail (2e éd. 1991), p. 29-30; ministre d’État au développement social, Santé et sécurité au travail : Politique québécoise de la santé et de la sécurité des travailleurs (1978)). À l’issue de ce processus, la législature a adopté en 1979 la Loi sur la santé et la sécurité du travail dans le but non seulement de protéger la santé et la sécurité des travailleurs sur le lieu de travail, mais aussi d’y éliminer les causes d’accidents et de maladies.
[19] Pour atteindre cet objectif de protection, la Loi impose aux employeurs l’obligation de ne pas exposer les travailleurs à des conditions de travail dangereuses ou malsaines. Corrélativement, elle donne aux travailleurs le droit d’être informés des dangers, le droit de participer à la gestion des risques sur le lieu de travail et, ce qui est le plus pertinent en l’espèce, le droit de refuser d’exécuter un travail dangereux, prévu à l’art. 12 :
12. Un travailleur a le droit de refuser d’exécuter un travail s’il a des motifs raisonnables de croire que l’exécution de ce travail l’expose à un danger pour sa santé, sa sécurité ou son intégrité physique ou peut avoir l’effet d’exposer une autre personne à un semblable danger.
[20] Fait important, lorsqu’un travailleur invoque le droit de refuser d’exécuter un travail dangereux, il est réputé être encore « au travail », suivant l’art. 14 de la Loi :
14. Jusqu’à ce qu’une décision exécutoire soit rendue ordonnant au travailleur de reprendre le travail, l’employeur ne peut [. . .] faire exécuter le travail par un autre travailleur ou par une personne qui travaille habituellement hors de l’établissement et le travailleur qui exerce son droit de refus est réputé être au travail lorsqu’il exerce ce droit.
[21] L’article 30 interdit à l’employeur d’exercer des représailles contre les employés qui exercent leur droit de refuser d’exécuter un travail dangereux :
30. L’employeur ne peut congédier, suspendre ou déplacer un travailleur, exercer à son endroit des mesures discriminatoires ou de représailles ou lui imposer toute autre sanction pour le motif que ce travailleur a exercé le droit visé dans l’article 12.
[22] Une nouvelle affectation ou un retrait temporaire du lieu de travail sont réputés remplacer le travail normalement attendu de l’employé n’eût été le danger. Par conséquent, le refus d’exécuter un travail dangereux n’est pas considéré comme un refus d’exécuter le contrat de travail, mais plutôt comme l’exercice d’une protection législative (Bell Canada c. Québec (Commission de la santé et de la sécurité du travail), [1988] 1 R.C.S. 749, p. 801).
[23] Ce droit de refuser d’exécuter un travail dangereux est automatiquement incorporé dans le contrat de travail entre un employeur et un travailleur puisque la Loi est d’ordre public. Comme l’a expliqué le juge Beetz dans Bell Canada :
. . . il est de l’essence [de la Loi] ayant pour objet la préservation de la santé des travailleurs de préciser les termes du contrat de travail, tout comme le fait une convention collective qui comporte des clauses préventives portant sur la santé et la sécurité des travailleurs. [p. 799]
[24] L’article 4 interdit aux employeurs et aux travailleurs de déroger à ces droits fondamentaux; ils ne peuvent que les bonifier :
4. La présente loi est d’ordre public et une disposition d’une convention ou d’un décret qui y déroge est nulle de nullité absolue.
Cependant une convention ou un décret peut prévoir pour un travailleur, une personne qui exerce une fonction en vertu de la présente loi ou une association accréditée des dispositions plus avantageuses pour la santé, la sécurité ou l’intégrité physique du travailleur.
[25] La Loi régit ainsi les droits et les obligations des travailleurs et des employeurs en présumant que le contrat de travail comprend des conditions de travail qui ne portent pas atteinte à la santé, à la sécurité ou à l’intégrité physique des travailleurs (Bell Canada, p. 799-800). Le droit de refuser d’effectuer un travail dangereux et de continuer à recevoir un salaire et d’autres avantages malgré ce refus, l’exigence de disponibilité et d’affectation à d’autres tâches et le droit de réintégrer son emploi à la fin de la réaffectation ou de la cessation de travail font partie de ces conditions de travail contractuelles présumées (Bell Canada, p. 802). Les travailleurs sont donc assurés de ne pas avoir à choisir entre la sécurité d’emploi et leur santé ou sécurité.
[26] Comme le montre ce bref exposé, la Loi établit un cadre général de droits en matière de santé et de sécurité et donne aux travailleurs les outils nécessaires pour se prévaloir de ces droits en toute sécurité et en toute confiance.
[27] Sur ce vaste filet protecteur, le législateur a en outre ajouté des mesures de sauvegarde pour répondre spécifiquement aux préoccupations des femmes enceintes en ce qui a trait à la santé et la sécurité. Ces mesures comprennent notamment le droit des femmes enceintes d’être affectées à d’autres tâches ou, si une telle affectation n’est pas possible, le droit de cesser immédiatement de travailler afin de protéger leur santé ou celle de leur enfant à naître et de toucher une indemnité de revenu pendant leur absence du travail (Serge Lafontaine, « Le retrait préventif de la travailleuse enceinte ou qui allaite : qui décide quoi? », dans Développements récents en droit du travail (1991), 133, p. 135; Cliche, Lafontaine et Mailhot, p. 237-238). Ces droits ont été conçus pour permettre aux travailleuses enceintes de continuer à travailler ou, si aucun autre lieu de travail sécuritaire n’est disponible, d’empêcher qu’elles soient pénalisées sur le plan pécuniaire (Katherine Lippel, « Preventive Reassignment of Pregnant or Breast-Feeding Workers : The Québec Model » (1998), 8 New Solutions 267, p. 267). Comme l’ont fait remarquer Robert Plante et Romaine Malenfant dans « Reproductive Health and Work : Different Experiences » (1998), 40 JOEM 964, p. 967 :
[traduction] . . . le droit à la réaffectation préventive vise à protéger les emplois des femmes en réduisant la probabilité qu’elles soient congédiées pendant leur grossesse et en assurant le maintien des avantages liés à un emploi . . .
[28] Les efforts en vue d’empêcher l’exclusion discriminatoire des femmes du milieu du travail en raison de leur grossesse ont amené les mesures de protection de la santé et de la sécurité des femmes enceintes (voir Karen Messing et autres, « Equality and Difference in the Workplace : Physical Job Demands, Occupational Illnesses, and Sex Differences » (2000), 12 NWSA Journal 21, p. 36; voir également Gilles Trudeau, “Aspects constitutionnels du travail salarié”, dans Katherine Lippel et Guylaine Vallée, dir., Rapports individuels et collectifs du travail (feuilles mobiles), 1/1, p. 1/14 et 1/15). Pour contrer les hypothèses discriminatoires qui avaient attribué aux femmes enceintes une incapacité de travailler, le régime protège non seulement leur droit de travailler, mais aussi leur droit de travailler dans un milieu sécuritaire, en présumant qu’elles sont disponibles pour travailler tout autant que le sont les travailleuses non enceintes (Commission des écoles catholiques de Québec c. Gobeil, [1999] R.J.Q. 1883 (C.A.), p. 1893, le juge Robert; voir aussi AT & T Corp. c. Hulteen, 129 S. Ct. 1962 (2009), p. 1978, le juge Ginsburg, dissident). Comme le signalent Plante et Malenfant, la réaffectation et le retrait préventif visent principalement [traduction] « à protéger la santé de la travailleuse enceinte et celle de son enfant à naître en éliminant les dangers sur le lieu de travail, lui permettant ainsi de continuer à travailler » (p. 965 (italiques ajoutés); voir également Lippel, p. 269-270). Si aucune autre affectation au lieu de travail n’est possible, elle a droit de cesser de travailler.
[29] Le retrait préventif s’applique dans le contexte du régime plus large de santé et de sécurité établi par la Loi qui donne aux travailleuses la sécurité de refuser un travail dangereux. En assurant la sécurité financière et la sécurité d’emploi à une travailleuse dont le lieu de travail est dorénavant dangereux en raison de sa grossesse, la Loi évite à la travailleuse enceinte d’avoir à choisir entre son emploi (et son revenu) d’une part, et sa santé et celle de son enfant à naître, d’autre part, [traduction] « un choix manifestement difficile, voire impossible » (Plante et Malenfant, p. 968). En outre, à l’instar de tout autre travailleur qui refuse d’exécuter un travail dangereux, elle est réputée, suivant la Loi, être encore « au travail » pendant son retrait préventif.
[30] La Loi protège donc les femmes enceintes de deux façons importantes : elle protège leur santé en remplaçant des tâches dangereuses par des tâches sécuritaires, et elle protège leur emploi en leur assurant la sécurité financière et la sécurité d’emploi.
[31] Tel est donc le cadre légal dans lequel se situe le pourvoi de Mme Dionne. Il nous reste à déterminer si elle est une « travailleuse » au sens de la Loi et si elle a donc droit de se prévaloir de ses mesures de protection. La notion de « travailleur » est définie ainsi à l’article premier de la Loi :
« travailleur » : une personne qui exécute, en vertu d’un contrat de travail ou d’un contrat d’apprentissage, même sans rémunération, un travail pour un employeur, y compris un étudiant dans les cas déterminés par règlement, à l’exception :
1° d’une personne qui est employée à titre de gérant, surintendant, contremaître ou représentant de l’employeur dans ses relations avec les travailleurs;
2° d’un administrateur ou dirigeant d’une personne morale, sauf si une personne agit à ce titre à l’égard de son employeur après avoir été désignée par les travailleurs ou une association accréditée;
[32] Cette définition reflète une intention claire d’étendre le plus largement possible la protection en matière de santé et de sécurité du travail, y compris aux étudiants, aux stagiaires, aux apprentis et aux travailleurs individuels, qu’ils soient rémunérés ou non. Essentiellement, quiconque n’exerce pas un rôle de cadre et effectue un travail pour un employeur a droit à la protection de la Loi. La portée de la protection accordée aux travailleuses enceintes est encore plus large, puisque l’art. 11 accorde aux femmes enceintes qui sont gérantes, surintendantes, contremaîtresses ou administratrices les mêmes droits à la réaffectation et au retrait préventif que les « travailleurs ».
[33] Bien qu’il ne soit pas nécessaire, aux termes de la Loi, qu’une personne soit rémunérée pour être considérée comme un « travailleur », il doit exister un contrat de travail. La Loi ne définit pas expressément la notion de « contrat de travail », mais l’art. 2085 du Code civil du Québec en donne la définition suivante :
2085. Le contrat de travail est celui par lequel une personne, le salarié, s’oblige, pour un temps limité et moyennant rémunération, à effectuer un travail sous la direction ou le contrôle d’une autre personne, l’employeur.
[34] Trois conditions doivent donc être réunies pour la formation d’un contrat de travail en vertu du Code civil : la prestation de travail, le versement du salaire et le lien de subordination qui prévaut entre les parties (Cabiakman c. Industrielle-Alliance Cie d’Assurance sur la Vie, [2004] 3 R.C.S. 195, par. 27; Morin et autres, p. 271). Un contrat doit aussi avoir une cause et un objet (art. 1385 du Code civil).
[35] La CLP a reconnu qu’une suppléante qui entre dans une école pour enseigner remplit toutes les conditions nécessaires à la formation d’un contrat de travail, si bien qu’elle est un « travailleur » au sens de la Loi. Elle aurait donc droit à la protection prévue par la Loi, y compris le retrait préventif dans les circonstances appropriées. La question en litige en l’espèce n’est donc pas de savoir si une enseignante suppléante peut revendiquer des droits prévus par la Loi, mais de savoir si un danger sur le lieu de travail fait obstacle à la formation du contrat au départ.
[36] De l’avis de la CLP, puisque Mme Dionne ne pouvait pas entrer dans le lieu de travail pour enseigner, cet élément essentiel de l’exécution du contrat faisait défaut. Par conséquent, aucun contrat de travail n’avait été formé puisque le fait que Mme Dionne invoque son droit à un retrait préventif signifiait qu’elle ne pouvait pas travailler. Avec égards, il s’agit là d’une interprétation déraisonnable de l’exigence de prestation pour la formation d’un « contrat de travail » aux termes de la Loi.
[37] La Loi définit le « travailleur » autrement que ne le fait le Code civil — une personne qui exécute un travail même sans rémunération, plutôt qu’un employé qui travaille moyennant rémunération. Il est donc clair que le législateur avait l’intention de rejoindre un ensemble de travailleurs beaucoup plus large que celui qui est visé par la notion d’« employé » dans le Code civil. Cette interprétation plus généreuse de la notion de « travailleur » est non seulement justifiée par le caractère de la Loi, qui est d’ordre public, elle est également permise par la disposition préliminaire du Code, qui prévoit que d’autres lois peuvent « ajouter au code ou y déroger » (voir aussi la Loi d’interprétation, RLRQ, ch. I-16, art. 41; Westmount (Ville) c. Rossy, [2012] 2 R.C.S. 136, par. 21).
[38] La différence textuelle nous aide aussi à interpréter l’exigence de la prestation de travail que requiert la formation d’un « contrat de travail » pour l’application de la définition de « travailleur » à l’article premier de la Loi. À mon avis, cette exigence doit être interprétée d’une manière qui lui donne un véritable sens dans le contexte d’un régime conçu pour permettre aux travailleurs de se retirer d’un lieu de travail dangereux. De la même façon que le législateur a modifié dans la Loi l’exigence du Code civil relative à la rémunération pour la formation d’un contrat de travail, il a traité de l’exigence relative à la prestation du travail en prévoyant que, lorsqu’elle refuse, après la formation du contrat, de travailler dans un lieu de travail dangereux, la personne est encore au travail. Autrement dit, l’exigence de « prestation de travail » sera respectée même si, après la formation du contrat, le travailleur se retire du lieu de travail pour des raisons de santé et de sécurité du travail, puisque dès lors, la Loi présume qu’il est « au travail ».
[39] Le régime vise à protéger les travailleuses enceintes qui ont un contrat de travail. Il serait pour le moins anormal de conclure, en s’appuyant sur le droit que la loi confère à une travailleuse enceinte de se retirer d’un lieu de travail dangereux, que son retrait fait obstacle à la formation du contrat de travail.
[40] Tout comme le juge Beetz l’a confirmé dans Bell Canada, le retrait préventif n’est pas une omission ou une incapacité d’exécuter le travail : suivant le régime prévu par la Loi, il est réputé remplacer le travail. Autrement dit, l’exercice du droit constitue la prestation de travail (Bell Canada, p. 801). Le droit à la réaffectation garantit aux travailleurs qu’ils peuvent continuer à remplir leurs obligations en matière d’emploi sans risque pour leur santé. Le travailleur s’offre pour exécuter un travail, mais non pas un travail qui met en danger sa santé. En exerçant son droit au retrait préventif, la travailleuse n’indique pas qu’elle refuse de travailler, elle est plutôt réputée demander une affectation à des tâches sans danger. Ce qui empêche la prestation de travail est l’incapacité de l’employeur de fournir un travail de substitution sans danger.
[41] En acceptant l’offre de la commission scolaire le 13 novembre 2006, Mme Dionne avait le choix : elle pouvait soit se rendre à l’école et enseigner pour la journée, exposant son enfant à naître à un danger, soit s’appuyer sur son certificat pour revendiquer son droit à un retrait préventif en vertu de la Loi. Elle a choisi la deuxième possibilité et, ce faisant, elle s’est appuyée sur son droit légal de refuser un travail dangereux. Dès qu’elle a invoqué son certificat, elle avait droit au retrait préventif et la commission scolaire était immédiatement tenue de lui offrir d’autres tâches compatibles avec ses besoins en matière de santé. Il n’y a eu aucune offre d’affectation à d’autres tâches.
[42] Par conséquent, rien ne permet d’exclure Mme Dionne des mesures de protection prévues par la Loi. Puisque la CLP a reconnu qu’une enseignante qui exécute un contrat de suppléance est un « travailleur » au sens de la Loi, il s’ensuit que si Mme Dionne n’avait pas été enceinte, nul n’aurait contesté le droit qu’elle avait à un milieu de travail sain et sans danger chaque fois qu’elle se présentait à l’école pour enseigner, à l’instar de tout autre « travailleur » en application de la Loi. Une enseignante suppléante enceinte n’est pas moins qualifiée pour un emploi qu’une enseignante qui n’est pas enceinte, et son aptitude et ses compétences ne changent pas lorsqu’elle devient enceinte.
[43] Un contrat a été formé le 13 novembre 2006 lorsque Mme Dionne a accepté l’offre de suppléance de la commission scolaire et elle est donc devenue un « travailleur » conformément à la définition prévue à l’article premier de la Loi. Sa grossesse n’était pas une incapacité qui l’empêchait d’exécuter son travail : c’était plutôt le lieu de travail dangereux qui l’en empêchait, ce qui a rendu applicable son droit légal de remplacer ce travail par une tâche sans danger ou de se retirer.
[44] L’interprétation de la CLP selon laquelle le retrait préventif est une incapacité d’exécuter un travail limite aussi la définition de « travailleur » à quelqu’un qui peut exécuter un travail immédiatement sans problème de santé ou de sécurité. Exclure d’emblée une partie de l’effectif de la protection de la Loi, comme l’a fait la CLP en excluant les travailleuses contractuelles enceintes, revient à faire abstraction du large objectif législatif. Cette exclusion place ces femmes dans la position intenable d’avoir à choisir entre la conclusion d’un contrat de travail pour pouvoir travailler et la protection de leur santé et de leur sécurité. La Loi est conçue pour faire en sorte que ces deux préoccupations — le travail et la sécurité — soient compatibles. Avec égards, le raisonnement de la CLP les traite comme si elles s’excluaient mutuellement.
[45] La Loi permet expressément à Mme Dionne de substituer à la prestation de ses tâches d’enseignante suppléante une tâche de remplacement ou un retrait préventif. Le fait qu’elle invoque le certificat ne signifie pas qu’elle ne voulait pas travailler; il signifie plutôt qu’elle ne voulait pas s’exposer ou exposer son enfant à naître à des risques pour la santé dans le lieu de travail. La conclusion de la CLP selon laquelle Mme Dionne ne pouvait pas conclure un contrat parce qu’elle était enceinte et qu’elle a refusé un travail dangereux n’a pas tenu compte du fait que Mme Dionne était réputée, aux termes de l’art. 14 de la Loi, être « au travail » lorsqu’elle était en retrait préventif, et l’obligeait de ce fait à choisir entre son travail et sa santé. Il s’agit d’un raisonnement qui recrée le nœud gordien que le régime légal est censé trancher. Parce que la conclusion de la CLP compromet la réalisation de l’objectif de la Loi, j’estime, avec égards, qu’elle est déraisonnable.
[46] Je suis d’avis d’accueillir le pourvoi avec dépens devant toutes les cours.
Pourvoi accueilli avec dépens devant toutes les cours.
Procureurs de l’appelante : Melançon Marceau Grenier et Sciortino, Montréal.
Procureurs de l’intimée la Commission scolaire des Patriotes : Langlois Kronström Desjardins, Montréal.
Procureurs de l’intimée la Commission des lésions professionnelles : Verge Bernier, Québec.
Procureurs de l’intervenante la Commission de la santé et de la sécurité du travail : Vigneault Thibodeau Bergeron, Québec et Montréal.
Procureurs de l’intervenante la Fédération des syndicats de l’enseignement : Barabé Casavant, Montréal.
[1] Loi sur la santé et la sécurité du travail, art. 41.
[2] Loi sur la santé et la sécurité du travail, art. 36.
[3] Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, RLRQ, ch. A-3.001, art. 60.
[4] Loi sur la santé et la sécurité du travail, art. 45.
[5] Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, art. 63 à 76.
[6] Loi sur la santé et la sécurité du travail, art. 43.