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COUR SUPRÊME DU CANADA

 

Référence : Cowper-Smith c. Morgan, 2017 CSC 61, [2017] 2 R.C.S. 754

Appel entendu : 26 mai 2017

Jugement rendu : 14 décembre 2017

Dossier : 37120

Entre :

Max Wayne Cowper-Smith

Appelant

 

et

 

Gloria Lynn Morgan et Gloria Lynn Morgan en qualité d’exécutrice testamentaire d’Elizabeth Flora Cowper-Smith, décédée

Intimée

 

 

Traduction française officielle

 

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Wagner, Gascon, Côté, Brown et Rowe

 

Motifs de jugement :

(par. 1 à 60)

La juge en chef McLachlin (avec l’accord des juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Wagner, Gascon et Rowe)

 

Motifs concordants en partie :

(par. 61 à 72)

Le juge Brown

 

Motifs concordants en partie :

(par. 73 à 83)

La juge Côté

 

 

 

 


Cowper‑Smith c. Morgan, 2017 CSC 61, [2017] 2 R.C.S. 754

Max Wayne Cowper‑Smith                                                                             Appelant

c.

Gloria Lynn Morgan et Gloria Lynn Morgan en qualité d’exécutrice testamentaire d’Elizabeth Flora Cowper‑Smith, décédée                                                                                      Intimée

Répertorié : Cowper‑Smith c. Morgan

2017 CSC 61

No du greffe : 37120.

2017 : 26 mai; 2017 : 14 décembre.

Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Wagner, Gascon, Côté, Brown et Rowe.

en appel de la cour d’appel de la colombie‑britannique

                    Successions — Testaments — Biens — Equity — Préclusion propriétale — Recours — Demandeur se fiant, à son préjudice, à des promesses faites par une cobénéficiaire de la succession de leur mère de lui transférer son intérêt de cobénéficiaire dans un bien — La juge de première instance a‑t‑elle conclu à tort que la préclusion propriétale permettait de faire respecter la promesse de la promettante? — La preuve étaye‑t‑elle la conclusion de la juge de première instance selon laquelle les éléments de la préclusion propriétale sont réunis? — La demande en equity du demandeur doit‑elle échouer parce que la promettante ne détenait aucun intérêt dans le bien au moment de la promesse? — Quelle réparation convient‑il d’accorder?

                    Dès 1992, E et A ont indiqué clairement qu’après leur décès, leur propriété serait partagée également entre leurs trois enfants, G, M et N. Cependant, après le décès d’A, la planification successorale d’E a changé du tout au tout : cette dernière a transféré le titre de la maison familiale à Victoria et tous ses placements en propriété conjointe avec G, indiquant dans une déclaration de fiducie que G aurait un droit absolu sur ces biens à son décès. Malgré le fait que la déclaration de fiducie et la stipulation relative à la propriété conjointe des biens, si elles étaient valides, faisaient en sorte que la succession était pour ainsi dire dépourvue de tout bien, E a aussi signé un nouveau testament dans lequel elle a nommé G exécutrice testamentaire et prévu que sa succession serait partagée également entre les trois enfants.

                    En 2005, lorsque E n’a pas plus été capable de vivre seule, M a accepté de revenir vivre à Victoria pour s’occuper d’elle, renonçant à son revenu d’emploi, à la location d’une petite maison, aux contacts qu’il avait avec ses enfants et à sa vie sociale, mais il l’a fait uniquement après que G eut accepté qu’il pourrait vivre dans la maison familiale de façon permanente et acquérir un jour l’intérêt de celle‑ci sur le tiers de la propriété. Après le décès d’E, la déclaration de fiducie a été mise au jour et, en 2011, G a annoncé qu’elle avait l’intention de vendre la maison familiale, dans laquelle M vivait toujours. M et N ont sollicité une ordonnance annulant la déclaration de fiducie pour cause d’influence indue de G sur E, et déclarant que G détenait la propriété et les placements en fiducie au bénéfice de la succession d’E et que ces biens devaient être partagés également entre les trois enfants conformément au testament le plus récent d’E. Invoquant la préclusion propriétale, ils ont également fait valoir que M était en droit d’acheter l’intérêt de G sur le tiers de la propriété. Les frères ont eu gain de cause en première instance, où la juge a conclu que G n’avait pas réfuté les présomptions d’influence indue et de fiducie résultoire, et déclaré que la propriété appartenait à la succession d’E. La Cour d’appel a confirmé à l’unanimité les conclusions de la juge de première instance concernant l’influence indue et la fiducie résultoire, mais elle était divisée sur la question de la préclusion propriétale. Les juges majoritaires ont conclu que, comme G ne détenait aucun intérêt dans la propriété au moment où elle avait donné des assurances à M, il ne pouvait y avoir de préclusion propriétale. M se pourvoit sur la question de la préclusion propriétale.

                    Arrêt : Le pourvoi est accueilli.

                    La juge en chef McLachlin et les juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Wagner, Gascon et Rowe : La juge de première instance n’a pas conclu à tort que la préclusion propriétale permettait de faire respecter la promesse de G. Vu que l’existence d’un intérêt dans le bien en cause au moment où une personne se fie à la déclaration qui lui est faite ou à l’assurance qui lui est donnée n’est pas nécessaire pour que la préclusion propriétale puisse être invoquée, ce n’est pas parce que G n’avait pas d’intérêt dans le bien au moment où M s’est fié à la promesse qu’elle lui avait faite que G n’est pas tenue de respecter sa promesse.

                    Pour établir la préclusion propriétale, il faut d’abord démontrer l’existence d’un droit en equity du type de ceux que protège la préclusion propriétale. Les circonstances suivantes donnent naissance à un tel droit : (1) une déclaration est faite au demandeur ou une assurance est donnée à celui‑ci, sur le fondement de laquelle le demandeur s’attend à bénéficier d’un certain droit ou avantage dans un bien; (2) le demandeur s’appuie sur cette attente en faisant quelque chose ou en s’abstenant de faire quelque chose, et cet acte de confiance est raisonnable eu égard à l’ensemble des circonstances; (3) le demandeur subit un préjudice en raison de son acte de confiance raisonnable, de sorte qu’il serait inéquitable ou injuste que la partie à l’origine de la déclaration ou de l’assurance revienne sur sa parole et insiste sur le respect de ses droits stricts. Lorsque la partie dont émane la déclaration ou l’assurance possède dans le bien un intérêt suffisant pour répondre à l’attente du demandeur, la préclusion propriétale grève cet intérêt et protège le droit en equity en cause en rendant obligatoire la déclaration ou l’assurance. Il n’est pas nécessaire que la partie à l’origine de l’attente possède un intérêt dans le bien au moment de l’acte de confiance du demandeur — lorsque la partie à l’origine de l’attente a un intérêt suffisant dans le bien ou en acquiert un, la préclusion propriétale grèvera cet intérêt et protégera le droit en equity en cause. La question de savoir si l’acte de confiance du demandeur était raisonnable dans les circonstances est une question mixte de fait et de droit. La décision du juge de première instance à cet égard commande la déférence, sauf si elle est entachée d’une erreur manifeste et dominante.

                    Lorsque le demandeur a établi la préclusion propriétale, le tribunal dispose d’un large pouvoir discrétionnaire pour concevoir une réparation adaptée aux circonstances, et le tribunal d’appel ne devrait intervenir que si la décision du juge de première instance révèle une erreur de principe ou est nettement erronée. Cependant, le demandeur qui démontre qu’il est nécessaire d’appliquer la préclusion propriétale n’a droit qu’à la réparation minimale nécessaire pour donner effet au droit en equity en sa faveur et ne peut obtenir plus que ce à quoi il s’attendait. De plus, il doit y avoir proportionnalité entre la réparation et le préjudice. Les tribunaux d’equity doivent établir un équilibre entre la reconnaissance des attentes subjectives du demandeur et la réparation de ce préjudice.

                    En l’espèce, il ressort des conclusions de la juge de première instance que M et G avaient tous deux clairement compris depuis plus d’une décennie que la succession d’E, y compris la maison familiale, serait partagée également entre ses trois enfants à son décès. Il était donc suffisamment certain que G hériterait d’un intérêt sur le tiers de la propriété pour que l’assurance qu’elle avait donnée soit sérieusement considérée par M comme une assurance à laquelle il pouvait se fier. Il n’y a aucune raison d’infirmer la conclusion de la juge de première instance selon laquelle l’acte de confiance de M était raisonnable. Un droit en equity a pris naissance en faveur de M lorsque ce dernier s’est fondé raisonnablement, à son préjudice, sur le fait qu’il s’attendait à pouvoir acquérir l’intérêt de G sur le tiers de la maison familiale. La préclusion propriétale ne pouvait pas protéger ce droit au moment où il a pris naissance, parce que G ne détenait alors aucun intérêt dans la propriété. Toutefois, elle grèvera l’intérêt de G aussitôt que G l’aura obtenu de la succession. G, en sa qualité d’exécutrice testamentaire, peut se voir ordonner de transférer un intérêt sur le tiers de la propriété à chacun des bénéficiaires de la succession de manière à ce que la promesse qu’elle a faite à M puisse être respectée. Un partage en nature de la propriété n’est pas contraire à l’intention d’E et la Cour a le pouvoir d’ordonner à G d’exercer son pouvoir discrétionnaire d’exécutrice testamentaire d’une certaine façon. Pour ce qui est de la réparation à accorder, le minimum requis pour donner effet au droit en equity de M consiste à rendre une ordonnance lui permettant d’acheter l’intérêt de G dans la maison familiale à sa juste valeur marchande établie à la date approximative à laquelle il se serait raisonnablement attendu à pouvoir l’acquérir au départ.

                    Le juge Brown : Il y a accord avec les juges majoritaires sur le fait que la juge de première instance n’a pas commis d’erreur en faisant droit à la demande fondée sur la préclusion propriétale, mais désaccord sur la réparation qu’il convient d’accorder. Un droit en equity suffisant pour justifier une demande fondée sur la préclusion propriétale peut prendre naissance lorsque le promettant n’est pas en fait titulaire du droit ou de l’avantage promis au moment où il fait la promesse, mais ce droit ne naît que si, et au moment où, le promettant obtient le droit ou l’avantage qui a été promis au demandeur, et non au moment de l’acte de confiance préjudiciable. Lorsque l’acquisition par le promettant du droit ou de l’avantage promis dépend de la réalisation d’une éventualité, aucun droit en equity — dont une atteinte est susceptible d’être réparée au moyen de la préclusion propriétale — ne peut prendre naissance tant que l’éventualité ne s’est pas réalisée. Si le promettant n’est pas titulaire du droit ou de l’avantage promis au moment de la promesse, un droit virtuel en equity prend naissance en faveur du demandeur au moment de l’acte de confiance préjudiciable du demandeur à l’égard de celle‑ci; toutefois, avant que l’on puisse établir l’existence d’un droit en equity susceptible de conférer un droit propriétal, le promettant doit acquérir le droit ou l’avantage promis, car il ne peut accorder ce qu’il n’a pas. Pour constituer un droit en equity justifiant l’application de la préclusion propriétale, le droit en equity en cause doit être de nature propriétale, parce qu’il doit être susceptible de contraindre un promettant à renoncer à un droit propriétal dont il est effectivement titulaire.

                    En l’espèce, le droit en equity nécessaire ne prendra naissance qu’à partir du moment où G sera titulaire du droit ou de l’avantage qu’elle a promis à M, c’est‑à‑dire le moment où la Cour lui ordonnera de partager la propriété en intérêts égaux d’un tiers qu’elle remettra aux bénéficiaires de la succession d’E. En conséquence, le minimum nécessaire pour donner effet au droit en equity, dès qu’il prendra naissance, est de permettre à M d’acheter la part d’un tiers de G dans la propriété à la date de l’ordonnance de la Cour.

                    La juge Côté : Il y a accord avec les juges majoritaires sur le fait qu’il est possible d’invoquer la préclusion propriétale même si le promettant ne détenait aucun intérêt propriétal dans le bien en cause au moment de la promesse, et que la décision par le destinataire de la promesse de s’y fier n’est pas déraisonnable en droit simplement parce que le promettant n’est pas propriétaire du bien au moment où le destinataire de la promesse agit à son préjudice en s’y fiant. Néanmoins, un tribunal ne peut ordonner à un exécuteur testamentaire de procéder à la distribution de la succession sans tenir compte de l’intention expresse du testateur, et ce, à la seule fin de permettre à un bénéficiaire de tenir la promesse qu’il a faite à un tiers. Ce principe s’applique même lorsque ce bénéficiaire agit également comme exécuteur testamentaire.

                    En l’espèce, la Cour n’a pas compétence pour ordonner à G d’exercer son pouvoir discrétionnaire d’exécutrice testamentaire d’une façon particulière. Le testament d’E accordait expressément et sans équivoque à G un pouvoir discrétionnaire dans l’administration de sa succession, lui confiant le soin de décider du sort de la propriété en cause, notamment de déterminer s’il convenait ou non de la vendre. En enjoignant à G de transférer aux bénéficiaires de la succession leur part dans la propriété, la Cour se trouve à substituer son propre jugement à celui de G et à décider de la façon dont le bien devrait être administré, créant dans les faits un legs spécifique qu’E a elle‑même choisi de ne pas faire. Si les devoirs de G en tant qu’exécutrice testamentaire sont réellement en conflit avec ses intérêts en tant que bénéficiaire, de sorte qu’il y a manquement à son devoir fiduciaire, la réparation appropriée ne consiste pas à ordonner un partage en nature, mais plutôt à remplacer G en tant qu’exécutrice testamentaire. Toutefois, s’il est ordonné à G de partager la propriété en nature et qu’elle est obligée de vendre sa part à M, le prix de la vente devrait être établi en fonction de la valeur de la propriété à la date de l’ordonnance de la Cour.

Jurisprudence

Citée par la juge en chef McLachlin

                    Arrêt examiné : Thorner c. Major, [2009] UKHL 18, [2009] 1 W.L.R. 776; arrêts mentionnés : Sabey c. von Hopffgarten Estate, 2014 BCCA 360, 378 D.L.R. (4th) 64; Clarke c. Johnson, 2014 ONCA 237, 371 D.L.R. (4th) 618; Idle-O Apartments Inc. c. Charlyn Investments Ltd., 2014 BCCA 451, [2015] 2 W.W.R. 243; Scholz c. Scholz, 2013 BCCA 309, 340 B.C.A.C. 151; Wolff c. Canada (Attorney General), 2017 BCCA 30, 95 B.C.L.R. (5th) 15; Taylors Fashions Ltd. c. Liverpool Victoria Trustees Co., [1981] 1 All E.R. 897; Amalgamated Investment & Property Co. (In Liquidation) c. Texas Commerce International Bank Ltd., [1982] 1 Q.B. 84; Ryan c. Moore, 2005 CSC 38, [2005] 2 R.C.S. 53; Crabb c. Arun District Council, [1975] 3 All E.R. 865; Willmott c. Barber (1880), 15 Ch. D. 96; Canadian Superior Oil Ltd. c. Paddon-Hughes Development Co., [1970] R.C.S. 932; Sohio Petroleum Co. c. Weyburn Security Co., [1971] R.C.S. 81; Sykes c. Rosebery Parklands Development Society, 2011 BCCA 15, 330 D.L.R. (4th) 84; Erickson c. Jones, 2008 BCCA 379, 299 D.L.R. (4th) 465; Delane Industry Co. c. PCI Properties Corp., 2014 BCCA 285, 359 B.C.A.C. 61; Burgsteden c. Long, 2014 SKCA 115, 378 D.L.R. (4th) 562; Eberts c. Carleton Condominium Corp. No. 396 (2000), 136 O.A.C. 317; Bellton Farms Ltd. c. Campbell, 2016 NSCA 1, 394 D.L.R. (4th) 262; Wettstein c. Wettstein, 1992 CarswellBC 1421 (WL Can.); Waltons Stores (Interstate) Ltd. c. Maher (1988), 76 A.L.R. 513; Walton c. Walton, E.W.C.A., 14 avril 1994; Gillett c. Holt, [2001] Ch. 210; Cobbe c. Yeoman’s Row Management Ltd., [2008] UKHL 55, [2008] 1 W.L.R. 1752; Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235; Re Basham (deceased), [1987] 1 All E.R. 405; Watson c. Goldsbrough, [1986] 1 E.G.L.R. 265; Re Harris (1915), 22 D.L.R. 381; Gunn Estate, Re, 2010 PECA 13, 200 Nfld. & P.E.I.R. 197; Staub c. Staub Estate, 2003 ABCA 122, 226 D.L.R. (4th) 327; Griffiths c. Williams, [1978] 2 E.G.L.R. 121; de Montigny c. Brossard (Succession), 2010 CSC 51, [2010] 3 R.C.S. 64; Jennings c. Rice, [2002] EWCA Civ. 159, [2003] 1 P. & C.R. 100; Commonwealth of Australia c. Verwayen (1990), 170 C.L.R. 394; Sledmore c. Dalby (1996), 72 P. & C.R. 196; Pilcher c. Shoemaker (1997), 13 R.P.R. (3d) 42; Ellis c. Eddy Holding Ltd. (1996), 7 R.P.R. (3d) 70.

Citée par le juge Brown

                    Arrêt examiné : Southern Pacific Mortgages Ltd. c. Scott, [2014] UKSC 52, [2015] A.C. 385; arrêts mentionnés : Idle‑O Apartments Inc. c. Charlyn Investments Ltd., 2014 BCCA 451, [2015] 2 W.W.R. 243; Sabey c. von Hopffgarten Estate, 2014 BCCA 360, 378 D.L.R. (4th) 64; Crabb c. Arun District Council, [1976] 1 Ch. 179; Clarke c. Johnson, 2014 ONCA 237, 371 D.L.R. (4th) 618; Tiny (Township) c. Battaglia, 2013 ONCA 274, 305 O.A.C. 372; Schwark Estate c. Cutting, 2010 ONCA 61, 316 D.L.R. (4th) 105; Thorner c. Major, [2009] UKHL 18, [2009] 1 W.L.R. 776; Abbey National Building Society c. Cann, [1991] 1 A.C. 56; Yeoman’s Row Management Ltd. c. Cobbe, [2008] UKHL 55, [2008] 4 All E.R. 713; Taylors Fashions Ltd. c. Liverpool Victoria Trustees Co., [1982] 1 Q.B. 133; Watson c. Goldsbrough, [1986] 1 E.G.L.R. 265; Jennings c. Rice, [2002] EWCA Civ. 159, [2003] 1 P. & C.R. 100.

Citée par la juge Côté

                    Arrêts mentionnés : Browne c. Moody, [1936] 4 D.L.R. 1; National Trust Co. c. Fleury, [1965] R.C.S. 817; Tataryn c. Succession Tataryn, [1994] 2 R.C.S. 807; Re Burke (1959), 20 D.L.R. (2d) 396; Gunn Estate, Re, 2010 PECA 13, 200 Nfld. & P.E.I.R. 197; Jackson Estate, Re (2004), 192 O.A.C. 161; Re Smith, [1971] 1 O.R. 584; Cooper c. Fenwick, [1994] O.J. No. 2148 (QL).

Doctrine et autres documents cités

Anger & Honsberger Law of Real Property, 3rd ed. by Anne Warner La Forest, Aurora (Ont.), Canada Law Book, 2006 (loose‑leaf updated December 2016, release 17).

Bright, Susan, and Ben McFarlane. « Proprietary Estoppel and Property Rights » (2005), 64 Cambridge L.J. 449.

Feeney’s Canadian Law of Wills, 4th ed. by James MacKenzie, Toronto, Butterworths, 2000 (loose‑leaf updated September 2016, issue 64).

Gardner, Simon. « The Remedial Discretion in Proprietary Estoppel — Again » (2006), 122 L.Q.R. 492.

Gray, Kevin, and Susan Francis Gray. Land Law, 5th ed., Oxford, Oxford University Press, 2007.

MacDougall, Bruce. Estoppel, Markham (Ont.), LexisNexis, 2012.

McFarlane, Ben. The Law of Proprietary Estoppel, Oxford, Oxford University Press, 2014.

Megarry, Robert, and William Wade. The Law of Real Property, 8th ed. by Charles Harpum, Stuart Bridge and Martin Dixon, London, Sweet & Maxwell, 2012.

Ship, Adam. « The Primacy of Expectancy in Estoppel Remedies : An Historical and Empirical Analysis » (2008), 46 Alta. L. Rev. 77.

Snell’s Equity, 33rd ed. by John McGhee, London, Sweet & Maxwell, 2015.

Widdifield on Executors and Trustees, 6th ed. by Carmen S. Thériault, Scarborough (Ont.), Carswell, 2002 (loose‑leaf updated 2012, release 2).

Wilken, Sean, and Karim Ghaly. The Law of Waiver, Variation, and Estoppel, 3rd ed., New York, Oxford University Press, 2012.

                    POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique (les juges Saunders, Smith et Willcock), 2016 BCCA 200, 400 D.L.R. (4th) 579, 386 B.C.A.C. 287, 667 W.A.C. 287, [2016] 10 W.W.R. 497, 19 E.T.R. (4th) 225, 87 B.C.L.R. (5th) 273, [2016] B.C.J. No. 927 (QL), 2016 CarswellBC 1238 (WL Can.), qui a infirmé en partie une décision de la juge Brown, 2015 BCSC 1170, 10 E.T.R. (4th) 218, [2015] B.C.J. No. 1428 (QL), 2015 CarswellBC 1871 (WL Can.). Pourvoi accueilli.

                    G. Darren Williams, Ellen Vandergrift et Moira Dillon, pour l’appelant.

                    Claire E. Hunter et Ryan J. M. Androsoff, pour l’intimée.

                    Version française du jugement de la juge en chef McLachlin et des juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Wagner, Gascon et Rowe rendu par

[1]                              La Juge en chef — L’equity permet de faire respecter des promesses que la common law ne permet pas de faire respecter. Le présent pourvoi concerne pareille promesse, faisant partie d’un arrangement entre frère et sœur afin de prendre soin de leur mère vieillissante. La sœur a donné l’assurance à son frère que, s’il retournait vivre dans la maison familiale pour s’acquitter de cette tâche, elle lui vendrait sa part de la maison après la mort de leur mère. Il s’agit de déterminer si l’equity — et, plus particulièrement, la doctrine de la préclusion propriétale — l’oblige maintenant à tenir parole.

[2]                              La juge de première instance a conclu que tous les éléments de la préclusion propriétale avaient été établis : la sœur a promis à son frère qu’il pourrait acquérir l’intérêt qu’elle aurait un jour dans la propriété de leur mère; le frère s’est raisonnablement fondé sur le fait qu’il s’attendait à pouvoir le faire; comme cet acte de confiance s’est révélé préjudiciable pour le frère, il serait inéquitable et injuste dans les circonstances de permettre à la sœur de revenir sur sa promesse. La preuve étaye cette conclusion.

[3]                              Ce n’est pas parce qu’elle n’avait pas d’intérêt dans la propriété au moment où son frère s’est fié à la promesse qu’elle lui avait faite que la sœur n’est pas tenue de respecter sa promesse; la préclusion propriétale grèvera l’intérêt de la sœur dans la propriété aussitôt qu’elle recevra celui‑ci de la succession de sa mère. Je suis d’avis d’accueillir le pourvoi.

I.               Faits et historique judiciaire

[4]                              Les Cowper‑Smith de Victoria n’ont pas toujours été en mauvais termes. Elizabeth et Arthur se sont mariés en 1945. Ensemble, ils ont élevé une fille, Gloria, et deux garçons, Max et Nathan. Gloria est devenue potière et elle s’est établie avec son mari à Victoria. Max a pratiqué le droit en Angleterre. Pour sa part, Nathan a déménagé à Edmonton, où il a travaillé pour le gouvernement albertain auprès d’enfants victimes de mauvais traitements.

[5]                              Peu avant qu’il meure en 1992, Arthur a expliqué à ses fils qu’Elizabeth et lui légueraient tous leurs biens à parts égales à leurs trois enfants. Ils voulaient éviter la discorde familiale. À cet égard, ils ont échoué.

[6]                              Gloria s’est d’abord brouillée avec Nathan, qui est revenu habiter la maison familiale en 2000 après la fin d’une relation de longue durée et avoir quitté son emploi à Edmonton. Il s’est effectivement occupé de la maison, ce dont Elizabeth semblait satisfaite. Toutefois, elle revenait perturbée de ses visites chez Gloria, habitée par la crainte que Nathan cherche à s’approprier sa maison et préoccupée par ce qu’elle disait être les plans de Nathan d’y organiser des [traduction] « fêtes gaies ». Aux mois de février et d’avril 2001, Nathan a reçu deux lettres rédigées à la main par Gloria. Dans la première, elle le sommait notamment de ne pas crier ou élever le ton dans la maison ni d’y « recevoir des hommes gais ». Dans la seconde, elle lui annonçait qu’il ne pouvait plus habiter chez leur mère et qu’il devait déménager immédiatement. Lorsqu’il est revenu d’un voyage à l’étranger en juin 2001, les serrures avaient été changées alors que ses effets personnels se trouvaient toujours à l’intérieur. Il est entré par effraction dans la maison. Gloria lui a fait quitter les lieux sous escorte policière. Il est finalement retourné habiter à Edmonton. Lorsqu’en 2005, Elizabeth a demandé pardon à Nathan pour ce qui était arrivé, il lui a donné l’assurance qu’il ne lui en tenait pas rigueur; il savait que Gloria était à l’origine de l’épreuve qu’il avait traversée.

[7]                              Ce fut ensuite le tour de Max. Au cours des années qui ont suivi la mort de son père, il a été aux prises avec des difficultés financières et sa santé mentale s’est détériorée. Il s’est mis à consommer de l’alcool et des drogues. Son couple s’est brisé. Après 2000, les choses se sont améliorées. Son voyage à Victoria en 2003 a été un tel succès qu’il y est revenu plus tard la même année ainsi qu’en 2005. Il s’entendait bien avec Gloria et, lorsque celle‑ci lui a clairement fait savoir qu’Elizabeth ne pouvait plus vivre seule, ils ont commencé à analyser différentes façons de prendre soin d’elle. Max a finalement accepté de renoncer à sa vie en Angleterre, de revenir vivre à Victoria, et de s’occuper de sa mère ainsi que de la maison familiale. Il l’a fait uniquement après que Gloria eut accepté que diverses dépenses lui soient remboursées, qu’il puisse utiliser la voiture de sa mère et, point crucial, qu’il puisse vivre dans la maison de façon permanente et acquérir un jour l’intérêt de Gloria sur le tiers de celle‑ci. L’arrangement a fonctionné jusqu’à ce qu’en 2009, Gloria commence à revenir sur ses promesses. La relation entre le frère et la sœur s’est dégradée, devenant d’abord acrimonieuse pour ensuite aboutir à un litige.

[8]                              En juin 2001 — à peu près à l’époque où Gloria, accompagnée par des policiers, a affronté Nathan à la maison —, la planification successorale d’Elizabeth a changé du tout au tout. Cette dernière a transféré le titre de la propriété et tous ses placements en propriété conjointe avec Gloria. Une [traduction] « déclaration de fiducie » prévoyait que Gloria détiendrait ses intérêts dans la maison et dans les placements en tant que nue‑fiduciaire, qu’Elizabeth serait la seule bénéficiaire, et que Gloria aurait « un droit absolu » sur la propriété et les placements au décès de sa mère. Elizabeth a aussi signé un nouveau testament dans lequel elle nommait Gloria exécutrice testamentaire et révoquait tous ses testaments antérieurs. En 2002, elle a révoqué ce testament en en signant un autre, son dernier. Elle a de nouveau nommé Gloria exécutrice testamentaire, mais cette fois elle a prévu que sa succession serait partagée également entre ses trois enfants. La déclaration de fiducie et la stipulation relative à la propriété conjointe de la maison et des placements — qui, si elles avaient été valides, auraient fait en sorte que la succession d’Elizabeth aurait pour ainsi dire été dépourvue de tout bien malgré le dernier testament de celle‑ci — n’ont jamais été modifiées.

[9]                              En 2005, Nathan a découvert que Gloria était copropriétaire de la maison. Gloria lui a assuré que l’arrangement visait à simplifier l’administration de la succession de leur mère et que son frère Max et lui recevraient quand même leur part d’un tiers chacun. Elle a donné la même assurance à Max quatre ans plus tard, quand celui‑ci a appris que le nom de Gloria figurait sur le titre de propriété. Ce n’est qu’en avril 2011 que Gloria a modifié sa position, soit lorsque huit mois après le décès d’Elizabeth, la déclaration de fiducie lui accordant un droit [traduction] « absolu » dans les biens de celle‑ci a été mise au jour et qu’elle a annoncé qu’elle avait l’intention de mettre en vente la maison, dans laquelle Max vivait toujours.

[10]                          La présente instance s’en est suivie. Nathan et Max ont sollicité une ordonnance annulant la déclaration de fiducie de 2001 pour cause d’influence indue de Gloria sur Elizabeth, et déclarant que Gloria détenait par conséquent la propriété et les placements en fiducie au bénéfice de la succession d’Elizabeth et que ces biens devaient être partagés également entre les trois enfants conformément au testament daté de 2002. Invoquant la préclusion propriétale, ils ont également fait valoir que Max était en droit d’acheter l’intérêt de Gloria sur le tiers de la maison.

[11]                          Les frères ont eu gain de cause en première instance (2015 BCSC 1170, 10 E.T.R. (4th) 218). La juge de première instance a conclu que Gloria n’avait pas réfuté les présomptions d’influence indue et de fiducie résultoire, et elle a déclaré que la propriété appartenait à la succession d’Elizabeth. Elle a également statué que les éléments de la préclusion propriétale avaient été établis. Gloria a interjeté appel. La Cour d’appel de la Colombie‑Britannique (2016 BCCA 200, 400 D.L.R. (4th) 579) a confirmé à l’unanimité les conclusions de la juge de première instance concernant l’influence indue et la fiducie résultoire, mais elle était divisée sur la question de la préclusion propriétale. Les juges majoritaires ont conclu que, comme Gloria ne détenait aucun intérêt dans la propriété, il ne pouvait y avoir de préclusion propriétale. La juge Smith était dissidente; elle aurait rejeté l’appel de Gloria dans son intégralité.

[12]                          Max se pourvoit devant notre Cour sur la question de la préclusion propriétale. Gloria n’a pas interjeté d’appel incident concernant l’influence indue ou la fiducie résultoire.

II.            Questions en litige

[13]                          La principale question dont nous sommes saisis est celle de savoir si la juge de première instance a conclu à tort que la préclusion propriétale permettait de faire respecter la promesse de Gloria. Nous devons donc examiner les éléments de la préclusion propriétale et vérifier si la preuve étaye la conclusion de la juge de première instance selon laquelle ces éléments sont réunis. Plus particulièrement, il nous faut décider si la demande de Max doit échouer parce que Gloria ne détenait aucun intérêt dans la propriété.

[14]                          Si la préclusion propriétale peut effectivement être établie, nous devons ensuite nous prononcer sur la question de la réparation à accorder.

III.          Analyse

[15]                          Les circonstances suivantes donnent naissance à un droit en equity : (1) une déclaration est faite au demandeur ou une assurance est donnée à celui‑ci, sur le fondement de laquelle le demandeur s’attend à bénéficier d’un certain droit ou avantage dans un bien; (2) le demandeur s’appuie sur cette attente en faisant quelque chose ou en s’abstenant de faire quelque chose, et cet acte de confiance est raisonnable eu égard à l’ensemble des circonstances; (3) le demandeur subit un préjudice en raison de son acte de confiance raisonnable, de sorte qu’il serait inéquitable ou injuste que la partie à l’origine de la déclaration ou de l’assurance revienne sur sa parole (voir Thorner c. Major, [2009] UKHL 18, [2009] 1 W.L.R. 776, par. 29, lord Walker; voir aussi Sabey c. von Hopffgarten Estate, 2014 BCCA 360, 378 D.L.R. (4th) 64, par. 30; Clarke c. Johnson, 2014 ONCA 237, 371 D.L.R. (4th) 618, par. 52; Idle‑O Apartments Inc. c. Charlyn Investments Ltd., 2014 BCCA 451, [2015] 2 W.W.R. 243, par. 49; Scholz c. Scholz, 2013 BCCA 309, 340 B.C.A.C. 151, par. 31). La déclaration ou l’assurance peuvent être expresses ou implicites (voir Wolff c. Canada (Attorney General), 2017 BCCA 30, 95 B.C.L.R. (5th) 15, par. 21; Sabey, par. 33; B. MacDougall, Estoppel (2012), p. 446; Snell’s Equity (33e éd. 2015), par J. McGhee, p. 335). Un droit virtuel en equity prend naissance lorsqu’il y a acte de confiance préjudiciable à l’égard d’une déclaration ou d’une assurance. Il n’est pas nécessaire en l’espèce de décider si ce droit en equity est de nature personnelle ou propriétale. Lorsque la partie dont émane la déclaration ou l’assurance possède dans le bien un intérêt suffisant pour répondre à l’attente du demandeur, la préclusion propriétale peut donner effet au droit en equity en rendant obligatoire la déclaration ou l’assurance.

[16]                          La préclusion propriétale protège le droit en equity, qui, pour sa part, protège l’acte de confiance raisonnable du demandeur (voir S. Bright et B. McFarlane, « Proprietary Estoppel and Property Rights » (2005), 64 Cambridge L.J. 449, p. 452). À l’instar d’autres types de préclusion, la préclusion propriétale prévient l’iniquité ou l’injustice dont serait victime l’une des parties si l’autre pouvait revenir sur sa parole et insister sur le respect de ses droits stricts (voir Taylors Fashions Ltd. c. Liverpool Victoria Trustees Co., [1981] 1 All E.R. 897 (Ch.), p. 909, 915‑916 et 918). Comme l’a dit lord Denning, maître des rôles, dans Amalgamated Investment & Property Co. (In Liquidation) c. Texas Commerce International Bank Ltd., [1982] 1 Q.B. 84 (C.A.), p. 122 :

                    [traduction] Lorsque les parties à une opération se fondent sur une présupposition sous‑jacente — de fait ou de droit — peu importe qu’elle découle d’une affirmation inexacte ou d’une erreur — qui a guidé leurs rapports —, aucune d’elles ne peut revenir sur cette présupposition lorsqu’il serait inéquitable ou injuste de lui permettre de le faire. Si l’une des parties souhaite revenir sur la présupposition, les tribunaux accorderont à l’autre partie la réparation qui s’impose en equity.

Voir également Ryan c. Moore, 2005 CSC 38, [2005] 2 R.C.S. 53, par. 51; MacDougall, p. 15‑16.

[17]                          Dans les cas où la protection de l’equity peut nécessiter la reconnaissance de [traduction] « nouveaux droits et intérêts [. . .] sur la terre ou à son égard » (Crabb c. Arun District Council, [1975] 3 All E.R. 865 (C.A.), p. 871, lord Denning, maître des rôles), la préclusion propriétale peut faire une chose que ne sont pas susceptibles de faire les autres préclusions — elle peut fonder une cause d’action (voir MacDougall, p. 424; McGhee, p. 330‑333). Lorsque les éléments constitutifs de la préclusion propriétale sont présents, le tribunal doit décider s’il convient de donner effet au droit en equity en cause en reconnaissant la modification ou la création de droits de propriété [traduction] « dans des situations où il n’y a pas de contrepartie ou d’écrit » (Anger & Honsberger Law of Real Property (3éd. (feuilles mobiles)), par A. W. La Forest, p. 28‑3).

[18]                          Il s’est avéré difficile de parvenir à un consensus sur les éléments de la préclusion propriétale (voir Thorner, par. 29, lord Walker; MacDougall, p. 444‑447). Au cours des dernières décennies, nous avons pu assister à un assouplissement des cinq critères, ou « éléments à prouver », énoncés par le juge Fry dans Willmott c. Barber (1880), 15 Ch. D. 96, p. 105‑106 — et cités par notre Cour dans Canadian Superior Oil Ltd. c. Paddon‑Hughes Development Co., [1970] R.C.S. 932, p. 938‑939, et Sohio Petroleum Co. c. Weyburn Security Co., [1971] R.C.S. 81, p. 85‑86 — les juges s’étant écartés d’exigences strictes susceptibles de restreindre leur capacité de rendre justice dans les circonstances d’une affaire donnée (voir Clarke, par. 41‑53; Sykes c. Rosebery Parklands Development Society, 2011 BCCA 15, 330 D.L.R. (4th) 84, par. 44‑49; Erickson c. Jones, 2008 BCCA 379, 299 D.L.R. (4th) 465, par. 52‑57; Crabb, p. 876‑877, le lord juge Scarman; Taylors Fashions, p. 915‑918).

[19]                          Or, cet assouplissement ne doit pas se faire au détriment de la clarté et de la prévisibilité. Comme l’a mentionné le professeur MacDougall :

                    [traduction] Bien que les cinq éléments à prouver doivent être remplacés comme critères régissant la préclusion, une formulation structurée qui permette d’établir la nécessité d’appliquer la préclusion propriétale sert l’objectif consistant à offrir une méthode utile et raisonnablement claire pour prédire la préclusion. Remplacer une telle structure par un seul facteur du caractère « inéquitable » ou « inique » mène [. . .] [à] une doctrine trop indéterminée et floue qui ne fait qu’encourager le recours aux tribunaux, compte tenu en particulier de la nature déjà très souple et indéterminée de l’effet de la préclusion. [p. 447]

[20]                          Je suis d’accord. Le caractère inéquitable ou le caractère injuste — parfois dit « inique », quoique dans un sens différent de celui dans lequel ce terme est utilisé en droit des contrats (voir Ryan, par. 74) — ne constituent pas des critères indépendants; c’est ce que la préclusion propriétale vise à éviter en obligeant le titulaire de l’intérêt à tenir parole.

[21]                          Il est généralement entendu au Canada que la préclusion propriétale porte sur des intérêts fonciers (Delane Industry Co. c. PCI Properties Corp., 2014 BCCA 285, 359 B.C.A.C. 61, par. 49; Burgsteden c. Long, 2014 SKCA 115, 378 D.L.R. (4th) 562, par. 25; Clarke, par. 52; Eberts c. Carleton Condominium Corp. No. 396 (2000), 136 O.A.C. 317, par. 23; Bellton Farms Ltd. c. Campbell, 2016 NSCA 1, 394 D.L.R. (4th) 262, par. 46). Néanmoins, comme le professeur MacDougall l’a fait remarquer, [traduction] « on pourrait soutenir que l’imposition d’une restriction à un bien‑fonds est arbitraire [. . .] Tout a commencé par un quelconque concours de circonstances où la préclusion propriétale [. . .] a été créée comme un moyen de contourner les exigences de forme qui limitaient principalement la création ou le transfert de droits fonciers » (p. 450; voir aussi Wettstein c. Wettstein, 1992 CarswellBC 1421 (WL Can.) (C.S.), par. 56‑57). La Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a pris acte de la question de savoir si la préclusion propriétale [traduction] « s’applique également à d’autres droits propriétaux », même si cela n’était pas en cause dans l’affaire dont elle était saisie (Sabey, par. 32). Les tribunaux anglais sont allés beaucoup plus loin en faisant droit à des demandes fondées sur la préclusion propriétale à l’égard de chatels, de polices d’assurance, de droits de propriété intellectuelle, d’éléments d’actif commercial et d’autres types de biens (voir S. Wilken et K. Ghaly, The Law of Waiver, Variation, and Estoppel (3e éd. 2012), p. 263‑264; MacDougall, p. 452‑453; voir aussi Thorner, par. 48 et 66, lord Walker, et par. 104, lord Neuberger).

[22]                          Nous n’avons pas à décider, en l’espèce, si la préclusion propriétale peut grever un intérêt autre qu’un intérêt foncier; Max s’attendait à bénéficier d’un droit dans la maison familiale, soit celui d’acquérir l’intérêt que Gloria aurait un jour dans celle‑ci. Nous n’avons pas non plus à trancher la question de savoir si l’equity assure plus généralement le respect de promesses non contractuelles auxquelles des demandeurs se sont fiés, à leur préjudice (voir, p. ex., Waltons Stores (Interstate) Ltd. c. Maher (1988), 76 A.L.R. 513 (H.C.), p. 524‑525, le juge en chef Mason et le juge Wilson). Comme je l’expliquerai plus loin, la préclusion propriétale peut prévenir l’iniquité d’un préjudice non compensé lorsque le demandeur s’est raisonnablement fondé sur le fait qu’il s’attendait à bénéficier d’un droit ou d’un avantage dans un bien, même si la partie à l’origine de cette attente ne possédait pas d’intérêt dans ce bien au moment de l’acte de confiance du demandeur.

A.            L’acte de confiance de Max était‑il raisonnable?

[23]                          Rappelons que, pour établir la préclusion propriétale, il faut d’abord démontrer l’existence d’un droit en equity du type de ceux que protège la préclusion propriétale. Trois choses sont nécessaires : une déclaration ou une assurance sur le fondement de laquelle le demandeur s’attend à bénéficier d’un droit ou d’un avantage dans un bien; un acte de confiance raisonnable à l’égard de cette attente; un préjudice résultant de l’acte de confiance. Lorsque le titulaire d’un intérêt dans le bien dans lequel le demandeur s’attend à bénéficier d’un droit ou d’un avantage est à l’origine de la déclaration ou de l’assurance, la préclusion propriétale peut alors donner effet au droit en equity établi par l’acte de confiance raisonnable du demandeur.

[24]                          Il ne fait aucun doute que Gloria a donné à Max l’assurance que, s’il retournait vivre à Victoria pour prendre soin de leur mère, il pourrait acquérir l’intérêt qu’elle détiendrait un jour dans la maison. Il n’est pas non plus contesté que, parce qu’il s’est fié à cette assurance, Max a subi un préjudice. La juge de première instance a conclu, et tous en conviennent maintenant, que [traduction] « Max a agi à son préjudice en quittant l’Angleterre pour venir s’installer à Victoria et en renonçant à un revenu d’emploi, à la location à long terme d’une petite maison, aux contacts qu’il avait avec ses enfants et à sa vie sociale pour prendre soin de sa mère âgée qui souffrait de démence », et qu’« [i]l l’a fait en se fiant au fait que Gloria acceptait les conditions auxquelles il consentait à déménager » (par. 118).

[25]                          La question est de savoir si l’acte de confiance de Max était raisonnable. Dans la négative, aucun droit en equity n’a alors pris naissance en sa faveur. Gloria soutient — et les juges majoritaires de la Cour d’appel ont retenu cet argument — que l’acte de confiance de Max ne pouvait pas être raisonnable parce que Gloria ne détenait pas d’intérêt dans la propriété. Le juge Willcock se pose la question suivante au par. 111 de ses motifs : [traduction] « Comment peut‑on se fier raisonnablement à une promesse de céder un intérêt dans un bien faite par une personne qui ne possède pas un tel intérêt ou dont l’intérêt est incertain? »

[26]                          Le caractère raisonnable dépend des circonstances. Comme l’a dit lord Walker dans l’arrêt Thorner, [traduction] « pour établir une préclusion propriétale, il faut que l’assurance donnée soit suffisamment claire », c’est‑à‑dire que « [l]a promesse ne doit comporter aucune ambiguïté et doit donner l’impression de devoir être prise au sérieux. Considérée dans son contexte, la promesse doit permettre raisonnablement de penser que la personne à qui elle a été faite s’y fiera » (par. 56, citant Walton c. Walton, E.W.C.A., 14 avril 1994 (non publié), par. 16, le lord juge Hoffmann; voir également Gillett c. Holt, [2001] Ch. 210 (C.A.), p. 225; Taylors Fashions, p. 915‑916; McGhee, p. 338). Ce qui importe, c’est ce que l’une des parties a amené l’autre à croire; comme l’a dit lord Hoffmann dans l’arrêt Thorner, la question est de savoir si [traduction] « le sens du message [. . .] véhiculé aurait raisonnablement été interprété comme une assurance à prendre au sérieux et sur laquelle on pouvait se fonder » (par. 5; voir aussi Crabb, p. 871, B. McFarlane, The Law of Proprietary Estoppel (2014), p. 98).

[27]                          Dans l’arrêt Thorner, l’une des parties avait amené l’autre à croire qu’elle hériterait d’une ferme. Comme les parties savaient que [traduction] « l’étendue de la ferme était susceptible de fluctuer (en fonction des possibilités de développement et des tenances accordées) », « [i]l ne fait aucun doute que leur perception commune était que l’assurance donnée portait sur ce en quoi consisterait la ferme au décès [du titulaire d’intérêt] » (par. 62). Ce n’était pas le type d’incertitude qui rendait déraisonnable le fait de se fier à cette assurance, parce qu’« il n’est pas avantageux, compte tenu du caractère rétrospectif de l’évaluation qu’exige la doctrine de la préclusion propriétale, d’émettre des hypothèses sur ce qui aurait pu arriver » (par. 65).

[28]                          Cette méthode d’évaluation de la certitude — et par le fait même du caractère raisonnable de l’acte de confiance — permet à l’equity [traduction] « d’atténuer les rigueurs du droit strict » (Crabb, p. 871; voir également Thorner, par. 98, lord Neuberger). Contrairement au contrat qui, [traduction] « sous réserve de la doctrine restreinte de l’impossibilité d’exécution, doit être exécuté quoi qu’il arrive », l’equity « jette un regard rétrospectif à partir du moment où la promesse doit être exécutée, et appelle à se demander si, dans les circonstances de l’espèce, il serait inique qu’elle ne soit pas tenue » (Walton, par. 20‑21, cité dans Thorner, par. 57).

[29]                          Dans une demande fondée sur la préclusion propriétale, où l’on prétend qu’un droit en equity a pris naissance lorsque le demandeur s’est appuyé sur le fait qu’il s’attendait à bénéficier d’un certain droit ou avantage dans un bien, il se peut que l’intérêt que la partie à l’origine de l’attente détenait dans le bien en cause ait été tellement hypothétique que l’acte de confiance du demandeur ne pouvait être raisonnable (voir Cobbe c. Yeoman’s Row Management Ltd., [2008] UKHL 55, [2008] 1 W.L.R. 1752, par. 20, lord Scott). Or, la réponse à la question de savoir si tel est le cas dépendra du contexte, et non de restrictions théoriques préalables. La règle de démarcation très nette proposée par les juges majoritaires de la Cour d’appel — à savoir qu’il ne peut jamais être raisonnable de se fier à une promesse faite par une partie n’ayant aucun intérêt actuel dans un bien — est incompatible avec l’objet de l’equity, lequel consiste à atténuer les effets draconiens du droit strict.

[30]                          La question de savoir si, dans une affaire donnée, l’acte de confiance du demandeur était raisonnable dans les circonstances est une question mixte de fait et de droit. La décision du juge de première instance à cet égard commande la déférence, sauf si elle est entachée d’une erreur manifeste et dominante (voir Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, par. 36).

[31]                          Dans la présente affaire, il ressort des conclusions de la juge de première instance que Max et Gloria avaient tous deux clairement compris depuis plus d’une décennie que la succession de leur mère, y compris la maison dans laquelle celle‑ci vivait, serait partagée également entre ses trois enfants à son décès. Nathan, Max et l’ex‑femme de Max ont tous trois témoigné avoir eu avec Elizabeth et Arthur, juste avant le décès de ce dernier en 1992, une conversation au cours de laquelle les deux parents avaient clairement dit que tous leurs avoirs seraient partagés également entre leurs trois enfants au décès d’Elizabeth. Max a ajouté qu’Elizabeth le lui avait confirmé en 2002. Gloria a concédé au procès qu’au cours des années ayant précédé le décès de sa mère, elle avait fait des déclarations exprimant la même attente. Ce n’est qu’en avril 2011 qu’elle s’est écartée de cette position, et a affirmé qu’elle avait droit à l’ensemble du patrimoine de sa mère, y compris la maison.

[32]                          Il était donc suffisamment certain que Gloria hériterait d’un intérêt sur le tiers de la propriété pour que l’assurance qu’elle avait donnée soit sérieusement considérée par Max comme une assurance à laquelle il pouvait se fier. Max et Gloria ont négocié longtemps avant que Max ne renonce à sa vie en Angleterre pour retourner à Victoria. Gloria lui a promis sans équivoque qu’il pourrait acquérir sa part de la propriété s’il le faisait. Elle a pris cet engagement, entre autres, pour l’inciter à retourner vivre dans la maison familiale. À cet égard, elle a réussi. Je ne vois aucune raison d’infirmer la conclusion de la juge de première instance selon laquelle, dans les circonstances, l’acte de confiance de Max était raisonnable.

[33]                          Max s’est raisonnablement appuyé sur le fait qu’il s’attendait à pouvoir acquérir l’intérêt de Gloria dans la propriété une fois que la succession de leur mère aurait été administrée de la manière habituelle. Gloria est à l’origine de cette attente. Elle a fait cette promesse avant que Max ne quitte l’Angleterre pour retourner à Victoria. Max a de ce fait subi un préjudice, de sorte qu’il serait inéquitable ou injuste de permettre à Gloria de manquer à sa parole. Un droit en equity a donc pris naissance en faveur de Max. C’est ce droit en equity que la préclusion propriétale protégera si les éléments d’une telle préclusion sont établis.

B.            La préclusion propriétale protège‑t‑elle le droit en equity en cause?

[34]                          Pour trancher la question de savoir si les éléments de la préclusion propriétale sont établis en l’espèce, il faut se demander si, au moment de l’acte de confiance du demandeur, la partie à l’origine du fait que ce dernier s’attendait à bénéficier d’un droit ou d’un avantage dans la propriété devait avoir dans celle‑ci un intérêt suffisant pour répondre à l’attente du demandeur. Les juges majoritaires de la Cour d’appel ont conclu que, comme Gloria ne possédait pas un tel intérêt au moment de l’acte de confiance de Max, la demande fondée sur la préclusion propriétale ne pouvait être accueillie. Le juge Willcock a écrit ce qui suit au par. 117 :

                        [traduction] . . . je ne vois aucune raison de principe d’élargir la cause d’action afin de permettre à une personne d’acquérir un intérêt dans un bien du fait qu’elle s’est fiée à une assurance — donnée par un non‑titulaire d’intérêt — qui ne constitue pas véritablement une obligation contractuelle. Un tel élargissement poserait problème, défaisant entièrement les liens qui rattachent au bien la seule préclusion susceptible d’être utilisée comme moyen d’attaque.

[35]                          Je ne suis pas d’accord. Soit dit en tout respect, la conclusion à laquelle sont parvenus les juges majoritaires de la Cour d’appel confond la préclusion propriétale et le droit en equity auquel elle donne effet. Que Gloria n’ait pas eu d’intérêt dans la propriété de sa mère au moment de l’acte de confiance de Max n’est pas déterminant en soi (voir MacDougall, p. 456; voir aussi Thorner, par. 61, lord Walker; Re Basham (deceased), [1987] 1 All E.R. 405 (Ch.), p. 415). Un droit en equity prend naissance lorsque le demandeur se fonde raisonnablement, à son préjudice, sur le fait qu’il s’attend à bénéficier d’un droit ou d’un avantage dans un bien, que la partie à l’origine de cette attente possède ou non un intérêt dans ce bien au moment de l’acte de confiance du demandeur. Il est possible que la préclusion propriétale ne protège pas ce droit immédiatement. Il pourrait s’écouler une très longue période avant qu’elle le protège. Si la partie à l’origine de l’attente n’acquiert jamais d’intérêt suffisant dans le bien, il pourrait ne pas y avoir du tout de préclusion propriétale; lorsqu’il y a préclusion propriétale, il y a nécessairement un droit en equity, mais l’inverse n’est pas vrai. Cependant, lorsque la partie à l’origine de l’attente a un intérêt suffisant dans le bien ou en acquiert un, la préclusion propriétale grève cet intérêt et protège le droit en equity en cause (voir MacDougall, p. 458; Wilken et Ghaly, p. 265‑266; voir aussi Watson c. Goldsbrough, [1986] 1 E.G.L.R. 265 (C.A.), p. 267). L’existence d’un intérêt dans le bien au moment où une personne se fie à la déclaration qui lui est faite ou à l’assurance qui lui est donnée n’est pas nécessaire pour que la préclusion propriétale puisse être invoquée.

[36]                          Un droit en equity a pris naissance en faveur de Max lorsque ce dernier s’est fondé raisonnablement, à son préjudice, sur le fait qu’il s’attendait à pouvoir acquérir l’intérêt de Gloria sur le tiers de la maison de leur mère. La préclusion propriétale ne pouvait pas protéger ce droit au moment où celui‑ci a pris naissance, parce que Gloria ne détenait alors aucun intérêt dans la propriété. Cela ne signifie pas pour autant que la préclusion propriétale ne peut pas grever la part de Gloria dans la maison lorsqu’elle recevra celle‑ci. Je conclus qu’elle peut avoir un tel effet.

[37]                          Gloria n’a pas encore d’intérêt dans la propriété. Celle‑ci fait toujours entièrement partie du reliquat de la succession d’Elizabeth. Le testament de cette dernière dispose que le reliquat doit être partagé en parts égales entre ses trois enfants et distribué à ceux‑ci. Gloria y est nommée exécutrice testamentaire, et elle est désignée en cette qualité dans la présente instance. Gloria doit donc, à titre d’exécutrice testamentaire, transférer un intérêt sur le tiers de la propriété à chacun des bénéficiaires de la succession, y compris à elle‑même, pour que la préclusion propriétale puisse grever sa part et qu’il puisse être donné effet au droit en equity de Max. Comme je l’ai dit, la préclusion propriétale grèvera l’intérêt de Gloria lorsque, et uniquement lorsque, cet intérêt sera suffisant pour permettre de donner effet au droit en equity en cause — c.‑à‑d. aussitôt que Gloria l’aura obtenu de la succession.

[38]                          Gloria soutient, et la juge Côté souscrit à cet argument, qu’en sa qualité d’exécutrice testamentaire, elle ne saurait être tenue de transférer un intérêt sur le tiers de la propriété à chacun des bénéficiaires de la succession de manière à ce que la promesse qu’elle a faite à Max puisse être respectée. Je ne suis pas d’accord.

[39]                          Un partage en nature de la propriété n’est pas contraire à l’intention d’Elizabeth. Le testament d’Elizabeth conférait à Gloria, en sa qualité d’exécutrice testamentaire, le pouvoir discrétionnaire d’effectuer un partage en nature de la succession; cette possibilité avait été envisagée par Elizabeth et est conforme à l’intention exprimée dans son testament. Le fait d’ordonner un partage en nature de la propriété ne s’apparente donc pas à la création d’un legs spécifique (voir les motifs de la juge Côté, par. 77).

[40]                          Lorsqu’un testament prévoit que l’exécuteur testamentaire dispose d’un pouvoir discrétionnaire, celui‑ci peut, avec le consentement de tous les bénéficiaires, effectuer un partage en nature des biens réels (voir Re Harris (1915), 22 D.L.R. 381 (C.S. Ont.), p. 386; Gunn Estate, Re, 2010 PECA 13, 200 Nfld. & P.E.I.R. 197, par. 42 et 49). L’opposition d’un bénéficiaire à un tel partage ne devrait pas être vexatoire ou manifestement déraisonnable (Re Harris, p. 386). En l’espèce, Max souhaite clairement un partage en nature de la propriété, Nathan a indiqué qu’il avait une entente avec Max concernant la propriété, et Gloria, en sa qualité de bénéficiaire, n’a pas soulevé d’objection convaincante en ce qui concerne un tel partage. L’opposition de Gloria à un partage en nature est fondée sur son désir de se soustraire à son obligation en equity et de contrarier son frère, ce qui est manifestement déraisonnable.

[41]                          De plus, la Cour a le pouvoir d’ordonner à Gloria d’exercer son pouvoir discrétionnaire d’exécutrice testamentaire d’une certaine façon. En sa qualité d’exécutrice testamentaire, Gloria agit à titre fiduciaire et a des obligations envers les bénéficiaires de la succession. Les tribunaux peuvent intervenir dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire d’un exécuteur testamentaire lorsqu’il y a manquement à ce devoir fiduciaire (voir Widdifield on Executors and Trustees (6e éd. (feuilles mobiles)), par C. S. Thériault, p. 8‑4). En l’espèce, le conflit d’intérêts de Gloria et sa mauvaise foi justifient d’ordonner un partage en nature.

[42]                          Les devoirs de Gloria en sa qualité d’exécutrice testamentaire sont clairement incompatibles avec ses intérêts en sa qualité de bénéficiaire. En tant que bénéficiaire, Gloria peut être tenue de satisfaire à son obligation en equity envers Max seulement si les éléments de la préclusion propriétale sont réunis. À titre d’exécutrice testamentaire, elle pourrait empêcher cela en décidant de ne pas effectuer un partage en nature de la propriété. Lorsqu’un exécuteur testamentaire en conflit d’intérêts exerce son pouvoir discrétionnaire pour convertir un bien de la succession en argent sans raison impérieuse (et contre la volonté expresse des bénéficiaires), les tribunaux peuvent intervenir (voir Staub c. Staub Estate, 2003 ABCA 122, 226 D.L.R. (4th) 327, par. 14‑24). Gloria n’a pas invoqué de raison impérieuse pour laquelle un partage en nature devrait être refusé, et elle n’a pas non plus expliqué de quelle façon la vente de la propriété maximiserait la valeur de la succession. Le fait d’ordonner un partage en nature en l’espèce règle le problème du conflit d’intérêts de Gloria en permettant d’éviter les retards ou les dépenses qu’occasionnerait son remplacement en tant qu’exécutrice testamentaire.

[43]                          De plus, la mauvaise foi de Gloria justifie d’ordonner un tel partage. La juge de première instance a conclu que Gloria était [traduction] « aveuglée par son animosité envers ses frères » (par. 68). Gloria a induit ses frères en erreur en ce qui a trait au contenu de la succession et au partage prévu de celle‑ci, et le dossier révèle 10 années de querelle au sujet de la propriété. Ces éléments sont des preuves convaincantes que, si la Cour n’intervient pas, Gloria continuera à exercer son pouvoir discrétionnaire de mauvaise foi; or, un partage en nature permet d’éviter cela.

[44]                          Je suis donc d’avis d’ordonner à Gloria, en sa qualité d’exécutrice testamentaire, de partager immédiatement la propriété en intérêts égaux d’un tiers qu’elle remettra à Max, à Nathan et à elle‑même à titre de bénéficiaires de la succession d’Elizabeth. Aussitôt qu’elle l’aura fait, les éléments de la préclusion propriétale seront réunis :

1.      Gloria — qui, par l’effet de l’ordonnance de notre Cour, détiendra un intérêt sur le tiers de la propriété — a fait une promesse à Max, sur le fondement de laquelle celui‑ci s’attendait à bénéficier du droit d’acquérir cet intérêt;

2.      En se fondant raisonnablement sur cette attente, Max est revenu vivre à Victoria pour prendre soin de leur mère pendant les dernières années de sa vie;

3.      Ce faisant, Max a subi un préjudice, de sorte qu’il serait inéquitable ou injuste de permettre à Gloria de ne pas tenir sa promesse.

[45]                          Je conclus donc que la juge de première instance n’a pas commis d’erreur en faisant droit à la demande de Max fondée sur la préclusion propriétale.

C.            Quelle réparation convient‑il d’accorder?

[46]                          Lorsque le demandeur a établi la préclusion propriétale, le tribunal dispose d’un large pouvoir discrétionnaire pour concevoir une réparation adaptée aux circonstances (voir Griffiths c. Williams, [1978] 2 E.G.L.R. 121 (C.A.), p. 122, le lord juge Goff; MacDougall, p. 498‑501). Comme il en va de l’exercice de tout pouvoir discrétionnaire, le tribunal d’appel ne devrait intervenir que si la décision du juge de première instance révèle une erreur de principe ou est nettement erronée (voir de Montigny c. Brossard (Succession), 2010 CSC 51, [2010] 3 R.C.S. 64, par. 27, citant Housen, par. 10 et 25).

[47]                          Néanmoins, [traduction] « le tribunal doit adopter une approche raisonnée et ne doit pas exercer un pouvoir discrétionnaire absolu qui soit fonction de la conception personnelle d’un juge de ce qui est juste dans un cas donné » (Jennings c. Rice, [2002] EWCA Civ. 159, [2003] 1 P. & C.R. 100, par. 43, le lord juge Walker). Le demandeur qui démontre qu’il est nécessaire d’appliquer la préclusion propriétale n’a droit qu’à la réparation minimale nécessaire pour donner effet au droit en equity en sa faveur (voir Clarke, par. 81; Sabey, par. 78; Idle‑O Apartments, par. 73; Sykes, par. 57‑58; MacDougall, p. 498; R. Megarry et W. Wade, The Law of Real Property (8e éd. 2012), par C. Harpum, S. Bridge et M. Dixon, p. 731). Puisque l’equity vise à corriger le préjudice inéquitable ou injuste que subirait le demandeur si l’on permettait au titulaire d’intérêt de revenir sur une incitation, un encouragement ou un acquiescement de sa part, [traduction] « il doit y avoir proportionnalité entre la réparation et le préjudice qu’elle a pour objet d’éviter » (Commonwealth of Australia c. Verwayen (1990), 170 C.L.R. 394 (H.C.A.), p. 413, le juge en chef Mason; voir également Sabey, par. 73‑75; Idle‑O Apartments, par. 76; Jennings, par. 36, le lord juge Aldous; Sledmore c. Dalby (1996), 72 P. & C.R. 196 (C.A.), p. 208‑209, le lord juge Hobhouse; S. Gardner, « The Remedial Discretion in Proprietary Estoppel — Again » (2006), 122 L.Q.R. 492, p. 499‑503; Bright et McFarlane, p. 453‑454).

[48]                          Cette approche reconnaît que, bien qu’il y ait préclusion propriétale lorsque les attentes du demandeur sont déçues, le caractère raisonnable de ces attentes doit être évalué au regard notamment du préjudice réellement subi par le demandeur (voir A. Ship, « The Primacy of Expectancy in Estoppel Remedies : An Historical and Empirical Analysis » (2008), 46 Alta. L. Rev. 77, p. 104‑105). Les tribunaux d’equity doivent donc établir un équilibre entre la reconnaissance des attentes subjectives du demandeur — lesquelles, eu égard au contexte global, peuvent ou non refléter une évaluation raisonnable du préjudice subi par celui‑ci — et la réparation de ce préjudice, qui peut être difficile, voire impossible à mesurer (voir Sabey, par. 80‑82; Jennings, par. 50‑51, le lord juge Walker). Le demandeur ne peut cependant, en aucun cas, obtenir plus que ce à quoi il s’attendait (voir Pilcher c. Shoemaker (1997), 13 R.P.R. (3d) 42 (C.S. C.‑B.), par. 21; Ellis c. Eddy Holding Ltd. (1996), 7 R.P.R. (3d) 70 (C.S. C.‑B.), par. 26; Bright et McFarlane, p. 456‑457).

[49]                          En l’espèce, le préjudice subi par Max réside dans le fait qu’il est retourné à Victoria pour vivre avec sa mère vieillissante et en prendre soin. Max s’attendait entre autres à pouvoir acquérir la part de Gloria dans la maison de leur mère après le décès de celle‑ci et une fois que sa succession aurait été administrée. Comme il avait respecté sa part du marché, il a sollicité une ordonnance enjoignant à Gloria de respecter la sienne en lui vendant son intérêt sur le tiers de la propriété. La juge de première instance a conclu que c’était là le minimum requis pour donner effet au droit en equity en cause.

[50]                          Obliger Gloria à vendre à Max son intérêt dans la maison est le minimum nécessaire pour donner effet au droit en equity de Max. La question est de savoir à quel prix elle doit le faire.

[51]                          Max soutient qu’il devrait pouvoir acheter la part de Gloria pour la somme de 223 333,33 $, laquelle tient compte de la valeur d’expertise de la propriété établie en 2011 à 670 000 $. Gloria fait valoir que, si on lui ordonne de vendre son intérêt à Max, elle devrait pouvoir le faire à sa juste valeur marchande actuelle, laquelle, les parties en conviennent, est plus élevée qu’en 2011.

[52]                          Je suis d’accord avec Max. Aussitôt que Gloria recevra de la succession de sa mère un intérêt dans la propriété, tous les éléments de la préclusion propriétale seront réunis. Toutefois, le droit en equity en cause aura pris naissance bien avant — c’est‑à‑dire au moment de l’acte de confiance de Max. Le droit en equity de Max vise à prévenir l’iniquité et l’injustice qu’il y aurait si Gloria était autorisée à manquer à sa parole et à ne pas lui vendre son intérêt, malgré le préjudice qu’il a subi en quittant l’Angleterre pour retourner à Victoria. Max a estimé que ce préjudice valait les concessions qu’il a obtenues de Gloria. L’une d’elles était qu’il pourrait acquérir l’intérêt de Gloria dans la propriété en contrepartie d’une somme équivalant au tiers de sa juste valeur marchande totale, une fois que la succession aurait été administrée.

[53]                          Ni Max ni Gloria ne pouvaient raisonnablement prévoir qu’il faudrait près d’une décennie avant que Max puisse acquérir l’intérêt de Gloria dans la propriété. On peut supposer sans risque de se tromper que, si Gloria n’avait pas tenté de se soustraire à sa promesse, il aurait été donné effet au droit en equity de Max et la part de Gloria dans la maison aurait été vendue à celui‑ci peu après le 2 février 2011, date à laquelle, dans le cadre de l’administration de la succession de leur mère, la propriété a effectivement été évaluée à 670 000 $. Au lieu de vendre son intérêt dans la maison à Max à ce moment‑là — c’est‑à‑dire à peu près au moment qu’ils avaient au départ envisagé qu’elle le ferait — Gloria a indiqué qu’elle n’était tenue à aucune obligation en ce sens, d’où le présent litige. Depuis ce temps, Max a bénéficié de l’argent qu’il aurait versé à Gloria en 2011 pour acquérir sa part de la maison, la succession d’Elizabeth a engagé des dépenses pour l’entretien de la propriété et celle‑ci, les parties en conviennent, a pris de la valeur.

[54]                          Le 2 février 2011 est une approximation raisonnable du moment auquel Max s’attendait à pouvoir acquérir l’intérêt de Gloria sur le tiers de la propriété. Cette attente reflète le droit précis que Gloria avait promis à Max en échange de son retour à Victoria pour prendre soin de leur mère. Dans ces circonstances, l’attente du demandeur doit guider le tribunal dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en matière de réparation. Il en est ainsi parce que, comme le lord juge Walker l’a dit dans l’arrêt Jennings, par. 45 :

                    [traduction] . . . l’élément consensuel de ce qui s’est produit indique que le demandeur et le bienfaiteur ont probablement considéré que l’avantage attendu et le préjudice accepté étaient (de façon générale et imprécise) équivalents, ou, en tout état de cause, qu’ils n’étaient pas manifestement disproportionnés.

[55]                          Reconnaître l’attente de Max permettra de donner effet au droit en equity que détient celui‑ci, et qui a pris naissance au moment de l’acte de confiance, en prévenant le préjudice inéquitable et injuste que Max subirait si Gloria pouvait manquer à sa promesse (voir Gardner, p. 497; Bright et McFarlane, p. 458). L’attente de Max — c.‑à‑d. l’avantage dont lui et Gloria ont convenu qu’il compenserait le préjudice qu’il subirait en retournant à Victoria — était qu’il pourrait acquérir l’intérêt de Gloria dans la propriété une fois que la succession de leur mère aurait été administrée, ce qui, ils ne pouvaient s’y attendre, prendrait des années. Le minimum requis pour donner effet au droit en equity de Max consiste donc à rendre une ordonnance lui permettant d’acheter l’intérêt de Gloria à sa juste valeur marchande établie à la date approximative à laquelle il se serait raisonnablement attendu à pouvoir l’acquérir au départ, à savoir à un certain moment au début de l’année 2011.

[56]                          Conclure autrement serait faire abstraction de la différence entre le droit en equity et la préclusion. Le fait que la préclusion ne pouvait pas être invoquée au moment où le droit en equity a pris naissance n’a aucune importance. Il faut envisager de façon large les attentes de Max. Contrairement à ce que soutient le juge Brown, le minimum nécessaire pour donner effet au droit en equity et le pouvoir discrétionnaire dont dispose le tribunal dans la détermination de la réparation à accorder ne sont pas circonscrits par le moment où le droit en equity est devenu un droit de nature propriétale ou le moment où la cause d’action a pris naissance : [traduction] « La valeur de ce droit en equity dépendra de toutes les circonstances, y compris l’attente et le préjudice. Le rôle du tribunal consiste à rendre justice. L’exigence la plus importante est qu’il doit y avoir proportionnalité entre l’attente et le préjudice » (Jennings, par. 36, le lord juge Aldous). Ce que le minimum nécessaire pour donner effet au droit en equity exige — notamment en ce qui a trait à la somme pour laquelle Gloria doit vendre sa part à Max — est déterminé par ce qu’il protège.

[57]                          Or, comme l’a reconnu la juge de première instance, donner effet au droit en equity en cause ne signifie pas que Gloria doive subir une perte. Si les choses s’étaient passées comme Max s’attendait raisonnablement à ce qu’elles se passent, Gloria aurait renoncé à son intérêt dans la propriété au début de l’année 2011 en échange d’une somme équivalant à sa juste valeur marchande. Elle aurait bénéficié de ces fonds pendant les années qui ont suivi, et la succession de sa mère n’aurait pas eu à supporter le coût de l’entretien de la propriété, de sorte que le reliquat devant être partagé également entre Gloria et ses frères aurait été plus important.

[58]                          Max aura donc le droit d’acheter l’intérêt de Gloria dans la propriété pour la somme de 223 333,33 $ — plus un montant représentant l’intérêt après jugement qui serait exigible en vertu d’un jugement au même montant rendu le 2 février 2011 — une fois que Gloria aura reçu cet intérêt de la succession d’Elizabeth. Après avoir acquis l’intérêt de Gloria dans la propriété, Max devra remettre à la succession le montant des dépenses engagées par celle‑ci pour l’entretien de la propriété à compter du 2 février 2011.

[59]                          Aucun argument n’a été soulevé relativement à l’existence de revendications de tiers contre la succession, qui pourraient avoir priorité sur les demandes des bénéficiaires. De plus, dans la mesure où les bénéficiaires sont prêts à payer les dettes de la succession, l’existence de telles dettes n’empêche pas un partage en nature de la propriété (voir Staub, par. 23). Néanmoins, la présente ordonnance sera assujettie à toute revendication de tiers contre la succession à laquelle les autres éléments d’actif de la succession (comme les placements d’Elizabeth) ne permettent pas de satisfaire.

[60]                          Je suis d’avis d’accueillir le pourvoi et de modifier en conséquence l’ordonnance de la juge de première instance, avec dépens en faveur de Max devant toutes les cours.

Version française des motifs rendus par

                    Le juge Brown —

I.               Introduction

[61]                          Bien que je souscrive à la conclusion de la Juge en chef selon laquelle la juge de première instance n’a pas commis d’erreur en faisant droit à la demande de Max Cowper‑Smith fondée sur la préclusion propriétale, je ne partage pas son avis sur la réparation qu’il convient d’accorder.

[62]                          En résumé, dans les affaires de préclusion propriétale, la réparation appropriée est «  le minimum nécessaire pour donner effet au droit en equity » (motifs de la Juge en chef, par. 50 et 55‑56). Lorsqu’un promettant n’est pas titulaire du droit ou de l’avantage promis à l’égard du bien visé au moment où il fait sa promesse, le droit en equity auquel la préclusion propriétale permet de donner effet ne prend naissance que si, et au moment où, le promettant acquiert ce droit ou cet avantage. En l’espèce, Gloria Morgan n’acquerra le bien promis qu’à la date de l’ordonnance de la Cour. Le minimum nécessaire pour donner effet au droit en equity ne peut donc pas être une ordonnance permettant à Max d’acheter le bien à une date antérieure à la naissance du droit en equity lui‑même.

II.            Analyse

Le critère de la préclusion propriétale exige l’existence d’un droit propriétal qui ne peut prendre naissance tant que le promettant n’est pas titulaire du droit ou de l’avantage promis

[63]                          Comme l’explique la Juge en chef, le tribunal saisi d’une demande fondée sur la préclusion propriétale doit trancher trois questions :

(1)         Un droit en equity a‑t‑il été établi?

 

 

(2)         Si un droit en equity est établi, quelle en est l’étendue?

 

 

(3)         Quelle est la réparation appropriée pour donner effet au droit en equity?

(Idle‑O Apartments Inc. c. Charlyn Investments Ltd., 2014 BCCA 451, [2015] 2 W.W.R. 243, par. 49; Sabey c. von Hopffgarten Estate, 2014 BCCA 360, 378 D.L.R. (4th) 64, par. 25, citant Crabb c. Arun District Council, [1976] 1 Ch. 179 (C.A.), p. 192‑193.)

[64]                          Pour ce qui est de la première question à trancher — celle de savoir si un droit en equity a été établi — je suis d’accord avec la Juge en chef pour dire que, suivant la doctrine de la préclusion propriétale, les circonstances suivantes donnent naissance à un droit en equity :

      . . . (1) une déclaration est faite au demandeur ou une assurance est donnée à celui‑ci, sur le fondement de laquelle le demandeur s’attend à bénéficier d’un certain droit ou avantage dans un bien; (2) le demandeur s’appuie sur cette attente en faisant quelque chose ou en s’abstenant de faire quelque chose, et cet acte de confiance est raisonnable eu égard à l’ensemble des circonstances; (3) le demandeur subit un préjudice en raison de son acte de confiance raisonnable, de sorte qu’il serait inéquitable ou injuste que la partie à l’origine de la déclaration ou de l’assurance revienne sur sa parole . . . [Je souligne.]

(Motifs de la Juge en chef, par. 15; Idle‑O, par. 49; Sabey, par. 27; Clarke c. Johnson, 2014 ONCA 237, 371 D.L.R. (4th) 618, par. 48 et 52; Tiny (Township) c. Battaglia, 2013 ONCA 274, 305 O.A.C. 372, par. 131; Schwark Estate c. Cutting, 2010 ONCA 61, 316 D.L.R. (4th) 105, par. 16 et 34)

[65]                          Généralement, le promettant qui fait la « déclaration » ou qui donne l’« assurance » doit être titulaire du « droit » ou de l’« avantage » promis au moment où il fait la promesse (Idle‑O, par. 49; Sabey, par. 30; Clarke, par. 26; Tiny, par. 131; Schwark, par. 16; mais voir Thorner c. Major, [2009] UKHL 18, [2009] 1 W.L.R. 776, par. 61). La question soumise en l’espèce est donc de savoir si un droit en equity suffisant pour justifier une demande fondée sur la préclusion propriétale peut quand même prendre naissance lorsque le promettant n’est pas en fait titulaire de ce droit ou de cet avantage au moment où il fait la promesse. Bien que je convienne avec la Juge en chef qu’un tel droit peut naître, le principal point sur lequel je suis en désaccord avec elle concerne le moment où celui‑ci prend naissance. Alors que la Juge en chef est d’avis qu’il prend naissance au moment de l’acte de confiance préjudiciable, j’estime pour ma part qu’il ne naît que si, et au moment où, le promettant obtient le droit ou l’avantage qui a été promis au demandeur. Lorsque, comme en l’espèce, l’acquisition du droit ou de l’avantage promis dépend de la réalisation d’une éventualité, aucun droit en equity — dont une atteinte est susceptible d’être réparée au moyen de la préclusion propriétale — ne peut prendre naissance tant que l’éventualité ne s’est pas réalisée.

[66]                          La Juge en chef affirme que, lorsqu’une déclaration est faite ou une assurance est donnée relativement à un droit ou à un avantage dont le promettant n’est pas titulaire au moment de la promesse, un droit virtuel en equity prend néanmoins naissance en faveur du demandeur au moment de l’acte de confiance préjudiciable du demandeur à l’égard de cette déclaration ou assurance. Cela ne fait aucun doute. Les tribunaux au Royaume‑Uni, par exemple, ont reconnu que, dans de tels cas, un droit en equity pouvait prendre naissance en faveur du demandeur avant que le promettant ne soit titulaire du droit ou de l’avantage promis (Abbey National Building Society c. Cann, [1991] 1 A.C. 56 (H.L.), p. 95 et 102; Southern Pacific Mortgages Ltd. c. Scott, [2014] UKSC 52, [2015] A.C. 385, par. 79). Cependant, un tel droit en equity ne peut conférer de droit propriétal dans le bien promis; il accorde plutôt un simple droit personnel contre le promettant (Abbey, p. 89 et 95; Scott, par. 104 et 111; S. Wilken et K. Ghaly, The Law of Waiver, Variation, and Estoppel (3e éd. 2012), §11.130). Avant que l’on puisse établir l’existence d’un droit en equity susceptible de conférer un droit propriétal, le promettant doit acquérir le droit ou l’avantage promis, [traduction] « [p]uisque nul ne peut accorder ce qu’il n’a pas » (Abbey, p. 102). Comme l’a expliqué lord Collins (sur ce point) au nom des juges unanimes de la Cour suprême du Royaume‑Uni dans l’arrêt Scott, par. 79, [traduction] « les [demandeurs] n’ont acquis rien de plus que des droits personnels contre les [promettants] lorsqu’ils ont consenti à vendre leurs propriétés sur le fondement des promesses des [promettants] selon lesquelles ils auraient le droit de demeurer occupants. Ces droits ne deviendraient propriétaux et susceptibles d’avoir priorité sur une hypothèque que lorsqu’ils seraient soutenus par l’acquisition, par les [promettants], du domaine juridique à la clôture de la transaction » (je souligne).

[67]                          La Juge en chef conclut qu’il n’est pas nécessaire en l’espèce de décider si le droit virtuel en equity sur lequel repose le recours fondé sur la préclusion propriétale est de nature personnelle ou propriétale (par. 15). Soit dit en tout respect, je ne suis pas d’accord. Selon moi, pour constituer un droit en equity justifiant l’application de la préclusion propriétale, le droit en equity en cause doit être de nature propriétale, parce qu’il doit être susceptible de contraindre un promettant à renoncer à un droit propriétal dont il est effectivement titulaire. Bien que cette exigence ne soit pas explicitement énoncée dans les trois conditions nécessaires pour prouver l’existence d’un droit en equity suivant le critère de la préclusion propriétale, elle ressort de la question plus large à laquelle ces conditions permettent de répondre. Plus précisément, ces trois conditions ont été décrites comme faisant partie d’un examen plus large visant à déterminer s’il serait [traduction] « inique » de permettre au promettant de manquer à la promesse qu’il a faite au demandeur (Crabb, p. 195; Sabey, par. 27; Idle‑O, par. 61). La notion d’iniquité n’est pas un élément distinct du critère servant à établir l’existence d’un droit en equity suffisant pour justifier l’application de la préclusion propriétale, mais elle tient plutôt lieu de mécanisme permettant d’[traduction] « unifi[er] et confirm[er] » les trois conditions (Yeoman’s Row Management Ltd. c. Cobbe, [2008] UKHL 55, [2008] 4 All E.R. 713, par. 92). En ce sens, les trois conditions visent à répondre à la question de savoir [traduction] « si, eu égard aux faits de l’espèce, la situation est devenue telle qu’il serait malhonnête ou inique que le demandeur, ou la personne titulaire du droit que l’on cherche à faire respecter, continue de tenter de faire respecter celui‑ci » (Taylors Fashions Ltd. c. Liverpool Victoria Trustees Co., [1982] 1 Q.B. 133 (Ch.), p. 154 (je souligne); voir aussi Crabb, p. 195). Autrement dit, [traduction] « [l]e droit en equity qui sous‑tend la préclusion prend naissance sous forme “virtuelle” dès que . . . le propriétaire foncier fait iniquement valoir ses droits de façon préjudiciable aux exigences légitimes de l’auteur de la demande fondée sur la préclusion » (K. Gray et S. F. Gray, Land Law (5e éd. 2007), §10.22 (je souligne)).

[68]                          Dans le cas où le promettant n’est pas encore titulaire de l’avantage ou de l’intérêt ayant été promis au demandeur, le critère de l’iniquité décrit ci‑dessus ne peut être respecté. En effet, dans une telle situation, le droit personnel en equity qui résulte de l’acte de confiance préjudiciable du demandeur prend naissance précisément parce que le promettant n’est pas encore titulaire du « droit » ou de l’« avantage » qu’il a promis. À ce stade, il serait impossible de conclure qu’il est inique que le promettant  « continue de tenter de faire respecter » le droit dont il dispose à l’égard du droit ou de l’avantage promis, puisque le promettant n’a pas encore obtenu ce droit ou cet avantage.

[69]                          À mon humble avis, l’imprécision dans la caractérisation du type d’intérêt en equity en cause dans ces affaires risque d’introduire une incertitude juridique dans les affaires où des demandes en equity concurrentes sont présentées relativement au même bien. Plus particulièrement, l’idée qu’un simple droit personnel en equity puisse être suffisant pour qu’il y ait préclusion propriétale est difficilement conciliable avec les principes régissant la priorité d’intérêts fonciers en equity (Snell’s Equity (33e éd. 2015), par J. McGhee, par. 4‑047). Au Royaume‑Uni, la Chambre des lords et, par la suite, la Cour suprême ont chacune reconnu que lorsqu’une promesse donne naissance à un simple droit personnel en equity en faveur du demandeur (parce que le promettant n’est pas titulaire du droit ou de l’avantage promis au moment où il fait sa promesse), l’acquisition subséquente, par le promettant, du droit ou de l’avantage en question ne permet pas au demandeur de faire valoir un droit en equity ayant priorité sur le droit propriétal d’un tiers qui a été établi entre‑temps — c’est‑à‑dire après la naissance du droit personnel en equity du demandeur contre le promettant, mais avant que le promettant n’acquière ce droit ou cet avantage. Examiné sous cet angle, l’affirmation de lord Collins au par. 79 de l’arrêt Scott, précité, selon laquelle de simples droits personnels « ne deviendraient propriétaux et susceptibles d’avoir priorité sur une hypothèque que lorsqu’ils seraient soutenus par l’acquisition par [le promettant] du [droit ou avantage promis] » ne revient pas à dire que des droits personnels en equity pourraient être rétroactivement transformés en droits propriétaux. Lord Collins voulait plutôt dire que l’établissement du droit en equity qui sous‑tend le droit personnel du demandeur avant l’établissement du droit propriétal du tiers est insuffisant pour élever le droit personnel du demandeur de manière à écarter la priorité dont jouit le droit propriétal du tiers (Scott, par. 71; Abbey, p. 89 et 95; voir aussi Watson c. Goldsbrough, [1986] 1 E.G.L.R. 265 (C.A.)). Toutefois, si, comme tendent nécessairement à l’indiquer les motifs de la Juge en chef, l’établissement d’un simple droit personnel en equity permettait de satisfaire à l’exigence du critère de la préclusion propriétale relative à l’existence d’un « droit en equity », la priorité pourrait être accordée à un intérêt qui ne justifie pas une demande en equity relative à un bien‑fonds, au préjudice d’un intérêt qui justifie une telle demande. 

[70]                          J’ajouterais ceci. S’il est clair que, dans les affaires intéressant des demandes concurrentes de nature propriétale, l’établissement préalable d’un droit personnel ne saurait être pris en compte lorsqu’il s’agit de statuer sur la priorité de ces demandes, il est d’autant plus curieux que l’établissement d’un tel droit par le demandeur doive se voir reconnaître la moindre pertinence dans les cas où, comme en l’espèce, il n’y a pas de demande concurrente de nature propriétale en equity. Autrement dit, le seul droit en equity sous‑jacent qui doive être pris en compte pour décider si le critère de la préclusion propriétale est respecté est un droit susceptible de conférer un droit propriétal.

[71]                          Il en résulte que je suis en désaccord avec la proposition selon laquelle, en l’espèce, le droit en equity nécessaire a été établi au moment de l’acte de confiance préjudiciable de Max. À mon avis, ce droit ne prendra naissance qu’à partir du moment où Gloria sera titulaire du droit ou de l’avantage qu’elle a promis à Max — c’est‑à‑dire le moment où notre Cour lui ordonnera, en sa qualité d’exécutrice testamentaire, « de partager immédiatement la propriété en intérêts égaux d’un tiers qu’elle remettra à Max, à Nathan [Cowper‑Smith] et à elle‑même à titre de bénéficiaires de la succession d’Elizabeth » (motifs de la Juge en chef, par. 44). Bien que je sois d’accord avec la Juge en chef pour dire que le rôle du tribunal dans la détermination de la réparation qui « convient » pour « donner effet au droit en equity » (par. 17) selon le critère de la préclusion propriétale consiste à [traduction] « rendre justice » (par. 56, citant Jennings c. Rice, [2002] EWCA Civ. 159, [2003] 1 P. & C.R. 100, par. 36), le fait de « rendre justice » — même en equity — ne permet pas à un tribunal de prendre en considération un simple droit personnel en equity. En conséquence, le minimum nécessaire pour donner effet au droit en equity, dès qu’il prendra naissance, est de permettre à Max d’acheter la part d’un tiers de Gloria dans la propriété à la date de l’ordonnance de la Cour.

III.          Conclusion

[72]                          J’accueillerais le pourvoi et je modifierais l’ordonnance de la juge de première instance comme le propose la Juge en chef; je permettrais toutefois à Max d’acheter l’intérêt que détient Gloria sur le tiers de la propriété à sa juste valeur marchande à la date de l’ordonnance de la Cour.

Version française des motifs rendus par

 

[73]                          La juge Côté — Je souscris à l’opinion de la Juge en chef selon laquelle il est possible d’invoquer la préclusion propriétale même si le promettant ne détenait aucun intérêt propriétal dans le bien en cause au moment de la promesse. Je conviens également que la décision par le destinataire de la promesse de s’y fier n’est pas déraisonnable en droit simplement parce que le promettant n’est pas propriétaire du bien au moment où le destinataire de la promesse agit à son préjudice en s’y fiant.

[74]                          Toutefois, je diverge d’opinion avec la Juge en chef et le juge Brown quant à l’étendue du pouvoir de réparation dont dispose la Cour en l’espèce. À mon avis, un tribunal ne peut ordonner à un exécuteur testamentaire de procéder à la distribution de la succession sans tenir compte de l’intention expresse du testateur, et ce, à la seule fin de permettre à un bénéficiaire de tenir la promesse qu’il a faite à un tiers. Ce principe s’applique même lorsque, comme en l’espèce, ce bénéficiaire — la défenderesse dans une action fondée sur la préclusion propriétale — agit également comme exécuteur testamentaire.

[75]                          Le testament d’Elizabeth accordait expressément et sans équivoque à l’exécutrice testamentaire, Gloria, un pouvoir discrétionnaire dans l’administration de la succession. Elizabeth a indiqué que Gloria [traduction] « peut réaliser l’actif de [l]a succession [. . .], et décider de quelle manière, à quel moment et à quelles conditions [elle] le fera », ou encore qu’elle « peut conserver tout ou partie de [l]a succession dans la forme où elle se trouve [au] décès [d’Elizabeth] » (d.a., p. 101). Autrement dit, Elizabeth n’a pas légué spécifiquement la propriété en cause dans le présent pourvoi. Elle a confié à Gloria le soin de décider du sort de celle‑ci, notamment de déterminer s’il convenait ou non de la vendre.

[76]                          [traduction] « [L]a règle d’or en matière d’interprétation des testaments consiste à donner effet à l’intention du testateur telle qu’elle ressort des termes qu’il a employés » (Browne c. Moody, [1936] 4 D.L.R. 1 (C.P.), p. 4‑5; voir aussi National Trust Co. c. Fleury, [1965] R.C.S. 817, p. 828‑829; Feeney’s Canadian Law of Wills (4e éd. (feuilles mobiles)), par J. MacKenzie, §10.1). L’importance de l’autonomie testamentaire est fermement ancrée dans notre droit. Comme l’a déjà dit la juge McLachlin (maintenant Juge en chef), le testament « est l’exercice par le testateur de la liberté de disposer de ses biens et il ne doit pas être modifié à la légère » (Tataryn c. Succession Tataryn, [1994] 2 R.C.S. 807, p. 824) (voir aussi Re Burke (1959), 20 D.L.R. (2d) 396 (C.A. Ont.), à la p. 398 : [traduction] « . . . le tribunal doit s’efforcer de donner effet à [l’intention du testateur], à moins qu’une règle ou un principe de droit ne l’en empêche »).

[77]                          En accordant la réparation qu’elle accorde dans le présent pourvoi — une ordonnance enjoignant à Gloria de transférer aux bénéficiaires de la succession leur part dans la propriété — la Cour se trouve à substituer son propre jugement à celui de Gloria et à décider de la façon dont le bien devrait être administré. La Cour crée dans les faits un legs spécifique qu’Elizabeth a elle‑même choisi de ne pas faire. Le fait qu’Elizabeth ait envisagé la possibilité d’un partage en nature ne rend pas un partage ordonné judiciairement conforme à ses volontés. L’intention pertinente en l’espèce est qu’Elizabeth voulait que ce soit Gloria — et non les tribunaux — qui décide de la façon dont sa succession devrait être gérée. Avec égards, je suis d’avis que l’equity ne permet aucunement de faire abstraction de cette intention — d’autant plus que Max serait libre d’acheter la propriété (en utilisant, entre autres, sa part du produit de la vente) si Gloria décidait de la vendre aux enchères. 

[78]                          Il appert qu’en l’espèce, Gloria est à la fois bénéficiaire et exécutrice testamentaire. Mais, si elle avait démissionné comme exécutrice testamentaire, ou si quelqu’un d’autre avait été nommé en premier lieu, la Cour aurait‑elle eu le pouvoir d’ordonner à l’exécuteur testamentaire de partager le bien d’une façon particulière? À mon avis, la situation qui nous occupe n’est pas différente de ces scénarios. La distinction entre Gloria en sa qualité d’exécutrice testamentaire et Gloria en sa qualité de bénéficiaire ne saurait être écartée à la légère au nom de l’equity, surtout si cela a pour effet de faire abstraction de l’intention expresse de la testatrice.

[79]                          La réponse de la Juge en chef est que, « [l]orsqu’un testament prévoit que l’exécuteur testamentaire dispose d’un pouvoir discrétionnaire, celui‑ci peut, avec le consentement de tous les bénéficiaires, effectuer un partage en nature des biens réels », et que Gloria refuse de façon déraisonnable de donner son consentement (par. 40). Il ne fait aucun doute dans le présent pourvoi que Gloria a le pouvoir, en tant qu’exécutrice testamentaire, de procéder à un partage en nature — ce pouvoir est expressément prévu dans le testament d’Elizabeth. Toutefois, en ce qui a trait à son intérêt en tant que bénéficiaire, Gloria pourrait avoir de bonnes raisons de préférer la vente de la propriété au lieu de consentir à un partage en nature. Si la propriété est vendue et que le produit de la vente est partagé entre les trois bénéficiaires, Gloria recevra un tiers du produit de la vente de la propriété, à sa valeur marchande actuelle. Si la propriété est distribuée en nature, elle sera obligée de vendre sa part à Max pour, comme le souligne la Juge en chef dans ses motifs, le tiers de la valeur marchande de la propriété en 2011, valeur que les parties reconnaissent être inférieure à la valeur actuelle de la propriété. En conséquence, qu’elle soit ou non l’exécutrice testamentaire, il ne serait pas déraisonnable que Gloria, en sa qualité de bénéficiaire, refuse de consentir à un partage en nature. Dans ce contexte, il n’est pas justifié de l’obliger à consentir à cette forme de partage. Il importe de souligner que la promesse faite par Gloria, c’est qu’elle vendrait sa part d’un tiers du bien, et non qu’elle en ferait don. Dans le cas qui nous occupe, la testatrice voulait que chacun de ses enfants touche une part égale du reliquat de sa succession. Dans un marché à la hausse, permettre à Max d’acquérir un tiers de la propriété à un prix fondé sur une valeur passée ne respecte pas les volontés d’Elizabeth, puisque Gloria obtiendra dans les faits moins qu’un tiers de la valeur actuelle de la succession et que, corollairement, Max recevra davantage.

[80]                          De plus, le fait qu’un partage en nature puisse être effectué avec le consentement de tous les bénéficiaires ne signifie pas que l’exécuteur testamentaire est obligé de choisir cette option (voir Gunn Estate, Re, 2010 PECA 13, 200 Nfld. & P.E.I.R. 197, par. 45 et 49; Widdifield on Executors and Trustees (6e éd. (feuilles mobiles)), par C. S. Thériault, rubrique 5.1.6). [traduction] « [I]l faut respecter l’intention du testateur ou du disposant » lorsqu’on décide s’il convient ou non de procéder à un partage en nature (Gunn Estate, par. 45), et, en l’espèce, l’intention de la testatrice était que ce soit Gloria qui prenne une décision à cet égard. Si les devoirs de Gloria en tant qu’exécutrice testamentaire sont réellement en conflit avec ses intérêts en tant que bénéficiaire, de sorte qu’il y a manquement à son devoir fiduciaire, la réparation appropriée ne consiste pas à ordonner un partage en nature, mais plutôt à remplacer Gloria en tant qu’exécutrice testamentaire (voir, p. ex., Jackson Estate, Re (2004), 192 O.A.C. 161, par. 8‑9; Re Smith, [1971] 1 O.R. 584 (H.C.J.), p. 587‑588; Cooper c. Fenwick, [1994] O.J. No. 2148 (QL) (Div. gén.), par. 14‑15 et 21). Cela permettrait à Max, à Nathan et à Gloria de bénéficier de conseils impartiaux et judicieux concernant l’administration de la succession. Avec égards, ordonner une réparation différente simplement parce que la nomination d’un nouvel exécuteur testamentaire pourrait occasionner des coûts ou des délais ne constitue pas, à mon avis, une solution adéquate dans une telle situation.

[81]                          Pour ces motifs, j’estime que la Cour n’a pas compétence pour ordonner à Gloria d’exercer son pouvoir discrétionnaire d’exécutrice testamentaire d’une façon particulière.

[82]                          Toutefois, s’il est ordonné à Gloria de distribuer la propriété en nature et qu’elle est obligée de vendre sa part à Max, je suis d’accord avec le juge Brown que le prix de la vente devrait être établi en fonction de la valeur de la propriété à la date de l’ordonnance de notre Cour. J’ajouterais que l’imposition d’un prix de vente égal à la valeur de la propriété à cette date serait conforme aux volontés de la testatrice. En fait, cette dernière voulait que chaque enfant touche une part égale du reliquat de sa succession. Dans un marché à la hausse, permettre à Max d’acquérir un tiers de la propriété à un prix fondé sur une valeur passée ne respecte pas les volontés d’Elizabeth, puisque Gloria obtiendra dans les faits moins qu’un tiers de la valeur actuelle de la succession et que, corollairement, Max recevra davantage.

[83]                          J’accueillerais le pourvoi en partie.

                    Pourvoi accueilli avec dépens devant toutes les cours.

                    Procureurs de l’appelant : League and Williams, Victoria; Vandergrift Legal, Ottawa; Supreme Law Group, Ottawa.

                    Procureurs de l’intimée : Hunter Litigation Chambers, Vancouver.

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