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R. c. Stillman, [1997] 1 R.C.S. 607

 

William Wayne Dale Stillman                                                           Appelant

 

c.

 

Sa Majesté la Reine                                                                          Intimée

 

et

 

Le procureur général du Canada,

le procureur général de l’Ontario,

le procureur général du Québec,

le procureur général de la Nouvelle‑Écosse,

le procureur général de la Colombie‑Britannique,

le procureur général de la Saskatchewan,

le procureur général de l’Alberta,

Law Union of Ontario,

l’Association canadienne des libertés civiles,

Criminal Lawyers’ Association (Ontario) et

l’Association québécoise des avocats

et avocates de la défense                                                                  Intervenants

 

Répertorié:  R. c. Stillman

 

No du greffe:  24631.

 

*1996:  26 janvier.

 

*Présents:  Le juge en chef Lamer et les juges L’Heureux‑Dubé, Sopinka, Cory, McLachlin, Iacobucci et Major.

 

**Nouvelle audition:  1996:  7 novembre; 1997:  20 mars.

 


**Présents:  Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, L’Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier, Cory, McLachlin, Iacobucci et Major.

 

en appel de la cour d’appel du nouveau‑brunswick

 

Droit criminel ‑‑ Pouvoir de procéder à une fouille accessoire à une arrestation ‑‑ Étendue du pouvoir ‑‑ Police obtenant des échantillons de cheveux et de poils, des prélèvements dans la bouche et les empreintes dentaires de l’accusé sans le consentement de ce dernier et alors qu’il était détenu ‑‑ Le pouvoir de common law de procéder à une fouille accessoire à une arrestation peut‑il être élargi de manière à permettre la saisie d’empreintes et d’échantillons de substances corporelles?

 

Droit constitutionnel ‑‑ Charte des droits ‑‑ Fouilles, perquisitions ou saisies ‑‑ Police obtenant des échantillons de cheveux et de poils, des prélèvements dans la bouche et les empreintes dentaires de l’accusé sans le consentement de ce dernier et alors qu’il était détenu ‑‑ Le droit de l’accusé à la protection contre les fouilles, perquisitions ou saisies abusives a‑t‑il été violé? ‑‑ Charte canadienne des droits et libertés, art. 8 .

 

Droit constitutionnel ‑‑ Charte des droits ‑‑ Fouilles, perquisitions ou saisies ‑‑ Accusé sous garde ne consentant à aucun prélèvement de substances corporelles ‑‑ Policier saisissant dans une poubelle du poste de police un papier‑mouchoir dont l’accusé s’était servi pour se moucher ‑‑ Le droit de l’accusé à la protection contre les fouilles, perquisitions ou saisies abusives a‑t‑il été violé? ‑‑ Charte canadienne des droits et libertés, art. 8 .

 


Droit constitutionnel ‑‑ Charte des droits ‑‑ Sécurité de la personne ‑‑ Justice fondamentale ‑‑ Police obtenant des échantillons de cheveux et de poils, des prélèvements dans la bouche et les empreintes dentaires de l’accusé sans le consentement de ce dernier et alors qu’il était détenu ‑‑ Le droit de l’accusé à la sécurité de sa personne a‑t‑il été violé d’une manière non conforme aux principes de justice fondamentale? ‑‑ Charte canadienne des droits et libertés, art. 7 .

 

Droit constitutionnel ‑‑ Charte des droits ‑‑ Admissibilité de la preuve ‑‑ Police obtenant des échantillons de cheveux et de poils, des prélèvements dans la bouche et les empreintes dentaires de l’accusé sans le consentement de ce dernier et alors qu’il était détenu ‑‑ Policier saisissant aussi dans une poubelle du poste de police un papier‑mouchoir dont l’accusé s’était servi pour se moucher ‑‑ Les éléments de preuve ont‑ils été obtenus en violation des droits garantis à l’accusé par la Charte ? ‑‑ Dans l’affirmative, ces éléments de preuve devraient‑ils être écartés? ‑‑ Charte canadienne des droits et libertés, art. 24(2) .

 

Droit constitutionnel ‑‑ Charte des droits ‑‑ Admissibilité de la preuve ‑‑ Façon d’aborder l’art. 24(2)  de la Charte canadienne des droits et libertés  lorsque des éléments de preuve compromettent l’équité du procès ‑‑ Ces éléments de preuve doivent‑ils être écartés sans égard à d’autres facteurs?

 


L’accusé était âgé de 17 ans lorsqu’il a été arrêté, en 1991, pour le meurtre brutal d’une adolescente.  Il était la dernière personne aperçue en compagnie de la victime le soir du crime.  Lorsqu’il est arrivé chez lui vers minuit, il avait froid et était ébranlé et trempé à partir du haut des cuisses jusqu’aux pieds.  Il avait une coupure au‑dessus d’un {oe}il, et de la boue et de l’herbe sur son pantalon.  Il a expliqué qu’il s’était bagarré avec cinq Indiens, mais cette explication de même que sa description de l’endroit où il avait vu la victime pour la dernière fois ont varié avec le temps.  La victime est décédée à la suite de blessures à la tête.  Du sperme a été trouvé dans son vagin, et son abdomen portait la marque d’une morsure humaine.  Au poste de police, les avocats de l’accusé ont remis aux policiers une lettre les informant que l’accusé refusait de fournir quelque échantillon de substance corporelle que ce soit, comme des cheveux et des poils, et des empreintes dentaires, ou de faire une déclaration.  Une fois les avocats partis, les policiers ont prélevé des échantillons de cheveux de l’accusé après avoir menacé de recourir à la force, et ils l’ont forcé à s’arracher des poils pubiens.  Des empreintes à la plasticine ont également été prises de sa dentition.  Un policier a ensuite interrogé l’accusé pendant une heure dans le but d’obtenir une déclaration.  L’accusé a sangloté pendant tout l’interrogatoire et, après qu’on lui eut permis de  téléphoner à son avocat, il est allé aux toilettes, escorté d’un policier, où il a utilisé un papier‑mouchoir pour se moucher.  Il a jeté le papier‑mouchoir dans la poubelle.  Le policier a saisi le papier‑mouchoir contenant des mucosités, qui a été utilisé pour effectuer une analyse d’empreintes génétiques.  L’accusé a, par la suite, été remis en liberté, pour être arrêté de nouveau plusieurs mois plus tard.  Un dentiste a alors, pendant deux heures, procédé à la prise d’empreintes de la dentition de l’accusé, sans le consentement de ce dernier.  D’autres cheveux et poils de l’accusé ont été prélevés, de même qu’un échantillon de salive, et des prélèvements ont été faits dans sa bouche.

 


À la suite d’un voir‑dire tenu pour déterminer l’admissibilité de certains éléments de preuve, le juge du procès a conclu que les échantillons de cheveux et de poils, les empreintes dentaires et les prélèvements faits dans la bouche avaient été obtenus en violation de l’art. 8  de la Charte canadienne des droits et libertés , mais que ces éléments de preuve étaient néanmoins admissibles.  Il a décidé que le papier‑mouchoir contenant les mucosités n’avait pas été obtenu en violation de l’art. 8 et qu’il devrait donc être utilisé en preuve.  Un jury a, par la suite, déclaré l’accusé coupable de meurtre au premier degré.  La Cour d’appel à la majorité a maintenu la décision du juge du procès et confirmé le verdict.

 

Arrêt (les juges L’Heureux‑Dubé, Gonthier et McLachlin sont dissidents): Le pourvoi est accueilli et un nouveau procès est ordonné, où les échantillons de cheveux et de poils, les empreintes dentaires et les prélèvements faits dans la bouche devront être écartés.

 


Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, Sopinka, Cory et Iacobucci: Le prélèvement d’échantillons de cheveux et de poils, la prise d’empreintes dentaires et les prélèvements faits dans la bouche contrevenaient à l’art. 8  de la Charte .  Les échantillons de substances corporelles et les empreintes n’ont pas été saisis conformément au Code criminel  qui, au moment de l’arrestation de l’accusé, n’autorisait pas la fouille d’une personne ni la saisie de parties du corps d’une personne.  Ils n’ont pas été saisis non plus conformément au pouvoir de common law de procéder à une fouille accessoire à une arrestation légale.  L’arrestation de l’accusé était légale étant donné que les policiers avaient subjectivement l’impression d’avoir des motifs raisonnables de croire que l’accusé avait commis le meurtre, et que, d’un point de vue objectif, ils avaient des raisons sérieuses et suffisantes d’en arriver à cette conclusion.  Toutefois, le pouvoir de common law de procéder à une fouille accessoire à une arrestation ne va pas au‑delà de l’objectif de protection des policiers qui effectuent une arrestation contre des suspects armés ou dangereux, ou de préservation des éléments de preuve qui autrement pourraient être détruits ou perdus.  La fouille effectuée en l’espèce est allée bien plus loin que la fouille sommaire qui accompagne habituellement une arrestation.  Le prélèvement d’échantillons de substances corporelles et la prise d’empreintes dentaires étaient des actes très envahissants.  De plus, en dépit des exigences de la Loi sur les jeunes contrevenants  qu’un parent ou un avocat assiste à l’interrogatoire d’un adolescent soupçonné d’avoir commis une infraction, et en l’absence de tout conseiller adulte et contrairement aux directives explicites des avocats de l’accusé, la police a longuement interrogé ce dernier et a, en menaçant de recourir à la force, prélevé des échantillons de substances corporelles et pris des empreintes dentaires.  Elle s’est ainsi livrée à un exercice abusif de force physique brute.  Le pouvoir de common law de procéder à une fouille accessoire à une arrestation ne peut pas être large au point de viser la saisie d’échantillons de substances corporelles effectuée sans autorisation légale valide et malgré un refus de les fournir.  Ces échantillons ne risquent pas habituellement de disparaître.  Si ce pouvoir est large à ce point, alors la règle de common law elle‑même est abusive parce qu’elle est trop générale et ne pondère pas adéquatement les droits qui s’opposent.  Il est clair qu’en l’espèce il y a eu violation  grave du droit de l’accusé à la protection contre les fouilles, perquisitions ou saisies abusives.  Étant donné que la fouille et la saisie des échantillons de substances corporelles n’étaient autorisées ni par une loi ni par la common law, elles ne pouvaient qu’être abusives.

 

Le prélèvement d’échantillons de cheveux et de poils, la prise d’empreintes dentaires et les prélèvements faits dans la bouche contrevenaient aussi à l’art. 7  de la Charte , étant donné qu’ils violaient le droit à la sécurité de la personne d’une manière non conforme aux principes de justice fondamentale.  Ils constituaient l’atteinte la plus grave à la vie privée de l’accusé et violaient l’intégrité du corps, qui est essentielle à la dignité humaine.  Les actions policières qui sont accomplies sans consentement ni autorisation et qui portent une atteinte plus que minimale au corps d’une personne violent l’art. 7.

 


La saisie du papier‑mouchoir jeté contrevenait à l’art. 8  de la Charte .  Lorsqu’un accusé qui n’est pas détenu se défait d’un objet qui peut constituer un élément de preuve utile pour établir son profil génétique, la police peut normalement recueillir cet objet et le faire analyser, sans avoir à se soucier d’obtenir un consentement, étant donné que, dans les circonstances, l’accusé a abandonné cet objet et a cessé d’avoir une attente raisonnable en matière de vie privée à son sujet.  La situation est toutefois différente lorsqu’un accusé est détenu.  La question de savoir si la situation est telle que l’accusé a abandonné un objet et renoncé à tout droit à ce qu’il demeure confidentiel devra être tranchée en fonction des faits particuliers de chaque affaire.  En l’espèce, l’accusé avait fait savoir par ses avocats qu’il ne consentirait pas au prélèvement d’échantillons de ses substances corporelles.  Les policiers étaient au courant de cette décision, mais en dépit de cela, ils se sont emparés du papier‑mouchoir que l’accusé avait jeté alors qu’il était détenu.  Dans ces circonstances, la saisie était abusive.  En l’espèce, l’attente de l’accusé en matière de vie privée, bien qu’elle ait diminué à la suite de son arrestation, n’était pas faible au point de permettre la saisie du papier‑mouchoir.  Cette attente ne devrait pas être réduite au point de justifier les saisies d’échantillons de substances corporelles effectuées sans consentement, particulièrement dans le cas des personnes qui sont détenues alors qu’elles sont encore présumées innocentes.

 


Le but premier de l’examen du facteur de l’équité du procès dans l’analyse fondée sur le par. 24(2) est d’empêcher qu’un accusé, dont les droits garantis par la Charte  ont été violés, soit mobilisé contre lui‑même ou forcé de fournir, au profit de l’État, des éléments de preuve sous forme de confessions, de déclarations ou de substances corporelles.  Ainsi, pour examiner le facteur de l’équité du procès, il est nécessaire de qualifier la preuve soit de preuve obtenue en mobilisant l’accusé contre lui‑même, soit de preuve non obtenue en mobilisant l’accusé contre lui‑même, selon la manière dont elle a été obtenue.  Si l’accusé n’a pas été forcé de participer à la constitution ou à la découverte de la preuve, la preuve sera qualifiée de preuve non obtenue en mobilisant l’accusé contre lui‑même.  Son utilisation ne rendra pas le procès inéquitable et le tribunal passera à l’examen de la gravité de la violation et de l’incidence de l’exclusion de cette preuve sur la considération dont jouit l’administration de la justice.  Si la preuve a été obtenue dans des conditions qui violent la Charte , en forçant l’accusé à s’incriminer lui‑même par une déclaration ou par l’utilisation en  preuve de son corps ou de ses substances corporelles, elle sera qualifiée de preuve obtenue en mobilisant l’accusé contre lui‑même.  L’utilisation non autorisée du corps d’une personne ou de ses substances corporelles constitue, tout autant qu’une déclaration forcée, un «témoignage» forcé susceptible de rendre le procès inéquitable.  La sécurité du corps mérite donc tout autant que les déclarations d’être protégée contre les atteintes de l’État visant à obtenir de force une auto‑incrimination.  Si l’on conclut que la preuve a été obtenue en mobilisant l’accusé contre lui‑même, ce qui, dans le cas de déclarations, comprend la preuve dérivée, et si le ministère public démontre, suivant la prépondérance des probabilités, qu’elle aurait été découverte par un autre moyen non fondé sur la mobilisation de l’accusé contre lui‑même -- lorsque la preuve peut être tirée d’une source indépendante ou lorsque sa découverte était inévitable --, son utilisation ne rendra alors généralement pas le procès inéquitable.  Cependant, il faudra examiner la gravité de la violation de la Charte  et l’incidence de l’exclusion de cette preuve sur la considération dont jouit l’administration de la justice.  Si la preuve a été obtenue en mobilisant l’accusé contre lui‑même et que le ministère public ne démontre pas, suivant la prépondérance des probabilités, qu’elle aurait été découverte par un autre moyen non fondé sur la mobilisation de l’accusé contre lui‑même, son utilisation rendra alors le procès inéquitable.  En règle générale, le tribunal écartera la preuve sans examiner la gravité de la violation ni l’incidence de son exclusion sur la considération dont jouit l’administration de la justice.  Il doit en être ainsi puisqu’un procès inéquitable déconsidérerait nécessairement l’administration de la justice.

 


En l’espèce, en examinant comment l’utilisation de la preuve compromettrait l’équité du procès, le juge du procès a conclu à tort que les échantillons de cheveux et de poils et les empreintes dentaires existaient indépendamment de toute violation de la Charte  et qu’ils étaient donc admissibles en preuve.  Les échantillons de substances corporelles et les empreintes de l’accusé constituaient des éléments de preuve «matérielle»,  mais les policiers, par leurs paroles et leurs actions, ont contraint l’accusé à fournir des éléments de preuve provenant de son corps.  Ces éléments de preuve ont été obtenus en mobilisant l’accusé contre lui‑même.  La preuve contestée n’aurait pas été découverte si l’accusé n’avait pas été mobilisé contre lui‑même en violation de ses droits garantis par la Charte  et il n’y avait aucune source indépendante d’où la police aurait pu tirer la preuve.  Il s’ensuit que son utilisation rendrait le procès inéquitable.  Cette conclusion suffit pour répondre à la question du par. 24(2), étant donné que la preuve doit être écartée.

 

De toute façon, les violations de la Charte  qui ont permis d’obtenir la preuve en question sont de nature très grave.  La police a fait preuve d’un mépris flagrant pour les droits fondamentaux de l’accusé.  Malgré le refus explicite de ce dernier de fournir des échantillons de substances corporelles ou de faire une déclaration, les policiers ont délibérément attendu le départ de ses avocats pour commencer, en recourant à la force, aux menaces et à la contrainte, à prélever des échantillons de ses substances corporelles et à l’interroger dans le but d’obtenir une déclaration.  La police savait également que l’accusé était à l’époque un jeune contrevenant et qu’il avait droit à la protection spéciale de la Loi sur les jeunes contrevenants .  Finalement, le fait que la police se soit moquée du refus d’un jeune contrevenant de fournir des échantillons de ses substances corporelles choquerait sûrement la conscience de tous les citoyens équitables.  L’utilisation de la preuve serait donc susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.

 


Cependant, le papier‑mouchoir contenant les mucosités ne devrait pas être écarté.  La police n’a pas forcé l’accusé à fournir un échantillon de ses mucosités, et ne lui a même pas demandé de le faire.  Bien que la police ait agi subrepticement, au mépris du refus explicite de l’accusé de lui fournir des échantillons de substances corporelles, les droits que la Charte  garantissait à ce dernier relativement au papier‑mouchoir n’ont pas été gravement violés.  La saisie n’a pas porté atteinte à l’intégrité physique de l’accusé et ne lui a fait perdre sa dignité d’aucune manière.  De toute façon, la police pouvait obtenir et aurait obtenu le papier‑mouchoir jeté.  Il pouvait être découvert et l’administration de la justice ne serait pas déconsidérée si la preuve constituée par l’échantillon de mucosités était utilisée.

 

Le juge Major:  Il y a accord avec les motifs du juge Cory qui écartent la preuve composée d’échantillons de cheveux et de poils, de prélèvements faits dans la bouche et d’empreintes dentaires, qui a été obtenue en mobilisant l’accusé contre lui‑même.  Cependant, le papier‑mouchoir contenant l’échantillon de mucosités n’a pas été obtenu en violation de l’art. 8  de la Charte .  Sous les yeux du policier qui le surveillait, l’accusé a volontairement et intentionnellement jeté le papier‑mouchoir dans la corbeille à papier qui se trouvait dans les toilettes.  Ce faisant, il a abandonné le papier‑mouchoir et a perdu toute attente en matière de vie privée qu’il pouvait avoir à ce sujet.  Le consentement n’est pas en cause lorsque l’élément de preuve est abandonné, même quand l’accusé est sous garde.  Lorsqu’il n’y a aucune attente raisonnable en matière de vie privée, il n’y a ni fouille ni exigence de consentement éclairé.  Étant donné qu’il n’y a pas eu violation de la Charte  en ce qui concerne le papier‑mouchoir, il est inutile d’entreprendre une analyse fondée sur le par. 24(2).

 


Le juge McLachlin (dissidente):  Le prélèvement d’échantillons de substances corporelles relève de l’art. 8  de la Charte  et non de l’art. 7.  L’article 7  de la Charte  n’a pas pour objet d’élargir la portée du principe de common law interdisant l’auto‑incrimination.  La common law adoptée et appliquée au Canada a restreint à la preuve testimoniale l’application du principe de justice fondamentale connu sous le nom de principe interdisant l’auto‑incrimination, qui, pour de bonnes raisons de principe, n’a jamais visé la preuve «matérielle».  Il s’ensuit que le principe interdisant l’auto‑incrimination, qui peut être inféré de l’art. 7, ne s’applique pas à la preuve matérielle, sauf en ce qui concerne la preuve matérielle dérivée de la preuve testimoniale, qui n’aurait pas été découverte n’eût été le témoignage involontaire de l’accusé.  Dans tous les autres cas, la preuve matérielle relève de la protection contre les fouilles, perquisitions ou saisies abusives garantie par l’art. 8.  Conclure le contraire reviendrait à pousser le principe interdisant l’auto‑incrimination non seulement au‑delà de la portée qui lui a été reconnue jusqu’ici au Canada, mais encore au‑delà des limites qui lui sont imposées dans des systèmes de justice comparables ailleurs dans le monde.

 

Le prélèvement d’échantillons de cheveux et de poils, les prélèvements faits dans la bouche et la prise des empreintes dentaires de l’accusé ont violé l’art. 8  de la Charte .  Bien que la common law permette le recours à des procédures relativement peu envahissantes pour recueillir des éléments de preuve auprès d’un suspect détenu à des fins d’identification, les fouilles et saisies qui ont mené au prélèvement de substances corporelles et à la prise d’empreintes dentaires ne constituent pas une fouille légale accessoire à une arrestation en raison de leur caractère envahissant et de la gravité de l’atteinte à la vie privée et à la dignité du suspect qu’elles ont entraînée.  On n’a allégué l’existence d’aucune urgence en l’espèce et les fouilles n’étaient pas nécessaires pour garantir la sécurité immédiate des policiers ou du public.

 


La récupération du papier‑mouchoir n’a cependant pas violé l’art. 8.  En jetant le papier‑mouchoir, l’accusé l’a abandonné et a perdu tout droit à la vie privée qu’il pouvait avoir à son sujet.  La récupération du papier‑mouchoir ne constituait pas une fouille et l’exigence du consentement de l’accusé ne s’appliquait pas.  Bien que le papier‑mouchoir ait été récupéré alors que l’accusé était sous garde, le droit de ce dernier de ne pas s’incriminer n’a pas été violé étant donné que le privilège de ne pas s’incriminer ne s’applique pas à la preuve matérielle.  À moins qu’elle ne soit dérivée de la preuve testimoniale, la preuve matérielle doit être appréciée sous l’angle des fouilles, perquisitions et saisies.  Même s’il est vrai que les échantillons peuvent nécessairement résulter de l’arrestation et de la détention, il reste que la condition physique qu’ils attestent et qui leur donne leur importance n’est pas créée par la détention.  Elle a une existence véritable qui ne dépend pas de la détention, laquelle détention  fournit simplement l’occasion de constater cette condition physique.

 


Le critère d’utilisation d’éléments de preuve, dans le cas où on allègue  l’existence d’une violation de la Charte , exige que le juge procède à un examen en deux étapes.  La première étape consiste à déterminer si les éléments de preuve ont été obtenus dans des conditions qui portent atteinte aux droits garantis à l’accusé par la Charte .  Dans l’affirmative, le juge doit ensuite se demander si, en raison de cette atteinte, les éléments de preuve devraient être écartés en vertu du par. 24(2)  de la Charte .  Le paragraphe 24(2) introduit un processus de pondération.  Le juge doit examiner toutes les circonstances de l’affaire et soupeser, en fonction de celles‑ci, l’incidence de l’utilisation de la preuve sur la considération dont jouit l’administration de la justice en fonction de l’incidence du rejet de cette preuve.  En fin de compte, le juge doit se demander laquelle de l’utilisation ou de l’exclusion préservera le mieux la considération dont jouit le système de justice, d’après les faits particuliers de l’affaire.  Les trois catégories de facteurs établies dans l’arrêt Collins — les facteurs pertinents quant à (1) l’équité du procès, (2)  la gravité de la violation et (3)  l’effet de l’exclusion de la preuve — ne constituent qu’une façon commode d’examiner les diverses «circonstances» qui peuvent devoir être prises en considération dans une affaire donnée.  Les deux premières catégories ont trait à la déconsidération de l’administration de la justice qui pourrait résulter de l’utilisation de la preuve; la troisième catégorie concerne la déconsidération qui pourrait découler de l’exclusion de la preuve.  Il ne sera satisfait à l’obligation de pondérer imposée par le par. 24(2) que si tous les facteurs sont pris en considération.

 

Les rédacteurs de la Charte  n’ont pas voulu que le par. 24(2) serve de règle d’exclusion automatique ou quasi automatique et, par conséquent, il y a lieu de rejeter l’opinion suivant laquelle tout élément de preuve qui compromet l’équité du procès doit être écarté en vertu du par. 24(2).  Premièrement, cette opinion va à l’encontre de l’esprit et de la lettre du par. 24(2) qui exige que les juges soupèsent, dans tous les cas, tous les facteurs qui peuvent déconsidérer l’administration de la justice, et elle élève le facteur de l’iniquité du procès à un rang dominant et, dans bien des cas, déterminant.  Deuxièmement, elle repose sur une notion élargie et erronée de l’auto‑incrimination ou de la mobilisation de l’accusé contre lui‑même qui assimile à l’iniquité du procès toute participation non consensuelle de l’accusé à la constitution de la preuve ou toute utilisation non consensuelle de son corps à cette fin.  Troisièmement, elle tient erronément pour acquis que tout ce qui compromet l’équité du procès rend automatiquement le procès si fondamentalement inéquitable que d’autres facteurs ne pourront jamais l’emporter sur cette iniquité, de sorte qu’il devient inutile de prendre en considération d’autres facteurs.

 


En l’espèce, le juge du procès a examiné soigneusement tous les facteurs pertinents, a appliqué le par. 24(2) de la façon recommandée dans l’arrêt Collins et a conclu que le prélèvement de cheveux et poils de l’accusé, les prélèvements dans sa bouche et la prise de ses empreintes dentaires, qui avaient été effectués en contravention de l’art. 8  de la Charte , pouvaient être utilisés en preuve en vertu du par. 24(2) — une conclusion confirmée par la Cour d’appel à la majorité.  Notre Cour n’interviendra pas si les tribunaux d’instance inférieure ont pris en considération de façon appropriée tous les facteurs pertinents pour prendre une décision en vertu du par. 24(2).  De toute façon, si on considère l’ensemble des circonstances, on ne peut pas conclure que le juge du procès et les juges majoritaires de la Cour d’appel ont commis une erreur en décidant que l’exclusion de la preuve déconsidérerait davantage l’administration de la justice que son utilisation.

 

Puisque que la récupération du papier‑mouchoir n’a pas violé l’art. 8  de la Charte , il n’est pas nécessaire d’examiner son admissibilité aux termes du par. 24(2).

 


Le juge L’Heureux‑Dubé (dissidente):  Pour les motifs exposés par le juge Cory, l’arrestation était légale.  Même s’il est clair que la fouille et la saisie en question n’étaient pas nécessaires pour protéger l’accusé, les policiers ou le public, elles étaient autorisées par la loi en vertu du pouvoir de common law de procéder à une fouille accessoire à une arrestation.  Le droit de recueillir des éléments de preuve accessoirement à une arrestation ne dépend pas de l’existence d’une urgence ou d’une situation d’urgence, et peut viser le prélèvement d’échantillons de substances corporelles et la prise d’empreintes.  Les lignes directrices suivantes permettent d’établir un juste équilibre entre l’intérêt de la société dans la découverte et la répression du crime et le droit d’un individu à la protection de sa vie privée et de son intégrité physique, lors du prélèvement d’échantillons de substances corporelles et de la prise d’empreintes effectués accessoirement à une arrestation:  (1) la police doit exercer son pouvoir discrétionnaire d’effectuer la fouille, en tenant compte de toutes les circonstances; (2) la fouille doit viser un objectif valable dans la poursuite des fins de la justice criminelle, sans aller à l’encontre des objectifs généraux d’une saine administration de la justice; (3) le caractère envahissant de la fouille en question doit être pris en considération: plus la fouille est envahissante, plus strictes doivent être les conditions qui permettront de conclure que le prélèvement de substances corporelles ou la prise d’empreintes sont à la fois justifiés et effectués d’une manière raisonnable dans les circonstances; (4) la police doit avoir des motifs raisonnables d’effectuer la fouille; (5) la fouille doit dépendre de circonstances suffisamment importantes; l’existence de ces circonstances sera généralement établie a) s’il est pratiquement impossible d’obtenir un mandat pour recueillir les éléments de preuve souhaités, b) s’il n’existe pas de moyens moins envahissants d’obtenir ces éléments de preuve, c) s’il n’y a pas d’autres éléments de preuve disponibles, d) si l’infraction à l’origine de l’arrestation est grave, et e) si le type de fouille en question est conforme à l’intérêt public.  Enfin, la façon dont la fouille est effectuée ne doit être ni abusive ni déraisonnable compte tenu de toutes les circonstances.  Une fouille qui ne respecte pas ces exigences pourrait être qualifiée d’abusive tant en common law qu’en vertu de l’art. 8  de la Charte .  La réponse à la question de savoir si on a procédé légalement à une fouille accessoire à une arrestation dépendra d’une pondération de ces facteurs.

 



En l’espèce, la fouille et la saisie des éléments de preuve en cause ont été légalement effectuées accessoirement à l’arrestation et d’une manière raisonnable dans les circonstances, compte tenu de la gravité de l’infraction commise ainsi que de l’absence de procédure d’autorisation légale au moment de l’arrestation de l’accusé.  Il ressort de la preuve que la police croyait que, compte tenu de toutes les circonstances, il était nécessaire d’obtenir de l’accusé des échantillons de substances corporelles et des empreintes dentaires afin d’appliquer efficacement la loi.  Elle n’aurait pas pu l’inculper de meurtre sans la preuve des empreintes génétiques ou sans l’analyse de la marque de morsure au moyen de ses empreintes dentaires.  La fouille et la saisie ont été effectuées dans le but de réaliser un objectif valable -- la découverte d’une preuve susceptible soit d’incriminer l’accusé soit d’établir son innocence.  Le genre de fouille et de saisie en cause constituait une atteinte minimale à l’intégrité physique de l’accusé.  Bien que le prélèvement de poils pubiens et la prise d’empreintes dentaires soient plus envahissants, dans l’ensemble, étant donné que l’on a forcé l’accusé à s’arracher lui‑même des poils pubiens et que les empreintes dentaires ont été prises par un dentiste selon les règles de l’art, le prélèvement de ces échantillons n’est pas fautif au point de constituer une fouille abusive dans les circonstances de la présente affaire.  À cet égard, le refus de l’accusé de fournir des échantillons de substances corporelles et l’absence de ses avocats au moment où les échantillons ont été saisis n’ont aucune pertinence pour évaluer si la police a raisonnablement exercé son pouvoir d’effectuer une fouille accessoire à une arrestation.  Dès qu’on conclut qu’une fouille est conforme à ce pouvoir, la police peut, conformément à ces lignes directrices, la faire subir à une personne légalement mise en état d’arrestation.  De plus, même si les échantillons de substances corporelles et les empreintes dentaires de l’accusé auraient pu être obtenus ultérieurement, ce n’est pas un facteur pertinent.  La police avait également des motifs raisonnables de prélever des échantillons de substances corporelles et de prendre des empreintes dentaires, compte tenu des résultats de l’autopsie de la victime qui ont révélé la présence de sperme dans son vagin et d’une morsure humaine sur son abdomen.  La preuve révèle l’existence de circonstances suffisamment importantes pour justifier le prélèvement de ces échantillons et la prise de ces empreintes.  La police n’aurait pas pu obtenir un mandat l’autorisant à recueillir le genre d’éléments de preuve qu’elle cherchait, et les cheveux et poils de l’accusé, sa salive et ses empreintes dentaires n’auraient pas pu être obtenus par des moyens moins envahissants.  Étant donné l’absence de témoin du meurtre, il n’existait pas d’autre preuve que l’accusé avait commis cette infraction grave.  Finalement, le genre de fouille en cause est conforme à l’intérêt public.  Lorsque des indices tels que des liquides organiques ou une marque de morsure humaine sont découverts sur le corps de la victime, la possibilité de recourir à une analyse génétique ou odontologique médicolégale est conforme à l’intérêt important qu’a la société à décourager la perpétration de tels crimes.  Étant donné qu’il n’y a eu aucune violation des droits garantis à l’accusé par l’art. 8  de la Charte  lors de l’obtention des éléments de preuve en question, ces éléments de preuve étaient admissibles au procès.

 

Vu la conclusion que la manière dont la police a obtenu les éléments de preuve était effectivement légale, il s’ensuit que la fouille était également conforme aux principes de justice fondamentale et qu’elle n’a pas violé l’art. 7  de la Charte .

 

Le papier‑mouchoir contenant les mucosités n’a pas été obtenu en violation de l’art. 8  de la Charte , étant donné que l’accusé ne pouvait invoquer aucun droit à la vie privée relativement à cet échantillon.  Par conséquent, cet élément de preuve était lui aussi admissible au procès.

 

Bien qu’il ne soit pas nécessaire d’examiner la question du par. 24(2)  de la Charte , il y a accord en général avec l’analyse du juge McLachlin.  La classification de la preuve eu égard à l’aspect «équité du procès» de l’analyse fondée sur le par. 24(2), à savoir la classification de la preuve en «preuve “matérielle” non obtenue en mobilisant l’accusé contre lui‑même» et en «preuve obtenue en mobilisant l’accusé contre lui‑même», qui comprend la «preuve dérivée», avec son application possible à toutes sortes de situations imprévues, est malheureuse.  Le problème de l’équité du procès ne se pose que si l’accusé a été forcé, à la suite d’une violation de la Charte , de participer à la constitution ou à la découverte d’une preuve qui tend à établir sa culpabilité par suite de son propre aveu ou de sa propre déclaration.  La preuve qui compromet l’équité du procès ne doit pas inévitablement être écartée en vertu du par. 24(2).  La prise en considération appropriée des «circonstances» exige la pondération de chaque ensemble de facteurs énoncés dans l’arrêt Collins.

 


Le juge Gonthier (dissident):  Il y a accord avec les motifs du juge L’Heureux‑Dubé.  Il y a également accord avec les motifs du juge McLachlin quant à la portée du principe de l’auto‑incrimination et à la méthode analytique utile pour déterminer l’admissibilité de la preuve en vertu du par. 24(2)  de la Charte .

 

Jurisprudence

 

Citée par le juge Cory

 


Arrêts appliqués:  R. c. Legere (1988), 89 R.N.-B. (2e) 361; R. c. Paul (1994), 155 R.N.-B. (2e) 195; arrêt non suivi:  Schmerber c. California, 384 U.S. 757 (1966); arrêts mentionnés:  R. c. Collins, [1987] 1 R.C.S. 265; R. c. Storrey, [1990] 1 R.C.S. 241; R. c. Duguay, Murphy and Sevigny (1985), 18 C.C.C. (3d) 289, conf. pour d’autres motifs par [1989] 1 R.C.S. 93; Hunter c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145; Leigh c. Cole (1853), 6 Cox C.C. 329; Bessell c. Wilson (1853), 1 El. & Bl. 489, 118 E.R. 518; Cloutier c. Langlois, [1990] 1 R.C.S. 158; R. c. Lim (No. 2) (1990), 1 C.R.R. (2d) 136; R. c. Speid (1991), 8 C.R.R. (2d) 383, autorisation de pourvoi refusée, [1992] 1 R.C.S. xi; R. c. Smellie (1994), 95 C.C.C. (3d) 9, autorisation de pourvoi refusée, [1995] 2 R.C.S. ix; R. c. Belnavis (1996), 107 C.C.C.  (3d) 195; R. c. Alderton (1985), 17 C.C.C. (3d) 204; R. c. Pohoretsky, [1987] 1 R.C.S. 945; R. c. Dyment, [1988] 2 R.C.S. 417; R. c. Simmons, [1988] 2 R.C.S. 495; R. c. Beare, [1988] 2 R.C.S. 387; R. c. Borden, [1994] 3 R.C.S. 145; R. c. LeBlanc (1981), 64 C.C.C. (2d) 31; R. c. Love, [1994] A.J. No. 847 (QL), conf. par (1995), 102 C.C.C. (3d) 393; R. c. Arp, [1995] B.C.J. No. 882 (QL); R. c. Legere (1994), 95 C.C.C. (3d) 139; R. c. Titian, C.S.C.‑B., no du greffe de Victoria 70624, 26 mai 1994, inédit; R. c. Mellenthin, [1992] 3 R.C.S. 615; R. c. Burlingham, [1995] 2 R.C.S. 206; R. c. Evans, [1996] 1 R.C.S. 8; R. c. Grant, [1993] 3 R.C.S. 223; R. c. Wiley, [1993] 3 R.C.S. 263; R. c. Plant, [1993] 3 R.C.S. 281; R. c. Ross, [1989] 1 R.C.S. 3; R. c. Bartle, [1994] 3 R.C.S. 173; R. c. Manninen, [1987] 1 R.C.S. 1233; R. c. Wijesinha, [1995] 3 R.C.S. 422; R. c. Colarusso, [1994] 1 R.C.S. 20; R. c. Black, [1989] 2 R.C.S. 138; R. c. Silveira, [1995] 2 R.C.S. 297; R. c. Harper, [1994] 3 R.C.S. 343; R. c. Hebert, [1990] 2 R.C.S. 151; R. c. S. (R.J.), [1995] 1 R.C.S. 451; R. c. Kokesch, [1990] 3 R.C.S. 3.

 

Citée par le juge Major

 

Arrêts mentionnés:  Hunter c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145; R. c. Dyment, [1988] 2 R.C.S. 417; R. c. LeBlanc (1981), 64 C.C.C. (2d) 31;  R. c. Mellenthin, [1992] 3 R.C.S. 615.

 

Citée par le juge McLachlin (dissidente)

 


R. c. Morgentaler, [1988] 1 R.C.S. 30; R. c. Hebert, [1990] 2 R.C.S. 151; Marcoux c. La Reine, [1976] 1 R.C.S. 763; Hogan c. La Reine, [1975] 2 R.C.S. 574; Attorney General for Quebec c. Bégin, [1955] R.C.S. 593; Validity of Section 92(4) of the Vehicles Act, 1957 (Sask.), [1958] R.C.S. 608; R. c. Nikolovski, [1996] 3 R.C.S. 1197; R. c. Black, [1989] 2 R.C.S. 138; Holt c. United States, 218 U.S. 245 (1910); Schmerber c. California, 384 U.S. 757 (1966); King c. McLellan, [1974] V.R. 773; Sorby c. Commonwealth of Australia (1983), 152 C.L.R. 281; Howard c. Bates (1994), 72 A. Crim. R. 96; Kuruma c. The Queen, [1955] A.C. 197; Adair c. M’Garry, [1933] S.L.T. 482; R. c. Buckingham (1943), 86 C.C.C. 76; R. c. Hayward (1957), 118 C.C.C. 365; R. c. Nowakowski (1977), 40 C.R.N.S. 144; R. c. McLarty (No. 2) (1978), 40 C.C.C. (2d) 72; R. c. Dyment, [1988] 2 R.C.S. 417; R. c. LeBlanc (1981), 64 C.C.C. (2d) 31; R. c. Love, [1994] A.J. No. 847 (QL), conf. par (1995), 102 C.C.C. (3d) 393; R. c. Arp, [1995] B.C.J. No. 882 (QL); R. c. Legere (1994), 95 C.C.C. (3d) 139; R. c. Titian, C.S.C.‑B., no du greffe de Victoria 70624, 26 mai 1994, inédit; R. c. Mellenthin, [1992] 3 R.C.S.  615; R. c. Collins, [1987] 1 R.C.S. 265; R. c. Strachan, [1988] 2 R.C.S. 980; R. c. Grant, [1993] 3 R.C.S. 223; R. c. Plant, [1993] 3 R.C.S. 281; R. c. Wiley, [1993] 3 R.C.S. 263; R. c. Sieben, [1987] 1 R.C.S. 295; R. c. Hamill, [1987] 1 R.C.S. 301; R. c. Simmons, [1988] 2 R.C.S. 495; R. c. Jacoy, [1988] 2 R.C.S. 548; R. c. Pohoretsky, [1987] 1 R.C.S. 945; R. c. Elshaw, [1991] 3 R.C.S. 24; R. c. Broyles, [1991] 3 R.C.S. 595; R. c. Burlingham, [1995] 2 R.C.S. 206; R. c. Bartle, [1994] 3 R.C.S. 173; R. c. Colarusso, [1994] 1 R.C.S. 20; R. c. Terry, [1996] 2 R.C.S. 207; Morris c. La Reine, [1983] 2 R.C.S. 190; R. c. B. (C.R.), [1990] 1 R.C.S. 717; R. c. Duguay, [1989] 1 R.C.S. 93.

 

Citée par le juge L’Heureux‑Dubé (dissidente)

 


Cloutier c. Langlois, [1990] 1 R.C.S. 158; R. c. Collins, [1987] 1 R.C.S. 265; R. c. Alderton (1985), 17 C.C.C. (3d) 204; R. c. Beare, [1988] 2 R.C.S. 387; R. c. Legere (1988), 89 R.N.-B. (2e) 361; R. c. Storrey, [1990] 1 R.C.S. 241; R. c. Smellie (1994), 95 C.C.C. (3d) 9, autorisation de pourvoi refusée, [1995] 2 R.C.S. ix; R. c. Garcia,  [1992] R.J.Q. 2716; R. c. Lerke (1986), 49 C.R. (3d) 324; R. c. Morrison (1987), 58 C.R. (3d) 63; R. c. Miller (1987), 38 C.C.C. (3d) 252; R. c. Debot (1986), 54 C.R. (3d) 120, conf. par [1989] 2 R.C.S. 1140; R. c. Rao (1984), 12 C.C.C. (3d) 97; R. c. Lim (No. 2) (1990), 1 C.R.R. (2d) 136; R. c. Schweir, [1993] O.J. No. 3404 (QL); United States c. Weir, 657 F.2d 1005 (1981); Ewing c. State, 310 N.E.2d 571 (1974); Spence c. State, 795 S.W.2d 743 (1990); State c. Cobb, 243 S.E.2d 759 (1978); R. c. Morin (1995), 37 C.R. (4th) 395; R. c. Brezack (1949), 96 C.C.C. 97; Reynen c. Antonenko (1975), 20 C.C.C. (2d) 342; Scott c. The Queen (1975), 24 C.C.C. (2d) 261; R. c. Truchanek (1984), 39 C.R. (3d) 137; Hunter c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145; R. c. Therens, [1985] 1 R.C.S. 613; R. c. Pohoretsky, [1987] 1 R.C.S. 945; R. c. Dyment, [1988] 2 R.C.S. 417; R. c. Simmons, [1988] 2 R.C.S. 495; SDGMR c. Dolphin Delivery Ltd., [1986] 2 R.C.S. 573; Dagenais c. Société Radio‑Canada, [1994] 3 R.C.S. 835; Hill c. Église de scientologie de Toronto, [1995] 2 R.C.S. 1130; R. c. Ross, [1989] 1 R.C.S. 3; R. c. Duguay, [1989] 1 R.C.S. 93; R. c. Bartle, [1994] 3 R.C.S. 173; R. c. Mellenthin, [1992] 3 R.C.S. 615; R. c. S. (R.J.), [1995] 1 R.C.S. 451; R. c. Burlingham, [1995] 2 R.C.S. 206.

 

Lois et règlements cités

 

Charte canadienne des droits et libertés , art. 7 , 8 , 10 b ) , 24(2) .

 

Code criminel , L.R.C. (1985), ch. C‑46 , art. 487.05  [aj. 1995, ch. 27, art. 1], 487.06(1) [idem].

 

Constitution des États‑Unis, Cinquième amendement.

 

Criminal Justice and Public Order Act 1994 (R.‑U.), 1994, ch. 33, art. 35.

 

Loi sur les jeunes contrevenants , L.R.C. (1985), ch. Y‑1 , art. 56(2) c), d).

 

Police and Criminal Evidence Act 1984 (R.‑U.), 1984, ch. 60.

 

Projet de loi C‑104, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur les jeunes contrevenants (analyse génétique à des fins médicolégales), 1re sess., 35e lég., 22 juin 1995, 1994‑95.

 

Doctrine citée

 

Archibald, Bruce P.  «Le droit relatif à l’arrestation».  Dans Vincent M. Del Buono, dir., Procédure pénale au Canada.  Montréal: Wilson & Lafleur, 1983, 143.

 

Béliveau, Pierre, Jacques Bellemare et Jean‑Pierre Lussier.  Traité de procédure pénale. Montréal:  Yvon Blais, 1981.

 

Canada.  Commission de réforme du droit.  Rapport 25.  Les techniques d’investigation policière et les droits de la personne.  Ottawa: La Commission, 1985.

 

Canada.  Débats de la Chambre des communes, vol. 133, no 224, 1re sess., 35e lég., p. 14489.

 

Chayko, G. M., E. D. Gulliver and D. V. Macdougall. Forensic Evidence in Canada. Aurora, Ont.:  Canada Law Book, 1991.

 

Cohen, Stanley A.  «Search Incident to Arrest» (1989‑90), 32 Crim. L.Q. 366.

 


Herman, Lawrence.  «The Unexplored Relationship Between the Privilege Against Compulsory Self‑Incrimination and the Involuntary Confession Rule (Part I)» (1992), 53 Ohio St. L.J. 101.

 

Hogg, Peter W.  Constitutional Law of Canada, 3rd ed.  Scarborough, Ont.:  Carswell, 1992.

 

LaFave, Wayne R.  Search and Seizure:  A Treatise on the Fourth Amendment, vol. 3, 3rd ed.  St. Paul, Minn.:  West Publishing Co., 1996.

 

Mitchell, Gerard E.  «The Supreme Court of Canada on the Exclusion of Evidence in Criminal Cases under Section 24  of the Charter » (1987‑88), 30 Crim. L.Q. 165.

 

Paciocco, David M.  «Self‑Incrimination:  Removing the Coffin Nails» (1989), 35 R.D. McGill 73.

 

Paciocco, David M.  «The Judicial Repeal of s. 24(2) and the Development of the Canadian Exclusionary Rule» (1989‑90), 32 Crim. L.Q. 326.

 

Salhany, Roger E.  Canadian Criminal Procedure, 6th ed.  Aurora, Ont.:  Canada Law Book, 1994 (loose-leaf updated February 1996, release No. 4).

 

Salhany, Roger E.  The Police Manual of Arrest, Seizure & Interrogation, 6th ed. Scarborough, Ont.:  Carswell, 1994.

 

Stuart, Don.  «Burlingham and Silveira:  New Charter Standards to Control Police Manipulation and Exclusion of Evidence» (1995), 38 C.R. (4th) 386.

 

Stuart, Don.  «Questioning the Discoverability Doctrine in Section 24(2) Rulings» (1996), 48 C.R. (4th) 351.

 

Wigmore, John Henry.  Evidence in Trials at Common Law, vol. 8.  Revised by John T. McNaughton.  Boston:  Little, Brown & Co., 1961.

 

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Nouveau‑Brunswick (1995), 159 R.N.-B. (2e) 321, 409 A.P.R. 321, 97 C.C.C. (3d) 164, qui a rejeté l’appel interjeté par l’accusé contre sa déclaration de culpabilité de meurtre au premier degré.  Pourvoi accueilli et nouveau procès ordonné, les juges L’Heureux‑Dubé, Gonthier et McLachlin  sont dissidents.

 

J. C. Marc Richard et Christa A. Bourque, pour l’appelant.

 

Graham J. Sleeth, c.r., et John J. Walsh, pour l’intimée.


S. R. Fainstein, c.r., et George Dolhai, pour  l’intervenant le procureur général du Canada.

 

Renee M. Pomerance, pour l’intervenant le procureur général de l’Ontario.

 

Jacques Gauvin, pour l’intervenant le procureur général du Québec.

 

William D. Delaney, pour l’intervenant le procureur général de la Nouvelle‑Écosse.

 

William F. Ehrcke, pour l’intervenant le procureur général de la Colombie‑Britannique.

 

Graeme G. Mitchell, pour l’intervenant le procureur général de la Saskatchewan.

 

Jack Watson, c.r., pour l’intervenant le procureur général de l’Alberta.

 

Michael Code, pour l’intervenante  Law Union of Ontario.

 

Kent Roach, pour l’intervenante l’Association canadienne des libertés civiles.

 

Scott K. Fenton, pour l’intervenante Criminal Lawyers’ Association (Ontario).

 

Guy Cournoyer, pour l’intervenante l’Association québécoise des avocats et avocates de la défense.

 

//Le juge Cory//

 


Version française du jugement du juge en chef Lamer et des juges La Forest, Sopinka, Cory et Iacobucci rendu par

 

1                 Le juge Cory ‑‑ Deux questions importantes doivent être examinées en l’espèce.  Premièrement, quelles devraient être l’étendue et les limites du pouvoir de common law de procéder à une fouille accessoire à une arrestation?  Deuxièmement, dans quelles circonstances un élément de preuve obtenu à la suite d’une violation d’un droit garanti par la Charte canadienne des droits et libertés  devrait‑il être jugé inadmissible pour le motif que son utilisation rendrait le procès inéquitable?

 

I.  Les faits

 

2                 Pendant la soirée du 12 avril 1991, sept adolescents se sont réunis dans la région d’Oromocto (Nouveau‑Brunswick).  Ils ont marché jusqu’à un chalet dans le bois, où ils ont bu de la bière et du vin et partagé du LSD.  Entre 20 h et 20 h 30, l’appelant, William Stillman, âgé de 17 ans, et la victime, Pamela Bischoff, âgée de 14 ans, ont quitté le groupe.  Lorsque l’appelant est arrivé chez lui entre 23 h 45 et minuit, il avait manifestement froid et était ébranlé et trempé à partir du haut des cuisses jusqu’aux pieds.  Il avait une coupure au‑dessus d’un {oe}il, et de la boue et de l’herbe sur son pantalon.  Il a expliqué son état en disant qu’il s’était bagarré avec cinq Indiens.  Cette explication de même que sa description de l’endroit où il avait vu la victime pour la dernière fois ont varié avec le temps.

 


3                 Le corps de la victime a été découvert six jours plus tard dans la rivière Oromocto, près d’un pont, à quelque 300 ou 400 mètres de l’endroit où elle avait été vue pour la dernière fois par le groupe.  Un expert a déterminé que le décès était survenu entre 22 h 30 et 23 h 30, le 12 avril 1991.  Un automobiliste et son passager avaient aperçu Pamela sur le pont, avec un compagnon, vers 22 h 15.  Un autre automobiliste a affirmé avec certitude avoir vu l’appelant marcher sur un chemin menant au pont, entre 23 h 45 et minuit.  Il avait remarqué la présence de boue sur le pantalon de l’appelant, à partir du haut des genoux jusqu’aux pieds.

 

4                 L’autopsie a révélé que la cause du décès était non pas la noyade, mais plutôt une ou des blessures à la tête.  Du sperme a été trouvé dans le vagin de la victime, dont l’abdomen portait la marque d’une morsure humaine.

 

5                 Le 19 avril 1991, l’appelant a été arrêté pour le meurtre de Pamela Bischoff.  Au moment de son arrestation, il a eu recours à l’assistance d’avocats.  Il a été emmené au quartier général de la GRC à Fredericton, où ses avocats l’ont rencontré.  La police a fait savoir qu’elle désirait obtenir des échantillons de cheveux et de poils de l’appelant, ainsi que des empreintes de sa dentition, et qu’elle voulait l’interroger.  Après avoir passé plus de deux heures avec l’appelant, les deux avocats ont remis la lettre suivante à la police:

 

[traduction]  La présente confirme que Bryan Whittaker et moi‑même représentons l’adolescent susnommé qui, si nous comprenons bien, a été arrêté pour meurtre.

 

La présente confirme que nous avons conseillé à cet adolescent de refuser de fournir, à vous ou à quelque autre personne, quelque échantillon de substance corporelle que ce soit, comme des cheveux et des poils, ou des empreintes dentaires.

 

La présente confirme également que nous lui avons conseillé de ne faire aucune déclaration, à vous ou à quelque autre personne, concernant votre enquête sur le décès de Pam Bischoff.  Il ne devra vous adresser la parole qu’en présence de l’un des soussignés.

 


6                 Malgré cette déclaration d’intention, une fois les avocats partis, la GRC a prélevé des échantillons de substances corporelles de l’appelant après avoir menacé de recourir à la force.  Un sergent a prélevé des échantillons de cheveux en passant sa main gantée dans les cheveux de l’appelant, de même qu’en les peignant, en en coupant et en en arrachant.  L’appelant a été forcé de s’arracher des poils pubiens.  Des empreintes à la plasticine ont été prises de sa dentition.

 

7                 Puis, en l’absence des parents de l’appelant ou de ses avocats, un policier l’a interrogé pendant une heure dans le but d’obtenir une déclaration.  Bien que l’appelant n’ait rien dit, il a sangloté pendant tout l’interrogatoire.  Il a demandé à parler à son avocat et, à ce moment, l’interrogatoire a pris fin et on lui a permis de lui téléphoner.  En attendant l’arrivée de son avocat, l’appelant a demandé à aller aux toilettes, ce qu’il a fait escorté du policier.  À sa sortie des toilettes, l’appelant a utilisé un papier-mouchoir pour se moucher et l’a jeté dans la poubelle.  Le policier a saisi le papier-mouchoir contenant des mucosités qui, par la suite, a été utilisé pour effectuer une analyse d’empreintes génétiques.

 

8                 Lorsque l’avocat de l’appelant est arrivé au quartier général, il s’est élevé contre les mesures prises par la GRC à l’égard de l’appelant.  Pourtant, une fois l’avocat parti, le sergent a emmené l’appelant dans une salle d’interrogatoire et a tenté, une fois de plus, d’obtenir une déclaration.  La police estimait détenir suffisamment d’éléments de preuve pour porter des accusations contre l’appelant, mais le bureau du ministère public n’était pas de cet avis.  Par conséquent, cinq jours après son arrestation, l’appelant a été remis en liberté sans qu’aucune accusation ne soit portée contre lui.

 


9                 Plusieurs mois plus tard, après avoir reçu les résultats de l’analyse des empreintes génétiques et dentaires, la GRC a de nouveau arrêté l’appelant, en partie afin d’obtenir de meilleures empreintes de sa dentition.  Un dentiste s’est présenté à cette fin au détachement de la GRC et a, pendant deux heures, procédé à la prise d’empreintes de la dentition de l’appelant, sans le consentement de ce dernier.  D’autres cheveux et poils de l’appelant ont été prélevés, de même qu’un échantillon de salive, et des prélèvements ont été faits dans sa bouche.

 

10               À la mi‑février 1993, un voir‑dire a été tenu pour déterminer l’admissibilité de certains éléments de preuve:  [1993] A.N.-B. no 625 (B.R.).  Le juge du procès a conclu que les échantillons de cheveux et de poils, les empreintes dentaires et les prélèvements faits dans la bouche avaient été obtenus dans des conditions qui violaient les droits garantis à l’appelant par la Charte , mais qu’il y avait lieu néanmoins d’admettre en preuve ces éléments.  Il a décidé que le papier‑mouchoir contenant les mucosités n’avait pas été obtenu dans des conditions qui violaient les droits garantis à l’appelant par la Charte .

 

11               Un jury a déclaré l’appelant coupable de meurtre au premier degré et l’a condamné à l’emprisonnement à perpétuité sans possibilité de bénéficier de la libération conditionnelle avant huit ans.  La Cour d’appel du Nouveau‑Brunswick a rejeté l’appel à la majorité, mais le juge Rice, dissident, l’aurait accueilli et aurait ordonné un nouveau procès pour le motif que la preuve aurait dû être écartée conformément au par. 24(2)  de la Charte :  (1995), 159 R.N.-B. (2e) 321, 409 A.P.R. 321, 97 C.C.C. (3d) 164.  L’appelant se pourvoit maintenant de plein droit devant notre Cour.

 

II.  Les juridictions inférieures

 

A.  La Cour du Banc de la Reine du Nouveau‑Brunswick (voir‑dire)

 


12               Le juge du procès a conclu que les échantillons de substances corporelles, qui ont été prélevés dès que possible, ont été saisis dans le cadre de la fouille qui était nécessairement accessoire à l’arrestation.  Les résultats préliminaires de l’autopsie ont nécessité la tenue d’une enquête plus poussée.  Le juge Russell a conclu que la police avait, par conséquent, des motifs raisonnables d’arrêter l’appelant, ainsi que d’exiger le prélèvement de cheveux et de poils et la prise d’empreintes dentaires le plus rapidement possible afin de répondre aux questions soulevées par l’autopsie.  Il a estimé que la gamme des [traduction] «saisies effectuées à la suite d’une arrestation» allait du simple prélèvement de cheveux à la prise de sang ou à l’aspiration gastrique, et que, à un certain point, un type particulier de saisie pouvait devenir répugnant.  Mais quelle que soit la limite, il a conclu qu’elle n’avait pas été franchie en l’espèce.

 

13               Le juge du procès a examiné la lettre avertissant la police de ne pas prélever des échantillons auprès de l’appelant et a conclu que la participation de ce dernier n’avait pas été consensuelle.  Étant donné que les échantillons avaient été prélevés contre le gré de l’appelant, et que la police n’avait aucune autorisation légale ou autre de prélever les échantillons, il a conclu que les saisies avaient violé le droit de l’appelant à la protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives.

 


14               Le juge du procès a ensuite examiné le critère dégagé dans l’arrêt R. c. Collins, [1987] 1 R.C.S. 265.  Il a statué que les échantillons de substances corporelles constituaient une preuve matérielle qui existait indépendamment de la violation de la Charte , que la police avait le droit de saisir des échantillons auprès de l’appelant parce que cette mesure était accessoire à l’arrestation, que l’atteinte portée était aussi mineure que possible, et que la police avait agi de bonne foi.  Le juge du procès était convaincu que l’appelant ne serait pas privé d’un procès équitable si les éléments de preuve étaient admis.  Il était aussi d’avis que l’admission en preuve des échantillons, des photographies et des empreintes saisis ne reviendrait pas à tolérer une conduite inacceptable en matière d’enquête, et que le refus d’utiliser les éléments de preuve découlant des saisies aurait pour effet de déconsidérer davantage l’administration de la justice que leur utilisation.

 

15               Quant à la saisie du papier-mouchoir dans la poubelle, le juge Russell a conclu que l’appelant avait abandonné ce papier-mouchoir et qu’il avait cessé d’avoir une attente raisonnable en matière de vie privée à son sujet.  Il n’y avait pas de lien suffisant entre l’interrogatoire de l’appelant et la mise au rebut du papier-mouchoir pour conclure que sa saisie violait le droit garanti à l’appelant par l’art. 8  de la Charte , étant donné en plus qu’il s’agissait d’un fait accessoire.  Le juge Russell a décidé que le papier-mouchoir avait été régulièrement obtenu et que la preuve découlant de cette saisie serait admise.

 

B.  La Cour d’appel du Nouveau‑Brunswick

 

(1)  le juge en chef Hoyt (à l’avis duquel a souscrit le juge Ayles)

 

16               En ce qui concerne la question du papier-mouchoir jeté, le juge en chef Hoyt était d’accord avec le juge du procès pour dire que la saisie de cet objet n’avait violé aucun droit garanti par la Charte .  Il a conclu que, lorsque l’appelant s’était volontairement défait du papier-mouchoir que la police ne cherchait pas à obtenir, il avait cessé d’avoir un droit à la vie privée à son sujet.  Par conséquent, aucun droit garanti par la Charte  n’avait été violé et le par. 24(2)  de la Charte  n’entrait pas en jeu.

 


17               Quant aux autres objets, le juge en chef Hoyt était d’accord avec le juge du procès pour dire qu’il y avait eu violation du droit garanti à l’appelant par l’art. 8  de la Charte .  Il convenait également que les éléments de preuve avaient été régulièrement admis malgré cette violation.  Le juge en chef Hoyt a statué que le juge du procès avait dûment examiné le deuxième groupe de facteurs, dont la conduite de la police, en se demandant jusqu’à quel point l’utilisation des éléments de preuve reviendrait à tolérer une conduite policière inacceptable.  Bien que l’appelant n’ait pas consenti à fournir des échantillons, la police les a obtenus d’une façon qui constituait une atteinte minimale à sa dignité.  Il n’y avait eu aucun recours à la force et l’appelant n’avait pas résisté.  Le juge en chef Hoyt a conclu que la lettre dans laquelle les avocats avaient demandé aux policiers de ne pas prélever d’échantillons ne saurait être déterminante, car on ne peut pas, au moyen d’une telle lettre, obliger la police à restreindre une enquête criminelle.  D’après lui, le juge du procès avait régulièrement tenu compte de la lettre et de la gravité de l’accusation portée contre l’appelant dans sa décision d’admettre la preuve en question.

 

18               La Cour d’appel à la majorité a conclu que le juge du procès n’avait pas commis d’erreur quant aux principes ou aux règles de droit applicables.  Il n’était donc pas approprié que la cour procède à une analyse indépendante concernant l’application du par. 24(2)  de la Charte .

 

(2)  le juge Rice (dissident)

 


19               Le juge Rice a conclu que le juge du procès avait commis une erreur en appliquant la jurisprudence relative à l’étendue permise d’une fouille ou perquisition et d’une saisie accessoires à une arrestation.  Il a convenu avec le juge du procès, quoique pour des motifs différents, qu’il y avait eu violation des droits garantis à l’appelant par la Charte .  Le juge Rice a fait remarquer qu’une fouille accessoire à une arrestation représentait un pouvoir discrétionnaire qui devait être exercé pour désarmer un suspect ou pour recueillir des éléments de preuve qui, autrement, pourraient être perdus.  En l’espèce, il n’y avait absolument aucune situation d’urgence qui puisse justifier l’exercice des «pouvoirs accessoires à l’arrestation».  Ce pouvoir de common law n’habilite pas l’État à recueillir des éléments de preuve en prélevant des parties du corps de l’accusé ou en prenant des empreintes dentaires.

 

20               Lorsqu’une fouille ou perquisition et une saisie ne sont pas autorisées par la loi ou par la common law, elles sont généralement jugées illégales et à première vue abusives et contraires à la Charte .  Étant donné l’absence d’autorisation en l’espèce, l’atteinte au corps de l’appelant constituait une violation flagrante de sa vie privée et de sa dignité.

 

21               Le juge Rice a aussi décidé que la saisie du papier-mouchoir violait les droits garantis à l’appelant par la Charte .  L’appelant avait clairement refusé de donner à la police des échantillons de substances corporelles.  Cette appropriation subreptice d’échantillons au moment où l’appelant était sous le contrôle de l’État constituait une violation de la Charte .  Les circonstances de la présente affaire devraient être mises en contraste avec celles où l’accusé se départit d’échantillons alors qu’il n’est pas sous le contrôle de l’État et qu’il n’a pas explicitement refusé de les fournir.

 


22               Le juge Rice a conclu que l’utilisation des éléments de preuve déconsidérerait l’administration de la justice:  la violation de la Charte  était grave, les autorités n’ont tenu absolument aucun compte de l’arrêt R. c. Legere (1988), 89 R.N.‑B. (2e) 361 (C.A.), où il a été statué qu’arracher les cheveux d’une personne sans son consentement constitue une violation des art. 7  et 8  de la Charte , les violations ont amené l’appelant à s’incriminer lui-même, au moins une partie de la preuve aurait pu être obtenue d’une autre façon, et on s’est discrètement servi de l’arrestation pour recueillir les éléments de preuve.

 

III.  Les dispositions législatives pertinentes

 

23     Charte canadienne des droits et libertés 

 

7.  Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale.

 

8.  Chacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives.

 

24.  . . .

 

(2)  Lorsque, dans une instance visée au paragraphe (1), le tribunal a conclu que des éléments de preuve ont été obtenus dans des conditions qui portent atteinte aux droits ou libertés garantis par la présente charte, ces éléments de preuve sont écartés s’il est établi, eu égard aux circonstances, que leur utilisation est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.

 

Code criminel , L.R.C. (1985), ch. C‑46 

 

487.05 (1)  Sur demande ex parte, un juge de la cour provinciale peut décerner un mandat écrit autorisant un agent de la paix à procéder ou faire procéder sous son autorité au prélèvement d’un échantillon d’une substance corporelle d’une personne pour analyse génétique, s’il est convaincu, à la suite d’une dénonciation faite sous serment, que la délivrance du mandat servirait au mieux l’administration de la justice et qu’il existe des motifs raisonnables de croire:

 

a)  qu’une infraction désignée a été perpétrée;

 

b)  qu’une substance corporelle a été trouvée:

 

(i)  sur le lieu de l’infraction,

 

(ii)  sur la victime ou à l’intérieur du corps de celle‑ci,

 

(iii)  sur ce qu’elle portait ou transportait lors de la perpétration de l’infraction,


(iv)  sur une personne ou à l’intérieur du corps d’une personne, sur une chose ou à l’intérieur d’une chose ou en des lieux, liés à la perpétration de l’infraction;

 

c)  que la personne a participé à l’infraction;

 

d)  que l’analyse génétique de la substance corporelle prélevée apportera des preuves selon lesquelles la substance corporelle visée à l’alinéa b) provient ou non de cette personne.

 

Loi sur les jeunes contrevenants , L.R.C. (1985), ch. Y‑1 

 

56.  . . .

 

(2)  La déclaration orale ou écrite faite par un adolescent à un agent de la paix ou à toute autre personne en autorité d’après la loi, n’est pas admissible en preuve contre l’adolescent, sauf si les conditions suivantes sont remplies:

                                                                   . . .

 

c)  l’adolescent s’est vu donner, avant de faire la déclaration, la possibilité de consulter soit son avocat soit son père ou sa mère, soit, en l’absence du père ou de la mère, un parent adulte, soit, en l’absence du père ou de la mère et du parent adulte, tout autre adulte idoine qu’il aura choisi;

 

d)  l’adolescent s’est vu donner, au cas où il a consulté une personne conformément à l’alinéa c), la possibilité de faire sa déclaration en présence de cette personne.

 

IV.  Les questions soulevées par le présent pourvoi

 

24               Les questions soulevées sont les suivantes:

 

1.        Les juges majoritaires de la Cour d’appel du Nouveau‑Brunswick ont‑ils commis une erreur de droit en statuant que la fouille effectuée au moyen d’empreintes dentaires, d’échantillons de cheveux et de poils et de prélèvements dans la bouche, mais non la saisie du papier‑mouchoir jeté, portait atteinte aux droits garantis à l’appelant par la Charte ?

 

2.        Les juges majoritaires de la Cour d’appel du Nouveau‑Brunswick ont‑ils commis une erreur en statuant que les éléments de preuve obtenus dans des conditions qui portaient atteinte aux droits et libertés de l’appelant ne devraient pas être écartés conformément au par. 24(2)  de la Charte ?

 


V.  Analyse

 

A.     L’un ou l’autre des éléments de preuve contestés a‑t‑il été obtenu dans des conditions qui portaient atteinte aux droits garantis à l’appelant par la Charte ?

 

(1)      Les échantillons de cheveux et de poils, les empreintes dentaires et les prélèvements faits dans la bouche

 

a)        Le prélèvement d’échantillons de cheveux et de poils, la prise d’empreintes dentaires et les prélèvements faits dans la bouche contrevenaient‑ils à l’art. 8  de la Charte ?

 

25               Trois conditions doivent être remplies pour qu’une fouille ne soit pas abusive:  a) elle doit être autorisée par la loi, b) la loi elle‑même ne doit pas être abusive, et c) la fouille ne doit pas avoir été effectuée d’une manière abusive:  voir Collins, précité, à la p. 278.  Il convient donc de commencer par déterminer s’il existait un pouvoir conféré par la loi ou par la common law qui autorisait la police à fouiller l’appelant et à saisir de ses cheveux et de ses poils pubiens, à prendre ses empreintes dentaires ou à faire des prélèvements dans sa bouche.

 


26               Au moment où la saisie a été effectuée en 1991, le Code criminel  ne prescrivait qu’une procédure d’obtention d’un mandat permettant de perquisitionner dans un «bâtiment, contenant ou lieu».  Il n’autorisait pas la fouille d’une personne ni la saisie de parties du corps d’une personne.  Ce n’est que depuis l’ajout récent de l’art. 487.05 que cette restriction a été supprimée dans la mesure prévue par les dispositions de cet article.  Par conséquent, le prélèvement d’échantillons de cheveux et de poils et la prise d’empreintes dentaires ont été effectués sans autorisation légale.  L’intimée ne peut justifier ces fouilles qu’en démontrant qu’elles étaient autorisées en vertu d’un pouvoir conféré par la common law, ou que l’appelant n’avait aucune attente raisonnable en matière de vie privée à l’égard des objets saisis.  À cette fin, l’intimée affirme que les échantillons de cheveux et de poils et les empreintes dentaires ont été saisis conformément au pouvoir de common law de procéder à une fouille accessoire à une arrestation légale.

 

(i)       Le pouvoir de common law de procéder à une fouille accessoire à une arrestation légale

 

27               Trois conditions doivent être remplies pour qu’une fouille soit validement effectuée en vertu du pouvoir de common law de procéder à une fouille accessoire à une arrestation légale.  Premièrement, l’arrestation doit être légale.  Aucune fouille, si raisonnable soit‑elle, ne peut être validée par ce pouvoir de common law si l’arrestation qui y a donné lieu a été arbitraire ou par ailleurs illégale.  Deuxièmement, la fouille doit avoir été effectuée «accessoirement» à l’arrestation légale.  À ces conditions qui sont presque évidentes en soi, il faut en ajouter une troisième, qui s’applique à toutes les fouilles effectuées par la police:  la fouille doit être effectuée de manière raisonnable.  Ces trois critères ont‑ils été respectés en l’espèce?

 

L’arrestation était‑elle légale?

 

28               Pour que l’arrestation soit légale, il fallait que les policiers croient subjectivement qu’il y avait des motifs raisonnables d’arrêter l’appelant.  Il fallait également que ces motifs soient objectivement raisonnables.  Toutefois, la norme à respecter n’est pas stricte au point d’exiger que les policiers établissent, avant de procéder à l’arrestation, l’existence d’une preuve suffisante à première vue pour justifier une déclaration de culpabilité:  voir R. c. Storrey, [1990] 1 R.C.S. 241.

 


29               Au cours du voir‑dire, les policiers ont reconnu que, au moment de l’arrestation de l’appelant, ils n’avaient pas assez d’éléments de preuve pour l’accuser de meurtre.  Ils ont cru que des substances corporelles de l’accusé seraient nécessaires pour procéder à une analyse d’empreintes génétiques qui leur fournirait les motifs nécessaires pour porter l’accusation de meurtre.  Toutefois, un sergent a témoigné qu’ils étaient convaincus d’avoir des motifs suffisants pour arrêter l’appelant et l’amener avec eux afin de l’interroger.  Il a aussi admis que l’arrestation ne visait qu’à obtenir des éléments de preuve auprès de l’appelant, et à l’interroger.

 

30               On a jugé que l’arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario R. c. Duguay, Murphy and Sevigny (1985), 18 C.C.C. (3d) 289, confirmé pour d’autres motifs par [1989] 1 R.C.S. 93, permet de dire que des policiers qui n’ont pas de motifs raisonnables de lier le suspect à la perpétration d’un crime ne peuvent pas effectuer une arrestation dans le seul but de faciliter leur enquête.  Toutefois, les circonstances de la présente affaire sont très différentes et ressemblent davantage à la situation qui existait dans l’arrêt Storrey, précité, où les policiers avaient eu des motifs raisonnables d’effectuer une arrestation, mais avaient poursuivi leur enquête par la suite.  Dans cette affaire, la Cour conclut, à la p. 253, que l’arrêt Duguay, précité:

 

. . . ne fait que confirmer qu’une arrestation par ailleurs illégale ne saurait se justifier pour le motif qu’il était nécessaire d’y procéder pour continuer l’enquête sur le crime en question.  Il ne faut pas y voir l’énoncé d’un principe portant que, chaque fois qu’une arrestation légale s’effectue dans des circonstances où la police a l’intention de poursuivre son enquête, cette arrestation devrait alors être considérée comme ayant été effectuée dans un dessein illégitime.

 


31               Les déclarations faites par les policiers ayant participé à l’enquête révèlent qu’ils avaient subjectivement l’impression d’avoir des motifs raisonnables de croire que l’appelant avait commis le meurtre.  Je suis également convaincu que, d’un point de vue objectif, les policiers avaient des raisons sérieuses et suffisantes d’en arriver à cette conclusion.  Les faits justificatifs peuvent se résumer ainsi:  a) l’appelant était la dernière personne aperçue en compagnie de la victime le soir de sa disparition; b) il ne pouvait pas expliquer, ou du moins il n’a pas expliqué, où il s’était trouvé ce soir-là, entre 21 h et 23 h 30, heure de son retour chez lui; c) lorsqu’il est revenu à la maison, l’appelant était trempé, il avait froid, ses vêtements étaient couverts de boue et il avait une égratignure au‑dessus d’un {oe}il et du sang sur son visage qui pouvaient laisser croire qu’il s’était bagarré.  Lorsque le corps de la victime a été découvert, elle semblait avoir été battue; d) l’appelant a prétendu qu’il s’était bagarré avec des «Indiens», mais cette version des faits a changé avec le temps; e) la réaction inquiète et troublée qu’il a eue en voyant l’hélicoptère de la police survoler la rivière près de l’endroit où le corps de la victime a été trouvé; f) immédiatement après avoir aperçu l’hélicoptère, l’appelant a laissé une note de suicide et s’est enfui; g) l’appelant a fait la déclaration suivante à l’agent Cole: [traduction] «J’ai essayé de l’empêcher de se suicider.  Je l’ai laissée là.»; et h) la GRC avait reçu un rapport de deux automobilistes, dans lequel ceux-ci affirmaient avoir aperçu la victime sur le pont enjambant la rivière Oromocto, avec un compagnon dont le signalement correspondait à celui de l’appelant.

 

32               En définitive, tant les exigences objectives que les exigences subjectives ont été respectées et l’arrestation était légale.  Il faut maintenant déterminer si les diverses fouilles et saisies ont été effectuées «accessoirement» à cette arrestation légale.

 


La saisie des échantillons de cheveux et de poils, des empreintes dentaires et des prélèvements faits dans la bouche a-t-elle été effectuée «accessoirement» à l’arrestation?

 

La portée du pouvoir de common law de

  procéder à une fouille accessoire à une arrestation

 

33               Dans l’arrêt Hunter c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145, notre Cour a conclu qu’une fouille effectuée sans autorisation préalable est présumée abusive.  Toutefois, le pouvoir d’effectuer une fouille accessoire à une arrestation, qui existe depuis longtemps, est une exception à cette règle générale:  voir Leigh c. Cole (1853), 6 Cox C.C. 329, et Bessell c. Wilson (1853), 1 El. & Bl. 489, 118 E.R. 518 (B.R.).  La raison d’être initiale de ce pouvoir était (i) la nécessité que les policiers qui procèdent à une arrestation empêchent la personne arrêtée de s’échapper, et assurent leur propre protection en enlevant à la personne arrêtée toute arme ou tout objet susceptible de lui permettre de s’échapper plus facilement, et (ii) la nécessité d’empêcher la destruction des éléments de preuve en la possession de la personne détenue.  Le pouvoir de common law est des plus sensés et est essentiel à la protection des policiers dans l’exercice de leurs fonctions qui, trop souvent, sont dangereuses.  Cependant, des limites raisonnables ont été imposées à ce pouvoir afin d’éviter les abus.

 


34               Notre Cour a examiné pour la première fois, dans l’arrêt Cloutier c. Langlois, [1990] 1 R.C.S. 158, la question de l’étendue du pouvoir de common law de procéder à une fouille au moment d’une arrestation légale.  Elle y a établi que cette fouille n’exige pas de motifs raisonnables outre ceux qui suffisent pour que l’arrestation elle‑même soit légale.  L’arrêt énonce trois limites au pouvoir conféré par la common law.  Premièrement, ce pouvoir est discrétionnaire et, dans certaines circonstances, un policier peut légitimement juger bon de ne pas effectuer de fouille.  Deuxièmement, la fouille doit viser un objectif valable dans la poursuite des fins de la justice criminelle.  Troisièmement, la fouille ne doit pas être effectuée de façon abusive.

 

35               À la suite de l’arrêt Cloutier c. Langlois, les tribunaux ont progressivement élargi le pouvoir de common law de procéder à une fouille accessoire à une arrestation.  Dans la décision R. c. Lim (No. 2) (1990), 1 C.R.R. (2d) 136 (H.C. Ont.), à la p. 145, le pouvoir a été élargi de manière à viser des éléments de preuve outre ceux qui pourraient être détruits par la personne détenue.  Le juge Doherty a déclaré que, selon lui:

 

[traduction] . . . au Canada, la justification d’une fouille effectuée sans mandat accessoirement à une arrestation va au‑delà de la protection d’éléments de preuve contre leur destruction par la personne arrêtée et inclut la découverte et la protection promptes et effectives d’éléments de preuve pertinents pour déterminer la culpabilité ou l’innocence de la personne arrêtée.

 

36               Ce pouvoir de common law a été élargi davantage dans R. c. Speid (1991), 8 C.R.R. (2d) 383 (C.A. Ont.), autorisation de pourvoi devant notre Cour refusée le 7 mai 1992, [1992] 1 R.C.S. xi.  Dans cette affaire, un juge de paix avait refusé de décerner un mandat de perquisition.  Les policiers ont alors arrêté l’accusé de manière à pouvoir quand même procéder à une fouille.  La Cour d’appel de l’Ontario a étendu l’application de la décision Lim, précitée, pour conclure que la police avait le droit de fouiller la voiture conduite par l’accusé étant donné qu’elle se trouvait encore dans les environs immédiats du lieu de l’arrestation, même si la fouille n’avait pas été effectuée dès l’arrestation.

 


37               Dans l’arrêt R. c. Smellie (1994), 95 C.C.C. (3d) 9 (autorisation de pourvoi devant notre Cour refusée le 8 juin 1995, [1995] 2 R.C.S. ix), la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique s’est dite d’accord avec le principe dégagé dans la décision Lim, à savoir que le pouvoir de procéder à une fouille accessoire à une arrestation ne se limite pas à un contexte de nécessité.

 

38               Dans l’arrêt R. c. Belnavis (1996), 107 C.C.C. (3d) 195 (C.A. Ont.), le juge Doherty a soigneusement examiné les pouvoirs de procéder à une fouille accessoire à une arrestation.  Il a conclu qu’une arrestation pour cause de non‑paiement d’amendes imposées pour des infractions en matière de circulation routière ne permettait pas de fouiller ou de perquisitionner dans le coffre d’un véhicule.  Je suis d’accord avec son raisonnement et sa conclusion sur cette question.

 

39               Il importe de reconnaître que cette jurisprudence, qui a pour effet d’élargir le pouvoir de common law de procéder à une fouille accessoire à une arrestation, a trait à des fouilles de véhicules automobiles moins envahissantes et à la saisie des éléments de preuve qu’elles ont permis d’y trouver.  Ce genre de fouille n’est pas en cause ici et je n’ai pas à exprimer une opinion à ce sujet.  Évidemment, des préoccupations tout à fait différentes surgissent lorsque la fouille et la saisie effectuées violent l’intégrité physique d’une personne, et peuvent constituer l’atteinte la plus grave à la dignité humaine.

 

40               Des cours d’appel provinciales ont examiné récemment la question de savoir si le pouvoir de common law de procéder à une fouille accessoire à une arrestation pouvait être élargi de manière à permettre la saisie de substances corporelles, mais elles sont arrivées à des conclusions contradictoires.  Dans l’arrêt R. c. Alderton (1985), 17 C.C.C. (3d) 204, la Cour d’appel de l’Ontario a conclu, à la p. 208, que la saisie de cheveux d’un accusé ne violait pas l’art. 8  de la Charte , étant donné

 


[traduction]  [qu’] il est bien établi que, à la suite d’une arrestation valide, un policier peut fouiller la personne arrêtée et saisir tout ce qui, selon ce qu’il croit raisonnablement, constituera une preuve de la perpétration de l’infraction dont cette personne est accusée et du lien de cette personne avec cette infraction.

 

41               Par contre, dans l’arrêt plus récent Legere, précité, on a fait remarquer que, puisque la police ne peut entrer sans mandat chez quelqu’un pour y chercher des cheveux, elle ne devrait pas être autorisée, dans le cours de son enquête, à prélever des cheveux d’une personne qu’elle vient d’arrêter.  On a conclu que, d’après les faits de cette affaire, la saisie des échantillons de cheveux n’était pas accessoire à l’arrestation.  Le juge Angers affirme, au nom de la cour, à la p. 379, que  [traduction] «le prélèvement de parties du corps d’une personne, effectué de force et en l’absence d’une loi l’autorisant, est une atteinte au droit à la sécurité de la personne et constitue une saisie abusive».  Ce point de vue a été confirmé dans R. c. Paul (1994), 155 R.N.-B. (2e) 195 (C.A.), où le juge en chef Hoyt déclare, à la p. 203:

 

[traduction]  Les fouilles ou perquisitions accessoires à une arrestation sont justifiées afin de permettre aux policiers effectuant l’arrestation de s’assurer que la personne arrêtée n’est ni armée ni dangereuse.  Les saisies sont aussi justifiées afin de conserver les éléments de preuve qui autrement pourraient être détruits ou perdus.  Puisqu’on ne trouve aucune de ces circonstances ici, la Couronne ne peut se fonder sur le pouvoir accessoire à l’arrestation pour justifier la saisie des échantillons de cheveux et de poils [. . .]  À mon avis, le pouvoir de fouiller, de perquisitionner et de saisir ne va pas au‑delà de ces fins.

 


42               Je suis d’accord avec ce point de vue.  On a souvent dit clairement et avec vigueur qu’une atteinte de l’État à l’intégrité physique d’une personne est une violation de la vie privée de cette personne et une atteinte à la dignité humaine.  La nature envahissante des fouilles corporelles requiert des normes de justification plus strictes.  Dans l’arrêt R. c. Pohoretsky, [1987] 1 R.C.S. 945, à la p. 949, le juge Lamer, maintenant Juge en chef, souligne que «la violation de l’intégrité physique de la personne humaine est une affaire beaucoup plus grave que celle de son bureau ou même de son domicile».  De plus, le juge La Forest fait observer, dans R. c. Dyment, [1988] 2 R.C.S. 417, aux pp. 431 et 432, que «l’utilisation du corps d’une personne, sans son consentement, en vue d’obtenir des renseignements à son sujet, constitue une atteinte à une sphère de la vie privée essentielle au maintien de sa dignité humaine».  Finalement, dans l’arrêt R. c. Simmons, [1988] 2 R.C.S. 495, à la p. 517, le juge en chef Dickson affirme:

 

Le troisième type de fouille, celui qui comporte l’empiétement le plus poussé, est parfois appelé examen des cavités corporelles; pour ce genre de fouille, les agents des douanes ont recours à des médecins, à des rayons X, à des émétiques, ainsi qu’à d’autres moyens comportant un empiétement des plus poussés.

 

Les fouilles de la troisième catégorie ou examen des cavités corporelles peuvent soulever des questions constitutionnelles entièrement différentes puisqu’il est évident que plus l’empiétement sur la vie privée est important, plus sa justification et le degré de protection constitutionnelle accordée doivent être importants.

 

43               Il est sûrement révélateur que le Parlement ait récemment modifié le Code criminel  en ajoutant l’art. 487.05, de manière à créer une procédure d’obtention de mandat autorisant à saisir certaines substances corporelles aux fins d’une analyse d’empreintes génétiques.  Cela porte à croire que le Parlement a reconnu la nature envahissante de la saisie d’échantillons de substances corporelles.  Cet article exige que la police ait des motifs raisonnables de même que l’autorisation d’un officier de justice pour pouvoir effectuer de telles saisies.  Si ce type de fouille et de saisie envahissantes relevait du pouvoir de common law de procéder à une fouille accessoire à une arrestation, le gouvernement n’aurait pas eu besoin de créer une procédure parallèle qui devrait être suivie par la police.  À mon avis, il serait contraire à la jurisprudence et à la doctrine d’affirmer qu’il ne s’agit de rien de plus qu’une codification de la common law.


(ii)  Application aux faits de la présente affaire

 

44               Bien que l’appelant n’ait pas été soumis à un examen des «cavités» corporelles, la fouille dont il a fait l’objet est allée bien plus loin que la fouille sommaire qui accompagne habituellement une arrestation.  Le sergent Kennedy a prélevé des cheveux en passant sa main gantée dans les cheveux de l’appelant, de même qu’en les peignant, en en coupant et en en arrachant.  L’appelant a ensuite été forcé de s’arracher des poils pubiens.  On a demandé à un dentiste de venir prendre les empreintes dentaires de l’appelant et faire des prélèvements dans sa bouche.  Tout cela s’est fait sans le consentement de l’appelant et malgré ses protestations.  La prise d’empreintes dentaires nécessitait de placer plusieurs instruments et diverses substances dans la bouche de l’appelant.  De même, des photographies de sa bouche ont été prises et un enregistrement vidéo en a été fait.  Toute cette procédure a duré deux heures.

 

45               L’avocat de l’intimée a fait valoir que la prise d’empreintes dentaires était analogue à la pratique courante de la prise d’empreintes digitales.  On s’est fondé sur l’arrêt R. c. Beare, [1988] 2 R.C.S. 387, pour dire que la common law permet le recours à de telles procédures d’identification dès qu’il y a arrestation.  Dans cet arrêt, le juge La Forest a fait remarquer que la prise des empreintes digitales se justifie par le fait que l’attente en matière de respect de la vie privée est moins grande une fois qu’il y a arrestation.  Il ajoute toutefois cette précision importante, à la p. 413:

 

Certains peuvent évidemment trouver le procédé [la prise des empreintes digitales] déplaisant, mais il est anodin, ne prend que très peu de temps et ne laisse aucune séquelle durable.  Rien n’est introduit dans le corps et il n’en est prélevé aucune substance.

 


46               Quelle différence avec la prise d’empreintes dentaires, qui est un procédé long et très envahissant.  De plus, le prélèvement d’échantillons de cheveux et de poils pubiens a été fait de force sur le corps de l’appelant, et malgré ses protestations.  Fait significatif, dans l’arrêt R. c. Borden, [1994] 3 R.C.S. 145, il a été conclu que lorsque la saisie d’échantillons de substances corporelles n’est pas autorisée par la loi, il faut obtenir le consentement pour que la saisie soit légale.  En l’espèce, la police savait qu’elle avait affaire à un jeune contrevenant.  Elle savait que la Loi sur les jeunes contrevenants  exige qu’un parent ou un avocat assiste à l’interrogatoire d’un adolescent soupçonné d’avoir commis une infraction.  Néanmoins, en l’absence de tout conseiller adulte et contrairement aux directives explicites des avocats de l’appelant, la police a longuement interrogé ce dernier et a, en menaçant de recourir à la force, prélevé des échantillons de substances corporelles et pris des empreintes dentaires.  Elle s’est ainsi livrée à un exercice abusif de force physique brute.

 

47               Quelle que puisse être la tentation ardente de la police d’obtenir des éléments de preuve d’une personne qu’elle croit coupable d’un crime terrible, et quelles que puissent être les déboires qu’elle a connus dans ses enquêtes antérieures, la police ne doit pas excéder son pouvoir de procéder à une fouille accessoire à une arrestation.  Toute autre conclusion pourrait trop facilement amener des policiers à commettre des abus au nom de ce qu’ils croient être le bien de la société.  Dans l’exercice de leurs fonctions de mandataires de l’État très respectés et admirés, ils doivent respecter la dignité et l’intégrité physique de tous ceux qu’ils arrêtent.  Le traitement que des mandataires de l’État réservent même à l’individu le moins digne d’égards sera souvent une indication du traitement que tous les citoyens de l’État peuvent s’attendre à recevoir en fin de compte.  Des limites appropriées doivent être acceptées et respectées en ce qui concerne le pouvoir de procéder à une fouille accessoire à une arrestation.


48               Le pouvoir d’effectuer une fouille et une saisie accessoires à une arrestation est un prolongement pratique au pouvoir d’effectuer cette arrestation.  Il est évident que les policiers doivent être en mesure de se protéger contre toute attaque de l’accusé qui a dissimulé sur lui des armes ou qui en a à sa portée.  Les policiers doivent être en mesure de recueillir et de préserver les éléments de preuve qui se trouvent sur les lieux de l’arrestation ou dans un véhicule à moteur se trouvant à proximité de ces lieux.  Comme le juge Rice le dit dans ses motifs de dissidence (à la p. 360 R.N.-B.):

 

[traduction]  Le pouvoir d’effectuer une fouille et une saisie qui sont accessoires à l’arrestation est fondé sur des considérations pratiques et urgentes qui sont inhérentes aux circonstances de l’arrestation.

 

49               Le pouvoir de common law ne peut pas être étendu au point d’habiliter les policiers à saisir des échantillons de substances corporelles.  Ces échantillons ne risquent pas habituellement de disparaître.  En l’espèce, il n’y avait aucune chance que les empreintes dentaires de l’appelant ou le profil génétique de ses follicules pileux changent avec le temps.  Il n’y avait simplement aucune possibilité que les éléments de preuve recherchés soient détruits s’ils n’étaient pas saisis immédiatement.  Il faut se rappeler que l’une des limites imposées au pouvoir de common law dans l’arrêt Cloutier c. Langlois, précité, était l’aspect discrétionnaire de ce pouvoir et la condition qu’il ne soit pas exercé de façon abusive.  Le pouvoir de common law de procéder à une fouille accessoire à une arrestation ne peut pas être large au point de viser la saisie d’échantillons de substances corporelles effectuée sans autorisation légale valide et malgré un refus de les fournir.  S’il est large à ce point, alors la règle de common law elle‑même est abusive parce qu’elle est trop générale et ne pondère pas adéquatement les droits qui s’opposent.

 


50                Il est clair qu’il y a eu violation très grave du droit de l’appelant à la protection contre les fouilles, perquisitions et saisies abusives.  Étant donné que la fouille et la saisie des échantillons de substances corporelles n’étaient autorisées ni par une loi ni par la common law, elles ne pouvaient qu’être abusives.  Il est donc inutile de déterminer si la loi était raisonnable ou d’examiner la manière dont la fouille a été effectuée.

 

b)       Le prélèvement d’échantillons de cheveux et de poils, la prise d’empreintes dentaires et les prélèvements faits dans la bouche contrevenaient‑ils à l’art. 7  de la Charte ?

 

51               La prise d’empreintes dentaires, le prélèvement de cheveux et de poils et les prélèvements faits dans la bouche de l’appelant enfreignaient aussi le droit à la sécurité de sa personne que lui garantissait l’art. 7  de la Charte .  Le prélèvement des substances corporelles était un acte très envahissant.  Il violait l’intégrité du corps, qui est essentielle à la dignité humaine.  Il constituait l’atteinte la plus grave à la vie privée de l’appelant.  Voir Pohoretsky, précité.  Dans l’arrêt Dyment, précité, aux pp. 431 et 432, le juge La Forest souligne que «l’utilisation du corps d’une personne, sans son consentement, en vue d’obtenir des renseignements à son sujet, constitue une atteinte à une sphère de la vie privée essentielle au maintien de sa dignité humaine».  Le prélèvement sans autorisation d’échantillons a tout simplement violé le droit de l’appelant à la sécurité de sa personne et a enfreint les principes de justice fondamentale.

 

(2)  Le papier-mouchoir jeté

 

a)        La saisie du papier-mouchoir jeté contrevenait-elle à l’art. 8  de la Charte ?

 


52               L’appelant avait informé la police, au moyen de la lettre de ses avocats, qu’il refusait de fournir tout échantillon de substances corporelles quel qu’il soit.  Malgré ce refus explicite, la police a saisi un papier-mouchoir que l’appelant avait utilisé pour se moucher et qu’il avait jeté dans la poubelle des toilettes du quartier général de la GRC.  En d’autres termes, la police a obtenu subrepticement ce que l’appelant avait refusé de lui fournir volontairement, soit un échantillon à partir duquel son profil génétique pourrait être tracé.

 

53               La Cour d’appel à la majorité a conclu que, lorsque l’appelant a jeté le papier-mouchoir dont il n’avait plus besoin, il l’a abandonné et, ce faisant, il a cessé d’avoir une attente raisonnable en matière de vie privée à son sujet.  Dans l’arrêt Dyment, précité, la Cour a examiné le concept de l’«abandon» d’une chose au sujet de laquelle on a normalement une attente en matière de vie privée.  On a mentionné comme exemple l’arrêt R. c. LeBlanc (1981), 64 C.C.C. (2d) 31 (C.A.N.‑B.), où la police, après avoir conduit l’accusé à l’hôpital, avait prélevé un échantillon de son sang sur le siège avant de la voiture.  La cour a conclu que la police avait «recueilli» plutôt que saisi l’élément de preuve.  On a dit que l’accusé avait abandonné son sang et qu’il avait donc cessé d’avoir une attente raisonnable en matière de vie privée à son sujet.

 

54               Cette situation a été comparée aux faits en cause dans l’arrêt Dyment où le médecin qui avait traité l’appelant avait, à l’insu de celui‑ci et sans son consentement, remis à la police un échantillon du sang de l’appelant qu’il avait prélevé à des fins médicales.  On a conclu que l’appelant continuait d’avoir une attente en matière de vie privée relativement à l’échantillon après son prélèvement et que, par conséquent, en saisissant l’échantillon, le policier avait violé les droits à la vie privée de l’appelant.

 


55               Un certain nombre de décisions appuient la proposition voulant que, lorsqu’un suspect ou un accusé, qui se trouve en présence de la police, se défait d’un objet qui peut constituer un élément de preuve utile pour établir son profil génétique, les policiers peuvent «recueillir» cet élément de preuve sans que cela soit considéré comme une saisie illégale.  Dans l’affaire R. c. Love, [1994] A.J. No. 847 (B.R.), la GRC avait eu recours à un policier en civil pour obtenir des échantillons de substances corporelles de l’accusé.  À un moment donné, alors que le policier en civil et l’accusé se trouvaient dans un motel, le policier a vu l’accusé se moucher et jeter le papier‑mouchoir dans la poubelle.  Il l’a alors récupéré pour le faire analyser.  En admettant cet élément de preuve, le juge Cairns de la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta a conclu (au par. 102) que [traduction] «[l]a récupération du papier-mouchoir qui avait été jeté dans une poubelle, dont le sac venait d’être changé, n’équivalait pas à une saisie auprès de l’accusé ‑‑ il avait jeté le papier-mouchoir ‑‑ et le policier a simplement récupéré ce que je décrirais comme un "rebut potentiellement utile"».  La Cour d’appel a convenu que la saisie du papier-mouchoir ne comportait aucune violation de la Charte : (1995), 102 C.C.C. (3d) 393.

 

56               La décision R. c. Arp, [1995] B.C.J. No. 882 (C.S.), est un autre exemple de ce raisonnement.  Dans cette affaire, un policier était retourné dans la salle du poste de police où venait d’avoir lieu l’interrogatoire de l’accusé et y avait recueilli les mégots de cigarette que l’accusé avait laissés dans un cendrier fourni par la police.  La cour a conclu que l’accusé avait abandonné ces éléments de preuve et que, dans les circonstances, il n’avait pas d’attente raisonnable en matière de vie privée à leur sujet:  voir aussi R. c. Legere (1994), 95 C.C.C. (3d) 139 (C.A.N.-B.); R. c. Titian, C.S.C.-B., no du greffe de Victoria 70624, 26 mai 1994 (le juge Warren), inédit.

 


57               En l’espèce, l’avocat de l’intimée a allégué que l’échantillon de mucosités a été obtenu par [traduction] «hasard», qu’il s’était agi d’un [traduction] «événement purement fortuit que la police n’avait pas cherché à provoquer».  L’avocat de l’intimée a, en outre, fait valoir:

 

[traduction]  Non seulement ne s’agit-il pas d’une situation où la police a organisé le prélèvement, mais encore ce n’est même pas une situation où la police s’était donnée intentionnellement et délibérément l’occasion de faire ces observations.  La police a seulement profité d’un événement par ailleurs imprévu.  [Souligné dans l’original.]

 

58               La difficulté que pose cet argument, c’est que, lorsqu’un accusé est détenu, la production d’échantillons de substances corporelles n’a rien d’imprévu.  Elle est simplement la conséquence inévitable du fonctionnement normal du corps humain.  Les policiers ne sont capables de profiter de cette production d’échantillons que parce que l’accusé est constamment sous leur surveillance.  C’est pourquoi il est quelque peu trompeur de parler d’«abandon» dans le contexte d’un élément de preuve obtenu auprès d’un accusé qui est détenu.

 


59               L’appelant était en état d’arrestation et détenu au moment où le papier‑mouchoir a été saisi.  Il avait exercé son droit de refuser de fournir à la police des échantillons de substances corporelles aux fins d’une analyse d’empreintes génétiques.  Sans son consentement, les policiers n’avaient aucun droit de faire ces prélèvements.  Cependant, il était raisonnable de supposer notamment que, pendant ses cinq jours de détention, l’appelant se moucherait, irait à la toilette, perdrait peut‑être du sang à la suite d’une coupure et utiliserait une cuillère pour manger.  Autrement dit, grâce au «hasard», la police serait en mesure de profiter de l’emprisonnement de l’appelant pour obtenir tous les échantillons requis qu’elle ne pouvait pas légalement saisir en l’absence d’un mandat de perquisition valide.  Dans ces circonstances, comment l’appelant peut-il invoquer son droit de ne pas consentir à fournir des échantillons de substances corporelles?  Il lui faudrait détruire tous les papiers‑mouchoirs qu’il a utilisés, cacher toutes les cuillères dont il s’est servi pour manger, conserver sur lui en tout temps ses mégots de cigarette et ses vieilles gommes à mâcher et tout autre élément de preuve susceptible de l’incriminer, afin d’empêcher la police de «récupérer» ces «rebuts potentiellement utiles».

 

60               L’arrêt R. c. Mellenthin, [1992] 3 R.C.S. 615, à la p. 624, a établi les conditions auxquelles un consentement sera considéré valide dans le contexte d’une fouille ou perquisition suivie d’une saisie.  Plus précisément, il «appartient au ministère public de prouver que la personne détenue a effectivement donné un consentement éclairé à la fouille tout en connaissant son droit de refuser de répondre aux questions ou de consentir à la fouille» (je souligne).  Il s’ensuit que, pour qu’un consentement soit valide, l’accusé doit être en mesure d’empêcher la police d’effectuer la fouille, perquisition ou saisie en refusant de le donner.  Lorsque l’accusé est détenu, son refus explicite de consentir à fournir des échantillons de substances corporelles perd son sens si, parce qu’il est incarcéré, il ne peut pas empêcher le prélèvement de ces échantillons.

 


61               Évidemment, un accusé a une attente moins grande en matière de vie privée à la suite de son arrestation et au cours de sa détention subséquente.  Cette attente en matière de vie privée sera encore moins grande lorsqu’il purgera sa peine à la suite d’un verdict de culpabilité.  Par conséquent, il se peut bien qu’une personne détenue puisse faire l’objet de certains types de fouilles ou de saisies valides auxquelles ne pourraient pas être soumises des personnes qui n’ont pas encore été arrêtées ni déclarées coupables.  Néanmoins, je suis d’avis qu’en l’espèce l’attente de l’appelant en matière de vie privée, bien qu’elle ait diminué à la suite de son arrestation, n’était pas faible au point de permettre la saisie du papier-mouchoir.  Cette attente ne devrait pas être réduite au point de justifier les saisies d’échantillons de substances corporelles effectuées sans consentement, particulièrement dans le cas des personnes qui sont détenues alors qu’elles sont encore présumées innocentes.

 

62               Par conséquent, lorsqu’un accusé qui n’est pas détenu jette un papier‑mouchoir ou un mégot de cigarette, la police peut normalement recueillir ces objets et les faire analyser, sans avoir à se soucier d’obtenir un consentement.  La situation est différente lorsqu’un accusé qui est détenu jette des objets contenant des substances corporelles.  Il est évident qu’un accusé en détention ne peut pas empêcher les autorités de s’emparer de ces objets.  La question de savoir si la situation était telle que l’accusé a abandonné les objets et renoncé à tout droit à ce qu’ils demeurent confidentiels devra être tranchée en fonction des faits particuliers de chaque affaire.

 

63               En l’espèce, toutefois, l’accusé avait fait savoir par ses avocats qu’il ne consentirait pas au prélèvement d’échantillons de ses substances corporelles.  Les policiers étaient au courant de cette décision.  En dépit de cela, ils se sont emparés du papier-mouchoir que l’appelant avait jeté alors qu’il était détenu.  Dans ces circonstances, la saisie était abusive et violait les droits garantis à l’appelant par l’art. 8  de la Charte .

 

b)       La saisie du papier-mouchoir jeté contrevenait‑elle à l’art. 7  et à l’al. 10b)  de la Charte ?

 


64               L’appelant a fait valoir subsidiairement que c’était la conduite des agents de la GRC, qui avait violé ses droits garantis par l’art. 7 et l’al. 10 b )  de la Charte , qui avait, à son tour, rendu possible la saisie du papier-mouchoir.  Malgré le refus de l’appelant de s’adresser aux policiers sans la présence de l’un de ses avocats, les policiers ont persisté à l’interroger après le départ de ses avocats.  On a allégué que c’était dans le contexte de ce mépris délibéré du droit de l’appelant de faire cesser l’interrogatoire ou d’exiger la présence de ses avocats, conformément à l’al. 56(2) d) de la Loi sur les jeunes contrevenants , que la police avait été en mesure d’obtenir de lui cet élément de preuve incriminant.  L’appelant a prétendu que, n’eût été l’interrogatoire d’une heure que lui avait fait subir la police, il n’aurait pas sangloté et n’aurait donc pas eu besoin de se moucher.

 

65               Il m’est difficile d’accepter que la saisie du papier-mouchoir a entraîné une violation de l’art. 7 ou de l’al. 10 b )  de la Charte .  Cependant, comme j’ai déjà conclu que la saisie du papier-mouchoir constituait une violation de l’art. 8  de la Charte , il n’est pas nécessaire que j’examine cet argument subsidiaire.

 

66               Il faut maintenant examiner si les tribunaux d’instance inférieure ont eu raison d’admettre en preuve les échantillons de cheveux et de poils, les empreintes dentaires et le papier-mouchoir contenant les mucosités, conformément aux dispositions du par. 24(2)  de la Charte .

 

B.  Le paragraphe 24(2) de la Charte 

 

(1)      Les échantillons de cheveux et de poils, les empreintes dentaires et les prélèvements faits dans la bouche

 


67               Il est clair que la saisie des échantillons de cheveux et de poils, des empreintes dentaires et des prélèvements faits dans la bouche a violé l’art. 8  de la Charte .  À mon avis, elle contrevenait aussi à l’art. 7, étant donné qu’elle violait le droit à la sécurité de la personne d’une manière non conforme aux principes de justice fondamentale.  Les éléments de preuve ont été obtenus à la suite d’une violation de la Charte  et l’application du par. 24(2) est ainsi déclenchée.

 

68               Il a été statué que les cours d’appel ne devraient intervenir, relativement à l’analyse qu’un tribunal d’instance inférieure a effectuée en vertu du par. 24(2), que si ce tribunal a commis une «erreur manifeste quant aux principes ou aux règles de droit applicables» ou s’il a tiré une conclusion déraisonnable: R. c. Duguay, [1989] 1 R.C.S. 93, à la p. 98; Mellenthin, précité.  Les juges majoritaires de la Cour d’appel du Nouveau‑Brunswick ont conclu que, pour admettre les éléments de preuve contestés, le juge du procès avait tenu compte des principes appropriés et avait correctement analysé les facteurs énoncés dans l’arrêt Collins, précité.  En toute déférence, je ne puis être d’accord.

 

69               Les facteurs que notre Cour a énoncés dans l’arrêt innovateur Collins peuvent être répartis en trois catégories, selon leur incidence sur la considération dont jouit l’administration de la justice.  La première catégorie comprend les facteurs qui se rapportent à l’équité du procès, la deuxième catégorie a trait à la gravité de la violation de la Charte , et la troisième catégorie concerne la possibilité que l’administration de la justice puisse être déconsidérée par l’exclusion de l’élément de preuve, même s’il a été obtenu en violation de la Charte .  À mon avis, le juge du procès a commis une erreur dans son examen des deux premiers facteurs.

 


70               En examinant comment l’utilisation de la preuve compromettrait l’équité du procès, le juge du procès a conclu à tort que les échantillons de cheveux et de poils et les empreintes dentaires existaient indépendamment de toute violation de la Charte  et qu’ils étaient donc admissibles en preuve.  Certes, les échantillons de cheveux et de poils de l’appelant, ses empreintes dentaires et sa salive constituaient des éléments de preuve «matérielle».  Toutefois, le juge du procès n’a pas apprécié l’importance de la conclusion inéluctable que, contrairement aux droits que lui garantissait la Charte , l’appelant a été mobilisé lui‑même ou forcé par la police à fournir des éléments de preuve provenant de son corps, et qu’il s’est ainsi incriminé.  J’ai utilisé le terme «mobilisé contre lui‑même» pour décrire la situation où la police a forcé l’accusé à participer à la production d’éléments de preuve auto‑incriminants sous la forme d’une confession ou d’échantillons de substances corporelles.  C’est un terme qui a déjà été utilisé dans d’autres arrêts de la Cour, dont l’arrêt Collins, pour décrire un élément de preuve auto‑incriminant obtenu grâce à une violation de la Charte .  Dans les circonstances, il n’était ni nécessaire ni approprié d’examiner la gravité de la violation commise.  Cependant, lorsqu’il l’a fait, le juge du procès s’est concentré exclusivement sur la conduite de la police.  Bien que la conduite de la police soit sûrement un facteur à prendre en considération à ce chapitre, elle n’est pas le seul.  Il était essentiel en l’espèce que d’autres facteurs soient pris en considération.  Il appert donc que le juge du procès a commis une erreur dans son appréciation et son application des principes juridiques qui doivent être considérés en appliquant le par. 24(2), et que l’admissibilité des éléments de preuve contestés doit être réexaminée.

 


71               Il ne fait aucun doute que l’arrêt Collins a été le premier à tracer la voie que les tribunaux devraient suivre en examinant l’application du par. 24(2).  Toutefois, des arrêts ultérieurs de notre Cour et l’interprétation que les tribunaux d’instance inférieure leur ont donnée indiquent qu’il est nécessaire de préciser davantage la voie qui doit être suivie par les tribunaux, tout en maintenant les principes de base énoncés dans l’arrêt Collins.  Par exemple, il y a confusion quant à savoir ce qui constitue une preuve «matérielle» et dans quelles circonstances son exclusion ou son utilisation rendrait le procès inéquitable.  L’examen qui suit de certaines décisions et de la méthode proposée pour qualifier la preuve aura peut-être une certaine utilité.

 

a)  L’équité du procès

 

72               L’examen de l’équité du procès revêt une importance fondamentale.  Si, après avoir procédé à un examen minutieux, on détermine que l’utilisation de la preuve obtenue en violation d’un droit garanti par la Charte  rendrait le procès inéquitable, alors cette preuve doit être écartée sans égard aux autres facteurs énoncés dans l’arrêt Collins.  L’équité du procès pour les personnes accusées d’une infraction criminelle est une pierre angulaire de la société démocratique canadienne.  Une déclaration de culpabilité résultant d’un procès inéquitable est contraire à notre conception de la justice.  Il serait impensable de confirmer une telle déclaration de culpabilité.  En fait, ce serait une parodie de la justice.  Il faut donc examiner soigneusement la notion d’équité du procès tant dans l’intérêt de la société que dans celui de l’accusé.  En analysant l’aspect de l’équité du procès et son application en vertu du par. 24(2), le juge Lamer, maintenant Juge en chef, affirme dans l’arrêt Collins, précité, à la p. 284:

 

Selon moi, il est clair que les facteurs pertinents à l’égard de cette détermination comprennent la nature de la preuve obtenue par suite de la violation et la nature du droit violé, plutôt que la façon dont ce droit a été violé.  Une preuve matérielle obtenue d’une manière contraire à la Charte  sera rarement de ce seul fait une cause d’injustice.  La preuve matérielle existe indépendamment de la violation de la Charte  et son utilisation ne rend pas le procès inéquitable.  Il en est toutefois bien autrement des cas où, à la suite d’une violation de la Charte , l’accusé est conscrit contre lui‑même au moyen d’une confession ou d’autres preuves émanant de lui.  Puisque ces éléments de preuve n’existaient pas avant la violation, leur utilisation rendrait le procès inéquitable et constituerait une attaque contre l’un des principes fondamentaux d’un procès équitable, savoir le droit de ne pas avoir à témoigner contre soi‑même.  [Je souligne.]

 


73               Il ressort de ce passage que le but premier de l’examen du facteur de l’équité du procès dans l’analyse fondée sur le par. 24(2) est d’empêcher qu’un accusé, dont les droits garantis par la Charte  ont été violés, soit mobilisé contre lui‑même ou forcé de fournir, au profit de l’État, des éléments de preuve sous forme de déclarations ou de substances corporelles.  C’est parce que l’accusé est forcé, à la suite d’une violation de la Charte , de participer à la constitution ou à la découverte d’une preuve auto-incriminante sous forme de confessions, de déclarations ou d’échantillons de substances corporelles, que l’utilisation de cette preuve a généralement tendance à rendre le procès inéquitable.  Cette règle générale, comme toutes les règles, peut souffrir de rares exceptions.

 

74               Ainsi, comme première étape de l’analyse de l’équité du procès, il est nécessaire de qualifier le genre d’éléments de preuve en question.  Les éléments de preuve qui doivent être examinés au chapitre de l’«équité» tombent généralement dans l’une des deux catégories suivantes: la preuve non obtenue en mobilisant l’accusé contre lui-même ou la preuve obtenue en mobilisant l’accusé contre lui-même.  Comme on l’a affirmé dans l’arrêt Collins, l’utilisation de la preuve qui relève de la catégorie des éléments de preuve non obtenus en mobilisant l’accusé contre lui-même a rarement pour effet de rendre le procès inéquitable.  Lorsque la preuve est qualifiée de preuve non obtenue en mobilisant l’accusé contre lui-même, la cour devrait alors examiner les deuxième et troisième facteurs énoncés dans l’arrêt Collins, soit la gravité de la violation de la Charte  et l’incidence de l’exclusion sur la considération dont jouit l’administration de la justice.  Il est donc essentiel de savoir faire la distinction entre une preuve non obtenue en mobilisant l’accusé contre lui‑même et une preuve obtenue en mobilisant l’accusé contre lui-même.

 


(i) Qualification de la preuve

 

La preuve non obtenue en mobilisant l’accusé contre lui-même

 

75               Si l’accusé n’a pas été forcé de participer à la constitution ou à la découverte de la preuve (en ce sens que la preuve existait indépendamment de la violation de la Charte  sous une forme utilisable par l’État), la preuve sera qualifiée de preuve non obtenue en mobilisant l’accusé contre lui-même.  Comme on l’a affirmé dans l’arrêt Collins, précité, l’utilisation de la preuve qui tombe dans cette catégorie a rarement pour effet de rendre le procès inéquitable.  Si la preuve a été qualifiée de preuve non obtenue en mobilisant l’accusé contre lui-même, la cour devrait alors examiner les deuxième et troisième facteurs énoncés dans l’arrêt Collins, soit la gravité de la violation de la Charte  et l’incidence de l’exclusion sur la considération dont jouit l’administration de la justice.

 


76               Ce qu’on en est venu à désigner sous le nom de preuve «matérielle» ne tombera pas nécessairement dans la catégorie de la preuve non obtenue en mobilisant l’accusé contre lui-même.  On pense parfois erronément que la preuve «matérielle», qui désigne toute chose tangible existant comme entité indépendante, est toujours admissible.  C’est pour cette raison que le sang, les échantillons de cheveux et de poils ou l’identité de l’accusé sont souvent volontiers, mais incorrectement, qualifiés «d’éléments de preuve matérielle qui existent indépendamment de la violation de la Charte ».  Il est vrai que tous ces exemples «existent» tout à fait indépendamment d’une violation de la Charte .  Pourtant, il est essentiel à leur qualification qu’ils n’existent pas nécessairement sous une forme utilisable.  Par exemple, en l’absence d’autorisation légale valide ou de consentement de l’accusé au prélèvement d’échantillons de substances corporelles, l’existence indépendante des éléments de preuve corporels n’est d’aucune utilité à la poursuite vu qu’il n’y a aucun moyen légal de les obtenir.

 

77               L’élément crucial qui distingue la preuve non obtenue en mobilisant l’accusé contre lui-même de celle obtenue en mobilisant l’accusé contre lui-même n’est pas de savoir si la preuve peu être qualifiée de «matérielle».  Il s’agit plutôt de savoir si l’accusé a été forcé de faire une déclaration ou de fournir une substance corporelle en violation de la Charte .  Si, à la suite d’une violation de la Charte , l’accusé est mobilisé contre lui-même ou forcé de fournir une substance corporelle à l’État, cette preuve tiendra d’une preuve obtenue en le mobilisant contre lui-même, même s’il peut également s’agir d’une preuve «matérielle».  Il serait donc plus exact de qualifier simplement de preuve non obtenue en mobilisant l’accusé contre lui‑même la preuve découverte sans la participation de l’accusé, comme l’arme du crime trouvée sur les lieux d’un meurtre ou la drogue trouvée dans une maison d’habitation;  le fait qu’il s’agisse simplement d’une preuve «matérielle» n’a aucune importance en ce qui concerne l’examen fondé sur le par. 24(2).

 

78               La notion de preuve «matérielle», sans autre précision, est trompeuse.  On verra que, dans certaines circonstances, un élément de preuve tel que l’arme à feu dans l’affaire R. c. Burlingham, [1995] 2 R.C.S. 206, peut venir en la possession de l’État à la suite de la participation forcée de l’accusé ou de sa «mobilisation» contre lui‑même.  Donc, même si la preuve est «matérielle», elle constitue néanmoins une preuve obtenue en mobilisant l’accusé contre lui-même.

 


79               L’arrêt récent R. c. Evans, [1996] 1 R.C.S. 8, fournit un exemple de ce que j’appelle une preuve non obtenue en mobilisant l’accusé contre lui-même.  Sans aucun motif valable, les policiers ont frappé à la porte et M. Evans leur a ouvert.  Ils ont senti une odeur de marijuana, arrêté M. Evans et fouillé les lieux.  Les éléments de preuve obtenus par la police comprenaient 41 plants de marijuana, des accessoires liés à la consommation de drogue et du matériel de culture. On a conclu que la preuve contestée était une preuve matérielle qui existait indépendamment d’une violation de la Charte .  Dès qu’il avait été établi que la découverte de la preuve ne dépendait pas de la participation de l’accusé, il devenait inutile d’examiner si la preuve aurait été découverte en l’absence de (n’eût été) la fouille ou perquisition illégale.  L’utilisation de la preuve ne rendrait pas le procès inéquitable, étant donné que l’accusé n’avait pas été mobilisé contre lui‑même pour la constituer ou la découvrir.  Par conséquent, le facteur d’équité du procès était respecté et la Cour est passée à l’examen de la gravité de la violation.  Voir aussi: R. c. Grant, [1993] 3 R.C.S. 223, R. c. Wiley, [1993] 3 R.C.S. 263, et R. c. Plant, [1993] 3 R.C.S. 281.

 

La preuve obtenue en mobilisant l’accusé contre lui-même

 

80               La preuve est obtenue en mobilisant l’accusé contre lui-même lorsque l’accusé, en violation de ses droits garantis par la Charte , est forcé de s’incriminer sur l’ordre de l’État au moyen d’une déclaration, de l’utilisation de son corps ou de la production de substances corporelles.  L’exemple classique le plus courant de ce genre de preuve est la déclaration auto‑incriminante faite par l’accusé à la suite d’une violation du droit à l’assistance d’un avocat, que lui garantit l’al. 10 b )  de la Charte .  Un autre exemple est l’utilisation forcée du corps de l’accusé ou le prélèvement forcé de ses substances corporelles telles que le sang, qui mènent à l’auto‑incrimination.  Ce sont les déclarations forcées ou l’utilisation des substances corporelles d’un accusé obtenues en le mobilisant contre lui‑même, en violation de ses droits garantis par la Charte , qui peuvent rendre un procès inéquitable.

 


81               En examinant si le par. 24(2) s’applique, les tribunaux auront raison de craindre qu’une violation des droits de l’accusé ne l’ait forcé à s’incriminer lui-même.  Historiquement, les craintes qu’il n’y ait eu auto‑incrimination, éprouvées par les tribunaux, découlaient de leur aversion pour la mobilisation d’un accusé contre lui‑même visant à lui arracher une confession auto-incriminante.  Au moment où la règle interdisant l’auto‑incrimination a été adoptée, il y avait une crainte très réelle qu’une confession parfois obtenue sous la torture ou la menace se révèle indigne de foi.  Au fil des ans, on a reconnu que des formes de contrainte autres que la torture pouvaient être tout aussi correctives, insidieuses et odieusement inéquitables.  À l’époque où le principe interdisant l’auto‑incrimination forcée s’est développé, une confession ou déclaration était souvent le seul élément que l’État présentait comme preuve du crime.

 

82               Ce n’est que récemment que l’on a examiné la question de l’utilisation forcée du corps de l’accusé.  Pourtant, on ne saurait oublier que, dans l’arrêt Collins, précité, le juge Lamer a judicieusement fait observer qu’«[i]l en est [. . .] bien autrement des cas où, à la suite d’une violation de la Charte , l’accusé est conscrit contre lui‑même au moyen d’une confession ou d’autres preuves émanant de lui.  Puisque ces éléments de preuve n’existaient pas avant la violation, leur utilisation rendrait le procès inéquitable et constituerait une attaque contre l’un des principes fondamentaux d’un procès équitable, savoir le droit de ne pas avoir à témoigner contre soi‑même» (p. 284).  L’expression soigneusement formulée «ou d’autres preuves émanant de lui» indique clairement que l’utilisation de substances corporelles par la force ou la mobilisation de l’accusé contre lui-même, en violation de la Charte , aura tendance à rendre le procès inéquitable.

 


83               On soutient que le prélèvement de substances corporelles ne devrait pas bénéficier de la même protection que les déclarations ou les confessions.  Les déclarations, affirme‑t‑on, sont un produit de l’esprit qui n’existerait pas n’eût été la violation de la Charte .  Par contre, les substances corporelles existent déjà.  On affirme donc que le corps lui‑même ou ses caractéristiques distinctives peuvent toujours être utilisées à des fins d’identification.  Par conséquent, on fait valoir que les substances corporelles devraient toujours pouvoir être utilisées pour les fins d’analyse et d’identification.

 

84               Les tenants de ce point de vue se fondent sur l’arrêt de la Cour suprême des États‑Unis Schmerber c. California, 384 U.S. 757 (1966).  Dans cette affaire, un échantillon de sang avait été prélevé sans le consentement de l’accusé.  On a soutenu que ce prélèvement violait le droit de l’accusé de ne pas s’incriminer.  On a admis que l’État l’avait forcé à subir le prélèvement dans le but de découvrir des éléments de preuve qui pourraient servir à le poursuivre.  Dans un arrêt majoritaire, la cour a conclu que le droit de ne pas s’incriminer ne garantissait que le droit [traduction] «de garder le silence à moins d’user de son libre arbitre pour décider de parler» (p. 760).  Les juges dissidents étaient d’avis que le prélèvement sanguin constituait une violation du droit de ne pas s’incriminer.  Je dois avouer que je préfère l’opinion du juge Black, dissident, qui affirme, à la p. 778:

 


[traduction]  Comment peut‑on raisonnablement douter que la preuve de l’analyse sanguine n’était pas à tous égards l’équivalent réel d’un «témoignage» obtenu du requérant, alors que le résultat de l’analyse a été présenté à titre de témoignage, que le jury l’a considéré comme un témoignage et que le verdict de culpabilité rendu par le jury repose en partie sur ce témoignage?  Le processus raffiné et subtil de raisonnement et de pondération utilisé ici pour réduire la portée de la garantie du Bill of Rights contre l’auto‑incrimination sera commode pour diminuer davantage cette protection constitutionnelle, ainsi que d’autres, à l’avenir.  Croyant, comme ceux qui les ont rédigées, que ces garanties constitutionnelles interprétées libéralement par des cours de justice indépendantes constituent notre meilleur espoir de protéger nos citoyens contre l’oppression gouvernementale . . .

 

85               Le juge Douglas, dissident, écrit, aux pp. 778 et 779:

 

[traduction] Nous avons affaire au droit à la vie privée qui, selon ce que nous avons jugé, relève de certaines garanties particulières du Bill of Rights, depuis l’affaire BreithauptGriswold c. Connecticut, 381 U.S. 479.  Ainsi, le Cinquième amendement indique «une zone de vie privée» à laquelle le gouvernement ne peut pas forcer une personne à renoncer. Id., 484.  De même, le Quatrième amendement reconnaît ce droit lorsqu’il garantit le droit des citoyens à la sécurité «de leur personne».  Ibid.  On ne saurait imaginer plus nette atteinte à ce droit à la vie privée qu’une saignée forcée du genre dont il est ici question.

 

86               Depuis de très nombreuses années, on considère qu’il est inéquitable, voire injuste, de chercher à obtenir un verdict de culpabilité sur la foi d’une déclaration ou  confession forcée.  Si cette déclaration ou confession a été obtenue à la suite d’une violation de la Charte , son utilisation tendra généralement à rendre le procès inéquitable.  De même, forcer un accusé à utiliser son corps ou à fournir des substances corporelles pour qu’il s’incrimine rendrait généralement le procès inéquitable.  Il en est ainsi parce que la production forcée de parties du corps ou de substances corporelles est une atteinte tout aussi grave à l’essence d’une personne que l’est une déclaration forcée obtenue en mobilisant l’accusé contre lui-même.  L’utilisation non autorisée du corps d’une personne ou de ses substances corporelles constitue, tout autant qu’une déclaration forcée, un «témoignage» forcé susceptible de rendre le procès inéquitable.

 


87               Les Canadiens considèrent leur corps comme étant la manifestation extérieure de leur être.  Ils considèrent qu’il a une importance exceptionnelle et qu’il leur appartient exclusivement.  Toute atteinte au corps d’un individu est une atteinte à sa personne.  En fait, il s’agit de l’atteinte la plus grave à la dignité personnelle et à la vie privée.  Il n’y a aucun doute que ce point de vue a été à la base des dispositions en matière de voies de fait et d’agression sexuelle.  On a considéré, à très juste titre, que le corps méritait d’être protégé par des sanctions pénales contre les agresseurs.  La notion d’équité exige que l’on reconnaisse l’importance du corps lors des fouilles effectuées au cours d’enquêtes policières.

 

88               La common law et la société canadienne reconnaissent traditionnellement l’importance fondamentale de la dignité innée de la personne.  Il y a peu de chances de maintenir une apparence de dignité lorsque, sans consentement et en l’absence d’autorisation légale, des procédures envahissantes sont utilisées pour prélever des substances corporelles.  Par exemple, comment peut-on parler de respect de la personne si des femmes ou des hommes accusés d’un crime peuvent être forcés, contre leur gré, à fournir à la police des échantillons de leurs poils pubiens?

 


89               Il répugne à des hommes et à des femmes équitables de penser que la police puisse, sans consentement ou sans autorisation légale, prélever des parties du corps ou des substances corporelles d’un accusé ou l’obliger à en fournir pour qu’il s’incrimine.  La reconnaissance du droit à l’intégrité et à l’inviolabilité du corps est consacrée à l’art. 7  de la Charte , qui confirme le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne et qui garantit le droit réciproque tout aussi important qu’il ne soit porté atteinte à la sécurité de la personne qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale.  Ce droit exige que toute atteinte au corps humain ne puisse être portée qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale. Cela nécessitera généralement une autorisation légale valide ou le consentement de la personne concernée à ce que son corps fasse l’objet de l’atteinte nécessaire aux fins de la procédure à laquelle la police souhaite se livrer.  Il s’ensuit que l’utilisation forcée du corps ou la fourniture forcée de substances corporelles en violation d’un droit garanti par la Charte , à des fins d’auto‑incrimination, rendra généralement le procès inéquitable tout aussi sûrement que le ferait la déclaration auto‑incriminante forcée ou obtenue en mobilisant l’accusé contre lui-même.

 

90               Cela dit, il devient aussitôt évident qu’une procédure donnée peut être si peu envahissante et si courante qu’elle est acceptée sans contredit par la société.  Cette procédure peut relever de l’exception rare concernant les violations simplement techniques ou minimales mentionnées plus haut.  Par exemple, à supposer que la prise des empreintes digitales soit effectuée en mobilisant l’accusé contre lui-même, elle est une atteinte minimale qui est reconnue depuis si longtemps par la loi et la pratique que notre Cour a conclu volontiers qu’elle était acceptable dans la société canadienne. Voir les motifs que le juge La Forest a soigneusement rédigés dans l’arrêt Beare, précité.  De même, les dispositions du Code criminel  relatives aux échantillons d’haleine constituent une atteinte à la fois minimale et essentielle pour réprimer le chaos tragique causé par la conduite en état d’ébriété.

 


91               En l’espèce, le fait d’avoir passé outre au refus explicite de l’accusé pour le forcer à se soumettre à une procédure dentaire longue et envahissante, de l’avoir forcé à fournir des poils pubiens, et de lui avoir prélevé des cheveux et fait des prélèvements dans la bouche de force constituait, à tout le moins, un comportement inacceptable qui contrevenait tant à l’art. 7 qu’à l’art. 8  de la Charte .  Il s’agissait d’une atteinte grave à l’intégrité physique de l’accusé.  C’était un exemple du recours de mandataires de l’État à des moyens physiques et psychologiques pour contourner le refus de consentir aux procédures en question.  C’est aussi un puissant rappel des pouvoirs de la police et de l’ampleur effarante qu’ils auraient dans un État policier.  S’il n’y a pas de respect pour la dignité et l’intégrité physique de la personne, on est alors très près de justifier l’utilisation de n’importe quelle force physique par la police si cela est fait dans le but de résoudre un crime.  Il n’y a aucun doute que le chevalet et les autres outils du bourreau permettaient d’obtenir rapidement et efficacement les éléments de preuve nécessaires à une déclaration de culpabilité.  Pourtant, la répugnance pour de tels actes et le sentiment d’un besoin d’équité dans les procédures criminelles ont mis fin à ces pratiques funestes.  Un contrôle raisonnable des actions policières est toujours nécessaire au maintien d’une société civilisée et démocratique.

 

92               À mon avis, les actions policières qui sont accomplies sans consentement ni autorisation et qui portent une atteinte plus que minimale au corps d’une personne violent l’art. 7  de la Charte  d’une manière qui, en règle générale, tend à nuire à l’équité du procès.  Ceux qui s’opposent à ce point de vue peuvent faire valoir qu’il mène à l’exigence que l’État soit tenu de justifier la mesure législative autorisant une atteinte à l’intégrité physique d’une personne. Cependant, je ne considère pas qu’il s’agit là d’une exigence trop onéreuse lorsqu’il est question d’atteintes à l’intégrité physique d’une personne.  Bien que la question n’ait pas été soulevée, il semblerait que les dispositions récentes du Code qui autorisent les analyses d’empreintes génétiques pourraient bien satisfaire à toutes les exigences constitutionnelles.  La procédure est contrôlée par les tribunaux, elle doit être fondée sur des motifs raisonnables et le juge qui accorde l’autorisation doit être convaincu qu’elle ne porte qu’une atteinte minimale. On ne saurait oublier que l’analyse peut établir l’innocence aussi facilement que la culpabilité, comme l’affaire Guy‑Paul Morin l’illustre si bien.  Il me semble que l’exigence de justification constitue une garantie raisonnable et qu’elle est nécessaire pour contrôler les pouvoirs de la police de porter atteinte au corps d’une personne.  C’est le point de vue que je préconiserais.

 


93               Il y a lieu de reconnaître, cependant, qu’il existe un autre point de vue qui permet d’arriver au même résultat.  On pourrait affirmer que les fouilles corporelles envahissantes, comme celles qui ont été effectuées en l’espèce, étaient si abusives et constituaient une violation si grave de l’art. 8 que l’utilisation des éléments de preuve qu’elles ont permis d’obtenir est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.  Ce résultat reposerait sur la gravité de la violation, qui est le deuxième facteur mentionné dans l’arrêt Collins, précité.  La crainte que j’éprouve relativement à ce point de vue émane du fait qu’il ne reconnaît pas l’importance fondamentale de la dignité innée de la personne.  Cette dignité est, dans une large mesure, fondée sur l’intégrité et l’inviolabilité du corps.  Il y a atteinte à cette inviolabilité si une personne est empêchée d’user de son libre arbitre relativement à l’utilisation que des mandataires de l’État feront de son propre corps.  C’est la sécurité de la personne qui est garantie à l’art. 7  de la Charte .  On devrait reconnaître que la sécurité du corps mérite tout autant que les déclarations d’être protégée contre les atteintes de l’État visant à obtenir de force une auto‑incrimination.  On devrait généralement considérer que les éléments de preuve obtenus à la suite d’une grave atteinte physique forcée, qui a été portée sans consentement ni autorisation légale, compromettent à l’équité du procès.

 

94               La contrainte qui engendre l’auto‑incrimination au moyen d’une déclaration, du prélèvement de substances corporelles ou de l’utilisation du corps même peut revêtir un certain nombre de formes, comme la participation forcée à une séance d’identification (R. c. Ross, [1989] 1 R.C.S. 3), la fourniture d’un échantillon d’haleine (R. c. Bartle, [1994] 3 R.C.S. 173), la fourniture d’échantillons contenant des empreintes génétiques ‑‑ du sang (Borden, précité), la divulgation à la police de l’endroit où se trouvent des éléments de preuve (Burlingham, précité), et les déclarations incriminantes (R. c. Manninen, [1987] 1 R.C.S. 1233).


95               Dans l’arrêt Ross, précité, on a refusé de permettre aux accusés d’exercer leur droit à l’assistance d’un avocat et on leur a subséquemment demandé de participer à une séance d’identification sans leur dire qu’ils n’étaient pas tenus de le faire.  La Cour a évalué l’incidence de la preuve d’identification sur l’équité du procès et a fait les commentaires suivants (à la p. 16):

 

Il est vrai qu’en règle générale, l’identité de l’accusé n’est pas un élément de preuve émanant de l’accusé ni un élément de preuve qui ne peut être obtenu sans sa participation. . .

 

Cependant, la preuve d’identification obtenue au moyen d’une séance d’identification n’est pas simplement une «preuve matérielle» préexistante dans ce sens.  La séance d’identification a un double but.  Premièrement, elle est destinée à identifier le détenu comme étant l’auteur du crime.  Mais deuxièmement, ce qui est plus important aux fins de la présente analyse, la procédure d’une séance d’identification est conçue pour renforcer la crédibilité de la preuve d’identification.  En ce sens, l’objet de la séance d’identification est de constituer la preuve que l’accusé a été désigné parmi un groupe de personnes semblables, par un témoin qui n’a été incité d’aucune manière à faire ce choix, et de fixer la mémoire du témoin aux fins du procès.  Quand il participe à une séance d’identification, l’accusé participe à la constitution d’une preuve incriminante crédible.

 

96               Par contre, l’arrêt R. c. Wijesinha, [1995] 3 R.C.S. 422, est un exemple de cas où la preuve obtenue en violation d’un droit garanti par la Charte  a été admise parce qu’il n’y avait pas eu de contrainte.  Dans cette affaire, l’accusé, qui était avocat avait conçu un plan selon lequel des policiers lui enverraient, contre rétribution, les personnes qu’ils arrêteraient pour conduite en état d’ébriété.  La preuve qui pesait contre l’accusé était composée en partie de certaines déclarations qu’il avait faites lors d’une rencontre qu’il avait organisée avec un policier qui, à son insu, était muni d’un micro‑émetteur de poche qui avait permis d’enregistrer la conversation.  Cet enregistrement clandestin avait été effectué sans mandat et violait donc l’art. 8  de la Charte .  De toute évidence, l’accusé n’était pas détenu au moment où il a fait ces déclarations.


97               Quant au premier volet du critère de l’arrêt Collins, la Cour statue, au par. 55:

 

En ce qui a trait à la première question, il appert nettement que l’utilisation de la preuve n’a pas porté atteinte à l’équité du procès.  Même en faisant un gros effort d’imagination, on ne peut dire que l’appelant a été forcé de s’incriminer dans ces conversations.  [Je souligne.]

 

98               On peut ainsi constater qu’en règle générale on jugera que l’utilisation d’une preuve obtenue à la suite d’une violation des droits garantis à l’accusé par la Charte , qui a permis de mobiliser l’accusé contre lui‑même ou de le forcer à s’incriminer par une déclaration ou par l’utilisation en preuve de son corps ou de ses substances corporelles, rend le procès inéquitable.

 

La preuve dérivée

 

99               La «preuve dérivée» constitue une sous‑catégorie de la preuve obtenue en mobilisant l’accusé contre lui-même.  C’est une expression qui est souvent utilisée pour désigner ce qui constitue essentiellement une preuve «matérielle» obtenue en mobilisant l’accusé contre lui-même.  Elle implique une violation de la Charte  qui permet de mobiliser l’accusé contre lui‑même (habituellement sous la forme d’une déclaration incriminante), et d’aboutir ensuite à la découverte d’un élément de preuve matérielle.  En d’autres termes, la déclaration obtenue illégalement de l’accusé en le mobilisant contre lui-même est la cause nécessaire de la découverte de la preuve matérielle.

 


100             L’arrêt Burlingham, précité, en fournit un exemple.  Dans cette affaire, la police avait fait subir un interrogatoire serré et manipulateur à une personne accusée de meurtre, en violation de son droit à l’assistance d’un avocat.  Cet interrogatoire avait finalement amené l’accusé à faire une confession complète, y compris une déclaration que l’arme du crime pourrait être trouvée au fond d’une rivière gelée.  On a conclu que l’accusé n’aurait rien dit s’il n’avait pas été irrégulièrement mobilisé par la police pour fournir une preuve contre lui‑même.  L’arme à feu qu’on a fini par retirer de la rivière était une preuve «matérielle».  Cependant, la saisie de cette arme résultait de la déclaration qui avait été arrachée à l’accusé en le mobilisant contre lui‑même.  Cet arrêt démontre que l’arme à feu devrait être considérée non pas comme une preuve «matérielle» «qui rendra rarement le procès inéquitable», mais plutôt comme une preuve auto‑incriminante ou obtenue en mobilisant l’accusé contre lui‑même, qui a été découverte parce que l’accusé a été forcé de la fournir à la suite d’une violation de ses droits garantis par la Charte .  Comme le juge Sopinka le dit si bien (aux par. 144 et 145):

 

. . . il est injuste que le ministère public présente une partie ou la totalité de sa preuve au moyen d’éléments de preuve obtenus en violation des droits de l’accusé et exigeant sa participation. . .

 

La participation de l’accusé qui fournit une preuve incriminante dans le contexte d’une violation de ses droits en vertu de la Charte  est l’ingrédient qui tend à rendre le procès inéquitable puisque l’accusé n’a aucune obligation d’aider le ministère public à obtenir une déclaration de culpabilité.

 

101             Si la preuve examinée est qualifiée de preuve obtenue en mobilisant l’accusé contre lui-même, c’est‑à‑dire de preuve auto-incriminante, ce qui, dans le cas de déclarations, comprend la preuve dérivée, il faut alors passer à la deuxième étape de l’analyse et déterminer si l’utilisation de cette preuve rendrait le procès inéquitable.

 

(ii)  Le principe de la possibilité de découvrir la preuve ou du «n’eût été»

 


102             L’utilisation d’une preuve auto‑incriminante sous forme de déclaration ou de substances corporelles obtenues de l’accusé en le mobilisant contre lui-même, en violation de la Charte , et d’une preuve dérivée de déclarations obtenues illégalement en mobilisant l’accusé contre lui-même, tendra généralement à rendre le procès inéquitable.  Néanmoins, dans des affaires récentes, il a été statué que l’utilisation d’une preuve obtenue en mobilisant l’accusé contre lui-même ne rendra pas le procès inéquitable si la preuve contestée aurait été découverte sans la mobilisation illégale de l’accusé contre lui-même.  Il y a deux situations principales où il est possible de démontrer que la preuve aurait été découverte.  Premièrement, lorsque la preuve peut être tirée d’une source indépendante.  Deuxièmement, lorsque la découverte de la preuve était inévitable.

 

Le cas où la preuve aurait été découverte sans la mobilisation illégale de l’accusé contre lui-même

 

L’existence d’une source indépendante

 

103             Dans certains cas, il se peut que la police ait disposé d’un autre moyen d’obtenir la preuve contestée en ne mobilisant pas l’accusé contre lui-même, bien qu’elle l’ait obtenue en mobilisant l’accusé contre lui-même.  Pourtant, la preuve qui aurait été obtenue sans la participation de l’accusé, même s’il était toujours forcé de participer, sera néanmoins qualifiée de preuve obtenue en mobilisant l’accusé contre lui-même.  L’existence d’un autre moyen d’obtenir la preuve n’a aucune incidence sur la façon de qualifier la preuve.  Néanmoins, lorsqu’il existe un autre moyen non fondé sur la mobilisation de l’accusé contre lui-même, et que le ministère public a établi, suivant la prépondérance des probabilités, que la police y aurait eu recours, l’utilisation de la preuve ne nuirait pas à l’équité du procès.


104             Dans l’arrêt R. c. Colarusso, [1994] 1 R.C.S. 20, l’accusé, dont la conduite en état d’ébriété était à l’origine d’un accident de la circulation, avait refusé de fournir des échantillons de son sang et de son urine à des fins autres que médicales.  Malgré l’absence de consentement, un technicien de laboratoire avait remis des échantillons de substances corporelles de l’accusé au coroner qui, à son tour, les avait remis à un policier.  Les résultats de l’analyse des échantillons avaient été utilisés contre l’accusé à son procès.  La Cour a conclu que le fait que l’échantillon existait tout à fait indépendamment d’une violation de l’art. 8 par l’État, et préalablement à celle-ci, signifiait que la preuve pouvait être découverte de toute façon.  La police aurait pu obtenir un mandat l’autorisant à saisir l’échantillon et la preuve aurait donc pu être tirée d’une source indépendante ou obtenue sans mobiliser l’accusé contre lui‑même.

 

105             Dans les cas où on décide qu’il existait un moyen d’obtenir la preuve sans mobiliser l’accusé contre lui-même, il se peut que l’utilisation de la preuve ne rende pas le procès inéquitable.  Toutefois, il se peut bien que l’existence d’un autre moyen d’obtenir la preuve soit également pertinente pour examiner la gravité de la violation.  Il importe de se souvenir de ce qui a été dit au sujet d’une telle situation, à la p. 285 de l’arrêt Collins, précité:

 

. . . l’existence d’autres méthodes d’enquête et le fait que la preuve aurait pu être obtenue sans violation de la Charte  tendent à aggraver les violations de la Charte .  Nous examinons la conduite réelle des autorités et les éléments de preuve ne doivent pas être admis pour le motif que les autorités auraient pu procéder autrement et ainsi obtenir la preuve de façon régulière. D’ailleurs le fait de ne pas avoir procédé régulièrement lorsque cette possibilité leur était offerte tend à démontrer un mépris flagrant de la Charte , ce qui est un facteur en faveur de l’exclusion de la preuve.

 


La découverte inévitable

 

106             Dans l’arrêt R. c. Black, [1989] 2 R.C.S. 138, il était question d’une violation des droits garantis à l’accusée par l’al. 10b).  À la suite de la violation de la Charte , le policier a irrégulièrement demandé à l’accusée des précisions au sujet de l’infraction, ce qui l’a amenée à faire une déclaration incriminante.  Les policiers l’ont ensuite accompagnée à son appartement, où elle a retiré un couteau d’un tiroir de la cuisine et l’a remis aux policiers en leur disant qu’il s’agissait de l’arme du crime.  La Cour a écarté la déclaration de l’accusée pour le motif que son utilisation violerait son droit de ne pas s’incriminer et rendrait ainsi le procès inéquitable.  Elle a jugé que le couteau était une preuve dérivée qui émanait directement de la déclaration obtenue de l’accusée en la mobilisant contre elle-même.  La Cour a alors appliqué le principe de la possibilité de découvrir la preuve.  Elle a conclu qu’il n’y avait aucun doute que la police aurait effectué une perquisition dans l’appartement de l’accusée, où l’homicide avait eu lieu.  Au cours de cette perquisition, la police aurait, même sans l’aide de l’accusée, découvert le couteau.  En d’autres termes, la découverte du couteau était inévitable et, par conséquent, son utilisation ne rendrait pas le procès inéquitable.  L’arrêt Black fournit donc un exemple de la façon dont ce processus en deux étapes empêche l’exclusion automatique de tout élément de preuve obtenu en mobilisant un accusé contre lui-même.  Je tiens à noter, en passant, que la preuve qui aurait été découverte «inévitablement» peut entrer dans l’examen de la preuve obtenue autrement que par la mobilisation de l’accusé contre lui-même.

 


107             En résumé, lorsqu’il est établi qu’il y avait un moyen de découvrir la preuve sans mobiliser l’accusé contre lui-même, ou que sa découverte était inévitable, cette preuve pouvait alors être découverte; elle aurait été découverte sans la mobilisation illégale de l’accusé contre lui-même.  Il incombe au ministère public d’établir, suivant la prépondérance des probabilités, que la preuve pouvait être découverte.  Lorsque la preuve «pouvait être découverte», même si elle peut avoir été obtenue en mobilisant l’accusé contre lui-même, son utilisation ne rendra pas, en règle générale, le procès inéquitable.  La Cour devrait donc passer à l’examen de la gravité de la violation.

 

Le cas où la preuve n’aurait pas été découverte sans la mobilisation illégale de l’accusé contre lui-même

 

108             Il y aura des cas où la preuve n’aurait pas été découverte sans la  mobilisation illégale de l’accusé contre lui-même, c’est-à-dire où il n’y aura ni source de preuve indépendante, ni possibilité d’établir qu’elle aurait été inévitablement découverte.  L’affaire Burlingham est un exemple de situation où la découverte de l’arme du crime n’était absolument pas inévitable.  On pourrait affirmer, sans risque de se tromper, que la police n’aurait jamais trouvé l’arme à feu n’eût été la déclaration obtenue de l’accusé en le mobilisant contre lui-même.  Son enquête ne l’aurait pas amenée à découvrir l’arme au fond d’une rivière gelée.  L’admission en preuve de l’arme à feu rendrait le procès inéquitable.

 

109             L’arrêt Borden, précité, fournit un autre exemple.  Un échantillon du sang de l’accusé a été prélevé dans le but de le lier à une agression sexuelle.  Ce faisant, il y a eu violation des droits que lui garantissaient l’art. 8  et les al. 10 a )  et b) de la Charte .  La preuve avait été obtenue en mobilisant l’accusé contre lui-même et n’aurait absolument pas pu être découverte.  L’accusé n’avait aucune obligation légale de fournir un échantillon de sang et la police ne pouvait pas l’obtenir sans son consentement ou sans le mobiliser illégalement contre lui-même.  Par conséquent, la preuve a été écartée pour le motif que son utilisation rendrait le procès inéquitable.

 


110             On peut donc constater que, dans les situations où la preuve n’aurait pas été découverte sans mobiliser l’accusé contre lui-même en violation de la Charte , son utilisation rendrait le procès inéquitable.  Dans ces cas, il n’est pas nécessaire d’examiner la gravité de la violation ni la considération dont jouit l’administration de la justice, étant donné que la conclusion que l’utilisation de la preuve rendrait le procès inéquitable indique que l’administration de la justice serait nécessairement déconsidérée si cette preuve n’était pas écartée en vertu du par. 24(2).

 

111             Il serait peut‑être utile de résumer la méthode qui devrait être adoptée pour examiner le facteur de l’équité du procès.

 

(iii)  Résumé concernant l’équité du procès

 

112             Une façon simple pour les juges du procès d’aborder le facteur de l’équité du procès consiste à procéder à une analyse en deux étapes.  Premièrement, la preuve doit être qualifiée soit de «preuve obtenue en mobilisant l’accusé contre lui-même», soit de «preuve non obtenue en mobilisant l’accusé contre lui-même».  La qualification de la preuve dépendra de la façon dont elle a été obtenue.

 

La qualification

 


113             Si la preuve a été obtenue dans des conditions qui violent la Charte , en forçant l’accusé à s’incriminer lui-même par une déclaration ou par l’utilisation en  preuve de son corps ou de ses substances corporelles, elle sera qualifiée de preuve obtenue en mobilisant l’accusé contre lui-même.  Voir les arrêts Manninen, Ross et Bartle, précités.  Par contre, si la preuve a été obtenue dans des conditions qui violent la Charte , en ne forçant pas l’accusé à s’incriminer lui-même par une déclaration ou par l’utilisation en preuve de son corps ou de ses substances corporelles, elle sera qualifiée de preuve non obtenue en mobilisant l’accusé contre lui-même.  Voir les arrêts R. c. Silveira, [1995] 2 R.C.S. 297, et Evans, précité.

 

114             La preuve auto‑incriminante ou obtenue en mobilisant l’accusé contre lui‑même peut mener à ce qu’on appelle une preuve dérivée.  Cette expression a été utilisée pour désigner la preuve «matérielle» qui a été «dérivée» de la preuve obtenue en mobilisant l’accusé contre lui-même, c’est‑à‑dire qui a été découverte grâce à cette preuve.  La preuve découverte devrait être qualifiée de preuve obtenue en mobilisant l’accusé contre lui-même, étant donné qu’elle a été découverte nécessairement en raison de la déclaration forcée de ce dernier.  Dans ces cas, la cour doit examiner avec soin les événements qui ont mené à la découverte de la preuve, plutôt que de simplement examiner si l’élément de preuve fondamental que le ministère public cherche à produire est une preuve «matérielle».  Pour un exemple de preuve dérivée obtenue en mobilisant l’accusé contre lui-même, voir l’arrêt Burlingham, précité.

 

115             Si l’on décide que la preuve n’a pas été obtenue en mobilisant l’accusé contre lui-même, son utilisation ne rendra pas généralement le procès inéquitable et la cour doit passer à l’examen de la gravité de la violation.  Toutefois, si on conclut que la preuve a été obtenue en mobilisant l’accusé contre lui-même, la cour doit passer à la deuxième étape et déterminer si elle aurait été découverte sans (n’eût été) la violation de la Charte .

 

La possibilité de découvrir la preuve

 


116             Il y a deux façons possibles de démontrer que la preuve aurait été découverte en l’absence d’une violation de la Charte :  a) la preuve aurait été obtenue, de toute façon, auprès d’une source indépendante; autrement dit, la police disposait d’un autre moyen de saisir la preuve, qui n’était pas fondé sur la mobilisation de l’accusé contre lui-même, et le ministère public a établi, suivant la prépondérance des probabilités, que la police aurait eu recours à ce moyen (voir, par exemple, l’arrêt Colarusso, précité); ou b) la preuve aurait été découverte inévitablement.  Voir, par exemple, les arrêts Black, précité, et R. c. Harper, [1994] 3 R.C.S. 343.  Dans un cas comme dans l’autre, même s’il s’agit d’une preuve obtenue en mobilisant l’accusé contre lui-même, la probabilité de sa découverte fait en sorte que son utilisation ne rendra pas le procès inéquitable.  Toutefois, pour déterminer l’admissibilité de la preuve qui aurait été découverte grâce à cet autre moyen, le tribunal devra examiner la gravité de la violation de la Charte  et l’incidence de l’exclusion de cette preuve sur la considération dont jouit l’administration de la justice.

 

117             En revanche, il y aura des cas où la preuve n’aurait pas été découverte sans mobiliser l’accusé contre lui-même en violation de la Charte .  Dans ces cas, il sera évident que la police n’aurait pas pu obtenir la preuve sans la mobilisation illégale de l’accusé contre lui-même. Voir, par exemple, les arrêts Burlingham et Borden, précités.

 

118             Par conséquent, lorsque la preuve obtenue en mobilisant l’accusé contre lui-même n’aurait pas été découverte sans cette mobilisation illégale de l’accusé, son utilisation tendra généralement, à rendre le procès inéquitable.  Dans ces circonstances, il n’est pas nécessaire d’examiner la gravité de la violation ni la considération dont jouit l’administration de la justice, étant donné que la conclusion que l’utilisation de la preuve rendrait le procès inéquitable signifie que l’administration de la justice serait nécessairement déconsidérée si la preuve en question n’était pas écartée en vertu du par. 24(2):  R. c. Hebert, [1990] 2 R.C.S. 151; Mellenthin, précité.


119             Le résumé lui-même peut être ramené à ces quelques points:

 

1.        Qualifier la preuve soit de preuve obtenue en mobilisant l’accusé contre lui-même, soit de preuve non obtenue en mobilisant l’accusé contre lui-même, selon la manière dont elle a été obtenue. Si la preuve est une preuve non obtenue en mobilisant l’accusé contre lui‑même, son utilisation ne rendra pas le procès inéquitable et le tribunal passera à l’examen de la gravité de la violation et de l’incidence de l’exclusion de cette preuve sur la considération dont jouit l’administration de la justice.

 

2.        Si la preuve a été obtenue en mobilisant l’accusé contre lui-même et que le ministère public ne démontre pas, suivant la prépondérance des probabilités, qu’elle aurait été découverte par un autre moyen non fondé sur la mobilisation de l’accusé contre lui-même, son utilisation rendra alors le procès inéquitable.  En règle générale, le tribunal écartera la preuve sans examiner la gravité de la violation ni l’incidence de son exclusion sur la considération dont jouit l’administration de la justice.  Il doit en être ainsi puisqu’un procès inéquitable déconsidérerait nécessairement l’administration de la justice.

 

3.        Si l’on conclut que la preuve a été obtenue en mobilisant l’accusé contre lui-même et si le ministère public démontre, suivant la prépondérance des probabilités, qu’elle aurait été découverte par un autre moyen non fondé sur la mobilisation de l’accusé contre lui‑même, son utilisation ne rendra alors généralement pas le procès inéquitable.  Toutefois, il faudra examiner la gravité de la violation de la Charte  et l’incidence de l’exclusion de cette preuve sur la considération dont jouit l’administration de la justice.

 

(iv)  Application des principes analysés à la présente affaire

 

Les échantillons de cheveux et de poils, les empreintes dentaires et les prélèvements faits dans la bouche:  s’agissait‑il d’éléments de preuve obtenus en mobilisant l’appelant contre lui‑même?

 


120             La police n’avait pas le droit d’obtenir les échantillons de cheveux et de poils, les empreintes dentaires ou les prélèvements faits dans la bouche de l’appelant, sans le consentement éclairé de ce dernier.  L’appelant a clairement exprimé son refus de fournir des échantillons de substances corporelles.  Malgré cela, la police a, en menaçant de recourir à la force, obtenu les échantillons de cheveux et les prélèvements dans la bouche, et a contraint l’appelant à s’arracher des poils pubiens et à les fournir comme échantillons.  Les policiers se sont ensuite engagés dans le long processus envahissant du prélèvement de ses empreintes dentaires.  Il n’y a pas de doute que les policiers, par leurs paroles et leurs actions, ont contraint l’appelant à participer à la production de la preuve.  Il n’y a pas de doute non plus que la preuve composée des substances corporelles avait été obtenue en mobilisant l’accusé contre lui-même.

 

121             Comme le juge Iacobucci le fait remarquer dans R. c. S. (R.J.), [1995] 1 R.C.S. 451:  «Les objets matériels, les observations et les liquides organiques peuvent exister avant une violation de la Charte , mais ils n’existent pas en tant qu’éléments de preuve sauf si l’État est en mesure de se les procurer pour un procès» (par. 188 (souligné dans l’original)).

 

La preuve aurait‑elle été découverte sans la mobilisation illégale de l’accusé contre lui-même?

 


122             Il est évident que la preuve contestée n’aurait pas été découverte si l’accusé n’avait pas été mobilisé contre lui-même en violation des art. 7  et 8  de la Charte .  L’appelant n’était pas tenu de fournir des échantillons de cheveux et de poils, des empreintes dentaires ou des prélèvements faits dans sa bouche.  Le droit à la sécurité de sa personne que lui garantissait la Charte  et l’inviolabilité de son corps signifiaient qu’en l’absence d’autorisation légale le ministère public ne pouvait pas entreprendre la procédure contestée.  En l’absence d’autorisation légale valide, la police ne pouvait tout simplement pas obtenir légalement les échantillons sans le consentement de l’appelant.  Il n’y avait aucune source indépendante d’où la police aurait pu tirer la preuve contestée.  Étant donné que l’appelant avait expressément refusé de consentir à fournir des échantillons, l’État n’était pas en mesure de découvrir la preuve sans mobiliser l’accusé contre lui-même en violation de la Charte .  Il s’ensuit que l’utilisation de la preuve rendrait le procès inéquitable.  Cette conclusion suffit pour répondre à la question du par. 24(2), étant donné que la preuve doit être écartée: Hebert, précité.  On pourrait cependant dire quelque chose au sujet de la gravité de la violation de la Charte  qui a été commise en l’espèce.

 

b)  La gravité de la violation de la Charte 

 

123             Les violations des art. 7  et 8  de la Charte , qui ont permis d’obtenir la preuve en question, sont de nature très grave.  La police a fait preuve d’un mépris flagrant pour les droits fondamentaux de l’appelant.  Malgré le refus explicite de l’appelant de fournir des échantillons de substances corporelles ou de faire une déclaration, les policiers ont délibérément attendu le départ des avocats de l’appelant pour immédiatement commencer, en recourant à la force, aux menaces et à la contrainte, à prélever des échantillons de ses substances corporelles et à l’interroger dans le but d’obtenir une déclaration.  Ils ont arraché et coupé des échantillons de cheveux de l’appelant et l’ont forcé à s’arracher des poils pubiens.  Ils lui ont introduit dans la bouche un moule de plasticine afin d’obtenir ses empreintes dentaires et ont demandé, par la suite, à un dentiste de procéder à une prise d’empreintes plus précises qui a duré deux heures.

 


124             Quoique ces actions soient déjà répréhensibles en soi, elles deviennent d’autant plus intolérables que la police savait que l’appelant était à l’époque un jeune contrevenant et qu’il avait droit à la protection spéciale de la Loi sur les jeunes contrevenants .  La police savait que la Loi prévoit qu’un adolescent doit avoir la possibilité de bénéficier de la présence d’un avocat, de l’un de ses parents ou d’un autre adulte de son choix lorsque la police cherche à obtenir une déclaration.  Il y a eu mépris flagrant de tout cela.

 

125             L’intimée a fait valoir que la police a agi de bonne foi vu qu’elle a demandé au substitut du procureur général si elle était autorisée à saisir des échantillons de substances corporelles.  Je ne puis retenir cet argument.  La police savait que, sans la preuve d’empreintes génétiques, elle n’avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour accuser de meurtre l’appelant.  Dans ces circonstances, les commentaires du juge Sopinka, dans R. c. Kokesch, [1990] 3 R.C.S. 3, à la p. 28, sont pertinents:

 

. . . l’inexistence d’autres méthodes d’enquête, admissibles sur le plan constitutionnel, n’est ni une excuse ni une justification pour utiliser des méthodes d’enquête inadmissibles sur le plan constitutionnel.

 

c)  L’administration de la justice

 

126             Par ses actions, la police a porté atteinte aux droits garantis à l’accusé par la Charte .  On pourrait considérer que ces actions sont abusives.  Il est facile de saisir le sentiment de frustration des policiers.  Ils tentaient d’obtenir des éléments de preuve contre la personne qu’ils soupçonnaient d’avoir tué une jeune fille.  Pourtant, les droits garantis par la Charte  sont les droits de tous les Canadiens.  Ils ne peuvent pas être simplement suspendus lorsque la police traite avec des personnes soupçonnées d’avoir commis des crimes graves.  Quelque frustrant et exaspérant que cela puisse paraître, les policiers, en leur qualité de mandataires respectés et admirés de notre pays, doivent respecter les droits que la Charte  garantit à toutes personnes, même celles qui paraissent le moins dignes de respect.  Les tribunaux ne doivent accepter rien de moins.  Il vaut la peine de reprendre les propos tenus par le juge Iacobucci, au par. 50 de l’arrêt Burlingham, précité:


. . . il ne faut jamais perdre de vue que même la personne accusée du crime le plus ignoble, peu importe la probabilité qu’elle ait bel et bien commis ce crime, a droit à la pleine protection de la Charte .  Couper court aux droits qui y sont garantis ou les court‑circuiter nuit non seulement à l’accusé, mais aussi à toute la considération dont jouit le système de justice criminelle.  Il faut souligner que les objectifs de protection de l’intégrité du système de justice criminelle et de promotion de l’honnêteté des techniques d’enquête sont d’importance fondamentale dans l’application du par. 24(2).

 

127             En l’espèce, le fait que la police se soit moquée du refus d’un jeune contrevenant de fournir des échantillons de ses substances corporelles choquerait sûrement la conscience de tous les citoyens équitables.  Par conséquent, la preuve composée  des échantillons de cheveux et de poils, des empreintes dentaires et des prélèvements faits dans la bouche doit être écartée.

 

(2)  Le papier-mouchoir contenant les mucosités

 


128             Contrairement à ce qui s’est passé dans le cas des échantillons de cheveux et de poils, des empreintes dentaires et des prélèvements faits dans la bouche, la police n’a pas forcé l’appelant à fournir un échantillon de ses mucosités, et ne lui a même pas demandé de le faire.  Celui-ci s’est mouché de son propre gré.  La police a agi subrepticement, au mépris du refus explicite de l’appelant de lui fournir des échantillons de substances corporelles.  Cependant, les droits que la Charte  garantissait à l’appelant relativement au papier-mouchoir n’ont pas été gravement violés.  La saisie n’a pas porté atteinte à l’intégrité physique de l’appelant et ne lui a fait perdre sa dignité d’aucune manière.  De toute façon, la police pouvait obtenir et aurait obtenu le papier-mouchoir jeté.  Elle aurait eu des motifs raisonnables de croire que le papier‑mouchoir constituerait un élément de preuve dans son enquête et elle aurait donc scellé la poubelle et obtenu un mandat de perquisition afin d’en récupérer le contenu.  Cet élément de preuve pouvait tout simplement être découvert.  À mon avis, l’administration de la justice ne serait pas déconsidérée si la preuve constituée par l’échantillon de mucosités était utilisée.

 

VI.  Dispositif

 

129             Le pourvoi est accueilli et un nouveau procès est ordonné, où les échantillons de cheveux et de poils, les empreintes dentaires et les prélèvements faits dans la bouche devront être écartés, tandis que l’échantillon de mucosités pourra être utilisé.

 

Les motifs suivants ont été rendus par

 

1                 Le juge L’Heureux‑Dubé (dissidente) -- Ce pourvoi concerne le meurtre brutal de Pamela Bischoff, une jeune fille de 14 ans.  Son corps fut retrouvé dans la rivière Oromocto le 18 avril 1991, près de l’endroit où elle avait été aperçue pour la dernière fois, six jours plus tôt, en compagnie de l’appelant.  Les circonstances de l’homicide et les détails horribles de l’état dans lequel le corps de la victime fut découvert sont relatés au complet dans les motifs de dissidence du juge Rice de la Cour d’appel du Nouveau‑Brunswick:  (1995), 159 R.N.-B. (2e) 321, 409 A.P.R. 321, 97 C.C.C. (3d) 164 (le juge en chef Hoyt et les juges Rice et Ayles), et n’ont pas à être repris ici.

 

2                 L’autopsie de la victime a permis de déceler un brutal traumatisme crânien qui a causé son décès, la présence de sperme dans son vagin et la marque d’une morsure humaine sur son abdomen, apparemment faite au moment du décès ou subséquemment.

 


3                 L’appelant fut accusé de meurtre au premier degré relativement à l’homicide de Pamela Bischoff et, à l’issue d’un procès devant un juge et un jury, il fut déclaré coupable et condamné à l’emprisonnement à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle avant huit ans, et ce, principalement à partir de quatre éléments de preuve obtenus au moment de l’arrestation de l’appelant:  des mucosités trouvées dans un papier-mouchoir jeté, des échantillons de cheveux et de poils, des prélèvements faits dans la bouche et des empreintes dentaires.  Lors d’un voir‑dire, ces éléments de preuve furent jugés admissibles au procès:  Cour du Banc de la Reine du Nouveau‑Brunswick, 8 mars 1993, [1993] A.N.-B. no 625 (le juge Russell).  On a conclu que l’ADN extrait des mucosités et des échantillons de cheveux et de poils de l’appelant correspondait à celui du sperme découvert dans le vagin de la victime.  Bien que les résultats de l’analyse odontologique aient été peu concluants, les empreintes dentaires et la marque de morsure décelée sur le corps de l’adolescente furent jugées compatibles jusqu’à un certain point.  Cette preuve est au c{oe}ur de ce pourvoi.

 

4                 L’appel interjeté contre la déclaration de culpabilité de l’appelant fut rejeté par la Cour d’appel du Nouveau‑Brunswick, à la majorité, et le pourvoi est formé de plein droit devant notre Cour compte tenu de la dissidence en cour d’appel.

 


5                 L’appelant allègue que le papier-mouchoir qui, a-t-on constaté, contenait des mucosités et les échantillons de cheveux et de poils, de même que les prélèvements faits dans la bouche et les empreintes dentaires furent obtenus en violation des droits qui lui sont garantis en vertu des art. 7 et 8 et de l’al. 10 b )  de la Charte canadienne des droits et libertés , et que, contrairement à la décision du juge du procès lors du voir‑dire et à l’arrêt majoritaire de la Cour d’appel, ils auraient dû être écartés au procès.  Le ministère public soutient qu’il n’y a pas eu violation de la Charte  et que, même si tel était le cas, ces éléments de preuve seraient néanmoins admissibles en vertu du par. 24(2)  de la Charte .

 

6                 La question de savoir si les éléments de preuve contestés étaient admissibles au procès soulève des questions de fait et de droit.  Mon collègue le juge Cory conclut que, à l’exception du papier-mouchoir qui, a-t-on constaté, contenait des mucosités, ces éléments de preuve ne sont pas admissibles, et, en conséquence, il accueillerait le pourvoi et ordonnerait un nouveau procès.  Je ne partage pas son avis pour les raisons suivantes.

 

7                 Le point de départ de l’analyse est l’arrestation.  L’arrestation était‑elle légale?  Dans l’affirmative, la fouille et la saisie des éléments de preuve en question étaient‑elles légales?  Dans la négative, ces éléments de preuve étaient‑ils admissibles?

 

I.  L’arrestation était‑elle légale?

 

8                 Mon collègue le juge Cory conclut que l’arrestation était légale.  Je suis d’accord avec lui, pour les mêmes motifs.

 

II.  La fouille et la saisie étaient‑elles légales?

 


9                 La fouille et la saisie du papier-mouchoir contenant des mucosités et des échantillons de cheveux et de poils, ainsi que les prélèvements faits dans la bouche et la prise d’empreintes dentaires, ont été effectués pendant que l’appelant était légalement en état d’arrestation.  Mon collègue le juge Cory conclut que ces fouilles et saisies n’étaient pas légales en common law parce qu’elles ne relèvent pas du pouvoir de la police de procéder à une fouille accessoire à une arrestation, en raison de leur incidence sur l’intégrité physique de l’appelant et de l’absence d’urgence ou d’une situation d’urgence comme le risque de destruction d’un élément de preuve, qui, par ailleurs, aurait pu servir de justification (Cloutier c. Langlois, [1990] 1 R.C.S. 158).  En outre, mon collègue est d’avis que, si le pouvoir de procéder à une fouille accessoire à une arrestation permet de saisir ces échantillons de substances corporelles et ces empreintes, la règle de common law elle‑même est abusive au sens de l’art. 8  de la Charte  (R. c. Collins, [1987] 1 R.C.S. 265).  Je ne suis pas d’accord.

 

10               À titre préliminaire, il y a lieu de souligner que la loi, dans son état actuel, accorde aux tribunaux le pouvoir de décerner un mandat autorisant, quoique sous réserve de lignes directrices strictes et uniquement pour les infractions y mentionnées, «a) [le prélèvement] de cheveux ou de poils comportant la gaine épithéliale; b) [le prélèvement] de cellules épithéliales par écouvillonnage des lèvres, de la langue et de l’intérieur des joues» (par. 487.06(1)  du Code criminel , L.R.C. (1985), ch. C‑46 ).  Toutefois, au moment où l’appelant a été arrêté, la police n’aurait pas pu obtenir un tel mandat.  Même si la police avait des motifs raisonnables d’arrêter l’appelant, elle ne disposait pas de suffisamment d’éléments de preuve pour porter une accusation de meurtre contre lui.  Étant donné l’absence d’une autre technique d’enquête qui lui aurait permis d’obtenir le genre de preuve qu’elle cherchait, il n’est donc pas étonnant que la police ait dû s’en remettre au pouvoir de fouille que lui reconnaissait la common law.

 


11               La police n’a procédé à cette fouille qu’après avoir consulté le substitut du procureur général qui lui a soumis trois arrêts:  R. c. Alderton (1985), 17 C.C.C. (3d) 204 (C.A. Ont.), qui veut que la police ait le pouvoir de prélever des échantillons de cheveux et de poils sur une personne légalement en état d’arrestation; Cloutier c. Langlois, précité, qui reconnaît à la police le pouvoir de procéder à une fouille sommaire accessoire à une arrestation légale; et R. c. Beare, [1988] 2 R.C.S. 387, qui a confirmé la validité de la mesure législative autorisant la prise des empreintes digitales d’une personne placée légalement sous garde.  Peut‑être par inadvertance, on n’a pas attiré l’attention de la police sur l’arrêt de la Cour d’appel du Nouveau‑Brunswick, R. c. Legere (1988), 89 R.N.-B. (2e) 361, qui veut que la saisie des cheveux ou des poils d’une personne, sans son consentement, viole les art. 7  et 8  de la Charte .  Comme l’a souligné mon collègue le juge Cory, la question de savoir si le pouvoir de common law de procéder à une fouille accessoire à une arrestation va jusqu’à permettre de prélever des substances corporelles et de prendre des empreintes est controversée.  La pertinence qu’on a attachée récemment à l’analyse médicolégale d’empreintes génétiques et dentaires témoigne de l’incertitude du droit et de la jurisprudence contradictoire et limitée concernant la légalité du prélèvement de substances corporelles et de la prise d’empreintes.

 

12               Comme point de départ de l’analyse, il est acquis que, lors d’une arrestation légale, la police a certaines obligations, dont celle d’empêcher que la personne arrêtée, les policiers et le public soient en danger, mais qu’elle a aussi certains droits, dont le droit de recueillir des éléments de preuve.  Dans l’arrêt Cloutier c. Langlois, précité, aux pp. 180 et 181, notre Cour a reconnu à l’unanimité que le pouvoir de common law de procéder à une fouille accessoire à une arrestation était un moyen légitime d’exercer ces droits et de remplir ces obligations:

 


Malgré certains commentaires de la doctrine, dans l’ensemble, il me semble indubitable que la common law telle qu’elle a été reçue et a évolué au Canada reconnaît aux policiers le pouvoir de fouiller la personne légalement mise en état d’arrestation et de saisir les objets en sa possession ou dans son entourage immédiat dans le but d’assurer la sécurité des policiers et du prévenu, d’empêcher l’évasion du prisonnier ou encore de constituer une preuve contre ce dernier.  La trame commune de cette jurisprudence vise à assurer la sécurité et l’efficacité de l’application de la loi.  [Je souligne.]

 

13               Le droit de recueillir des éléments de preuve accessoirement à une arrestation découle de la fonction essentielle de découverte d’éléments de preuve et d’application efficace de la loi que la police exerce en enquêtant sur un crime.  Cette fonction cruciale a été soulignée par le juge Cory, au nom de la Cour, dans l’arrêt R. c. Storrey, [1990] 1 R.C.S. 241, à la p. 254:

 

Le rôle de la police consiste essentiellement à faire enquête sur les crimes.  C’est là une fonction qu’elle peut et devrait continuer à exercer après avoir effectué une arrestation légale.  La continuation de l’enquête profitera à la société dans son ensemble et souvent aussi à la personne arrêtée.  En effet, il est dans l’intérêt de la personne innocente arrêtée que l’enquête se poursuive afin que son innocence à l’égard des accusations puisse être établie dans les plus brefs délais.

 

En fait, l’un des facteurs à considérer en décidant si la police peut exercer son pouvoir d’arrestation est [traduction] «le besoin [. . .] de recueillir et de préserver des éléments de preuve de l’infraction ou s’y rapportant» (R. E. Salhany, Canadian Criminal Procedure (6e éd. 1994 (feuilles mobiles)), au par. 3.50).

 


14               Il est clair que la fouille et la saisie en question ici n’étaient pas nécessaires pour protéger l’appelant, les policiers ou le public.  La seule question qui se pose, à ce stade, concerne l’étendue du droit de la police de recueillir des éléments de preuve lors d’une arrestation légale, compte tenu de la nature des éléments de preuve en cause, soit les échantillons de cheveux, de poils, de salive et de mucosités, de même que les empreintes dentaires.

 

A.  L’étendue du pouvoir de procéder à une fouille accessoire à une arrestation

 

15               Dans l’arrêt Cloutier c. Langlois, précité, notre Cour a examiné l’étendue du pouvoir de common law de la police de fouiller une personne légalement mise en état d’arrestation.  Cet arrêt ne portait, toutefois, que sur la fouille sommaire d’une personne qui avait d’abord été arrêtée par la police pour avoir enfreint un règlement municipal sur la circulation et au sujet de laquelle on avait ensuite appris qu’elle n’avait pas payé des contraventions.  Étant donné que la fouille sommaire avait été effectuée pour garantir la sécurité des policiers, notre Cour n’avait pas à examiner en détail l’étendue du droit de recueillir des éléments de preuve.  La question en l’espèce est de savoir si la reconnaissance, dans l’arrêt Cloutier c. Langlois, du pouvoir de procéder à une fouille accessoire à une arrestation vise la fouille et la saisie en cause dans la présente affaire qui soulèvent, certes, des préoccupations différentes.

 


16               L’appelant propose une définition restrictive du droit de recueillir des éléments de preuve, en le limitant à la saisie d’objets susceptibles d’être détruits ou autrement perdus, soustrayant ainsi à sa portée les échantillons de substances corporelles et les empreintes.  Le ministère public soutient que le pouvoir de common law de procéder à une fouille accessoire à une arrestation permet à tout le moins de recueillir le genre d’élément de preuve constitué d’empreintes dentaires.  Il presse la Cour d’accepter le point de vue selon lequel le droit de recueillir des éléments de preuve devrait viser ce genre d’éléments de preuve, si jamais elle concluait que la common law ne prévoit pas que des échantillons de substances corporelles et des empreintes sont des éléments de preuve que la police peut recueillir à la suite d’une arrestation.

 

17               La délimitation du pouvoir de la police de fouiller une personne légalement mise en état d’arrestation, comme ses autres pouvoirs dérivés de la common law, requiert une pondération des intérêts opposés qui sont en jeu.  Ces intérêts sont décrits dans l’arrêt Cloutier c. Langlois, précité, aux pp. 182 et 183:

 

À cet égard, la légitimité du système impose aux policiers le devoir de s’acquitter d’une façon efficace et sécuritaire de cette mission.  Or, dans le contexte de l’arrestation, ces impératifs emportent au moins deux considérations principales.  D’une part, l’arrestation doit pouvoir assurer la présence des individus devant le tribunal.  Un individu mis en état d’arrestation ne doit pas être en mesure de pouvoir se soustraire aux agents de la paix avant sa remise en liberté conformément aux règles de la procédure criminelle, au risque de déconsidérer l’administration de la justice.  [. . .] D’autre part, l’arrestation doit assurer la conservation des éléments de preuve se trouvant sur le prévenu et dans son entourage immédiat lors de l’arrestation.  L’efficacité du système dépend en partie de la capacité des agents de la paix à recueillir des éléments de preuve susceptibles d’établir la culpabilité des suspects hors de tout doute raisonnable.  L’administration de la justice serait réduite à une pure illusion s’il était permis à la personne  arrêtée de détruire une preuve en sa possession au moment de l’arrestation. . .

 

Mais si la common law donne aux policiers les pouvoirs nécessaires pour l’application efficace et sécuritaire de la loi, elle ne leur permet pas de se placer au‑dessus de la loi et d’user de leurs pouvoirs pour opprimer les citoyens.  La protection de la vie privée et des libertés individuelles prend ici toute sa dimension.  [Je souligne.]

 

Dans l’arrêt Cloutier c. Langlois, la Cour a conclu que l’atteinte minimale que comporte une fouille sommaire concilie l’intérêt que le public a à ce que la loi soit  appliquée de manière efficace et sécuritaire et à ce que la liberté et la dignité de la personne soient protégées.

 


18               Comme mon collègue le juge Cory le fait remarquer, au départ, la fouille et la saisie ici contestées ne sauraient être validées ni par des motifs d’urgence ni par l’existence d’une situation urgente.  À mon avis, toutefois, le droit de recueillir des éléments de preuve au moment de l’arrestation ne devrait pas se limiter aux situations d’urgence ou de nécessité.  Conclure le contraire irait complètement à l’encontre du but fondamental du système de justice criminelle, qui est précisément «la condamnation des personnes reconnues coupables hors de tout doute raisonnable» (Cloutier c. Langlois, précité, à la p. 182).  En entravant ainsi la capacité de la police de recueillir des éléments de preuve, sans autre examen des conditions dans lesquelles ils sont obtenus et de leur nécessité pour établir hors de tout doute raisonnable la culpabilité d’un suspect, ou, inversement, pour créer un doute à ce sujet, nous nous trouvons, en fait, à miner l’efficacité et l’équité du système de justice criminelle qui dépend en grande partie du rôle actif que joue la police en enquêtant sur un crime.

 


19               L’opinion selon laquelle le droit de recueillir des éléments de preuve accessoirement à une arrestation ne dépend pas de l’existence d’une urgence ou d’une situation d’urgence, et peut être élargi de manière à inclure la cueillette de tout élément de preuve susceptible d’aider la police à procéder à son enquête et à éventuellement engager des poursuites contre la personne arrêtée, a été exprimée récemment par la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique dans l’arrêt R. c. Smellie (1994), 95 C.C.C. (3d) 9, aux pp. 23 et 24 (autorisation de pourvoi devant notre Cour refusée le 8 juin 1995, [1995] 2 R.C.S. ix).  Voir aussi R. c. Garcia, [1992] R.J.Q. 2716 (C.A.), à la p. 2724; R. c. Lerke (1986), 49 C.R. (3d) 324 (C.A. Alb.), à la p. 335; R. c. Morrison (1987), 58 C.R. (3d) 63 (C.A. Ont.), à la p. 68; R. c. Miller (1987), 38 C.C.C. (3d) 252 (C.A. Ont.), à la p. 257; R. c. Debot (1986), 54 C.R. (3d) 120 (C.A. Ont.), à la p. 136 (confirmé, sans mentionner ce point, par [1989] 2 R.C.S. 1140); R. c. Rao (1984), 12 C.C.C. (3d) 97 (C.A. Ont.), à la p. 110; R. c. Lim (No. 2) (1990), 1 C.R.R. (2d) 136 (H.C. Ont.); P. Béliveau, J. Bellemare et J.‑P. Lussier, Traité de procédure pénale (1981), à la p. 187; B. P. Archibald, «Le droit relatif à l’arrestation», dans V. M. Del Buono, dir., Procédure pénale au Canada (1983), 143, aux pp. 180 et 181; R. E. Salhany, The Police Manual of Arrest, Seizure & Interrogation (6e éd. 1994), à la p. 75.  Cette opinion est également étayée par la jurisprudence où on a conclu que la saisie d’échantillons de substances corporelles relevait du pouvoir de common law d’effectuer une fouille à la suite d’une arrestation légale:  Alderton, précité, à la p. 208; R. c. Schweir, [1993] O.J. No. 3404 (Div. gén.), au par. 40.

 

20               Il n’y a pas de raison, à mon avis, de restreindre le droit de recueillir des éléments de preuve aux situations de nécessité de manière à exclure, dans tous les cas, le prélèvement de substances corporelles et la prise d’empreintes sur une personne légalement mise en état d’arrestation.  En fait, de même que «[l]’administration de la justice serait réduite à une pure illusion s’il était permis à la personne arrêtée de détruire une preuve en sa possession au moment de l’arrestation» (Cloutier c. Langlois, précité, à la p. 183), [traduction] «[u]ne illégitimité similaire résulterait si une personne arrêtée pouvait soustraire ses cheveux, ses poils, sa salive et son sang à la recherche de la vérité par le système de justice» (Schweir, précité, au par. 42 (le juge McIsaac)).

 


21               Outre la jurisprudence mentionnée plus haut quant au prélèvement de substances corporelles tels les cheveux, les poils, la salive ou les mucosités, pour fins de comparaison d’empreintes génétiques, il est également possible d’établir une analogie frappante avec la prise d’empreintes digitales en tant qu’instrument d’enquête généralement accepté en common law (Beare, précité, à la p. 405).  Comme pour la prise d’empreintes digitales, les méthodes qui permettent d’obtenir des échantillons de cheveux, de poils et de salive sont fort simples et ne sauraient causer que peu d’inconvénients.  Il suffit généralement de passer vigoureusement un peigne dans la chevelure pour obtenir des cheveux avec leur gaine épithéliale, et des échantillons de salive peuvent être recueillis par des moyens aussi simples que des prélèvements faits dans la bouche ou un morceau de gomme à mâcher utilisée par la personne en cause.  De même, le code génétique de l’ADN présent dans toutes les cellules du corps humain est unique à chaque personne, comme le sont les empreintes digitales, mais il est encore beaucoup plus précis (G. M. Chayko, E. D. Gulliver et D. V. Macdougall, Forensic Evidence in Canada (1991), aux pp. 302 à 305).  Ainsi, la force considérable de la preuve d’empreintes génétiques peut aider le système de justice criminelle à identifier avec plus de certitude les personnes qui ont commis des infractions graves et, dans certains cas, à établir l’innocence d’une personne (R. c. Morin (1995), 37 C.R. (4th) 395 (C.A. Ont.)).  En fait, «[l]a rapidité et la facilité de l’identification et de la découverte d’indices de culpabilité ou d’innocence ont une grande importance dans les enquêtes criminelles» (Beare, précité, à la p. 404 (le juge La Forest)).

 

22               Par exemple, dans l’arrêt Alderton, précité, des échantillons de cheveux tant arrachés que tombés avaient été saisis lors d’une arrestation relative à une introduction par effraction et à une agression sexuelle.  Le juge Martin écrit, au nom de la Cour d’appel de l’Ontario, à l’unanimité, à la p. 209:

 


[traduction] En l’espèce, le détective Ashton avait des motifs raisonnables de croire que l’analyse des échantillons de cheveux de l’appelant le lierait à l’infraction.  Le prélèvement des échantillons de cheveux n’a pas été effectué violemment ni sous la menace de violence, et nous sommes tous d’avis que ces prélèvements, dans les circonstances de la présente affaire et compte tenu de la gravité de l’infraction, n’ont pas violé l’art. 8  de la Charte .

 

Voir aussi Schweir, précité.  Il vaut également la peine de souligner qu’aux États‑Unis divers types d’échantillons de substances corporelles ont été validement admis à titre d’éléments de preuve saisis lors d’une fouille accessoire à une arrestation:  voir, par exemple, en ce qui concerne des échantillons de cheveux, United States c. Weir, 657 F.2d 1005 (8th Cir. 1981); des échantillons d’urine, Ewing c. State, 310 N.E.2d 571 (Ind. 1974); des empreintes dentaires, Spence c. State, 795 S.W.2d 743 (Tex. Crim. App. 1990); et des poils pubiens, State c. Cobb, 243 S.E.2d 759 (N.C. 1978); W. R. LaFave, Search and Seizure: A Treatise on the Fourth Amendment (3e éd. 1996), vol. 3, aux pp. 132 à 134.

 

23               Comme pour les substances corporelles obtenues aux fins d’une analyse d’empreintes génétiques, l’importance que revêt depuis peu l’analyse des morsures dans le domaine médicolégal est illustrée par l’absence de jurisprudence sur l’étendue du pouvoir de procéder à une fouille accessoire à une arrestation en ce qui concerne les empreintes dentaires (Chayko, Gulliver et Macdougall, op. cit., à la p. 377).  À l’instar des empreintes digitales, la prise d’empreintes dentaires, qui consiste à placer certaines substances dans la bouche d’une personne pendant un bref délai, ne comporte aucun prélèvement de substances corporelles et ne cause qu’un désagrément minimal.  Cependant, contrairement à la prise d’empreintes digitales, mais comme pour le prélèvement d’un échantillon de salive, elle comporte une intrusion dans une cavité corporelle.

 


24               Certes, arracher des cheveux ou des poils, faire des prélèvements dans la bouche ou prendre les empreintes dentaires d’une personne sont des actions d’une nature plus envahissante que, disons, soumettre une personne à une fouille sommaire.  Il est toutefois frappant de noter que des techniques d’enquête plus envahissantes ont été autorisées en common law, en dépit de leur grave incidence sur l’intégrité physique de la personne, en raison de l’objectif d’application de la loi qui sous‑tend le pouvoir d’effectuer une fouille à la suite d’une arrestation.  Comme le juge La Forest le fait remarquer dans Beare, précité, aux pp. 403 et 404, dans le contexte du pouvoir de prendre les empreintes digitales d’une personne légalement mise en état d’arrestation:

 

Il faut souligner que la common law autorise plusieurs autres atteintes, à mon avis beaucoup plus graves, à la dignité de l’individu ou des personnes sous garde dans l’intérêt de l’application de la loi.  Au cours d’une arrestation licite, un agent de la paix a le droit de procéder à la fouille de la personne arrêtée et de confisquer tout bien qu’il a des raisons de croire lié à l’infraction reprochée, ou toute arme trouvée sur elle; voir R. v. Morrison (1987), 20 O.A.C. 230.  Ce pouvoir est fondé sur la nécessité de désarmer le prévenu et de réunir des preuves.  En détention, après l’arrestation, le prévenu peut être déshabillé.  Plus pertinent encore, la taille, le poids et les marques corporelles, naturelles ou artificielles, comme les taches de naissance ou les tatouages, peuvent servir à des fins d’identification; voir Adair v. M’Garry, [1993] S.L.T. 482 (J.).

 

Ces mesures sont autorisées parce que la collectivité reconnaît qu’il faut doter la force policière de moyens adéquats et raisonnables d’investigation du crime.

 


25               À titre d’exemple, vu que c’est généralement la possession de drogue qui constitue la commission d’une infraction en matière de drogue et compte tenu de la difficulté d’enrayer le commerce de la drogue, on a reconnu que, dans ce contexte, les fouilles buccales et rectales étaient un exercice justifié du pouvoir de la police de procéder à une fouille accessoire à une arrestation:  R. c. Brezack (1949), 96 C.C.C. 97 (C.A. Ont.); Reynen c. Antonenko (1975), 20 C.C.C. (2d) 342 (C.S. Alb. 1re inst.), aux pp. 348 et 349; Scott c. The Queen (1975), 24 C.C.C. (2d) 261 (C.A.F.); R. c. Truchanek (1984), 39 C.R. (3d) 137 (C. cté C.‑B.).  Si ces techniques d’enquête envahissantes ont été jugées conformes au pouvoir de procéder à une fouille accessoire à une arrestation, je ne comprends pas pourquoi le prélèvement d’échantillons de substances corporelles et la prise d’empreintes pour fins d’analyse génétique devraient être traités différemment.  Le prélèvement de ces échantillons et la prise de ces empreintes devraient être permis, quoique sous réserve de lignes directrices strictes, dans le cas de crimes très répréhensibles comme le meurtre ou l’agression sexuelle, où il peut être difficile d’établir autrement l’identité de la personne, compte tenu du fait que ces crimes peuvent normalement être commis en l’absence de tout témoin.

 

26               Le fait que le Parlement ait choisi d’établir une procédure légale d’obtention d’un mandat autorisant la saisie de certaines substances corporelles pour fins d’analyse génétique ne milite pas, selon moi, contre la proposition voulant que la common law permette le prélèvement de substances corporelles et la prise d’empreintes accessoirement à une arrestation.  La Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur les jeunes contrevenants (analyse génétique à des fins médicolégales) (Projet de loi C‑104) visait non pas à instaurer la technique des empreintes génétiques comme nouvel instrument d’enquête qui serait par ailleurs interdit, mais plutôt à clarifier l’état du droit quant aux circonstances dans lesquelles elle peut être utilisée.  C’est ce qu’a clairement indiqué l’honorable Allan Rock, ministre de la Justice, dans les Débats de la Chambre des communes, vol. 133, no 224, 1re sess., 35e lég., 22 juin 1995, à la p. 14489:

 

Pour déterminer ce qu’accomplira ce projet de loi, il convient de bien analyser l’état actuel de la législation canadienne.  Ce que nous proposons n’a rien de révolutionnaire; ce n’est pas une mesure mal conçue que nous prenons à l’aveuglette.


L’article 487.1  du Code criminel , une disposition générale sur les mandats, autorise actuellement ce genre de procédure.  Les échantillons d’ADN sont régulièrement examinés devant les tribunaux.  Je le répète, on estime que des échantillons de ce genre ont été présentés dans plus de 1 000 causes au Canada.

 

Le problème tient à l’absence d’un fondement explicite dans la loi pénale, fondement nécessaire pour dissiper tout doute au sujet de la légitimité de la pratique, ce qui laisse place aux contestations et à l’incertitude en ce qui concerne les circonstances dans lesquelles les échantillons peuvent être prélevés et la façon dont ces preuves peuvent être présentées.

 

Voir aussi: Commission de réforme du droit du Canada, rapport 25, Les techniques d’investigation policière et les droits de la personne (1985), à la p. 13.

 


27               Il est cependant évident qu’il se peut que les besoins légitimes en matière d’application de la loi ne justifient pas, dans tous les cas, l’exercice du droit de recueillir des éléments de preuve, particulièrement lorsqu’il est question d’atteinte à l’intégrité physique d’une personne.  Il ne s’agit pas tant, à mon avis, de savoir si des substances corporelles et des empreintes peuvent être prélevées sur une personne lors de son arrestation, que de déterminer les circonstances dans lesquelles des éléments de preuve de cette nature peuvent être légalement obtenus, et de quelle manière.  Par exemple, il est généralement accepté que la police peut saisir les cheveux trouvés sur les vêtements d’une personne légalement mise en état d’arrestation ou, si cette dernière y consent, lui arracher des cheveux.  Dans la même veine, notre Cour a maintes fois reconnu l’importance de soustraire la vie privée d’une personne aux atteintes de l’État, mais seulement dans la mesure où ces atteintes sont abusives.  Notre Cour a aussi reconnu la nécessité correspondante de règles claires qui guideraient — et non interdiraient — l’intervention policière dans les situations délicates où il y a interaction entre les objectifs d’application de la loi et le droit à la vie privée (Hunter c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145; R. c. Therens, [1985] 1 R.C.S. 613; R. c. Pohoretsky, [1987] 1 R.C.S. 945; R. c. Dyment, [1988] 2 R.C.S. 417; R. c. Simmons, [1988] 2 R.C.S. 495).

 

28               Compte tenu de la diversité des situations où des échantillons de substances corporelles et des empreintes peuvent être obtenus, le souci de protéger l’intégrité physique de la personne devrait être pris en considération pour déterminer la validité de l’exercice du pouvoir d’effectuer une fouille accessoire à une arrestation plutôt que pour délimiter ce pouvoir.  Cela nous amène aux facteurs qui doivent guider les policiers lorsqu’ils doivent décider s’ils peuvent légalement obtenir des échantillons de substances corporelles et les empreintes d’une personne en vertu de leur pouvoir d’effectuer une fouille accessoire à l’arrestation.

 

B.  L’exercice du pouvoir de procéder à une fouille accessoire à une arrestation          

 

29               La distinction entre l’étendue du pouvoir de procéder à une fouille accessoire à une arrestation et l’exercice de ce pouvoir a été clairement établie dans l’arrêt Cloutier c. Langlois, précité.  Bien qu’on y ait statué que des motifs raisonnables n’étaient pas une condition préalable à l’existence du pouvoir de la police de procéder à une fouille accessoire à une arrestation, la validité de l’exercice de ce pouvoir en common law a néanmoins été soigneusement limitée au moyen de trois propositions générales (à la p. 186):

 

1.  Ce pouvoir n’impose pas de devoir.  Les policiers jouissent d’une discrétion dans l’exercice de la fouille.  Dans les cas où ils sont satisfaits que l’application de la loi peut s’effectuer d’une façon efficace et sécuritaire sans l’intervention d’une fouille, les policiers peuvent juger opportun de ne pas procéder à la fouille.  Ils doivent être en mesure d’apprécier les circonstances de chaque cas afin de déterminer si la fouille répond aux objectifs sous‑jacents.

 


2.  La fouille doit viser un objectif valable dans la poursuite des fins de la justice criminelle, telle la découverte d’un objet pouvant menacer la sécurité des policiers, du prévenu ou du public, faciliter l’évasion ou constituer une preuve contre le prévenu.  Le but de la fouille ne doit pas être étranger aux fins d’une saine administration de la justice, ce qui serait le cas, par exemple, si la fouille avait pour but d’intimider le prévenu, de le ridiculiser ou d’exercer une contrainte pour lui soutirer des aveux.

 

3.  La fouille ne doit pas être effectuée de façon abusive et, en particulier, l’usage de contrainte physique ou psychologique ne doit pas être hors de proportion avec les objectifs poursuivis et les autres circonstances de l’espèce.  [Je souligne.]

 

30               Comparativement à la nature «relativement peu intrusi[ve]» d’une fouille sommaire (Cloutier c. Langlois, précité, à la p. 185), une fouille qui constitue une atteinte plus grave à l’intégrité physique de la personne, comme le prélèvement de substances corporelles et la prise d’empreintes, nécessite une justification plus grande (Hunter c. Southam Inc., précité, à la p. 168; Simmons, précité, à la p. 517).  Plus précisément, comme S. A. Cohen l’affirme dans «Search Incident to Arrest» (1989‑90), 32 Crim. L.Q. 366, à la p. 375:

 

[traduction] Au fur et à mesure que l’on considère des formes de fouilles de plus en plus envahissantes, l’importance de l’exigence que le policier ait des motifs raisonnables d’effectuer la fouille s’accroît.  Quel que soit le bien‑fondé du droit du policier d’effectuer une fouille simplement accessoire à l’arrestation, sans justification ni motif supplémentaire, lorsque le caractère envahissant de la fouille est minime, l’existence d’un motif de fouiller s’accroît au fur et à mesure que le caractère envahissant de la fouille augmente.  [Je souligne.]

 

Tout en reconnaissant que la justification des fouilles plus envahissantes sans mandat peut être affaiblie, l’auteur affirme, à la p. 377:

 


[traduction] Un autre point de vue consisterait à dispenser de l’obligation d’obtenir un mandat à la condition de soumettre la conduite de la police à un examen plus approfondi en lui imposant des normes de persuasion et de justification plus élevées dans le cas de fouilles envahissantes.  Ce point de vue permettrait d’éviter d’encombrer le processus de la nécessité d’obtenir l’approbation d’un officier de justice.

 

31               Étant donné que la common law doit évoluer de façon compatible avec les valeurs de la Charte  (SDGMR c. Dolphin Delivery Ltd., [1986] 2 R.C.S. 573, à la p. 603; Dagenais c. Société Radio‑Canada, [1994] 3 R.C.S. 835, aux pp. 878 et 911; Hill c. Église de scientologie de Toronto, [1995] 2 R.C.S. 1130, aux par. 91 et 206), notre Cour a statué que, conformément à l’art. 8  de la Charte , une fouille ou perquisition ne sera pas abusive si elle est autorisée par la loi, si la loi elle‑même est raisonnable et si elle est effectuée d’une manière raisonnable (Collins, précité, à la p. 278).  J’ai déjà démontré que la fouille en cause ici était autorisée par la loi en vertu du pouvoir de common law de procéder à une fouille accessoire à une arrestation.  La prochaine étape concerne l’exigence que les lignes directrices qui régissent l’exercice de ce pouvoir survivent à l’examen fondé sur la Charte .

 

32               L’article 8  de la Charte  a pour but de protéger le citoyen, non contre toute atteinte comme telle de l’État, mais seulement contre les atteintes qui sont abusives.  Comme le juge Dickson (plus tard Juge en chef) l’a écrit, au nom de la Cour, dans l’arrêt Hunter c. Southam Inc., précité, aux pp. 159 et 160:

 

La garantie de protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives ne vise qu’une attente raisonnable [en matière de vie privée].  Cette limitation du droit garanti par l’art. 8 [. . .] indique qu’il faut apprécier si, dans une situation donnée, le droit du public de ne pas être importuné par le gouvernement doit céder le pas au droit du gouvernement de s’immiscer dans la vie privée des particuliers afin de réaliser ses fins et, notamment, d’assurer l’application de la loi.  [Souligné dans l’original.]

 


La Cour a en outre statué qu’une fouille ou perquisition et une saisie effectuées sans mandat sont prima facie abusives si «une [. . .] autorisation [préalable] peut être obtenue» (à la p. 161), et qu’il incombe au ministère public de réfuter cette présomption (Collins, précité, à la p. 278).  À cet égard, comme je l’ai déjà fait remarquer, au moment où on a enquêté sur cette affaire, «une [. . .] autorisation [préalable ne pouvait pas] être obtenue», étant donné que la police ne pouvait pas avoir recours à une procédure de mandat pour recueillir le genre d’éléments de preuve qu’elle cherchait.  S’il avait été effectivement possible d’obtenir un mandat pour effectuer la fouille en question, cela aurait eu une incidence importante sur l’évaluation du caractère raisonnable de la fouille effectuée sans mandat en l’espèce.

 

33               Il s’ensuit que, pour satisfaire à l’exigence constitutionnelle du caractère raisonnable imposée par l’art. 8, l’exercice par la police de son pouvoir discrétionnaire d’effectuer une fouille accessoire à une arrestation doit être guidé par des lignes directrices claires qui permettent d’établir un juste équilibre entre l’intérêt de la société dans la découverte et la répression du crime et le droit d’un individu à la protection de sa vie privée et de son intégrité physique.  Ces lignes directrices devraient «fournir un critère uniforme permettant de déterminer à quel moment les droits de l’État de commettre ces intrusions l’emportent sur ceux du particulier de s’y opposer» (Hunter c. Southam Inc., précité, à la p. 167).  De plus, les situations où le prélèvement d’échantillons de substances corporelles et la prise d’empreintes seront permis en vertu de la Constitution devraient être limitées et définies restrictivement de manière à ce que le recours sans autorisation préalable à ces techniques d’enquête demeure l’exception, et non la règle.  Voir, de façon générale, Cohen, loc. cit., aux pp. 374 à 378; LaFave, op. cit., aux pp. 130 à 141.

 


34               Les lignes directrices suivantes, qui incorporent les trois propositions générales énoncées dans l’arrêt Cloutier c. Langlois, soupèsent et sauvegardent correctement les intérêts opposés qui sont en cause lors du prélèvement d’échantillons de substances corporelles et de la prise d’empreintes effectués accessoirement à une arrestation.  Ces lignes directrices sont donc, à mon avis, raisonnables au sens de l’art. 8  de la Charte .

 

35               1.  En décidant d’effectuer une fouille afin d’obtenir des échantillons de substances corporelles et de prendre les empreintes d’une personne légalement mise en état d’arrestation, la police doit exercer son pouvoir discrétionnaire en tenant compte de toutes les circonstances.

 

36               2.  La fouille doit viser un objectif valable dans la poursuite des fins de la justice criminelle, comme la découverte d’un élément de preuve susceptible soit d’incriminer la personne arrêtée soit d’en établir l’innocence, sans aller à l’encontre des objectifs généraux d’une saine administration de la justice.

 


37               3.  Le caractère envahissant de la fouille en question doit être pris en considération:  plus la fouille est envahissante, plus strictes doivent être les conditions qui permettront de conclure que le prélèvement de substances corporelles ou la prise d’empreintes sont à la fois justifiés et effectués d’une manière raisonnable dans les circonstances.  C’est une question de degré et de bon sens.  Bien que je convienne avec mon collègue le juge Cory qu’une fouille qui porte atteinte à l’intégrité physique d’une personne soulève des préoccupations particulières, il faut aussi souligner que ces préoccupations varient suivant la gamme d’instruments d’enquête qui peuvent être utilisés à l’égard de la personne en cause.  Il est évident que des procédures fortement envahissantes, telles que la prise de sang ou l’aspiration gastrique, ne devraient pas être permises comme simples procédures accessoires à une arrestation.  En revanche, les intérêts qu’a l’État, en matière d’application de la loi, à recourir à des procédures plus courantes ou habituelles qui ne comportent pratiquement aucun risque, aucun traumatisme ni aucune douleur pour la personne qui y est soumise, peuvent, exceptionnellement et compte tenu de toutes les circonstances, l’emporter sur les droits individuels à la vie privée.  À cet égard, il faut se rappeler que la personne légalement mise en état d’arrestation doit «s’attendre à une atteinte importante à sa vie privée» (Beare, précité, à la p. 413 (le juge La Forest)).

 

38               4.  La police doit avoir des motifs raisonnables d’effectuer une fouille visant à obtenir des échantillons de substances corporelles ou des empreintes d’une personne légalement mise en état d’arrestation.  Autrement dit, la police doit avoir des raisons de croire que le prélèvement de ces échantillons de substances corporelles ou la prise de ces empreintes permettra vraisemblablement d’obtenir des éléments de preuve très pertinents et probants concernant l’infraction à l’origine de l’arrestation de la personne en question.

 

39               5.  La fouille doit dépendre de circonstances suffisamment importantes pour restreindre le prélèvement d’échantillons de substances corporelles et la prise d’empreintes aux situations où les intérêts importants de l’État dans l’application de la loi pourraient être par ailleurs mis en péril.  L’existence de ces circonstances sera généralement établie a) s’il est pratiquement impossible d’obtenir un mandat pour recueillir les éléments de preuve souhaités, b) s’il n’existe pas de moyens moins envahissants d’obtenir ces éléments de preuve, c) s’il n’y a pas d’autres éléments de preuve disponibles, d) si l’infraction à l’origine de l’arrestation est grave, et e) si le type de fouille en question est conforme à l’intérêt public.

 


40               6.  La façon dont la fouille est effectuée ne doit être ni abusive ni déraisonnable compte tenu de toutes les circonstances.

 

41               Une fouille qui ne respecte pas ces exigences pourrait être qualifiée d’abusive tant en common law qu’en vertu de l’art. 8  de la Charte .  La réponse à la question de savoir si on a procédé légalement à une fouille accessoire à une arrestation dépendra d’une pondération de ces facteurs, et je souligne que cette pondération n’amènera pas inévitablement à conclure que la fouille était effectivement légale.  À titre d’exemple évident, les fouilles accessoires à une arrestation qui constituent une atteinte grave seront généralement, tel que mentionné plus haut, qualifiées d’illégales même dans des circonstances similaires à celles de la présente affaire.

 

42               Après avoir établi les facteurs qui doivent guider l’exercice du pouvoir de la police d’obtenir des échantillons de substances corporelles et des empreintes à la suite d’une arrestation, et après avoir conclu que ces facteurs satisfont à l’exigence constitutionnelle du caractère raisonnable, il reste à déterminer si ce pouvoir a été exercé raisonnablement dans les circonstances.  Étant donné que la nature des éléments de preuve contestés et la manière dont ils ont été obtenus soulèvent des considérations différentes, je vais traiter de la question du papier-mouchoir contenant les mucosités séparément de celle des autres éléments de preuve.

 


C.  Application aux faits

 

(1)   Le papier-mouchoir contenant les mucosités

 

43               Je suis d’accord avec mes collègues les juges McLachlin et Major pour dire que l’échantillon de mucosités n’a pas été obtenu en violation de l’art. 8  de la Charte , étant donné que l’appelant ne pouvait invoquer aucun droit à la vie privée relativement à cet échantillon.  Par conséquent, cet élément de preuve était admissible au procès.

 

(2)   Les échantillons de cheveux et de poils, les prélèvements faits dans la bouche et les empreintes dentaires

 

44               Si on applique la norme juridique aux faits de la présente affaire, il ressort de la preuve que la police croyait que, compte tenu de toutes les circonstances, il était nécessaire d’obtenir de l’appelant des échantillons de substances corporelles et des empreintes dentaires afin d’appliquer efficacement la loi.  En fait, la police a témoigné qu’au moment de l’arrestation de l’appelant elle n’aurait pas pu l’accuser de meurtre sans la preuve des empreintes génétiques tirée des substances corporelles ou sans l’analyse de la marque de morsure au moyen de ses empreintes dentaires.  Deuxièmement, la fouille et la saisie ont été effectuées en l’espèce dans le but de réaliser un objectif valable, soit la découverte d’une preuve susceptible soit d’incriminer l’appelant soit d’établir son innocence relativement au meurtre dont il était accusé.

 


45               Troisièmement, le genre de fouille et de saisie en cause constituait, selon moi, une atteinte minimale à l’intégrité physique de l’appelant.  La plupart des gens se peignent et s’arrachent des cheveux quotidiennement sans courir de risque ni subir de traumatisme ou de douleur.  On peut dire la même chose des prélèvements faits dans la bouche, qui causent encore moins de désagrément, s’il en est.  Par contre, la saisie de poils pubiens est plus envahissante, étant donné qu’il est question d’une partie intime du corps.  De même, il se peut que, en raison de sa durée variable, la prise d’empreintes dentaires cause un désagrément qui la rendra plus envahissante.  Dans l’ensemble, toutefois, étant donné que l’on a forcé l’appelant à s’arracher lui‑même des poils pubiens et que les empreintes dentaires ont été prises par un dentiste selon les règles de l’art, le prélèvement de ces échantillons n’est pas, selon moi, fautif au point de constituer une fouille abusive dans les circonstances de la présente affaire.

 

46               À cet égard, le refus de l’appelant de fournir des échantillons de substances corporelles et l’absence de ses avocats au moment où les échantillons en cause ont été saisis n’ont, à mon avis, aucune pertinence pour évaluer si la police a raisonnablement exercé son pouvoir d’effectuer une fouille accessoire à une arrestation.  Dès qu’on conclut qu’une fouille est conforme à ce pouvoir, comme c’est le cas en l’espèce, la police peut, conformément aux lignes directrices énoncées plus haut, la faire subir à une personne légalement mise en état d’arrestation, peu importe que cette personne y consente ou non, ou encore que son avocat soit présent ou non.  Dans la même veine, même s’il est exact que les échantillons de substances corporelles et les empreintes dentaires de l’appelant auraient pu être obtenus ultérieurement, ce n’est pas un facteur pertinent.

 


47               Quatrièmement, je conviens avec le juge du procès que la police avait des motifs raisonnables de prélever des échantillons de substances corporelles de l’appelant et de prendre ses empreintes dentaires.  Elle avait des motifs raisonnables de croire que l’appelant avait tué une jeune fille, et elle croyait effectivement qu’elle avait le pouvoir de saisir ces éléments de preuve.  Compte tenu des résultats de l’autopsie de la victime qui ont révélé la présence de sperme dans son vagin et d’une morsure humaine sur son abdomen, le prélèvement d’échantillons de substances corporelles de l’appelant et la prise de ses empreintes dentaires n’ont manifestement pas été effectués en l’absence de tout contexte ou sans raison médicolégale précise.  Compte tenu de la fiabilité de la preuve d’empreintes génétiques qui serait tirée des échantillons de substances corporelles de l’appelant, et de la spécificité de ses empreintes dentaires, ces éléments de preuve étaient fort pertinents et probants pour déterminer si l’appelant était l’auteur du meurtre.

 

48               Cinquièmement, je crois que la preuve révèle l’existence de circonstances suffisamment importantes pour justifier le prélèvement de substances corporelles de l’appelant et la prise de ses empreintes dentaires.  La police n’aurait pas pu obtenir un mandat l’autorisant à recueillir le genre d’éléments de preuve qu’elle cherchait, et les cheveux et poils (comportant la gaine épithéliale) de l’appelant, sa salive et ses empreintes dentaires n’auraient pas pu être obtenus par des moyens moins envahissants que ceux qui ont été utilisés par la police.  Étant donné l’absence de témoin du meurtre, il n’existait pas d’autre preuve que l’appelant avait commis l’infraction extrêmement grave à l’origine de son arrestation.

 


49               Je suis aussi d’avis que le genre de fouille en cause est conforme à l’intérêt public.  L’appelant a été arrêté relativement au décès d’une jeune fille qui avait été sauvagement battue et peut‑être agressée sexuellement.  Parce que ce genre de crime est normalement commis en l’absence de tout témoin, l’identité de son auteur est souvent très difficile à établir.  Lorsque des indices tels que des liquides organiques ou une marque de morsure humaine sont découverts sur le corps de la victime, la possibilité de recourir à une analyse génétique ou odontologique médicolégale est, à mon avis, conforme à l’intérêt important qu’a la société à décourager la perpétration de tels crimes.

 

50               Pour ces motifs, je conclurais que la fouille et la saisie des éléments de preuve en cause ont été légalement effectuées accessoirement à l’arrestation et d’une manière raisonnable dans les circonstances de la présente affaire, compte tenu de la gravité de l’infraction commise ainsi que de l’absence de procédure d’autorisation légale au moment de l’arrestation de l’appelant.  Je tiens à souligner une fois de plus que, si la police avait pu recourir à une procédure d’obtention de mandat, il est très probable que, dans ces circonstances, la fouille aurait pu être effectivement jugée abusive.

 

D.  L’article 7  de la Charte 

 

51               L’appelant a aussi allégué que la prise des empreintes dentaires et le prélèvement des échantillons de cheveux et de poils ont violé les droits que lui garantissait l’art. 7  de la Charte , en ce qu’il n’avait pas été porté atteinte à sa personne en conformité avec les principes de justice fondamentale.  Étant donné que j’ai conclu que la manière dont la police a obtenu les éléments de preuve était effectivement légale, il s’ensuit que la fouille était également conforme aux principes de justice fondamentale.  Toutefois, si j’avais conclu que la conduite de la police était illégale, j’aurais convenu avec le juge Cory qu’il en aurait inévitablement résulté une violation de l’art. 7.


E.  Conclusion

 

52               En conclusion, je considère qu’il n’y a eu aucune violation des droits garantis à l’appelant par la Charte  lors de l’obtention des éléments de preuve en question, et que, bien que ce soit pour des motifs différents, le juge du procès et les juges majoritaires de la Cour d’appel ont eu raison de statuer que ces éléments de preuve étaient admissibles au procès.

 

53               Par conséquent, il n’est pas strictement nécessaire d’examiner la question de l’examen fondé sur le par. 24(2).  Néanmoins, vu l’importance que cette question revêt dans les motifs des juges Cory et McLachlin, je me dois de faire un commentaire.

 

III.  Le paragraphe 24(2)  de la Charte 

 


54               Au départ, je dois dire que je suis entièrement d’accord avec le juge Cory qu’une atteinte au corps d’une personne est une atteinte grave qui touche la dignité de cette personne et sa vie privée.  Bien que je considère que les atteintes physiques commises en l’espèce n’avaient pas l’ampleur qu’évoque le juge Cory, je conviens que, dans d’autres circonstances, ces genres de fouilles pourraient entraîner une violation de l’art. 8 et, dans certains cas, de l’art. 7, et ainsi nécessiter une réparation au sens du par. 24(2)  de la Charte .  Là où je suis en désaccord avec mon collègue, c’est quant au critère alors applicable en vertu du par. 24(2).  À mon avis, le critère énoncé par la Cour dans l’arrêt Collins commande l’examen de tous les facteurs et de toutes les circonstances d’une affaire, et cet examen ne devrait pas s’arrêter après l’analyse du premier de ces facteurs:  l’incidence de l’utilisation de la preuve sur l’équité du procès.  À cet égard, je souscris entièrement à l’analyse de Madame le juge McLachlin.

 

55               Le cadre établi dans l’arrêt Collins constitue, selon moi, la façon appropriée d’aborder le par. 24(2), et les efforts déployés depuis pour expliquer, clarifier et raffiner l’arrêt Collins, ou pour en élargir la portée, y ajouter quelque chose ou établir une distinction d’avec cet arrêt, n’ont contribué qu’à embrouiller davantage la situation.  Voir, par exemple, les arrêts R. c. Ross, [1989] 1 R.C.S. 3; R. c. Mellenthin, [1992] 3 R.C.S. 615; R. c. S. (R.J.), [1995] 1 R.C.S. 451; R. c. Burlingham, [1995] 2 R.C.S. 206.  L’examen est maintenant devenu si compliqué que je me demande comment les juges du procès pourront jamais résoudre les questions soulevées en vertu du par. 24(2), afin de garantir que justice soit rendue.  Plus particulièrement, je suis fermement d’avis que la classification de la preuve proposée par mon collègue le juge Cory eu égard à l’aspect «équité du procès» de l’analyse fondée sur le par. 24(2), à savoir la classification de la preuve en «preuve “matérielle” non obtenue en mobilisant l’accusé contre lui-même» et en «preuve obtenue en mobilisant l’accusé contre lui-même» (qui comprend la «preuve dérivée»), avec son application possible à toutes sortes de situations imprévues, est, à mon avis, malheureuse.  Comme je l’ai affirmé dans Burlingham, précité, où j’exprime mes préoccupations en détail, au par. 108 et 109:

 

L’essentiel de mes critiques de la jurisprudence récente de la Cour concernant le par. 24(2) tient à ce que nous risquons de nous enliser.  Si nous devons formuler un critère d’exclusion absolue aux fins du par. 24(2), je crois alors que nous devons éviter de le définir trop largement au risque de contrecarrer le texte du par. 24(2) qui demande aux tribunaux d’évaluer toutes «les circonstances» tout en préservant la réputation du système de justice.  C’est pourquoi je préfère définir plus restrictivement toute règle d’exclusion absolue que ce que proposent la plupart de mes collègues.

 


Il est, selon moi, tout à fait compatible tant avec notre approche de l’exclusion en common law qu’avec les objectifs du par. 24(2) de la Charte de limiter la règle de l’exclusion absolue à des circonstances dans lesquelles la conduite inconstitutionnelle des autorités de l’État est à l’origine d’une preuve qui pourrait ne pas être fiable.  Je ne pense pas que la nature de la preuve (preuve matérielle, preuve auto‑incriminante ou preuve dont la découverte aurait été possible ou non) devrait décider de l’exclusion absolue. Pour ma part, j’estime possible de faire une distinction viable entre la preuve dont l’admission pourrait avoir une incidence sur l’équité de l’audition et la preuve qui est obtenue d’une façon qui menace l’intégrité du système judiciaire.  La première doit presque inévitablement être exclue, la seconde doit être examinée «eu égard à toutes les circonstances».  [Je souligne.]

 


56               Selon la classification proposée par mon collègue, la preuve sera qualifiée de preuve obtenue en mobilisant l’accusé contre lui-même si «l’accusé [. . .] est forcé de s’incriminer sur l’ordre de l’État au moyen d’une déclaration, de l’utilisation de son corps ou de la production de substances corporelles» (par. 80), ou si d’autres types d’éléments de preuve sont découverts grâce à une déclaration de l’accusé.  Appliquant ce critère aux faits de la présente affaire, mon collègue conclut que, puisque «les policiers, par leurs paroles et leurs actions, ont contraint l’appelant à participer à la production de la preuve» (par. 120), les échantillons de cheveux et de poils, les prélèvements faits dans la bouche et les empreintes dentaires constituent des éléments de preuve obtenus en mobilisant l’accusé contre lui-même.  Suivant ce raisonnement, je n’arrive pas à imaginer une situation où des échantillons de substances corporelles saisis, sans le consentement éclairé de l’accusé, pendant que celui‑ci était sous le contrôle de l’État ne seraient pas des éléments de preuve obtenus en mobilisant l’accusé contre lui-même.  En fait, la détention elle‑même est clairement une forme de contrainte exercée par l’État.  Dans cette perspective, toute substance corporelle produite naturellement ou accidentellement par l’accusé alors qu’il est sous le contrôle de l’État pourrait être qualifiée d’élément de preuve obtenu en mobilisant l’accusé contre lui-même, étant donné que celui-ci n’a aucun moyen d’en empêcher la production.

 

57               Dans leurs motifs, mes collègues les juges Cory et McLachlin se sont concentrés sur deux questions touchant l’application du par. 24(2).  La première concerne les genres d’éléments de preuve qui «tendent» à rendre le procès inéquitable, eu égard à la première catégorie de facteurs énoncés dans l’arrêt Collins; la deuxième est de savoir si la preuve qui compromet l’«équité du procès» doit automatiquement être écartée.  Je me propose d’examiner brièvement chacune de ces questions.

 

58               En ce qui concerne le premier point, j’ai constamment soutenu que le problème de l’équité du procès ne se pose que si l’accusé a été forcé, à la suite d’une violation de la Charte , de participer à la constitution ou à la découverte d’une preuve auto‑incriminante, et que cette protection contre l’auto‑incrimination est limitée à la preuve testimoniale.  Dans un certain nombre de mes dissidences, à commencer par Ross, précité, à la p. 19, et R. c. Duguay, [1989] 1 R.C.S. 93, à la p. 126, puis, plus récemment, dans R. c. Bartle, [1994] 3 R.C.S. 173, à la p. 227, j’ai sans cesse préconisé ce point de vue.  À cet égard, dans l’arrêt S. (R.J.), précité, bien que ce fût dans le contexte de la justice fondamentale, notre Cour a analysé l’objet et la portée du principe interdisant l’auto‑incrimination.  Le commentaire que j’ai alors fait, au par. 260, demeure pertinent en l’espèce:

 


Tant la common law que la Charte  font une distinction fondamentale entre une preuve incriminante et une preuve auto‑incriminante:  la première est la preuve qui tend à établir la culpabilité de l’accusé, alors que la deuxième est la preuve qui tend à établir la culpabilité de l’accusé par suite de son propre aveu ou de sa propre déclaration.  Le principe interdisant l’auto‑incrimination visé à l’art. 7, qui est fondamental pour la justice, nécessite une protection contre l’utilisation de témoignages donnés sous la contrainte qui tendent à établir la culpabilité de l’accusé à partir de la deuxième catégorie et non de la première.  [Souligné dans l’original.]

 

59               En outre, comme je l’ai affirmé dans l’arrêt Burlingham, précité, aux par. 88 et 94:

 

À mon avis, une preuve est susceptible de compromettre l’«équité du procès», au sens de ce terme dans le premier volet de Collins, si son utilisation peut susciter des préoccupations analogues à celles que j’ai qualifiées comme relevant du principe de la fiabilité, exposées précédemment, ou qui y ont trait.  Par contre, lorsque la plainte relative à la preuve contestée veut, par exemple, qu’elle n’aurait pas été obtenue «n’eût été» la violation des droits, cette plainte a trait plus fondamentalement au principe de l’équité.  On ne s’oppose pas à l’utilisation de la preuve parce qu’elle risque d’induire en erreur le juge des faits ou d’entraîner la déclaration de culpabilité d’une personne innocente, mais plutôt parce que les autorités ont obtenu la preuve d’une manière fondamentalement inéquitable, qui mine des valeurs essentielles à notre société.  Je crois donc que le fait que la preuve n’aurait pas pu être obtenue «n’eût été» la violation des droits est plus justement considéré comme un facteur pertinent quant au second volet du test de l’arrêt Collins, soit l’incidence de gravité de la violation des droits sur la réputation du système judiciaire.

 

                                                                   . . .

 

Comme je lai déjà mentionné, le premier ensemble de facteurs se rapporte à lexclusion dune preuve susceptible de contrevenir au principe de la fiabilitéLorsque les autorités ont fait quelque chose qui jette un doute quant à savoir si laccusé a été induit à faire une déclaration qui nest peut‑être pas fiable, alors la preuve obtenue dans ces circonstances est visée par le principe de la fiabilité.  Cet ensemble de facteurs vise toute situation dans laquelle une personne peut être déclarée coupable dune infraction dont elle est innocente.  Ainsi, ils concernent l’équité du procès et son corollaire, le droit de présenter une défense pleine et entière.  Lutilisation dune preuve obtenue inconstitutionnellement qui pourrait rendre le procès inéquitable de cette manière serait susceptible de déconsidérer ladministration de la justice aux yeux dune personne raisonnable, objective et bien informée des circonstances.  [Troisième soulignement ajouté.]

 


60               Sur ce point, je ne saurais être en désaccord avec l’analyse de Madame le juge McLachlin.  Par conséquent, dans la mesure où la nature de la preuve est pertinente pour les fins du par. 24(2), je suis d’avis que ce n’est que lorsqu’un accusé est forcé de participer à la constitution ou à la découverte d’une «preuve qui tend à établir la culpabilité de l’accusé par suite de son propre aveu ou de sa propre déclaration» que l’utilisation de cette preuve pourrait, dans certaines circonstances, déconsidérer davantage l’administration de la justice que son exclusion.

 

61               En ce qui concerne la seconde question, à savoir si la preuve qui compromet l’équité du procès doit inévitablement être écartée en vertu du par. 24(2), je répondrais par la négative.  À l’instar de Madame le juge McLachlin, je suis d’avis que la prise en considération appropriée des «circonstances» exige la pondération de chaque ensemble de facteurs énoncés dans l’arrêt Collins.

 

62               Je crois que cette approche est conforme à la lettre du par. 24(2) et aux principes qui le sous-tendent.  Comme le professeur Stuart l’affirmait récemment:

 

[traduction] Si on accepte que la cour est tenue d’appliquer le critère de l’arrêt Collins, elle devrait exiger que, même lorsque la preuve compromet l’équité du procès du fait que les accusés ont été «mobilisés contre eux‑mêmes pour constituer la preuve», que l’on tienne compte parfaitement des autres facteurs énoncés dans l’arrêt Collins, à savoir la gravité de la violation et la considération dont jouit l’administration de la justice.

 

La possibilité de découvrir la preuve peut être un facteur à prendre en considération dans cet examen, mais ce ne devrait être qu’un des facteurs et il ne devrait pas être déterminant.  Le paragraphe 24(2) requiert l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire dans tous les cas, et non l’application d’une règle simpliste.

 


D. Stuart, «Questioning the Discoverability Doctrine in Section 24(2) Rulings» (1996), 48 C.R. (4th) 351, aux pp. 355 et 356.  Voir aussi D. Stuart, «Burlingham and Silveira:  New Charter Standards to Control Police Manipulation and Exclusion of Evidence» (1995), 38 C.R. (4th) 386, à la p. 395.  Le professeur Stuart et moi sommes d’accord au moins sur ce point.  C’est l’approche que j’ai constamment préconisée pour le par. 24(2).  Pour d’autres commentaires sur cette question, voir les arrêts Ross, Duguay et Burlingham, précités.

 

63               Cela dit, étant donné que le seul moyen d’appel avancé par l’appelant concernait l’admissibilité en preuve du papier-mouchoir jeté contenant les mucosités, des échantillons de cheveux et de poils, des prélèvements faits dans la bouche et des empreintes dentaires, et que je juge tous ces éléments admissibles, je rejetterais le pourvoi.

 

Version française des motifs rendus par

 

130       Le juge Gonthier (dissident) -- Je suis d’accord avec le juge L’Heureux-Dubé et, en outre, je souscris expressément aux motifs du juge McLachlin quant à la portée du principe de l’auto‑incrimination et à la méthode analytique utile pour déterminer l’admissibilité de la preuve en vertu du par. 24(2)  de la Charte canadienne des droits et libertés .

 

Version française des motifs rendus par

 


1                        Le juge McLachlin (dissidente) ‑‑ L’appelant a été arrêté à la suite du meurtre sexuel brutal d’une adolescente.  Pendant la détention de l’appelant, la police a prélevé des échantillons de ses cheveux et de ses poils, a fait des prélèvements dans sa bouche, a pris ses empreintes dentaires et a recueilli un papier‑mouchoir contenant ses mucosités.  L’analyse génétique de ces objets a permis de lier l’appelant au meurtre.  Le juge du procès a statué que la preuve constituée des échantillons de cheveux et de poils, des prélèvements faits dans la bouche et des empreintes dentaires avait été obtenue en violation des droits garantis à l’appelant par la Charte canadienne des droits et libertés , mais il a néanmoins conclu que cette preuve pouvait être utilisée en vertu du par. 24(2)  de la Charte , parce que son utilisation n’était pas susceptible de déconsidérer l’administration de la justice: [1993] A.N.-B. no 625 (B.R.).  L’appelant a été déclaré coupable.  La Cour d’appel du Nouveau‑Brunswick, le juge Rice étant dissident, a confirmé la décision du juge du procès et la déclaration de culpabilité: (1995), 159 R.N.‑B. (2e) 321, 409 A.P.R. 321, 97 C.C.C. (3d) 164.  Notre Cour, à la majorité, est d’avis d’infirmer cet arrêt, d’annuler la déclaration de culpabilité et d’ordonner la tenue d’un nouveau procès.  En toute déférence, je ne puis être d’accord.  Je ne vois aucune erreur dans les décisions des tribunaux du Nouveau‑Brunswick.  Je conviens avec eux que, bien que le prélèvement d’échantillons de cheveux et de poils, les prélèvements faits dans la bouche et la prise des empreintes dentaires aient violé le droit de l’appelant à la protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives, l’utilisation de ces éléments de preuve n’est pas susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.  Je confirmerais la déclaration de culpabilité de l’appelant.

 

I.  La conduite de la police a‑t‑elle violé les droits garantis à l’appelant par la Charte ?

 

A.  Quels sont les droits en jeu?

 

2                        Il faut d’abord déterminer quels droits garantis par la Charte  sont en jeu en l’espèce.  Les tribunaux du Nouveau‑Brunswick ont considéré que le prélèvement de cheveux et de poils, les prélèvements faits dans la bouche, la prise des empreintes dentaires et la récupération du papier‑mouchoir constituaient des saisies qui devaient être examinées au regard de l’art. 8  de la Charte , qui garantit le droit de toute personne à la protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives.

 


3                        L’appelant accepte que le prélèvement de cheveux et de poils, les prélèvements faits dans la bouche, la prise d’empreintes dentaires et la récupération du papier‑mouchoir relèvent tout naturellement d’un examen fondé sur les principes qui régissent les fouilles, perquisitions et saisies.  L’appelant a été fouillé.  Ces choses ont été prises.  Ce genre d’activités de la part de policiers est habituellement examiné sous l’angle des fouilles, perquisitions et saisies.

 

4                        L’appelant allègue toutefois que la fouille et les saisies ont aussi violé l’art. 7  de la Charte  selon lequel il ne peut être porté atteinte au droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale.  Les fouilles et les saisies ont porté atteinte à sa «liberté» parce qu’on s’en est servi pour le poursuivre.  Il est plus douteux qu’elles aient touché la «sécurité de sa personne», dont la portée n’a pas été, jusqu’à maintenant, étendue au‑delà du traitement médical:  R. c. Morgentaler, [1988] 1 R.C.S. 30; P. W. Hogg, Constitutional Law of Canada (3e éd. 1992), à la p. 1029.  Cependant, la preuve que l’État a commis un acte qui porte atteinte à la liberté ou à la sécurité de la personne n’emporte pas nécessairement qu’il y a violation de l’art. 7.  L’acte doit aussi avoir été accompli en violation d’un principe de justice fondamentale pour que l’on puisse invoquer l’art. 7.  L’appelant allègue que le principe de justice fondamentale qui est en cause dans la présente affaire est le privilège de ne pas s’incriminer.  La fouille et les saisies en cause, fait‑on valoir, ont obligé l’appelant à s’incriminer.  Par conséquent, une déclaration de culpabilité fondée sur cette preuve viole un principe de justice fondamentale et, ainsi, l’art. 7  de la Charte .  Une autre façon de formuler le même argument consiste à dire que le droit d’un accusé à un procès équitable est un principe de justice fondamentale.  L’utilisation de la preuve obtenue en violation du privilège de ne pas s’incriminer rend le procès inéquitable.  L’appelant affirme que cela contrevient à un principe de justice fondamentale et, ainsi, à l’art. 7  de la Charte .


5                        Ces deux variantes de l’argument reposent sur la prémisse que la fouille et les saisies en cause déclenchent l’application du principe de justice fondamentale connu sous le nom de privilège de ne pas s’incriminer.  À mon avis, cette prémisse est fautive.  Le privilège de ne pas s’incriminer se limite à la preuve testimoniale.  Il n’a jamais visé la fouille des personnes ou la perquisition dans des lieux ni la saisie d’une preuve matérielle, sauf dans le cas où cette preuve matérielle découle de la preuve testimoniale.

 

6                        L’article 7  de la Charte  n’a pas pour objet d’élargir la portée du principe de common law interdisant l’auto‑incrimination.  Il faut considérer que, lorsque les rédacteurs de la Charte  ont utilisé l’expression «principes de justice fondamentale», ils avaient à l’esprit les principes de justice fondamentale qui sous‑tendaient le régime de common law dans lequel la Charte  a été adoptée:  R. c. Hebert, [1990] 2 R.C.S. 151.  La formulation plus précise de certains autres articles de la Charte  peuvent permettre de déduire que les rédacteurs de la Charte  avaient l’intention de modifier des droits de common law et d’étendre la portée des principes de justice fondamentale.  Cependant, la Charte  ne mentionne aucun droit général de ne pas s’incriminer, et étend encore moins la portée d’un tel droit.  Nous devons donc nous reporter à la common law.  La question est la suivante:  quelle était la portée du privilège de ne pas s’incriminer en common law?

 


7                        En common law, le privilège de ne pas s’incriminer était exprimé dans la règle des confessions, le droit de garder le silence et les règles protégeant les témoins contre l’utilisation de leur témoignage contre eux dans d’autres procédures.  Toutes ces règles concernaient exclusivement la preuve testimoniale.  La règle des confessions établissait que les déclarations faites involontairement à des personnes en situation d’autorité étaient inadmissibles en preuve.  Le droit de garder le silence empêchait l’État de forcer une personne soupçonnée ou accusée d’un crime de faire une déclaration à la police ou à la cour.  Finalement, des dispositions législatives qui interdisaient que les déclarations de témoins soient subséquemment utilisées contre eux cherchaient à accorder une protection équivalente au droit de garder le silence aux personnes qui ne subissaient pas un procès.  Ces règles trouvent leur origine dans la répugnance pour les pratiques coercitives de la «Chambre Étoilée» qui, au XVIe siècle, caractérisaient encore la justice britannique:  L. Herman, «The Unexplored Relationship Between the Privilege Against Compulsory Self‑Incrimination and the Involuntary Confession Rule (Part I)» (1992), 53 Ohio St. L.J. 101.  Elles ont comme prémisse qu’un suspect ne peut pas être forcé de témoigner contre lui‑même.  Le suspect a le droit de choisir de faire ou non une déclaration.  Le droit de choisir de faire ou non une déclaration qui pourra servir de preuve contre soi est un droit qui est au c{oe}ur du principe interdisant l’auto‑incrimination.  C’est ce droit qui a amené la Cour à conclure, dans l’arrêt Hebert, précité, que la règle des confessions, en common law, pouvait raisonnablement être considérée comme excluant les déclarations obtenues grâce à des supercheries de la police.  Toutefois, on n’a pas laissé entendre que le principe interdisant l’auto‑incrimination s’appliquait de quelque manière à l’extérieur du domaine de la preuve testimoniale.

 


8                        La common law [traduction] «a tracé une ligne claire et nette entre les affaires où des accusés étaient forcés de répondre aux allégations contre eux et celles où des accusés étaient forcés de participer à la prestation d’une preuve matérielle»:  D. M. Paciocco, «Self‑Incrimination: Removing the Coffin Nails» (1989), 35 R.D. McGill 73, à la p. 85.  Le professeur Paciocco fait remarquer, aux pp. 85 et 86, que [traduction] «[l]es arrêts rendus par la Cour suprême avant l’adoption de la Charte  ont constamment nié que le concept d’auto‑incrimination ait eu quoi que ce soit à voir avec l’obtention d’une preuve matérielle auprès de personnes accusées, même lorsque l’obtention de cette preuve nécessitait une certaine mesure de coopération forcée, comme dans le cas où l’accusé est contraint à participer à une séance d’identification» (Marcoux c. La Reine, [1976] 1 R.C.S. 763) [traduction] «ou à fournir des échantillons d’haleine ou de sang» (Hogan c. La Reine, [1975] 2 R.C.S. 574).  Voir également Attorney General for Quebec c. Bégin, [1955] R.C.S. 593 (échantillons de sang); Validity of Section 92(4) of the Vehicles Act, 1957 (Sask.), [1958] R.C.S. 608 (échantillons d’haleine).  Le professeur Paciocco conclut (à la p. 77):

 

[traduction] Souvent, on demande ou même on exige des accusés qu’ils participent aux poursuites intentées contre eux, en fournissant des éléments de preuve matérielle tels que des échantillons d’haleine ou de sang, ou encore des empreintes digitales.  Traditionnellement, les éléments de preuve matérielle obtenus d’un accusé n’étaient pas protégés par le principe interdisant l’auto‑incrimination et étaient beaucoup plus susceptibles d’être admis que la preuve testimoniale obtenue sous la contrainte.  Cette différence de protection était fondée sur des principes et devrait continuer de se refléter dans la jurisprudence relative à la Charte .  [Je souligne.]

 


9                        Le professeur Paciocco énonce trois raisons pour lesquelles la common law a établi une distinction entre la preuve testimoniale et la preuve matérielle.  La première concerne la fiabilité de l’information donnée.  La fonction première de la preuve est d’établir exactement les faits.  La preuve testimoniale est plus susceptible d’induire en erreur que la preuve matérielle.  L’interdiction des menaces et des promesses que l’on trouve dans toute la jurisprudence en matière de confessions est fréquemment liée au danger que les confessions obtenues par ces moyens soient inexactes et puissent mener au pire fléau d’un régime civilisé ‑‑ la condamnation d’une personne innocente.  Parmi les autres dangers que comporte la preuve testimoniale, il y a la possibilité que le témoin ait fait erreur, que sa mémoire soit défectueuse, qu’un malentendu survienne à la suite d’un témoignage incomplet ou confus, et que le témoin mente délibérément.  Aucun de ces dangers n’existe dans le cas d’une preuve matérielle, où l’objet matériel peut être examiné et, dans bien des cas, directement observé par le juge des faits:  R. c. Nikolovski, [1996] 3 R.C.S. 1197, le juge Cory.  Il n’est donc pas surprenant, comme le fait remarquer le professeur Paciocco, [traduction] «de trouver des règles absolues d’exclusion concernant la preuve testimoniale obtenue sous la contrainte, mais non concernant la preuve matérielle» (p. 87).

 


10                      La deuxième raison du refus de la common law d’étendre la portée des règles protégeant contre l’auto‑incrimination à la preuve non testimoniale a trait au lien de causalité entre la preuve et la conduite répréhensible des policiers.  Dans le cas de la preuve testimoniale, le lien de causalité est direct.  La confession n’aurait pas existé «n’eût été» l’exercice sur l’accusé de pressions, d’incitations ou d’une exploitation abusives.  L’acte illicite crée, de façon très réelle, l’information, qui, autrement, n’aurait pas existé.  Ce n’est pas le cas de la preuve matérielle.  La preuve matérielle, que ce soit l’arme du crime ou le sang de l’accusé, existe indépendamment de la conduite de la police.  Même dans le cas où la preuve matérielle n’aurait pas été découverte «n’eût été» la conduite répréhensible des policiers, la preuve qu’elle révèle est habituellement accessible à la découverte.  Par exemple, en l’espèce, si la police n’avait pas prélevé des cheveux et des poils de l’appelant, pris des empreintes dentaires ni récupéré le papier‑mouchoir jeté, la preuve des empreintes génétiques et celle de sa morsure qu’ils ont produites auraient quand même existé et auraient fort probablement été découvertes par la police d’une façon plus légitime.  Notre Cour a statué que l’existence indépendante d’une preuve matérielle et la possibilité qu’elle soit finalement découverte peut mener à son utilisation, alors qu’une déclaration obtenue dans des circonstances semblables est écartée: R. c. Black, [1989] 2 R.C.S. 138, le juge Wilson, au nom de la Cour à l’unanimité.  La distinction est nécessaire, car écarter la preuve matérielle dans un tel cas [traduction] «réaliserait plus que la restitutio in integrum entre les parties; en faisant perdre complètement la preuve à l’État, il peut bien se trouver dans une situation pire que si la violation de la Constitution n’avait jamais eu lieu» (Paciocco, loc. cit., à la p. 88).  La preuve matérielle obtenue à la suite d’une déclaration involontaire peut faire l’objet d’un privilège dérivé de la preuve testimoniale, à la condition qu’elle n’aurait pas pu être découverte autrement.  Toutefois, cela ne nie pas le fait que la preuve matérielle existe généralement indépendamment de l’inconduite des policiers.

 

11                      À ces deux raisons pour lesquelles la common law refuse d’appliquer le principe interdisant l’auto‑incrimination à la preuve matérielle, le professeur Paciocco en ajoute une troisième, soit la mesure accrue dans laquelle la preuve testimoniale forcée viole l’autonomie d’une personne et son droit au secret de ses pensées (à la p. 88):

 

[traduction]  . . . de par sa nature, la saisie de l’information emmagasinée dans la mémoire d’un accusé a quelque chose qui la rend plus répréhensible que la saisie d’une preuve matérielle sur sa personne.  De par sa propre nature, ce que l’accusé pense est plus privé que ce qu’il possède physiquement.  C’est certainement moins accessible.  Ce qui existe peut habituellement être observé par un tiers sans aucune participation volontaire de l’accusé.  Les particularités physiques servant à identifier un accusé et la possession d’objets par l’accusé peuvent être observées sans sa participation.  Même des échantillons de substances corporelles peuvent être prélevés de force sur un accusé qui continue d’offrir de la résistance.  L’information qui se trouve dans les replis de son esprit ne peut, cependant, devenir disponible contre l’accusé que par un acte de celui‑ci.  Il doit participer pleinement à la production de cette information en prenant une décision délibérée de parler.  En ce sens, la saisie de déclarations involontaires implique un mépris de la volonté de la personne de s’opposer et mobilise l’accusé d’une manière que la saisie d’une preuve matérielle ne fait pas.  C’est un acte personnel qui mène en définitive à la preuve.  Le secret des pensées, le dernier refuge d’une personne, est envahi avec la complicité forcée de l’accusé.

 


12                      Ces raisons pour lesquelles la common law restreint l’application du principe interdisant l’auto‑incrimination à la preuve testimoniale peuvent être complétées par une quatrième.  Rendre illégale l’utilisation forcée du corps de l’accusé pour recueillir des éléments de preuve contre lui reviendrait à rendre inadmissibles de nombreux genres d’éléments de preuve qui sont couramment admis depuis longtemps.  Le témoin qui dit, lors d’une identification:  «Je reconnais l’homme qui se trouve au banc des accusés comme étant celui que j’ai vu sur les lieux du crime», utilise le corps de l’accusé contre lui.  Des techniques policières normales qui consistent notamment à photographier l’accusé ou à exiger qu’il participe à une séance d’identification dépendent, de la même façon, de l’utilisation du corps de l’accusé contre lui, habituellement sans son consentement.  Le principe interdisant l’auto‑incrimination ne prévoit aucun moyen de distinguer entre la photographie prise par la police et des atteintes plus graves au corps du suspect.  En revanche, le principe de la protection contre les fouilles, perquisitions et saisies abusives fournit ce moyen.  Le principe interdisant l’auto‑incrimination, appliqué à la preuve matérielle, est un outil rudimentaire qui a besoin d’être altéré ou complété pour produire un résultat équitable et pratique.  Par contre, le principe interdisant les fouilles, perquisitions et saisies abusives évoque un corps jurisprudentiel destiné à aider la cour à faire les distinctions nécessaires entre un usage acceptable et un usage inacceptable du corps du suspect.  C’est pour cette raison que, dans l’arrêt Holt c. United States, 218 U.S. 245 (1910), le juge Holmes a qualifié [traduction] «d’extension extravagante de la portée du Cinquième amendement» l’argument selon lequel la preuve obtenue par suite de l’essayage d’une blouse par l’accusé contre son gré viole le droit de ne pas s’incriminer (p. 252).

 

13                      Wigmore, ce grand commentateur de la common law en matière de preuve, présente une analyse détaillée de la distinction fondamentale que la common law a établie entre la preuve testimoniale forcée et la preuve matérielle forcée.  Il commence par poser la question qui nous occupe à ce stade:

 


[traduction] [Le privilège] s’applique‑t‑il seulement (1) aux divulgations auto‑incriminantes qui sont de nature testimoniale (c.‑à‑d. qui tiennent de la communication ou de l’affirmation)? Ou (2) aux divulgations auto‑incriminantes testimoniales ou autres qui impliquent la coopération du témoin? Ou encore (3) à toute preuve obtenue d’un témoin qui l’incrimine, peu importe qu’il y ait eu ou non coopération de sa part? [En italique dans l’original.]

 

(Wigmore on Evidence, vol. 8 (rév. McNaughton 1961), §2263, à la p. 378.)

 

 

Il conclut que la première proposition est la bonne réponse, c’est‑à‑dire que le privilège de ne pas s’incriminer ne s’applique qu’aux divulgations testimoniales (aux pp. 378 et 379):

 

[traduction] On devrait convenir, au moins, que le privilège ne s’applique pas à la preuve qui ne répond qu’à la troisième description, soit la preuve obtenue d’un témoin sans que sa coopération, testimoniale ou autre, ait été forcée.  Par exemple, regarder, mesurer, placer un chapeau sur sa tête, et même déplacer un membre du corps du témoin sans qu’il y ait résistance ne va pas à l’encontre des politiques qui sous-tendent ce privilège [. . .] et ne font pas partie du genre de choses qui, dans le passé, ont donné lieu à l’application de ce privilège [. . .]  Il est toutefois compréhensible que les opinions divergent quant à savoir si c’est la première description ou la deuxième, plus globale, qui délimite correctement la forme de divulgation protégée.  Comparer, par exemple, (1) le fait d’exiger que le témoin communique verbalement un fait incriminant (coopération testimoniale) avec (2) le fait d’exiger qu’il donne un échantillon de son écriture à des fins de comparaison (coopération non testimoniale).

 

L’historique du privilège [. . .] — spécialement l’esprit de la lutte dont il émane — porte à croire que le privilège est limité à la divulgation testimoniale.  Il visait l’utilisation d’une procédure  judiciaire pour extirper des lèvres de la personne un aveu de culpabilité qui viendrait remplacer d’autres éléments de preuve.  En d’autres termes, il visait à empêcher l’exercice de la contrainte judiciaire pour extirper  de la personne une communication sous serment de sa connaissance de faits qui l’incrimineraient.  Telle était la procédure du tribunal ecclésiastique, à laquelle on s’est opposé pendant deux siècles --  la méthode inquisitoire suivant laquelle l’accusé était contraint sous serment afin de pallier l’absence des deux témoins exigés.  Telle était le grief de Lilburn et de ses sympathisants, qu’il devrait être condamné sur la foi d’une autre preuve que sa propre confession forcée faite sous serment.

 


Telle est aussi la portée principale des politiques qui sous-tendent le privilège [. . .]  Bien qu’il soit admis que les politiques s’appliquent dans une certaine mesure à la coopération non testimoniale, ce n’est que dans les divulgations testimoniales qu’il est question du serment, des pensées secrètes et des croyances de la personne -- et donc des sentiments fondamentaux qui appuient le privilège.

 

En d’autres termes, ce n’est pas simplement toute contrainte, quelle qu’elle soit, qui est au c{oe}ur du privilège sur le plan historique et dans les définitions constitutionnelles, mais la contrainte testimoniale.  La dernière idée est aussi essentielle que la première. [En italique dans l’original; je souligne.]

 

14                      Plus loin dans son ouvrage, Wigmore examine plus directement la question des traits physiques (§2265, aux pp. 386 et suiv.), énonçant 11 catégories dont les six premières ont facilement été considérées comme non visées par le privilège de ne pas s’incriminer.  Wigmore reconnaît que les autres catégories sont plus difficiles à analyser parce qu’elles exigent la coopération de l’accusé.  Cependant, il conclut que, malgré tout, elles ne déclenchent pas l’application du privilège de ne pas s’incriminer, parce que, de façon générale, elles n’imposent pas la communication.  Ces 11 catégories sont les suivantes:

 

[traduction] (1) Procéder à la prise habituelle des empreintes digitales, de photographies et des mensurations d’un suspect.

 

(2) Prendre les empreintes d’autres parties du corps d’un suspect (par exemple, une empreinte de pied dans la boue, une empreinte du nez et de la joue sur une fenêtre) pour fins d’identification.

 

(3) Examiner le corps d’un suspect dans le but d’y trouver des caractéristiques.

 

(4) Examiner le corps d’un suspect, y compris ses parties intimes, dans le but de découvrir des signes de maladie ou de la perpétration d’un crime.

 

(5) Extraire une substance du corps d’un suspect pour fins d’analyse et d’utilisation en preuve.

 

(6) Retirer ou faire porter à un suspect des chaussures ou des couvre‑chefs ou d’autres vêtements.

 

                                                                   . . .

 

(7) Exiger d’un suspect qu’il parle à des fins d’identification.


(8) Exiger d’un suspect qu’il écrive à des fins d’identification.

 

(9) Exiger d’un suspect qu’il comparaisse en cour, qu’il se tienne debout, qu’il prenne une pose, qu’il marche ou fasse un geste particulier.

 

(10) Exiger d’un suspect qu’il subisse des tests de santé mentale.

 

                                                                   . . .

 

(11) Exiger d’un suspect qu’il se soumette à l’utilisation d’un sérum de vérité ou du détecteur de mensonge. . .

 

En l’espèce, tous les échantillons relèvent de deux des six premières catégories.

 

15                      En résumé, la common law adoptée et appliquée au Canada a restreint à la preuve testimoniale l’application du principe de justice fondamentale connu sous le nom de principe interdisant l’auto‑incrimination.  Pour de bonnes  raisons de principe, elle a refusé d’en étendre l’application à la preuve  «matérielle».  Il s’ensuit que le principe interdisant l’auto‑incrimination, qui peut être inféré de l’art. 7  de la Charte , ne s’applique pas à la preuve matérielle.  La seule exception est  la preuve matérielle dérivée de la preuve testimoniale, qui n’aurait pas été découverte n’eût été le témoignage involontaire de l’accusé.  Dans les autres cas, la preuve matérielle relève de la garantie de la Charte  relative aux fouilles, aux perquisitions et aux saisies.

 


16                      Conclure le contraire reviendrait à pousser le principe interdisant l’auto‑incrimination non seulement au‑delà de la portée qui lui a été reconnue jusqu’ici au Canada, mais encore au‑delà des limites qui lui sont imposées dans des systèmes de justice comparables ailleurs dans le monde.  La Constitution des États‑Unis, contrairement à la Charte , comporte une garantie expresse et absolue de protection contre l’auto‑incrimination.  Le Cinquième amendement prévoit, en partie, que [traduction] «[n]ul ne [. . .] se verra forcé de témoigner contre lui‑même dans une affaire criminelle, ni ne sera privé de vie, de liberté ou de propriété sans procédure légale convenable».  Pourtant, en dépit de cette formulation générale et catégorique, les tribunaux américains ont refusé d’appliquer le Cinquième amendement à l’utilisation du corps de l’accusé visant à produire des éléments de preuve contre lui.  Dans l’arrêt Schmerber c. California, 384 U.S. 757 (1966), la Cour suprême des États‑Unis a statué que le privilège de ne pas s’incriminer ne s’applique qu’à la preuve testimoniale.  On avait allégué que, en prélevant du sang de l’accusé et en cherchant à l’utiliser en preuve contre lui, l’État forçait l’accusé [traduction] «à témoigner contre lui‑même» (p. 761).  Tout en reconnaissant que le privilège de ne pas s’incriminer a pour but de protéger les valeurs de dignité et d’intégrité des citoyens, le juge Brennan a statué au nom de la cour à la majorité, que [traduction] «le privilège n’a jamais reçu toute la portée que supposent les valeurs qu’il aide à protéger» (p. 762).  L’histoire et les tribunaux d’instance inférieure avaient restreint l’application du privilège aux circonstances où la preuve avait été obtenue de la bouche même de l’accusé (à la p. 763):

 

[traduction] «(L)’interdiction de forcer un homme, devant une cour criminelle, à témoigner contre lui‑même est une interdiction de recourir à la contrainte physique ou morale pour extirper de lui des communications, et non une exclusion de son corps comme preuve lorsque cette preuve peut être substantielle.  L’objection de principe interdirait à un jury de regarder le prisonnier et de comparer ses traits avec une photographie versée en preuve.» [Holt c. United States] 218 U.S., aux pp. 252 et 253.

 

La cour à la majorité ajoute (à la p. 764):

 


[traduction]  . . . les tribunaux fédéraux et les tribunaux des États ont habituellement statué qu’il n’accorde aucune protection contre la contrainte à se soumettre à la prise d’empreintes digitales, de photographies ou de mensurations, à écrire ou à parler à des fins d’identification, à comparaître en cour, à se tenir debout, à prendre une pose ou à faire un geste particulier.  La distinction qui a ressorti, souvent exprimée de différentes façons, veut que le privilège soit une interdiction d’obtenir une «communication» ou un «témoignage» forcés, mais que la contrainte qui  permet de tirer d’un suspect ou d’un accusé une «preuve matérielle» ne l’enfreigne pas.  [Je souligne.]

 

En définitive, la cour à la majorité était d’avis que (à la p. 761):

 

[traduction] . . . le privilège protège un accusé uniquement contre l’obligation de témoigner contre lui‑même, ou de fournir par ailleurs à l’État une preuve sous forme de témoignage ou de communication, et la prise de sang et l’utilisation de l’analyse en question en l’espèce ne comportaient l’exercice d’aucune contrainte à ces fins.

 


17                      La cour à la majorité a ensuite procédé à l’examen du prélèvement de sang de l’accusé, au regard de la garantie offerte par le Quatrième amendement contre les fouilles, perquisitions et saisies abusives.  Ici, les valeurs de la dignité et du droit à la vie privée de la personne ont trouvé leur pleine expression dans le contexte des fouilles qui vont au‑delà de la palpation:  [traduction] «la dignité humaine et le droit à la vie privée que le Quatrième amendement protège interdisent que de telles atteintes soient portées en raison de la simple possibilité d’obtenir la preuve souhaitée» (p. 770).  Il était nécessaire d’avoir des motifs raisonnables de croire que des éléments de preuve seraient obtenus, lesquels motifs étaient normalement attestés par la délivrance d’un mandat de perquisition.  Toutefois, étant donné que, dans l’arrêt Schmerber, le sang avait été prélevé raisonnablement dans une situation d’urgence, il a été admis en l’absence de mandat, à titre d’[traduction] «accessoire convenable à l’arrestation du requérant» (p. 771).  Par la même occasion, la cour à la majorité a lancé l’avertissement qu’il se pourrait que des atteintes plus graves au corps d’une personne ne soient pas jugées raisonnables, et qu’il en résulte un rejet de la preuve.  Au lieu de la méthode du tout ou rien que suppose le principe interdisant l’auto‑incrimination en matière d’exclusion, l’utilisation du pouvoir d’effectuer une fouille ou perquisition permettait d’aborder d’une façon adaptée à chaque cas et tenant compte de la gravité de l’atteinte commise, la question de l’utilisation du corps de l’accusé contre lui-même.

 

18                      En dépit des dissidences catégoriques de quatre juges, l’arrêt Schmerber a résisté à l’épreuve du temps.  Au cours des 30 années qui ont suivi, il a été confirmé à maintes reprises et appliqué par la Cour suprême des États‑Unis et des tribunaux d’instance inférieure.  Le témoignage le plus éloquent de son autorité incontestée réside dans le fait que, même si la preuve des empreintes génétiques est admissible aux États-Unis depuis 1988, on ne trouve aucun cas où son utilisation a été contestée en vertu du Cinquième amendement.  En outre, dans la pléthore de commentaires d’auteurs sur les empreintes génétiques, les méthodes d’analyse génétique, l’identification au moyen des empreintes génétiques et la loi autorisant les banques de données génétiques, l’analyse est effectuée entièrement dans le contexte de la garantie du Quatrième amendement contre les fouilles, perquisitions et saisies abusives.

 


19                      En Grande‑Bretagne, l’utilisation du corps de l’accusé afin d’obtenir une preuve contre lui a traditionnellement été régie par la common law qui, comme nous l’avons vu, a refusé d’étendre à la preuve matérielle l’application du principe interdisant l’auto‑incrimination, préférant la considérer sous l’angle des fouilles, perquisitions et saisies.  Plus récemment, des lois ont été adoptées:  Police and Criminal Evidence Act 1984 (R.-U.), 1984, ch. 60, et la Criminal Justice and Public Order Act 1994 (R.-U.), 1994, ch. 33.  Ces deux lois qualifient les échantillons de substances corporelles soit d’intimes, soit de non intimes.  Le consentement de l’accusé est requis pour prélever des échantillons de substances corporelles intimes, mais non pour prélever des échantillons de substances corporelles non intimes.  Les substances corporelles non intimes comprennent la salive, les prélèvements faits dans la bouche, les cheveux et  poils autres que les poils pubiens, les substances tirées d’un ongle ou du dessous d’un ongle, un prélèvement effectué sur toute partie du corps d’une personne autre qu’un orifice corporel, de même qu’une empreinte de pied ou une empreinte semblable de toute partie du corps autre qu’une partie de la main.  Les empreintes digitales et palmaires peuvent être prises en vertu d’une autre loi.  Les empreintes dentaires et les prélèvements effectués dans un orifice autre que la bouche sont qualifiés d’échantillons intimes qui requièrent le consentement de l’accusé.  Des limites, sous forme d’autorisation nécessaire d’un supérieur, sont imposées au prélèvement d’échantillons non intimes.  Ce qui est important aux fins de notre analyse en l’espèce, c’est que l’on n’a pas jugé que le principe interdisant l’auto‑incrimination conférait une protection contre le prélèvement et l’utilisation de substances corporelles au Royaume-Uni.  En fait, ce principe a même été restreint dans le domaine de la preuve testimoniale depuis que le droit traditionnel de common law de garder le silence a été sensiblement réduit par une loi récente: Criminal Justice and Public Order Act 1994, art. 35.  Loin d’étendre l’application du principe interdisant l’auto‑incrimination, comme le propose la Cour à la majorité en l’espèce, le Royaume‑Uni a choisi une orientation contraire.  En même temps, une protection importante contre la saisie et l’utilisation abusives d’échantillons de substances corporelles est accordée au moyen de lois qui mettent à jour la common law en matière de fouilles, perquisitions et saisies.  Ces lois prennent la forme d’une classification abrégée des genres de fouilles, perquisitions et saisies qui sont jugés «raisonnables» au Royaume‑Uni.

 


20                      En Australie, comme en Grande‑Bretagne, il n’existe aucune garantie constitutionnelle écrite contre l’auto‑incrimination.  Néanmoins, le principe de common law selon lequel personne ne peut être forcé de s’incriminer est reconnu comme étant fondamental.  En même temps, les tribunaux australiens ont limité l’application du principe à la preuve testimoniale et refusé de l’appliquer aux échantillons de substances corporelles.  Dans  King c. McLellan, [1974] V.R. 773, la Cour suprême de Victoria a rejeté l’argument selon lequel la fourniture forcée d’un échantillon d’haleine viole le principe interdisant l’auto‑incrimination.  Elle a cité (aux pp. 776 et 777) le passage susmentionné de Wigmore:

 

[traduction] «L’historique du privilège [. . .]  —  spécialement l’esprit de la lutte dont il émane — porte à croire que le privilège est limité à la divulgation testimoniale.  Il visait l’utilisation d’une procédure judiciaire pour extirper des lèvres de la personne un aveu de culpabilité qui viendrait remplacer d’autres éléments de preuve.   En d’autres termes, [...] ce n’est pas simplement toute contrainte, quelle qu’elle soit, qui est au c{oe}ur du privilège sur le plan historique et dans les définitions constitutionnelles, mais la contrainte testimoniale». . .

 

21                      Faisant remarquer que, contrairement aux déclarations, [traduction] «une empreinte digitale ou une autre caractéristique physique existe déjà; elle existe en tant que fait matériel et n’est pas susceptible d’être dénaturée au sens propre du terme», la cour  poursuit (à la p. 777):

 

[traduction] La teneur en alcool du sang d’une personne n’est pas moins un fait matériel qu’une empreinte digitale.  Il ne semblerait pas y avoir de raison valable d’affirmer que la fourniture d’un échantillon de sang en vertu de l’art. 80d ou d’un échantillon d’haleine en vertu de l’art. 80f, qui,  après analyse, peuvent révéler la présence d’une certaine quantité d’alcool dans le sang du suspect, diffère en principe de quelque façon de la prise d’une empreinte digitale, en ce sens que, s’il y a de l’alcool dans le sang du suspect, il y en a une certaine concentration, qu’un échantillon de sang soit pris ou non, et les procédures établies par la Loi ne font rien de plus que de révéler, au moyen de l’analyse, ce qui est caché, mais existe déjà.

 


22                      Dans Sorby c. Commonwealth of Australia (1983), 152 C.L.R. 281, à la p. 292 (motifs du juge en chef Gibbs), la Haute Cour d’Australie a cité en l’approuvant la conclusion de la décision King c. McLellan, suivant laquelle le principe interdisant l’auto‑incrimination ne s’appliquait qu’à la preuve testimoniale.  Dans Howard c. Bates (1994), 72 A. Crim. R. 96 (F.C.), il a été statué sans équivoque que le privilège de ne pas s’incriminer ne s’applique pas aux échantillons de substances corporelles, peu importe qu’il s’agisse d’empreintes digitales ou d’empreintes génétiques.  En résumé, en Australie, la règle semble être que la protection contre l’auto‑incrimination est limitée à la preuve testimoniale et ne s’applique pas à la preuve constituée d’échantillons de substances corporelles.

 

23                      Je conclus que, suivant les principes et la jurisprudence établie, le prélèvement d’échantillons de substances corporelles relève de la protection contre les fouilles, perquisitions et saisies abusives garantie par l’art. 8  de la Charte .

 

B.  La conduite de la police a‑t‑elle violé l’art. 8  de la Charte ?

 

(1)  Les échantillons de cheveux et de poils, les prélèvements dans la bouche et les empreintes dentaires

 


24                      Pour que la police puisse effectuer une fouille ou perquisition, elle doit avoir des motifs raisonnables de croire que la fouille ou perquisition permettra de découvrir des éléments de preuve liés à la perpétration d’un crime.  En règle générale, la police doit convaincre un officier de justice qu’elle a ces motifs et obtenir un mandat pour pouvoir effectuer la fouille ou perquisition.  Si la police n’obtient pas de mandat, la fouille ou perquisition est présumée abusive.  Dans certains cas exceptionnels, l’absence de mandat n’établira pas en soi que la fouille ou perquisition était abusive.  Dans tous les cas cependant, la fouille ou perquisition doit avoir reposé sur des motifs raisonnables.  Les deux exceptions reconnues sont la fouille ou perquisition accessoire à une arrestation (dans le but de protéger le public ou la police, ou de recueillir des éléments de preuve) et la fouille ou perquisition effectuée dans une situation d’urgence où il est impossible d’obtenir un mandat.  On n’a allégué l’existence d’aucune urgence en l’espèce.  Les fouilles n’étaient pas nécessaires non plus pour garantir la sécurité immédiate des policiers ou du public.  Il s’agit donc seulement de savoir si les fouilles étaient nécessaires pour recueillir des éléments de preuve.  À mon avis, elles ne l’étaient pas.

 

25                      La question préliminaire qu’il faut se poser en examinant  ce point est de savoir si la police était dispensée d’obtenir un mandat parce que, au moment de l’arrestation de l’appelant, aucune procédure de mandat n’existait pour obtenir des cheveux, des poils, des prélèvements dans la bouche et des empreintes dentaires.  L’absence de procédure d’obtention d’un mandat permettant de chercher et de saisir ces objets traduit l’absence d’un pouvoir d’effectuer ces fouilles en common law.  La common law, telle qu’elle existait avant l’adoption de la Charte , reconnaissait à la police le droit de prendre des photographies, des empreintes digitales et d’exiger d’un suspect qu’il participe à une séance d’identification.  Mais à l’époque de l’arrestation de l’appelant, elle n’avait pas abordé la question des échantillons de cheveux ou de poils et des liquides organiques, et le Parlement n’avait adopté aucune procédure particulière permettant à la police d’obtenir un mandat pour saisir de tels échantillons.  Bien que de tels éléments de preuve aient parfois été admis au procès d’un accusé parce qu’ils étaient fiables, la common law n’a jamais toléré expressément les méthodes par lesquelles ils étaient recueillis:  Kuruma c. The Queen, [1955] A.C. 197 (C.P.), Attorney General for Quebec c. Bégin, précité.

 


26                      Par conséquent, le meilleur argument qui puisse être présenté pour le compte de la police en l’espèce est qu’elle a agi en vertu d’une extension présumée des pouvoirs de common law de recueillir des éléments de preuve auprès d’un suspect détenu à des fins d’identification.  Pourtant, la nature envahissante des procédures suscite un doute quant à la validité de cet argument.  Le prélèvement d’échantillons de cheveux, la prise d’empreintes dentaires et les prélèvements dans la bouche sont beaucoup plus envahissants que la prise d’empreintes digitales ou de photographies.  La common law n’a jamais permis le recours à de telles méthodes d’identification.  Étant donné que la  police a agi sans autorisation apparente de la loi, il est difficile de soutenir qu’elle a agi raisonnablement.

 


27                      La common law permettait le recours à des procédures relativement peu envahissantes comme la prise de photos et d’empreintes digitales et les séances d’identification; voir, par exemple, l’affaire écossaise Adair c. M’Garry, [1933] S.L.T. 482 (H.C.J.), et des affaires canadiennes similaires, dont R. c. Buckingham (1943), 86 C.C.C. 76 (C.S.C.‑B.), R. c. Hayward (1957), 118 C.C.C. 365 (C.A.N.‑B.), R. c. Nowakowski (1977), 40 C.R.N.S. 144 (C.S.C.‑B.), et R. c. McLarty (No. 2) (1978), 40 C.C.C. (2d) 72 (C.S.P. Ont.); voir également l’arrêt Marcoux, précité.  Mais c’est en vain que l’on cherche dans la common law une justification des utilisations plus envahissantes du corps d’un suspect.  Cette distinction est liée au souci de la common law de protéger la dignité et la vie privée de la personne.  Les fouilles, perquisitions et saisies effectuées dans le but d’établir l’identité sont considérées comme des procédures raisonnables accessoires à l’arrestation, pourvu qu’elles ne portent pas atteinte trop gravement à la dignité et à la vie privée de la personne.  Ces fouilles peuvent permettre de recueillir des éléments de preuve, mais elles servent aussi un autre intérêt important, soit déterminer le lien qu’il peut y avoir entre le suspect et le crime reproché.  Lorsqu’une personne est arrêtée, il importe de déterminer le lien que cette personne peut réellement avoir avec le crime.  Il n’est pas rare, dans le cas d’une prise d’empreintes digitales, d’une séance d’identification ou d’une preuve composée d’empreintes génétiques, que le suspect soit innocenté et que la police ait alors libre cours pour rechercher le véritable contrevenant.  Pourvu que l’atteinte à la vie privée et à la dignité de la personne ne soit pas trop grave, l’intérêt public exige que la police puisse effectuer des tests préliminaires au moyen du corps de l’accusé, pour confirmer ou nier sa participation au crime reproché.  Une telle conduite est raisonnable et ne viole donc pas l’art. 8  de la Charte .

 

28                      Je conclus qu’en raison du caractère envahissant des fouilles et des saisies qui ont mené au prélèvement d’échantillons de cheveux et de poils, aux prélèvements dans la bouche et à la prise d’empreintes dentaires, et de la gravité de l’atteinte à la vie privée et à la dignité de l’accusé qu’elles ont entraînée, ces fouilles et saisies ne constituent pas une fouille légale accessoire à une arrestation.  Il s’ensuit qu’elles ont violé l’art. 8  de la Charte .

 

(2)  Le papier-mouchoir

 

29                      L’appelant s’est mouché et a jeté le papier-mouchoir dans la poubelle.  La police a récupéré le papier-mouchoir par la suite et l’a utilisé pour établir une preuve d’empreintes génétiques liant l’appelant au crime.

 

30                      À mon avis, la récupération du papier-mouchoir par la police n’a pas violé l’art. 8  de la Charte .  Le papier-mouchoir n’a pas été obtenu à la suite d’une fouille de l’appelant.  Il n’a pas été saisi sur lui; il l’avait jeté.  Autrement dit, l’appelant avait abandonné tout droit à la vie privée qu’il pouvait avoir eu relativement à ce papier‑mouchoir.  La police peut trouver une arme à feu jetée par un meurtrier et l’utiliser en preuve contre lui.  À mon avis, elle peut, de façon similaire, trouver et utiliser un papier-mouchoir qu’il a jeté.  L’article 8 a pour objet de protéger la personne et ses biens contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives.  Cet objet ne joue pas dans le cas de biens que l’accusé a jetés.

 


31                      Il a été statué, dans de nombreux arrêts, qu’un bien abandonné par un suspect ne peut pas faire l’objet de la protection accordée par l’art. 8  de la Charte .  Notre Cour a accepté la notion d’abandon dans R. c. Dyment, [1988] 2 R.C.S. 417, renvoyant à l’arrêt R. c. LeBlanc (1981), 64 C.C.C. (2d) 31 (C.A.N.‑B.), où l’on avait statué que l’accusé avait abandonné un échantillon de son sang sur la banquette avant d’un véhicule.  Dans R. c. Love, [1994] A.J. No. 847 (B.R.), conf. par (1995), 102 C.C.C. (3d) 393 (C.A.), le juge Cairns a décidé que la récupération, dans une poubelle, par un policier en civil, du papier-mouchoir dont l’accusé s’était servi pour se moucher [traduction] «n’équivalait pas à une saisie auprès de l’accusé — il  avait jeté le papier-mouchoir — et le policier a simplement récupéré ce que je décrirais comme un "rebut potentiellement utile"» (par. 102).  De même, on a jugé, dans R. c. Arp, [1995] B.C.J. No. 882 (C.S.),  que les mégots de cigarette jetés et récupérés dans un cendrier de la police avaient été abandonnés par l’accusé et ne pouvaient donc faire l’objet de la protection de l’art. 8.  Voir également R. c. Legere (1994), 95 C.C.C. (3d) 139 (C.A.N.‑B.), et R. c. Titian, C.S.C.‑B., no du greffe de Victoria 70624, 26 mai 1994, inédit.  Il ne paraît y avoir aucune jurisprudence contraire.

 

32                      Dans le présent pourvoi, la Cour à la majorité est  d’avis de rejeter l’opinion unanime de tous les autres juges qui ont examiné l’affaire, pour le motif qu’«il est quelque peu trompeur de parler d’«abandon» dans le contexte d’un élément de preuve obtenu auprès d’un accusé qui est détenu» (par. 58).  Le juge Cory affirme qu’il doit y avoir consentement pour qu’il y ait abandon, et que c’est une question de fait qui  doit être tranchée par le juge dans chaque affaire.  Il s’appuie sur l’arrêt R. c. Mellenthin, [1992] 3 R.C.S. 615, où notre Cour a statué que, pour justifier une fouille ou perquisition illégale, il incombe au ministère public d’établir que l’accusé y a consenti.


33                      En toute déférence, c’est là présumer de la réponse à donner à la question même qui est en litige.  Il s’agit de savoir si la récupération du papier-mouchoir jeté constituait une fouille.  Si ce n’était pas une fouille, l’exigence d’un consentement selon l’arrêt Mellenthin ne s’applique pas.  Un suspect n’a pas à consentir à ce que la police prenne ce qui ne lui appartient plus.  Si la police découvre l’arme du crime jetée par l’accusé, elle n’a pas à demander son consentement pour la prendre ou l’utiliser en  preuve.  Elle ne devrait pas être tenue non plus d’obtenir son consentement pour  récupérer et utiliser un papier-mouchoir qu’il a jeté.  Il n’y a simplement ni fouille du suspect ni perquisition de ses biens.

 

34                      On allègue toutefois que la présente affaire est différente parce que le papier-mouchoir a été jeté alors que l’appelant était détenu au poste de police.  On soutient qu’un suspect en détention ne peut pas empêcher que des échantillons, comme ceux contenus dans le papier-mouchoir dont il est question en l’espèce, soient produits et prélevés pendant sa détention.  De plus, la conduite de la police peut encourager la production d’échantillons:  l’interrogatoire peut provoquer des larmes et la nécessité d’utiliser un papier-mouchoir; l’offre d’une cigarette peut produire un mégot enduit de salive.  Bref, on prive le suspect du choix de fournir ou non des éléments de preuve.

 

35                           Cet argument est un argument d’auto‑incrimination.  Il repose sur la prémisse que l’accusé n’a d’autre choix que de s’incriminer lorsqu’il est en détention, d’où la déduction qu’il y a eu violation de son droit de ne pas s’incriminer.  Si la preuve en jeu était testimoniale, l’argument pourrait être pertinent:  Hebert, précité.  Cependant, le privilège de ne pas s’incriminer ne s’applique pas à la preuve matérielle, comme nous l’avons vu.  À moins qu’elle ne soit dérivée de la preuve testimoniale, la preuve matérielle doit être appréciée sous l’angle des fouilles, perquisitions et saisies.  Bref, l’argument est hors de propos.  Il ne s’applique pas au papier-mouchoir.


36                      Toutes les raisons précitées de ne pas appliquer le principe interdisant l’auto‑incrimination pour déterminer si la saisie d’une preuve matérielle viole la Charte  s’appliquent au papier-mouchoir saisi en l’espèce par la police. L’information produite est très fiable.  Son obtention ne représente aucune violation de la vie privée du suspect, encore moins une atteinte accrue au secret de ses pensées.  Il n’y a eu aucun mépris de la volonté du suspect ni aucune  mobilisation de son processus mental justifiant que l’on fasse preuve de la rigueur accrue qui est associée à la preuve testimoniale.  Finalement, les empreintes génétiques que le papier-mouchoir a révélées existent indépendamment de toute action policière.

 

37                      Même s’il est vrai que les échantillons peuvent nécessairement résulter de l’arrestation et de la détention, il reste que la condition physique qu’ils attestent et qui leur donne leur importance n’est pas créée par la détention.  Elle a une existence véritable qui ne dépend pas de la détention.  La détention  fournit simplement l’occasion de constater cette condition physique.  Tout comme le policier qui a affaire à un suspect ivre en détention peut par la suite témoigner quant à son ivresse apparente, le policier qui trouve un papier-mouchoir jeté peut témoigner à ce sujet.  Le corps livre son propre récit.  Si le suspect n’avait pas été en détention, ce récit n’aurait pas été livré de la même façon, mais il aurait pu l’être par l’intermédiaire d’autres témoins et par d’autres moyens.  Le fait qu’il ait été livré alors que le suspect était en détention ne viole aucun de ses droits  et ne rend donc pas la preuve potentiellement inadmissible.

 

38                      Je conclus que la récupération du papier-mouchoir ne viole pas la protection de l’art. 8  de la Charte  contre les fouilles, perquisitions et saisies abusives.

 


(3)  Résumé des violations

 

39                      Je conclus que, en saisissant des cheveux et des poils du corps de l’appelant, en effectuant des prélèvements dans sa bouche et en prenant ses empreintes dentaires, la police a violé la protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives que l’art. 8  de la Charte  garantissait à l’appelant.  Elle n’a pas violé ses droits en récupérant le papier-mouchoir jeté, étant donné qu’il l’avait abandonné.  Je vais maintenant examiner si, eu égard au par. 24(2)  de la Charte , les tribunaux du Nouveau‑Brunswick ont commis une erreur en utilisant la preuve recueillie en violation de la Charte .

 

II.   La preuve obtenue en contravention de l’art. 8  de la Charte  a‑t‑elle été régulièrement utilisée en vertu du par. 24(2)  de la Charte ?                            

 

A.  Le critère d’utilisation

 

40                      Le critère d’utilisation d’éléments de preuve, dans le cas où on allègue  l’existence d’une violation de la Charte , exige que le juge procède à un examen en deux étapes.  La première étape consiste à déterminer si les éléments de preuve ont été obtenus dans des conditions qui portent atteinte aux droits garantis à l’accusé par la Charte .  Dans l’affirmative, le juge doit ensuite se demander si, en raison de cette atteinte, les éléments de preuve devraient être écartés en vertu du par. 24(2)  de la Charte , qui prévoit que «ces éléments de preuve sont écartés s’il est établi, eu égard aux circonstances, que leur utilisation est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice».

 


41                      De quelle façon le juge détermine‑t‑il si l’utilisation d’éléments de preuve est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice?  Notre Cour a examiné cette question dans de nombreuses affaires.  Bien qu’il y ait accord général quant aux facteurs qui doivent être pris en considération, un doute a surgi quant à savoir si l’un d’eux --  la possibilité qu’un procès soit inéquitable du fait que l’accusé a été forcé de s’incriminer -- est concluant en ce sens que, si son existence est établie, il commande l’exclusion de la preuve indépendamment de tout autre facteur ou de toute autre circonstance.  Afin de pouvoir réexaminer cette question si cela devait s’avérer nécessaire, la Cour a ajourné la première audition du présent pourvoi et a fixé une nouvelle date d’audition devant tous les juges de la Cour.  Nous sommes donc en mesure de réévaluer la jurisprudence relative au par. 24(2).  Comme on le constatera, je souscris pour l’essentiel au point de vue adopté dans l’arrêt R. c. Collins, [1987] 1 R.C.S. 265.  Je me dissocie toutefois de certaines interprétations plus formalistes qui ont été données de l’arrêt Collins et donc du par. 24(2)  de la Charte .  Selon  moi, il s’agit de choisir entre, d’une part, une évaluation pragmatique de tous les facteurs touchant la question de savoir si l’utilisation des éléments de preuve est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice, et, d’autre part, une règle d’exclusion automatique des éléments de preuve qui compromettent l’équité du procès.  À mon avis, l’ensemble de la jurisprudence de notre Cour et le texte du par. 24(2) appuient une méthode multifactorielle souple.

 


42                      Dans l’analyse qui suit, je commence par examiner le par. 24(2) et la jurisprudence initiale qui favorise une méthode multifactorielle souple.  Je compare ensuite le tout avec la jurisprudence ultérieure qui préconise une règle d’exclusion automatique fondée sur la notion de l’auto-incrimination ou de la mobilisation de l’accusé contre lui‑même.  Finalement, je me demande quelle approche est plus compatible avec la philosophie de la Charte  et avec la promotion d’un système de justice efficace et équitable.

 

(1)  L’historique du par. 24(2)  de la Charte  et la jurisprudence initiale — la méthode de la pondération

 

43                      L’établissement de droits constitutionnels soulève la question suivante:  quelles seront les conséquences de leur violation?  D’une part, on peut répondre que la preuve obtenue grâce à cette violation sera inadmissible.  Cette solution, sous réserve de quelques exceptions, a été adoptée aux États‑Unis et est appelée la «règle d’exclusion automatique».  D’autre part, on peut répondre que les conditions dans lesquelles la  preuve a été obtenue ne devraient jamais en entraîner l’exclusion, à la condition que cette preuve soit pertinente et par ailleurs admissible.  C’est cette dernière solution qui  prévalait au Canada avant l’adoption de la Charte .  Le paragraphe 24(2)  de la Charte  peut être considéré comme un compromis entre la règle «d’exclusion automatique» appliquée aux États‑Unis et la règle «de non-exclusion», qui prévalait au Canada en 1982, avant l’adoption de la Charte .

 

44                      La première version publique de la Charte  interdisait expressément l’exclusion d’éléments de preuve à titre de réparation d’une violation  de la Charte : al. 22b) (version du 28 août).  Divers groupes d’intérêt public ont avancé de puissants arguments contre ce point de vue.  L’adoption du par. 24(2)  résulte d’un compromis.  On considérait qu’il établissait un équilibre entre, d’une part, les craintes de nombreux intervenants qu’une clause d’exclusion puisse avantager indûment les accusés et les auteurs de crimes graves et, d’autre part, le souci des défenseurs des libertés civiles que les violations plus flagrantes de la Charte  entraînent des conséquences sérieuses afin de mieux préserver l’intégrité du système de justice.


45                      Le texte du par. 24(2) établit un moyen terme entre l’exclusion stricte et la non-exclusion.  Le critère d’exclusion n’est pas la violation, comme dans le cas d’une règle d’exclusion stricte, mais la considération dont jouit l’administration de la justice.  La considération dont jouit l’administration de la justice concerne tout autant ceux qui demandent une réparation sous forme d’exclusion que ceux qui s’y opposent.  Ceux qui préconisent une réparation sous forme d’exclusion soulignent habituellement le besoin d’assurer l’équité de la conduite des policiers et des procédures judiciaires pour éviter que l’administration de la justice ne soit déconsidérée.  Par contre, ceux qui craignent une exclusion excessive  soulignent habituellement la déconsidération de l’administration de la justice qui résulte du fait de permettre systématiquement au coupable de s’en sortir à cause de violations procédurales.  En assujettissant l’utilisation de la preuve obtenue dans des conditions qui ont porté atteinte à des droits à la considération dont jouit l’administration de la justice, «eu égard aux circonstances», les rédacteurs de la Charte  ont adopté un critère qui exige que le juge examine ces deux points de vue et qu’il décide si la considération dont jouit l’administration de la justice milite en faveur de l’exclusion de cette preuve ou de son utilisation.  La question de la considération dont jouit l’administration de la justice, ainsi perçue, n’est pas tranchée par un simple renvoi au baromètre de l’opinion publique du moment.  Elle exige plutôt que le juge pondère les facteurs militant pour ou contre l’exclusion, de manière à préserver l’intégrité du système de justice et la considération dont il jouit.

 


46                      Il est difficile de ne pas conclure que les rédacteurs du par. 24(2) cherchaient à éviter une règle d’exclusion automatique.  Comme le professeur Paciocco l’affirme:  [traduction] «[l]’esprit de la disposition, voire [son] texte même, remet en question la légitimité d’établir même des principes d’exclusion quasi automatique»: «The Judicial Repeal of s. 24(2) and the Development of the Canadian Exclusionary Rule» (1989-90), 32 Crim. L.Q. 326, à la p. 354.  Les principes d’exclusion quasi automatique empêchent nécessairement qu’une décision soit prise en fonction de toutes les circonstances de l’affaire, étant donné qu’aucune règle ne peut prévoir toutes les circonstances qui peuvent se présenter dans une affaire donnée.  Au lieu d’un principe d’exclusion automatique, le par. 24(2) demande aux juges de déterminer au cas par cas si, dans les circonstances dont ils sont saisis, l’utilisation de la preuve est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.

 

47                      Le paragraphe 24(2) introduit un processus de pondération.  Le juge doit examiner quelle incidence l’utilisation de la preuve aurait sur la considération dont jouit l’administration de la justice.  Son utilisation serait‑elle si inéquitable pour  l’accusé ou reviendrait‑elle à tolérer une conduite policière si répréhensible que le respect dont jouit la justice s’en trouverait diminué?  Le juge doit ensuite examiner l’incidence de  l’exclusion de la preuve sur la considération dont jouit l’administration de la justice et la soupeser en fonction de la déconsidération qui pourrait résulter de l’utilisation de cette preuve.  En fin de compte, le juge doit se demander laquelle de l’utilisation ou de l’exclusion préservera le mieux la considération dont jouit le système de justice, d’après les faits particuliers de l’affaire.  Comme un auteur l’a dit:

 

[traduction] Avant de décider d’exclure des éléments de preuve, un tribunal devrait apprécier la déconsidération de l’administration de la justice qui pourrait résulter de l’exclusion.  Il ne serait pas conforme aux fins du par. 24(2) d’écarter des éléments de preuve lorsque leur exclusion déconsidérerait davantage l’administration de la justice que ne le ferait leur utilisation.  Ainsi, des éléments de preuve essentiels pour justifier une accusation, plus particulièrement une accusation grave, ne devraient pas être écartés si la violation de la Charte  est anodine et que leur utilisation ne rendrait pas le procès inéquitable.

 

(G. E. Mitchell, «The Supreme Court of Canada on the Exclusion of Evidence in Criminal Cases under Section 24  of the Charter » (1987-88), 30 Crim. L.Q. 165, à la p. 175.)

 


48                      La jurisprudence initiale et un certain nombre d’arrêts ultérieurs concernant le par. 24(2)  de la Charte  ont confirmé l’application de la méthode de pondération multifactorielle que ses rédacteurs avaient envisagée.  L’arrêt antérieur le plus important est Collins, précité.  Le juge Lamer (maintenant Juge en chef) commence son analyse en tenant pour acquis que le par. 24(2) exige que le tribunal tienne compte des circonstances pertinentes de l’affaire dont il est saisi.  Le juge Lamer énonce ensuite (aux pp. 283 et 284) des circonstances ou des facteurs qui peuvent être pertinents dans une affaire donnée.  Sans laisser entendre qu’il dressait une liste exhaustive, il a énoncé 10 facteurs:

 

‑  quel genre d’éléments de preuve a été obtenu?

 

‑  quel droit conféré par la Charte  a été violé?

 

‑  la violation de la Charte  était‑elle grave ou s’agissait‑il d’une simple irrégularité?

 

‑  la violation était‑elle intentionnelle, volontaire ou flagrante, ou a‑t‑elle été commise par inadvertance ou de bonne foi?

 

‑  la violation a‑t‑elle eu lieu dans une situation d’urgence ou de nécessité?

 

‑  aurait‑on pu avoir recours à d’autres méthodes d’enquête?

 

‑  les éléments de preuve auraient‑ils été obtenus en tout état de cause?

 

‑  s’agit‑il d’une infraction grave?

 

‑  les éléments de preuve recueillis sont‑ils essentiels pour fonder l’accusation?

 

‑  existe‑t‑il d’autres recours?

 


49                      Après avoir énoncé ces facteurs, le juge Lamer les a répartis en trois catégories selon la façon dont ils déconsidèrent l’administration de la justice:  les facteurs pertinents quant à l’équité du procès, les facteurs pertinents quant à la gravité de la violation et les facteurs pertinents quant à l’effet de l’exclusion de la preuve.  Cette répartition a été interprétée dans certains arrêts subséquents comme constituant un «critère» à trois volets.  En fait, l’arrêt Collins ne laisse pas entendre que cette répartition constitue un critère; elle ne constitue plutôt qu’une façon commode d’examiner les diverses «circonstances» qui peuvent devoir être prises en considération dans une affaire donnée.  Les deux premières catégories ont trait à la déconsidération de l’administration de la justice qui pourrait résulter de l’utilisation de la preuve; la troisième catégorie concerne la déconsidération qui pourrait découler de l’exclusion de la preuve.  Il ne sera satisfait à l’obligation de pondérer imposée par le par. 24(2) que si tous les facteurs sont pris en considération.  Le juge Lamer a rappelé qu’aucune catégorie de facteurs ne serait à elle seule déterminante quant à la question en litige (à la p. 283):

 

Le paragraphe 24(2) enjoint au juge qui détermine si l’utilisation de la preuve est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice, de tenir compte de «toutes les circonstances».

 

50                      Dans l’arrêt R. c. Strachan, [1988] 2 R.C.S. 980, le juge en chef Dickson a réaffirmé, au nom de la Cour, que l’obligation de pondérer est au c{oe}ur du par. 24(2).  Après avoir examiné les trois catégories de facteurs mentionnées dans l’arrêt Collins, il a affirmé (aux pp. 1008 et 1009):

 

Toute négation d’un droit garanti par la Charte  est grave, mais le par. 24(2) n’établit pas une règle d’exclusion automatique.  Ce n’est pas toute violation du droit à l’assistance d’un avocat qui entraîne l’exclusion des éléments de preuve.  Dans la présente affaire où la violation du droit à l’assistance d’un avocat a été commise par inadvertance et où l’accusé n’a pas subi de mauvais traitement, c’est l’exclusion des éléments de preuve plutôt que leur utilisation qui serait susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.

 


Des arrêts subséquents ont confirmé que la méthode de la pondération est essentielle au par. 24(2):  voir, par exemple, R. c. Grant, [1993] 3 R.C.S. 223, R. c. Plant, [1993] 3 R.C.S. 281, R. c. Wiley, [1993] 3 R.C.S. 263.  On a souvent tranché la question en soupesant la deuxième catégorie de facteurs, qui ont trait à la gravité de la violation, en fonction de la troisième catégorie de facteurs, qui ont trait à la déconsidération de l’administration de la justice qui résulterait de l’exclusion de la preuve:  voir R. c. Sieben, [1987] 1 R.C.S. 295, R. c. Hamill, [1987] 1 R.C.S. 301, R. c. Simmons, [1988] 2 R.C.S. 495, R. c. Jacoy, [1988] 2 R.C.S. 548, et  Strachan, précité. Même les arrêts où il était question d’échantillons de substances corporelles ont souligné que la gravité de la violation devait être soupesée en fonction de la déconsidération résultant de l’exclusion de la preuve, plutôt qu’en fonction de la mobilisation de l’accusé contre lui‑même et de  l’équité du procès:  voir R. c. Pohoretsky, [1987] 1 R.C.S. 945, et Dyment, précité.  La Cour n’a jamais renversé ces précédents ou exprimé des réserves à leur égard.  À mon avis, ils continuent d’illustrer la bonne façon d’aborder le par. 24(2).

 

(2)  La méthode fondée sur l’interprétation du par. 24(2) comme règle d’exclusion

 


51                      Il semble clair que les rédacteurs de la Charte  n’ont pas voulu que le par. 24(2) serve de règle d’exclusion automatique ou quasi automatique.  La jurisprudence des huit premières années suivant l’adoption de la Charte  est conforme à cette vision.  Cependant,  une telle règle exerce un attrait puissant.  Même l’opinion généralement acceptée de ceux qui ont étudié le par. 24(2) et ses origines, selon laquelle ce paragraphe ne devrait pas servir de règle d’exclusion automatique, s’est révélée insuffisante pour faire échec indéfiniment à cette notion de règle d’exclusion.  C’est en 1990 qu’apparaît le premier d’une série d’arrêts qui ont élevé au rang de règle les trois catégories de facteurs énoncées dans Collins et qui ont eu recours à la première catégorie, les facteurs pertinents quant à l’équité du procès, pour justifier une nouvelle règle d’exclusion automatique — une règle qui trouve sa pleine expression dans les motifs des juges majoritaires en l’espèce.  Ces arrêts n’ont jamais eu pour objet de renverser la méthode initiale d’une pondération fondée sur les «circonstances».  Néanmoins, ils ont eu une forte incidence.

 

52                      Cette autre façon d’aborder le par. 24(2) remonte aux motifs concordants du juge Sopinka dans l’arrêt Hebert, précité.  Le juge Sopinka y a exprimé l’opinion incidente que, si un juge qui examine la première catégorie des facteurs énoncés dans l’arrêt Collins décide que l’utilisation des éléments de preuve contestés rendrait le procès inéquitable, il n’est pas nécessaire d’étudier la deuxième catégorie, qui concerne la gravité de la violation, ni la troisième catégorie, qui a trait à l’effet préjudiciable de l’exclusion de la preuve.  Si la preuve rendait le procès inéquitable, elle ne serait jamais recevable.  Il est évident que ce point de vue est l’antithèse de la pondération envisagée par les rédacteurs du par. 24(2).  Si un facteur ou groupe de facteurs détermine l’admissibilité de la preuve, il ne peut y avoir de pondération.  Il ne peut pas y avoir non plus de prise en considération des «circonstances», comme l’exige le par. 24(2).  Au lieu de cela, il y a simplement une règle d’exclusion:  si la preuve aura pour effet de rendre le procès inéquitable, elle doit être écartée.

 

53                      Dans l’arrêt R. c. Elshaw, [1991] 3 R.C.S. 24, les juges majoritaires ont cité, en l’approuvant, l’opinion incidente que le juge Sopinka avait exprimée dans l’arrêt Hebert, laquelle opinion incidente a été approuvée à l’unanimité dans l’arrêt R. c. Broyles, [1991] 3 R.C.S. 595.  Cependant, dans chacune de ces affaires, la Cour a entrepris d’examiner les deux autres catégories de facteurs.  Cela semblait, dans l’ensemble, conforme à l’affirmation dans Collins que «[s]i l’utilisation de la preuve portait atteinte de quelque façon à l’équité du procès, alors celle‑ci tendrait à déconsidérer l’administration de la justice et, sous réserve de la considération des autres facteurs, la preuve devrait généralement être écartée» (p. 284 (souligné dans l’original)).


54                      Une attitude plus ferme a été adoptée dans l’arrêt Mellenthin, précité, où le juge Cory a statué qu’une conclusion d’iniquité était déterminante relativement à une analyse fondée sur le par. 24(2):  «[i]l est évident que l’utilisation de la preuve rendrait le procès inéquitable et qu’il n’est pas nécessaire d’étudier les autres facteurs mentionnés dans l’arrêt Collins» (p. 629).  Dans l’affaire Mellenthin, il y avait eu tout au plus mobilisation minimale de l’accusé contre lui‑même.  Néanmoins, dans des propos qui laissaient présager l’arrêt majoritaire qui est rendu aujourd’hui, le juge Cory a conclu que «la preuve (la marijuana) n’aurait pas été découverte sans le témoignage forcé (la fouille) de l’appelant» (p. 628).  Son utilisation, selon le juge Cory, aurait donc rendu le procès inéquitable.  Comme cela tranchait la question, il n’était pas nécessaire de soupeser la déconsidération qui résulterait de l’utilisation de la preuve en fonction de celle que pourrait entraîner son exclusion.  Bref, il n’était pas nécessaire de prendre en considération les «circonstances», même si le par. 24(2) dit clairement le contraire.

 

55                      Dans l’arrêt R. c. Burlingham, [1995] 2 R.C.S. 206, au par. 29, le juge Iacobucci, s’exprimant au nom de la Cour à la majorité, a cité l’affirmation de J. Sopinka, S. N. Lederman et A. W. Bryant, dans The Law of Evidence in Canada (1992), selon laquelle [traduction] «[d]ès qu’un élément de preuve contesté est jugé attentatoire à l’équité du procès, l’exclusion s’ensuit presque inévitablement».  Par contre, il n’est pas allé jusqu’à conclure que l’iniquité du procès rend l’exclusion automatique.  Puis, dans l’arrêt R. c. Bartle, [1994] 3 R.C.S. 173, à la p. 219, le juge en chef Lamer a affirmé que «[s]i les éléments de preuve contestés se heurtent au facteur de l’"équité du procès", l’admissibilité de ces éléments ne peut être sauvegardée par un recours au facteur de la "gravité de la violation"».

 


56                      Le juge L’Heureux‑Dubé a laissé entendre, dans l’arrêt Burlingham, que les juges majoritaires de la Cour avaient créé une règle d’exclusion automatique et qu’ils n’avaient pas tenu compte du texte du par. 24(2), qui exige que le tribunal examine les circonstances.  Le juge Sopinka a répondu que, même si le juge n’a qu’à examiner le premier facteur, l’équité du procès, lorsqu’il est en jeu, celui‑ci doit conclure qu’«"eu égard aux circonstances" l’utilisation des éléments de preuve rendrait le procès inéquitable» (par. 148).  Cela n’empêche pas, toutefois, que les circonstances qui relèvent des deuxième et troisième catégories de facteurs de l’arrêt Collins ne font absolument pas l’objet de l’analyse.  Ils sont exclus automatiquement dès que l’équité du procès est en jeu.

 

(3)  Quelle méthode devrait être adoptée?

 


57                      En toute déférence, j’estime qu’il y a lieu de s’opposer à l’opinion exprimée dans certains cas, suivant laquelle tout élément de preuve qui compromet l’équité du procès doit être écarté en vertu du par. 24(2).  Premièrement, cette opinion va à l’encontre de l’esprit et de la lettre du par. 24(2) qui exige que les juges soupèsent, dans tous les cas, tous les facteurs qui peuvent déconsidérer l’administration de la justice, et elle élève le facteur de l’iniquité du procès à un rang dominant et, dans bien des cas, déterminant.  Deuxièmement, elle repose sur une notion élargie et, en toute déférence, erronée de l’auto‑incrimination ou de la mobilisation de l’accusé contre lui‑même qui assimile à l’iniquité du procès toute participation non consensuelle de l’accusé à la constitution de la preuve ou toute utilisation non consensuelle de son corps à cette fin.  Troisièmement, elle tient erronément pour acquis que tout ce qui compromet l’équité du procès rend automatiquement le procès si fondamentalement inéquitable que d’autres facteurs ne pourront jamais l’emporter sur cette iniquité, de sorte qu’il devient inutile de prendre en considération d’autres facteurs.  Je vais examiner, à tour de rôle, chacun des aspects de cette nouvelle méthode.

 

58                      Le premier problème a déjà été examiné.  Le paragraphe 24(2) exige expressément que les juges prennent en considération les «circonstances» pour déterminer si l’utilisation de la preuve est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.  Selon la nouvelle méthode, toutefois, un groupe de facteurs ‑‑ ceux qui compromettent l’équité du procès ‑‑ se voient accorder une importance excessive, presque au détriment des autres facteurs.  Il s’ensuit que l’«équité du procès» équivaut presque à une règle absolue d’exclusion:  Mellenthin, précité, le juge Cory; Bartle, précité, le juge en chef Lamer.

 

59                      En même temps, l’importance des autres facteurs énoncés dans l’arrêt Collins a diminué.  Il est évident que si l’iniquité du procès est déterminante, il n’est pas nécessaire et il n’y a pas lieu de prendre en considération d’autres circonstances.  Ainsi, plutôt que de tenir compte des «circonstances» comme l’exige le par. 24(2), lorsque l’équité du procès est en cause, le juge qui applique cette méthode ne prend en considération que les facteurs relatifs à l’équité du procès.  Les circonstances relatives à la gravité de la violation, qui ont joué un rôle si important dans de nombreux arrêts antérieurs, perdent leur importance, et l’on n’en vient jamais à analyser l’incidence de l’exclusion sur la considération dont jouit l’administration de la justice.  Le processus de pondération projeté par les rédacteurs du par. 24(2) est donc complètement sapé, et le compromis entre ceux qui craignaient que l’exclusion d’éléments de preuve mine l’administration de la justice, par la libération de personnes coupables pour des motifs techniques, et ceux qui préconisaient des conséquences judiciaires pour les violations de la Charte  est anéanti.

 



60                      Je passe maintenant à la notion élargie d’auto‑incrimination qui sous‑tend la nouvelle méthode.  La common law et la jurisprudence postérieure à l’adoption de la Charte , jusqu’à l’arrêt Collins et même après, établissaient une nette distinction entre preuve testimoniale et preuve matérielle lorsqu’il était question d’admissibilité de la preuve.  Comme nous l’avons vu, le principe interdisant l’auto‑incrimination ne s’appliquait qu’à la preuve testimoniale, c’est‑à‑dire aux déclarations faites à la police ou au tribunal.  Cette distinction était fondée, comme je l’ai dit, sur des raisons de principe.  Elle a été maintenue dans Collins, où le juge Lamer a écrit:  «[u]ne preuve matérielle obtenue d’une manière contraire à la Charte  sera rarement de ce seul fait une cause d’injustice» (p. 284).  La jurisprudence plus récente qui s’oriente vers la nouvelle méthode d’exclusion automatique laisse toutefois entendre que cette distinction est peut‑être hors de propos.  Dans Burlingham, le juge Iacobucci écrit, au par. 30, que «notre Cour a constamment répugné à traiter différemment la preuve matérielle».  Et dans l’arrêt R. c. Colarusso, [1994] 1 R.C.S. 20, à la p. 74, le juge La Forest affirme que «le simple fait que la preuve contestée soit rangée dans l’une ou l’autre de ces deux catégories ne devrait pas en soi être concluant sur son admissibilité».  Suivant cette méthode, les juges majoritaires, en l’espèce, traitent la preuve matérielle obtenue du corps de l’accusé comme s’il s’agissait d’une preuve testimoniale à laquelle le principe interdisant l’auto‑incrimination s’applique.  La règle des confessions établie en common law peut être interprétée comme signifiant que l’utilisation d’une preuve testimoniale obtenue par la mobilisation de l’accusé contre lui‑même et sans son consentement est présumée inéquitable, justifiant ainsi une règle absolue d’exclusion.  En supprimant la distinction entre preuve testimoniale et preuve matérielle, la nouvelle méthode d’exclusion automatique étend cette présomption à toute preuve matérielle obtenue en mobilisant l’accusé contre lui‑même.  Toute preuve matérielle obtenue du corps ou au moyen du corps de l’accusé sans son consentement est réputée compromettre l’équité du procès.  Si on combine cette conclusion à la présomption que toute preuve qui compromet l’équité du procès doit être écartée, il en résulte que toute preuve obtenue sans le consentement de l’accusé ou en le mobilisant contre lui‑même dont l’obtention a nécessité l’utilisation du corps de l’accusé, est inadmissible.

 

61                      Comme je l’ai affirmé plus haut, la saisie d’échantillons de substances corporelles doit être appréciée non pas sous l’angle du principe interdisant l’auto‑incrimination qui régit la preuve testimoniale, mais plutôt, sous l’angle de la protection accordée par l’art. 8  de la Charte  contre les fouilles, perquisitions et saisies abusives.  Cela vaut pour l’analyse de l’équité du procès fondée sur le par. 24(2)  de la Charte .  En se demandant si la preuve compromettra l’équité du procès, le juge se souciera de l’incidence que l’utilisation de la preuve saisie pourrait, de diverses façons, avoir sur la considération dont jouit le système de justice.  L’utilisation de la preuve pourrait être perçue comme une tolérance judiciaire d’une conduite policière répréhensible, et faire en sorte que le processus judiciaire soit souillé par l’iniquité de la conduite antérieure des policiers.  Ou encore, il se peut que la preuve soit inéquitable en ce sens qu’elle n’est pas fiable, et qu’elle mène à un verdict erroné.  Cependant, le fait que l’accusé ait été forcé de participer à la production de la preuve ne constituera pas en soi une iniquité, étant donné que la protection contre l’auto‑incrimination est limitée à la preuve testimoniale.

 


62                      Quant à la deuxième catégorie des facteurs qui ont trait à la gravité de la violation, il se peut que le juge souhaite d’abord, dans le cas d’une violation de l’art. 8, évaluer la gravité de l’atteinte commise en fonction d’un barème, allant des atteintes physiques minimales aux atteintes physiques qui affectent gravement la vie privée et la dignité de la personne.  Les conditions dans lesquelles la fouille et la saisie sont effectuées peuvent aussi avoir une incidence sur la gravité de la violation, tout comme peuvent avoir une incidence la bonne foi ou le caractère flagrant de l’infraction, une situation d’urgence ou de nécessité et la possibilité de recourir à d’autres techniques d’enquête.

 

63                      En ce qui concerne la troisième catégorie des facteurs relatifs à l’incidence de l’exclusion de la preuve sur la considération dont jouit le système de justice, le juge peut vouloir tenir compte de la grande valeur probante de la preuve matérielle ainsi que de la gravité de l’infraction, et se demander si la preuve est essentielle pour justifier l’accusation.

 


64                      J’en arrive finalement à la présomption qui sous‑tend le point de vue selon lequel tout ce qui compromet l’équité du procès rend automatiquement le procès inéquitable.  Suivant la règle proposée d’exclusion automatique pour cause d’iniquité, tout élément de preuve qui est «attentatoire à l’équité du procès» ou qui aurait «porté atteinte à l’équité du procès», pour employer les termes de l’arrêt Burlingham, aux par. 29 et 31, suffit pour rendre le procès inéquitable.  En toute déférence, cette règle confond deux choses différentes:  les aspects inéquitables d’un procès et un procès fondamentalement inéquitable.  Comme je l’ai écrit dans l’arrêt R. c. Terry, [1996] 2 R.C.S. 207, l’accusé a droit à un procès fondamentalement équitable.  Cela ne signifie pas que le procès doit être parfait.  Même les meilleurs procès peuvent être inéquitables sous certains aspects.  Par contre, l’iniquité peut être grande au point de faire douter du caractère inattaquable du verdict.  Le cas échéant, on peut affirmer que le procès est fondamentalement inéquitable.  Toute la trame de nos règles qui régissent la preuve et le déroulement du procès est illuminée par un fil d’or:  ne pas déclarer coupable un innocent.  Si une personne raisonnable qui examine l’ensemble du procès conclut qu’il y a danger qu’un innocent ait été déclaré coupable, on peut alors affirmer que le procès est fondamentalement inéquitable.  Il n’y a rien de plus inéquitable qu’une déclaration de culpabilité fondée sur une preuve fragile.

 

65                      La méthode que je propose, comparativement à celle des juges majoritaires préserve la prise en considération des «circonstances» et la pondération des facteurs militant pour ou contre l’utilisation, que commande le par. 24(2).  Elle évite la règle d’exclusion automatique que les rédacteurs de la Charte  ont fui.  Et j’estime, en toute déférence, qu’elle s’attaque au problème de l’iniquité du procès d’une façon plus souple et plus utile que ne le ferait la méthode d’exclusion automatique préconisée par les juges majoritaires.  La méthode que ces derniers préconisent est, comme je l’ai souligné plus haut, un instrument inefficace qui ne fait aucune distinction entre divers degrés d’iniquité d’un procès.  Même une iniquité mineure doit nécessairement mener au rejet de la preuve.  En toute déférence, je crois que cela n’est pas souhaitable.  Le problème complexe de l’utilisation d’éléments de preuve en contravention de droits garantis par la Charte  doit être abordé d’une façon plus souple et nuancée, qui permette au juge de distinguer différents degrés d’iniquité et de les soupeser en fonction de facteurs atténuants.  Ainsi, le juge peut vraiment prendre la décision qui, dans les circonstances particulières de l’affaire, préservera le mieux la considération dont jouit le système de justice.

 


66                      Pour ces motifs, je rejetterais la façon d’aborder le par. 24(2) que les juges majoritaires proposent en l’espèce.  À mon avis, la Cour doit prendre en considération toutes les circonstances de l’affaire et soupeser, en fonction de celles-ci, l’incidence de l’utilisation de la preuve sur la considération dont jouit l’administration de la justice en fonction de l’incidence du rejet de cette preuve.  Les circonstances qui doivent être prises en considération sont celles que notre Cour a énumérées dans l’arrêt Collins.  On ne saurait dire, en droit, qu’un facteur est plus important que d’autres ou qu’un facteur supplante tous les autres et les rend superflus.  En particulier, il y a lieu de rejeter la double proposition suivant laquelle toute preuve obtenue en mobilisant l’accusé contre lui‑même, y compris une preuve matérielle, est inéquitable parce qu’elle oblige l’accusé à s’incriminer et que toute preuve qui compromet l’équité du procès doit être écartée automatiquement.  Le principe interdisant l’auto‑incrimination ne s’applique à la preuve matérielle que si elle dérive d’un témoignage forcé, et il y a différents degrés d’iniquité du procès.  Selon le degré d’iniquité et les circonstances atténuantes, le caractère équitable des conditions dans lesquelles la preuve a été obtenue peut entraîner ou non son rejet en vertu du par. 24(2).  Dans un cas extrême où l’iniquité jette un doute sur le caractère inattaquable du verdict, il est prévisible, si on applique le processus de pondération, que l’intérêt qu’il y a à utiliser la preuve ne l’emportera jamais sur le préjudice qui résulterait de son utilisation.  De même, on peut se permettre de prédire, pour reprendre les termes du juge Lamer dans l’arrêt Collins, qu’«[u]ne preuve matérielle obtenue d’une manière contraire à la Charte  sera rarement de ce seul fait une cause d’injustice» (p. 284).  Toutefois, ces prédictions générales ne changent rien à la règle primordiale selon laquelle le juge doit, dans chaque cas, examiner et soupeser toutes les circonstances pour décider de l’admissibilité d’une preuve obtenue en violation des garanties de la Charte .

 


67                      J’ajoute ceci.  La décision d’utiliser ou d’écarter une preuve aux termes du par. 24(2) exige essentiellement que l’on évalue toutes les circonstances pertinentes et qu’on soupèse celles qui militent en faveur de l’utilisation de la preuve en fonction de celles qui militent en faveur de son exclusion.  En fin de compte, le juge doit décider si, objectivement, laquelle de l’utilisation ou de l’exclusion fera plus de tort à la considération dont jouit l’administration de la justice.  En l’occurrence, notre Cour hésitera à modifier la décision des tribunaux d’instance inférieure lorsqu’il apparaîtra que tous les facteurs ont été pris en considération de façon appropriée:  Morris c. La Reine, [1983] 2 R.C.S. 190; R. c. B. (C.R.), [1990] 1 R.C.S. 717; R. c. Duguay, [1989] 1 R.C.S. 93.

 

B.   Les tribunaux du Nouveau‑Brunswick ont‑ils commis une erreur en décidant que la preuve pouvait être utilisée en vertu du par. 24(2)?

 

68                      Le juge du procès, dont la décision a été confirmée par la Cour d’appel, a statué que le prélèvement de cheveux et poils de l’appelant, les prélèvements dans sa bouche et la prise de ses empreintes dentaires, qui avaient été effectués en contravention de l’art. 8  de la Charte , pouvaient être utilisés en preuve en vertu du par. 24(2)  de la Charte .

 

69                       Il a d’abord exposé les critères énoncés dans Collins.  Appliquant l’arrêt Collins, il a fait remarquer que les échantillons de substances corporelles constituaient une preuve matérielle qui existait indépendamment de la violation de la Charte .  Il avait précédemment conclu que l’arrestation était légale, que les [traduction] «saisies effectuées à la suite de l’arrestation» correspondaient à différents degrés dans l’échelle de la gravité et qu’à un certain point dans cette échelle, un type particulier de saisie pouvait devenir répugnant.  Il a statué que, compte tenu de la légalité de l’arrestation, les fouilles effectuées par la police constituaient une atteinte aussi mineure que possible dans les circonstances.  Il a conclu que la police avait agi de bonne foi.  Il s’est demandé si l’accusé serait privé d’un procès équitable si la preuve recueillie était utilisée et a conclu que non.  Il s’est aussi demandé si l’utilisation des échantillons reviendrait à tolérer une conduite inacceptable en matière d’enquête, et a conclu que non.  Finalement, il s’est posé la dernière question qu’il devait se poser aux termes du par. 24(2):  l’exclusion de la preuve serait‑elle davantage susceptible de déconsidérer l’administration de la justice que son utilisation.  Il a conclu que la balance penchait en faveur de l’utilisation de la preuve.


70                      Le juge en chef Hoyt a statué, au nom de la Cour d’appel à la majorité, que le juge du procès avait bien pris en considération les circonstances avant de tirer sa conclusion aux termes du par. 24(2), et qu’il avait accordé toute l’importance nécessaire aux facteurs qui militaient en faveur de l’exclusion de la preuve.  Il a fait remarquer que, bien que l’appelant n’ait pas consenti à fournir des échantillons, la police les a prélevés dans des conditions qui constituaient une atteinte minimale à sa dignité.  Aucune force n’avait été utilisée et l’appelant n’avait opposé aucune résistance.  La lettre dans laquelle les avocats de l’appelant ont demandé à la police de ne prélever aucun échantillon n’était pas déterminante car on ne pouvait pas s’attendre à ce que la police restreigne une enquête en matière criminelle simplement parce qu’un avocat lui a demandé de le faire.  Les juges majoritaires ont conclu que le juge du procès n’avait commis aucune erreur dans son application de la loi et qu’il avait pris en considération tous les facteurs pertinents, et qu’ils ne devaient donc pas entreprendre leur propre analyse de ces facteurs.

 

71                      Je suis d’accord avec ces décisions.  Le juge du procès a examiné soigneusement tous les facteurs pertinents.  Il a appliqué le par. 24(2) de la façon recommandée dans l’arrêt Collins.  Notre Cour a statué qu’elle n’interviendrait pas si les tribunaux d’instance inférieure ont pris en considération de façon appropriée tous les facteurs pertinents pour prendre une décision en vertu du par. 24(2):  Morris, précité.  J’estime que c’est précisément ce qui a été fait en l’espèce.

 


72                      Cela dit, il peut être utile d’indiquer comment j’appliquerais aux faits de la présente affaire les facteurs qui ont été analysés antérieurement.  En ce qui concerne la première catégorie des facteurs analysés dans l’arrêt Collins, celle des facteurs relatifs à l’équité du procès, j’examinerais la question de la tolérance judiciaire d’une conduite policière répréhensible et celle de la fiabilité de la preuve.  Le juge du procès a expressément examiné ces facteurs et conclu que l’utilisation de la preuve ne préjudicierait pas au droit de l’appelant à un procès équitable.  La conduite des policiers, bien qu’elle ait violé les droits du suspect, n’était pas une inconduite grave au point de vicier le procès et de mériter que le tribunal les punisse par l’exclusion de la preuve.  La preuve était matérielle, elle existait indépendamment de la conduite des policiers et elle était fiable.

 

73                      Quant à la deuxième catégorie des facteurs relatifs à la gravité de la violation, j’examinerais la question de la gravité de l’atteinte à la vie privée et à la dignité de l’appelant et je me demanderais si la police a agi de bonne foi, s’il existait une situation d’urgence ou de nécessité, si d’autres techniques d’enquête auraient pu être utilisées et si la preuve aurait été obtenue en tout état de cause.  En ce qui concerne la gravité de l’atteinte à la vie privée et à la dignité de l’appelant, le juge du procès a conclu que l’atteinte portée par la police était [traduction] «aussi mineure que possible» et «n’était pas grave» (par. 53 et 54).  De même, la Cour d’appel à la majorité a statué que les échantillons avait été prélevés dans des conditions qui avaient porté atteinte de façon minimale à la dignité de l’appelant et elle a noté que l’appelant n’avait opposé aucune résistance.

 


74                      Il peut y avoir lieu de débattre la gravité de la violation des droits de l’appelant.  Même s’il se peut que la façon d’effectuer les prélèvements n’a pas gravement porté atteinte à la dignité de l’appelant, exiger d’une personne des prélèvements de poils sur des parties intimes de son corps et la procédure inconfortable de la prise d’empreintes dentaires est nettement plus envahissant et constitue une atteinte plus grave à la vie privée et à la dignité de la personne que les procédures qui se situent au bas de l’échelle, comme, par exemple, la prise des empreintes digitales ou de photos par la police.  Cela dit, le caractère envahissant de l’atteinte doit être apprécié dans le contexte d’autres facteurs ayant une incidence sur la gravité de la violation.  Le juge du procès a conclu que la violation n’était pas délibérée, volontaire ou flagrante, mais qu’elle avait été commise de bonne foi.  Il a insisté sur le fait que la police était en possession d’un rapport d’autopsie qui révélait la présence de liquide séminal et d’une morsure.  Ces deux conclusions préliminaires commandaient une enquête plus poussée et il était raisonnable qu’après avoir arrêté légalement l’appelant la police poursuive cette enquête en obtenant de lui des échantillons qui pourraient confirmer ou démentir sa participation.  La situation était grave.  Un crime terrible avait été commis.  Dans ces circonstances, il est généralement important de décider si la police doit poursuivre son enquête sur le suspect ou chercher d’autres suspects.  Il se peut aussi que l’on ait à examiner la possibilité que le véritable meurtrier soit encore en liberté et qu’il commette un autre crime.  La loi ne prescrivait, à l’époque, aucun moyen d’obtenir un mandat pour se procurer les échantillons.  Après avoir consulté le substitut du procureur général, la police a décidé d’aller de l’avant et l’a fait, d’après les conclusions exposées ci‑dessous, de la façon la moins envahissante possible.  Bien que la preuve des  empreintes génétiques aurait pu être obtenue ultérieurement, pourvu que l’appelant demeure dans le ressort, les policiers n’avaient aucune garantie que ces prélèvements seraient plus conformes à la loi que ceux qu’ils ont effectués et, de toute façon, retarder la saisie n’aurait pas résolu le dilemme devant lequel ils se trouvaient alors dans leur enquête.

 

75                      Quant à la troisième catégorie de facteurs de l’arrêt Collins, j’examinerais la gravité de l’infraction et la question de savoir si la preuve était essentielle pour justifier l’accusation.  L’infraction commise était extrêmement grave et il était très important pour le public que son auteur soit identifié et, en définitive, déclaré coupable.  La preuve des empreintes génétiques était essentielle à ces deux fins.

 


76                      En appréciant ce facteur, j’ajoute que j’ai à l’esprit l’argument voulant que les personnes accusées d’une infraction grave aient autant droit à la protection de la Charte  que celles accusées d’une infraction moindre.  Je suis également d’avis que la gravité de l’infraction devrait rarement, tout au plus, constituer la seule raison d’utiliser la preuve obtenue de mauvaise foi ou à la suite d’une grave violation des droits constitutionnels de l’accusé.  Cela dit, la gravité de l’infraction peut affecter la considération dont jouit l’administration de la justice, le critère fondamental d’utilisation de la preuve, aux termes du par. 24(2).  C’est pourquoi, comme on l’affirme dans l’arrêt Collins, elle constitue un facteur à prendre en considération.

 

77                      Compte tenu de l’ensemble de ces circonstances, je ne puis conclure que le juge du procès et les juges majoritaires de la Cour d’appel ont commis une erreur en concluant que l’exclusion de la preuve déconsidérerait davantage l’administration de la justice que son utilisation.

 

78                      Puisque j’ai conclu que la récupération du papier-mouchoir ne violait pas l’art. 8  de la Charte , je n’ai pas à examiner son admissibilité aux termes du par. 24(2).

 

III.  Conclusion

 

79                      Je rejetterais le pourvoi et confirmerais la déclaration de culpabilité.

 

Version française des motifs rendus par

 


131       Le juge Major -- Je suis d’accord avec les motifs du juge Cory qui écartent la preuve composée d’échantillons de cheveux et de poils, de prélèvements faits dans la bouche et d’empreintes dentaires, qui a été obtenue en mobilisant l’accusé contre lui-même.  En toute déférence cependant, je ne suis pas d’accord pour dire que le papier-mouchoir contenant l’échantillon de mucosités, retiré de la corbeille à papier après que l’appelant l’y eut jeté, a été obtenu en violation de l’art. 8  de la Charte canadienne des droits et libertés .

 

132       L’article 8 a pour effet de protéger l’attente raisonnable que le particulier a en matière de vie privée.  Voir Hunter c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145.  Dans les circonstances de la présente affaire, l’appelant n’avait aucune attente raisonnable en matière de vie privée relativement au papier-mouchoir qu’il a jeté.

 

133       L’appelant a été accompagné aux toilettes où, sous les yeux du policier qui le surveillait, il a volontairement et intentionnellement jeté le papier-mouchoir dans la corbeille à papier qui s’y trouvait.  Ce faisant, il a abandonné le papier-mouchoir et a perdu toute attente en matière de vie privée qu’il pouvait avoir à ce sujet.  Comparer l’arrêt R. c. Dyment, [1988] 2 R.C.S. 417, où le sang de l’accusé que la police avait obtenu, à l’hôpital, sans son consentement a été déclaré inadmissible, avec l’arrêt R. c. LeBlanc (1981), 64 C.C.C. (2d) 31 (C.A.N.‑B.), où le sang que l’accusé avait perdu sur le siège de son auto, sur les lieux d’un accident, a été déclaré admissible en preuve.  Dans le dernier cas, l’accusé avait moins le choix d’abandonner son sang que ne l’avait l’appelant d’abandonner le papier‑mouchoir.

 

134       Le juge Cory renvoie à l’absence de «consentement éclairé à la fouille» dont il est question dans R. c. Mellenthin, [1992] 3 R.C.S. 615, à la p. 624.  À mon avis, le consentement n’est pas en cause lorsque l’élément de preuve est abandonné, même quand l’accusé est sous garde.  Lorsqu’il n’y a aucune attente raisonnable en matière de vie privée, il n’y a ni fouille ni exigence de consentement éclairé.

 


135             Dans ses motifs, le juge Cory donne plusieurs exemples intéressants mais hypothétiques de circonstances dans lesquelles il peut y avoir violation de la Charte .  La question de savoir si l’application de l’art. 8 sera déclenchée par la cueillette d’échantillons d’ADN qui se trouve dans le sang, les matières fécales ou sur des ustensiles de table «abandonnés» par un accusé pendant qu’il est sous garde, est une question de fait qui doit être tranchée en l’espèce.  Il ne s’agit pas d’un cas où l’accusé n’avait d’autre choix que de se défaire de l’élément de preuve en cause.

 

136             S’il n’y a pas eu violation de la Charte  en ce qui concerne le papier-mouchoir, il est inutile d’entreprendre une analyse fondée sur le par. 24(2).  Je suis d’accord avec le juge Cory pour dire que la question cruciale concernant la classification de la preuve en vertu du par. 24(2) est de savoir si elle a été obtenue en mobilisant l’accusé contre lui-même.  En conséquence, j’estime que le renvoi à la preuve «matérielle» n’est pas nécessaire.  Si, à la suite d’une violation des droits que lui garantit la Charte , un accusé participe à la cueillette d’éléments de preuve qui seront utilisés contre lui, y compris la cueillette d’«éléments de preuve dérivée», cette preuve, si elle a été obtenue en mobilisant l’accusé contre lui-même, est susceptible de rendre le procès inéquitable, peu importe qu’elle puisse être qualifiée de matérielle ou non.

 

137             À l’exception de la réserve exprimée quant au papier‑mouchoir abandonné, je suis d’avis de statuer sur le pourvoi de la façon proposée par le juge Cory.

 

Pourvoi accueilli et nouveau procès ordonné, les juges L’Heureux‑Dubé, Gonthier et McLachlin  sont dissidents.

 

Procureurs de l’appelant:  Barry & O’Neil, Saint John.

 

Procureur de l’intimée:  Le ministère de la Justice, Fredericton.

 

Procureur de l’intervenant le procureur général du Canada:  George Thomson, Ottawa.

 


Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Ontario:  Le ministère du Procureur général, Toronto.

 

Procureur de l’intervenant le procureur général du Québec:  Le ministère de la Justice, Sainte‑Foy.

 

Procureur de l’intervenant le procureur général de la Nouvelle‑Écosse:  Le  ministère de la Justice, Halifax.

 

Procureur de l’intervenant le procureur général de la Colombie‑Britannique:  Le ministère du Procureur général, Vancouver.

 

Procureur de l’intervenant le procureur général de la Saskatchewan:  Le ministère de la Justice, Regina.

 

Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Alberta:  Le ministère de la Justice, Edmonton.

 

Procureurs de l’intervenante Law Union of Ontario:  Sack Goldblatt Mitchell, Toronto.

 

Procureur de l’intervenante l’Association canadienne des libertés civiles:  Kent Roach, Toronto.

 

Procureurs de l’intervenante Criminal Lawyers’ Association (Ontario):  Fasken Campbell Godfrey, Toronto.

 


Procureurs de l’intervenante l’Association québécoise des avocats et avocates de la défense:  Poupart & Cournoyer, Montréal.

 

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