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COUR SUPRÊME DU CANADA

 

Référence : Union Carbide Canada Inc. c. Bombardier Inc., 2014 CSC 35, [2014] 1 R.C.S. 800

Date : 20140508

Dossier : 35008

 

Entre :

Union Carbide Canada Inc. et Dow Chemical Canada Inc.

(maintenant connues sous le nom de Dow Chemical Canada ULC)

Appelantes

et

Bombardier Inc., Bombardier produits récréatifs Inc. et

Allianz Global Risks US Insurance Company

Intimées

- et -

Procureur général de la Colombie-Britannique et Arbitration Place Inc.

Intervenants

 

 

Traduction française officielle

 

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Rothstein, Cromwell, Moldaver, Karakatsanis et Wagner

 

Motifs de jugement :

(par. 1 à 69)

Le juge Wagner (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges LeBel, Rothstein, Cromwell, Moldaver et Karakatsanis)

 

 

 


union carbide canada inc. c. bombardier inc., 2014 CSC 35, [2014] 1 R.C.S. 800

Union Carbide Canada Inc. et Dow Chemical Canada Inc.

(maintenant connues sous le nom de Dow Chemical Canada ULC)       Appelantes

c.

Bombardier Inc., Bombardier produits récréatifs Inc. et

Allianz Global Risks US Insurance Company                                               Intimées

et

Procureur général de la Colombie-Britannique et

Arbitration Place Inc.                                                                                 Intervenants

Répertorié : Union Carbide Canada Inc. c. Bombardier Inc.

2014 CSC 35

No du greffe : 35008.

2013 : 11 décembre; 2014 : 8 mai.

Présents : La juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Rothstein, Cromwell, Moldaver, Karakatsanis et Wagner.

en appel de la cour d’appel du québec

                    Procédure civile — Offre de règlement — Privilège relatif aux règlements — Exception — Allégations d’une requête en homologation d’un règlement contestées au motif que le contrat de médiation empêchait les parties de faire état du déroulement de la médiation — Le contrat de médiation comportant une clause de confidentialité absolue peut-il écarter le privilège relatif aux règlements de la common law, y compris l’exception à ce privilège, lorsqu’une partie cherche à prouver l’existence ou la portée du règlement? — La clause permet-elle aux parties d’utiliser des renseignements confidentiels afin de faire la preuve des modalités d’un règlement? — Code de procédure civile, RLRQ, ch. C-25, art. 151.21.

                    Les parties sont empêtrées depuis des décennies dans une action civile de plusieurs millions de dollars au sujet de réservoirs à carburant pour motomarines défectueux.  B affirme que des réservoirs fournis par D étaient impropres à l’usage auquel ils étaient destinés et elle a intenté contre D une action en dommages-intérêts devant la Cour supérieure du Québec à Montréal.  Les parties ont convenu d’une médiation privée et ont signé une entente type de médiation, laquelle renfermait la clause suivante concernant la confidentialité du processus : « Rien de ce qui pourra être dit ou écrit au cours de la médiation ne sera allégué, mentionné ou présenté en preuve dans le cadre d’une instance ».  Le lendemain, D a soumis une offre de règlement que B a subséquemment acceptée.  Deux jours après cette acceptation, l’avocat de D a indiqué que sa cliente considérait que le montant offert visait un règlement global.  L’avocat de B a répondu que le montant du règlement visait uniquement la poursuite engagée à Montréal.  D n’a pas envoyé le montant du règlement qui avait fait l’objet de discussions et B a alors déposé devant la Cour supérieure une requête en homologation du règlement.  D a demandé par requête la radiation des allégations contenues dans six paragraphes de la requête en homologation au motif qu’elles faisaient état du déroulement de la médiation.

                    La juge saisie de la requête a conclu qu’en raison de la clause de confidentialité figurant dans l’entente de médiation, le compte-rendu de la médiation était protégé par l’art. 151.21 du Code de procédure civile.  Elle a accueilli en partie la requête en radiation de D et a ordonné que quatre des six allégations soient radiées parce qu’elles portaient sur les discussions et communications échangées dans le cadre de la médiation.  La Cour d’appel a accueilli l’appel et a conclu que les règles de confidentialité du Code de procédure civile ne s’appliquent pas à la médiation extrajudiciaire.  Elle a fait remarquer que les communications faites au cours de la médiation cessent d’être privilégiées lorsqu’elles ont conduit à une entente.  Elle a donc conclu que le privilège relatif aux règlements n’empêche pas une partie de produire des communications confidentielles afin de faire la preuve de l’existence d’une entente de règlement contestée découlant de la médiation, ou pour en faciliter l’interprétation.  La cour a refusé de radier les allégations et a laissé au juge saisi de la requête en homologation le soin de déterminer si les paragraphes contestés permettent d’établir les modalités de l’entente, auquel cas l’exception au privilège relatif aux règlements de la common law doit s’appliquer.

                    Arrêt : Le pourvoi est rejeté.

                    En common law, le privilège relatif aux règlements est une règle de preuve qui protège les communications échangées entre des parties qui tentent de régler un différend.  Il s’applique même en l’absence de dispositions législatives ou contractuelles concernant la confidentialité.  La règle favorise les discussions franches et ouvertes entre les parties, ce qui peut faciliter le règlement du différend.  Toutefois, une communication qui a conduit à un règlement cesse d’être privilégiée si sa divulgation est nécessaire pour prouver l’existence ou la portée du règlement.  Ce privilège de la common law et son exception font partie du droit civil du Québec, lequel s’applique en l’espèce.

                    La confidentialité constitue un aspect intrinsèque de la médiation en ce que les parties à ce processus discutent généralement de possibilités de règlement.  Pour cette raison, leurs communications sont protégées par le privilège relatif aux règlements de la common law.  Cependant, les parties peuvent par contrat se doter, en matière de confidentialité, d’exigences supérieures à celles que leur offre ce privilège.  Le privilège relatif aux règlements et la clause de confidentialité sont différents et peuvent parfois entrer en conflit.  L’un est une règle de preuve, l’autre est une entente exécutoire; la portée de la protection qu’ils offrent n’est pas la même, et les conséquences en cas de manquement ne sont pas nécessairement les mêmes.  Même si le fait de permettre aux parties de contracter librement en vue de renforcer la protection de la confidentialité facilite la réalisation de l’important objectif public qui consiste à favoriser les règlements extrajudiciaires, le fait d’écarter par contrat l’exception au privilège relatif aux règlements qui s’applique lorsqu’une personne cherche à prouver les modalités d’un règlement peut empêcher les parties d’exiger le respect des modalités d’un règlement négocié.

                    Afin de déterminer si une clause de confidentialité absolue d’une entente de médiation a pour effet d’écarter l’exception au privilège relatif aux règlements que prévoit la common law, l’analyse doit débuter par l’interprétation du contrat.  Il faut se demander si la clause de confidentialité entre effectivement en conflit avec le privilège relatif aux règlements ou avec ses exceptions reconnues.  Lorsque les parties concluent un contrat qui leur assure en matière de confidentialité une protection supérieure à celle qu’offre la common law, il y a lieu à première vue de confirmer leur volonté, sous réserve de préoccupations concernant la fraude ou l’illégalité.  Cependant, le simple fait de signer une entente de médiation assortie d’une clause de confidentialité n’écarte pas automatiquement le privilège et ses exceptions.  Lorsqu’une entente pourrait avoir pour effet d’empêcher l’application d’une exception reconnue au privilège relatif aux règlements, elle doit l’exprimer clairement. 

                    En l’espèce, le contrat de médiation montre de toute évidence une intention commune des parties de respecter le caractère confidentiel de tout ce qui peut être dit ou écrit au cours de la médiation.  Cependant, la nature du contrat, les circonstances dans lesquelles il a été conclu, ainsi que le contrat dans son ensemble révèlent que les parties n’avaient pas l’intention de passer outre à la règle habituelle voulant que le privilège relatif aux règlements soit écarté afin de faire la preuve des modalités d’un règlement.  L’entente de médiation a été signée la veille de la séance de médiation et visait apparemment à régler un différend.  Il s’agissait d’un contrat type fourni par le médiateur et ni l’une ni l’autre des parties ne l’a modifié ni n’y a ajouté des dispositions concernant la confidentialité.  Rien n’indique que les parties estimaient qu’elles écartaient le privilège relatif aux règlements qui s’applique habituellement.  En l’absence d’une disposition expresse à cet égard, il est déraisonnable de supposer que des parties qui ont consenti à une médiation dans le but de parvenir à un règlement renonceraient à leur droit de faire la preuve des modalités du règlement.  En conséquence, dans le cadre de la requête en homologation, les parties peuvent produire des éléments de preuve dans la mesure où ils sont nécessaires pour prouver les modalités du règlement.  S’il y a lieu de ne pas rendre accessibles au public des renseignements délicats, on peut alors demander au juge saisi de la requête de prononcer une ordonnance de confidentialité et d’examiner ces éléments de preuve à huis clos.

Jurisprudence

                    Arrêts appliqués : Sobeys Québec inc. c. Coopérative des consommateurs de Sainte-Foy, 2005 QCCA 1172, [2006] R.J.Q. 100; Québec (Agence du revenu) c. Services Environnementaux AES inc., 2013 CSC 65, [2013] 3 R.C.S. 838; arrêts examinés : Slavutych c. Baker, [1976] 1 R.C.S. 254; Sierra Club du Canada c. Canada (Ministre des Finances), 2002 CSC 41, [2002] 2 R.C.S. 522; arrêts mentionnés : Sable Offshore Energy Inc. c. Ameron International Corp., 2013 CSC 37, [2013] 2 R.C.S. 623; Globe and Mail c. Canada (Procureur général), 2010 CSC 41, [2010] 2 R.C.S. 592; Ferlatte c. Ventes Rudolph inc., [1999] Q.J. No. 2735 (QL); Kosko c. Bijimine, 2006 QCCA 671, [2006] R.J.Q. 1539; Kelvin Energy Ltd. c. Lee, [1992] 3 R.C.S. 235; Sparling c. Southam Inc. (1988), 41 B.L.R. 22; Luger c. Empire, cie d’assurance vie, [1991] J.Q. no 2635 (QL); Bloom Films 1998 inc. c. Christal Films productions inc., 2011 QCCA 1171 (CanLII); Stewart c. Stewart, 2008 ABQB 348 (CanLII); R. c. Gruenke, [1991] 3 R.C.S. 263.

Lois et règlements cités

Code civil du Québec, art. 1414, 1425, 1426, 1427, 1431.

Code de procédure civile, RLRQ, ch. C-25, art. 151.16, 151.21.

Commercial Mediation Act, S.N.S. 2005, ch. 36.

Loi de 2010 sur la médiation commerciale, L.O. 2010, ch. 16, ann. 3.

Doctrine et autres documents cités

Baudouin, Jean-Louis, et Pierre-Gabriel Jobin.  Les obligations, 7e éd. par Pierre-Gabriel Jobin et Nathalie Vézina.  Cowansville, Qué. : Yvon Blais, 2013.

Boulle, Laurence, and Kathleen J. Kelly.  Mediation : Principles, Process, Practice.  Markham, Ont. : Butterworths, 1998.

Brown, Kent L.  « Confidentiality in Mediation : Status and Implications », [1991] J. Disp. Resol. 307.

Bryant, Alan W., Sidney N. Lederman and Michelle K. Fuerst.  The Law of Evidence in Canada, 3rd ed.  Markham, Ont. : LexisNexis, 2009.

Crosbie, Fiona.  « Aspects of Confidentiality in Mediation : A Matter of Balancing Competing Public Interests » (1995), 2 C.D.R.J. 51.

Freedman, Lawrence R., and Michael L. Prigoff.  « Confidentiality in Mediation : The Need for Protection » (1986), 2 Ohio St. J. Disp. Resol. 37.

Glaholt, Duncan W., and Markus Rotterdam.  The Law of ADR in Canada : An Introductory Guide.  Markham, Ont. : LexisNexis, 2011.

Grammond, Sébastien, Anne-Françoise Debruche and Yan Campagnolo.  Quebec Contract Law.  Montréal : Wilson & Lafleur, 2011.

Gray, Owen V.  « Protecting the Confidentiality of Communications in Mediation » (1998), 36 Osgoode Hall L.J. 667.

Green, Eric D.  « A Heretical View of the Mediation Privilege » (1986), 2 Ohio St. J. Disp. Resol. 1.

Lluelles, Didier, et Benoît Moore.  Droit des obligations, 2e éd.  Montréal : Thémis, 2012.

Nations Unies.  Commission des Nations Unies pour le droit commercial international.  Loi type de la CNUDCI sur la conciliation commerciale internationale et Guide pour son incorporation dans le droit interne et son utilisation 2002.  New York : Nations Unies, 2004, art. 9.

Royer, Jean-Claude, et Sophie Lavallée.  La preuve civile, 4e éd.  Cowansville, Qué. : Yvon Blais, 2008.

Silver, Michael P.  Mediation and Negotiation : Representing Your Clients.  Markham, Ont. : Butterworths, 2001.

Thibault, Joëlle.  Les procédures de règlement amiable des litiges au Canada.  Montréal : Wilson & Lafleur, 2000.

                    POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Québec (les juges Thibault, Rochette et Morissette), 2012 QCCA 1300, SOQUIJ AZ-50874424, [2012] J.Q. no 6890 (QL), 2012 CarswellQue 7252, qui a infirmé une décision de la juge Corriveau, 2012 QCCS 22, SOQUIJ AZ-50819121, [2012] J.Q. no 39 (QL), 2012 CarswellQue 72.  Pourvoi rejeté.

                    Richard A. Hinse, Robert W. Mason et Dominique Vallières, pour les appelantes.

                    Martin F. Sheehan et Stéphanie Lavallée, pour les intimées.

                    Jonathan Eades et Mark Witten, pour l’intervenant le procureur général de la Colombie-Britannique.

                    William C. McDowell et Kaitlyn Pentney, pour l’intervenante Arbitration Place Inc.

                    Version française du jugement de la Cour rendu par

                    Le juge Wagner —

I.              Introduction

[1]                              Notre Cour a confirmé récemment l’importance cruciale du privilège relatif aux règlements lorsqu’il s’agit de favoriser le règlement des différends et d’améliorer l’accès à la justice : Sable Offshore Energy Inc. c. Ameron International Corp., 2013 CSC 37, [2013] 2 R.C.S. 623.  Le privilège relatif aux règlements est une règle de preuve de la common law qui s’applique aux négociations en vue d’un règlement, même si les parties ne l’ont pas expressément invoqué.  Or, ce privilège n’est pas le seul outil à la disposition des parties.  À l’instar des appelantes et des intimées en l’espèce, les parties signent souvent des ententes de médiation prévoyant que les communications faites durant la médiation demeureront confidentielles.

[2]                              Le présent pourvoi porte sur l’interaction entre ces deux moyens de protection : les contrats privés prévoyant le caractère confidentiel de la médiation et le privilège relatif aux règlements de la common law.  Plus particulièrement, il a trait à une exception au privilège relatif aux règlements que prévoit la common law et qui s’applique lorsqu’une partie cherche à établir l’existence ou la portée d’un règlement.  Il nous faut déterminer si un contrat de médiation qui assure une confidentialité absolue écarte le privilège relatif aux règlements de la common law, y compris cette exception, et empêche de ce fait les parties de faire la preuve des modalités d’un règlement.

[3]                              Paradoxalement, tant les appelantes que les intimées font valoir que la décision de la Cour pourrait nuire à l’évolution de la médiation au Canada, soit en portant atteinte à son caractère confidentiel, soit en faisant obstacle à ses principaux objectifs.  Je ne suis pas d’accord.  Ma décision tient compte de l’avantage prépondérant pour le public de favoriser le règlement extrajudiciaire des différends, quels que soient les moyens juridiques mis en œuvre pour parvenir à un règlement.  Pour les motifs qui suivent, j’estime que les parties sont libres de signer des contrats de médiation qui assurent une protection de la confidentialité différente de celle que procure la common law.  Les parties peuvent ainsi obtenir les mesures de protection qu’elles jugent importantes et négocier un règlement en toute liberté et en toute franchise, réalisant de ce fait le même objectif que le privilège relatif aux règlements : favoriser les règlements.  Je rejette cependant la présomption selon laquelle toute clause de confidentialité figurant dans une entente de médiation a pour effet d’écarter automatiquement le privilège relatif aux règlements, et en particulier les exceptions à ce privilège reconnues par la common law.  Les exceptions au privilège ont été élaborées pour des raisons d’intérêt public et visent à réaliser l’objectif général du privilège.  Un contrat de médiation n’empêchera pas les parties de faire la preuve des modalités d’un règlement au moyen des communications faites au cours de la médiation à moins que le tribunal estime, en appliquant les règles d’interprétation des contrats, que tel était l’effet recherché à l’entente.

[4]                              Comme le présent litige a pris naissance au Québec, le droit québécois des contrats s’applique.  J’estime que, même si les parties pouvaient se soustraire par contrat à l’exception au privilège relatif aux règlements, elles ne l’ont pas fait.  Elles conservent donc leur droit de produire les communications échangées dans le cadre de la médiation pour faire la preuve des modalités de leur règlement.  Je suis d’avis de confirmer la décision de la Cour d’appel, quoique pour des raisons différentes.

II.           Les faits

[5]                              Les parties sont empêtrées depuis des décennies dans une action civile de plusieurs millions de dollars au sujet de réservoirs à carburant pour motomarines défectueux.  Les appelantes, Dow Chemical Canada Inc. et Union Carbide Canada Inc., maintenant connues sous le nom de Dow Chemical Canada ULC (« Dow Chemical »), fabriquent et distribuent des réservoirs à carburant pour motomarines.  L’intimée Bombardier Inc. fabriquait et distribuait des motomarines avant de vendre sa division de produits récréatifs à l’intimée Bombardier produits récréatifs Inc. (conjointement, « Bombardier »).  Des plaintes des consommateurs sont à l’origine d’un différend au sujet du caractère approprié des réservoirs.

[6]                              Le présent pourvoi découle de l’allégation de Bombardier selon laquelle deux modèles de réservoirs à carburant fournis par Dow Chemical étaient impropres à l’usage auquel ils étaient destinés.  Plus particulièrement, Bombardier a affirmé que le matériau utilisé et recommandé par Dow Chemical pour la fabrication des réservoirs à carburant fissurait, ce qui avait dans certains cas causé des explosions; les propriétaires et les utilisateurs des motomarines avaient en conséquence subi des dommages matériels et des lésions corporelles.  En 1997, 1998 et 2003, Bombardier a rappelé les motomarines équipées de réservoirs à carburant de ces modèles et a fait l’objet de nombreuses poursuites intentées par des consommateurs.

[7]                              En mars 2000, Bombardier Inc. a intenté devant la Cour supérieure du Québec (dossier 500-05-056325-002) une action en dommages-intérêts contre Union Carbide Canada Inc. pour la somme de 9 980 612,07 $.  Subséquemment, Dow Chemical Canada Inc. a été ajoutée à titre de défenderesse à la suite de sa fusion avec Union Carbide.  Elles ont déposé une défense à l’action le 6 mai 2003.  Le 29 mai 2007, Bombardier Inc. a modifié sa déclaration pour ajouter Bombardier produits récréatifs Inc., laquelle avait depuis acquis sa division de produits récréatifs, ainsi que Allianz Global Risks US Insurance Company à titre de codemanderesses (Allianz est également intimée dans le présent pourvoi).  Dans cette déclaration modifiée, le montant réclamé a été augmenté à 30 019 505 $ et Allianz a présenté une demande additionnelle de 1 786 445,23 $.  Enfin, le 31 juillet 2008 ou vers cette date, Dow Chemical a déposé une défense modifiée.

[8]                              Bombardier a réclamé trois montants distincts : (1) 15 153 394 $, soit le coût des campagnes de rappels sécuritaires; (2) 13 474 142 $, soit le coût des règlements intervenus avec les consommateurs et le coût des poursuites engagées par eux pour le préjudice causé par les réservoirs à carburant; et (3) 1 391 969 $, soit les autres frais engagés par Bombardier.

[9]                              Après avoir signé une liste conjointe d’admissions quant à la valeur des réclamations, les parties ont convenu d’une médiation privée qui serait présidée par Me Max Mendelsohn, à Montréal.  Avant le début de la médiation, soit le 26 avril 2011, les parties ont signé une entente type de médiation, laquelle renfermait la clause suivante concernant la confidentialité du processus :

             [traduction]

             2.   Tout ce qui pourra être dit ou écrit au cours de la médiation sera confidentiel.  À cet égard, notamment :

a)        Rien de ce qui pourra être dit ou écrit au cours de la médiation ne sera allégué, mentionné ou présenté en preuve dans le cadre d’une instance;

b)        Aucune déclaration faite ni aucun document produit au cours du processus de médiation ne pourra faire l’objet d’une communication préalable ou d’un témoignage contraint, ni être admissible en preuve, dans le cadre d’une instance; toutefois, rien n’empêchera une partie d’utiliser, dans le cadre d’une procédure judiciaire ou autre, un document qui a été communiqué au cours du processus de médiation et qu’elle aurait pu autrement produire;

c)        Les souvenirs du médiateur, de même que les documents et les travaux produits par celui-ci, seront confidentiels et ne pourront faire l’objet d’une communication préalable ou d’un témoignage contraint dans le cadre d’une instance.

[10]                          L’entente comprenait également la disposition suivante relative au rôle du médiateur :

             [traduction] 

             4.  Le médiateur n’aura aucun pouvoir décisionnel; son rôle consiste simplement à aider les parties à arriver à un règlement de leur différend.

[11]                          Lors de la séance de médiation du 27 avril 2011, Dow Chemical a soumis une offre de règlement de 7 millions de dollars.  Puisqu’il avait besoin de consulter sa cliente à cet égard, l’avocat de Bombardier a demandé à celui de Dow Chemical de maintenir l’offre pendant 30 jours, ce que Dow Chemical a accepté.  Le 17 mai 2011, avant l’expiration du délai de 30 jours, l’avocat de Bombardier a communiqué en ces termes l’acceptation de l’offre de Dow Chemical :

                    [traduction]  Mes clientes, BRP, Bombardier et Allianz m’ont demandé d’accepter l’offre présentée par Dow Chemical de régler l’affaire susmentionnée pour la somme de 7 millions $ CA, en capital, intérêts et frais.

                    Veuillez demander à votre cliente de nous faire parvenir un chèque fait à l’ordre de Fasken Martineau en fiducie dans les plus brefs délais ou de virer ladite somme dans notre compte en fiducie, aux coordonnées suivantes.

. . .

                    Entre-temps, je rédigerai un projet de quittance que je vous ferai parvenir sous peu.  Bien entendu, Fasken Martineau s’engage à retenir les sommes visées jusqu’à ce que les documents de quittance soient signés et retournés à Lavery.

[12]                          Deux jours plus tard, soit le 19 mai 2011, l’avocat de Dow Chemical a envoyé à l’avocat de Bombardier un courriel dans lequel il indiquait que sa cliente considérait que le montant visait un règlement global.  Dow Chemical voulait ainsi que Bombardier signe une quittance la dégageant de toute responsabilité à l’égard de toute poursuite future dont elle pourrait faire l’objet, non seulement au Québec et au sujet des deux modèles de réservoirs à carburant en cause, mais partout dans le monde et relativement à tous les modèles de réservoirs à carburant :

                    [traduction]  Ma cliente s’attend à ce que le présent règlement mette fin à tout litige présent et futur concernant tout réservoir à carburant fourni à Bombardier, BRP et d’autres, par Wedco, Union Carbide, Dow Chemicals et d’autres.  Ma cliente est consciente qu’elle pourrait être désignée comme codéfenderesse avec votre cliente dans des affaires liées à l’un des réservoirs à carburant livrés, mais elle s’attend à ce que le document lié au règlement soit clair de sorte qu’aucune des parties ne puisse appeler l’autre en garantie ou la mettre en cause.  Ma cliente estime que le litige concernant les réservoirs à carburant fournis par Wedco, Union Carbide, Dow Chemicals et d’autres, a assez duré et s’est révélé très coûteux pour les deux parties, et elle souhaite y mettre fin de façon définitive.

[13]                          À la suite d’un bref courriel de suivi envoyé par l’avocat de Dow Chemical le 1er juin 2011, l’avocat de Bombardier a répondu, le 6 juin 2011, que le montant du règlement visait uniquement la poursuite engagée à Montréal.  Ce courriel faisait également état d’autres démarches envisagées :

                    [traduction]  Comme vous le savez très bien, les discussions engagées au cours de la médiation, et l’offre présentée par Dow à cette occasion, n’ont jamais porté sur le type de quittance mentionné dans votre courriel du 19 mai.  Les chiffres dont nous avons parlé concernaient toujours l’action intentée devant la Cour supérieure du district de Montréal et les mises en cause dans cette poursuite.  Ces chiffres ne concernaient que les actions en cours au moment des admissions et rien d’autre. . .

                    Vous trouverez donc ci-joint une quittance qui reflète l’étendue de votre offre et notre acceptation.  Pour acheter la paix, BRP a accepté d’étendre la portée de la quittance à toute action en cours ou éventuelle relative aux réservoirs 109 et 183 fabriqués par Wedco, qu’elle ait ou non été engagée au moment des admissions.  Cependant, BRP n’ira pas jusqu’à consentir au règlement des actions en cours ou éventuelles relatives aux réservoirs à carburant qui ne font pas l’objet de la poursuite intentée à Montréal.

                    À mon avis, trois possibilités s’offrent maintenant à nous :

1)    Dow augmente substantiellement son offre en fonction de la quittance qu’elle souhaite obtenir à présent;

2)    Nous réglons l’action intentée à Montréal et tentons de régler les autres actions en cours et éventuelles que vous voulez régler à présent (avec ou sans l’aide d’un médiateur).  Si vous optez pour cette dernière solution, je propose que Dow obtienne le pouvoir de conclure un règlement avant d’aller plus loin, de façon à éviter qu’elle adopte une position « à prendre ou à laisser » comme cela s’est produit la dernière fois.

3)    Dow refuse le règlement et BRP a) poursuit l’instance, ou b) décide d’introduire une demande d’homologation.  [Souligné dans l’original.]

[14]                          Le 14 juin 2011, l’avocat de Bombardier a envoyé à l’avocat de Dow Chemical une mise en demeure exigeant le paiement de 7 millions $ correspondant au montant du règlement.  Dans sa réponse en date du 16 juin 2011, l’avocat de Dow Chemical a réitéré la position de sa cliente au sujet de la quittance recherchée :

[traduction]  Vos clientes étaient parfaitement au courant de la nature de la quittance que nos clientes exigeaient et n’ont jamais laissé entendre qu’elles restreindraient la portée de la quittance.  Si vos clientes ne sont pas disposées à accorder la quittance demandée, aucun paiement ne sera effectué et toute procédure judiciaire sera contestée.

Je vous rappelle les dispositions relatives au caractère confidentiel de l’entente de médiation que vous avez signée en votre nom et au nom de vos clientes, le 26 avril 2011.  Toute tentative de porter atteinte au caractère confidentiel de tout ce qui a été dit ou écrit au cours de la médiation fera l’objet des procédures appropriées.

[15]                          L’avocat de Bombardier a répondu le 29 juin 2011, indiquant que sa cliente présenterait une requête en cas de défaut de paiement :

                    [traduction]  Nous constatons que votre cliente n’est plus disposée à respecter l’entente conclue relativement à l’affaire susmentionnée.

                    En conséquence, à moins que Dow Chemical ne revienne sur sa position, BRP n’aura pas d’autre choix que de déposer la requête ci-jointe.

                    Nous avons examiné les arguments invoqués dans votre lettre au sujet du caractère confidentiel des discussions engagées au cours de la médiation.  Or, ces arguments ne sont pas fondés.

                    Tout d’abord, vous savez sans doute qu’il existe une exception à la confidentialité lorsque les discussions ont permis de conclure une transaction.

                    De plus, le contrat conclu entre les parties n’est pas applicable dans la présente affaire puisque Dow Chemical a accepté de maintenir son offre pour qu’elle puisse être examinée après la médiation, et que l’acceptation de BRP n’a pas été transmise dans le cadre de la médiation.

[16]                          Dans une autre lettre en date du 6 juillet 2011, l’avocat de Dow Chemical a soutenu que ni la correspondance envoyée par Bombardier ni les documents liés au projet de requête ne faisaient état de la contrepartie que devait fournir Bombardier en échange de la somme que Dow Chemical devait verser.  Là encore, l’avocat de Dow Chemical a rappelé que, selon sa cliente, il n’existait [traduction] « ni entente ni transaction ».

[17]                          Dow Chemical n’a pas envoyé le montant du règlement qui avait fait l’objet de discussions et le 8 juillet 2011 Bombardier a déposé devant la Cour supérieure du district de Montréal une requête en homologation du règlement.  La requête présentait de manière détaillée l’historique du différend opposant les parties et faisait état de la médiation ainsi que des communications échangées par la suite en vue d’un règlement.

[18]                          Dow Chemical a présenté une requête en radiation des allégations contenues dans six paragraphes de la requête en homologation au motif qu’elles faisaient état du déroulement de la médiation, en violation de la clause de confidentialité figurant dans l’entente de médiation.  Voici les paragraphes en question :

17.    La Liste conjointe d’admission a été la seule base de discussion par les Parties lors de la séance de médiation du 27 avril 2011;

18.    L’ensemble des discussions lors de la médiation a porté exclusivement sur les Réclamations couvertes et les autres frais réclamés dans l’Action ré-amendée R-4.  Il n’a jamais été question de réclamations visant des réservoirs autres que les réservoirs 275 500 109 et 275 500 183;

19.    D’ailleurs, la médiation portait exclusivement sur le litige existant entre les parties tel que décrit dans les Procédures, le tout tel qu’il appert d’une copie du contrat de médiation signé par les Parties le 26 avril 2011 annexée au soutien des présentes comme pièce R-8;

20.    La médiation s’est terminée sans succès le 27 avril 2011 lorsque Dow Chemical a soumis à BRP et Allianz une offre de régler l’Action ré-amendée pour un montant de 7 000 000 $, en capital, intérêts et frais, tout en indiquant à BRP et au médiateur qu’elle n’avait aucune autorité pour bonifier cette offre;

21.    Me Yves St-Arnaud, avocat interne pour BRP, a demandé à Dow Chemical de maintenir cette offre ouverte pour une période de trente (30) jours et leur a promis de leur revenir sous peu.  Dow Chemical a acquiescé à cette demande;

22.    Le 17 mai 2011, soit vingt (20) jours après la fin de la médiation, les avocats de BRP et de Allianz ont avisé les avocats d[e] Dow Chemical que l’offre de règlement au montant de 7 000 000 $ en règlement complet et final des réclamations soulevées dans l’instance portant le numéro de Cour 500-05-056325-002, en capital, intérêts et frais était acceptée par les requérantes (la « Transaction »), tel qu’il appert d’une copie d’un courriel annexée au soutien des présentes comme pièce R-9;

[19]                          Dans sa plaidoirie devant la Cour, l’avocat de Dow Chemical a affirmé que les parties n’avaient conclu aucun règlement.  Ce n’est pas tout à fait exact.  Le dossier des communications entre les parties révèle qu’il y a eu une offre de règlement et qu’elle a été acceptée, mais que par la suite, les parties ne se sont pas entendues sur la portée de la quittance.  En résumé, Bombardier estime que le règlement porte uniquement sur le litige en instance à Montréal, et pour lui permettre d’en faire la preuve, elle cherche à faire admettre des éléments de preuve provenant de la séance de médiation.  Dow Chemical n’est pas d’accord sur la portée du règlement, qu’elle considère être un règlement global, et elle soutient que les éléments de preuve provenant de la séance de médiation sur lesquels Bombardier veut s’appuyer dans sa requête en homologation ne sont pas admissibles aux termes de l’entente de confidentialité.

III.        Historique judiciaire

A.           Cour supérieure du Québec, 2012 QCCS 22 (CanLII)

[20]                          La juge Corriveau a fondé son analyse sur l’art. 151.16 du Code de procédure civile, RLRQ, ch. C-25 (« C.p.c. »), ainsi que sur l’art.  151.21, qui prévoit que tout ce qui est dit ou écrit au cours d’une conférence de règlement à l’amiable est confidentiel.  Elle s’est appuyée sur la jurisprudence de la Cour d’appel du Québec qui confirme le caractère confidentiel de la médiation ou des conférences de règlement, et elle a conclu que cette jurisprudence s’applique, peu importe que la médiation soit présidée par un juge ou, comme en l’espèce, par un avocat.  La juge a conclu qu’en raison de la clause de confidentialité figurant dans l’entente de médiation, le compte-rendu de la médiation était protégé par l’art. 151.21 du C.p.c.

[21]                          Pour ce motif, la juge Corriveau a accueilli en partie la requête en radiation des appelantes et a ordonné que quatre des six allégations (par. 17, 18, 20 et 21) soient radiées de la requête en homologation des intimées parce qu’elles portaient sur les discussions et communications échangées dans le cadre de la médiation.  Elle a rejeté la demande de Dow Chemical de radier le par. 22 de la requête en homologation, lequel portait sur l’offre de règlement même, qui avait été maintenue après la séance de médiation.  Après avoir radié ces quatre paragraphes, la juge Corriveau a expliqué que Bombardier pouvait continuer à s’appuyer sur les autres paragraphes de la requête en homologation relatifs à la demande, au contrat de médiation et aux discussions consécutives à la médiation.  Bombardier a demandé l’autorisation d’interjeter appel de cette décision à la Cour d’appel du Québec, laquelle lui a été accordée le 16 mars 2012.

B.            Cour d’appel du Québec, 2012 QCCA 1300 (CanLII) (les juges Thibault, Rochette et Morissette)

[22]                          S’exprimant au nom de la cour à l’unanimité, la juge Thibault a accueilli l’appel et a conclu, contrairement à la juge des requêtes, que les règles de confidentialité du C.p.c. ne s’appliquent pas à la médiation extrajudiciaire.  En l’absence de texte législatif à cet égard, l’examen de deux facteurs permet de déterminer si la médiation non présidée par un juge est confidentielle : (1) le contrat de médiation conclu entre les parties, et (2) le privilège relatif aux règlements de la common law reconnu en droit québécois.  De l’avis de la Cour d’appel, selon les termes du contrat ([traduction] « Rien de ce qui pourra être dit ou écrit au cours de la médiation ne sera allégué, mentionné ou présenté en preuve dans le cadre d’une instance »), une obligation de confidentialité s’appliquait au contenu des échanges qui ont eu lieu au cours de la médiation, et cette obligation s’appliquait à certains des faits sur lesquels Bombardier cherchait à se fonder.

[23]                          La Cour d’appel a alors reformulé la règle générale voulant que les négociations en vue d’un règlement soient confidentielles, même en l’absence d’une règle de procédure adoptée par voie législative.  Elle a cité l’arrêt Globe and Mail c. Canada (Procureur général), 2010 CSC 41, [2010] 2 R.C.S. 592, afin de rappeler que le privilège relatif aux règlements a pour objet de permettre aux parties de mener des discussions en toute franchise au sujet d’un règlement possible, sans crainte que les révélations faites au cours des négociations soient utilisées à leur détriment dans un litige.  La cour a fait remarquer que le privilège relatif aux règlements est fondé sur des considérations d’intérêt général car il est préférable, pour une saine administration de la justice, que les parties tentent de régler elles-mêmes leur différend avant de recourir aux tribunaux.

[24]                          La cour a fait remarquer que les communications faites au cours de la médiation cessent d’être privilégiées lorsqu’elles ont conduit à une entente.  Elle a cité à l’appui de cette remarque divers ouvrages de doctrine de droit civil et de common law (aux par. 35-38), ainsi que deux décisions de la Cour supérieure du Québec, dont Ferlatte c. Ventes Rudolph inc., [1999] Q.J. No. 2735 (QL), où la cour a affirmé ce qui suit, au par. 12 :

                        [traduction] Selon certaines décisions judiciaires du Québec, des provinces de common law et de l’Angleterre, le privilège protège les communications que s’échangent les avocats des parties adverses en vue du règlement d’un litige.  En conséquence, une offre de règlement ne peut pas être produite en preuve à moins qu’elle ait été acceptée.  Dans un tel cas, elle est admissible, non pas pour établir que l’offrant reconnaît sa responsabilité envers le bénéficiaire, mais comme preuve que les parties ont décidé de mettre fin au différend en s’entendant sur les conditions de l’offre.   Pareilles communications sont protégées par le privilège pour des raisons de principe car, en l’absence de ce privilège, les parties hésiteraient à tenter de négocier un règlement par crainte que leurs initiatives reviennent les hanter au procès en cas d’échec.  [Je souligne.]

[25]                          Comme l’a indiqué la juge Thibault, en cas de différend au sujet de l’existence ou des modalités d’un règlement, l’obligation de confidentialité rattachée aux communications faites durant la médiation n’a plus d’application puisque l’objet de la confidentialité — favoriser un règlement — a disparu.  Si aucune entente n’a en fait été conclue, les communications ne peuvent être invoquées en preuve à aucune autre fin.

[26]                          La Cour d’appel a conclu que le privilège relatif aux règlements n’empêche pas une partie de produire des communications confidentielles afin de faire la preuve de l’existence d’une entente de règlement contestée découlant de la médiation ou pour en faciliter l’interprétation.  Elle a examiné la jurisprudence citée par Dow Chemical qui dit que le caractère confidentiel des discussions et des communications faites lors d’une médiation extrajudiciaire est absolu lorsque l’entente de médiation contient une clause de confidentialité.  Elle a toutefois noté que ces décisions n’écartent pas l’application de l’exception au privilège relatif aux règlements qui permet à une partie de produire ces discussions et ces communications afin de prouver l’existence ou la portée d’une entente de règlement.  Infirmant la conclusion de la juge des requêtes, la Cour d’appel a statué que les allégations en cause dans la requête en homologation ne devaient pas être radiées.  Elle a laissé au juge des requêtes le soin de déterminer si les paragraphes contestés permettent d’établir les modalités de l’entente, auquel cas l’exception au privilège relatif aux règlements de la common law doit s’appliquer.

IV.        Analyse

[27]                          À mon avis, deux questions doivent être tranchées dans le présent pourvoi.  Il s’agit en premier lieu de savoir si une clause de confidentialité dans un contrat de médiation privée peut écarter l’exception au privilège relatif aux règlements de la common law qui permet aux parties de produire en preuve des renseignements confidentiels afin d’établir l’existence ou la portée d’un règlement.  La deuxième question, qui ne se pose que si la réponse à la première est affirmative, est de savoir si, en l’espèce, la clause de confidentialité a pour effet d’écarter cette exception.  Dans l’affirmative, les renseignements dont font état les paragraphes contestés doivent rester confidentiels.  Dans la négative, ces renseignements peuvent être divulgués s’ils répondent aux conditions d’application de l’exception.

[28]                          Les appelantes plaident que les tribunaux doivent donner effet à une clause de confidentialité contenue dans une entente de médiation à laquelle les deux parties ont consenti librement, et qu’il n’existe aucune raison d’intérêt général d’annuler cette clause.  Les intimées répondent qu’une entente type de confidentialité ne peut écarter l’exception au privilège relatif aux règlements de la common law et que, même si elle pouvait l’écarter, la clause en question en l’espèce, si on l’interprète correctement, n’empêche pas l’application de cette exception.

[29]                          J’estime qu’il y a du bon dans les arguments des deux parties.  En ce qui concerne la première question, je suis d’accord avec les appelantes pour dire que les tribunaux doivent donner effet à une clause de confidentialité acceptée par les deux parties, et que les parties peuvent se soustraire par contrat aux règles de la common law, y compris à l’exception au privilège relatif aux règlements.  Les parties peuvent souhaiter renforcer la protection des renseignements confidentiels échangés lors de la médiation au-delà de la protection qu’offre le privilège de la common law.  Faire abstraction de leur volonté à cet égard irait à l’encontre de l’un des principaux aspects qui encouragent les parties à choisir cette forme communément acceptée de règlement extrajudiciaire des différends.  Par contre, en ce qui concerne la deuxième question, je suis d’accord avec les intimées pour dire que, au vu des faits de l’espèce, lorsqu’elles ont signé leur entente de médiation, les parties n’avaient pas l’intention d’écarter l’exception de la common law, ce qui signifie que les parties peuvent produire les communications échangées lors de la médiation pour faire la preuve des modalités du règlement qu’elles ont conclu.

A.           Une clause de confidentialité a-t-elle préséance sur l’exception à la règle du privilège relatif aux règlements de la common law?

[30]                          La présente affaire exige un examen du privilège relatif aux règlements de la common law dans un contexte de médiation, ainsi qu’un examen du recours aux clauses de confidentialité dans les ententes de médiation.  J’estime utile d’examiner tour à tour chacune de ces notions distinctes — y compris leur application au Québec — et d’examiner ensuite la façon dont elles se chevauchent.

(1)         Le privilège relatif aux règlements

[31]                          En common law, le privilège relatif aux règlements est une règle de preuve qui protège les communications échangées entre des parties qui tentent de régler un différend.  Parfois appelé la règle des communications faites « sous toutes réserves », le privilège permet aux parties de prendre part à des négociations en vue d’un règlement sans crainte que les renseignements qu’elles divulguent soient utilisés à leur détriment dans un litige ultérieur.  On favorise ainsi les discussions franches et ouvertes entre les parties, ce qui facilite le règlement du différend : [traduction] « En l’absence d’une telle protection, rares sont les parties qui s’engageraient dans des négociations en vue d’un règlement, par crainte que toute concession qu’elles seraient disposées à accorder ne soit utilisée à leur détriment si elles ne parviennent pas à conclure un règlement » (A. W. Bryant, S. N. Lederman et M. K. Fuerst, The Law of Evidence in Canada (3e éd. 2009), par. 14.315).

[32]                          Notre système de justice surchargé favorise de façon prioritaire le règlement des différends, et c’est à cette fin qu’a été adopté le privilège relatif aux règlements.  Comme l’écrivait la juge Abella dans l’arrêt Sable Offshore, par. 12, « [l]e privilège relatif aux règlements favorise la conclusion de règlements. »  Dans cet arrêt, la juge Abella a expliqué ce qui suit au par. 13 :

                        Les négociations en vue d’un règlement sont protégées depuis longtemps par la règle de la common law suivant laquelle sont inadmissibles les communications faites « sous toutes réserves » au cours de ces négociations (voir David Vaver, « “Without Prejudice” Communications — Their Admissibility and Effect » (1974), 9 U.B.C. L. Rev. 85, p. 88).  Le privilège relatif aux règlements qui découle de la règle des communications faites « sous toutes réserves » reposait sur l’idée que les parties seront davantage susceptibles de parvenir à un règlement si elles sont confiantes dès le départ que le contenu de leurs négociations ne sera pas divulgué.  Comme l’a expliqué le lord juge Oliver, de la Cour d’appel d’Angleterre, dans Cutts c. Head, [1984] 1 All E.R. 597, p. 605 :

                        [traduction] . . . il faut encourager dans toute la mesure du possible les parties à résoudre leurs différends sans recourir aux tribunaux, et elles ne doivent pas être dissuadées de le faire parce qu’elles savent que tout ce qui se dit au cours des négociations [. . .] peut être utilisé à leur détriment au cours de l’instance.  Comme l’a dit le juge Clauson dans Scott Paper Co c. Drayton Paper Works Ltd (1927), 44 RPC 151, p. 157, il faut encourager librement et franchement les parties à jouer cartes sur table.

                    En d’autres termes, les discussions tenues lors des négociations seront plus transparentes et donneront par le fait même de meilleurs résultats si les parties savent que leur contenu ne pourra pas être dévoilé par la suite.

[33]                          À d’autres occasions, notre Cour a reconnu l’importance d’inciter les parties à régler elles-mêmes leur différend.  Par exemple, s’exprimant au nom de la Cour dans l’arrêt Globe and Mail, le juge LeBel a cité l’arrêt Kosko c. Bijimine, 2006 QCCA 671, [2006] R.J.Q. 1539, dans lequel la Cour d’appel du Québec a dit ce qui suit, aux par. 49-50 :

                        La protection du caractère confidentiel de ces « échanges de règlement » est la manifestation la plus concrète, en droit de la preuve, de l’importance qu’accordent les tribunaux au règlement des différends par les parties elles-mêmes.  Cette protection prend la forme d’une règle de preuve ou d’un privilège en common law, par lequel les pourparlers de règlement ne sont pas admissibles en preuve.

                        Les tribunaux et la doctrine reconnaissent unanimement, d’une part, que sans cette protection aucun pourparler de règlement ne serait possible ou à tout le moins efficace et, d’autre part, qu’il y va de l’intérêt et de l’ordre public que les parties à un litige puissent procéder à de telles discussions.

(Voir également Kelvin Energy Ltd. c. Lee, [1992] 3 R.C.S. 235, p. 259, citant Sparling c. Southam Inc. (1988), 41 B.L.R. 22, p. 28.)

[34]                          Le privilège relatif aux règlements s’applique même en l’absence de dispositions législatives ou contractuelles concernant la confidentialité.  En outre, les parties n’ont pas à utiliser l’expression « sous toutes réserves » pour invoquer le privilège : « Ce qui compte plutôt, c’est l’intention des parties de régler l’action [. . .]  Le contenu de toute négociation entreprise à cette fin est inadmissible en preuve » (Sable Offshore, par. 14).  De plus, le privilège s’applique même après la conclusion d’un règlement.  Ainsi, le « contenu de négociations fructueuses » est protégé : Sable Offshore, par. 15-18.  Tout comme pour les autres privilèges génériques, le privilège relatif aux règlements fait l’objet d’exceptions :

                    Pour en bénéficier, le défendeur doit établir que, tout compte fait, [traduction] « un intérêt public opposé l’emporte sur l’intérêt public à favoriser le règlement amiable » (Dos Santos Estate c. Sun Life Assurance Co. of Canada, 2005 BCCA 4, 207 B.C.A.C. 54, par. 20).  On a retenu parmi ces intérêts opposés les allégations de déclaration inexacte, la fraude ou l’abus d’influence (Unilever plc c. Procter & Gamble Co., [2001] 1 All E.R. 783 (C.A. div. civ.), Underwood c. Cox (1912), 26 O.L.R. 303 (C. div.)), et la prévention de la surindemnisation du demandeur (Dos Santos). 

(Sable Offshore, par. 19)

[35]                          L’exception au privilège relatif aux règlements en cause dans la présente affaire est la règle voulant que les communications protégées puissent être divulguées afin de faire la preuve de l’existence ou de la portée d’un règlement.  Bryant, Lederman et Fuerst expliquent comme suit cette exception :

                    [traduction]  Si les négociations sont fructueuses et mènent à une entente, les communications peuvent alors être présentées comme preuve du règlement lorsque l’existence ou l’interprétation de l’entente est mise en question.  Ces communications constituent l’offre et l’acceptation d’un contrat exécutoire, et peuvent en conséquence être présentées en preuve pour établir l’existence d’un règlement.  [par. 14.340]

Il s’agit d’une règle simple et conforme à l’idée de promouvoir les règlements.  Une communication cesse d’être privilégiée si elle conduit à un règlement et si sa divulgation est nécessaire pour prouver l’existence ou la portée du règlement.  Dès que les parties arrivent à un règlement, il importe, pour favoriser les règlements en général, que les parties soient en mesure de faire la preuve des modalités convenues.  Loin de l’emporter sur le principe suivant lequel il faut favoriser les règlements à l’amiable (Sable Offshore, par. 30), la divulgation — en vue de prouver les modalités d’une entente — favorise en fait ce principe.  Cette règle est logique car elle vise le même objectif que le privilège lui-même, soit favoriser les règlements.

[36]                          Dans l’arrêt Globe and Mail, notre Cour a confirmé que le privilège relatif aux règlements qui existe en common law s’applique au Québec.  Comme l’a expliqué la Cour d’appel dans les motifs de sa décision en l’espèce, il est également évident que l’exception qui permet de prouver les modalités d’un règlement s’applique au Québec.  La Cour d’appel cite sur ce point un certain nombre d’auteurs et de décisions judiciaires du Québec, et je considère utile de réitérer la façon dont les professeurs J.-C. Royer et S. Lavallée exposent l’application de cette exception :

                        1137Limites de ce privilège — Cette règle d’exclusion de preuve est motivée par la volonté de favoriser le règlement à l’amiable des litiges.  Aussi, le caractère privilégié de la communication est limité aux faits reliés à la négociation d’un règlement.  Ainsi, une expertise est privilégiée lorsqu’elle est transmise avec une communication faite dans le but de régler un litige.  Par ailleurs, un plaideur ne peut s’opposer à la preuve d’un fait indépendant et distinct d’une offre de règlement.  Une telle objection sera a fortiori rejetée si le fait est contraire à l’ordre public ou à la morale ou s’il est de nature à causer un préjudice sérieux au destinataire de la communication.  Ainsi, ne sont pas privilégiées la menace d’un débiteur contenue dans une offre de règlement et sa déclaration à l’effet qu’il est incapable de payer ses créanciers.  Une communication cesse d’être privilégiée, si elle conduit à une transaction que l’une des parties désire établir.  Il est également permis de prouver l’existence d’une négociation entre les parties et des offres de règlements pour faire la preuve de certains faits pertinents permettant de trancher une question de prescription, pour démontrer des manœuvres frauduleuses ou pour expliquer et justifier le retard à intenter une poursuite.  [Je souligne.]

(La preuve civile (4e éd. 2008)) 

[37]                          Bien que cette règle ne soit pas codifiée dans le droit québécois, les ouvrages de doctrine sur le droit de la preuve en traitent et elle fait partie du droit civil du Québec.  La Cour d’appel a cité deux décisions où la Cour supérieure a appliqué l’exception : Ferlatte et Luger c. Empire, cie d’assurance vie, [1991] J.Q. no 2635 (QL).  En droit québécois, tout comme en common law, le privilège relatif aux règlements constitue une règle de preuve qui porte sur l’admissibilité de la preuve de communications.  Il n’empêche pas une partie de divulguer des renseignements, mais fait en sorte que les renseignements soient inadmissibles en preuve dans un litige.

(2)         La confidentialité dans le cadre de la médiation

[38]                          La médiation est l’un des divers modes de règlement extrajudiciaire des différends dont disposent les parties à un litige.  Dans The Law of ADR in Canada : An Introductory Guide (2011), D. W. Glaholt et M. Rotterdam définissent la médiation comme suit : [traduction] « un processus de collaboration strictement confidentiel dans le cadre duquel les parties concluent un contrat avec une personne neutre, en l’occurrence un médiateur, qui les aidera à régler leur différend » (p. 10).  Il n’est pas étonnant que la confidentialité soit mentionnée dans la définition même de la médiation.  Elle est en effet souvent considérée comme l’un des facteurs qui incitent les gens à recourir à la médiation (J. Thibault, Les procédures de règlement amiable des litiges au Canada (2000), par. 197) et l’un de ses avantages (M. P. Silver, Mediation and Negotiation : Representing Your Clients (2001), p. 82).

[39]                          La confidentialité constitue un aspect intrinsèque de la médiation en ce que les parties à ce processus discutent généralement de possibilités de règlement; pour cette raison, leurs communications sont protégées par le privilège relatif aux règlements de la common law (Bryant, Lederman et Fuerst, par. 14.348; voir également L. Boulle et K. J. Kelly, Mediation : Principles, Process, Practice (1998), p. 301-304).  Mais la médiation est aussi une [traduction] « création contractuelle » (Glaholt et Rotterdam, p. 13) puisqu’elle permet aux parties de se doter, en matière de confidentialité, d’exigences supérieures à celles que leur offre le privilège et, en cas de manquement, de se prévaloir d’un recours contractuel. 

[40]                          Comme l’indiquent les appelantes et l’intervenante Arbitration Place Inc., les raisons pour lesquelles les parties voudraient protéger les renseignements échangés lors de la médiation ne se limitent pas à des considérations stratégiques liées au litige.  Dans « Protecting the Confidentiality of Communications in Mediation » (1998), 36 Osgoode Hall L.J. 667, Owen. V. Gray a fait observer ce qui suit :

                    [traduction]  Quand elles ont recours à la médiation pour tenter de régler un litige ou une menace de litige, [les parties] sont particulièrement sensibles à la possibilité que les renseignements qu’elles révèlent à d’autres personnes au cours de la médiation puissent plus tard être utilisés contre elles dans le cadre de ce litige ou d’un autre différend.  Les parties peuvent aussi craindre que leurs communications puissent être utilisées par d’autres adversaires ou des adversaires potentiels, y compris les autorités publiques, dans d’autres conflits présents ou futurs. [. . .]  Elles peuvent aussi craindre que la divulgation des renseignements qu’elles communiquent au cours de la médiation puisse leur nuire dans leurs rapports commerciaux ou les gêner dans leur vie privée.  [Je souligne; p. 671.]

La [traduction] « réticence à “laver son linge sale en public” » ainsi que des préoccupations légitimes telles que la protection de secrets commerciaux comptent parmi les facteurs qui incitent à choisir la médiation confidentielle (L. R. Freedman et M. L. Prigoff, « Confidentiality in Mediation : The Need for Protection » (1986), 2 Ohio St. J. Disp. Resol. 37, p. 38). 

[41]                          Il n’est donc guère surprenant de constater souvent dans des contrats de médiation des clauses de confidentialité qui limitent en termes très explicites la divulgation des communications échangées au cours de la médiation.  Les tribunaux ont confirmé la validité de telles clauses, mais non dans un contexte où les parties tentaient de prouver l’existence d’un règlement.  Dans Bloom Films 1998 inc. c. Christal Films productions inc., 2011 QCCA 1171 (CanLII), la Cour d’appel du Québec a confirmé la validité d’une clause de confidentialité alors que l’une des parties tentait de présenter en preuve des renseignements échangés au cours d’un processus de médiation.  La clause en question interdisait expressément l’utilisation de tels éléments de preuve, sauf dans le cadre d’une demande d’homologation ou de révision judiciaire.  Et dans l’arrêt Stewart c. Stewart, 2008 ABQB 348 (CanLII), une autre affaire concernant une clause de confidentialité des communications faites au cours d’une médiation, quoique dans un contexte de droit de la famille, la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta a refusé d’admettre des éléments de preuve provenant de la médiation.

[42]                          Bien qu’une clause d’un contrat de médiation puisse assurer la protection de la confidentialité d’une façon plus exhaustive que ne le fait le privilège relatif aux règlements de la common law, plusieurs auteurs rappellent que la confidentialité assurée par une telle clause n’est pas « absolue » et que les tribunaux peuvent refuser de lui donner effet après avoir pondéré les intérêts opposés, par exemple, favoriser les règlements à l’amiable au moyen de la confidentialité et respecter les règles de preuve applicables aux litiges (voir Boulle et Kelly, p. 309 et 312-313; F. Crosbie, « Aspects of Confidentiality in Mediation : A Matter of Balancing Competing Public Interests » (1995), 2 C.D.R.J. 51, p. 70; K. L. Brown, « Confidentiality in Mediation : Status and Implications », [1991] J. Disp. Resol. 307; E. D. Green, « A Heretical View of the Mediation Privilege » (1986), 2 Ohio St. J. Disp. Resol. 1, p. 19-22; Freedman et Prigoff, p. 41).

[43]                          Comme moyen de pondérer les intérêts opposés, l’intervenante Arbitration Place Inc. propose le critère à quatre volets énoncé par Wigmore, que les tribunaux de common law appliquent parfois pour déterminer si la preuve des communications est admissible.  Les quatre volets de ce critère sont les suivants :

                    [traduction]

 

(i)            Les communications doivent avoir été transmises confidentiellement avec l’assurance qu’elles ne seraient pas divulguées.

(ii)          Le caractère confidentiel doit être un élément essentiel au maintien des rapports entre les parties.

(iii)        Les rapports doivent être de la nature de ceux qui, selon l’opinion de la collectivité, doivent être entretenus assidûment.

(iv)        Le préjudice permanent que subiraient les rapports par la divulgation des communications doit être plus considérable que l’avantage à retirer d’une juste décision.

(m.i., par. 4, citant Slavutych c. Baker, [1976] 1 R.C.S. 254, p. 260.)

Notre Cour a appliqué ce critère dans l’arrêt Slavutych afin de déterminer si un document confidentiel signé par l’appelant à la demande des autorités de l’université devait demeurer protégé dans le cadre d’une procédure de licenciement engagée subséquemment contre l’appelant.  Elle l’a également appliqué dans l’arrêt R. c. Gruenke, [1991] 3 R.C.S. 263, afin de déterminer si des communications religieuses devaient demeurer protégées dans un contexte criminel.

[44]                          Par contre, le procureur général de la Colombie-Britannique, intervenant, fait valoir que le sens ordinaire d’une entente de confidentialité non équivoque devrait prévaloir à moins de circonstances exceptionnelles.  Pour leur part, les intimées affirment que les tribunaux ne doivent pas s’arrêter au sens ordinaire d’une entente et doivent tenir compte du désir des parties.  Je souscris à ces approches.  En principe, il serait relativement difficile d’écarter l’intention des parties dès lors qu’elle est clairement établie.  Seul le quatrième volet du critère de Wigmore — la pondération des intérêts — pourrait être pertinent en l’espèce.  À mon avis, les trois premiers volets de ce critère sont superflus lorsque les parties ont non seulement choisi de recourir à un mécanisme confidentiel de règlement des différends, mais ont aussi signé une entente de confidentialité.

(3)         Une clause de confidentialité d’une entente de médiation peut-elle écarter l’exception au privilège relatif aux règlements qui s’applique lorsqu’une partie cherche à faire la preuve des modalités d’un règlement?

[45]                          Le privilège relatif aux règlements de la common law et le caractère confidentiel de la médiation sont souvent confondus.  Ils ont un objectif commun : favoriser les règlements extrajudiciaires.  Or, comme nous l’avons vu, les clauses de confidentialité des ententes de médiation peuvent également avoir d’autres objectifs.  Dans la plupart des cas où l’on retrouve ces clauses, la question du privilège relatif aux règlements de la common law ne se posera pas parce que les deux mesures de protection visent en général le même objectif, soit favoriser la négociation en encourageant les parties à conclure un règlement en toute franchise et honnêteté, sans crainte que les renseignements échangés soient ultérieurement utilisés à leur détriment.  Toutefois, comme nous l’avons vu, le privilège relatif aux règlements et la clause de confidentialité sont différents et peuvent parfois entrer en conflit.  L’un est une règle de preuve, l’autre est une entente exécutoire; la portée de la protection qu’ils offrent n’est pas la même, et les conséquences en cas de manquement ne sont pas nécessairement les mêmes.

[46]                          Les différences entre ces mesures de protection peuvent être floues dans un cas comme celui qui nous occupe, où il est possible que les deux s’appliquent, mais à différentes étapes de la séquence des évènements.  Les parties se sont rencontrées lors d’une séance de médiation le 27 avril 2011, après avoir signé la veille une entente prévoyant une clause de confidentialité.  Cette clause s’appliquait aux discussions tenues au cours de la séance de médiation et interdisait la divulgation ultérieure de renseignements relatifs à ces discussions.  Une offre de règlement a été présentée au cours de la médiation; l’offre était maintenue valide pour une période de 30 jours et a fait l’objet de discussions entre les avocats des parties après que la médiation eut pris fin.  Les renseignements additionnels générés au cours de ces discussions subséquentes ne sont pas protégés par la clause de confidentialité mais, puisqu’ils font partie des négociations en vue d’un règlement, ils sont protégés par le privilège relatif aux règlements.  En ce qui concerne le moment où les communications sont faites, la portée du privilège relatif aux règlements est plus large étant donné que son application n’est pas limitée à la durée de la séance de médiation.

[47]                          Par contre, le privilège relatif aux règlements souffre d’exceptions reconnues en common law qui limitent la portée de sa protection, alors que les clauses de confidentialité peuvent ne pas comporter de telles exceptions.  Il s’agit de savoir si une clause de confidentialité absolue d’une entente de médiation a pour effet d’écarter l’exception de la common law, empêchant de ce fait les parties de produire en preuve, afin d’établir les modalités d’un règlement, les communications faites dans le cadre de la médiation.

[48]                          Il faut effectivement établir un équilibre délicat.  Les préoccupations formulées par les auteurs au sujet du caractère incertain des clauses de confidentialité des contrats de médiation sont légitimes.  Boulle et Kelly indiquent avec précision les préoccupations les plus importantes :

[traduction]  Le principe de l’inviolabilité du contrat justifie le maintien de la confidentialité lorsque les parties se sont engagées elles-mêmes à cet égard.  Toutefois, si la confidentialité a une portée trop large, elle aura pour effet d’éliminer un nombre trop élevé d’éléments de preuve et de nuire gravement au processus judiciaire.  Si la confidentialité a une portée trop restreinte, elle aura pour effet de dissuader les parties de recourir à la médiation et de faire tout leur possible pour arriver à un règlement.  Il faut rechercher l’équilibre entre l’appui donné à la médiation, d’une part, et le fait de ne pas faire obstacle au litige ou de maintenir l’illégalité, d’autre part. [p. 312-313]

[49]                          À mon avis, l’analyse dans chaque cas débutera par l’interprétation du contrat.  Il faut se demander si la clause de confidentialité entre effectivement en conflit avec le privilège relatif aux règlements ou avec ses exceptions reconnues.  Lorsque les parties concluent un contrat qui leur assure une protection supérieure à celle qu’offre la common law, il y a lieu à première vue de confirmer leur volonté, sous réserve de préoccupations concernant la fraude ou l’illégalité.  J’ai déjà examiné les raisons pour lesquelles les parties pourraient vouloir renforcer la protection de la confidentialité des renseignements; le fait de permettre aux parties de contracter librement à cet égard facilite la réalisation de l’important objectif public qui consiste à favoriser les règlements extrajudiciaires.  Comme l’affirme le professeur Green,

                    [traduction]  s’il existe une entente de confidentialité écrite, les parties sont mieux en mesure de soutenir que la cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire de rendre une ordonnance de non-divulgation parce que la protection du caractère confidentiel des échanges survenus lors de la médiation a pour effet de promouvoir l’intention expresse des parties ainsi que l’intérêt public consistant à favoriser les règlements extrajudiciaires.  [p. 22]

[50]                          Or, il en va autrement en ce qui concerne le fait d’écarter par contrat l’exception au privilège relatif aux règlements qui s’applique lorsqu’une personne cherche à prouver les modalités d’un règlement.  J’ai déjà expliqué que le défaut d’appliquer cette exception de la common law peut entraver la réalisation de l’objectif plus général qui est de favoriser le règlement à l’amiable, en empêchant les parties d’exiger le respect des modalités d’un règlement négocié.  Ainsi, bien que le contrat visant à obtenir une protection supérieure à celle qu’offre le privilège relatif aux règlements puisse, dans la plupart des cas, favoriser l’objectif général du privilège, le fait d’écarter par contrat les exceptions à ce privilège peut faire obstacle à la réalisation de cet objectif.  Voilà probablement ce qui sous-tend la décision de la Cour d’appel, qui a pratiquement mis de côté la clause de confidentialité pour appliquer l’exception au privilège relatif aux règlements.

[51]                          J’estime en toute déférence que, dans son analyse, la Cour d’appel n’a pas accordé suffisamment d’attention à la liberté contractuelle.  Il est loisible aux parties contractantes d’établir leurs propres règles de confidentialité et d’écarter complètement le privilège relatif aux règlements de la common law.  Elles favorisent alors la liberté contractuelle et la probabilité d’un règlement, deux importants objectifs publics.  Cependant, le simple fait de signer une entente de médiation assortie d’une clause de confidentialité n’écarte pas automatiquement le privilège et ses exceptions.  Comme je l’ai déjà mentionné, ces mesures de protection n’ont pas la même portée.  À titre d’exemple, le privilège relatif aux règlements s’applique à toute communication qui mène au règlement, même à celles faites après la fin de la séance de médiation.  On ne saurait affirmer que les parties qui acceptent de garder confidentielle la teneur d’une séance de médiation se privent de ce fait de l’application du privilège relatif aux règlements après la fin de la séance de médiation.  La protection qu’offre le privilège ne se dissipe pas dès que les parties concluent un contrat assurant le caractère confidentiel de la médiation, sauf s’il s’agit là de l’effet recherché au contrat.

[52]                          Je fais observer qu’un certain consensus international témoigne de cette approche en matière de confidentialité de la médiation.  Dans 14 pays où le système juridique est celui de la common law ou du droit civil, des administrations, y compris l’Ontario (L.O. 2010, ch. 16, ann. 3) et la Nouvelle-Écosse (S.N.S. 2005, ch. 36), ont adopté la Loi type sur la conciliation commerciale internationale de la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international.  L’article 9 de la Loi type prévoit ce qui suit :

                        Sauf convention contraire des parties, toutes les informations relatives à la procédure de conciliation doivent demeurer confidentielles, sauf lorsque la divulgation est exigée par la loi ou est rendue nécessaire pour la mise en œuvre ou l’exécution de l’accord issu de la conciliation.  [Je souligne.]

                    (Loi type de la CNUDCI sur la conciliation commerciale internationale et Guide pour son incorporation dans le droit interne et son utilisation 2002 (2004), p. 5)

[53]                          Cette disposition, qui est conforme à l’approche que je préconise, reconnaît le besoin de confidentialité dans le contexte des règlements, mais elle prévoit également que les parties peuvent conclure leurs propres ententes de confidentialité.  En outre, elle signale l’acceptation généralisée, dans les administrations de common law et de droit civil, de l’application d’une exception au privilège relatif aux règlements lorsqu’une partie cherche à prouver l’existence ou les modalités d’un règlement.

[54]                          Lorsqu’une entente pourrait avoir pour effet d’empêcher l’application d’une exception reconnue au privilège relatif aux règlements, elle doit l’exprimer clairement.  On ne saurait présumer que les parties, qui ont renforcé par contrat la confidentialité afin de favoriser l’échange en toute franchise des communications et de promouvoir de ce fait un règlement, entendaient également écarter une exception au privilège relatif aux règlements dont l’objet est aussi de promouvoir un règlement.  Les parties ont toute liberté de le faire, pourvu qu’elles le fassent clairement.  Pour éviter un conflit au sujet des modalités d’un règlement, les parties peuvent également prévoir que, pour être valide, tout règlement conclu au cours de la médiation doit être immédiatement constaté par écrit.  Cette pratique est envisagée spécifiquement à l’art. 1414 du Code civil du Québec, qui prévoit que, « [l]orsqu’une forme particulière ou solennelle est exigée comme condition nécessaire à la formation du contrat, elle doit être observée ».  Une telle stipulation soulignerait le caractère exécutoire de toute entente conclue au cours de la médiation.

[55]                          Je tiens à préciser que mon analyse porte sur une seule exception au privilège relatif aux règlements de la common law — celle qui s’applique lorsqu’une partie cherche à prouver les modalités d’un règlement.  Je n’ai pas examiné les autres exceptions, comme celle qui concerne les communications frauduleuses ou illégales, puisqu’elles ne sont pas en cause en l’espèce.  Je n’examinerai pas non plus la question de savoir si le médiateur pourrait être contraint de témoigner dans une situation telle celle en l’espèce.  La preuve devant notre Cour ne porte que sur les paragraphes contestés de la requête en homologation, et je ne traiterai pas du seuil légal qui permettrait de contraindre le médiateur à rendre un témoignage direct.  Cette question pourra être examinée à une autre occasion. 

[56]                          À mon avis, les renseignements que les intimées cherchent à divulguer par les paragraphes contestés de leur requête en homologation sont protégés par la clause de confidentialité, et non seulement par le privilège relatif aux règlements.  Les parties pouvaient écarter le privilège relatif aux règlements, y compris ses exceptions.  La question est de savoir si elles l’ont fait.

[57]                          Le contrat de médiation a été signé et exécuté au Québec.  Il doit donc être interprété conformément au Code civil du Québec et au droit québécois des obligations.

B.            Ce contrat de médiation permet-il aux parties d’utiliser des renseignements confidentiels afin de faire la preuve des modalités d’un règlement?

[58]                          J’ai conclu que de façon générale, dans un contexte de médiation, les parties peuvent établir par contrat des règles de confidentialité dont la portée dépasse celle du privilège relatif aux règlements de la common law.  En particulier, elles peuvent se soustraire par contrat à l’exception à ce privilège qui permet à une partie de divulguer des renseignements confidentiels afin de faire la preuve des modalités d’un règlement.  J’examine maintenant la question de savoir si c’est ce qu’ont fait les parties dans la présente affaire.  Quel est l’effet du contrat de médiation en cause en l’espèce?

[59]                          Au Québec, l’interprétation des contrats est centrée sur l’intention des parties.  Comme l’expliquent J.-L. Baudouin et P.-G. Jobin, lorsque les parties ne s’entendent pas sur la portée d’une disposition contractuelle, il appartient au juge de déterminer quelle était leur intention à l’origine, au moment de la formation du contrat (Les obligations (7e éd. 2013), P.-G. Jobin et N. Vézina, dir., p. 488-489).  Plusieurs dispositions du Code civil du Québec codifient cette règle d’interprétation des contrats :

                    1425.  Dans l’interprétation du contrat, on doit rechercher quelle a été la commune intention des parties plutôt que de s’arrêter au sens littéral des termes utilisés.

                    1426.  On tient compte, dans l’interprétation du contrat, de sa nature, des circonstances dans lesquelles il a été conclu, de l’interprétation que les parties lui ont déjà donnée ou qu’il peut avoir reçue, ainsi que des usages.

                    1427.  Les clauses s’interprètent les unes par les autres, en donnant à chacune le sens qui résulte de l’ensemble du contrat.

                    1431.  Les clauses d’un contrat, même si elles sont énoncées en termes généraux, comprennent seulement ce sur quoi il paraît que les parties se sont proposé de contracter.

[60]                          La Cour d’appel du Québec a expliqué cette méthode d’interprétation dans l’arrêt Sobeys Québec inc. c. Coopérative des consommateurs de Sainte-Foy, 2005 QCCA 1172, [2006] R.J.Q. 100 :

                        Il faut pour déterminer la volonté réelle des parties et leur commune intention au sens de l’article 1425 C.C.Q. examiner le texte même du contrat, bien sûr, mais aussi, comme le prescrit l’article 1426 C.C.Q., sa nature, les circonstances dans lesquelles il a été conclu, l’interprétation que les parties lui ont déjà donnée ou qu’il peut avoir reçue, ainsi que les usages.

                        Bien sûr, le décodage de la volonté des parties, surtout quand cette dernière s’oppose à la volonté exprimée dans un écrit qui a toutes les apparences de la clarté, est un exercice délicat.  Il peut arriver en outre, ce qui ne simplifie pas les choses, que l’étude de la matière du contrat, de son contexte, des circonstances de sa conclusion, du comportement subséquent des parties, et ainsi de suite, témoigne d’une absence de véritable intention commune.  Pineau et Gaudet [Théorie des obligations (4e éd. 2001), p. 401-402] expliquent ainsi que :

                                    Par ailleurs, le principe énoncé par l’article 1425 C.c.Q. présuppose qu’il y a toujours une intention commune à « découvrir ».  Or, il n’en est pas toujours ainsi.  Certes, pour qu’il y ait contrat, il doit y avoir un minimum d’intention commune, mais il peut fort bien arriver que les parties, tout en ayant véritablement une intention commune quant aux éléments essentiels du contrat, se soient également entendues sur certaines clauses accessoires tout en leur donnant cependant chacune en son for intérieur, des interprétations divergentes.  En un tel cas, on ne peut évidemment pas s’en remettre à l’intention commune des parties puisqu’il n’y en a pas.  On n’a alors pas d’autre choix que de s’en remettre à l’interprétation qui se concilie le mieux au reste du contrat et aux circonstances ayant entouré sa conclusion.  [par. 59-60]

[61]                          Notre Cour a également confirmé cette approche dans l’arrêt Québec (Agence du revenu) c. Services Environnementaux AES inc., 2013 CSC 65, [2013] 3 R.C.S. 838 : « . . . la recherche de l’intention ou volonté commune des parties représente une véritable opération d’interprétation » (par. 48; voir aussi D. Lluelles et B. Moore, Droit des obligations (2e éd. 2012), par. 1587-1590; S. Grammond, A.-F. Debruche et Y. Campagnolo, Quebec Contract Law (2011), par. 297-301).

[62]                          De toute évidence, le contrat de médiation en cause en l’espèce montre une intention commune des parties de respecter le caractère confidentiel de tout ce qui peut être dit ou écrit au cours de la médiation.  Or, la question qui se pose est plus précise et porte sur un élément accessoire du contrat, pour lequel l’intention commune des parties n’est pas évidente à première vue : la clause de confidentialité devait-elle prévoir une protection plus étendue que celle qu’offre le privilège relatif aux règlements de la common law et, plus précisément, devait-elle écarter l’exception à ce privilège qui s’applique lorsqu’une partie cherche à faire la preuve de l’existence ou de la portée d’un règlement?  J’estime qu’il ressort de l’examen de la nature du contrat, des circonstances dans lesquelles il a été conclu, ainsi que du contrat dans son ensemble que les parties n’avaient pas l’intention de passer outre à la règle habituelle voulant que le privilège relatif aux règlements soit écarté afin de faire la preuve des modalités d’un règlement.

[63]                          De par sa nature, le contrat est une entente de médiation signée la veille de la séance de médiation visant apparemment à régler le différend qui faisait l’objet d’une action devant la Cour supérieure du Québec.  Le mot « règlement » apparaît à deux reprises dans l’entente de médiation, premièrement dans une clause relative au médiateur selon laquelle [traduction] « [l]e médiateur n’aura aucun pouvoir décisionnel; son rôle consiste simplement à aider les parties à arriver à un règlement de leur différend », et deuxièmement, lorsque le médiateur écrit en conclusion : « Je serai heureux de travailler avec vous et j’espère que la médiation mènera au règlement du différend. »

[64]                          La nature du contrat est liée aux circonstances dans lesquelles celui-ci a été conclu.  Les parties n’ont rédigé ni le contrat de médiation ni la clause de confidentialité.  Il s’agissait d’un contrat type fourni par le médiateur et envoyé aux deux parties pour signature la veille de la séance de médiation.  Ni l’une ni l’autre des parties n’a modifié l’entente type de médiation ni n’y a ajouté des dispositions concernant la confidentialité au moment de la signer.  Rien n’indique qu’au moment de signer l’entente type, les parties estimaient qu’elles écartaient le privilège relatif aux règlements qui s’applique habituellement à la médiation.

[65]                          À mon avis, les parties ont entamé ce processus de médiation avec l’intention de régler leur différend et elles n’avaient aucune raison de penser qu’elles renonçaient à leur capacité de faire la preuve d’un règlement, le cas échéant.  Rien n’indique qu’elles avaient à l’égard de la médiation des attentes autres que de contribuer à régler le différend.  Selon Lluelles et Moore, « [s]i l’on considère que l’esprit imprégnant un contrat doit être le meilleur guide en la matière (art. 1425) [. . .], la commune intention des parties peut parfois aller de soi, et être une question de logique » (par. 1589).  En l’absence d’une disposition expresse à cet égard, j’estime déraisonnable de supposer que des parties qui ont consenti à une médiation dans le but de parvenir à un règlement renonceraient à leur droit de faire la preuve des modalités du règlement.  Une telle conclusion serait illogique.

[66]                          En conséquence, je conclus que le contrat de médiation n’a pas pour effet d’empêcher les parties de produire en preuve les communications faites au cours de la médiation afin de faire la preuve des modalités d’un règlement.  Je tiens toutefois à signaler que cette exception a une portée restreinte.  Les parties ne peuvent produire de tels éléments de preuve que dans la mesure où ils sont nécessaires pour prouver les modalités du règlement.  Le juge qui entendra la requête en homologation examinera séparément chaque paragraphe de la requête attaqué et déterminera si chacun d’eux est nécessaire à cette fin.  Si l’une ou l’autre partie préférerait que des renseignements possiblement délicats produits à l’appui de ces paragraphes ne soient pas exposés en public, elle peut demander au juge saisi de la requête de prononcer une ordonnance de confidentialité et d’examiner ces éléments de preuve à huis clos, dès lors que les parties respectent les conditions énoncées dans l’arrêt Sierra Club du Canada c. Canada (Ministre des Finances), 2002 CSC 41, [2002] 2 R.C.S. 522.  Ces conditions n’existent pas dans tous les cas car elles obligent les parties à démontrer qu’une ordonnance de confidentialité :

a)         . . . est nécessaire pour écarter un risque sérieux pour un intérêt important, y compris un intérêt commercial, dans le contexte d’un litige, en l’absence d’autres options raisonnables pour écarter ce risque;

b)         [que] ses effets bénéfiques, y compris ses effets sur le droit des justiciables civils à un procès équitable, l’emportent sur ses effets préjudiciables, y compris ses effets sur la liberté d’expression qui, dans ce contexte, comprend l’intérêt du public dans la publicité des débats judiciaires. 

(Sierra Club, par. 53)

Il faudrait réserver les audiences à huis clos de cette nature pour les cas où la portée de l’entente de confidentialité soulève un véritable litige.

[67]                          J’estime que, lorsqu’elles acceptent une clause de confidentialité dans un processus de médiation, les parties peuvent même restreindre leur capacité de faire la preuve des modalités d’un règlement.  Lorsque la règle habituelle est ainsi restreinte, toutefois, il doit être évident, au moment d’appliquer les règles d’interprétation des contrats du ressort compétent, que telle était la volonté des parties.  En l’espèce, les principes du droit québécois des contrats s’appliquaient puisque l’entente en cause a été conclue au Québec.  Si le droit d’un autre ressort s’était avéré applicable, la question de savoir si les parties avaient l’intention de renoncer à l’exception au privilège relatif aux règlements qui s’applique lorsqu’une partie cherche à faire la preuve des modalités du règlement aurait été tranchée conformément aux règles applicables dans cet autre ressort.

[68]                          Même si je conclus que la Cour d’appel ne s’est pas livrée à l’exercice nécessaire d’interprétation du contrat avant d’appliquer l’exception au privilège relatif aux règlements de la common law qui permet aux parties de faire la preuve des modalités du règlement, je confirme néanmoins sa décision.  Les parties n’ont pas renoncé à la règle de la common law, qui s’applique également au Québec, suivant laquelle les communications faites au cours des négociations peuvent servir à prouver les modalités d’un règlement.

V.           Conclusion

[69]                          Pour les motifs susmentionnés, je suis d’avis de rejeter le pourvoi avec dépens devant toutes les cours.

                    Pourvoi rejeté avec dépens devant toutes les cours.

                    Procureurs des appelantes : Lavery, de Billy, Montréal.

                    Procureurs des intimées : Fasken Martineau DuMoulin, Montréal.

                    Procureur de l’intervenant le procureur général de la Colombie-Britannique : Procureur général de la Colombie-Britannique, Victoria.

                    Procureurs de l’intervenante Arbitration Place Inc. : Lenczner Slaght Royce Smith Griffin, Toronto.

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