COUR SUPRÊME DU CANADA
Référence : Thibodeau c. Air Canada, 2014 CSC 67, [2014] 3 R.C.S. 340 |
Date : 20141028 Dossier : 35100 |
Entre :
Michel Thibodeau et Lynda Thibodeau
Appelants
et
Air Canada
Intimée
Et entre :
Commissaire aux langues officielles du Canada
Appelant
et
Air Canada
Intimée
Traduction française officielle
Coram : La juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Abella, Rothstein, Cromwell, Karakatsanis et Wagner
Motifs de jugement : (par. 1 à 133)
Motifs dissidents : (par. 134 à 178)
|
Le juge Cromwell (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges LeBel, Rothstein et Karakatsanis)
La juge Abella (avec l’accord du juge Wagner) |
thibodeau c. air Canada, 2014 CSC 67, [2014] 3 R.C.S. 340
Michel Thibodeau et
Lynda Thibodeau Appelants
c.
Air Canada Intimée
- et -
Commissaire aux langues officielles du Canada Appelant
c.
Air Canada Intimée
Répertorié : Thibodeau c. Air Canada
2014 CSC 67
No du greffe : 35100.
2014 : 26 mars; 2014 : 28 octobre.
Présents : La juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Abella, Rothstein, Cromwell, Karakatsanis et Wagner.
en appel de la cour d’appel fédérale
Langues officielles — Atteinte à des droits linguistiques au cours d’un transport aérien international — Omission du transporteur aérien de fournir des services en français sur des vols internationaux — Demande de dommages-intérêts et d’ordonnance structurelle présentée par des passagers à la Cour fédérale en vertu de la Loi sur les langues officielles — La limite de la responsabilité à l’égard des dommages prescrite par la Convention pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international (« Convention de Montréal ») fait-elle obstacle à l’octroi de dommages-intérêts? — L’ordonnance structurelle était-elle convenable? — Loi sur les langues officielles, L.R.C. 1985, ch. 31 (4e suppl.), art. 77(4) — Convention pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international, 2242 R.T.N.U. 309, Article 29.
Législation — Interprétation — Conflit de loi — Transporteur aérien portant atteinte au droit que confère la Loi sur les langues officielles aux passagers de recevoir des services en français en omettant de les servir dans cette langue sur des vols internationaux — Demande de dommages-intérêts présentée par des passagers à la Cour fédérale en vertu de la Loi sur les langues officielles — La limite de la responsabilité à l’égard des dommages prescrite par la Convention pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international (« Convention de Montréal ») fait-elle obstacle à l’octroi de dommages-intérêts? — Y a-t-il conflit ou chevauchement entre la Loi sur les langues officielles et la Convention de Montréal? — Loi sur les langues officielles, L.R.C. 1985, ch. 31 (4e suppl.), art. 77(4) — Convention pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international, 2242 R.T.N.U. 309, Article 29.
En 2009, lors de trois vols internationaux du transporteur aérien et dans un aéroport, les passagers n’ont pas reçu de services en français. Ils ont déposé plusieurs plaintes contre le transporteur aérien auprès du Commissariat aux langues officielles, et quatre de ces plaintes ont été accueillies. Il est acquis aux débats que le transporteur aérien a, à l’occasion des faits à l’origine de ces quatre plaintes, manqué aux obligations de fournir des services en français que lui impose l’art. 22 de la Loi sur les langues officielles (la « LLO »). Les passagers se sont adressés à la Cour fédérale en vertu de l’art. 77 de la LLO en vue d’obtenir des dommages-intérêts et des ordonnances structurelles par suite des atteintes par le transporteur aérien à leur droit d’être servis en français. Le transporteur aérien a contesté les demandes de dommages-intérêts en invoquant la limite de la responsabilité à l’égard des dommages prescrite par la Convention pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international (la « Convention de Montréal »), qui limite les types de recours en dommages-intérêts qui peuvent être intentés contre les transporteurs aériens internationaux et les montants qui peuvent être réclamés. La Cour fédérale a conclu que les passagers avaient droit à des dommages-intérêts ainsi qu’à une ordonnance structurelle, et précisé que, malgré l’existence d’un conflit entre la limite imposée en matière de dommages-intérêts par la Convention de Montréal et le pouvoir conféré par la LLO d’accorder des dommages-intérêts, ce pouvoir l’emportait. La Cour d’appel fédérale a annulé les dommages-intérêts octroyés pour les trois plaintes visant les faits survenus à bord des vols, ainsi que l’ordonnance structurelle. Elle a jugé que la Convention de Montréal empêchait le recours en dommages-intérêts et qu’une ordonnance structurelle ne constituait pas une réparation convenable.
Arrêt (les juges Abella et Wagner sont dissidents) : Les pourvois sont rejetés.
La juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Rothstein, Cromwell et Karakatsanis : Le régime de responsabilité uniforme et exclusif pour les dommages établi par la Convention de Montréal à l’égard des transporteurs aériens internationaux ne permet pas d’accorder des dommages-intérêts en cas de violation de droits linguistiques lors d’un transport aérien international. Tirer la conclusion contraire dénaturerait le libellé et l’objet de la Convention de Montréal, irait à l’encontre des obligations internationales que celle-ci impose au Canada et exclurait le Canada du solide consensus international qui existe sur sa portée et ses effets. Le pouvoir général que confère la LLO d’accorder une réparation juste et convenable ne peut — et ne doit pas — être interprété comme autorisant les tribunaux canadiens à déroger aux obligations internationales qui incombent au Canada en application de la Convention de Montréal.
Les demandes soumises à notre Cour tombent nettement sous le coup de l’exclusion établie par la Convention de Montréal. La disposition qui se trouve au cœur de l’ensemble de règles de responsabilité exclusives établi par la Convention de Montréal est l’article 29. Il ressort clairement de cette disposition que la Convention de Montréal offre le seul recours pouvant être intenté contre les transporteurs aériens pour différents types de dommages subis lors d’un transport aérien international. L’article 29 dispose que, pour ce qui est des recours relevant de la Convention de Montréal, « toute action en dommages-intérêts, à quelque titre que ce soit », ne peut être exercée « que dans les conditions et limites de responsabilité prévues par la présente convention ». Les articles 17 à 19 de la Convention de Montréal précisent que le transporteur est responsable du préjudice survenu : en cas de mort ou de lésion corporelle subie par un passager lors d’un accident qui s’est produit à bord de l’aéronef ou au cours de l’embarquement ou du débarquement (article 17); en cas de destruction, de perte ou d’avarie des bagages alors que le transporteur en avait la garde (article 17); en cas de destruction, de perte ou d’avarie de la marchandise pendant le transport (article 18); et en cas de dommage résultant d’un retard (article 19).
Établir un ensemble de règles uniformes encadrant la responsabilité pour dommages des transporteurs aériens internationaux et limiter cette responsabilité sont deux des principaux objectifs de la Convention de Montréal, qui ne peut les réaliser que si elle constitue un ensemble exclusif de règles applicables aux matières auxquelles elle s’applique. La Convention de Montréal ne touche pas tous les aspects du transport aérien international. Mais, dans les limites des matières qu’elle aborde, elle est exclusive en ce qu’elle interdit tout autre recours en responsabilité. Le texte et l’objet de la Convention de Montréal, ainsi qu’un fort courant jurisprudentiel, démontrent clairement que l’exclusivité du régime de responsabilité établi par la Convention de Montréal permet à tout le moins d’exclure les actions découlant du préjudice subi par les passagers en cours de vol ou lors de l’embarquement et du débarquement, si ces actions ne sont pas par ailleurs visées par le régime des recours autorisés.
L’argument des passagers selon lequel la Convention de Montréal ne limite pas les actions en dommages-intérêts exercées au titre d’un recours de droit public pour violation d’une loi quasi constitutionnelle n’est aucunement étayé par le texte ou l’objet de la Convention de Montréal, ni par la jurisprudence internationale. Les limites prévues à l’article 29 de la Convention de Montréal s’appliquent, dans le transport de passagers, de bagages ou de marchandises, à « toute action en dommages-intérêts, à quelque titre que ce soit, en vertu de la présente convention, en raison d’un contrat ou d’un acte illicite ou pour toute autre cause ». Il ne se dégage de ces termes aucune intention de soustraire quelque « action en dommages-intérêts » que ce soit dans le transport de passagers, de bagages ou de marchandises selon son fondement légal, par exemple lorsque le demandeur présente, en vertu de la loi, une demande pécuniaire de droit public fondée sur la violation de droits quasi constitutionnels. Les demandes des passagers constituent une « action en dommages-intérêts » au sens de l’article 29, puisque ces derniers réclament des dommages-intérêts pour les préjudices subis — à savoir préjudice moral, troubles et inconvénients, et perte de jouissance de leurs vacances — au cours d’un vol international. Permettre l’exercice d’une action en dommages-intérêts visant l’indemnisation du préjudice moral, des troubles et inconvénients et de la perte de jouissance des vacances du passager, action qui ne respecte pas par ailleurs les conditions de l’article 17 de la Convention de Montréal (parce qu’elle ne découle pas de la mort ou d’une lésion corporelle), serait contraire à l’article 29. Autoriser une action de ce genre compromettrait aussi l’un des principaux objectifs de la Convention de Montréal, qui est d’assurer l’uniformité entre les pays quant aux types de recours en dommages-intérêts pouvant être exercés contre les transporteurs internationaux pour les dommages subis au cours du transport de passagers, de bagages et de marchandises, et aux plafonds applicables à ces recours. L’application de la Convention de Montréal s’attache aux faits qui entourent la réclamation pécuniaire, non au fondement juridique de cette réclamation.
Il faut aussi rejeter l’argument des passagers selon lequel le champ d’application substantiel de la Convention de Montréal ne fait pas obstacle aux recours en dommages-intérêts pour « préjudices appelant des réparations standardisées », et leurs demandes sont de cette nature. Même si notre Cour adoptait la distinction établie par la Cour européenne de justice dans sa jurisprudence entre les « préjudices individuels » et les « préjudices appelant des réparations standardisées », les dommages-intérêts réclamés par les passagers en l’espèce l’étaient à titre individuel, car ils étaient fonction du préjudice causé aux passagers par les manquements particuliers en cause.
N’est pas fondé l’argument des passagers voulant que, même si leurs demandes relèvent du champ d’application substantiel de la Convention de Montréal, elles dépassent son champ d’application temporel pour ce qui est des cas de préjudice personnel, parce que l’affectation d’agents de bord non bilingues à bord des vols en cause était une décision prise bien avant la procédure d’embarquement. La situation des passagers relevait clairement du champ d’application temporel de la Convention de Montréal lorsqu’on a porté atteinte à leurs droits linguistiques. Les tribunaux doivent appliquer le principe de l’exclusivité en fonction de l’endroit où se trouvait le passager, ou de ce qu’il faisait, au moment de l’accident ou de l’événement ayant causé directement le préjudice ouvrant droit au recours, et non en fonction d’une quelconque faute antérieure.
Suivant une interprétation correcte de la LLO et de la Convention de Montréal, aucun conflit n’oppose les pouvoirs de réparation généraux conférés par la LLO et l’exclusion du recours en dommages-intérêts par la Convention de Montréal, et il n’est donc pas nécessaire de déterminer lequel de ces textes prévaudrait dans le cas contraire. Les tribunaux présument que les lois adoptées par le législateur ne contiennent ni contradiction ni incohérence, et ils ne concluent à l’existence de l’une ou l’autre que si les dispositions sont à ce point incompatibles qu’elles ne peuvent coexister. Même lorsque les dispositions se chevauchent, en ce sens où elles traitent des aspects d’une même matière, elles sont interprétées de façon à éviter les conflits chaque fois que cela est possible. Les dispositions en cause ici se chevauchent, mais ne sont pas en conflit. Elles ont des objets sensiblement différents et traitent de matières distinctes. Les dispositions réparatrices de la LLO s’inscrivent dans un régime général d’obligations et de mécanismes visant à préserver et à renforcer l’épanouissement des langues officielles au sein de nos institutions fédérales. La Convention de Montréal, en revanche, fait partie d’un régime uniforme et exclusif, reconnu internationalement, qui vise à encadrer les recours en dommages-intérêts dans le domaine du transport aérien international. Les dispositions réparatrices de la LLO ne peuvent être considérées comme un code exhaustif qui impose l’octroi de dommages-intérêts dans toutes les circonstances et sans égard aux autres lois applicables. La LLO ne dispose pas que des dommages-intérêts doivent être octroyés dans tous les cas; elle ne fait qu’autoriser les tribunaux à accorder une réparation « convenable et juste ». Il est facile de concilier le pouvoir d’accorder une réparation « convenable et juste » avec l’exclusion expresse et limitée des dommages-intérêts dans le contexte du transport aérien international. Une réparation n’est pas « convenable et juste » si son octroi contrevient aux obligations internationales qu’impose au Canada la Convention de Montréal. Par conséquent, au moment de concevoir une réparation convenable et juste au sens de la LLO dans une affaire de transport aérien international, la Cour fédérale doit appliquer la limite relative aux dommages-intérêts prévue à l’article 29 de la Convention de Montréal.
Il faut rejeter l’argument des passagers selon lequel le statut quasi constitutionnel de la LLO empêche d’interpréter harmonieusement son par. 77(4) et l’article 29 de la Convention de Montréal. Le paragraphe 77(4) de la LLO, qui confère un vaste pouvoir de réparation, s’inscrit assurément dans un régime législatif quasi constitutionnel visant à refléter et à actualiser l’égalité de statut du français et de l’anglais en tant que langues officielles du Canada, de même que les droits et privilèges égaux quant à leur usage dans les institutions du Parlement et du gouvernement du Canada, ainsi qu’il est déclaré au par. 16(1) de la Charte canadienne des droits et libertés. Le paragraphe 77(4) de la LLO devrait donc recevoir une interprétation généreuse afin que se réalise son objet. Cependant, ces facteurs ne modifient en rien la bonne méthode d’interprétation des lois, selon laquelle il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global, en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’économie de la loi, son objet et l’intention du législateur. Il ressort de la LLO, lue dans son contexte global, que le législateur ne voulait pas empêcher que le par. 77(4) soit interprété harmonieusement avec les obligations internationales du Canada mises en œuvre par une autre loi fédérale. La proposition que le législateur voulait, au moyen du par. 77(4), permettre aux tribunaux d’accorder des dommages-intérêts même si l’octroi d’une telle réparation contrevient aux engagements internationaux du Canada incorporés dans une loi fédérale va à l’encontre du principe d’interprétation selon lequel le législateur est réputé ne pas vouloir légiférer en contravention des obligations du Canada ressortissant au droit international. Le paragraphe 77(4) devrait plutôt être vu comme ayant été incorporé dans un cadre juridique déjà établi, composé de limites législatives, d’exigences procédurales et de principes juridiques généraux — y compris les engagements internationaux du Canada incorporés dans un texte législatif canadien — qui aident le tribunal à décider quelle réparation est « convenable et juste ».
La Cour d’appel fédérale a eu raison d’annuler l’ordonnance structurelle. Les ordonnances structurelles doivent faire l’objet d’une attention particulière en raison de deux problèmes potentiels connexes : le premier étant un manque de clarté, lequel, à son tour, peut en occasionner un deuxième, soit la nécessité d’une supervision judiciaire continue. L’ordonnance doit être suffisamment claire pour donner aux parties tenues de la respecter des indications convenables sur ce qu’il leur faut accomplir pour s’y conformer, et pour éviter une ronde potentiellement interminable de nouvelles demandes visant à déterminer si elles s’y sont conformées. La supervision judiciaire continue sera parfois de mise, mais, en l’absence de circonstances impérieuses, les tribunaux devraient en général s’abstenir de prononcer des ordonnances qui susciteront presque inévitablement de perpétuelles procédures sur la question de savoir si elles sont respectées. En l’espèce, l’ordonnance est trop imprécise, elle risque de donner lieu à d’incessantes procédures et mesures de supervision judiciaire visant à déterminer si elle est respectée, et, enfin, elle est inappropriée, surtout au vu des pouvoirs conférés par la loi au commissaire et de son expertise en matière de surveillance du respect de la LLO.
Les juges Abella et Wagner (dissidents) : La Convention de Montréal ne fait pas obstacle à l’octroi de dommages-intérêts pour violation des droits linguistiques pendant le transport aérien international.
Les T réclament des dommages-intérêts pour les violations d’une loi qui concrétise des droits protégés par la Constitution. La Convention de Montréal doit être interprétée dans le respect des protections accordées aux droits fondamentaux, y compris les droits linguistiques, dans la législation nationale. On ne trouve dans les procès-verbaux des débats parlementaires ou dans l’historique législatif de la Convention aucun élément de preuve qui laisse entendre que le Canada, en tant qu’État partie, entendait mettre fin à la protection des droits linguistiques au pays en ratifiant ou en mettant en œuvre la Convention de Montréal. Compte tenu de l’importance des droits protégés par la Loi sur les langues officielles et de leurs antécédents constitutionnels et historiques, il convient de donner à la Convention de Montréal une interprétation qui respecte l’engagement explicite du Canada à l’égard de ces droits fondamentaux, plutôt qu’une interprétation qui témoignerait de l’intention d’y porter atteinte. Notre Cour a souvent affirmé que le droit national devait être interprété généreusement, en accord avec le droit international et ses valeurs en matière de droits de la personne. Elle n’a jamais dit que le droit international devait être interprété de façon à affaiblir les droits de la personne protégés par le droit national.
L’interprétation d’un traité est un exercice de discernement. Une réponse claire et sans équivoque se dégage rarement avec certitude du sens littéral des mots. Il faut donc saisir l’intention des États parties en examinant de bonne foi non seulement les mots en cause, mais aussi le contexte, l’historique, l’objet et le but du traité dans son ensemble. En l’espèce, cet exercice mène à la conclusion que l’article 29 de la Convention de Montréal ne régit pas à titre exclusif tous les dommages dont les transporteurs peuvent être tenus responsables pendant le transport aérien international. Les premiers mots de l’article 29 limitent son champ d’application en déclarant que toute action en dommages-intérêts « [d]ans le transport de passagers, de bagages et de marchandises » doit être exercée dans les conditions prévues par la Convention de Montréal. Les mots qui suivent immédiatement — « à quelque titre que ce soit, en vertu de la présente convention, en raison d’un contrat ou d’un acte illicite ou pour toute autre cause » — constituent une disposition dont le sens dépend des mots introductifs qui la précèdent. Ainsi, le mot « action » renvoie uniquement à une action en dommages-intérêts « [d]ans le transport de passagers, de bagages et de marchandises ». Par conséquent, seule l’action pour un préjudice subi « [d]ans le transport de passagers, de bagages et de marchandises » doit être exercée « dans les conditions et limites de responsabilité prévues » par la Convention de Montréal.
D’autres dispositions de la Convention de Montréal, et plus particulièrement du chapitre III où figure l’article 29, aident à déterminer en quoi consiste une action en dommages-intérêts « [d]ans le transport de passagers, de bagages et de marchandises ». Le chapitre III énonce la responsabilité limitée des transporteurs dans le transport des passagers, des bagages et des marchandises. Les articles 17, 18 et 19 portent sur la mort ou une lésion corporelle subie par un passager, la destruction, la perte ou l’avarie de bagages, la destruction, la perte ou l’avarie de la marchandise, et le retard dans le transport de personnes, de bagages ou de marchandises. Conjuguées à l’article 29, ces dispositions confirment que la Convention de Montréal régit à titre exclusif uniquement les actions en dommages-intérêts exercées à l’égard de ces objets.
La Convention de Varsovie qui l’a précédée a vu le jour en 1929 pour aider l’industrie naissante du transport aérien à prendre son envol. À l’époque, la technologie de l’aviation en était à ses débuts. Les accidents étaient monnaie courante, et de nombreux pilotes et passagers y ont été blessés ou y ont trouvé la mort. La fréquence relative des accidents exposait les transporteurs à des pertes imprévisibles et coûteuses, si bien qu’il était difficile d’obtenir des capitaux d’investissement ou une couverture d’assurance. Les transporteurs aériens ont réagi en obligeant les passagers à signer des renonciations déchargeant les transporteurs de toute responsabilité en cas de préjudice. Lorsqu’un accident se produisait, les passagers en question ne pouvaient obtenir réparation pour les blessures ou les pertes qu’ils subissaient. À mesure que s’améliorait la sécurité dans l’aviation civile, les gouvernements ont délaissé la protection de la viabilité financière des transporteurs aériens pour se pencher sur l’instauration d’un régime juridique plus favorable aux passagers. L’accent était désormais mis sur l’augmentation des limites exceptionnellement faibles de la responsabilité des transporteurs aériens établies dans la Convention de Varsovie et les États ont subséquemment adhéré à diverses initiatives internationales visant à accroître la responsabilité des transporteurs.
Même si l’on reconnaissait de plus en plus que les indemnités versées aux passagers étaient trop faibles, la conclusion d’un instrument international unique accroissant les plafonds de responsabilité des transporteurs se révélait hors d’atteinte. Craignant que cette réponse hétéroclite entraîne la disparition d’un système unifié de droit aérien international, l’industrie a agi. L’Accord de Montréal de 1966, un accord privé entre transporteurs aériens, a augmenté la responsabilité des transporteurs prévue dans la Convention de Varsovie au titre des lésions corporelles.
Ayant été « pris de court » par les initiatives de l’industrie en vue de s’attaquer aux plafonds peu élevés de responsabilité des transporteurs, les États ont entrepris de mettre à jour la Convention de Varsovie. La Convention de Montréal a vu le jour en 1999, adoptant le régime de responsabilité à deux volets en cas de lésion ou de décès d’un passager. La Convention de Montréal se voulait ainsi une solution de rechange au régime à la pièce qui visait à augmenter les limites de responsabilité établies par la Convention de Varsovie de 1929. Les rédacteurs de la Convention de Montréal ont maintenu un régime de responsabilité uniforme, semblable à celui de la Convention de Varsovie, mais alors que la Convention de Varsovie avait pour principal objectif de limiter la responsabilité des transporteurs afin de favoriser la croissance de l’industrie naissante de l’aviation civile, les États parties à la Convention de Montréal se souciaient davantage de l’importance d’assurer la protection des intérêts des consommateurs dans le transport aérien international et de la nécessité d’une indemnisation équitable fondée sur le principe de réparation.
Il est donc à la fois paradoxal et anormal d’un point de vue historique de donner à l’article 29 de la Convention de Montréal une interprétation qui a pour effet de réduire la protection accordée aux consommateurs et d’accroître celle accordée aux transporteurs. Personne n’a prétendu à quelque moment que ce soit que la nouvelle Convention visait à réduire la faculté des passagers de poursuivre les transporteurs.
Qui plus est, l’absence, dans les procès-verbaux des travaux parlementaires, de toute mention des changements de formulation entre la Convention de Varsovie et la Convention de Montréal est révélatrice. Les changements radicaux du droit tendent à susciter des réactions radicales. Or, ce changement, si changement il y a, n’en a suscité aucune. Par conséquent, l’explication la plus plausible du silence est qu’il n’y a eu aucun changement du droit. En fait, il est difficile d’imaginer qu’une intrusion aussi draconienne dans le droit national puisse se faire sans texte explicite ou communication du Parlement. Le silence à l’égard de telles conséquences tend à indiquer que celles-ci n’étaient ni envisagées ni souhaitées.
Compte tenu du sens de l’article 29, considéré dans son contexte et à la lumière de l’objet et du but de la Convention de Montréal, cette disposition ne s’applique de manière exclusive qu’à certains recours et doit être interprétée comme prescrivant que la Convention de Montréal ne régit que les actions intentées pour un dommage subi « [d]ans le transport de passagers, de bagages et de marchandises », à savoir les actions visées par les articles 17, 18 et 19.
L’action en dommages-intérêts intentée par les T ne fait pas partie de celles visées par les articles 17, 18 et 19 de la Convention de Montréal. Il ressort clairement du texte du paragraphe 17(1) que la disposition ne s’applique pas à tous les faits qui se produisent à bord d’un aéronef ou pendant les opérations d’embarquement ou de débarquement. Le paragraphe 17(1) établit plutôt les conditions suivantes : (1) il doit y avoir eu un accident (2) qui a causé (3) la mort ou une lésion corporelle (4) alors que le passager était à bord de l’aéronef, ou en train d’embarquer à bord de celui-ci ou d’en débarquer. En l’espèce, personne n’a signalé d’accident. Ce fait est déterminant puisqu’il est question, au paragraphe 17(1), de « mort ou de lésion corporelle » causée par un accident. Les T n’ont pas subi de lésion corporelle. Le fait que la violation de leurs droits linguistiques soit survenue à bord de l’aéronef est sans importance parce que ces circonstances ne sont pertinentes que s’il y a eu accident.
Nous sommes d’avis d’accueillir les pourvois relativement aux demandes de dommages-intérêts et de rétablir les dommages-intérêts accordés par la juge saisie de la demande.
Jurisprudence
Citée par le juge Cromwell
Arrêts mentionnés : R. c. Mercure, [1988] 1 R.C.S. 234; Lavigne c. Canada (Commissariat aux langues officielles), 2002 CSC 53, [2002] 2 R.C.S. 773; Canada (Procureur général) c. Viola, [1991] 1 C.F. 373; Stott c. Thomas Cook Tour Operators Ltd., [2014] UKSC 15, [2014] 2 W.L.R. 521; Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982; El Al Israel Airlines, Ltd. c. Tsui Yuan Tseng, 525 U.S. 155 (1999); Morris c. KLM Royal Dutch Airlines, [2002] UKHL 7, [2002] 2 A.C. 628; Plourde c. Service aérien FBO inc. (Skyservice), 2007 QCCA 739 (CanLII), autorisation d’appel refusée, [2007] 3 R.C.S. xiii; Sakka (Litigation Guardian of) c. Air France, 2011 ONSC 1995, 18 C.P.C. (7th) 150; Sidhu c. British Airways Plc., [1997] A.C. 430; In re Deep Vein Thrombosis and Air Travel Group Litigation, [2005] UKHL 72, [2006] 1 A.C. 495; Civ. 1re, 14 juin 2007, Bull. civ. 6, no 230; Ong c. Malaysian Airline System Bhd, [2008] 3 H.K.L.R.D. 153; Hennessey c. Aer Lingus Ltd., [2012] IEHC 124 (BAILII); Emery Air Freight Corp. c. Nerine Nurseries Ltd., [1997] 3 N.Z.L.R. 723; Seagate Technology International c. Changi International Airport Services Pte. Ltd., [1997] SGCA 22, [1997] 2 S.L.R.(R.) 57; Potgieter c. British Airways Plc, [2005] ZAWCHC 5 (SAFLII); Gal c. Northern Mountain Helicopters Inc., 1999 BCCA 486, 128 B.C.A.C. 290; Az. X ZR 99/10 (2011) (en ligne : http://openjur.de/u/163948.html); McAuley c. Aer Lingus Ltd., [2011] IEHC 89 (en ligne : http://www.courts.ie/Judgments.nsf/0/5DDF253DE6C0E09F8025787E0053C421); O’Mara c. Air Canada, 2013 ONSC 2931, 115 O.R. (3d) 673; Walton c. MyTravel Canada Holdings Inc., 2006 SKQB 231, 280 Sask. R. 1; King c. American Airlines, Inc., 284 F.3d 352 (2002); Gibbs c. American Airlines, Inc., 191 F.Supp.2d 144 (2002); Turturro c. Continental Airlines, 128 F.Supp.2d 170 (2001); Brandt c. American Airlines, 2000 WL 288393; Vancouver (Ville) c. Ward, 2010 CSC 27, [2010] 2 R.C.S. 28; International Air Transport Association c. Department for Transport, C-344/04, [2006] E.C.R. I-403; Wallentin-Hermann c. Alitalia, C-549/07, [2008] E.C.R. I-11061; Sturgeon c. Condor Flugdienst GmbH, C-402/07 et C-432/07, [2009] E.C.R. I-10923; Nelson c. Deutsche Lufthansa AG, C-581/10 et C-629/10, [2013] 1 C.M.L.R. 42 (p. 1191); R. c. Ulybel Enterprises Ltd., 2001 CSC 56, [2001] 2 R.C.S. 867; Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), [1992] 1 R.C.S. 3; Daniels c. White, [1968] R.C.S. 517; Toronto Railway Co. c. Paget (1909), 42 R.C.S. 488; Canadian Westinghouse Co. c. Grant, [1927] R.C.S. 625; International Brotherhood of Electrical Workers c. Town of Summerside, [1960] R.C.S. 591; Renvoi relatif à la Politique réglementaire de radiodiffusion CRTC 2010-167 et l’ordonnance de radiodiffusion CRTC 2010-168, 2012 CSC 68, [2012] 3 R.C.S. 489; Lévis (Ville) c. Fraternité des policiers de Lévis Inc., 2007 CSC 14, [2007] 1 R.C.S. 591; Massicotte c. Boutin, [1969] R.C.S. 818; The King c. Williams, [1944] R.C.S. 226; Myran c. La Reine, [1976] 2 R.C.S. 137; Perron-Malenfant c. Malenfant (Syndic de), [1999] 3 R.C.S. 375; R. c. Beaulac, [1999] 1 R.C.S. 768; Zingre c. La Reine, [1981] 2 R.C.S. 392; Succession Ordon c. Grail, [1998] 3 R.C.S. 437; Doucet-Boudreau c. Nouvelle-Écosse (Ministre de l’Éducation), 2003 CSC 62, [2003] 3 R.C.S. 3; Pro Swing Inc. c. Elta Golf Inc., 2006 CSC 52, [2006] 2 R.C.S. 612.
Citée par la juge Abella (dissidente)
El Al Israel Airlines, Ltd. c. Tsui Yuan Tseng, 525 U.S. 155 (1999); Ehrlich c. American Airlines, Inc., 360 F.3d 366 (2004); Dickason c. Université de l’Alberta, [1992] 2 R.C.S. 1103; Winnipeg School Division No. 1 c. Craton, [1985] 2 R.C.S. 150; Lavigne c. Canada (Commissariat aux langues officielles), 2002 CSC 53, [2002] 2 R.C.S. 773; Canada (Procureur général) c. Viola, [1991] 1 C.F. 373; Walker c. Eastern Air Lines, Inc., 785 F.Supp. 1168 (1992); Beaudet c. British Airways, PLC, 853 F.Supp. 1062 (1994); Sidhu c. British Airways Plc., [1997] A.C. 430; King c. American Airlines, Inc., 284 F.3d 352 (2002); In re Deep Vein Thrombosis and Air Travel Group Litigation, [2005] UKHL 72, [2006] 1 A.C. 495; Stott c. Thomas Cook Tour Operators Ltd., [2014] UKSC 15, [2014] 2 W.L.R. 521; Eastern Airlines, Inc. c. Floyd, 499 U.S. 530 (1991).
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés, art. 16, 24(1).
Loi sur la participation publique au capital d’Air Canada, L.R.C. 1985, ch. 35 (4e suppl.), art. 10.
Loi sur le transport aérien, L.R.C. 1985, ch. C-26, art. 2, ann. I, III, IV, V, VI.
Loi sur les langues officielles, L.R.C. 1985, ch. 31 (4e suppl.), art. 2, 22, 49 à 75, 76, 77, 78.
Traités et autres instruments internationaux
Convention, complémentaire à la Convention de Varsovie, pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international effectué par une personne autre que le transporteur contractuel, 500 R.T.N.U. 31 [Convention de Guadalajara].
Convention de Vienne sur le droit des traités, R.T. Can. 1980 no 37, art. 31.
Convention pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international, 137 R.T.S.N. 11 [Convention de Varsovie], art. 17, 18, 19, 20, 22, 23, 24, 25.
Convention pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international, 2242 R.T.N.U. 309 [Convention de Montréal], préambule, art. 3(4), 17, 18, 19, 21, 22, 26, 29, 49.
Protocole de Montréal No 4 portant modification de la Convention pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international signée à Varsovie le 12 octobre 1929 amendée par le Protocole fait à La Haye le 28 septembre 1955, 2145 R.T.N.U. 31.
Protocole portant modification de la Convention pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international, 478 R.T.N.U. 371 [Protocole de La Haye].
Protocole portant modification de la Convention pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international signée à Varsovie le 12 octobre 1929 amendée par le Protocole fait à La Haye le 28 septembre 1955, signé à Guatemala le 8 mars 1971 (non en vigueur).
Doctrine et autres documents cités
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Canada. Chambre des communes. Débats de la Chambre des communes, vol. X, 2e sess., 33e lég., 8 février 1988, p. 12706, 12712, 12715 et 12737.
Canada. Chambre des communes. Débats de la Chambre des communes, vol. XIV, 2e sess., 33e lég., 7 juillet 1988, p. 17224.
Canada. Chambre des communes. Débats de la Chambre des communes, vol. 137, 1re sess., 37e lég., 20 novembre 2001, p. 7346.
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POURVOIS contre un arrêt de la Cour d’appel fédérale (les juges Pelletier, Gauthier et Trudel), 2012 CAF 246, [2013] 2 R.C.F. 155, 435 N.R. 131, 355 D.L.R. (4th) 62, [2012] A.C.F. no 1201 (QL), 2012 CarswellNat 3579, qui a infirmé en partie une décision de la juge Bédard, 2011 CF 876, [2013] 2 R.C.F. 83, 394 F.T.R. 160, 239 C.R.R. (2d) 301, [2011] A.C.F. no 1030 (QL), 2011 CarswellNat 6096. Pourvois rejetés, les juges Abella et Wagner sont dissidents.
Érik Labelle Eastaugh, Ronald F. Caza et Alyssa Tomkins, pour les appelants Michel et Lynda Thibodeau.
Pascale Giguère, Kevin Shaar et Mathew Croitoru, pour l’appelant le commissaire aux langues officielles du Canada.
Louise-Hélène Sénécal, Pierre Bienvenu et Andres Garin, pour l’intimée.
Version française du jugement de la juge en chef McLachlin et des juges LeBel, Rothstein, Cromwell et Karakatsanis rendu par
Le juge Cromwell —
I. Introduction
[1] Air Canada n’a pas fourni des services en français sur certains vols internationaux comme elle devait le faire aux termes de la Loi sur les langues officielles, L.R.C. 1985, ch. 31 (4e suppl.) (la « LLO »). Deux passagers, les appelants Michel et Lynda Thibodeau, ont réclamé devant la Cour fédérale des dommages-intérêts ainsi que des ordonnances dites « structurelles » ou « institutionnelles » obligeant Air Canada à prendre des mesures en vue d’assurer pour l’avenir le respect de la LLO. Le transporteur aérien a contesté les demandes de dommages-intérêts en invoquant la limite de responsabilité pour les dommages prescrite par la Convention pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international, 2242 R.T.N.U. 309 (la « Convention de Montréal »), incorporée au droit fédéral canadien par l’effet de la Loi sur le transport aérien, L.R.C. 1985, ch. C-26, une loi fédérale.
[2] La Cour fédérale a rejeté la défense d’Air Canada, adjugé des dommages-intérêts et rendu une ordonnance structurelle (2011 CF 876, [2013] 2 R.C.F. 83). La Cour d’appel fédérale a toutefois annulé en partie cette décision, concluant que la Convention de Montréal empêchait le recours en dommages-intérêts pour les faits survenus à bord des vols d’Air Canada et qu’une ordonnance structurelle ne constituait pas une réparation convenable (2012 CAF 246, [2013] 2 R.C.F. 155). Le pourvoi devant notre Cour porte principalement sur la question de savoir si ces conclusions de la Cour d’appel fédérale sont erronées.
[3] La question des dommages-intérêts se situe au croisement de l’engagement du Canada envers les langues officielles au pays et de son engagement international envers un régime exclusif et uniforme de responsabilité pour dommages des transporteurs aériens internationaux. Cette question met donc en jeu deux valeurs importantes.
[4] D’une part, le Canada a ratifié la Convention de Montréal et l’a incorporée à son droit interne, de sorte qu’il est tenu, pour s’y conformer, d’établir et de donner effet aux limites de responsabilité des transporteurs aériens internationaux. Air Canada soutient que le maintien du recours en dommages-intérêts exercé contre elle serait incompatible avec cet important engagement international. D’autre part, il y a l’engagement fondamental du Canada envers l’égalité des langues française et anglaise, un engagement reconnu notamment à l’art. 16 de la Charte canadienne des droits et libertés ainsi que dans la LLO. Ces droits linguistiques sont « essentiels à la viabilité de [cette] nation » : R. c. Mercure, [1988] 1 R.C.S. 234, p. 269, le juge La Forest. Les appelants affirment qu’il devrait être possible d’exercer un recours en dommages-intérêts en cas de violation des droits linguistiques, afin que se réalisent les objets de la LLO.
[5] Il nous faut en l’espèce résoudre cette opposition en donnant à la LLO et à la Convention de Montréal une interprétation conforme à leur libellé et à leur objet. À mon sens, suivant une interprétation correcte de ces textes, aucun conflit n’oppose les pouvoirs de réparation généraux conférés par la LLO et l’exclusion du recours en dommages-intérêts par la Convention de Montréal, et il n’est pas nécessaire de déterminer lequel de ces textes prévaudrait dans le cas contraire.
[6] Le régime de responsabilité uniforme et exclusif pour les dommages établi par la Convention de Montréal à l’égard des transporteurs aériens internationaux ne permet pas d’accorder des dommages-intérêts en cas de violation de droits linguistiques lors d’un transport aérien international. Tirer la conclusion contraire dénaturerait le libellé et l’objet de la Convention de Montréal, irait à l’encontre des obligations internationales que celle-ci impose au Canada et exclurait le Canada du solide consensus international qui existe sur sa portée et ses effets. Le pouvoir général que confère la LLO d’accorder une réparation convenable et juste ne peut — et ne doit pas — être interprété comme autorisant les tribunaux canadiens à déroger aux obligations internationales qui incombent au Canada en application de la Convention de Montréal.
[7] Je conclus également que la Cour d’appel fédérale a eu raison d’annuler l’ordonnance structurelle, qui était inacceptablement vague et floue.
[8] Je suis donc d’avis de rejeter les pourvois.
II. Faits et historique judiciaire
A. La Loi sur les langues officielles
[9] La LLO est une loi fédérale dont l’objet est d’assurer le respect du français et de l’anglais à titre de langues officielles du Canada, leur égalité de statut et l’égalité de droits et privilèges quant à leur usage dans les institutions fédérales : al. 2a). La LLO vise également à appuyer le développement des minorités francophones et anglophones et à préciser les pouvoirs et les obligations des institutions fédérales en matière de langues officielles : al. 2b) et c).
[10] Les parties I à VI de la LLO établissent plusieurs droits linguistiques dans de nombreux contextes : les débats et travaux parlementaires, les actes législatifs et autres, l’administration de la justice, les communications avec le public et la langue de travail. Les parties VII et VIII de la LLO énoncent les obligations et responsabilités pour ce qui est de favoriser l’épanouissement des minorités francophones et anglophones et de promouvoir la pleine reconnaissance et l’usage du français et de l’anglais dans la société canadienne. La partie IX établit le Commissariat aux langues officielles et énumère les obligations et pouvoirs du commissaire. Ce dernier est tenu, entre autres, de procéder à des enquêtes et de présenter des rapports et recommandations.
[11] La partie X prévoit des recours judiciaires et dispose notamment que quiconque a saisi le commissaire d’une plainte mettant en jeu certaines parties de la LLO peut former un recours devant la Cour fédérale : par. 77(1). Le tribunal est habilité, s’il estime qu’une institution fédérale ne s’est pas conformée à la LLO, à accorder « la réparation qu’il estime convenable et juste eu égard aux circonstances » : par. 77(4).
[12] Comme la Cour l’a constaté à plusieurs reprises, la LLO a un statut spécial : « . . . elle fait partie de cette catégorie privilégiée de lois dites quasi constitutionnelles qui expriment “certains objectifs fondamentaux de notre société” et qui doivent être interprétées “de manière à promouvoir les considérations de politique générale qui (les) sous-tendent” » (Lavigne c. Canada (Commissariat aux langues officielles), 2002 CSC 53, [2002] 2 R.C.S. 773, par. 23, citant Canada (Procureur général) c. Viola, [1991] 1 C.F. 373 (C.A.), p. 386).
[13] Air Canada et sa filiale Jazz sont assujetties à la LLO : voir Loi sur la participation publique au capital d’Air Canada, L.R.C. 1985, ch. 35 (4e suppl.), art. 10. (Par souci de commodité, ces deux sociétés seront collectivement appelées « Air Canada » dans les présents motifs.) La LLO impose à Air Canada l’obligation de fournir des services en français ou en anglais là où l’emploi d’une de ces langues fait l’objet d’une « demande importante » : voir art. 22.
B. La Convention de Montréal
[14] La Convention de Montréal, qui est incorporée au droit fédéral canadien par l’effet de la Loi sur le transport aérien, limite les types de recours en dommages-intérêts qui peuvent être intentés contre les transporteurs aériens internationaux et les montants qui peuvent être réclamés. Elle autorise les recours pour cause de mort ou de lésion corporelle, de destruction, d’avarie ou de perte de bagages ou de marchandises, ou encore de retard : articles 17 à 19. La Convention de Montréal interdit toute autre action en dommages-intérêts, à quelque titre que ce soit, pour les dommages survenus dans le transport de voyageurs, de bagages et de marchandises : article 29. Les demandes de dommages-intérêts présentées par les Thibodeau en vertu de la LLO ne font manifestement pas partie des recours autorisés pour cause de mort ou de lésion corporelle, de destruction, d’avarie ou de perte de bagages ou de marchandises, ou en cas de retard. Les Thibodeau prétendent toutefois que la Convention de Montréal ne fait pas obstacle à leurs demandes.
C. Les plaintes
[15] Monsieur et Madame Thibodeau n’ont pas reçu de services en français lors de trois vols internationaux d’Air Canada et dans un aéroport, incidents survenus sur une période d’environ quatre mois en 2009. Sur certains vols, aucun agent de bord n’était en mesure d’assurer des services en français et, dans certains cas, les annonces destinées aux passagers à bord des avions et dans le terminal ont été faites exclusivement en anglais.
[16] Le 23 janvier 2009, lors d’un vol de Toronto à Atlanta, en Géorgie, M. et Mme Thibodeau n’ont pas reçu de services en français parce qu’il n’y avait aucun agent de bord bilingue dans l’avion. Quelques jours plus tard, alors qu’ils revenaient d’Atlanta, aucune annonce n’a été faite en français par le pilote, ni traduite dans cette langue. Le 12 mai 2009, les Thibodeau n’ont de nouveau pas reçu de services en français, cette fois sur un vol en provenance de Charlotte, en Caroline du Nord, à destination de Toronto. À leur arrivée à Toronto, une annonce concernant la réception des bagages a été faite exclusivement en anglais.
[17] Il est maintenant acquis aux débats qu’Air Canada a, à ces occasions, manqué aux obligations que lui impose l’art. 22 de la LLO.
[18] Monsieur et Madame Thibodeau ont déposé huit plaintes auprès du Commissariat aux langues officielles : quatre en lien avec les manquements décrits ci-dessus et quatre concernant d’autres incidents survenus lors de ces deux vols. Ces dernières ont cependant été rejetées par le commissaire (et, plus tard, par la juge saisie de la demande), et seules les quatre plaintes retenues par le commissaire ont été subséquemment accueillies par la juge saisie de la demande : motifs de la juge saisie de la demande, par. 30.
[19] Par suite de l’enquête du commissaire sur les plaintes des Thibodeau, Air Canada a mis en place certaines mesures destinées à améliorer sa capacité d’assurer des services bilingues. Ces mesures ont incité le commissaire à fermer ses dossiers relatifs aux quatre plaintes qu’il avait jugées fondées.
[20] Le commissaire a également entrepris une vérification des services bilingues offerts par Air Canada à ses passagers et a produit son rapport en septembre 2011, après que la Cour fédérale eut rendu sa décision dans la présente affaire (Vérification de la prestation des services en français et en anglais aux passagers d’Air Canada : Rapport final (2011)). Le commissaire a fait 12 recommandations à Air Canada, et cette dernière a proposé en retour certaines mesures et des échéances pour leur mise en œuvre. Le commissaire s’est dit satisfait des solutions proposées à l’égard de 11 des recommandations, et en partie satisfait de la réponse à la dernière recommandation, laquelle, je dois dire, n’a aucune importance pour l’issue du présent pourvoi. (Je signale que le commissaire s’est opposé à l’utilisation de ce rapport par la Cour d’appel fédérale. Je parle de cette vérification uniquement pour brosser un portrait complet des faits de l’espèce et non pour traiter des questions précises sur lesquelles je me prononcerai dans les présents motifs.)
D. Procédures devant les Cours fédérales
[21] Comme je l’ai déjà mentionné, l’art. 77 de la LLO dispose que quiconque a saisi le commissaire d’une plainte sur le fondement de différentes dispositions, notamment en ce qui concerne une omission de fournir des services au public dans les deux langues officielles, peut former un recours devant la Cour fédérale. Si la cour estime que l’institution fédérale ne s’est pas conformée à la LLO, elle peut accorder la réparation qu’elle estime convenable et juste eu égard aux circonstances.
[22] Les Thibodeau se sont adressés à la Cour fédérale en vue d’obtenir réparation par suite des atteintes par Air Canada à leur droit d’être servis en français. Ils ont demandé à la cour de rendre « des ordonnances institutionnelles contre Air Canada et de lui ordonner de payer des dommages punitifs et exemplaires », ainsi que des dommages-intérêts pour la violation de leurs droits linguistiques : motifs de la juge saisie de la demande, par. 43.
[23] Air Canada a soutenu que la Convention de Montréal n’autorise pas l’attribution de dommages-intérêts pour contravention à la LLO et que les demandes de dommages-intérêts des Thibodeau étaient donc irrecevables parce qu’elles découlaient d’un préjudice subi lors de vols internationaux régis par cette convention.
(1) Cour fédérale, la juge Bédard
[24] La Cour fédérale a jugé que les Thibodeau avaient droit à des dommages-intérêts et à une ordonnance structurelle. La juge a conclu à l’existence d’un conflit entre la limite imposée en matière de dommages-intérêts par la Convention de Montréal et le pouvoir conféré d’accorder des dommages-intérêts par la LLO. Pour reprendre ses propos, « interpréter la Convention de Montréal comme permettant une indemnisation fondée sur une cause d’action qui n’est pas prévue par la Convention irait à l’encontre de la jurisprudence canadienne et internationale » : par. 77. Elle a cependant statué qu’en présence d’un tel conflit, le pouvoir d’accorder des dommages-intérêts en vertu de la LLO l’emportait sur la Convention de Montréal : par. 81-83. Elle a par conséquent ordonné à Air Canada de verser à chacun des Thibodeau des dommages-intérêts de 6 000 $ (1 500 $ par incident) pour indemniser le préjudice subi (préjudice moral, troubles et inconvénients et perte de jouissance de leurs vacances), pour reconnaître l’importance des droits en cause et pour décourager de futurs manquements : par. 88-90.
[25] La juge Bédard a ensuite analysé la preuve à l’appui de la demande d’ordonnance structurelle faite par M. et Mme Thibodeau et a conclu à l’existence d’un « problème de nature systémique au sein d’Air Canada », en ce sens que les manquements de celle-ci à ses obligations linguistiques n’étaient pas « des problèmes [. . .] isolés et hors [de son] contrôle » : par. 153. Elle a donc ordonné au transporteur aérien d’instaurer dans les six mois suivant le jugement un système de surveillance visant à « rapidement identifier, documenter et quantifier d’éventuelles violations à ses obligations linguistiques » : motifs de la juge saisie de la demande, p. 153.
(2) Cour d’appel fédérale, la juge Trudel, avec l’accord des juges Pelletier et Gauthier
[26] Air Canada a interjeté appel de ces conclusions et, le 25 septembre 2012, la Cour d’appel fédérale a accueilli l’appel et annulé les dommages-intérêts octroyés pour les trois plaintes visant les faits survenus à bord des vols d’Air Canada (la demande de dommages-intérêts relative à l’annonce concernant la réception des bagages à l’aéroport de Toronto n’a pas fait l’objet d’un appel : mémoire d’Air Canada, par. 29) et l’ordonnance structurelle. La cour d’appel a convenu avec la juge de première instance que la Convention de Montréal fait obstacle à la demande de dommages-intérêts des Thibodeau, sauf si le pouvoir général de réparation conféré par la LLO prime cette interdiction : par. 20-22. La cour d’appel a cependant conclu qu’il n’y avait pas de conflit entre les deux régimes : pour décider si une réparation est « convenable et juste » au sens de la LLO, le tribunal doit tenir compte du fait qu’il ne peut pas accorder de dommages-intérêts dans les cas où la Convention de Montréal s’applique : par. 43.
[27] Quant à l’ordonnance structurelle, la Cour d’appel fédérale a conclu qu’elle n’était pas convenable dans les circonstances de l’espèce parce que la preuve était insuffisante et que l’ordonnance était trop imprécise pour être exécutée comme il se doit : par. 74-76.
[28] Notre Cour a accordé à M. et à Mme Thibodeau l’autorisation d’interjeter appel et, dans le même jugement, elle a accordé le statut d’appelant au commissaire aux langues officielles du Canada. Ces parties sont désignées collectivement ci-après les appelants.
III. Analyse
A. La Convention de Montréal exclut-elle le recours en dommages-intérêts prévu par la Loi sur les langues officielles?
(1) Arguments des appelants
[29] Les appelants avancent trois arguments principaux au soutien de leur thèse selon laquelle la Convention de Montréal n’a pas pour objet d’exclure l’exercice d’un recours en dommages-intérêts fondé sur la LLO :
1. La Convention de Montréal ne s’applique qu’aux recours de droit privé, non aux recours légaux en matière de droits fondamentaux, tels que les droits linguistiques.
2. La Convention de Montréal exclut uniquement les dommages-intérêts pour les préjudices « individuels » et non pour les préjudices appelant des réparations « standardisées ».
3. Les demandes des appelants ne relèvent pas du champ d’application temporel de la limite imposée aux recours par la Convention de Montréal.
[30] La Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale ont toutes deux estimé que la Convention de Montréal exclut l’exercice d’un recours en dommages-intérêts fondé sur la LLO, et je suis d’accord avec elles. À mon avis, les arguments contraires des appelants reposent sur une perception erronée de l’objet et de la structure de la Convention de Montréal et sur une interprétation incorrecte de son texte. Avant d’examiner plus en détail chacun des principaux arguments présentés par les appelants, j’exposerai brièvement certaines considérations importantes quant à l’interprétation de la Convention de Montréal.
(2) Interprétation de la Convention de Montréal
a) Aperçu
[31] La Convention de Montréal, qui a été adoptée en 1999 à Montréal, s’applique à tout transport international par aéronef de personnes, de bagages ou de marchandises. Succédant à la Convention pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international, 137 R.T.S.N. 11 (la « Convention de Varsovie »), elle a pour objet « de moderniser et de refondre la Convention de Varsovie et les instruments connexes » : préambule de la Convention de Montréal. Pour comprendre les objets de la Convention de Montréal, il nous faut parler de l’instrument qui l’a précédée, la Convention de Varsovie, signée dans cette ville le 12 octobre 1929, reproduite à l’ann. I de la Loi sur le transport aérien (modifiée à La Haye en 1955, reproduite à l’ann. III). Comme les objets des deux conventions sont les mêmes, les décisions et commentaires portant sur la Convention de Varsovie aident à comprendre ces objets : Stott c. Thomas Cook Tour Operators Ltd., [2014] UKSC 15, [2014] 2 W.L.R. 521, par. 24-25; P. S. Dempsey, Aviation Liability Law (2e éd. 2013), p. 304; P. S. Dempsey et M. Milde, International Air Carrier Liability : The Montreal Convention of 1999 (2005), p. 7.
[32] Les nombreuses tentatives faites en vue de réviser la Convention de Varsovie ont finalement abouti à la Convention de Montréal, qui nous intéresse directement en l’espèce : voir, p. ex., le Protocole de Montréal No 4 portant modification de la Convention pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international signée à Varsovie le 12 octobre 1929 amendée par le Protocole fait à La Haye le 28 septembre 1955, 2145 R.T.N.U. 31, figurant à l’ann. IV de la Loi sur le transport aérien. Pour un exposé détaillé de ces modifications ayant mené à la Convention de Montréal, voir J. D. Mclean et autres, dir., Shawcross and Beaumont : Air Law (feuilles mobiles), p. VII-103 à VII-165. La Convention de Montréal est le fruit du travail des délégués d’environ 120 États qui se sont réunis à Montréal en 1999 : L. Weber et A. Jakob, « The Modernization of the Warsaw System : The Montreal Convention of 1999 » (1999), 24 Ann. Air & Sp. L. 333, p. 334-335; Dempsey, p. 336; Dempsey et Milde, p. 36-41.
[33] La Convention de Montréal a été ratifiée par le Canada en 2002 et est entrée en vigueur en 2003. Elle est incorporée au droit fédéral canadien par l’effet de l’art. 2 de la Loi sur le transport aérien, et son texte figure à l’ann. VI de cette loi. La Convention de Montréal reprend essentiellement la structure et le libellé des différentes versions de la Convention de Varsovie, et maintient le même compromis entre la limitation de la responsabilité des transporteurs aériens et la facilitation des recours des consommateurs : Dempsey, p. 310 et 338-340; Shawcross and Beaumont, p. VII-251.
[34] La question soulevée par le présent pourvoi est de savoir si l’article 29 de la Convention de Montréal, lequel limite les recours en dommages-intérêts qui peuvent être exercés en cas de préjudice survenu pendant un transport aérien international, exclut les demandes de dommages-intérêts des Thibodeau. Je passe donc à l’interprétation de cet article.
[35] Je commence en citant le principe fondamental d’interprétation énoncé à l’article 31 de la Convention de Vienne sur le droit des traités, R.T. Can. 1980 no 37 : « Un traité doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but. » Par conséquent, j’examinerai d’abord le texte de l’article 29 de la Convention de Montréal et analyserai ensuite la place que cette disposition occupe au sein de la Convention, compte tenu du but et de l’objet de celle-ci : Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, par. 56.
b) Texte
[36] La disposition qui touche au cœur de l’objectif de la Convention de Montréal — établir un ensemble de règles de responsabilité uniformes et exclusives — est l’article 29, qui a succédé à l’article 24 de la Convention de Varsovie. Voici le texte de l’article 29 :
Article 29 — Principe des recours
Dans le transport de passagers, de bagages et de marchandises, toute action en dommages-intérêts, à quelque titre que ce soit, en vertu de la présente convention, en raison d’un contrat ou d’un acte illicite ou pour toute autre cause, ne peut être exercée que dans les conditions et limites de responsabilité prévues par la présente convention, sans préjudice de la détermination des personnes qui ont le droit d’agir et de leurs droits respectifs. Dans toute action de ce genre, on ne pourra pas obtenir de dommages-intérêts punitifs ou exemplaires ni de dommages à un titre autre que la réparation.
[37] Il ressort clairement de la Convention de Montréal qu’elle offre le seul recours pouvant être intenté contre les transporteurs aériens pour différents types de dommages subis lors d’un transport aérien international. La Convention prévoit que toute « action en dommages-intérêts » découlant du transport de passagers, de bagages et de marchandises est assujettie aux conditions et limites de responsabilité qui y sont prévues. La disposition pourrait difficilement être rédigée en des termes plus larges; elle s’applique à « toute action en dommages-intérêts, à quelque titre que ce soit ». Cette large portée se retrouve aussi dans la version anglaise : « . . . any action for damages, however founded . . . »
[38] Ce principe d’exclusivité est exprimé encore plus clairement dans la Convention de Montréal qu’il ne l’était dans la Convention de Varsovie. L’article 24 de la Convention de Varsovie — la disposition qui exclut les autres recours —commence par les termes « [d]ans les cas prévus aux » articles 17 à 19. L’article 29 de la Convention de Montréal, en revanche, commence par les termes « [d]ans le transport de passagers, de bagages et de marchandises ». Le recours à un libellé aussi général fait ressortir encore plus nettement l’intention des États signataires d’exclure toute action non expressément prévue aux articles 17 à 19. Les commentaires formulés à ce sujet par le président de la Conférence internationale de droit aérien, tenue à Montréal en mai 1999, sont éclairants :
[traduction] Les dispositions de l’article [29] (Principe des recours) sont claires : toute action en dommages-intérêts, à quelque titre que ce soit, en vertu de la nouvelle convention, en raison d’un contrat ou d’un acte illicite ou pour toute autre cause, ne pouvait être exercée que dans les conditions et limites de responsabilité prévues par la convention. Du reste, une certaine jurisprudence tend à indiquer que celle-ci était exclusive. Il n’était pas possible d’échapper aux dispositions de la convention relatives au fardeau de la preuve, etc., en procédant par voie d’action en responsabilité délictuelle ou en exerçant tout autre recours en dehors des limites prévues par la convention . . . [Je souligne.]
(Organisation de l’aviation civile internationale, International Conference on Air Law, vol. I, Minutes, Doc. 9775-DC/2 (2001), p. 137)
[39] La Convention de Montréal énonce à son chapitre III les chefs de responsabilité des transporteurs à l’égard desquels les recours sont autorisés et limite l’indemnisation afférente à chacun d’eux. Elle précise également les différents événements auxquels l’article 29 est censé s’appliquer. Les articles 17 à 19 disposent que le transporteur est responsable du préjudice survenu : en cas de mort ou de lésion corporelle subie par un passager lors d’un accident qui s’est produit à bord de l’aéronef ou au cours de l’embarquement ou du débarquement (article 17); en cas de destruction, de perte ou d’avarie de bagages dont le transporteur avait la garde (article 17); en cas de destruction, de perte ou d’avarie de la marchandise survenue pendant le transport aérien (article 18); et en cas de dommage résultant d’un retard (article 19). Le texte intégral des dispositions pertinentes de la Convention de Montréal est reproduit en annexe.
[40] Les limites pécuniaires de la responsabilité du transporteur (qui ne sont pas directement pertinentes pour le présent pourvoi) sont prévues aux articles 21 et 22. Ces limites de responsabilité sont expressément et exclusivement liées aux recours visés aux articles 17 à 19 et, selon l’article 26, toute clause contractuelle tendant à exonérer le transporteur de sa responsabilité ou à établir une limite inférieure à celle qui est fixée dans la Convention de Montréal est nulle et de nul effet. Le chapitre VI de la Convention de Montréal fait ressortir son caractère exclusif, car il prévoit que toute clause du contrat de transport ou d’un contrat particulier qui dérogerait aux règles de la Convention de Montréal est nulle et sans effet : article 49. Comme nous l’avons vu, l’article 29 dispose que, pour ce qui est des recours relevant de la Convention de Montréal, « toute action en dommages-intérêts, à quelque titre que ce soit », ne peut être exercée « que dans les conditions et limites de responsabilité prévues par la présente convention ».
c) But et objet de la Convention de Montréal
[41] La Convention de Varsovie (et par le fait même la Convention de Montréal qui lui a succédé) avait trois principaux objectifs : instaurer des règles uniformes applicables aux réclamations découlant du transport aérien international; protéger le secteur du transport aérien international en limitant la responsabilité du transporteur; et assurer l’équilibre entre cet objectif de protection et l’intérêt des passagers et des autres qui cherchent à obtenir réparation. Ces objectifs répondaient aux craintes que plusieurs régimes juridiques s’appliquent au transport aérien international, ce qui pourrait se traduire par une absence d’uniformité ou de prévisibilité quant à la responsabilité du transporteur ou aux droits des passagers et des autres utilisateurs du service. Tant les passagers que les transporteurs risquaient de subir les conséquences de ce manque d’uniformité. On croyait également que l’industrie naissante du transport aérien international avait besoin d’être protégée des litiges potentiellement ruineux entre plusieurs États et d’une responsabilité pratiquement illimitée.
[42] Comme le résume brièvement un texte, la Convention de Varsovie visait [traduction] « à éliminer plusieurs des conflits pouvant survenir dans le transport aérien international, à instaurer un système de documentation reconnu internationalement, à assujettir les réclamations à un délai de prescription, à résoudre les questions de compétence et, ce qui est peut-être le plus important, à imposer des limites très strictes à la responsabilité des transporteurs » : Fountain Court Chambers, Carriage by Air (2001), p. 3. Du point de vue des passagers et des expéditeurs, ces limites étaient contrebalancées par une inversion du fardeau de la preuve en leur faveur, de sorte que, dès lors que les dommages étaient prouvés, la faute du transporteur était présumée : ibid. Voir aussi Dempsey, p. 309-310; Shawcross and Beaumont, p. VII-105 à VII-105A; A. Field, « International Air Carriage, The Montreal Convention and the Injuries for Which There is No Compensation » (2006), 12 Canta. L.R. 237, p. 239; L. Chassot, Les sources de la responsabilité du transporteur aérien international : entre conflit et complémentarité (2012), p. 45-46.
[43] Il sera utile d’expliquer de façon un peu plus détaillée comment la Convention de Varsovie réalisait chacun de ses trois principaux objectifs.
[44] Pour favoriser l’atteinte de l’objectif d’uniformité, la Convention de Varsovie établissait trois chefs de responsabilité du transporteur aérien : le préjudice personnel à l’article 17; la perte, la destruction et l’avarie de bagages ou de la marchandise, à l’article 18; et le dommage résultant d’un retard, à l’article 19. Elle énonçait également les conditions auxquelles le transporteur aérien était exonéré de toute responsabilité (article 20), les limites pécuniaires de la responsabilité (article 22) et, afin de maintenir l’équilibre du régime, les circonstances dans lesquelles le transporteur ne pouvait pas limiter sa responsabilité (articles 23 et 25). L’intention était de soustraire les transporteurs à l’application des régimes divergents de responsabilité établis par les lois des divers États : voir, p. ex., El Al Israel Airlines, Ltd. c. Tsui Yuan Tseng, 525 U.S. 155 (1999), p. 169-171, la juge Ginsburg.
[45] Quant au deuxième objectif — limiter la responsabilité — la Convention de Varsovie restreignait à la fois la nature des dommages admissibles et le montant des indemnités. Selon les articles 22 et 24, le montant des dommages-intérêts que les passagers pouvaient obtenir et les réclamations qu’ils pouvaient présenter étaient limités. Le régime établi par la Convention de Varsovie repose sur un principe d’exclusivité, qui ressort de l’article 24 : « [d]ans les cas prévus » aux articles 17 à 19, « toute action en responsabilité, à quelque titre que ce soit, ne peut être exercée que dans les conditions et limites prévues par la présente Convention ». Il est utile de reproduire ici l’article 24 dans son intégralité, puisqu’il est au cœur de plusieurs décisions que j’examinerai plus tard :
Article 24
(1) Dans les cas prévus aux articles 18 et 19 toute action en responsabilité, à quelque titre que ce soit, ne peut être exercée que dans les conditions et limites prévues par la présente Convention.
(2) Dans les cas prévus à l’article 17, s’appliquent également les dispositions de l’alinéa précédent, sans préjudice de la détermination des personnes qui ont le droit d’agir et de leurs droits respectifs.
[46] Le troisième objectif de la Convention de Varsovie est d’assurer l’équilibre entre les intérêts des passagers qui demandent à être indemnisés du préjudice personnel qu’ils ont subi, et les intérêts des transporteurs aériens qui cherchent à limiter leur responsabilité éventuelle : Tseng, p. 170. Si l’on s’inquiétait des conséquences que les poursuites en responsabilité pourraient avoir sur l’industrie à peine naissante du transport aérien international, on s’inquiétait tout autant de la possibilité que les compagnies aériennes profitent indûment de leur capacité à limiter contractuellement leur responsabilité : ibid. On voyait donc la Convention de Varsovie comme [traduction] « un compromis entre les intérêts des transporteurs aériens et ceux de leurs clients dans le monde entier » : Tseng, p. 170. L’article 17 de la Convention de Varsovie prive les transporteurs de la prérogative d’exclure ou de limiter par contrat leur responsabilité pour préjudice personnel, tandis que les articles 22 et 24 limitent le montant des dommages-intérêts que peuvent obtenir les passagers et restreignent les réclamations qu’ils peuvent présenter. Comme je l’ai déjà mentionné, la Convention de Varsovie faisait également profiter les passagers et les expéditeurs de l’inversion du fardeau de la preuve.
[47] Comme nous l’avons vu, établir un ensemble de règles uniformes encadrant la responsabilité pour dommages des transporteurs aériens internationaux et limiter cette responsabilité sont deux des principaux objectifs de la Convention de Varsovie et, par le fait même, de la Convention de Montréal, qui ne peut les réaliser que si elle constitue un ensemble exclusif de règles applicables aux matières auxquelles elle s’applique. La Convention de Montréal ne touche évidemment pas tous les aspects du transport aérien international : elle n’est pas exhaustive. Mais dans les limites des matières qu’elle aborde, elle est exclusive en ce qu’elle interdit tout autre recours en responsabilité : M. Clarke, Contracts of Carriage by Air (2e éd. 2010), p. 8 et 160-162; G. N. Tompkins, fils, « The Continuing Development of Montreal Convention 1999 Jurisprudence » (2010), 35 Air & Space L. 433, p. 433-436.
[48] La portée du principe d’exclusivité formulé dans la Convention de Montréal est au cœur du présent pourvoi. Bien que nous ne soyons pas appelés à trancher toutes les questions que peut soulever l’application de ce principe d’exclusivité, le texte et l’objet de la Convention de Montréal, ainsi qu’un fort courant jurisprudentiel, démontrent clairement que l’exclusivité du régime de responsabilité établi par la Convention de Montréal permet à tout le moins d’exclure les actions découlant du préjudice subi par les passagers en cours de vol ou lors de l’embarquement et du débarquement, si ces actions ne sont pas par ailleurs visées par le régime des recours autorisés.
[49] J’insiste sur ce point parce que, dans leurs observations, les appelants contestent effectivement, quoiqu’indirectement, ce principe d’exclusivité. Ils ne cherchent pas à savoir si leurs demandes entrent dans la catégorie de celles autorisées par la Convention de Montréal; ils cherchent plutôt à échapper à l’exclusivité du régime établi par la Convention de Montréal en soutenant que leurs demandes ne sont pas expressément exclues. Les appelants n’ont jamais prétendu que les demandes présentées par les Thibodeau sur le fondement de la LLO pouvaient également l’être en vertu des articles 17 à 19 de la Convention de Montréal. Avec égards, cette lacune de leur argumentation est fatale. Comme nous le verrons plus en détail ci-après, les appelants tentent d’échapper à l’application de la Convention de Montréal en prétendant que l’instance introduite par les Thibodeau en Cour fédérale n’est pas une « action en dommages-intérêts » relevant du champ d’application substantiel de cette convention, et que l’interdiction faite par celle-ci d’engager des recours ne s’applique donc pas à leur action. Les appelants soutiennent également que leur action ne relève pas non plus du champ d’application temporel de la Convention de Montréal. Ces prétentions ne sauraient être retenues parce qu’elles sont incompatibles avec le principe d’exclusivité qui sous-tend la Convention de Montréal et qu’elles ne s’accordent pas avec son texte clair. Un examen de la jurisprudence internationale étaye ce point de vue.
d) La jurisprudence internationale
[50] Les plus hauts tribunaux des États parties à la Convention de Montréal ont confirmé ce principe d’exclusivité : S. Radošević, « CJEU’s Decision in Nelson and Others in Light of the Exclusivity of the Montreal Convention » (2013), 38 Air & Space L. 95, p. 99. Compte tenu de l’objectif de la Convention de Montréal d’assurer l’uniformité internationale des règles, nous devons porter une grande attention à la jurisprudence internationale, et nous montrer particulièrement réticents à nous écarter du fort consensus international qui s’est progressivement établi sur son interprétation : voir Tseng, p. 175; Morris c. KLM Royal Dutch Airlines, [2002] UKHL 7, [2002] 2 A.C. 628, par. 5 et 7; voir aussi Plourde c. Service aérien FBO inc. (Skyservice), 2007 QCCA 739 (CanLII), par. 53-55, autorisation d’appel refusée, [2007] 3 R.C.S. xiii; Sakka (Litigation Guardian of) c. Air France, 2011 ONSC 1995, 18 C.P.C. (7th) 150, par. 28; et Chassot, p. 34.
[51] Je commence mon examen par les décisions rendues en application de la Convention de Varsovie dont, comme je l’ai déjà mentionné, l’objet, la structure et le texte sont semblables à ceux de la Convention de Montréal, qui lui a succédé et qui est en cause en l’espèce. Dans ces décisions, les plus hauts tribunaux du Royaume-Uni, des États-Unis et de la France ont souscrit au principe de l’exclusivité. Ce principe, confirmé par la jurisprudence sur la Convention de Varsovie, ressort de façon encore plus évidente du texte de la Convention de Montréal.
[52] Dans Sidhu c. British Airways Plc., [1997] A.C. 430 (H.L.), les demandeurs avaient été pris en otage par les forces iraquiennes lors d’une escale au Koweït, au début de ce qu’on a appelé la guerre du Golfe. Madame Sidhu a poursuivi British Airways pour préjudice personnel en vertu de la common law tandis que Mme Abnett l’a poursuivie pour retard et violation de contrat, elle aussi en vertu de la common law. Bien que la Chambre des lords ne se soit pas prononcée sur la question, il était admis que l’article 17 de la Convention de Varsovie, intégralement mise en œuvre au Royaume-Uni par l’effet de la Carriage by Air Act, 1961, 9 & 10 Eliz. 2, ch. 27, ne s’appliquait pas au recours exercé par les demanderesses. D’ailleurs, les parties reconnaissaient que l’article 17 ne pouvait pas s’appliquer, puisqu’aucun « accident » n’était survenu à bord de l’aéronef ou au cours du débarquement, et que le préjudice psychologique n’était pas visé par la notion de « lésion corporelle » : p. 440-441. Il s’agissait donc de déterminer [traduction] « si le passager qui a subi un préjudice au cours d’un transport aérien international par la faute du transporteur, mais qui n’a aucun droit d’action contre le transporteur suivant l’article 17 de la Convention [de Varsovie], est privé de tout recours » : p. 441. Pour trancher cette question, la Chambre des lords a analysé l’objet de la Convention de Varsovie, de même que son texte et son contexte, et a conclu ainsi aux p. 453-454 :
[traduction] Je crois que la réponse à la question soulevée dans la présente affaire réside dans les objectifs et la structure de la Convention. Les termes qui y sont employés et le domaine dont elle traite démontrent que ce que l’on cherchait à établir était un code international uniforme, susceptible d’application par les tribunaux judiciaires des hautes parties contractantes sans égard à leurs propres règles de droit interne. La Convention ne prétend pas régler toutes les questions liées aux contrats de transport international aérien. Mais dans les limites de son champ d’application — dont fait partie la responsabilité du transporteur — le code est censé être uniforme et exclure tout recours aux règles de droit interne.
. . .
. . . La Convention ne vise pas à accorder le droit d’exercer des recours contre le transporteur afin de permettre l’indemnisation de toutes les pertes. Elle vise plutôt à définir les situations dans lesquelles une indemnisation peut être obtenue. Pour ce faire, elle fixe ainsi les limites de la responsabilité et les conditions auxquelles les actions tendent à établir cette responsabilité, si celle-ci est contestée, doivent être intentées. Un équilibre a été atteint au nom de la certitude et de l’uniformité.
. . . Il faut donc conclure que la Convention exclut tout recours, étant donné que l’ensemble de règles uniformes n’en prévoit pas. Les tribunaux nationaux ne sont pas libres d’accorder une réparation conformément à leur propre droit, parce que, s’ils le faisaient, ils affaibliraient la Convention. On verrait ainsi apparaître, parallèlement à la Convention, un ensemble de règles complètement différentes qui perturberait l’application de tout le régime.
[53] Cette interprétation du principe de l’exclusivité a été reprise par la Chambre des lords dans l’arrêt In re Deep Vein Thrombosis and Air Travel Group Litigation, [2005] UKHL 72, [2006] 1 A.C. 495, par. 3 :
[traduction] Le passager est désavantagé, cependant, car même dans les cas manifestes de négligence causale de la part du transporteur, il ne pourra obtenir réparation si les conditions de l’art. 17 ne sont pas réunies. Il a été jugé, dans des arrêts faisant autorité, que si un recours n’est pas ouvert à l’égard du préjudice en vertu de la Convention, il n’est pas ouvert du tout : voir Sidhu c British Airways plc [1997] AC 430 et El Al Israel Airlines Ltd c Tsui Yuan Tseng (1999) 525 US 155. [Je souligne.]
[54] Dans l’arrêt Tseng, la Cour suprême des États-Unis a souscrit au principe de l’exclusivité reconnu par la Chambre des lords dans Sidhu, et elle a fait sienne l’interprétation de la Convention de Varsovie que préconisait le gouvernement américain. La demanderesse avait fait l’objet d’une fouille envahissante à l’aéroport international John F. Kennedy de New York avant de monter à bord d’un vol de la El Al Israel Airlines à destination de Tel-Aviv. Elle réclamait des dommages-intérêts pour préjudice psychique ou psychosomatique, mais reconnaissait qu’elle n’avait subi aucune « lésion corporelle ». La compagnie aérienne et le gouvernement des États-Unis prétendaient que les mots « [d]ans les cas prévus à l’article 17 », qui se trouvent à l’article 24 de la Convention de Varsovie, [traduction] « renvoy[aient] de façon générale à tous les cas de préjudice personnel découlant d’un événement survenu à bord d’un aéronef ou au cours d’une opération d’embarquement ou de débarquement » : p. 168. La Cour suprême des États-Unis a en outre souscrit à la proposition suivant laquelle, « [i]nterprété ainsi, l’article 24 [de la Convention de Varsovie] empêcherait les passagers de présenter toute réclamation pour préjudice personnel lié au transport aérien en vertu du droit interne, y compris une action ne satisfaisant pas aux conditions de responsabilité prescrites par l’article 17 » : ibid.
[55] La Cour de cassation française a adopté une approche semblable dans l’arrêt Civ. 1re, 14 juin 2007, Bull. civ. 6, n° 230. Madame Gillet a subi une embolie pulmonaire plus de deux semaines après être montée à bord d’un vol international d’Air Canada et a poursuivi cette dernière en dommages-intérêts, soutenant que la compagnie aérienne ne l’avait pas informée des risques que comportait le transport aérien, comme son contrat l’obligeait à le faire selon le Code de la consommation français. La cour lui a cependant refusé toute réparation pécuniaire en application de la Convention de Varsovie, incorporée au droit français par l’art. L. 322-3 du Code de l’aviation civile. La demanderesse s’est pourvue en appel devant la Cour de cassation, première chambre civile, faisant entre autres valoir que la Cour d’appel de Paris avait eu tort de ne pas appliquer les dispositions du Code de la consommation, qui sont d’ordre public en droit interne. La Cour de cassation a rejeté cette prétention, concluant qu’une action pour préjudice personnel qui ne respecte pas les conditions énoncées à l’article 17 de la Convention de Varsovie est irrecevable par application de l’article 24 de celle-ci.
[56] Cette interprétation du principe de l’exclusivité de la Convention de Varsovie a également été confirmée par la Cour d’appel de Hong Kong dans Ong c. Malaysian Airline System Bhd, [2008] 3 H.K.L.R.D. 153, la Haute Cour d’Irlande dans Hennessey c. Aer Lingus Ltd., [2012] IEHC 124 (BAILII), la Cour d’appel de la Nouvelle-Zélande dans Emery Air Freight Corp. c. Nerine Nurseries Ltd., [1997] 3 N.Z.L.R. 723, la Cour d’appel de Singapour dans Seagate Technology International c. Changi International Airport Services Pte. Ltd., [1997] SGCA 22, [1997] 2 S.L.R.(R.) 57, et la Haute Cour d’Afrique du Sud dans Potgieter c. British Airways Plc, [2005] ZAWCHC 5 (SAFLII). Au Canada, les tribunaux ont adopté le même point de vue : voir Gal c. Northern Mountain Helicopters Inc., 1999 BCCA 486, 128 B.C.A.C. 290, et Sakka, par. 30. Une interprétation semblable du principe de l’exclusivité de la Convention de Montréal a été confirmée par la Cour suprême de l’Allemagne dans Az. X ZR 99/10, 15 mars 2011 (en ligne), la Cour suprême du Royaume-Uni dans Stott, par. 31, et la Haute Cour d’Irlande dans McAuley c. Aer Lingus Ltd., [2011] IEHC 89 (en ligne), par. 6.3-6.6; au Canada, voir O’Mara c. Air Canada, 2013 ONSC 2931, 115 O.R. (3d) 673, et Walton c. MyTravel Canada Holdings Inc., 2006 SKQB 231, 280 Sask. R. 1.
[57] Pour résumer, le texte et l’objet de la Convention de Montréal, de même qu’un fort courant jurisprudentiel international, montrent que les actions en dommages-intérêts liées à des matières qui relèvent de cette convention ne peuvent être exercées que si elles sont expressément autorisées par les dispositions de celle-ci. Comme l’a dit tout récemment la Cour suprême du Royaume-Uni, [traduction] « [l]a Convention est censée traiter exhaustivement de la responsabilité du transporteur à l’égard de tout ce qui peut arriver physiquement au passager entre le moment de l’embarquement et celui du débarquement » : Stott, par. 61.
[58] Je passe maintenant aux arguments précis avancés pour le compte des appelants.
(3) Analyse des arguments des appelants
a) La Convention de Montréal ne limite pas les demandes d’indemnisation présentées au titre d’un recours de droit public par suite de la violation d’une loi ou d’un droit fondamental protégé par une loi quasi constitutionnelle telle que la Loi sur les langues officielles
[59] Les appelants soutiennent que la Convention de Montréal ne limite pas les actions en dommages-intérêts exercées au titre d’un recours de droit public pour violation d’une loi quasi constitutionnelle. Pour situer cet argument dans son contexte législatif, les appelants affirment que les demandes de dommages-intérêts qu’ils ont présentées en vertu de la LLO ne relèvent pas du champ d’application substantiel de la Convention de Montréal, c’est-à-dire des chefs de responsabilité du transporteur que la convention a pour objet de réglementer. Puisque les revendications de droits linguistiques échappent à ce champ d’application substantiel, leurs demandes de dommages-intérêts n’entrent pas dans la catégorie d’« action en dommages-intérêts » visée à l’article 29 de la Convention de Montréal, et le principe d’exclusivité établi par la convention ne s’appliquerait donc pas. À l’appui de cet argument, les appelants soutiennent essentiellement que la violation des droits linguistiques n’est pas un risque inhérent au transport aérien visé par l’article 17, et que la Convention de Montréal n’est pas censée régir les recours légaux fondés sur des droits fondamentaux ni les « dommages-intérêts de droit public » auxquels ils peuvent donner lieu. À mon sens, cet argument n’est aucunement étayé par le texte ou l’objet de la Convention de Montréal, ni par la jurisprudence internationale.
(i) L’argument des appelants est incompatible avec le texte et l’objet de la Convention de Montréal
[60] J’ai déjà examiné la portée des termes employés à l’article 29 pour décrire le principe des recours assujettis aux limites de la Convention de Montréal. Les limites s’appliquent, dans le transport de passagers, de bagages et de marchandises, à « toute action en dommages-intérêts, à quelque titre que ce soit, en vertu de la présente convention, en raison d’un contrat ou d’un acte illicite ou pour toute autre cause ». Il ne se dégage de ces termes aucune intention de soustraire quelque « action en dommages-intérêts » que ce soit dans le transport de passagers, de bagages et de marchandises selon son fondement légal, par exemple lorsque le demandeur présente, en vertu de la loi, une demande pécuniaire de droit public fondée sur la violation de droits quasi constitutionnels. Comme l’a dit Me Chassot, les termes « action » et « dommages-intérêts » doivent recevoir une interprétation large; leur donner une interprétation étroite aurait pour effet de limiter indûment le champ d’application de la Convention de Montréal, d’une façon qui n’était pas prévue : voir p. 176-177.
[61] Les demandes des Thibodeau constituent une « action en dommages-intérêts » au sens de l’article 29, puisque ces derniers réclament des dommages-intérêts pour le préjudice subi au cours d’un vol international. C’est ce qui ressort clairement de la façon dont ils ont présenté leurs réclamations, ainsi que des motifs de la juge saisie de la demande.
[62] Dans leurs actes de procédure, les Thibodeau parlent des dommages-intérêts qu’ils réclament. Selon les al. a) et b) de la partie III de leur avis de demande déposé en Cour fédérale, ils sollicitaient, entre autres, 25 000 $ en dommages-intérêts et 250 000 $ en dommages punitifs et exemplaires pour chacun d’eux. En réponse à ces réclamations, la Cour fédérale leur a accordé des dommages-intérêts pour les indemniser du préjudice découlant des atteintes à leurs droits linguistiques. Comme l’a dit la juge de première instance, « il est clair que les droits linguistiques des demandeurs sont très importants pour eux et que la violation de leurs droits leur a causé un préjudice moral, des troubles et inconvénients et la perte de jouissance de leurs vacances » : par. 88 (je souligne). (Bien que la juge n’ait pas accordé de dommages-intérêts punitifs ou exemplaires en l’espèce, je signale en passant que de tels dommages-intérêts sont exclus par l’article 29 in fine, même dans les cas où l’action est par ailleurs autorisée par la Convention de Montréal.)
[63] En résumé, les Thibodeau sollicitaient des dommages-intérêts pour préjudice moral, troubles et inconvénients et perte de jouissance de leurs vacances, et c’est ce que la juge leur a accordé.
[64] Permettre l’exercice d’une action en dommages-intérêts visant l’indemnisation du « préjudice moral, des troubles et inconvénients et [de] la perte de jouissance [des] vacances [du passager] », action qui ne respecte pas par ailleurs les conditions de l’article 17 de la Convention de Montréal (parce qu’elle ne découle pas de la mort ou d’une lésion corporelle), serait contraire à l’article 29. Autoriser une action de ce genre compromettrait aussi l’un des principaux objectifs de la Convention de Montréal, qui est d’assurer l’uniformité entre les pays quant aux types de recours en dommages-intérêts pouvant être exercés contre les transporteurs internationaux pour les dommages subis au cours du transport de passagers, de bagages et de marchandises, et quant aux plafonds applicables à ces recours. Comme l’indique clairement la jurisprudence internationale, l’application de la Convention de Montréal s’attache aux faits qui entourent la réclamation pécuniaire, non au fondement juridique de cette réclamation. Conclure autrement reviendrait à permettre que d’habiles plaidoiries définissent la portée de la Convention de Montréal.
(ii) L’argument des appelants est incompatible avec la jurisprudence internationale
[65] L’abondante jurisprudence internationale n’étaye pas la thèse des appelants voulant que leurs demandes échappent au champ d’application substantiel de la Convention de Montréal. Elle appuie la conclusion contraire.
[66] Les tribunaux américains ont été saisis d’une question semblable, alors qu’ils ont été appelés à décider si les recours fondés sur des droits fondamentaux étaient exclus par la Convention de Varsovie. Les cours de district et d’appel ont conclu, postérieurement à l’arrêt Tseng, qu’en dépit de la différence substantielle entre les recours en responsabilité délictuelle et les recours pour discrimination, la Convention de Varsovie devait s’appliquer aux dommages-intérêts réclamés dans le cadre de ces deux types de recours. Cette conclusion repose sur le principe que l’application de la Convention de Varsovie dépend des faits à l’origine du recours, non du fondement juridique de celui-ci. Comme nous l’avons vu, l’exclusion prévue par la Convention de Montréal est encore plus évidente qu’elle ne l’était sous le régime de la Convention de Varsovie.
[67] Dans l’affaire King c. American Airlines, Inc., 284 F.3d 352 (2d Cir. 2002), M. et Mme King réclamaient des dommages-intérêts devant la Cour de district des États-Unis du district nord de New York, alléguant qu’ils avaient été victimes de discrimination raciale en violation du droit à l’égalité que leur garantit le 42 U.S.C. § 1981. Les King invoquaient également la Federal Aviation Act, 49 U.S.C. § 41310(a), et diverses autres lois des États et lois fédérales. Ils soutenaient qu’American Airlines [traduction] « les avait évincés d’un vol surréservé en raison de leur race » : p. 355. La Cour d’appel fédérale des États-Unis pour le deuxième circuit devait déterminer si la Convention de Varsovie s’appliquait au recours en dommages-intérêts des King. Dans l’affirmative, le recours était irrecevable, puisqu’il avait été exercé après le délai de prescription de deux ans prévu à l’article 29 de cette convention.
[68] S’exprimant au nom de la Cour de circuit, la juge Sotomayor (maintenant juge à la Cour suprême des États-Unis) a conclu que la demande relevait du champ d’application substantiel de l’article 17 de la Convention de Varsovie, lequel s’applique de façon exhaustive aux recours pour préjudice subi « au cours de [l’une des] opérations d’embarquement » : p. 359-360. Les King soutenaient cependant que les demandes en matière de droits de la personne fondées sur les lois fédérales ne relevaient pas du régime d’exclusivité qu’était censée établir la Convention de Varsovie : p. 360. La juge Sotomayor a rejeté cet argument :
[traduction] Comme l’indique clairement l’arrêt Tseng, la portée de la Convention ne dépend ni de la théorie juridique plaidée ni de la nature du préjudice subi. Voir Tseng, 525 U.S. p. 171, 119 S.Ct. 662 (rejetant une interprétation de la Convention qui tiendrait compte du type de préjudice subi, parce qu’elle « inciterait des demandeurs à tenter d’échapper, par d’habiles plaidoiries, au régime de responsabilité établi par la Convention dans les cas où le droit interne garantit un dédommagement supérieur à celui prescrit par le traité ») . . .
En particulier, tous les tribunaux qui ont été appelés, après l’arrêt Tseng, à se prononcer sur la question de savoir si la Convention de Varsovie faisait obstacle aux recours en discrimination sont parvenus à la même conclusion. . .
. . . Il n’appartient pas aux tribunaux de réécrire les modalités d’un traité conclu entre nations souveraines. Cf. Turturro, 128 F.Supp.2d p. 181 (« [L]a Convention limite considérablement l’attribution de dommages-intérêts aux victimes d’horribles actes [de] terrorisme; le fait que la Convention restreigne également l’indemnisation pour [. . .] la discrimination ne devrait surprendre personne. »). [Je souligne; p. 361-362.]
[69] Cette décision est très pertinente, car l’argument des King suivant lequel les recours en dommages-intérêts pour atteinte aux droits de la personne n’étaient pas exclus par la Convention de Varsovie s’apparente à celui avancé par les appelants en l’espèce, à savoir que les recours en dommages-intérêts pour violation des droits linguistiques ne sont pas exclus. Le raisonnement suivi dans l’arrêt King par la cour, qui a conclu que l’exclusion s’applique, étaye la même conclusion en l’espèce.
[70] De même, dans l’affaire Gibbs c. American Airlines, Inc., 191 F.Supp.2d 144 (D.D.C. 2002), M. Gibbs a poursuivi American Airlines en vertu du 42 U.S.C. § 1981, alléguant que le transporteur aérien [traduction] « avait refusé d’exécuter son obligation contractuelle de le transporter [. . .] du fait de sa race » : p. 146-147. Monsieur Gibbs soutenait que le « Congrès ne voulait pas que la Convention [de Varsovie] entrave l’exercice de recours relatifs aux droits de la personne qui reposent sur la Constitution [américaine], tels que les actions fondées sur l’art. 1981 » : p. 148. Le juge Kennedy, de la Cour de district des États-Unis pour le district de Columbia, a toutefois rejeté cet argument et conclu que les « conséquences négatives qui, selon la Cour dans l’arrêt Tseng, découleraient d’une « interprétation de la Convention [de Varsovie] [. . .] qui permettrait aux passagers de se pourvoir en justice en vertu du droit interne, alors que la Convention [de Varsovie] ne permet pas l’indemnisation, ne sont pas moins susceptibles de se produire dans les cas de recours pour discrimination prévus par la loi que dans ceux des recours de common law » : ibid., citant Tseng, p. 171. Comme l’a expliqué le juge Kennedy, « l’objectif premier de la Convention [de Varsovie] est d’empêcher que la responsabilité varie en fonction du droit interne », et que pour cette raison, l’objectif en question « ne fait aucune distinction entre les différents types de droit interne; il ne fait de distinction qu’entre le droit interne et le droit international » : p. 149. Ainsi, « [l]es lois fédérales sur la discrimination appartiennent clairement à la première catégorie » : ibid. En ce qui concerne l’application de la Convention de Varsovie aux recours en matière de droits de la personne, voir également Turturro c. Continental Airlines, 128 F.Supp.2d 170 (S.D.N.Y. 2001), et Brandt c. American Airlines, 2000 WL 288393 (N.D. Cal.).
[71] La jurisprudence des autres pays, y compris une très récente décision de la Cour suprême du Royaume-Uni, appuie également l’opinion selon laquelle l’application de l’exclusion prévue par la Convention de Montréal dépend de la question de savoir si le recours en cause est un recours en dommages-intérêts qui se rapporte aux circonstances envisagées par la Convention de Montréal, et non de la prétendue source de l’obligation de verser de tels dommages-intérêts.
[72] Dans Stott, le demandeur, un passager handicapé qui se déplaçait en fauteuil roulant, réclamait des dommages-intérêts à la suite d’une série de violations, par les organisateurs de voyages Thomas Cook, du Civil Aviation (Access to Air Travel for Disabled Persons and Persons with Reduced Mobility) Regulations 2007, SI 2007/1895, qui mettait en œuvre au Royaume-Uni le Règlement (CE) no 1107/2006 du Parlement européen et du Conseil concernant les droits des personnes handicapées et des personnes à mobilité réduite lorsqu’elles font des voyages aériens. La Cour suprême du Royaume-Uni a toutefois conclu qu’elle ne pouvait accorder aucune réparation pécuniaire, parce que l’action en cause n’entrait pas dans la catégorie des actions en dommages-intérêts autorisées par l’article 17 de la Convention de Montréal :
[traduction] Devrait-on considérer comme une catégorie générale le recours en dommages-intérêts fondé sur des mauvais traitements infligés en contravention des lois sur l’égalité, ou, plus précisément, devrait-on considérer qu’un recours en dommages-intérêts fondé sur l’omission de répondre adéquatement aux besoins d’un passager handicapé dépasse le champ d’application substantiel de la Convention? S’agissant de la question générale, je réponds par la négative pour les motifs exposés par la juge Sotomayor dans l’arrêt King c American Airlines. Je suis d’accord avec elle pour dire que, ce qui compte, ce n’est pas la nature de la cause d’action, mais le moment et le lieu où l’accident ou la mésaventure s’est produit. La Convention est censée traiter exhaustivement de la responsabilité du transporteur à l’égard de tout ce qui peut arriver physiquement au passager entre le moment de l’embarquement et celui du débarquement. La réponse à cette question générale vaut également pour la question plus précise. [par. 61]
[73] Je souscris à cette analyse et rejette l’argument des appelants selon lequel les recours exercés en vertu de la loi pour atteinte à des droits quasi constitutionnels n’entrent pas dans la catégorie d’actions auxquelles s’applique la Convention de Montréal.
[74] Le commissaire affirme cependant que la Convention de Montréal ne s’applique qu’aux recours qui trouvent leur source dans le droit privé et aux recours en dommages-intérêts de droit privé. En ce qui concerne la source de la responsabilité en droit, le commissaire fait valoir que les demandes comme celles présentées par M. et Mme Thibodeau, lesquelles reposent sur un droit reconnu par la loi, ne seraient pas exclues par l’article 29, étant donné qu’elles s’apparentent davantage à une plainte administrative qu’à une procédure de droit privé.
[75] Cet argument est lacunaire en ce que, comme nous l’avons vu, la question pertinente est celle de la nature du recours (c.-à-d. s’il s’agit ou non d’une action en dommages-intérêts liée aux circonstances envisagées par la Convention de Montréal, à quelque titre que ce soit), et non celle du fondement du recours : voir aussi Chassot, p. 179; J. J. Wegter, « The ECJ Decision of 10 January 2006 on the Validity of Regulation 261/2004 : Ignoring the Exclusivity of the Montreal Convention » (2006), 31 Air & Space L. 133, p. 144.
[76] L’argument relatif à la distinction entre les dommages-intérêts de « droit public » et ceux de « droit privé » repose sur la même logique et peut recevoir une réponse semblable. Monsieur et Madame Thibodeau disent réclamer des dommages-intérêts de droit public, étant donné qu’ils cherchent à obtenir réparation pour une atteinte à des droits quasi constitutionnels. Ils fondent en grande partie cet argument sur les observations formulées par notre Cour dans l’arrêt Vancouver (Ville) c. Ward, 2010 CSC 27, [2010] 2 R.C.S. 28, où la Juge en chef a établi une distinction entre l’action en dommages-intérêts de droit public et l’action en dommages-intérêts de droit privé, et souligné qu’il s’agit de réparations distinctes : par. 22.
[77] Cet argument est erroné à deux égards. Tout d’abord, et sous réserve de certaines considérations constitutionnelles, la portée du principe d’exclusivité énoncé dans la Convention de Montréal ne peut être fonction de la définition des dommages-intérêts en droit interne. Comme l’explique Me Chassot, à la p. 177 :
La notion de dommages-intérêts, en tant qu’élément de la définition du domaine de l’exclusivité énoncée à l’art. 29 [de la Convention de Montréal], est de droit uniforme : son interprétation est autonome. [. . .] Pour apprécier le domaine de l’exclusivité, on ne saurait cependant se référer à la notion de dommages-intérêts résultant du droit national, puisque ce serait alors l’ordre juridique interne qui déterminerait la portée de la Convention, ce qui serait manifestement incompatible avec l’objectif poursuivi par l’art. 29 [de la Convention de Montréal]. Dès lors, la notion de dommages-intérêts au sens de l’art. 29 [de la Convention de Montréal], dont le but est de délimiter le domaine de l’exclusivité des règles de responsabilité de la Convention, doit être distinguée de celle du préjudice réparable au titre des art. 17 ss [de la Convention de Montréal]. [Je souligne.]
[78] Ensuite, même si le droit interne était pertinent à ce stade, les dommages-intérêts dont il est question dans l’arrêt Ward étaient réclamés de l’État, alors que, de toute évidence, Air Canada n’est pas l’État, pas plus que son mandataire.
[79] Je conclus que l’argument des appelants selon lequel la Convention de Montréal ne s’applique pas aux dommages-intérêts qu’ils réclament en l’espèce est incompatible non seulement avec le libellé et l’objet de la Convention de Montréal, mais aussi avec le fort courant jurisprudentiel international quant à son interprétation.
b) La Convention de Montréal exclut les dommages-intérêts uniquement pour les « préjudices individuels » et non pour les « préjudices appelant des réparations standardisées »
[80] Les Thibodeau soutiennent en outre que le champ d’application substantiel de la Convention de Montréal ne fait pas obstacle aux recours en dommages-intérêts pour « préjudices appelant des réparations standardisées », et que leurs demandes sont de cette nature. Cet argument repose sur la jurisprudence de la Cour européenne de justice, en particulier l’arrêt International Air Transport Association c. Department for Transport, C-344/04, [2006] E.C.R. I-403 (grande chambre) (« IATA »), qui a été appliqué par la quatrième chambre de la Cour européenne de justice dans Wallentin-Hermann c. Alitalia, C-549/07, [2008] E.C.R. I-11061, par. 32, et Sturgeon c. Condor Flugdienst GmbH, affaires conjointes C-402/07 et C-432/07, [2009] E.C.R. I-10923, par. 65, et confirmé par la grande chambre dans Nelson c. Deutsche Lufthansa AG, affaires conjointes C-581/10 et C-629/10, [2013] 1 C.M.L.R. 42 (p. 1191), par. 46-60. Dans l’affaire IATA, par exemple, la cour devait déterminer si un règlement de la Communauté européenne sur les droits des passagers aériens en cas de retard allait à l’encontre de la Convention de Montréal. Le règlement en question exigeait des compagnies aériennes qu’elles offrent gratuitement aux passagers dont le vol est retardé des rafraîchissements, des repas et l’hébergement à l’hôtel, selon le cas. La cour a conclu qu’un retard dans le transport aérien ouvrait droit à deux types distincts de dommages-intérêts, dont un seul est régi par la Convention de Montréal. Le premier, qui, selon la cour, n’est pas visé par la Convention de Montréal, découle des « préjudices, quasiment identiques pour tous les passagers, dont la réparation peut prendre la forme d’une assistance ou d’une prise en charge, standardisées et immédiates, pour tous les intéressés » : par. 43. De l’avis de la cour, c’est ce type de mesure que prévoyait le règlement. Le deuxième, qui est visé par la Convention de Montréal, découle des « préjudices individuels [. . .] dont la réparation exige une appréciation au cas par cas de l’ampleur des dommages causés » : ibid.
[81] À mon humble avis, cette jurisprudence n’est pas pertinente quant à la question dont nous sommes saisis en l’espèce. Même si nous adoptions la distinction établie par la Cour européenne de justice entre les « préjudices individuels » et les « préjudices appelant des réparations standardisées », cela n’aiderait pas les Thibodeau. Les dommages-intérêts que ces derniers cherchent à obtenir en l’espèce ne sauraient concerner des « préjudices [. . .] dont la réparation peut prendre la forme d’une assistance ou d’une prise en charge, standardisées et immédiates, pour tous les intéressés », comme l’étaient les mesures prescrites par le règlement examiné dans l’affaire IATA. Les dommages-intérêts réclamés par les Thibodeau et accordés par la juge saisie de la demande étaient fonction, du moins en partie, du préjudice causé aux Thibodeau par les manquements particuliers en cause. Les Thibodeau demandaient des dommages-intérêts à titre individuel.
[82] Je signale que la Cour suprême du Royaume-Uni a donné récemment la même interprétation au courant jurisprudentiel découlant de l’arrêt IATA. La cour a conclu qu’un recours en dommages-intérêts pour manquement aux obligations imposées à l’égard des personnes handicapées était un recours en dommages-intérêts fondé sur un préjudice individuel et que, de ce fait, ce courant jurisprudentiel ne permettait pas au demandeur d’échapper à l’interdiction prescrite par la Convention de Montréal : Stott, par. 58. Je suis d’accord et j’appliquerais le même raisonnement en l’espèce.
c) Les demandes des appelants ne relèvent pas du champ d’application temporel des limites prescrites par la Convention de Montréal
[83] Monsieur et Madame Thibodeau soutiennent que, même si leurs demandes relèvent du champ d’application substantiel de la Convention de Montréal, elles dépassent néanmoins son champ d’application temporel pour ce qui est des cas de préjudice personnel. L’article 17 de la Convention de Montréal traite du préjudice personnel subi « à bord de l’aéronef ou au cours de toutes opérations d’embarquement ou de débarquement ». Selon M. et Mme Thibodeau, l’affectation par Air Canada d’agents de bord non bilingues aux vols en cause était une décision prise bien avant la procédure d’embarquement et résultait, comme l’a conclu la juge saisie de la demande, d’un problème systémique touchant l’administration de la compagnie aérienne. En conséquence, font-ils valoir, l’omission de fournir des services en français ne s’est pas produite « à bord de l’aéronef ou au cours de toutes opérations d’embarquement ou de débarquement ».
[84] Cet argument n’est pas fondé et je ne saurais le retenir.
[85] La Cour suprême du Royaume-Uni a rejeté, à juste titre selon moi, un argument semblable dans l’arrêt Stott. Dans cette affaire, l’appelant prétendait qu’il [traduction] « avait une cause d’action complète avant de monter à bord de l’aéronef, compte tenu du mauvais traitement qu’il avait subi auparavant » : par. 60. La cour a conclu à bon droit que, suivant ce raisonnement, « la plupart des accidents ou mésaventures » pouvaient être « imputés à une cause effective antérieure », et qu’une telle interprétation de la Convention de Montréal « aurait pour effet de dénaturer [son] objectif général » : ibid. Les tribunaux doivent plutôt appliquer le principe de l’exclusivité en fonction de l’endroit où se trouvait le passager, ou de ce qu’il faisait, au moment de l’accident ou de l’événement ayant causé directement le préjudice ouvrant droit au recours, et non en fonction d’une quelconque faute antérieure : ibid. Voir également Dempsey, p. 439-441; Shawcross and Beaumont, p. VII-685 à VII-687.
[86] Dans l’affaire qui nous occupe, la situation des Thibodeau relevait clairement du champ d’application temporel de la Convention de Montréal lorsqu’on a porté atteinte à leurs droits linguistiques; ils étaient à bord de l’aéronef à l’occasion des trois atteintes au sujet desquelles la Cour d’appel fédérale a annulé les dommages-intérêts octroyés. Je rejette donc l’argument des Thibodeau fondé sur l’aspect temporel de l’article 17 de la Convention de Montréal.
d) Conclusion
[87] Les demandes soumises à notre Cour tombent nettement sous le coup de l’exclusion établie par la Convention de Montréal.
B. Monsieur et Madame Thibodeau ont-ils néanmoins droit à des dommages-intérêts parce que la LLO entre en conflit avec la Convention de Montréal et que la LLO prévaut?
(1) Introduction
[88] J’ai conclu que, si la Convention de Montréal s’applique, elle fait obstacle aux demandes de dommages-intérêts présentées par les Thibodeau en vertu de la LLO. Les appelants affirment toutefois que, même s’il en est ainsi, la Convention de Montréal entre en conflit avec la LLO et que cette dernière prévaut. Selon eux, le pouvoir que confère le par. 77(4) de la LLO à la Cour fédérale, c’est-à-dire celui d’« accorder la réparation qu’[elle] estime convenable et juste eu égard aux circonstances », est incompatible avec l’exclusion des actions en dommages-intérêts prévue par la Convention de Montréal. La première question qui se pose, par conséquent, est celle de savoir si ces dispositions sont en conflit. À l’instar de la Cour d’appel fédérale, je suis d’avis qu’elles ne le sont pas.
[89] Les tribunaux présument que les lois adoptées par le législateur ne contiennent ni contradiction ni incohérence, et ils ne concluent à l’existence de l’une ou l’autre que si les dispositions en cause sont à ce point incompatibles qu’elles ne peuvent coexister. Même lorsqu’elles se chevauchent, en ce sens où elles traitent des aspects d’une même matière, elles sont interprétées de façon à éviter les conflits chaque fois que cela est possible.
[90] Si nous appliquons ces principes, nous constatons que les dispositions en cause ici ne sont pas en conflit. Elles ont des objets sensiblement différents. Les dispositions réparatrices de la LLO ne peuvent être considérées comme un code exhaustif qui impose l’octroi de dommages-intérêts dans toutes les circonstances et sans égard aux autres lois applicables. De plus, il est facile de concilier le pouvoir d’accorder une réparation « convenable et juste » avec l’exclusion expresse et limitée des dommages-intérêts dans le contexte du transport aérien international. Une réparation n’est pas « convenable et juste » si son octroi contrevient aux obligations internationales qu’impose au Canada la Convention de Montréal.
(2) Qu’est-ce qu’« un conflit »?
[91] Les appelants affirment qu’il y a conflit entre deux lois émanant du même législateur. La Loi sur le transport aérien, qui incorpore la Convention de Montréal, vise à interdire l’octroi de dommages-intérêts, alors que le par. 77(4) de la LLO autorise le tribunal à accorder une réparation « convenable et juste », y compris des dommages-intérêts. Bref, les appelants font valoir que l’exclusion des dommages-intérêts pour le préjudice subi lors d’un vol international entre en conflit avec le pouvoir d’accorder une réparation « convenable et juste ».
[92] Le cadre législatif qui régit cette question n’est pas compliqué. Premièrement, les tribunaux adoptent une interprétation restrictive de ce qui constitue un conflit dans un tel contexte. Deuxièmement, les tribunaux estiment qu’il y a conflit seulement lorsque le conflit, au sens strict du terme, ne peut être évité par l’interprétation. Le chevauchement n’est pas en soi un conflit dans ce contexte, de sorte que, même si les champs d’application de deux dispositions se chevauchent, on présume qu’elles sont censées s’appliquer, pourvu qu’elles puissent le faire sans que cela mène à un résultat absurde. Cette présomption peut être réfutée si l’une des dispositions est censée traiter la matière de façon exhaustive. Troisièmement, ce n’est que si le confit est inévitable que le tribunal doit recourir aux dispositions légales et aux principes d’interprétation permettant de déterminer quelle loi prime l’autre. La présente affaire porte sur les deux premiers principes, que je vais maintenant examiner un peu plus en détail.
[93] Les tribunaux présument que [traduction] « l’ensemble des textes législatifs édictés par une législature ne comporte pas de contradictions ou d’incohérences et que chaque disposition peut être appliquée sans entrer en conflit avec une autre » : R. Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes (5e éd. 2008), p. 325; R. c. Ulybel Enterprises Ltd., 2001 CSC 56, [2001] 2 R.C.S. 867, par. 30. Parfois appelé présomption de cohérence, ce principe repose sur l’idée, conforme au bon sens, que le législateur n’a pas l’intention d’adopter des textes contradictoires : Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), [1992] 1 R.C.S. 3, p. 38. C’est pourquoi les tribunaux définissent de manière très stricte la notion de conflit : P.-A. Côté, avec la collaboration de S. Beaulac et de M. Devinat, Interprétation des lois (4e éd. 2009), p. 405.
[94] Qu’est-ce qui constitue alors un conflit dans ce contexte? Les dispositions en cause doivent être [traduction] « à ce point incompatibles ou contraires qu’elles ne peuvent coexister » : Daniels c. White, [1968] R.C.S. 517, p. 526; Toronto Railway Co. c. Paget (1909), 42 R.C.S. 488, p. 491 et 499; Canadian Westinghouse Co. c. Grant, [1927] R.C.S. 625, p. 630; International Brotherhood of Electrical Workers c. Town of Summerside, [1960] R.C.S. 591, p. 598-599; Renvoi relatif à la Politique réglementaire de radiodiffusion CRTC 2010-167 et l’ordonnance de radiodiffusion CRTC 2010-168, 2012 CSC 68, [2012] 3 R.C.S. 489, par. 41-45. Il faut que l’application de l’une des dispositions « exclue, explicitement ou implicitement, celle de l’autre » : P.-A. Côté, Interprétation des lois (3e éd. 1999), p. 443, repris par la Cour dans Lévis (Ville) c. Fraternité des policiers de Lévis Inc., 2007 CSC 14, [2007] 1 R.C.S. 591, par. 47; voir aussi Côté (4e éd.), p. 406.
[95] Dans l’arrêt Lévis, le juge Bastarache a affirmé qu’« il y a conflit inévitable lorsque deux lois sont directement contradictoires ou que leur application concurrente donnerait lieu à un résultat déraisonnable ou absurde » : par. 47. Ce n’est pas un résultat absurde que d’exclure une réparation en particulier — les dommages-intérêts — dans le contexte particulier du transport aérien international. La question en litige en l’espèce est donc de savoir si les dispositions en cause sont directement contradictoires.
[96] Il y a « contradiction directe » si l’application d’une loi exclut celle de l’autre. Par exemple, dans l’affaire Massicotte c. Boutin, [1969] R.C.S. 818, une loi ne prévoyait la possibilité d’obtenir une prorogation de délai qu’avant l’expiration de ce délai, alors qu’une autre loi prévoyait la possibilité d’obtenir une telle prorogation même après l’expiration du délai. Il y avait donc conflit direct entre les deux lois quant à la recevabilité d’une demande de prorogation de délai présentée après l’expiration du délai en question : p. 820. De même, dans Lévis, une première disposition exigeait la destitution du policier reconnu coupable d’une infraction criminelle, alors qu’une autre disposition permettait au policier de rester en fonction s’il démontrait l’existence de circonstances particulières. Pour reprendre les termes employés par le juge Bastarache, une loi disait « oui » alors que l’autre disait « non » : par. 48-49.
[97] Ce n’est pas la situation à laquelle nous avons affaire en l’espèce. La LLO ne dispose pas que des dommages-intérêts doivent être octroyés dans tous les cas; elle ne fait qu’autoriser les tribunaux à accorder une réparation « convenable et juste ». L’exclusion des dommages-intérêts dans le contexte du transport aérien international n’est donc pas en contradiction directe avec le pouvoir de réparation conféré par la LLO.
[98] La présente affaire n’en est donc pas une de contradiction directe, mais de chevauchement. Les dispositions réparatrices générales et discrétionnaires de la LLO permettent au tribunal d’accorder des dommages-intérêts s’il estime que c’est une réparation convenable et juste eu égard aux circonstances. La Convention de Montréal, en revanche, limite les recours en dommages-intérêts que peuvent intenter les passagers dans le contexte du transport aérien international. Par contre, des dispositions qui se chevauchent ne sont pas nécessairement en conflit. Deux lois ne sont pas en conflit du seul fait que « l’une et l’autre occupent le même champ, traitent de la même matière [ou] s’appliquent au même objet » : Côté (4e éd.), p. 407; Toronto Railway, p. 499. Si les lois qui se chevauchent peuvent toutes deux s’appliquer, on présume qu’elles sont censées s’appliquer, et [traduction] « [i]l ne reste au tribunal qu’à déterminer si la présomption est réfutée par la preuve qu’une des dispositions visait à énoncer de manière exhaustive le droit applicable » : Sullivan, p. 326.
[99] Les tribunaux s’efforcent, dans leur interprétation de dispositions qui se chevauchent, de ne pas conclure qu’elles sont en conflit. Comme l’a dit le juge Bastarache dans l’arrêt Lévis, « une interprétation qui donne lieu à un conflit devrait être évitée dans la mesure du possible » (par. 47). Les tribunaux hésitent donc à juger que des dispositions de portée générale sont censées énoncer de manière exhaustive le droit applicable si cette conclusion a pour effet de créer un conflit plutôt que de l’éviter. Par exemple, si des dispositions qui se chevauchent ont des objets différents ou traitent d’aspects différents, les tribunaux concluront en général à l’absence de conflit entre elles : Sullivan, p. 328. Comme l’explique le professeur Côté, le tribunal doit considérer l’objet de la loi afin de déterminer si, en l’occurrence, l’adoption d’une norme peut s’interpréter comme l’exclusion de toute autre : 4e éd., p. 410-411.
[100] Je m’arrête ici un moment pour dire que les deux lois prétendument en conflit en l’espèce ont des objets sensiblement différents et traitent de matières distinctes. Les dispositions réparatrices de la LLO s’inscrivent dans un régime général d’obligations et de mécanismes visant à préserver et à renforcer l’épanouissement des langues officielles au sein de nos institutions fédérales. Elles ne s’appliquent qu’à une seule compagnie aérienne, Air Canada. La Convention de Montréal, en revanche, fait partie d’un régime uniforme et exclusif, reconnu internationalement, qui vise à encadrer les recours en dommages-intérêts dans le domaine du transport aérien international. Puisque les objets et champs d’application de ces deux régimes sont radicalement différents, nous devrions hésiter à conclure qu’il existe un conflit au sujet de la question précise sur laquelle ils se chevauchent. Il sera utile d’examiner brièvement trois arrêts de la Cour portant sur des dispositions qui se chevauchent afin de voir comment ces principes s’appliquent dans certains cas précis.
(3) La jurisprudence
[101] Dans l’affaire The King c. Williams, [1944] R.C.S. 226, M. Williams s’est vu infliger une amende après avoir été reconnu coupable en vertu de l’Ordonnance sur le contrôle du change étranger, C.P. 7378, prise en application de la Loi des mesures de guerre, S.R.C. 1927, ch. 206, pour avoir tenté d’exporter sans permis une certaine quantité d’or du Canada. Durant la procédure de confiscation de l’or engagée contre lui, il a plaidé que l’exportation d’or était visée par la Loi sur l’exportation de l’or, S.C. 1932, ch. 33, qui n’en prévoyait pas la confiscation. Par conséquent, selon lui, il était impossible de procéder à une confiscation dans les cas d’exportation d’or en contravention de l’Ordonnance sur le contrôle du change étranger. Il a prétendu dans les faits que la Loi sur l’exportation de l’or traitait de manière exhaustive et exclusive des conséquences d’une tentative d’exporter de l’or du Canada. Cette prétention a été rejetée par les juges majoritaires de la Cour. Ce point ressort peut-être le plus clairement des motifs concordants du juge Hudson, à la p. 240 :
[traduction] Il n’y a en l’espèce aucune incompatibilité. Deux mesures ont été prises à des fins différentes et doivent être appliquées par des organes différents de l’État. L’Ordonnance sur le contrôle du change étranger est très exhaustive en ce qu’elle régit tout le domaine de la monnaie, des valeurs mobilières et des marchandises. Je ne crois pas que la Cour pourrait à bon droit y voir une intention d’exclure de la « monnaie » les pièces d’or, et des « marchandises » l’or fin, lequel détermine la valeur nominale de la monnaie et des obligations monétaires. [Je souligne.]
[102] Il y a un parallèle évident entre l’affaire Williams et la présente espèce. Les deux dispositions ont été adoptées à des fins très différentes, comme nous l’avons vu. La Convention de Montréal établit un régime « très complet » qui encadre les recours en dommages-intérêts dans le domaine du transport aérien international. Les dispositions réparatrices de la LLO, en revanche, sont de portée très générale et ne peuvent pas vraiment être considérées comme prescrivant que chaque manquement ouvre droit à des dommages-intérêts. Selon le raisonnement adopté dans l’arrêt Williams, il n’y a aucune [traduction] « incompatibilité » entre les deux dispositions.
[103] Dans Myran c. La Reine, [1976] 2 R.C.S. 137, une convention ayant force de loi assurait aux appelants, des Indiens visés par un traité, des droits de chasse, de piégeage et de pêche pour se nourrir sur toutes les terres inoccupées de la Couronne (et certaines autres terres). Or, une autre loi érigeait en infraction le fait de chasser sans égard à la sécurité d’autrui dans le voisinage. Il ne faisait guère de doute que les appelants avaient chassé sans égard pour la sécurité d’autrui. La question était de savoir si la loi qui créait l’infraction entrait en conflit avec le droit de chasse des appelants. La Cour a conclu par la négative. Il n’y avait aucun « conflit [irréconciliable] » entre les deux dispositions : elles poursuivaient des fins très différentes (p. 142, le juge Dickson). La première visait la protection du gibier pour assurer aux Indiens un approvisionnement continu en nourriture, alors que la seconde portait sur le risque de mort ou de blessure grave qui se pose lorsque les chasseurs ne se soucient pas de la sécurité d’autrui. L’obligation de chasser sans risquer de causer la mort ou des blessures graves ne portait pas atteinte au droit de chasse : ibid. Il s’agissait d’une affaire où la Cour a conclu que les termes généraux confirmant le droit de chasse ne pouvaient être considérés comme énonçant de manière exhaustive et exclusive les règles régissant l’exercice de ce droit.
[104] Il existe là encore un parallèle évident entre l’affaire Myran et la présente affaire. Les deux régimes en cause ont des objets différents et le droit général à une réparation « convenable et juste » n’est pas incompatible avec la limite imposée à l’exercice de recours en dommages-intérêts pour les préjudices subis à l’occasion de transports aériens internationaux.
[105] Dans le troisième arrêt, Perron-Malenfant c. Malenfant (Syndic de), [1999] 3 R.C.S. 375, la Cour est parvenue à la conclusion contraire. L’analyse ayant mené à cette conclusion est instructive.
[106] Sans trop entrer dans les détails, dans Perron-Malenfant la Cour devait déterminer si l’un des biens du failli avait été dévolu au syndic au moment de la faillite. Plus précisément, il s’agissait de savoir si la valeur de rachat d’une police d’assurance-vie pouvait être saisie par le syndic au moment de la faillite de la preneuse. Certaines dispositions législatives provinciales ayant été incorporées dans la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, L.R.C. 1985, ch. B-3, la réponse à cette question dépendait de l’interprétation donnée à certaines dispositions du Code civil du Bas-Canada. Si deux articles (art. 2552 et 2554) énonçaient exhaustivement les exceptions applicables, la valeur de rachat serait saisissable. Toutefois, suivant la jurisprudence relative à un autre article (art. 1031), s’il s’appliquait (ce que la Cour a présumé sans le décider), la valeur de rachat était insaisissable. En somme, il s’agissait de décider si les deux articles, qui ne permettaient pas l’insaisissabilité de la valeur de rachat dans cette affaire, étaient censés constituer un énoncé exhaustif des cas d’insaisissabilité de l’assurance-vie.
[107] Pour répondre à cette question, la Cour a examiné l’historique et l’évolution des dispositions en cause, de leur libellé et de leur objet. Cet examen a révélé que les art. 2552 et 2554 faisaient partie d’un ensemble complet de règles législatives régissant tous les aspects du droit des assurances qui avaient créé « un code des assurances à l’intérieur même du Code civil » : par. 36-37. La Cour s’est ensuite penchée sur le texte et l’objet des dispositions, concluant que le législateur « doit avoir envisagé l’ensemble des éléments du contrat d’assurance-vie, y compris le droit à la valeur de rachat du contrat » : par. 39. Ne pas juger exhaustives les dispositions « les dépouille en grande partie de leur portée » : par. 41. La Cour a également ancré son analyse textuelle dans le contexte global de la refonte du droit des assurances dont ces articles ont fait partie. Cela l’a amené à conclure que les articles en question témoignaient d’un « équilibre soigneusement établi entre les considérations pertinentes » : par. 50. Tenant compte de tous ces éléments, la Cour a conclu que les art. 2552 et 2554 se voulaient un ensemble complet et exclusif de règles régissant la saisissabilité des droits conférés par des contrats d’assurance-vie :
. . . il est contraire au bon sens de présumer que, dans ses dispositions relatives à l’insaisissabilité, le législateur a voulu demeurer silencieux au sujet de l’élément le plus précieux d’une police d’assurance-vie pour les créanciers — sa valeur de rachat. Au contraire, compte tenu de la politique du législateur de rendre les droits conférés par des contrats d’assurance plus accessibles aux créanciers en tant que partie de la garantie offerte par le preneur, il est plus raisonnable de conclure que la valeur de rachat du contrat d’assurance était bien dans les visées du législateur quand il a décidé, aux art. 2552 et 2554, quelles polices étaient insaisissables et lesquelles étaient saisissables. [par. 52]
[108] Pour paraphraser les propos tenus par la Cour dans l’arrêt Perron-Malenfant, la question à trancher en l’espèce est de savoir s’il est contraire au bon sens de présumer qu’en permettant au tribunal d’accorder une réparation « convenable et juste » en cas de violation de la LLO, le législateur a voulu qu’il soit libre de rendre une ordonnance qui contrevient aux obligations du Canada issues de traités internationaux. En d’autres termes, est-il logique que le législateur ait voulu qu’une ordonnance judiciaire contrevenant aux obligations internationales du Canada constitue une réparation « convenable et juste »? Les appelants souhaiteraient que nous répondions « oui » à ces deux questions.
(4) Application
[109] En gardant ces principes à l’esprit, je reviens à la question de savoir s’il y a conflit entre le pouvoir discrétionnaire général de réparation prévu au par. 77(4) de la LLO et la limite expresse imposée à ce pouvoir par l’effet de l’article 29 de la Convention de Montréal.
[110] Ces dispositions possèdent toutes les caractéristiques des dispositions dont on a déjà conclu qu’elles n’étaient pas en conflit. Elles ont été adoptées à des fins sensiblement différentes. Il est facile de les interpréter de façon à ce qu’elles puissent coexister sans donner lieu à un résultat absurde : une réparation « convenable et juste » ne doit pas contrevenir aux obligations internationales du Canada. La seule véritable question est de savoir si la prétendue présomption de chevauchement est réfutée pour le motif que le par. 77(4) de la LLO serait un énoncé exhaustif et exclusif du pouvoir de réparation du tribunal et qu’en conséquence il serait toujours possible pour ce dernier d’octroyer des dommages-intérêts en cas de contravention à cette loi. À mon humble avis, cette position est intenable.
[111] Les appelants affirment que le statut quasi constitutionnel de la LLO empêche d’interpréter harmonieusement son par. 77(4) et l’article 29 de la Convention de Montréal : mémoire du commissaire, par. 90-95. Suivant cet argument, considérer que le par. 77(4) ne permet pas d’accorder des dommages-intérêts dans le contexte du transport aérien international irait à l’encontre du statut quasi constitutionnel de la LLO et, par conséquent, de l’intention du législateur. Avec égards, je ne peux pas accepter cette prétention.
[112] Le paragraphe 77(4) de la LLO s’inscrit assurément dans un régime législatif quasi constitutionnel visant à refléter et à actualiser l’égalité de statut du français et de l’anglais en tant que langues officielles du Canada, de même que les « droits et privilèges égaux quant à leur usage dans les institutions du Parlement et du gouvernement du Canada », ainsi qu’il est déclaré au par. 16(1) de la Charte : voir, p. ex., R. c. Beaulac, [1999] 1 R.C.S. 768; Lavigne, par. 23. À l’instar du par. 24(1) de la Charte, le par. 77(4) de la LLO confère un vaste pouvoir de réparation et devrait recevoir une interprétation généreuse afin que se réalise son objet. Ces facteurs ne modifient cependant en rien la bonne méthode d’interprétation des lois, selon laquelle il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’économie de la loi, son objet et l’intention du législateur : Lavigne, par. 25, citant E. A. Driedger, Construction of Statutes (2e éd. 1983), p. 87. À mon sens, il ressort de la LLO, lue dans son contexte global, que le législateur ne voulait pas empêcher que le par. 77(4) soit interprété harmonieusement avec les obligations internationales du Canada mises en œuvre par une autre loi fédérale.
[113] Il est peu probable que le législateur ait voulu, au moyen du libellé général du par. 77(4), faire en sorte que cette disposition soit considérée comme un énoncé exclusif et exhaustif du pouvoir de réparation conféré à la Cour fédérale par la LLO qui écarte l’ensemble des autres lois et principes juridiques. Les appelants prétendent en fait que le législateur voulait, au moyen du par. 77(4), permettre aux tribunaux d’accorder des dommages-intérêts, même si l’octroi d’une réparation de cette nature contrevient aux engagements internationaux du Canada incorporés dans une loi fédérale. Cette prétention va à l’encontre du principe d’interprétation selon lequel le législateur est réputé ne pas vouloir légiférer en contravention des obligations du Canada ressortissant au droit international : voir, p. ex., Daniels, p. 541; Zingre c. La Reine, [1981] 2 R.C.S. 392, p. 409-410; Succession Ordon c. Grail, [1998] 3 R.C.S. 437, par. 128-131; Sullivan, p. 539-542.
[114] Il m’est impossible de déceler une telle intention dans le libellé général du par. 77(4). Cette disposition devrait plutôt être vue comme ayant été incorporée dans un cadre juridique déjà établi, composé de limites législatives, d’exigences procédurales et de principes juridiques généraux — y compris les engagements internationaux du Canada incorporés dans un texte législatif canadien — qui aident le tribunal à décider quelle réparation est « convenable et juste ».
[115] Qui plus est, un examen de l’historique de cette disposition ne démontre pas que le législateur entendait autoriser l’octroi de dommages-intérêts en violation des engagements internationaux du Canada. Il ressort du dossier législatif que, durant les débats parlementaires sur la portée de l’art. 77 de la LLO qui ont eu lieu à l’époque de son adoption, les députés se sont attardés non pas sur les réparations précises pouvant être accordées en vertu de cette disposition, mais plutôt sur la mesure dans laquelle celle-ci permettait aux tribunaux, au moyen de réparations, de faire respecter certaines parties de la nouvelle LLO, à la différence de la disposition à caractère purement déclaratoire qui l’a précédée : voir Débats de la Chambre des communes, vol. X, 2e sess., 33e lég., 8 février 1988, p. 12706, 12712, 12715 et 12737 (l’hon. Ray Hnatyshyn, ministre de la Justice et procureur général du Canada, M. Jean-Robert Gauthier, Mme Marion Dewar, l’hon. Warren Allmand); Débats de la Chambre des communes, vol. XIV, 2e sess., 33e lég., 7 juillet 1988, p. 17224 (l’hon. Ray Hnatyshyn, ministre de la Justice et procureur général du Canada). Si, lors des débats, on a estimé que des dommages-intérêts pouvaient constituer une réparation « convenable et juste » dans certains cas, c’est le fait ce ces termes possédaient un caractère non limitatif et qu’ils laissaient aux tribunaux le soin de déterminer ce qu’était une « réparation [. . .] convenable et juste » eu égard aux circonstances qui est ressorti de ces discussions : Débats du Sénat, vol. IV, 2e sess., 33e lég., 27 juillet 1988, p. 4135-4136. Rien dans ces débats ne permet de croire que ce pouvoir devait l’emporter sur les autres limites imposées au pouvoir du tribunal d’accorder des dommages-intérêts.
[116] Nous ne sommes pas en présence d’un cas, comme celui dont était saisie la Cour dans l’affaire Perron-Malenfant, où le fait de permettre l’application des deux dispositions en cause dépouille en grande partie de leur portée les dispositions réparatrices de la loi. Personne ne prétend que les pouvoirs du commissaire, y compris celui d’exercer un recours devant la Cour fédérale en vertu de l’art. 78 de la LLO, sont incompatibles avec la limite des dommages-intérêts prévue par la Convention de Montréal. Les dommages-intérêts sont loin d’être la seule réparation pouvant être accordée en vertu du par. 77(4) et la limite imposée à leur octroi par l’article 29 de la Convention de Montréal ne s’applique qu’aux réclamations présentées par des passagers par suite d’un transport aérien international. Je rejette donc l’argument selon lequel l’interprétation que je propose de donner à la Convention de Montréal réduit d’une quelconque manière au silence les droits linguistiques.
[117] En somme, rien en l’espèce ne laisse croire à l’existence d’un conflit entre ces deux dispositions, au sens étroit et strict qu’a ce mot dans le présent contexte, et rien dans le texte, l’économie ou l’objet de la LLO ne permet de conclure que la disposition brève, générale et hautement discrétionnaire contenue au par. 77(4) devait permettre aux tribunaux de prononcer des ordonnances en contravention des engagements internationaux du Canada incorporés au droit fédéral.
[118] Je conclus qu’il n’existe aucun conflit entre ces dispositions et que, au moment de concevoir une réparation convenable et juste au sens de la LLO dans une affaire de transport aérien international, la Cour fédérale doit appliquer la limite relative aux dommages-intérêts prévue à l’article 29 de la Convention de Montréal. À la lumière de cette conclusion, je n’ai pas à décider quelle disposition prévaudrait en cas de conflit.
C. La Cour d’appel fédérale a-t-elle commis une erreur en faisant droit à l’appel de l’ordonnance structurelle?
(1) Introduction
[119] Les Thibodeau ont sollicité une ordonnance structurelle enjoignant à Air Canada de prendre toutes les mesures nécessaires pour se conformer à ses obligations d’offrir des services en français, notamment : s’assurer d’avoir la capacité bilingue requise pour offrir sur les vols des services en français lorsqu’un nombre suffisant de personnes les demandent; offrir d’emblée et activement des services en français, entre autres par signalisation, avis ou documentation sur les services ou en entrant en communication avec le public; instaurer des procédures et un système de surveillance adéquats permettant de rapidement relever, documenter et quantifier d’éventuelles violations des droits linguistiques; faire en sorte que les droits linguistiques l’emportent sur tout accord et toute convention collective signés par la compagnie aérienne.
[120] La juge saisie de la demande a conclu qu’« Air Canada et Jazz font des efforts non négligeables et investissent des sommes importantes pour respecter leurs obligations en matière de droits linguistiques » : par. 145. Elle a cependant statué que « tout n’est pas parfait et qu’il y a encore du chemin à faire » : par. 146. Elle a fait remarquer que des améliorations importantes avaient été apportées à la suite des plaintes déposées par les Thibodeau, mais s’est dite surprise de constater qu’Air Canada ne dispose d’aucun système de suivi lui permettant de déterminer le nombre de fois où aucun agent de bord bilingue n’est affecté à un vol pour lequel il y a une demande importante de services en français : par. 151. Elle a conclu à l’existence d’un « problème de nature systémique » au sein d’Air Canada :
. . . bien qu’Air Canada fasse des efforts pour satisfaire à ses obligations linguistiques, les problèmes persistent et Air Canada (et Jazz) n’a pas complètement développé le réflexe de mettre en œuvre, de façon proactive, tous les outils et les processus requis pour respecter ses obligations, pour mesurer sa performance réelle en matière de services en français et pour se fixer des objectifs d’amélioration. Ce constat, ajouté à la reconnaissance par Jazz quant aux difficultés qu’elle éprouve encore à respecter l’ensemble de ses obligations linguistiques, m’amène à conclure qu’il existe un problème de nature systémique au sein d’Air Canada. [par. 153]
[121] La juge saisie de la demande a conclu, à la lumière de ces constatations, qu’il était « convenable et juste d’imposer à Air Canada de faire tous les efforts nécessaires pour respecter l’ensemble des obligations qui lui incombent en vertu de la partie IV de la LLO et de veiller à mettre en place un processus de suivi qui lui permettra d’identifier et de documenter les occasions où [elle] n’affecte pas le personnel bilingue requis à bord des vols à demande importante de services en français » : par. 154. Elle a donc ordonné à Air Canada
• de faire tous les efforts nécessaires pour respecter l’ensemble des obligations qui lui incombent en vertu de la partie IV de la Loi sur les langues officielles;
• d’instaurer, dans les six mois suivant le présent jugement, des procédures et un système de surveillance adéquats visant à rapidement identifier, documenter et quantifier d’éventuelles violations à ses obligations linguistiques, [. . .] notamment en instituant un processus permettant d’identifier et de documenter les occasions où Jazz n’affecte pas des agents de bord en mesure d’assurer des services en français à bord des vols à demande importante de services en français; [motifs de la juge saisie de la demande, p. 153]
[122] La Cour d’appel fédérale a annulé cette ordonnance. Selon elle, la partie de l’ordonnance qui enjoignait à Air Canada de « faire tous les efforts nécessaires pour respecter l’ensemble des obligations » que lui impose la partie IV de la LLO était simplement une ordonnance générale de respecter la loi, une ordonnance ne devant normalement être accordée que dans des circonstances exceptionnelles, qui n’étaient pas présentes en l’espèce : par. 55-60. Quant à l’autre aspect de l’ordonnance, la Cour d’appel a conclu qu’il n’était pas étayé par la preuve et qu’il n’était pas non plus suffisamment précis : par. 63. Comme l’a dit la juge Trudel au nom de la Cour d’appel :
Le libellé imprécis de l’ordonnance me porte, encore une fois, à prévoir que sa mise en œuvre sera problématique pour l’appelante et pour tout tribunal appelé à intervenir en cas de différend futur. Rien au dossier ne révèle ce qu’est un système de surveillance adéquat et rapide. L’usage du mot « notamment » démontre que l’affectation d’agents de bord bilingues par Jazz ne constitue qu’un des éléments qui appellent l’intervention de l’appelante. Quels sont les autres? L’ordonnance, en englobant les obligations énoncées à la partie IV de la LLO, affecte non seulement les services en vol, mais les services offerts aux différents comptoirs de vente et d’enregistrement de bagages, les centres d’appel, etc. La portée de l’ordonnance va beaucoup plus loin que ce qui est nécessaire pour remédier à la violation des droits linguistiques subie par les Thibodeau. [par. 76]
[123] Le commissaire fait valoir que la Cour d’appel fédérale a outrepassé le rôle de tribunal d’appel qui lui revient en appréciant de nouveau la preuve et, par le fait même, en ne faisant pas preuve, à ce titre, de la déférence qui s’impose à l’égard des conclusions tirées en première instance. J’estime toutefois que l’ordonnance a été annulée avec raison.
[124] La première partie de l’ordonnance exigeait simplement d’Air Canada qu’elle se conforme à la loi. Or, ce type d’ordonnance ne doit être rendu que dans des circonstances exceptionnelles, qui ne sont pas présentes en l’espèce. Les appelants n’ont pas tenté de défendre cette partie de l’ordonnance prononcée par la juge saisie de la demande, et, pour les motifs exposés par la Cour d’appel fédérale sur ce point, j’estime que la juge de première instance a eu tort de la rendre.
[125] Quant au deuxième aspect de l’ordonnance — celui enjoignant à Air Canada d’instaurer un système de surveillance — c’est également à bon droit qu’il a été infirmé. À mon avis, l’ordonnance est trop imprécise, elle risque de donner lieu à d’incessantes procédures et mesures de supervision judiciaire visant à déterminer si elle est respectée, et, enfin, elle est inappropriée, surtout au vu des pouvoirs conférés par la loi au commissaire et de son expertise en matière de surveillance du respect de la LLO.
(2) Principes juridiques
[126] Les ordonnances structurelles jouent un rôle important, mais limité, dans l’exercice des droits par voie judiciaire : Doucet-Boudreau c. Nouvelle-Écosse (Ministre de l’Éducation), 2003 CSC 62, [2003] 3 R.C.S. 3, par. 56. Les ordonnances de cette nature doivent faire l’objet d’une attention particulière en raison de deux problèmes potentiels connexes : le premier étant un manque de clarté, lequel, à son tour, peut en occasionner un deuxième, soit la nécessité d’une supervision judiciaire continue — la supervision continue étant en soi une tâche que les tribunaux n’exercent qu’exceptionnellement.
[127] S’agissant de la clarté, nous devons garder à l’esprit que la sanction ultime à laquelle s’expose quiconque ne respecte pas une ordonnance de cette nature est une condamnation pour outrage au tribunal et l’infliction conséquente d’une amende ou d’une peine d’emprisonnement. L’ordonnance doit être suffisamment claire pour donner aux parties tenues de la respecter des indications convenables sur ce qu’il leur faut accomplir pour s’y conformer, et pour éviter une ronde potentiellement interminable de nouvelles demandes visant à déterminer si elles s’y sont conformées. Comme l’a expliqué la Cour dans l’arrêt Pro Swing Inc. c. Elta Golf Inc., 2006 CSC 52, [2006] 2 R.C.S. 612, par. 24 :
Son libellé doit être clair et spécifique. L’intéressé doit savoir exactement ce qu’il lui faut accomplir pour s’y conformer [. . .] Alors que l’exigence de la spécificité est justifiée par la possibilité d’une requête pour outrage au tribunal en cas de non-exécution, la supervision judiciaire entraîne souvent de nouvelles instances et l’affectation de ressources judiciaires.
[128] La supervision judiciaire continue sera parfois de mise, comme l’illustre l’arrêt Doucet-Boudreau. Or, en l’absence de circonstances impérieuses, les tribunaux devraient en général s’abstenir de prononcer des ordonnances qui susciteront presque inévitablement de perpétuelles procédures sur la question de savoir si elles sont respectées. C’est particulièrement vrai en l’espèce, compte tenu des pouvoirs légaux du commissaire et de son expertise pour ce qui est de cerner les problèmes en matière de respect de la LLO, et de vérifier si des progrès suffisants sont réalisés dans la mise en œuvre des mesures visant à y remédier : art. 49 à 75.
(3) Application
[129] À la lumière de ces principes, j’estime que la Cour fédérale a commis une erreur en prononçant l’ordonnance structurelle en l’espèce. Je me concentrerai sur ses dispositions qui traitent de la surveillance, étant donné que les appelants n’ont tenté avec conviction de défendre la première partie de l’ordonnance où la juge enjoint simplement à Air Canada de se conformer à la LLO.
[130] De prime abord, les dispositions de l’ordonnance qui traitent de la surveillance soulèvent un certain nombre de questions quant à son étendue et à ses limites. Pour se conformer à l’ordonnance, il faut savoir ce qu’est un système de surveillance « adéqua[t] ». Des inspections périodiques seraient-elles suffisantes ou le système de surveillance doit-il permettre de documenter la moindre violation « éventuelle »? Avec quelle « rapid[ité] » l’intéressée doit-elle déceler les « éventuelles violations »? D’ailleurs, qu’est-ce qu’une violation « éventuell[e] »? Ces questions plutôt évidentes, que suscite un examen de l’ordonnance et auxquelles ni celle-ci ni le dossier ne répondent, font ressortir son manque de précision. Bien que la juge saisie de la demande semble avoir voulu mettre l’accent sur l’affectation d’agents de bord capables d’assurer des services en français sur les vols pour lesquels il y a une demande importante de services dans cette langue, son ordonnance va beaucoup plus loin, comme l’a fait observer la Cour d’appel fédérale.
[131] À ces difficultés s’ajoute le fait que le commissaire dispose à la fois des pouvoirs légaux et de l’expertise institutionnelle nécessaires pour contrôler le respect de la LLO et la prise de mesures d’amélioration. Ainsi, la supervision judiciaire continue ne devrait, en général, s’exercer à l’égard de ce régime législatif que dans des circonstances véritablement impérieuses, qui ne sont pas présentes en l’espèce.
[132] À l’instar de la Cour d’appel fédérale, j’estime que l’ordonnance structurelle n’aurait pas dû être prononcée. Le jugement déclaratoire, les excuses et les dépens afférents à la demande constituaient une réparation convenable et juste en l’espèce.
IV. Dispositif
[133] Je suis d’avis de rejeter les pourvois. L’intimée n’ayant pas demandé les dépens, je n’en adjugerais aucuns.
Version française des motifs des juges Abella et Wagner rendus par
[134] La juge Abella (dissidente) — Le droit international est en constante évolution. Les tribunaux des démocraties libérales se butent de plus en plus aux conséquences dans leur pays de l’application du droit international des droits de la personne. Dans la plupart de ces cas, il s’agit d’interpréter les règles nationales à la lumière de la protection plus étendue accordée par le droit international aux droits de la personne. En l’espèce, nous sommes en présence du scénario opposé : comment faut-il interpréter un traité international qui est peut-être en conflit avec la protection plus étendue des droits fondamentaux en droit national?
[135] Air Canada a manqué à son devoir de fournir des services en français à Michel et à Lynda Thibodeau sur trois vols entre le Canada et les États-Unis. Les Thibodeau ont réclamé devant la Cour fédérale des dommages-intérêts ainsi qu’une ordonnance dite « structurelle » pour faire réparer les violations prétendument systémiques, par Air Canada, de ses obligations en matière de bilinguisme. Air Canada a reconnu qu’elle est assujettie à la Loi sur les langues officielles, L.R.C. 1985, ch. 31 (4e suppl.), mais a prétendu que les limites de la responsabilité des transporteurs prévues dans la Convention pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international, signée à Montréal, reproduite à l’annexe VI de la Loi sur le transport aérien, L.R.C. 1985, ch. C-26 (la Convention de Montréal ou Convention), rendent irrecevables les demandes de dommages-intérêts des Thibodeau.
[136] Il n’est pas contesté qu’Air Canada a manqué aux obligations que lui impose l’art. 22 de la Loi sur les langues officielles en omettant de fournir des services et des annonces en français. Il reste à décider si la Convention de Montréal empêche les Thibodeau d’obtenir des dommages-intérêts d’Air Canada pour ces manquements.
[137] Soit dit en tout respect, la Convention de Montréal ne prévoit ni n’exclut le type de dommages-intérêts en litige dans les présents appels. Je suis donc d’avis d’accueillir les pourvois.
Analyse
[138] Les présents pourvois portent, de façon générale, sur la portée des dispositions en matière de responsabilité de la Convention de Montréal. Ils portent tout particulièrement sur l’article 29, qui se trouve au chapitre III de la Convention, intitulé « Responsabilité du transporteur et étendue de l’indemnisation du préjudice ». L’article 29 est rédigé ainsi :
Article 29 — Principe des recours
Dans le transport de passagers, de bagages et de marchandises, toute action en dommages-intérêts, à quelque titre que ce soit, en vertu de la présente convention, en raison d’un contrat ou d’un acte illicite ou pour toute autre cause, ne peut être exercée que dans les conditions et limites de responsabilité prévues par la présente convention, sans préjudice de la détermination des personnes qui ont le droit d’agir et de leurs droits respectifs. Dans toute action de ce genre, on ne pourra pas obtenir de dommages-intérêts punitifs ou exemplaires ni de dommages à un titre autre que la réparation.
[139] L’interprétation de cette disposition nous amène à l’article 31 de la Convention de Vienne sur le droit des traités, R.T. Can. 1980 no 37, selon lequel un traité doit être interprété « de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but » (entrée en vigueur le 27 janvier 1980).
[140] L’interprétation d’un traité est un exercice de discernement. Une réponse claire et sans équivoque se dégage rarement avec certitude du sens littéral des mots. Il faut donc saisir l’intention des États parties en examinant de bonne foi non seulement les mots en cause, mais aussi le contexte, l’historique, l’objet et le but du traité dans son ensemble. Soit dit en tout respect, cet exercice mène à la conclusion que l’article 29 de la Convention de Montréal ne régit pas à titre exclusif tous les dommages dont les transporteurs peuvent être tenus responsables pendant le transport aérien international.
[141] Les premiers mots de l’article 29 limitent son champ d’application en déclarant que toute action en dommages-intérêts « [d]ans le transport de passagers, de bagages et de marchandises » doit être exercée dans les conditions prévues par la Convention. Je conviens que les mots qui suivent immédiatement — « à quelque titre que ce soit, en vertu de la présente convention, en raison d’un contrat ou d’un acte illicite ou pour toute autre cause » — sont, si on les considère isolément, d’application large. Je n’estime toutefois pas que c’est une disposition indépendante et déterminante. Je la considère plutôt comme une disposition dont le sens dépend des mots introductifs qui la précèdent. Ainsi, le mot « action » renvoie uniquement à une action en dommages-intérêts « [d]ans le transport de passagers, de bagages et de marchandises ».
[142] Par conséquent, seule l’action pour un préjudice subi « [d]ans le transport de passagers, de bagages et de marchandises » doit être exercée « dans les conditions et limites de responsabilité prévues » par la Convention, que l’action soit exercée en raison d’un contrat ou d’un acte illicite, de la Convention ou pour toute autre cause. Aucune autre action en dommages-intérêts ne relève de l’article 29.
[143] Alors, que signifie une action en dommages-intérêts « [d]ans le transport de passagers, de bagages et de marchandises »? Pour nous aider à interpréter ces termes, nous faisons appel à d’autres dispositions de la Convention, et plus particulièrement au chapitre III où figure l’article 29.
[144] Le chapitre III énonce la responsabilité limitée des transporteurs dans le transport des passagers, des bagages et des marchandises. Le paragraphe 17(1) établit les conditions de responsabilité en cas de « mort ou de lésion subie par le passager ». Les paragraphes 17(2), (3) et (4) établissent les conditions de responsabilité en cas de « dommage causé aux bagages ». L’article 18 établit les conditions de responsabilité en cas de « dommage causé à la marchandise ». L’article 19 établit les conditions de responsabilité en cas « d[e] dommage résultant d’un retard dans le transport aérien de passagers, de bagages ou de marchandises ». Les dispositions subséquentes établissent les limites de l’indemnisation pour ces types de dommages. L’article 21 établit les règles d’« indemnisation en cas de mort ou de lésion subie par le passager » et l’article 22 énonce les « limites de responsabilité relatives aux retards, aux bagages et aux marchandises ».
[145] L’article 19 reprend en fait la partie introductive de l’article 29 (« [d]ans le transport de passagers, de bagages et de marchandises ») et les autres dispositions portent sur les mêmes objets : la mort ou une lésion corporelle subie par un passager, la destruction, la perte ou l’avarie de bagages, la destruction, la perte ou l’avarie de la marchandise, et le retard dans le transport de personnes, de bagages ou de marchandises. Le reste de l’article 29 (« toute action en dommages-intérêts, à quelque titre que ce soit [. . .] ne peut être exercée que dans les conditions et limites de responsabilité prévues par la présente convention ») ne fait que confirmer que le Traité régit à titre exclusif les actions en dommages-intérêts exercées à l’égard de ces objets.
[146] Cette interprétation trouve un appui considérable dans le lien entre l’article 29 de la Convention de Montréal et la disposition qui l’a précédé, l’article 24 de la Convention pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international, signée à Varsovie le 12 octobre 1929, modifiée à La Haye en 1955, telle qu’elle est reproduite à l’annexe I de la Loi sur le transport aérien (la Convention de Varsovie). L’article 24 dispose :
Article 24
(1) Dans les cas prévus aux articles 18 et 19 toute action en responsabilité, à quelque titre que ce soit, ne peut être exercée que dans les conditions et limites prévues par la présente Convention.
(2) Dans les cas prévus à l’article 17, s’appliquent également les dispositions de l’alinéa précédent, sans préjudice de la détermination des personnes qui ont le droit d’agir et de leurs droits respectifs.
[147] L’article 24 de la Convention de Varsovie limite clairement la portée du membre de phrase « toute action en responsabilité, à quelque titre que ce soit » aux « cas prévus aux » articles 17, 18 et 19. Ces articles énoncent les conditions de responsabilité en cas de lésion corporelle subie par un voyageur, d’avarie de bagages ou de marchandises et de dommage résultant d’un retard. Le libellé de ces dispositions de la Convention de Varsovie est presque identique à celui des articles 17, 18 et 19 de la Convention de Montréal.
[148] De fait, la seule véritable différence entre le libellé de l’article 24 de la Convention de Varsovie et celui de l’article 29 de la Convention de Montréal est que les mots de l’article 24 précisant que les actions en dommages-intérêts se rapportent aux cas visés par les articles 17, 18 et 19 ne se retrouvent pas à l’article 29. Cette différence ne me semble pas particulièrement significative, et ce pour deux raisons.
[149] Premièrement, la Cour suprême des États-Unis a examiné cette différence de formulation dans l’arrêt El Al Israel Airlines, Ltd. c. Tsui Yuan Tseng, 525 U.S. 155 (1999). S’exprimant au nom de huit juges de la cour, la juge Ginsburg a conclu que le remplacement des mots « [d]ans les cas prévus aux » par les mots « [d]ans le transport de passagers et de bagages » [traduction] « ne fait que clarifier » plutôt que modifier la portée du caractère exclusif de la disposition (p. 175).
[150] Deuxièmement, considérer que ce changement de formulation témoigne de l’intention d’étendre la protection accordée aux transporteurs aériens au-delà des actions visées par les articles 17, 18 et 19 contredit la réalité historique, à savoir que la Convention de Montréal était l’aboutissement d’efforts déployés pendant plusieurs décennies en vue d’accroître la protection des consommateurs et non pas de la limiter.
[151] La Convention de Varsovie qui l’a précédée a vu le jour en 1929 pour aider l’industrie naissante du transport aérien à prendre son envol. À l’époque, la technologie de l’aviation en était à ses débuts. Les accidents étaient monnaie courante, et de nombreux pilotes et passagers y ont été blessés ou y ont trouvé la mort. La fréquence relative des accidents exposait les transporteurs à des pertes imprévisibles et coûteuses, si bien qu’il était difficile d’obtenir des capitaux d’investissement ou une couverture d’assurance (Paul Stephen Dempsey, Aviation Liability Law (2e éd. 2013), p. 309-310).
[152] Les transporteurs aériens ont réagi en obligeant les passagers à signer des renonciations déchargeant les transporteurs de toute responsabilité en cas de préjudice. Lorsqu’un accident se produisait, les passagers en question ne pouvaient obtenir réparation pour les blessures ou les pertes qu’ils subissaient.
[153] La Convention de Varsovie se voulait une tentative de protéger à la fois les transporteurs aériens et les passagers. Les transporteurs bénéficieraient de l’instauration d’un régime uniforme de responsabilité limitée qui les mettait à l’abri des risques financiers et de l’incertitude engendrée par les accidents, tandis que les passagers profiteraient de la possibilité d’obtenir une indemnité limitée au montant fixé d’avance en cas de décès ou de lésions — environ 8 300 $US par passager — et de l’interdiction pour les transporteurs d’obliger les passagers à les décharger de toute responsabilité (Paul Stephen Dempsey et Michael Milde, International Air Carrier Liability : The Montreal Convention of 1999 (2005), p. 15-16 et 50-51; John E. J. Clare, « Evaluation of Proposals to Increase the “Warsaw Convention” Limit of Passenger Liability » (1949), 16 J. Air L. & Com. 53). La Convention de Varsovie visait donc [traduction] « à concilier ou à équilibrer les intérêts des passagers qui demandent à être indemnisés des préjudices qu’ils pourraient subir et les intérêts des transporteurs aériens qui cherchent à limiter leur responsabilité éventuelle » (Tseng, p. 170).
[154] À mesure que s’améliorait la sécurité dans l’aviation civile, les gouvernements ont délaissé la protection de la viabilité financière des transporteurs aériens pour se pencher sur l’instauration d’un régime juridique plus favorable aux passagers. L’accent était désormais mis sur l’augmentation des limites exceptionnellement faibles de la responsabilité des transporteurs aériens établies dans la Convention de Varsovie (Dempsey, p. 315-316).
[155] Les États ont subséquemment adhéré à diverses initiatives internationales visant à accroître la responsabilité des transporteurs. Par exemple, le Protocole de La Haye de 1955 a doublé les limites de responsabilité en cas de décès ou de lésion corporelle subie par un passager, en les fixant à environ 16 600 $US (Protocole portant modification de la Convention pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international, fait à La Haye le 28 septembre 1955, 478 R.T.N.U. 371, reproduit à l’annexe III de la Loi sur le transport aérien). Le Protocole de Guatemala de 1971 a limité de manière absolue la responsabilité des transporteurs à environ 100 000 $US, et a étendu les circonstances dans lesquelles les transporteurs pouvaient être tenus responsables en application de la Convention de Varsovie (Protocole portant modification de la Convention pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international signée à Varsovie le 12 octobre 1929 amendée par le Protocole fait à La Haye le 28 septembre 1955, signé à Guatemala le 8 mars 1971 (non en vigueur)). La Convention de Guadalajara de 1961 a élargi le régime de responsabilité de la Convention de Varsovie pour qu’il protège à la fois le transporteur contractuel et le transporteur qui a effectivement fourni le service (Convention, complémentaire à la Convention de Varsovie, pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international effectué par une personne autre que le transporteur contractuel, signée à Guadalajara le 18 septembre 1961, 500 R.T.N.U. 31, reproduite à l’annexe V de la Loi sur le transport aérien). En outre, le Protocole de Montréal No 4 de 1999 a augmenté les limites de responsabilité à l’égard des marchandises (Protocole de Montréal No 4 portant modification de la Convention pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international, 25 septembre 1975; Dempsey et Milde, p. 17-41).
[156] Même si l’on reconnaissait de plus en plus que les indemnités versées aux passagers étaient trop faibles, la conclusion d’un instrument international unique accroissant les plafonds de responsabilité des transporteurs se révélait hors d’atteinte. Craignant que cette réponse hétéroclite entraîne la disparition d’un système unifié de droit aérien international, l’industrie a agi. L’Accord de Montréal de 1966, un accord privé entre transporteurs aériens, a augmenté à un maximum de 75 000 $US la responsabilité des transporteurs prévue dans la Convention de Varsovie au titre des lésions corporelles subies pendant le transport au départ ou à destination des États-Unis ou pendant le transport transitant par ce pays (Agreement Relating to Liability Limitations of the Warsaw Convention and the Hague Protocol, 13 mai 1966). En 1974, certains transporteurs européens et japonais ont convenu d’augmenter par leurs tarifs la responsabilité à l’égard des passagers prévue dans la Convention de Varsovie jusqu’à concurrence de 58 000 $, puis jusqu’à 100 000 $ (l’accord de Malte) (voir Dempsey et Milde, p. 29-31).
[157] En 1992, les transporteurs japonais ont effectivement convenu d’un régime de responsabilité stricte pour les lésions subies par un passager jusqu’à concurrence d’une limite initiale supérieure à celle établie dans la Convention de Varsovie, et d’un [traduction] « régime fondé sur la faute avec inversion du fardeau de la preuve » qui s’appliquerait par la suite, sans limites (l’Initiative japonaise) (Dempsey et Milde, p. 32). En 1995, l’Association du transport aérien international (IATA), l’association commerciale des transporteurs aériens du monde, a entériné un accord entre transporteurs qui revoyait les limites de responsabilité [traduction] « tout à fait inadéquates » établies par la Convention de Varsovie et a adopté un régime à deux volets, fondé sur la faute, de responsabilité stricte, puis de responsabilité présumée (Accord entre transporteurs aériens relatif à la responsabilité envers les passagers de l’IATA, préambule; Dempsey et Milde, p. 417). Les transporteurs signataires de l’Accord entre transporteurs de l’IATA ont décidé [traduction] « [d]’agir afin de renoncer à la limite de responsabilité à l’égard des dommages-intérêts compensatoires recouvrables prévue au paragraphe 22(1) de la Convention de Varsovie relativement aux recours en cas de mort, de blessure ou de toute autre lésion corporelle subie par un passager [. . .] pour que les dommages-intérêts compensatoires recouvrables puissent être fixés et accordés en fonction du droit du domicile du passager » (article 1; voir Dempsey, p. 332-334; Dempsey et Milde, p. 32-35 et 417).
[158] Ayant été « pris de court » par les initiatives de l’industrie en vue de s’attaquer aux plafonds peu élevés de responsabilité des transporteurs, les États ont entrepris de mettre à jour la Convention de Varsovie (Dempsey, p. 336; Dempsey et Milde, p. 36-38). C’est par la voie de l’Organisation de l’aviation civile internationale que la Convention de Montréal a vu le jour en 1999, adoptant les régimes de responsabilité à deux volets en cas de lésion ou de décès d’un passager énoncés dans l’Initiative japonaise de 1992 et dans l’Accord entre transporteurs de l’IATA conclu en 1995, ainsi qu’une limite initiale d’indemnité d’environ 150 000 $US (Dempsey et Milde, p. 40-41).
[159] La Convention de Montréal se voulait ainsi une solution de rechange au régime à la pièce qui visait à augmenter les limites de responsabilité établies par la Convention de Varsovie de 1929. Les rédacteurs de la Convention de Montréal ont maintenu un régime de responsabilité uniforme, semblable à celui de la Convention de Varsovie, mais alors que la Convention de Varsovie avait pour principal objectif de limiter la responsabilité des transporteurs afin de favoriser la croissance de l’industrie naissante de l’aviation civile, les États parties à la Convention de Montréal se souciaient davantage de l’importance d’« assurer la protection des intérêts des consommateurs dans le transport aérien international et [de] la nécessité d’une indemnisation équitable fondée sur le principe de réparation » (Convention de Montréal, préambule; Ehrlich c. American Airlines, Inc., 360 F.3d 366 (2d Cir. 2004), p. 371 (note en bas de page 4)).
[160] Comme le montrent ces faits, il est à la fois paradoxal et anormal d’un point de vue historique de donner au changement de formulation entre l’article 24 de la Convention de Varsovie et l’article 29 de la Convention de Montréal une interprétation qui a pour effet de réduire la protection accordée aux consommateurs et d’accroître celle accordée aux transporteurs. Personne n’a prétendu à quelque moment que ce soit que la nouvelle Convention visait à réduire la faculté des passagers de poursuivre les transporteurs.
[161] En fait, rien ne prouve que les États parties entendaient remplacer la portée exclusive, limitée à certains objets, de l’article 24 de la Convention de Varsovie par une règle universelle d’exclusivité à l’article 29 de la Convention de Montréal. Le peu de preuve dont on dispose à l’égard des travaux préparatoires qui ont précédé l’adoption de la Convention de Montréal tend à établir le contraire. Comme le soulignent MM. Dempsey et Milde, [traduction] « [un] examen de l’historique de la rédaction dans ce processus alambiqué indique plutôt que les rédacteurs n’ont pas eu l’ambition créative d’innover par de nouveaux concepts » (p. 42).
[162] Qui plus est, l’absence, dans les procès-verbaux des travaux parlementaires, de toute mention des changements de formulation entre l’article 24 de la Convention de Varsovie et l’article 29 de la Convention de Montréal me paraît révélatrice. Les parrains du projet de loi de mise en œuvre de la Convention n’ont jamais mentionné l’article 24 ou l’article 29 à la Chambre des communes ou au Sénat (discours de M. André Harvey (secrétaire parlementaire du ministre des Transports), ouvrant la deuxième lecture au Parlement du projet de loi S-33, Loi modifiant la Loi sur le transport aérien, Débats de la Chambre des communes, vol. 137, 1re sess., 37e lég., 20 novembre 2001, p. 7346; voir aussi le discours de l’hon. Ross Fitzpatrick, proposant la deuxième lecture au Sénat du projet de loi S-33, Débats du Sénat, vol. 139, 1re sess., 37e lég., 2 octobre 2001, p. 1346). Il en est de même des témoins ayant comparu devant les comités de la Chambre des communes ou du Sénat qui ont examiné la mise en œuvre de la Convention en droit fédéral (transcription de la déclaration de M. Vayzel Lee (conseiller en politiques, Politiques du transport aérien intérieur, ministère des Transports) au Comité permanent des Transports et des opérations gouvernementales de la Chambre des communes, réunion no 40 — Témoignages, 29 novembre 2001 (en ligne); Délibérations du Comité sénatorial permanent des Transports et des communications, fascicule no 15 — Témoignages, 31 octobre 2001 (en ligne)).
[163] Si, comme on le prétend, le libellé de l’article 29 de la Convention de Montréal représente un changement par rapport au champ d’application de l’article 24 de la Convention de Varsovie en étendant la protection accordée aux transporteurs aériens à toutes les actions en dommages-intérêts, ce silence est pour le moins surprenant. Les changements radicaux du droit tendent à susciter des réactions radicales. Or, ce changement, si changement il y a, n’en a suscité aucune. Par conséquent, l’explication la plus plausible du silence est qu’il n’y a eu aucun changement du droit. En fait, il est difficile d’imaginer qu’une intrusion aussi draconienne dans le droit national puisse se faire sans texte explicite ou communication du Parlement. Le silence à l’égard de telles conséquences tend à indiquer que celles-ci n’étaient ni envisagées ni souhaitées.
[164] Enfin, il convient de noter que le paragraphe 3(4) de la Convention de Montréal confirme lui aussi une interprétation étroite de l’étendue des demandes régies par le Traité. Cette disposition est rédigée ainsi :
Article 3 — Passagers et bagages
4. Il sera donné au passager un avis écrit indiquant que, lorsque la présente convention s’applique, elle régit la responsabilité des transporteurs en cas de mort ou de lésion ainsi qu’en cas de destruction, de perte ou d’avarie des bagages, ou de retard.
Cette disposition énonce les renseignements que les passagers ont le droit de connaître au sujet de l’ensemble des limites de responsabilité visées par la Convention, à savoir « en cas de mort ou de lésion ainsi qu’en cas de destruction, de perte ou d’avarie des bagages, ou de retard ». L’article 29 doit, il me semble, être lu en harmonie avec cette disposition. Conclure plutôt que l’article 29 ajoute à cette liste toutes les réclamations pour préjudice subi pendant le transport aérien international laisse entendre que la Convention vise à n’informer les passagers que de certains aspects de la responsabilité limitée du transporteur, sans les prévenir que toute autre action est purement et simplement irrecevable. À mon sens, cela contredit l’objectif de protection du consommateur visé par la Convention en postulant que les États parties entendaient induire les passagers en erreur en leur donnant avis de certaines limites de la responsabilité du transporteur, mais non pas de toutes ces limites.
[165] Par conséquent, tout ce que fait l’article 29, c’est de prescrire que la Convention de Montréal ne régit à titre exclusif que les actions intentées au titre du préjudice subi « [d]ans le transport de passagers, de bagages et de marchandises », c’est-à-dire les actions visées par les articles 17, 18 et 19.
[166] Or, les Thibodeau réclament des dommages-intérêts pour les violations d’une loi qui concrétise des droits protégés par la Constitution. Notre Cour a jugé que les lois « visant à protéger les personnes contre toute discrimination acquièrent un statut quasi constitutionnel, qui leur donne préséance sur les lois ordinaires » (Dickason c. Université de l’Alberta, [1992] 2 R.C.S. 1103, p. 1154, la juge L’Heureux-Dubé, dissidente; Winnipeg School Division No. 1 c. Craton, [1985] 2 R.C.S. 150, p. 156). Comme l’a précisé la Cour dans Lavigne c. Canada (Commissariat aux langues officielles), [2002] 2 R.C.S. 773, par. 23, citant Canada (Procureur général) c. Viola, [1991] 1 C.F. 373 (C.A.), p. 386, la Loi sur les langues officielles jouit d’un statut privilégié parce qu’« [e]lle reflète à la fois la Constitution du pays et le compromis social et politique dont il est issu ». La Loi sur les langues officielles s’accorde donc de façon synergétique avec les garanties linguistiques de la Charte canadienne des droits et libertés.
[167] Pourquoi cela importe-t-il? Parce que cela nous aide à déterminer l’issue de l’interprétation. À mon avis, l’article 29 de la Convention de Montréal doit être interprété dans le respect des protections accordées aux droits fondamentaux, y compris les droits linguistiques, dans la législation nationale.
[168] Et cette conclusion vaut pour l’objet et le but de la Convention. On ne trouve dans les procès-verbaux des débats parlementaires ou dans l’historique législatif de la Convention aucun élément de preuve qui laisse entendre que le Canada, en tant qu’État partie, entendait mettre fin à la protection des droits linguistiques au pays en ratifiant ou en mettant en œuvre la Convention de Montréal. Compte tenu de l’importance des droits protégés par la Loi sur les langues officielles et de leurs antécédents constitutionnels et historiques, il convient de donner à la Convention de Montréal une interprétation qui respecte l’engagement explicite du Canada à l’égard de ces droits fondamentaux, plutôt qu’une interprétation qui témoignerait de l’intention d’y porter atteinte.
[169] Je suis consciente du débat jurisprudentiel entourant la portée du Traité. Certains tribunaux, comme dans Walker c. Eastern Air Lines, Inc., 785 F.Supp. 1168 (S.D.N.Y. 1992), et dans Beaudet c. British Airways, PLC, 853 F.Supp. 1062 (N.D. Ill. 1994), ont présumé que l’étendue des actions visées était limitée. D’autres, comme dans Sidhu c. British Airways Plc., [1997] A.C. 430 (H.L.), Tseng, King c. American Airlines, Inc., 284 F.3d 352 (2d Cir. 2002), In re Deep Vein Thrombosis and Air Travel Group Litigation, [2005] UKHL 72, [2006] 1 A.C. 495, et Stott c. Thomas Cook Tour Operators Ltd., [2014] UKSC 15, [2014] 2 W.L.R. 521, lui ont attribué un champ d’application sensiblement plus large. Toutefois, à mon avis, cela équivaudrait à appliquer une règle d’interprétation des traités aberrante et difficilement compatible avec la « bonne foi » exigée par l’article 31 de la Convention de Vienne que de conclure qu’un traité muet quant à son effet sur la législation nationale protégeant des droits fondamentaux, voire constitutionnels, puisse être interprété comme réduisant au silence ces droits.
[170] Enfin, bien que ce ne soit pas déterminant, nous ne pouvons pas négliger le fait que nous sommes en présence d’un traité commercial. Notre Cour a souvent affirmé que le droit national devait être interprété généreusement, en accord avec le droit international et ses valeurs en matière de droits de la personne. Elle n’a jamais dit que le droit international devait être interprété de façon à affaiblir les droits de la personne protégés par le droit national.
[171] Tout comme le Parlement n’est pas présumé légiférer en violation d’un traité, il ne saurait être présumé mettre en œuvre des traités qui éteignent des droits fondamentaux protégés par la législation nationale.
[172] Par conséquent, compte tenu du sens de l’article 29, considéré dans son contexte et à la lumière de l’objet et du but de la Convention de Montréal, cette disposition ne s’applique de manière exclusive qu’à certains recours et doit être interprétée comme prescrivant que la Convention de Montréal ne régit que les actions intentées pour un dommage subi « [d]ans le transport de passagers, de bagages et de marchandises », à savoir les actions visées par les articles 17, 18 et 19.
[173] Il reste à déterminer si l’action en dommages-intérêts intentée par les Thibodeau est visée par ces articles.
[174] Les paragraphes 17(2), (3) et (4) ainsi que les articles 18 et 19 portent sur les dommages subis à l’égard des bagages, des marchandises et des retards. Par conséquent, la seule disposition de fond de la Convention susceptible de se rapporter à l’action des Thibodeau est le paragraphe 17(1), qui prévoit ce qui suit :
Article 17 — Mort ou lésion subie par le passager — dommage causé aux bagages
1. Le transporteur est responsable du préjudice survenu en cas de mort ou de lésion corporelle subie par un passager, par cela seul que l’accident qui a causé la mort ou la lésion s’est produit à bord de l’aéronef ou au cours de toutes opérations d’embarquement ou de débarquement.
[175] Les juges majoritaires concluent que la demande de dommages-intérêts des Thibodeau se rapporte à la situation visée par le paragraphe 17(1) parce que ces derniers ont subi la violation de leurs droits linguistiques « à bord de l’aéronef » (par. 86). Il ressort clairement du texte du paragraphe 17(1) que la disposition ne s’applique pas à tous les faits qui se produisent à bord d’un aéronef ou pendant les opérations d’embarquement ou de débarquement. Le paragraphe 17(1) établit plutôt les conditions suivantes : (1) il doit y avoir eu un accident (2) qui a causé (3) la mort ou une lésion corporelle (4) alors que le passager était à bord de l’aéronef, ou en train d’embarquer à bord de celui-ci ou d’en débarquer (Dempsey et Milde, p. 124; Eastern Airlines, Inc. c. Floyd, 499 U.S. 530 (1991), p. 535-536).
[176] Personne n’a signalé d’accident. À mon avis, ce fait est déterminant puisqu’il est question, au paragraphe 17(1), de « mort ou de lésion corporelle » causée par un accident. Le reste de la disposition est donc redondant en l’espèce. Les Thibodeau n’ont pas subi de lésion corporelle. Le fait que la violation de leurs droits linguistiques soit survenue « à bord de l’aéronef » est sans importance parce que ces circonstances ne sont pertinentes que s’il y a eu accident.
[177] En conséquence, la Convention de Montréal ne fait pas obstacle à l’octroi de dommages-intérêts pour violation des droits linguistiques pendant le transport aérien international.
[178] Par conséquent, même si je ne suis pas convaincue qu’une ordonnance structurelle était justifiée dans les circonstances, je suis d’avis d’accueillir les pourvois relativement aux demandes de dommages-intérêts et de rétablir les dommages-intérêts accordés par la juge saisie de la demande.
ANNEXE
Convention pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international, signée à Varsovie, le 12 octobre 1929, reproduite à l’annexe I de la Loi sur le transport aérien, L.R.C. 1985, ch. C-26
[Note : Les dispositions de la convention imprimées en italiques ont été supprimées et remplacées par les dispositions du protocole reproduit à l’annexe III, sauf dans le cas de l’alinéa (2) de l’article 20.]
. . .
Article 17
Le transporteur est responsable du dommage survenu en cas de mort, de blessure ou de toute autre lésion corporelle subie par un voyageur lorsque l’accident qui a causé le dommage s’est produit à bord de l’aéronef ou au cours de toutes opérations d’embarquement et de débarquement.
Article 18
(1) Le transporteur est responsable du dommage survenu en cas de destruction, perte ou avarie de bagages enregistrés ou de marchandises lorsque l’événement qui a causé le dommage s’est produit pendant le transport aérien.
(2) Le transport aérien, au sens de l’alinéa précédent, comprend la période pendant laquelle les bagages ou marchandises se trouvent sous la garde du transporteur, que ce soit dans un aérodrome ou à bord d’un aéronef ou dans un lieu quelconque en cas d’atterrissage en dehors d’un aérodrome.
(3) La période du transport aérien ne couvre aucun transport terrestre, maritime ou fluvial effectué en dehors d’un aérodrome. Toutefois lorsqu’un tel transport est effectué dans l’exécution du contrat de transport aérien en vue du chargement, de la livraison ou du transbordement, tout dommage est présumé, sauf preuve contraire, résulter d’un événement survenu pendant le transport aérien.
Article 19
Le transporteur est responsable du dommage résultant d’un retard dans le transport aérien de voyageurs, bagages ou marchandises.
Article 20
(1) Le transporteur n’est pas responsable s’il prouve que lui et ses préposés ont pris toutes les mesures nécessaires pour éviter le dommage ou qu’il leur était impossible de les prendre.
(2) Dans les transports de marchandises et de bagages, le transporteur n’est pas responsable, s’il prouve que le dommage provient d’une faute de pilotage, de conduite de l’aéronef ou de navigation, et que, à tous autres égards, lui et ses préposés ont pris toutes les mesures nécessaires pour éviter le dommage.
Article 22
(1) Dans le transport des personnes, la responsabilité du transporteur envers chaque voyageur est limitée à la somme de cent vingt-cinq mille francs. Dans le cas où, d’après la loi du tribunal saisi, l’indemnité peut être fixée sous forme de rente, le capital de la rente ne peut dépasser cette limite. Toutefois par une convention spéciale avec le transporteur, le voyageur pourra fixer une limite de responsabilité plus élevée.
(2) Dans le transport de bagages enregistrés et de marchandises, la responsabilité du transporteur est limitée à la somme de deux cent cinquante francs par kilogramme, sauf déclaration spéciale d’intérêt à la livraison faite par l’expéditeur au moment de la remise du colis au transporteur et moyennant le paiement d’une taxe supplémentaire éventuelle. Dans ce cas, le transporteur sera tenu de payer jusqu’à concurrence de la somme déclarée, à moins qu’il ne prouve qu’elle est supérieure à l’intérêt réel de l’expéditeur à la livraison.
(3) En ce qui concerne les objets dont le voyageur conserve la garde, la responsabilité du transporteur est limitée à cinq mille francs par voyageur.
(4) Les sommes indiquées ci-dessus sont considérées comme se rapportant au franc français constitué par soixante-cinq et demi milligrammes d’or au titre de neuf cents millièmes de fin. Elles pourront être converties dans chaque monnaie nationale en chiffres ronds.
Article 23
Toute clause tendant à exonérer le transporteur de sa responsabilité ou à établir une limite inférieure à celle qui est fixée dans la présente Convention est nulle et de nul effet, mais la nullité de cette clause n’entraîne pas la nullité du contrat qui reste soumis aux dispositions de la présente Convention.
[Note : La disposition précédente est devenue l’alinéa (1) de l’article 23, auquel on a ajouté un alinéa (2), selon l’article XII du protocole reproduit à l’annexe III.]
Article 24
(1) Dans les cas prévus aux articles 18 et 19 toute action en responsabilité, à quelque titre que ce soit, ne peut être exercée que dans les conditions et limites prévues par la présente Convention.
(2) Dans les cas prévus à l’article 17, s’appliquent également les dispositions de l’alinéa précédent, sans préjudice de la détermination des personnes qui ont le droit d’agir et de leurs droits respectifs.
Article 25
(1) Le transporteur n’aura pas le droit de se prévaloir des dispositions de la présente Convention qui excluent ou limitent sa responsabilité, si le dommage provient de son dol ou d’une faute qui, d’après la loi du tribunal saisi, est considérée comme équivalente au dol.
(2) Ce droit lui sera également refusé si le dommage a été causé dans les mêmes conditions par un de ses préposés agissant dans l’exercice de ses fonctions.
[Note : Un nouvel article, l’article 25A, a été ajouté par l’article XIV du protocole reproduit à l’annexe III.]
Convention pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international, signée à Montréal, reproduite dans l’annexe VI de la Loi sur le transport aérien, L.R.C. 1985, ch. C-26
Article 17 — Mort ou lésion subie par le passager — Dommage causé aux bagages
1. Le transporteur est responsable du préjudice survenu en cas de mort ou de lésion corporelle subie par un passager, par cela seul que l’accident qui a causé la mort ou la lésion s’est produit à bord de l’aéronef ou au cours de toutes opérations d’embarquement ou de débarquement.
2. Le transporteur est responsable du dommage survenu en cas de destruction, perte ou avarie de bagages enregistrés, par cela seul que le fait qui a causé la destruction, la perte ou l’avarie s’est produit à bord de l’aéronef ou au cours de toute période durant laquelle le transporteur avait la garde des bagages enregistrés. Toutefois, le transporteur n’est pas responsable si et dans la mesure où le dommage résulte de la nature ou du vice propre des bagages. Dans le cas des bagages non enregistrés, notamment des effets personnels, le transporteur est responsable si le dommage résulte de sa faute ou de celle de ses préposés ou mandataires.
3. Le transporteur admet la perte des bagages enregistrés ou si les bagages enregistrés ne sont pas arrivés à destination dans les vingt et un jours qui suivent la date à laquelle ils auraient dû arriver, le passager est autorisé à faire valoir contre le transporteur les droits qui découlent du contrat de transport.
4. Sous réserve de dispositions contraires, dans la présente convention le terme « bagages » désigne les bagages enregistrés aussi bien que les bagages non enregistrés.
Article 18 — Dommage causé à la marchandise
1. Le transporteur est responsable du dommage survenu en cas de destruction, perte ou avarie de la marchandise par cela seul que le fait qui a causé le dommage s’est produit pendant le transport aérien.
2. Toutefois, le transporteur n’est pas responsable s’il établit, et dans la mesure où il établit, que la destruction, la perte ou l’avarie de la marchandise résulte de l’un ou de plusieurs des faits suivants :
a) la nature ou le vice propre de la marchandise;
b) l’emballage défectueux de la marchandise par une personne autre que le transporteur ou ses préposés ou mandataires;
c) un fait de guerre ou un conflit armé;
d) un acte de l’autorité publique accompli en relation avec l’entrée, la sortie ou le transit de la marchandise.
3. Le transport aérien, au sens du paragraphe 1 du présent article, comprend la période pendant laquelle la marchandise se trouve sous la garde du transporteur.
4. La période du transport aérien ne couvre aucun transport terrestre, maritime ou par voie d’eau intérieure effectué en dehors d’un aéroport. Toutefois, lorsqu’un tel transport est effectué dans l’exécution du contrat de transport aérien en vue du chargement, de la livraison ou du transbordement, tout dommage est présumé, sauf preuve du contraire, résulter d’un fait survenu pendant le transport aérien. Si, sans le consentement de l’expéditeur, le transporteur remplace en totalité ou en partie le transport convenu dans l’entente conclue entre les parties comme étant le transport par voie aérienne, par un autre mode de transport, ce transport par un autre mode sera considéré comme faisant partie de la période du transport aérien.
Article 19 — Retard
Le transporteur est responsable du dommage résultant d’un retard dans le transport aérien de passagers, de bagages ou de marchandises. Cependant, le transporteur n’est pas responsable du dommage causé par un retard s’il prouve que lui, ses préposés et mandataires ont pris toutes les mesures qui pouvaient raisonnablement s’imposer pour éviter le dommage, ou qu’il leur était impossible de les prendre.
Article 21 — Indemnisation en cas de mort ou de lésion subie par le passager
1. Pour les dommages visés au paragraphe 1 de l’article 17 et ne dépassant pas 100 000 droits de tirage spéciaux par passager, le transporteur ne peut exclure ou limiter sa responsabilité.
2. Le transporteur n’est pas responsable des dommages visés au paragraphe 1 de l’article 17 dans la mesure où ils dépassent 100 000 droits de tirage spéciaux par passager, s’il prouve :
a) que le dommage n’est pas dû à la négligence ou à un autre acte ou omission préjudiciable du transporteur, de ses préposés ou de ses mandataires, ou
b) que ces dommages résultent uniquement de la négligence ou d’un autre acte ou omission préjudiciable d’un tiers.
Article 22 — Limites de responsabilité relatives aux retards, aux bagages et aux marchandises
1. En cas de dommage subi par des passagers résultant d’un retard, aux termes de l’article 19, la responsabilité du transporteur est limitée à la somme de 4 150 droits de tirage spéciaux par passager.
2. Dans le transport de bagages, la responsabilité du transporteur en cas de destruction, perte, avarie ou retard est limitée à la somme de 1 000 droits de tirage spéciaux par passager, sauf déclaration spéciale d’intérêt à la livraison faite par le passager au moment de la remise des bagages enregistrés au transporteur et moyennant le paiement éventuel d’une somme supplémentaire. Dans ce cas, le transporteur sera tenu de payer jusqu’à concurrence de la somme déclarée, à moins qu’il prouve qu’elle est supérieure à l’intérêt réel du passager à la livraison.
3. Dans le transport de marchandises, la responsabilité du transporteur, en cas de destruction, de perte, d’avarie ou de retard, est limitée à la somme de 17 droits de tirage spéciaux par kilogramme, sauf déclaration spéciale d’intérêt à la livraison faite par l’expéditeur au moment de la remise du colis au transporteur et moyennant le paiement d’une somme supplémentaire éventuelle. Dans ce cas, le transporteur sera tenu de payer jusqu’à concurrence de la somme déclarée, à moins qu’il prouve qu’elle est supérieure à l’intérêt réel de l’expéditeur à la livraison.
4. En cas de destruction, de perte, d’avarie ou de retard d’une partie des marchandises, ou de tout objet qui y est contenu, seul le poids total du ou des colis dont il s’agit est pris en considération pour déterminer la limite de responsabilité du transporteur. Toutefois, lorsque la destruction, la perte, l’avarie ou le retard d’une partie des marchandises, ou d’un objet qui y est contenu, affecte la valeur d’autres colis couverts par la même lettre de transport aérien ou par le même récépissé ou, en l’absence de ces documents, par les mêmes indications consignées par les autres moyens visés à l’article 4, paragraphe 2, le poids total de ces colis doit être pris en considération pour déterminer la limite de responsabilité.
5. Les dispositions des paragraphes 1 et 2 du présent article ne s’appliquent pas s’il est prouvé que le dommage résulte d’un acte ou d’une omission du transporteur, de ses préposés ou de ses mandataires, fait soit avec l’intention de provoquer un dommage, soit témérairement et avec conscience qu’un dommage en résultera probablement, pour autant que, dans le cas d’un acte ou d’une omission de préposés ou de mandataires, la preuve soit également apportée que ceux-ci ont agi dans l’exercice de leurs fonctions.
6. Les limites fixées par l’article 21 et par le présent article n’ont pas pour effet d’enlever au tribunal la faculté d’allouer en outre, conformément à sa loi, une somme correspondant à tout ou partie des dépens et autres frais de procès exposés par le demandeur, intérêts compris. La disposition précédente ne s’applique pas lorsque le montant de l’indemnité allouée, non compris les dépens et autres frais de procès, ne dépasse pas la somme que le transporteur a offerte par écrit au demandeur dans un délai de six mois à dater du fait qui a causé le dommage ou avant l’introduction de l’instance si celle-ci est postérieure à ce délai.
Article 26 — Nullité des dispositions contractuelles
Toute clause tendant à exonérer le transporteur de sa responsabilité ou à établir une limite inférieure à celle qui est fixée dans la présente convention est nulle et de nul effet, mais la nullité de cette clause n’entraîne pas la nullité du contrat qui reste soumis aux dispositions de la présente convention.
Article 29 — Principe des recours
Dans le transport de passagers, de bagages et de marchandises, toute action en dommages-intérêts, à quelque titre que ce soit, en vertu de la présente convention, en raison d’un contrat ou d’un acte illicite ou pour toute autre cause, ne peut être exercée que dans les conditions et limites de responsabilité prévues par la présente convention, sans préjudice de la détermination des personnes qui ont le droit d’agir et de leurs droits respectifs. Dans toute action de ce genre, on ne pourra pas obtenir de dommages-intérêts punitifs ou exemplaires ni de dommages à un titre autre que la réparation.
Article 49 — Obligation d’application
Sont nulles et de nul effet toutes clauses du contrat de transport et toutes conventions particulières antérieures au dommage par lesquelles les parties dérogeraient aux règles de la présente convention soit par une détermination de la loi applicable, soit par une modification des règles de compétence.
Loi sur le transport aérien, L.R.C. 1985, ch. C-26
2. (1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, les dispositions de la convention figurant à l’annexe I et celles de la convention figurant à l’annexe V, dans la mesure où elles se rapportent aux droits et responsabilités des personnes concernées par le transport aérien — notamment les transporteurs et leurs préposés, les voyageurs, les consignateurs et les consignataires —, ont force de loi au Canada relativement au transport aérien visé par ces dispositions, indépendamment de la nationalité de l’aéronef en cause.
(2) Sous réserve des autres dispositions du présent article, les dispositions de la convention figurant à l’annexe I, modifiée soit par le protocole figurant à l’annexe III, soit par les protocoles figurant aux annexes III et IV, dans la mesure où elles se rapportent aux droits et responsabilités des personnes concernées par le transport aérien, ont force de loi au Canada relativement au transport aérien visé par ces dispositions, indépendamment de la nationalité de l’aéronef en cause.
(2.1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, les dispositions de la convention figurant à l’annexe VI, dans la mesure où elles se rapportent aux droits et responsabilités des personnes concernées par le transport aérien — notamment les transporteurs et leurs préposés, les voyageurs, les consignateurs et les consignataires —, ont force de loi au Canada relativement au transport aérien visé par ces dispositions, indépendamment de la nationalité de l’aéronef en cause.
(3) Le gouverneur en conseil peut, par proclamation publiée dans la Gazette du Canada, attester l’identité des parties à une convention ou un protocole figurant en annexe de la présente loi, les territoires à l’égard desquels elles sont respectivement parties, la mesure dans laquelle elles se sont prévalues des dispositions du protocole additionnel de la convention figurant à l’annexe I, ainsi que l’identité des parties qui ont fait une déclaration en vertu du protocole figurant aux annexes III ou IV ou en vertu de la convention figurant à l’annexe VI.
(4) Toute mention, à l’annexe I, du territoire d’une partie vaut mention des territoires sur lesquels elle exerce sa souveraineté, sa suzeraineté, son mandat ou son autorité et au nom desquels elle est partie.
(5) L’article 17 de l’annexe I et l’article 17 de l’annexe VI, qui fixent la responsabilité d’un transporteur en cas de décès d’un passager, se substituent aux règles de droit pertinentes en vigueur au Canada. Les dispositions énoncées à l’annexe II sont exécutoires en ce qui concerne tant les personnes par qui et pour le compte desquelles réparation peut être obtenue au titre de la responsabilité ainsi imposée que les modalités de mise en œuvre de celle-ci.
(6) Les sommes mentionnées en francs à l’article 22 de l’annexe I sont, aux fins des actions intentées contre les transporteurs, converties en dollars canadiens au taux de change en vigueur le jour où le tribunal fixe le montant des dommages-intérêts à payer par le transporteur.
(7) Pour l’application du paragraphe (6), l’équivalent, en dollars canadiens, des sommes exprimées en droits de tirage spéciaux ou en francs, aux termes de l’article 22 de la convention figurant à l’annexe I, est déterminé de la manière suivante :
a) pour la conversion des francs en droits de tirage spéciaux, le taux de change est de 15,075 francs par droit de tirage spécial;
b) pour la conversion des droits de tirage spéciaux en dollars canadiens, le taux de change sera celui établi par le Fonds monétaire international.
Loi sur la participation publique au capital d’Air Canada, L.R.C. 1985, ch. 35 (4e suppl.)
10. (1) La Loi sur les langues officielles s’applique à la Société [Air Canada].
(2) Sous réserve du paragraphe (5), la Société est tenue de veiller à ce que les services aériens, y compris les services connexes, offerts par ses filiales à leurs clients le soient, et à ce que ces clients puissent communiquer avec celles-ci relativement à ces services, dans l’une ou l’autre des langues officielles dans le cas où, offrant elle-même les services, elle serait tenue, au titre de la partie IV de la Loi sur les langues officielles, à une telle obligation.
. . .
Loi sur les langues officielles, L.R.C. 1985, ch. 31 (4e suppl.)
2. La présente loi a pour objet :
a) d’assurer le respect du français et de l’anglais à titre de langues officielles du Canada, leur égalité de statut et l’égalité de droits et privilèges quant à leur usage dans les institutions fédérales, notamment en ce qui touche les débats et travaux du Parlement, les actes législatifs et autres, l’administration de la justice, les communications avec le public et la prestation des services, ainsi que la mise en œuvre des objectifs de ces institutions;
b) d’appuyer le développement des minorités francophones et anglophones et, d’une façon générale, de favoriser, au sein de la société canadienne, la progression vers l’égalité de statut et d’usage du français et de l’anglais;
c) de préciser les pouvoirs et les obligations des institutions fédérales en matière de langues officielles.
22. Il incombe aux institutions fédérales de veiller à ce que le public puisse communiquer avec leur siège ou leur administration centrale, et en recevoir les services, dans l’une ou l’autre des langues officielles. Cette obligation vaut également pour leurs bureaux — auxquels sont assimilés, pour l’application de la présente partie, tous autres lieux où ces institutions offrent des services — situés soit dans la région de la capitale nationale, soit là où, au Canada comme à l’étranger, l’emploi de cette langue fait l’objet d’une demande importante.
76. Le tribunal visé à la présente partie est la Cour fédérale.
77. (1) Quiconque a saisi le commissaire d’une plainte visant une obligation ou un droit prévus aux articles 4 à 7 et 10 à 13 ou aux parties IV, V, ou VII, ou fondée sur l’article 91, peut former un recours devant le tribunal sous le régime de la présente partie.
. . .
(4) Le tribunal peut, s’il estime qu’une institution fédérale ne s’est pas conformée à la présente loi, accorder la réparation qu’il estime convenable et juste eu égard aux circonstances.
. . .
78. (1) Le commissaire peut selon le cas :
a) exercer lui-même le recours, dans les soixante jours qui suivent la communication au plaignant des conclusions de l’enquête ou des recommandations visées au paragraphe 64(2) ou dans le délai supérieur accordé au titre du paragraphe 77(2), si le plaignant y consent;
b) comparaître devant le tribunal pour le compte de l’auteur d’un recours;
c) comparaître, avec l’autorisation du tribunal, comme partie à une instance engagée sur le fondement de la présente partie.
(2) Dans le cas prévu à l’alinéa (1)a), le plaignant peut comparaître comme partie à l’instance.
(3) Le présent article n’a pas pour effet de porter atteinte au pouvoir du commissaire de demander l’autorisation d’intervenir dans toute instance judiciaire relative au statut ou à l’usage du français ou de l’anglais.
Charte canadienne des droits et libertés
16. (1) Le français et l’anglais sont les langues officielles du Canada; ils ont un statut et des droits et privilèges égaux quant à leur usage dans les institutions du Parlement et du gouvernement du Canada.
(2) Le français et l’anglais sont les langues officielles du Nouveau-Brunswick; ils ont un statut et des droits et privilèges égaux quant à leur usage dans les institutions de la Législature et du gouvernement du Nouveau-Brunswick.
(3) La présente charte ne limite pas le pouvoir du Parlement et des législatures de favoriser la progression vers l’égalité de statut ou d’usage du français et de l’anglais.
24. (1) Toute personne, victime de violation ou de négation des droits ou libertés qui lui sont garantis par la présente charte, peut s’adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances.
. . .
Convention de Vienne sur le droit des traités, R.T. Can. 1980 no 37
Article 31
Règle générale d’interprétation
1. Un traité doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but.
2. Aux fins de l’interprétation d’un traité, le contexte comprend, outre le texte, préambule et annexes inclus :
a) tout accord ayant rapport au traité et qui est intervenu entre toutes les parties à l’occasion de la conclusion du traité;
b) tout instrument établi par une ou plusieurs parties à l’occasion de la conclusion du traité et accepté par les autres parties en tant qu’instrument ayant rapport au traité.
3. Il sera tenu compte, en même temps que du contexte :
a) de tout accord ultérieur intervenu entre les parties au sujet de l’interprétation du traité ou de l’application de ses dispositions;
b) de toute pratique ultérieurement suivie dans l’application du traité par laquelle est établi l’accord des parties à l’égard de l’interprétation du traité;
c) de toute règle pertinente de droit international applicable dans les relations entre les parties.
4. Un terme sera entendu dans un sens particulier s’il est établi que telle était l’intention des parties.
Pourvois rejetés, les juges Abella et Wagner sont dissidents.
Procureurs des appelants Michel et Lynda Thibodeau : CazaSaikaley, Ottawa.
Procureur de l’appelant le Commissaire aux langues officielles du Canada : Commissariat aux langues officielles, Ottawa.
Procureurs de l’intimée : Air Canada, Dorval; Norton Rose Fulbright Canada, Montréal.