Première nation de Westbank c. British Columbia Hydro and Power Authority, [1999] 3 R.C.S. 134
Première nation de Westbank Appelante
c.
British Columbia Hydro and Power Authority Intimée
et
Le procureur général du Québec,
le procureur général du Manitoba et
le procureur général de la Colombie-Britannique Intervenants
Répertorié: Première nation de Westbank c. British Columbia Hydro and Power Authority
No du greffe: 26450.
Audition et jugement: 21 juin 1999.
Motifs déposés: 10 septembre 1999.
Présents: Le juge en chef Lamer et les juges Gonthier, McLachlin, Iacobucci, Major, Bastarache et Binnie.
en appel de la cour d’appel de la colombie-britannique
Droit constitutionnel ‑‑ Couronne ‑‑ Immunité ‑‑ Taxation ‑‑ Exemption des terres publiques ‑‑ Règlements d’imposition et de taxation édictés par une bande indienne en vertu de la Loi sur les Indiens ‑‑ Ces règlements imposent‑ils des taxes? ‑‑ Ces règlements sont‑ils constitutionnellement inapplicables à une entreprise de service public provinciale? ‑‑ Loi constitutionnelle de 1867, art. 125.
Indiens ‑‑ Taxation ‑‑ Règlements financiers ‑‑ Règlements d’imposition et de taxation édictés par une bande indienne en vertu de la Loi sur les Indiens ‑‑ Ces règlements sont‑ils constitutionnellement inapplicables à une entreprise de service public provinciale? ‑‑ Loi constitutionnelle de 1867, art. 125 ‑‑ Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I‑5, art. 83(1)a).
Entre 1951 et 1978, l’entreprise hydroélectrique intimée a obtenu de Sa Majesté la Reine du chef du Canada huit permis d’utilisation et d’occupation de diverses terres situées dans deux réserves indiennes, en vue d’y construire des lignes de transmission et de distribution d’électricité destinées à alimenter en énergie électrique les résidants des réserves. En 1990, l’appelante a adopté le Westbank Indian Band Assessment By‑law et le Westbank Indian Band Taxation By‑law, en vertu du pouvoir que lui confère l’al. 83(1)a) de la Loi sur les Indiens. De 1991 à 1995, l’appelante a adopté des règlements supplémentaires en vertu desquels l’intimée a fait l’objet d’une cotisation de 124 527,25 $ à titre de taxes, de pénalités et d’intérêts. L’intimée a refusé de payer les taxes imposées et n’a pas fait appel des avis de cotisation. L’appelante a intenté une action en recouvrement du montant impayé. Le jugement sommaire rendu en faveur de l’intimée a été confirmé par la Cour d’appel de la Colombie-Britannique. Il s’agit en l’espèce de savoir si l’art. 125 de la Loi constitutionnelle de 1867 empêche l’appelante d’appliquer ses règlements d’imposition et de taxation à l’intimée, un mandataire de la Couronne provinciale.
Arrêt: Le pourvoi est rejeté.
L’article 125 de la Loi constitutionnelle de 1867 rend les règlements contestés constitutionnellement inapplicables à l’intimée. Ces règlements ont pour seul objet de produire un revenu à des «fins locales». Ils ont été adoptés conformément à l’al. 83(1)a) de la Loi sur les Indiens, qui autorise «l’imposition de taxes à des fins locales, sur les immeubles situés dans la réserve, ainsi que sur les droits sur ceux‑ci, et notamment sur les droits d’occupation, de possession et d’usage». Les règlements eux‑mêmes indiquent qu’ils visent à «prélever un revenu à des fins locales».
L’article 125 de la Loi constitutionnelle de 1867 est l’un des moyens prévus par la Constitution pour assurer le bon fonctionnement du système fédéral canadien. Il favorise les fins du fédéralisme et de la démocratie en accordant un certain espace opérationnel à chaque palier de gouvernement, libre de toute intervention de la part de l’autre. Il interdit à un palier de gouvernement de taxer les biens de l’autre. Il n’interdit toutefois pas la perception de frais d’utilisation ou autres redevances de nature réglementaire qui sont validement édictés à l’intérieur du champ de compétence du gouvernement.
Même si, dans le contexte réglementaire actuel, beaucoup de redevances comportent des éléments de taxation et des éléments de réglementation, le tribunal doit principalement déterminer si, de par son caractère véritable, l’objet premier du prélèvement est: (1) de taxer, c.‑à‑d. percevoir des revenus à des fins générales, (2) de financer ou de créer un régime de réglementation, c.‑à‑d. être une redevance de nature réglementaire ou être accessoire ou rattaché à un régime de réglementation, ou (3), de recevoir paiement pour des services directement rendus, c.‑à‑d. être des frais d’utilisation. Pour déterminer si la redevance contestée est une «taxe» ou un «prélèvement de nature réglementaire» pour les fins de l’art. 125, il faut poser plusieurs questions clés. La redevance est‑elle: (1) obligatoire et exigible en vertu de la loi, (2) imposée sous l’autorité du législateur, (3) perçue par un organisme public, (4) pour une fin d’intérêt public, (5) sans aucun lien avec quelconque de régime de réglementation? Si la réponse à toutes ces questions est affirmative, le montant en question sera habituellement qualifié de taxe.
Les montants perçus sont, de par leur caractère véritable, qualifiés à juste titre de taxation en vertu du par. 91(3) de la Loi constitutionnelle de 1867. Ils sont exigibles en vertu de la loi, imposés sous l’autorité du législateur et perçus par un organisme public à une fin d’intérêt public. L’appelante n’a pas démontré que les prélèvements étaient liés à un «régime de réglementation» susceptible d’empêcher l’application de l’art. 125. Les redevances ne font pas partie d’un code de réglementation détaillé. Il n’a été identifié aucun coût qui découlerait du régime de réglementation et auquel seraient liés les revenus tirés de ces redevances. L’appelante ne tente pas d’influencer le comportement de l’intimée de quelque façon au moyen de ces redevances. Il n’y a aucun lien entre l’intimée et quelque réglementation que ce soit à laquelle ces redevances se rattachent. Bien que la Loi sur les Indiens porte sur «les Indiens et les terres réservées aux Indiens», cela ne crée pas en soi un «régime de réglementation» au sens où l’entend la Constitution.
Étant donné que ces taxes sont imposées à l’intimée que l’on admet être un mandataire de la Couronne provinciale, l’art. 125 s’applique, ce qui a pour effet de soustraire l’intimée à l’application des règlements de taxation et d’imposition en cause.
Jurisprudence
Arrêts appliqués: Renvoi relatif à la taxe sur le gaz naturel exporté, [1982] 1 R.C.S. 1004; Attorney-General of British Columbia c. Attorney-General of Canada (1922), 64 R.C.S. 377, conf. par [1924] A.C. 222; arrêts mentionnés: M‘Culloch c. Maryland, 17 U.S. (4 Wheat.) 316 (1819); SEFPO c. Ontario (Procureur général), [1987] 2 R.C.S. 2; General Motors of Canada Ltd. c. City National Leasing, [1989] 1 R.C.S. 641; Succession Eurig (Re), [1998] 2 R.C.S. 565; Attorney General of Canada c. City of Toronto (1892), 23 R.C.S. 514; Attorney-General of Canada c. Registrar of Titles, [1934] 4 D.L.R. 764; Lawson c. Interior Tree Fruit and Vegetable Committee of Direction, [1931] R.C.S. 357; Allard Contractors Ltd. c. Coquitlam (District), [1993] 4 R.C.S. 371; Ontario Home Builders’ Association c. Conseil scolaire de la région de York, [1996] 2 R.C.S. 929; Re Ottawa‑Carleton (Regional Municipality) By‑Law 234‑1992, [1996] O.M.B.D. No. 553 (QL); Cape Breton Beverages Ltd. c. Nova Scotia (Attorney General) (1997), 144 D.L.R. (4th) 536, conf. par (1997), 151 D.L.R. (4th) 575, autorisation de pourvoi refusée, [1997] 3 R.C.S. vii; Minister of Justice c. City of Levis, [1919] A.C. 505; Urban Outdoor Trans Ad c. Scarborough (City) (1999), 43 O.R. (3d) 673; Canadien Pacifique Ltée c. Bande indienne de Matsqui, [1995] 1 R.C.S. 3.
Lois et règlements cités
Loi constitutionnelle de 1867, art. 53, 91(3), (24), 92(2), (9), (13), 125.
Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I‑21, art. 17.
Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I‑5, art. 28(2), 83(1)a) [abr. & rempl. ch. 17 (4e suppl.), art. 10(1)].
Westbank Indian Band Assessment By-law (1990), art. 36(1).
Westbank Indian Band Property Taxation Bylaw (1994), art. 2(1), 8(1), 28, 30, 35, 36.
Westbank Indian Band Taxation By-law (1990), art. 2(1), 8(1), 41(1), 45, 46(1), 49.
Doctrine citée
Browne, Gerald P. Documents on the Confederation of British North America. Toronto: McClelland and Stewart, 1969.
Hogg, Peter W. Constitutional Law of Canada, vol. 1, 3rd ed. Toronto: Carswell, 1992 (loose‑leaf updated 1997, release 2).
La Forest, Gérard V. The Allocation of Taxing Power Under the Canadian Constitution, 2nd ed. Toronto: Canadian Tax Foundation, 1981.
Lordon, Paul. Crown Law. Toronto: Butterworths, 1991.
Magnet, Joseph E. Constitutional Law of Canada, vol. 1, 7th ed. Edmonton: Juriliber Limited, 1998.
POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique (1997), 45 B.C.L.R. (3d) 98, 154 D.L.R. (4th) 93, 100 B.C.A.C. 92, [1998] 2 C.N.L.R. 284, qui a confirmé un jugement de la Cour suprême de la Colombie-Britannique (1996), 138 D.L.R. (4th) 362, [1997] 2 C.N.L.R. 229, qui avait rendu un jugement sommaire en faveur de l’intimée. Pourvoi rejeté.
Jack Woodward, Robert J. M. Janes et Patricia Hutchings, pour l’appelante.
Peter D. Feldberg, Anne Dobson‑Mack et Cydney J. Elofson, pour l’intimée.
Monique Rousseau, pour l’intervenant le procureur général du Québec.
Heather J. Leonoff, c.r., pour l’intervenant le procureur général du Manitoba.
George H. Copley, c.r., et Jeffrey M. Loenen, pour l’intervenant le procureur général de la Colombie-Britannique.
Version française du jugement de la Cour rendu par
Le juge Gonthier ‑‑
I - Introduction
1 Le présent pourvoi porte sur la question de savoir si l’art. 125 de la Loi constitutionnelle de 1867 empêche la Première nation de Westbank d’appliquer ses règlements d’évaluation et de taxation à B.C. Hydro, un mandataire de la Couronne provinciale. Pour y répondre, il faut déterminer si les règlements édictent un régime de taxation, qui est assujetti à l’art. 125, ou une autre forme de réglementation, qui ne l’est pas. Si les règlements imposent des taxes, ils sont alors, du point de vue constitutionnel, inapplicables à la Couronne provinciale et à ses mandataires. Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que ces règlements doivent être considérés comme imposant des taxes, et que, à ce titre, ils ne peuvent pas s’appliquer à B.C. Hydro.
2 Notre Cour a examiné à de nombreuses reprises et dans plusieurs contextes la façon de qualifier un prélèvement gouvernemental. Cette qualification est pertinente dans l’examen de la constitutionnalité d’un prélèvement provincial qui présente des aspects de taxation indirecte puisque, s’il s’agit d’une redevance de nature réglementaire ou d’une composante d’un régime de réglementation, les provinces ont compétence en vertu de la Constitution pour l’imposer. Elle est également pertinente pour l’examen de l’art. 53 de la Loi constitutionnelle de 1867 parce que, si le prélèvement est une taxe, il doit alors être imposé par le législateur. Et, comme je le mentionne plus loin, si le prélèvement est qualifié de taxe, il est inapplicable en vertu de la Constitution à l’autre palier de gouvernement.
3 Les règlements contestés ont pour seul but la production d’un revenu à des «fins locales». Ils ont été édictés en vertu de l’al. 83(1)a) de la Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5, qui autorise «l’imposition de taxes à des fins locales, sur les immeubles situés dans la réserve, ainsi que sur les droits sur ceux‑ci, et notamment sur les droits d’occupation, de possession et d’usage». Les règlements eux‑mêmes indiquent qu’ils visent à [traduction] «prélever un revenu à des fins locales». Aucune restriction ne s’applique à la façon de dépenser ces revenus; il s’agit simplement de revenus relevant du pouvoir discrétionnaire de dépenser de la Première nation de Westbank.
4 Les redevances contestées ont toutes les caractéristiques habituelles d’une «taxe». Elles sont exigibles en vertu de la loi, elles sont imposées sous l’autorité du Parlement, elles sont perçues par un organisme public et elles sont imposées pour une fin d’intérêt public. Il n’y a aucun «rapport» entre le revenu prélevé et le coût de services fournis. À ce titre, elles ne ressemblent pas à des frais d’utilisation ni à quelque autre forme de redevance de nature réglementaire. Je ne suis pas d’accord avec l’argument de l’appelante selon lequel elles sont rattachées à un régime de réglementation, parce qu’il n’existe aucun des indices retenus par notre Cour en droit constitutionnel pour reconnaître un «régime de réglementation». De ce fait, ces redevances doivent être considérées comme étant, de par leur caractère véritable, une «taxation» en vertu du par. 91(3) de la Loi constitutionnelle de 1867, et donc inapplicables au gouvernement provincial en vertu de l’art. 125 de la Loi constitutionnelle de 1867. Puisque, à mon avis, l’art. 125 empêche l’application des règlements à l’intimée, il n’est pas nécessaire d’examiner les arguments supplémentaires qui ont été soulevés relativement à l’art. 17 de la Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I‑21.
II - Les faits
5 Les faits pertinents du pourvoi ne sont pas contestés. Entre 1951 et 1978, l’intimée a obtenu de Sa Majesté la Reine du chef du Canada huit permis d’utilisation et d’occupation de diverses terres dans les réserves indiennes Tsinstikeptum no 9 et no 10 en Colombie‑Britannique. Les permis ont été accordés en vertu du par. 28(2) de la Loi sur les Indiens avec le consentement de l’appelante. L’intimée a obtenu les permis afin de construire des lignes de transmission et de distribution électriques pour fournir de l’électricité aux résidants des réserves. En 1990, l’appelante a adopté le Westbank Indian Band Assessment By‑law («Règlement d’imposition 1990») et le Westbank Indian Band Taxation By‑law («Règlement de taxation 1990»), en vertu du pouvoir que lui confère l’al. 83(1)a) de la Loi sur les Indiens. Ces règlements ont été modifiés au cours des années suivantes, mais les dispositions pertinentes sont demeurées les mêmes. L’appelante a adopté des règlements supplémentaires de 1991 à 1995, et l’intimée a fait l’objet de cotisations s’élevant à 124 527,25 $ en taxes, pénalités et intérêts en vertu de ces règlements. L’intimée a refusé de payer les taxes imposées et n’a pas fait appel des avis de cotisation.
6 L’appelante a intenté une action contre l’intimée pour recouvrer le montant impayé. L’intimée a présenté une demande reconventionnelle pour obtenir un jugement déclarant qu’elle n’était pas sujette à taxation en vertu des règlements. Les parties ont présenté une demande de jugement sommaire à la Cour suprême de la Colombie‑Britannique en vertu de l’art. 18A des British Columbia Rules of Court. Le jugement sommaire rendu en faveur de l’intimée a été confirmé par la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique.
III - Les textes constitutionnels et législatifs pertinents
7 A. Loi constitutionnelle de 1867
53. Tout projet de loi ayant pour objet l’affectation d’une portion quelconque du revenu public, ou la création de taxes ou d’impôts, devra prendre naissance à la Chambre des communes.
91. Il sera loisible à la Reine, sur l’avis et avec le consentement du Sénat et de la Chambre des communes, de faire des lois pour la paix, l’ordre et le bon gouvernement du Canada, relativement à toutes les matières ne tombant pas dans les catégories de sujets exclusivement assignés aux législatures des provinces par la présente loi mais, pour plus de certitude, sans toutefois restreindre la généralité des termes employés plus haut dans le présent article, il est par les présentes déclaré que (nonobstant toute disposition de la présente loi) l’autorité législative exclusive du Parlement du Canada s’étend à toutes les matières tombant dans les catégories de sujets énumérés ci‑dessous, à savoir:
. . .
3. le prélèvement de deniers par tous modes ou systèmes de taxation;
. . .
24. les Indiens et les terres réservées aux Indiens;
92. Dans chaque province, la législature pourra exclusivement légiférer relativement aux matières entrant dans les catégories de sujets ci‑dessous énumérés, à savoir:
. . .
2. la taxation directe dans les limites de la province, en vue de prélever un revenu pour des objets provinciaux;
. . .
9. les licences de boutiques, de cabarets, d’auberges, d’encanteurs et autres licences ou permis en vue de prélever un revenu pour des objets provinciaux, locaux ou municipaux;
. . .
13. la propriété et les droits civils dans la province;
125. Aucune terre ou propriété appartenant au Canada ou à une province ne sera sujette à taxation.
B. Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I‑5
28. . . .
(2) Le ministre peut, au moyen d’un permis par écrit, autoriser toute personne, pour une période maximale d’un an, ou, avec le consentement du conseil de la bande, pour toute période plus longue, à occuper ou utiliser une réserve, ou à résider ou autrement exercer des droits sur une réserve.
83. (1) Sans préjudice des pouvoirs que confère l’article 81, le conseil de la bande peut, sous réserve de l’approbation du ministre, prendre des règlements administratifs dans les domaines suivants:
a) sous réserve des paragraphes (2) et (3), l’imposition de taxes à des fins locales, sur les immeubles situés dans la réserve, ainsi que sur les droits sur ceux‑ci, et notamment sur les droits d’occupation, de possession et d’usage;
C. Westbank Indian Band Taxation By‑law (1990)
[traduction]
2. (1) Comme le prévoit le présent règlement, et en vue de prélever un revenu à des fins locales:
a) les terres et les droits sur celles‑ci sont sujets à taxation;
b) sous réserve de toute exemption contenue dans le présent règlement, tout droit sur une terre doit être imposé et taxé entre les mains de son détenteur;
D. Westbank Indian Band Assessment By‑law (1990)
[traduction]
36. (1) Sous réserve de la Loi constitutionnelle, toute terre détenue ou occupée par une municipalité ou par la Couronne du chef de la Colombie‑Britannique, ou en leur nom, ainsi que toute amélioration sur celle‑ci, sont sujettes à imposition en vertu du présent article.
IV - Les instances antérieures
A. La Cour suprême de la Colombie‑Britannique (1996), 138 D.L.R. (4th) 362
8 Le juge Downs conclut que l’art. 125 de la Loi constitutionnelle de 1867 exonère B.C. Hydro des taxes imposées par l’appelante. Au procès, les parties ont admis que l’intimée est un mandataire de la Couronne provinciale et que l’art. 125 s’applique aux mandataires de la Couronne. L’appelante soutenait que l’art. 125 ne conférait l’immunité qu’à l’égard des taxes imposées en vertu du par. 91(3) de la Loi constitutionnelle de 1867 et que la taxe imposée en l’espèce était fondée sur le par. 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867. Cet argument est également rejeté par le juge Downs, qui conclut que, de par son caractère véritable, cet article relève du par. 91(3) de la Loi constitutionnelle de 1867. Le juge Downs différencie ce genre de taxe des redevances de nature réglementaire, qui ne seraient pas assujetties à l’art. 125.
9 Le juge Downs rejette également l’argument subsidiaire de l’appelante, selon lequel les règlements de Westbank lient la Couronne en raison de l’art. 17 de la Loi d’interprétation. Après examen de cet article, le juge Downs conclut que l’al. 83(1)a) de la Loi sur les Indiens ne lie pas expressément la Couronne et que le régime de taxation imposé par la bande ne serait pas «privé de toute efficacité» si la Couronne n’était pas liée. Elle en conclut donc que l’al. 83(1)a) et les règlements de Westbank ne lient pas la Couronne provinciale.
10 Était lié à cette question l’argument que l’intimée était tenue d’accepter les obligations prévues par le règlement d’imposition parce qu’elle acceptait l’avantage du droit de passage conféré par les permis. À cet égard, le juge Downs conclut qu’il n’y a aucun lien entre les permis et les taxes, étant donné que l’intimée détenait les permis bien avant l’adoption de l’art. 83 de la Loi sur les Indiens. De plus, le règlement lui‑même indique expressément qu’il est assujetti à la Loi constitutionnelle, de sorte que le principe «des avantages et des obligations» ne s’applique pas.
11 Le juge Downs rejette aussi plusieurs autres arguments de l’appelante que cette dernière n’a pas repris en appel ou auxquels elle a renoncé devant notre Cour. Cela étant, le juge Downs accorde le jugement sommaire demandé par l’intimée.
B. La Cour d’appel de la Colombie‑Britannique (1997), 154 D.L.R. (4th) 93
12 Le juge Goldie, au nom de la Cour, conclut que B.C. Hydro est manifestement un mandataire de la Couronne qui, [traduction] «à aucun moment, n’a agi dans la présente instance à un autre titre que celui de mandataire de la Couronne provinciale» (p. 101). Cela étant, le juge Goldie examine ensuite l’application de l’art. 125 de la Loi constitutionnelle de 1867. Compte tenu du préambule et des effets des règlements, le juge Goldie, d’accord avec le juge de première instance, conclut qu’ils doivent être qualifiés de règlements visant à «prélever un revenu à des fins locales». En conséquence, les redevances ont été imposées en vertu du par. 91(3) de la Loi constitutionnelle de 1867, et non pas du par. 91(24). Le paragraphe 91(24) ne pourrait permettre au gouvernement fédéral [traduction] «de faire indirectement ce qu’il ne pourrait pas faire directement, savoir, imposer une taxe à la province par l’entremise de son mandataire en vue de prélever un revenu» (p. 103). En conséquence, il rejette l’appel.
V - Les questions en litige
13 Le 1er décembre 1998, le Juge en chef a énoncé les questions constitutionnelles suivantes:
1. La province est‑elle constitutionnellement habilitée à constituer l’intimée, British Columbia Hydro and Power Authority («B.C. Hydro»), mandataire de la province aux fins d’acquérir et de détenir des droits relevant de la compétence exclusive du fédéral, à savoir un droit immobilier dans une réserve indienne?
2. Si la réponse à la première question est affirmative, le droit de B.C. Hydro, mandataire de Sa Majesté la Reine du chef de la Colombie‑Britannique, sur les terres et les améliorations situées dans les réserves de l’appelante, la Première nation de Westbank («Westbank»), est‑il, par application de l’art. 125 de la Loi constitutionnelle de 1867, exempté des taxes imposées par Westbank conformément au règlement sur l’évaluation et la taxation («Règlement») pris en application de l’al. 83(1)a) de la Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I‑5? Si oui, le Règlement censé imposer de telles taxes est‑il ultra vires ou inapplicable à B.C. Hydro?
3. Si la réponse à la deuxième question est négative, la Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I‑5, autorise‑t‑elle la prise de règlements administratifs imposant des taxes sur les droits de la couronne provinciale ou de ses mandataires situés dans des réserves indiennes? Dans la négative, le Règlement est‑il ultra vires ou inapplicable dans la mesure où il vise à imposer des taxes sur les droits de B.C. Hydro situés dans les réserves de Westbank?
14 Au début de l’audience devant notre Cour, l’avocat de l’appelante a déclaré «renoncer» à ses arguments relatifs à la première question constitutionnelle et à l’exception de «l’activité commerciale» à l’art. 125. Notre Cour n’est pas liée par ces renonciations, mais j’estime que l’avocat avait raison de le faire puisque ces arguments n’avaient pas été soulevés devant les juridictions inférieures ou n’avaient pas à être tranchés dans le présent pourvoi. Il est inutile, en conséquence, de les examiner.
VI - Analyse
15 La seule question à trancher dans le présent pourvoi est de savoir si l’art. 125 de la Loi constitutionnelle de 1867 empêche la Première nation de Westbank d’assujettir à ses règlements de taxation et d’imposition B.C. Hydro, un mandataire de la Couronne provinciale. Pour répondre à cette question, il est utile de comprendre d’abord l’objet sous‑jacent de l’art. 125. Ce sont des valeurs constitutionnelles qui fondent la distinction constitutionnelle entre les «taxes» et les «redevances de nature réglementaire», et qui expliquent pourquoi l’art. 125 s’applique aux premières mais pas aux secondes. Comme je l’explique dans cette partie, il y a lieu de qualifier les redevances contestées de règlements de taxation, qui sont inapplicables à l’intimée en vertu de la Constitution.
A. L’article 125 de la Loi constitutionnelle de 1867
16 L’article 125 de la Loi constitutionnelle de 1867 n’a pas ses origines dans la Conférence de Charlottetown de septembre 1864. Il a été présenté pour la première fois par le procureur général de l’époque, sir John A. Macdonald, le 26 octobre 1864, à la Conférence de Québec (G. P. Browne, Documents on the Confederation of British North America (1969), à la p. 88). La motion proposait: [traduction] «qu’aucune terre ou propriété appartenant au gouvernement général ou à un gouvernement local ne soit sujette à taxation». Macdonald a proposé cet article parmi une série de dispositions diverses relatives aux prérogatives de la Couronne et aux droits de ses représentants. La motion a été approuvée sans débat digne de mention et a été insérée dans la section «Divers» des résolutions de Québec, sous l’art. 47. La résolution n’a pas attiré l’attention pendant les débats sur la Confédération, bien qu’elle ait été déplacée plusieurs fois avant de recevoir sa désignation finale d’art. 125. Le texte définitif de l’art. 125 se lisait: «Aucune terre ou propriété appartenant au Canada ou à une province ne sera sujette à taxation.»
17 Cet article est un des moyens prévus par la Constitution pour assurer le bon fonctionnement du système fédéral canadien. Il donne à chaque palier de gouvernement suffisamment d’espace opérationnel pour gouverner sans intervention externe. Il est fondé sur l’idée que l’imposition d’une taxe à un palier de gouvernement peut nuire considérablement à la capacité de ce gouvernement d’exercer les fonctions que la Constitution lui confère. Dans M‘Culloch c. Maryland, 17 U.S. (4 Wheat.) 316 (1819), à la p. 431, le juge en chef Marshall a expliqué ainsi cette notion:
[traduction] Que le pouvoir de taxer comporte le pouvoir de détruire; que le pouvoir de détruire peut enrayer et annihiler le pouvoir de créer; qu’il y a une répugnance manifeste à conférer à un gouvernement un pouvoir de contrôle sur les mesures constitutionnelles d’un autre, cet autre qui, relativement à ces mesures mêmes, est déclaré suprême par rapport à celui qui exerce le contrôle; il s’agit de propositions qu’on ne peut écarter.
Dans le Renvoi relatif à la taxe sur le gaz naturel exporté, [1982] 1 R.C.S. 1004, à la p. 1056, notre Cour, à la majorité, fait allusion à cet énoncé, et explique, à la p. 1065, que «l’art. 125 a manifestement pour objet d’empêcher un palier de gouvernement d’empiéter, par voie de taxation, sur les biens d’un autre palier de gouvernement».
18 Si le fédéralisme canadien exige une certaine séparation entre chaque palier de gouvernement, cette règle n’est pas absolue. Le système fédéral canadien est souple, et la Constitution ne crée pas d’«enclaves» autour des acteurs fédéraux et provinciaux. Comme l’expliquait le juge en chef Dickson dans SEFPO c. Ontario (Procureur général), [1987] 2 R.C.S. 2, à la p. 18, «[h]istoriquement, le droit constitutionnel canadien a permis passablement d’interaction et même de chevauchement en ce qui concerne les pouvoirs fédéraux et provinciaux» (voir également les observations faites par le juge en chef Dickson dans General Motors of Canada Ltd. c. City National Leasing, [1989] 1 R.C.S. 641, à la p. 669). Le fédéralisme souple requiert une protection contre la taxation, mais pas contre toutes les formes de redevances, lorsque les redevances sont prélevées pour d’autres fins de nature réglementaire relevant de la compétence de l’autorité taxatrice.
19 Bien que la première valeur constitutionnelle soutenue par l’art. 125 soit le fédéralisme, cet article favorise aussi, de façon secondaire, la valeur constitutionnelle que constitue la démocratie. Notre Cour a expliqué récemment dans l’arrêt Succession Eurig (Re), [1998] 2 R.C.S. 565, au par. 30, que la Constitution canadienne (par l’application de l’art. 53 de la Loi constitutionnelle de 1867) exige qu’il n’y ait aucune taxation sans représentation. En d’autres termes, les personnes assujetties à la taxation dans une démocratie ont droit à ce que leurs représentants élus débattent des questions de savoir si cet argent devrait être prélevé et comment il devrait être dépensé. La taxation entre gouvernements est interdite en partie parce qu’il ne devrait pas être permis à un groupe de représentants élus de décider comment devraient être dépensées des taxes qu’un autre groupe de représentants élus a prélevées dans le cadre de son autorité. Par ailleurs, les gouvernements ne sont pas exonérés du paiement de frais d’utilisation, comme la taxe d’eau, en partie parce que le gouvernement peut choisir d’utiliser le service ou non, et parce que le montant prélevé est dépensé uniquement pour fournir ce service: Attorney General of Canada c. City of Toronto (1892), 23 R.C.S. 514; Attorney-General of Canada c. Registrar of Titles, [1934] 4 D.L.R. 764 (C.A.C.‑B.), aux pp. 771 et 772. En ce sens, les frais d’utilisation ressemblent plutôt à un prix exigé pour des produits commercialisables qu’à une forme de taxation.
20 Ces principes et le cadre directeur de la Constitution s’appliquent autant aux conseils des bandes indiennes qui exercent leur droit de taxation que leur confère l’art. 83 de la Loi sur les Indiens qu’aux paliers fédéral et provinciaux de gouvernement. Au Canada, les pouvoirs de tout palier de gouvernement doivent être exercés conformément au cadre constitutionnel du pays. Ce cadre constitutionnel comprend l’interdiction, prévue par l’art. 125, d’imposer des taxes à un autre palier de gouvernement.
B. La distinction entre les taxes et les redevances de nature réglementaire
21 Le point de départ naturel en matière de qualification des prélèvements gouvernementaux est l’arrêt de notre Cour Lawson c. Interior Tree Fruit and Vegetable Committee of Direction, [1931] R.C.S. 357, aux pp. 362 et 363. Dans cet arrêt, le juge Duff, plus tard Juge en chef, a expliqué que les redevances contestées étaient des taxes parce qu’elles étaient: (1) exigibles en vertu de la loi, (2) imposées sous l’autorité de la législature, (3) imposées par un organisme public, (4) pour une fin d’intérêt public. Le juge Duff a également souligné que les redevances en cause étaient obligatoires et touchaient un grand nombre de personnes.
22 Ces indicateurs d’une «taxation» ont récemment été adoptés par notre Cour dans Succession Eurig, précité, au par. 15. Le juge Major, pour la majorité de la Cour, a ajouté un autre élément possible pour qualifier un prélèvement gouvernemental, disant au par. 21 qu’«[i]l est un autre facteur qui permet généralement de distinguer des frais d’une taxe: il doit y avoir un rapport entre la somme exigée et le coût du service fourni». Il s’agit d’une précision utile, car elle aide à faire la distinction entre les taxes et les frais d’utilisation qui sont un sous‑ensemble des «redevances de nature réglementaire».
23 On fait une distinction entre la simple «taxation» et la «réglementation», ou ce qui a été décrit comme des «redevances de nature réglementaire»: P. W. Hogg, Constitutional Law of Canada (éd. feuilles mobiles), vol. 1, à la p. 30-28; J. E. Magnet, Constitutional Law of Canada (7e éd. 1998), vol. 1, à la p. 481; G. V. La Forest, The Allocation of Taxing Power Under the Canadian Constitution (2e éd. 1981). La distinction entre, d’une part, les taxes et, d’autre part, les redevances de nature réglementaire, a été mise en évidence par une majorité de notre Cour dans le Renvoi relatif à la taxe sur le gaz naturel exporté, précité, aux pp. 1055, 1070, 1072 et 1075. Dans cette affaire, les juges majoritaires ont expliqué, à la p. 1070, qu’il fallait faire une distinction entre une taxe et une «taxe [imposée] essentiellement à des fins de réglementation ou [. . .] indissociable d’une réglementation plus générale».
24 Il va sans dire que, pour que des redevances soient imposées à des fins de réglementation ou qu’elles soient «indissociable[s] d’une réglementation plus générale», il faut d’abord identifier un «régime de réglementation». Lorsque notre Cour a conclu à l’existence d’un «régime de réglementation», certains indices étaient présents. Les facteurs à examiner pour identifier un régime de réglementation comportent: (1) l’existence d’un code de réglementation complet et détaillé; (2) un objectif spécifique destiné à influencer certains comportements individuels; (3) des coûts réels ou dûment estimés de la réglementation; (4) un lien entre la réglementation et la personne qui fait l’objet de la réglementation, cette personne bénéficiant de la réglementation ou en ayant créé le besoin. Il ne s’agit que d’une liste de facteurs à examiner; il n’est pas nécessaire qu’ils soient tous présents pour conclure à l’existence d’un régime de réglementation. La liste n’est pas exhaustive non plus.
25 Le premier facteur à examiner est la nature de la réglementation elle‑même. Les régimes de réglementation sont habituellement caractérisés par leur complexité et leur niveau de détail. Dans l’arrêt Allard Contractors Ltd. c. Coquitlam (District), [1993] 4 R.C.S. 371, à la p. 409, le régime de réglementation avait été décrit comme un «code complet et détaillé de réglementation du commerce d’extraction et d’enlèvement de gravier et de terre». Dans Ontario Home Builders’ Association c. Conseil scolaire de la région de York, [1996] 2 R.C.S. 929, au par. 28, le prélèvement a été considéré comme faisant partie d’un «cadre complexe de réglementation de l’aménagement foncier». Et, dans General Motors of Canada Ltd. c. City National Leasing, précité, à la p. 676, la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions a été décrite comme «un système de réglementation économique complexe».
26 Un régime de réglementation a un objet de réglementation précis. Un énoncé de l’objet contenu dans la loi peut aider la cour à cet égard. Dans son ouvrage précité, à la p. 459, le professeur Magnet explique avec raison que, de façon générale, un régime de réglementation [TRADUCTION] «circonscrit un mode de comportement précis qui est exigé ou interdit». Par exemple, dans le Renvoi relatif à la taxe sur le gaz naturel exporté, précité, à la p. 1075, on a conclu que le prélèvement en cause n’était pas de nature réglementaire parce que «[l]a portée même de la taxe la rend incompatible avec toute intention de modifier ou de régir la distribution du gaz sur des marchés précis. La taxe n’a pas non plus pour effet de déterminer qui peut distribuer le gaz, comment la distribution peut s’effectuer ou l’endroit où les opérations peuvent avoir lieu». En somme, un régime de réglementation doit «réglementer» d’une certaine façon et dans un certain but.
27 Les régimes de réglementation comportent habituellement des dépenses fondées sur des coûts connus ou dûment évalués. Dans les affaires de taxation indirecte, la preuve produite montrait comment les revenus devaient être utilisés et comment les coûts du régime de réglementation étaient évalués. Dans Ontario Home Builders, précité, au par. 55, la redevance avait été établie «de façon méticuleuse» et «vis[ait] manifestement à limiter le recouvrement aux coûts réels». Dans Allard, précité, les fonctionnaires municipaux ont présenté des preuves relatives au coût annuel réel de la réfection des routes, qui avait été estimé à partir de coût de réparations similaires effectuées dans la municipalité. Dans ces deux affaires, il y avait un «rapport» assez étroit entre les coûts estimés et les revenus produits au moyen du régime de réglementation.
28 Enfin, la personne assujettie à la redevance de nature réglementaire bénéficie généralement de la réglementation ou crée le besoin de réglementation: Magnet, op. cit., à la p. 459. Dans Allard, précité, les camions de gravier avaient causé le besoin de réparer les routes; dans Ontario Home Builders, précité, les promoteurs et les nouveaux propriétaires de maison avaient causé le besoin de nouvelles écoles. Dans les deux cas, les personnes visées par la redevance bénéficiaient aussi de la réglementation.
29 Une redevance de nature réglementaire peut servir à couvrir les dépenses du régime de réglementation, comme dans les affaires Allard et Ontario Home Builders, ou les redevances de nature réglementaire elles‑mêmes peuvent favoriser l’atteinte de l’objet de la réglementation. Dans Attorney-General of British Columbia c. Attorney-General of Canada (1922), 64 R.C.S. 377 (l’arrêt «Johnnie Walker») (conf. par [1924] A.C. 222), notre Cour a expliqué que les droits de douane étaient un moyen de réaliser l’objet de la réglementation, qui était de favoriser l’importation de certains produits et de défavoriser l’importation de certains autres. Le juge Anglin explique, à la p. 387, que les droits de douane [traduction] «sont, à mon avis, plus» qu’une simple taxation. Comme dans le cas des droits de douane, d’autres types de redevances peuvent proscrire, interdire ou favoriser certaines conduites en vue de modifier des comportements individuels. Une redevance par tonne de déchets pour les sites d’enfouissement peut servir à décourager la production de déchets: Re Ottawa‑Carleton (Regional Municipality) By‑law 234‑1992, [1996] O.M.B.D. No. 553 (QL). Une consigne remboursable peut favoriser le recyclage de bouteilles de verre et de plastique: Cape Breton Beverages Ltd. c. Nova Scotia (Attorney General) (1997), 144 D.L.R. (4th) 536 (C.S.N.‑É.) (conf. par (1997), 151 D.L.R. (4th) 575 (C.A.N.‑É.), autorisation d’appel rejetée, [1997] 3 R.C.S. vii).
30 Dans tous les cas, le tribunal doit identifier la caractéristique principale du prélèvement contesté. Tel était le raisonnement sous‑jacent aux arrêts antérieurs portant sur l’art. 125, qui mettaient l’accent sur le «caractère véritable» de la redevance: arrêt « Johnnie Walker»; Renvoi relatif à la taxe sur le gaz naturel exporté, précités. Même si, dans l’environnement réglementaire d’aujourd’hui, plusieurs redevances comportent des éléments de taxation et des éléments de réglementation, la tâche essentielle du tribunal est de déterminer si, de par son caractère véritable, l’objet principal du prélèvement est: (1) de taxer, c.‑à‑d., percevoir des revenus à des fins générales; (2) de financer ou de créer un régime de réglementation, c.‑à‑d., être une redevance de nature réglementaire ou être accessoire ou rattaché à un régime de réglementation; ou, (3) de recevoir paiement pour des services directement rendus, c.‑à‑d., être des frais d’utilisation.
C. L’article 125 et les taxes, frais d’utilisation et redevances de nature réglementaire
31 L’article 125 s’applique uniquement aux taxes dûment édictées en vertu du par. 91(3) ou du par. 92(2) de la Loi constitutionnelle de 1867. Comme notre Cour l’a expliqué dans le Renvoi relatif à la taxe sur le gaz naturel exporté, à la p. 1068, l’art. 125 ne vise pas d’activité gouvernementale autre que la taxation. Par conséquent, l’article ne s’applique généralement pas aux frais d’utilisation, car ils ne peuvent pas être considérés comme de la «taxation» au sens où l’entend la Constitution, comme je l’ai expliqué précédemment: City of Toronto, précité; Minister of Justice c. City of Levis, [1919] A.C. 505; Registrar of Titles, précité. En particulier, il est difficile de dire que le paiement de redevances pour de tels produits commercialisables, est «obligatoire» ou vise une «fin d’intérêt public»: Registrar of Titles, précité, aux pp. 771 et 772; Urban Outdoor Trans Ad c. Scarborough (City) (1999), 43 O.R. (3d) 673 (C.S.), à la p. 683. Toutefois, certains services peuvent être si essentiels que même si, en théorie, ces services ne sont pas obligatoires, ils le sont en fait: City of Levis, à la p. 513; Succession Eurig, précité, au par. 17.
32 L’article 125 ne s’applique pas non plus à d’autres types de redevances de nature réglementaire décrites précédemment. Lorsque le prélèvement lui‑même est le mécanisme qui favorise l’objet de la réglementation, telle une redevance qui encourage ou décourage certains types de comportement, ou lorsque le prélèvement «accessoire ou rattaché à un régime de réglementation» peut être utilisé pour couvrir les coûts de ce régime, il sera alors généralement applicable à l’autre palier de gouvernement. Les juges majoritaires de notre Cour s’en expliquent dans le Renvoi relatif à la taxe sur le gaz naturel exporté, précité, à la p. 1070:
Si elle a comme objet principal de produire des revenus à des fins fédérales générales, alors elle relève du par. 91(3) et la restriction de l’art. 125 s’applique. Si, par contre, le gouvernement fédéral établit une taxe essentiellement à des fins de réglementation ou si cette taxe est indissociable d’une réglementation plus générale, comme c’est le cas des «contributions d’ajustement» dont il est question dans le Renvoi relatif à la Loi sur l’organisation du marché des produits agricoles, S.R.C. 1970, chap. A‑7 et autres, [1978] 2 R.C.S. 1198, ou des primes d’assurance‑chômage dans l’affaire Attorney-General for Canada v. Attorney‑General for Ontario, [1937] A.C. 355, il ne s’agit pas véritablement de «taxation» et l’art. 125 ne s’applique pas.
33 En protégeant chaque palier de gouvernement contre la taxation, mais pas contre les autres types de redevances de nature réglementaire, la Constitution leur confère un certain espace opérationnel d’une manière qui favorise le mieux les objectifs du fédéralisme souple au Canada. C’est en fonction de ces notions que j’examine maintenant le prélèvement gouvernemental en cause.
D. La caractérisation des règlements de taxation de la Première nation de Westbank
34 Il ne fait aucun doute que ces prélèvements s’appliquent à la «terre ou propriété» du mandataire de la Couronne. Toutefois, les parties ne s’entendent pas sur la question de savoir si la Cour d’appel a eu raison de qualifier ces règlements de règlements de «taxation» fondés sur le par. 91(3) de la Loi constitutionnelle de 1867. Je suis d’avis que la Cour d’appel et le tribunal de première instance ont eu raison de considérer que ces règlements imposaient une «taxation» au sens de l’art. 125.
35 Les redevances imposées par Westbank ont toutes les caractéristiques de la «taxation». En l’espèce, les redevances sont exigées par la loi. Le non-respect des règlements peut mener à l’interruption de tous les services fournis par la bande (Règlement de taxation 1990, par. 8(1); Westbank Indian Band Property Taxation Bylaw (1994) («Règlement de 1994 sur l’impôt foncier»), par. 8(1)). Les taxes constituent une charge grevant l’immeuble (Règlement de taxation 1990, par. 41(1); Règlement de 1994 sur l’impôt foncier, art. 28). La bande peut recouvrer les taxes par saisie‑gagerie (Règlement de taxation 1990, par. 46(1); Règlement de 1994 sur l’impôt foncier, art. 30), par déchéance (Règlement de taxation 1990, art. 49; Règlement de 1994 sur l’impôt foncier, art. 35), ou par voie d’action en justice (Règlement de taxation 1990, art. 45; Règlement de 1994 sur l’impôt foncier, art. 36). Les taxes sont aussi obligatoires que toute taxe municipale sur un immeuble ou sur un intérêt foncier.
36 Les redevances contestées sont imposées sous l’autorité du législateur et perçues par un organisme public. Les règlements sont pris en vertu de l’art. 83 de la Loi sur les Indiens. Les taxes sont prélevées par le conseil de la bande, en vertu de ses pouvoirs attribués, et sont approuvées par le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien.
37 Les redevances sont prélevées pour une fin d’intérêt public, en l’espèce, la gestion générale des affaires de la bande. Le paragraphe 2(1) du Règlement de taxation 1990 et le Règlement de 1994 sur l’impôt foncier prévoient que les prélèvements visent à [Traduction] «prélever un revenu à des fins locales». Comme le juge en chef Lamer l’explique dans Canadien Pacifique Ltée c. Bande indienne de Matsqui, [1995] 1 R.C.S. 3, au par. 43, ces taxes visent «à mieux servir les intérêts des peuples autochtones et à favoriser la réalisation de leur autonomie gouvernementale». Ainsi, comme le souligne le Juge en chef (au par. 43), les taxes en l’espèce sont «plus ambitieu[ses]» qu’un simple régime de taxation. Toutefois, l’existence de cet objet secondaire n’exclut pas ces taxes du chef de compétence sur lequel l’art. 83 est fondé -- le par. 91(3). En effet, si le Parlement avait l’intention de favoriser l’autonomie gouvernementale lorsqu’il a adopté l’art. 83, cela ne signifie pas pour autant que tel est l’objet précis des taxes elles‑mêmes. En l’espèce, l’objet précis de ces taxes est simplement de produire un revenu qui sera versé dans les comptes de dépenses discrétionnaires de la bande. Rien dans la preuve soumise n’indique que ces redevances ont pour objet secondaire de décourager ou de favoriser quelque comportement que ce soit de la part de l’intimée, et aucun autre objet de réglementation n’a été établi.
38 L’appelante n’a pas démontré non plus que ces redevances se rattachent à des coûts de réglementation, comme dans le cas des redevances en question dans les arrêts Allard et Ontario Home Builders, précités. Les redevances ne font pas partie d’un régime de réglementation. Bien que la Loi sur les Indiens soit une loi relative aux terres des Indiens, cela ne suffit pas pour établir l’existence d’un «régime de réglementation» au sens constitutionnel. La preuve est insuffisante pour démontrer que les redevances sont rattachées à un «code complet et détaillé», ou qu’elles font partie d’un «cadre complexe de réglementation». Aucun coût lié à un régime de réglementation n’est identifié. La bande de Westbank ne cherche pas à modifier le comportement de B.C. Hydro de quelque façon que ce soit. B.C. Hydro n’a causé le besoin d’aucun des règlements auxquels les redevances sont rattachées. Elle ne bénéficie pas non plus de la réglementation. En bref, ces redevances ne «réglementent» pas, sous aucun sens de ce terme, et ne sont pas rattachées à un régime qui le fait.
39 Je ne suis pas convaincu non plus que l’on puisse accorder de l’importance au fait que les redevances sont prélevées «à des fins locales», par opposition à des redevances qui produisent un revenu pour le Fonds consolidé du revenu fédéral. Dans Succession Eurig, précité, au par. 20, les redevances étaient prélevées pour les fins de l’«administration des tribunaux en général», plutôt que pour celles des dépenses générales de la province, ce qui n’a pas empêché qu’elles soient considérées comme une taxe. Comme dans Succession Eurig, aux par. 18 à 23, il n’y a, en l’espèce, qu’une relation ténue, si relation il y a, entre les redevances et les coûts. Je suis d’accord avec le procureur général de la Colombie‑Britannique que la Constitution exige plus de précision pour que soit écartée l’application de l’art. 125.
40 Rien dans ce qui précède n’indique que la bande de Westbank n’a pas le pouvoir, en vertu de la Constitution, d’imposer des redevances de nature réglementaire ou des frais d’utilisation valides à B.C. Hydro. À ce sujet, je remarque que les règlements habilitants et les conventions conclues entre B.C. Hydro et la bande de Westbank permettent le paiement de redevances de nature réglementaire d’une manière conforme à la Constitution. Le paragraphe 36(1) du Règlement d’imposition 1990 prévoit que les terres détenues au nom de la Couronne sont [traduction] «sujettes à imposition en vertu du présent article, sous réserve de la Loi constitutionnelle» (je souligne). On a donc tenu compte de l’art. 125. En outre, la clause 2 de la convention du 22 juillet 1960 entre B.C. Hydro et la Couronne, par exemple, prévoit que B.C. Hydro [traduction] «paiera toute redevance, toute taxe, tout tarif et tout impôt foncier qui seront, pendant la durée des droits conférés par la présente, dus et payables ou indiqués comme étant dus et payables relativement à ces terres». Bien que cette disposition parle de «taxes», il faut l’interpréter comme visant les taxes autorisées par la Constitution, comme cela est expressément prévu dans le règlement, telles les taxes provinciales que la province peut imposer à l’un de ses mandataires: La Forest, op. cit., aux pp. 182 et 183; P. Lordon, Crown Law (1991), aux pp. 487 et 488. Le restant de cette disposition prévoit le paiement des redevances et des prélèvements constitutionnellement imposables à B.C. Hydro. La taxe contestée n’est tout simplement pas une redevance de cette nature. Pour ces motifs, le pourvoi est rejeté.
41 Comme je suis d’avis que l’art. 125 rend ces règlements de taxation inapplicables à l’intimée, il n’est pas nécessaire de répondre à la troisième question formulée par le Juge en chef.
VII - Résumé
42 L’article 125 de la Loi constitutionnelle de 1867 favorise les fins du fédéralisme et de la démocratie en accordant un certain espace opérationnel à chaque palier de gouvernement, libre de toute intervention de la part de l’autre palier. Il interdit à un palier de gouvernement d’imposer des taxes sur les biens de l’autre. Il n’interdit toutefois pas l’imposition de frais d’utilisation ou autres redevances de nature réglementaire, qui sont validement édictés à l’intérieur du champ de compétence du gouvernement.
43 Pour déterminer si une redevance contestée est une «taxe» ou un «prélèvement de nature réglementaire» pour les fins de l’art. 125, il faut poser plusieurs questions clés. La redevance est‑elle: (1) obligatoire et exigible en vertu d’une loi, (2) imposée sous l’autorité du législateur, (3) perçue par un organisme public, (4) pour une fin d’intérêt public, (5) sans aucun lien avec une forme de régime de réglementation? Si la réponse à toutes ces questions est affirmative, le prélèvement en question sera habituellement qualifié de taxe.
44 Il ressort de la cinquième question formulée ci‑dessus que le tribunal doit constater la présence d’un régime de réglementation pour conclure à l’existence d’un «prélèvement de nature réglementaire». Pour conclure à l’existence d’un régime de réglementation, le tribunal doit rechercher la présence d’un ou de plusieurs des indices suivants: (1) un code de réglementation complet, complexe et détaillé; (2) un objet de réglementation qui cherche à influencer un comportement donné; (3) la présence de coûts réels ou estimés liés à la réglementation; (4) un rapport entre la réglementation et la personne visée qui en bénéficie ou qui en a causé le besoin. Cette énumération n’est pas exhaustive. Pour qu’une redevance soit «liée» ou «rattachée» à ce régime de réglementation, le tribunal doit pouvoir établir une relation entre la redevance et le régime lui‑même. Il en est ainsi lorsque les revenus sont liés aux coûts du régime de réglementation ou lorsque les redevances elles‑mêmes ont un objet de réglementation, comme la réglementation d’un comportement donné.
45 En l’espèce, les prélèvements doivent être considérés comme étant, de par leur caractère véritable, une taxation en vertu du par. 91(3) de la Loi constitutionnelle de 1867. Ils sont exécutoires en vertu de la loi, imposés sous l’autorité du législateur et perçus par un organisme public à des fins publiques. L’appelante n’a pas démontré que les prélèvements étaient liés à un «régime de réglementation» susceptible d’empêcher l’application de l’art. 125. Les redevances ne font pas partie d’un code de réglementation détaillé. Il n’a été identifié aucun coût qui découlerait du régime de réglementation et auquel les revenus tirés de ces redevances seraient liés. L’appelante ne tente pas d’influencer le comportement de l’intimée de quelque façon au moyen de ces redevances. Il n’y a aucune relation entre B.C. Hydro et la réglementation à laquelle ces redevances sont rattachées. Bien que la Loi sur les Indiens porte sur «les Indiens et les terres réservées aux Indiens», cela ne crée pas, en soi, un «régime de réglementation» au sens où l’entend la Constitution.
46 Étant donné que ces taxes sont imposées à B.C. Hydro, que l’on admet être un mandataire de la Couronne provinciale, l’art. 125 s’applique. En conséquence, les règlements de taxation et d’évaluation sont inapplicables à l’intimée. Vu que le présent pourvoi peut être rejeté à l’égard de la deuxième question constitutionnelle, je conclus qu’il n’est pas nécessaire d’examiner la troisième question constitutionnelle. L’intimée ne demande pas les dépens du présent pourvoi. Par conséquent, je suis d’avis de rejeter le pourvoi sans frais et de répondre ainsi aux questions constitutionnelles:
1. La province est‑elle constitutionnellement habilitée à constituer l’intimée, British Columbia Hydro and Power Authority («B.C. Hydro»), mandataire de la province aux fins d’acquérir et de détenir des droits relevant de la compétence exclusive du fédéral, à savoir un droit immobilier dans une réserve indienne?
Réponse: Admis par l’appelante.
2. Si la réponse à la première question est affirmative, le droit de B.C. Hydro, mandataire de Sa Majesté la Reine du chef de la Colombie‑Britannique, sur les terres et les améliorations situées dans les réserves de l’appelante, la Première nation de Westbank («Westbank»), est‑il, par application de l’art. 125 de la Loi constitutionnelle de 1867, exempté des taxes imposées par Westbank conformément au règlement sur l’évaluation et la taxation («Règlement») pris en application de l’al. 83(1)a) de la Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I‑5? Si oui, le Règlement censé imposer de telles taxes est‑il ultra vires ou inapplicable à B.C. Hydro?
Réponse: Oui. Les règlements sont constitutionnellement inapplicables à B.C. Hydro, un mandataire de Sa Majesté la Reine du chef de la Colombie‑Britannique.
3. Si la réponse à la deuxième question est négative, la Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I‑5, autorise‑t‑elle la prise de règlements administratifs imposant des taxes sur les droits de la couronne provinciale ou des ses mandataires situés dans des réserves indiennes? Dans la négative, le Règlement est‑il ultra vires ou inapplicable dans la mesure où il vise à imposer des taxes sur les droits de B.C. Hydro situés dans les réserves de Westbank?
Réponse: Étant donné la réponse à la question 2, il n’est pas nécessaire de répondre à cette question.
Pourvoi rejeté.
Procureurs de l’appelante: Woodward & Company, Victoria.
Procureurs de l’intimée: Lawson, Lundell, Lawson & McIntosh, Vancouver.
Procureur de l’intervenant le procureur général du Québec: Le ministère de la Justice, Sainte-Foy.
Procureur de l’intervenant le procureur général du Manitoba: Le ministère de la Justice, Winnipeg.
Procureur de l’intervenant le procureur général de la Colombie‑Britannique: Le ministère du Procureur général, Victoria.