COUR SUPRÊME DU CANADA
Référence : Wakeling c. États-Unis d’Amérique, 2014 CSC 72, [2014] 3 R.C.S. 549 |
Date : 20141114 Dossier : 35072 |
Entre :
Andrew Gordon Wakeling
Appelant
et
Procureur général du Canada au nom des États-Unis d’Amérique et
procureur général de la Colombie-Britannique
Intimés
Et entre :
Andrew Wakeling
Appelant
et
Procureur général du Canada au nom du ministre de la Justice
Intimé
- et -
Procureur général de l’Ontario, procureur général du Québec, Association canadienne des libertés civiles, Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique, Commissaire à l’information et à la protection de la vie privée de l’Ontario et
Commissaire à la protection de la vie privée du Canada
Intervenants
Traduction française officielle
Coram : La juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Abella, Rothstein, Cromwell, Moldaver et Karakatsanis
Motifs de jugement : (par. 1 à 82)
Motifs concordants : (par. 83 à 101)
Motifs dissidents : (par. 102 à 151) |
Le juge Moldaver (avec l’accord des juges LeBel et Rothstein)
La juge en chef McLachlin
La juge Karakatsanis (avec l’accord des juges Abella et Cromwell) |
wakeling c. états-unis d’amérique, 2014 CSC 72, [2014] 3 R.C.S. 549
Andrew Gordon Wakeling Appelant
c.
Procureur général du Canada au nom des États-Unis
d’Amérique et procureur général de la Colombie-Britannique Intimés
et
Andrew Wakeling Appelant
c.
Procureur général du Canada au nom du ministre de la Justice Intimé
et
Procureur général de l’Ontario,
procureur général du Québec,
Association canadienne des libertés civiles,
Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique,
commissaire à l’information
et à la protection de la vie privée de l’Ontario et
commissaire à la protection de la vie privée du Canada Intervenants
Répertorié : Wakeling c. États-Unis d’Amérique
2014 CSC 72
No du greffe : 35072.
2014 : 22 avril; 2014 : 14 novembre.
Présents : La juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Abella, Rothstein, Cromwell, Moldaver et Karakatsanis.
en appel de la cour d’appel de la colombie-britannique
Droit constitutionnel — Charte des droits — Fouilles, perquisitions et saisies — Justice fondamentale — Interception de communications — Exception à l’infraction de divulguer, sans le consentement de l’intéressé, des communications privées interceptées — Disposition du Code criminel qui autorise la divulgation de communications privées licitement interceptées à une personne ou un organisme étranger chargé de la recherche ou de la poursuite des infractions si la divulgation vise à servir l’administration de la justice au Canada ou ailleurs — La disposition porte-t-elle atteinte de manière injustifiée aux art. 7 ou 8 de la Charte canadienne des droits et libertés? — Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46, art. 193(2)e).
Droit criminel — Interception de communications — Communication de renseignements — Exception à l’infraction — La disposition prévoyant l’exception qui autorise la communication de renseignements obtenus licitement par écoute électronique entre des organismes canadiens et étrangers d’application de la loi est-elle constitutionnelle? — Charte canadienne des droits et libertés, art. 7, 8 — Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46, art. 193(2)e).
La GRC a licitement intercepté des communications privées entre W et d’autres personnes. Ces communications ont révélé l’existence d’un complot en vue de faire passer de la drogue aux États-Unis d’Amérique. Les renseignements obtenus par écoute électronique ont été communiqués aux autorités américaines, qui les ont utilisés pour saisir une grande quantité de comprimés d’ecstasy à un poste frontalier. Les É.-U. ont demandé l’extradition de W. À l’audience d’extradition, W a soutenu que les dispositions législatives qui autorisent la divulgation violent les art. 7 et 8 de la Charte canadienne des droits et libertés, et que les communications interceptées ne devraient donc pas être admises en preuve. La juge d’extradition a rejeté les arguments de W et prononcé une ordonnance d’incarcération. La Cour d’appel a rejeté l’appel.
Arrêt (les juges Abella, Cromwell et Karakatsanis sont dissidents) : Le pourvoi est rejeté.
Les juges LeBel, Rothstein et Moldaver : La capacité qu’ont les organismes d’application de la loi de se communiquer de l’information favorise la conduite d’enquêtes criminelles efficaces relevant du Canada et de plusieurs pays. Le législateur a voulu établir à la partie VI du Code criminel un régime exhaustif qui régit de manière exclusive l’interception et l’utilisation de communications privées aux fins d’application de la loi. Il n’est donc pas nécessaire d’examiner la constitutionnalité de l’al. 8(2)f) de la Loi sur la protection des renseignements personnels. La disposition déterminante en l’espèce est l’al. 193(2)e) du Code criminel. Bien qu’il ne soit pas formulé comme une disposition expressément habilitante, l’al. 193(2)e) autorise implicitement la divulgation transfrontalière de renseignements obtenus licitement par écoute électronique. Les arguments présentés par W touchent donc à juste titre la constitutionnalité de l’al. 193(2)e).
L’article 8 de la Charte entre en jeu. Bien qu’une divulgation ne soit pas une fouille ou une perquisition au sens de l’art. 8, cet article protège les cibles d’écoute électronique à la fois au stade de l’interception et à celui de la divulgation sous le régime de la partie VI du Code criminel. Les interceptions par écoute électronique sont très envahissantes et suscitent des inquiétudes accrues en matière de respect de la vie privée. Une attente résiduelle, mais moindre, en matière de vie privée subsiste à l’égard des renseignements obtenus par écoute électronique après leur collecte licite. Il n’est pas nécessaire d’examiner les arguments de W relatifs à l’art. 7. Ils relèvent de l’analyse fondée sur l’art. 8 de la Charte.
Pour qu’une fouille ou une perquisition ne soit pas abusive au sens de l’art. 8, elle doit être autorisée par la loi, la loi elle-même doit n’avoir rien d’abusif, et la fouille ou perquisition ne doit pas être effectuée d’une manière abusive. Le même cadre d’analyse s’applique, mutatis mutandis, aux divulgations faites en vertu de l’al. 193(2)e). Si l’on applique ce cadre aux faits de l’espèce, il n’y a pas de violation de l’art. 8. La divulgation en l’espèce a été licitement autorisée par l’al. 193(2)e) et la législation, prise dans son ensemble, est raisonnable. En outre, rien ne prouve que la divulgation a été faite de manière abusive.
Pour ce qui est de la première étape du cadre d’analyse fondé sur l’art. 8, la divulgation en l’espèce était autorisée par la loi. Une divulgation est autorisée par la loi si elle est effectuée conformément aux exigences procédurales et substantielles que la loi prescrit. Aux termes de l’al. 193(2)e), le destinataire doit être une personne ou un organisme étranger chargé de la recherche ou de la poursuite des infractions, et la divulgation doit viser à servir l’administration de la justice au Canada ou ailleurs. En l’espèce, les renseignements ont été communiqués aux autorités policières américaines dans le but de déjouer une opération transfrontalière de contrebande de drogue. En communiquant ces renseignements, les autorités canadiennes cherchaient à servir l’administration de la justice au Canada et aux États-Unis.
En ce qui concerne la deuxième étape, l’al. 193(2)e) est une disposition législative raisonnable. Premièrement, il n’est pas inconstitutionnel pour cause de portée excessive. Il limite le type de renseignements qui peuvent être divulgués, l’objectif de leur divulgation et les personnes à qui ils peuvent être divulgués. Deuxièmement, il n’est pas inconstitutionnel pour cause d’imprécision. Bien que l’expression « l’administration de la justice » employée à l’al. 193(2)e) soit un concept large, il ne s’agit pas d’un concept qui manque de précision au point de ne pas constituer un guide suffisant pour un débat judiciaire. Dans ce contexte, l’emploi de l’expression « l’administration de la justice » signifie que la divulgation doit avoir un but légitime d’application de la loi.
Troisièmement, l’al. 193(2)e) n’est pas inconstitutionnel du fait qu’il ne prévoit aucun mécanisme de reddition de compte ou mécanisme assurant la transparence. La partie VI du Code criminel prévoit de nombreuses garanties en matière de vie privée. Le juge qui autorise l’interception initiale doit mettre en balance les droits à la vie privée et l’intérêt à assurer l’application de la loi. L’interception de communications est également assujettie à des obligations de donner un avis et de faire rapport. En outre, la reddition de compte a été intégrée au régime de divulgation lui-même. La divulgation qui ne respecte pas l’al. 193(2)e) peut entraîner le dépôt d’accusations criminelles contre son auteur ou donner lieu, dans le cadre de procédures judiciaires ultérieures, à l’exclusion des preuves communiquées abusivement. Cela incite fortement les autorités canadiennes à respecter l’al. 193(2)e). Enfin, même si la Constitution ne l’exige pas dans tous les cas, l’adhésion à des protocoles internationaux et le recours à des mises en garde, ou encore la conclusion d’accords sur la communication de renseignements, peuvent être utiles pour savoir si une divulgation donnée visait à servir l’administration de la justice et était donc autorisée par l’al. 193(2)e).
En ce qui concerne la troisième étape du cadre d’analyse fondé sur l’art. 8, le recours à des protocoles, à des mises en garde ou à des accords peut aussi être utile pour savoir si la divulgation a été effectuée de manière raisonnable. En l’espèce, la divulgation a été effectuée de manière raisonnable. Rien ne porte à croire que les policiers ont agi de façon abusive. Toutefois, dans des contextes factuels différents, la divulgation à des autorités étrangères de communications interceptées pourrait poser des dangers importants. Lorsque la partie qui fait une divulgation sait ou aurait dû savoir que les renseignements pourraient être utilisés dans des procès inéquitables, pour faciliter la discrimination ou l’intimidation politique, pour pratiquer la torture ou pour commettre d’autres violations des droits de la personne, l’art. 8 exige que la divulgation, si elle est un tant soit peu acceptable, ne soit pas effectuée de manière abusive. Dans les cas les plus graves, l’art. 8 interdit toute divulgation. Dans d’autres cas, le recours à des protocoles de communication de renseignements ou la formulation de mises en garde sont susceptibles d’atténuer suffisamment les risques.
La juge en chef McLachlin : En l’espèce, la seule question est de savoir si la divulgation des communications interceptées violait les droits garantis par l’art. 8 de la Charte et, dans l’affirmative, si la preuve aurait dû être écartée en application du par. 24(2) de la Charte. Il est inutile d’analyser la constitutionnalité de l’al. 193(2)e), de l’al. 193(2)b) ou de la Loi sur la protection des renseignements personnels pour répondre à cette question. W n’a pas démontré qu’il y a eu atteinte aux droits que lui garantit l’art. 8. La personne dont les communications sont licitement et raisonnablement interceptées en vertu d’un mandat valide ne peut prétendre que l’utilisation des renseignements aux fins d’application de la loi porte atteinte à son droit à la vie privée. Ce principe ne s’applique pas uniquement à l’usage de renseignements au Canada. La communication de renseignements aux fins d’application de la loi ne viole pas l’art. 8. Les articles 7 et 8 de la Charte empêchent l’utilisation abusive de renseignements obtenus licitement par écoute électronique mais, dans la présente affaire, où l’information a été divulguée aux autorités américaines aux fins d’application de la loi, ces craintes résiduelles à propos de l’utilisation abusive ne se posent pas. Les droits de W n’ont pas été violés.
L’alinéa 193(2)e) ne change pas la donne. Ce n’est pas une disposition habilitante. Il ne confère pas aux autorités canadiennes le pouvoir de communiquer des renseignements aux autorités étrangères. La disposition a pour effet de mettre les agents à l’abri de poursuites lorsqu’ils divulguent des communications privées interceptées dans l’exercice des pouvoirs qu’ils tiennent de la common law. Selon le par. 193(1) du Code criminel, commet une infraction quiconque divulgue sans le consentement de l’intéressé des communications privées interceptées. L’alinéa 193(2)e) prévoit une exception à cette infraction. Il maintient le pouvoir que les forces de l’ordre tiennent de la common law de communiquer des renseignements licitement obtenus aux fins d’application de la loi tant au pays qu’à l’étranger. L’exception empêche que les agents des forces de l’ordre soient condamnés pour avoir utilisé des renseignements obtenus par mandat aux fins d’application de la loi. Il n’est donc pas nécessaire de se prononcer sur la constitutionnalité de l’al. 193(2)e).
Les juges Abella, Cromwell et Karakatsanis (dissidents) : L’alinéa 193(2)e) viole l’art. 8 de la Charte d’une manière qui n’est pas justifiée au sens de l’article premier. Il permet de divulguer des renseignements obtenus par écoute électronique à des responsables étrangers sans garantie ou restriction quant à l’utilisation de ces renseignements et sans mesure de reddition de compte visant ce pouvoir étendu de l’État. Rien n’empêche les responsables étrangers de l’application de la loi d’utiliser ces renseignements très personnels dans des procès inéquitables ou d’une façon contraire aux normes établies en matière de droits de la personne, de les diffuser publiquement ou de les communiquer à d’autres États. La torture infligée à Maher Arar en Syrie est un exemple troublant des dangers de la communication sans condition de renseignements. Lorsqu’une loi permet qu’il soit porté atteinte au droit à la vie privée, l’art. 8 exige qu’elle le fasse de façon raisonnable. Une loi raisonnable doit comporter des garanties adéquates pour prévenir les abus. Elle ne doit pas entraîner une immixtion plus grande que nécessaire dans la vie privée. Elle doit établir un juste équilibre entre le droit à la vie privée et d’autres intérêts publics. L’alinéa 193(2)e) ne satisfait à aucune de ces trois exigences. La divulgation à des responsables étrangers permise sans garantie rend inconstitutionnel le régime d’écoute électronique prévu à la partie VI du Code criminel. La réparation appropriée consiste à supprimer de l’al. 193(2)e) les mots « à une personne ou un organisme étranger chargé [. . .] ailleurs ». Il n’est pas nécessaire d’examiner la constitutionnalité de l’al. 8(2)f) de la Loi sur la protection des renseignements personnels ou les arguments relatifs à l’art. 7 de la Charte.
Pour établir un juste équilibre entre l’intérêt de l’État dans la fouille ou la perquisition et l’intérêt du public à protéger la vie privée, nous devons nous demander à quelle protection de la vie privée nous sommes en droit de nous attendre. La collaboration et la communication de renseignements à l’échelle internationale sont essentielles à l’application de la loi. Les intérêts du Canada sont servis par la communication convenable de renseignements à d’autres pays. La divulgation faite en temps opportun se révèle souvent cruciale dans les enquêtes sur de graves crimes transfrontaliers. Toutefois, lorsque des renseignements sont communiqués au-delà des frontières, les garanties qui s’appliquent lors d’enquêtes menées au Canada cessent d’avoir effet. L’alinéa 193(2)e) n’empêche en rien l’utilisation de renseignements divulgués dans des procédures qui ne respectent pas l’application régulière de la loi et les droits de la personne. L’obligation d’obtenir au préalable l’autorisation du tribunal n’offre pas de protection suffisante contre la divulgation ultérieure abusive. L’omission de requérir une mise en garde concernant l’utilisation des renseignements divulgués est déraisonnable. Les mises en garde ou ententes permanentes n’entraveraient pas la réalisation des objectifs du régime d’écoute électronique. Elles sont monnaie courante dans la collaboration internationale en matière d’application de la loi et offrent une certaine assurance que les renseignements communiqués ne seront utilisés qu’en conformité avec l’application régulière de la loi et les droits de la personne et dans le respect de ceux-ci.
Pour qu’une loi confère un pouvoir raisonnable de fouille, de perquisition ou de saisie, elle doit comporter un mécanisme permettant de surveiller l’exercice de ce pouvoir par l’État. Les mécanismes de reddition de compte découragent et débusquent les atteintes abusives au droit à la vie privée. Aucune des garanties prévues à la partie VI ne s’applique à la divulgation de renseignements à des responsables étrangers. Il est peu probable qu’une communication irrégulière ou dangereuse de renseignements soit mise au jour en l’absence d’obligations de conserver des dossiers, de présenter des rapports ou de donner des avis. Il appartient au législateur de décider quelles mesures sont les plus opportunes, mais la partie qui fait la divulgation devrait à tout le moins être tenue de consigner par écrit la communication et d’en informer la cible ou l’État.
L’atteinte à l’art. 8 de la Charte n’est pas justifiée au sens de l’article premier. L’objectif de coopération internationale dans l’application de la loi est urgent et réel, et la divulgation de renseignements obtenus par écoute électronique a un lien rationnel avec cet objectif. Toutefois, l’al. 193(2)e) dans sa forme actuelle porte davantage atteinte à la vie privée qu’il ne le faut. L’introduction de mécanismes de reddition de compte et de limites concernant l’utilisation ultérieure des renseignements obtenus remédierait à l’inconstitutionnalité de cette disposition sans miner les objectifs du législateur.
Jurisprudence
Citée par le juge Moldaver
Distinction d’avec l’arrêt : R. c. Tse, 2012 CSC 16, [2012] 1 R.C.S. 531; arrêts mentionnés : Colombie-Britannique c. Imperial Tobacco Canada Ltée, 2005 CSC 49, [2005] 2 R.C.S. 473; R. c. Duarte, [1990] 1 R.C.S. 30; Pétrolière Impériale c. Jacques, 2014 CSC 66, [2014] 3 R.C.S. 287; R. c. Caslake, [1998] 1 R.C.S. 51; R. c. Collins, [1987] 1 R.C.S. 265; R. c. Nova Scotia Pharmaceutical Society, [1992] 2 R.C.S. 606; R. c. Samson (1982), 37 O.R. (2d) 237; R. c. Finlay (1985), 52 O.R. (2d) 632.
Citée par la juge en chef McLachlin
Arrêts mentionnés : R. c. Colarusso, [1994] 1 R.C.S. 20; R. c. Law, 2002 CSC 10, [2002] 1 R.C.S. 227; R. c. Cole, 2012 CSC 53, [2012] 3 R.C.S. 34; Pétrolière Impériale c. Jacques, 2014 CSC 66, [2014] 3 R.C.S. 287.
Citée par la juge Karakatsanis (dissidente)
R. c. Duarte, [1990] 1 R.C.S. 30; R. c. Collins, [1987] 1 R.C.S. 265; R. c. Rodgers, 2006 CSC 15, [2006] 1 R.C.S. 554; R. c. Tse, 2012 CSC 16, [2012] 1 R.C.S. 531; R. c. Quesnelle, 2014 CSC 46, [2014] 2 R.C.S. 390; États-Unis d’Amérique c. Cotroni, [1989] 1 R.C.S. 1469; R. c. Hape, 2007 CSC 26, [2007] 2 R.C.S. 292; R. c. Plant, [1993] 3 R.C.S. 281; R. c. Tessling, 2004 CSC 67, [2004] 3 R.C.S. 432; Brown c. La Reine, 2013 CAF 111 (CanLII); R. c. Mills, [1999] 3 R.C.S. 668; R. c. McNeil, 2009 CSC 3, [2009] 1 R.C.S. 66; R. c. Colarusso, [1994] 1 R.C.S. 20; Lavallee, Rackel & Heintz c. Canada (Procureur général), 2002 CSC 61, [2002] 3 R.C.S. 209; Hunter c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145; R. c. Thompson, [1990] 2 R.C.S. 1111; R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103; Schachter c. Canada, [1992] 2 R.C.S. 679; R. c. Ferguson, 2008 CSC 6, [2008] 1 R.C.S. 96; Corbiere c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1999] 2 R.C.S. 203.
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés, art. 1, 7, 8, 24.
Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46, partie VI, art. 183, 184.1, 184.2, 184.4, 185, 186, 193, 195, 196, 487.01(5).
Loi donnant suite à la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire R. c. Tse, L.C. 2013, ch. 8.
Loi modifiant le Code criminel, la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif et la Loi sur la radiocommunication, L.C. 1993, ch. 40.
Loi sur l’accès à l’information municipale et la protection de la vie privée, L.R.O. 1990, ch. M.56, art. 8(1).
Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. 1985, ch. P-21, art. 8.
Doctrine et autres documents cités
Austin, Lisa M. « Information Sharing and the “Reasonable” Ambiguities of Section 8 of the Charter » (2007), 57 U.T.L.J. 499.
Canada. Commission d’enquête sur les actions des responsables canadiens relativement à Maher Arar. Rapport sur les événements concernant Maher Arar : Analyse et recommandations. Ottawa : Travaux publics et Services gouvernementaux, 2006.
Franklin, Ben A. « Wiretaps reveal Dr. King feared rebuff on nonviolence », The New York Times, September 15, 1985.
Roach, Kent. « Overseeing Information Sharing », in Hans Born and Aidan Wills, eds., Overseeing Intelligence Services : A Toolkit. Geneva : Geneva Centre for the Democratic Control of Armed Forces, 2012, 129.
Royaume-Uni. Intelligence and Security Committee. Rendition. London : The Committee, 2007.
Sanchez, Julian. « Wiretapping’s true danger », Los Angeles Times, March 16, 2008.
POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique (les juges Low, Groberman et MacKenzie), 2012 BCCA 397, 328 B.C.A.C. 174, 558 W.A.C. 174, 293 C.C.C. (3d) 196, 267 C.R.R. (2d) 279, [2012] B.C.J. No. 2057 (QL), 2012 CarswellBC 3067, qui a confirmé une décision de la juge Ross, 2011 BCSC 165, 268 C.C.C. (3d) 295, 228 C.R.R. (2d) 239, [2011] B.C.J. No. 212 (QL), 2011 CarswellBC 1468. Pourvoi rejeté, les juges Abella, Cromwell et Karakatsanis sont dissidents.
Gregory P. Delbigio, c.r., pour l’appelant.
W. Paul Riley et Jeffrey G. Johnston, pour l’intimé le procureur général du Canada au nom des États-Unis d’Amérique et au nom du ministre de la Justice.
M. Joyce DeWitt-Van Oosten, c.r., pour l’intimé le procureur général de la Colombie-Britannique.
Joan Barrett, pour l’intervenant le procureur général de l’Ontario.
Jean-Vincent Lacroix, Dominique A. Jobin et Émilie-Annick Landry-Therriault, pour l’intervenant le procureur général du Québec.
Peter M. Rogers, c.r., et Jane O’Neill, pour l’intervenante l’Association canadienne des libertés civiles.
Michael A. Feder et Emily MacKinnon, pour l’intervenante l’Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique.
David Goodis et Stephen McCammon, pour l’intervenant le commissaire à l’information et à la protection de la vie privée de l’Ontario.
Mahmud Jamal, Patricia Kosseim et Jennifer Seligy, pour l’intervenant le commissaire à la protection de la vie privée du Canada.
Version française du jugement des juges LeBel, Rothstein et Moldaver rendu par
Le juge Moldaver —
I. Introduction
[1] La capacité qu’ont les organismes d’application de la loi de se communiquer de l’information, y compris des renseignements obtenus licitement par écoute électronique, favorise la conduite d’enquêtes criminelles efficaces relevant tant du Canada que de plusieurs pays. Ces enquêtes doivent toutefois se faire conformément aux droits garantis par la Charte canadienne des droits et libertés. Le présent pourvoi porte principalement sur la constitutionnalité de la législation fédérale qui autorise la communication de renseignements obtenus licitement par écoute électronique entre des organismes d’application de la loi canadiens et étrangers. Plus précisément, il s’agit de savoir si la législation ne respecte pas les normes constitutionnelles prévues par la Charte.
II. Contexte
[2] Andrew Gordon Wakeling a fait l’objet d’une enquête canadienne en matière de stupéfiants. Au cours de cette enquête, la GRC a licitement écouté et enregistré des communications entre M. Wakeling et d’autres personnes. Ces communications ont révélé l’existence d’un complot en vue de faire passer de la drogue par la frontière canado-américaine. Les autorités canadiennes ont fourni ces renseignements à leurs homologues américains (la « divulgation contestée »), qui les ont utilisés pour intercepter et saisir 46 000 comprimés d’ecstasy au poste frontalier d’International Falls, au Minnesota, le 5 avril 2006.
[3] Les États-Unis ont demandé que M. Wakeling soit extradé du Canada en raison de son implication dans l’envoi d’ecstasy. À l’audience d’extradition, M. Wakeling a plaidé l’inconstitutionnalité de la législation qui autorise la divulgation contestée. Plus précisément, il a soutenu que les dispositions en cause violent les art. 7 et 8 de la Charte, et que les renseignements obtenus par écoute électronique qui ont été fournis aux autorités policières américaines ne devraient donc pas être utilisés en preuve contre lui.
[4] La juge d’extradition, la juge Ross, a rejeté les arguments de M. Wakeling et a prononcé une ordonnance d’incarcération, qui a été confirmée par la Cour d’appel de la Colombie-Britannique. M. Wakeling demande à notre Cour d’annuler cette ordonnance et de décréter la tenue d’une nouvelle audience d’extradition.
[5] Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis de rejeter le pourvoi de M. Wakeling.
III. Dispositions législatives
[6] L’article 193 du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46, dispose :
193. (1) Lorsqu’une communication privée a été interceptée au moyen d’un dispositif électromagnétique, acoustique, mécanique ou autre sans le consentement, exprès ou tacite, de son auteur ou de la personne à laquelle son auteur la destinait, quiconque, selon le cas :
a) utilise ou divulgue volontairement tout ou partie de cette communication privée, ou la substance, le sens ou l’objet de tout ou partie de celle-ci;
b) en divulgue volontairement l’existence,
sans le consentement exprès de son auteur ou de la personne à laquelle son auteur la destinait, est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de deux ans.
(2) Le paragraphe (1) ne s’applique pas à une personne qui divulgue soit tout ou partie d’une communication privée, ou la substance, le sens ou l’objet de tout ou partie de celle-ci, soit l’existence d’une communication privée :
. . .
b) au cours ou aux fins d’une enquête en matière pénale, si la communication privée a été interceptée légalement;
. . .
e) lorsque la divulgation est faite à un agent de la paix ou à un poursuivant au Canada ou à une personne ou un organisme étranger chargé de la recherche ou de la poursuite des infractions et vise à servir l’administration de la justice au Canada ou ailleurs;
. . .
[7] L’article 8 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. 1985, ch. P-21, prévoit :
8. (1) Les renseignements personnels qui relèvent d’une institution fédérale ne peuvent être communiqués, à défaut du consentement de l’individu qu’ils concernent, que conformément au présent article.
(2) Sous réserve d’autres lois fédérales, la communication des renseignements personnels qui relèvent d’une institution fédérale est autorisée dans les cas suivants :
. . .
b) communication aux fins qui sont conformes avec les lois fédérales ou ceux de leurs règlements qui autorisent cette communication;
. . .
f) communication aux termes d’accords ou d’ententes conclus d’une part entre le gouvernement du Canada ou l’un de ses organismes et, d’autre part, le gouvernement d’une province ou d’un État étranger, une organisation internationale d’États ou de gouvernements, le conseil de la première nation de Westbank, le conseil de la première nation participante — au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur la compétence des premières nations en matière d’éducation en Colombie-Britannique — ou l’un de leurs organismes, en vue de l’application des lois ou pour la tenue d’enquêtes licites;
. . .
[8] Enfin, les articles 7 et 8 de la Charte disposent :
7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale.
8. Chacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives.
IV. Historique judiciaire
A. Cour suprême de la Colombie-Britannique, 2011 BCSC 165, 268 C.C.C. (3d) 295 (la juge Ross)
[9] À l’audience d’extradition, M. Wakeling a limité sa contestation constitutionnelle à l’al. 193(2)e) du Code criminel et à l’al. 8(2)f) de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Il a fait diverses observations générales à l’appui de sa thèse selon laquelle les dispositions attaquées ne résistent pas au contrôle constitutionnel.
[10] M. Wakeling a fait valoir que la transparence, la reddition de compte et la primauté du droit sont des principes de justice fondamentale au sens de l’art. 7 de la Charte et que les dispositions en cause sont inconstitutionnelles parce que la divulgation qu’elles autorisent ne respecte pas ces principes (jugement de première instance, par. 42). Toujours selon lui, les deux dispositions attaquées violent l’art. 7 de la Charte du fait de leur imprécision et de leur portée excessive. En ce qui concerne l’al. 193(2)e), M. Wakeling a affirmé qu’il [traduction] « confère aux forces de l’ordre un pouvoir discrétionnaire pratiquement illimité » de divulguer des communications interceptées par écoute électronique, et critiqué la nature subjective du critère qu’il énonce (ibid., par. 99). Il a ajouté que l’expression « servir l’administration de la justice [. . .] ailleurs » « ne permet pas d’encadrer un débat judiciaire au Canada » et n’a pas un « sens constant et établi » (ibid.). À son avis, ces incertitudes ont pour effet de conférer aux décideurs « toute latitude [. . .] pour divulguer des communications privées interceptées, ou leur substance, et pour échapper à l’application des dispositions de la partie VI qui prévoient les infractions » (ibid.).
[11] En ce qui concerne l’art. 8 de la Charte, M. Wakeling a affirmé que la divulgation contestée faisait intervenir de nouveau cette disposition et qu’une deuxième autorisation judiciaire était par conséquent nécessaire avant que la divulgation puisse être effectuée. À cet égard, il a fait valoir que son droit au respect de sa vie privée lors de la divulgation était le même que celui dont il jouissait lors de l’interception et méritait la même protection (jugement de première instance, par. 68). Par conséquent, a-t-il ajouté, il fallait obtenir une deuxième autorisation judiciaire avant de faire une divulgation, et les dispositions en cause sont abusives parce qu’elles n’en exigent pas, et qu’elles ne prévoient pas de mécanismes de reddition de compte suffisants. Elles auraient pu, par exemple, exiger que les policiers conservent un dossier, qu’il soit fait rapport au Parlement des divulgations effectuées ou qu’un avis de divulgation soit fourni à la personne dont les communications ont été interceptées. Enfin, il est en désaccord avec le peu d’emprise que les autorités canadiennes ont sur l’utilisation subséquente des renseignements divulgués (par. 116).
[12] La juge d’extradition a examiné, puis rejeté, tous les arguments de M. Wakeling. À son avis, il n’était pas nécessaire d’examiner la constitutionnalité de l’al. 8(2)f) de la Loi sur la protection des renseignements personnels parce que l’al. 193(2)e) du Code criminel [traduction] « régit expressément la divulgation de communications privées interceptées en vertu de la partie VI du Code criminel aux forces de l’ordre étrangères » et que « [l]es règles plus générales de communication de renseignements prévues dans la Loi sur la protection des renseignements personnels sont subordonnées aux dispositions précises [du Code criminel] » (par. 21).
[13] Passant aux arguments constitutionnels de M. Wakeling, la juge d’extradition a conclu que la divulgation contestée ne faisait pas intervenir à nouveau l’art. 8 de la Charte, étant donné que cette divulgation [traduction] « ne portait pas atteinte à une attente raisonnable en matière de vie privée dans les circonstances » (par. 75). La divulgation n’était donc pas assimilable « à une fouille, à une perquisition ou à une saisie faisant intervenir l’art. 8 de la Charte » (ibid.). La juge a conclu subsidiairement que, si la divulgation contestée faisait intervenir l’art. 8, l’al. 193(2)e) est une disposition législative raisonnable.
[14] La juge d’extradition a aussi écarté l’argument de M. Wakeling selon lequel la transparence et la reddition de compte sont des principes de justice fondamentale qui s’appliquent à l’al. 193(2)e). Selon elle, [traduction] « [m]ême si ces concepts pourraient être qualifiés de principes de justice fondamentale dans certains cas, ils ne peuvent vraisemblablement pas régir la façon dont la police enquête sur des activités criminelles » (par. 48).
[15] La juge d’extradition n’a pas non plus retenu l’argument de M. Wakeling selon lequel l’al. 193(2)e) est imprécis et trop général, signalant que :
[traduction] . . . en plaidant l’imprécision et la portée excessive comme il le fait, le demandeur exige du législateur un niveau de précision dans la rédaction qui n’est ni requis par la Constitution, ni réaliste. Le libellé de l’al. 193(2)e) se devait d’être suffisamment large pour englober les innombrables manières dont peut se faire sentir le besoin de divulguer des renseignements en vue de « servir l’administration de la justice ». Les lois doivent rester souples puisqu’elles doivent nécessairement régir une foule de circonstances et situations différentes. [par. 108]
[16] Enfin, la juge d’extradition a rejeté l’argument de M. Wakeling fondé sur la primauté du droit. S’appuyant sur l’arrêt Colombie-Britannique c. Imperial Tobacco Canada Ltée, 2005 CSC 49, [2005] 2 R.C.S. 473, elle a conclu que les arguments de M. Wakeling étaient [traduction] « circulaires, parce que les mesures sont consacrées elles-mêmes dans la loi » (par. 53).
[17] Après avoir écarté les arguments juridiques de M. Wakeling, la juge d’extradition a examiné la preuve et conclu qu’elle était suffisante pour justifier son incarcération.
B. Cour d’appel de la Colombie-Britannique, 2012 BCCA 397, 328 B.C.A.C. 174 (les juges Low, Groberman et MacKenzie)
[18] En appel, M. Wakeling a contesté une fois de plus la constitutionnalité de l’al. 193(2)e) du Code criminel et de l’al. 8(2)f) de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Sous la plume du juge Low, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a convenu avec la juge d’extradition que l’al. 193(2)e) était la disposition qui devait régir la divulgation en cause. La cour a par conséquent estimé qu’il n’était pas nécessaire d’examiner la constitutionnalité de l’al. 8(2)f) de la Loi sur la protection des renseignements personnels.
[19] Pour ce qui est de la prétention de M. Wakeling fondée sur l’art. 8, le juge Low a conclu que la conduite de l’État ne portait atteinte à aucune attente raisonnable en matière de vie privée que pourrait revendiquer l’appelant, et n’a donc pas retenu cette prétention. Comme la divulgation contestée ne faisait pas intervenir à nouveau l’art. 8 de la Charte, il n’était pas nécessaire d’obtenir une deuxième autorisation judiciaire.
[20] Le juge Low a aussi conclu que les arguments de M. Wakeling relatifs à la justice fondamentale qui touchent la transparence et la reddition de compte étaient dénués de fondement :
[traduction] Pour être transparente, la disposition contestée n’a pas besoin d’exiger un préavis et il n’est pas nécessaire de faire rapport d’une quelconque façon après coup. Les renseignements licitement recueillis par des moyens électroniques deviennent des renseignements liés à l’application de la loi. À mon avis, il ne s’agit pas de renseignements différents de ceux obtenus d’un indicateur de police ou de ceux contenus dans des documents se retrouvant licitement entre les mains des policiers. Si la divulgation vise à servir l’administration de la justice, point n’est besoin d’approbation judiciaire préalable, d’avis ou de rapport. De telles exigences formaliseraient et gêneraient les enquêtes criminelles relevant de divers pays, voire nuiraient à la prévention de la criminalité. Le contrôle de l’utilisation par des autorités étrangères de renseignements obtenus licitement par la police n’est pas pratique et serait présomptueux. Ce qui est pratique et nécessaire pour à la fois détecter et prévenir les crimes, c’est la capacité des policiers d’informer licitement leurs homologues d’autres pays de la perpétration imminente d’actes criminels, comme ils l’ont fait dans la présente affaire, ou d’activités criminelles antérieures. [par. 43]
[21] Enfin, la Cour d’appel a rejeté les arguments de M. Wakeling relatifs au caractère imprécis et à la portée excessive de la disposition en déclarant que [traduction] « [l]’administration de la justice est un concept bien connu qui n’a besoin d’être ni clarifié ni circonscrit » (par. 44). En conséquence, la Cour d’appel a rejeté l’appel.
C. Questions en litige
[22] Dans le présent pourvoi, M. Wakeling conteste de nouveau la constitutionnalité de l’al. 193(2)e) du Code criminel et de l’al. 8(2)f) de la Loi sur la protection des renseignements personnels sur le fondement des mêmes arguments que ceux qu’il avait présentés devant les juridictions inférieures. Avec l’autorisation de la Cour, il plaide aussi pour la première fois l’inconstitutionnalité de l’al. 193(2)b) du Code. Il soutient que toutes ces dispositions portent atteinte aux droits qui lui sont garantis par les art. 7 et 8 de la Charte et que ces atteintes ne sont pas justifiées en vertu de l’article premier.
V. Analyse
[23] Je propose de commencer par expliquer pourquoi le présent pourvoi porte sur la constitutionnalité de l’al. 193(2)e) du Code criminel, et non sur celle de l’al. 193(2)b) de ce code ou de l’al. 8(2)f) de la Loi sur la protection des renseignements personnels. J’examinerai ensuite les arguments de M. Wakeling fondés sur la Charte qui se rapportent à l’al. 193(2)e).
A. La Loi sur la protection des renseignements personnels ne s’applique pas
[24] Le commissaire à la protection de la vie privée du Canada, qui a qualité d’intervenant, affirme que, contrairement à ce qu’ont statué les juridictions inférieures, la GRC doit respecter à la fois le Code criminel et la Loi sur la protection des renseignements personnels lorsqu’elle divulgue à un État étranger des communications privées qu’elle a interceptées, car [traduction] « [r]ien dans le Code criminel ne dispense la GRC de son obligation de respecter la Loi sur la protection des renseignements personnels » (mémoire, par. 13). À son avis, l’al. 193(2)e) du Code criminel « limite la portée de l’interdiction criminelle » énoncée à l’art. 193, « [m]ais cette exception n’autorise pas une divulgation en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels ni ne peut, en soi, constituer la source d’un pouvoir policier » (par. 14).
[25] Avec égards, je ne suis pas d’accord avec lui. La Loi sur la protection des renseignements personnels fédérale est une loi d’application générale. Le paragraphe 8(2) de cette loi expose les situations dans lesquelles les renseignements personnels qui relèvent d’une institution fédérale peuvent être communiqués. La disposition précise expressément que l’autorisation est donnée « [s]ous réserve d’autres lois fédérales ». Par conséquent, avant de se pencher sur la divulgation prévue au par. 8(2), il faut se demander si une autre loi fédérale traite de la divulgation particulière en cause. Dans la présente affaire, une autre loi fédérale — le Code criminel — porte expressément sur la divulgation contestée (qui met en jeu des communications privées licitement interceptées).
[26] La partie VI du Code criminel constitue un régime exhaustif d’interception de communications privées. Le droit d’une personne au respect de sa vie privée va à l’encontre de notre besoin collectif d’une application efficace de la loi, et les garanties incorporées dans les dispositions sur l’écoute électronique témoignent des efforts déployés par le législateur pour « concilier ces droits contradictoires » (R. c. Duarte, [1990] 1 R.C.S. 30, p. 45). Comme l’a signalé la juge d’extradition :
[traduction] La partie VI [. . .] instaure un régime particulier de protection du droit à la vie privée à l’égard des communications interceptées : il crée des infractions précises, établit des procédures pour encadrer l’interception de communications privées lors d’enquêtes sur des crimes précis et indique dans quelles circonstances des communications interceptées peuvent être divulguées. [par. 22]
Ce niveau de détail et de précision à la partie VI révèle l’intention du législateur que ce cadre constitue le régime exclusif régissant l’interception et l’utilisation de communications privées aux fins d’application de la loi[1].
[27] L’alinéa 193(2)e) traite directement de la question qui nous occupe, à savoir la divulgation transfrontalière de renseignements obtenus par écoute électronique. Certes, le par. 193(2) n’est pas formulé comme une disposition expressément habilitante. Il revêt plutôt la forme d’une série d’exceptions à l’infraction criminelle prévue au paragraphe précédent. Je suis néanmoins convaincu qu’il reflète la tentative du législateur de réglementer la divulgation des communications interceptées et de préciser les circonstances dans lesquelles pareille divulgation peut être licitement faite. Bref, l’al. 193(2)e) autorise implicitement la divulgation, conforme aux conditions qu’il prescrit, de renseignements obtenus par écoute électronique.
[28] Pour ces raisons, la disposition déterminante en l’espèce est l’al. 193(2)e) du Code criminel, et non l’al. 8(2)f) de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Je n’ai donc pas à me pencher sur la constitutionnalité de l’al. 8(2)f).
[29] En concluant que l’al. 193(2)e) est une disposition habilitante, je ne conteste pas la thèse de la Juge en chef voulant qu’en général, les policiers puissent chercher dans la common law le pouvoir d’utiliser les fruits d’une fouille ou perquisition licite à des fins légitimes d’application de la loi, notamment les divulgations aux organismes étrangers d’application de la loi. Le fait d’adopter cette analyse dans le contexte de l’écoute électronique pose toutefois problème. Si l’on conclut que l’al. 193(2)e) est non pas une disposition habilitante, mais simplement une exception à une infraction criminelle, cela suppose qu’aucun des sous-éléments du par. 193(2) ne constitue une disposition habilitante, et que l’autorisation de toutes les divulgations énumérées doit prendre sa source ailleurs. Cette conclusion n’est toutefois pas conforme à notre récent arrêt Pétrolière Impériale c. Jacques, 2014 CSC 66, [2014] 3 R.C.S. 287, dans lequel les juges majoritaires ont décidé que les exceptions prévues au par. 193(2) « autorisent une personne à communiquer des enregistrements qui, autrement, ne pourraient l’être » (par. 43)[2]. J’estime donc que l’al. 193(2)e) est considéré à juste titre comme une disposition habilitante.
B. Il n’est pas nécessaire d’examiner l’al. 193(2)b)
[30] Comme je l’ai mentionné, M. Wakeling a été autorisé à contester devant notre Cour la constitutionnalité de l’al. 193(2)b) du Code criminel. Contrairement à l’al. 193(2)e), qui vise la divulgation transfrontalière de communications interceptées par écoute électronique, l’al. 193(2)b) autorise la divulgation de ces communications « au cours ou aux fins d’une enquête en matière pénale ».
[31] M. Wakeling n’a mentionné que brièvement l’al. 193(2)b) dans sa plaidoirie. Il convient d’examiner sa plainte sur la base de l’al. 193(2)e), étant donné qu’elle vise expressément la divulgation internationale et transfrontalière de renseignements obtenus par écoute électronique dans un contexte de droit pénal. Pour cette raison, et parce que M. Wakeling n’a insisté sur l’al. 193(2)b) ni dans ses observations écrites ni dans sa plaidoirie, je ne vois pas la nécessité d’en examiner la constitutionnalité.
C. La divulgation contestée viole-t-elle l’art. 8 de la Charte?
(1) L’article 8 entre-t-il en jeu?
[32] On invoque généralement l’art. 8 lorsque les policiers effectuent des fouilles, des perquisitions ou des saisies et portent atteinte, par le fait même, à l’attente raisonnable d’une personne en matière de vie privée. Il est assez évident que l’interception de communications par écoute électronique constitue une fouille ou une perquisition. Toutefois, la divulgation de communications interceptées auparavant — ce que l’al. 193(2)e) autorise implicitement — n’est pas, à mon avis, une « fouille ou une perquisition » au sens de l’art. 8. Il est donc important de préciser, à titre préliminaire, la manière dont l’art. 8 entre en jeu dans la présente affaire, et je passe maintenant à cette question.
[33] M. Wakeling fait valoir que l’art. 8 entre en jeu parce que la divulgation de ses communications interceptées, conforme à l’al. 193(2)e), équivaut à une deuxième fouille ou perquisition, de sorte qu’il était nécessaire d’obtenir une deuxième autorisation judiciaire avant de faire la divulgation contestée. Il soutient que les policiers ont violé les droits qui lui sont garantis par l’art. 8 vu l’absence d’une telle autorisation.
[34] Avec égards, je ne suis pas d’accord avec lui. Comme le fait observer l’intervenante l’Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique (« ALCCB »), les mots « fouille » et « perquisition », dans leur sens ordinaire, ne visent pas la divulgation de renseignements par l’État. La divulgation est simplement la communication à un tiers de renseignements déjà obtenus.
[35] En somme, d’après les faits de l’espèce, une seule fouille ou perquisition a déclenché l’application de l’art. 8 de la Charte : l’interception initiale licite des communications privées de M. Wakeling. Pour cette raison, l’appelant doit recourir à un autre cadre d’analyse s’il veut invoquer l’art. 8.
[36] L’ALCCB oriente différemment son analyse fondée sur l’art. 8. Elle fait valoir que, dans la mesure où il permet la divulgation des fruits d’une fouille ou d’une perquisition, l’al. 193(2)e) fait [traduction] « partie du contexte dans lequel le tribunal doit apprécier le caractère raisonnable de la loi autorisant la fouille ou la perquisition » (mémoire, par. 3).
[37] Cet argument mérite une brève explication. Selon l’ALCCB, l’al. 193(2)e) fait partie intégrante du régime régissant les fouilles et perquisitions découlant d’interceptions faites par écoute électronique prévu à la partie VI du Code criminel. Comme toutes les lois autorisant des fouilles et perquisitions, ce régime — y compris toute partie intégrante de celui-ci — doit être raisonnable pour respecter l’art. 8 de la Charte. Par conséquent, si l’al. 193(2)e) est jugé abusif, l’ensemble du régime serait entaché pour l’application de l’art. 8 et serait donc inconstitutionnel.
[38] Bien que j’attribue un certain fondement au cadre d’analyse proposé par l’ALCCB, ma conclusion suivant laquelle l’art. 8 protège les cibles à la fois au stade de l’interception et à celui de la divulgation sous le régime de la partie VI s’explique davantage par les dangers particuliers que présente l’écoute électronique. Le législateur a reconnu que l’écoute électronique suscite, en matière de respect de la vie privée, des inquiétudes plus grandes que celles inhérentes aux autres fouilles ou perquisitions et saisies. La juge Karakatsanis parle (par. 116) de l’incidence grave de la surveillance électronique sur la vie privée, citant la mise en garde de notre Cour selon laquelle « on peut difficilement concevoir une activité de l’État qui soit plus dangereuse pour la vie privée des particuliers » (Duarte, p. 43). Étant donné ces conséquences, les mesures de protection que le législateur a jugé bon d’intégrer au régime régissant l’écoute électronique comprennent l’art. 193, lequel prévoit que, si elle ne vise pas l’un des objectifs définis, la divulgation de renseignements obtenus par écoute électronique est non seulement non autorisée, mais criminelle.
[39] La nature hautement envahissante de la surveillance électronique et les limites imposées par la loi à la divulgation de ses fruits militent en faveur d’une attente raisonnable accrue en matière de vie privée dans le contexte de l’écoute électronique. Une fois que des communications ont été licitement interceptées et qu’elles sont entre les mains des forces de l’ordre, cette attente s’en trouve réduite, mais elle ne disparaît pas pour autant. Cette attente accrue et continue en matière de vie privée dans le contexte de l’écoute électronique est une autre indication que l’art. 8 devrait s’appliquer aux divulgations visées à la partie VI.
[40] En somme, bien que je prenne note du souci de la Juge en chef que l’al. 193(2)e) ne fait pas intervenir l’art. 8 du simple fait de la place qu’il occupe dans le régime régissant les fouilles et perquisitions établi à la partie VI, ce n’est pas la seule raison — ni même la principale raison — pour laquelle je conclus que l’art. 8 entre en jeu dans le présent contexte. Comme je l’ai souligné plus haut, le législateur a reconnu que les interceptions par écoute électronique constituent une fouille exceptionnelle et envahissante, et il me semble donc tout à fait approprié que les garanties de l’art. 8 s’étendent aux divulgations, par les forces de l’ordre, de renseignements obtenus par écoute électronique. De plus, une attente résiduelle et continue en matière de vie privée subsiste à l’égard de ces renseignements même après leur collecte licite. D’ailleurs, la Juge en chef reconnaît qu’il reste des « droits résiduels à la vie privée » au moment de la divulgation et que l’art. 8 garantit le droit à la protection contre l’usage abusif des renseignements par les forces de l’ordre (par. 95). Je suis donc convaincu que l’art. 8 entre bel et bien en jeu.
(2) Le cadre d’analyse fondé sur l’art. 8 de la Charte
[41] Pour qu’une fouille ou une perquisition ne soit pas abusive au sens de l’art. 8 de la Charte, « [elle] doit être autorisée par la loi, la loi elle-même doit n’avoir rien d’abusif, et la fouille ou perquisition ne doit pas être effectuée d’une manière abusive » (R. c. Caslake, [1998] 1 R.C.S. 51, par. 10; voir aussi R. c. Collins, [1987] 1 R.C.S. 265, p. 278). Je le répète, une divulgation ne constitue pas en soi une « fouille ou une perquisition » au sens de la Charte. Toutefois, pour les raisons exposées précédemment, l’art. 8 entre en jeu. J’estime donc que le cadre d’analyse fondé sur cet article s’applique, mutatis mutandis, aux divulgations faites par les forces de l’ordre en vertu de l’al. 193(2)e) du Code criminel.
[42] C’est en suivant l’approche décrite ci-dessus que j’examinerai séparément chaque étape du cadre d’analyse fondé sur l’art. 8 : (1) La divulgation contestée était-elle autorisée par la loi? (2) La loi autorisant la divulgation contestée est-elle raisonnable? (3) La divulgation contestée a-t-elle été effectuée de manière raisonnable?
(3) La divulgation contestée était-elle autorisée par la loi?
[43] Par souci de commodité, je reproduis à nouveau l’al. 193(2)e) :
(2) Le paragraphe (1) ne s’applique pas à une personne qui divulgue soit tout ou partie d’une communication privée, ou la substance, le sens ou l’objet de tout ou partie de celle-ci, soit l’existence d’une communication privée :
. . .
e) lorsque la divulgation est faite à un agent de la paix ou à un poursuivant au Canada ou à une personne ou un organisme étranger chargé de la recherche ou de la poursuite des infractions et vise à servir l’administration de la justice au Canada ou ailleurs;
[44] Une divulgation est autorisée par la loi si elle est « effectuée conformément aux exigences procédurales et substantielles que la loi prescrit » (Caslake, par. 12). L’alinéa 193(2)e) comporte deux exigences essentielles. Premièrement, pour ce qui est des divulgations transfrontalières, le destinataire doit être « une personne ou un organisme étranger chargé de la recherche ou de la poursuite des infractions ». Deuxièmement, la divulgation doit « vise[r] à servir l’administration de la justice au Canada ou ailleurs ».
[45] Selon la deuxième exigence, l’intention qui compte est celle de la partie qui fait la divulgation. Pour que la divulgation soit autorisée par la loi, cette partie doit croire subjectivement que la divulgation servira l’administration de la justice au Canada ou dans l’État étranger. Il doit s’agir d’une croyance sincère et véritable. La crédibilité de l’intention exprimée par la partie qui fait la divulgation peut s’apprécier au regard de faits objectifs.
[46] En l’espèce, la divulgation était autorisée par la loi. Personne ne prétend le contraire. Les communications interceptées ont été transmises aux autorités américaines dans le but de déjouer une opération transfrontalière de contrebande de drogue. En communiquant à leurs homologues américains des renseignements sur l’opération, les autorités canadiennes cherchaient à servir l’administration de la justice au Canada et aux États-Unis. Les exigences de l’al. 193(2)e) ont donc été respectées.
(4) L’alinéa 193(2)e) est-il une disposition législative raisonnable?
[47] Les observations des parties portent essentiellement sur la deuxième étape du cadre d’analyse fondé sur l’art. 8, à savoir le caractère raisonnable de l’al. 193(2)e). Les parties font valoir, et la juge Karakatsanis est d’accord avec elles, que cette disposition est viciée sur le plan constitutionnel. Je ne partage pas ce point de vue. Comme je l’expliquerai, l’al. 193(2)e) est une disposition législative raisonnable.
a) Aperçu des arguments des parties fondés sur la Charte
[48] M. Wakeling et l’ALCCB présentent toute une série d’arguments relatifs à la Charte pour contester la constitutionnalité de l’al. 193(2)e). Par souci de clarté, je diviserai ces arguments en trois catégories distinctes (bien que celles-ci puissent se chevaucher quelque peu) : (1) l’al. 193(2)e) est inconstitutionnel pour cause de portée excessive; (2) l’al. 193(2)e) est inconstitutionnel pour cause d’imprécision; (3) l’al. 193(2)e) est inconstitutionnel parce qu’il ne prévoit pas de mécanismes de reddition de compte. Pris individuellement comme globalement, ces arguments s’attaquent au caractère raisonnable des dispositions législatives qui autorisent la divulgation contestée. Par conséquent, ils relèvent à bon droit de la deuxième étape du cadre d’analyse fondé sur l’art. 8.
(i) Portée excessive
[49] Le principal moyen invoqué par l’ALCCB est que l’al. 193(2)e) permet une divulgation presque [traduction] « illimitée » des communications privées interceptées. En n’imposant aucune limite raisonnable ni même, d’ailleurs, de limite quelconque à la divulgation, la disposition confère effectivement aux policiers un pouvoir discrétionnaire sans entrave, ce qui peut donner lieu à des abus de la part des autorités tant canadiennes qu’étrangères. Cet argument m’apparaît très semblable à celui de M. Wakeling selon lequel l’al. 193(2)e) est inconstitutionnel pour cause de portée excessive et contrevient donc aux principes de justice fondamentale en violation de l’art. 7 de la Charte. Je suis d’avis que l’on peut examiner ensemble ces deux arguments selon le cadre d’analyse du caractère abusif de la fouille ou perquisition visé à l’art. 8. Pour dire les choses simplement, une disposition législative ayant une portée excessive est nécessairement abusive.
(ii) Imprécision
[50] M. Wakeling soutient que l’al. 193(2)e) est impossible à appliquer tellement son libellé est imprécis. Il fonde cet argument sur l’art. 7 de la Charte, affirmant que l’expression « servir l’administration de la justice » n’a pas un sens constant et établi. J’estime que cet argument peut, à l’instar de celui concernant la portée excessive, être tranché sur le fondement de l’art. 8. Une disposition inconstitutionnelle pour cause d’imprécision est nécessairement abusive.
(iii) Mécanismes de reddition de compte
[51] M. Wakeling et l’ALCCB affirment que l’al. 193(2)e) est inconstitutionnel puisqu’il ne prévoit aucun dispositif de reddition de compte. Ils s’inquiètent tout particulièrement du fait que la disposition ne prévoit pas de garanties suffisantes, notamment une autorisation judiciaire préalable, des obligations de donner un avis et de conserver un dossier, la présentation d’un rapport au Parlement ainsi que l’adhésion à des protocoles internationaux et la formulation de mises en garde limitant l’utilisation des renseignements divulgués.
[52] L’argument de M. Wakeling concernant la reddition de compte va un peu plus loin que celui de l’ALCCB. L’appelant fait valoir que cette reddition de compte ainsi que la valeur connexe de la transparence sont des principes de justice fondamentale au sens de l’art. 7. J’estime qu’il n’est pas nécessaire de trancher définitivement cette question. Il vaut mieux analyser sur la base de l’art. 8 les préoccupations exprimées par M. Wakeling et l’ALCCB quant à la reddition de compte. Comme notre Cour l’a souligné dans R. c. Tse, 2012 CSC 16, [2012] 1 R.C.S. 531, la reddition de compte joue dans l’analyse du caractère abusif fondée sur l’art. 8.
[53] Ayant exposé les trois catégories d’oppositions à l’al. 193(2)e), j’examinerai maintenant chacune d’entre elles plus en détail.
b) La divulgation autorisée par l’al. 193(2)e) est-elle inconstitutionnelle pour cause de portée excessive?
[54] Pour des raisons essentiellement semblables, tant M. Wakeling que l’ALCCB contestent l’étendue de la divulgation autorisée par l’al. 193(2)e). Tous deux font valoir que l’al. 193(2)e) autorise [traduction] « la divulgation quasi illimitée de communications privées interceptées par écoute électronique » (mémoire de l’ALCCB, par. 3; voir aussi le m.a., par. 129-130).
[55] Avec égards, je crois que M. Wakeling et l’ALCCB surestiment la nature et l’étendue de la divulgation prévue à l’al. 193(2)e). Une loi peut être générale sans avoir une portée excessive. La disposition autorise un vaste éventail de divulgations, mais elle ne permet pas une divulgation « quasi illimitée » des communications interceptées licitement. Au contraire, elle limite le type de renseignements qui peuvent être divulgués, l’objectif de leur divulgation et les personnes à qui ils peuvent être divulgués.
[56] Deuxièmement, l’ALCCB fait observer que la disposition autorise la divulgation qui vise à « servir l’administration de la justice au Canada ou ailleurs » et que l’emploi du mot « ou » signifie que la divulgation pourrait être dans le seul intérêt de l’État étranger, et non celui du Canada. Selon l’ALCCB, [traduction] « il n’est jamais raisonnable de divulguer une communication privée interceptée à un État étranger lorsque cette divulgation sert uniquement ses intérêts et non ceux du Canada » (mémoire, par. 33).
[57] Avec égards, je ne partage pas cet avis. La collaboration entre les forces de l’ordre de différents pays sert l’administration de la justice de tous les pays concernés. Il ne faut pas oublier que le Canada est souvent celui qui reçoit des renseignements précieux des forces de l’ordre étrangères. Le libellé de l’al. 193(2)e) exprime comme il se doit la réciprocité inhérente à cette pratique.
[58] Troisièmement, l’ALCCB fait valoir que [traduction] « l’al. 193(2)e) autorise à première vue la divulgation de renseignements, et ce, même si celle-ci se solde par de la torture ou une poursuite dans un État étranger qui ne respecte pas les normes constitutionnelles canadiennes ou le droit international, à la seule condition qu’une personne souhaite que la divulgation serve l’administration de la justice quelque part » (mémoire, par. 10 (en italique dans l’original)). Elle soutient aussi que l’al. 193(2)e) « ouvre la porte à des divulgations à des États étrangers motivées par des intérêts politiques, financiers, personnels ou autres des autorités canadiennes, tant que l’intention de l’État étranger concerne le fait de servir son administration de la justice » (ibid., par. 13 (en italique dans l’original)).
[59] Encore une fois, je ne partage pas cet avis. Selon l’al. 193(2)e), c’est l’intention de la partie qui fait la divulgation qui importe. Cette disposition exige que la partie en question croie subjectivement que la divulgation servira l’administration de la justice au Canada ou dans l’État étranger. La croyance doit être sincère et véritable. Lorsque la croyance subjective de la partie qui fait la divulgation est remise en question, le juge peut tenir compte d’indicateurs objectifs pour décider s’il faut croire cette partie. Évaluer la crédibilité de la croyance exprimée en fonction de faits objectifs est un moyen reconnu de distinguer les croyances sincères et véritables de celles qui ne le sont pas.
[60] La partie qui ne sait peu de choses ou rien du tout sur le système de justice de l’État étranger à qui elle a divulgué ces renseignements, ou qui ne sait pas à quelle fin il veut utiliser ces renseignements, aura de la difficulté à convaincre le tribunal qu’elle croyait véritablement que la divulgation servirait l’administration de la justice. Il en va de même de la partie qui a divulgué des renseignements alors qu’elle sait ou a des raisons de croire qu’ils seront utilisés pour pratiquer la torture ou commettre d’autres violations des droits de la personne, ou d’un individu qui a divulgué les renseignements pour des raisons personnelles ou partisanes. La possibilité de mettre à l’épreuve la crédibilité de la personne qui fait une divulgation en fonction d’indicateurs objectifs incite cette personne à communiquer avec prudence des renseignements à un État étranger. Vu ces limites inhérentes à l’al. 193(2)e), je ne suis pas convaincu que la disposition confère aux policiers un pouvoir de divulgation [traduction] « illimité ».
c) L’alinéa 193(2)e) est-il inconstitutionnel pour cause d’imprécision?
[61] J’examinerai maintenant le moyen de M. Wakeling voulant que l’al. 193(2)e) soit inconstitutionnel pour cause d’imprécision. L’appelant fait valoir que les mots « lorsque la divulgation [. . .] vise à servir l’administration de la justice au Canada ou ailleurs » sont « inapplicables » parce que [traduction] « le décideur aurait à bien apprécier et saisir les lois du pays à qui sont transmis les renseignements » (m.a., par. 126). L’appelant soutient aussi que l’expression « l’administration de la justice » n’a pas un sens constant et établi (par. 129).
[62] Comme la juge d’extradition et la Cour d’appel, je suis d’avis de ne pas retenir ces arguments. Dans R. c. Nova Scotia Pharmaceutical Society, [1992] 2 R.C.S. 606, notre Cour a déclaré qu’« une loi sera jugée d’une imprécision inconstitutionnelle si elle manque de précision au point de ne pas constituer un guide suffisant pour un débat judiciaire » (p. 643). Ce n’est pas le cas de l’al. 193(2)e), lequel indique qui doit souhaiter que la divulgation serve l’administration de la justice (la personne qui divulgue les renseignements) et à qui les renseignements peuvent être divulgués (à un agent de la paix ou à un poursuivant au Canada ou à une personne ou un organisme étranger chargé de la recherche ou de la poursuite des infractions). Par ailleurs, bien que « l’administration de la justice » soit un concept large, il ne s’agit pas d’un concept qui manque de précision au point de ne pas constituer un guide suffisant pour un débat judiciaire. Ainsi que l’a expliqué le juge Borins, de la Cour de comté, dans R. c. Samson (1982), 37 O.R. (2d) 237 :
[traduction] . . . « l’administration de la justice », plus particulièrement en droit pénal, est une expression succincte qui vise l’ensemble des activités exercées pour que le droit substantiel en matière pénale soit opposable ou non aux personnes qui sont soupçonnées d’avoir commis des crimes. Cette expression renvoie aux règles de droit qui régissent la détection, les enquêtes, l’arrestation, les interrogatoires et le procès des personnes soupçonnées d’avoir commis des crimes ainsi qu’aux personnes chargées d’appliquer ces règles. L’administration de la justice ne se limite pas aux tribunaux; elle vise les officiers de justice ainsi que ceux dont les fonctions sont nécessaires à la bonne marche des tribunaux. Elle cherche à assurer le respect des droits avec équité, justice et impartialité et à punir les actes répréhensibles, conformément à la primauté du droit. [p. 246-247]
Dans le contexte de l’al. 193(2)e), l’emploi de l’expression « l’administration de la justice » signifie que la divulgation doit avoir un but légitime d’application de la loi, comme la prévention du trafic transfrontalier de drogues. Cette expression n’est pas inconstitutionnelle pour cause d’imprécision.
d) L’alinéa 193(2)e) est-il inconstitutionnel pour cause d’absence de mécanismes de reddition de compte?
[63] M. Wakeling et l’ALCCB ont également présenté diverses observations concernant la reddition de compte et la valeur connexe de la transparence. Ils s’inscrivent en faux contre l’absence, à l’al. 193(2)e), d’obligation de conserver un dossier ou d’une quelconque obligation de [traduction] « limiter l’utilisation et la diffusion des communications par l’État étranger » (mémoire de l’ALCCB, par. 2). Ils font donc essentiellement valoir que l’al. 193(2)e) ne protège pas adéquatement les droits à la vie privée en jeu et que, faute d’exigences procédurales, telles qu’un avis à donner à la cible de la divulgation, la conclusion de protocoles ou d’accords internationaux, la conservation d’un dossier par la police ou l’obligation de faire rapport au Parlement, l’al. 193(2)e) est inconstitutionnel.
[64] À l’appui de ces arguments, M. Wakeling et l’ALCCB invoquent l’affaire Tse, où la constitutionnalité de l’art. 184.4 du Code criminel était en jeu. Cette disposition permettait à l’agent de la paix d’intercepter certaines communications privées sans autorisation judiciaire s’il avait des motifs raisonnables de croire qu’une interception immédiate était nécessaire pour empêcher un acte illicite qui causerait des dommages sérieux. En invalidant la disposition, notre Cour a conclu que « l’art. 184.4 est invalide sur le plan de la reddition de compte, parce que le régime législatif ne prévoit aucun mécanisme permettant de surveiller l’exercice, par les policiers, du pouvoir qu’il leur confère » (par. 11 (je souligne)).
[65] À mon avis, l’affaire Tse peut être distinguée de la présente espèce. Premièrement, le régime législatif en cause dans Tse ne prévoyait aucune mesure de reddition de compte. Comme je l’expliquerai, ce n’est pas le cas de l’al. 193(2)e).
[66] Deuxièmement, la disposition attaquée dans Tse prévoyait la possibilité de faire des fouilles, des perquisitions et des saisies sans mandat. Les mesures de reddition de compte, notamment les obligations de donner un avis après coup et de faire rapport, sont particulièrement importantes dans ce contexte. De par sa nature même, la disposition sur l’écoute électronique en cas d’urgence permet aux policiers d’effectuer des fouilles ou perquisitions sans mandat en situation d’urgence. Il n’y a aucune mise en balance d’intérêts par un juge. À l’inverse, les communications privées de M. Wakeling ont été interceptées en vertu d’une autorisation judiciaire. Avant d’accorder cette autorisation, le juge devait mettre en balance les droits de M. Wakeling à la vie privée et l’intérêt à assurer l’application de la loi. Toute une série de garanties procédurales ont été respectées. Contrairement à la situation d’écoute électronique en cas d’urgence, les droits de M. Wakeling à la vie privée ont bénéficié d’une protection importante lors de l’interception de ses communications.
[67] L’alinéa 193(2)e) doit être situé dans son contexte. À mon avis, il ne convient pas [traduction] « d’analyser des articles précis [du régime d’écoute électronique] pour voir si, pris isolément, ils contreviennent aux dispositions de la Charte » (R. c. Finlay (1985), 52 O.R. (2d) 632 (C.A.), p. 653). La démarche appropriée consiste plutôt à examiner les « dispositions et garanties prévues par le régime dans leur ensemble » (ibid.). L’alinéa 193(2)e) fait partie d’un régime législatif unique qui prévoit de nombreuses garanties en matière de vie privée, dont les obligations de donner un avis et de faire rapport. Selon le par. 196(1) du Code criminel, la personne mise sous écoute doit être avisée de celle-ci par écrit dans les trois mois qui suivent le moment où l’autorisation a été donnée ou renouvelée, sous réserve de prolongations autorisées par un juge. Ces prolongations peuvent être autorisées, par exemple, lorsque la remise d’un avis au suspect risque de faire avorter une enquête policière en cours.
[68] En principe, le législateur pourrait peut-être exiger un deuxième avis propre à une divulgation visée à l’al. 193(2)e), mais une telle exigence poserait certains problèmes. Pour décider s’il convient de demander une prorogation du délai pour donner avis de la divulgation, les autorités canadiennes seraient obligées de se tenir au courant de toutes les enquêtes étrangères où sont utilisés les renseignements divulgués. Si elles ne les connaissent pas toutes, il leur serait impossible de savoir si la remise de l’avis de divulgation au suspect ferait avorter ou compromettrait de quelque autre façon une enquête étrangère.
[69] Il est de toute évidence déraisonnable d’exiger des autorités canadiennes qu’elles se tiennent parfaitement informées de toutes les enquêtes étrangères où sont utilisés les renseignements communiqués. Une telle exigence serait très contraignante, voire tout à fait irréaliste. À mon avis, l’absence d’obligation de donner un deuxième avis ne rend pas le régime d’écoute électronique inconstitutionnel.
[70] Comme je l’ai mentionné, les exigences actuelles en matière d’avis prévues à la partie VI du Code criminel font en sorte que tous les individus mis sous écoute en soient avisés. Il est possible qu’une fois informés, ces individus veuillent savoir si leurs communications interceptées ont été divulguées à une autorité étrangère. L’intéressé doit présenter une demande conformément à la loi d’accès à l’information applicable en vue d’obtenir ces renseignements. La juge Karakatsanis fait remarquer à bon droit que de telles tentatives ne portent pas toujours fruit, eu égard aux particularités du régime d’accès à l’information applicable et à la situation de l’intéressé. Je ne me prononce pas sur la question de savoir s’il serait souhaitable d’avoir un droit d’accès garanti à ces renseignements. Je me contente de dire que la Constitution ne l’exige pas.
[71] En ce qui concerne le rapport au Parlement, le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile doit présenter chaque année au Parlement un rapport sur le recours à la surveillance électronique conformément à l’art. 195 du Code criminel. Là encore, le législateur pourrait exiger qu’un rapport annuel fasse état des divulgations effectuées en vertu de l’al. 193(2)e). Il s’agit toutefois d’une décision de politique générale, et il est important que notre Cour fasse une distinction entre les questions de politique générale et les impératifs constitutionnels, particulièrement dans le présent contexte où les relations internationales sont en cause. Comme l’a déclaré notre Cour dans Tse, l’obligation de présenter un rapport au Parlement n’est pas un impératif constitutionnel (par. 89).
[72] Contrairement à ce que prétendent M. Wakeling et l’ALCCB, l’al. 193(2)e) prévoit des mesures de reddition de compte. En fait, la reddition de compte a été intégrée au régime régissant la divulgation des communications interceptées par écoute électronique. Le paragraphe 193(1) incite fortement les autorités canadiennes à respecter les impératifs de l’al. 193(2)e), car leur inobservation peut entraîner le dépôt d’accusations criminelles contre la partie qui a fait la divulgation ou donner lieu, dans le cadre de procédures judiciaires ultérieures au Canada, à l’exclusion des preuves communiquées abusivement. Le risque de sanction criminelle ou de perte d’éléments de preuve importants a pour effet d’inciter les autorités à conserver des registres indiquant les renseignements qui ont été divulgués, le nom des destinataires de la divulgation et le but de la divulgation. En fait, selon le témoignage rendu par le commissaire adjoint de l’Ouest du Canada, Gary David Bass, concernant certaines pratiques et procédures de la GRC, cette dernière dispose de plusieurs politiques internes en matière de conservation de dossiers qui s’appliquent à la communication transfrontalière de renseignements.
[73] Bien que la Constitution n’exige pas, à mon avis, que la police conserve des dossiers pour les divulgations effectuées en vertu de l’al. 193(2)e), je ne voudrais pas qu’on pense que je décourage cette pratique. De même, les présents motifs ne visent pas à décourager le législateur d’instaurer des exigences en matière de rapport ou le Canada de conclure des accords internationaux avec des États étrangers concernant la divulgation transfrontalière de communications interceptées par écoute électronique. Le dossier indique que les organismes d’application de la loi ont conclu de nombreux accords. Il ressort également du dossier que les renseignements sont souvent divulgués avec des mises en garde concernant leur utilisation subséquente.
[74] Même si la Constitution ne l’exige pas, l’adhésion à des protocoles internationaux et le recours à des mises en garde, ou la conclusion d’accords sur la communication de renseignements, peuvent être très utiles pour savoir si une divulgation donnée était autorisée par l’al. 193(2)e). Ces indicateurs objectifs peuvent aider le tribunal à déterminer si une divulgation visait véritablement à servir l’administration de la justice. De plus, comme je l’expliquerai plus loin à l’égard de la troisième étape du cadre d’analyse fondé sur l’art. 8, ils jouent dans la détermination du caractère raisonnable de la divulgation.
[75] On ne peut faire abstraction de certaines réalités lorsqu’on se penche sur les différents mécanismes de transparence et de reddition de compte que le législateur pourrait créer. Même dans le cas des renseignements communiqués à un État étranger dont le système juridique ressemble au nôtre, leur utilisation échappe pour l’essentiel à notre contrôle une fois qu’ils se retrouvent entre les mains de l’État étranger. C’est là une caractéristique déterminante de la souveraineté des États. Des mises en garde concernant la divulgation et des protocoles de communication des renseignements peuvent être des mesures souhaitables, et de telles mesures peuvent être utiles pour déterminer si une divulgation vise à servir l’administration de la justice (tel qu’il est prescrit à la première étape de l’analyse fondée sur l’art. 8) ou si elle a été effectuée de manière raisonnable (tel qu’il est prescrit à la troisième étape). Toutefois, elles ne sont pas requises par la Constitution dans tous les cas et, même si elles l’étaient, elles ne seraient pas non plus une panacée — certainement pas les accords types ou les mises en garde systématiques en cas de divulgation qui résulteraient vraisemblablement de la proposition de la juge Karakatsanis. Le risque que l’organisme étranger d’application de la loi fasse mauvais usage des renseignements qui lui ont été communiqués en vertu de l’al. 193(2)e) est toujours présent. Ce risque ne peut jamais être entièrement éliminé, peu importe la nature et la portée des garanties procédurales en vigueur au Canada, et on ne doit pas permettre qu’il mine les intérêts vitaux servis par la détection des crimes et les poursuites criminelles relevant de plusieurs pays. À cet égard, je souligne à nouveau que le Canada est souvent celui qui reçoit de telles divulgations, et la sécurité des Canadiens et des Canadiennes s’en trouve accrue.
[76] Je ne nie pas la possibilité qu’un organisme étranger d’application de la loi fasse mauvais usage des renseignements que lui ont fournis les autorités canadiennes. Dans de tels cas, le Canada dispose de certains recours lorsque l’utilisation subséquente de renseignements divulgués à un État étranger heurte sa propre conception de la justice. Par exemple, lorsque les renseignements divulgués sont utilisés pour solliciter l’extradition d’un individu qui risque véritablement d’être torturé ou victime d’autres violations des droits de la personne dans un pays étranger, le Canada peut refuser la demande d’extradition pour éviter une violation manifeste de la Charte. De même, s’il est jugé que les renseignements en question ont été obtenus illicitement, leur utilisation dans une procédure d’extradition — ou dans toute autre instance judiciaire — pourrait être contestée. Dans d’autres contextes, le Canada pourrait exercer des pressions diplomatiques. Il poursuit ses objectifs sur la scène internationale par différents moyens — fondés sur les principes de courtoisie et de souveraineté des États — qui pourraient trouver application dans un cas donné.
[77] Il importe de souligner que notre Cour n’a pas pour tâche de décider s’il est possible d’instaurer des mesures de reddition de compte meilleures ou additionnelles, ou si la loi peut être rédigée en des termes plus stricts, quant à la divulgation transfrontalière de communications interceptées par écoute électronique. Toute tentative en vue de dicter au législateur sa conduite dans ce contexte doit être faite avec beaucoup de prudence. Il nous faut en l’espèce décider si l’al. 193(2)e) résiste au contrôle constitutionnel. Comme nous l’avons vu, la partie VI et l’al. 193(2)e) lui-même prévoient un certain nombre de mesures de reddition de compte, et l’étendue de la divulgation envisagée à cet alinéa me semble tout à fait raisonnable. Pour ces raisons, je conclus que les dispositions législatives attaquées respectent les normes constitutionnelles prévues à l’art. 8 de la Charte.
(5) La divulgation contestée a-t-elle été effectuée de manière raisonnable?
[78] Comme j’ai conclu que l’al. 193(2)e) est une disposition législative raisonnable qui a été respectée en l’espèce, il reste à savoir si la manière dont a été effectuée la divulgation contestée était abusive et donc contraire à l’art. 8 de la Charte. Rien dans le dossier ne porte à croire que les policiers ont agi de façon abusive en divulguant aux autorités américaines les communications interceptées de M. Wakeling. Ni la Juge en chef ni la juge Karakatsanis n’affirment le contraire. Le bon sens voudrait qu’il y ait chaque jour une collaboration aussi banale et tout à fait raisonnable entre les autorités canadiennes et américaines pour lutter contre les activités criminelles transfrontalières. Il serait inutilement onéreux d’imposer aux policiers l’obligation de prévoir des mises en garde types même pour les divulgations les plus routinières. Une telle obligation ne contribuerait que peu à la protection des droits que garantit l’art. 8 tout en nuisant à des opérations policières légitimes.
[79] Je pourrais d’ores et déjà trancher la présente affaire. Toutefois, dans des contextes factuels différents, la divulgation à des autorités étrangères de communications interceptées pourrait poser des dangers importants. Par conséquent, il convient de procéder à un examen plus large de la troisième étape du cadre d’analyse fondé sur l’art. 8.
[80] Lorsque la partie qui fait une divulgation sait ou aurait dû savoir que les renseignements pourraient être utilisés dans des procès inéquitables, pour faciliter la discrimination ou l’intimidation politique, pour pratiquer la torture ou pour commettre d’autres violations des droits de la personne — préoccupations exprimées à juste titre par la juge Karakatsanis — l’art. 8 exige que la divulgation, si elle est un tant soit peu acceptable, ne soit pas effectuée de manière abusive. Dans les cas les plus graves, où rien ne peut être fait pour atténuer le danger, l’art. 8 interdit toute divulgation. Je tiens à souligner que cet examen de la manière dont la divulgation est faite se distingue de celui de la question de savoir si la divulgation serait autorisée par l’al. 193(2)e), bien que, dans les faits, les deux examens puissent se chevaucher. Par exemple, lorsque les risques sont tellement importants qu’aucune forme de divulgation ne serait objectivement raisonnable, la partie qui a fait la divulgation trouverait difficile de prouver qu’elle croyait que la divulgation visait à « servir l’administration de la justice » d’après n’importe quelle acception plausible de cette expression.
[81] Dans d’autres cas, une divulgation pourrait être effectuée de manière raisonnable lorsque le recours à des protocoles de communication de renseignements ou la formulation de mises en garde sont susceptibles d’atténuer suffisamment les risques. Il serait utile de donner un exemple à titre d’illustration. Supposons que les autorités canadiennes savent, ou devraient savoir, qu’un gouvernement étranger à qui elles envisagent de divulguer des renseignements pourrait communiquer à son tour ces renseignements à un pays tiers qui pourrait les utiliser pour s’en prendre à un citoyen canadien. Dans ce contexte, l’absence d’une mise en garde limitant l’utilisation subséquente des renseignements divulgués, même lorsque la partie qui fait la divulgation cherchait à favoriser l’administration de la justice, pourrait rendre la divulgation abusive au sens de l’art. 8. Par conséquent, dans de tels cas, l’existence de garanties appropriées jouera un rôle crucial dans la détermination du caractère constitutionnel de la divulgation contestée. C’est en requérant des garanties appropriées au cas par cas, plutôt qu’en les exigeant de façon rigide dans toutes les situations, qu’on atteindra un juste équilibre entre, d’une part, la protection contre les divulgations abusives de communications privées et, d’autre part, la facilitation d’enquêtes criminelles efficaces relevant du Canada et de plusieurs pays.
VI. Conclusion
[82] La collaboration entre organismes est essentielle à la prévention, à la détection et à la sanction des crimes transfrontaliers. Compte tenu de ce fait, le législateur a autorisé la transmission transfrontalière de communications interceptées par écoute électronique à l’al. 193(2)e) du Code criminel. La divulgation en l’espèce a été licitement autorisée par cette disposition, et la législation, prise dans son ensemble, ne viole pas l’art. 8 de la Charte. En outre, rien ne prouve que la divulgation a été faite de manière abusive. Par conséquent, je suis d’avis de rejeter le pourvoi.
Version française des motifs rendus par
[83] La Juge en chef — J’ai pris connaissance des motifs de mes collègues les juges Moldaver et Karakatsanis, qui arrivent à des conclusions différentes sur la constitutionnalité de l’al. 193(2)e) du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46, et les mesures qui devraient régir la communication de renseignements obtenus par mandat à des organismes étrangers d’application de la loi.
[84] J’aborde la question sous un autre angle. À mon avis, la question qui se pose en l’espèce est de savoir s’il y a eu violation des droits garantis à M. Wakeling par l’art. 8 de la Charte canadienne des droits et libertés. La constitutionnalité de l’al. 193(2)e) n’entre en jeu que si M. Wakeling parvient à démontrer que cette disposition a porté atteinte aux droits que lui garantit l’art. 8. D’après moi, il n’en a pas fait la démonstration. Par conséquent, je suis d’avis de rejeter le pourvoi.
I. Contexte
[85] Le juge Moldaver a relaté les faits et l’historique judiciaire de l’affaire. En bref, M. Wakeling a fait l’objet d’une enquête canadienne en matière de stupéfiants. Au cours de cette enquête, la GRC a obtenu un mandat pour écouter les communications entre M. Wakeling et d’autres personnes. Les communications ont révélé l’existence d’un complot en vue de faire passer des stupéfiants par la frontière canado-américaine. La GRC a transmis de l’information issue des communications aux autorités américaines, qui l’ont utilisée pour intercepter et saisir 46 000 comprimés d’ecstasy au poste frontalier d’International Falls, au Minnesota.
[86] Les États-Unis ont demandé que M. Wakeling soit extradé du Canada pour répondre à des accusations découlant de la saisie des comprimés d’ecstasy. M. Wakeling a prétendu à l’audience que la divulgation, par la GRC, des renseignements issus des communications interceptées violait les droits qui lui sont garantis par l’art. 8 de la Charte, et que la preuve ne devrait donc pas être admise contre lui.
[87] La juge d’extradition a conclu à l’absence de violation des droits garantis à M. Wakeling par l’art. 8, admis la preuve et ordonné l’incarcération de M. Wakeling en vue de son extradition. La Cour d’appel de la Colombie-Britannique a rejeté l’appel de M. Wakeling.
II. La question en litige
[88] En l’espèce, la principale — et à mon avis la seule — question est de savoir si la divulgation par la GRC des communications interceptées aux autorités américaines violait les droits garantis à M. Wakeling par l’art. 8 et, dans l’affirmative, si la preuve aurait dû être écartée en application du par. 24(2) de la Charte.
[89] Il m’apparaît inutile d’analyser la constitutionnalité de l’al. 193(2)e) du Code criminel pour répondre à cette question. À l’instar de mes collègues, j’estime qu’il n’est pas nécessaire d’examiner la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. 1985, ch. P-21, ou l’al. 193(2)b) du Code criminel.
III. Analyse
[90] L’article 8 de la Charte, qui protège l’individu contre les fouilles, perquisitions et saisies abusives, est rédigé en ces termes :
Chacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives.
[91] L’article 8 protège le droit de l’individu à la vie privée contre l’intrusion abusive de l’État. En l’espèce, M. Wakeling s’attend raisonnablement au respect du caractère privé de ses communications avec autrui. Afin de recueillir des renseignements personnels par l’interception de communications, l’État doit obtenir d’un juge un mandat, qui l’oblige à démontrer l’existence de motifs raisonnables de croire que l’interception permettra d’obtenir la preuve d’une infraction. (Les situations où l’État peut intercepter des communications sans mandat, p. ex. les cas visés par l’art. 184.4 du Code criminel, ne sont pas pertinentes dans la présente affaire.) En présence de tels motifs, le droit d’une personne au respect de sa vie privée relativement aux communications interceptées cède le pas à l’intérêt de l’État à faire appliquer la loi.
[92] Le mandat permet aux policiers d’obtenir les renseignements en question et de s’en servir aux fins d’application de la loi. La personne dont les communications sont licitement interceptées en vertu d’un mandat valide ne peut prétendre que cette interception porte abusivement atteinte à sa vie privée. Pour utiliser une métaphore, le mandat valide aseptise l’atteinte de l’État à la vie privée, pourvu qu’il soit exécuté de manière raisonnable et que les renseignements soient utilisés aux fins d’application de la loi.
[93] On n’a jamais laissé entendre que ce principe s’applique uniquement à l’usage de renseignements au Canada. Le fait est que la criminalité ne s’arrête pas à la frontière, et que les policiers transmettent couramment à leurs homologues étrangers les renseignements qu’ils ont obtenus licitement en vertu d’un mandat. Tant que les renseignements sont communiqués aux fins d’application de la loi, l’intéressé ne peut prétendre que leur communication viole le droit à la vie privée que lui garantit l’art. 8.
[94] La Cour a conclu à la violation de l’art. 8 dans des cas où les renseignements avaient été saisis en dehors du contexte de l’application de la loi, puis transmis à cette fin : R. c. Colarusso, [1994] 1 R.C.S. 20; R. c. Law, 2002 CSC 10, [2002] 1 R.C.S. 227; et R. c. Cole, 2012 CSC 53, [2012] 3 R.C.S. 34. Dans ces affaires, il manquait l’effet « aseptisant » d’un mandat (ou d’une procédure d’autorisation semblable); le droit de l’individu à la vie privée n’avait pas été mis en balance, par voie d’autorisation judiciaire préalable, avec l’intérêt de l’État à faire appliquer la loi. Lorsque, comme en l’espèce, cette procédure a été suivie, la divulgation faite aux fins d’application de la loi ne viole pas l’art. 8.
[95] Une fois les renseignements obtenus par mandat, l’art. 8 en empêche l’utilisation abusive. Par exemple, ces renseignements ne peuvent servir à faire expulser quelqu’un vers un pays étranger (l’affaire Maher Arar dont parle la juge Karakatsanis) ou à exciter le public. L’article 7 de la Charte peut aussi entrer en jeu lorsque les renseignements divulgués suscitent la crainte que le pays destinataire les utilise pour tuer, torturer ou maltraiter la cible. D’après les faits de l’espèce, ces craintes ne se posent pas. En cas d’atteinte à ces droits résiduels à la vie privée, on peut notamment poursuivre, en vertu du par. 193(1) du Code criminel, l’agent ayant fait la divulgation et accorder des réparations au titre du par. 24(1) de la Charte.
[96] Il s’ensuit que la communication, à des officiers de police étrangers, de renseignements obtenus par mandat aux fins d’application de la loi ne viole pas l’art. 8 en l’absence des craintes résiduelles dont je viens de faire état. En l’espèce, l’information a été divulguée aux autorités américaines à de telles fins, et aucune des craintes résiduelles ne se pose. En conséquence, les droits de M. Wakeling n’ont pas été violés, et il faut rejeter son pourvoi.
[97] Il s’agit de savoir si l’al. 193(2)e) du Code criminel change la donne. Je ne crois pas que ce soit le cas. Comme je le mentionne au par. 89 de l’arrêt Pétrolière Impériale c. Jacques, 2014 CSC 66, [2014] 3 R.C.S. 287, j’estime que le par. 193(2) ne constitue pas une disposition habilitante. L’alinéa 193(2)e) ne confère pas aux autorités canadiennes le pouvoir de communiquer des renseignements obtenus par mandat aux autorités étrangères. Il a plutôt pour effet de mettre les agents à l’abri de poursuites lorsqu’ils divulguent des communications privées interceptées dans l’exercice des pouvoirs qu’ils tiennent de la common law. Le paragraphe 193(1), la disposition créant l’infraction, vise à empêcher la divulgation des communications privées interceptées en prévoyant que commet une infraction quiconque les divulgue sans le consentement de l’intéressé. Le paragraphe 193(2), quant à lui, énumère un certain nombre d’exceptions à ce qui constituerait autrement une infraction par application du par. 193(1). L’exception prévue à l’al. 193(2)e) démontre que le pouvoir de common law d’utiliser les renseignements obtenus par mandat aux fins d’application de la loi est une des catégories de divulgation qui échappent à la responsabilité de l’infraction prévue au par. 193(1). Je suis d’accord avec mon collègue le juge Moldaver lorsqu’il dit qu’à l’al. 193(2)e), « l’administration de la justice » vise uniquement l’utilisation à des fins légitimes d’application de la loi. Cette disposition maintient donc le pouvoir que les forces de l’ordre tiennent de la common law de communiquer des renseignements licitement obtenus aux fins d’application de la loi tant au pays qu’à l’étranger. Pour résumer, l’exception empêche que les agents des forces de l’ordre soient condamnés pour avoir fait leur travail : utiliser des renseignements obtenus par mandat aux fins d’application de la loi.
[98] Il n’est donc pas nécessaire de se prononcer sur la constitutionnalité de l’al. 193(2)e) du Code criminel. Cela incite à conjecturer, comme en font foi les motifs éloquents de mes collègues : l’une dit que le régime législatif en vigueur est inconstitutionnel tandis que l’autre affirme qu’il est éminemment raisonnable. Nous ne devons pas contraindre le législateur à refaire son travail sur le fondement de conjectures lorsqu’il n’est pas établi que la loi porte atteinte aux droits de qui que ce soit fondés sur l’art. 8.
[99] Pour les mêmes raisons, il ne m’apparaît pas nécessaire d’examiner la constitutionnalité de la Loi sur la protection des renseignements personnels. À supposer, sans en décider, que cette loi s’applique, elle autorise la divulgation de renseignements personnels aux fins d’application de la loi. La divulgation en question est expressément autorisée par l’al. 8(2)f)[3] et, de façon plus générale, en tant qu’usage compatible avec les fins auxquelles les renseignements ont été recueillis en vertu de l’al. 8(2)a)[4]. Comme je l’ai mentionné, pareille divulgation ne viole pas à elle seule les art. 7 ou 8.
[100] On fait grand cas de la nécessité — ou de l’absence de nécessité — de mettre en place des mesures pour contrer le risque que l’information communiquée à des organismes étrangers d’application de la loi soit utilisée de manière abusive. Selon M. Wakeling et les intervenants qui l’appuient, l’exception prévue à l’al. 193(2)e) pour l’infraction de divulgation irrégulière est trop large pour assurer une protection adéquate. Pour leur part, le ministère public et les procureurs généraux qui l’appuient soulignent les risques que présentent les restrictions d’ordre bureaucratique pour la communication internationale de renseignements, et font valoir que ces restrictions seraient irréalistes et inapplicables dans le monde interrelié d’aujourd’hui. Ce sont là des questions épineuses qui ressortissent davantage à la politique générale qu’au droit. Le législateur les a étudiées et y a répondu par les dispositions créant l’infraction et les exceptions de l’art. 193. En l’absence de preuve que ces dispositions violent les droits garantis par l’art. 8, j’estime en toute déférence qu’il faut respecter le choix du législateur.
IV. Conclusion
[101] Je suis d’avis de rejeter le pourvoi et de confirmer l’ordonnance d’incarcération de M. Wakeling.
Version française des motifs des juges Abella, Cromwell et Karakatsanis rendus par
[102] La juge Karakatsanis (dissidente) — Les dispositions législatives qui autorisent les organismes canadiens d’application de la loi à divulguer des renseignements obtenus par écoute électronique à des responsables étrangers de l’application de la loi violent-elles l’art. 8 de la Charte canadienne des droits et libertés? Je conclus que tel est le cas.
[103] Lorsque les policiers interceptent les communications privées d’une personne sans son consentement, les renseignements qu’ils obtiennent sont de nature hautement privée et personnelle. Ils doivent obtenir une autorisation judiciaire avant d’effectuer ces fouilles ou perquisitions envahissantes, sauf en cas d’urgence : Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46, art. 184.2, 185, 186 et par. 487.01(5); R. c. Duarte, [1990] 1 R.C.S. 30. Une fois les renseignements obtenus, l’usage que peuvent en faire les policiers ainsi que les responsables canadiens à qui ils peuvent être divulgués font l’objet de limites strictes.
[104] À l’inverse, l’al. 193(2)e) du Code criminel permet aux agents canadiens chargés d’appliquer la loi de divulguer des renseignements obtenus par écoute électronique à des responsables étrangers de l’application de la loi sans que l’utilisation de ces renseignements ne soit restreinte de quelque façon que ce soit et sans qu’aucune mesure ne permette de vérifier quand et comment ce pouvoir étendu de l’État est exercé. Cette disposition n’empêche aucunement les destinataires d’utiliser ces renseignements à l’extérieur du Canada dans des procès inéquitables ou d’une façon contraire aux normes établies en matière de droits de la personne. De même, rien n’empêche les responsables destinataires de diffuser publiquement ces renseignements ou de les communiquer aux représentants d’autres États, dont bon nombre ne partagent pas nos valeurs juridiques et démocratiques. La torture infligée à Maher Arar en Syrie est un exemple particulièrement troublant des dangers de la communication sans condition de renseignements.
[105] Je suis d’avis de conclure que le régime d’écoute électronique prévu à la partie VI du Code criminel porte atteinte au « droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives » établi par la Charte parce que l’al. 193(2)e) autorise la communication de renseignements interceptés à des responsables étrangers sans garantie concrète. Afin de rendre ce régime constitutionnel, le législateur doit exiger de la partie qui fait la divulgation qu’elle impose des conditions aux responsables étrangers sur l’usage qu’ils peuvent faire des renseignements reçus, et mettre en place des mesures de reddition de compte pour décourager les divulgations inappropriées et permettre la vérification des divulgations.
I. Dispositions législatives
[106] La partie VI du Code criminel établit le régime législatif régissant les interceptions par écoute électronique et l’utilisation des renseignements interceptés. Compte tenu de l’atteinte grave à la vie privée découlant de l’interception de communications privées, la partie VI impose des conditions préalables strictes à cette interception. À part les exceptions limitées en situation d’urgence (art. 184.1 et 184.4), les agents chargés d’appliquer la loi ne peuvent habituellement avoir recours à l’écoute électronique que pendant une enquête sur une infraction énumérée (art. 183) et ils doivent obtenir au préalable une autorisation judiciaire (al. 184(2)b) et art. 184.2) et respecter des obligations en matière d’avis et de rapport (art. 195 et 196). Certaines des garanties prévues à la partie VI ont été ajoutées afin d’assurer la constitutionnalité du régime d’écoute électronique : Loi modifiant le Code criminel, la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif et la Loi sur la radiocommunication, L.C. 1993, ch. 40; Loi donnant suite à la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire R. c. Tse, L.C. 2013, ch. 8.
[107] Bien qu’il ait été jugé que le régime de base établi à la partie VI atteint un juste équilibre entre le respect de la vie privée et l’intérêt à appliquer la loi, comme l’exige l’art. 8 de la Charte (Duarte, p. 45), c’est la première fois que notre Cour examine l’effet des dispositions relatives à la divulgation sur la constitutionnalité de ce régime. Aux termes de l’art. 193 du Code criminel, commet un acte criminel quiconque divulgue des renseignements interceptés sans consentement, sauf lorsque cette divulgation entre dans une catégorie autorisée, comme la divulgation faite aux fins d’une enquête criminelle. Depuis 1988, le Code criminel autorise la divulgation
e) lorsque la divulgation est faite à un agent de la paix ou à un poursuivant au Canada ou à une personne ou un organisme étranger chargé de la recherche ou de la poursuite des infractions et vise à servir l’administration de la justice au Canada ou ailleurs;
[108] L’article 8 de la Charte garantit le droit à la protection contre « les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives ». Une fouille, perquisition ou saisie est raisonnable « si elle est autorisée par la loi, si la loi elle-même n’a rien d’abusif et si la fouille n’a pas été effectuée d’une manière abusive » (R. c. Collins, [1987] 1 R.C.S. 265, p. 278). En l’espèce, l’interception des communications de l’appelant constituait une fouille autorisée par la loi. Un mandat autorisant l’écoute électronique avait été obtenu. Les communications ont été transmises aux autorités policières américaines en vertu de l’al. 193(2)e) sans aucune condition ni dossier.
[109] À l’instar de mon collègue le juge Moldaver, j’estime que nous n’avons pas à examiner la constitutionnalité de l’al. 8(2)f) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. 1985, ch. P-21. Pour les motifs exposés par mon collègue, j’estime également qu’il n’est pas nécessaire de traiter des arguments relatifs à l’art. 7 de la Charte. Il s’agit en l’espèce de décider si la divulgation à des étrangers visée par l’al. 193(2)e) du Code criminel est raisonnable. Plus particulièrement, l’al. 193(2)e) rend-il abusif le régime d’écoute électronique établi à la partie VI en autorisant essentiellement une divulgation illimitée et sans surveillance des fruits d’interceptions par écoute électronique à des responsables étrangers de l’application de la loi?
[110] Il faut analyser le contexte pour déterminer si une loi confère un pouvoir raisonnable de fouille ou de perquisition : R. c. Rodgers, 2006 CSC 15, [2006] 1 R.C.S. 554, par. 26. La question qui se pose en l’espèce est de savoir si les dispositions relatives à l’écoute électronique « établi[ssent] un juste équilibre » entre l’intérêt de l’État dans la fouille ou la perquisition et l’intérêt du public à protéger la vie privée : R. c. Tse, 2012 CSC 16, [2012] 1 R.C.S. 531, par. 10.
[111] L’appréciation de cet équilibre doit avoir un lien avec les objectifs sous-jacents de l’art. 8 lui-même. Tout comme l’analyse de l’attente en matière de vie privée nécessite un questionnement sur les attentes que nous devrions, en tant que société, avoir quant à ce qui demeurera confidentiel (R. c. Quesnelle, 2014 CSC 46, [2014] 2 R.C.S. 390, par. 44), l’examen de la question de savoir si une loi confère un pouvoir raisonnable de fouille ou de perquisition nous oblige à nous demander à quelle protection de la vie privée nous sommes en droit de nous attendre compte tenu de l’objectif poursuivi par l’État dans sa recherche de l’information.
[112] Pour déterminer si l’al. 193(2)e) de la partie VI du Code criminel permet d’effectuer une « fouille, perquisition ou saisie abusive », il est nécessaire dans un premier temps de tenir compte des intérêts que le régime de divulgation est censé servir et de son incidence sur le droit à la vie privée des personnes concernées. En gardant à l’esprit ces intérêts, j’examinerai, dans un deuxième temps, les aspects particuliers de l’al. 193(2)e) qui, à mon avis, rendent inconstitutionnelle la partie VI.
III. Les intérêts en jeu
[113] Il est indéniable que la collaboration et la communication de renseignements à l’échelle internationale sont essentielles à l’application de la loi : États-Unis d’Amérique c. Cotroni, [1989] 1 R.C.S. 1469; R. c. Hape, 2007 CSC 26, [2007] 2 R.C.S. 292. La criminalité ne s’arrête pas aux frontières des États, et il ne devrait pas non plus en être ainsi des efforts déployés pour la contrer. Tout comme la surveillance électronique « joue un rôle indispensable dans la découverte d’opérations criminelles complexes » (Duarte, p. 44), la diffusion internationale des fruits de cette surveillance revêt de plus en plus d’importance pour l’application de la loi.
[114] Lorsque des responsables canadiens communiquent des renseignements à leurs homologues étrangers, l’État étranger n’est pas seul à en bénéficier; on ne peut faire abstraction de l’importance de la courtoisie. Les intérêts du Canada sont servis lorsque nos organismes d’application de la loi établissent des rapports convenables en matière de communication de renseignements avec les responsables de l’application de la loi dans d’autres États, et la divulgation de renseignements obtenus par écoute électronique dans des cas particuliers contribue à solidifier ces rapports. De plus, la divulgation faite en temps opportun se révèle souvent cruciale dans les enquêtes sur de graves crimes transfrontaliers tels que la contrebande de drogues, la traite de personnes et le terrorisme. Il arrive souvent que les policiers doivent intervenir immédiatement pour assurer la sécurité publique et prévenir des crimes. La présente affaire en est un exemple.
[115] Il faut établir un juste équilibre entre, d’une part, l’intérêt qu’a l’État dans l’application de la loi et la courtoisie et, d’autre part, l’importance du respect de la vie privée et d’autres droits touchés par la divulgation de renseignements. Les interceptions par écoute électronique permettent de recueillir des renseignements personnels susceptibles de « révéler des détails intimes sur le mode de vie et les choix personnels de l’individu » (R. c. Plant, [1993] 3 R.C.S. 281, p. 293; et R. c. Tessling, 2004 CSC 67, [2004] 3 R.C.S. 432, par. 25). Il peut s’agir de renseignements concernant l’appartenance politique et religieuse d’une personne, ses finances personnelles, ses relations intimes, ses problèmes familiaux, son état de santé physique et mental, sa consommation de drogues et ses démêlés avec la police.
[116] La Cour a reconnu le caractère envahissant de l’écoute électronique dans Duarte, où le juge La Forest a déclaré qu’« on peut difficilement concevoir une activité de l’État qui soit plus dangereuse pour la vie privée des particuliers que la surveillance électronique » (p. 43). Il a lancé la mise en garde suivante :
S’il est permis à l’État d’enregistrer et de transmettre arbitrairement nos communications privées, il devient dès lors impossible de trouver un juste équilibre entre le droit du particulier d’être laissé tranquille et le droit de l’État de porter atteinte à la vie privée dans la poursuite de ses objets, notamment la nécessité d’enquêter sur le crime et de le combattre. [p. 44]
[117] Les agents chargés d’appliquer la loi au Canada sont donc assujettis à des limites strictes dans leur utilisation de renseignements obtenus par écoute électronique. L’article 193 du Code criminel érige en acte criminel le fait de divulguer des renseignements interceptés, sous réserve d’exceptions restreintes comme dans le cadre d’une déposition lors de poursuites civiles ou pénales (al. 193(2)a)) ou de la divulgation de renseignements aux fins d’une enquête en matière pénale (al. 193(2)b)). En revanche, les tribunaux ont jugé que des renseignements obtenus par l’État lors de fouilles ou de saisies d’une autre nature pouvaient être communiqués à des organismes de réglementation à d’autres fins que celles d’enquêtes en matière pénale et de poursuites en cours (voir, par exemple, Brown c. La Reine, 2013 CAF 111 (CanLII)).
[118] Lorsque des renseignements sont communiqués au-delà des frontières, les garanties qui s’appliquent lors d’enquêtes menées au Canada cessent d’avoir effet, ce qui peut mettre sérieusement en péril le droit d’une personne au respect de sa vie privée, à la liberté et à la sécurité de sa personne. Comme l’a fait remarquer le commissaire O’Connor, lorsque des renseignements sont communiqués à des autorités étrangères, « le respect des droits de la personne ne peut pas toujours être tenu pour acquis » : Commission d’enquête sur les actions des responsables canadiens relativement à Maher Arar, Rapport sur les événements concernant Maher Arar : Analyse et recommandations (2006) (« rapport O’Connor »), p. 348.
[119] Les renseignements obtenus par écoute électronique qui sont communiqués à des responsables étrangers peuvent servir ultérieurement dans des procès inéquitables ou à engager des poursuites pour des infractions qui ne sont pas considérées comme des crimes au Canada. Ces renseignements peuvent également donner lieu à une discrimination fondée sur l’appartenance politique ou religieuse. Lorsqu’ils tombent entre de mauvaises mains, ces renseignements peuvent même être utilisés pour intimider ou dénigrer des personnalités politiques et des membres de la société civile : voir, par ex., B. A. Franklin, « Wiretaps reveal Dr. King feared rebuff on nonviolence », The New York Times, le 15 septembre 1985; J. Sanchez, « Wiretapping’s true danger », Los Angeles Times, le 16 mars 2008. De plus, l’al. 193(2)e) autorise la divulgation à des responsables étrangers tant de renseignements personnels obtenus par écoute électronique qui n’ont peut-être absolument rien à voir avec l’enquête pénale ou la cible que de renseignements issus d’une écoute électronique qui est par la suite jugée illicite.
[120] Le professeur Kent Roach écrit que, depuis 2001, l’expansion de la communication de renseignements à l’échelle internationale a exacerbé plusieurs problèmes :
[traduction] . . . les organismes d’application de la loi sont maintenant plus susceptibles de prendre des mesures d’application sur la foi de renseignements communiqués qui sont peu fiables, et il existe maintenant un risque accru que les renseignements communiqués entre services de renseignement soient divulgués par la suite dans des procédures judiciaires. Les individus risquent également davantage de subir une atteinte à leurs droits, particulièrement leur droit au respect de leur vie privée. Ils auront rarement l’occasion de contester l’exactitude des renseignements communiqués parce qu’ils ignoreront souvent que de l’information les concernant a été communiquée et qu’ils n’y auront pas accès.
(K. Roach, « Overseeing Information Sharing », dans H. Born et A. Wills, dir., Overseeing Intelligence Services : A Toolkit (2012), 129, p. 131)
[121] L’intimé le procureur général du Canada soutient que l’attente quant au caractère privé des communications diminue lorsqu’elles sont licitement interceptées. En effet, les gens devraient s’attendre à ce que les policiers « partagent des renseignements légalement obtenus avec d’autres responsables de l’application de la loi, à condition que leur utilisation soit compatible avec les fins de leur obtention » (Quesnelle, par. 39).
[122] Cela ne signifie cependant pas qu’il n’existe aucun droit au respect de la vie privée à l’égard des renseignements obtenus par écoute électronique. Au contraire, les gens sont en droit de s’attendre à ce que ces renseignements ne soient divulgués qu’avec raison. Dans un extrait fort bien connu de R. c. Mills, [1999] 3 R.C.S. 668, les juges McLachlin et Iacobucci ont affirmé que :
Le droit à la vie privée n’est pas un droit absolu. Toute attente raisonnable en matière de protection de la vie privée ne disparaît pas du simple fait que le ministère public est en possession des dossiers. Dans une société moderne, le droit à la protection de la vie privée comporte l’attente raisonnable que les renseignements privés ne resteront connus que des personnes à qui ils ont été divulgués et qu’ils ne seront utilisés que dans le but pour lequel ils ont été divulgués. [par. 108]
[123] La Cour, sous la plume de la juge Charron, a également confirmé dans R. c. McNeil, 2009 CSC 3, [2009] 1 R.C.S. 66, que « de nombreuses personnes et entités [ont un droit résiduel à la protection de la vie privée] relativement aux renseignements recueillis dans le cadre d’une enquête criminelle » (par. 19; voir aussi par. 12 et 39). La « protection de l’art. 8 » garantit la confidentialité des renseignements saisis par l’État « tant que dure la saisie » (R. c. Colarusso, [1994] 1 R.C.S. 20, p. 63).
[124] Le droit au respect de la vie privée à l’égard des renseignements obtenus par écoute électronique ne diminue pas non plus du simple fait qu’une personne mise sous écoute s’attend peut-être à ce que des organismes d’application de la loi se les échangent entre eux conformément à l’art. 193 du Code criminel. Le fait de mettre l’accent sur les attentes subjectives, ce que la professeure L. M. Austin a appelé l’approche [traduction] « à quoi vous attendiez-vous » en matière de vie privée, protégerait « le droit de ne pas être injustement surpris par les intrusions de l’État », mais cette démarche n’offrirait aucune protection contre « les atteintes à la vie privée attendues, mais néanmoins problématiques » (« Information Sharing and the “Reasonable” Ambiguities of Section 8 of the Charter » (2007), 57 U.T.L.J. 499, p. 507 (je souligne)). Comme l’a conclu la Cour dans l’arrêt Tessling, la diminution de l’attente subjective en matière de vie privée ne se traduit pas nécessairement par une diminution de la protection constitutionnelle : « L’attente en matière de vie privée est de nature normative et non descriptive » (par. 42).
[125] Compte tenu du caractère envahissant de l’écoute électronique, de la nature très personnelle des renseignements en cause et des risques bien réels que pose leur divulgation à des responsables étrangers, il est évident qu’un droit substantiel au respect de la vie privée demeure à l’égard des renseignements obtenus par écoute électronique. Ce droit restreint la divulgation des renseignements et l’usage qu’on peut en faire.
IV. Contestations de l’al. 193(2)e)
[126] L’appelant et les intervenants attaquent plusieurs éléments de l’al. 193(2)e), notamment sa portée, sa prétendue imprécision et la nature subjective du critère de divulgation. Ils relèvent également certaines lacunes : l’absence d’obligation d’obtenir un mandat pour divulguer les renseignements, de restrictions sur la manière dont les renseignements peuvent être utilisés après leur communication et de mécanismes de reddition de compte comme l’obligation de conserver un dossier et de donner un avis ou de présenter des rapports. Je souscris au rejet, par mon collègue le juge Moldaver, de bon nombre de ces moyens. Toutefois, à mon avis, les deux derniers moyens ― l’absence de restrictions quant aux renseignements divulgués et l’absence de mesures de reddition de compte ― font tous deux état de graves problèmes constitutionnels. Pour les motifs exposés ci-après, dans la mesure où l’al. 193(2)e) permet la divulgation de renseignements obtenus par écoute électronique à des autorités étrangères sans restrictions quant à l’utilisation que peut en faire le destinataire et sans mesures de reddition de compte, je conclus que cette disposition est abusive et contraire à l’art. 8 de la Charte.
A. Limites à l’utilisation des renseignements divulgués
[127] La première carence est que l’al. 193(2)e) ne limite aucunement l’utilisation des renseignements communiqués ou leur divulgation subséquente. Il ne fait qu’autoriser la divulgation de renseignements obtenus par écoute électronique tant que cette divulgation « vise à servir l’administration de la justice au Canada ou ailleurs ». À mon sens, il ne suffit pas de dire que, parce que des policiers ne peuvent, dans le contexte de l’application de la loi, divulguer des renseignements que s’ils croient sincèrement que ceux-ci servent l’administration de la justice, il est peu probable que l’application de l’al. 193(2)e) entraîne la communication de tels renseignements à des États qui se livrent à la torture ou qui commettent d’autres violations des droits de la personne. Alors que la Charte et l’art. 193 du Code criminel limitent l’utilisation que peuvent faire les responsables canadiens de l’application de la loi des renseignements obtenus par écoute électronique, ces restrictions ne s’appliquent pas aux responsables étrangers.
[128] Évidemment, de nombreux pays étrangers assujettissent à une forme de surveillance judiciaire l’utilisation des renseignements obtenus par écoute électronique ou des renseignements en matière de criminalité en général. L’alinéa 193(2)e) n’empêche toutefois en rien les destinataires de ces renseignements de les utiliser dans des procédures qui ne respectent pas l’application régulière de la loi et les droits de la personne, qui peuvent se solder par une détention injustifiée ou la torture, ou à l’occasion desquelles l’accusé ne peut consulter un avocat. Même si les premiers destinataires des renseignements respectent les droits de la personne et le droit à un procès équitable, l’al. 193(2)e) ne les empêche pas de divulguer ces renseignements à d’autres personnes qui ne les respectent pas. Comme l’a fait remarquer mon collègue le juge LeBel, « [s]i le processus est irrémédiablement vicié, ce n’est pas la confiance dans la bonne conduite et la retenue futures des poursuivants et des policiers qui le sauveront » : Lavallee, Rackel & Heintz c. Canada (Procureur général), 2002 CSC 61, [2002] 3 R.C.S. 209, par. 69 (dissident en partie).
[129] Il suffit de se pencher sur le cas de Maher Arar pour saisir ce qui est en jeu. Bien que dans cette affaire les renseignements fournis n’aient pas été obtenus par écoute électronique, le commissaire O’Connor a conclu que « [l]e fait que [la GRC] n’ait pas annexé de réserves écrites à l’information sur M. Arar qu’[elle] a fournie aux organismes américains a accru le risque que ces organismes utilisent l’information à des fins inacceptables pour la GRC, comme renvoyer M. Arar en Syrie » (rapport O’Connor, p. 24). Même si la divulgation faite par un État qui met en péril le droit de l’intéressé à la vie, à la liberté ou à la sécurité de sa personne pourrait fort bien donner ouverture à une réparation en vertu de l’art. 7 de la Charte, l’art. 8 doit être interprété de façon à prévenir les atteintes abusives au droit à la vie privée et leurs conséquences éventuelles avant qu’elles ne se produisent : Hunter c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145, p. 160.
[130] L’omission de requérir une mise en garde concernant l’utilisation des renseignements divulgués m’apparaît déraisonnable. Dans la mesure où l’al. 193(2)e) autorise les agents chargés d’appliquer la loi à intercepter des communications privées et à en communiquer par la suite les résultats à des responsables étrangers sans restreindre d’une quelconque façon ce qu’ils peuvent en faire, la partie VI n’établit pas l’équilibre des intérêts nécessaire pour répondre aux exigences de l’art. 8 de la Charte.
[131] De plus, l’obligation d’obtenir au préalable l’autorisation du tribunal pour l’écoute électronique elle-même n’offre pas de protection suffisante contre la divulgation ultérieure abusive des renseignements ainsi obtenus. Les autorisations d’intercepter des communications sont accordées pour des moments et des endroits précis et visent des personnes en particulier, dans le contexte des lois canadiennes et des garanties qu’elles offrent. Lorsqu’une autorisation est donnée, le juge ne soupèse généralement pas le droit de l’individu ciblé au respect de sa vie privée (sans parler des droits des tiers dont les communications sont également interceptées) en fonction de l’intérêt que l’État pourrait avoir à l’avenir dans la divulgation des renseignements aux responsables étrangers de l’application de la loi. L’établissement de restrictions à l’utilisation de l’information divulguée offrirait une certaine protection aux droits d’une personne au respect de sa vie privée et à la sécurité.
[132] L’imposition de restrictions à l’utilisation, à l’étranger, de renseignements obtenus au Canada par écoute électronique n’entraverait pas la réalisation des objectifs du régime d’écoute électronique. Les mises en garde relatives à la communication de renseignements sont monnaie courante dans la collaboration internationale en matière d’application de la loi et de renseignement : rpport O’Connor, p. 161; Comité de renseignement et de sécurité du R.-U., Rendition (2007), p. 53. En effet, selon l’affidavit du sous-commissaire de la GRC pour l’Ouest canadien, Gary David Bass, de telles mises en garde sont [traduction] « normalement » jointes aux divulgations d’écoute électronique. En outre, la nécessité d’écrire ces mises en garde n’a pas à entraver la communication de renseignements en temps opportun. Par exemple, les forces policières pourraient conclure des ententes permanentes avec certaines forces étrangères avec lesquelles elles collaborent régulièrement, ou remplir un formulaire type chaque fois que des renseignements sont communiqués.
[133] Je ne proposerai pas de forme particulière de mise en garde ou d’entente. L’important est que le régime d’écoute électronique qui autorise de graves atteintes au droit à la vie privée susceptibles de bouleverser la vie des intéressés ne peut autoriser la divulgation inconditionnelle de renseignements à des autorités étrangères. Les mises en garde écrites doivent offrir à nos organismes d’application de la loi une certaine assurance que les renseignements communiqués seront utilisés uniquement pour réaliser des objectifs légitimes d’application de la loi, en conformité avec l’application régulière de la loi et les droits de la personne et dans le respect de ceux-ci, et qu’ils ne seront pas communiqués à autrui, sauf avec le consentement de la partie qui les a divulgués au départ.
[134] Mon collègue le juge Moldaver laisse entendre que, lorsqu’une divulgation donnée est attaquée (comme en l’espèce, dans le cadre d’une procédure d’extradition), l’existence de mises en garde ou de protocoles pourrait s’avérer utile pour cerner l’intention subjective de l’agent qui fait la divulgation : cet agent voulait-il que la divulgation « serv[e] l’administration de la justice au Canada ou ailleurs »? Ainsi, selon lui, les mises en garde et protocoles pourraient aider à déterminer si la divulgation était autorisée par l’al. 193(2)e) ou si elle a été faite de manière raisonnable. Cette possibilité repose de toute évidence sur l’hypothèse incertaine selon laquelle une personne aurait connaissance de la divulgation et l’occasion de l’attaquer dans le cadre d’une procédure intentée au Canada. De plus, cette approche laisse à l’agent qui fait la divulgation le soin d’évaluer et de pondérer les intérêts. Compte tenu des risques importants liés à la diffusion internationale de ces renseignements et de la capacité limitée d’une personne dont les droits ont été violés de demander réparation, une telle approche n’offre pas de garanties suffisantes à l’égard des droits importants à la vie privée en jeu. Comme je l’ai déjà mentionné, pour que l’al. 193(2)e) soit raisonnable, la loi elle-même doit établir un juste équilibre des intérêts.
B. Surveillance et reddition de compte
[135] De plus, pour qu’une loi confère un pouvoir raisonnable de fouille, de perquisition ou de saisie, elle doit comporter un mécanisme permettant de surveiller l’exercice de ce pouvoir par l’État : voir Tse, par. 11 et 82. À mon avis, cette nécessité de rendre des comptes vaut non seulement pour la fouille ou la perquisition elle-même, mais aussi pour l’utilisation ultérieure des renseignements ainsi obtenus. Les mises en garde écrites n’assurent généralement pas à elles seules une protection suffisante. En l’absence de dispositif de reddition de compte, on ne dispose d’aucune information sur la teneur des renseignements divulgués, leurs destinataires, le but de leur communication et leur utilisation ultérieure. La nécessité d’une telle reddition de compte se fait encore plus sentir lorsqu’il y a communication transfrontalière de renseignements, ce qui met ceux-ci à l’abri des garanties juridiques canadiennes.
[136] L’objectif des mécanismes de reddition de compte est de décourager et de débusquer les atteintes abusives au droit à la vie privée. Aucune des garanties formulées dans les dispositions les plus générales de la partie VI relatives à l’écoute électronique, comme l’autorisation judiciaire préalable, l’avis après coup, la conservation de dossiers ou l’obligation de produire des rapports, ne s’applique à la divulgation de renseignements obtenus par écoute électronique à des responsables étrangers. Le fait de veiller à ce que l’écoute électronique elle-même soit justifiée ne garantit en rien que les divulgations ultérieures des renseignements ainsi obtenus le seront également.
[137] Puisque l’al. 193(2)e) prévoit une exception à l’infraction criminelle prévue au par. 193(1), le juge Moldaver est d’avis que les agents chargés d’appliquer la loi ne manqueront pas de raisons pour respecter les modalités de cette exception afin d’éviter toute responsabilité criminelle. Avec égards, je ne suis pas convaincue que l’existence de l’infraction criminelle constitue, à elle seule, un dispositif de reddition de compte adéquat. Ce qui me préoccupe le plus, ce n’est pas que des agents canadiens divulguent intentionnellement les renseignements à des fins étrangères à l’objectif de « servir l’administration de la justice au Canada ou ailleurs ». C’est plutôt l’utilisation éventuelle de ces renseignements par des responsables étrangers ne risquant pas de se faire poursuivre sur le fondement du par. 193(1) qui suscite des craintes à propos des droits garantis par la Charte.
[138] Les agents canadiens chargés d’appliquer la loi peuvent avoir l’intention subjective de servir la justice en communiquant des renseignements. Il est cependant peu probable qu’une communication irrégulière ou dangereuse soit mise au jour en l’absence d’obligations de conserver des dossiers, de présenter des rapports ou de donner des avis. De plus, la reddition de compte vise non seulement à favoriser le respect de la lettre de la loi, mais aussi à fournir aux organismes de surveillance, aux législateurs ainsi qu’au public l’information dont ils ont besoin pour voir à ce que les pouvoirs conférés par la loi soient nécessaires et exercés convenablement.
[139] L’affirmation de mon collègue, selon laquelle des personnes touchées par la divulgation de renseignements obtenus par écoute électronique pourraient le découvrir en présentant une demande d’accès à l’information, est loin de se révéler adéquate pour qu’il y ait reddition de compte, d’autant plus que les diverses lois en matière de protection des renseignements personnels qui régissent l’application de la loi partout au Canada prévoient généralement une exception applicable aux dossiers dans ce domaine : voir, par exemple, la Loi sur l’accès à l’information municipale et la protection de la vie privée, L.R.O. 1990, ch. M.56, par. 8(1). Si les organismes d’application de la loi ne sont aucunement tenus de conserver des dossiers, même un requérant dont la demande d’accès a été accueillie pourrait se rendre compte que le dossier le concernant est peu étoffé, voire qu’il n’y en a aucun.
[140] La présente affaire en était vraisemblablement une de divulgation appropriée de renseignements qui concernaient des infractions criminelles liées à la drogue des deux côtés de la frontière canado-américaine, qui ont été transmis aux forces de l’ordre américaines et qui ont été utilisés pour mettre un terme à la perpétration de ces infractions ainsi qu’appréhender le contrevenant. Cependant, compte tenu de la portée de l’al. 193(2)e) et des renseignements personnels que peut fournir l’écoute électronique, il n’est guère difficile d’imaginer des situations où une divulgation serait inappropriée, même si, d’un point de vue subjectif, elle « vis[ait] à servir l’administration de la justice », comme l’exige l’al. 193(2)e). Il faut des mécanismes de reddition de compte pour se prémunir contre une divulgation dans de telles situations.
[141] Tout comme le caractère raisonnable du pouvoir de fouille ou de perquisition est tributaire du contexte (Rodgers), le dispositif précis de reddition de compte nécessaire varie selon les circonstances. De façon générale, les atteintes graves à l’attente raisonnable en matière de vie privée ― comme la perquisition d’une maison d’habitation ou l’interception de communications privées ― requièrent une autorisation judiciaire préalable : R. c. Thompson, [1990] 2 R.C.S. 1111. En cas d’urgence, un avis après coup peut servir de solution de rechange : Tse. Les personnes visées par certains types de fouilles, comme celles accessoires à l’arrestation, sauront peut-être immédiatement qu’elles ont eu lieu, de sorte qu’aucune procédure d’avis officielle ne s’impose.
[142] Un avis de divulgation transfrontalière permettrait au public ― ou à l’exécutif ― de savoir quels pays ont reçu des renseignements, et peut-être de connaître l’usage qu’ils en font. La présentation d’un rapport au législateur après coup serait une preuve de transparence et indiquerait aux Canadiens la fréquence à laquelle des renseignements sont divulgués à des responsables étrangers identifiés de l’application de la loi et dans quel but. Je reconnais que ces choix reposent sur des considérations pratiques et de politique générale. Il appartient au législateur de décider quelles mesures sont les plus opportunes et de quelle façon il conviendrait de les mettre en œuvre. La Charte n’exige pas la mise en place d’un protocole précis; elle exige seulement que le texte législatif autorisant une fouille ou une perquisition soit raisonnable. En l’espèce, le caractère raisonnable tient à l’existence de mécanismes de reddition de compte qui établissent un juste équilibre entre la vie privée et l’intérêt de l’État à effectuer la fouille ou la perquisition. La partie qui fait la divulgation devrait à tout le moins être tenue de consigner par écrit les renseignements qui ont été communiqués et l’identité de leur destinataire, et d’en informer plus tard d’une quelconque manière la cible ou l’État.
[143] En conclusion, bien que la communication de renseignements obtenus par écoute électronique constitue un outil important pour les organismes d’application de la loi, il convient de la mettre en balance avec des garanties adéquates visant à protéger les droits à la vie privée en cause pour qu’elle résiste au contrôle constitutionnel. Cet équilibre ne peut être atteint que si la partie qui divulgue des renseignements obtient l’assurance qu’ils ne seront pas utilisés de façon abusive par des responsables étrangers. Il nécessite aussi la mise en œuvre de mesures de reddition de compte pour faciliter la surveillance des divulgations et décourager celles qui sont inappropriées. En l’absence de telles garanties, je conclus que l’al. 193(2)e) est contraire à l’art. 8 de la Charte.
V. Article premier
[144] À mon avis, l’al. 193(2)e) contrevient à l’art. 8 de la Charte d’une manière qui n’est pas justifiée au sens de l’article premier.
[145] Pour être maintenu en vertu de l’article premier, un texte législatif qui restreint un droit garanti par la Charte doit satisfaire aux critères énoncés dans R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103. Premièrement, le texte doit servir un objectif urgent et réel. Deuxièmement, les moyens choisis doivent respecter le critère de la proportionnalité : il doit exister un lien rationnel entre le texte législatif et l’objectif poursuivi, le texte doit porter atteinte le moins possible au droit en cause et il doit y avoir proportionnalité entre les effets de la mesure restreignant un droit garanti par la Charte et ses objectifs.
[146] En l’espèce, l’objectif de coopération internationale dans l’application de la loi est urgent et réel, et la divulgation de renseignements obtenus par écoute électronique a un lien rationnel avec cet objectif. Toutefois, l’al. 193(2)e) dans sa forme actuelle porte davantage atteinte à la vie privée qu’il ne le faut. L’introduction de mécanismes de reddition de compte et de limites concernant l’utilisation ultérieure des renseignements obtenus remédierait à l’inconstitutionnalité de cette disposition sans miner les objectifs du législateur. Par conséquent, je conclus que la divulgation à des responsables étrangers permise sans garantie par l’al. 193(2)e) rend le régime de la partie VI inconstitutionnel.
VI. Conclusion
[147] Lorsqu’une loi permet qu’il soit porté atteinte au droit à la vie privée, l’art. 8 exige qu’elle le fasse de façon raisonnable. Une loi raisonnable doit comporter des garanties adéquates pour prévenir les abus. Elle ne doit pas entraîner une immixtion plus grande que nécessaire dans la vie privée. Elle doit établir un juste équilibre entre le droit à la vie privée et d’autres intérêts publics. J’estime que l’al. 193(2)e) ne satisfait à aucune de ces trois exigences.
[148] À mon avis, la réparation appropriée en l’espèce consiste à supprimer de l’al. 193(2)e) du Code criminel les mots « à une personne ou un organisme étranger chargé [. . .] ailleurs ». Une telle réparation respecte l’intention du législateur d’autoriser les responsables de l’application de la loi à collaborer entre eux au Canada, tout en invalidant les aspects de la disposition législative qui sont incompatibles avec la Charte. La dissociation des éléments inconstitutionnels de cette disposition concorde également avec l’opinion de la Cour selon laquelle « lorsque seulement une partie d’une loi ou d’une disposition viole la Constitution, il est logique de déclarer inopérante seulement la partie fautive et de maintenir en vigueur le reste du texte » : Schachter c. Canada, [1992] 2 R.C.S. 679, p. 696. Je suis d’avis de suspendre l’effet de la présente ordonnance pendant 12 mois pour permettre au législateur de modifier la partie VI afin qu’elle respecte la Charte.
[149] Le ministère public a soutenu que, si la Cour devait suspendre la prise d’effet de la déclaration d’invalidité, il conviendrait d’ordonner la tenue d’une nouvelle audience où il serait possible de statuer sur l’admissibilité des éléments de preuve en application du par. 24(2) de la Charte. La Cour a reconnu que, quand la prise d’effet de la déclaration d’invalidité est suspendue, il est possible d’accorder une exemption constitutionnelle « pour éviter de continuer à faire supporter au demandeur le fardeau de la loi inconstitutionnelle pendant la durée de la suspension de la prise d’effet de la déclaration d’invalidité » : R. c. Ferguson, 2008 CSC 6, [2008] 1 R.C.S. 96, par. 46; voir aussi Corbiere c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1999] 2 R.C.S. 203, par. 22. Par conséquent, je suis d’avis de soustraire l’appelant à la suspension de la prise d’effet de la déclaration d’invalidité.
[150] Je suis d’avis de répondre comme suit aux questions constitutionnelles pertinentes :
L’alinéa 193(2)e) du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46, porte-t-il atteinte à l’art. 8 de la Charte canadienne des droits et libertés?
Réponse : Oui.
Dans l’affirmative, s’agit-il d’une limite raisonnable prescrite par une règle de droit et dont la justification peut se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique, au sens de l’article premier de la Charte canadienne des droits et libertés?
Réponse : Non.
[151] Par conséquent, dans les circonstances de l’espèce, je suis d’avis d’accueillir le pourvoi et d’ordonner la tenue d’une nouvelle audience.
Pourvoi rejeté, les juges Abella, Cromwell et Karakatsanis sont dissidents.
Procureurs de l’appelant : Thorsteinssons, Vancouver.
Procureur de l’intimé le procureur général du Canada au nom des États-Unis d’Amérique et au nom du ministre de la Justice : Procureur général du Canada, Vancouver.
Procureur de l’intimé le procureur général de la Colombie-Britannique : Procureur général de la Colombie-Britannique, Victoria.
Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Ontario : Procureur général de l’Ontario, Toronto.
Procureur de l’intervenant le procureur général du Québec : Procureur général du Québec, Québec.
Procureurs de l’intervenante l’Association canadienne des libertés civiles : McInnes Cooper, Halifax.
Procureurs de l’intervenante l’Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique : McCarthy Tétrault, Vancouver.
Procureur de l’intervenant le commissaire à l’information et à la protection de la vie privée de l’Ontario : Commissaire à l’information et à la protection de la vie privée de l’Ontario, Toronto.
Procureurs de l’intervenant le commissaire à la protection de la vie privée du Canada : Osler, Hoskin & Harcourt, Toronto.
[1] Même si le législateur ne voulait pas que la partie VI devienne le régime exclusif régissant l’écoute électronique, la Loi sur la protection des renseignements personnels ne trouverait pas application en l’espèce. L’alinéa 8(2)b) de cette loi autorise la communication de renseignements personnels « aux fins qui sont conformes avec les lois fédérales [. . .] qui autorisent cette communication ». Comme j’estime que le Code criminel autorise implicitement la divulgation contestée, même en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels, c’est le Code qui s’applique en l’espèce.
[2] Comme l’ont fait observer les juges LeBel et Wagner dans Pétrolière Impériale, le par. 193(2) ne fait qu’autoriser la divulgation de communications interceptées dans un certain nombre de circonstances prévues par la loi. Il ne crée pas de droit d’accès aux communications interceptées, ni une procédure permettant à des personnes n’étant pas par ailleurs en possession licite des renseignements de demander et d’obtenir la divulgation de ces communications.
[3] « communication aux termes d’accords ou d’ententes conclus d’une part entre le gouvernement du Canada ou l’un de ses organismes et, d’autre part, le gouvernement d’une province ou d’un État étranger, une organisation internationale d’États ou de gouvernements, le conseil de la première nation de Westbank, le conseil de la première nation participante — au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur la compétence des premières nations en matière d’éducation en Colombie-Britannique — ou l’un de leurs organismes, en vue de l’application des lois ou pour la tenue d’enquêtes licites; »
[4] « a) communication aux fins auxquelles ils ont été recueillis ou préparés par l’institution ou pour les usages qui sont compatibles avec ces fins; »