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Nouveau‑Brunswick (Ministre de la Santé et des Services communautaires) c. L. (M.), [1998] 2 R.C.S. 534

 

Le ministre de la Santé et des Services communautaires               Appelant

 

c.

 

M.L. et R.L.                                                                                       Intimés

 

et

 

L’avocate des enfants Intervenante

 

Répertorié:  Nouveau‑Brunswick (Ministre de la Santé et des Services communautaires) c. L. (M.) 

 

No du greffe:  26321.

 

Audition et jugement:  23 juin 1998.

 

Motifs déposés:  1er octobre 1998.

 

Présents:  Les juges L’Heureux‑Dubé, Gonthier, Cory, McLachlin, Iacobucci, Major et Binnie.

 

en appel de la cour d’appel du nouveau‑brunswick

 


Droit de la famille ‑‑ Tutelle ‑‑ Droit de visite ‑‑ Enfants ayant besoin de protection ‑‑ Ordonnance de tutelle permanente en faveur du ministre de la Santé et des Services communautaires ‑‑ Peut‑on greffer à une ordonnance de tutelle permanente une ordonnance d’accès en faveur des parents naturels? ‑‑ La Cour d’appel a‑t‑elle erré en intervenant dans la décision du juge de première instance de refuser aux parents naturels l’accès aux enfants?

 


En 1995, les trois fillettes des intimés sont placées dans une famille d’accueil.  Elles font ensuite l’objet de plusieurs ordonnances visant leur protection ainsi que de tentatives de maintien des liens familiaux.  Le ministre de la Santé et des Services communautaires demande une ordonnance de tutelle permanente en 1997. Le juge de première instance accueille cette demande.  Les 16 années de vie commune des intimés ont été marquées de nombreuses ruptures et réconciliations.  Le juge note que le père éprouve de graves problèmes de dépendance, qu’il n’assume pas ses responsabilités vis‑à‑vis des enfants et qu’il s’absente continuellement. Il constate également que la mère, dont les facultés intellectuelles sont limitées, a des problèmes d’anxiété et de dépression et qu’elle souffre de troubles de comportement.  Le juge estime que ses habiletés parentales ne peuvent s’améliorer de façon significative car la charge même des enfants représente pour elle une source de grande anxiété. Elle avoue avoir frappé les enfants et elle désire que le Ministre en prenne soin car elle s’en sent incapable.  La dernière tentative de retour des enfants chez les intimés a été un échec.  Le juge indique que la preuve ne laisse aucun doute que les enfants ne peuvent obtenir des intimés la motivation et les soins appropriés.  L’habileté parentale des intimés ne répond pas aux besoins des enfants.  La santé mentale, affective et physique des enfants serait menacée si elles étaient retournées auprès des intimés.  La preuve démontre également que les enfants ont développé des liens affectifs avec leur famille d’accueil au sein de laquelle elles font des progrès et sont heureuses. S’appuyant sur la définition de «l’intérêt supérieur de l’enfant» édictée à l’art. 1 de la Loi sur les services à la famille, le juge conclut que l’ordonnance de tutelle permanente est dans le meilleur intérêt des enfants.  Dans un second jugement rendu quelques semaines plus tard, le juge interdit aux intimés tout contact avec les enfants.  Il indique que cette ordonnance est rendue dans l’intérêt supérieur des enfants puisque la preuve établit que les tentatives des intimés d’entrer en contact avec les fillettes perturbent grandement leur sécurité et leur stabilité.  La Cour d’appel confirme l’ordonnance de tutelle permanente mais infirme l’ordonnance interdisant l’accès et ordonne au Ministre de soumettre à l’approbation du juge de première instance un plan relatif à l’exercice du droit de visite des intimés.  La cour est d’avis que rien au dossier ne justifie l’abrogation totale du droit de visite des intimés.

 

Arrêt:  Le pourvoi est accueilli.

 


En vertu de la Loi sur les services à la famille, la Cour d’appel, comme le juge de première instance, était compétente pour greffer une ordonnance d’accès à une ordonnance de tutelle permanente.  La Loi prévoit la modification de l’ordonnance de tutelle à la demande du Ministre (par. 60(2)) ou des parents (par. 60(3) et 61(1)), ainsi que la possibilité de rendre toute ordonnance que la cour juge alors opportune compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant (par. 60(6)).  Puisque le droit de visite peut faire l’objet d’un examen au moment de la révision de l’ordonnance de tutelle, a fortiori, une cour doit pouvoir considérer l’octroi d’un droit de visite au moment où l’ordonnance initiale est rendue.  L’article 85(2) de la Loi, qui traite de l’accès au stade de l’adoption, confirme l’interprétation de la compétence initiale des tribunaux en matière d’accès.  Si la cour détient le pouvoir de «maintenir» un droit de visite après l’adoption, mesure encore plus drastique et définitive que la tutelle permanente, il serait illogique qu’elle n’ait pas le pouvoir d’accorder un droit de visite lors de l’ordonnance initiale de tutelle permanente. Enfin, le législateur a conféré aux tribunaux la compétence pour se prononcer sur les droits de visite car il leur impose de «placer l’intérêt supérieur de l’enfant au‑dessus de toute autre considération» (par. 53(2)).  Refuser aux tribunaux la possibilité de se prononcer sur le bien‑fondé d’une ordonnance d’accès pourrait les empêcher d’exécuter leur devoir d’agir dans le meilleur intérêt de l’enfant.

 

Il n’existe pas d’incompatibilité de principe entre la délivrance d’une ordonnance de tutelle permanente et d’une ordonnance d’accès. S’il est exact que la tutelle permanente est généralement un prélude à l’adoption, cela n’est pas toujours le cas.  Même en cas d’adoption, il peut être dans le meilleur intérêt de l’enfant qu’il garde contact avec sa famille naturelle. Cependant, si l’adoption est plus importante que l’accès pour le bien‑être de l’enfant et qu’elle serait mise en péril par l’exercice d’un droit de visite, celui‑ci ne devrait pas être accordé.  L’accès constitue l’exception et non la règle dans le contexte d’une ordonnance de tutelle permanente. Bien que le maintien des liens affectifs constitue l’un des éléments de la définition de l’intérêt supérieur de l’enfant (al. 1d)), il ne joue en faveur de l’attribution d’un droit d’accès que si celui‑ci est dans le meilleur intérêt de l’enfant compte tenu de tous les autres facteurs. La décision d’accorder ou non un droit d’accès est un exercice délicat qui exige du juge qu’il apprécie les divers éléments constitutifs de l’intérêt supérieur de l’enfant.  Il lui appartient de déterminer ses intérêts et besoins prioritaires. Un droit d’accès ne devrait pas être accordé si son exercice a des effets négatifs sur la santé physique ou psychologique de l’enfant.

 


En l’espèce, la Cour d’appel a erré en jugeant que «rien» ne justifiait la décision du juge de première instance de refuser l’accès.  Bien que dans cette décision il n’énonce qu’une raison de principe et qu’il ne fasse pas état de comportements précis des intimés qui ont troublé les enfants, le juge de première instance renvoit à la preuve dont il a été saisi et son premier jugement contient tous les détails nécessaires. Son refus d’autoriser l’accès repose sur des motifs valables. Aucune erreur manifeste d’appréciation des faits n’a été soulevée.  La preuve révèle de sérieuses défaillances de conduite chez les parents.  Le père s’est montré manipulateur et incapable de contrôler ses émotions. La mère, stressée et déprimée, n’a pas eu la force d’assumer l’épreuve des visites. La preuve démontre notamment que la plupart des visites, par ailleurs très courtes, ont troublé et peiné les enfants.  Le maintien du lien affectif avec les parents n’était donc pas compatible avec la stabilité psychologique des fillettes.  De plus, la preuve indique qu’une ordonnance d’accès pouvait mettre en péril l’adoption, par ailleurs souhaitable, des enfants par la famille d’accueil.

 

Jurisprudence

 


Arrêts mentionnés:  Re M.A.G. (1986), 73 R.N.‑B. (2e) 443; Re H.I.R. (1984), 37 R.F.L. (2d) 337; Children’s Aid Society of Winnipeg c. N. (1979), 9 R.F.L. (2d) 326; Adams c. McLeod, [1978] 2 R.C.S. 621; Nouveau‑Brunswick (Ministre de la Santé et des Services communautaires) c. C. (G.C.), [1988] 1 R.C.S. 1073; T. (A.H.) c. P. (E.J.) (1994), 4 R.F.L. (4th) 241; Turgeon c. Walker, [1996] B.C.J. No. 2316 (QL); Dombovary c. Dombovary (1997), 87 B.C.A.C. 318; Catholic Children’s Aid Society of Metropolitan Toronto c. M. (C.), [1994] 2 R.C.S. 165; New Brunswick (Minister of Health and Community Services) c. Jackson (1991), 121 R.N.‑B. (2e) 434; New Brunswick (Minister of Health and Community Services) c. K. (B.), [1990] N.B.J. No. 1141 (QL); Nouveau‑Brunswick (Ministre de la Santé et des Services communautaires) c. L.L., [1997] A.N.‑B. no 417 (QL); Nouveau‑Brunswick (Ministre de la Santé et des Services communautaires) c. L.L. (1990), 109 R.N.‑B. (2e) 202; Nova Scotia (Minister of Community Services) c. S. (S.M.) (1992), 41 R.F.L. (3d) 321; Nova Scotia (Minister of Community Services) c. K.M.S. (1995), 141 N.S.R. (2d) 288; Superintendent of Family and Child Service c. D.S. (1985), 46 R.F.L. (2d) 225; King c. Low, [1985] 1 R.C.S. 87; Young c. Young, [1993] 4 R.C.S. 3; New Brunswick (Minister of Health and Community Services) c. S.G. (1997), 193 R.N.‑B. (2e) 274; New Brunswick (Minister of Health and Community Services) c. B.D. (1994), 145 R.N.‑B. (2e) 14; New Brunswick (Minister of Health and Community Services) c. R.N. (1997), 194 R.N.‑B. (2e) 204; Re S.G.N., [1994] A.J. No. 946 (QL); New Brunswick (Minister of Health and Community Services) c. D. (K.), [1991] N.B.J. No. 222 (QL); Children’s Aid Society of the District of Thunder Bay c. T.T., [1992] O.J. No. 2975 (QL); Children’s Aid Society of the Durham Region v. W. (C.), [1991] O.J. No. 552 (QL); Nova Scotia (Minister of Community Services) c. D.L.C. (1995), 138 N.S.R. (2d) 241; New Brunswick (Minister of Health and Community Services) c. D.T.P., [1995] N.B.J. No. 576 (QL); New Brunswick (Minister of Health and Community Services) c. K.E.B. (1991), 117 R.N.‑B. (2e) 229; New Brunswick (Minister of Health and Community Services) c. P.P. (1990), 117 R.N.‑B. (2e) 222; New Brunswick (Minister of Health and Community Services) c. R.P.S., [1993] N.B.J. No. 96 (QL); Director of Child Welfare (Alta.) c. A.C. (1991), 121 A.R. 301; Alberta (Director of Child Welfare) c. L.L.O., [1996] A.J. No. 660 (QL).

 

Lois et règlements cités

 

Children and Family Services Act, S.N.S. 1990, ch. 5, art. 47(2).

 

Loi sur les services à l’enfance et à la famille, L.R.O. 1990, ch. C.11, art. 59(2).

 

Loi sur les services à la famille, L.N.‑B. 1980, ch. F‑2.2 [mod. 1983, ch. 16, art. 1], art. 1 «intérêt supérieur de l’enfant» [mod. 1996, ch. 13, art. 1], 2, 6(1), 13, 43 «entente de tutelle», «ordonnance de tutelle», 44(2.1) [aj. 1990, ch. 25, art. 9], 45(3), 48(1), 52(1), 53(1), 53(2), 55(4), 56 [mod. 1992, ch. 33, art. 3], 58(1), 58(2) [abr. & rempl. 1990, ch. 25, art. 12], 58(3), 59(1), 59(4), 60(2), 60(3) [idem, art. 13], 60(6) [mod. 1988, ch. 13, art. 4], 61(1) [abr. & rempl. 1990, ch. 25, art. 14], 61(4) [idem], 85(2).

 


POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Nouveau‑Brunswick (1997), 197 R.N.‑B. (2e) 113, 504 A.P.R. 113, [1997] A.N.‑B. no 372 (QL), qui a accueilli en partie l’appel des intimés à l’encontre d’un jugement du juge Boisvert (1997), 197 R.N.‑B. (2e) 60, 504 A.P.R. 60, [1997] A.N.‑B. no 133 (QL), qui avait accordé à l’appelant la tutelle des enfants des intimés.  Pourvoi accueilli.

 

Mary Elizabeth Beaton et Rita Godin, pour l’appelant.

 

Terrence P. Lenihan, pour l’intimée M.L.

 

Peter J. C. White, pour l’intimé R.L.

 

Sylvia Mendes‑Roux, pour l’intervenante.

 

//Le juge Gonthier//

 

Le jugement de la Cour a été rendu par

 

1                                   Le juge Gonthier -- Lors de l’audition de cette affaire, la Cour a accueilli l’appel séance tenante avec motifs à suivre que voici.

 

2                                   Le débat porte, en matière de protection de l’enfance, sur la compétence de la Cour d’appel dans la présente instance, et des tribunaux en général, de greffer une ordonnance d’accès en faveur des parents à une ordonnance de tutelle permanente en faveur du ministre de la Santé et des Services communautaires (ci-après le «Ministre»).  Le bien-fondé de l’intervention de la Cour d’appel, vu les faits de l’espèce, est également mis en cause.

 


I.  Faits et procédures

 

3                    Le jugement de première instance, que je résume plus loin, fait état des faits qui, pour l’essentiel, ne sont pas contestés.  Le 19 mai 1995, les deux filles des intimés, L.A. et L.L., des jumelles nées le 6 avril 1991, alors âgées de 4 ans, sont placées sous régime de protection.  Le 1er juin 1995, N.L., leur s{oe}ur aînée née le 3 janvier 1988, alors âgée de 7 ans, est également placée sous régime de protection.  Les trois enfants sont placées dans une même famille d’accueil.  Au cours des deux années qui suivent, elles font l’objet de plusieurs ordonnances visant leur protection ainsi que de tentatives de maintien des liens familiaux qui peuvent être résumées comme suit:

 

- 29 juin 1995:  ordonnance de garde intérimaire en faveur du Ministre et ordonnance d’interdiction d’accès par le père lors des visites des enfants chez leur mère pour cause de harcèlement;

 

- 1er septembre 1995:  ordonnance de protection annulée car les parents ont repris la vie commune;

 

- 11 septembre 1995 au 22 mars 1996:  diverses ordonnances de garde en faveur du Ministre;

 

- 22 mars 1996:  requête du Ministre en tutelle des trois enfants.  Procureur nommé aux enfants;

 

- 4 juillet 1996:  ordonnance accordant un droit de visite aux parents (de consentement);


- Été 1996:  tentative de retour progressif des enfants chez leurs parents;

 

- 5 septembre 1996:  consentement du Ministre à une ordonnance de surveillance.  Dernière chance accordée aux parents.  Les enfants retournent vivre chez eux.  Relève assurée par la famille d’accueil pour certaines fins de semaines;

 

- 14 novembre 1996:  retour des enfants dans la famille d’accueil à la demande de leur mère qui a peur de les frapper et dont la santé mentale s’est détériorée.  Le père, qui a recommencé à consommer de la drogue, est agressif et violent;

 

- 20 novembre 1996:  requête du Ministre pour obtenir la tutelle permanente;

 

- 25 novembre 1996:  interdiction par le Ministre de tout contact avec les enfants qu’il n’a pas préalablement autorisé (art. 13 de la Loi sur les services à la famille, L.N.-B. 1980, ch. F-2.2 (ci-après la «Loi»)).  Visites supervisées d’une heure toutes les deux semaines au cours desquelles le père ne peut contrôler ses émotions.  Les fillettes sont tristes, troublées, préoccupées et elles appréhendent les visites;

 

- 2 décembre 1996:  ordonnance de garde intérimaire des enfants.  Question de l’accès laissée à la discrétion du Ministre;

 

- 30 janvier 1997:  interdiction par le Ministre de tout contact jusqu’au procès. Raisons:  non-respect des consignes antérieures, fillettes affectées de façon négative par les visites;

 


- 24 au 28 février et 3 mars 1997:  audition sur la tutelle permanente;

 

- 20 mars 1997:  ordonnance de tutelle permanente des trois enfants en faveur du Ministre rendue par le juge Boisvert.  Jugement porté en appel par les parents qui continuent de chercher à contacter leurs enfants en se rendant à quelques reprises à l’école de l’aînée et en publiant un article dans le journal local.  L’aînée est troublée;

 

- 8 mai 1997:  émission d’une ordonnance par le juge Boisvert interdisant aux parents tout contact avec les enfants à la demande du Ministre en vertu du par. 60(2) de la Loi;

 

- 22 septembre 1997:  appel accueilli en partie.  L’ordonnance de tutelle permanente est maintenue mais le Ministre doit préparer un plan relatif à l’exercice du droit de visite; 

 

- 9 janvier 1998:  permission d’en appeler du jugement de la Cour d’appel accordés;

 

- 13 février 1998:  audition sur l’approbation du plan relatif à l’exercice du droit de visite reportée de 60 jours par le juge Deschênes;

 

- 16 mars 1998:  requête en vue de surseoir à l’exécution du jugement de la Cour d’appel accueillie par cette Cour.

 

II.  Dispositions législatives pertinentes


4                    Loi sur les services à la famille, L.N.-B. 1980, ch. F-2.2

 

1  Dans la présente loi

 

                                                                   . . .

 

«intérêt supérieur de l’enfant» désigne l’intérêt supérieur de l’enfant dans les circonstances, compte tenu

 

a)  de l’état de santé mentale, affective et physique de l’enfant et du besoin qu’il a de soins ou de traitements convenables, ou des deux;

 

b)  des vues et préférences de l’enfant lorsqu’il est raisonnablement possible de les connaître;

 

c)  de l’effet sur l’enfant de toute atteinte à la stabilité dont un enfant éprouve le besoin;

 

d)  de l’amour, de l’affection et des liens qui existent entre l’enfant et chaque personne à la garde de qui il a été confié, chaque personne qui a obtenu le droit de lui rendre visite et, le cas échéant, chaque frère ou s{oe}ur de l’enfant et, le cas échéant, chaque grand-parent de l’enfant;

 

e)  des avantages de tout projet de prise en charge de l’enfant par le Ministre comparés à l’avantage pour l’enfant de retourner ou de rester auprès de ses parents;

 

f)  du besoin pour l’enfant d’être en sécurité, dans un milieu qui lui permette de réaliser pleinement son potentiel, selon ses aptitudes personnelles et, ce faisant, de devenir membre utile et productif de la société; et

 

g)  du patrimoine culturel et religieux de l’enfant;

 

                                                                   . . .

 

13  Lorsqu’il estime que c’est dans l’intérêt supérieur de l’enfant, le Ministre peut interdire par écrit à quiconque de rendre visite, d’écrire, ou de téléphoner à un enfant pris en charge, à son parent ou parent nourricier ou de communiquer par tout autre moyen avec eux; commet une infraction toute personne qui, avisée d’une interdiction faite par écrit en application du présent article, y passe outre ou contrecarre de toute autre façon un enfant pris en charge, sans le consentement du Ministre.

 

43  Dans la présente Partie

 

                                                                   . . .

 


«entente de tutelle» désigne une entente conclue entre le parent et le Ministre en application de l’alinéa 44(1)b) et en vertu de laquelle le parent transfère à titre permanent au Ministre la tutelle de l’enfant, y compris sa garde, sa charge et sa direction et tous les droits et toutes les responsabilités de parent à l’égard de l’enfant;

 

                                                                    ...

 

«ordonnance de tutelle» désigne une ordonnance rendue en application de l’article 56 et en vertu de laquelle la tutelle de l’enfant, y compris sa garde, sa charge et sa direction et tous les droits et responsabilités de parent à l’égard de l’enfant, est transférée au Ministre;

 

44(2.1)  Le Ministre ne doit pas conclure une entente de tutelle à moins

 

a)  qu’il n’ait en vue de placer l’enfant pour adoption . . .

 

45(3)  Lorsque l’enfant est pris en charge en vertu d’une entente de tutelle, le Ministre

 

a)  pourvoit aux besoins physiques et matériels, affectifs, religieux, éducationnels, sociaux et culturels de l’enfant ainsi qu’à ses besoins en matière de loisirs;

 

b)  pourvoit au soutien de l’enfant; et

 

c)  prend en considération les v{oe}ux que l’enfant exprime à l’égard de tout placement ou projet que recommande le Ministre;

 

et le Ministre dispose des pleins droits parentaux et exerce les pleines responsabilités parentales à l’égard de l’enfant.

 

52(1)  La cour a compétence pour entendre toute demande faite en application de la présente Partie et pour statuer à cet égard.

 

53(1)  Par dérogation à toute entente ou ordonnance en vigueur, la cour, saisie d’une question en vertu d’une demande faite en application de la présente Partie, peut

 

a)  rendre une ordonnance en application de l’article 54, 55, 56, 57 ou 58;

 

b)  ordonner que cette ordonnance soit modifiée, prorogée ou qu’il y soit mis fin ainsi que l’article 60 l’y autorise;

 

c)  rejeter la demande si la cour est convaincue qu’il n’y a pas de motifs suffisants pour rendre une ordonnance; ou

 

d)  sous réserve du paragraphe (3), ajourner l’audience de temps à autre.

 

53(2)  Lorsqu’elle statue sur une demande en application de la présente Partie, la cour doit à tout moment placer l’intérêt supérieur de l’enfant au-dessus de toute autre considération.

 


56(1)  La cour peut rendre une ordonnance de tutelle en vertu de laquelle un parent transfère à titre permanent au Ministre la tutelle d’un enfant, y compris sa garde, sa charge et sa direction et tous les droits et toutes les responsabilités de parent à l’égard de l’enfant.

 

56(2)  Lorsqu’un enfant est pris en charge en vertu d’une ordonnance de tutelle, le Ministre doit s’acquitter à son égard des obligations énoncées au paragraphe 45(3).

 

56(3)  Le Ministre peut, ainsi qu’il le juge bon, renvoyer périodiquement à son ancien parent un enfant pris en charge en vertu d’une ordonnance de tutelle, mais une telle mesure ne doit pas être interprétée comme une renonciation du Ministre aux droits et obligations que l’ordonnance lui confère à l’égard de la garde, la charge et la direction de l’enfant.

 

56(4)  Une ordonnance de tutelle reste en vigueur jusqu’à ce que l’enfant

 

a)  soit adopté,

 

b)  se marie, ou

 

c)  devienne majeur,

 

ou jusqu’à ce qu’une ordonnance soit rendue en application du paragraphe 60(6).

 

58(1)  La cour peut rendre une ordonnance d’intervention protectrice visant quiconque constitue, à son avis, une menace pour la sécurité et le développement de l’enfant.

 

58(2)  Une ordonnance d’intervention protectrice peut contenir toute disposition que la cour estime être dans l’intérêt supérieur de l’enfant, y compris un ordre donné à la personne désignée dans l’ordonnance de faire une ou les deux choses suivantes:

 

a)  de cesser de résider dans les locaux où réside l’enfant,

 

b)  de s’abstenir de communiquer avec l’enfant ou de le fréquenter.

 

58(3)  Une ordonnance d’intervention protectrice peut être rendue de concert avec toute autre ordonnance que la cour peut rendre en application de la présente Partie.

 

59(1)  Il peut être interjeté appel de toute ordonnance ou décision rendue en application de la présente Partie devant la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick dans les trente jours de l’ordonnance ou de la décision.

 

59(4)  En appel, la cour peut

 

a)  confirmer l’ordonnance, avec ou sans modification;

 

b)  mettre fin à l’ordonnance; ou

 


c)  renvoyer l’ordonnance, avec directives, à la cour inférieure; ou

 

d)  rendre tout jugement ou toute ordonnance que la cour inférieure, à son avis, aurait dû rendre.

 

60(2)  Le Ministre, après en avoir donné avis comme indiqué à l’article 52, peut demander à la cour, en la forme prescrite par règlement, de modifier ou proroger une ordonnance rendue en application des articles 54 à 58 ou d’y mettre fin, ou de rendre une autre ordonnance en remplacement ou en supplément d’une ordonnance en vigueur.

 

60(6)  Après audition d’une demande, la cour peut rendre toute ordonnance autorisée par la présente Partie qu’elle estime opportune si elle est convaincue que c’est dans l’intérêt supérieur de l’enfant.

 

61(1)  Lorsqu’un enfant est pris en charge en vertu d’une ordonnance de tutelle ou d’une entente de tutelle et qu’au moins six mois se sont écoulés depuis l’ordonnance ou l’entente ou depuis une révision antérieure de l’ordonnance ou de l’entente, l’enfant ou son ancien parent peut faire une demande à la cour, selon la formule prescrite, afin de faire modifier l’ordonnance ou l’entente ou d’y mettre fin.

 

85(2)  Sauf lorsqu’une personne adopte l’enfant de son conjoint, l’ordonnance d’adoption, à compter de la date à laquelle elle est rendue,

 

a)  rompt le lien qui unissait l’enfant à son parent naturel, à son tuteur ou à toute personne qui avait la garde de l’enfant en leur enlevant tous leurs droits parentaux à l’égard de celui-ci, y compris tout droit de visite qui n’est pas maintenu par la cour et en les libérant de toute responsabilité parentale relativement au soutien de l’enfant;

 

b)  libère l’enfant de toutes les obligations, y compris de soutien, qu’il peut avoir envers son parent naturel ou toute autre personne qui avait la garde de l’enfant; et

 

c)  retire à l’enfant le droit d’hériter de son parent naturel ou de ses proches parents, sauf si l’ordonnance maintient spécifiquement ce droit conformément aux v{oe}ux formels du parent naturel,

 

mais elle ne met pas fin ni ne porte atteinte aux droits que l’enfant tient de son héritage culturel, y compris les droits aborigènes.

 

 

III.  Jugements antérieurs

 


1.  Cour du Banc de la Reine, Division de la famille, [1997] A.N.-B. no 133 (QL)

 

5                    Le 20 mars 1997, le juge Boisvert, en application de l’art. 56 de la Loi, rend une ordonnance de tutelle permanente des trois enfants des intimés.  Ceux-ci font alors vie commune depuis 16 ans.  Ils sont tous deux prestataires d’assistance sociale et leur vie conjugale est qualifiée de «dysfonctionnelle» par le juge Boisvert car elle a été marquée de nombreuses ruptures et réconciliations (par. 10).

 

6                    Lors du prononcé de l’ordonnance de tutelle permanente, R.L. est âgé de 33 ans.  Il n’a fréquenté que l’école primaire.  Son dossier criminel fait état de condamnations pour vol.  Il a commencé à prendre de la drogue à l’âge de 14 ans et éprouve de graves problèmes de dépendance.  Le juge Boisvert souligne que R.L. a tendance à nier l’évidence, à blâmer les autres et à minimiser l’importance de ses problèmes de drogue et de vie conjugale.  Il hésite à croire R.L. qui prétend ne plus consommer de drogue lors du procès et décide de retenir la possibilité d’une rechute.

 

7                    M.L. a 36 ans lors du procès.  Elle ne peut ni lire ni écrire.  Ses facultés intellectuelles sont limitées et elle doit être suivie par des médecins pour des problèmes d’anxiété et de dépression.  Elle souffre de troubles de comportement et d’impulsion.  Le juge Boisvert estime que ses habiletés parentales ne peuvent s’améliorer de façon significative car la charge même des enfants représente pour elle une source de grande anxiété.

 

8                    Il conclut que l’ordonnance de tutelle est dans le meilleur intérêt des enfants car les promesses et les bonnes intentions des intimés ne suffisent pas (aux par. 25 et 26):

 


Le ministre a raison de dire que tout va bien chez les intimés aussi longtemps que les enfants ne sont pas avec eux et que les problèmes recommencent dès leur retour.

 

Les problèmes de dépendance de [R.L.] et tous les malaises d’ordre psychique chez son épouse sont une véritable cause d’insécurité chez les enfants.  Les faits démontrent clairement que la preuve de réhabilitation des intimés est insuffisante pour justifier le risque de mettre les enfants sous leur garde et interrompre du même coup leur stabilité.  [Je souligne.]

 

 

9                    Reprenant les prétentions du Ministre, le juge Boisvert constate que R.L. n’assume pas ses responsabilités vis-à-vis des enfants et qu’il s’absente de façon continuelle.  M.L. se sent généralement épuisée et en perte de contrôle.  Elle avoue avoir frappé les enfants à quelques reprises.  Elle désire que le Ministre prenne soin des enfants car elle s’en sent incapable.  Les intimés exposent continuellement les enfants à leurs disputes conjugales.  La tentative de retour des enfants chez eux fut un échec.  Par contre, les fillettes font des progrès au sein de leur famille d’accueil.

 

10                S’appuyant sur la définition de l’intérêt supérieur de l’enfant édictée à l’art. 1 de la Loi, le juge Boisvert expose ses conclusions de la façon suivante (au par. 41):

 

a)  La preuve ne laisse aucun doute que les enfants ne peuvent obtenir de leurs parents biologiques la motivation et les soins appropriés.  L’habileté parentale des intimés ne répond pas aux besoins des enfants.  Les intimés n’ont pas démontré qu’ils sont en mesure d’assurer aux enfants la sécurité, la stabilité et les soins dont elles ont besoin.  La santé mentale, affective et physique des enfants serait menacée si elles étaient retournées auprès des intimés.

 

b)  Les vues et préférences des enfants:  la preuve démontre que les enfants sont heureuses dans leur foyer d’accueil.  Les enfants sont jeunes:  j’estime que l’opinion de leur avocate est importante dans la détermination de la matière.  En fait, Me Roux est le porte-parole des enfants.  Nécessairement, son rôle principal est de protéger leurs intérêts.  L’avocate des enfants appuie le ministre dans sa demande pour une ordonnance de tutelle.

 


c)  Compte tenu des plans du ministre, les liens d’affection entre les enfants ne sont pas menacés.  Les enfants ont développé des liens affectifs avec leur famille d’accueil.  On ne peut nier que les enfants connaissent leurs parents biologiques, mais il serait illogique de retourner les enfants aux intimés pour le seul motif qu’elles vont probablement ressentir, pour quelque temps du moins, une certaine inquiétude en raison du bris des liens avec les intimés.

 

d)  Compte tenu des antécédents, aucune autre intervention ne pourrait être de quelque utilité pour les intimés.  Ils sont incapables, à mon avis, de prendre avantage de l’aide offerte par le requérant.

 

e)  De tout point de repère, les plans du ministre sont supérieurs à ceux des intimés.

 

f)  J’estime que le milieu familial ne peut garantir la sécurité dont chaque enfant a droit.  Dans leur famille, elles ne peuvent réaliser pleinement leur potentiel.

 

g)  Compte tenu des séparations et difficultés de couple, des carences psychiques de l’intimée, de son incapacité de s’occuper adéquatement de ses enfants, des problèmes de drogue de l’intimé, le milieu familial ne peut que nuire au développement des enfants.  Un retour des enfants chez les parents naturels aurait des conséquences néfastes pour elles.

 

h)  Les enfants ne peuvent obtenir de leurs parents naturels la motivation et les soins appropriés.

 

i)  Ni le patrimoine culturel ou religieux ne semble menacé.

 

 

Vu ces conclusions, le juge Boisvert émet une ordonnance de tutelle permanente des enfants ayant pour effet de transférer au Ministre leur garde, leur charge, leur direction ainsi que tous les droits et responsabilités des parents.

 

11                Le 8 mai 1997, en application du par. 60(2) de la Loi, à la demande du Ministre, le juge Boisvert émet une ordonnance interdisant aux parents tout contact avec les enfants:

 

[traduction]  Il est interdit aux intimés, [M.L.] et [R.L.], de rencontrer les enfants ou les parents nourriciers, d’entrer en contact ou de communiquer avec eux de quelque façon que ce soit.  Cette interdiction vise aussi toute tentative de la part des intimés de communiquer avec les enfants ou avec les parents nourriciers par l’entremise de la presse écrite, de la radio ou de la télévision.

 

En tout temps, les intimés devront se trouver à une distance supérieure à un demi-mille de l’une ou l’autre des trois enfants.

 

 


Il motive ainsi sa décision:

 

[traduction]  À mon avis, la présente ordonnance est nécessaire et elle est rendue dans l’intérêt supérieur des enfants parce que la preuve présentée devant moi établit que les tentatives des intimés pour entrer en contact avec les enfants perturbent grandement leur sécurité et leur stabilité.  [Je souligne.]

 

 

2.  Cour d’appel du Nouveau-Brunswick, [1997] A.N.-B. no 372 (QL)

 

12                Dans un jugement succinct rendu le 22 septembre 1997, la Cour d’appel accueille en partie l’appel des parents en infirmant le jugement du juge Boisvert concernant l’ordonnance d’interdiction d’accès, l’ordonnance de tutelle permanente demeurant intacte.  Les motifs de la Cour d’appel sont exprimés de la façon suivante (aux par. 1 et 2):

 

Les appelants n’ont soulevé aucune erreur de droit dans la décision du juge d’instance.  Néanmoins, la Cour est d’avis que rien au dossier ne justifiait l’abrogation totale du droit de visite des parents naturels, ou la conclusion que l’abrogation de ces droits serait dans l’intérêt des enfants.  Cette question n’a pas été abordée par le juge d’instance dans ses motifs.

 

Il est ordonné au Ministre de présenter au juge d’instance pour approbation un plan relatif à l’exercice du droit de visite des parents naturels qui aura été établi suite à une consultation avec la famille d’accueil, et à la préparation d’expertises nécessaires quant aux conditions d’exercice du droit en question.  [Je souligne.]

 

 

3.  Cour du Banc de la Reine, Division de la famille, [1998] A.N.-B. no 46 (QL)

 

 


13                Le Ministre soumet au juge Deschênes un rapport de la famille d’accueil et d’une psychologue se voulant une mise en garde sans équivoque contre l’octroi d’un droit de visite.  Le juge Deschênes estime que le jugement de la Cour d’appel lui impose d’étudier les modalités de l’exercice d’un droit d’accès et non son bien-fondé.  Afin de donner aux parents ainsi qu’au procureur des enfants le temps de prendre connaissance des rapports et d’y répondre, le juge Deschênes reporte l’audition à deux mois.

 

14                Dans son jugement, il exprime son incompréhension devant le jugement rendu par la Cour d’appel et note qu’au moment de l’audition en appel, «le juge Boisvert avait effectivement traité explicitement des droits de visite des parents et avait rendu sa décision interdisant toute communication entre les intimés et les enfants» (par. 7).

 

IV.  Questions en litige

 

15                1.         Les tribunaux (Cour du Banc de la Reine et Cour d’appel) sont-ils compétents pour greffer une ordonnance d’accès à une ordonnance de tutelle permanente et ce, en vertu de la Loi ou en raison de leur compétence parens patriae?

 

2.         La Cour d’appel a-t-elle erré en jugeant que «rien» ne justifiait la conclusion du juge de première instance suivant laquelle l’intérêt des enfants était de continuer à ne pas avoir de contacts avec les intimés?

 

 

 

V.  Analyse

 

1.  Compétence des tribunaux pour émettre une ordonnance d’accès

 


a)  Le changement d’état des parties

 

16                Le législateur prévoit les conséquences d’une ordonnance de tutelle permanente au par. 56(1) de la Loi:

 

56(1)  La cour peut rendre une ordonnance de tutelle en vertu de laquelle un parent transfère à titre permanent au Ministre la tutelle d’un enfant, y compris sa garde, sa charge et sa direction et tous les droits et toutes les responsabilités de parent à l’égard de l’enfant.  [Je souligne.]

 

 

17                Les parents sont titulaires de droits afin de pouvoir remplir leurs obligations envers leurs enfants.  Dans la mesure où ils sont déchargés de toutes leurs obligations, ils perdent les droits correspondants, y compris le droit d’accès.  Après l’ordonnance de tutelle permanente, l’accès est un droit dont l’enfant est titulaire et non pas ses parents.  La Cour d’appel n’a pas reconnu l’existence d’un droit de visite des parents, elle leur a simplement permis d’avoir accès aux enfants.  Elle a employé l’expression «droit» dans le sens de permission.

 

18                Lorsque le Ministre devient le tuteur d’un enfant, il «dispose des pleins droits parentaux et exerce les pleines responsabilités parentales» (par. 45(3)).  Il a l’obligation de pourvoir aux «besoins physiques et matériels, affectifs, religieux, éducationnels, sociaux et culturels de l’enfant ainsi qu’à ses besoins en matière de loisirs» (al. 45(3)a) et par. 56(2)) (je souligne).  Une ordonnance de tutelle, contrairement à une entente de garde, ne comporte pas d’obligation pour le Ministre de permettre l’accès à l’enfant sous sa tutelle (voir les par. 48(1) et 55(4) de la Loi).  Le législateur a prévu que le Ministre «peut, ainsi qu’il le juge bon, renvoyer périodiquement à son ancien parent» l’enfant qu’il a pris en charge (par. 56(3)) (je souligne).  Je suis d’avis que l’expression «peut» signifie «doit» lorsque cela est dans le meilleur intérêt de l’enfant.


 

19                L’article 13 de la Loi donne au Ministre le pouvoir d’interdire tout contact entre l’enfant et ses parents, lorsqu’il estime que cela est dans l’intérêt supérieur de l’enfant. Toute contravention à la décision du Ministre constitue une infraction.  En date du 25 novembre 1996, avant l’audition sur la tutelle permanente, le Ministre s’est prévalu de ce pouvoir et a signifié aux intimés que tout contact avec leurs enfants devait être préalablement autorisé.  Le 30 janvier 1997, les intimés n’ayant pas respecté la décision du Ministre, celui-ci leur a interdit tout contact avec les fillettes.

 

20                En vertu de l’art. 13 et des par. 45(3) et 56(2) de la Loi, le Ministre dispose effectivement de la discrétion nécessaire pour accorder ou refuser un droit d’accès ou de visite aux parents.

 

21                La cour dispose du pouvoir d’interdire aux parents l’accès à leurs enfants.  En effet, le par. 58(1) de la Loi édicte que la cour «peut rendre une ordonnance d’intervention protectrice visant quiconque constitue, à son avis, une menace pour la sécurité et le développement de l’enfant».  Le paragraphe 58(2) spécifie que l’ordonnance d’intervention protectrice peut contenir «toute disposition que la cour estime être dans l’intérêt supérieur de l’enfant, y compris un ordre donné» à une personne de «s’abstenir de communiquer avec l’enfant ou de le fréquenter».

 

22                S’il est clair que la cour «peut» protéger un enfant des conséquences néfastes de l’exercice d’un droit d’accès par ses parents, la question se pose toujours de savoir si la cour peut ordonner, au contraire, que l’enfant doit bénéficier d’un droit de visite. Le Ministre allègue que le législateur n’a pas prévu que les tribunaux aient cette faculté et qu’il est le seul à en disposer.


 

b)  Compétence de la cour en matière d’accès

 

23                Le juge Boisvert a interdit aux intimés tout contact avec leurs enfants et ce, à la demande du Ministre qui s’est prévalu du par. 60(2) de la Loi:

 

60(2)  Le Ministre, après en avoir donné avis comme indiqué à l’article 52, peut demander à la cour, en la forme prescrite par règlement, de modifier ou proroger une ordonnance rendue en application des articles 54 à 58 ou d’y mettre fin, ou de rendre une autre ordonnance en remplacement ou en supplément d’une ordonnance en vigueur.  [Je souligne.]

 

 

Par ailleurs, le par. 52(1) prévoit:

 

52(1)  La cour a compétence pour entendre toute demande faite en application de la présente Partie et pour statuer à cet égard.  [Je souligne.]

 

 

En demandant à la cour de «modifier» son ordonnance originale pour interdire l’accès, le Ministre reconnaissait à la cour la compétence de statuer aussi dès l’ordonnance initiale.

 

24                La Cour d’appel du Nouveau-Brunswick, sous la plume du juge Hoyt, dans l’affaire Re M.A.G. (1986), 73 R.N.-B. (2e) 443, à la p. 451, a retenu cette approche:  [traduction]  «Si le droit de visite est dans l’intérêt supérieur de l’enfant et qu’il peut donc faire l’objet d’un examen, le droit de visite est sûrement une option au moment où l’ordonnance est rendue».

 


25                Les parents ont également le droit de demander à la cour de «modifier» et même de mettre fin à une ordonnance de tutelle.  Ils peuvent présenter cette demande six mois après que l’ordonnance eut été rendue (par. 60(3) et 61(1)).  Ils perdent ce droit si l’enfant a été placé pour adoption à l’intérieur de cette période (par. 61(4)).

 

26                À mon avis, il est absurde de prétendre que le législateur a considéré qu’il ne pouvait jamais être dans le meilleur intérêt de l’enfant que les tribunaux puissent juger de la faculté des parents naturels d’avoir accès à leur enfant avant que six mois ne se soient écoulés après le prononcé de l’ordonnance de tutelle permanente.  Selon moi, le délai de six mois ne vise qu’à écarter une multiplicité de recours.

 

27                En somme, la Loi prévoit la modification de l’ordonnance de tutelle à la demande du Ministre (par. 60(2)) ou des parents (par. 60(3) et 61(1)) ainsi que la possibilité de rendre toute ordonnance que la cour estime opportune à ce moment, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant (par. 60(6)).  Le droit de visite peut faire l’objet d’un examen au moment de la révision de l’ordonnance de tutelle.  A fortiori, la cour doit pouvoir considérer l’octroi d’un droit de visite au moment où l’ordonnance initiale est rendue.

 

28                Le paragraphe 85(2) de la Loi, qui traite de l’accès au stade de l’adoption, confirme l’interprétation de la compétence initiale des tribunaux en matière d’accès:

 

85(2)  Sauf lorsqu’une personne adopte l’enfant de son conjoint, l’ordonnance d’adoption, à compter de la date à laquelle elle est rendue,

 

a)  rompt le lien qui unissait l’enfant à son parent naturel, à son tuteur ou à toute personne qui avait la garde de l’enfant en leur enlevant tous leurs droits parentaux à l’égard de celui-ci, y compris tout droit de visite qui n’est pas maintenu par la cour et en les libérant de toute responsabilité parentale relativement au soutien de l’enfant; [Je souligne.]

 

 


29                Si la cour détient le pouvoir de «maintenir» un droit de visite après l’adoption, mesure encore plus drastique et définitive que la tutelle permanente, il serait illogique qu’elle n’ait pas le pouvoir d’octroyer un droit de visite lors de l’ordonnance initiale de tutelle permanente.

 

30                Cette interprétation de la Loi va dans le sens voulu par le législateur à savoir, l’intérêt supérieur de l’enfant.  Une autre interprétation laisserait le Ministre maître en matière d’accès.  Cela n’est pas souhaitable dans la mesure où les enfants pourraient pâtir par exemple, de carences administratives, d’un manque de communication ou encore de tensions entre les intéressés (voir Re H.I.R. (1984), 37 R.F.L. (2d) 337 (C.A. Alb.), à la p. 344; Children’s Aid Society of Winnipeg c. N. (1979), 9 R.F.L. (2d) 326 (C.A. Man.), à la p. 331).

 

31                En résumé, je suis d’avis que le législateur du Nouveau-Brunswick donne la compétence aux tribunaux de se prononcer sur les droits de visite car il leur impose de «placer l’intérêt supérieur de l’enfant au-dessus de toute autre considération» (par. 53(2)).  Refuser aux tribunaux la possibilité de se prononcer quant au bien-fondé d’une ordonnance d’accès pourrait les empêcher d’exécuter leur devoir d’agir dans le meilleur intérêt de l’enfant.  Il n’est pas étonnant de constater que les tribunaux du Nouveau-Brunswick, forts du jugement rendu par leur Cour d’appel dans l’affaire Re M.A.G., précitée, ont généralement jugé qu’ils étaient compétents.

 


32                En outre, le juge saisi d’une requête du Ministre pour l’obtention de la tutelle permanente d’un enfant se trouve dans une position tout à fait privilégiée pour juger des conséquences de l’octroi d’un droit d’accès.  Il entend en effet le témoignage et les prétentions de toutes les parties concernées ainsi que de leurs experts et il est en mesure, au besoin, d’ordonner une preuve supplémentaire sur la question de l’accès.  En l’espèce, il est en mesure d’entendre et de tirer les conclusions qui s’imposent de la preuve sur le déroulement des visites antérieures.

 

33                Vu ces conclusions, il n’y a pas lieu de traiter du deuxième chef de compétence invoqué par les intimés, soit parens patriae.

 

2.         La Cour d’appel a-t-elle erré en jugeant que «rien» ne justifiait le juge de première instance de conclure que l’intérêt des enfants était de continuer à ne pas avoir de contacts avec les intimés?

 

 

a)  Intervention d’un tribunal d’appel

 

34                L’appelant reproche à la Cour d’appel d’avoir substitué sa discrétion à celle du juge de première instance.  Notre Cour s’est prononcée à plusieurs reprises sur la position privilégiée du juge de première instance pour décider du meilleur intérêt de l’enfant.  Dans l’arrêt Adams c. McLeod, [1978] 2 R.C.S. 621, le juge Spence écrit (aux pp. 625 et 626):

 

Nos tribunaux ont été de nouveau unanimes à juger que la décision la plus autorisée à ce sujet est celle du juge de première instance qui entend la preuve et l’évalue . . .  D’ailleurs, en matière de litiges sur la garde d’enfants, il faut redoubler de prudence.  Ces questions sont si personnelles que le juge de première instance peut faire et fait beaucoup plus que se prononcer simplement sur la crédibilité.  [Je souligne.]

 

 

35                Plus récemment, dans l’arrêt Nouveau-Brunswick (Ministre de la Santé et des Services communautaires) c. C. (G.C.), [1988] 1 R.C.S. 1073, à la p. 1077, la Cour, sous la plume du juge L’Heureux-Dubé, décrit la fonction d’une juridiction d’appel en matière de droit de la famille comme suit:


 

.  .  .  les décisions de première instance, particulièrement en matière de droit de la famille, ne devraient pas être modifiées à la légère par les cours d’appel sauf en cas d’erreur de principe, défaut d’examiner tous les facteurs pertinents, considération d’un facteur qui n’est pas pertinent ou absence de faits à l’appui du jugement . . .

 

 

36                Les tribunaux d’appel font par conséquent preuve de retenue et ce, surtout lorsque le jugement de première instance est détaillé et minutieux (voir T. (A.H.) c. P. (E.J.) (1994), 4 R.F.L. (4th) 241 (C.A. Alb.), à la p. 245; Turgeon c. Walker, [1996] B.C.J. No. 2316 (QL) (C.A.); Dombovary c. Dombovary (1997), 87 B.C.A.C. 318).

 

b)  Critères pertinents concernant l’accès

 

37                La décision à prendre concernant l’accès doit, comme toutes celles qui concernent l’enfant, être prise dans son meilleur intérêt.  En vertu de l’art. 1, la détermination de l’intérêt supérieur de l’enfant tient compte:

 

ade l’état de santé mentale, affective et physique de l’enfant et du besoin qu’il a de soins ou de traitements convenables, ou des deux;

 

b)  des vues et préférences de l’enfant lorsqu’il est raisonnablement possible de les connaître;

 

c)  de l’effet sur l’enfant de toute atteinte à la stabilité dont un enfant éprouve le besoin;

 

d)  de l’amour, de l’affection et des liens qui existent entre l’enfant et chaque personne à la garde de qui il a été confié, chaque personne qui a obtenu le droit de lui rendre visite et, le cas échéant, chaque frère ou s{oe}ur de l’enfant et, le cas échéant, chaque grand-parent de l’enfant;

 

e)  des avantages de tout projet de prise en charge de l’enfant par le Ministre comparés à l’avantage pour l’enfant de retourner ou de rester auprès de ses parents;

 


f)  du besoin pour l’enfant d’être en sécurité, dans un milieu qui lui permette de réaliser pleinement son potentiel, selon ses aptitudes personnelles et, ce faisant, de devenir membre utile et productif de la société; et

 

g)  du patrimoine culturel et religieux de l’enfant; [Je souligne.]

 

 

38                L’ordonnance de tutelle permanente est le résultat d’une étude du meilleur intérêt de l’enfant.  Dans l’étude du bien-fondé d’un droit de visite ou d’accès, le juge  ne peut ignorer le fait qu’il a d’abord jugé nécessaire de retirer complètement et de façon permanente l’enfant de la charge de ses parents et ce, pour que son bien-être cesse d’être compromis.  Le juge doit donc se poser la question de savoir si un contact plus restreint serait néanmoins bénéfique pour l’enfant.

 

39                Mon étude sur l’opportunité d’un droit d’accès s’articule autour des principes suivants.  Premièrement, il n’existe pas d’incompatibilité de principe entre l’octroi d’une ordonnance de tutelle permanente et d’une ordonnance d’accès.  Deuxièmement, l’accès constitue l’exception et non la règle.  Troisièmement, le principe du maintien des liens familiaux ne pourra jouer au niveau de l’octroi d’un droit d’accès que si cela est dans le meilleur intérêt de l’enfant en tenant compte de tous les autres facteurs pertinents.  Quatrièmement, l’adoption, qui est par ailleurs dans l’intérêt supérieur de l’enfant, ne doit pas être entravée par l’existence d’un droit d’accès.  Cinquièmement, un droit d’accès ne devrait pas être accordé si son exercice a des effets négatifs sur la santé physique ou psychologique de l’enfant.

 

(i)  Absence d’incompatibilité de principe entre la tutelle et l’accès

 

40                Dans l’arrêt Catholic Children’s Aid Society of Metropolitan Toronto c. M. (C.), [1994] 2 R.C.S. 165, à la p. 207, le juge L’Heureux-Dubé conclut:


 

En l'espèce, aucune des exceptions visées au par. 59(2) n'est applicable, et aucune n'a été prouvée.  On a établi un placement permanent dans une famille qui désire adopter S.M.; celle‑ci est âgée de moins de douze ans et, de plus, elle refuse de rester en contact avec sa mère.  En présence d'une preuve aussi écrasante, l'appelante n'a pas été en mesure de s'acquitter de la charge que lui imposait la Loi.  Il peut certes y avoir des cas où l'octroi d'un droit de visite temporaire ou provisoire pourrait être avantageux pour un enfant, mais cette solution ne paraît pas être réaliste en l'espèce.  En conséquence, la Loi doit s'appliquer.  Compte tenu de la preuve solide présentée par le Dr Wilkes et Mme De Sousa, la seule ordonnance qui puisse être rendue, dans l'intérêt véritable de S.M., est une ordonnance de tutelle par la Couronne, sans droit de visite.  [Je souligne.]

 

 

La Cour a donc déjà envisagé, dans le cadre de la législation ontarienne, la coexistence d’un droit d’accès avec une ordonnance de tutelle permanente.

 

41                 Dans l’affaire Re M.A.G., précitée, à la p. 451, devant la Cour d’appel, le Ministre a soutenu avec vigueur qu’en raison du fait que l’ordonnance de tutelle est généralement le prélude à une adoption et que les parents adoptifs potentiels risquent d’être découragés par l’existence d’un droit de visite, il serait illogique d’accorder un droit de visite en même temps qu’une ordonnance de tutelle.  Le juge Hoyt a estimé, avec raison, que ces inquiétudes étaient exagérées.

 


42                Il n’existe pas d’incompatibilité de principe entre l’accès et la tutelle.  D’une part, s’il est exact que la tutelle permanente est généralement un prélude à l’adoption, cela n’est pas toujours le cas car l’adoption peut ne pas être dans le meilleur intérêt de l’enfant concerné.  Par exemple, dans l’affaire New Brunswick (Minister of Health and Community Services) c. Jackson (1991), 121 R.N.-B. (2e) 434 (B.R.), on a jugé qu’il était dans le meilleur intérêt de l’enfant, une jeune fille de 14 ans, qu’elle reste dans sa famille d’accueil suivant son désir et vu les abus perpétrés par le conjoint de sa mère, mais qu’elle puisse communiquer avec celle-ci.  Les volontés de l’enfant, âgé de 13 ans, furent également déterminantes dans l’affaire New Brunswick (Minister of Health and Community Services) c. K. (B.), [1990] N.B.J. No. 1141 (QL) (B.R.).

 

43                D’autre part, même lorsque le Ministre a l’intention de rechercher une famille d’adoption pour un enfant sous sa tutelle, il peut être dans le meilleur intérêt de celui-ci de garder contact avec sa famille naturelle.  Le paragraphe 85(2) de la Loi prévoit que la cour peut maintenir un droit de visite même après l’adoption.  Ainsi, il peut être nécessaire d’assurer la stabilité émotive d’un enfant en le maintenant dans son foyer d’accueil, pour qu’il ne soit pas obligé de vivre avec un parent incapable d’assurer son bien-être mais qu’il puisse tout de même conserver et cultiver un lien affectif avec lui (Nouveau-Brunswick (Ministre de la Santé et des Services communautaires) c. L.L., [1997] A.N.-B. no 417 (QL) (B.R.); Nouveau-Brunswick (Ministre de la Santé et des Services communautaires) c. L.L. (1990), 109 R.N.-B. (2e) 202 (B.R.)).

 

(ii)  L’accès:  l’exception et non la règle

 

44                Il ressort de l’étude de la jurisprudence ainsi que de la législation des autres provinces que l’accès constitue l’exception et non la règle dans le contexte d’une ordonnance de tutelle permanente.  En Ontario et en Nouvelle-Écosse, la loi crée une présomption de révocation du droit de visite et précise les circonstances exceptionnelles dans lesquelles une ordonnance de visite peut être rendue.

 

Loi sur les services à l’enfance et à la famille, L.R.O. 1990, ch. C.11

 

59  . . .

 


(2)  Si l'enfant devient pupille de la Couronne aux termes de la disposition 3 du paragraphe 57 (1), le tribunal ne doit rendre l'ordonnance accordant un droit de visite à la personne responsable de l'enfant immédiatement avant l'intervention en vertu de la présente partie que dans l'une des circonstances suivantes:

 

a)         le placement permanent dans un milieu familial n'a pas été prévu ou n'est pas possible et le droit de visite de cette personne ne compromettra pas les possibilités futures de ce placement;

 

b)         l'enfant est âgé d'au moins douze ans et désire rester en rapport avec cette personne;

 

c)         l'enfant a été ou sera placé chez une personne qui ne désire pas l'adopter;

 

d)          une autre circonstance particulière justifie cette ordonnance.

 

 

Children and Family Services Act, S.N.S. 1990, ch. 5

 

[traduction]  47  . . .

 

(2)  Lorsqu’une ordonnance de tutelle permanente est rendue, le tribunal peut, par ordonnance, accorder un droit de visite au père ou à la mère, au tuteur ou à une autre personne, s’il est convaincu de l’existence de l’une des circonstances suivantes:

 

a)  le placement permanent dans un milieu familial n’a pas été prévu ou n’est pas possible et le droit de visite ne compromettra pas les possibilités futures de ce placement;

 

b)  l’enfant est âgé d’au moins douze ans et désire rester en rapport avec cette personne;

 

c)  l’enfant a été ou sera placé chez une personne qui ne désire pas l’adopter; ou

 

d)  une autre circonstance particulière justifie cette ordonnance.

 

 

Le fardeau de prouver l’existence de l’une de ces circonstances exceptionnelles incombe à la personne réclamant le droit de visite (Nova Scotia (Minister of Community Services) c. S. (S.M.) (1992), 41 R.F.L. (3d) 321 (C.S.N.-É., Div. app.), à la p. 335; Nova Scotia (Minister of Community Services) c. K.M.S. (1995), 141 N.S.R. (2d) 288 (Trib. fam.), aux pp. 306 et 307).


45                Au Nouveau-Brunswick, le législateur n’a pas jugé bon de créer une présomption de révocation du droit de visite.  En pratique, et conformément au jugement de la Cour d’appel dans l’affaire Re M.A.G., précitée, aux pp. 451 et 452:  [traduction]  «Ce n’est que dans de rares situations que le droit de visite sera ordonné et il peut se faire que dans ces rares situations, il ne soit pas approprié de placer cet enfant en vue de l’adoption.»  (Je souligne.)  Cet énoncé du droit applicable me paraît tout à fait juste et rejoint celui du juge Esson dans l’affaire Superintendent of Family and Child Service c. D.S. (1985), 46 R.F.L. (2d) 225 (C.A.C.-B.).

 

(iii)  La préservation des liens familiaux:  un facteur

 

46                Il est vrai qu’une interprétation large de la Loi est requise afin de préserver l’intégrité de la famille et d’éviter sa rupture (art. 2).  Toutefois, l’intérêt supérieur de l’enfant doit demeurer le point cardinal.

 


47                La loi ontarienne est considérée comme l’une des moins interventionnistes car elle met l’accent sur l’importance du maintien de la cellule familiale.  Nous avons cependant jugé que le maintien de la cellule familiale occupe une place importante seulement s’il est dans l’intérêt véritable de l’enfant (Catholic Children’s Aid Society of Metropolitan Toronto c. M. (C.), précité).  Nous avons également affirmé à plusieurs reprises que la poursuite et la protection de l’intérêt de l’enfant doivent avoir préséance sur les désirs et l’intérêt du parent (King c. Low, [1985] 1 R.C.S. 87; Young c. Young, [1993] 4 R.C.S. 3).  Dans l’arrêt Catholic Children’s Aid Society of Metropolitan Toronto, précité, à la p. 191, le juge L’Heureux-Dubé s’exprime ainsi:  «En conséquence, la valeur que comporte le maintien de la cellule familiale est fonction de ce qui est le mieux pour l'enfant plutôt que pour les parents.  Si l'on veut se conformer au libellé et à l'esprit de la Loi, il est essentiel de se rappeler que l'accent est mis sur l'enfant».

 

48                Je conclus que, s’il est vrai que le maintien des liens affectifs constitue l’un des éléments de la définition de l’intérêt supérieur de l’enfant (al. 1d)), il ne jouera en faveur de l’octroi d’un droit d’accès que si celui-ci est dans le meilleur intérêt de l’enfant en tenant compte de tous les autres facteurs.

 

49                Ainsi, si un lien affectif existe entre l’enfant et son parent, il doit être préservé, tant qu’il n’est pas contraire à d’autres intérêts de l’enfant, tels sa sécurité ou sa santé psychologique (New Brunswick (Minister of Health and Community Services) c. B.D. (1994), 145 R.N.-B. (2e) 14 (B.R.)).  Par contre, un enfant et un parent qui ne sont pas attachés l’un à l’autre pourront ne pas faire l’objet d’un droit d’accès si cela doit avoir pour effet de troubler l’enfant (New Brunswick (Minister of Health and Community Services) c. S.G. (1997), 193 R.N.-B. (2e) 274 (B.R.)).  La volonté de l’enfant, lorsqu’il est en mesure de l’exprimer, est un facteur important (par. 6(1) et al. 45(3)c) de la Loi).

 

(iv)  Priorité à l’adoption

 


50                Si l’adoption est plus importante que l’accès pour le bien-être de l’enfant et qu’elle serait mise en péril par l’exercice d’un droit de visite, celui-ci ne devrait pas être accordé (New Brunswick (Minister of Health and Community Services) c. R.N. (1997), 194 R.N.-B. (2e) 204 (B.R.)).  Autrement dit, les tribunaux ne doivent pas laisser les parents [traduction]  «saboter» une adoption bénéfique pour l’enfant (Re S.G.N., [1994] A.J. No. 946 (QL) (C. prov.)).  Dans l’affaire New Brunswick (Minister of Health and Community Services) c. D. (K.), [1991] N.B.J. No. 222 (QL) (B.R.), l’enfant était handicapée sévèrement, tant physiquement que mentalement.  Devant la preuve que la mère intervenait intempestivement dans la vie de la famille d’accueil et diminuait par conséquent les chances déjà minces de trouver des parents adoptifs, le juge Athey a refusé d’accorder un droit de visite (voir aussi:  Children’s Aid Society of the District of Thunder Bay c. T.T., [1992] O.J. No. 2975 (QL) (Div. prov.),  et Children’s Aid Society of the Durham Region v. W. (C.), [1991] O.J. No. 552 (QL) (Div. gén.)).  En fonction de l’urgence pour l’enfant de trouver un foyer d’adoption, on a refusé l’accès dans la mesure où cela entraînait un retard indu du processus d’adoption (voir:  Nova Scotia (Minister of Community Services) c. D.L.C. (1995), 138 N.S.R. (2d) 241 (C.A.)).

 

(v)  Intérêts et besoins prioritaires de l’enfant

 

51                La décision d’accorder ou non un droit d’accès est un exercice délicat qui exige du juge qu’il apprécie les divers éléments constitutifs de l’intérêt supérieur de l’enfant.  Il lui appartient de déterminer ses intérêts et besoins prioritaires (voir New Brunswick (Minister of Health and Community Services) c. D.T.P., [1995] N.B.J. No. 576 (QL) (B.R.), au par. 41).  La stabilité émotive d’un enfant est de première importance.  Si l’enfant est indûment troublé par un droit de visite, celui-ci n’est généralement pas accordé (voir New Brunswick (Minister of Health and Community Services) c. K.E.B. (1991), 117 R.N.-B. (2e) 229 (B.R.), à la p. 239; New Brunswick (Minister of Health and Community Services) c. P.P. (1990), 117 R.N.-B. (2e) 222 (B.R.)).

 


52                La preuve de la façon dont s’est exercé un droit de visite est très pertinente, à la fois quant à l’attitude du parent et quant aux effets des visites sur l’enfant.  Tout parent doit faire passer l’intérêt de son enfant avant le sien.  Son incapacité de le faire, jointe au préjudice subi par l’enfant, sont des indications pouvant mener à une interdiction d’accès.  Tel sera le cas par exemple, lorsque le parent est violent, manipulateur, instable ou qu’il ne peut contrôler ses émotions.  Quant aux effets des visites sur l’enfant, des signes tels que la tristesse, l’anxiété, la régression, le retour ou l’aggravation de problèmes de comportement ou de l’humeur, les cauchemars peuvent être révélateurs de préjudice.  (Voir:  New Brunswick (Minister of Health and Community Services) c. R.P.S., [1993] N.B.J. No. 96 (QL) (B.R.); New Brunswick (Minister of Health and Community Services) c. K.E.B., précité, à la p. 235; Director of Child Welfare (Alta.) c. A.C. (1991), 121 A.R. 301 (C. prov.).)  Bref, les parents doivent être dignes d’être des [traduction] «visiteurs dans la vie de leur enfant» selon la formule du juge Cook-Stanhope dans l’affaire Alberta (Director of Child Welfare) c.  L.L.O., [1996] A.J. No. 660 (QL) (C. prov.), au par. 94.

 

c)  Application aux faits de l’espèce

 

53                L’intimée M.L. se prévaut du jugement de la Cour d’appel et allègue qu’il est dans l’intérêt supérieur des enfants qu’ils gardent contact avec leurs parents et ce, à raison d’une heure ou deux par mois, ou à toute autre fréquence que la cour pourrait juger appropriée.

 

54                Le premier jugement du juge Boisvert porte sur l’ordonnance de tutelle permanente.  Par le second, il accueille la requête du Ministre pour l’obtention d’une interdiction d’accès pour le motif déjà cité:  [traduction] «À mon avis, la présente ordonnance est nécessaire et elle est rendue dans l’intérêt supérieur des enfants parce que la preuve présentée devant moi établit que les tentatives des intimés pour entrer en contact avec les enfants perturbent grandement leur sécurité et leur stabilité» (je souligne).

 


55                Je suis d’avis que le juge Boisvert a valablement motivé sa décision de refuser l’accès.  Il est vrai qu’il n’énonce qu’une raison de principe et qu’il ne fait pas état de comportements précis des intimés qui ont troublé les enfants.  Toutefois, il fait référence à la preuve dont il a été saisi et son premier jugement, rendu après six jours de procès, fournit tous les détails nécessaires.

 

56                La preuve révèle, dans les petites et les grandes choses, de sérieuses défaillances de conduite chez les parents.  Ils se sont montrés incapables de faire passer les intérêts des fillettes avant les leurs.  Ainsi, ils ont exposé et impliqué fréquemment les enfants dans leurs disputes conjugales.  Ils ont appelé l’aînée jusqu’à cinq ou six fois par jour.  Ils n’ont pas respecté l’horaire des visites et ont ramené les enfants plus tôt que prévu car ils ne se sentaient pas capables de les garder plus longtemps.  Ils ont violé les conditions fixées pour les visites en cherchant à rencontrer les enfants dans des lieux publics en dehors des journées prévues.  Alors qu’ils n’avaient pas le droit d’écrire aux enfants, ils ont caché une lettre dans l’une des poupées de l’aînée qui en a été bouleversée.  Après s’être vus interdire de voir leurs enfants, les intimés ont refusé de leur donner leurs jouets.

 


57                Les visites sont difficiles pour M.L. qui perd patience et énergie au bout de quelques heures.  À de nombreuses reprises, elle demande que la fréquence et la durée des visites soient réduites.  Au mois de septembre 1995, il est convenu que trois visites par semaine auront lieu et que les enfants dormiront chez leurs parents le samedi soir.  Au début du mois d’octobre 1995, l’horaire prévoit deux visites de trois heures chacune par semaine.  En décembre, les enfants ne passent plus qu’une heure toutes les deux semaines avec leurs parents.  Les visites ont lieu aux bureaux du ministère de la Santé et des Services communautaires en présence d’une travailleuse de soutien.  Elles sont pour M.L. une épreuve qu’elle n’a pas la force d’assumer.  Elle est stressée et déprimée. 

58                R.L. est instable et absent.  Il n’aide pas M.L.  Il manipule l’aînée en lui demandant de mentir à la travailleuse sociale et en se servant d’elle pour entrer en contact avec sa femme lors de l’une de leurs nombreuses séparations.  Il ne réussit pas à contrôler ses émotions lors des visites et pleure devant les enfants.  Celles-ci sont bouleversées et se sentent obligées de le réconforter.  Elles ont demandé à plusieurs reprises de rentrer plus tôt que prévu dans leur famille d’accueil.  Elles anticipent avec appréhension les visites subséquentes et préfèrent ne pas voir leur père plutôt que de le voir pleurer.

 

59                Lors du procès sur l’ordonnance de tutelle, le plan du Ministre était l’adoption.  Dans son témoignage, la mère d’accueil a manifesté sa volonté ainsi que celle de son mari d’adopter les trois s{oe}urs.  Elle a toutefois exprimé son inquiétude que les parents naturels les blâment et s’immiscent indûment dans leur vie familiale.

 

60                Le juge Boisvert a étudié soigneusement la situation.  Son refus d’autoriser l’accès repose sur des fondements valables.  On n’a fait voir aucune erreur manifeste d’appréciation des faits.  D’une part, la preuve démontre que la plupart des visites, par ailleurs très courtes, ont troublé et peiné les enfants.  Le maintien du lien affectif avec les parents n’était donc pas compatible avec la stabilité psychologique des fillettes.  D’autre part, l’adoption des enfants pouvait être mise en péril par une ordonnance d’accès.

 

61                En toute déférence, je suis d’avis que l’intervention de la Cour d’appel n’était pas justifiée.

 


IV.  Conclusion

 

62                La Cour d’appel, comme le juge de première instance, était compétente pour greffer une ordonnance d’accès à une ordonnance de tutelle permanente.

 

63                En l’espèce, la décision de la Cour d’appel doit cependant être infirmée car celle-ci a erré en jugeant que «rien» ne justifiait la décision du juge de première instance de refuser l’accès.  Pour ces raisons, l’ordonnance de tutelle permanente du 20 mars 1997, modifiée par l’ordonnance d’interdiction d’accès du 8 mai 1997, a donc été maintenue et l’ordonnance de la Cour d’appel a été annulée.

 

Pourvoi accueilli.

 

Procureurs de l’appelant:  Le ministère de la Justice, Fredericton, et le Bureau des procureurs de la Couronne, Bathurst.  

 

Procureurs de l’intimée M.L.:  Byrne, Lenihan, Riordon, Bathurst.

 

Procureur de l’intimé R.L.:  Peter J. C. White, Bathurst.

 

Procureurs de l’intervenante:  Roux Frenette, Bathurst.  

 

 

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