R. c. Jacquard, [1997] 1 R.C.S. 314
Clayton Otis Jacquard Appelant
c.
Sa Majesté la Reine Intimée
Répertorié: R. c. Jacquard
No du greffe: 24660.
1996: 10 octobre; 1997: 20 février.
Présents: Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, L’Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier, Cory et Major.
en appel de la cour d’appel de la nouvelle‑écosse
Droit criminel ‑‑ Procès ‑‑ Exposé au jury ‑‑ Troubles mentaux ‑‑ Meurtre ‑‑ Juge du procès procédant à une analyse détaillée de la preuve des troubles mentaux de l’accusé en examinant le moyen de défense fondé sur l’aliénation mentale ‑‑ Le juge du procès a‑t‑il commis une erreur en se contentant de mentionner cette preuve en abordant l’élément «préméditation et propos délibéré» du meurtre au premier degré? ‑‑ Le jury a‑t‑il reçu des directives appropriées sur la façon dont la preuve des troubles mentaux de l’accusé s’appliquait aux questions d’«intention» et de «préméditation et propos délibéré»?
Droit criminel ‑‑ Procès ‑‑ Exposé au jury ‑‑ Troubles mentaux ‑‑ Meurtre ‑‑ Juge du procès établissant un lien entre la preuve des troubles mentaux de l’accusé et la question de l’«intention de commettre un meurtre» dans le cadre de ses directives sur d’autres infractions et non avant lorsque cette question s’est posée ‑‑ Les directives du juge du procès sur la question de l’intention étaient‑elles suffisantes?
Droit criminel ‑‑ Procès ‑‑ Exposé au jury ‑‑ Conscience de culpabilité ‑‑ Accusé inculpé de meurtre au premier degré ‑‑ Arme du crime découverte par la police sous une rampe de planche à roulettes et ne portant aucune empreinte digitale ‑‑ Accusé admettant avoir accompli l’actus reus de l’infraction ‑‑ Le juge du procès a‑t‑il donné au jury des directives appropriées sur les conclusions qu’il pouvait tirer de la dissimulation de l’arme du crime par l’accusé? ‑‑ Dans la négative, la disposition réparatrice est-elle applicable? ‑‑ Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, art. 686(1)b)(iii).
Droit criminel ‑‑ Procès ‑‑ Exposé au jury ‑‑ Méthode devant être adoptée par les cours d’appel pour examiner des exposés au jury.
L’accusé a été inculpé de meurtre au premier degré relativement à l’assassinat de son beau‑père, et de tentative de meurtre résultant des coups de feu tirés sur la compagne de ce dernier. Deux jours après l’épisode, la police a découvert, sous une rampe de planche à roulettes, l’arme que l’accusé avait utilisée et qui ne portait aucune empreinte digitale. Au procès, l’accusé a avoué avoir tiré les coups de feu ayant causé la mort de son beau‑père, mais a plaidé non coupable en invoquant les motifs suivants: (1) sa responsabilité criminelle n’était pas engagée à l’égard de son acte parce qu’il était atteint de troubles mentaux, au sens de l’art. 16 du Code criminel, et (2) il n’avait pas eu l’intention requise de tuer son beau‑père. Des psychiatres ont témoigné, pour la défense, qu’à l’époque pertinente l’accusé souffrait de troubles mentaux qui l’empêchaient de comprendre la nature ou la qualité de ses actes, ou de former l’intention de les accomplir. Dans un long exposé au jury, le juge du procès a procédé à un examen exhaustif de la preuve des troubles mentaux que l’accusé avait produite à l’appui de son moyen de défense fondé sur l’art. 16. En analysant, par la suite, les questions de la «préméditation et [du] propos délibéré», le juge du procès a choisi de ne pas se répéter, indiquant au jury qu’«[e]n examinant si le meurtre a été commis avec préméditation et de propos délibéré, vous devriez tenir compte [. . .] de toutes les circonstances et de toute la preuve». Le jury a reconnu l’accusé coupable. Lors de l’appel interjeté à l’encontre de sa déclaration de culpabilité de meurtre au premier degré, l’accusé a soutenu que les directives du juge du procès n’indiquaient pas clairement au jury que le fardeau de preuve relativement aux questions d’intention et de «préméditation et propos délibéré» incombait au ministère public, et que la preuve des troubles mentaux de l’accusé devait être réexaminée en fonction de ces questions. L’accusé a également allégué que le juge du procès avait donné au jury des directives erronées sur la «conscience de culpabilité» en leur disant que le fait qu’un accusé tente de cacher ou de détruire un élément de preuve peut être un indice de «conscience de culpabilité». La Cour d’appel a rejeté l’appel de l’accusé.
Arrêt (les juges Sopinka, Cory et Major sont dissidents): Le pourvoi est rejeté.
Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, L’Heureux‑Dubé et Gonthier: Les directives sont appropriées dans la mesure où, en examinant l’ensemble de l’exposé d’un juge du procès au jury, une cour d’appel conclut que le jury avait une compréhension suffisante des faits relatifs aux questions pertinentes. En l’espèce, le juge du procès a analysé minutieusement la preuve des troubles mentaux de l’accusé lorsqu’il a examiné le moyen de défense fondé sur l’art. 16, et il n’était pas tenu de répéter cette preuve lorsqu’il a examiné la question de la «préméditation et [du] propos délibéré». En demandant au jury de réexaminer toutes les circonstances et tous les éléments de preuve, il s’est acquitté de son obligation d’établir un lien entre la preuve essentielle des troubles mentaux de l’accusé et cette question. De même, bien que le juge du procès ait établi un lien entre la preuve des troubles mentaux et la question de l’intention, non pas au moment où cette question s’est posée, mais seulement plus tard dans le cadre de ses directives sur l’homicide involontaire coupable et la tentative de meurtre, il ressort de son exposé au complet qu’il a clairement indiqué au jury, avant ses délibérations, que l’intention pouvait être neutralisée par la preuve des troubles mentaux de l’accusé. Même si cette partie de l’exposé n’était peut‑être pas parfaite, elle était certainement juste et équitable.
Le jury a reçu des directives appropriées sur la façon dont la preuve des troubles mentaux s’appliquait à chacune des questions juridiques soulevées. Dans son exposé, le juge du procès a clairement indiqué qu’il incombait au ministère public de prouver hors de tout doute raisonnable l’existence de tous les éléments du meurtre au premier degré, y compris la «préméditation et [le] propos délibéré», et qu’il s’agissait là d’une obligation différente de celle imposée à l’accusé dans le contexte du moyen de défense fondé sur l’art. 16. Les jurés ont aussi parfaitement compris que même s’ils concluaient que l’accusé n’avait pas établi suffisamment l’existence d’un moyen de défense fondé sur l’art. 16, il y avait encore lieu d’examiner les autres moyens de défense. Le juge du procès n’a pas dit au jury de ne pas tenir compte de la preuve des troubles mentaux si l’existence du moyen de défense fondé sur l’art. 16 n’était pas établie. En fait, il a expressément donné des directives contraires. De plus, le juge du procès n’a pas à aviser le jury des distinctions plus subtiles qui existent entre la manière dont l’incapacité mentale d’un accusé peut miner sa capacité de former une intention par opposition à sa capacité d’agir avec préméditation et de propos délibéré. Il suffit que, dans leur ensemble, ses directives fassent prendre conscience au jury que la preuve des troubles mentaux de l’accusé doit être examinée relativement à chacune des questions en litige, et ne l’amènent pas à croire à tort que conclure à l’existence de l’intention oblige nécessairement à conclure qu’il y a eu préméditation et propos délibéré. En l’espèce, le jury a reçu des directives appropriées sur le sens, la portée et l’effet de l’expression «avec préméditation et de propos délibéré».
Les cours d’appel doivent adopter une méthode fonctionnelle pour examiner des exposés au jury. Cet examen a pour but d’assurer que les jurys reçoivent des directives appropriées et non pas des directives parfaites. Si l’on applique une méthode fonctionnelle dans le contexte plus général du procès de l’accusé, il y a d’autres raisons de conclure que le jury a reçu des directives appropriées. Premièrement, l’accusé n’a pas soulevé expressément la question de la «préméditation et [du] propos délibéré» comme une question en litige au procès, ce qui aide à expliquer pourquoi les directives du juge du procès sur cette question peuvent avoir été plus courtes et moins détaillées que celles portant sur d’autres points. Deuxièmement, le ministère public a produit des éléments de preuve au sujet de la question de la «préméditation et [du] propos délibéré», ce qui jette un doute sur l’argument de l’accusé voulant que les membres du jury n’aient pas eu à l’esprit sa capacité d’agir avec préméditation et de propos délibéré. Troisièmement, l’omission de la défense de commenter la directive erronée qui aurait suivi l’exposé au jury est révélatrice quant à la justesse générale des directives au jury et à la gravité de la directive qui serait erronée. Enfin, il n’y a pas eu de directive erronée en l’espèce.
La preuve de la fuite d’un accusé des lieux d’un crime ou de sa dissimulation d’un élément de preuve peut amener à conclure à l’existence d’une conscience de culpabilité et le juge du procès doit donner des directives en conséquence au jury. Cependant, lorsque, comme en l’espèce, l’accusé a admis avoir accompli l’actus reus de l’infraction, le juge du procès doit faire montre de plus de circonspection. Étant donné que ni la présence de l’accusé sur les lieux de l’homicide ni sa responsabilité matérielle relative à la fusillade n’étaient en cause au procès, la preuve qu’il avait caché l’arme du crime et qu’il pouvait y avoir effacé ses empreintes digitales n’avait aucune valeur probante quant à ces aspects de l’affaire. Toutefois, la tentative alléguée de dissimuler l’arme et de détruire des éléments de preuve était une preuve circonstancielle pertinente dont le jury devait tenir compte en évaluant le moyen de défense que l’accusé avait invoqué en vertu de l’art. 16. La preuve de la dissimulation ou de la fuite ne dénote peut‑être pas un degré d’infraction particulier, mais elle a néanmoins une certaine incidence sur la question de savoir si l’accusé était capable de juger que l’acte qu’il avait accompli était mauvais. Le juge du procès a donc commis une erreur non pas en donnant comme directive au jury d’examiner la conscience de culpabilité, parce qu’une telle conclusion était manifestement pertinente, mais en affirmant que la preuve en cause était «un élément de preuve que vous pouvez utiliser pour décider si l’accusé est coupable ou non coupable, ou si sa responsabilité criminelle n’est pas engagée en raison de troubles mentaux». Il faut dire que ces termes étaient assez ambigus pour pouvoir au moins laisser entendre que le juge du procès établissait un lien inapproprié entre la dissimulation alléguée de l’arme du crime par l’accusé et une infraction particulière.
Malgré les directives erronées que le juge du procès a données sur la «conscience de culpabilité», il n’y a eu, en l’espèce, aucun tort important ni aucune erreur judiciaire grave, et il convient donc d’appliquer le sous‑al. 686(1)b)(iii) du Code. Le juge du procès a commis une erreur non pas en faisant allusion à la «conscience de culpabilité», mais en ne limitant pas son applicabilité à la question de l’art. 16. Abstraction faite de cette erreur, l’exposé était juste et pondéré, et ne comportait aucun commentaire explicite sur la justesse des conclusions que le jury pourrait tirer. Aucun juré raisonnable n’aurait été poussé à rendre un verdict différent en raison de cette erreur mineure. Le jury aurait su que le simple fait de dissimuler une arme ou d’y effacer ses empreintes digitales ne dénote aucunement un degré d’infraction particulier. De plus, ce n’est pas un cas d’erreurs aggravées. La conscience de culpabilité était une seule erreur et constituait une petite partie de la preuve à charge et un élément mineur parmi les éléments de preuve incriminants.
Les juges Sopinka, Cory et Major (dissidents): Bien qu’il y ait accord avec la quasi totalité des motifs et des recommandations du Juge en chef, sa conclusion que les directives que le juge du procès a données au jury relativement au meurtre au premier degré étaient suffisantes ne peut être acceptée. Les directives du juge du procès concernant l’élément de préméditation et de propos délibéré du meurtre au premier degré ne mentionnaient pas la preuve de la maladie mentale ni l’incidence que cette maladie peut avoir eue sur la capacité de l’accusé d’agir avec préméditation et de propos délibéré en tuant la victime. La simple mention de tenir compte de toute la preuve était insuffisante. Même s’il n’était pas nécessaire que le juge du procès passe de nouveau en revue la preuve de la maladie mentale, il aurait dû la mentionner expressément en expliquant la préméditation et le propos délibéré. Ces directives étaient un élément essentiel de l’exposé.
Les juges Sopinka et Major (dissidents): Le juge du procès est tenu d’établir un lien entre les questions en litige et les éléments de preuve cruciaux pour la défense. Un rappel des éléments de preuve déjà examinés suffit à condition qu’il soit clair que le jury ne se méprendra pas sur les éléments de preuve visés par le rappel. De plus, des explications s’imposent lorsqu’il n’est pas évident pour des profanes comment certains éléments de preuve aideront à trancher une question en litige. En l’espèce, le juge du procès a donné des explications complètes sur la pertinence de la preuve psychiatrique et son application à la question des troubles mentaux au sens de l’art. 16 du Code criminel. Il a aussi mentionné expressément cette preuve en fonction d’autres questions en litige, mais il ne l’a pas fait à l’égard de l’exposé sur la préméditation et le propos délibéré. Le jury aurait bien pu en conclure que la preuve des troubles mentaux et, en particulier, la preuve psychiatrique n’étaient pertinentes qu’en ce qui avait trait aux questions qui avaient été expressément mentionnées. En outre, une simple mention n’aurait peut‑être pas été suffisante en l’espèce étant donné qu’il n’est pas sûr qu’un jury saurait, en l’absence de directives appropriées, comment la preuve psychiatrique, exprimée en fonction de l’art. 16, s’appliquerait à la préméditation et au propos délibéré.
Jurisprudence
Citée par le juge en chef Lamer
Arrêt appliqué: R. c. Wallen, [1990] 1 R.C.S. 827; distinction d’avec les arrêts: More c. The Queen, [1963] R.C.S. 522; R. c. Allard (1990), 57 C.C.C. (3d) 397; arrêts mentionnés: R. c. McColeman (1991), 11 W.A.C. 128; John c. La Reine, [1971] R.C.S. 781; Cluett c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 216; Azoulay c. The Queen, [1952] 2 R.C.S. 495; McMartin c. The Queen, [1964] R.C.S. 484; R. c. Mitchell, [1964] R.C.S. 471; R. c. Kirkby (1985), 47 C.R. (3d) 97; R. c. Reynolds (1978), 22 O.R. (2d) 353; R. c. Aalders, [1993] 2 R.C.S. 482; R. c. Smith (1986), 71 N.S.R. (2d) 229; R. c. Palmer (1986), 12 O.A.C. 181; R. c. Arcangioli, [1994] 1 R.C.S. 129; Thériault c. La Reine, [1981] 1 R.C.S. 336; R. c. Marinaro, [1996] 1 R.C.S. 462, inf. (1994), 95 C.C.C. (3d) 74; R. c. Jenkins (1996), 29 O.R. (3d) 30; R. c. Wiltse (1994), 19 O.R. (3d) 379; R. c. Charlette (1992), 83 Man. R. (2d) 187; R. c. Murray (1994), 93 C.C.C. (3d) 70; R. c. Bob (1990), 78 C.R. (3d) 102; R. c. White (1996), 108 C.C.C. (3d) 1; Colpitts c. The Queen, [1965] R.C.S. 739.
Citée par le juge Cory (dissident)
R. c. Mitchell, [1964] R.C.S. 471; R. c. Wallen, [1990] 1 R.C.S. 827; More c. The Queen, [1963] R.C.S. 522; R. c. Kirkby (1985), 47 C.R. (3d) 97; R. c. Markle, [1990] O.J. No. 2606 (QL).
Citée par le juge Sopinka (dissident)
Azoulay c. The Queen, [1952] 2 R.C.S. 495; R. c. Brydon, [1995] 4 R.C.S. 253.
Lois et règlements cités
Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, art. 16 [abr. & rempl. 1991, ch. 43, art. 2], 231(2) [mod. ch. 27 (1er suppl.), art. 185 (ann. III, no 7)], 235(1), 239, 655, 686(1)b)(iii) [mod. 1991, ch. 43, art. 9 (ann., art. 8)].
POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de la Nouvelle‑Écosse (1995), 138 N.S.R. (2d) 352, 394 A.P.R. 352, qui a rejeté l’appel de l’accusé contre sa déclaration de culpabilité de meurtre au premier degré. Pourvoi rejeté, les juges Sopinka, Cory et Major sont dissidents.
Joel E. Pink, c.r., et Daniel G. Graham, pour l’appelant.
William D. Delaney, pour l’intimée.
//Le Juge en chef//
Version française du jugement du juge en chef Lamer et des juges La Forest, L’Heureux-Dubé et Gonthier rendu par
1. Le Juge en chef ‑‑ Le présent pourvoi soulève des questions au sujet de la norme que notre Cour devrait obliger les juges du procès à respecter dans leurs exposés au jury. Il est certes important que les jurés jugent les faits exacts, conformément aux principes juridiques applicables dans chaque cas. Toutefois, nous devons nous assurer que le critère que nous utilisons pour évaluer la justesse des directives du juge du procès au jury ne devienne pas trop exigeant. Nous devons nous efforcer d’éviter la multiplication des exposés interminables au cours desquels les juges citent souvent de longs extraits des décisions rendues en appel dans le simple but de protéger les verdicts contre les appels. Ni le ministère public ni l’accusé n’ont intérêt à ce que la confusion soit semée dans l’esprit des membres du jury. En réalité, la justice en souffre.
2. Je ne veux pas, par ces commentaires, laisser entendre que nous approuvons les verdicts rendus à la suite de directives erronées. Notre Cour a affirmé, à maintes reprises, que l’accusé a droit à ce que le jury reçoive des directives appropriées. Il n’existe toutefois aucune obligation que les directives au jury soient parfaites. Comme je l’ai expressément indiqué lors de l’audition du présent pourvoi, s’il existait une norme de perfection, très peu de juges au Canada, y compris moi‑même, seraient capables de donner au jury des directives qui la respecteraient.
I. Les faits et l’historique des procédures
3. Le 17 décembre 1992 a été une date fatidique pour au moins trois personnes à Yarmouth, en Nouvelle‑Écosse. Alexander «Sandy» Hurlburt et son épouse Barbara Wilkinson sont allés souper au restaurant pour célébrer le 27e anniversaire de naissance de Mme Wilkinson. Lorsqu’ils sont revenus à leur domicile, l’appelant, Clayton Jacquard, le beau‑fils de M. Hurlburt par suite d’une relation antérieure, était là pour les accueillir. Cela n’avait rien d’étonnant car, même s’il n’habitait pas avec eux, M. Jacquard avait passé la journée et la nuit précédentes au domicile du couple, dormant sur le sofa du salon pendant la nuit.
4. Peu après que Mme Wilkinson se fut retirée dans sa chambre, la nuit a tourné au drame. Lorsqu’elle s’était mise au lit, son mari et l’appelant jouaient aux cartes tout en regardant la télévision au salon. La première chose dont Mme Wilkinson se souvient ensuite, c’est de s’être retrouvée assise dans son lit, hurlant, après avoir été atteinte d’une balle, et avoir vu l’appelant, debout près de la porte de la chambre, pointer un fusil dans sa direction. Après que Mme Wilkinson eut instinctivement levé la main pour se protéger contre un autre coup de feu, l’appelant a tiré une autre fois puis a quitté la pièce. Madame Wilkinson s’est alors traînée jusqu’au salon où elle a réussi à téléphoner à sa mère et à sa s{oe}ur, pour ensuite attendre l’arrivée de la police.
5. À leur arrivée, les policiers ont trouvé Mme Wilkinson étendue dans le salon, grièvement blessée par balles. Elle a survécu mais elle souffre d’invalidité permanente à une jambe, à une hanche, à une main et à une clavicule. Par contre, les policiers ont trouvé M. Hurlburt au vestibule, dans une mare de sang, mortellement atteint par balles au dos et à la poitrine.
6. Plus tard le même soir, les policiers ont arrêté l’appelant qui s’était réfugié chez un ami, Anthony Wallace. L’appelant avait demandé à M. Wallace de téléphoner à la police pour qu’il puisse se livrer. Deux jours plus tard, l’équipe de recherche et de sauvetage au sol de Yarmouth et des environs a trouvé, sous une rampe de planche à roulettes située près du club de tir local, le fusil de calibre 12 utilisé par l’appelant lors de la fusillade, lequel fusil ne portait aucune empreinte digitale. L’appelant a été accusé de meurtre au premier degré et de tentative de meurtre, en vertu du par. 235(1) et de l’art. 239 du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46.
7. Au procès, l’appelant a produit un aveu, conformément à l’art. 655 du Code criminel, dans lequel il reconnaissait avoir tiré les deux coups de feu ayant causé la mort de M. Hurlburt. Il a toutefois plaidé non coupable aux accusations en invoquant les motifs suivants: (1) en vertu de l’art. 16 du Code criminel, sa responsabilité criminelle n’était pas engagée à l’égard de son acte parce que, au moment de la fusillade, il était atteint de troubles mentaux qui le rendaient incapable de juger de la nature et de la qualité de cet acte ou de savoir qu’il était mauvais, et (2) il n’avait pas eu l’intention requise de tuer M. Hurlburt. L’appelant a notamment fait comparaître deux psychiatres qui ont témoigné qu’à l’époque pertinente il souffrait de stress post‑traumatique qui l’empêchait de comprendre la nature ou la qualité de ses actes, ou de former l’intention de les accomplir.
8. À la fin de la présentation de la preuve des parties, le juge du procès a donné ses directives au jury. Dans un long exposé de 62 pages et d’une durée de trois heures, le juge du procès a consacré presque 15 pages à l’examen de la preuve des troubles mentaux que l’appelant avait produite à l’appui du premier volet de son moyen défense fondé sur la «non‑responsabilité criminelle», qu’il avait invoqué en vertu de l’art. 16. En analysant, par la suite, les questions de la «préméditation et [du] propos délibéré» (tel que requis pour justifier une déclaration de culpabilité de meurtre au premier degré au sens du par. 231(2) du Code criminel), le juge du procès a choisi de ne pas se répéter. Il a affirmé:
[traduction] En examinant si le meurtre a été commis avec préméditation et de propos délibéré, vous devriez tenir compte de toute la preu. . ., de toutes les circonstances et de toute la preuve.
En ce qui concerne l’élément d’intention et la question de savoir si M. Jacquard était criminellement responsable ou s’il ne l’était pas en raison de troubles mentaux, j’ai longuement analysé la preuve, et je ne vois aucune raison de répéter ce que je vous ai déjà dit.
Aucune objection n’a été soulevée à l’égard de l’exposé au jury à ce moment-là.
9. Le jury a reconnu l’appelant coupable des deux infractions et l’a condamné à l’emprisonnement à perpétuité sans possibilité de bénéficier de la libération conditionnelle avant 25 ans. Lors de l’appel interjeté à l’encontre de la déclaration de culpabilité de meurtre au premier degré, l’appelant a fait valoir que l’exposé au jury était inacceptable à deux égards. Premièrement, il a soutenu que les directives du juge du procès n’indiquaient pas clairement au jury que le fardeau de preuve relativement aux questions d’intention et de «préméditation et propos délibéré» incombait au ministère public, et que la preuve des troubles mentaux de l’appelant devait être réexaminée en fonction de ces questions. Deuxièmement, l’appelant a allégué que le juge du procès avait donné au jury des directives erronées sur la «conscience de culpabilité». Il a reproché au juge du procès non seulement d’avoir éveillé l’attention des jurés sur le fait que le fusil avait été caché et qu’il ne portait aucune empreinte digitale, mais encore de leur avoir dit que le fait qu’un accusé tente de cacher ou de détruire un élément de preuve peut être un indice de «conscience de culpabilité».
10. La Cour d’appel de la Nouvelle‑Écosse (les juges Hallett, Matthews et Chipman) a rejeté l’appel pour les raisons exposées par le juge Chipman: (1995), 138 N.S.R. (2d) 352, 394 A.P.R. 352. Sur le premier point, la Cour d’appel a statué, même si le juge du procès avait pu être plus explicite, il était raisonnable de conclure, après avoir lu attentivement l’ensemble de l’exposé, que le jury devait avoir compris que la preuve médicale de l’état mental de l’appelant était pertinente pour trancher la question de la préméditation et du propos délibéré, que le juge du procès avait correctement et suffisamment définie. Sur le deuxième point, la Cour d’appel a statué que le jury avait non seulement le droit de tenir compte du fait que le fusil avait été caché et ne portait aucune empreinte digitale, mais aussi de déduire l’existence d’une conscience de culpabilité. Par conséquent, aucune des lacunes alléguées dans l’exposé au jury ne constituait une erreur justifiant annulation.
11. Le 11 avril 1995, l’appelant a déposé un avis de demande d’autorisation de pourvoi devant notre Cour. La demande a été entendue par les juges La Forest, Cory et Major. Le 12 octobre 1995, la Cour a accordé l’autorisation de pourvoi et confirmé la nécessité d’examiner les deux questions suivantes que l’appelant avait soulevées:
[traduction]
1. La Cour d’appel de la Nouvelle‑Écosse a‑t‑elle commis une erreur en statuant que le juge du procès avait donné au jury des directives suffisantes sur les éléments essentiels des diverses questions en litige ainsi que sur les éléments de preuve substantielle connexes, en particulier la question de la préméditation et du propos délibéré?
2. La Cour d’appel de la Nouvelle‑Écosse a‑t‑elle commis une erreur en confirmant les directives du juge du procès au jury selon lesquelles la preuve permettait de déduire que le requérant avait effacé ses empreintes digitales sur le fusil, et de déduire autre chose d’un tel comportement, à savoir la conscience de culpabilité?
Pour les motifs exposés ci‑dessous, je suis d’avis qu’il y a lieu de rejeter le pourvoi sur les deux points.
II. Les dispositions législatives pertinentes
12. Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46
16. (1) La responsabilité criminelle d’une personne n’est pas engagée à l’égard d’un acte ou d’une omission de sa part survenu alors qu’elle était atteinte de troubles mentaux qui la rendaient incapable de juger de la nature et de la qualité de l’acte ou de l’omission, ou de savoir que l’acte ou l’omission était mauvais.
231. . . .
(2) Le meurtre au premier degré est le meurtre commis avec préméditation et de propos délibéré.
235. (1) Quiconque commet un meurtre au premier degré ou un meurtre au deuxième degré est coupable d’un acte criminel et doit être condamné à l’emprisonnement à perpétuité.
239. Est coupable d’un acte criminel et passible de l’emprisonnement à perpétuité quiconque, par quelque moyen, tente de commettre un meurtre.
655. Lorsqu’un accusé subit son procès pour un acte criminel, lui‑même ou son avocat peut admettre tout fait allégué contre l’accusé afin de dispenser d’en faire la preuve.
III. Analyse
A. La preuve des troubles mentaux
(1) La nécessité de répéter la preuve relativement à chaque question en litige
13. On a laissé entendre que le juge du procès aurait dû répéter toute la preuve des troubles mentaux de l’appelant et dire expressément au jury comment il devrait réexaminer cette preuve en fonction des autres questions juridiques soulevées en appel, en particulier le fardeau qui incombait au ministère public de prouver que l’appelant avait commis avec préméditation et de propos délibéré le meurtre de Sandy Hurlburt. J’hésite toutefois à conclure qu’un exposé au jury de 62 pages et d’une durée de trois heures aurait pu être amélioré s’il avait été plus long. Je ne saurais trop insister sur le fait que le rôle du juge du procès, dans son exposé au jury, est de clarifier et de simplifier.
14. Les tribunaux ont reconnu qu’il n’est pas nécessaire de répéter la preuve lorsqu’il suffit de l’exposer une seule fois. Voir R. c. McColeman (1991), 11 W.A.C. 128 (C.A.C.‑B.). Dans McColeman, le juge en chef McEachern affirme, à la p. 137:
[traduction] Si je comprends bien, la loi n’exige pas qu’un juge examine plus d’une fois la preuve pertinente, même si celle‑ci peut se rapporter à plus d’une question en litige, quoiqu’il soit souvent utile d’établir un lien entre des éléments de preuve importants et les questions examinées. [. . .] Bien que la crainte de prolixité ne puisse jamais entrer en ligne de compte si l’équité l’exige, j’hésite naturellement à obliger les juges du procès à répéter des choses qu’il suffit de dire une seule fois.
Dans bien des cas, le juge du procès n’a qu’à examiner une seule fois les éléments de preuve pertinents, et n’est pas tenu d’analyser la preuve pour chaque question essentielle. Voir John c. La Reine, [1971] R.C.S. 781, Cluett c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 216. Les directives sont appropriées dans la mesure où, en examinant l’ensemble de l’exposé du juge du procès au jury, une cour d’appel conclut que le jury avait une compréhension suffisante des faits relatifs aux questions pertinentes. Voir Cluett, précité, à la p. 231. Dans Azoulay c. The Queen, [1952] 2 R.C.S. 495, le juge Taschereau affirme, aux pp. 497 et 498:
[traduction] La règle qui a été établie et constamment suivie veut que, dans un procès devant jury, le juge qui préside l’audience doive, sauf dans les rares cas où il serait inutile de le faire, examiner les parties essentielles de la preuve et exposer au jury la thèse de la défense afin de lui permettre d’apprécier la valeur et l’incidence de cette preuve, et la façon d’appliquer le droit aux faits constatés.
15. En l’espèce, le juge du procès a analysé minutieusement la preuve des troubles mentaux de l’appelant lorsqu’il a examiné le moyen de défense fondé sur l’art. 16. Plus tard, lorsqu’il a abordé la question de la «préméditation et [du] propos délibéré», il a décidé de ne pas répéter ce qu’il avait déjà analysé à fond. Il a dit:
[traduction] En examinant si le meurtre a été commis avec préméditation et de propos délibéré, vous devriez tenir compte de toute la preu. . . de toutes les circonstances et de toute la preuve.
En ce qui concerne l’élément d’intention et la question de savoir si M. Jacquard était criminellement responsable ou s’il ne l’était pas en raison de troubles mentaux, j’ai longuement analysé la preuve, et je ne vois aucune raison de répéter ce que je vous ai déjà dit.
Plus loin, il a récapitulé:
[traduction] J’ai remarqué, pendant le procès, que vous aviez écouté attentivement les témoins. Je vous ai demandé d’examiner les faits . . . Je vous ai demandé, compte tenu des faits dont vous aviez reconnu l’existence à partir de la preuve, et compte tenu du sens juridique de l’expression «avec préméditation et de propos délibéré», que je vous ai expliqué, si M. Jacquard a prémédité le meurtre de M. Hurlburt et, le cas échéant, s’il l’a commis de propos délibéré. Je vous rappelle qu’un meurtre ne peut être un meurtre au premier degré que s’il a été commis avec préméditation et de propos délibéré. Encore une fois, je vous rappelle qu’un meurtre ne peut être un meurtre au premier degré que s’il a été commis avec préméditation et de propos délibéré.
Ce n’était pas la seule fois où le juge du procès s’est contenté de mentionner au jury la preuve des troubles mentaux. Il a fait la même chose en analysant d’autres questions en litige. Par exemple, après avoir consacré presque 15 pages à établir un lien entre la preuve des troubles mentaux de l’accusé et le premier aspect du moyen de défense fondé sur l’art. 16, il s’est abstenu de répéter de nouveau toute la preuve relativement au deuxième aspect du moyen de défense fondé sur l’art. 16. Le juge du procès a dit :
[traduction] Je vous demande de tenir compte, en examinant si M. Jacquard savait au moment de l’infraction que ses actes étaient mauvais, de la preuve que je viens tout juste d’analyser avec vous quant à savoir si M. Jacquard était capable de juger de la nature et de la qualité de ses actes.
Encore une fois, en donnant au jury des directives sur l’accusation de tentative de meurtre découlant des coups de feu tirés sur Mme Wilkinson, le juge a dit:
[traduction] Pour déclarer l’accusé coupable de tentative de meurtre, vous devez être convaincus hors de tout doute raisonnable qu’il avait l’intention de tuer Barbara Marie Wilkinson. Il doit s’agir de l’intention spécifique de la tuer et non pas de la blesser, de la défigurer ou de l’estropier. Si vous décidez que M. Jacquard n’était pas atteint de troubles mentaux qui le rendaient incapable de juger de la nature et de la qualité de ses actes, ou de savoir qu’ils étaient mauvais, je vous demande d’examiner encore la preuve des troubles mentaux et tous les autres éléments de preuve pour déterminer si l’accusé avait l’intention spécifique de commettre l’infraction de tentative de meurtre.
16. À mon avis, le juge du procès avait le droit de ne pas répéter la preuve des troubles mentaux de l’appelant chaque fois qu’il examinait une question à l’égard de laquelle cette preuve était pertinente. En demandant au jury de réexaminer toutes les circonstances et tous les éléments de preuve, il s’est acquitté de son obligation d’établir un lien entre la preuve essentielle des troubles mentaux de l’appelant et la question de la «préméditation et [du] propos délibéré». En fait, je refuse de conclure que répéter la preuve aurait amélioré l’exposé. Dans bien des cas, répéter la preuve ne contribue qu’à confondre les questions en litige, ce qui rend les directives moins parfaites et non le contraire.
(2) La nécessité de mentionner la preuve au moment opportun
17. Quoiqu’il n’ait pas insisté sur cet argument dans son mémoire, l’appelant a d’abord soutenu, à l’audience, que le juge du procès n’avait pas suffisamment indiqué au jury que la preuve des troubles mentaux de l’appelant était pertinente pour déterminer s’il avait eu l’intention de causer la mort de M. Hurlburt.
18. Il est vrai que le juge du procès a parlé de l’intention de façon générale. Il a dit:
[traduction] En fin de compte, vous aurez à examiner toutes les circonstances, y compris ce que M. Jacquard, l’accusé, a dit et fait, pour décider si le ministère public a prouvé que Clayton Jacquard avait effectivement l’intention de causer la mort de M. Hurlburt.
Toutefois, le juge du procès a été clair et catégorique à au moins deux reprises, plus loin dans ses directives. Premièrement, en analysant les questions de l’intention et de l’infraction incluse d’homicide involontaire coupable, il a affirmé:
[traduction] Si M. Jacquard a fait feu sur M. Hurlburt et l’a tué, ce qui est un acte illégal, mais que vous n’êtes pas convaincus hors de tout doute raisonnable qu’il avait l’intention spécifique de commettre un meurtre, vous devrez alors déclarer l’accusé coupable non pas de meurtre mais d’homicide involontaire coupable. Je vous dis aussi qu’après avoir examiné si M. Jacquard n’était pas criminellement responsable en raison de troubles mentaux, comme je vous ai demandé de le faire en commençant vos délibérations, si vous n’êtes pas convaincus, suivant la prépondérance des probabilités, que M. Jacquard était atteint de troubles mentaux dans la mesure nécessaire pour pouvoir prononcer le verdict spécial de non‑responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux, je vous demande d’examiner encore la preuve des troubles mentaux et les autres éléments de preuve pour déterminer si M. Jacquard avait l’intention spécifique de commettre l’infraction de meurtre. Je vous demande d’examiner toute la preuve, y compris les témoignages des Drs Rosenberg, Bradford et Akhtar.
Deuxièmement, il a récapitulé comme suit en ce qui a trait à la tentative de meurtre:
[traduction] Je vous demande d’examiner toute la preuve, y compris les témoignages des trois psychiatres, en particulier les points sur lesquels leurs opinions divergent, quant à savoir si M. Jacquard avait, au moment de l’infraction, l’intention spécifique de commettre un meurtre ou une tentative de meurtre.
19. L’appelant soutient que cela n’était pas suffisant ‑‑ il était insuffisant, dit‑il, que le juge du procès donne des directives au jury en procédant de cette manière ex post facto. Il prétend que le juge du procès était tenu d’établir un lien entre la preuve des troubles mentaux et la question de l’intention, au moment où cette question s’est posée et non plus tard, dans le cadre de ses directives sur l’homicide involontaire coupable et la tentative de meurtre.
20. Je juge cette position est trop exigeante. Même si je devais conclure que le jury aurait pu, au départ, avoir l’impression que la preuve des troubles mentaux n’était pas pertinente relativement à la question de l’intention, les commentaires subséquents du juge du procès ont fait disparaître toute prétendue incertitude. Il faut examiner l’exposé au jury au complet. Le juge du procès a clairement indiqué au jury, avant ses délibérations, que l’intention pouvait être neutralisée par la preuve des troubles mentaux de l’accusé. Je ne vois donc pas comment il peut avoir donné une directive erronée. Même si cette partie de l’exposé n’était peut‑être pas parfaite, elle était certainement juste et équitable.
(3) La nécessité de donner au jury des directives appropriées sur la façon dont la preuve des troubles mentaux s’appliquait aux autres questions juridiques
21. Ces conclusions initiales ne mettent pas fin à l’analyse. L’appelant ne soutient pas simplement que la preuve de ses troubles mentaux aurait dû être répétée chaque fois qu’elle était pertinente ‑‑ que ce soit dans le contexte de l’«intention» ou de la «préméditation et [du] propos délibéré». Il prétend que, même si le jury comprenait que la preuve était pertinente relativement à chaque question en litige, il ne comprenait pas comment elle s’appliquait. En d’autres termes, le jury n’a pas reçu des directives appropriées sur les questions juridiques elles‑mêmes.
22. L’appelant fait valoir que le jury n’a pas bien compris que, même si la preuve des troubles mentaux ne justifiait pas un moyen de défense fondé sur l’art. 16 ou si elle ne réfutait pas la preuve d’intention, elle pourrait néanmoins susciter un doute raisonnable quant à savoir si l’accusé avait la capacité d’agir avec préméditation et de propos délibéré, et s’il l’a effectivement fait. Voir, par exemple, McMartin c. The Queen, [1964] R.C.S. 484; More c. The Queen, [1963] R.C.S. 522; R. c. Mitchell, [1964] R.C.S. 471; R. c. Kirkby (1985), 47 C.R. (3d) 97 (C.A. Ont.); R. c. Reynolds (1978), 22 O.R. (2d) 353 (C.A.). Il est allégué que le jury n’a pas compris le sens de l’expression «avec préméditation et de propos délibéré», et qu’il n’a pas senti qu’il s’agissait d’une question distincte qui imposait au ministère public un fardeau de preuve différent. Il est aussi allégué que le juge du procès n’a pas suffisamment indiqué au jury qu’il se pouvait bien que des troubles mentaux neutralisent les éléments de préméditation et de propos délibéré sans toutefois réfuter la preuve qu’un accusé avait eu l’intention de tuer.
23. Ces arguments ne me convainquent pas non plus. Le juge du procès a clairement indiqué qu’il incombait au ministère public de prouver hors de tout doute raisonnable l’existence de préméditation et de propos délibéré, et qu’il s’agissait là d’une obligation différente de celle imposée à l’accusé dans le contexte du moyen de défense fondé sur l’art. 16. Dès le début de son exposé, le juge du procès a procédé à une analyse très détaillée du fardeau de preuve, rappelant au jury que [traduction] «[d]u début à la fin, il incombe au ministère public de prouver hors de tout doute raisonnable la culpabilité de l’accusé relativement à ces accusations.» Il a dit plus loin: [traduction] «si vous êtes convaincus que le ministère public a prouvé hors de tout doute raisonnable l’existence de chacun des éléments, votre tâche n’est pas terminée, car vous devez encore décider si le ministère public a prouvé qu’il y a eu meurtre au premier degré» (c.‑à‑d. que le meurtre a été commis avec préméditation et de propos délibéré, au sens du par. 231(2)). Encore plus loin, il a expliqué: [traduction] «Par conséquent, pour pouvoir rendre un verdict de culpabilité de meurtre au premier degré, vous devez être convaincus hors de tout doute raisonnable que le meurtre allégué a été commis avec préméditation et de propos délibéré.» Il convient de comparer ces passages avec les directives du juge du procès relatives au moyen de défense fondé sur l’art. 16. Après avoir lu l’art. 16 au jury, il a dit:
[traduction] Cela signifie que vous devez présumer que M. Jacquard n’était pas atteint de troubles mentaux de nature à l’exonérer de toute responsabilité criminelle au moment où l’infraction a été commise, à moins que le contraire ne soit démontré. Comme M. Jacquard prétend qu’il était atteint de troubles mentaux au moment de l’infraction, il lui incombe de faire la preuve du moyen de défense fondé sur les troubles mentaux. Il doit prouver l’existence de troubles mentaux suivant la prépondérance des probabilités.
Il s’agit d’une norme moins exigeante que la preuve . . . que le hors de tout doute raisonnable que je vous ai expliqué plus tôt. Si vous êtes convaincus qu’il est plus probable que le contraire que M. Jacquard ait été atteint de troubles mentaux qui le rendaient incapable, au moment où il a commis l’infraction, de juger de la nature et de la qualité de ses actes ou de savoir qu’ils étaient mauvais, vous devrez rendre un verdict de non‑responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux.
24. Je conviens avec le juge Chipman [traduction] «qu’il ne pouvait pas y avoir eu de confusion dans l’esprit du jury quant au fait qu’il incombait au ministère public de prouver hors de tout doute raisonnable l’existence de chacun des éléments du meurtre au premier degré. Le juge du procès le lui avait dit en des termes on ne peut plus clairs» (p. 362).
25. Il y a aussi de bonnes raisons de conclure que les jurés ont parfaitement compris que même s’ils concluaient que l’appelant n’avait pas établi suffisamment l’existence d’un moyen de défense fondé sur l’art. 16, il y avait néanmoins encore lieu d’examiner les autres moyens de défense. À la fin de ses directives sur l’art. 16, le juge du procès a fait la mise en garde suivante au jury :
[traduction] Si vous concluez que M. Jacquard n’était pas atteint de troubles mentaux qui le rendaient incapable de juger de la nature et de la qualité de ses actes ou de savoir qu’ils étaient mauvais, vous devrez ensuite trancher les autres questions soulevées dans le premier chef d’accusation.
Le juge du procès a alors examiné les éléments du premier chef d’accusation et a, par la suite, souligné ce que le ministère public devait prouver:
[traduction] Je vous dit que, en droit, le ministère public ne se sera acquitté de ce fardeau de preuve que si vous êtes convaincus hors de tout doute raisonnable que la seule conclusion raisonnable qui peut être tirée des faits qui ont été établis est que l’accusé 1) avait l’intention de tuer Sandy Hurlburt ou de lui causer des lésions corporelles qu’il savait être de nature à causer sa mort, et qu’il lui était indifférent que la mort s’ensuive ou non, 2) que le meurtre de Sandy Hurlburt a été commis avec préméditation et de propos délibéré, et 3) l’accusé avait l’intention de tuer Barbara Marie Wilkinson.
Contrairement à ce qui s’était passé dans une affaire comme R. c. Allard (1990), 57 C.C.C. (3d) 397 (C.A. Qué.), le juge du procès n’a pas dit aux jurés de ne plus tenir compte de la preuve des troubles mentaux de l’accusé une fois réglée la question de l’art. 16. En fait, il leur a dit le contraire à maintes reprises ‑‑ il leur a dit de tenir compte de tous les éléments de preuve disponibles relativement aux autres points.
26. L’argument de l’appelant selon lequel le jury ignorait le sens de l’expression «avec préméditation et de propos délibéré» n’est guère plus convaincant. Le juge du procès a présenté cette expression en disant que [traduction] «[l]es termes «avec préméditation et de propos délibéré» ont des sens différents», et il les a définis d’une manière tout à fait compatible avec la jurisprudence de notre Cour. Voir R. c. Aalders, [1993] 2 R.C.S. 482, More, précité. Voir aussi R. c. Smith (1986), 71 N.S.R. (2d) 229 (C.A.), R. c. Palmer (1986), 12 O.A.C. 181 (C.A.). Il a affirmé qu’il y a [traduction] «préméditation» si quelque chose est organisé d’avance conformément à un «dessein» ou à un «projet». Il a dit qu’un acte est accompli [traduction] «de propos délibéré» s’il est «réfléchi» ou «mûrement réfléchi» plutôt que «précipité», «irréfléchi» ou «impulsif». Il a ajouté [traduction] «[qu’une] personne commet un meurtre de propos délibéré lorsqu’elle songe aux conséquences», c.‑à‑d. lorsqu’elle envisage les avantages et les inconvénients de commettre le meurtre.
27. Il est vrai qu’un facteur, comme les troubles mentaux, qui est insuffisant pour neutraliser l’accusation selon laquelle l’accusé avait l’intention de tuer peut néanmoins suffire à neutraliser les éléments de préméditation et de propos délibéré. Il en est ainsi parce qu’une personne peut avoir l’intention de tuer et néanmoins accomplir cet acte de manière impulsive plutôt que réfléchie. La capacité mentale requise pour former une simple intention est moindre que celle qui est nécessaire pour agir avec préméditation et de propos délibéré.
28. Dans R. c. Wallen, [1990] 1 R.C.S. 827, la Cour a notamment abordé la question de savoir si cette distinction devait être expliquée au jury dans le contexte du moyen de défense fondé sur l’intoxication. Les cinq juges qui ont entendu l’affaire ont convenu à l’unanimité que le juge du procès devait donner comme directive au jury d’examiner les effets de l’intoxication séparément, pour chacun des aspects de la défense de l’accusé. Toutefois, les trois juges majoritaires (moi‑même étant dissident) ont conclu que, même si c’est la meilleure chose à faire, l’obligation d’informer expressément le jury de la distinction entre le degré d’intoxication requis pour neutraliser l’intention de tuer et celui requis pour neutraliser la préméditation et le propos délibéré n’est pas une règle absolue. En d’autres termes, les juges majoritaires ont statué que le juge du procès n’a pas à aviser le jury des distinctions plus subtiles qui existent entre la manière dont l’incapacité mentale d’un accusé peut miner sa capacité de former une intention par opposition à sa capacité d’agir avec préméditation et de propos délibéré.
29. Je n’ai pas l’intention de rouvrir ce débat. Je ne veux pas non plus établir une distinction juridique ‑‑ qui serait presque certainement ténue ‑‑ entre les effets de l’intoxication par rapport aux effets de troubles mentaux dans ce contexte. Bien que la défense de «non‑responsabilité criminelle» fondée sur l’art. 16 soit complètement différente de la défense d’intoxication, la préméditation et le propos délibéré impliquent des processus mentaux plus complexes et plus stables que la simple intention de tuer, et ce fait ne change pas d’une forme de déficience intellectuelle à une autre.
30. Par conséquent, bien que la même logique s’applique autant dans le contexte des troubles mentaux que dans celui de l’intoxication, notre Cour a affirmé, dans Wallen, que le juge du procès n’a pas à être explicite sur les différences subtiles qui existent entre la manière dont la preuve de troubles mentaux peut neutraliser l’«intention» par rapport à la «préméditation et [au] propos délibéré». Il suffit que, dans leur ensemble, ses directives fassent prendre conscience au jury que la preuve des troubles mentaux de l’appelant doit être examinée relativement à chacune des questions en litige, et ne l’amènent pas à croire à tort que conclure à l’existence de l’intention oblige nécessairement à statuer qu’il y a eu préméditation et propos délibéré. À mon avis, c’est exactement ce que le juge du procès a fait en l’espèce.
31. Il est indubitable que le juge du procès a traité la question de la préméditation et du propos délibéré séparément des autres points en litige, et qu’il a éveillé l’attention du jury sur le fait que la preuve des troubles mentaux de l’appelant était pertinente pour trancher cette question. De plus, il a indiqué au jury que ni les termes «avec préméditation» ni les termes «de propos délibéré» ne correspondent à «intentionnel». Il a dit au jury [traduction] «[qu’]une personne peut avoir l’intention de tuer quelqu’un sans avoir prémédité de le faire». Indiquer au jury que l’appelant pouvait avoir l’intention d’accomplir un acte sans agir avec préméditation et de propos délibéré revient à lui faire comprendre qu’il se pouvait bien que les troubles mentaux de l’appelant aient miné sa capacité d’agir avec préméditation et de propos délibéré sans avoir miné sa capacité de former une intention.
32. Après avoir lu et relu l’exposé du juge, je ne doute nullement que le jury a reçu des directives appropriées sur le sens, la portée et l’effet de l’expression «avec préméditation et de propos délibéré». De plus, je ne saurais trop insister sur le fait que le droit d’un accusé à un jury ayant reçu des directives appropriées n’équivaut pas au droit à un jury ayant reçu des directives parfaites. L’accusé a droit à un jury qui comprenne le lien qui existe entre la preuve et les questions juridiques soulevées. Cela requiert une analyse fonctionnelle des directives qui ont été données, et non pas une analyse idéalisée des directives qui auraient pu être données. Je considère que cette analyse fonctionnelle vient étayer davantage la conclusion que les jurés ont reçu des directives appropriées en l’espèce. Je m’explique.
33. Premièrement, nous ne devons pas dissocier l’exposé du juge au jury du contexte plus général du procès. Comme le juge Chipman l’a souligné dans le jugement qu’il a rendu au nom de la Cour d’appel de la Nouvelle‑Écosse, il convient de noter que l’appelant n’a pas soulevé expressément la question de la «préméditation et [du] propos délibéré» comme une question en litige au procès (aux pp. 361 et 362). L’appelant n’a pas interrogé ses experts sur sa capacité d’agir avec préméditation et de propos délibéré. L’avocat de la défense n’a pas non plus, dans sa plaidoirie, indiqué au jury qu’il s’agissait d’une question qu’il devait examiner. En fait, l’appelant a fait valoir qu’il disposait de deux arguments principaux: (1) sa responsabilité criminelle n’était pas engagée parce qu’il était atteint de troubles mentaux, au sens de l’art. 16 du Code criminel, et (2) il n’avait eu ni l’intention d’assassiner Sandy Hurlburt ni la capacité d’avoir cette intention. Cela ne libère sûrement pas le ministère public de son obligation de prouver hors de tout doute raisonnable l’existence de tous les éléments d’une infraction, mais c’est utile pour expliquer pourquoi les directives du juge du procès sur la question de la «préméditation et [du] propos délibéré» peuvent avoir été plus courtes et moins détaillées que celles portant sur d’autres points. La défense n’était pas axée sur la question de la préméditation et du propos délibéré.
34. Deuxièmement, bien que la défense ne se soit pas concentrée sur ce point, le ministère public a clairement indiqué que la capacité de l’appelant de former une intention et d’agir avec préméditation et de propos délibéré était en cause. Au milieu de son réquisitoire au jury, le ministère public a dit:
[traduction] Maintenant, il peut y avoir un certain nombre d’éléments de preuve que je n’ai pas encore abordés mais qui ont néanmoins une incidence sur la question de euh, de l’intention et de la capacité d’agir avec préméditation [et] de propos délibéré, ainsi que sur celle de savoir s’il a effectivement commis l’homicide avec préméditation et de propos délibéré, et je vais les examiner brièvement selon l’ordre dans lequel je les ai énumérés.
Le ministère public a effectivement contre‑interrogé les témoins experts de l’appelant sur la question de la préméditation et du propos délibéré. Il leur a notamment soumis des hypothèses destinées à démontrer la capacité de l’appelant d’agir avec préméditation et de propos délibéré, d’où l’échange suivant entre le ministère public et le Dr Edwin Rosenberg:
[traduction]
Q. Monsieur, seriez‑vous d’accord avec moi pour dire que la personne que j’ai décrite dans l’hypothèse était sûrement capable d’agir avec préméditation et de propos délibéré? Eh bien! oublions les faits de l’affaire ou ceux sur lesquels reposait l’opinion que vous avez donnée à M. Pink. Présumons qu’il s’agit des faits dont il est question dans l’hypothèse que j’ai formulée devant vous?
R. Oh! sûrement, de la manière dont vous l’avez décrit dans votre hypothèse, l’individu était capable d’agir avec préméditation.
Q. Ne seriez‑vous pas d’accord pour dire qu’il était aussi capable de réfléchir aux conséquences de ses actes?
R. Oui.
Q. Et il était aussi capable de former l’intention spécifique de tuer?
R. Oui.
Plus loin, le ministère public confirme:
[traduction]
Q. Je pense que c’est assez élémentaire. Les faits que j’ai exposés dans mon hypothèse montrent une personne qui, comme vous l’avez dit, est capable d’agir avec préméditation et aussi capable d’adopter un comportement guidé par un objectif, c’est‑à‑dire qu’elle se fixe un objectif et prend les diverses mesures pour l’atteindre; n’est‑ce pas?
R. Oui.
De même, le ministère public a eu l’échange suivant avec le Dr John Bradford lors de son contre‑interrogatoire:
[traduction]
Q. Si une personne préméditait de . . . si une personne souffrait du syndrome de stress post‑traumatique, elle serait néanmoins capable de préméditer des actes et de les exécuter dans une certaine situation, on parle ici de façon générale encore une fois?
R. Oui, de façon générale, oui.
À mon avis, le fait que le ministère public ait orienté la preuve sur cette question contribue à jeter un doute considérable sur l’argument de l’appelant voulant que les membres du jury n’aient pas eu collectivement à l’esprit la capacité de l’appelant d’agir avec préméditation et de propos délibéré.
35. Troisièmement, l’avocat de la défense n’a pas commenté la directive erronée qui aurait suivi l’exposé au jury. À la fin de l’exposé, les avocats des deux parties ont eu pleinement l’occasion d’exprimer tout doute qu’ils pouvaient avoir au sujet de son contenu. En réponse, ils ont proposé au juge une directive supplémentaire conjointe qui exposait une série de questions que les jurés devraient examiner pour rendre leur décision. Le juge du procès a accepté cette proposition et, après y avoir apporté certaines modifications, il a soumis la liste de questions au jury. En aucun moment toutefois, l’avocat de la défense ne s’est‑il opposé à la manière dont le juge du procès avait procédé en donnant au jury des directives sur la question de la «préméditation et [du] propos délibéré».
36. L’avocat de la défense n’a pas non plus soulevé cette question avant l’exposé au jury, lors de la conférence informelle préalable. Le ministère public avait alors proposé, avec l’assentiment de l’avocat de la défense, que les dispositions pertinentes du Code criminel soient présentées au jury pendant ses délibérations. Fait révélateur, même si l’avocat de la défense s’est opposé à ce que la définition de l’expression «avec préméditation et de propos délibéré» soit présentée avec les articles eux‑mêmes, il n’a exprimé aucune crainte que la question de la «préméditation et [du] propos délibéré» soit traitée d’une certaine manière. Il ne faudrait pas oublier que la question de la préméditation et du propos délibéré était encore fraîche à la mémoire de l’avocat de la défense. L’absence alléguée de préméditation et de propos délibéré était le motif invoqué à l’appui de la requête en obtention d’un verdict imposé, que l’appelant avait antérieurement soumise en vain.
37. Cette remarque ne revient pas à dire qu’une partie renonce à son droit d’appel contre une directive erronée au jury, du fait qu’elle ne soulève pas cette question pendant l’exposé. Dans R. c. Arcangioli, [1994] 1 R.C.S. 129, notre Cour a très clairement indiqué que l’omission de l’avocat de la défense de s’opposer à l’exposé au jury n’est pas déterminante, du moins dans le contexte de l’applicabilité de la disposition réparatrice du Code criminel. Même si une telle règle avait pour effet d’inciter fortement les avocats à examiner attentivement l’exposé au jury et à les empêcher de choisir de ne pas s’y opposer pour des raisons stratégiques, la Cour n’a pas perdu de vue le fait que l’exposé au jury est la responsabilité du juge du procès et non de l’avocat de la défense. Une telle règle pourrait aussi nettement porter atteinte au droit d’appel d’un accusé dans les cas où son avocat manquerait d’expérience en matière de procès devant un jury.
38. Néanmoins, il vaut la peine de prendre en considération l’omission de l’avocat de la défense de faire des commentaires au procès. Dans Thériault c. La Reine, [1981] 1 R.C.S. 336, même si j’étais dissident pour d’autres motifs sans rapport avec cette question, le juge Dickson (plus tard Juge en chef) a exposé le point de vue approprié, aux pp. 343 et 344: «[b]ien que ce ne soit pas concluant, il n’est pas sans importance de remarquer que l’avocat de l’accusé n’a fait aucun commentaire, à la fin de l’exposé, sur l’omission du juge du procès d’attirer l’attention du jury sur les témoignages». À mon avis, l’omission de l’avocat de la défense de s’opposer à l’exposé est révélatrice quant à la justesse générale des directives au jury et à la gravité de la directive qui serait erronée.
39. Quatrièmement, il ne s’agit pas en l’espèce d’une directive erronée. Contrairement à ce qu’allègue l’appelant, la présente affaire n’est pas analogue à More, précité. Il s’agissait dans More d’une affaire de meurtre qualifié où l’accusé avait fait témoigner des experts en psychiatrie qui ont déclaré qu’il était atteint de psychose grave au moment du meurtre. Au lieu de laisser tout simplement le jury examiner les témoignages des experts, le juge du procès a lu au jury des extraits d’ouvrages sur la preuve qui indiquaient que l’on considère souvent que les témoignages d’experts ont peu de valeur et qu’ils favorisent la partie qui font témoigner les experts en question. C’était manifestement une directive erronée parce qu’elle minait l’essentiel de la preuve de l’accusé en indiquant au jury qu’il devrait accorder peu de poids ou d’importance à la preuve médicale. L’exposé du juge du procès au jury revenait à retirer la défense.
40. La présente affaire n’est pas non plus analogue à l’affaire Allard, précitée. Dans Allard, l’accusée avait été inculpée du meurtre au premier degré de son mari mort empoisonné. Elle a soutenu, pour sa défense, qu’elle souffrait de psychose maniacodépressive et qu’elle avait donc été incapable de juger des conséquences de son acte. Le juge du procès a donné comme directive au jury d’examiner le moyen de défense fondé sur l’aliénation mentale que l’accusée avait invoqué, mais il a ajouté que s’il en arrivait à la conclusion qu’elle n’avait pas réussi à prouver qu’elle était atteinte d’aliénation mentale suivant la prépondérance des probabilités, il devrait [traduction] «écarter complètement ce moyen de défense». La Cour d’appel du Québec a considéré qu’il s’agissait là d’une directive erronée. Si le moyen de défense fondé sur l’aliénation mentale échouait, le jury devrait néanmoins examiner la preuve relative à la psychose de l’accusée en fonction de l’obligation du ministère public d’établir l’existence de l’intention hors de tout doute raisonnable. Cela est complètement différent de la présente affaire où le juge du procès n’a pas dit au jury de ne pas tenir compte de la preuve des troubles mentaux si l’existence du moyen de défense fondé sur l’art. 16 n’était pas établie. En fait, il a expressément donné des directives contraires.
41. Appliquant l’analyse fonctionnelle des directives au jury dans le contexte plus général du procès de l’appelant, je juge qu’il y a de bonnes raisons de conclure que le jury a reçu des directives appropriées. Il a été très bien informé du sens, de la portée et de l’effet de l’exigence de «préméditation et [de] propos délibéré», et il a compris qu’il devait tenir compte de la preuve de l’état mental de l’appelant pour déterminer s’il avait la capacité «d’agir avec préméditation et de propos délibéré», et s’il l’avait effectivement fait.
B. La conscience de culpabilité
42. Dans certaines circonstances, les actes qu’un accusé accomplit à la suite d’un crime peuvent être un indice de culpabilité. Le jury peut se servir de ce genre de preuve circonstancielle pour déduire l’existence de ce qu’on a appelé la «conscience de culpabilité». Les déductions de l’existence de cette conscience émanent le plus souvent de la fuite d’un accusé des lieux du crime.
43. En l’espèce, le juge du procès a cru que le jury pourrait tirer des conclusions analogues du fait que l’arme du crime avait été cachée et qu’elle ne portait pas les empreintes digitales de l’appelant. Assez tôt dans son exposé au jury, le juge du procès a fait les observations suivantes:
[traduction] En l’espèce, il existe une preuve que l’accusé a tenté de dissimuler ou de détruire des éléments de preuve contre lui. Il y a une preuve que le fusil et les munitions ont été cachés sous la rampe de planche à roulettes. Il y avait aussi une preuve que le fusil trouvé sous la rampe de planche à roulettes ne portait aucune empreinte digitale même s’il y a une autre preuve que l’accusé a fait feu avec ce fusil au moment où il l’aurait manipulé. La preuve qu’un accusé tente de dissimuler ou de détruire des éléments de preuve peut être une preuve de la conscience de culpabilité.
Le droit reconnaît qu’une personne coupable tentera parfois de dissimuler ou de détruire des éléments de preuve afin d’échapper aux conséquences de son crime. Il vous appartient de décider si la conduite de l’accusé dénote une conscience de culpabilité. Évidemment, vous devez être convaincus hors de tout doute raisonnable que l’accusé a bel et bien tenté de dissimuler ou de détruire des éléments de preuve, avant de pouvoir utiliser cette preuve de la conscience de culpabilité. Si vous n’êtes pas convaincus que l’accusé a tenté de dissimuler ou de détruire des éléments de preuve, vous devez alors vous abstenir de tenir compte de la preuve de la tentative alléguée. Si vous êtes convaincus que l’accusé a tenté de dissimuler ou de détruire des éléments de preuve, vous devez déterminer s’il s’agit là d’une preuve de la conscience de culpabilité. Rappelez‑vous que la connaissance coupable n’est pas la seule raison qui peut pousser une personne à tenter de dissimuler ou de détruire des éléments de preuve. Par exemple, quelqu’un peut tenter de le faire sous l’effet de la crainte ou pour une autre raison n’ayant rien à voir avec la connaissance coupable. Vous devriez tenir compte de toutes les circonstances de la tentative alléguée de dissimuler ou de détruire des éléments de preuve, au moment de décider si cette tentative est une preuve de la conscience de culpabilité. N’oubliez pas que toute conclusion que vous pourrez tirer que l’accusé a tenté de dissimuler ou de détruire des éléments de preuve n’est pas suffisante en soi pour prouver sa culpabilité hors de tout doute raisonnable. Il s’agit uniquement d’un élément de preuve que vous pouvez utiliser pour décider si l’accusé est coupable ou non coupable, ou si sa responsabilité criminelle n’est pas engagée en raison de troubles mentaux. [Je souligne.]
44. En toute déférence, je ne suis pas d’accord avec la conclusion initiale du juge Chipman que cette directive était tout à fait appropriée. Pour en arriver à cette conclusion, je n’ai pas à examiner si la preuve permettait de déduire que l’appelant avait effacé ses empreintes digitales sur le fusil. Même si elle le permettait, ce qui, à mon avis, était le cas, la directive était en partie erronée.
45. Généralement, un contrevenant fuit les lieux d’un crime ou dissimule un élément de preuve pour cacher sa participation au crime. Le ministère public produit donc habituellement des éléments de preuve de la fuite ou de la dissimulation pour étayer la thèse que l’accusé était impliqué de quelque manière dans la perpétration de l’infraction. En règle générale, il s’agit d’une conclusion qui découle naturellement de tels éléments de preuve et le juge du procès doit donner des directives en conséquence au jury. Toutefois, lorsque, comme c’est le cas en l’espèce, l’accusé a admis avoir accompli l’actus reus de l’infraction, le juge du procès doit faire montre de plus de circonspection. L’utilisation qui peut être faite de la preuve de la conscience de culpabilité, dans ces circonstances, est plus limitée. Voir Arcangioli, précité; R. c. Marinaro, [1996] 1 R.C.S. 462, inf. (1994), 95 C.C.C. (3d) 74 (C.A. Ont.); R. c. Wiltse (1994), 19 O.R. (3d) 379 (C.A.); R. c. Charlette (1992), 83 Man. R. (2d) 187 (C.A.); R. c. Murray (1994), 93 C.C.C. (3d) 70 (C.A. Ont.); R. c. Bob (1990), 78 C.R. (3d) 102 (C.A. Ont.).
46. Dans Arcangioli, l’accusé avait été inculpé de voies de fait graves pour avoir participé à une bagarre au cours de laquelle son adversaire avait été poignardé. Au procès, il a avoué avoir commis des voies de fait simples en assénant des coups de poing à la victime, mais il a nié l’avoir poignardée. Le juge du procès a néanmoins dit au jury que la fuite de l’accusé des lieux du crime était la preuve d’une conscience de culpabilité et constituait «un facteur à prendre en considération en rendant son verdict» (p. 136). Notre Cour a statué qu’il s’agissait là d’une directive erronée. Étant donné que l’accusé avait avoué qu’il était coupable de voies de fait simples, sa fuite ne pouvait avoir aucune valeur probante car, pour reprendre les termes du juge Major, à la p. 145, «étant donné que la fuite de l’appelant était tout aussi compatible avec les voies de fait simples qu’avec les voies de fait graves, elle ne pouvait constituer une preuve de culpabilité de cette dernière infraction». Le juge Major a précisé: «Toute conclusion à tirer de la fuite disparaît lorsqu’il est possible [. . .] d’en fournir une [autre] explication.»
47. Dans Marinaro, l’accusé avait été inculpé de meurtre au deuxième degré relativement à l’assassinat de son ami. Une demi‑heure après l’altercation fatale au cours de laquelle, au dire de l’accusé, la victime l’avait attaqué en premier avec un couteau, l’accusé est retourné sur les lieux du crime où il a déplacé le corps, a volé certains biens et s’est débarrassé du couteau. L’accusé a d’abord menti à la police au sujet de sa présence sur les lieux du crime, mais il a plus tard avoué avoir poignardé la victime et causé sa mort. Au procès, il a invoqué la légitime défense et la provocation. Dans ses motifs de dissidence qui ont, par la suite, été approuvés par notre Cour, le juge en chef Dubin de la Cour d’appel de l’Ontario a statué, à la p. 81, qu’après que l’accusé eut avoué avoir causé la mort de son ami, la preuve de la conscience de culpabilité [traduction] «avait très peu de pertinence».
48. De même, dans Charlette, l’accusé, âgé de 17 ans, avait été inculpé du meurtre au deuxième degré d’un enfant de deux ans qui avait été aperçu pour la dernière fois en sa compagnie. Le juge du procès a dit aux jurés qu’ils pouvaient déduire la conscience de culpabilité du fait que l’accusé s’était enfui de la région peu après le décès du jeune enfant. Le juge Twaddle de la Cour d’appel du Manitoba a statué qu’il s’agissait là d’une directive erronée. Même si la fuite pouvait permettre de déduire que l’accusé était l’auteur de l’homicide, la conscience de culpabilité de l’accusé ne pouvait pas aider le jury à décider si l’homicide commis était un meurtre ou un homicide involontaire coupable. Sa fuite de la région pouvait être rattachée aux deux infractions et n’avait aucune valeur probante quant à la perpétration d’une infraction en particulier.
49. En l’espèce, l’appelant a avoué qu’il était l’individu qui avait tiré les coups de feu ayant causé la mort de Sandy Hurlburt. Ainsi, ni sa présence sur les lieux de l’homicide ni sa responsabilité matérielle pour avoir fait feu avec l’arme n’étaient en cause au procès. En conséquence, pour établir l’existence de ces éléments de l’infraction, le ministère public n’avait pas à invoquer la preuve que l’appelant avait caché l’arme du crime et qu’il pouvait y avoir effacé ses empreintes digitales. En d’autres termes, cette preuve n’avait aucune valeur probante relativement à ces aspects de l’affaire; en fait, elle n’était pas pertinente à leur égard.
50. Toutefois, contrairement aux affaires Arcangioli, Marinaro ou Charlette, la tentative alléguée de dissimuler l’arme du crime et de détruire des éléments de preuve était une preuve circonstancielle pertinente dont le jury devait tenir compte en évaluant le moyen de défense fondé sur la «non‑responsabilité criminelle» que l’appelant avait invoqué en vertu de l’art. 16. La preuve de la dissimulation ou de la fuite ne dénote peut‑être pas un degré d’infraction particulier, mais elle a néanmoins une certaine incidence sur la question de savoir si l’appelant était capable de juger que l’acte qu’il avait accompli était mauvais. En réalité, tout comme quelqu’un ne cacherait probablement pas l’arme d’un crime ou ne fuirait pas les lieux d’un crime s’il n’était pas responsable de cet acte, il est très peu probable qu’une personne tenterait de dissimuler ses actes si elle était incapable de juger de leur nature et leur qualité ou si elle ne comprenait pas qu’ils sont mauvais. Ce genre de preuve a manifestement une valeur probante* dans un tel cas.
51. Pour ce motif, je conviens avec le juge Chipman qu’il était loisible au jury de tirer une conclusion du fait que le fusil et les munitions avaient été retirés des lieux du crime et qu’ils avaient été, par la suite, trouvés sous la rampe de planche à roulettes, mais seulement dans la mesure où cette conclusion l’aiderait à comprendre les effets des prétendus troubles mentaux sur la capacité de l’appelant de comprendre la nature et la qualité de ses actes. Voir, par exemple, R. c. White (1996), 108 C.C.C. (3d) 1 (C.A. Ont.), à la p. 19.
52. En l’espèce, le juge du procès a commis une erreur non pas en donnant comme directive au jury d’examiner la conscience de culpabilité, parce qu’une telle conclusion était manifestement pertinente, mais en affirmant que la preuve en cause était [traduction] «un élément de preuve que vous pouvez utiliser pour décider si l’accusé est coupable ou non coupable, ou si sa responsabilité criminelle n’est pas engagée en raison de troubles mentaux» (je souligne). Rien dans ces termes n’établit expressément un lien entre la preuve et une infraction particulière. Selon toute probabilité, le juge du procès donnait simplement comme directive au jury d’examiner la preuve de la conscience de culpabilité en fonction de la capacité mentale de l’accusé de former une intention ‑‑ par opposition à sa pertinence relativement au moyen de défense fondé sur l’art. 16. Il est même possible de considérer que la mention [traduction] «coupable ou non coupable» est liée à celle «sa responsabilité criminelle n’est pas engagée» ‑‑ le juge du procès a peut‑être voulu que les expressions [traduction] «non coupable» et «sa responsabilité criminelle n’est pas engagée» soient atténuées par l’expression «en raison de troubles mentaux».
53. Toutefois, je considère qu’il faut dire que les termes utilisés étaient assez ambigus pour pouvoir au moins laisser entendre que le juge du procès établissait un lien inapproprié entre la dissimulation alléguée de l’arme du crime par l’accusé et une infraction particulière, qu’il s’agisse de meurtre au premier degré, de meurtre au deuxième degré ou d’homicide involontaire coupable, et qu’il a donc commis une erreur en utilisant ces termes. Je dois reconnaître que c’est avec une certaine hésitation que je tire cette conclusion qui dénote une norme de perfection dont je me méfie franchement. Cependant, notre Cour affirme, à la p. 145 de l’arrêt Arcangioli, que lorsque le comportement de l’accusé est compatible avec diverses infractions, et que l’accusé a reconnu sa culpabilité à l’égard d’une seule ou de plusieurs parmi ces infractions, «le juge du procès devrait donner comme directive au jury que cette preuve n’a aucune valeur probante relativement à une infraction précise». Pour ce motif, je me sens obligé de conclure que le juge du procès a effectivement commis une erreur de droit en ne prévenant pas expressément le jury que la conscience de culpabilité de l’accusé ne voulait rien dire quant à l’infraction particulière dont il pouvait avoir été coupable.
54. Néanmoins, compte tenu du contexte particulier des faits de la présente affaire et de l’exposé au jury dans son ensemble, je suis convaincu que la déclaration erronée du juge du procès n’aurait pas eu une grande incidence. C’est sur cette question que je vais maintenant faire porter mon analyse.
C. L’application de la disposition réparatrice
55. Malgré les directives erronées que le juge du procès a données sur la «conscience de culpabilité», j’estime qu’il n’y a eu, en l’espèce, aucun tort important ni aucune erreur judiciaire grave. C’est pourquoi, j’estime qu’il convient ici que la Cour applique la disposition réparatrice du sous‑al. 686(1)b)(iii) du Code criminel. J’en arrive à cette conclusion pour quatre raisons principales.
56. Premièrement, les directives du juge du procès sur la «conscience de culpabilité» étaient tempérées par une mise en garde. Abstraction faite de l’erreur commise, l’exposé était juste et pondéré, et ne comportait aucun commentaire explicite sur la justesse des conclusions que le jury pourrait tirer. Voir R. c. Jenkins (1996), 29 O.R. (3d) 30 (C.A.). Le juge du procès n’a pas présumé que l’appelant avait tenté de dissimuler et de détruire des éléments de preuve, et il n’a pas forcé le jury à conclure qu’il s’agissait d’une preuve de conscience de culpabilité. Il a plutôt souligné qu’il appartenait au jury de déterminer si l’appelant avait effectivement tenté de dissimuler ou de détruire des éléments de preuve. Il a aussi insisté de nouveau pour dire qu’il appartenait au jury de décider si cela constituait une preuve de conscience de culpabilité. Il leur a fait une mise en garde: [traduction] «Rappelez‑vous que la connaissance coupable n’est pas la seule raison qui peut pousser une personne à tenter de dissimuler ou de détruire des éléments de preuve. Par exemple, quelqu’un peut tenter de le faire sous l’effet de la crainte ou pour une autre raison n’ayant rien à voir avec la connaissance coupable.» À mon avis, les commentaires du juge du procès étaient bien inoffensifs et très pondérés, et indiquaient au jury de considérer que la dissimulation alléguée de l’arme du crime n’était qu’un élément de preuve à examiner en fonction de l’ensemble de la preuve produite en l’espèce.
57. Deuxièmement, comme je l’ai déjà souligné, dans la mesure où le juge du procès a commis une erreur dans ses directives sur la «conscience de culpabilité», la tentative alléguée de dissimuler l’arme du crime et de détruire des éléments de preuve était un élément de preuve circonstancielle pertinent dont le jury devait tenir compte. Le juge du procès a commis une erreur non pas en faisant allusion à la «conscience de culpabilité», mais en ne limitant pas son applicabilité à la question de l’art. 16.
58. Troisièmement, il m’est extrêmement difficile, dans les circonstances particulières de la présente affaire, de croire que cette erreur mineure aurait poussé un juré raisonnable à rendre un verdict différent. La conscience de culpabilité représentait une petite partie de la preuve à charge contre l’appelant et, pourrait‑on soutenir, un aspect mineur de cette preuve. Les autres éléments de preuve étaient notamment les suivants: l’aveu fondé sur l’art. 655, dans lequel l’appelant a admis avoir fait feu sur Sandy Hurlburt; la preuve d’expert voulant que l’appelant ait été mentalement capable de savoir que tirer ces coups de feu était mauvais; le témoignage selon lequel l’appelant avait été victime de mauvais traitements, conjugué au fait qu’il avait déclaré à sa petite amie qu’il allait «faire payer» l’auteur de ces mauvais traitements; les questions que l’appelant avait posées à Mme Wilkinson afin de savoir quand elle serait de retour à la maison; les instructions données par l’appelant à Mme Wilkinson pour qu’elle ne révèle pas qu’il était chez elle; les appels téléphoniques que l’appelant a faits, avant le meurtre, à son ami à qui il avait fait part de son intention de dévaliser un commerce, [traduction] «de faire autre chose» et de quitter la ville; le nombre de cartouches qui ont été obtenues et utilisées lors des deux fusillades; la présence de deux armes à feu; et le signe de tête affirmatif de l’appelant quand un ami lui a demandé s’il s’était rendu au domicile de M. Hurlburt et de Mme Wilkinson pour abattre M. Hurlburt. À cet égard, le présent pourvoi est très différent de Marinaro, précité, où le juge en chef Dubin a refusé d’appliquer la disposition réparatrice du sous‑al. 686(1)b)(iii). Dans Marinaro, il y avait une preuve importante de la fuite, des fausses déclarations et de la destruction d’éléments de preuve, au sujet de laquelle le juge du procès a donné des [traduction] «directives exhaustives» sur la conscience de culpabilité. Le juge en chef Dubin n’était pas convaincu qu’un jury ayant reçu des directives appropriées n’aurait pas conclu différemment. Dans le présent pourvoi, la preuve de la conscience de culpabilité n’était qu’un élément mineur parmi tous les autres éléments de preuve incriminants qui avaient été produits. Voir Wiltse, précité, à la p. 386.
59. De plus, je ne puis concevoir comment, en l’espèce, un juré raisonnable saisi de la preuve que l’accusé avait dissimulé l’arme du crime en aurait déduit que l’accusé était davantage susceptible d’avoir commis un meurtre au premier degré, un meurtre au deuxième degré ou même un homicide involontaire coupable. Ce dont nous discutons après tout, c’est d’une simple question de logique et non d’un sujet qui exige des compétences ou connaissances particulières. Il est clair que la preuve de la fuite des lieux d’un homicide ou de la dissimulation de l’arme utilisée pour le commettre, ou des deux à la fois, n’a aucune pertinence relativement à la question de l’état d’esprit de l’individu au moment où il a commis le meurtre ou avant, si ce n’est pour montrer qu’il savait que l’acte était mauvais. Une telle preuve pourrait être pertinente dans le cas où, par exemple, il y aurait aussi une preuve que l’accusé avait déterminé un endroit pour dissimuler l’arme du crime avant de commettre l’infraction. Dans ces circonstances, la dissimulation de l’arme serait très pertinente quant aux questions de préméditation et de préparation. Il n’y a toutefois aucune preuve de ce genre en l’espèce. Le simple fait de dissimuler une arme ou d’y effacer ses empreintes digitales ne dénote aucunement un degré d’infraction particulier. La conscience de culpabilité de l’accusé n’était manifestement pas pertinente relativement à cette question, et je suis persuadé que, dans les circonstances particulières de la présente affaire, les membres du jury ne pouvaient que le savoir.
60. Quatrièmement, ce n’est pas un cas d’erreurs aggravées. Contrairement à la situation dans Arcangioli et Murray, précités, nous n’avons pas à nous préoccuper de «l’effet cumulatif des erreurs». En fait, le passage concernant la «conscience de culpabilité» est la seule directive inacceptable que le juge du procès a donnée au jury dans tout son exposé de 62 pages qui a duré plusieurs heures.
61. Les cours d’appel ont le droit d’appliquer la disposition réparatrice du sous‑al. 686(1)b)(iii) dans les cas où [traduction] «le verdict aurait nécessairement été le même si cette erreur ne s’était pas produite». Voir Colpitts c. The Queen, [1965] R.C.S. 739, à la p. 744, et Arcangioli, précité. Cela est loin d’être un critère simple. Il n’est pas particulièrement facile de juger «ce qui aurait pu être», dans notre système qui exige que les jurys rendent des verdicts sans exposer des motifs à l’appui. Néanmoins, comme je l’ai déjà noté, je ne puis imaginer comment le jury aurait agi de manière inappropriée en suivant cette directive. À mon avis, le verdict n’aurait pas été différent si l’exposé avait été parfait et n’avait pas contenu cette erreur mineure.
IV. Conclusion
62. Comme je l’ai dit au début de mes motifs, les cours d’appel doivent adopter une méthode fonctionnelle pour examiner des exposés au jury. Cet examen a pour but d’assurer que les jurys reçoivent des directives appropriées et non pas des directives parfaites.
63. Grâce à cette méthode, je n’ai aucune difficulté à conclure que le jury a bien compris, en l’espèce, non seulement les questions juridiques soulevées au procès mais aussi le lien qui existait entre la preuve et ces questions, et en particulier, entre la preuve et la défense de l’appelant ainsi que chaque aspect des infractions pertinentes. Dans la mesure où le juge du procès a commis une erreur dans ses directives sur la «conscience de culpabilité», j’ai conclu qu’il n’y avait eu aucun tort important ni aucune erreur judiciaire grave. Il y a lieu de rejeter le pourvoi.
//Le juge Sopinka//
Version française des motifs des juges Sopinka et Major rendus par
1 Le juge Sopinka (dissident) ‑‑ Je suis d’accord avec les motifs de mon collègue le juge Cory et avec sa conclusion que l’exposé au jury était inadéquat quant à savoir si le meurtre allégué avait été commis avec préméditation et de propos délibéré. J’ajouterais que le juge du procès est tenu d’établir un lien entre les questions en litige et les éléments de preuve cruciaux pour la défense. Il n’est pas nécessaire que l’examen de la preuve soit approfondi, et un rappel des éléments de preuve déjà examinés suffit à condition qu’il soit clair que le jury ne se méprendra pas sur les éléments de preuve visés par le rappel. De plus, des explications s’imposent lorsqu’il n’est pas évident pour des profanes comment certains éléments de preuve aideront à trancher une question en litige. Cela est particulièrement vrai dans le cas d’une preuve scientifique ou médicale. Comme l’affirme le juge Estey dans l’arrêt Azoulay c. The Queen, [1952] 2 R.C.S. 495, à la p. 503:
[traduction] Lorsque, comme c’est le cas en l’espèce, la preuve est technique et quelque peu complexe, il est particulièrement important que [le juge du procès explique le droit applicable et établisse un lien entre ce droit et la preuve] d’une manière qui aidera le jury à déterminer sa pertinence et le poids ou la valeur qu’ils attribueront à chaque partie respective.
2 En l’espèce, la preuve psychiatrique était particulièrement importante en ce qui concernait la question des troubles mentaux au sens de l’art. 16 du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46. Le juge du procès a donné des explications complètes sur sa pertinence et son application à cette question. Ces explications seraient peu utiles au jury quant à sa pertinence à l’égard des questions de la préméditation et du propos délibéré. De plus, une fois qu’il avait tranché la question de l’art. 16, le jury aurait fort bien pu considérer qu’elle avait cessé d’être pertinente. Pour un jury composé de profanes, il pourrait sembler absurde de rejeter la preuve psychiatrique relativement au moyen de défense fondé sur l’art. 16, pour ensuite réexaminer la même preuve et ce qui peut lui sembler être un argument analogue quant aux questions de la préméditation et du propos délibéré. Il était donc important que le juge du procès mentionne expressément cette preuve en établissant un lien entre celle‑ci et d’autres questions en litige. Cela a été fait quant à l’exposé sur l’accusation d’homicide involontaire coupable et dans la récapitulation portant sur la tentative de meurtre, où le juge du procès a dit:
[traduction] Je vous demande d’examiner toute la preuve, y compris les témoignages des trois psychiatres, en particulier les points sur lesquels leurs opinions divergent, quant à savoir si M. Jacquard avait, au moment de l’infraction, l’intention spécifique de commettre un meurtre ou une tentative de meurtre.
Cela n’a pas été fait à l’égard de l’exposé sur la préméditation et le propos délibéré. Le jury aurait bien pu en conclure que la preuve des troubles mentaux et, en particulier, la preuve psychiatrique n’étaient pertinentes qu’en ce qui avait trait aux questions qui avaient été expressément mentionnées. L’appelant n’a qu’à établir l’existence «d’une possibilité raisonnable que le jury ait été induit en erreur» (R. c. Brydon, [1995] 4 R.C.S. 253, au par. 19).
3 En outre, une simple mention n’aurait peut‑être pas été suffisante en l’espèce. Je ne suis pas sûr qu’un jury saurait comment la preuve psychiatrique, exprimée en fonction de l’art. 16, s’appliquerait à la préméditation et au propos délibéré sans qu’on lui dise que cette preuve, même si elle n’établit pas que l’accusé était incapable de juger de la nature et de la qualité de ses actes ou de savoir qu’ils étaient mauvais, pourrait néanmoins susciter un doute raisonnable relativement aux questions de la préméditation et du propos délibéré s’il concluait que la capacité cognitive de l’accusé était affaiblie, quoique dans une mesure moindre que celle requise par l’art. 16. Une directive en ce sens était essentielle, étant donné particulièrement que le jury avait déjà examiné cette preuve en fonction du fardeau de preuve qui obligeait l’appelant à établir l’existence de troubles mentaux selon la prépondérance des probabilités. Le jury aurait pu apprécier la preuve différemment en examinant si elle suscitait un doute raisonnable.
4 Je suis d’accord avec le Juge en chef pour dire qu’il y a lieu d’éviter les exposés au jury trop longs et répétitifs. Nous convenons aussi que cela ne signifie pas que nous devrions lésiner sur l’essentiel. Pour qu’un verdict juste soit rendu, rien n’est plus important que de s’assurer que le jury comprenne le lien qui existe entre la preuve et les questions en litige. Cela a toujours été, et devrait continuer d’être, l’un des objectifs des directives au jury, et on devrait s’abstenir de tenir des propos qui minent cet objectif.
5 Je suis d’avis de statuer sur le pourvoi de la façon proposée par le juge Cory.
//Le juge Cory//
Version française des motifs rendus par
6 Le juge Cory (dissident) ‑‑ Je suis entièrement d’accord avec la quasi totalité des motifs et des recommandations judicieuses du Juge en chef. Toutefois, je ne puis souscrire à sa conclusion que les directives que le juge du procès a données au jury relativement au meurtre au premier degré étaient suffisantes.
7 Le meurtre au premier degré est, du point de vue de la peine, le crime le plus grave qui soit prévu dans le Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46. La peine obligatoire dans un tel cas est l’emprisonnement à perpétuité sans possibilité de bénéficier de la libération conditionnelle avant 25 ans. Le meurtre au premier degré diffère du meurtre au deuxième degré en ce qu’il exige que le ministère public démontre que le meurtre a été commis avec préméditation et de propos délibéré. Il est évident qu’il fixe une norme de culpabilité beaucoup plus stricte que celle requise pour le meurtre au deuxième degré. La perpétration de ce crime exige un processus mental plus complexe et plus précis que la simple intention de tuer.
8 Il est indubitable qu’il faut indiquer au jury que l’alcool peut altérer la capacité d’agir avec préméditation et de propos délibéré. Voir R. c. Mitchell, [1964] R.C.S. 471, R. c. Wallen, [1990] 1 R.C.S. 827. De même, notre Cour a statué qu’il faut donner comme directive au jury de tenir compte de la preuve de la maladie mentale pour déterminer si le meurtre a été commis avec préméditation et de propos délibéré. Voir More c. The Queen, [1963] R.C.S. 522, R. c. Kirkby (1985), 47 C.R. (3d) 97 (C.A. Ont.). Comme l’a dit le juge MacDonnell dans R. c. Markle, [1990] O.J. No. 2606 (Div. gén.):
[traduction] Le rôle du jury dans une affaire de meurtre au premier degré commis avec préméditation et de propos délibéré, où il y a une preuve d’intoxication ou de troubles mentaux, consiste à déterminer le processus mental de l’accusé au moment du meurtre, en tenant compte de cette preuve, et ensuite à déterminer si ce processus mental est visé par la définition de l’expression «propos délibéré».
9 Il s’ensuit qu’en l’espèce une simple mention de tenir compte de toute la preuve est insuffisante. Il faut plus que cela. Même s’il n’était pas nécessaire que le juge du procès passe de nouveau en revue la preuve de la maladie mentale, il aurait dû la mentionner expressément en expliquant la préméditation et le propos délibéré.
10 Voici tout ce qu’a dit le juge dans son exposé au jury relativement à l’élément de préméditation et de propos délibéré du meurtre au premier degré:
[traduction] Et je veux maintenant vous expliquer le sens de l’expression «avec préméditation et de propos délibéré». Je vais vous en expliquer le sens pour que vous soyez en mesure de rendre cette décision si vous concluez que le ministère public a prouvé l’existence de tous les éléments dont je viens de vous parler. Les termes «avec préméditation et de propos délibéré» ont des sens différents. Vous devriez donner aux termes «avec préméditation» leur sens ordinaire, c’est‑à‑dire ce qui est organisé d’avance. Autrement dit, une personne prémédite l’accomplissement d’un acte si elle forme le dessein ou le projet de l’accomplir. Il n’est pas nécessaire que le plan conçu soit compliqué. Il peut s’agir d’un plan très simple et plus il est simple, plus il est facile peut-être de le former.
Vous devriez toutefois comprendre que préméditer un acte et accomplir intentionnellement un acte sont deux choses différentes; par conséquent, une personne peut avoir l’intention de tuer quelqu’un sans avoir prémédité de le faire. Par exemple, supposons que Madame X a mauvais caractère, qu’elle se querelle avec une autre personne et qu’elle la tue au cours de cette querelle, même si elle n’avait pas l’intention de le faire au départ. Dans cet exemple, il se pourrait que Madame X ait eu l’intention de tuer l’autre personne, mais elle n’a pas prémédité de le faire.
L’expression «de propos délibéré» signifie également quelque chose de plus qu’«intentionnel». Elle a le sens de «mûrement réfléchi» et non pas de «précipité» ou d’«irréfléchi». Une personne commet un meurtre de propos délibéré lorsqu’elle songe aux conséquences avant de commettre le meurtre. En d’autres termes, elle songe aux avantages et aux inconvénients de commettre le meurtre. Il s’agit d’un acte réfléchi plutôt qu’impulsif. En examinant si le meurtre a été commis avec préméditation et de propos délibéré, vous devriez tenir compte de toute la preu. . ., de toutes les circonstances et de toute la preuve.
En ce qui concerne l’élément d’intention et la question de savoir si M. Jacquard était criminellement responsable ou s’il ne l’était pas en raison de troubles mentaux, j’ai longuement analysé la preuve, et je ne vois aucune raison de répéter ce que je vous ai déjà dit.
J’ai remarqué, pendant le procès, que vous aviez écouté attentivement les témoins. Je vous ai demandé d’examiner les faits . . . Je vous ai demandé, compte tenu des faits dont vous aviez reconnu l’existence à partir de la preuve, et compte tenu du sens juridique de l’expression «avec préméditation et de propos délibéré», que je vous ai expliqué, si M. Jacquard a prémédité le meurtre de M. Hurlburt et, le cas échéant, s’il l’a commis de propos délibéré. Je vous rappelle qu’un meurtre ne peut être un meurtre au premier degré que s’il a été commis avec préméditation et de propos délibéré. Encore une fois, je vous rappelle qu’un meurtre ne peut être un meurtre au premier degré que s’il a été commis avec préméditation et de propos délibéré.
Si vous êtes convaincus hors de tout doute raisonnable que le ministère public a prouvé l’existence de tous les éléments essentiels du meurtre et qu’il a aussi prouvé hors de tout doute raisonnable que le meurtre a été commis avec préméditation et de propos délibéré, vous pouvez déclarer l’accusé coupable de meurtre au premier degré. Si vous n’êtes pas convaincus hors de tout doute raisonnable que le ministère public a prouvé que le meurtre a été commis avec préméditation et de propos délibéré, vous ne devez pas reconnaître M. Jacquard coupable de meurtre au premier degré, mais vous pouvez le déclarer coupable de meurtre au deuxième degré.
11 Ces directives ne mentionnent pas la preuve de la maladie mentale ni l’incidence que cette maladie peut avoir eue sur la capacité de l’appelant d’agir avec préméditation et de propos délibéré en tuant la victime. Ces directives étaient un élément essentiel de l’exposé. L’accusé, contre qui l’accusation la plus grave du Code criminel avait été portée, avait droit à au moins cela. Il s’agit d’un élément fondamental des directives concernant cette infraction. Tout comme il faut établir un lien entre la preuve de la consommation d’alcool et les éléments de la préméditation et du propos délibéré, il faut également établir un lien entre la preuve de la maladie mentale et ces éléments.
12 J’accueillerais le pourvoi et j’ordonnerais un nouveau procès.
Pourvoi rejeté, les juges Sopinka, Cory et Major sont dissidents.
Procureurs de l’appelant: Pink Murray, Halifax.
Procureur de l’intimée: Le procureur général de la Nouvelle‑Écosse, Halifax.