R. c. Audet, [1996] 2 R.C.S. 171
Sa Majesté la Reine Appelante
c.
Yves Audet Intimé
Répertorié: R. c. Audet
No du greffe: 24653.
1996: 25 janvier; 1996: 30 mai.
Présents: Les juges La Forest, L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier, Cory, McLachlin et Major.
en appel de la cour d'appel du nouveau‑brunswick
Droit criminel ‑‑ Infractions d'ordre sexuel ‑‑ Personnes en situation d'autorité ‑‑ Enseignants ‑‑ Éléments de l'infraction d'exploitation sexuelle ‑‑ Sens des expressions «situation d'autorité» et «situation de confiance» ‑‑ Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, art. 153(1).
L'accusé, un professeur âgé de 22 ans, a été inculpé, en vertu du par. 153(1) du Code criminel, d'avoir touché à des fins d'ordre sexuel une adolescente alors qu'il était en situation d'autorité ou de confiance vis‑à‑vis d'elle. Quelques semaines après le début des vacances d'été, l'accusé se rend dans un club de nuit en compagnie d'un ami. Il y rencontre fortuitement l'adolescente, alors âgée de 14 ans, à qui il avait enseigné durant l'année scolaire alors qu'elle complétait sa huitième année. Elle est accompagnée de deux cousines dans la vingtaine. Vers deux heures du matin, à la suggestion de l'ami de l'accusé, le groupe se rend dans un chalet. Dans son témoignage, l'adolescente indique que l'accusé s'est plaint de maux de tête et est allé se coucher dans une chambre où il y avait deux lits. Peu après, l'adolescente le rejoint et se couche dans le même lit que l'accusé. À son tour, elle s'endort. Durant la nuit, l'accusé et l'adolescente se réveillent et ont des rapports sexuels oraux. Dans une déclaration faite aux autorités et mise en preuve lors du procès, l'accusé reconnaît avoir commencé les attouchements. Au moment de l'incident, il avait déjà été avisé que son contrat d'emploi avait été renouvelé pour l'année suivante et qu'il enseignerait de nouveau aux élèves de septième, huitième et neuvième années à l'école fréquentée par l'adolescente. L'accusé a été acquitté pour le motif qu'au moment de l'incident il n'était ni en situation d'autorité, ni en situation de confiance vis‑à‑vis de l'adolescente. La Cour d'appel, à la majorité, a confirmé le verdict d'acquittement.
Arrêt (les juges Sopinka et Major sont dissidents): Le pourvoi est accueilli.
Les juges La Forest, L'Heureux‑Dubé, Gonthier, Cory et McLachlin: Le législateur a adopté l'art. 153 du Code criminel dans le but de protéger les adolescents se trouvant en position de vulnérabilité vis‑à‑vis de certaines personnes en raison d'un déséquilibre inhérent à la nature de la relation qu'ils vivent avec celles‑ci. Pour obtenir une condamnation fondée sur cette disposition, le ministère public doit établir hors de tout doute raisonnable que le plaignant est un adolescent au sens du par. 153(2), que l'accusé s'est livré à l'une des activités énumérées au par. 153(1) et, enfin, que ce dernier était, lors de l'accomplissement des actes en question, en situation d'autorité ou de confiance vis‑à‑vis de l'adolescent, ou encore que ce dernier était alors en situation de dépendance par rapport à l'accusé. Le ministère public doit aussi établir l'existence de la mens rea nécessaire à l'égard de chacun des éléments de l'infraction. Il n'a toutefois pas à prouver que l'accusé a effectivement exploité la situation privilégiée dans laquelle il se trouvait par rapport à l'adolescent. Pour atteindre son objectif, le législateur a choisi, en adoptant le par. 153(1), de criminaliser l'activité sexuelle elle‑même, qu'elle soit consensuelle ou non (par. 150.1(1) du Code), dans la mesure où y participe une personne se trouvant, vis‑à‑vis de l'adolescent, dans l'une des situations énumérées. En l'espèce, il ressort clairement des motifs du juge du procès qu'il a tenu pour acquis que le ministère public devait prouver que l'accusé avait abusé ou tiré profit de sa situation particulière par rapport à l'adolescente. Le juge du procès et, incidemment, la Cour d'appel ont donc commis une erreur de droit en évaluant incorrectement la nature des éléments constitutifs de l'infraction prévue au par. 153(1).
Les mots «autorité» et «confiance» utilisés au par. 153(1) doivent être interprétés selon leur sens courant et l'expression «situation d'autorité» ne doit pas être limitée aux cas où la relation d'autorité découle d'une quelconque fonction exercée par l'accusé, mais elle doit s'étendre à toute relation dans le cadre de laquelle l'accusé exerce en fait un tel pouvoir. En refusant d'énumérer spécifiquement au par. 153(1) les cas où une personne devait éviter tout contact sexuel avec un adolescent, le législateur a voulu faire porter l'analyse sur la nature de la relation entre l'adolescent et l'accusé plutôt que sur leur statut l'un par rapport à l'autre. La définition de la portée des expressions «situation d'autorité» et «situation de confiance», tout comme la détermination dans chaque cas de la nature de la relation entre l'adolescent et l'accusé, doit se faire en fonction du but et de l'objectif poursuivi par le législateur. Il reviendra au juge du procès de tenir compte de toutes les circonstances factuelles pertinentes à la qualification de la relation existant entre les deux, pour déterminer si l'accusé se trouvait en situation d'autorité ou de confiance par rapport à l'adolescent ou encore si ce dernier était en situation de dépendance par rapport à l'accusé au moment de l'infraction. Bien qu'un professeur ne soit pas de jure en situation d'autorité ou de confiance vis‑à‑vis de ses élèves, il le sera en fait dans la très grande majorité des cas vu l'importance du rôle que lui confie la société. En l'absence d'une preuve qui soulève dans l'esprit du juge des faits un doute raisonnable sur l'existence d'une situation de confiance ou d'autorité, conclure qu'un professeur n'est pas dans une telle situation vis‑à‑vis de ses élèves constituerait une erreur de droit. Cette approche, qui impose à l'accusé une charge de présentation, n'enfreint pas la présomption d'innocence puisqu'en l'absence d'une telle preuve le fait inconnu (l'existence d'une situation de confiance ou d'autorité) découle inexorablement du fait établi (la qualité de professeur de l'accusé vis‑à‑vis du plaignant, son élève). Dans de telles circonstances, il n'existe aucune possibilité que l'accusé puisse être condamné malgré l'existence d'un doute raisonnable. Finalement, une telle approche n'a pas pour effet de transformer le crime d'exploitation sexuelle en infraction de responsabilité absolue. Le ministère public n'est pas relevé de son obligation d'établir hors de tout doute raisonnable l'existence de la mens rea nécessaire à l'égard de chacun des éléments de l'infraction, qui en est d'ailleurs une d'intention spécifique.
En l'espèce, il n'existe aucune circonstance pertinente à la qualification de la nature de la relation entre l'accusé et l'adolescente qui soit susceptible de soulever un doute raisonnable dans l'esprit du juge des faits quant à la situation de confiance dans laquelle l'accusé se trouvait vis‑à‑vis de l'adolescente. Même si l'incident a eu lieu lors des vacances d'été, ces vacances venaient de débuter et les circonstances indiquent que l'accusé allait de nouveau enseigner à l'adolescente. Il était donc tout au moins en situation de confiance vis‑à‑vis de celle‑ci. Notre Cour est donc justifiée d'exercer le pouvoir que lui confère le par. 686(4) du Code criminel de casser le verdict d'acquittement prononcé par le juge du procès et d'y substituer un verdict de culpabilité puisque n'eût été l'erreur de droit commise par ce dernier, il est évident que l'accusé aurait été déclaré coupable. Le juge du procès a d'ailleurs tiré toutes les conclusions nécessaires pour justifier un verdict de culpabilité.
Les juges Sopinka et Major (dissidents): En adoptant le par. 153(1) du Code, le législateur fédéral n'a pas voulu que les enseignants soient présumés de façon décisive être des personnes en situation de confiance ou d'autorité. Le législateur a plutôt voulu qu'on examine chaque cas en fonction de ses faits pour déterminer si l'accusé était effectivement en situation de confiance ou d'autorité vis‑à‑vis de l'adolescent. Compte tenu de l'importance du rôle des enseignants dans notre société, dans la plupart des cas, il s'établit une relation d'éducateur entre les enseignants et leurs élèves et le degré de dépendance sera suffisant pour qu'il existe une situation de confiance. Dans chaque cas, cependant, cette situation de confiance devrait être fondée sur la nature de la relation entre l'enseignant et l'élève dont il s'agit, et non pas simplement sur le statut de l'enseignant. Créer, en droit, une présomption de fait suivant laquelle les enseignants sont automatiquement et dans toutes les circonstances en situation de confiance ou d'autorité érigerait l'exploitation sexuelle en infraction de responsabilité absolue lorsque l'accusé est un enseignant. Toute infraction de responsabilité absolue à laquelle se rattache la possibilité d'une peine d'emprisonnement viole l'art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés. En outre, cette interprétation obligerait l'enseignant accusé à prouver qu'il n'était pas en situation de confiance ou d'autorité. Dans notre système, un accusé ne devrait pas avoir à s'acquitter d'un tel fardeau. Le droit d'être présumé innocent que l'al. 11d) de la Charte garantit est primordial et ne devrait pas être compromis, que ce soit par présomption de fait ou autrement.
Le juge du procès a conclu, suivant les faits de la présente affaire, que l'accusé n'était pas en situation de confiance ou d'autorité au moment des attouchements d'ordre sexuel. Dans les circonstances de l'affaire, la preuve était suffisante pour qu'il arrive à cette conclusion. La Cour d'appel à la majorité a confirmé cette conclusion de fait et notre Cour ne devrait pas, et ne peut pas, la modifier. Quand il s'agit d'infirmer un acquittement, le ministère public doit démontrer avec un degré raisonnable de certitude que le verdict n'aurait pas nécessairement été le même si le juge, siégeant seul, s'était bien instruit du droit. Puisque le juge du procès n'a commis aucune erreur de droit, le ministère public ne s'est pas acquitté du fardeau qui lui incombait.
Jurisprudence
Citée par le juge La Forest
Distinction d'avec l'arrêt: Norberg c. Wynrib, [1992] 2 R.C.S. 226; arrêts mentionnés: Léon c. La Reine, [1992] R.L. 478; R. c. L.A.M. (1993), 86 Man. R. (2d) 179; R. c. P.S., [1993] O.J. No. 704 (QL); R. c. Palmer, [1990] O.J. No. 51 (QL); R. c. Hann (No. 2) (1990), 86 Nfld. & P.E.I.R. 33; R. c. Dunk (1991), 117 A.R. 161; R. c. G. (T.F.) (1992), 11 C.R. (4th) 221, autorisation de pourvoi refusée, [1993] 3 R.C.S. ix; Eastman Photographic Materials Co. c. Comptroller‑General of Patents, Designs, and Trade-Marks, [1898] A.C. 571; R. c. Jobidon, [1991] 2 R.C.S. 714; R. c. Dussiaume (1995), 98 C.C.C. (3d) 217, autorisation de pourvoi refusée, [1995] 4 R.C.S. vi; R. c. Morin, [1988] 2 R.C.S. 345; R. c. MacKenzie, [1993] 1 R.C.S. 212; R. c. Cassidy, [1989] 2 R.C.S. 345; Ross c. Conseil scolaire du district no 15 du Nouveau‑Brunswick, [1996] 1 R.C.S. 825; R. c. Forde, [1992] O.J. No. 1698 (QL); R. c. Downey, [1992] 2 R.C.S. 10; R. c. Vaillancourt, [1987] 2 R.C.S. 636; R. c. Whyte, [1988] 2 R.C.S. 3; R. c. Ville de Sault Ste‑Marie, [1978] 2 R.C.S. 1299.
Citée par le juge Major (dissident)
Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.‑B., [1985] 2 R.C.S. 486.
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés, art. 7, 11d).
Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, art. 150.1(1) [aj. ch. 19 (3e suppl.), art. 1], 153 [abr. & rempl. idem], 265(3), 271 [mod. idem, art. 10; mod. 1994, ch. 44, art. 19], 272 [rempl. 1995, ch. 39, art. 145], 273 [mod. idem, art. 146], 273.1 [aj. 1992, ch. 38, art. 1], 686(4) [mod. ch. 27 (1er suppl.), art. 145(3)], 693(1)a) [idem, art. 146].
Doctrine citée
Bryant, Alan W. «The Issue of Consent in the Crime of Sexual Assault» (1989), 68 R. du B. can. 94.
Canada. Comité sur les infractions sexuelles à l'égard des enfants et des jeunes. Infractions sexuelles à l'égard des enfants. Ottawa: Ministre des Approvisionnements et Services Canada, 1984.
Coleman, Phyllis. «Sex in Power Dependency Relationships: Taking Unfair Advantage of the `Fair' Sex» (1988), 53 Alb. L. Rev. 95.
Grand Robert de la langue française, 2e éd. Paris: Le Robert, 1986, «autorité», «confiance».
Oxford English Dictionary, 2nd ed. Oxford: Oxford University Press, 1989, «authority», «confidence», «trust».
POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel du Nouveau‑Brunswick (1995), 155 R.N.‑B. (2e) 369, 398 A.P.R. 369, qui a confirmé l'acquittement de l'accusé prononcé par le juge McIntyre (1993), 142 R.N.‑B. (2e) 382, 364 A.P.R. 382, relativement à une accusation d'exploitation sexuelle d'une jeune personne contrairement au par. 153(1) du Code criminel. Pourvoi accueilli, les juges Sopinka et Major sont dissidents.
François Doucet, pour l'appelante.
Anne E. Bertrand et Paul A. Bertrand, pour l'intimé.
Le jugement des juges La Forest, L'Heureux‑Dubé, Gonthier, Cory et McLachlin a été rendu par
I. Le juge La Forest -- Notre Cour a pour la première fois l’occasion d’analyser le sens et la portée du par. 153(1) du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, qui interdit à toute personne en situation d’autorité ou de confiance vis-à-vis d'un adolescent, ainsi qu'à toute personne à l’égard de laquelle un adolescent est en situation de dépendance, toute activité sexuelle décrite aux al. a) et b) -- même consensuelle, nous précise le par. 150.1(1) du Code -- à l’endroit de ce dernier. Le présent pourvoi soulève certaines questions relatives à la nature des éléments constitutifs de l’infraction d’exploitation sexuelle ainsi qu'au sens et à la portée des expressions «situation d’autorité» et «situation de confiance».
I. Le contexte
II. Le 8 juillet 1992, l’intimé, un professeur d’éducation physique âgé de 22 ans, se rend en compagnie d’un ami, Serge Maltais, à un club de Campbellton, au Nouveau-Brunswick. Par hasard, il y rencontre la plaignante, qui était une de ses élèves de huitième année pendant l'année scolaire 1991-1992. La plaignante, qui vient tout juste de célébrer son quatorzième anniversaire dix jours auparavant, est accompagnée de deux cousines dans la vingtaine. L’intimé ne dissimule pas sa surprise lorsqu'il aperçoit une de ses jeunes élèves fréquentant un endroit auquel l’accès est interdit aux mineurs. L’intimé, M. Maltais, la plaignante et ses deux cousines passent la soirée ensemble au club. La plaignante consomme quelques bières qui lui ont été offertes par ses cousines.
III. L’intimé n’a pas témoigné au procès. Dans son témoignage, la plaignante raconte que, plus tard dans la soirée, à la suggestion de M. Maltais, les trois filles accompagnent les deux jeunes hommes à un chalet situé près de Val-D’Amour. Se plaignant de maux de tête, l'intimé décide d’aller se coucher dans une chambre où se trouvent deux lits. Peu après, la plaignante le rejoint et se couche à côté de lui, dans le même lit. À son tour, elle s’endort. Durant la nuit, l’intimé et la plaignante se réveillent et ont des rapports sexuels oraux. Devenant de plus en plus mal à l'aise, la plaignante implore l’intimé d’arrêter, ce qu'il fait aussitôt. Dans une déclaration faite aux autorités, qui sera ultérieurement mise en preuve lors du procès, l’accusé reconnaît avoir initié les attouchements. L’intimé demande ensuite à la plaignante de taire l’incident et lui mentionne qu'ils se reverraient peut-être avant le début de la prochaine année scolaire. En fait, il avait été avisé 16 jours avant l’incident que son contrat d’emploi à titre de professeur d’éducation physique avait été renouvelé pour l’année scolaire 1992-1993. On l’avait également informé qu'il enseignerait de nouveau aux élèves de septième, huitième et neuvième années, toujours à l’école fréquentée par la plaignante.
IV. Subséquemment, l’intimé a été formellement accusé de s’être prêté à des attouchements à des fins d’ordre sexuel à l’endroit de la plaignante alors qu'il était en situation d’autorité ou de confiance vis-à-vis d'elle, contrevenant ainsi au par. 153(1) du Code criminel. Il a été acquitté à son procès, décision confirmée par la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick, au motif qu'au moment de l’incident, il n'était ni en situation d’autorité, ni en situation de confiance vis-à-vis de la plaignante. La Cour d’appel était cependant divisée sur cette dernière question. Le juge Ayles considérait plutôt que l’intimé était bel et bien dans une telle situation face à la plaignante et aurait inscrit un verdict de culpabilité. Conformément à l’al. 693(1)a) du Code, la Couronne s'est pourvue de plein droit devant notre Cour le 6 avril 1995.
La Cour du Banc de la Reine (1993), 142 R.N.-B. (2e) 382
V. Le juge McIntyre se dit d’abord convaincu par la preuve que l’incident a eu lieu à l’endroit et à la date allégués dans l’acte d’accusation et que la plaignante était alors une adolescente au sens du par. 153(2) du Code criminel. La seule question véritablement en litige, selon lui, est de savoir si l’accusé était, au moment où l’incident a eu lieu, une personne en situation d’autorité ou de confiance vis-à-vis de la plaignante.
VI. Le juge McIntyre cite et approuve des extraits des motifs du juge Proulx de la Cour d’appel du Québec dans l’affaire Léon c. La Reine, [1992] R.L. 478, relatifs au but de la prohibition édictée par le législateur au par. 153(1) et au sens des expressions «situation d’autorité» et «situation de dépendance». À la page 481, le juge Proulx expliquait les origines du par. 153(1), qui avait été adopté à la suite du dépôt du rapport du Comité sur les infractions sexuelles à l'égard des enfants et des jeunes (le «Comité Badgley»), Infractions sexuelles à l'égard des enfants (1984) (le «Rapport Badgley»), dans le but de «réprimer l’exploitation sexuelle de l’adolescent par des personnes qui jouissent précisément d’une situation de confiance ou d’autorité à l’égard de l’adolescent ou à l’égard desquelles l’adolescent est en situation de dépendance». Plus loin, à la p. 483, le juge Proulx écrivait qu'une situation d’autorité découlait d’abord de la fonction que l’adulte exerce en rapport avec l’adolescent, mais qu'elle s’étendait aussi à tout «pouvoir licite ou illicite de commander que l’adulte peut acquérir dans les faits». L’expression «situation de dépendance», visait, à son avis, une relation ‑‑ découlant de liens biologiques, juridiques, sociaux ou même d’une situation de fait particulière -- dans laquelle l’adolescent est soumis, lié ou rattaché à la personne d’une manière le privant de son autonomie ou de sa liberté d’action.
VII. Le juge McIntyre identifie spécifiquement les données factuelles pertinentes à ses yeux à la qualification de la situation de l’accusé face à la plaignante en l’espèce. Il est utile de les reproduire intégralement (aux pp. 388 et 389):
Les faits pertinents, à mon sens, sont d’abord le fait que M. Audet n’a pas invité ou encouragé [la plaignante à] le rencontrer au club. Il ne l’a aucunement encouragée, soit en dansant avec elle ou en lui achetant une boisson alcoolisée. Les trois bières qu'elle a consommées lui furent procurées, d’après son témoignage, par ses cousines, qui, à mon sens, étaient plus vieilles et étaient en situation d’autorité envers elle à ce moment. Ce n’est pas l’accusé qui a suggéré d’aller au chalet, mais plutôt son ami, Serge Maltais.
D’après le témoignage de [la plaignante] elle-même, Audet [ne] lui aurait fait aucune avance de nature sexuelle mais se serait plutôt plaint de fatigue et de maux de tête. Il est allé se coucher et s’est endormi. Un peu plus tard [la plaignante] est allée le rejoindre dans la chambre, et, quoiqu'il y avait deux lits dans cette chambre, elle a choisi plutôt de se coucher près de lui dans le même lit.
. . . J’ai remarqué qu'au cours de son témoignage, [la plaignante] a employé alternativement le terme «Monsieur Yves» et tout simplement «Yves» en référant à l’accusé. Dans plusieurs parties de ses déclarations dont on a référées en contre-interrogatoire, elle parle de «Yves» en référant à l’accusé. J’en déduis de cette preuve, ainsi que de l’entier de la preuve, que [la plaignante] démontrait envers l’accusé une familiarité peu commune ou inhabituelle entre une élève et son ancien professeur.
Il faut se souvenir aussi que M. Audet n’était âgé que de 22 ans. Je suis d’avis qu'il y a une énorme différence entre un professeur de 22 ans et un professeur, disons, de 52 ans et une jeune fille de 14 ans. À mon sens il est raisonnable de conclure qu'une jeune fille de 14 ans se sent plus à l’aise avec un jeune homme de 22 ans qu'avec un homme, disons, de 52 ans.
Dans l’ensemble, le juge McIntyre est d’avis que l’accusé n'était ni en position d’exercer un pouvoir quelconque à l’endroit de la plaignante, ni en situation de confiance au sens du par. 153(1) du Code. Il ajoute, à la p. 389:
Quoique [la plaignante] ait par la suite regretté d’avoir participé à ces actes, la preuve ne démontre pas qu'au moment d’y participer elle était consciente d’un pouvoir autoritaire quelconque qui venait en quelque sorte l’obliger de se soumettre aux avances de l’accusé.
Le juge McIntyre tient également compte du fait que l’incident a eu lieu pendant les vacances d’été, et donc, à son avis, hors du cadre de la relation professeur-élève.
La Cour d’appel du Nouveau-Brunswick (les juges Angers et Rice et le juge Ayles, dissident) (1995), 155 R.N.-B. (2e) 369
VIII. La majorité, sous la plume du juge Angers, décrit de la manière suivante l’infraction prévue au par. 153(1) du Code criminel (aux pp. 372 et 373):
L’article 153 du Code criminel a pour but de protéger les adolescents contre l’exploitation sexuelle par des personnes ayant sur eux un certain pouvoir créant ainsi une situation d’autorité, de confiance ou de dépendance. La relation père-enfant ou comme en l’instance, professeur-élève, ne créé pas par le fait même cette situation d’autorité, de confiance et de dépendance. Ce sera, bien sûr, un facteur très important et, je n’en doute pas, dans la plupart des cas, un facteur déterminant. Dans chaque cas, cependant, c’est en considérant l’ensemble de tous les faits que le juge pourra déterminer si, au moment de l’acte reproché, l’accusé était en situation d’autorité, de confiance ou de dépendance.
La majorité, s’appuyant sur les décisions R. c. L.A.M. (1993), 86 Man. R. (2d) 179 (B.R.), et R. c. P.S., [1993] O.J. No. 704 (Div. gén.), juge que la qualification de la situation d’une personne par rapport à un adolescent est une question de fait, laissée d’abord à l’appréciation du juge du procès.
IX. En l’espèce, la majorité est d’avis que le juge McIntyre a correctement analysé la preuve et s’est fondé sur les éléments factuels pertinents à la qualification de la relation prévalant entre l’accusé et la plaignante. Elle fait donc preuve de déférence à l’endroit de la conclusion du juge McIntyre. Le juge Angers écrit, aux pp. 374 et 375:
Le juge a repassé les circonstances particulières de la cause: l’année scolaire était terminée, les cousines étaient en situation d’autorité envers [la plaignante] ce soir là et il n’y avait pas eu d’exploitation de la part de l’accusé. Le juge qui avait observé [la plaignante] lorsqu’elle témoignait a conclu qu'elle ne ressentait pas «un pouvoir autoritaire quelconque qui venait en quelque sorte l’obliger de se soumettre aux avances de l’accusé». Enfin, le juge a décidé que la Couronne n’avait pas établi au delà d’un doute raisonnable que lors de l’incident en question, l’accusé était en situation d’autorité ou de confiance vis-à-vis [de la plaignante].
X. Le juge Ayles voit les choses différemment. Il note d’abord la différence entre les versions française et anglaise du par. 153(1). Jugeant que le terme «situation» utilisé dans la version française porte à confusion, il déduit du terme «position» utilisé dans la version anglaise que (à la p. 377):
. . . la relation de ce professeur avec cette étudiante sert à décrire non pas un rapport de force (autorité/subjugation) à un moment précis, mais le statut relatif des deux parties en relation l’une avec l’autre.
Se penchant ensuite sur la relation de l’accusé et de la plaignante en l’espèce, le juge Ayles trace un parallèle avec la décision de notre Cour dans l’affaire Norberg c. Wynrib, [1992] 2 R.C.S. 226, et affirme qu'un enseignant entretient un rapport de nature fiduciaire avec ses élèves. Il se réfère également aux propos du juge Cosgrove de la Cour de district de l’Ontario dans R. c. Palmer, [1990] O.J. No. 51, et du juge Woolridge dans R. c. Hann (No. 2) (1990), 86 Nfld. & P.E.I.R. 33 (C.S.T.-N.), et conclut que les enseignants sont en situation de confiance vis-à-vis des adolescents.
XI. Le juge Ayles précise également que le fait que la plaignante ait consenti aux actes n’est nullement pertinent dans le cadre d’une accusation d’exploitation sexuelle et qu'il est de jurisprudence constante que la Couronne n’a pas à démontrer un lien quelconque entre la situation de la personne et l’activité sexuelle reprochée: R. c. Dunk (1991), 117 A.R. 161 (C.A.), et R. c. G. (T.F.) (1992), 11 C.R. (4th) 221 (C.A. Ont.).
II. L’analyse
XII. La divergence d’opinions entre la majorité et la dissidence réside dans la détermination de la démarche analytique à suivre dans le cadre d’accusations d’exploitation sexuelle. Le juge du procès et la majorité de la Cour d’appel font porter l’analyse sur les circonstances immédiates de l’infraction pour décider si celles-ci révèlent, en plus de l’existence d’un déséquilibre quelconque entre l’adolescent et l’accusé établissant une situation d’autorité, de confiance ou de dépendance au sens du par. 153(1) du Code criminel, que ce dernier a effectivement exploité sa position privilégiée face à l’adolescent. Pour sa part, le juge Ayles est d’avis que le par. 153(1) exige une analyse globale de la nature de la relation prévalant entre l’adolescent et l’accusé, sans égard à la question de l’exploitation. Il diverge d’opinion puisqu’à son avis tous les adolescents sont en situation de dépendance à l’égard des professeurs, en raison de la relation de nature fiduciaire existant entre ceux-ci et découlant du rôle que la société leur confie.
XIII. Je suis d’avis que l’appel doit être accueilli et qu'un verdict de culpabilité doit être inscrit. D’abord, la position du juge McIntyre, à laquelle souscrit la majorité de la Cour d’appel, implique que la Couronne doit prouver, comme étant un élément constitutif de l’infraction d’exploitation sexuelle, que l’accusé a effectivement exploité sa situation de confiance ou d’autorité face à l’adolescent, ou de la situation de dépendance de ce dernier à son égard. Or, une analyse des moyens choisis par le législateur pour satisfaire à l’objectif qu'il poursuivait en adoptant l’infraction d’exploitation sexuelle et du contexte législatif dans lequel se trouve le par. 153(1) révèle que cette approche est erronée en plus d’être contraire à la jurisprudence développée sur le sujet jusqu’à présent. Je conclus que le juge du procès a donc commis une erreur de droit. Ensuite, je suis d’avis que les circonstances de l’espèce justifient que notre Cour exerce le pouvoir que lui confère le par. 686(4) du Code criminel de casser le verdict d’acquittement prononcé par le juge du procès et d’y substituer un verdict de culpabilité.
A. L’erreur de droit commise par le juge du procès
(1)L’article 153 du Code criminel: objectif, raison d’être et éléments constitutifs de l’infraction d’exploitation sexuelle
XIV. L’article 153 du Code criminel est entré en vigueur le 1er janvier 1988. La disposition a été adoptée par le législateur en réponse aux recommandations formulées par le Comité Badgley dans un rapport rendu public quelques années plus tôt. Elle se lit comme suit:
153. (1) Est coupable soit d'un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de cinq ans, soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, toute personne qui est en situation d'autorité ou de confiance vis-à-vis d'un adolescent ou à l'égard de laquelle l'adolescent est en situation de dépendance et qui, selon le cas:
a) à des fins d'ordre sexuel, touche, directement ou indirectement, avec une partie de son corps ou avec un objet, une partie du corps de l'adolescent;
b) à des fins d’ordre sexuel, invite, engage ou incite un adolescent à la toucher, à se toucher ou à toucher un tiers, directement ou indirectement, avec une partie du corps ou avec un objet.
(2) Pour l'application du présent article, “adolescent” s'entend d'une personne âgée de quatorze ans au moins mais de moins de dix-huit ans.
Bien que, comme l’a reconnu le lord chancelier Halsbury à la fin du siècle dernier dans Eastman Photographic Materials Co. c. Comptroller-General of Patents, Designs, and Trade-Marks, [1898] A.C. 571 (H.L.), à la p. 575, un rapport de commission comme le Rapport Badgley peut être utilisé par les tribunaux pour identifier l’objectif que poursuivait le législateur en adoptant un texte législatif donné, je considère inutile en l’espèce de m’y référer. De toute évidence, le législateur a adopté l’art. 153 du Code criminel dans le but de protéger les adolescents se trouvant en situation de vulnérabilité vis-à-vis de certaines personnes en raison d’un déséquilibre inhérent à la nature de la relation qu'ils vivent avec celles-ci. Cette constatation saute aux yeux et il ne serait ni utile ni nécessaire, pour les fins du présent pourvoi, d'examiner plus en détail l’étendue et l’ampleur du volet social du problème.
XV. Cependant, si le but de la disposition et l’objectif poursuivi sont pertinents dans l’interprétation du par. 153(1), l’on doit prendre bien soin de les distinguer des moyens choisis par le législateur pour atteindre ce but et satisfaire à cet objectif.
XVI. L’infraction vise d’abord trois catégories distinctes de personnes, soit celles étant en situation d’autorité ou de confiance vis-à-vis d'un adolescent et celles à l’égard desquelles un adolescent est en situation de dépendance. Le Code interdit à toute personne se trouvant dans une telle situation à l'égard d'un adolescent de se livrer à l’une quelconque des activités sexuelles décrites aux al. a) et b) du par. 153(1). Aussi, contrairement à un cas d'accusation d’agression sexuelle, une personne accusée en vertu du par. 153(1) ne peut invoquer le consentement de l’adolescent comme moyen de défense (par. 150.1(1) du Code criminel). Pour obtenir une condamnation en vertu du par. 153(1), la Couronne doit établir hors de tout doute raisonnable que le plaignant est un adolescent au sens du par. 153(2), que l’accusé s’est livré à l’une des activités énumérées au par. 153(1) et, finalement, que ce dernier était, lors de la commission des actes en question, en situation d’autorité ou de confiance à l’égard de l’adolescent, ou encore que ce dernier était alors, à l’égard de l’accusé, en situation de dépendance, en plus de prouver, évidemment, la mens rea nécessaire à l'égard de chacun de ces éléments.
XVII. Devant notre Cour, l’intimé soutient que, pour conclure que telle était la situation de l’accusé vis-à-vis de l’adolescent, la Couronne devait nécessairement démontrer qu'il y avait eu abus ou exploitation par l'accusé de sa situation d’autorité ou de confiance face à l’adolescent ou de la situation de dépendance de ce dernier à son égard. À l’appui de ses prétentions, il cite mes motifs dans l’affaire Norberg c. Wynrib, précitée, et la démarche analytique en deux étapes dont j’ai traité. À la page 256, j’écrivais:
Il convient de remarquer qu'en droit des contrats, la preuve de l'existence d'une opération inique est un processus à deux étapes: (1) la preuve de l'inégalité des situations respectives des parties et (2) celle d'un marché imprudent. Il en est de même lorsqu'il s'agit de déterminer si le consentement à une agression sexuelle était efficace sur le plan juridique. La première étape consiste sans aucun doute à prouver l'existence d'une inégalité entre les parties, laquelle survient normalement, comme nous l'avons vu, dans le contexte d'un rapport spécial «de force et de dépendance». La seconde étape, selon moi, consiste à prouver qu'il y a eu exploitation. L'examen du genre de relation en cause peut indiquer fortement qu'il y a exploitation.
XVIII. À mon avis, l’accusé soutient en fait qu'il existe un autre élément constitutif de l’infraction d’exploitation sexuelle, soit que l’accusé doit, dans l’accomplissement des actes qu'on lui reproche, avoir abusé de sa situation particulière face à l’adolescent, c'est-à-dire d'une des situations mentionnées au par. 153(1).
XIX. Or, je suis d’avis que sa position est erronée. Cette interprétation est inconciliable avec les dispositions du par. 150.1(1) du Code criminel, qui prévoient que le consentement de l’adolescent ne constitue pas un moyen de défense dans le cadre d’accusations d’exploitation sexuelle, puisque exiger une preuve d’exploitation revient à reconnaître implicitement à la qualité du consentement une pertinence qu'elle n'a pas dans un tel contexte. L’interprétation proposée par l’intimé signifie que le moyen choisi par le législateur pour satisfaire à l’objectif législatif poursuivi a été de criminaliser l'abus ou l'exploitation, par des personnes se trouvant dans l’une des situations énumérées, de leur situation dans le but de se livrer à l’une des activités interdites. Or, ce n'est pas le cas. On viderait l’infraction d’exploitation sexuelle de toute utilité en adoptant une telle interprétation, en confondant l’objectif de la disposition et la norme adoptée par le législateur.
XX. En effet, la situation relative des parties a toujours eu, en droit criminel canadien, une certaine pertinence quant à la validité du consentement. Notre common law reconnaît depuis longtemps que l’exploitation par une personne de la vulnérabilité à son égard d’une autre personne peut avoir une certaine incidence sur la validité du consentement (voir l’historique préparé par A. W. Bryant, «The Issue of Consent in the Crime of Sexual Assault» (1989), 68 R. du B. can. 94, aux pp. 127 à 131; R. c. Jobidon, [1991] 2 R.C.S. 714, à la p. 740, ainsi que mes commentaires dans Norberg c. Wynrib, précité, aux pp. 250 et 252).
XXI. D’ailleurs, en 1983, le législateur a adopté ce qui constitue aujourd’hui le par. 265(3) du Code criminel. Cette disposition énumère certaines circonstances pouvant vicier le consentement (Norberg c. Wynrib, précité, à la p. 251) et se lit ainsi:
265. . . .
(3) Pour l’application du présent article, ne constitue pas un consentement le fait pour le plaignant de se soumettre ou de ne pas résister en raison:
a) soit de l’emploi de la force envers le plaignant ou une autre personne;
b) soit des menaces d’emploi de la force ou de la crainte de cet emploi envers le plaignant ou une autre personne;
c) soit de la fraude;
d) soit de l’exercice de l’autorité. [Je souligne.]
De plus, le législateur a adopté une disposition similaire traitant spécifiquement du consentement en matière d’agression sexuelle, d’agression sexuelle armée et d’agression sexuelle grave. En 1992, l’art. 273.1 a été ajouté au Code criminel:
273.1 (1) Sous réserve du paragraphe (2) et du paragraphe 265(3), le consentement consiste, pour l’application des articles 271, 272 et 273, en l’accord volontaire du plaignant à l’activité sexuelle.
(2) Le consentement du plaignant ne se déduit pas, pour l’application des articles 271, 272 et 273, des cas où:
a) l’accord est manifesté par des paroles ou par le comportement d’un tiers;
b) il est incapable de le former;
c) l’accusé l’incite à l’activité par abus de confiance ou de pouvoir;
d) il manifeste, par ses paroles ou son comportement, l’absence d’accord à l’activité;
e) après avoir consenti à l’activité, il manifeste, par ses paroles ou son comportement, l’absence d’accord à la poursuite de celle-ci. [Je souligne.]
XXII. Le Code prévoit donc expressément que, pour l'application des art. 271, 272 et 273, «l'exercice de l'autorité» (al. 265(3)d)), «l'abus de confiance» et «l'abus de pouvoir» (al. 273.1(2)c)) vicieraient le consentement. Tout en demeurant conscient de la légère disparité dans la terminologie utilisée au par. 153(1), à l'al. 265(3)d) et à l’al. 273.1(2)c), je constate néanmoins que dans la plupart, sinon la totalité, des cas où la preuve révélera que l’accusé se trouvant dans l’une des situations énumérées au par. 153(1) face au plaignant a effectivement abusé de sa situation face à ce dernier pour obtenir les faveurs sexuelles lui étant reprochées, il aura commis à l’endroit de l’adolescent au moins une agression sexuelle -- une infraction plus grave -- puisque le consentement est alors inexistant, comme le prescrivent l'al. 265(3)d) et l’al. 273.1(2)c). L’interprétation proposée par l’intimé conduit donc à une situation quelque peu absurde. L’infraction prévue au par. 153(1) serait dépourvue de toute utilité car pratiquement toutes les situations visées par le par. 153(1) du Code criminel le seraient aussi de toute façon par les art. 271, 272 ou 273, selon les circonstances. L’infraction d’exploitation sexuelle n’apporterait finalement rien. Qui plus est, une personne en situation d’autorité ou de confiance à l’égard d’un adolescent, ou à l’égard de laquelle ce dernier est en situation de dépendance, commettrait une infraction moins grave en abusant de sa position privilégiée pour obtenir des faveurs sexuelles de la part d’un adolescent qu'en le faisant à l’égard d'un adulte. Il saute aux yeux qu'une telle interprétation est totalement inconciliable avec l’objectif que poursuivait le législateur en édictant l’art. 153 du Code.
XXIII. De toute évidence, le législateur a voulu protéger davantage les adolescents. Il a choisi des moyens plus drastiques, en criminalisant l’activité elle-même, qu'elle soit consensuelle ou non (par. 150.1(1) du Code), dans la mesure où y participe une personne se trouvant à l’égard de l’adolescent dans l’une des situations énumérées au par. 153(1). Comme l’écrivait avec éloquence le juge Woolridge dans Hann (No.2), précité, à la p. 36:
[traduction] Le texte de l'art. 153 laisse implicitement entendre que, nonobstant le consentement, le désir ou les souhaits de l'adolescent, c'est l'adulte en situation de confiance qui a la responsabilité de refuser d'avoir tout contact sexuel avec cet adolescent. [Je souligne.]
Il m’apparaît donc évident que la position de l’intimé est erronée et que la Couronne n’a point besoin d’établir que l’accusé a effectivement abusé de sa situation vis-à-vis de l’adolescent pour obtenir son consentement aux activités sexuelles reprochées.
XXIV. Aussi, je tiens à préciser que la démarche analytique en deux étapes que j’ai suivie à l’occasion de l’affaire Norberg c. Wynrib, précitée, ne peut être transposée aveuglément dans le contexte d’une accusation d’exploitation sexuelle. Cette affaire se distingue de la présente puisque tout le débat portait justement sur la validité du consentement donné par une patiente à des relations sexuelles auxquelles elle avait pris part avec son médecin. Le contexte juridique était fort différent, puisque contrairement à la situation prévalant en l’espèce, la validité du consentement était pertinente, la question ayant été soulevée dans le contexte civil d’une poursuite pour délit de voies de fait.
XXV. Enfin, il est important de noter, comme l'a fait le juge Ayles, que les tribunaux ont constamment rejeté, jusqu’à présent, tout argument similaire à celui que l’intimé nous propose. La Cour d’appel de l’Ontario dans G. (T.F.), précité, se référant à la décision de la Cour d’appel de l’Alberta dans Dunk, précitée, abondait dans ce sens, aux pp. 222 et 223:
[traduction] L'avocat de l'appelant reconnaît que, d'après les faits, l'appelant était en situation d'autorité à l'égard de la plaignante. Cependant, il soutient qu'il doit exister, en vertu de l'art. 153, un lien entre la situation d'autorité et le consentement de l'adolescent à l'activité sexuelle; en l'espèce, puisqu'il n'existe pas de preuve de ce lien, l'appelant ne devrait pas être déclaré coupable. En toute déférence, je ne suis pas d'accord.
L'article 153 vise à établir clairement qu'une personne en situation d'autorité ou de confiance vis‑à‑vis d'un adolescent ne doit pas avoir de relations sexuelles avec cette personne, même s'il existe un consentement apparent. Nous sommes d'accord avec l'interprétation que le juge Kerans de la Cour d'appel de l'Alberta donne à cette disposition dans R. c. Dunk, arrêt inédit rendu le 3 juin 1991 (publié depuis (1991), 117 A.R. 161, 2 W.A.C. 161) dans lequel il affirme:
La disposition examinée exige d'un citoyen qui se trouve en situation d'autorité ou de confiance vis‑à‑vis d'un enfant de ne pas se fonder sur l'apparent consentement de celui‑ci à des relations sexuelles. Cette obligation n'est pas restreinte aux cas où le ministère public peut établir l'existence d'un lien entre la confiance et le consentement. Par conséquent, le juge du procès a eu raison de ne pas demander aux jurés d'examiner l'importance du facteur sur la question du consentement.
Puisque, dans l'appel qu'il a interjeté contre la déclaration de culpabilité prononcée contre lui, l'appelant n'a soulevé que ce point, que nous n'avons pas retenu, l'appel est rejeté. [Je souligne.]
Notre Cour a refusé l'autorisation d'appel: [1992] 3 R.C.S. ix. La Cour d’appel de l’Ontario a d’ailleurs réitéré sa position dans R. c. Dussiaume (1995), 98 C.C.C. (3d) 217, à la p. 219, demande d’autorisation de pourvoi rejetée, [1995] 4 R.C.S. vi. Dans le même sens, on consultera aussi l'affaire L.A.M., précitée.
XXVI. Je refuse donc de conclure que la Couronne est tenue d'établir, aux fins du par. 153(1) du Code, l'exploitation par l'accusé de sa situation de confiance ou d'autorité face à l'adolescent, ou encore de la situation de dépendance de ce dernier à son endroit.
(2) La position du juge du procès et de la majorité de la Cour d’appel
XXVII. Il ressort clairement des motifs du juge du procès qu’il a tenu pour acquis que la Couronne devait prouver l’abus ou l’exploitation par l’accusé de sa situation particulière à l’égard de la plaignante. Ce faisant, il s’est à mon avis attardé à des faits nullement pertinents à la détermination de la responsabilité criminelle de l’intimé en vertu du par. 153(1). Par exemple, il a relevé le fait que l’accusé n’avait pas fourni à la plaignante les boissons qu’elle a consommées lors de la soirée et qu'il ne l’avait pas non plus incitée à l’accompagner au chalet. Il s’est aussi attardé au fait que la plaignante avait volontairement choisi d’aller se coucher dans la même chambre que l’intimé et, par surcroît, avait choisi de le faire dans le lit qu’il occupait alors qu’un autre lit était libre dans la même pièce. De plus, l’extrait suivant de ses motifs, que j'ai cité précédemment, ne s’explique à mon avis d’aucune autre façon (à la p. 389):
Quoique [la plaignante] ait par la suite regretté d’avoir participé à ces actes, la preuve ne démontre pas qu’au moment d’y participer elle était consciente d’un pouvoir autoritaire quelconque qui venait en quelque sorte l’obliger de se soumettre aux avances de l’accusé. [Je souligne.]
XXVIII. Or, le juge du procès et, incidemment, la Cour d’appel ont commis une erreur de droit en évaluant incorrectement la nature des éléments constitutifs de l’infraction prévue au par. 153(1) du Code criminel. Il y a maintenant lieu de déterminer, à la lumière de cette erreur, si le pourvoi devrait tout de même être rejeté, ou s’il devrait plutôt être accueilli et, dans cette éventualité, si un verdict de culpabilité devrait être enregistré ou un nouveau procès ordonné.
B. L’ordonnance appropriée en l’espèce
XXIX. Comme je l’ai précisé au début de l’analyse, je suis d’avis que notre Cour devrait inscrire un verdict de culpabilité en exerçant le pouvoir que lui confère le par. 686(4) du Code criminel. Procédons d’abord à un rappel des pouvoirs d’une cour d’appel saisie d’un pourvoi formé à l’encontre d’un verdict d’acquittement.
(1)Les pouvoirs d’une cour d’appel lors d’un appel d’un acquittement
XXX. Les pouvoirs d’une cour d’appel saisie d’un appel interjeté contre un verdict d’acquittement sont énumérés au par. 686(4) du Code criminel, qui prévoit:
686. . . .
(4) Lorsqu’un appel est interjeté d’un acquittement, la cour d’appel peut:
a) rejeter l’appel;
b) admettre l’appel, écarter le verdict et, selon le cas:
(i) ordonner un nouveau procès,
(ii) sauf dans le cas d’un verdict rendu par un tribunal composé d’un juge et d’un jury, consigner un verdict de culpabilité à l’égard de l’infraction dont, à son avis, l’accusé aurait dû être déclaré coupable, et prononcer une peine justifiée en droit ou renvoyer l’affaire au tribunal de première instance en lui ordonnant d’infliger une peine justifiée en droit.
Même si une cour d’appel conclut que le juge du procès a commis une erreur de droit, il n’y a pas nécessairement lieu d’accueillir le pourvoi pour autant. Dans R. c. Morin, [1988] 2 R.C.S. 345, le juge Sopinka a rappelé que la Couronne avait le fardeau de démontrer que l’erreur commise par le juge avait eu une incidence, dans une certaine mesure, sur l’issue du procès (à la p. 374):
L’étendue de la charge qui incombe à la poursuite quand elle en appelle d’un acquittement a été établie dans l’arrêt Vézeau c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 277. La poursuite a l’obligation de convaincre la Cour que le verdict n’aurait pas nécessairement été le même si le jury avait reçu des directives appropriées.
Je reconnais volontiers que cette charge est lourde et que la poursuite doit convaincre la cour avec un degré raisonnable de certitude. Un accusé qui a déjà été acquitté une fois ne devrait pas être renvoyé à un nouveau procès s’il n’est pas évident que l’erreur qui entache le premier procès était telle qu’il y a un degré raisonnable de certitude qu’elle a bien pu influer sur le résultat. Tout critère plus strict exigerait qu’une cour d’appel prédise avec certitude ce qui s’est passé dans la salle de délibérations, ce qu’elle ne peut faire. [Je souligne.]
Dans l’arrêt R. c. MacKenzie, [1993] 1 R.C.S. 212, notre Cour reconnaissait que cette même norme pouvait être exprimée différemment. J’écrivais, à la p. 248:
Dire que le verdict «aurait pu être différent» me semble simplement être l'inverse de dire qu'il «n'aurait pas nécessairement été le même», et formuler la norme de cette façon ne signifie évidemment pas un allégement quelconque du fardeau incombant à la poursuite. Soulignons que le premier des énoncés contestés du juge Chipman est pratiquement la réplique de la formulation subsidiaire utilisée par la majorité dans l'arrêt Vézeau, précité, à la p. 291. Il s'agit tout simplement de façons différentes de dire la même chose. À ce titre, je dois rejeter la prétention de l'appelant selon laquelle la juridiction inférieure a mal formulé la norme d'examen en appel.
XXXI. Dans R. c. Cassidy, [1989] 2 R.C.S. 345, notre Cour, sous la plume du juge Lamer (maintenant Juge en chef), fait état des circonstances dans lesquelles il est approprié d’inscrire un verdict de culpabilité lorsqu’une cour d’appel décide que l'appel doit être accueilli. Il écrit, aux pp. 354 et 355:
Le ministère public réplique que la Cour d'appel peut accueillir l'appel qu'il a interjeté contre l'acquittement prononcé par le juge du procès et substituer à celui‑ci un verdict de culpabilité, si la poursuite établit qu'une erreur de droit a été commise au procès, si elle convainc la Cour d'appel que, si le droit avait été appliqué correctement, le verdict n'aurait pas été le même, et si elle démontre en outre que l'accusé aurait été déclaré coupable n'eût été de cette erreur de droit. À cet égard, le principe reconnu en common law est que toutes les conclusions nécessaires pour justifier un verdict de culpabilité doivent avoir été tirées explicitement ou implicitement, ou ne pas être en cause (Vézeau c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 277, aux pp. 291 et 292, et R. v. Courville (1982), 2 C.C.C. (3d) 118 (C.A. Ont.), à la p. 125, conf. sub nom., Courville c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 847). [Souligné dans l'original.]
Il poursuit, à la p. 355:
Compte tenu du droit de l’appelant à un procès équitable, il est important que le critère établi en common law soit appliqué de manière stricte.
(2) L’application à l’espèce: l’ordonnance appropriée
XXXII. Afin de correctement appliquer ces principes à l’espèce et de déterminer si, n’eût été l’erreur du juge du procès, il existe un degré raisonnable de certitude que le verdict aurait été différent et si, dans l’affirmative, un verdict de culpabilité doit être inscrit ou non, il est nécessaire de s’interroger sur le sens et la portée des expressions «situation d’autorité» et «situation de confiance» utilisées par le législateur au par. 153(1).
a) «Situation d’autorité» et «situation de confiance»
XXXIII. Les tribunaux ne se sont que très peu prononcés, d’un point de vue théorique, sur la portée de ces expressions, qui ne sont définies nulle part dans le Code criminel. Relativement à la notion de «situation d’autorité», le juge Proulx, dans l'arrêt Léon, précité, écrit, à la p. 483:
Dans son sens premier, la notion d’autorité découle de la fonction qu’exerce l’adulte en rapport avec l’adolescent mais on conviendra que, dans le contexte de cette disposition législative, être en «situation d’autorité» ne signifie pas nécessairement l’exercice d’un droit légal sur l’adolescent mais tout autant un pouvoir licite ou illicite de commander que l’adulte peut acquérir dans les faits.
Le juge Blair dans P.S., précité, fait quant à lui les remarques suivantes:
[traduction] . . . [une situation d'autorité] évoque des notions de pouvoir et la capacité de tenir entre ses mains l'avenir ou la destinée de la personne sur laquelle est exercée l'autorité . . .
Enfin, le juge Blair, toujours dans l’affaire P.S., écrit, relativement à l’expression «situation de confiance»:
[traduction] Il faut se rappeler qu'il ne s'agit pas du concept spécialisé de «trust» (fiducie) reconnue en equity. Il s'agit plutôt d'une relation générale sociale ou sociétale entre deux personnes, un adulte et un adolescent. Le Concise Oxford Dictionary (8e éd.) définit ainsi le terme «trust» (confiance): «ferme croyance dans la fiabilité, la sincérité ou la force d'une personne». Lorsque la nature de la relation entre un adulte et un adolescent est telle qu'elle permet que tous les facteurs de persuasion et d'influence qui interviennent entre les adultes et les enfants ou les adolescents entrent en jeu, et que l'enfant ou l'adolescent est particulièrement vulnérable à l'influence de ces facteurs, l'adulte est dans une situation où les concepts de fiabilité, de sincérité et de force sont mis à l'épreuve. Globalement, ces facteurs créent une «situation de confiance» vis‑à‑vis de l'adolescent. [Je souligne.]
XXXIV. En l’absence de définitions législatives, l’exercice d’interprétation doit débuter par la recherche du sens ordinaire des mots utilisés par le législateur. Le Grand Robert de la langue française (2e éd. 1986) définit l’autorité comme étant un «[d]roit de commander, pouvoir (reconnu ou non) d’imposer l’obéissance», ce qui rejoint, du moins en substance, la définition proposée par le juge Proulx. Il précise que l’autorité s’entend aussi de la «[s]upériorité de mérite ou de séduction qui impose l’obéissance sans contrainte, le respect, la confiance». L'Oxford English Dictionary (2e éd. 1989) propose des définitions similaires de l’expression anglaise «authority»: [traduction] «[p]ouvoir ou droit d'imposer l'obéissance» et «[p]ouvoir d'influer sur la conduite et les actes d'autrui». Je suis entièrement d’accord avec le juge Proulx que la portée de l’expression ne doit pas être limitée aux cas où la relation d’autorité découle d’une quelconque fonction exercée par l’accusé, mais qu’elle doit s’étendre à toute relation à l’occasion de laquelle, dans les faits, l’accusé exerce un tel pouvoir. Comme le démontrent ces définitions, le sens ordinaire du mot «autorité» ou «authority» ne permet pas une interprétation si restrictive. De plus, les remarques du juge Proulx sont tout à fait appropriées lorsqu’on tient compte de l’intention exprimée par le législateur qui, en refusant d’énumérer spécifiquement au par. 153(1) les cas dans lesquels une personne devait s’abstenir d’avoir tout contact sexuel avec un adolescent, a voulu faire porter l’analyse sur la nature de la relation entre l’adolescent et l’accusé plutôt que sur leur statut l’un par rapport à l’autre. J’y reviendrai.
XXXV. La confiance, nous enseigne Le Grand Robert, est le fait de croire, l’espérance ferme en quelque chose, la foi en quelqu’un et l’assurance qui en découle. En anglais, le mot «trust» peut avoir diverses significations, surtout dans un contexte juridique. Puisque le législateur a utilisé le mot «confiance» dans la version française, je doute que le mot «trust» au par. 153(1) réfère au concept d’equity. Je souscris donc aux réserves exprimées par le juge Blair. «Trust» doit plutôt être interprété suivant son sens premier: [traduction] «[c]onfiance en une qualité ou un attribut d'une personne ou d'une chose, ou en la véracité d'une déclaration». Le mot «confidence» se définit ainsi: [traduction] «[a]ttitude morale de celui qui se fie à quelqu'un ou à quelque chose; espérance ferme, fiabilité, foi».
XXXVI. J’ajouterai que la définition de la portée des expressions utilisées par le législateur, tout comme la détermination dans chaque cas de la nature de la relation entre l’adolescent et l’accusé, doit se faire en fonction du but et de l’objectif poursuivis par le législateur de protéger les intérêts des adolescents qui, en raison de la nature de la relation qu’ils vivent avec certaines personnes, se trouvent à l’égard de celles-ci en situation de vulnérabilité et de faiblesse.
XXXVII. Même à la lumière de ces définitions, le concept de «situation de confiance», peut-être davantage que l’expression «situation d’autorité», demeure difficile à définir dans l’abstrait, en l’absence de contexte factuel. Pour cette raison, il serait inapproprié de la part de notre Cour de tenter d’en tracer les limites dans un vacuum factuel, surtout que, jusqu'à présent, cette disposition relativement récente du Code criminel n’a fait l’objet que de très peu de commentaires jurisprudentiels. Le fait que le présent pourvoi a été formé de plein droit et que la question n'a pas été pleinement débattue devant notre Cour me convainc davantage.
XXXVIII. Il reviendra au juge du procès de déterminer, en analysant toutes les circonstances factuelles pertinentes à la qualification de la relation prévalant entre l’adolescent et l’accusé, si l'accusé se trouvait en situation d’autorité ou de confiance vis-à-vis de l’adolescent ou encore si l'adolescent était en situation de dépendance face à l’accusé au moment de l’infraction qu’on lui reproche. Nul doute qu’une des difficultés, dans certains cas, sera de déterminer les moments où, dans le temps, débute et où se termine la «situation» en question. Il serait inopportun de tenter d’énumérer de façon exhaustive les éléments dont devra tenir compte le juge des faits. Certes, la différence d’âge entre l’accusé et l’adolescent, l’évolution de leur relation et, surtout, le statut de l'un par rapport à l'autre seront pertinents dans bien des cas.
XXXIX. À cet égard, tel que je l'ai mentionné, il est important de noter que le législateur n’a pas choisi d’interdire les contacts sexuels avec un adolescent en fonction du statut de l’accusé par rapport à l’adolescent. Cet élément ne peut donc être déterminant en soi. Par exemple, un professeur n’est pas de jure en situation d’autorité ou de confiance face à ses élèves, comme l'a conclu le juge Ayles en l’espèce.
XL. Cependant, on ferait preuve d’un formalisme excessif en refusant de reconnaître que certaines personnes, en raison du rôle que leur confie notre société, seront dans les faits et dans la très grande majorité des cas, visées par le par. 153(1) en raison de leur statut par rapport à l’adolescent et surtout de la relation qu’ils entretiennent avec ce dernier en raison de ce statut particulier. Dans Norberg c. Wynrib, précité, à la p. 255, je citais les travaux du professeur Coleman, qui, dans un article intitulé «Sex in Power Dependency Relationships: Taking Unfair Advantage of the ‘Fair’ Sex» (1988), 53 Alb. L. Rev. 95, identifiait un certain nombre de types de relations auxquelles un rapport «de force et de dépendance» était inhérent, parmi lesquelles figure la relation professeur-élève.
XLI. À mon avis, aucune preuve n’est nécessaire pour soutenir que les enseignants jouent, dans notre société, un rôle de premier plan qui les place directement en situation de confiance et d’autorité par rapport à leurs élèves. Les parents leur délèguent leur autorité parentale tout en leur confiant la responsabilité d’inculquer à leurs enfants une partie majeure du bagage pédagogique qu’ils acquerront durant leur développement. Notre Cour a eu tout récemment l’occasion, dans l’affaire Ross c. Conseil scolaire du district no 15 du Nouveau‑Brunswick, [1996] 1 R.C.S. 825, d'examiner plus en détail le rôle et le statut social du professeur. Ces commentaires s'avèrent pertinents afin d’illustrer et d'expliquer pourquoi l’enseignant se retrouvera, sauf circonstances exceptionnelles, en situation d’autorité et de confiance face à ses élèves. J'écris, aux par. 43 et 44:
Les enseignants sont inextricablement liés à l'intégrité du système scolaire. En raison de la position de confiance qu'ils occupent, ils exercent une influence considérable sur leurs élèves. Le comportement d'un enseignant influe directement sur la perception qu'a la collectivité de sa capacité d'occuper une telle position de confiance et d'influence, ainsi que sur la confiance des citoyens dans le système scolaire public en général. Dans l'article «Freedom of Expression and Public School Teachers» (1995), 4 Dal. J. Leg. Stud. 35, Allison Reyes examine, à la p. 42, l'importance des enseignants dans le processus éducatif et leur impact sur le système:
[traduction] Les enseignants représentent une partie importante du programme d'études officieux à cause de leur situation d'«intermédiaires». Dans une très large mesure, la communication des «messages» prescrits (valeurs, croyances, connaissances) dépend des aptitudes de «l'intermédiaire» (l'enseignant).
. . . ce chapeau d'enseignant, il ne l'enlève donc pas nécessairement à la sortie de l'école et, pour certains, il continue à le porter même après les heures de travail. C'est ce que Reyes affirme, loc. cit., à la p. 37:
[traduction] L'intégrité du système d'éducation dépend aussi en grande mesure de la perception de l'intégrité des enseignants. C'est dans cette mesure que l'expression à l'extérieur de la classe devient pertinente. Bien que les activités des enseignants à l'extérieur de la classe ne semblent pas influer directement sur leur capacité d'enseigner, elles peuvent entrer en conflit avec les valeurs perpétuées par le système d'éducation. [Les italiques sont de Reyes.]
Le passage suivant de l'arrêt de la Cour d'appel de Colombie‑Britannique Abbotsford School District 34 Board of School Trustees c. Shewan (1987), 21 B.C.L.R. (2d) 93, à la p. 97, m'apparaît tout aussi pertinent à cet égard:
[traduction] La raison pour laquelle le comportement en dehors des heures de travail peut équivaloir à de l'inconduite est le fait que l'enseignant occupe une position de confiance et de responsabilité. Si celui-ci agit de manière déplacée, au travail ou après le travail, il peut en résulter une perte de confiance du public à son égard et à l'égard du système scolaire public, une perte de respect de la part des élèves envers lui et envers les autres enseignants en général, en plus de susciter à l'intérieur de l'école et de la collectivité une controverse qui perturbe le fonctionnement du système d'éducation.
Dans R. c. Forde, [1992] O.J. No. 1698 (Div. gén.), un professeur d’éducation physique et de musique a été reconnu coupable en vertu du par. 153(1), après avoir eu des relations sexuelles avec deux de ses élèves. Rendant jugement relativement à la sentence, le juge Cosgrove a fait les commentaires suivants quant au rôle que jouent les enseignants dans notre société:
[traduction] Pour ce qui est des personnes exerçant la profession de l'accusé -‑ les enseignants -‑, il est très évident qu'ils jouent un rôle spécial dans la vie des adolescents. Dans notre société, le rôle de l'enseignant vient tout de suite après celui de parent. J'ose affirmer que le parent considère l'enseignant comme son substitut lorsque l'enfant n'est pas sous sa surveillance. Le parent confie à l'enseignant ses responsabilités de parent, c'est-à-dire préparer l'adolescent à faire face à la concurrence, à collaborer et à développer ses talents individuels dans le monde difficile qui est le nôtre, tant au sein de sa collectivité, que de la communauté nationale et internationale, ce qui constitue une période extrêmement difficile pour l'adolescent et ses parents. Par conséquent, le rôle de l'enseignant doit, à mon avis, être examiné en tenant compte des défis qui se posent aux enseignants et aux adolescents dans notre collectivité dans le contexte que je viens de mentionner.
(Voir aussi Palmer, précité.)
XLII. Il est d’ailleurs révélateur que lorsque des professeurs sont accusés en vertu du par. 153(1) de s’être livrés à des attouchements sur leurs élèves, les tribunaux n’ont aucune difficulté à conclure qu’ils entretenaient une relation avec ceux-ci directement visée par le par. 153(1). Voir, par exemple, Hann (No. 2), Dussiaume, Forde, Palmer et S.P., précités.
XLIII. En somme, je suis d’avis que, dans la très grande majorité des cas, un professeur sera en fait en situation de confiance et d’autorité vis-à-vis de ses élèves. On doit reconnaître par ailleurs que, dans certains cas, en raison de circonstances factuelles exceptionnelles, il pourra en être autrement lorsque, malgré le statut de professeur de l’accusé, la relation qu’il entretient avec l’un ou l’une de ses élèves est telle que l’élément de confiance, d’autorité est totalement absent. Je m’abstiendrai de formuler des conjectures ou des exemples hypothétiques pour illustrer mon point de vue. Mais, en l'absence de preuve soulevant un doute raisonnable dans l'esprit du juge des faits, on ne peut conclure qu'un professeur n'est pas en situation de confiance et d'autorité vis-à-vis de ses élèves sans faire violence au sens commun.
XLIV. Mon collègue le juge Major, au par. 56, écrit qu'une telle interprétation a pour effet de créer à l'endroit des professeurs une présomption faisant en sorte que le crime d'exploitation sexuelle deviendrait une infraction de responsabilité absolue. D'abord, il est vrai que mon interprétation du sens et de la portée des expressions «situation de confiance» et «situation d'autorité» a dans une certaine mesure pour effet d'établir une présomption. En effet, il me paraîtrait incorrect en droit, eu égard au libellé du par. 153(1) et du rôle social des professeurs, de conclure qu'un professeur n'est pas dans une situation de confiance ou d'autorité à l'égard de ses élèves si aucun élément dans la preuve présentée au procès ne soulève, dans l'esprit du juge des faits, un doute raisonnable quant à l'existence d'une situation de confiance ou d'autorité. À mon avis, cette approche ne porte aucunement atteinte à la présomption d'innocence. Comme notre Cour l'a déjà répété, une présomption imposant à l'accusé une charge de présentation ‑‑ c'est-à-dire celle suivant laquelle le juge des faits est tenu, en l'absence de preuve soulevant un doute raisonnable émanant soit de la preuve présentée par la Couronne, soit de celle présentée par l'accusé, de tirer une conclusion reposant sur un fait établi ‑‑ n'enfreint pas la présomption d'innocence si le fait inconnu découle inexorablement du fait établi. Dans de telles circonstances, il n'existe aucune possibilité que l'accusé soit condamné malgré l'existence d'un doute raisonnable si l'on procède par inférence. Or, l'analyse à laquelle j'ai procédé indique justement qu'en l'absence de preuve soulevant sur ce point un doute raisonnable, un professeur sera inexorablement en situation de confiance et d'autorité vis-à-vis de ses élèves. (Voir les propos du juge Cory dans R. c. Downey, [1992] 2 R.C.S. 10, aux pp. 22 et suiv., où il procède à l'analyse des autres arrêts pertinents sur cette question, R. c. Vaillancourt, [1987] 2 R.C.S. 636, et R. c. Whyte, [1988] 2 R.C.S. 3.)
XLV. Enfin, je suis en désaccord avec l'affirmation de mon collègue suivant laquelle une telle présomption a pour effet de transformer le crime d'exploitation sexuelle en infraction de responsabilité absolue. L'infraction de responsabilité absolue est celle à l'égard de laquelle il n'est pas nécessaire que la Couronne prouve l'existence de la mens rea, comme l'écrivait le juge Dickson (plus tard Juge en chef) dans R. c. Ville de Sault Ste-Marie, [1978] 2 R.C.S. 1299. Or, je ne vois pas en quoi l'analyse de la portée du par. 153(1) à laquelle je me suis livré relève la Couronne de son obligation de prouver hors de tout doute raisonnable que l'accusé avait par exemple l'intention de se prêter à l'une des activités décrites aux al. a) et b) ou encore d'établir hors de tout doute raisonnable que l'accusé l'avait fait «à des fins d'ordre sexuel», l'infraction d'exploitation sexuelle en étant une d'intention spécifique.
b) Application à l’espèce
XLVI. Une analyse des constatations de fait du juge du procès et de la preuve non contestée ne laisse aucun doute dans mon esprit qu’inscrire un verdict de culpabilité est en l’espèce approprié et souhaitable. Au moment de la perpétration des actes reprochés, l’intimé avait 22 ans alors que la plaignante venait tout juste de célébrer son quatorzième anniversaire. L’intimé avait été, durant l’année scolaire qui venait de se terminer quelques jours auparavant, son professeur d’éducation physique. L’intimé savait que tout indiquait qu’il lui enseignerait de nouveau durant l’année scolaire suivante, et y a même fait référence devant la plaignante après avoir eu la relation sexuelle qu’on lui reproche.
XLVII. Je constate qu’il n’existe en l’espèce aucune circonstance pertinente à la détermination de la nature de la relation entre l’intimé et la plaignante susceptible de soulever dans l'esprit du juge des faits un doute raisonnable quant à la situation de confiance de l'intimé vis-à-vis de la plaignante. L’intimé était le professeur d’éducation physique de la plaignante, son élève de 14 ans. Même si l’incident a eu lieu pendant les vacances d’été, ce qui aurait pu amener le juge du procès à entretenir un doute raisonnable quant à l'élément d'autorité, il n’y a aucun doute dans mon esprit que, puisque les vacances venaient de débuter et que de toute manière les circonstances indiquaient que l’intimé allait de nouveau enseigner à la plaignante, il était tout au moins en situation de confiance face à celle-ci. Je ne considère pas probante l’existence, révélée lors du contre-interrogatoire de la représentante du Conseil scolaire, d’une mince possibilité que l’intimé n’enseigne pas la classe de neuvième année dont la plaignante ferait partie.
XLVIII. Conscient que le pouvoir de notre Cour d’inscrire un verdict de culpabilité en pareilles circonstances ne doit s’exercer que dans les situations les plus claires, je suis convaincu que l’intimé, n’eût été l’erreur de droit du juge du procès, aurait été déclaré coupable. Le juge du procès a d’ailleurs, pour reprendre la terminologie de l’arrêt Cassidy, précité, tiré toutes les conclusions nécessaires pour justifier un verdict de culpabilité. Notre Cour est donc justifiée, en l’espèce, d’exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confère le par. 686(4) du Code criminel et d’inscrire un verdict de culpabilité.
III. Dispositif
XLIX. Je suis d’avis d’accueillir le pourvoi, de casser le verdict d’acquittement, d’inscrire un verdict de culpabilité et d’ordonner que le dossier soit renvoyé en première instance pour que le tribunal impose à l’intimé la sentence appropriée.
Version française des motifs des juges Sopinka et Major rendus par
L. Le juge Major (dissident) -- Le présent pourvoi concerne la vie de deux jeunes gens. L'accusé est un professeur d'éducation physique de 22 ans. La plaignante est une jeune femme de 14 ans. Le pourvoi interjeté de plein droit par le ministère public se limite à une question de droit.
LI. Le juge du procès et la Cour d'appel du Nouveau‑Brunswick à la majorité, sur la foi de conclusions de fait concordantes, ont acquitté l'accusé d'une infraction qu'on lui reprochait en vertu du par. 153(1) du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46. Voici le texte de l'art. 153:
153. (1) Est coupable soit d'un acte criminel et passible d'un emprisonnement maximal de cinq ans, soit d'une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, toute personne qui est en situation d'autorité ou de confiance vis‑à‑vis d'un adolescent ou à l'égard de laquelle l'adolescent est en situation de dépendance et qui, selon le cas:
a) à des fins d'ordre sexuel, touche, directement ou indirectement, avec une partie de son corps ou avec un objet, une partie du corps de l'adolescent;
b) à des fins d'ordre sexuel, invite, engage ou incite un adolescent à la toucher, à se toucher ou à toucher un tiers, directement ou indirectement, avec une partie du corps ou avec un objet.
(2) Pour l'application du présent article, «adolescent» s'entend d'une personne âgée de quatorze ans au moins mais de moins de dix‑huit ans.
LII. Le législateur canadien a adopté l'art. 153 suite au rapport du Comité sur les infractions sexuelles à l'égard des enfants et des jeunes intitulé Infractions sexuelles à l'égard des enfants (1984) (le «Rapport Badgley»).
LIII. Ce rapport recommande que les enseignants, ainsi que d'autres catégories de personnes, soient présumés de façon décisive être des personnes en situation de confiance ou d'autorité.
LIV. Il est à noter que le législateur n'a pas donné suite à cette recommandation dans la rédaction de l'art. 153(1). Il semble évident que le législateur a ainsi voulu qu'on examine chaque cas en fonction de ses faits pour déterminer si l'accusé était effectivement en situation de confiance ou d'autorité vis‑à‑vis de l'adolescent dans les circonstances de l'affaire ayant donné lieu à l'allégation.
LV. Vu l'intention manifeste du législateur au moment de l'adoption du par. 153(1), il serait inapproprié que la Cour crée, en droit, une présomption de fait suivant laquelle les enseignants sont automatiquement et dans toutes les circonstances en situation de confiance ou d'autorité. Le Rapport Badgley a soumis cette recommandation au législateur, qui l'a rejetée, comme en fait foi le texte du par. 153(1).
LVI. L'interprétation que mon collègue donne au par. 153(1) crée une présomption selon laquelle les enseignants sont automatiquement en situation de confiance et d'autorité. De cette façon, l'exploitation sexuelle devient une infraction de responsabilité absolue lorsque l'accusé est un enseignant. Toute infraction de responsabilité absolue à laquelle se rattache la possibilité d'une peine d'emprisonnement viole l'art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés (voir Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.-B., [1985] 2 R.C.S. 486) et devrait donc être évitée.
LVII. En outre, cette interprétation du par. 153(1) annule l'obligation du ministère public de prouver qu'un enseignant accusé était en situation de confiance ou d'autorité, et oblige l'accusé à prouver le contraire. Dans notre système, un accusé ne devrait pas avoir à s'acquitter d'un tel fardeau. Le droit d'être présumés innocents que l'al. 11d) de la Charte garantit aux accusés est primordial et ne devrait pas être compromis, que ce soit par présomption de fait ou autrement.
LVIII. Dans le présent pourvoi, il est nécessaire de déterminer si, vu les faits qui lui ont été présentés, le juge du procès pouvait raisonnablement conclure à l'absence du degré de dépendance nécessaire pour qu'il existe une situation de confiance ou d'autorité.
LIX. L'importance du rôle des enseignants dans notre société est reconnue. Dans la plupart des cas, il s'établit une relation d'éducateur entre les enseignants et leurs élèves et le degré de dépendance sera suffisant pour qu'il existe une situation de confiance.
LX. Dans chaque cas, cependant, cette situation de confiance devrait être fondée sur la nature de la relation entre l'enseignant et l'élève dont il s'agit, et non pas simplement sur le fait que l'un est enseignant.
LXI. Le fait que l'accusé soit un enseignant est un facteur dont le juge doit tenir compte dans son appréciation de la nature de la relation entre l'accusé et l'adolescent pour déterminer si l'accusé était en situation de confiance ou d'autorité à cet égard.
LXII. Puisque la question de savoir si un accusé est en situation de confiance ou d'autorité vis‑à‑vis d'un adolescent au sens du par. 153(1) est, à mon avis, une question de fait, il est utile de résumer les faits soumis au juge du procès pour déterminer si ses conclusions ont droit à la retenue habituellement réservée à ce genre de conclusions.
LXIII. Pendant l'année scolaire 1991‑1992, l'intimé, Yves Audet, était professeur d'éducation physique, un cours obligatoire pour les septième, huitième et neuvième années à l'école Domaine des Copains de Balmoral. La plaignante, J.S., était une élève d'éducation physique de huitième année.
LXIV. L'année scolaire s'est terminée vers le 20 juin 1992. Le 23 juin, l'intimé a signé un nouveau contrat pour l'année suivante. Il devait dispenser le même cours d'éducation physique pour les mêmes classes.
LXV. Le 8 juillet 1992, J.S., alors âgée de 14 ans, s'est rendue au Flagship, un bar de Campbellton (Nouveau‑Brunswick), avec ses cousines Joanne et Nathalie, âgées respectivement de 27 et 25 ans. Elle a menti à ses parents, leur disant qu'elle passait la nuit chez son amie.
LXVI. Les trois cousines sont arrivées au bar vers 23 h. J.S. a réussi à entrer au bar même si elle était mineure. Nathalie s'attendait à y voir un homme du nom de Serge Maltais qu'elle avait rencontré sur la plage la veille. Elle lui a téléphoné du bar et il est arrivé peu après, accompagné d'un ami, l'intimé.
LXVII. Sachant que J.S. était mineure, l'intimé s'est dit surpris de la rencontrer dans un bar. Elle a expliqué qu'elle était accompagnée de ses cousines. Les cousines adultes ont offert à J.S. la bière que celle‑ci a consommée ce soir‑là. L'intimé et, on le présume, les autres ont également consommé différentes quantités de bière pendant qu'ils étaient au Flagship.
LXVIII. À la fermeture du bar, vers 2 h, Nathalie a offert à Maltais et à l'intimé de les reconduire. Maltais a proposé que le groupe se rende au chalet d'un ami, ce qu'ils ont fait. Peu après leur arrivée, Nathalie et Maltais sont allés dans l'auto, laissant l'intimé dans le chalet avec J.S. et Joanne, la cousine de la plaignante, âgée de 27 ans.
LXIX. Pour une raison inexpliquée, Joanne s'est fâchée et a quitté le chalet. Ne se sentant pas bien, l'intimé a quitté la salle de séjour pour se rendre dans une chambre où il y avait deux lits simples. Il s'est endormi dans un des lits. J.S. est restée seule dans la salle de séjour.
LXX. Quelque temps après, Nathalie et Maltais sont revenus au chalet. Après des demandes répétées de Nathalie pour qu'elle aille voir ce que faisait l'intimé, J.S. s'est rendue dans la chambre et, même si l'autre lit était libre, elle s'est couchée dans le lit à côté de l'intimé et s'est endormie.
LXXI. Aux petites heures du 9 juillet, lorsque J.S. s'est éveillée, elle était partiellement nue. À ce moment‑là, elle et l'intimé ont eu des attouchements sexuels consensuels. L'intimé n'a ni commencé ni encouragé quelque forme d'intimité entre lui‑même et J.S. à quelque moment que ce soit avant de s'éveiller et de trouver J.S. dans son lit.
LXXII. Environ quatre mois plus tard, en novembre 1992, après une enquête menée par l'école, dont J.S. n'était pas à l'origine, l'intimé a perdu son emploi. Il lui a fallu déménager en Louisiane, aux États‑Unis, pour trouver du travail.
LXXIII. L'intimé a été accusé par la suite d'avoir, en contravention de l'al. 153(1)a) du Code criminel, touché une adolescente à des fins d'ordre sexuel alors qu'il était vis‑à‑vis d'elle en situation de confiance ou d'autorité.
LXXIV. Le juge du procès a conclu, suivant les faits, que l'intimé n'était pas en situation de confiance ou d'autorité au moment des attouchements d'ordre sexuel. Dans les circonstances de l'affaire, la preuve était suffisante pour qu'il arrive à cette conclusion. La Cour d'appel à la majorité a confirmé cette conclusion de fait et notre Cour ne devrait pas et ne peut pas la modifier.
LXXV. Il vaut la peine de répéter que le fardeau qui incombe au ministère public quand il s'agit d'infirmer un acquittement est lourd ou important. Il lui faut démontrer avec un degré raisonnable de certitude que le verdict n'aurait pas nécessairement été le même si le juge, siégeant seul, s'était bien instruit du droit. En l'espèce, le juge du procès n'a commis aucune erreur de droit. Il s'ensuit que le ministère public ne s'est pas acquitté du fardeau qui lui incombait.
Dispositif
LXXVI. Je suis d'avis de rejeter le pourvoi.
Pourvoi accueilli, les juges Sopinka et Major sont dissidents.
Procureur de l'appelante: François Doucet, Campbellton, N.‑B.
Procureurs de l'intimé: Bertrand & Bertrand, Fredericton.