COUR SUPRÊME DU CANADA
Référence : Potter c. Commission des services d’aide juridique du Nouveau-Brunswick, 2015 CSC 10, [2015] 1 R.C.S. 500 |
Date : 20150306 Dossier : 35422 |
Entre :
David M. Potter
Appelant
et
Commission des services d’aide juridique du Nouveau-Brunswick,
personne morale constituée en vertu d’une loi spéciale
de la province du Nouveau-Brunswick
Intimée
Traduction française officielle
Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Abella, Rothstein, Cromwell, Moldaver, Karakatsanis et Wagner
Motifs de jugement : (par. 1 à 130)
Motifs concordants : (par. 131 à 183)
|
Le juge Wagner (avec l’accord des juges Abella, Rothstein, Moldaver et Karakatsanis)
Le juge Cromwell (avec l’accord de la juge en chef McLachlin) |
potter c. commission des services d’aide juridique du nouveau-brunswick, 2015 CSC 10, [2015] 1 R.C.S. 500
David M. Potter Appelant
c.
Commission des services d’aide juridique du Nouveau-Brunswick,
personne morale constituée en vertu d’une loi spéciale de la province
du Nouveau-Brunswick Intimée
Répertorié : Potter c. Commission des services d’aide juridique du Nouveau-Brunswick
2015 CSC 10
No du greffe : 35422.
2014 : 12 mai; 2015 : 6 mars.
Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Abella, Rothstein, Cromwell, Moldaver, Karakatsanis et Wagner.
en appel de la cour d’appel du nouveau-brunswick
Droit de l’emploi — Congédiement déguisé — Suspension administrative — Suspension de son directeur général par la Commission pendant une période indéfinie, avec salaire — Allégation de la Commission selon laquelle le contrat autorisait expressément ou tacitement la suspension — La suspension administrative constitue-t-elle un acte unilatéral équivalant à une violation du contrat de travail? — Dans l’affirmative, la décision d’y recourir pouvait-elle raisonnablement être considérée comme une modification substantielle des conditions essentielles du contrat?
Droit de l’emploi — Congédiement injustifié — Dommages-intérêts — Prestations de retraite touchées par le salarié au moment de son congédiement — Ces prestations doivent-elles être déduites des dommages-intérêts accordés pour congédiement injustifié? — Dans la négative, l’art. 16 de la Loi sur la pension de retraite dans les services publics écarte-t-il l’exception relative à l’assurance privée et empêche-t-il le salarié de toucher simultanément des prestations de retraite et l’équivalent de son salaire? — Loi sur la pension de retraite dans les services publics, L.R.N.-B. 1973, c. P-26 [abr. 2013, c. 44, art. 2], art. 16.
P a été nommé directeur général de la Commission des services d’aide juridique du Nouveau-Brunswick (la « Commission ») pour une durée de sept ans. Pendant la première moitié de son mandat, ses relations avec la Commission se sont détériorées, si bien que les parties ont entrepris de négocier le départ du salarié en contrepartie d’une indemnité. P a pris un congé de maladie avant que les négociations n’aboutissent. Juste avant le retour au travail de P et à son insu, la Commission a écrit au ministre de la Justice pour lui recommander le congédiement de P pour motif valable. Le même jour, son conseiller juridique a écrit au conseiller juridique de P pour lui signifier que son client ne devait pas rentrer au travail avant qu’il n’ait reçu de nouvelles directives de sa part. Avant la fin de son congé de maladie, P s’est vu suspendre indéfiniment avec salaire, et la Commission a délégué ses pouvoirs et ses fonctions à une autre personne. P a prétendu avoir été congédié de manière déguisée et a intenté une action. La Commission a considéré que, ce faisant, P avait démissionné de son gré. Le juge de première instance a tranché en faveur de la Commission, et la Cour d’appel a confirmé son jugement.
Arrêt : Le pourvoi est accueilli.
Les juges Abella, Rothstein, Moldaver, Karakatsanis et Wagner : P a été congédié de manière déguisée. Étant donné la durée indéfinie de sa suspension, l’omission de la Commission d’agir de bonne foi en ne lui communiquant pas ses motifs et son intention dissimulée de le congédier, le contrat de travail n’autorisait pas la suspension. La Commission n’avait pas non plus le pouvoir, exprès ou tacite, de suspendre P indéfiniment avec salaire, de sorte qu’il y a eu modification substantielle du contrat de travail équivalant à un congédiement déguisé.
Le critère applicable au congédiement déguisé comporte deux volets. Le tribunal doit d’abord établir la violation d’une condition expresse ou tacite du contrat, puis décider si elle est suffisamment grave pour constituer un congédiement déguisé. Cependant, la conduite de l’employeur constitue également un congédiement déguisé lorsqu’elle traduit généralement son intention de ne plus être lié par le contrat. La démarche est nécessairement rétrospective dans la mesure où il faut tenir compte de l’effet cumulatif des actes antérieurs de l’employeur et déterminer s’ils traduisaient ou non l’intention de ne plus être lié par le contrat. Puisque, contrairement au contrat commercial, le contrat de travail revêt un caractère dynamique, les tribunaux ont à juste titre adopté une approche souple pour décider si, par sa conduite, l’employeur avait manifesté ou non l’intention de ne plus être lié par le contrat.
Selon le premier volet du critère applicable au congédiement déguisé — celui qui s’attache aux clauses précises du contrat —, deux conditions doivent être satisfaites. Premièrement, la modification unilatérale apportée par l’employeur doit constituer une violation du contrat de travail et, deuxièmement, s’il y a bel et bien violation, elle doit modifier substantiellement une condition essentielle du contrat. Pour les besoins de cette seconde étape de l’analyse, le tribunal doit se demander si, au moment de la violation, une personne raisonnable se trouvant dans la même situation que le salarié aurait considéré qu’il s’agissait d’une modification substantielle des conditions essentielles du contrat de travail. Une preuve constituée de données ni connues ni raisonnablement susceptibles de l’être par le salarié ne saurait alors être prise en compte.
Un congédiement déguisé peut revêtir deux formes : celle d’un seul acte unilatéral qui emporte la violation d’une condition essentielle ou celle d’une série d’actes qui, considérés ensemble, montrent l’intention de l’employeur de ne plus être lié par le contrat. Dans tous les cas, le salarié a l’obligation première de prouver le congédiement déguisé, mais lorsqu’il y a suspension administrative, il appartient nécessairement à l’employeur de démontrer à son tour que la mesure est raisonnable ou justifiée. Si ce dernier ne peut le faire, la violation est établie et le salarié a de nouveau le fardeau de la preuve à la seconde étape de l’analyse.
Pour conclure au congédiement déguisé, il doit y avoir non pas un congédiement formel, mais un acte unilatéral de l’employeur qui modifie substantiellement le contrat de travail. En l’occurrence, la Commission était presque à tous égards l’employeur de P même si la Couronne était son employeur pour ce qui concerne sa nomination, la reconduction de son mandat et la révocation de celui-ci. En d’autres termes, la Commission avait le pouvoir de modifier substantiellement le contrat de travail de P, si bien qu’elle pouvait le congédier de manière déguisée.
Les conditions expresses du contrat de travail de P sont prévues par la Loi sur l’aide juridique, L.R.N.-B. 1973, c. L-2, et la Commission établit les modalités et les conditions d’emploi suivant le par. 39(2) de cette loi. Toutefois, ces modalités et ces conditions ne font pas mention — ni même la Loi — d’une suspension administrative. Il n’existe simplement pas de pouvoir exprès de suspension.
Il n’y a pas non plus de pouvoir tacite de suspension. Étant donné la nature du poste de directeur général et le détail avec lequel les obligations légales de P figuraient au contrat, la Commission avait l’obligation de lui fournir du travail. Même si la Commission avait le pouvoir tacite de dépouiller P de la totalité de ses fonctions légales ou de certaines d’entre elles, ce pouvoir n’était pas absolu et son exercice était assujetti au respect de l’exigence fondamentale d’une justification organisationnelle. La Commission ayant omis de démontrer que la suspension était raisonnable ou justifiée, elle ne pouvait prétendre agir sur la base d’une condition tacite du contrat, de sorte que la suspension constitue un acte unilatéral. D’abord, aucune raison n’a été donnée à P pour justifier sa suspension. La plupart du temps, on ne peut conclure qu’une suspension administrative est justifiée que s’il y a eu un minimum de communication avec le salarié. Dans le cadre contractuel, agir de bonne foi exige à tout le moins des parties qu’elles se montrent honnêtes, franches et raisonnables. Ne pas informer le salarié de ce qui motive sa suspension n’est pas franc. De plus, la preuve restreinte offerte pour étayer l’objectif déclaré de la Commission — favoriser la conclusion d’un accord sur une indemnité de départ — est battue en brèche par les démarches qu’elle a entreprises pour que P soit congédié. La lettre de la Commission recommandant au ministre le congédiement de P aurait dû être admise en preuve à cette étape de l’analyse. De plus, P a été remplacé et la durée de sa suspension était indéfinie, d’où la certitude que la suspension n’était pas autorisée.
Qui plus est, selon la preuve, on ne peut affirmer que P a acquiescé à la modification. Même s’il désirait mettre fin à son contrat moyennant une indemnité, on ne peut voir dans cet intérêt ni le consentement à la suspension, ni un élément préjudiciable à sa thèse. P a simplement fait ce que font la plupart des salariés lorsque l’employeur évoque la possibilité d’une indemnité de départ, soit écouter l’offre et, selon sa teneur, envisager de l’accepter.
En ce qui concerne la seconde étape du premier volet du critère applicable au congédiement déguisé, il était raisonnable que P voie dans sa suspension unilatérale non autorisée une modification substantielle du contrat. Pour autant qu’il savait, il était suspendu indéfiniment et aucune raison n’était invoquée. Selon la lettre qui lui était adressée, la suspension s’appliquait jusqu’à ce que la Commission lui donne de nouvelles directives. Lorsque son conseiller juridique a demandé des éclaircissements sur les directives de la Commission, cette dernière a persisté dans son refus de justifier la mesure. Cela suffit pour que P s’acquitte de son fardeau de preuve à cette étape. On ne doit pas considérer que, au moment de la suspension, il connaissait les motifs révélés au procès par la Commission.
En bref, P a établi que la mesure unilatérale de la Commission violait son contrat de travail et qu’il en résultait une modification substantielle des conditions essentielles du contrat. Il a fait l’objet d’un congédiement déguisé et a donc droit à des dommages-intérêts pour congédiement injustifié. Il convient de confirmer l’évaluation en première instance du montant des dommages-intérêts éventuels, si ce n’est que, eu égard à l’exception relative à l’assurance privée reconnue dans l’arrêt IBM Canada Limitée c. Waterman, 2013 CSC 70, [2013] 3 R.C.S. 985, les prestations de retraite de P ne doivent pas être déduites de ce montant. Ces prestations ne visaient pas à indemniser P en cas de congédiement injustifié. L’article 16 de la Loi sur la pension de retraite dans les services publics, L.R.N.-B. 1973, c. P-26, n’écarte pas l’exception relative à l’assurance privée. Ni le sens ordinaire des termes employés à l’art. 16, ni le contexte de la disposition n’appuient la prétention selon laquelle le législateur provincial a voulu faire obstacle à l’application de la règle de common law issue de l’arrêt Waterman. Ils indiquent plutôt que l’art. 16 vise la situation de l’ancien salarié qui touche des prestations de retraite et qui reprend le travail dans les services publics. La disposition ne s’applique donc pas au congédiement injustifié, ni n’empêche P de toucher la totalité des dommages-intérêts auxquels il a droit en plus de ses prestations de retraite.
La juge en chef McLachlin et le juge Cromwell : Deux erreurs connexes entachent l’analyse du juge de première instance quant à savoir si la Commission a répudié le contrat de travail et de ce fait congédié P de manière déguisée. Premièrement, le juge omet de reconnaître que le congédiement déguisé peut découler non seulement d’une violation suffisamment grave, mais aussi d’actes qui, compte tenu de l’ensemble des circonstances et du point de vue objectif d’une personne raisonnable se trouvant dans la situation du salarié, montrent l’intention de l’employeur de ne plus être lié par des clauses importantes du contrat de travail.
En l’espèce, les circonstances sont les suivantes : (i) la Commission entendait mettre fin à l’emploi de P avant l’expiration de son contrat, (ii) elle lui a enjoint de ne pas rentrer au travail jusqu’à nouvel ordre et (iii) elle ne lui a pas donné l’assurance qu’elle continuerait de respecter les clauses du contrat relatives à la rémunération. Si, comme l’exigeaient les principes juridiques applicables, le juge de première instance avait tenu compte de ces circonstances et non seulement de la gravité de la violation du contrat que constituait la suspension, il aurait nécessairement conclu que la Commission avait clairement manifesté l’intention de ne plus être liée par d’importantes clauses du contrat de travail.
La seconde erreur du juge de première instance a été d’écarter le fait que le jour même où le conseiller juridique de la Commission a enjoint à P de ne pas rentrer au travail jusqu’à nouvel ordre, la Commission a écrit au ministre de la Justice en vue d’obtenir la révocation pour motif valable de la nomination de P. Le juge a décidé de ne tenir compte que de ce que P savait au moment où il a allégué le congédiement déguisé.
Bien que, sur ce point, le droit ne soit ni aussi clair ni aussi bien établi qu’on pourrait le souhaiter, la partie non fautive qui allègue la répudiation peut invoquer des éléments qui existaient bel et bien au moment de la répudiation alléguée, mais qui lui étaient alors inconnus. Autrement dit, P peut se fonder sur le comportement qu’a eu la Commission jusqu’à ce qu’il accepte la répudiation et intente l’action pour congédiement déguisé, même si ce comportement lui était alors inconnu. Cela importe en l’espèce, car le juge de première instance n’a pas pris en considération le fait, alors inconnu de P, que le jour où elle l’avait suspendu la Commission avait demandé par lettre la révocation de sa nomination pour motif valable. Le juge a donc eu tort de ne pas en tenir compte pour décider si P avait fait l’objet ou non d’un congédiement déguisé. Contrairement à ce que conclut la Cour d’appel, l’erreur du juge n’a pas été sans conséquence. Considérée dans le contexte de sa rédaction, la lettre fait ressortir on ne peut plus clairement que la Commission n’entendait plus être liée par d’importantes clauses du contrat de travail. C’est l’un des éléments dont le juge devait tenir compte pour décider si, au vu de toutes les circonstances, la suspension traduisait l’intention de la Commission de ne plus être liée par le contrat.
Suivant l’arrêt IBM Canada Limitée c. Waterman, 2013 CSC 70, [2013] 3 R.C.S. 985, les prestations de retraite touchées par P ne doivent pas être déduites de ses dommages-intérêts pour congédiement injustifié.
Jurisprudence
Citée par le juge Wagner
Arrêts appliqués : Farber c. Cie Trust Royal, [1997] 1 R.C.S. 846; IBM Canada Limitée c. Waterman, 2013 CSC 70, [2013] 3 R.C.S. 985; arrêts adoptés : Cabiakman c. Industrielle-Alliance Cie d’Assurance sur la Vie, 2004 CSC 55, [2004] 3 R.C.S. 195; Devlin c. NEMI Northern Energy & Mining Inc., 2010 BCSC 1822, 86 C.C.E.L. (3d) 268; Reininger c. Unique Personnel Canada Inc. (2002), 21 C.C.E.L. (3d) 278; arrêt analysé : Park c. Parsons Brown & Co. (1989), 39 B.C.L.R. (2d) 107; arrêts mentionnés : Wallace c. United Grain Growers Ltd., [1997] 3 R.C.S. 701; In re Rubel Bronze and Metal Co. and Vos, [1918] 1 K.B. 315; Shah c. Xerox Canada Ltd. (2000), 131 O.A.C. 44; Whiting c. Winnipeg River Brokenhead Community Futures Development Corp. (1998), 159 D.L.R. (4th) 18; Tercon Contractors Ltd. c. Colombie-Britannique (Transports et Voirie), 2010 CSC 4, [2010] 1 R.C.S. 69; General Billposting Co. c. Atkinson, [1909] A.C. 118; Freeth c. Burr (1874), L.R. 9 C.P. 208; Western Excavating (ECC) Ltd. c. Sharp, [1978] 1 All E.R. 713; Downtown Eatery (1993) Ltd. c. Ontario (2001), 54 O.R. (3d) 161; Universal Cargo Carriers Corp. c. Citati, [1957] 2 All E.R. 70; Carscallen c. FRI Corp. (2005), 42 C.C.E.L. (3d) 196, conf. par (2006), 52 C.C.E.L. (3d) 161; Labarre c. Spiro Méga inc., 2001 CarswellQue 1753; Belton c. Liberty Insurance Co. of Canada (2004), 72 O.R. (3d) 81; McKinley c. BC Tel, 2001 CSC 38, [2001] 2 R.C.S. 161; Haldane c. Shelbar Enterprises Ltd. (1999), 46 O.R. (3d) 206; Turner c. Sawdon & Co., [1901] 2 K.B. 653; Suleman c. B.C. Research Council (1990), 52 B.C.L.R. (2d) 138; Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alb.), [1987] 1 R.C.S. 313; Sûreté du Québec et Association des policiers provinciaux du Québec, [1991] T.A. 666; Fraternité des policiers de la Communauté urbaine de Montréal et Communauté urbaine de Montréal, [1984] T.A. 668; Re Ontario Jockey Club and Mutuel Employees’ Association, Service Employees’ International Union, Local 528 (1977), 17 L.A.C. (2d) 176; Pierce c. Canada Trust Realtor (1986), 11 C.C.E.L. 64; MacKay c. Avco Financial Services Canada Ltd. (1996), 146 Nfld. & P.E.I.R. 353; Bhasin c. Hrynew, 2014 CSC 71, [2014] 3 R.C.S. 494; Evans c. Teamsters Local Union No. 31, 2008 CSC 20, [2008] 1 R.C.S. 661; Parry Sound (district), Conseil d’administration des services sociaux c. S.E.E.F.P.O., section locale 324, 2003 CSC 42, [2003] 2 R.C.S. 157.
Citée par le juge Cromwell
Arrêts appliqués : In re Rubel Bronze and Metal Co. and Vos, [1918] 1 K.B. 315; Farber c. Cie Trust Royal, [1997] 1 R.C.S. 846; IBM Canada Limitée c. Waterman, 2013 CSC 70, [2013] 3 R.C.S. 985; arrêts approuvés : Stolze c. Addario (1997), 36 O.R. (3d) 323; Shah c. Xerox Canada Ltd. (2000), 131 O.A.C. 44; arrêts mentionnés : Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235; Tercon Contractors Ltd. c. Colombie-Britannique (Transports et Voirie), 2010 CSC 4, [2010] 1 R.C.S. 69; General Billposting Co. c. Atkinson, [1909] A.C. 118; Freeth c. Burr (1874), L.R. 9 C.P. 208; Western Excavating (ECC) Ltd. c. Sharp, [1978] 1 All E.R. 713; Woodar Investment Development Ltd. c. Wimpey Construction UK Ltd., [1980] 1 All E.R. 571; Federal Commerce & Navigation Co. c. Molena Alpha Inc., [1979] A.C. 757; Eminence Property Developments Ltd. c. Heaney, [2010] EWCA Civ 1168, [2011] 2 All E.R. (Comm.) 223; Universal Cargo Carriers Corp. c. Citati, [1957] 2 All E.R. 70; British and Beningtons, Ltd. c. North Western Cachar Tea Co., [1923] A.C. 48; Glencore Grain Rotterdam BV c. Lebanese Organisation for International Commerce, [1997] 4 All E.R. 514; Taylor c. Oakes, Roncoroni, and Co. (1922), 127 L.T. 267; Scandinavian Trading Co. A/B c. Zodiac Petroleum S.A., [1981] 1 Lloyd’s Rep. 81; Lake Ontario Portland Cement Co. c. Groner, [1961] R.C.S. 553.
Lois et règlements cités
Code civil du Québec.
Loi concernant la pension de retraite au titre de la Loi sur la pension de retraite dans les services publics, L.N.-B. 2013, c. 44, art. 2.
Loi d’interprétation, L.R.N.-B. 1973, c. I-13, art. 1(1)a), 21(1).
Loi sur l’aide juridique, L.R.N.-B. 1973, c. L-2 [mod. 2005, c. 8], art. 2, 39, 40(1), 41(1), 42, 50(2), 51(1), 52(8), 53(2), (3).
Loi sur la pension de retraite dans les services publics, L.R.N.-B. 1973, c. P-26 [abr. 2013, c. 44, art. 2], art. 16.
Public Service Superannuation Act (1966), S.N.B. 1966, c. 23, art. 16.
Doctrine et autres documents cités
Barnacle, Peter. Employment Law in Canada, 4th ed., Markham (Ont.), LexisNexis, 2005 (loose-leaf updated June 2014, release 51).
Barron’s Canadian Law Dictionary, 6th ed. by John A. Yogis and Catherine Cotter, Hauppauge (N.Y.), Barron’s Educational Series, 2009, « constructive ».
Black’s Law Dictionary, 10th ed. by Bryan A. Garner, ed., St. Paul (Minn.), Thomson Reuters, 2014, « constructive ».
Brown, Donald J. M., and David M. Beatty. Canadian Labour Arbitration, 2nd ed., Aurora (Ont.), Canada Law Book, 1984.
Concise Oxford English Dictionary, 12th ed. by Angus Stevenson and Maurice Waite, eds., Oxford, Oxford University Press, 2011, « appoint », « appointment ».
Doorey, David J. « Employer “Bullying” : Implied Duties of Fair Dealing in Canadian Employment Contracts » (2005), 30 Queen’s L.J. 500.
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Waddams, S. M. The Law of Contracts, 6th ed., Aurora (Ont.), Canada Law Book, 2010.
POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick (le juge en chef Drapeau et les juges Richard et Bell), 2013 NBCA 27, 402 R.N.-B. (2e) 41, 1044 A.P.R. 41, 6 C.C.E.L. (4th) 1, 2013 CLLC ¶201-032, [2013] A.N.-B. no 122 (QL), 2013 CarswellNB 197 (WL Can.), qui a confirmé une décision du juge Grant, 2011 NBBR 296, 384 R.N.-B. (2e) 14, 995 A.P.R. 14, 94 C.C.E.L. (3d) 302, [2011] A.N.-B. no 361 (QL), 2011 CarswellNB 579 (WL Can.). Pourvoi accueilli.
Eugene J. Mockler et Perri Ravon, pour l’appelant.
Clarence L. Bennett et Josie H. Marks, pour l’intimée.
Version française du jugement des juges Abella, Rothstein, Moldaver, Karakatsanis et Wagner rendu par
Le juge Wagner —
I. Introduction
[1] Le pourvoi soulève la question de savoir si le salarié non syndiqué qui est suspendu avec salaire peut prétendre avoir fait l’objet d’un congédiement déguisé et, dans l’affirmative, à quelles conditions il peut le faire. Le dossier porte sur la suspension indéfinie avec salaire d’un salarié dans le contexte de la négociation d’une indemnité de départ. Les tribunaux inférieurs concluent que la suspension n’équivaut pas à un congédiement déguisé et que le salarié, M. Potter, a donc répudié son contrat de travail lorsqu’il a entrepris son recours pour congédiement déguisé. Pour les motifs qui suivent, je ne suis pas de cet avis. L’employeur, la Commission des services d’aide juridique du Nouveau-Brunswick (la « Commission »), n’avait pas le pouvoir exprès ou tacite de suspendre M. Potter pour une durée indéfinie avec salaire pour les raisons qu’elle a invoquées. J’estime que M. Potter a fait l’objet d’un congédiement déguisé et qu’il a donc droit à des dommages-intérêts pour congédiement injustifié. Je fais mienne l’évaluation de leur montant que fait le juge de première instance, mais j’estime que les prestations de retraite qui ont été versées à M. Potter ne devraient pas être déduites de ce montant.
II. Contexte et historique judiciaire
A. Contexte
[2] M. Potter a été admis au Barreau du Nouveau-Brunswick en 1977. En 1993, après avoir exercé diverses fonctions, principalement pour la province du Nouveau-Brunswick, il est devenu directeur intérimaire de l’Aide juridique du Nouveau-Brunswick. Il a occupé ce poste jusqu’à la modification, en 2005, de la Loi sur l’aide juridique, L.R.N.-B. 1973, c. L-2, en vue de la création d’un nouveau régime faisant appel à des avocats salariés pour représenter les justiciables (L.N.-B. 2005, c. 8). Dans le cadre de l’ancien système, des avocats de pratique privée étaient rémunérés pour la prestation de services d’aide juridique. La modification a également entraîné la création du poste de directeur général de l’aide juridique (le « directeur général »).
[3] Le 12 décembre 2005, soit le jour de la promulgation de la loi modificatrice, le conseil d’administration (le « conseil ») de la Commission nouvellement créée a proposé la nomination de M. Potter au poste de directeur général. Le 16 mars 2006, par le décret 2006-85, le lieutenant-gouverneur en conseil a officiellement nommé M. Potter directeur général. Le mandat avait une durée de sept ans et devait expirer le 12 décembre 2012.
[4] La nomination de M. Potter au poste de directeur général était régie par l’art. 39 de la Loi sur l’aide juridique, dont le libellé est le suivant :
Directeur général
39(1) Le lieutenant-gouverneur en conseil nomme comme directeur général de l’aide juridique la personne proposée par le conseil.
39(2) Le conseil établit les modalités et conditions de la nomination du directeur général.
39(3) Le directeur général occupe son poste pour un mandat de sept ans à compter de la date de sa nomination.
39(4) Le lieutenant-gouverneur en conseil peut révoquer pour motif valable la nomination du directeur général.
39(5) Le mandat d’un directeur général peut être renouvelé et les paragraphes (1) à (4) s’appliquent avec les adaptations nécessaires au renouvellement de mandat.
39(6) Le directeur général exerce les fonctions et peut exercer les pouvoirs qui lui sont [attribués] par la présente partie, les règlements ou le conseil.
[5] Conformément au par. 39(2), le conseil a également établi les modalités et les conditions de la nomination de M. Potter au moyen d’une résolution datée du 12 décembre 2005, notamment en ce qui concerne la rémunération, les assurances, les prestations de retraite, les congés annuels et de maladie, ainsi que les indemnités liées à l’usage d’un véhicule. Le paragraphe 39(6) dispose que certains pouvoirs et certaines fonctions sont attribués au directeur général par la Loi sur l’aide juridique elle-même, les règlements ou le conseil. Ces pouvoirs et ces fonctions d’origine législative comprennent les suivants (motifs de la Cour d’appel, par. 15) :
• « engager des employés (par. 40(1)) »;
• « conclure des contrats avec des avocats qui ne sont pas au service de la Commission (par. 41(1)) »;
• « donner des directives aux employés et aux personnes avec lesquelles un contrat a été conclu (par. 42(1), (2)) »;
• « aider le Comité d’aide juridique à mener des enquêtes (par. 50(2)) »;
• « nommer des comités régionaux de l’aide juridique (par. 51(1)) »;
• « être l’un des fondés de signature pour le Fonds d’aide juridique (par. 52(8)) »;
• « administrer Aide juridique Nouveau-Brunswick (“le programme”) conformément à la Partie III, aux règlements et aux lignes de conduite établies en vertu de la Partie III et des règlements (par. 53(2)) »;
• « sous réserve de l’approbation du conseil, établir des lignes de conduite régissant l’administration du programme (par. 53(3)) ».
[6] En octobre 2009, soit près de quatre ans après le début du mandat de sept ans de M. Potter, son médecin lui a conseillé de prendre congé pour des raisons de santé. Le congé accordé initialement était d’un mois, mais il a été prolongé, une première fois jusqu’au 4 janvier 2010, puis une deuxième fois jusqu’au 18 janvier 2010. La seconde fois, le médecin indiquait dans son billet que M. Potter [traduction] « dev[ait] être réévalué avant son retour au travail » (motifs de la Cour d’appel, par. 31). M. Potter a délégué l’exercice de ses pouvoirs et de ses fonctions en son absence à Peter Corey, alors directeur des opérations en matière pénale de la Commission.
[7] Auparavant, au printemps de 2009, M. Potter et le conseil avaient entrepris la négociation d’une indemnité de départ. Si la négociation aboutissait, M. Potter démissionnait et touchait en contrepartie l’indemnité globale convenue.
[8] Le 5 janvier 2010, le conseil a décidé — sans en informer M. Potter — que si la négociation de l’indemnité de départ n’aboutissait pas avant le 11 janvier 2010, il demanderait au lieutenant-gouverneur en conseil de révoquer la nomination de M. Potter pour motif valable suivant le par. 39(4) de la Loi sur l’aide juridique, d’où l’adoption de la résolution suivante :
[traduction] La présidente enverra au ministre de la Justice (avec copie conforme au sous-ministre) une lettre demandant que la nomination de David Potter comme directeur général de la Commission des services d’aide juridique soit révoquée pour motif valable, cette lettre ne devant être envoyée que si Gordon Petrie, c.r., est incapable de négocier un règlement avec M. Potter avant le lundi 11 janvier 2010 (règlement aux termes duquel M. Potter ne recevra pas plus de 18 mois de salaire, allocation de retraite comprise). [Soulignement omis.]
(Motifs de la Cour d’appel, par. 32)
[9] Le 11 janvier, la présidente du conseil a transmis au ministre de la Justice, à l’insu de M. Potter, une lettre recommandant son congédiement pour motif valable et indiquant de manière générale quels étaient ces motifs.
[10] Le même jour, le conseiller juridique de la Commission a transmis à celui de M. Potter une lettre l’informant que ce dernier ne devait pas rentrer au travail [traduction] « avant [. . .] de nouvelles directives » :
[traduction] Notre cliente, la Commission des services d’aide juridique, nous a donné instruction de vous informer que David Potter ne devrait pas rentrer au travail avant qu’elle n’ait donné de nouvelles directives. M. Potter continuera de toucher son salaire jusqu’à nouvel ordre.
[11] Le lendemain, le conseiller juridique de M. Potter a accusé réception de la lettre et demandé la clarification des directives de la Commission :
[traduction] J’ai reçu votre lettre du 11 janvier 2010 dans laquelle vous indiquez que « M. Potter ne devrait pas rentrer au travail. . . ». Cette formulation pourrait être interprétée comme une recommandation plutôt qu’une directive.
Étant donné que M. Potter occupe un poste qui comporte l’obligation légale d’exercer ses fonctions, pouvez-vous confirmer que le conseil a suspendu M. Potter[?] [En italique dans l’original.]
[12] Le 13 janvier, le conseiller juridique de la Commission a confirmé qu’il s’agissait d’une directive : [traduction] « Je m’étonne qu’un doute subsiste dans votre esprit et celui de votre client. Ce dernier ne doit pas rentrer au travail jusqu’à nouvel ordre. »
[13] M. Potter ignorait l’existence de la lettre du conseil recommandant son congédiement pour motif valable, et rien ne prouve que le lieutenant-gouverneur en conseil a pris quelque mesure pour donner suite à la recommandation. Le congé de maladie de M. Potter devait prendre fin le 18 janvier 2010, mais après avoir reçu la directive du 11 janvier, puis la clarification du 13 janvier, M. Potter n’a pas repris le travail. Le conseil a délégué les pouvoirs et les fonctions du directeur général à M. Corey, à qui M. Potter les avait déjà confiés.
[14] Le 9 mars 2010, soit huit semaines après avoir reçu la directive de ne pas rentrer au bureau et sept semaines après la date prévue de son retour au travail, M. Potter a intenté une action pour congédiement déguisé. Il demandait les réparations suivantes : des dommages-intérêts pour salaire et avantages jusqu’au 12 décembre 2012 (la date d’expiration de son mandat), des dommages-intérêts généraux, des dommages-intérêts de la nature de ceux accordés dans l’arrêt Wallace c. United Grain Growers Ltd., [1997] 3 R.C.S. 701, pour la manière dont il avait été congédié, un jugement déclaratoire portant que le conseil n’avait pas le pouvoir de le suspendre, un jugement déclaratoire portant que le conseil l’avait illégalement empêché d’exercer ses pouvoirs légaux, un jugement déclaratoire portant que le conseil avait illégalement usurpé la fonction de directeur général et celle de lieutenant-gouverneur en conseil en déléguant ses pouvoirs légaux à une personne qui n’avait pas été régulièrement nommée, ainsi que l’intérêt après jugement.
[15] En guise de réponse, le conseil a cessé de verser à M. Potter son salaire et ses avantages. Le conseiller juridique de la Commission en a informé le conseiller juridique de M. Potter dans une lettre datée du 15 mars 2010 :
[traduction] Vu l’action de votre client pour congédiement déguisé, notre cliente estime qu’il a de fait démissionné de son poste.
Par conséquent, le versement de son salaire et de ses avantages a cessé le 9 mars 2010.
De plus, il lui est enjoint de rendre à la Commission les articles suivants :
a) son Blackberry;
b) son téléphone portable;
c) son ordinateur à domicile;
d) son système On Star.
Nous vous remercions à l’avance de votre collaboration.
[16] Le conseiller juridique de M. Potter a répliqué le jour même en indiquant que M. Potter n’avait pas démissionné de son poste : [traduction] « Je souhaite préciser que M. Potter n’a pas démissionné de quelque charge ou fonction, et que votre cliente fait erreur à cet égard. » Il ajoutait que M. Potter pourrait se voir « contraint » de toucher sa retraite ou son indemnité de cessation d’emploi et quelque autre avantage, mais que, le cas échéant, cela n’emporterait pas son adhésion au point de vue de la Commission selon lequel il avait démissionné de son poste. Toujours le 15 mars, il a transmis une lettre au même effet au sous-ministre de la Justice. Le 23 mars 2010, dans une lettre dont copie a été transmise au conseiller juridique de la Commission, il a informé le sous-ministre que M. Potter avait entrepris des démarches pour toucher sa retraite et d’autres avantages [traduction] « par nécessité financière ». En voici la teneur :
[traduction] Nous demandons cependant que votre cabinet prenne des mesures immédiates pour ordonner le rétablissement de son salaire et de ses avantages jusqu’à ce que l’affaire soit définitivement tranchée. Comme vous le savez, la nomination de M. Potter à sa charge par décret reste en vigueur. La Commission a dépouillé M. Potter de ses fonctions et elle le prive maintenant de son traitement. Une telle mesure est exclusivement réservée à la Couronne à supposer qu’elle établisse l’existence d’un motif valable.
Nous sollicitons votre intervention de la manière susmentionnée. Encore une fois, comme nous l’avons indiqué dans une lettre antérieure, M. Potter n’a pas démissionné de sa charge ni refusé d’exercer les fonctions rattachées à celle-ci. Le fait que M. Potter estime maintenant devoir toucher sa retraite ou d’autres avantages ne devrait nullement être considéré comme une démission de sa charge ou de ses fonctions, mais seulement comme une nécessité financière qui lui a été imposée par les mesures que la Commission a prises.
B. Cour du Banc de la Reine du Nouveau-Brunswick, 2011 NBQB 296, 384 R.N.-B. (2e) 14 (le juge Grant)
[17] Le juge Grant conclut que, suivant la Loi sur l’aide juridique, le conseil avait le droit de suspendre administrativement M. Potter avec salaire. Même si la Loi investit le lieutenant-gouverneur en conseil du pouvoir d’engager le directeur général et de le congédier (par. 39(1) et (4)), il estime que le par. 39(6) de la Loi accorde au conseil un large pouvoir discrétionnaire en ce qui a trait à la surveillance du directeur général dans l’exercice de ses fonctions, ce qui englobe le pouvoir de suspension.
[18] En ce qui concerne l’allégation principale de M. Potter — à savoir son congédiement déguisé —, le juge Grant conclut que, malgré sa durée indéfinie, la suspension administrative avec salaire ne constitue pas un congédiement déguisé dans les circonstances de l’espèce.
[19] La question est de savoir si le conseil a résilié le contrat de travail de M. Potter en le dépouillant de ses fonctions et de ses pouvoirs pendant une période indéfinie. Le juge Grant estime qu’il faut trancher au vu de ce que M. Potter savait au moment où il dit avoir été congédié de manière déguisée, [traduction] « car il peut difficilement soutenir qu’il a été congédié de façon déguisée en s’appuyant sur quelque chose que l’employeur a fait à son insu » (par. 36). Étant donné l’absence de preuve que le conseil a communiqué à M. Potter son intention d’obtenir son congédiement, M. Potter ne pouvait invoquer la lettre du conseil recommandant au ministre de la Justice son congédiement pour motif valable. Si l’on tient uniquement compte de ce qu’il savait au moment où il a intenté son action, M. Potter était clairement suspendu et incapable d’exercer ses fonctions, mais « la Commission n’a rien fait ou dit qui amènerait un observateur objectif à conclure qu’elle lui avait enlevé ces fonctions de façon permanente » (par. 38).
[20] Le juge Grant conclut au contraire que M. Potter et le conseil avaient entrepris la négociation d’une indemnité de départ et qu’une suspension administrative jusqu’à l’issue de la négociation concordait avec la nature de la relation entre les parties (par. 40 et 43). En suspendant M. Potter, le conseil cherchait à gagner du temps pour la poursuite de la négociation, [traduction] « et, même si la durée de la suspension se prolongeait, il n’y a rien, dans le dossier [. . .] présenté, qui indiquerait qu’une personne raisonnable considérant l’affaire objectivement aurait conclu que l’employeur avait [répudié] le contrat » (par. 42). Le juge Grant fait observer que si M. Potter s’était inquiété de la durée indéfinie de sa suspension, il aurait pu en faire part au conseil ou lui signifier que, à compter d’une certaine date, il s’estimerait victime d’un congédiement déguisé, au lieu « [d’]entrepr[endre] précipitamment » une action en justice ou de prendre cette « mesure radicale » (par. 39 et 44). Le juge fait une distinction entre la situation en l’espèce — la suspension durant des négociations — et celle en cause dans l’affaire Park c. Parsons Brown & Co. (1989), 39 B.C.L.R. (2d) 107 (C.A.), où la décision de dépouiller un employé de la totalité de ses fonctions et de ses pouvoirs est assimilée à un congédiement déguisé (par. 41-42).
[21] Le juge Grant conclut en outre que, en intentant une action pour congédiement déguisé, M. Potter a de fait rendu impossible une relation de travail fructueuse entre les parties et a donc répudié son contrat de travail en accomplissant ce qui équivalait à une démission (par. 50-51).
[22] Pour le cas où sa décision sur l’allégation de congédiement déguisé serait infirmée en appel, le juge Grant se penche sur le montant d’éventuels dommages-intérêts. Il conclut que ce montant correspond au solde du salaire et des avantages auxquels M. Potter avait droit depuis le jour où le conseil avait cessé de le rémunérer (le 9 mars 2010) jusqu’à la date d’expiration prévue de son mandat (le 12 décembre 2012) (par. 61-62). Il estime que, en application de l’art. 16 de la Loi sur la pension de retraite dans les services publics, L.R.N.-B. 1973, c. P-26 (abrogée par la Loi concernant la pension de retraite au titre de la Loi sur la pension de retraite dans les services publics, L.N.-B. 2013, c. 44, art. 2), M. Potter n’avait pas droit à la fois à son salaire et à des prestations de retraite et que les sommes touchées ou exigibles au titre de sa pension devaient être déduites du montant des dommages-intérêts (par. 63-64). Il ajoute que M. Potter n’avait pas l’obligation de limiter son préjudice par la recherche d’un autre emploi, vu son âge (66 ans en mars 2010) et [traduction] « les faibles chances qu’il trouve quelque emploi que ce soit, et surtout un poste comparable à celui de directeur général » (par. 71). Enfin, il refuse d’accorder des dommages-intérêts fondés sur l’arrêt Wallace ou des dommages-intérêts généraux pour la manière dont M. Potter aurait été congédié, car à son avis rien ne permettait de conclure que le conseil l’avait traité de façon incorrecte ou avait agi avec mauvaise foi (par. 72-76).
C. Cour d’appel du Nouveau-Brunswick, 2013 NBCA 27, 402 R.N.-B. (2e) 41 (le juge en chef Drapeau et les juges Richard et Bell)
[23] Au nom des juges unanimes de la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick, le juge en chef Drapeau rejette l’appel. Il examine d’abord la question de savoir si la Commission est le véritable employeur de M. Potter ou si c’est plutôt la Couronne — seule entité habilitée à nommer le directeur général ainsi qu’à renouveler ou révoquer son mandat — qui l’est. Selon lui, si le véritable employeur est la Couronne, l’action pour congédiement déguisé ne peut être accueillie. Après avoir justifié son opinion, il refuse de statuer sur l’appel sur cette base, le moyen n’ayant pas été plaidé par les parties (par. 58-69). Il confirme plutôt l’interprétation du juge Grant selon laquelle la Loi sur l’aide juridique confère au conseil un pouvoir sur tous les aspects du contrat de travail du directeur général, hormis sa nomination, le renouvellement de son mandat et la révocation de celui-ci. Le pouvoir discrétionnaire de surveillance du conseil vis-à-vis du directeur général comprend le pouvoir de suspension administrative (par. 70-79).
[24] Le juge en chef Drapeau conclut qu’aucune erreur ne justifie de casser la décision du juge de première instance selon laquelle M. Potter n’a pas fait l’objet d’un congédiement déguisé. Selon lui, la question de savoir si la suspension d’une durée indéfinie avec salaire constitue ou non un congédiement déguisé doit être tranchée selon les faits de l’espèce, et il invoque à cet égard l’arrêt Cabiakman c. Industrielle-Alliance Cie d’Assurance sur la Vie, 2004 CSC 55, [2004] 3 R.C.S. 195, par. 71 (par. 82). Comme le dit la Cour dans l’arrêt Farber c. Cie Trust Royal, [1997] 1 R.C.S. 846, par. 33, la question à se poser est la suivante : la suspension constitue-t-elle « une modification fondamentale ou substantielle [d]u contrat de travail de [l’]employé »? Pour y répondre, le juge en chef Drapeau s’en remet à la « liste utile » de facteurs établie dans Devlin c. NEMI Northern Energy & Mining Inc., 2010 BCSC 1822, 86 C.C.E.L. (3d) 268, par. 50 :
[traduction]
1. Combien de temps a duré la suspension?
2. Quelqu’un a-t-il été nommé pour remplacer le salarié suspendu?
3. A-t-on demandé au salarié de remettre ses clés?
4. Le salarié a-t-il continué à toucher son salaire et à bénéficier des avantages sociaux?
5. Existe-t-il une preuve qu’à l’époque, l’employeur avait l’intention de licencier le salarié?
6. L’employeur a-t-il suspendu le salarié de bonne foi, par exemple pour de véritables motifs de nature organisationnelle?
[25] Aux yeux du juge en chef Drapeau, bien que la durée indéfinie de la suspension appuie la thèse du congédiement déguisé, elle ne supplante pas les autres facteurs, qui étayent tous la conclusion « amplement justifié[e] » du juge Grant, à savoir que M. Potter n’a pas été congédié de manière déguisée (par. 81). Il conclut que personne n’a été officiellement nommé pour remplacer M. Potter pendant sa suspension et que la personne appelée à assumer ses responsabilités a été désignée par M. Potter lui-même lorsqu’il est parti en congé de maladie. On n’a pas demandé à M. Potter de remettre son Blackberry, son téléphone et son ordinateur portables, non plus que son système « On Star » avant qu’il n’intente son action. M. Potter a continué de toucher son plein salaire et de bénéficier de ses avantages pendant sa suspension. Le conseil n’avait pas l’intention de congédier M. Potter, car il était sincèrement convaincu que seul le lieutenant-gouverneur en conseil pouvait le faire. Enfin, le conseil a agi de bonne foi en suspendant M. Potter, ce qu’atteste le témoignage non contredit de sa vice-présidente, Mme Doherty (par. 86-90).
[26] Le juge en chef Drapeau donne aussi à entendre, sans pour autant statuer sur ce point, que le juge Grant a pu avoir tort de s’en tenir à ce que savait M. Potter au moment où il dit avoir fait l’objet d’un congédiement déguisé : « Il se pourrait que le juge du procès ait été tenu de prendre en considération l’ensemble des circonstances, [y compris] celles dont M. Potter n’avait pas connaissance . . . » (par. 94). Il dit néanmoins de cette erreur qu’elle « n’a absolument aucune conséquence » parce que, si le juge Grant avait tenu compte de la lettre du conseil recommandant au ministre de la Justice de congédier M. Potter, cela aurait eu pour seul effet de confirmer que le conseil savait bien qu’il ne pouvait lui-même congédier M. Potter (ibid.).
[27] Le juge en chef Drapeau conclut par ailleurs que, en intentant une action en dommages-intérêts pour congédiement déguisé, M. Potter a mis fin non seulement à son emploi vis-à-vis du conseil, mais aussi à sa nomination par le lieutenant-gouverneur en conseil (par. 101). M. Potter a signifié au conseil qu’il était disposé à reprendre ses fonctions et que son action n’emportait pas démission, mais il l’a fait seulement après avoir engagé la poursuite, dans le dessein d’échapper aux conséquences qui en découlaient sur le plan juridique (par. 95). À son avis, en assimilant sa suspension administrative d’une durée indéfinie à un congédiement déguisé, M. Potter a choisi de répudier son contrat de travail et de démissionner. Il y a eu démission par effet de la loi, et M. Potter devait avoir eu l’intention de démissionner puisqu’il s’agissait d’un corollaire de son action pour congédiement déguisé (par. 100).
[28] Dans ses motifs, le juge en chef Drapeau n’aborde pas la question des dommages-intérêts.
III. Questions en litige
[29] Le pourvoi soulève trois questions auxquelles je répondrai successivement :
(1) Le juge de première instance a-t-il eu tort de conclure que M. Potter n’avait pas fait l’objet d’un congédiement déguisé?
(2) Si M. Potter n’a pas fait l’objet d’un congédiement déguisé, le juge de première instance a-t-il eu tort de conclure que M. Potter a démissionné lorsqu’il a intenté son action en dommages-intérêts?
(3) Si M. Potter a fait l’objet d’un congédiement déguisé, le juge de première instance a-t-il eu tort de conclure que les sommes touchées au titre de la pension devaient être déduites des dommages-intérêts pour congédiement injustifié?
IV. Analyse
A. M. Potter a-t-il fait l’objet d’un congédiement déguisé?
[30] Lorsque, par sa conduite, l’employeur manifeste l’intention de ne plus être lié par le contrat de travail, le salarié peut soit acquiescer à la conduite de l’employeur ou à la modification qu’il apporte au contrat, soit y voir la répudiation du contrat et intenter contre l’employeur une poursuite pour congédiement injustifié. C’est ce qui ressort de Farber, par. 33, l’arrêt de principe en matière de congédiement déguisé au Canada. Voir également In re Rubel Bronze and Metal Co. and Vos, [1918] 1 K.B. 315, p. 322. Comme le salarié n’a pas été formellement congédié, la mesure prise par l’employeur est appelée « congédiement déguisé ». L’emploi du qualificatif [traduction] « déguisé » indique que le congédiement s’entend d’une fiction juridique : les actes de l’employeur sont assimilés à un congédiement en raison de la manière dont ils sont qualifiés en droit (J. A. Yogis et C. Cotter, Barron’s Canadian Law Dictionary (6e éd. 2009), p. 61; B. A. Garner, dir., Black’s Law Dictionary (10e éd. 2014), p. 380).
[31] Il appartient au salarié de prouver qu’il y a eu congédiement déguisé. S’il y parvient, il a droit à une indemnité tenant lieu de préavis raisonnable de cessation d’emploi. Dans l’arrêt Farber, la Cour examine la jurisprudence tant de common law que de droit civil. Les solutions retenues et les principes appliqués dans les deux systèmes de droit sont très semblables. Dans les deux cas, la démarche vise à déterminer si, par ses actes, l’employeur a manifesté l’intention de ne plus être lié par le contrat.
[32] Puisque, contrairement au contrat commercial, le contrat de travail revêt un caractère dynamique, les tribunaux ont à juste titre adopté une approche souple pour décider si, par sa conduite, l’employeur avait manifesté ou non l’intention de ne plus être lié par le contrat. Deux volets ont vu le jour pour l’application du critère. Dans la plupart des cas, il faut d’abord établir la violation d’une condition expresse ou tacite du contrat, puis décider si elle est suffisamment grave pour constituer un congédiement déguisé (J. R. Sproat, Wrongful Dismissal Handbook (6e éd. 2012), p. 5-5; P. Barnacle, Employment Law in Canada (4e éd. (feuilles mobiles)), §§13.36 et 13.70). Habituellement, la violation réside alors dans la modification de la rémunération du salarié, des tâches qui lui sont confiées ou de son lieu de travail qui est à la fois unilatérale et substantielle (voir p. ex. G. England, Individual Employment Law (2e éd. 2008), p. 348-356). Pour reprendre les termes employés par le juge McCardie dans l’arrêt Rubel Bronze, p. 323, [traduction] « [c’]est toujours une affaire de degré. »
[33] Or, la conduite de l’employeur constitue également un congédiement déguisé lorsqu’elle traduit généralement son intention de ne plus être lié par le contrat. Lorsqu’ils ont appliqué l’arrêt Farber, les tribunaux ont statué qu’on pouvait conclure au congédiement déguisé du salarié sans invoquer la violation d’une condition particulière du contrat de travail lorsque le comportement de l’employeur vis-à-vis du salarié avait rendu la situation intolérable au travail (voir p. ex. Shah c. Xerox Canada Ltd. (2000), 131 O.A.C. 44; Whiting c. Winnipeg River Brokenhead Community Futures Development Corp. (1998), 159 D.L.R. (4th) 18 (C.A. Man.)). La démarche est nécessairement rétrospective dans la mesure où il faut tenir compte de l’effet cumulatif des actes antérieurs de l’employeur et déterminer si ces actes étaient ou non la manifestation de son intention de ne plus être lié par le contrat.
[34] Selon le premier volet du critère applicable au congédiement déguisé, celui qui s’attache aux clauses précises du contrat, deux conditions doivent être satisfaites. Premièrement, la modification unilatérale apportée par l’employeur doit constituer une violation du contrat de travail et, deuxièmement, s’il s’agit d’une violation, elle doit modifier substantiellement une condition essentielle du contrat (voir Sproat, p. 5-5). Souvent, le respect de la première condition requiert peu d’analyse, car la violation est patente. Cependant, lorsque la violation est moins évidente, ce qui arrive fréquemment dans le cas d’une suspension, une analyse poussée peut s’imposer.
[35] Dans Farber, le juge Gonthier assimile une telle modification à un « bris fondamental ». Ce terme a acquis une signification particulière dans le contexte d’une clause d’exclusion ou d’exonération (voir p. ex. Tercon Contractors Ltd. c. Colombie-Britannique (Transports et Voirie), 2010 CSC 4, [2010] 1 R.C.S. 69, par. 104-123). Afin d’éviter toute confusion, j’appellerai « violation substantielle » la violation de cette nature. L’exigence demeure néanmoins la même en ce que, pour conclure au congédiement déguisé, il faut qu’on puisse voir dans les actes et la conduite de l’employeur [traduction] « la manifestation de son intention de ne plus être lié par le contrat » (Rubel Bronze, p. 322, citant General Billposting Co. c. Atkinson, [1909] A.C. 118 (H.L.), p. 122, lord Collins, renvoyant à son tour à Freeth c. Burr (1874), L.R. 9 C.P. 208, p. 213).
[36] La démarche en deux étapes du premier volet du critère applicable au congédiement déguisé ne diffère pas de celle adoptée par la Cour dans l’arrêt Farber. Or, dans cette affaire, la violation est déterminée à l’issue d’un bref examen; en outre, la Cour y met l’accent sur la seconde étape de ce volet, car le fondement probant de l’ampleur attribuée à la violation est au cœur du litige. Toutefois, la détermination d’un acte unilatéral équivalant à une violation contractuelle est implicite au raisonnement de la Cour. Dans bien des cas, cela suffit. Or, en l’espèce, nous sommes en présence d’un cas où il ne peut être statué correctement sur l’allégation qu’à l’issue des deux étapes de l’analyse.
[37] La première étape de l’analyse exige du tribunal qu’il se prononce objectivement sur l’existence d’une violation. Il lui faut alors examiner si l’employeur a modifié unilatéralement le contrat. Lorsqu’une stipulation expresse ou tacite autorise l’employeur à apporter la modification, ou que le salarié consent à celle-ci, il ne s’agit pas d’un acte unilatéral, de sorte qu’il n’y a pas de violation ni, par conséquent, de congédiement déguisé. En outre, pour constituer une violation, la modification doit être préjudiciable au salarié.
[38] Cette première étape se distingue de la seconde dont l’objet est de déterminer si la violation revêt ou non un caractère substantiel, même si les tribunaux saisis d’une allégation de congédiement déguisé confondent souvent les deux. Dans Farber, où le salarié s’était vu offrir un nouveau poste dont on a estimé qu’il constituait une rétrogradation, le juge Gonthier s’est livré à cet examen. Il a écrit que « la rétrogradation doit s’établir objectivement par la comparaison des postes offerts et [de] leurs attributs » (par. 46).
[39] Une fois la violation objectivement établie, le tribunal doit se demander en second lieu si, « au moment où [la violation a eu lieu], une personne raisonnable, se trouvant dans la même situation que l’employé, aurait considéré qu’il s’agissait d’une modification substantielle des conditions essentielles du contrat de travail » (Farber, par. 26). La violation mineure — celle qui ne pourrait être considérée comme ayant modifié substantiellement une condition essentielle du contrat — n’équivaut pas à un congédiement déguisé.
[40] Les modifications qui satisfont à ces exigences varient selon les faits de l’espèce, de sorte que [traduction] « toute généralisation est exclue » (Sproat, p. 5-6.5). Dans chaque cas, la question de savoir si un salarié a fait l’objet d’un congédiement déguisé exige du tribunal qu’il se livre à [traduction] « une entreprise de nature éminemment factuelle » et détermine si les modifications sont raisonnables et si elles sont compatibles avec la description de travail du salarié ou son contrat de travail (R. S. Echlin et J. M. Fantini, Quitting for Good Reason : The Law of Constructive Dismissal in Canada (2001), p. 4-5). Certes, le critère applicable en la matière ne varie pas en fonction de la nature de la violation alléguée, mais la manière dont il est appliqué tient néanmoins compte des circonstances factuelles propres à chaque affaire.
[41] Le caractère unique de l’application de ce premier volet du critère ressort des affaires relatives à une suspension administrative. Dans tous les cas, le salarié a l’obligation première de prouver le congédiement déguisé, mais dans le cas d’une suspension administrative, il appartient nécessairement à l’employeur de démontrer à son tour que la mesure est justifiée. Si ce dernier ne peut justifier la mesure, la violation sera établie et le salarié aura de nouveau le fardeau de la preuve à la seconde étape de l’analyse.
[42] Le second volet du critère permettant de conclure au congédiement déguisé commande nécessairement une démarche différente. Le congédiement déguisé s’entend alors d’actes qui, au vu de toutes les circonstances, amèneraient une personne raisonnable à conclure que l’employeur n’entend plus être lié par les clauses du contrat. Point n’est besoin que le salarié invoque une modification actuelle, précise et substantielle de sa rémunération, de ses tâches ou de son lieu de travail qui, à elle seule, constitue une violation substantielle. On s’attache à savoir si, par ses actes, l’employeur [traduction] « manifest[e] son intention de ne plus être lié par le contrat » (Rubel Bronze, p. 322). Les actes qui sont la manifestation d’une telle intention emportent cumulativement une violation substantielle. Le juge Gonthier signale d’ailleurs ce qui suit dans l’arrêt Farber :
En matière de congédiement déguisé (« constructive dismissal »), les tribunaux canadiens des provinces de common law ont appliqué le principe général voulant que lorsqu’une partie à un contrat démontre son intention de ne plus être liée par celui-ci, elle est à l’origine d’un bris fondamental de ce contrat, lequel entraîne sa résiliation. [par. 33]
[43] Un congédiement déguisé peut donc revêtir deux formes : celle d’un seul acte unilatéral qui emporte la violation d’une condition essentielle ou celle d’une série d’actes qui, considérés ensemble, montrent l’intention de l’employeur de ne plus être lié par le contrat. Dans l’arrêt de principe Western Excavating (ECC) Ltd. c. Sharp, [1978] 1 All E.R. 713 (C.A.), lord Denning, maître des rôles, exprime clairement ce qui distingue ces deux formes. D’une part, les actes de l’employeur peuvent équivaloir à un congédiement déguisé lorsqu’ils [traduction] « manifestent son intention de ne plus être lié par l’une ou plusieurs des clauses essentielles du contrat » (p. 717). D’autre part, ses actes peuvent aussi donner lieu à un congédiement déguisé lorsqu’ils constituent « une violation importante touchant à l’assise du contrat de travail » (ibid.). Dans l’un ou l’autre cas, la manifestation par l’employeur de l’intention de ne plus être lié par le contrat est considérée comme une violation.
[44] Pour appliquer le premier volet du critère aux faits de la présente affaire, la Cour doit d’abord se demander si la suspension de M. Potter par le conseil équivalait à une violation du contrat de travail. Il lui faut dès lors déterminer si la suspension constituait un acte unilatéral. À première vue, la décision du conseil de suspendre M. Potter était manifestement unilatérale, car ce dernier n’a pas consenti à la mesure. La Commission soutient toutefois que la suspension n’était pas l’expression de son intention de ne plus être liée par le contrat, car une condition expresse ou tacite du contrat l’autorisait à adopter cette mesure, ce qui revient à dire que M. Potter a consenti à la modification lorsqu’il a signé le contrat. Je conviens que la réponse à la question de savoir si la suspension équivalait à un congédiement déguisé dépend en partie de celle de savoir si le contrat autorisait ou non la suspension. S’il existait un pouvoir exprès ou tacite de suspendre M. Potter de la manière dont il l’a été, il n’y a pas eu d’acte unilatéral ni, par conséquent, de violation contractuelle — encore moins de modification substantielle d’une condition essentielle du contrat —, et l’allégation de congédiement déguisé doit être rejetée.
[45] Toutefois, si la suspension n’était pas autorisée par le contrat, il est alors satisfait aux exigences de la première étape du premier volet du critère et il y a modification unilatérale équivalant à violation du contrat. Il faut alors passer à la seconde étape et se demander si on pouvait raisonnablement voir dans la décision unilatérale du conseil de suspendre M. Potter la modification substantielle d’une condition essentielle du contrat. Une suspension peut sans conteste équivaloir à un congédiement déguisé (Cabiakman, par. 71-72). Pour décider si la suspension non autorisée constitue une violation substantielle, la Cour doit se demander si une personne raisonnable s’étant trouvée dans la situation du salarié aurait considéré, entre autres, que l’employeur a agi de bonne foi pour protéger un intérêt organisationnel légitime et que la mesure qu’il a prise a infligé le moins de conséquences possible au salarié quant à la durée de la suspension. En toute déférence, le juge de première instance a eu tort de ne pas considérer les deux étapes de l’analyse indépendamment l’une de l’autre.
[46] Je conclus de l’application des principes susmentionnés aux faits de l’espèce que M. Potter a été congédié de manière déguisée par le conseil. Étant donné la durée indéfinie de la suspension, l’omission de la Commission d’agir de bonne foi en ce qu’elle n’a pas communiqué de motifs organisationnels valables à M. Potter et son intention dissimulée de congédier ce dernier, j’estime avec égards que le juge de première instance a eu tort de conclure que le contrat de travail autorisait la suspension. En outre, pour les motifs exposés ci-après, je conclus que cette violation unilatérale du contrat équivalait à la modification substantielle d’une condition essentielle du contrat par l’employeur.
[47] Soit dit en tout respect pour le juge Cromwell, je ne peux convenir avec lui que cette analyse est inutile ou que le congédiement déguisé peut être établi seulement en fonction du deuxième volet du critère. Premièrement, si l’on ne détermine pas que le contrat autorisait ou non la suspension, il est difficile, voire impossible, de soutenir qu’une personne s’étant trouvée dans la situation de M. Potter aurait vu dans la suspension la manifestation par l’employeur de son intention de ne plus être lié par le contrat. Si le contrat conférait expressément ou tacitement à l’employeur le pouvoir de suspendre le salarié comme il l’a fait, cela ne pourrait permettre de conclure qu’une conduite a emporté violation. Il en va de même de la négociation de l’indemnité de départ qui, pour autant que savait M. Potter, se déroulait de bonne foi. En outre, même si elle n’est pas au cœur de l’analyse du juge Cromwell, la lettre que le conseil a adressée au ministre de la Justice n’est pas, compte tenu de l’examen qui suit, pertinente pour l’analyse que commande ce volet du critère. Ne reste alors que la lettre informant M. Potter qu’il [traduction] « continuera[it] de toucher son salaire jusqu’à nouvel ordre ». Je concède qu’il en résultait quelque incertitude indue quant à la situation d’emploi de M. Potter. Or, une personne raisonnable s’étant trouvée dans la situation de M. Potter n’aurait pu en conclure que la Commission manifestait clairement son intention de ne plus être liée par le contrat.
[48] J’examinerai d’abord deux questions préliminaires. Premièrement, j’écarterai les doutes exprimés par la Cour d’appel sur l’existence d’une relation d’emploi entre la Commission et M. Potter. Deuxièmement, j’examinerai les conditions du contrat afin de déterminer si le conseil avait ou non le pouvoir exprès de suspendre M. Potter. Comme je conclus qu’un tel pouvoir exprès n’était pas conféré, je passerai ensuite à l’étude de la principale question en litige dans le pourvoi : existait-il un pouvoir tacite de suspendre M. Potter? Le juge de première instance répond par l’affirmative, mais j’estime que sa conclusion s’appuie sur une interprétation erronée du droit applicable à la suspension lorsqu’il y a allégation de congédiement déguisé. J’estime que le conseil n’avait pas le pouvoir, exprès ou tacite, de suspendre indéfiniment M. Potter avec salaire pour les motifs invoqués et qu’il y a eu une modification substantielle équivalant à un congédiement déguisé.
(1) La relation d’emploi entre M. Potter et la Commission
[49] La Cour d’appel fait remarquer que si la Commission n’était pas l’employeur de M. Potter, le « simple bon sens et le droit » empêcheraient ce dernier d’avoir gain de cause (par. 60). S’il reconnaît que ni l’une ni l’autre des parties ne conteste l’existence d’une relation d’emploi entre M. Potter et la Commission, le juge en chef Drapeau le fait « non sans hésitation » (par. 69) et seulement après avoir donné quelques raisons pour lesquelles une telle relation pourrait ne pas exister. À l’audience devant notre Cour, la Commission a de nouveau admis être l’employeur de M. Potter. Ce fait ayant été reconnu par les deux parties tout au long de l’instance, je conviens avec le juge en chef Drapeau qu’« il serait injuste de modifier la façon dont la présente cause est présentée et de statuer sur l’appel sur la base d’un moyen qui n’a pas été invoqué par la Commission » (par. 69). Néanmoins, je ne partage pas son hésitation à tirer cette conclusion. À la lumière de la doctrine de l’« employeur unique », j’estime que la Commission était en fait l’employeur de M. Potter et qu’elle a à juste titre été constituée défenderesse à l’action.
[50] Certes, aux termes de la Loi sur l’aide juridique, le lieutenant-gouverneur en conseil conserve le pouvoir formel de nommer le directeur général, de reconduire son mandat et d’y mettre fin, mais son pouvoir de nomination est limité par l’obligation de nommer la personne que propose le conseil d’administration de la Commission (par. 39(1)). Il incombe également au conseil d’établir les modalités et les conditions de la nomination du directeur général. De plus, le par. 39(6) l’habilite à attribuer des fonctions et des pouvoirs au directeur général, ce qui, selon les tribunaux inférieurs, englobe le pouvoir de suspendre le titulaire du poste. Ces pouvoirs accordés au conseil, dont celui de proposer une personne, qui lui confère un ascendant réel sur l’exercice du pouvoir de nomination de la Couronne, s’appliquent à presque tous les aspects de la relation d’emploi. Le juge en chef Drapeau laisse entendre que la non-habilitation du conseil à congédier formellement le directeur général pourrait compromettre le recours exercé par M. Potter, mais pareille conclusion irait à l’encontre de la doctrine de l’employeur unique et du droit applicable au congédiement déguisé.
[51] Je conviens que la Commission était presque à tous égards l’employeur de M. Potter même si la Couronne était son employeur pour ce qui concerne sa nomination, la reconduction de son mandat et la révocation de celui-ci. Conclure au congédiement déguisé n’exige pas qu’il y ait eu congédiement formel, mais plutôt un acte unilatéral de l’employeur qui a modifié substantiellement le contrat de travail. Au vu des vastes pouvoirs susmentionnés, il ne fait pas de doute que la Commission a le pouvoir de modifier quelque aspect fondamental du contrat de travail du directeur général, si bien qu’elle peut le congédier de manière déguisée. Tirer la conclusion contraire serait permettre qu’une structure d’entreprise complexe mais licite puisse causer une injustice en compromettant les droits légitimes d’un salarié congédié sans motif valable (voir Downtown Eatery (1993) Ltd. c. Ontario (2001), 54 O.R. (3d) 161 (C.A.), par. 36). En effet, l’employeur pourrait échapper à toute responsabilité pour un acte qui équivaut à un congédiement déguisé de sa part au motif qu’il ne possédait pas le pouvoir de congédier formellement le salarié.
(2) Peut-on conclure des mots qui y sont employés que le contrat confère expressément le pouvoir de suspendre M. Potter pour des raisons administratives?
[52] Si la Commission avait le pouvoir contractuel de suspendre M. Potter pour les raisons administratives qu’elle a invoquées, il n’y a pas eu violation du contrat, et l’allégation de congédiement déguisé doit être rejetée. Les conditions expresses du contrat sont prévues par la Loi sur l’aide juridique, et le conseil établit les modalités et les conditions d’emploi suivant le par. 39(2) de la Loi. Les modalités et les conditions ne font pas mention de la possibilité d’une suspension. La Loi sur l’aide juridique ne fait pas non plus mention d’une suspension éventuelle, mais le par. 21(1) de la Loi d’interprétation, L.R.N.-B. 1973, c. I-13, dispose ce qui suit :
21(1) Les mots qui autorisent la nomination d’un fonctionnaire public comportent le pouvoir :
a) de le destituer ou de le suspendre de ses fonctions,
b) de le nommer à nouveau ou de le réintégrer dans ses fonctions,
c) d’en nommer un autre pour le remplacer ou agir à sa place, et
d) de fixer sa rémunération, de la modifier ou de la supprimer,
à la discrétion de l’autorité investie du pouvoir de nomination.
[53] Au procès, M. Potter a soutenu qu’il convient d’appliquer cette disposition pour interpréter le par. 39(1) de la Loi sur l’aide juridique, lequel prévoit que « [l]e lieutenant-gouverneur en conseil nomme comme directeur général de l’aide juridique la personne proposée par le conseil. » S’agissant de « mots qui autorisent la nomination d’un fonctionnaire public », il a fait valoir que le pouvoir de suspension appartient non pas au conseil, mais à la Couronne, de sorte que le conseil ne pouvait le suspendre pour des raisons administratives.
[54] Le juge de première instance ne partage pas ce point de vue et invoque à l’appui le par. 39(6) de la Loi sur l’aide juridique, dont voici à nouveau le libellé pour en faciliter la consultation :
39(6) Le directeur général exerce les fonctions et peut exercer les pouvoirs qui lui sont [attribués] par la présente partie, les règlements ou le conseil.
Selon lui, le pouvoir de surveillance général que le par. 39(6) confère au conseil englobe celui de suspendre et de remplacer le directeur général. Si tel n’était pas le cas et que le directeur général était un jour incapable d’exercer ses fonctions, notamment pour cause de maladie, la Commission ne pourrait poursuivre ses activités que si le lieutenant-gouverneur en conseil nommait un remplaçant. Le juge Grant estime que cela irait à l’encontre de l’objet premier de la Loi sur l’aide juridique, à savoir l’établissement d’un programme opérationnel d’aide juridique (art. 2).
[55] La Cour d’appel invoque d’autres raisons à l’appui de cette interprétation du contrat. Le juge en chef Drapeau précise que, suivant son al. 1(1)a), la Loi d’interprétation ne s’applique en l’espèce que si elle n’est pas « incompatible avec le sens ou l’objet » de la Loi sur l’aide juridique. L’article 39 de la Loi sur l’aide juridique ne se résume pas à « [d]es mots qui autorisent la nomination d’un fonctionnaire public ». Il va plus loin en ce qu’il confère au lieutenant-gouverneur en conseil, au conseil et au directeur général des pouvoirs supplémentaires, et le par. 21(1) de la Loi d’interprétation est incompatible avec les dispositions qui accordent certains de ces pouvoirs. Par exemple, le par. 39(5) de la Loi sur l’aide juridique restreint le pouvoir discrétionnaire du lieutenant-gouverneur en conseil en ce qui a trait au renouvellement du mandat du directeur général, et le par. 39(2) confère au conseil le pouvoir d’établir les modalités et les conditions de la nomination du directeur général, y compris sa rémunération. Le paragraphe 21(1) de la Loi d’interprétation est incompatible avec chacune des deux dispositions.
[56] Même si la Loi d’interprétation s’appliquait, le juge en chef Drapeau indique que le pouvoir de « suspendre » prévu à l’al. 21(1)a) ne peut être exercé qu’à des fins disciplinaires puisqu’il est conféré de pair avec celui de « destituer » (par. 73).
[57] Pour les motifs invoqués par le juge Grant et le juge en chef Drapeau, j’estime que la Loi sur l’aide juridique énonce exhaustivement les pouvoirs relatifs au contrat de travail du directeur général et que la Loi d’interprétation est incompatible avec les dispositions qui accordent certains de ces pouvoirs. Le pouvoir de nomination dont est investi le lieutenant-gouverneur en conseil n’englobe pas nécessairement le pouvoir de suspension, et même si c’était le cas, je conviens que le pouvoir de suspension conféré par l’al. 21(1)a) de la Loi d’interprétation ne s’exerce que dans le contexte disciplinaire. En conséquence, le pouvoir de suspendre le directeur général pour des raisons administratives appartient forcément au conseil.
[58] Je conviens également avec le juge Grant que, selon l’art. 39 de la Loi sur l’aide juridique, tous les aspects de l’emploi du directeur général — hormis sa nomination formelle, et les renouvellement et révocation formels de son mandat — relèvent du conseil, ce qui comprend l’établissement des modalités et des conditions de la nomination (par. 39(2)) et la surveillance du directeur général dans l’exercice de ses fonctions et de ses pouvoirs (par. 39(6)). Cela dit, ces vastes pouvoirs du conseil n’englobent pas expressément celui de suspendre pour des raisons administratives. Je passerai donc maintenant à la question de savoir s’il est possible de conclure que le contrat de travail confère tacitement ce pouvoir.
(3) Existait-il un pouvoir tacite de suspendre M. Potter pour des raisons administratives?
[59] Vu l’absence d’un pouvoir exprès de suspendre M. Potter pour des raisons administratives, le pouvoir de suspendre, s’il existe, doit être tacitement conféré par le contrat. Il nous faut donc déterminer si le pouvoir du conseil d’attribuer pouvoirs et fonctions au directeur général en application du par. 39(6) de la Loi sur l’aide juridique englobe celui de suspendre M. Potter indéfiniment avec salaire pour les raisons administratives invoquées par le conseil. Selon moi, il faut répondre par la négative. Le juge de première instance, qui tire la conclusion contraire, fait fausse route lorsqu’il énonce de façon incorrecte le droit applicable à la suspension pour raisons administratives. Il conclut à tort que la Commission n’avait pas l’obligation de fournir du travail à M. Potter et il omet de ce fait de se demander si elle s’est acquittée de son obligation de démontrer que la suspension était justifiée. Pour les motifs qui suivent, j’estime que la Commission ne s’est pas acquittée de cette obligation et que la suspension n’était donc pas autorisée.
a) Admissibilité des éléments présentés pour prouver qu’un acte constitue un congédiement déguisé
[60] Il incombe au salarié de prouver qu’un acte constitue un congédiement déguisé. Il doit démontrer selon la prépondérance des probabilités que la mesure unilatérale de l’employeur constitue une violation du contrat de travail et que cette violation a modifié substantiellement les conditions essentielles du contrat de travail. Comme je le mentionne précédemment, la preuve offerte pour établir le caractère substantiel de la violation doit être appréciée du point de vue d’un salarié raisonnable. Il faut se demander « si, au moment où [il y aurait eu violation], une personne raisonnable, se trouvant dans la même situation que l’employé, aurait considéré qu’il s’agissait d’une modification substantielle des conditions essentielles du contrat de travail » (Farber, par. 26). En l’espèce, le juge de première instance, qui dit appliquer ce critère, formule les remarques suivantes :
. . . il suffit, à mon avis, que je tienne compte de ce [que M. Potter] savait au moment où il prétend avoir été congédié de façon déguisée, car il peut difficilement soutenir qu’il a été congédié de façon déguisée en s’appuyant sur quelque chose que l’employeur a fait à son insu. Par exemple, à ce moment-là, il n’était pas au courant de la lettre au ministre de la Justice; il ne peut donc pas dire qu’en envoyant la lettre, la défenderesse a [répudié] le contrat et l’a congédié de façon déguisée en conséquence. [par. 36]
[61] La Cour d’appel s’interroge sur la conclusion du juge de première instance sur ce point. Selon elle, « [i]l se pourrait que le juge du procès ait été tenu de prendre en considération l’ensemble des circonstances, [y compris] celles dont M. Potter n’avait pas connaissance, avant d’entamer sa poursuite » (par. 94). Toutefois, le juge en chef Drapeau affirme que cette erreur n’aurait eu « absolument aucune conséquence » parce que, même si le juge Grant avait tenu compte de l’élément de preuve écarté, celui-ci aurait seulement confirmé la thèse selon laquelle le conseil avait agi de manière compatible avec ses obligations contractuelles, puisqu’il ne pouvait lui-même congédier M. Potter (ibid.).
[62] Avec égards, je suis d’avis que la démarche du juge de première instance est effectivement erronée et que cette erreur n’est pas sans conséquence. Son erreur découle de l’omission de considérer séparément chacune des étapes relative au congédiement déguisé. Rappelons que le critère dégagé par la Cour dans l’arrêt Farber comportait deux parties. Le juge Grant aurait dû d’abord se demander si, d’un point de vue objectif, il y avait eu violation du contrat. Ce n’est qu’après avoir déterminé qu’il y avait eu violation qu’il aurait dû passer à la seconde étape et déterminer si la violation revêtait ou non un caractère substantiel. C’est à cette seconde étape de l’analyse que le point de vue bascule et que « sera pertinent ce qui était connu par l’appelant au moment de [la violation] ou devait être prévu par une personne raisonnable se trouvant dans sa situation » (Farber, par. 42). Le juge de première instance a passé outre à la première étape de l’analyse.
[63] Le changement de point de vue témoigne de la mise en balance qu’opère la doctrine relative au congédiement déguisé. La doctrine reconnaît certes la vulnérabilité du salarié vis-à-vis de l’employeur, mais la compensation qu’elle commande n’est pas illimitée. En conséquence, le point de vue adopté à la seconde étape du premier volet du critère, qui s’intéresse au caractère substantiel de la violation, ainsi qu’au second volet du critère, est celui de la personne raisonnable se trouvant dans la situation du salarié. Il n’est pas nécessaire que l’employeur veuille dans les faits ne plus être lié par le contrat. La question est de savoir si, eu égard à toutes les circonstances, une personne raisonnable s’étant trouvée dans la situation du salarié aurait vu dans la conduite de l’employeur la manifestation de son intention de ne plus être lié par le contrat. Soit dit en tout respect pour l’opinion du juge Cromwell, le point de vue ainsi adopté n’est cependant pas assez large pour permettre au salarié d’invoquer des motifs qui, même s’ils existaient, lui étaient alors inconnus. Sans cette limite, on risquerait d’inciter le salarié démissionnaire mécontent à alléguer le congédiement déguisé et à soumettre l’employeur à des recherches à l’aveuglette dans l’espoir de trouver des éléments pour étayer sa thèse.
[64] Dans le présent dossier, à la première étape du premier volet du critère applicable au congédiement déguisé, le juge de première instance devait examiner si, d’un point de vue objectif, la suspension administrative équivalait à une violation du contrat. Exclure une preuve comme celle écartée par le juge en l’espèce ferait en sorte que l’employeur puisse, [traduction] « grâce à son habileté à dissimuler suffisamment son état d’esprit », faire obstacle à une action pour congédiement déguisé (Universal Cargo Carriers Corp. c. Citati, [1957] 2 All E.R. 70 (Q.B.), p. 91).
[65] Je le rappelle, il s’agit d’une question qui requiert souvent une analyse plus attentive que celle qui se pose dans le cas d’un congédiement déguisé allégué par suite d’une modification d’un autre type. La raison en est que, contrairement à la faculté d’opérer d’autres modifications unilatérales, telles la rétrogradation, la réduction de salaire ou la modification unilatérale du mode de rémunération, celle qu’a l’employeur de suspendre le salarié peut être inférée du contrat. Le tribunal doit donc décider si la suspension intervenue était tacitement autorisée ou non par le contrat. À titre d’exemple, dans Carscallen c. FRI Corp. (2005), 42 C.C.E.L. (3d) 196 (C.S.J. Ont.), conf. par (2006), 52 C.C.E.L. (3d) 161 (C.A. Ont.), pour décider si la suspension disciplinaire du salarié équivalait à une violation, la Cour d’appel de l’Ontario tient compte de multiples facteurs, dont l’absence de rémunération du salarié pendant sa suspension et la durée indéfinie de celle-ci. La Cour supérieure du Québec adopte une démarche semblable dans Labarre c. Spiro Méga inc., 2001 CarswellQue 1753 (WL Can.), où elle prend également en considération un avis transmis aux autres membres du personnel pour les informer de la suspension du salarié, ainsi que la révocation de son droit d’utiliser une carte de crédit et un véhicule de l’entreprise.
[66] Le salarié dont le contrat de travail est modifié unilatéralement par l’employeur se trouve dans la situation peu enviable d’avoir à décider d’acquiescer à la modification ou de remettre sa démission et d’intenter une action pour congédiement déguisé (voir Belton c. Liberty Insurance Co. of Canada (2004), 72 O.R. (3d) 81 (C.A.), par. 25-26). Il lui faut prendre cette décision qui engage l’avenir dans un contexte où les données dont il dispose sont limitées et où le rapport de force avec l’employeur est inégal. Comme l’établit clairement l’arrêt Farber, il serait injuste de s’appuyer sur des données qui réfutent l’allégation du salarié et dont celui-ci ignorait l’existence ou ne pouvait être tenu de prévoir. Comme je l’ai mentionné, dans Farber, le juge Gonthier s’est d’abord demandé s’il y avait eu violation; le salarié avait fait l’objet d’une modification unilatérale qui comportait « une rétrogradation importante, voire grave » (par. 38). Puis, il s’est demandé si la rétrogradation constituait une modification substantielle des conditions essentielles du contrat. L’employeur soutenait que les commissions que le salarié aurait touchées dans ses nouvelles fonctions auraient été supérieures à ce qu’il aurait gagné s’il avait conservé son poste d’origine, de sorte que la rétrogradation n’opérait pas une modification substantielle. Le juge Gonthier écarte toutefois l’élément de preuve invoqué au motif que des faits ni connus ni raisonnablement susceptibles de l’être par le salarié ne sauraient être pris en compte par le tribunal pour déterminer si une violation est substantielle ou non.
[67] La raison d’être de l’exclusion de la preuve dans Farber ne vaut pas en l’espèce. Dans cet arrêt, la Cour n’écarte pas la preuve en cause pour déterminer s’il y a eu violation ou non, mais bien pour apprécier le caractère plus ou moins substantiel de la modification. Cette nuance change sensiblement l’optique dans laquelle est tranchée la question de la pertinence. La lettre du conseil recommandant le congédiement de M. Potter est nettement pertinente pour la détermination de la situation des parties au moment de la violation alléguée. Et comme je le précise ci-après, l’intention de l’employeur importe lorsqu’il s’agit de décider si la suspension était justifiée ou non, une décision cruciale pour l’issue de l’action pour congédiement déguisé de M. Potter. Dès lors, l’exclusion de la preuve était loin de n’avoir « absolument aucune conséquence », car elle a privé le juge de première instance d’un élément de preuve pertinent pour statuer sur ce point crucial.
b) Caractérisation de la suspension de M. Potter
[68] La question générale du droit de l’employeur de mettre fin temporairement aux fonctions d’un salarié dans un milieu de travail non syndiqué a suscité de nombreux débats. Avant de décider si le conseil avait ou non le pouvoir de suspendre M. Potter comme il l’a fait en l’espèce, j’estime utile de préciser que certains éléments ne sont pas en cause dans le présent pourvoi. Premièrement, il n’est pas question en l’espèce de mise à pied pour motif économique. Puisqu’il a continué de toucher son salaire et de bénéficier de ses avantages, M. Potter n’a pas été mis à pied, de sorte qu’il n’y a pas lieu de se demander si le pouvoir tacite de le mettre à pied temporairement existait ou non (Barnacle, §§18.29 à 18.39).
[69] Deuxièmement, nous ne sommes pas aux prises avec une suspension administrative fondée sur des motifs étrangers à la conduite du salarié. Dans l’arrêt Cabiakman, quoique dans un contexte de droit civil, la Cour a distingué entre les éléments extrinsèques et intrinsèques qui sont susceptibles de justifier une suspension administrative (par. 33). Parmi les éléments extrinsèques éventuels figurent les difficultés financières, le manque de travail, les changements technologiques et la restructuration de l’entreprise, mais aucun n’est allégué en l’espèce. La décision de suspendre M. Potter reposait plutôt sur des éléments intrinsèques puisqu’elle se rapportait aux actes mêmes de M. Potter.
[70] Troisièmement, il n’y pas eu en l’espèce de suspension disciplinaire. Même si, à l’insu de l’intéressé, le conseil a recommandé que la nomination de M. Potter soit révoquée pour motif valable et donné au ministre de la Justice des motifs à l’appui dans la lettre qu’il lui a fait parvenir, il n’a pas suspendu M. Potter pour des motifs disciplinaires. Les parties, comme les tribunaux inférieurs, conviennent que M. Potter a fait l’objet d’une « suspension administrative » lorsqu’il s’est vu enjoindre de ne pas se présenter au travail et que ses pouvoirs ont été délégués à une autre personne (motifs de la Cour d’appel, par. 3). La Commission reconnaît aujourd’hui que la suspension était administrative, et non disciplinaire. Il n’y a donc pas lieu de s’interroger sur l’existence d’un pouvoir tacite de suspendre un salarié pour des raisons disciplinaires, non plus que sur celle d’une obligation tacite d’adopter une mesure moins sévère comme la suspension lorsqu’il existe un motif de congédiement (voir McKinley c. BC Tel, 2001 CSC 38, [2001] 2 R.C.S. 161, par. 52; Haldane c. Shelbar Enterprises Ltd. (1999), 46 O.R. (3d) 206 (C.A.); Barnacle, §18.40).
[71] Incidemment, l’existence d’un motif valable de congédiement n’ayant pas été alléguée en l’espèce, je doute de la pertinence de l’exposé détaillé de la Cour d’appel sur la « détérioration » de la relation d’emploi entre M. Potter et le conseil (par. 2 et 21-26). Le juge en chef Drapeau dit faire état de ces éléments « pour montrer que la décision du conseil de recommander la révocation [a] été prise de bonne foi et n’[a] rien de frivole » (par. 21). Or, ces faits n’ont pas été examinés au procès et constituent pour la plupart des allégations non prouvées de la Commission. À moins qu’il ne concerne les raisons administratives invoquées par le conseil pour suspendre M. Potter, ce contexte factuel n’est pas pertinent.
[72] La question à trancher est la suivante. Le conseil avait-il le pouvoir tacite de suspendre M. Potter indéfiniment avec salaire pour les raisons administratives qu’il a invoquées? Il convient de souligner que le conseil n’a pas invoqué de motifs lorsqu’il a suspendu M. Potter le 11 janvier 2010. Lorsqu’une clarification lui a été demandée le lendemain, le conseil a simplement confirmé que M. Potter ne devait pas se présenter au travail. Il n’y a pas eu d’autres communications entre le conseil et M. Potter jusqu’à ce que ce dernier entame sa poursuite pour congédiement déguisé le 9 mars 2010.
[73] Le juge de première instance conclut que la suspension visait à faciliter la négociation d’une indemnité de départ. Depuis que M. Potter avait rencontré les représentants du conseil au printemps 2009 pour en discuter, le conseil [traduction] « avait [. . .] toutes les raisons de croire qu’il était intéressé au rachat de son contrat » (par. 42). Puisque les négociations se poursuivaient, « [u]ne suspension administrative en attendant le règlement de la question concord[ait] tout à fait avec la nature de [la] relation [des parties] à l’époque » (par. 40). Il ajoute :
[traduction] À mon avis, la directive de la Commission [de ne pas se présenter au travail confirmait seulement] ce que M. Potter savait déjà et avait indiqué qu’il accepterait si les conditions étaient satisfaisantes, à savoir que la Commission voulait racheter son contrat. Elle assurait aussi qu’il n’arriverait rien qui puisse compliquer les négociations [en vue d’un] règlement amiable.
Aucune preuve n’indique que le conseil l’aurait avisé qu’il avait l’intention de prendre des mesures en vue de son congédiement. D’après la preuve présentée à la Cour, je conclus que la mesure radicale [que M. Potter] a prise en intentant une poursuite [contre] son employeur n’était la réaction à aucun acte unilatéral de l’employeur qu’une personne raisonnable pourrait interpréter comme [répudiation] du contrat. M. Potter continuait de recevoir en entier son salaire et ses avantages, et si, comme il le dit, il ressentait la pression de l’incertitude de sa situation, il lui suffisait de créer une preuve documentaire en demandant des éclaircissements. [par. 43-44]
[74] Même si je convenais que tel était le motif de la suspension de M. Potter par la Commission, je conclurais quand même que le conseil n’avait pas le pouvoir de suspendre indéfiniment le salarié avec salaire pour faciliter la négociation d’une indemnité de départ.
[75] Je me pencherai maintenant sur la thèse principale de la Commission selon laquelle elle n’avait pas l’obligation de fournir du travail à M. Potter. Je fais cependant observer que le conseil ne s’est pas seulement abstenu de donner du travail à M. Potter; il lui a enjoint de ne pas se présenter au bureau et il l’a remplacé. De plus, même si le conseil avait le pouvoir tacite de dépouiller M. Potter de la totalité de ses fonctions ou de certaines d’entre elles, j’estime que ce pouvoir n’était pas absolu, mais que son exercice était assujetti au respect de l’exigence fondamentale d’une justification organisationnelle. Aucun motif organisationnel légitime n’ayant été invoqué en l’espèce, je conclus que la suspension n’était pas autorisée.
c) La Commission avait l’obligation de fournir du travail à M. Potter
[76] Selon la Commission, il s’agit non pas de savoir si elle avait le pouvoir de suspendre M. Potter, mais bien si elle avait ou non l’obligation de lui fournir du travail. Comme la plupart des contrats de travail n’imposent pas une telle obligation à l’employeur et que, traditionnellement, il n’existe pas, en common law, d’obligation générale de fournir du travail, la Commission soutient que la suspension administrative avec salaire constitue rarement une violation du contrat (Turner c. Sawdon & Co., [1901] 2 K.B. 653 (C.A.)). En common law, la règle traditionnelle veut que [traduction] « l’obligation de l’employeur de maintenir le salarié dans son emploi n’emporte pas nécessairement celle de lui fournir du travail » (Park, par. 113). Il existe des exceptions à cette règle:
[traduction] L’une de ces exceptions vise le contrat de travail dans le cadre duquel le salarié — une actrice, ou un animateur de radio ou de télévision, par exemple — retire un avantage de l’accomplissement de son travail. Le cas du salarié rémunéré à la commission en est une deuxième. [ibid.]
Or, le juge de première instance conclut — et la Commission soutient — que ces exceptions ne s’appliquent pas en l’espèce.
[77] Dans l’affaire Park, le président et directeur général d’une société avait reçu un préavis de cessation d’emploi et s’était vu enjoindre de ne pas se présenter au travail au cours de la période visée par le préavis. La cour a conclu que les deux exceptions s’appliquaient. Premièrement, une partie de la rémunération de M. Park était versée sous forme de bonus et, deuxièmement, l’exercice de ses fonctions lui conférait un avantage sur le plan de la réputation : [traduction] « En tant que chef de la direction, il était le premier responsable des activités de la société, si bien que la réussite ou l’échec de l’entreprise était attribué à la manière dont il s’acquittait de cette fonction » (p. 113). La suspension a donc été jugée injustifiée, et M. Park a obtenu des dommages-intérêts. La conclusion contraire a été tirée dans Suleman c. B.C. Research Council (1990), 52 B.C.L.R. (2d) 138 (C.A.), où une adjointe administrative s’était vu signifier la cessation de son emploi [traduction] « en raison d’un manque de travail » (p. 139). Madame Suleman n’ayant pas tenté d’établir que sa situation correspondait à l’une des exceptions prévues à la règle traditionnelle, l’employeur n’était pas tenu de lui fournir du travail, et la diminution de sa charge de travail pendant la période de préavis n’a pas été jugée injustifiée.
[78] Dans la présente affaire, le juge Grant a établi une distinction avec l’affaire Park puisque, dans cette dernière, il n’y avait pas eu suspension, mais [traduction] « les fonctions et les pouvoirs confiés [à M. Park] avaient été enlevés », alors que, en l’espèce, il y a eu suspension jusqu’au dénouement des négociations relatives au versement d’une indemnité de départ à M. Potter (par. 42). Avec égards, la distinction ne me convainc pas. Bien que M. Potter n’ait pas été rémunéré à la commission, il était directeur général d’un programme gouvernemental dont la réussite, comme celle de la société dirigée par M. Park, était attribuée à la manière avec laquelle il s’acquittait de ses fonctions. Il ne fait pas de doute, selon moi, que M. Potter retirait de l’exercice de ses fonctions un avantage sur le plan de la réputation.
[79] Le juge Grant semble suggérer que la suspension de M. Park est plus problématique parce que sa durée est définie et correspond au préavis de licenciement. J’estime pour ma part que c’est plutôt le contraire. La durée indéfinie de la suspension de M. Potter a causé une incertitude qui a exacerbé les conséquences de la mesure. Dans les deux cas, l’employeur a enjoint au salarié de ne pas se présenter au travail et l’a remplacé pendant la suspension.
[80] Enfin, tandis que les pouvoirs et les fonctions de M. Park lui étaient assignés uniquement par les administrateurs de la société, ceux de M. Potter étaient énoncés de manière exhaustive dans la Loi sur l’aide juridique (voir l’art. 42 et les par. 39(6), 40(1), 41(1), 50(2), 51(1), 52(8), 53(2) et 53(3)). La suspension de M. Potter l’a empêché de s’acquitter de nombreuses obligations prévues par la Loi. M. Potter l’a reconnu indirectement lorsque son conseiller juridique a demandé des éclaircissements sur la suspension : [traduction] « Étant donné que M. Potter occupe un poste qui comporte l’obligation légale d’exercer ses fonctions, pouvez-vous confirmer que le conseil a suspendu M. Potter[?] »
[81] En somme, lorsqu’elle prétend ne pas avoir l’obligation de fournir du travail à M. Potter, la Commission nie en fait avoir suspendu ce dernier au motif qu’aucune condition du contrat n’a été modifiée. Pour les motifs qui précèdent, c’est-à-dire la nature du poste de directeur général et le détail avec lequel les obligations de M. Potter figuraient au contrat, je rejette le point de vue selon lequel le conseil n’avait pas l’obligation de fournir du travail à M. Potter. Toutefois, pour les motifs qui suivent, je préfère ne pas appuyer ma conclusion sur les seules caractéristiques particulières de la situation d’emploi de M. Potter.
d) Le pouvoir de l’employeur de refuser du travail au salarié n’est jamais absolu
[82] À mon avis, même si aucune des exceptions qui obligent l’employeur à fournir du travail au salarié ne s’applique, l’employeur n’a pas un pouvoir discrétionnaire absolu qui lui permet de s’en abstenir. À supposer que pareil pouvoir discrétionnaire absolu ait jamais existé, l’évolution récente du droit du travail l’a écarté.
[83] On reconnaît de nos jours que « [l]e travail est l’un des aspects les plus fondamentaux de la vie d’une personne, un moyen de subvenir à ses besoins financiers et, ce qui est tout aussi important, de jouer un rôle utile dans la société. L’emploi est une composante essentielle du sens de l’identité d’une personne, de sa valorisation et de son bien-être sur le plan émotionnel » (Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alb.), [1987] 1 R.C.S. 313, p. 368). Il appert donc que les avantages tirés de l’exercice de fonctions n’ont pas trait qu’à la réputation et à la situation financière. Je conçois certes que les salariés qui sont rémunérés à la commission ou qui retirent de l’exercice de leurs fonctions un avantage lié à la réputation subissent un préjudice particulier lorsque leur employeur refuse de leur fournir du travail, ce qui justifie de voir dans le contrat de travail l’obligation tacite de leur en fournir. Il faut cependant se garder de conclure que l’inverse est aussi vrai — à savoir que les salariés qui n’appartiennent pas à ces catégories précises ne retirent aucun avantage de l’exercice de leurs fonctions, et que leur employeur a donc un pouvoir discrétionnaire absolu qui permet la suspension avec salaire. Peut-on vraiment affirmer que le président et directeur général, du fait de sa réputation, a le droit tacite de travailler, alors que l’adjointe administrative ne l’a pas parce que sa réputation importe peu?
[84] J’estime que l’approche compartimentée du juge de première instance, et sur laquelle s’appuie la Commission, ne tient pas suffisamment compte du rôle de la proportionnalité et de l’équilibre dans le droit du travail moderne (McKinley, par. 53). Même selon la common law, qui ne lui impose pas une obligation générale de fournir du travail, l’employeur ne peut refuser de donner du travail avec mauvaise foi ou de manière injustifiée. Il peut réduire la charge de travail du salarié ou abolir son poste pour des motifs organisationnels légitimes, comme dans l’affaire Suleman, où la charge de travail de la salariée avait été réduite jusqu’à son licenciement pour manque de travail. Toutefois, je rejette l’idée que l’employeur puisse, pour n’importe quelle raison, refuser du travail au salarié auquel ne s’appliquent pas les exceptions susmentionnées, encore moins le suspendre et le remplacer. Souscrire à cette idée compromettrait l’avantage non pécuniaire que tout salarié tire de l’exécution de son travail. Ce serait aussi incompatible avec l’obligation de l’employeur d’agir de bonne foi et de traiter ses salariés équitablement, une obligation de plus en plus reconnue en common law (voir D. J. Doorey, « Employer “Bullying” : Implied Duties of Fair Dealing in Canadian Employment Contracts » (2005), 30 Queen’s L.J. 500).
[85] En résumé, il est faux de prétendre que l’employeur a l’obligation de fournir du travail à certains salariés dont la suspension avec salaire équivaut par conséquent à un congédiement déguisé, alors qu’il n’a pas cette obligation à l’égard d’autres salariés dont la suspension avec salaire est par conséquent autorisée. La décision doit être basée sur les faits de chaque espèce. Les exceptions prévues en common law demeurent utiles pour cerner les obligations contractuelles tacites de l’employeur. En ce qui concerne les salariés rémunérés à la commission ou qui retirent de l’exercice de leurs fonctions un avantage lié à la réputation, la suspension avec salaire constitue une violation directe d’une condition tacite du contrat. Cela dit, il n’est pas loisible à l’employeur de refuser du travail au salarié avec mauvaise foi ou de manière injustifiée. La question est de savoir si, eu égard aux faits de l’espèce, l’employeur a établi ou non la justification de la suspension administrative avec salaire.
e) La suspension administrative doit être raisonnable et justifiée
[86] Les tribunaux ont mis au point un certain nombre de méthodes pour déterminer si un contrat autorise ou non la suspension administrative. Aucune ne s’applique d’emblée à la situation précise qui nous intéresse, mais les principes qui les sous-tendent toutes sont pertinents. Des éléments communs se dégagent de l’approche multifactorielle adoptée par notre Cour dans Cabiakman relativement à la suspension administrative d’un salarié contre lequel pesaient des accusations criminelles au Québec, de l’approche des tribunaux appelés à se prononcer sur la même question dans les provinces de common law et de l’approche de la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick en l’espèce. Dans chaque cas, le tribunal a imposé à l’employeur l’obligation fondamentale d’établir que la mesure était justifiée par de véritables motifs commerciaux ou organisationnels. Parmi les éléments considérés, mentionnons entre autres l’existence de motifs organisationnels légitimes, la bonne foi, la durée de la suspension et le maintien de la rémunération ou sa cessation. Tous ces éléments importent pour répondre à la question fondamentale, à savoir si la décision de l’employeur de suspendre le salarié était à la fois raisonnable et justifiée dans les circonstances. Dans Cabiakman, la Cour a affirmé clairement que c’est à l’employeur qu’il incombe de prouver que la suspension satisfait à ces deux exigences (par. 67).
[87] Dans cet arrêt, notre Cour examine, bien que dans un contexte de droit civil, l’étendue du pouvoir de l’employeur de suspendre administrativement un salarié accusé au criminel. Voici comment elle définit le « pouvoir résiduel » de suspendre :
Ce pouvoir résiduel de suspendre pour des motifs administratifs en raison d’actes reprochés à l’employé fait partie intégrante de tout contrat de travail mais est limité et doit être exercé selon les conditions suivantes : (1) la mesure prise doit être nécessaire pour protéger les intérêts légitimes de l’entreprise; (2) la bonne foi et le devoir d’agir équitablement doivent guider l’employeur dans sa décision d’imposer une suspension administrative; (3) l’interruption provisoire de la prestation de l’employé doit être prévue pour une durée relativement courte, déterminée ou déterminable, faute de quoi elle se distinguerait mal d’une résiliation ou d’un congédiement pur et simple; (4) la suspension est en principe imposée avec solde, sous réserve de cas exceptionnels qui ne se posent pas en l’espèce. [par. 62]
Dans cette affaire, le salarié, un directeur des ventes, a été accusé de complot en vue d’extorquer de l’argent à son courtier en valeurs mobilières. Après qu’il eut inscrit un plaidoyer de non-culpabilité, son employeur l’a suspendu sans salaire jusqu’à ce que jugement soit rendu sur l’accusation. La Cour a considéré que la suspension était justifiée, car l’employeur avait adopté la mesure pour des motifs commerciaux légitimes liés à l’image de l’entreprise et à sa réputation. Toutefois, l’employeur n’a pas justifié sa décision de ne pas rémunérer le salarié pendant sa suspension : « . . . dans le contexte d’une suspension qui a toujours conservé un caractère administratif, on ne retrouve pas de motif de refuser le paiement du salaire à un employé qui demeure disponible » (par. 79; voir aussi par. 76-78 et 80).
[88] La Cour ne conclut pas que l’employeur qui rémunère son salarié pendant la durée d’une suspension administrative n’a pas à démontrer que la mesure est justifiée : « . . . même si un salarié est suspendu avec solde, il est possible que la suspension soit traitée éventuellement comme une résiliation unilatérale du contrat si elle ne se résout pas par la réintégration du salarié. De plus, il se peut que la suspension initiale se transforme en congédiement déguisé ou soit considérée comme tel en raison de sa durée même ou à cause d’une prolongation indéterminée ou excessive » (par. 71).
[89] La Cour dit formuler son raisonnement en fonction du Code civil du Québec (« C.c.Q. »), qui impose les obligations synallagmatiques suivantes : « . . . l’employeur s’engage à permettre au salarié d’exécuter la prestation de travail convenue, à lui verser rémunération et à prendre les mesures nécessaires en vue de protéger sa santé, sa sécurité et sa dignité (art. 2087 C.c.Q.). [Pour sa] part, le salarié est tenu d’exécuter son travail avec prudence et diligence et d’agir avec loyauté et honnêteté envers son employeur (art. 2088 C.c.Q.) » (par. 29). Le même raisonnement ne vaut donc pas d’emblée pour les contrats régis par la common law, car les mêmes obligations n’existent pas dans cet autre système de droit.
[90] Cela dit, dans Farber, l’arrêt de principe en la matière rendu dans un dossier provenant du Québec, le juge Gonthier souligne au par. 35 la similarité du droit québécois et du droit des autres provinces canadiennes en matière de congédiement déguisé : « Ainsi, bien que les décisions des provinces de common law ne fassent pas autorité, il peut être intéressant de s’y référer afin de vérifier quelles modifications les tribunaux ont considérées être des modifications fondamentales du contrat d’emploi entraînant la résiliation dudit contrat. » De même, dans Cabiakman, les principes qui sous-tendent l’analyse de la suspension administrative par la Cour sont tirés d’une abondante jurisprudence arbitrale qui a influé sur les normes d’emploi applicables tant en common law qu’en droit civil. Dans cet arrêt, la Cour renvoie entre autres à la décision québécoise Sûreté du Québec et Association des policiers provinciaux du Québec, [1991] T.A. 666, dans laquelle un arbitre, qui cite Fraternité des policiers de la Communauté urbaine de Montréal et Communauté urbaine de Montréal, [1984] T.A. 668, p. 671, dans laquelle un autre arbitre, s’appuyant sur l’ouvrage de D. J. M. Brown et de D. M. Beatty, Canadian Labour Arbitration (2e éd. 1984), qui fait le plus autorité au Canada au chapitre de l’arbitrage en droit du travail, dit ce qui suit :
. . . en évaluant la justesse d’une suspension en attendant le procès, au lieu de rechercher la culpabilité ou l’innocence du salarié accusé, les arbitres vont tenter de déterminer si l’infraction alléguée a des effets sur la relation d’emploi de façon telle que la continuation de celui-ci, en attendant les décisions des autorités compétentes, présenterait des risques sérieux et immédiats suffisants contraires aux intérêts légitimes de l’employeur, qui englobent son intégrité financière, la sécurité et la sûreté de ses propriétés et des autres employés, sa réputation.
(Cabiakman, par. 66)
[91] Dans les provinces de common law comme au Québec, les tribunaux ont entrepris d’appliquer les principes susmentionnés aux milieux de travail non syndiqués et d’imposer à l’employeur l’obligation fondamentale d’établir la justification organisationnelle de la suspension administrative d’un salarié. Dans l’affaire Reininger c. Unique Personnel Canada Inc. (2002), 21 C.C.E.L. (3d) 278 (C.S.J. Ont.), un camionneur avait été suspendu sans salaire pendant la période de 90 jours au cours de laquelle son permis de conduire était suspendu, puis jusqu’à ce qu’il soit statué sur les accusations dont il faisait l’objet. Après avoir conclu que le contrat conférait le pouvoir tacite de suspendre le salarié au vu des politiques et des pratiques de l’entreprise, ainsi que d’autres facteurs (par. 17-20), le juge Howden s’est demandé si la suspension était raisonnable ou justifiée. Constatant que les tribunaux de common law n’avaient établi aucun cadre juridique, il a repris les facteurs issus de la jurisprudence arbitrale sur le sujet, notamment un critère retenu dans Re Ontario Jockey Club and Mutuel Employees’ Association, Service Employees’ International Union, Local 528 (1977), 17 L.A.C. (2d) 176 (Ont.), et il les a adaptés à l’affaire dont il était saisi. Voici sa synthèse de ces facteurs (Reininger, par. 42) :
[traduction]
1) Il incombe à l’employeur de démontrer au tribunal, selon la norme de preuve en matière civile, l’existence d’un risque raisonnablement sérieux et immédiat pour ses intérêts légitimes. Il doit établir que, par sa nature, l’accusation est susceptible de porter atteinte à sa réputation ou à son produit, qu’elle sera préjudiciable à ses salariés ou à ses clients ou qu’elle rendra le salarié inapte au bon accomplissement de ses tâches.
2) L’employeur doit établir qu’il a fait de véritables efforts pour évaluer le risque du maintien du salarié dans son poste, notamment en faisant sa propre enquête ou ses propres vérifications. Le fait que la police a enquêté et recueilli des éléments de preuve avant de porter l’accusation atténue considérablement l’obligation de vérification de l’employeur.
3) Il incombe également à l’employeur de démontrer qu’il a pris des mesures raisonnables pour déterminer si le risque lié au maintien du salarié dans son poste pouvait être réduit par des mesures telles que la surveillance serrée ou la mutation à un autre poste.
4) Durant toute la suspension, il incombe à l’employeur de considérer objectivement la possibilité de réintégrer le salarié dans son poste dans un délai raisonnable une fois la suspension terminée, à la lumière des faits nouveaux ou des circonstances nouvelles portés à son attention.
[92] Eu égard aux faits de l’espèce, le juge Howden conclut que la suspension sans salaire était justifiée pendant les 90 jours au cours desquels le permis de conduire du salarié était suspendu et aucun autre poste n’était disponible. Il estime toutefois qu’il n’était pas raisonnable de prolonger la suspension du salarié jusqu’au dénouement du procès criminel.
[93] Bien que les démarches adoptées dans Reininger et dans Cabiakman l’aient été en fonction de systèmes juridiques différents, elles font toutes deux appel à des principes dégagés dans le contexte de la négociation collective, de sorte qu’elles présentent une grande ressemblance. Pour déterminer si une suspension est justifiée, chacune des démarches met l’accent sur la nécessité de motifs organisationnels légitimes, sur la bonne foi et sur la réduction maximale de la durée de la mesure. (Signalons au passage que, à la différence de la Cour dans l’arrêt Cabiakman, le tribunal saisi dans Reininger ne se prononce pas sur la nécessité de rémunérer le salarié, car il examine la question en considérant que la suspension est de nature disciplinaire, de sorte qu’il est tenu pour acquis que le salarié n’est pas rémunéré.)
[94] Comme je le mentionne précédemment, le test appliqué par la Cour d’appel en l’espèce est issu de l’affaire Devlin où le salarié, président et directeur général d’une société, avait été suspendu par un nouveau conseil d’administration insatisfait du bilan de sa gestion. Citant Pierce c. Canada Trust Realtor (1986), 11 C.C.E.L. 64 (H.C.J. Ont.), et MacKay c. Avco Financial Services Canada Ltd. (1996), 146 Nfld. & P.E.I.R. 353 (C.S.Î.P.-É. (1re inst.)), le juge Silverman énumère les facteurs (reproduits à nouveau ci-après pour en faciliter la consultation) dont il faut tenir compte pour déterminer si la suspension d’un salarié équivaut ou non à un congédiement déguisé (par. 50) :
[traduction]
1. Combien de temps a duré la suspension?
2. Quelqu’un a-t-il été nommé pour remplacer le salarié suspendu?
3. A-t-on demandé au salarié de remettre ses clés?
4. Le salarié a-t-il continué à toucher son salaire et à bénéficier des avantages sociaux?
5. Existe-t-il une preuve que, à l’époque, l’employeur avait l’intention de licencier le salarié?
6. L’employeur a-t-il suspendu le salarié de bonne foi, par exemple pour de véritables motifs de nature organisationnelle?
Il ajoute en citant l’arrêt Carscallen, par. 34, qu’une suspension avec salaire est moins susceptible d’être assimilée à un congédiement déguisé qu’une suspension sans salaire (Devlin, par. 51).
[95] Certes, dans Devlin, il ne s’agissait pas d’une suspension jusqu’à ce qu’il soit statué sur des accusations au pénal, mais ces facteurs, comme ceux pris en compte dans Cabiakman et dans Reininger, s’attachent à la nécessité de motifs organisationnels légitimes, à la bonne foi et à la réduction maximale de la durée de la suspension. De plus, à l’instar des facteurs retenus dans l’arrêt Cabiakman, ils témoignent du caractère déterminant de la rémunération ou de la non-rémunération du salarié pendant la suspension. Selon moi, les éléments supplémentaires pris en compte dans Devlin sont compatibles avec la démarche du tribunal dans Cabiakman et Reininger et ils permettent de trancher la question fondamentale de savoir si la suspension était raisonnable et justifiée.
[96] À titre d’exemple, la nomination d’un remplaçant permet de penser que la suspension n’est pas temporaire et d’écarter certains motifs organisationnels possibles, tel le manque de travail. De même, exiger du salarié qu’il remette ses clés démontre que la modification est jusqu’à un certain point permanente et que c’est vraisemblablement la conduite du salarié, et non des préoccupations organisationnelles extrinsèques, qui motive la suspension.
f) La Commission n’a pas établi que la suspension était raisonnable ou justifiée
[97] L’existence d’un cadre rigide ne me paraît pas nécessaire pour déterminer dans chaque cas si une suspension administrative est justifiée ou non. L’approche retenue et les facteurs pris en compte varient selon la nature de la suspension et les circonstances. La question primordiale est de savoir si la suspension était raisonnable et justifiée. Cela dit, il ressort de l’examen qui précède que certains facteurs, même si leur prise en compte n’est pas nécessaire, seront toujours pertinents. Au nombre de ces facteurs, mentionnons la durée de la suspension, le fait qu’il s’agit d’une suspension avec ou sans salaire et la bonne foi de l’employeur, ce qui comprend l’existence avérée de motifs organisationnels légitimes.
[98] L’existence de motifs organisationnels légitimes représente selon moi une exigence à laquelle il faut satisfaire pour établir qu’une suspension administrative issue de l’exercice du pouvoir tacite de suspendre n’est pas injustifiée. Sauf dans le contexte disciplinaire, l’employeur n’a pas le pouvoir tacite de suspendre un salarié en l’absence de tels motifs. Il est toujours nécessaire d’établir l’existence de motifs organisationnels légitimes, quoique la nature ou l’importance de ceux-ci varient selon les circonstances de la suspension.
[99] En l’espèce, cette exigence fondamentale n’est pas satisfaite. D’abord, aucune raison n’a été donnée à M. Potter pour justifier la suspension. J’estime que, la plupart du temps, on ne peut conclure qu’une suspension administrative est justifiée s’il n’y a pas eu un minimum de communication avec le salarié. Dans une relation contractuelle, les parties doivent à tout le moins se montrer honnêtes, franches et raisonnables (Bhasin c. Hrynew, 2014 CSC 71, [2014] 3 R.C.S. 494, par. 66). Ne pas informer le salarié de ce qui motive sa suspension n’est pas franc. De plus, la preuve restreinte offerte pour étayer l’objectif déclaré du conseil — favoriser la conclusion d’un accord sur une indemnité de départ — est battue en brèche par les mesures prises par le conseil pour que M. Potter soit congédié. Rappelons que la résolution du conseil datée du 5 janvier 2010 et la lettre du 11 janvier 2010 recommandant au ministre le congédiement de M. Potter auraient dû être admises en preuve à cette étape de l’analyse. Avec égards, j’estime que le juge de première instance a commis une grave erreur sur ce point. Sans compter que M. Potter a été remplacé et que la durée de sa suspension était indéfinie, d’où mon opinion que la suspension n’était pas autorisée. Je le répète, les facteurs à considérer varient selon le contexte et dépendent de la nature de la suspension et de ses circonstances.
[100] La Cour d’appel confirme la conclusion du juge de première instance à la lumière des facteurs énumérés dans Devlin. J’estime que, ce faisant, elle accorde trop d’importance au fait que M. Potter a été suspendu avec salaire et trop peu à l’absence de motifs organisationnels légitimes, et qu’elle écarte la preuve de l’intention du conseil de congédier M. Potter. Même lorsqu’un salarié fait l’objet d’une suspension administrative avec salaire, l’employeur doit satisfaire à l’exigence fondamentale d’un motif commercial ou organisationnel légitime (voir Cabiakman, par. 71). La Commission n’a pas établi que, en l’espèce, la suspension était raisonnable et justifiée.
[101] Je souligne que, selon la preuve, on ne peut affirmer que M. Potter a acquiescé à la modification. Même s’il désirait mettre fin à son contrat moyennant une indemnité, et malgré ce que laisse entendre le juge de première instance, on ne peut voir dans cet intérêt un consentement à la suspension ou un élément préjudiciable à sa thèse. J’estime que M. Potter a simplement fait ce que font la plupart des salariés lorsque l’employeur évoque la possibilité d’une indemnité de départ, soit écouter l’offre et, selon sa teneur, envisager de l’accepter.
[102] Mais revenons un moment sur l’analyse que commande le critère applicable au congédiement déguisé. L’absence d’autorisation de la suspension démontre qu’il y a eu violation du contrat de travail. Le conseil ayant omis de démontrer que la suspension était raisonnable ou justifiée, il ne pouvait prétendre agir sur la base d’une condition tacite du contrat, de sorte que la suspension constitue un acte unilatéral. M. Potter s’est donc acquitté de son fardeau de preuve à la première étape de l’analyse. Le fait qu’il y a eu violation ou non doit être déterminé de manière objective, et ce qu’une personne raisonnable se trouvant dans la même situation que le salarié aurait su ou aurait dû raisonnablement prévoir importe peu à cette étape.
[103] Rappelons que, dans le cas d’un congédiement déguisé issu d’une suspension administrative, il appartient à l’employeur d’établir que la mesure était raisonnable. Avec égards, le juge de première instance a donc tort de conclure qu’il incombait à M. Potter de prouver que la suspension était déraisonnable. Qui plus est, il fait erreur en confondant les première et seconde étapes de l’analyse que commande l’allégation de congédiement déguisé et en considérant que seul ce que savait M. Potter au moment de l’acte unilatéral ou ce qu’il aurait dû alors raisonnablement prévoir était susceptible de prouver la violation.
(4) La suspension non autorisée équivaut à un congédiement déguisé
[104] Comme il est établi que la suspension n’était pas autorisée et qu’elle équivalait donc à une violation du contrat de travail, M. Potter doit également satisfaire à la seconde exigence du premier volet du critère pour qu’il y ait congédiement déguisé. En effet, il faut alors déterminer si, au moment de la suspension, « une personne raisonnable, se trouvant dans la même situation que [M. Potter], aurait considéré qu’il s’agissait d’une modification substantielle des conditions essentielles du contrat de travail » (Farber, par. 26). C’est à cette étape de l’analyse que devient pertinent le fait que M. Potter ignorait l’existence de la lettre recommandant son congédiement ou qu’on ne pouvait raisonnablement s’attendre à ce qu’il en connaisse l’existence, de sorte que la lettre doit être exclue de la preuve. Or, comme je l’indique ci-après, l’exclusion de la lettre ne modifie en rien l’issue de l’analyse.
[105] Il était raisonnable que M. Potter voie dans sa suspension unilatérale non autorisée une modification substantielle de son contrat de travail. Pour autant qu’il savait, l’employeur le suspendait indéfiniment sans justifier la mesure. Selon la lettre qui lui était adressée, la suspension s’appliquait jusqu’à ce que [traduction] « [la Commission] ait donné de nouvelles directives ». Lorsque son conseiller juridique a demandé des éclaircissements sur les directives de l’employeur, le conseil a persisté dans son refus de justifier la mesure et s’est contenté de répondre que M. Potter [traduction] « ne [devait] pas rentrer au travail jusqu’à nouvel ordre ». À mon sens, cela suffit pour que M. Potter s’acquitte de son fardeau de preuve à cette étape. On ne doit pas considérer qu’il connaissait, au moment de la suspension, les motifs révélés au procès par la Commission.
[106] J’estime que, dans la plupart des cas où la violation du contrat de travail résulte d’une suspension administrative non autorisée, force est de conclure à une modification de nature substantielle. Lorsqu’il n’est pas en mesure d’établir que la suspension est raisonnable et justifiée, l’employeur peut rarement, selon moi, changer son fusil d’épaule et prétendre qu’un employé raisonnable n’aurait pas considéré que ses actes déraisonnables et injustifiés étaient la manifestation de son intention de ne plus être lié par le contrat. Seule pourrait faire exception à la règle la suspension non autorisée dont la durée serait particulièrement courte.
B. Répudiation du contrat par le salarié
[107] Vu ma conclusion selon laquelle M. Potter a été congédié de manière déguisée, la question de savoir si son action pour congédiement déguisé a entraîné sa démission ne se pose pas. Le contrat avait déjà été répudié par le conseil. Même si les tribunaux inférieurs se prononcent tous deux sur la question et que des observations sur ce point ont été présentées à la Cour, j’estime qu’il n’est pas opportun de tirer quelque conclusion à cet égard en l’absence de circonstances qui l’exigent.
[108] Je signale toutefois que, dans de nombreuses affaires où la thèse du congédiement déguisé a été rejetée, la question de la démission du salarié ne se posait pas, car la démission du salarié était manifeste. En effet, après que l’employeur eut pris une mesure unilatérale — rétrogradation ou mutation à un autre poste, par exemple —, le salarié a choisi de quitter son emploi et de poursuivre l’employeur. Dans un cas de figure aussi clair, le salarié débouté en justice ne peut ensuite prétendre ne pas avoir quitté son emploi.
[109] Néanmoins, il arrive parfois qu’il ne soit pas nécessaire de conclure que le salarié qui a intenté une poursuite pour congédiement déguisé a démissionné de son poste. Ce peut être le cas par exemple lorsque le salarié continue de travailler sous toutes réserves après la modification de son contrat. Dans l’arrêt Evans c. Teamsters Local Union No. 31, 2008 CSC 20, [2008] 1 R.C.S. 661, la Cour a statué que le salarié avait l’obligation de limiter son préjudice en continuant d’exercer ses fonctions, à condition que ce ne soit pas objectivement déraisonnable. Lorsque la relation d’emploi n’est pas devenue intenable, il ne va pas de soi que la poursuite engagée par le salarié emporte légalement sa démission.
[110] En l’espèce, la modification unilatérale a consisté, pour l’employeur, à suspendre le salarié pour une durée indéfinie, avec salaire. Après environ huit semaines de suspension, M. Potter a intenté une action en dommages-intérêts pour congédiement déguisé. Il n’a pas clairement démissionné comme les salariés en cause dans d’autres affaires, car il avait déjà cessé d’exercer ses fonctions tout en continuant d’être rémunéré et, à son avis, le fait qu’il continuait de « travailler » — c.-à-d. qu’il était toujours suspendu avec salaire — était compatible avec la thèse sous-tendant son action pour congédiement déguisé. Bien sûr, le conseil a estimé que, par son geste, M. Potter avait démissionné, et il a promptement mis fin à sa rémunération et à ses avantages. Si je confirmais la décision du juge de première instance selon laquelle M. Potter n’a pas fait l’objet d’un congédiement déguisé, il faudrait dès lors que je détermine si M. Potter a démissionné lorsqu’il a intenté son action pour congédiement déguisé ou s’il a été congédié de façon injustifiée par le conseil lorsque ce dernier a mis fin à sa rémunération et à ses avantages.
[111] Les tribunaux inférieurs et la Commission estiment qu’il y a eu démission par l’effet de la loi. À titre d’exemple, dans l’affaire Suleman, une salariée dont la charge de travail avait été réduite n’a pas réussi à démontrer son congédiement déguisé, et le tribunal a conclu qu’elle avait répudié son contrat vu [traduction] « la position qu’elle avait adoptée dans son exposé de la demande » (p. 144; motifs de la Cour d’appel, par. 99). Ce point de vue trouve certainement appui dans les principes traditionnels du droit applicable au congédiement déguisé, et je ne doute pas que, dans la plupart des affaires où l’allégation de congédiement déguisé est rejetée, le tribunal conclut qu’il y a eu démission. Toutefois, je m’abstiens de trancher la question de savoir s’il existe ou non des circonstances dans lesquelles le salarié qui allègue en vain le congédiement déguisé peut néanmoins soutenir qu’il n’a pas démissionné.
C. Déduction des prestations de retraite
[112] Je passe maintenant aux prestations de retraite touchées par M. Potter et à leur déduction du montant de ses dommages-intérêts. Selon la résolution du conseil datée du 12 décembre 2005 qui établit les modalités et les conditions de la nomination de M. Potter, le Régime de pension de retraite dans les services publics s’appliquait à ce dernier (motifs de la Cour d’appel, par. 14). Le régime est soumis à la Loi sur la pension de retraite dans les services publics. Il est de type contributif et n’a pas été conçu pour indemniser le cotisant qui est congédié injustement. La résolution indique également que M. Potter avait droit à une allocation de retraite régulière ainsi qu’à une allocation de retraite spéciale, chacune équivalant à 25 semaines de salaire.
[113] L’article 16 de la Loi sur la pension de retraite dans les services publics est libellé comme suit :
16 Lorsqu’un cotisant qui reçoit une pension à jouissance immédiate ou une allocation annuelle en application de la présente loi, de la loi sur la pension de retraite, de la loi des enseignants ou de la Loi sur la pension de retraite des enseignants est affecté à un poste à plein temps dans les services publics, son droit à cette pension à jouissance immédiate ou à cette allocation annuelle doit être suspendu à compter du jour de sa nomination, et s’il se met à cotiser sous le régime de la présente loi, la nouvelle période d’emploi doit s’ajouter au service ouvrant droit à pension aux fins de la présente loi.
(Se reporter également à la version anglaise.)
[114] M. Potter fait valoir devant notre Cour que le juge de première instance n’aurait pas dû déduire les sommes qu’il a touchées en application du régime de pension de retraite du montant des dommages-intérêts qu’il a obtenus. Il s’appuie sur notre arrêt IBM Canada Limitée c. Waterman, 2013 CSC 70, [2013] 3 R.C.S. 985, pour affirmer que les sommes perçues dans le cadre d’un régime à prestations déterminées ne doivent pas être retranchées du montant des dommages-intérêts accordés pour congédiement injustifié. M. Potter ajoute que l’art. 16 de la Loi sur la pension de retraite dans les services publics ne devrait s’appliquer qu’aux salariés qui, après avoir touché des prestations de retraite, reprennent le travail dans les services publics, et qu’il ne s’applique pas en cas de congédiement injustifié.
[115] La Commission soutient que le juge de première instance a eu raison de déduire les sommes. Selon elle, l’art. 16 de la Loi sur la pension de retraite dans les services publics vise à empêcher, quelles que soient les circonstances, qu’un employé touche à la fois des prestations de retraite et un salaire et qu’il bénéficie ainsi de l’exception à la règle de common law reconnue dans l’arrêt Waterman.
[116] Notre Cour doit décider si, suivant cet arrêt, les prestations de retraite versées à M. Potter devraient avoir pour effet de réduire le montant des dommages-intérêts auxquels il a droit. Si elle répond par la négative, il lui faut déterminer si l’art. 16 de la Loi sur la pension de retraite dans les services publics empêche M. Potter de toucher ses prestations de retraite en plus des dommages-intérêts versés pour congédiement injustifié.
(1) Le principe de l’indemnisation exige-t-il que les prestations de retraite soient déduites des dommages-intérêts accordés à M. Potter?
[117] Tout d’abord, l’arrêt Waterman n’avait pas encore été rendu lorsque le juge de première instance a tranché en faveur de la déduction des prestations de retraite de M. Potter du montant de ses dommages-intérêts. Or, cet arrêt est décisif en l’espèce.
[118] Dans Waterman, le juge Cromwell écrit que « [s]elon la règle générale, les dommages-intérêts contractuels devraient placer le demandeur dans la situation financière où il se serait trouvé si le défendeur avait respecté le contrat » (par. 2). Cependant, il y a des exceptions à cette règle. L’une d’elles vise l’assurance privée et s’applique notamment aux « prestations de retraite auxquelles un employé a contribué et qui n’étaient pas censées constituer une indemnité pour le type de perte subie » (par. 16). De tels avantages ne devraient généralement pas être déduits des dommages-intérêts accordés pour violation contractuelle.
[119] Dans Waterman, comme en l’espèce, il fallait décider si les prestations de retraite du demandeur devaient être déduites de ses dommages-intérêts. Il existait un avantage compensatoire manifeste, car l’intéressé avait bénéficié tant de prestations de retraite maximales que du salaire qu’il aurait touché s’il avait travaillé. De plus, il y avait un lien déterminant entre la violation par le défendeur et le versement de prestations de retraite au demandeur : en congédiant ce dernier injustement, le défendeur l’avait obligé à présenter une demande de prestations.
[120] Après avoir examiné attentivement les décisions de notre Cour et celles des tribunaux d’autres ressorts de common law concernant la déduction des prestations issues d’une assurance privée, le juge Cromwell fait certains constats susceptibles d’aider le tribunal à décider si, dans un cas donné, le montant des prestations doit être déduit ou non des dommages-intérêts :
• Les prestations n’ont pas été déduites si a) elles n’étaient pas destinées à dédommager le demandeur de la perte causée par le manquement et b) le demandeur a payé pour avoir droit aux prestations . . .
• Les prestations n’ont pas été déduites dans les cas où le demandeur a contribué à une prestation indemnitaire . . .
• Les prestations ont été déduites dans les cas où elles étaient destinées à dédommager le demandeur de la perte causée par le manquement, mais le demandeur n’a pas payé pour avoir droit aux prestations . . . [En italique dans l’original.]
(Waterman, par. 56)
[121] Si, en l’espèce, le juge de première instance avait pu prendre connaissance de l’arrêt Waterman, il aurait conclu que les prestations de retraite de M. Potter ne devaient pas être déduites des dommages-intérêts obtenus pour la violation du contrat par l’employeur. Je le répète, ces prestations ne visaient pas à indemniser un salarié en cas de congédiement injustifié. Le régime de pension de retraite est un régime contributif. Pour les motifs qui précèdent, compte tenu de l’exception relative à l’assurance privée reconnue dans Waterman, les prestations de retraite de M. Potter ne devraient pas être déduites de ses dommages-intérêts.
(2) L’article 16 de la Loi sur la pension de retraite dans les services publics a-t-il pour effet d’écarter l’exception relative à l’assurance privée et d’exiger la déduction des prestations de retraite?
[122] Puisque je conclus que les prestations de retraite de M. Potter ne doivent pas être déduites de ses dommages-intérêts en raison de l’exception à la règle de common law reconnue dans Waterman, je dois maintenant décider si l’art. 16 de la Loi sur la pension de retraite dans les services publics écarte l’exception relative à l’assurance privée et empêche M. Potter de toucher à la fois ses prestations de retraite et l’équivalent de son salaire. La Commission fait valoir que l’art. 16 fait obstacle à l’application de l’arrêt Waterman. M. Potter soutient que la disposition vise plutôt l’ancien salarié qui touche des prestations de retraite et qui reprend le travail dans les services publics, de sorte qu’elle ne s’applique pas au congédiement injustifié, ni ne l’empêche de toucher la totalité des dommages-intérêts auxquels il a droit en plus de ses prestations de retraite.
[123] Je donne raison à M. Potter. L’article 16 de la Loi sur la pension de retraite dans les services publics n’exige pas que les prestations de retraite qui lui ont été versées soient déduites des dommages-intérêts auxquels il a droit par suite de son congédiement injustifié. Cet article s’applique au « cotisant qui reçoit une pension [. . .] immédiate ou une allocation annuelle » lorsqu’il est nommé à un poste dans les services publics. Il empêche donc le salarié retraité qui retourne travailler dans les services publics de toucher à la fois des prestations de retraite et un revenu d’emploi. Il ne frappe pas d’interdiction générale le cumul des prestations de retraite et du revenu d’emploi. Plus particulièrement, il ne vise pas le salarié qui a droit à des dommages-intérêts parce qu’il a été injustement congédié.
[124] Suivant la règle fondamentale d’interprétation des lois, [traduction] « il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’économie de la loi, son objet et l’intention du législateur » (R. Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes (5e éd. 2008), p. 1). De plus, dans Parry Sound (district), Conseil d’administration des services sociaux c. S.E.E.F.P.O., section locale 324, 2003 CSC 42, [2003] 2 R.C.S. 157, par. 39, le juge Iacobucci dit ce qui suit au sujet des situations dans lesquelles on prétend qu’une disposition législative l’emporte sur une règle de common law :
Tout d’abord, je pense qu’il est utile d’insister sur la présomption que le législateur n’a pas l’intention de modifier le droit existant ni de s’écarter des principes, politiques ou pratiques établis. Dans Goodyear Tire & Rubber Co. of Canada c. T. Eaton Co., [1956] R.C.S. 610, p. 614, par exemple, le juge Fauteux (plus tard Juge en chef) écrit : [traduction] « le législateur n’est pas censé s’écarter du régime juridique général sans exprimer de façon incontestablement claire son intention de le faire, sinon la loi reste inchangée ». Dans Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038, p. 1077, le juge Lamer (plus tard Juge en chef) écrit que « le législateur n’est pas censé, à défaut de disposition claire au contraire, avoir l’intention de modifier les règles de droit commun pré-existantes ».
[125] Le sens ordinaire des termes employés à l’art. 16 n’appuie pas la prétention selon laquelle le législateur du Nouveau-Brunswick a voulu faire obstacle à l’application de la règle issue de l’arrêt Waterman. Au contraire, il appuie la thèse de M. Potter selon laquelle la disposition s’applique au salarié retraité qui reprend le travail dans les services publics. Il s’applique à « un cotisant qui reçoit une pension à jouissance immédiate ou une allocation annuelle [et qui] est affecté à un poste à plein temps dans les services publics » (dans la version anglaise, « a contributor in receipt of an immediate pension or an annual allowance [who] becomes employed in full time employment in the Public Service »). Qui plus est, le versement des prestations de retraite est suspendu à compter du « jour de sa nomination » (dans la version anglaise, « the date of his or her appointment »). On ne peut faire droit à la prétention de la Commission que si l’on fait abstraction des situations dans lesquelles s’applique la disposition, à savoir lorsque le cotisant « est affecté à un poste » et « à compter du jour de sa nomination ». Le Petit Robert (nouv. éd. 2012) définit le mot « nomination » comme suit : « [a]ction de nommer (qqn) à un emploi, à une fonction, à une dignité » (p. 1699). Selon le Concise Oxford English Dictionary (12e éd. 2011), « appointment » s’entend de « the action or process of appointing someone » ([traduction] « l’action de nommer quelqu’un ou le processus de nomination »), alors que « appoint » veut dire « assign a job or a role to » (« assigner un emploi ou une fonction à (quelqu’un) ») (p. 63).
[126] L’article 16 de la Loi sur la pension de retraite dans les services publics ne s’applique donc pas au salarié qui a été congédié injustement et qui, en raison de la violation du contrat d’emploi, a dû demander des prestations de retraite. Le salarié injustement congédié auquel le tribunal reconnaît le droit à des dommages-intérêts n’est pas « affecté à un poste à plein temps dans les services publics » au moment de la violation. Il serait erroné de voir une « nomination » (en anglais, « appointment ») dans la décision du tribunal. Le tribunal conclut seulement que l’employeur aurait dû continuer d’employer le salarié et que ce dernier a droit à des dommages-intérêts.
[127] Pour ce qui est du contexte de l’art. 16, rien dans la Loi sur la pension de retraite dans les services publics ne donne à penser que le législateur a voulu empêcher qu’un salarié touche des prestations de retraite dans les circonstances visées par la règle de l’arrêt Waterman. La Loi ne prévoit pas que les prestations de retraite doivent être déduites des dommages-intérêts accordés pour congédiement injustifié. Et lors des débats législatifs qui ont précédé son adoption, il n’a jamais été question que l’art. 16 s’applique au salarié injustement congédié (Synoptic Report : Legislative Assembly of the Province of New Brunswick, 16 juin 1966, p. 1235-1254). De plus, l’art. 16, qui était libellé comme suit lors de son adoption en 1966 (S.N.B. 1966, c. 23), n’a pas été sensiblement modifié depuis :
[traduction]
16. Lorsqu’un cotisant qui reçoit une pension à jouissance immédiate ou une allocation annuelle en application de la présente loi, de la loi sur la pension de retraite, de la loi des enseignants ou de la Loi sur la pension de retraite des enseignants (1966) est affecté à un poste à plein temps dans les services publics, son droit à cette pension à jouissance immédiate ou à cette allocation annuelle doit être suspendu à compter du jour de sa nomination, et s’il se met à cotiser sous le régime de la présente loi, ou aurait pu se mettre à cotiser s’il n’y avait les dispositions du paragraphe (2) de l’article 4, la nouvelle période d’emploi doit s’ajouter au service ouvrant droit à pension aux fins de la présente loi.
[128] En conséquence, je conclus que l’art. 16 de la Loi sur la pension de retraite dans les services publics ne supplante pas la règle de l’arrêt Waterman et n’empêche pas M. Potter de toucher à la fois l’équivalent de son salaire et ses prestations de retraite.
V. Conclusion
[129] Je réponds comme suit aux questions en litige dans le pourvoi.
(1) Le juge de première instance a-t-il eu tort de conclure que M. Potter n’avait pas fait l’objet d’un congédiement déguisé?
Oui.
(2) Si M. Potter n’a pas fait l’objet d’un congédiement déguisé, le juge de première instance a-t-il eu tort de conclure qu’il a démissionné lorsqu’il a intenté son action en dommages-intérêts?
Il n’est pas nécessaire de répondre à cette question.
(3) Si M. Potter a fait l’objet d’un congédiement déguisé, le juge de première instance a-t-il eu tort de conclure que les sommes touchées au titre de sa pension devaient être déduites des dommages-intérêts pour congédiement injustifié?
Oui.
VI. Dispositif
[130] Je suis d’avis d’accueillir le pourvoi avec dépens devant toutes les cours, d’infirmer le jugement de la Cour d’appel et d’accueillir l’action pour congédiement déguisé. M. Potter a droit aux dommages-intérêts pour congédiement injustifié établis par le juge de première instance, mais j’estime que les prestations de retraite déjà touchées par M. Potter ne doivent pas en être déduites.
Version française des motifs de la juge en chef McLachlin et du juge Cromwell rendus par
Le juge Cromwell —
I. Introduction
[131] Je souscris à l’opinion de mon collègue le juge Wagner quant à la manière dont il convient de statuer sur le pourvoi. Mon interprétation des principes juridiques qui s’appliquent en l’espèce diffère cependant quelque peu de celle de mon collègue et je préfère ne pas me prononcer sur certaines des questions qu’il examine. J’expose donc brièvement les motifs pour lesquels le pourvoi devrait selon moi être accueilli.
[132] L’exposé des faits et de l’historique judiciaire auquel se livre mon collègue avec exhaustivité et rigueur me dispense de relater à mon tour ces éléments. Voici quels sont les faits déterminants pour les besoins de mon opinion.
[133] M. Potter s’est vu confier un mandat de sept ans qui a expiré le 12 décembre 2012. L’intention des parties était de lui assurer un emploi à durée déterminée jusqu’à sa retraite (motifs de première instance, 2011 NBBR 296, 384 R.N.-B. (2e) 14, par. 71). La relation entre M. Potter et son employeur a connu quelques soubresauts et, dès le printemps 2009, la Commission des services d’aide juridique du Nouveau-Brunswick a entrepris des discussions avec le salarié afin d’obtenir son départ en contrepartie d’une indemnité. M. Potter s’est montré disposé à envisager pareille éventualité.
[134] À compter d’octobre 2009, M. Potter a bénéficié d’un congé maladie autorisé qui s’est finalement prolongé jusqu’au 18 janvier 2010. À l’approche de son retour au travail en janvier, les discussions en cours sur le versement d’une indemnité de départ n’avaient pas encore abouti. Tôt en 2010 — le 5 janvier en fait — et à son insu, le conseil d’administration de la Commission a cherché à accélérer les choses. Il a adopté une résolution qui enjoignait à sa présidente de demander au ministre de la Justice de révoquer la nomination de M. Potter pour motif valable advenant que le conseiller juridique de la Commission ne parvienne pas, au plus tard le 11 janvier, à un règlement selon lequel le mandat prendrait fin et M. Potter toucherait en contrepartie au plus 18 mois de salaire, prestations de retraite comprises (motifs de la Cour d’appel, 2013 NBCA 27, 402 R.N.-B. (2e) 41, par. 32). Suivant le libellé de la nomination de M. Potter, il restait alors un peu moins de trois ans avant l’expiration du mandat, moment auquel le salarié aurait droit à une allocation de retraite de 25 semaines de salaire ainsi qu’à une allocation de retraite spéciale de 25 semaines de salaire également (motifs de première instance, par. 8).
[135] Nulle entente n’est intervenue entre les parties concernant l’indemnité de départ, de sorte que, le 11 janvier, le conseil a pris la mesure arrêtée dans sa résolution du 5 janvier. La présidente a écrit au ministre de la Justice pour lui recommander la révocation pour motif valable de la nomination de M. Potter. Le même jour, le conseiller juridique de la Commission signifiait par écrit à celui de M. Potter que le salarié ne devait pas rentrer au travail avant de nouvelles directives de la Commission et qu’il continuerait de toucher son salaire [traduction] « jusqu’à nouvel ordre ». Rappelons que M. Potter était censé rentrer de son congé maladie autorisé le 18 janvier. Son conseiller juridique a demandé qu’on lui précise si son client était suspendu ou non. Dans sa réponse, le conseiller juridique de la Commission a dit s’étonner du doute exprimé et s’est contenté d’indiquer que M. Potter [traduction] « ne [devait] pas rentrer au travail jusqu’à nouvel ordre ».
[136] Deux mois plus tard, M. Potter intentait une action pour congédiement injustifié. Au vu des faits, le juge de première instance a conclu que M. Potter n’avait pas fait l’objet d’un congédiement déguisé, une conclusion que la Cour d’appel a confirmée.
[137] Le pourvoi devant notre Cour porte principalement sur la question de savoir si, en arrivant à la conclusion que les faits n’établissaient pas le congédiement déguisé de M. Potter, le juge de première instance a commis une erreur susceptible de contrôle judiciaire. Pour trancher, il nous faut recourir aux normes de contrôle en appel dont l’applicabilité est reconnue. Ainsi, l’erreur de droit donne lieu à un contrôle au regard de la norme de la décision correcte, alors que l’erreur de fait ou l’erreur mixte de fait et de droit, sauf si elle est viciée par une erreur de droit, commande la recherche d’une erreur manifeste et dominante (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235).
II. Analyse
A. Introduction
[138] À mon humble avis, deux erreurs connexes entachent l’analyse du juge de première instance et celle de la Cour d’appel quant à savoir si la Commission avait répudié le contrat de travail et de ce fait congédié M. Potter de manière « déguisée ».
[139] Premièrement, le juge de première instance omet de reconnaître qu’un employeur peut répudier un contrat de travail d’une autre manière que par la violation d’une clause importante du contrat, par exemple, par la modification unilatérale de l’une ou plusieurs de ses clauses importantes. La répudiation peut aussi résulter d’un acte qui, à la lumière de l’ensemble des circonstances et du point de vue objectif d’une personne raisonnable, montre que l’employeur ne voulait plus être lié par les clauses du contrat. Faute de le reconnaître, le juge de première instance met à tort l’accent sur la seule suspension de M. Potter avec salaire et se demande erronément s’il en découle une violation suffisamment grave pour emporter répudiation et, par conséquent, congédiement déguisé. Même si la suspension ne constituait pas en soi une violation suffisamment grave pour emporter répudiation, le juge devait se demander si, compte tenu de toutes les circonstances, l’employeur avait manifesté par ses actes l’intention de ne plus être lié par le contrat.
[140] Il ne me paraît pas nécessaire de décider si le contrat de travail permettait ou non à l’employeur de suspendre M. Potter indéfiniment avec salaire. À supposer même qu’il le lui permettait, la suspension intervenue en l’espèce, dûment considérée au vu de toutes les circonstances et des bons principes juridiques, montre que l’employeur ne souhaitait plus être lié par des clauses essentielles du contrat de travail. En somme, l’erreur de droit du juge a entraîné de sa part une erreur mixte de fait et de droit à la fois manifeste et dominante.
[141] À mon sens, le juge a par ailleurs eu tort d’écarter de l’examen la démarche entreprise à l’insu de M. Potter afin d’obtenir la révocation de sa nomination pour motif valable. La Cour d’appel suppose sans statuer en ce sens qu’il s’agit d’une erreur, mais qu’elle est sans conséquence. Soit dit en tout respect, c’est l’une des circonstances dont le juge devait tenir compte pour décider si, au vu de toutes les circonstances, la suspension manifestait l’intention de l’employeur de ne plus être lié par le contrat de travail.
B. Première erreur : la répudiation anticipative doit être appréciée au regard de toutes les circonstances
[142] Pour expliquer ma conclusion selon laquelle le juge de première instance est dans l’erreur en ce qui concerne le congédiement déguisé, il me paraît opportun de mettre de côté les subtilités du droit applicable au congédiement injustifié et de situer l’analyse dans le contexte global des principes généraux et sous-jacents du droit des contrats. Ce faisant, je reprends la démarche suivie dans un jugement que notre Cour a qualifié d’arrêt de principe en cette matière, à savoir In re Rubel Bronze and Metal Co. and Vos, [1918] 1 K.B. 315 (voir aussi Farber c. Cie Trust Royal, [1997] 1 R.C.S. 846, par. 33).
(1) Répudiation, violation anticipative et congédiement déguisé
[143] Le droit applicable au congédiement injustifié prend entièrement appui sur les principes généraux du droit des contrats liés à la répudiation et à la violation anticipative (voir p. ex. G. England, Individual Employment Law (2e éd. 2008), p. 346-347).
[144] Il y a répudiation lorsque la violation d’un contrat par une partie confère à l’autre le droit de mettre fin au contrat et de se pourvoir en justice pour violation (J. D. McCamus, The Law of Contracts (2e éd. 2012), p. 676-678). Cela se produit lorsque l’une des parties viole le contrat sous un rapport très important et que l’on considère alors qu’elle a répudié le contrat. Si l’autre partie « accepte » la répudiation, le contrat cesse d’exister. Dans le cas contraire, le contrat demeure (sous réserve de l’application de divers autres principes). Dans l’un et l’autre cas, la partie non fautive peut exercer les recours que lui confère l’acceptation de la répudiation ou la confirmation du contrat, selon le cas.
[145] La question de savoir quelle violation emporte répudiation a fait couler beaucoup d’encre. Sans entrer dans le détail, on peut affirmer que la violation équivaut en somme à une répudiation lorsqu’elle vise une condition ou quelque autre clause du contrat suffisamment importante pour qu’il en résulte une inexécution substantielle (S. M. Waddams, The Law of Contracts (6e éd. 2010), ¶590; McCamus, p. 676-677).
[146] Je marque ici une pause pour me pencher sur trois problèmes d’ordre terminologique susceptibles de créer de la confusion.
[147] La première difficulté réside dans le mot « répudiation », que l’on emploie dans au moins deux sens différents. Il renvoie parfois aux actes de la partie qui commet une violation suffisamment grave pour conférer à l’autre partie le droit de considérer que le contrat a cessé d’exister. D’autres fois, il renvoie au choix de cette autre partie, après pareille violation grave, de considérer que le contrat a cessé d’exister. J’emploie le mot « répudiation » relativement aux actes de la partie qui aurait manqué à ses obligations. Le choix de l’autre partie de considérer que le contrat a cessé d’exister correspond pour moi à l’« acceptation » de la répudiation.
[148] Le terme « violation fondamentale » appelle une deuxième clarification terminologique. La violation suffisamment grave pour emporter répudiation est souvent qualifiée de « fondamentale ». Or, l’expression « violation fondamentale » prête à confusion en ce qu’elle est aussi employée dans un contexte différent, celui où il faut décider si une disposition contractuelle ayant pour effet d’écarter ou de limiter la responsabilité demeure applicable malgré l’inobservation marquée des obligations contractuelles (voir p. ex. Tercon Contractors Ltd. c. Colombie-Britannique (Transports et Voirie), 2010 CSC 4, [2010] 1 R.C.S. 69, par. 104-123). Je préfère qualifier pareille violation de violation « d’une clause suffisamment importante » ou de violation « répudiatoire » (voir p. ex. McCamus, p. 651).
[149] Le troisième et dernier souci d’ordre terminologique a trait à la violation « anticipative », laquelle [traduction] « survient lorsque, par ses paroles ou par ses actes, une partie manifeste l’intention de ne plus exécuter un accord ou de ne plus être liée par ses stipulations qui commandent une exécution ultérieure » (McCamus, p. 689; voir également A. Swan, avec le concours de J. Adamski, Canadian Contract Law (2e éd. 2009), §7.89). Lorsque l’inobservation ultérieure anticipative vise une clause importante du contrat ou traduit l’intention de ne plus être lié par le contrat, la violation anticipative entraîne la répudiation anticipative. On s’attache alors à ce que les paroles ou les actes de l’intéressé permettent de conclure concernant l’exécution ultérieure du contrat. Par exemple, il y a répudiation anticipative lorsque ces paroles ou ces actes manifestent l’intention de ne pas respecter une clause du contrat dont la violation emporterait la répudiation du contrat.
[150] De quelle manière ces principes généraux du droit des contrats s’appliquent-ils dans une affaire de congédiement injustifié?
[151] Le cas le plus simple est celui où l’employeur congédie expressément le salarié en contravention du contrat de travail. Il y a alors répudiation anticipative expresse, l’employeur indiquant expressément qu’il ne respectera plus les clauses du contrat de travail. Pour reprendre les propos du juge McCardie dans Rubel Bronze, [traduction] « dans un cas ordinaire de congédiement injustifié, le commettant entend mettre totalement à néant le contrat. Il refuse tout service supplémentaire. Il refuse de verser toute rémunération supplémentaire. En principe, la répudiation ne fait pas de doute, elle est décisive et elle est totale » (p. 321). La répudiation expresse et totale du contrat par l’employeur confère au salarié le droit de considérer que le contrat n’a plus d’existence et d’intenter une action en dommages-intérêts pour violation.
[152] Le cas du congédiement « déguisé » est plus compliqué vu l’absence de répudiation expresse par l’employeur. Comme le souligne mon collègue, les actes de l’employeur sont assimilés à un congédiement en raison de la manière dont ils sont qualifiés en droit.
[153] Le congédiement déguisé peut résulter de la violation répudiatoire, c’est-à-dire de la violation concrète d’une condition ou d’une autre clause suffisamment importante du contrat. Comme le dit le juge McCardie dans Rubel Bronze, [traduction] « [l]orsque les actes de l’employeur équivalent foncièrement au refus de garder l’employé à son service aux conditions de travail convenues, il y a à la fois congédiement injustifié et répudiation du contrat » (p. 323). Les violations de ce genre font suite à des modifications unilatérales et importantes des conditions de travail du salarié; la question de l’importance que doit présenter une telle modification est affaire de degré (England, p. 348-356; Rubel Bronze, p. 323).
[154] Il peut également y avoir congédiement déguisé même si le salarié ne peut invoquer une modification concrète, précise et importante au chapitre de sa rémunération, de ses tâches, etc., qui, à elle seule, constitue une violation répudiatoire. La situation se présente par exemple lorsque, par ses actes, l’employeur [traduction] « manifeste l’intention de ne plus être lié par le contrat » (Rubel Bronze, p. 322, citant General Billposting Co. c. Atkinson, [1909] A.C. 118 (H.L.), p. 122, lord Collins, citant Freeth c. Burr (1874), L.R. 9 C.P. 208, p. 213). Dans ces cas de répudiation anticipative, on ne s’attache pas seulement à la gravité de quelque violation concrète, mais aussi à l’intention de l’employeur concernant le respect ultérieur du contrat de travail.
[155] Par conséquent, un salarié est congédié de manière déguisée dans deux situations : les cas où les actes de l’employeur constituent [traduction] « une violation importante touchant l’assise du contrat de travail » et ceux où, d’une autre façon, les actes de l’employeur « témoignent de l’intention de ce dernier de ne plus être lié par l’une ou plusieurs des clauses essentielles du contrat » (Western Excavating (ECC) Ltd. c. Sharp, [1978] 1 All E.R. 713 (C.A.), p. 717).
[156] Au moins deux éléments sont à l’origine d’un certain manque de clarté du droit en la matière. À cause de la délimitation imprécise de la violation concrète ou éventuelle qui les sous-tend, les deux cas où la répudiation donne lieu à un congédiement « déguisé » sont confondus. À titre d’exemple, on dit souvent qu’une violation est suffisamment importante pour emporter répudiation lorsqu’elle est de nature à montrer l’intention de la partie fautive de ne plus être liée par le contrat. Or, cette façon de définir la violation présente le risque de confondre la répudiation inférée de l’importance de la violation concrète du contrat avec la répudiation anticipative inférée d’actes qui constituent ou non une violation, mais qui sont néanmoins la manifestation de l’intention de ne plus être lié par le contrat ou, du moins, par certaines de ses clauses importantes.
[157] La difficulté ressort des interprétations plausibles de l’analyse de la common law applicable au congédiement injustifié à laquelle se livre la Cour dans Farber, une affaire de droit civil. J’estime qu’il nous faut saisir l’occasion de clarifier ce point car, à mon sens, c’est lui qui est à l’origine en l’espèce des erreurs commises en première instance et en appel.
[158] Il s’agissait dans cette affaire de décider si la modification unilatérale du contrat de travail par l’employeur équivalait au congédiement déguisé du salarié (par. 1). Après avoir supprimé le poste du salarié, l’employeur lui en avait offert un autre. Sous l’angle de la common law, il y avait donc répudiation alléguée découlant d’une violation importante. La question était de savoir si la violation alléguée du contrat par l’employeur, soit la suppression du poste jumelée à l’offre de nouvelles fonctions, était suffisamment importante pour emporter la répudiation du contrat par l’employeur. La Cour a alors parlé de « bris fondamental », c’est-à-dire de « modification fondamentale » du contrat au sens d’une modification « substantielle » de ses conditions « essentielles » (voir p. ex. par. 35). Pour les raisons tout juste exposées, j’estime qu’il serait préférable à l’avenir d’éviter de parler de « bris fondamental » dans ce contexte.
[159] On peut conclure de l’analyse fondée sur la common law dans Farber que la répudiation équivaut à un congédiement déguisé non pas dans deux cas, mais dans un seul. Il n’y a congédiement déguisé que lorsque l’employeur commet ce que la Cour appelle un bris (ou une violation) fondamental ou, pour employer une formulation qui me paraît préférable, lorsque la violation par l’employeur est suffisamment importante (par. 33). Il résulte de cette interprétation que les actes de l’employeur qui ne constituent pas une violation ou qui ne sont pas une violation suffisamment importante ne peuvent donner lieu à un congédiement déguisé. Toutefois, je ne crois pas que ce soit la bonne façon d’interpréter l’analyse des règles de common law effectuée dans Farber. Il est bien établi dans ce système juridique qu’un employeur peut congédier un salarié de manière déguisée même lorsque ses actes, qui traduisent son intention de ne plus être lié par le contrat, ne constituent pas alors une violation de contrat ou, s’ils en constituent une, que celle-ci n’est pas suffisamment importante pour emporter répudiation à elle seule.
[160] Deux arrêts de la Cour d’appel de l’Ontario portent sur ce point et apportent des éclaircissements utiles auxquels je souscris.
[161] Dans l’arrêt Stolze c. Addario (1997), 36 O.R. (3d) 323 (C.A.), p. 326, la Cour d’appel, s’appuyant sur l’arrêt Farber, formule comme suit le critère applicable au congédiement déguisé en common law : [traduction] « La cour doit [. . .] se demander si l’acte ou les actes de l’employeur sont de nature à emporter la répudiation des clauses fondamentales du contrat » (je souligne). Je souscris à cet énoncé du droit qui reprend les deux formes de répudiation dont j’ai fait état, à savoir la répudiation découlant d’une violation importante et la répudiation anticipative.
[162] Dans Shah c. Xerox Canada Ltd. (2000), 131 O.A.C. 44, la Cour d’appel rejette la prétention de l’employeur selon laquelle le congédiement déguisé ne peut être établi que lorsqu’il y a eu modification unilatérale d’une clause fondamentale du contrat de travail. La Cour d’appel conclut plutôt que, même si aucune clause particulière du contrat de travail n’a été modifiée, on conclura que l’employeur a congédié le salarié de façon déguisée s’il a manifesté l’intention de ne plus être lié par le contrat, notamment en se conduisant d’une manière qui a rendu la situation du salarié intolérable (par. 8 et 10). Je conviens que l’arrêt Farber ne permet pas d’affirmer que le congédiement déguisé ne peut être établi que par la violation concrète d’une clause fondamentale du contrat de travail.
(2) La décision du juge de première instance
[163] Je passe donc à ce que j’estime être la première erreur du juge de première instance que la Cour d’appel n’a pas corrigée. Le juge circonscrit la question à trancher comme étant celle de savoir, [traduction] « si la Commission a violé les clauses [du] contrat de travail [de M. Potter] en lui enlevant de toutes les fonctions et tous les pouvoirs de directeur général pour une durée indéfinie » (par. 34). Le juge conclut que « la Commission n’a rien fait ou dit qui amènerait un observateur objectif à conclure qu’elle lui avait enlevé ces fonctions de façon permanente. Au contraire, la preuve étaye la conclusion selon laquelle les parties discutaient son avenir à la Commission et ces discussions n’étaient pas terminées » (par. 38). La Cour d’appel confirme cette conclusion et s’attache, à l’instar du juge de première instance, à déterminer si la suspension avec salaire « constituait une modification substantielle des conditions essentielles du contrat de travail de l’employé » (par. 83, citant Farber, par. 26).
[164] Soit dit en tout respect, j’estime que l’approche du juge de première instance, que confirme la Cour d’appel, repose sur une erreur de droit. Elle omet en effet de reconnaître que le congédiement déguisé peut découler non seulement d’une violation concrète importante, mais aussi d’actes qui, compte tenu de l’ensemble des circonstances, montrent l’intention de l’employeur de ne plus être lié par des clauses importantes du contrat de travail. Ainsi, une cour de justice doit, dans son examen visant à déterminer si les actes de l’employeur sont assimilables à une répudiation du contrat, se pencher non seulement sur l’importance de toute violation concrète considérée isolément, mais aussi sur l’effet de ces actes à la lumière des circonstances et du point de vue objectif d’une personne raisonnable se trouvant dans la situation du salarié. Il lui faut non seulement se demander si la suspension constituait en soi une violation du contrat suffisamment grave pour équivaloir à une répudiation, mais aussi si, compte tenu de toutes les circonstances, la suspension constituait une violation anticipative au sens où l’employeur a manifesté son intention de ne plus être lié par d’importantes clauses du contrat. Comme le dit lord Scarman dans l’arrêt Woodar Investment Development Ltd. c. Wimpey Construction UK Ltd., [1980] 1 All E.R. 571 (H.L.), p. 590, dans cette affaire, le juge de première instance et la Cour d’appel [traduction] « se sont trop attachés à un seul acte, isolé de son contexte, et n’ont pas dûment tenu compte de l’effet des actes sur l’autre partie ».
[165] Quelles sont donc ces circonstances et quelle est leur importance sur le plan juridique? La suspension est survenue alors que la Commission cherchait à « racheter » le contrat à durée déterminée de M. Potter (motifs de première instance, par. 43), ce que la Commission « n’a pas dissimulé » selon le juge de première instance (par. 40). Le juge ne reconnaît pas que cette intention d’obtenir le départ de M. Potter contre le versement d’une indemnité s’expliquait seulement par la volonté de la Commission que M. Potter quitte son poste avant l’expiration de son contrat à durée déterminée. Les négociations entreprises en ce sens visaient à mettre fin au contrat et à en conclure un nouveau dont les conditions seraient plus avantageuses pour l’employeur. Qui plus est, conclut le juge, la Commission souhaitait que M. Potter ne rentre pas au travail afin que « n’arriv[e] rien qui puisse compliquer les négociations [en vue d’un] règlement amiable » (par. 43). Encore là, le juge ne reconnaît pas que la suspension de M. Potter pour une durée indéfinie dans le contexte de la négociation d’une indemnité de départ confirme l’intention de la Commission de mettre fin à l’emploi de M. Potter autrement que dans le respect du contrat de travail existant. La suspension était d’une durée indéfinie : la lettre du conseiller juridique de la Commission enjoignait au salarié de ne pas rentrer au travail [traduction] « avant qu’elle n’ait donné de nouvelles directives ». En outre, la Commission n’y donnait pas l’assurance qu’elle continuerait de se sentir liée par les clauses du contrat relatives à la rémunération et aux avantages sociaux. Elle se contentait d’indiquer que M. Potter continuerait de toucher son salaire « jusqu’à nouvel ordre ». La seule conclusion possible est que la Commission estimait pouvoir désormais déroger aux clauses du contrat portant sur la rémunération.
[166] Les circonstances de l’affaire sont donc les suivantes : (i) la Commission entendait mettre fin à l’emploi de M. Potter avant l’expiration de son contrat, (ii) elle lui a enjoint de ne pas rentrer au travail jusqu’à nouvel ordre et (iii) elle ne lui a pas donné l’assurance qu’elle continuerait de respecter les clauses de son contrat relatives à la rémunération. Si, conformément aux principes de droit applicables, le juge de première instance avait tenu compte de ces circonstances et non seulement de la gravité de la violation du contrat que constituait la suspension, il aurait nécessairement conclu que la Commission avait clairement manifesté l’intention de ne plus être liée par d’importantes clauses du contrat de travail de M. Potter. Comme le conclut mon collègue le juge Wagner, la Commission n’avait pas le pouvoir de prendre unilatéralement une telle mesure qualifiée de « suspension administrative ».
C. La seconde erreur du juge de première instance : l’exclusion d’un élément de preuve pertinent
[167] La seconde erreur du juge de première instance a été d’écarter le fait que le jour même où le conseiller juridique de la Commission a enjoint à M. Potter de ne pas rentrer au travail pour une période indéterminée, sa présidente a écrit au ministre de la Justice pour demander la révocation pour motif valable de la nomination de M. Potter. Le juge a décidé de ne tenir compte que de ce que M. Potter savait au moment où il a prétendu avoir été congédié de façon déguisée, car [traduction] « il [pouvait] difficilement soutenir qu’il a[vait] été congédié de façon déguisée en s’appuyant sur quelque chose que l’employeur a[vait] fait à son insu » (par. 36). Même si elle reconnaît qu’il a pu s’agir d’une erreur, la Cour d’appel conclut que, le cas échéant, l’erreur n’a eu « absolument aucune conséquence » (par. 94).
[168] Bien que, sur ce point, le droit ne soit ni aussi clair ni aussi bien établi qu’on pourrait le souhaiter, j’estime que la partie non fautive qui allègue la répudiation (en l’occurrence, M. Potter) peut invoquer des éléments qui existaient bel et bien au moment de la répudiation alléguée, mais qui lui étaient alors inconnus. Je suis également d’avis, contrairement à la Cour d’appel, que la décision erronée du juge de première instance d’écarter la lettre en question n’a pas été sans conséquence. Considérée dans le contexte de sa rédaction, la lettre fait ressortir on ne peut plus clairement que la Commission n’entendait plus être liée par d’importantes clauses du contrat de travail.
Critère d’appréciation de l’intention de l’employeur
[169] Lorsqu’il s’agit seulement de savoir si la violation du contrat de travail par l’employeur est suffisamment grave pour constituer une répudiation, le critère à appliquer est purement objectif et consiste à se demander ce que conclurait une personne raisonnable se trouvant dans la situation de l’autre partie. Comme le conclut la Cour dans l’arrêt Farber, pour déterminer si l’employeur a modifié substantiellement les clauses essentielles du contrat de travail du salarié, il faut se demander si, au moment considéré, une personne raisonnable se trouvant dans la situation du salarié aurait considéré qu’il s’agissait d’une modification substantielle des clauses essentielles du contrat de travail (par. 26). Point n’est besoin que l’employeur ait eu l’intention de contraindre le salarié à quitter son emploi, et ses motivations importent peu (Farber, par. 27; Federal Commerce & Navigation Co. c. Molena Alpha Inc., [1979] A.C. 757 (H.L.)). Le moment à considérer est celui où le salarié a dû décider de voir ou non dans les actes de l’employeur la répudiation du contrat. Comme le précise la Cour dans l’arrêt Farber, « sera pertinent ce qui était connu par [le salarié] au moment de l’offre ou devait être prévu par une personne raisonnable se trouvant dans sa situation. La preuve de faits ex post facto ne sera pertinente que si [ces faits] faisaient partie de l’expectative raisonnable » (par. 42).
[170] C’est ce que commandent le bon sens et la justice, car sinon [traduction] « la partie fautive pourrait priver l’autre de son droit de résilier le contrat en joignant à la violation substantielle l’expression du vœu que le contrat demeure » (Waddams, ¶595).
[171] Il ne s’ensuit toutefois pas que les motivations de la partie fautive, ou son intention subjective, n’ont aucune pertinence ou que l’autre partie ne peut jamais se fonder sur des données dont elle n’avait pas connaissance au moment considéré. Par exemple, si le salarié fait valoir que les actes de l’employeur traduisent son intention de ne plus être lié par le contrat, la cour doit apprécier ce comportement à la lumière de l’ensemble des circonstances. Bien que les motivations de la partie fautive ne soient pas alors pertinentes en elles-mêmes, elles peuvent indiquer la manière dont une personne raisonnable considérerait la conduite répudiatoire alléguée (voir p. ex. Eminence Property Developments Ltd. c. Heaney, [2010] EWCA Civ 1168, [2011] 2 All E.R. (Comm.) 223, par. 63; voir aussi Woodar, p. 574, lord Wilberforce). Qui plus est, la partie qui allègue la répudiation (en l’espèce, M. Potter) peut se fonder sur le comportement qu’a eu l’autre partie jusqu’à ce qu’elle accepte la répudiation et poursuive pour congédiement déguisé, même si ce comportement lui était alors inconnu.
[172] C’est ce dernier point qui importe en l’espèce : le juge de première instance n’a pas pris en considération le fait, alors inconnu de M. Potter, que le jour où elle l’a suspendu, la Commission a également entrepris d’obtenir son congédiement pour motif valable. Par ailleurs, le conseiller juridique de la Commission a reconnu en interrogatoire préalable qu’au moment où elle a suspendu M. Potter, la Commission avait résolu de se passer de ses services.
[173] À mon sens, écarter cet élément de preuve c’est faire dépendre le droit du salarié d’alléguer le congédiement déguisé de l’habileté de l’employeur à dissimuler son véritable état d’esprit (Universal Cargo Carriers Corp. c. Citati, [1957] 2 All E.R. 70 (Q.B.), p. 91). Heureusement, la jurisprudence n’appuie pas cette éventualité peu souhaitable.
[174] Dans l’arrêt British and Beningtons, Ltd. c. North Western Cachar Tea Co., [1923] A.C. 48 (H.L.), lord Sumner expose le principe applicable (p. 71-72) :
[traduction] Je ne crois pas [. . .] que l’acheteur qui a répudié un contrat pour une raison qui se révèle non valable n’a plus d’autre moyen de défense à opposer à l’action en entier ou en partie, et que sa contestation est inéluctablement vouée à l’échec. S’il avait répudié le contrat sans donner de raison, je suppose qu’il pourrait opposer tout moyen à l’action en entier ou en partie. Ses motivations sont assurément sans importance et je ne vois pas pourquoi les raisons qu’il a invoquées seraient cruciales. Ce qu’il dit est bien sûr très important quant à savoir s’il entend réellement répudier le contrat et, le cas échéant, jusqu’à quel point et dans quelle mesure il entend le faire, et quant à savoir à quels égards il renonce à l’exécution de conditions dont l’exécution est encore possible à l’avenir, ou dispense l’autre partie de l’exécution ultérieure de ses propres obligations; or, je ne vois pas en quoi le fait d’avoir dit à tort « nous considérons que ce contrat a pris fin en raison du retard déraisonnable que vous accusez dans son exécution » oblige les acheteurs, lorsque cette raison n’est pas valable, à effectuer le paiement en totalité si, au moment même de cette répudiation, il était devenu complètement et définitivement impossible aux vendeurs d’exécuter des clauses essentielles du contrat considéré globalement. [Je souligne.]
[175] Ce principe a été repris plus récemment dans l’arrêt Glencore Grain Rotterdam BV c. Lebanese Organisation for International Commerce, [1997] 4 All E.R. 514 (C.A.), p. 526, où le lord juge Evans cite en l’approuvant la règle énoncée dans Taylor c. Oakes, Roncoroni, and Co. (1922), 127 L.T. 267 (C.A.), p. 269 (le juge Greer) :
[traduction] Il est une règle de droit établie de longue date voulant que la partie contractante qui, alors qu’elle peut refuser d’exécuter ses obligations contractuelles, donne une raison non valable pour justifier son refus ne soit pas du coup empêchée de faire valoir un motif de refus qui existait bel et bien, à son insu ou non. [Je souligne.]
[176] Certaines nuances s’imposent parfois, notamment lorsque le motif invoqué, s’il l’avait été en temps opportun, aurait permis à l’autre partie d’apporter les correctifs voulus (voir Glencore). Ce n’est cependant pas le cas en l’espèce. Voir aussi Universal Cargo Carriers, p. 89; Scandinavian Trading Co. A/B c. Zodiac Petroleum S.A., [1981] 1 Lloyd’s Rep. 81 (Q.B.), p. 90.
[177] Cette règle est le reflet du principe de common law selon lequel, sous réserve de considérations d’ordre contractuel et procédural, l’employeur qui congédie un salarié pour motif valable peut généralement s’appuyer sur tout motif qui existait au moment du congédiement même s’il en ignorait alors l’existence (voir p. ex. Lake Ontario Portland Cement Co. c. Groner, [1961] R.C.S. 553, p. 563-564).
[178] Je conclus que M. Potter, qui a accepté ce qu’il estimait être une répudiation de son contrat de travail par la Commission, peut invoquer les actes commis jusqu’alors par cette dernière et qui établissaient la répudiation, même s’il ne connaissait pas l’existence de ces actes au moment d’accepter la répudiation. Le juge de première instance a donc eu tort de ne pas tenir compte de ces actes pour décider si M. Potter avait fait l’objet ou non d’un congédiement déguisé.
[179] La Cour d’appel estime que, s’il s’agit d’une erreur, elle est sans conséquence, car la Commission ne croyait pas avoir le pouvoir de congédier M. Potter (par. 94). Sauf le respect dû à la Commission, son avis sur sa compétence importe peu. La question est de savoir si une personne raisonnable, considérant les circonstances objectivement, conclurait que la Commission a manifesté l’intention de ne plus être liée par le contrat de travail. Lorsqu’on ajoute aux autres circonstances déjà mentionnées la tentative de la Commission de faire en sorte que M. Potter soit congédié pour motif valable, force est de conclure que, comme l’a dit son conseiller juridique en interrogatoire préalable, elle avait résolu de se passer des services du salarié. Je conviens avec M. Potter que, lorsqu’elle l’a suspendu indéfiniment, la Commission entendait faire en sorte qu’il ne revienne jamais au travail, et j’ajouterais qu’elle n’avait nullement l’intention de lui verser ce à quoi elle était tenue par le contrat de travail à durée déterminée. Si cela n’est pas la manifestation de l’intention ferme et claire de l’employeur de ne plus être lié par les clauses de son contrat de travail, je vois mal ce qui pourrait l’être.
D. Autres points
[180] Je préfère ne pas me pencher sur la doctrine de l’employeur unique. Les deux parties conviennent que la Commission des services d’aide juridique peut être considérée à tous égards comme l’employeur de M. Potter.
[181] La Commission soutient également que si le congédiement déguisé n’est pas établi, il y a eu démission de M. Potter lorsqu’il a intenté son action. Vu ma conclusion selon laquelle le salarié a fait l’objet d’un congédiement déguisé, je préfère ne pas me prononcer sur cette question épineuse. Certes, en droit commun, une violation répudiatoire confère à la partie non fautive le droit soit de confirmer le contrat, soit d’accepter la répudiation et de considérer que le contrat n’est plus. Ce principe du droit général des contrats ne s’applique pas aisément au contrat de travail pour la raison évidente qu’il est difficile à un salarié de confirmer le contrat tout en poursuivant l’employeur en dommages-intérêts pour violation. L’obligation de limiter le préjudice rend les choses encore plus compliquées. Ces questions devront être tranchées à une autre occasion.
[182] L’appelant soutient que les prestations de retraite qu’il a touchées ne doivent pas être déduites des dommages-intérêts accordés pour congédiement injustifié. L’arrêt IBM Canada Limitée c. Waterman, 2013 CSC 70, [2013] 3 R.C.S. 985, qui n’avait pas encore été rendu au moment du procès ou de l’appel devant la Cour d’appel, règle ce point en faveur de M. Potter.
III. Dispositif
[183] Je suis d’avis d’accueillir le pourvoi avec dépens dans toutes les cours, comme le propose mon collègue le juge Wagner.
Pourvoi accueilli avec dépens.
Procureurs de l’appelant : EJ Mockler Professional Corporation, Fredericton; Heenan Blaikie, Ottawa.
Procureurs de l’intimée : Stewart McKelvey, Fredericton.