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R. c. Skalbania, [1997] 3 R.C.S. 995

 

Nelson M. Skalbania                                                                         Appelant

 

c.

 

Sa Majesté la Reine                                                                          Intimée

 

et

 

Le procureur général du Canada,

le procureur général de l’Ontario,

le procureur général du Québec et

le procureur général de l’Alberta                                                      Intervenants

 

Répertorié:  R. c. Skalbania

 

No du greffe:  25539.

 

1997:  6 novembre.

 

Présents:  Le juge en chef Lamer et les juges L’Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier, Cory, McLachlin, Iacobucci, Major et Bastarache.

 

en appel de la cour d’appel de la colombie-britannique

 


Droit criminel ‑‑ Appels ‑‑ Questions de droit ‑‑ Appel soulevant la question de savoir quelle mens rea suffit pour établir la culpabilité quant à l’infraction de détournement de fonds détenus en vertu d’instructions ‑‑ Cour d’appel ayant compétence pour entendre l’appel vu que la question soulevée était une question de droit et non de fait.

 

Droit criminel ‑‑ Vol ‑‑ Détournement de fonds détenus en vertu d’instructions ‑‑ Mens rea ‑‑ Détournement intentionnel, et non par erreur, suffisant pour établir la mens rea requise pour commettre l’infraction ‑‑ Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, art. 332(1) .

 

Droit constitutionnel ‑‑ Charte des droits ‑‑ Justice fondamentale ‑‑ Appel contre un acquittement ‑‑ Code criminel  permettant à une cour d’appel de substituer un verdict de culpabilité à l’acquittement prononcé à la suite d’un procès devant un juge seul, mais non à la suite d’un procès devant un juge et un jury ‑‑ Disposition du Code criminel  ne violant pas l’art. 7  de la Charte canadienne des droits et libertés  ‑‑ Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, art. 686(4) b)(ii).

 

Droit criminel ‑‑ Détermination de la peine ‑‑ Peine de l’accusé déterminée par un nouveau juge vu que le juge du procès avait pris sa retraite avant l’arrêt de la Cour d’appel substituant une déclaration de culpabilité à l’acquittement de l’accusé ‑‑ Argument de l’accusé selon lequel il avait droit à la détermination de sa peine par le juge qui a présidé le procès -- Argument non fondé.

 

Jurisprudence

 

Arrêts mentionnés:  Lafrance c. La Reine, [1975] 2 R.C.S. 201; R. c. Williams, [1953] 1 Q.B. 660.

 


Lois et règlements cités

 

Charte canadienne des droits et libertés , art. 7 .

Code criminel , L.R.C. (1985), ch. C‑46 , art. 332(1) , 669.2  [aj. ch. 27 (1er suppl.), art. 137; mod. 1994, ch. 44, art. 65], 686(4)b)(ii) [abr. & rempl. ch. 27 (1er suppl.), art. 145].

 

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique (1996), 80 B.C.A.C. 56, 130 W.A.C. 56, 109 C.C.C. (3d) 515, 1 C.R. (5th) 286, [1996] B.C.J. No. 1906 (QL), qui a annulé l’acquittement de l’accusé relativement à une accusation de vol, et substitué une déclaration de culpabilité.  Pourvoi rejeté.

 

Leonard T. Doust, c.r., et Peter Leask, c.r., pour l’appelant.

 

Teresa R. Mitchell‑Banks, pour l’intimée.

 

Robert Frater et Chantal Proulx, pour l’intervenant le procureur général du Canada.

 

M. David Lepofsky, pour l’intervenant le procureur général de l’Ontario.

 

Jacques Gauvin, pour l’intervenant le procureur général du Québec.

 

Argumentation écrite seulement par Jack Watson, c.r., pour l’intervenant le procureur général de l’Alberta.

 

Version française du jugement de la Cour rendu oralement par

 


1                        Le juge McLachlin ‑‑ Nous sommes tous davis de rejeter lappel.

 

2                        Lappelant a soulevé quatre questions.

 

3                        La première question est de savoir si la Cour dappel avait compétence pour entendre lappel en lespèce.  Lappelant fait valoir que la conclusion du juge du procès selon laquelle il navait pas lintention (ou mens rea) requise pour commettre linfraction est une conclusion de fait.  Vu que les appels ne peuvent porter que sur une question de droit, il sensuit, selon lui, que son acquittement par le juge du procès ne peut pas faire lobjet dun appel.

 

4                        Cet argument échoue pour le motif que la question soulevée en Cour dappel (et devant notre Cour) était non pas une question de fait, mais une question de droit:  il sagissait de savoir quel élément moral ou mens rea suffit pour établir la culpabilité en vertu du par. 332(1)  du Code criminel , L.R.C. (1985), ch. C-46 .  La question est de savoir si le juge du procès a commis une erreur de droit en statuant que, pour prononcer une déclaration de culpabilité, il doit y avoir [traduction] «une intention de voler», et par conséquent, en acquittant lappelant.

 

5                        Il sensuit que la Cour dappel avait compétence pour entendre lappel.

 


6                        La deuxième question concerne la mens rea requise pour prononcer une déclaration de culpabilité en vertu du par. 332(1).  Nous sommes daccord avec le juge Rowles de la Cour dappel de la Colombie-Britannique pour dire quun détournement intentionnel, et non par erreur, est suffisant pour établir la mens rea requise en vertu du par. 332(1):  voir Lafrance c. La Reine, [1975] 2 R.C.S. 201; R. c. Williams, [1953] 1 Q.B. 660 (C.A.).  Le mot «frauduleusement» utilisé dans ce paragraphe ne connote rien de plus.  La malhonnêteté inhérente à linfraction réside dans laffectation intentionnelle, et non par erreur, de fonds à une fin irrégulière.

 

7                        Nous sommes également daccord avec le juge Rowles pour dire que les conclusions de fait du juge du procès établissent lexistence à la fois de lactus reus et de la mens rea de linfraction.  Lactus reus nest pas en cause. Quant à la mens rea, le juge du procès a conclu ceci:

 

[traduction] Je conclus que M. Skalbania était, à toute époque pertinente, l’âme dirigeante de Prime Realty Limited, à qui le chèque de M. Gooch a été versé.  Je conclus que M. Skalbania a, par lintermédiaire de Prime Realty, affecté largent de Gooch à une autre fin que celle prescrite par ce dernier.

 

Bref, le juge du procès a conclu que lappelant savait que largent appartenait à M. Gooch, que lappelant savait à quelle fin largent était censé être affecté, et que lappelant a sciemment, et non par erreur, affecté cet argent à dautres fins.

 

8                        Il sensuit que la Cour dappel na commis aucune erreur en statuant que lexistence des éléments nécessaires pour prononcer une déclaration de culpabilité avait été établie.

 

9                        La troisième question soulevée a trait à la constitutionnalité du sous-al. 686(4) b)(ii) du Code criminel , qui permet à une cour dappel de substituer un verdict de culpabilité à lacquittement prononcé à la suite dun procès devant un juge seul, mais non à la suite dun procès devant un juge et un jury.

 


10                      Lappelant soutient que le sous-al. 686(4)b)(ii) viole le droit, garanti par lart. 7  de la Charte canadienne des droits et libert é s , de n’être privé de liberté quen conformité avec les principes de justice fondamentale, et ce, pour deux raisons connexes:  (1) parce quil est arbitraire de permettre la substitution dun verdict de culpabilité dans les cas où le procès sest déroulé devant un juge seul, mais non dans ceux où il sest déroulé devant un juge et un jury, et (2), parce que cela est contraire au principe de justice fondamentale qui prescrirait la cohérence des procédures criminelles.

 

11                      À notre avis, la distinction contestée nest ni arbitraire ni incohérente et nentrave pas la garantie d’équité procédurale prévue à lart. 7.

 

12                      Il y a, entre le procès devant un juge seul et le procès devant un juge et un jury, une différence qui justifie les différentes procédures.  Les juges siégeant seuls exposent des motifs que lon peut examiner pour trouver des conclusions de fait ou des erreurs de droit.  Par contre, les jurys nexposent aucun motif.  Il est donc impossible de savoir si le jury a tiré les conclusions de fait nécessaires pour justifier une déclaration de culpabilité.  Pour cette raison, la Cour dappel ne saurait substituer une déclaration de culpabilité à lacquittement et un nouveau procès doit être tenu.

 

13                      Nous concluons que le sous-al. 686(4)b)(ii) ne viole pas lart. 7  de la Charte .

 

14                      La dernière question soulevée par lappelant est de savoir sil avait droit à la détermination de sa peine par le juge qui a présidé le procès.  Vu que ce juge avait pris sa retraite à l’époque de larrêt de la Cour dappel, la peine a été imposée par un nouveau juge.

 


15                      Selon nous, cet argument nest pas fondé.  Le sous-alinéa 686(4)b)(ii) prévoit que laffaire doit être renvoyée au «tribunal de première instance» et non pas au «juge de première instance».  Larticle 669.2 le confirme.  La constitutionnalité de ces dispositions na pas été contestée relativement à la question de savoir si un juge en particulier peut imposer une peine.  Tout autre système serait impossible à appliquer.  Nous soulignons, sans préjudice de toutes procédures en cours en matière de peine, que la transcription du procès était disponible et que laudience a duré trois jours.

 

16                      En conclusion, il nous est impossible daccepter lun ou lautre moyen dappel avancé par lappelant.  Nous sommes davis de rejeter lappel, de confirmer la déclaration de culpabilité et de répondre par la négative à la première question constitutionnelle*.

 

Jugement en conséquence.

 

Procureurs de l’appelant:  Leask, Daniells, Bahen, Vancouver.   

 

Procureur de l’intimée:  Le ministère du Procureur général, Vancouver.

 

Procureur de l’intervenant le procureur général du Canada:  Le ministère de la  Justice, Ottawa.

 

Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Ontario:  Le ministère du Procureur général, Toronto.

 


Procureur de l’intervenant le procureur général du Québec:  Le ministère de la Justice, Sainte‑Foy.


Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Alberta:  Jack Watson, Edmonton.

 

____________

*Note de l’arrêtiste

Voici le texte des questions constitutionnelles:

 

1.                Est-ce que le sous-al. 686(4) b)(ii) du Code criminel  du Canada  est imcompatible avec l’art. 7  de la Charte canadienne des droits et libertés  du fait qu’il prévoit arbitrairement:

 

.      que, dans le cas d’un verdict rendu par un juge et un jury, la cour d’appel ne peut pas remplacer un acquittement par une déclaration de culpabilité;

 

.      mais que, dans le cas d’un verdict rendu par un juge seul, la cour d’appel peut remplacer un acquittement par une déclaration de culpabilité?

 

2.                Si la réponse à la question 1 est «oui», est-ce qu’il s’agit d’une limitation raisonnable et justifiée au sens de l’article premier de la Charte canadienne des droits et libertés ?

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