Dumas c. Centre de détention Leclerc, [1986] 2 R.C.S. 459
Alain Dumas Appelant
c.
Le directeur du Centre de détention Leclerc de Laval et la Commission nationale des libérations conditionnelles Intimés
et
Le procureur général du Québec et le procureur général du Canada Mis en cause
répertorié: dumas c. centre de détention leclerc
No du greffe: 19153.
1985: 24 mai; 1986: 6 novembre.
Présents: Le juge en chef Dickson et les juges Beetz, Estey, McIntyre, Lamer, Wilson et Le Dain.
en appel de la cour d'appel du québec
Brefs de prérogative ‑‑ Habeas corpus ‑‑ Possibilité d’exercer ce recours ‑‑ Libération conditionnelle ‑‑ Renversement par la Commission nationale des libérations conditionnelles de sa décision d'accorder à un détenu la libération conditionnelle de jour ‑‑ Annulation de la libération conditionnelle avant que le détenu n’acquière le statut de libéré conditionnel ‑‑ Le bref d’habeas corpus peut‑il être délivré dans ces circonstances pour contester la continuation de la privation de liberté?
La Commission nationale des libérations conditionnelles a accordé la libération conditionnelle de jour à l'appelant. Celle‑ci devait entrer en vigueur dès que les arrangements appropriés pourraient être pris avec le Centre résidentiel communautaire d'Amos. Sa libération était donc assujettie à son acceptation préalable par le Centre. Avant son entrevue au Centre, il a été accusé de certaines infractions disciplinaires et avisé par la Commission que sa libération conditionnelle de jour serait retardée et que son cas serait révisé. La Commission, lors de la révision, a annulé sa décision antérieure. La demande de l'appelant en vue d'obtenir un bref d'habeas corpus avec certiorari auxiliaire, qui a été présentée avant la révision de son cas, a été rejetée par la Cour supérieure du Québec et le jugement a été confirmé par la Cour d'appel. Le présent pourvoi vise à déterminer si un bref d'habeas corpus peut être délivré dans ces circonstances particulières.
Arrêt: Le pourvoi est rejeté.
La continuation d'une privation de liberté valide initialement ne peut être contestée par voie d'habeas corpus que si elle devient illégale. Dans le contexte de la libération conditionnelle, la détention continue d'un détenu ne deviendra illégale que s'il a acquis le statut de libéré conditionnel. Un détenu acquiert ce statut au moment où la décision de lui accorder la libération conditionnelle entre en vigueur. Par conséquent, lorsqu'on prend la décision de lui accorder la libération conditionnelle, mais que celle‑ci est sujette à la réalisation d'une condition, le détenu ne devient libéré conditionnel que lorsque la condition se réalise. Si le détenu n'est pas mis en liberté conditionnelle lorsque la condition se réalise, il peut alors recourir à l'habeas corpus. En l'espèce, l'appelant n'a pas le droit de recourir à l'habeas corpus puisqu'il n'est manifestement jamais devenu un libéré conditionnel. En effet, la Commission nationale des libérations conditionnelles a renversé sa décision lui accordant la libération conditionnelle de jour avant que la condition préalable ne se soit réalisée.
Jurisprudence
Arrêts mentionnés: R. c. Miller, [1985] 2 R.C.S. 613; Cardinal c. Directeur de l'établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643; Morin c. Comité national chargé de l’examen des cas d’unités spéciales de détention, [1985] 2 R.C.S. 662.
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés, art. 7, 9, 24(1).
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, art. 18.
Loi sur la libération conditionnelle de détenus, S.R.C. 1970, chap. P‑2 et ses modifications.
POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel du Québec, [1985] R.D.J. 197, qui a confirmé le jugement de la Cour supérieure qui avait rejeté la demande d'habeas corpus de l'appelant. Pourvoi rejeté.
Élaine Bissonnette, pour l'appelant.
Jacques Letellier, c.r., pour les intimés et le mis en cause le procureur général du Canada.
Version française du jugement de la Cour rendu par
1. Le juge Lamer‑‑Les questions soulevées dans le présent pourvoi sont régies par la Loi sur la libération conditionnelle de détenus, S.R.C. 1970, chap. P‑2 et ses modifications à l'exception de celles apportées par S.C. 1986, chap. 42 et 43.
2. L'appelant a été condamné à cinq ans et dix mois de prison. Le jour où il est devenu admissible à la libération conditionnelle totale, la Commission nationale des libérations conditionnelles (ci‑après la CNLC) a refusé de lui accorder la libération conditionnelle. À une seconde audience tenue un an plus tard, la CNLC a de nouveau refusé de lui accorder la libération conditionnelle totale, mais a décidé de lui accorder la libération conditionnelle de jour. Cette libération conditionnelle de jour devait entrer en vigueur dès que les arrangements appropriés pourraient être pris. Il appert que ces arrangements devaient être pris avec le Centre résidentiel communautaire d'Amos, de sorte que sa libération était assujettie à son acceptation préalable par le Centre.
3. Avant le jour de son entrevue au Centre, il a été accusé de certaines infractions disciplinaires et il a été plus tard déclaré coupable d'une de ces infractions. Par conséquent, la CNLC a avisé l'appelant que sa libération conditionnelle de jour serait retardée de six semaines, de façon que son cas puisse être révisé. Lorsqu'il a été avisé de cette décision, il a commis certaines infractions disciplinaires majeures.
4. L'appelant s'est alors adressé à la Cour supérieure du Québec, demandant un bref d'habeas corpus avec certiorari auxiliaire. Je dois souligner que l'appelant n'a pas demandé au juge de la Cour supérieure une réparation en vertu du par. 24(1) de la Charte canadienne des droits et libertés. Il a seulement mentionné la Charte pour affirmer son droit à l'habeas corpus.
5. Pour compléter cette revue des faits, j'ajouterais que, après le délai de six semaines, l'appelant a été avisé que la décision de la CNLC de lui accorder la libération conditionnelle de jour était en révision. On lui a communiqué les motifs de cette révision, savoir les infractions disciplinaires, et on l'a invité à présenter des commentaires. Trois semaines plus tard, la CNLC a décidé de lui refuser la libération conditionnelle de jour, annulant ainsi sa décision antérieure.
6. La Cour supérieure a refusé de délivrer un bref d'habeas corpus. Dans un court jugement, reproduit à [1985] R.D.J. 198, le juge Meyer a conclu:
Vu que le but de la requête est d'attaquer la décision de la Commission nationale des libérations conditionnelles de reporter la libération conditionnelle de jour du requérant;
Vu que le mandat en vertu duquel le requérant est détenu n'est pas attaqué;
Vu que l'habeas corpus n'est pas le recours approprié mais plutôt le mandamus;
Vu que ce dernier bref est du ressort de la Cour fédérale (voir la cause de Morin et Yeomans);
Par ces motifs, la Cour refuse l'émission du bref d'habeas corpus.
7. La Cour d'appel a rejeté son appel à l'unanimité [1985] R.D.J. 197. Elle a conclu à la p. 198:
Considérant que l'appelant n'attaque aucunement le mandat en vertu duquel il est détenu mais qu'il s'en prend uniquement à la décision de la Commission des libérations conditionnelles;
Considérant dans ces circonstances que le bref d'habeas corpus n'est pas la procédure appropriée;
Considérant aussi que le jugement de notre Cour dans la cause: Morin c. Comité national chargé de l’examen des cas d’U.S.D. (Unité spéciale de détention), [1982] C.A. 464, a décidé "que toute procédure s'attaquant aux procédés relatifs à l'administration interne des pénitenciers est de la compétence exclusive de la Cour fédérale du Canada";
Par ces motifs:
Rejette l'appel.
8. En toute justice pour les cours d'instance inférieure, il convient de mentionner que leurs décisions dans la présente affaire ont été rendues avant les arrêts de cette Cour R. c. Miller, [1985] 2 R.C.S. 613, Cardinal c. Directeur de l'établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643, et Morin c. Comité national chargé de l'examen des cas d'unités spéciales de détention, [1985] 2 R.C.S. 662.
9. Cette Cour a réglé la question de la compétence dans l'arrêt Miller, précité, lorsque le juge Le Dain a conclu à la p. 626:
... une cour supérieure provinciale a compétence pour délivrer un habeas corpus avec certiorari auxiliaire aux fins d'examiner la validité d'une détention autorisée ou ordonnée par un office, une commission ou un autre tribunal fédéral au sens de l'art. 2 de la Loi sur la Cour fédérale...
Ainsi, la seule question qui reste à trancher en l'espèce est de savoir si un bref d'habeas corpus peut être délivré dans ces circonstances particulières.
10. Cette Cour a élargi la possibilité d'exercer le recours à l'habeas corpus dans l'arrêt Miller, précité. Les conditions préalables traditionnelles à l'obtention de ce bref étaient: a) qu'il y ait privation de liberté; et b) qu'on cherche à obtenir la liberté complète du requérant. Cette Cour a donné une interprétation large de l'expression "privation de liberté", quand elle a dit, aux pp. 640 et 641:
... je suis d'avis que le point de vue à retenir est celui selon lequel il y a lieu à habeas corpus pour déterminer la validité d'une forme particulière de détention dans un pénitencier quoique la même question puisse être tranchée par voie de certiorari en Cour fédérale [...] L'incarcération dans une unité spéciale de détention, ou en ségrégation administrative comme c'était le cas dans l'affaire Cardinal, constitue une forme de détention qui est tout à fait distincte de celle imposée à la population carcérale générale. Elle entraîne une diminution importante de la liberté résiduelle du détenu. Il s'agit en fait d'une nouvelle détention qui est censée avoir son propre fondement juridique. C'est cette forme précise de détention ou de privation de liberté qui est contestée par l'habeas corpus. C'est la libération de cette forme de détention qu'on demande. Voilà pourquoi je ne vois aucune raison valable fondée sur la nature et le rôle de l'habeas corpus pour laquelle il ne devrait pas servir à cette fin. Je ne dis pas qu'on devrait recourir à l'habeas corpus pour contester toutes et chacune des conditions d'incarcération dans un pénitencier ou une prison, y compris la perte d'un privilège dont jouit la population carcérale générale. Mais, selon moi, il y a lieu d'y recourir pour contester la validité d'une forme distincte de détention dans laquelle la contrainte physique réelle ou la privation de liberté, par opposition à la simple perte de certains privilèges, est plus restrictive ou sévère que cela est normalement le cas dans un établissement carcéral.
Cette Cour a en outre rejeté la conception extrémiste que traduit la seconde condition préalable et a conclu que l'habeas corpus pouvait servir à libérer une personne d'une forme plus sévère de détention même si la personne doit demeurer assujettie à une autre forme de restriction légitime de liberté.
11. Donc, avec égards, les tribunaux d'instance inférieure ont commis une erreur en statuant que l'on pouvait recourir à l'habeas corpus pour contester seulement le mandat d'incarcération initial. On peut recourir à l'habeas corpus pour contester la privation illégale de liberté. Dans le contexte du droit correctionnel, il existe trois sortes de privation de liberté: la privation initiale de liberté, une modification importante des conditions d'incarcération qui équivaut à une nouvelle privation de liberté et la continuation de la privation de liberté. En l'espèce, comme l'ont souligné les tribunaux d'instance inférieure, la validité de la privation initiale de liberté n'a pas été contestée. De plus, il n'y a pas eu de modification importante des conditions de détention, parce que l'appelant n'a jamais réellement été mis en liberté conditionnelle. Si l'appelant avait été mis en liberté conditionnelle et ensuite incarcéré de nouveau en vertu d'une décision de la CNLC, il y aurait eu une modification importante qui aurait pu être contestée par voie d'habeas corpus. Ce qui est contesté en l'espèce, c'est la continuation de la privation de liberté.
12. La continuation d'une privation de liberté valide initialement ne peut être contestée par voie d'habeas corpus que si elle devient illégale. Dans le contexte de la libération conditionnelle, la détention continue d'un détenu ne deviendra illégale que s'il a acquis le statut de libéré conditionnel. Un détenu acquiert ce statut au moment où la décision de lui accorder la libération conditionnelle entre en vigueur. Par conséquent, si la libération conditionnelle entre en vigueur immédiatement, il devient un libéré conditionnel au moment où la décision est rendue. Si, pour une raison quelconque, la restriction à sa liberté se poursuit, il peut alors recourir à l'habeas corpus. Si la libération conditionnelle entre en vigueur à une date ultérieure, alors le détenu acquiert le statut de libéré conditionnel à cette date et non à la date de la décision. De même, lorsque la décision d'accorder la libération conditionnelle est sujette à la réalisation d'une condition, le détenu ne devient un libéré conditionnel qu'au moment où la condition se réalise. Si le détenu n'est pas mis en liberté conditionnelle dans le délai prévu ou lorsque la condition se réalise, il peut alors recourir à l'habeas corpus. Enfin, si la libération conditionnelle est refusée, il est évident que le détenu n'est pas devenu un libéré conditionnel et ne peut avoir recours à l'habeas corpus pour contester la décision.
13. Voyons donc maintenant le cas de Dumas. La CNLC a décidé de lui accorder une libération conditionnelle de jour, mais les termes utilisés ne sont pas précis et il y a une incertitude quant à savoir si sa libération conditionnelle de jour a simplement été retardée jusqu'à ce que des arrangements appropriés puissent être pris ou quant à savoir si elle était conditionnelle à son acceptation par le Centre. Toutefois, la CNLC a subséquemment reporté et par la suite renversé cette décision avant que n'expire le délai prévu ou que la condition préalable n'ait été remplie. Il est évident que l'appelant n'est jamais devenu un libéré conditionnel et qu'il n'a donc pas le droit de recourir à l'habeas corpus.
14. Cela ne signifie pas qu'un détenu est sans recours dans un cas approprié. En fait, cela ne signifie pas que la CNLC a le pouvoir de réviser ses décisions antérieures ou qu'elle peut le faire d'une manière qui enfreint les règles de justice naturelle ou les droits de l'appelant que prévoient l'art. 7 ou 9 de la Charte. Ces questions ne sont pas soulevées devant la Cour dans une demande d'habeas corpus, mais pourraient être soulevées dans une demande fondée sur l'art. 18 de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, ou sur le par. 24(1) de la Charte.
15. Je suis d'avis de rejeter le pourvoi. Il n'y aura pas d'adjudication de dépens.
Pourvoi rejeté.
Procureurs de l'appelant: Howard, Gagné, Bissonnette & Thivierge, Montréal.
Procureurs des intimés et du mis en cause le procureur général du Canada: Roger Tassé, Ottawa; Jacques Letellier, Montréal.