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COUR SUPRÊME DU CANADA

 

Référence : S.A. c. Metro Vancouver Housing Corp., 2019 CSC 4, [2019] 1 R.C.S. 99

Appel entendu : 25 avril 2018

Jugement rendu : 25 janvier 2019

Dossier : 37551

 

Entre :

S.A.

Appelante

 

et

 

Metro Vancouver Housing Corporation

Intimée

 

- et -

 

Procureur général de la Colombie-Britannique, Association canadienne pour l’intégration communautaire, Personnes d’abord du Canada, Conseil des Canadiens avec déficiences, Centre d’action pour la sécurité du revenu, HIV & AIDS Legal Clinic Ontario et Disability Alliance BC Society

Intervenants

 

 

Traduction française officielle

 

Coram : Le juge en chef Wagner et les juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Gascon, Côté, Brown, Rowe et Martin

 

Motifs de jugement :

(par. 1 à 74)

 

La juge Côté (avec l’accord du juge en chef Wagner et des juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Gascon et Martin)

Motifs dissidents en partie :

(par. 75 à 94)

 

Le juge Rowe (avec l’accord du juge Brown)

 

 

 

 


S.A. c. Metro Vancouver Housing Corp., 2019 CSC 4, [2019] 1 R.C.S. 99

S.A.                                                                                                                  Appelante

c.

Metro Vancouver Housing Corporation                                                          Intimée

et

Procureur général de la Colombie‑Britannique,

Association canadienne pour l’intégration communautaire,

Personnes d’abord du Canada,

Conseil des Canadiens avec déficiences,

Centre d’action pour la sécurité du revenu,

HIV & AIDS Legal Clinic Ontario et

Disability Alliance BC Society                                                                   Intervenants

Répertorié : S.A. c. Metro Vancouver Housing Corp.

2019 CSC 4

No du greffe : 37551.

2018 : 25 avril; 2019 : 25 janvier.

Présents : Le juge en chef Wagner et les juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Gascon, Côté, Brown, Rowe et Martin.

en appel de la cour d’appel de la colombie‑britannique

                    Droit social — Logement abordable — Programme d’aide au loyer— Demande de subvention fondée sur un examen des ressources — Communication relative aux actifs — Fiducie de type Henson — Locatrice offrant de façon discrétionnaire une aide au loyer aux locataires dont la valeur des actifs est inférieure à 25 000 $ — Refus par une locataire de révéler, dans une demande d’aide au loyer, le solde d’une fiducie de type Henson établie pour subvenir à ses besoins — La fiducie devrait‑elle être considérée comme un actif appartenant à la locataire lorsqu’il s’agit d’établir si celle‑ci est admissible à une aide au loyer?

                    Contrats — Convention de location — Programme d’aide au loyer — Locatrice offrant de façon discrétionnaire une aide au loyer aux locataires — La locatrice a‑t‑elle l’obligation contractuelle de considérer une demande complète d’aide au loyer soumise par un locataire? — La demande de la locataire était‑elle complète alors que la valeur de sa fiducie de type Henson n’y était pas indiquée? — Dans l’affirmative, la locatrice a‑t‑elle manqué à une obligation contractuelle? — Réparation appropriée — Possibilité d’obtenir un jugement déclaratoire.

                    L’intimée, la Metro Vancouver Housing Corporation (« MVHC »), est un organisme à but non lucratif qui exploite des complexes d’habitations subventionnées. Elle offre également de façon discrétionnaire une aide au loyer modulée en fonction des ressources, sous la forme d’une subvention au loyer, à certains locataires admissibles. Les locataires qui souhaitent recevoir une aide au loyer doivent démontrer annuellement qu’ils satisfont aux critères d’admissibilité applicables en remplissant et en présentant une demande d’aide. La MVHC limite l’admissibilité à une aide au loyer aux locataires dont la valeur des actifs est inférieure à 25 000 $.

                    L’appelante, A, une personne handicapée, habite dans un des complexes d’habitation de la MVHC depuis 1992 et a reçu une aide au loyer de cet organisme chaque année jusqu’en 2015. Les modalités de la location de son logement sont énoncées dans une convention de location, qui exige qu’elle fournisse à la MVHC un bilan de vérification de son revenu une fois par année.

                    A détient également un intérêt dans une fiducie constituée à son bénéfice en 2012. Les modalités de la fiducie prévoient que les deux cofiduciaires — A et sa sœur — ont ensemble le pouvoir discrétionnaire de consacrer la portion du revenu et du capital qu’elles estiment nécessaire ou opportune aux soins, à la subsistance, à l’éducation ou au bénéfice de A. Eu égard à la structure de ce type de fiducie, communément appelée fiducie de type Henson, A ne peut obliger les fiduciaires à lui faire des paiements et ne peut mettre fin unilatéralement à la fiducie. En 2015, la MVHC a demandé à A de lui communiquer le solde de la fiducie. A a refusé, faisant valoir que son intérêt dans la fiducie ne constituait pas un « actif » susceptible d’avoir une incidence sur son admissibilité à une aide au loyer. La MVHC l’a informée qu’elle n’était pas en mesure d’approuver sa demande, parce qu’à son avis, sa fiducie était un actif et que la valeur de cet actif était nécessaire pour qu’elle puisse établir si elle était admissible à une aide au loyer.

                    A et la MVHC ont toutes deux présenté une requête devant la Cour suprême de la Colombie‑Britannique pour que celle‑ci statue sur la question de savoir si l’intérêt que détient A dans la fiducie constitue un actif lorsqu’il s’agit de considérer sa demande d’aide au loyer. Le juge en chambre a conclu que le sens du terme « actifs » tel qu’il était utilisé dans la convention de location était suffisamment large pour englober l’intérêt de A dans la fiducie et que la MVHC avait donc le droit d’obliger A à révéler la valeur de la fiducie avant de considérer sa demande d’aide au loyer. La Cour d’appel a rejeté l’appel de A.

                    Arrêt (les juges Brown et Rowe sont dissidents en partie) : Le pourvoi est accueilli.

                    Le juge en chef Wagner et les juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Gascon, Côté et Martin : Comme A ne possède aucun droit actuel sur le bien fiduciaire selon les modalités de la fiducie, son intérêt dans la fiducie ne constitue pas un actif susceptible de faire en sorte que sa demande ne puisse être considérée par la MVHC en vue de l’octroi d’une aide au loyer. En conséquence, A avait droit de voir sa demande considérée par la MVHC en vue de l’octroi d’une aide au loyer en 2015.

                    L’interprétation du terme « actif » au sens de la demande d’aide est une question justiciable qui relève de la juridiction de la Cour. Bien que A ne dispose pas du droit contractuel de recevoir une aide au loyer même si elle satisfait aux critères d’admissibilité pour obtenir une telle aide, le litige entre les parties est fondamentalement de nature contractuelle. Il porte sur la question de savoir si la MVHC avait l’obligation contractuelle de considérer toute demande complète d’aide qu’elle recevait de A, et, dans l’affirmative, si la demande d’aide soumise par A pour l’année 2015 était en fait complète de manière à déclencher l’obligation de la MVHC.

                    La convention de location impose à la MVHC l’obligation de considérer une demande complète d’aide au loyer soumise par A. Chaque locataire des immeubles de la MVHC n’a pas de droit contractuel de recevoir une aide au loyer et le montant, s’il en est, que sont susceptibles de se voir accorder les locataires admissibles est déterminé par la MVHC de façon discrétionnaire. Cependant, la convention de location impose à la MVHC l’obligation de considérer si le loyer d’un tel locataire sera rajusté conformément aux modalités de la demande d’aide et aux renseignements fournis dans celle‑ci. Cette obligation trouve sa source dans la cl. 5(a) de la convention de location et dans la définition de l’expression « loyer unitaire » figurant dans cette même convention. Ces deux dispositions prévoient que le loyer à payer inclut une réduction possible de loyer déterminée conformément aux modalités d’une « entente d’aide au loyer ». Comme l’expression « entente d’aide au loyer » n’est pas définie dans la convention de location, il est nécessaire d’examiner le fondement factuel de la formation de ce contrat. Ce fondement factuel indique clairement que la MVHC décide si un requérant se verra accorder une aide au loyer, c’est‑à‑dire si elle conclura une entente d’aide au loyer avec un locataire, en se fondant sur les renseignements fournis dans la demande d’aide. Lorsqu’elles ont conclu la convention de location, les parties ont donc nécessairement compris que la MVHC déciderait s’il y avait lieu d’accorder une aide au loyer à A à la lumière des modalités de la demande d’aide et des renseignements fournis dans celle‑ci, si A choisissait de présenter une telle demande.

                    L’intérêt détenu par A dans la fiducie ne fait pas partie de ses actifs lorsqu’il s’agit de déterminer si elle a droit de voir sa demande considérée par la MVHC en vue de l’octroi d’une aide au loyer. Premièrement, la fiducie revêt les caractéristiques essentielles d’une fiducie de type Henson : le fiduciaire possède le pouvoir discrétionnaire ultime de faire des paiements, prélevés sur la fiducie, à la personne handicapée pour laquelle la fiducie a été constituée, de sorte que cette personne ne peut obliger le fiduciaire à lui faire des paiements et ne peut mettre fin unilatéralement à la fiducie. En conséquence, A ne dispose d’aucun droit exécutoire de recevoir tout ou partie du revenu ou du capital de la fiducie. Son intérêt dans la fiducie s’apparente à un simple espoir qu’une partie ou la totalité des biens de celle‑ci lui sera un jour remise. On ne saurait considérer que de tels actes de fiducie ont pour effet d’enrichir la personne handicapée au profit de laquelle ils ont été conclus, car ils sont structurés de manière à placer le bien fiduciaire hors de son contrôle.

                    Deuxièmement, le terme « actifs » doit être interprété selon son sens ordinaire et grammatical eu égard au contexte particulier de son utilisation. Une personne raisonnable qui interpréterait la demande d’aide de façon objective comprendrait que le terme « actifs » s’entend des biens du requérant, ou de ses intérêts dans des biens, dont il peut effectivement se servir pour s’acquitter de ses dettes et engagements, y compris le loyer mensuel. Ce sens est conforme à l’objectif global du programme d’aide au loyer, lequel consiste à accorder une aide au loyer aux locataires qui éprouvent des difficultés financières importantes.

                    Le terme « actifs » au sens de la demande d’aide n’est donc pas suffisamment large pour englober l’intérêt détenu par A dans la fiducie, parce que A ne peut se servir de ce seul intérêt pour payer son loyer ou pour s’acquitter de ses autres dettes et engagements. Elle ne voit sa situation financière améliorée que si, et au moment où, les fiduciaires décident effectivement de lui effectuer des distributions. Pour cette raison, la valeur de la fiducie n’est pas pertinente pour décider si A est admissible à une aide au loyer et rien ne permettait donc à la MVHC d’exiger que A fournisse des renseignements concernant la valeur de sa fiducie avant de considérer sa demande d’aide. La MVHC a donc manqué à son obligation de considérer si A devait recevoir une aide au loyer conformément aux modalités de la demande d’aide.

                    Tous les critères applicables à l’octroi d’un jugement déclaratoire sont respectés en l’espèce. L’interprétation du terme « actif » est une question justiciable réelle et les deux parties ont clairement un intérêt véritable dans celle‑ci. De plus, un jugement déclaratoire aurait une utilité pratique, puisqu’il réglerait le litige actuel entre les parties. Par conséquent, il est déclaré que A a droit de voir sa demande d’aide au loyer considérée par la MVHC conformément aux modalités de la demande d’aide, et que l’intérêt que A détient dans la fiducie ne constitue pas un « actif » pertinent pour prendre une telle décision. A peut aussi avoir droit à une réparation pécuniaire du fait que la MVHC n’a pas considéré sa demande. Cependant, la preuve au dossier ne permet pas à la Cour de trancher la question du montant d’une telle réparation. Cette question devrait être renvoyée au tribunal de première instance pour décision, afin que celui‑ci puisse analyser la preuve et accorder des dommages‑intérêts qui auraient pour effet de placer A dans la situation dans laquelle elle se serait trouvée si la MVHC n’avait pas manqué à son obligation. Les jugements déclaratoires prononcés par la Cour d’appel sont annulés.

                    Les juges Brown et Rowe (dissidents en partie) : Il y a lieu d’accueillir le pourvoi en partie et d’annuler les jugements déclaratoires accordés par la Cour d’appel à la MVHC. Malgré l’accord avec l’analyse des juges majoritaires en ce qui a trait aux fiducies de type Henson, il y a désaccord avec l’analyse portant sur le programme d’aide au loyer de la MVHC. Aucun fondement juridique ne permet à un tribunal de rendre une ordonnance relative à l’application de ce programme discrétionnaire, car la MVHC n’a aucune obligation contractuelle d’examiner une demande d’aide au loyer et elle n’est pas tenue non plus d’appliquer un cadre particulier pour décider qui doit recevoir une aide au loyer.

                    La possibilité d’obtenir un jugement déclaratoire repose sur la violation réelle ou potentielle des droits du demandeur. En l’absence d’un droit sur lequel fonder le jugement déclaratoire, pareil jugement ne peut être accordé. En l’espèce, la convention de location ne confère à A aucun droit contractuel à une aide au loyer. La demande d’aide est un document visant à aider la MVHC à administrer son programme discrétionnaire et permet simplement à la MVHC de déterminer quels requérants respectent la condition établie par cet organisme en ce qui a trait à la valeur maximale des actifs qu’ils peuvent détenir. C’est à la MVHC de déterminer quelles personnes, parmi celles qui satisfont aux conditions d’admissibilité de base, se verront accorder une aide. La MVHC n’est pas tenue, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, de prendre uniquement en considération les renseignements fournis dans la demande d’aide ou de s’en tenir à la manière dont elle a distribué cette aide dans le passé.

                    De plus, la MVHC n’a aucune obligation contractuelle d’examiner la demande d’aide de A. La clause 5(a) de la convention de location et la définition de l’expression « loyer unitaire » envisagent la possibilité que le locataire reçoive une aide au loyer supplémentaire, mais n’obligent pas la MVHC à se demander si un locataire devrait recevoir une aide au loyer. Qu’il puisse y avoir une réduction de loyer ne signifie pas que la MVHC a l’obligation de se demander s’il y en aura une pour tout locataire. Dans le cas d’un locataire qui a simplement présenté une demande d’aide au loyer, il n’y a pas d’entente d’aide au loyer et par conséquent aucun contrat, et ce, jusqu’à ce qu’il soit établi qu’il recevra effectivement une telle aide.

                    Comme la décision de la MVHC d’accorder ou non une aide au loyer n’est pas justiciable, ni A ni la MVHC ne peuvent alors obtenir un jugement déclaratoire en ce qui a trait à cette décision. Tout comme A ne dispose pas du droit à l’examen de sa demande, la MVHC n’a pas le droit d’obliger A à solliciter une aide au loyer ni le droit de recevoir de celle‑ci tout renseignement qui l’aidera à déterminer si elle devrait recevoir une aide.

Jurisprudence

Citée par la juge Côté

                    Arrêt appliqué : Ontario (Director of Income Maintenance Branch of the Ministry of Community and Social Services) c. Henson (1987), 26 O.A.C. 332, conf. par (1989), 36 E.T.R. 192; arrêts mentionnés : Saunders c. Vautier (1841), Cr. & Ph. 240, 41 E.R. 482; Sattva Capital Corp. c. Creston Moly Corp., 2014 CSC 53, [2014] 2 R.C.S. 633; Eli Lilly & Co. c. Novopharm Ltd., [1998] 2 R.C.S. 129; Buschau c. Rogers Communications Inc., 2006 CSC 28, [2006] 1 R.C.S. 973; Stoor c. Stoor Estate, 2014 ONSC 5684, 5 E.T.R. (4th) 207; Ledcor Construction Ltd. c. Société d’assurance d’indemnisation Northbridge, 2016 CSC 37, [2016] 2 R.C.S. 23; Ewert c. Canada, 2018 CSC 30, [2018] 2 R.C.S. 165; Daniels c. Canada (Affaires indiennes et du Nord canadien), 2016 CSC 12, [2016] 1 R.C.S. 99; Canada (Premier ministre) c. Khadr, 2010 CSC 3, [2010] 1 R.C.S. 44; Operation Dismantle Inc. c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 441; Solosky c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 821; Carter c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 5, [2015] 1 R.C.S. 331.

Citée par le juge Rowe (dissident en partie)

                    Kaiser Resources Ltd. c. Western Canada Beverage Corp. (1992), 71 B.C.L.R. (2d) 236.

Lois et règlements cités

Employment and Assistance for Persons with Disabilities Act, S.B.C. 2002, c. 41.

Family Benefits Act, R.S.O. 1980, c. 151, art. 1(1)(a) [abr. & rempl. 654/82, art. 1(a)].

R.R.O. 1980, Reg. 318 [pris en vertu de la Family Benefits Act, R.S.O. 1980, c. 151], art. 3(2)(a).

Supreme Court Civil Rules, B.C. Reg. 168/2009, règle 2‑1(2)(c).

Wills Variation Act, R.S.B.C. 1996, c. 490.

Doctrine et autres documents cités

Black’s Law Dictionary, 6th ed., by Henry Campbell Black, St‑Paul (Minn.), West Publishing Co., 1990.

Hall, Geoff R. Canadian Contractual Interpretation Law, 3rd ed., Toronto, LexisNexis, 2016.

Merriam‑Webster (en ligne : https://merriam‑webster.com), « asset ».

Oosterhoff, Albert H., Robert Chambers and Mitchell McInnes. Oosterhoff on Trusts : Text, Commentary and Materials, 8th ed., Toronto, Carswell, 2014.

Oxford English Dictionary (en ligne : http://www.oed.com), « asset ».

Sarna, Lazar. The Law of Declaratory Judgments, 4th ed., Toronto, Thomson Reuters, 2016.

Waters’ Law of Trusts in Canada, 4th ed., by Donovan W. M. Waters, Mark R. Gillen and Lionel D. Smith, Toronto, Carswell, 2012.

                    POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique (les juges Smith, Bennett et Goepel), 2017 BCCA 2, 410 D.L.R. (4th) 198, [2017] B.C.J. No. 70 (QL), 2017 CarswellBC 87 (WL Can.), qui a modifié une décision du juge Steeves, 2015 BCSC 2260. Pourvoi accueilli, les juges Brown et Rowe sont dissidents en partie.

                    Michael A. Feder, Patrick D. H. Williams et Connor Bildfell, pour l’appelante.

                    Eileen E. Vanderburgh et Pauline Storey, pour l’intimée.

                    Kate Hamm et Graham J. Underwood, pour l’intervenant le procureur général de la Colombie‑Britannique.

                    Brendon Pooran et Jennifer Macko, pour les intervenants l’Association canadienne pour l’intégration communautaire et Personnes d’abord du Canada.

                    Dianne Wintermute et Luke Reid, pour l’intervenant le Conseil des Canadiens avec déficiences.

                    Ewa Krajewska, Amy Wah et Jackie Esmonde, pour les intervenants le Centre d’action pour la sécurité du revenu et HIV & AIDS Legal Clinic Ontario.

                    Geoffrey W. White, Amy A. Mortimore et David P. Taylor, pour l’intervenante Disability Alliance BC Society.

 

                    Version française du jugement du juge en chef Wagner et des juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Gascon, Côté et Martin rendu par

 

                     La juge Côté —

I.              Introduction

[1]                              Le présent pourvoi porte sur la question de savoir si l’intérêt que l’appelante, S.A., détient dans une fiducie constituée pour subvenir à ses besoins devrait être considéré comme un « actif », ce qui aurait une incidence négative sur son admissibilité à un programme de subventions aux logements locatifs offert par sa locatrice, l’intimée, la Metro Vancouver Housing Corporation (« MVHC »).

[2]                              Pour trancher cette question, la Cour doit, pour la première fois, se pencher sur la nature d’un type particulier de fiducie — communément appelé « fiducie de type Henson » — constituée au profit d’une personne handicapée vivant de prestations d’aide sociale provenant des fonds publics (voir : Ontario (Director of Income Maintenance Branch of the Ministry of Community and Social Services) c. Henson (1987), 26 O.A.C. 332 (C. div.), conf. par (1989), 36 E.T.R. 192 (C.A. Ont.)). La caractéristique principale de la fiducie de type Henson est que le fiduciaire possède le pouvoir discrétionnaire ultime de faire des paiements, prélevés sur la fiducie, à la personne handicapée pour laquelle la fiducie a été constituée, de sorte que cette personne a) ne peut obliger le fiduciaire à lui faire des paiements, et b) ne peut mettre fin unilatéralement à la fiducie en se fondant sur la règle établie dans Saunders c. Vautier (1841), Cr. & Ph. 240, 41 E.R. 482. Comme la personne handicapée ne dispose d’aucun droit exécutoire de recevoir quelque bien que ce soit de la part du fiduciaire d’une fiducie de type Henson à moins que ce dernier n’exerce son pouvoir discrétionnaire en sa faveur, l’intérêt que cette personne détient dans la fiducie n’est généralement pas considéré comme un « actif » pour les besoins des programmes d’aide sociale fondés sur un examen des ressources (D. W. M. Waters, M. R. Gillen et L. D. Smith, dir., Waters’ Law of Trusts in Canada (4e éd. 2012), p. 572‑573). La fiducie de type Henson permet donc de mettre de côté de l’argent ou d’autres biens de valeur au profit d’une personne handicapée d’une manière qui porte atteinte le moins possible au droit de celle‑ci de toucher des prestations sociales.

[3]                              S.A. est une personne handicapée au bénéfice de laquelle une fiducie de type Henson (« fiducie ») a été constituée en 2012. Elle habite dans un complexe d’habitation exploité par la MVHC. En plus de fournir des logements abordables dans la région métropolitaine de Vancouver, cet organisme offre de façon discrétionnaire une aide au loyer, sous la forme d’une subvention au loyer, à certains locataires admissibles. Un « locataire admissible » est une personne qui, entre autres, possède des actifs d’une valeur inférieure à 25 000 $. Le présent pourvoi soulève la question de savoir si l’intérêt que détient S.A. dans la fiducie devrait être considéré comme un « actif » lorsqu’il s’agit de déterminer si S.A. peut voir sa demande considérée par la MVHC en vue de l’octroi d’une aide au loyer. Les deux cours d’instance inférieure ont répondu à cette question par l’affirmative. S.A. se pourvoit à présent devant notre Cour.

[4]                              J’accueillerais le pourvoi. À mon avis, S.A. ne possède aucun droit actuel sur le bien fiduciaire selon les modalités de la fiducie. Malgré sa qualité de cofiduciaire, elle ne bénéficie d’aucun droit indépendant et concret d’exiger que des paiements lui soient faits ou soient faits à son profit, et elle ne peut mettre fin unilatéralement à la fiducie. Son intérêt dans le bien fiduciaire équivaut donc à un [traduction] « simple espoir » que les fiduciaires exerceront leur pouvoir discrétionnaire en sa faveur (Waters, Gillen et Smith, p. 1204, note 155). Pour cette raison, je conclus que l’intérêt détenu par S.A. dans la fiducie ne constitue pas un actif susceptible de faire en sorte que sa demande ne puisse être considérée par la MVHC en vue de l’octroi d’une aide au loyer. 

II.           Faits

[5]                              S.A. est une personne handicapée d’âge mûr. Comme elle ne peut pas travailler en raison de ses handicaps, elle tire son revenu de prestations versées sous le régime de l’Employment and Assistance for Persons with Disabilities Act, S.B.C. 2002, c. 41 (« EAPDA »).

[6]                              La MVHC est un organisme à but non lucratif qui appartient exclusivement au Metro Vancouver Regional District. Son mandat consiste à fournir des logements abordables dans la région métropolitaine de Vancouver. À cette fin, la MVHC exploite plusieurs complexes d’habitations subventionnées.

[7]                              S.A. réside dans l’un de ces complexes (« complexe d’habitation »). L’exploitation du complexe d’habitation par la MVHC est régie par deux accords avec la British Columbia Housing Management Commission : un accord relatif à l’aide aux organismes à but non lucratif (« Accord d’exploitation ») conclu en 1982 (d.i., p. 8‑14) et un accord‑cadre (« Accord‑cadre ») conclu en 2013 (d.i., p. 21‑25). Ces accords imposent à la MVHC plusieurs obligations relativement à la gestion de certaines propriétés faisant partie de son portefeuille. Plus précisément, suivant l’Accord d’exploitation, les personnes qui souhaitent conclure une convention de location avec la MVHC doivent d’abord démontrer qu’elles satisfont à certaines conditions d’admissibilité concernant leur revenu, le nombre d’occupants, leur état de santé et d’autres critères semblables. L’Accord d’exploitation et l’Accord‑cadre exigent que la MVHC vérifie le revenu des locataires au moment de l’occupation initiale ainsi que tous les ans par la suite.

[8]                              L’Accord‑cadre exige également que la MVHC verse une aide au loyer à au moins 15 p. 100 des locataires du complexe d’habitation. Pour satisfaire à cette obligation, la MVHC offre, de façon discrétionnaire, une aide au loyer aux locataires qui satisfont à un ensemble distinct de critères d’admissibilité (« Programme d’aide au loyer »). Les locataires qui souhaitent recevoir une aide au loyer doivent démontrer annuellement qu’ils satisfont à ces critères en remplissant et en présentant un formulaire intitulé [traduction] « Demande d’aide au loyer supplémentaire » (« Demande d’aide »). Toutefois, compte tenu des limitations financières de la MVHC, les requérants admissibles ne se verront pas tous accorder une aide au loyer. Autrement dit, les locataires de la MVHC ne jouissent pas d’un droit universel à une aide au loyer. Le montant, s’il en est, pouvant être accordé à un locataire admissible est déterminé par la MVHC en fonction de facteurs tels que les considérations financières et les besoins en matière de logement social.

[9]                              Pour [traduction] « s’assurer que le financement limité relatif à l’aide au loyer soit réservé aux personnes qui en ont le plus besoin », la MVHC a décidé de limiter l’admissibilité à une telle aide aux requérants dont, entre autres, la valeur des actifs est inférieure à 25 000 $ (d.a., p. 105). Un document intitulé « Politique sur la valeur maximale des actifs » définit de manière non exhaustive le terme « actifs » :

                    [traduction]

 

                    Les actifs comprennent notamment :

 

         les actions, obligations, dépôts à terme, fonds communs de placement, dépôts bancaires et argent comptant;

 

         l’avoir immobilier, libre de dettes;

 

         les actifs dans lesquels vous avez un intérêt bénéficiaire;

 

         l’avoir dans une société privée, y compris l’argent comptant, les CPG, les obligations, les actions, l’avoir immobilier ou l’avoir dans tout autre actif corporel;

 

         les biens personnels importants, tels que les véhicules de collection ou de luxe.

                    Les actifs pouvant être exclus sont les suivants :

 

         les effets personnels tels qu’un véhicule du ménage, des bijoux et des meubles;

 

         les bourses d’entretien ou bourses d’études d’un établissement d’enseignement accordées à tout membre du ménage qui est aux études;

 

         les régimes enregistrés d’épargne‑études (REEE) et régimes enregistrés d’épargne‑retraite (l’exemption à cet égard vise à préserver l’objectif de ces placements);

 

         les outils d’entreprise essentiels au maintien d’un emploi actif, tels que le matériel, les outils et les véhicules à usage professionnel;

 

         les actifs tirés de programmes d’indemnisation du gouvernement, par exemple, les règlements relatifs aux pensionnats indiens et l’entente de redressement à l’égard des Canadiens japonais.

(d.a., p. 105‑106)

[10]                          Bien que la Demande d’aide n’incorpore pas la définition d’« actifs » contenue dans la Politique sur la valeur maximale des actifs, ce formulaire exige du requérant qu’il indique s’il possède des actifs dont la valeur est supérieure à 25 000 $. Il prévoit que les demandes complètes seront traitées dans un délai de sept à trente jours, mais indique clairement que les demandes incomplètes ne seront pas du tout considérées. Les requérants doivent également s’engager à fournir à la MVHC tout document demandé à l’appui des renseignements communiqués dans ce formulaire.

[11]                          S.A. habite le complexe d’habitation depuis 1992. Les modalités de la location de son logement pendant toute la période pertinente sont énoncées dans une convention de location datée du 5 janvier 2015 (« Convention de location »). Selon cette convention, S.A. devait fournir à la MVHC un bilan de vérification de son revenu une fois par année, ou à tout moment advenant une modification de son revenu annuel ou de la composition de son ménage (cl. 8a)). S.A. a respecté cette obligation chaque année depuis le début de son bail.

[12]                          Après avoir commencé à vivre dans le complexe d’habitation en 1992, S.A. a reçu une aide au loyer de la MVHC chaque année jusqu’en 2015 (d.a., p. 68 et 77). La MVHC lui a accordé une telle aide pour la dernière fois le 24 mai 2014, lui octroyant 629 $ en subventions mensuelles et réduisant ainsi son loyer de 894 $ à seulement 265 $ par mois (d.a., p. 92). Toutefois, comme je vais l’expliquer plus loin, la MVHC ne lui a pas versé d’aide au loyer depuis juin 2015.

[13]                          Après le décès du père de S.A., les clauses du testament de celui‑ci — selon lesquelles S.A. devait hériter d’un tiers du reliquat de la succession — ont été modifiées en 2012 par ordonnance judiciaire conformément à la Wills Variation Act, R.S.B.C. 1996, c. 490. Suivant cette ordonnance, la part de la succession qui était léguée à S.A. devait être versée dans une fiducie en vue de subvenir à ses besoins.

[14]                          Les modalités de la fiducie (reproduites à l’annexe des présents motifs) prévoient que les deux cofiduciaires — S.A. et sa sœur (les « fiduciaires ») — ont le pouvoir discrétionnaire de consacrer la portion du revenu et du capital qu’elles [traduction] « estiment nécessaire ou opportune aux soins, à la subsistance, à l’éducation ou au bénéfice [de S.A.] » (art. 1(a)(iv)(A)). S’il subsiste encore quelque chose dans la fiducie au décès de S.A., le solde devra être légué aux personnes désignées par cette dernière dans son testament, ou, en l’absence d’une telle désignation, aux héritiers ab intestat de S.A. Toutefois, S.A ne peut se désigner elle‑même ou désigner un de ses créanciers comme bénéficiaire du résidu des fonds en fiducie. Les modalités de la fiducie confèrent également à S.A. le pouvoir de remplacer sa sœur à titre de cofiduciaire si celle‑ci refuse ou n’est pas en mesure d’agir en cette qualité (art. 1(a)(ii)).

[15]                          Dans une lettre datée du 13 février 2015, la MVHC a demandé à S.A. de lui communiquer le solde courant du fonds fiduciaire, ainsi que les détails de toutes les sorties de fonds depuis sa constitution. Cette demande a été faite dans le contexte de l’examen annuel des revenus effectué par la MVHC en 2014. Dans une lettre datée du 11 mars 2015, S.A. a répondu ce qui suit :

                    [traduction] Dans votre lettre du 13 février 2015 (ci‑jointe), vous demandez des renseignements sur le solde courant de [la fiducie]. La Metro Vancouver Housing Corporation (la MVHC) sait qu’il ne s’agit pas d’un actif qui pourrait avoir une incidence sur mon admissibilité à une aide au loyer. À ma connaissance, rien ne saurait justifier que la MVHC exige des renseignements de cette nature des fiduciaires. J’atteste qu’il n’y a eu aucune sortie de fonds de [la fiducie] à mon intention depuis sa constitution. Ces renseignements ont déjà été transmis à Mme Lynn LeNobel, l’avocate de la MVHC.

(d.i., p. 1)

[16]                          S.A. a soumis sa demande d’aide pour 2015 avec cette lettre. En réponse à la question de savoir si elle possédait des actifs d’une valeur supérieure à 25 000 $, elle a coché la case [traduction] « Non » et a écrit : « Aucun actif ayant une incidence sur mon admissibilité. Veuillez vous référer à cet égard à la lettre datée du 11 mars 2015 que je vous ai fait parvenir ainsi qu’à la correspondance antérieure provenant de mes représentants légaux » (d.a., p. 108).

[17]                          Dans une lettre datée du 13 avril 2015, la MVHC a avisé S.A. qu’elle n’était pas en mesure d’approuver sa demande parce que S.A. ne lui avait pas fourni de renseignements précis concernant son admissibilité au Programme d’aide au loyer. La partie pertinente de cette lettre se lit ainsi :

                         [traduction] Comme le prévoit la politique de la MVHC sur la valeur maximale des actifs, ceux‑ci comprennent notamment « les actifs dans lesquels vous avez un intérêt bénéficiaire ». Votre fiducie discrétionnaire constitue un actif dans lequel vous avez un intérêt bénéficiaire et n’est pas un actif du type de ceux énumérés dans la politique qui ne sont pas pris en compte pour vérifier si la valeur maximale est atteinte. Comme la MVHC vous l’a déjà dit, il est nécessaire de fournir des renseignements supplémentaires sur la fiducie, notamment sa valeur, afin de permettre à la MVHC de déterminer s’il convient néanmoins de ne pas tenir compte de cet actif lorsqu’il s’agit d’établir si vous êtes admissible à une aide au loyer supplémentaire offerte par la MVHC.

                        La MVHC vous a accordé un délai exceptionnellement long pour fournir ces renseignements, et ce, pour vous permettre à la fois de vivre le deuil de votre père et de demander l’avis d’avocats et conseillers au sujet des exigences du programme d’aide au loyer supplémentaire. De fait, l’examen de votre demande d’aide au loyer supplémentaire pour l’année 2014 demeure ouvert et en suspens; la MVHC a néanmoins continué de vous accorder cette aide, étant entendu que vous finiriez par donner les renseignements demandés. Puisque nous comprenons que vous ne fournirez pas de renseignements sur la valeur de la fiducie, la MVHC n’est pas en mesure d’approuver votre présente demande d’aide au loyer supplémentaire. [Je souligne.]

(d.a., p. 98)

[18]                          Le 1er juin 2015, S.A. a cessé de recevoir une aide au loyer et, depuis cette date, elle paie le montant intégral de son loyer sous protêt. Les paiements effectués en juin et en juillet 2015 comportaient un [traduction] « supplément en cas de crise » accordé sous le régime de l’EAPDA. L’avocat de S.A. a informé la Cour que des paiements provenant de la fiducie avaient aidé S.A. à combler toutes les autres insuffisances de fonds pour payer son loyer (transcription, p. 23‑24).

III.        Historique judiciaire

A.           Les requêtes

[19]                          En juillet 2015, S.A. a intenté contre la MVHC la procédure prévue à l’al. 2‑1(2)c) des Supreme Court Civil Rules, B.C. Reg. 168/2009, lequel prévoit la possibilité de déposer une requête lorsque, [traduction] « selon les allégations, l’unique ou la principale question en litige porte sur l’interprétation [. . .] [d’un] contrat verbal ou écrit ou d’un autre document ». L’essentiel de la thèse de S.A., selon sa requête modifiée, est que l’intérêt qu’elle détient dans la fiducie ne constitue pas un « actif » au sens de la Convention de location ou de toute autre entente résultant de la Demande d’aide dûment remplie, ce qui signifie selon elle que la MVHC n’avait pas le droit d’exiger qu’elle lui fournisse des renseignements quant à la valeur de la fiducie, ni de refuser de considérer sa demande d’aide pour 2015 faute d’avoir obtenu les renseignements en question (d.a., p. 70). À titre de réparation, S.A. a sollicité, entre autres, un jugement déclaratoire et une ordonnance enjoignant à la MVHC de lui rembourser [traduction] « la différence entre le loyer selon le marché, à savoir 894 $ par mois, que [S.A. a elle‑même] versé ou [qui l’a été en son nom] pour les mois de juin et juillet 2015, et le loyer subventionné de 265 $ pour les mois en question » (d.a., p. 67).

[20]                          La MVHC a déposé sa propre requête en août 2015, également fondée sur l’al. 2‑1(2)c) des Supreme Court Civil Rules, dans laquelle elle a demandé un jugement déclaratoire portant que le Programme d’aide au loyer [traduction] « exige [la] communication de la valeur des actifs dans lesquels la personne qui sollicite une aide au loyer a un intérêt bénéficiaire, y compris tout type de fiducie discrétionnaire ou non discrétionnaire » (d.a., p. 48). Elle a sollicité aussi une ordonnance enjoignant à S.A. de révéler la valeur de la fiducie si elle souhaitait que la MVHC considère sa demande d’aide au loyer.

B.            Cour suprême de la Colombie‑Britannique (2015 BCSC 2260)

[21]                          Les deux requêtes ont été entendues ensemble le 9 octobre 2015. Le juge Steeves (« juge en chambre ») a rejeté la requête de S.A. et a refusé de prononcer l’ordonnance sollicitée. Il a accueilli la requête de la MVHC et a ordonné que S.A. révèle la valeur de la fiducie si elle souhaitait satisfaire aux conditions requises pour obtenir une aide au loyer.

[22]                          Selon le juge en chambre, la question en litige portait sur l’interprétation du terme « actifs » tel qu’il est utilisé dans la Convention de location. Après avoir établi que la Politique sur la valeur maximale des actifs ne faisait pas partie de cette convention, le juge a ajouté que le sens du terme en litige était suffisamment large pour englober l’intérêt de S.A. dans la fiducie. Sur ce fondement, il a conclu que la MVHC avait le droit d’obliger S.A. à révéler la valeur de la fiducie avant de considérer sa demande d’aide au loyer.

C.            Cour d’appel de la Colombie‑Britannique (2017 BCCA 2, 410 D.L.R. (4th) 198)

[23]                          La Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a rejeté l’appel de S.A. S’exprimant au nom d’une formation unanime, le juge Goepel s’est dit d’avis que la question fondamentale en litige était celle de savoir si la MVHC pouvait obliger S.A. à fournir des détails supplémentaires concernant la valeur de la fiducie afin de vérifier si S.A. était admissible à une aide au loyer et, dans l’affirmative, de déterminer quel montant (s’il en est) celle‑ci devrait recevoir. Il a également exprimé l’avis que le juge en chambre avait commis une erreur en analysant la question sous l’angle de la Convention de location, et a fait remarquer que la question en litige portait plutôt sur l’interprétation du terme « actif » tel qu’il est utilisé dans la Demande d’aide. À la lumière de la définition que donne à ce terme la Politique sur la valeur maximale des actifs, le juge Goepel a statué que la fiducie devait être considérée comme un actif appartenant à S.A. Il a donc conclu que [traduction] « la MVHC a le droit, conformément à la Demande d’aide, d’obtenir les renseignements supplémentaires qu’elle a sollicités au sujet de la fiducie pour pouvoir déterminer s’il y a lieu d’accorder une aide au loyer » (par. 56).

IV.        Analyse

A.           Le présent pourvoi soulève‑t‑il une question justiciable?

[24]                          Le présent pourvoi porte principalement sur la caractérisation de l’intérêt que détient S.A. dans la fiducie, et plus particulièrement sur la question de savoir si la MVHC peut considérer cet intérêt comme un « actif » lui appartenant afin d’établir si elle satisfait aux critères d’admissibilité du Programme d’aide au loyer. S.A. affirme que la MVHC ne peut pas le considérer ainsi, et fait donc valoir que cette dernière n’avait ni le droit d’exiger qu’elle lui fournisse des renseignements supplémentaires quant à la valeur de la fiducie, ni celui de refuser de considérer sa demande d’aide pour 2015 du fait qu’elle n’avait pas fourni les renseignements demandés. La MVHC soutient que, suivant la définition contenue dans la Politique sur la valeur maximale des actifs, le terme « actifs » comprend notamment des actifs dans lesquels la personne qui sollicite une aide au loyer a un intérêt bénéficiaire. Elle affirme donc que l’intérêt que détient S.A. dans la fiducie constitue un actif et que S.A. aurait donc dû révéler la valeur de sa fiducie dans sa demande d’aide pour 2015. Comme S.A. n’a fourni ces renseignements ni dans le formulaire ni lors de la demande subséquente de la MVHC, cette dernière soutient que le formulaire de demande d’aide de S.A. pour 2015 n’était pas en fait complet et que la MVHC n’était donc pas tenue de considérer sa demande d’aide au loyer.

[25]                          À titre préliminaire, toutefois, la MVHC soutient que S.A. n’a invoqué aucun fondement juridique justifiant le jugement déclaratoire ou l’ordonnance accordant une réparation pécuniaire qu’elle cherche à obtenir. Autrement dit, elle fait valoir que S.A. n’a pas démontré qu’elle avait le droit contractuel de recevoir une aide au loyer ou encore qu’elle avait le droit de demander le contrôle judiciaire des décisions de la MVHC concernant l’application du Programme d’aide au loyer.

[26]                          La présente affaire n’a pas été présentée comme demande de contrôle judiciaire (d.a., p. 47; transcription, p. 13‑14) et je conviens que S.A. ne dispose pas du droit contractuel de recevoir une aide au loyer même si elle satisfait aux critères d’admissibilité du Programme d’aide au loyer. Cela dit, j’estime néanmoins que le litige entre les parties est fondamentalement de nature contractuelle, car il porte sur les questions de savoir a) si la MVHC avait l’obligation contractuelle de considérer toute demande complète d’aide au loyer qu’elle recevait de S.A. conformément aux modalités de cette demande, et b) si la Demande d’aide soumise par S.A. pour l’année 2015 était en fait complète et en conformité avec les modalités applicables, de manière à déclencher l’obligation de la MVHC. Je vais examiner ci‑après chacune de ces questions à tour de rôle.

B.            La MVHC a‑t‑elle l’obligation de considérer une demande complète d’aide au loyer soumise par S.A.?

[27]                          Sur cette première question, je suis d’avis que la Convention de location impose à la MVHC l’obligation de déterminer si le loyer de base de S.A. sera rajusté en fonction de son revenu actuel et conformément aux modalités d’une entente d’aide au loyer. Cette obligation trouve sa source dans la cl. 5(a) de la Convention de location, qui exige que S.A. verse à la MVHC un montant de loyer mensuel préétabli. Voici le libellé de cette clause :

[traduction]

5. Loyer et dépôt de garantie

                    (a)   Le locataire convient de payer un loyer calculé comme suit :

(i)                 un loyer unitaire de 894 $;

(ii)               moins une réduction de loyer déterminée en fonction du revenu actuel du locataire et conformément aux modalités d’une entente d’aide au loyer, soit 629 $ au moment de la conclusion de la présente Convention de location;

(iii)             plus l’ajustement au titre des frais de stationnement, soit 0 $. [Je souligne.]

 

(d.a., p. 80)

Suivant la Convention de location, « loyer unitaire » s’entend du « loyer mensuel pour le logement locatif avant toute augmentation ou réduction de loyer déterminée en fonction du revenu du locataire et conformément aux modalités d’une entente d’aide au loyer » (cl. 2(a)(xii) (d.a., p. 80)). 

[28]                          Prises ensemble, ces dispositions indiquent que la MVHC a l’obligation contractuelle de décider si le loyer mensuel de base de S.A. sera rajusté. Cette conclusion est compatible avec l’Accord‑cadre, lequel exige que la MVHC accorde une aide au loyer à au moins 15 p. 100 des locataires résidant dans le complexe d’habitation (d.i., p. 23‑24).

[29]                          Il importe également de souligner que la question de savoir si S.A. obtiendra une réduction de loyer, en vertu de la cl. 5(a)(ii) de la Convention de location, doit être tranchée par la MVHC [traduction] « en fonction du revenu actuel [de S.A.] et conformément aux modalités d’une entente d’aide au loyer » (je souligne) (d.a., p. 80). Bien que l’expression « entente d’aide au loyer » ne soit pas définie dans la Convention de location, la cl. 2(a)(vi) définit l’expression « aide au loyer » comme un « supplément au loyer accordé par la [MVHC] ou par son intermédiaire à un locataire qui répond aux critères d’admissibilité liés notamment au revenu et au nombre d’occupants » (d.a., p. 79).

[30]                          Pour comprendre ce qu’on l’on entend par [traduction] « les modalités d’une entente d’aide au loyer », il est donc nécessaire d’aller au‑delà de la Convention de location et d’examiner le fondement factuel de la formation du contrat. Comme notre Cour l’a expliqué dans Sattva Capital Corp. c. Creston Moly Corp., 2014 CSC 53, [2014] 2 R.C.S. 633, le fondement factuel — qui comprend le contexte factuel pertinent dont les parties avaient clairement connaissance ou dont elles auraient dû avoir connaissance lorsqu’elles ont conclu l’entente — peut aider à déterminer le sens qu’ont donné les parties aux termes utilisés dans l’entente (par. 46‑47 et 58; voir également G. R. Hall, Canadian Contractual Interpretation Law (3e éd. 2016), p. 29). Étant donné que l’interprétation des contrats est un exercice objectif, le fondement factuel n’est constitué que des faits et circonstances qui « appartenaient ou auraient raisonnablement dû appartenir aux connaissances des deux parties à la date de signature ou avant celle‑ci » (Sattva, par. 49 et 58; Hall, p. 29). En conséquence, la preuve de l’intention subjective d’une partie « n’occupe aucune place indépendante » dans l’examen des circonstances entourant la formation d’un contrat (Eli Lilly & Co. c. Novopharm Ltd., [1998] 2 R.C.S. 129, par. 54).

[31]                          Depuis 1992, S.A. a, année après année, demandé avec succès la location d’un logement dans le complexe d’habitation. Elle a également, chaque année, sollicité une aide au loyer en remplissant une demande à cette fin. La Demande d’aide qu’elle a remplie en 2015 — laquelle est identique au formulaire qui lui a permis d’obtenir une aide au loyer en 2014 — exige que les locataires fournissent des renseignements au sujet, notamment, de leurs revenus et de leurs actifs. Le formulaire requiert expressément de confirmer que la valeur des actifs du locataire n’excède pas 25 000 $. Lorsqu’ils remplissent la Demande d’aide, les locataires doivent aussi (notamment) confirmer l’exactitude des renseignements fournis dans celle‑ci, accepter de fournir à la MVHC les pièces justificatives susceptibles d’être demandées et apposer leur signature à la fin du formulaire. Voici un passage clé de cette demande :

                    [traduction] Veuillez remplir le présent formulaire si vous louez ou occupez déjà l’un des logements de la MVHC, et que vous souhaitez demander une aide au loyer supplémentaire.

                    TOUTE DEMANDE INCOMPLÈTE SERA RETOURNÉE AU REQUÉRANT SANS ÊTRE TRAITÉE.

                    Veuillez noter que le traitement d’une demande peut prendre entre sept et trente jours et que la MVHC ne traitera aucun formulaire incomplet.

(d.a., p. 107)

[32]                          Il y a également une section à la fin de la Demande d’aide où un employé de la MVHC doit indiquer le montant de l’aide au loyer, s’il en est, auquel a droit le locataire. Cela indique clairement que la MVHC décide si le requérant se verra accorder une aide au loyer en se fondant sur les renseignements fournis dans la Demande d’aide. La Demande d’aide constitue donc le moyen par lequel la MVHC obtient les renseignements nécessaires en ce qui a trait à des critères liés « notamment au revenu et au nombre d’occupants » (Convention de location, cl. 2(a)(vi)), lesquels permettent de déterminer quels locataires recevront une aide au loyer conformément à la cl. 5(a) de la Convention de location. Cette conclusion se dégage du fait que l’aide au loyer mensuelle qui a été accordée à S.A. selon les renseignements qu’elle a fournis dans sa demande d’aide pour 2014 a été directement incorporée dans le calcul de son loyer conformément à la cl. 5(a) de la Convention de location signée en 2015. Lorsqu’elles ont conclu la Convention de location, les parties ont donc nécessairement compris que la MVHC déciderait s’il y avait lieu de rajuster le loyer unitaire de base de S.A. à la lumière des modalités de la Demande d’aide et des renseignements fournis dans celle‑ci, si S.A. choisissait d’en présenter une cette année‑là.

[33]                          Il est bien établi que chaque locataire des immeubles de la MVHC n’a pas de droit contractuel de recevoir une aide au loyer et que le montant, s’il en est, que sont susceptibles de se voir accorder les locataires admissibles est déterminé par la MVHC de façon discrétionnaire. Cependant, je suis d’avis que la Convention de location impose à la MVHC l’obligation de considérer si le loyer d’un tel locataire sera rajusté conformément aux modalités de la Demande d’aide et aux renseignements fournis dans celle‑ci. Ainsi, l’octroi d’une aide au loyer conformément à l’application du Programme d’aide au loyer fait partie de la relation contractuelle globale entre la MVHC et les locataires résidant dans le complexe d’habitation. Le juge en chambre semble avoir tiré la même conclusion dans ses motifs, affirmant qu’[traduction] « [i]l n’est pas véritablement contesté que l’entente entre les parties inclut la convention de location elle‑même ainsi que la demande d’aide au loyer supplémentaire » (par. 35).

C.            Est‑ce que l’intérêt détenu par S.A. dans la fiducie fait partie de ses « actifs » lorsqu’il s’agit de déterminer si elle a droit de voir sa demande considérée par la MVHC en vue de l’octroi d’une aide au loyer?

[34]                          Comme je l’ai mentionné précédemment, la question au cœur du présent pourvoi est celle de savoir si l’intérêt que S.A. détient dans la fiducie constitue un « actif » susceptible d’avoir une incidence négative sur son droit de voir sa demande considérée par la MVHC en vue de l’octroi d’une aide au loyer. Si son intérêt n’est pas visé par le terme « actifs » tel qu’il est utilisé dans la Demande d’aide, alors rien ne permettait à la MVHC d’exiger que S.A. fournisse des renseignements concernant la valeur de la fiducie avant de se demander si celle‑ci était admissible à une aide au loyer en 2015.

(1)           Quelle est la nature de l’intérêt détenu par S.A. dans la fiducie?

[35]                          La fiducie en cause en l’espèce revêt les caractéristiques essentielles d’une fiducie de type Henson. Ses modalités ne confèrent aucun droit déterminé à S.A.; elles accordent plutôt aux fiduciaires le pouvoir discrétionnaire ultime de faire des distributions sur le revenu ou le capital de la fiducie qui soient consacrées aux soins, à la subsistance, à l’éducation ou au bénéfice de S.A. (art. 1(a)(iv)(A)). Fait important, elles prévoient expressément que, dans l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire, les fiduciaires peuvent décider de n’effectuer aucune distribution à S.A. : l’art. 1(a)(iv)(B) exige que [traduction] « le revenu qui n’est pas versé au cours d’une année » soit ajouté au capital du fonds fiduciaire, et les art. 1(a)(iv)(C) et 1(a)(iv)(D) — qui précisent la manière de distribuer le résidu du fonds fiduciaire au décès de S.A. — prévoient la possibilité que S.A ne reçoive pas la totalité, ni même une partie, du bien fiduciaire.

[36]                          Il est donc clair que, bien qu’elles aient l’obligation de considérer s’il convient d’effectuer des distributions à partir de la fiducie pour subvenir aux besoins de S.A., les fiduciaires ne sont pas tenues d’effectuer de telles distributions, que ce soit à S.A. ou à son profit. Contrairement au bénéficiaire d’une fiducie fixe (c.‑à‑d. une fiducie où le fiduciaire n’a aucun pouvoir discrétionnaire quant aux distributions aux bénéficiaires), S.A. ne dispose donc d’aucun droit exécutoire de recevoir quoi que ce soit à moins que les fiduciaires ne décident d’exercer leur pouvoir discrétionnaire en sa faveur.

[37]                          Je tiens ici à souligner que la qualité de cofiduciaire de S.A. n’est pas pertinente dans la détermination de la nature de son intérêt dans la fiducie. En cette qualité, elle est tenue de prendre des décisions unanimes avec sa cofiduciaire et elle doit exercer son pouvoir discrétionnaire de manière indépendante, conformément aux modalités de la fiducie et à ses obligations fiduciaires[1]. En outre, les modalités de la fiducie confèrent à S.A. le pouvoir de nommer un nouveau cofiduciaire si sa sœur refuse ou n’est pas en mesure d’agir en cette qualité (ce qui se distingue du fait pour sa sœur de ne pas être disposée à faire des distributions à S.A.) — et indiquent donc clairement que ce poste ne peut demeurer vacant : il doit toujours y avoir deux fiduciaires qui exercent leur pouvoir discrétionnaire indépendamment l’une de l’autre (art. 1(a)(ii)). Ces restrictions ont pour effet d’empêcher S.A. d’ordonner unilatéralement, à son gré, que lui soient faits des paiements prélevés sur la fiducie. Par conséquent, S.A. ne bénéficie pas d’un plus grand accès à l’actif fiduciaire que toute autre personne qui détient un intérêt dans une fiducie de type Henson et qui n’est pas en même temps un fiduciaire. C’est pourquoi je n’accorderais aucune importance au fait que S.A. est une cofiduciaire (voir : les motifs du juge en chambre, par. 47‑48).

[38]                          Un autre aspect important de la fiducie est qu’elle est structurée de manière à empêcher S.A. d’y mettre fin unilatéralement en se fondant sur la règle de Saunders c. Vautier, selon laquelle le bénéficiaire d’une fiducie (ou ses bénéficiaires agissant conjointement) peut y mettre fin et exiger du fiduciaire qu’il lui transmette le titre juridique sur le capital de la fiducie, pourvu que ce bénéficiaire ait la capacité juridique et qu’il possède absolument tous les droits de propriété bénéficiaire sur le bien fiduciaire (voir : Buschau c. Rogers Communications Inc., 2006 CSC 28, [2006] 1 R.C.S. 973, par. 21; Waters, Gillen et Smith, p. 1235‑1236; A. H. Oosterhoff, R. Chambers et M. McInnes, Oosterhoff on Trusts: Text, Commentary and Materials (8e éd. 2014), p. 334‑335). En analysant cette règle dans le contexte du présent pourvoi, il importe de signaler que, suivant les modalités de la fiducie, le résidu du fonds fiduciaire doit être transmis à un tiers au décès de S.A. : en vertu des art. 1(a)(iv)(C) et 1(a)(iv)(D), il est expressément interdit à S.A. de se désigner elle‑même ou de désigner ses créanciers à titre de bénéficiaires du résidu de la fiducie. Ce « legs subséquent » fait en sorte que l’intérêt que détient S.A. dans la fiducie n’est pas absolu, ce qui l’empêche donc de mettre fin à elle seule à celle‑ci en se fondant sur la règle de Saunders c. Vautier (voir : Stoor c. Stoor Estate, 2014 ONSC 5684, 5 E.T.R. (4th) 207, par. 7 et 51‑52).

[39]                          L’analyse qui précède établit deux choses clairement. Premièrement, les modalités de la fiducie confèrent aux fiduciaires le pouvoir discrétionnaire exclusif de décider si des paiements devraient être faits à S.A. Bien qu’elles doivent périodiquement se prononcer sur l’opportunité d’effectuer des distributions, les fiduciaires ne sont pas obligées d’exercer ce pouvoir discrétionnaire d’une manière particulière. Deuxièmement, la structure de la fiducie empêche S.A. de mettre fin unilatéralement à celle‑ci en se fondant sur la règle de Saunders c. Vautier. En conséquence, S.A. ne dispose d’aucun droit exécutoire de recevoir tout ou partie du revenu ou du capital de la fiducie : tant que les fiduciaires n’exercent pas leur pouvoir discrétionnaire en faveur de S.A., l’intérêt qu’elle détient dans la fiducie s’apparente à un simple espoir qu’une partie ou la totalité des biens de celle‑ci lui sera un jour remise.

(2)           Comment devrait‑on interpréter le terme « actifs » tel qu’il est utilisé dans la Demande d’aide?

[40]                          La question qu’il faut maintenant analyser porte sur le sens à donner au terme « actif » tel qu’il est utilisé dans la Demande d’aide, laquelle est à l’origine de l’obligation de S.A. de fournir à la MVHC des renseignements quant à la valeur de ses actifs si elle souhaite que sa demande soit considérée en vue de l’octroi d’une aide au loyer. Pour être clair, le présent pourvoi ne porte pas sur le sens à donner à cette expression dans l’abstrait, mais plutôt sur la façon dont celle‑ci devrait être interprétée dans le contexte particulier du Programme d’aide au loyer de la MVHC. À cet égard, je partage l’avis de la Cour d’appel selon lequel le juge en chambre a commis une erreur en analysant du moins en partie cette question sous l’angle de la Convention de location : [traduction] « [l]e document essentiel pour déterminer s’il y a lieu d’accorder une aide au loyer est la Demande d’aide (par. 52).

[41]                          Déterminer ce que signifie le terme « actifs » tel qu’il est utilisé dans la Demande d’aide est essentiellement est un exercice d’interprétation contractuelle, qui a pour objectif de donner effet à l’entente conclue entre les parties, compte tenu à la fois [traduction] « des termes choisis par les parties pour établir l’entente et du contexte dans lequel ceux‑ci sont utilisés » (Hall, p. 9). Comme l’a récemment expliqué notre Cour dans Sattva, cet exercice exige que le décideur « interpr[ète] le contrat dans son ensemble, en donnant aux mots y figurant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec les circonstances dont les parties avaient connaissance au moment de la conclusion du contrat » (par. 47).

[42]                          La Demande d’aide requiert que les requérants indiquent s’ils détiennent des « actifs » d’une valeur supérieure à 25 000 $, mais ne précise pas en quoi consistent exactement ceux‑ci. Cependant, on trouve plutôt une définition non exhaustive de cette expression dans un document distinct de la MVHC : la Politique sur la valeur maximale des actifs. La MVHC affirme que cette politique établit les critères d’admissibilité du Programme d’aide au loyer et, sur ce fondement, elle fait valoir qu’il convient d’interpréter le terme « actifs » comme englobant les « actifs dans lesquels [le requérant a] un intérêt bénéficiaire » (m.i., par. 51 et 63).

[43]                          La Cour d’appel a reconnu que la Politique sur la valeur maximale des actifs pouvait être utile pour interpréter la Demande d’aide, affirmant que cette politique [traduction] « établit les critères d’admissibilité du [Programme d’aide au loyer] » et fournit donc « un élément contextuel en ce qui a trait aux renseignements sollicités dans la Demande d’aide » (par. 53).

[44]                          Il importe toutefois de signaler que la Demande d’aide ne fait aucune mention de la Politique sur la valeur maximale des actifs. Plus particulièrement, cette demande ne prétend pas incorporer la définition du terme « actifs » énoncée dans la politique. Comme l’a plaidé S.A. dans sa requête, la Politique sur la valeur maximale des actifs [traduction] « n’est pas incorporée dans la Demande [d’aide], et la Demande [d’aide] n’informe pas le requérant qu’il convient de tenir compte de [la Politique sur la valeur maximale des actifs] pour la remplir » (d.a., p. 68. Voir aussi la réponse de S.A. à la requête de la MVHC, d.a., p. 73). Je suis d’accord; rien dans la Demande d’aide n’indique aux requérants qu’ils devraient tenir compte de la définition du terme « actifs » énoncée dans la Politique sur la valeur maximale des actifs dans le calcul visant à vérifier si la valeur de leurs actifs est supérieure à 25 000 $.

[45]                          Comme il a été expliqué précédemment, la portée du fondement factuel pertinent consiste uniquement en « une preuve objective du contexte factuel au moment de la signature du contrat », c’est‑à‑dire « les renseignements qui appartenaient ou auraient raisonnablement dû appartenir aux connaissances des deux parties à la date de signature ou avant celle‑ci » (Sattva, par. 58 (je souligne)). En l’espèce, rien n’indique que la MVHC et S.A. aient toutes deux considéré que le terme « actifs » tel qu’il est utilisé dans la Demande d’aide avait le même sens que celui qui lui est attribué dans la Politique sur la valeur maximale des actifs.

[46]                          Si la définition contenue dans cette politique ne s’applique pas, quel sens faudrait‑il donner au terme « actifs »? Les termes utilisés dans la Demande d’aide doivent être interprétés selon leur sens ordinaire et grammatical eu égard au contexte particulier de leur utilisation (Sattva, par. 47‑48; Ledcor Construction Ltd. c. Société d’assurance d’indemnisation Northbridge, 2016 CSC 37, [2016] 2 R.C.S. 23, par. 27). Ayant cela à l’esprit, je tiens à souligner que le terme « actifs » est utilisé dans son sens ordinaire pour désigner des biens de valeur dont une personne peut se servir pour s’acquitter de ses dettes et d’autres engagements. L’une des définitions du terme anglais « asset » (« actif ») figurant dans le Oxford English Dictionary (en ligne) est la suivante : [traduction] « un élément de valeur appartenant à une personne; plus précisément un élément inclus dans le bilan qui représente la valeur d’une ressource, d’un droit, d’un bien, etc., placé sous la rubrique appropriée. Souvent accompagné du mot “liability” (“passif”) ». De même, le dictionnaire Merriam Webster (en ligne) définit le terme au pluriel « assets » (« actifs ») comme [traduction] « l’ensemble des biens d’une personne, d’une association, d’une société ou d’une succession qui sont susceptibles d’être affectés au paiement de ses dettes », et le terme au singulier « asset » (« actif ») comme « un élément de valeur appartenant à une personne ». Le juge en chambre a fait mention d’une définition semblable tirée du Black’s Law Dictionary (6e éd. 1990), p. 117 (motifs du juge en chambre, par. 50) :

                    [traduction] Biens de toute nature, réels ou personnels, matériels ou immatériels, y compris, à certaines fins, des brevets et causes d’action appartenant à toute personne, notamment une société et la succession d’un défunt. L’ensemble des biens d’une personne, d’une association, d’une société ou d’une succession qui sont susceptibles d’être affectés au paiement de ses dettes.

[47]                          L’utilisation du terme « actif » dans la langue courante est conforme à l’objectif global du Programme d’aide au loyer, lequel consiste, selon la MVHC, à accorder une aide au loyer aux locataires qui éprouvent des difficultés financières importantes. L’objectif est de faire en sorte que les locataires qui ne sont pas en mesure de payer leur loyer sans épuiser les maigres ressources dont ils disposent aient accès à une aide supplémentaire, alors que les locataires qui disposent des moyens nécessaires pour y parvenir n’y aient pas accès. En conséquence, les critères d’admissibilité du Programme d’aide au loyer visent à aider la MVHC à cibler comme bénéficiaires éventuels les locataires pour lesquels il est particulièrement difficile de payer un loyer non subventionné parce qu’ils n’ont pas accès à d’autres ressources financières pour s’acquitter de leurs obligations mensuelles.

[48]                          Pour cette raison, une personne raisonnable qui interpréterait la Demande d’aide de façon objective et sans égard à la Politique sur la valeur maximale des actifs comprendrait que le terme « actifs » s’entend des biens du requérant, ou de ses intérêts dans des biens, dont il peut effectivement se servir pour s’acquitter de ses dettes et engagements, y compris le loyer mensuel qu’il doit à la MVHC. Compte tenu de l’objectif du Programme d’aide au loyer, il n’y a aucune raison pour laquelle la MVHC s’intéresserait à une ressource financière — comme un intérêt éventuel dans une fiducie — dont le requérant ne peut pas se servir pour payer son loyer mensuel.

(3)           Est‑ce que l’intérêt détenu par S.A. dans la fiducie est visé par le terme « actifs » tel qu’il est utilisé dans la Demande d’aide?

[49]                          Est‑il donc possible d’affirmer que l’intérêt détenu par S.A. dans la fiducie — qui, comme il a été expliqué, s’apparente à un simple espoir de recevoir un jour une partie ou la totalité du bien fiduciaire — est visé par le terme « actifs » tel qu’il est utilisé dans la Demande d’aide? Je suis d’avis que non. Puisque S.A. ne peut obliger les fiduciaires à lui effectuer des distributions ou à effectuer des distributions à son profit, et qu’elle ne peut non plus mettre fin unilatéralement à la fiducie en se fondant sur la règle de Saunders c. Vautier, l’intérêt qu’elle détient dans la fiducie dépend entièrement de l’exercice par les fiduciaires de leur pouvoir discrétionnaire. Lorsqu’aucune distribution n’est faite en sa faveur, S.A. ne peut donc pas se servir de cet intérêt pour payer le loyer mensuel qu’elle doit à la MVHC, ou pour s’acquitter de ses autres dettes et engagements. Bref, ce n’est pas parce que S.A. détient un intérêt dans la fiducie que sa situation financière s’en trouve véritablement améliorée avant que des distributions ne soient effectivement faites à son profit, si tant est que de telles distributions lui soient faites.

[50]                          La décision de la Cour divisionnaire de l’Ontario dans Henson, à laquelle ont renvoyé les cours d’instance inférieure, est instructive à cet égard. Mlle Henson, l’intimée dans cette affaire, était une personne handicapée qui recevait une allocation sous le régime de la Family Benefits Act, R.S.O. 1980, c. 151. Avant de mourir, son père avait versé environ 82 000 $ dans une fiducie constituée à son profit. Les modalités de la fiducie conféraient aux trois fiduciaires le pouvoir discrétionnaire [traduction] « absolu et illimité » de faire à Mlle Henson, sur le revenu et le capital de la fiducie, les versements qu’ils estimaient opportuns. Le résidu au décès de Mlle Henson devait être transféré à la Guelph and District Association for the Mentally Retarded pour servir à ses fins générales.

[51]                          Suivant un règlement édicté en vertu de la Family Benefits Act (« Règlement »), un bénéficiaire, tel que Mlle Henson, n’avait pas droit à une allocation sous le régime de cette loi s’il détenait des liquidités d’une valeur supérieure à 3 000 $ (Regulation 318, R.R.O. 1980, al. 3(2)a)). Par [traduction] « liquidités » on entendait, au sens du Règlement, [traduction] « [l’]argent comptant, les obligations, les actions, les débentures, un intérêt dans un bien réel, un intérêt bénéficiaire dans les actifs détenus en fiducie et disponibles aux fins de subsistance, et tout autre actif pouvant rapidement être converti en numéraire » (al. 1(1)a) [abr. & rempl. 654/82, al. 1a)]). La Cour divisionnaire de l’Ontario était saisie de la question de savoir si l’intérêt de Mlle Henson dans la fiducie constituée à son profit tombait sous le coup de la définition de « liquidités », ce qui aurait pour effet de l’exclure du bénéfice de l’allocation versée sous le régime de la Family Benefits Act. La cour a conclu à l’unanimité que ce n’était pas le cas, en adoptant le raisonnement suivant :

                    [traduction] Nous sommes d’avis que la clause testamentaire susmentionnée confère aux fiduciaires un pouvoir discrétionnaire absolu et illimité; l’intimée ne pouvait obliger les fiduciaires à lui faire des paiements si elle ne disposait pas de fonds suffisants sous le régime de la Family Benefits Act pour lui permettre de répondre à ses besoins. En conséquence, nous estimons que Mlle Henson ne détient pas d’intérêt bénéficiaire au sens dans lequel cette expression est utilisée dans la définition de « liquidités ».

(Henson, p. 334)

[52]                          Le raisonnement de la Cour divisionnaire s’applique très bien en l’espèce, étant donné les similitudes entre la définition de « liquidités » prévue par le Règlement et le sens du terme « actifs » tel qu’il est utilisé dans la Demande d’aide, et compte tenu des ressemblances entre la structure de la fiducie de Mlle Henson et celle de la fiducie en cause dans le présent pourvoi. Selon moi, il en est ainsi malgré le fait que le terme « liquidités » tel que défini par le Règlement incluait un intérêt bénéficiaire dans des actifs « disponibles aux fins de subsistance ». Comme nous l’avons vu plus tôt, il faut de la même façon considérer que le terme « actifs » tel qu’il est utilisé dans la Demande d’aide renvoie à des ressources financières que le locataire peut utiliser pour payer le loyer. En somme, on ne saurait considérer que de tels actes de fiducie ont pour effet d’enrichir la personne handicapée au profit de laquelle ils ont été conclus, car ils sont structurés de manière à placer le bien fiduciaire hors de son contrôle. Cela explique pourquoi Mlle Henson et S.A. avaient le droit de toucher des prestations d’aide sociale (sous le régime de la Family Benefits Act et de l’EAPDA, respectivement) même si elles détenaient chacune un intérêt éventuel dans une fiducie constituée pour subvenir à leurs besoins. C’est précisément la raison pour laquelle la structure de la fiducie de type Henson sert à réserver des fonds à l’intention de personnes handicapées.

[53]                          En l’espèce, le juge en chambre est arrivé à la conclusion contraire, à savoir que le terme « actifs » est suffisamment large pour englober l’intérêt que détient S.A. dans la fiducie et que l’arrêt Henson [traduction] « [ne] permet [pas] de conclure que l’intérêt détenu par [S.A.] dans la fiducie n’est pas un actif au sens de la convention qu’elle a conclue avec MVHC » (par. 57). Selon le juge en chambre, la situation de S.A. diffère de celle de Mlle Henson, laquelle n’avait pas le pouvoir d’[traduction] « obliger les fiduciaires à lui faire des paiements », car, en sa qualité de cofiduciaire, S.A. est autorisée, avec l’accord de sa sœur, à se « verser à elle‑même des fonds discrétionnaires provenant du revenu et du capital » conformément aux modalités de la fiducie (par. 47‑48). Cela semble être le fondement de la conclusion du juge selon laquelle l’intérêt détenu par S.A. dans la fiducie est « plus qu’une simple possibilité » (par. 53).

[54]                          Avec égards, j’estime que le juge en chambre a commis une erreur de droit dans son interprétation de l’intérêt détenu par S.A. dans la fiducie. Comme je l’ai déjà expliqué, sa qualité de cofiduciaire ne change rien au fait que, selon les modalités de la fiducie, elle n’a aucun droit déterminé dans le bien fiduciaire et elle n’a pas non plus le droit de mettre fin unilatéralement à la fiducie à son profit (voir par. 39 des présents motifs). Vu que la fiducie lui accorde uniquement ce qui s’apparente essentiellement à un simple espoir de recevoir un jour une partie ou la totalité du bien fiduciaire, la conclusion du juge en chambre selon laquelle l’intérêt détenu par S.A. dans la fiducie est [traduction] « plus qu’une simple possibilité » — et est donc visé par le terme « actifs » tel qu’il est utilisé dans la Demande d’aide — ne peut être maintenue.

[55]                          J’ajouterais qu’il ne faut pas interpréter les présents motifs comme laissant entendre que l’intérêt détenu par une personne handicapée dans une fiducie de type Henson dûment constituée ne saurait jamais être considéré comme un « actif » à quelque fin que ce soit. Comme l’a fait observer la Cour d’appel, [traduction] « [l]a réponse à la question de savoir si les prestations provenant d’une fiducie discrétionnaire doivent être prises en considération varie d’un programme à l’autre et dépend des règles et règlements qui régissent l’admissibilité à un programme particulier » (par. 47). Les critères d’admissibilité à tout programme d’aide sociale doivent être analysés eu égard aux modalités propres au programme pour déterminer si et, dans l’affirmative, de quelle manière un intérêt dans une fiducie de type Henson joue un rôle dans l’examen applicable des ressources.

[56]                          Une lecture attentive des documents pertinents pour trancher le présent pourvoi m’amène à conclure que le terme « actifs » au sens de la Demande d’aide n’est pas suffisamment large pour englober l’intérêt détenu par S.A. dans la fiducie. Comme les distributions relèvent exclusivement du pouvoir discrétionnaire des fiduciaires, l’intérêt détenu par S.A. dans le bien fiduciaire est de la nature d’un simple espoir de recevoir une partie ou la totalité de ce bien dans le futur. Tant que les fiduciaires ne décident pas effectivement d’effectuer des distributions en faveur de S.A., cet intérêt ne lui permet pas, en pratique, de payer le loyer (ou de s’acquitter d’autres dettes et engagements).

[57]                          Dans les circonstances de l’espèce, il ne fait aucun doute que la MVHC peut demander à S.A. des renseignements concernant la structure de la fiducie afin de vérifier si l’intérêt qu’elle détient dans celle‑ci peut être considéré comme un actif au sens de la Demande d’aide. En fait, S.A. a déjà fourni à la MVHC l’ordonnance judiciaire créant la fiducie. Elle refuse par contre de lui donner des renseignements quant à la valeur de celle‑ci. Si l’intérêt détenu par S.A. dans la fiducie pouvait être considéré comme un actif, il serait nécessaire de communiquer les renseignements en question, car ils seraient pertinents pour vérifier si la valeur totale de ses actifs est supérieure à la valeur maximale de 25 000 $. Cependant, ayant conclu que l’intérêt détenu par S.A. dans la fiducie ne saurait être interprété ainsi, j’estime que la valeur de la fiducie n’est pas du tout pertinente pour décider si S.A. est admissible à une aide au loyer.

[58]                          Il s’ensuit donc que la MVHC n’avait pas le droit d’exiger que S.A. fournisse des renseignements concernant la valeur de la fiducie, ni de refuser, en l’absence de ces renseignements, d’examiner sa demande d’aide pour 2015.

D.           Quelle réparation convient‑il d’accorder?

[59]                          Ayant conclu que la MVHC a manqué à son obligation de considérer si S.A. devait recevoir une aide au loyer conformément aux modalités de la Demande d’aide après que celle‑ci eut refusé de révéler la valeur de la fiducie, je vais me pencher maintenant sur la question de la réparation qu’il convient d’accorder. Devant la Cour, S.A. sollicite un jugement déclaratoire et une ordonnance accordant une réparation pécuniaire. Je vais examiner chacune de ces demandes à tour de rôle.

(1)          Le jugement déclaratoire

[60]                          S.A. demande à notre Cour, entre autres, de déclarer que les actifs en fiducie ne constituent pas des actifs lui appartenant en ce qui concerne la Demande d’aide. Un jugement déclaratoire est accordé par le tribunal de façon discrétionnaire et peut être approprié a) lorsque le tribunal a compétence pour entendre le litige, b) lorsque la question en cause est réelle et non pas simplement théorique, c) lorsque la partie qui soulève la question a véritablement intérêt à ce qu’elle soit résolue et d) lorsque la partie intimée a intérêt à s’opposer au jugement déclaratoire sollicité (Ewert c. Canada, 2018 CSC 30, [2018] 2 R.C.S. 165, par. 81; voir aussi Daniels c. Canada (Affaires indiennes et du Nord canadien), 2016 CSC 12, [2016] 1 R.C.S. 99, par. 11; Canada (Premier ministre) c. Khadr, 2010 CSC 3, [2010] 1 R.C.S. 44, par. 46).

[61]                          À mon avis, tous ces critères sont respectés en l’espèce. Comme je l’ai déjà expliqué (dans la partie A de l’analyse), l’interprétation du terme « actif » au sens de la Demande d’aide est une question justiciable qui relève de la juridiction de la Cour. De plus, il s’agit d’une question réelle et les deux parties ont clairement un intérêt véritable dans celle‑ci. Je ne puis donc accepter l’argument de la MVHC selon lequel le jugement déclaratoire sollicité par S.A. ne serait d’aucune utilité sur le plan juridique. Dans ces circonstances, un jugement déclaratoire selon lequel les actifs de la fiducie ne peuvent être considérés comme des actifs appartenant à S.A. en ce qui concerne le Programme d’aide au loyer aurait clairement une utilité pratique, puisqu’il réglerait un « litige actuel » entre les parties (voir : Operation Dismantle c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 441, p. 457; Daniels, par. 11‑12; et Solosky c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 821, p. 833). Par conséquent, je suis d’avis de déclarer que S.A. a droit de voir sa demande d’aide au loyer considérée par la MVHC conformément aux modalités de la Demande d’aide, et que l’intérêt qu’elle détient dans la fiducie ne constitue pas un « actif » pertinent pour prendre une telle décision.

(2)          L’ordonnance accordant une réparation pécuniaire

[62]                          Outre le jugement déclaratoire, S.A. sollicite une ordonnance enjoignant à la MVHC de lui rembourser la différence entre le loyer qu’elle a elle‑même payé (ou qui a été payé en son nom) depuis juin 2015 et le loyer qu’elle aurait payé (ou qui aurait été payé en son nom) si elle avait continué de recevoir une aide au loyer, et elle demande que ce montant soit versé dans une fiducie assortie des mêmes modalités et qui aurait les mêmes bénéficiaires et les mêmes fiduciaires que la fiducie en cause en l’espèce. Elle soutient qu’une telle ordonnance aurait pour effet de la placer dans la situation où elle se serait trouvée si la MVHC avait correctement tranché la question de savoir si elle était admissible à un rajustement de loyer conformément aux modalités de la Demande d’aide.

[63]                          L’interprétation selon laquelle le terme « actifs » au sens de la Demande d’aide n’englobe pas l’intérêt détenu par S.A. dans la fiducie signifie que celle‑ci avait droit de voir sa demande considérée par la MVHC en vue de l’octroi d’une aide au loyer en 2015. Bien que S.A. puisse donc avoir droit à une réparation pécuniaire du fait que la MVHC n’a pas considéré sa demande de 2015, une incertitude subsiste quant à savoir s’il conviendrait que la Cour lui accorde une telle réparation.

[64]                          Dans les faits, il importe de reconnaître que la MVHC ne garantit pas que les locataires admissibles recevront effectivement une aide au loyer. Comme je l’ai mentionné précédemment, le montant, s’il en est, que se verra accorder le locataire admissible relève du pouvoir discrétionnaire de la MVHC. En effet, le juge en chambre n’a tiré aucune conclusion quant au montant que S.A. aurait pu avoir à payer au titre du loyer depuis juin 2015 si elle avait continué de recevoir une aide au loyer, et à mon avis, la preuve au dossier ne permet pas à notre Cour de trancher cette question. C’est la MVHC qui décide quels requérants recevront une aide au loyer, ainsi que le montant accordé, et ce, de façon discrétionnaire, eu égard, notamment, à des considérations financières et aux besoins en matière de logement social. Je soulignerais également que la MVHC n’a pas dans les faits exercé son pouvoir discrétionnaire de ne pas accorder à S.A. une aide au loyer; elle a simplement refusé de considérer sa demande de 2015 eu égard à son refus de révéler la valeur de la fiducie.

[65]                          Vu le contenu du dossier factuel, la meilleure solution serait de renvoyer la question au tribunal de première instance (c.‑à‑d. la Cour suprême de la Colombie‑Britannique) pour qu’il statue sur celle‑ci. Les deux parties pourront ainsi indiquer les éléments de preuve précis en ce qui a trait au montant de l’aide au loyer que S.A. pouvait s’attendre à recevoir depuis juin 2015. De plus, bien que la preuve au dossier n’indique pas que S.A. ait demandé une aide au loyer en 2016, en 2017 ou en 2018, je note que depuis juin 2015, après que la MVHC eut bien précisé qu’elle ne lui accorderait aucune aide au loyer tant qu’elle ne fournirait pas de détails quant à la valeur de la fiducie, S.A. a payé son loyer unitaire sous protêt.

[66]                          Contrairement à ce que mon collègue le juge Rowe semble affirmer aux par. 77, 86-88 et 93 de ses motifs, cela ne signifie pas que la Cour suprême de la Colombie‑Britannique peut se prononcer sur cette question en se contentant de substituer son point de vue à celui de la MVHC au sujet de ce qu’aurait dû recevoir S.A. En clair, elle ne peut pas exercer un pouvoir discrétionnaire à la place de la MVHC en accordant à S.A. un montant qui correspond à ce que la cour estime que celle‑ci aurait dû recevoir. Au contraire, elle doit à cette étape analyser la preuve et accorder des dommages‑intérêts qui auraient pour effet de placer S.A., dans la mesure du possible, dans la situation dans laquelle S.A. se serait trouvée si la MVHC n’avait pas manqué à l’obligation qu’elle avait envers elle. Bien que le montant de l’aide au loyer que reçoit tout requérant admissible soit déterminé par la MVHC de façon discrétionnaire, l’existence d’un tel pouvoir discrétionnaire n’empêche pas le tribunal de déterminer, en se fondant sur la preuve, le montant des dommages‑intérêts qu’il convient d’accorder pour inexécution de contrat par la MVHC.

V.           Les dépens

[67]                          Outre le jugement déclaratoire et l’ordonnance accordant une réparation pécuniaire, S.A. sollicite des dépens spéciaux, calculés sur la base avocat‑client, devant notre Cour et les cours inférieures. Elle soutient qu’une telle dérogation à la règle habituelle en matière de dépens se justifie tant par la nature d’intérêt public du présent pourvoi que par les ressources limitées dont elle dispose. S.A. fait valoir que son cas [traduction] « a entraîné de manière inattendue [une] modification du droit » en Colombie‑Britannique, et elle demande maintenant à la Cour de confirmer, au profit des personnes handicapées partout au Canada, la décision dans l’affaire Henson (m.a., par. 79). La MVHC soutient par contre que les questions à trancher dans la présente affaire ne revêtent pas un caractère suffisamment exceptionnel pour satisfaire au rigoureux critère applicable pour l’octroi de dépens spéciaux dans un litige d’intérêt public.

[68]                          Dans Carter c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 5, [2015] 1 R.C.S. 331, notre Cour a énoncé deux considérations susceptibles d’être utiles pour guider l’exercice du pouvoir discrétionnaire du juge saisi d’une requête pour dépens spéciaux dans une affaire mettant en cause l’intérêt public :

                    Premièrement, l’affaire doit porter sur des questions d’intérêt public véritablement exceptionnelles. Il ne suffit pas que les questions soulevées n’aient pas encore été tranchées ou qu’elles dépassent le cadre des intérêts du plaideur qui a gain de cause : elles doivent aussi avoir une incidence importante et généralisée sur la société. Deuxièmement, en plus de démontrer qu’ils n’ont dans le litige aucun intérêt personnel, propriétal ou pécuniaire qui justifierait l’instance pour des raisons d’ordre économique, les demandeurs doivent démontrer qu’il n’aurait pas été possible de poursuivre l’instance en question avec une aide financière privée. Dans ces rares cas, il est contraire à l’intérêt de la justice de demander aux plaideurs individuels (ou, ce qui est plus probable, aux avocats bénévoles) de supporter la majeure partie du fardeau financier associé à la poursuite de la demande. [Je souligne; par. 140.]

[69]                          À mon avis, ni l’une ni l’autre de ces considérations ne justifie l’octroi de dépens spéciaux en faveur de S.A. dans les circonstances de l’espèce. En ce qui concerne la première considération, la question soulevée en l’espèce n’est pas « véritablement exceptionnelle », car elle n’a pas une incidence suffisamment importante ou généralisée sur la société. Bien qu’elle ait permis à la Cour de se pencher pour la première fois sur la nature d’une fiducie de type Henson, la présente affaire porte sur un programme social particulier offert uniquement à certains locataires des immeubles de la MVHC. La question examinée précédemment consiste à déterminer si l’intérêt détenu par S.A. dans la fiducie peut être considéré comme un « actif » au sens de la Demande d’aide; la question de savoir si d’autres programmes d’aide sociale pourraient définir cette expression différemment pour l’application de leur propre processus d’examen des ressources ne se pose pas dans le présent pourvoi (voir par. 55 des présents motifs).

[70]                          Pour ce qui est de la deuxième considération, on ne saurait affirmer que S.A. n’a « dans le litige aucun intérêt personnel, propriétal ou pécuniaire qui justifierait l’instance pour des raisons d’ordre économique ». La question soulevée dans sa requête porte directement sur son droit de voir sa demande considérée par la MVHC en vue de l’octroi d’une aide au loyer, afin que soit réduit le montant du loyer mensuel qu’elle doit verser à cet organisme conformément à la cl. 5(a)(ii) de la Convention de location. De plus, son intérêt pécuniaire dans le litige ressort nettement du fait qu’elle sollicite une ordonnance enjoignant à la MVHC de payer la différence entre le loyer qu’elle a versé en 2015 et celui qu’elle aurait versé si elle avait continué de recevoir une aide au loyer.

[71]                          En conséquence, compte tenu de l’arrêt Carter, je ne suis pas convaincue qu’il conviendrait d’accorder les dépens sur la base avocat‑client réclamés par S.A. Cependant, j’estime que, comme elle a gain de cause, S.A. devrait se voir accorder ses dépens sur la base partie‑partie devant la Cour et les cours inférieures.

VI.        Requête en radiation

[72]                          La MVHC a présenté une requête visant à faire radier plusieurs paragraphes des mémoires de deux intervenantes. Premièrement, elle soutient que l’Association canadienne pour l’intégration communautaire et Personnes d’abord du Canada ont violé les conditions de l’ordonnance les autorisant à intervenir en présentant de nouveaux éléments de preuve, parce que leur mémoire conjoint faisait référence à une preuve par affidavit déposée à l’appui de leur requête conjointe pour permission d’intervenir. Ces intervenantes ont répondu de manière satisfaisante à l’objection de la MVHC : elles ont déposé un mémoire conjoint modifié ne faisant plus référence aux affidavits en question. Je rejetterais donc cette portion de la requête en radiation de la MVHC. Cette dernière soutient également que la Disability Alliance BC Society (« DABC ») a à tort présenté de nouveaux éléments de preuve, soulevé de nouvelles questions et défendu le bien‑fondé de l’appel dans son mémoire. La DABC a concédé que certaines affirmations et mentions dans son mémoire se rapportant à de nouveaux éléments de preuve ou à des éléments de preuve ne faisant pas partie du dossier devraient être radiées, et elle a modifié son mémoire en conséquence. À mon avis, la section E de la partie III de son mémoire (par. 24‑34) devrait également être radiée, car elle constitue un argument portant sur le bien‑fondé de l’appel. J’accueillerais donc cette portion de la requête en radiation de la MVHC.

VII.     Conclusion

[73]                          Pour tous ces motifs, le pourvoi est accueilli avec dépens en faveur de S.A. devant la Cour et les cours inférieures. Je suis d’avis d’annuler les jugements déclaratoires prononcés par la Cour d’appel, et de déclarer que S.A. a droit de voir sa demande d’aide au loyer considérée par la MVHC conformément aux modalités de la Demande d’aide et que l’intérêt qu’elle détient dans la fiducie ne constitue pas un « actif » pertinent pour prendre une telle décision. La question de la réparation pécuniaire sollicitée par S.A. est renvoyée à la Cour suprême de la Colombie‑Britannique. Je ferais également droit à la demande de S.A. pour que la MVHC verse les dépens accordés dans une fiducie assortie des mêmes modalités et ayant les mêmes bénéficiaires et les mêmes fiduciaires que la fiducie en cause en l’espèce (d.a., p. 21).

[74]                          J’accueillerais aussi en partie la requête en radiation de la MVHC et j’ordonnerais que la section E de la partie III du mémoire de la DABC (par. 24‑34) soit radiée en conséquence.

                     Version française des motifs des juges Brown et Rowe rendus par

                     Le juge Rowe (dissident) —

I.              Aperçu

[75]                          Je souscris à l’exposé des faits et à l’analyse des juges majoritaires en ce qui a trait aux fiducies de type Henson. Je souscris également à leur dispositif en ce qui concerne la requête de la Metro Vancouver Housing Corporation (« MVHC ») visant à faire radier certaines portions du mémoire de la Disability Alliance BC Society (« DABC »). Soit dit en tout respect, je suis toutefois en désaccord avec leur analyse portant sur le programme d’aide au loyer de la MVHC. À mon avis, aucun fondement juridique ne permet à un tribunal de rendre une ordonnance relative à l’application de ce programme, car la MVHC n’a aucune obligation contractuelle d’approuver ou même d’examiner une demande en particulier, et à plus forte raison de le faire aux conditions énoncées par les juges majoritaires. Par conséquent, j’accueillerais le pourvoi en partie, et j’annulerais les jugements déclaratoires accordés par la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique à la MVHC. Je m’abstiendrais d’accorder les autres réparations demandées par S.A.

[76]                          Le présent pourvoi tire son origine de deux requêtes entendues par la Cour suprême de la Colombie‑Britannique. Les réparations que demandent S.A. n’ont pas changé de façon fondamentale. S.A. sollicite un jugement déclaratoire portant que sa fiducie de type Henson ne constitue pas un actif pour les besoins de sa demande d’aide au loyer. Elle sollicite également une ordonnance dont l’effet serait d’obliger la MVHC à lui accorder une aide au loyer. Plus particulièrement, S.A. cherche à obtenir une ordonnance intimant à la MVHC de payer [traduction] « la différence entre (1) le loyer que S.A. a elle‑même versé ou qui l’a été en son nom depuis juin 2015 et (2) le loyer que S.A. aurait versé ou qui l’aurait été en son nom depuis juin 2015 s’il elle avait continué de recevoir une aide au loyer supplémentaire » (m.a., par. 82). Bien que la MVHC ait informé S.A. le 13 avril 2015 qu’elle n’était [traduction] « pas en mesure d’approuver » sa demande d’aide, S.A. demande à la Cour d’obliger cet organisme à lui accorder une aide au loyer (d.a., p. 98). La MVHC sollicite, pour sa part, une ordonnance rejetant le pourvoi. En conséquence, la question clé en l’espèce est de savoir si un tribunal peut rendre une ordonnance ou un jugement déclaratoire quant à l’application du programme discrétionnaire d’aide au loyer de la MVHC.

[77]                          Selon les juges majoritaires, la question principale dont nous sommes saisis est de savoir si l’intérêt que détient S.A. dans la fiducie peut être considéré comme un « actif » lui appartenant afin d’établir si elle satisfait aux critères d’admissibilité du programme d’aide au loyer. De l’avis de S.A. et des juges majoritaires, des dommages‑intérêts peuvent en principe être accordés une fois qu’il est bien clair qu’un « actif » au sens de la demande d’aide n’inclut pas une fiducie discrétionnaire comme celle de S.A. Bien que les juges majoritaires aient, en raison du manque de preuve au dossier, refusé d’octroyer pareils dommages, ils affirment qu’un autre tribunal, si cette clarification est apportée et que d’autres éléments de preuve sont présentés, pourrait déterminer comment la MVHC aurait dû distribuer ses fonds. La position des juges majoritaires repose sur deux propositions connexes. Premièrement, la MVHC a l’obligation contractuelle d’examiner la demande d’aide de S.A. et, deuxièmement, elle doit le faire conformément aux modalités de la demande d’aide. Je diffère d’avis avec eux en ce qui a trait à ces deux propositions. C’est là que se situe le nœud de notre désaccord.

[78]                          La question de savoir s’il est possible d’obtenir un jugement déclaratoire est fondamentale pour l’issue du présent pourvoi. S.A. sollicite un tel jugement en se fondant sur l’al. 2‑1(2)(c) des Supreme Court Civil Rules de la Colombie‑Britannique, B.C. Reg. 168/2009. La possibilité d’obtenir cette réparation repose sur la violation réelle ou potentielle des droits du demandeur (Kaiser Resources Ltd. c. Western Canada Beverage Corp. (1992), 71 B.C.L.R. (2d) 236 (C.S.), par. 32). Un tribunal n’a [traduction] « pas compétence pour rendre un jugement déclaratoire lorsqu’il n’y a aucun droit menacé ni aucun droit contenu dans une disposition de nature procédurale sur lequel fonder cette réparation » (L. Sarna, The Law of Declaratory Judgments (4e éd. 2016), p. 87). En l’absence d’un droit sur lequel fonder le jugement déclaratoire — tel un droit contractuel à une aide au loyer — pareil jugement ne peut être accordé à bon droit. Les juges majoritaires affirment que la MVHC a l’obligation contractuelle d’examiner la demande d’aide de S.A. Cependant, la convention de location ne comporte aucune clause à cet effet. En ce qui concerne l’entente dite d’aide au loyer, celle‑ci reflète un accord conclu entre la MVHC et un locataire uniquement après que la MVHC a décidé, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, d’octroyer à un locataire admissible une subvention en vertu de son programme d’aide au loyer; en bref, l’entente en question découle d’une obligation de la MVHC de déterminer si un locataire devrait recevoir une aide au loyer, mais ne donne pas naissance à une telle obligation.

II.           Analyse

[79]                          Il importe de rappeler le régime qui régit le fonctionnement de la MVHC. En tant qu’organisme à but non lucratif ayant pour mandat de fournir des logements locatifs abordables dans la région métropolitaine de Vancouver, la MVHC accorde aux locataires deux formes d’aide « modulée en fonction des ressources ». Premièrement, elle fournit, à des taux avantageux, des logements locatifs aux locataires admissibles. Deuxièmement, ces derniers peuvent demander une aide au loyer afin de réduire davantage leur loyer mensuel avantageux. Ces deux composantes supposent un examen des ressources en ce que la communication de données financières est requise pour chacune d’elles (sur des formulaires distincts). Il y a également une « valeur maximale » des actifs que peut détenir une personne pour être admissible au programme d’aide au loyer. Lorsque S.A. a présenté une demande d’aide en 2015, la valeur maximale des actifs qu’elle pouvait détenir avait été fixée à 25 000 $ par la MVHC (d.a., p. 105). Comme nous l’avons vu, c’est la MVHC qui décide qui parmi les requérants admissibles recevra une aide au loyer. Bien qu’elle se fonde en partie sur les mêmes renseignements au sujet des requérants, la MVHC juge séparément les questions relatives au droit de conclure une convention de location et de recevoir une aide au loyer. Les locataires qui souhaitent solliciter une aide au loyer doivent remplir et présenter une demande d’aide. Les personnes qui se voient offrir des logements locatifs ne sont pas tenues de demander une aide au loyer supplémentaire, et, même si elles le font et qu’elles respectent la condition d’admissibilité de base selon laquelle la valeur de leurs actifs ne doit pas excéder la « valeur maximale » fixée à 25 000 $, elles n’ont pas droit à une aide au loyer.

[80]                          La nature discrétionnaire du programme d’aide au loyer est évidente à l’examen de la convention de location et de la demande d’aide. Cette dernière ne fait pas partie de la convention de location, laquelle ne confère à S.A. aucun droit contractuel à cette aide au loyer supplémentaire. Le fait pour une personne de remplir une demande en vue d’obtenir une telle aide ne garantit pas qu’elle l’obtiendra. La demande elle‑même précise que [traduction] « la MVHC offre également aux locataires admissibles une aide au loyer supplémentaire, mais elle ne peut en garantir la prestation » (d.a., p. 89). De plus, elle n’indique aucunement que toutes les demandes dûment remplies seront examinées et elle ne précise pas non plus comment la MVHC prendra en considération les renseignements fournis par les requérants au moment de déterminer si une aide au loyer sera accordée.

[81]                          Le pouvoir discrétionnaire dont jouit la MVHC à l’égard de son programme d’aide au loyer n’est limité que par les accords qu’elle a conclus avec la British Columbia Housing Management Commission (« BC Housing »). Suivant l’accord‑cadre, la MVHC doit offrir une aide au loyer à au moins 15 p. 100 des logements dans chacun de ses projets d’habitation et à au moins 37 p. 100 des logements faisant partie de l’ensemble de son portefeuille (d.i., p. 23). L’accord‑cadre exige également que la MVHC vérifie les renseignements relatifs aux actifs et au revenu des personnes qui reçoivent une aide afin de s’assurer que ces actifs et ce revenu n’excèdent pas les limites établies par la BC Housing ou la MVHC. La MVHC est autorisée à établir sa propre politique en matière d’actifs dans la mesure où les limites d’actifs qu’elle choisit n’excèdent pas celles établies par la BC Housing (d.i., p. 29). Cela a pour effet d’établir certaines conditions de base pour avoir droit à une aide au loyer. La BC Housing aurait pu insister sur d’autres critères ou règles pour l’application du programme d’aide au loyer, mais l’accord‑cadre est par ailleurs silencieux sur la façon dont la MVHC peut exercer son pouvoir discrétionnaire. À titre d’exemple, l’accord en question n’énonce pas les facteurs dont la MVHC n’a pas le droit de tenir compte lorsqu’elle détermine quels locataires admissibles recevront une aide au loyer.

[82]                          À cet égard, la demande d’aide, dans laquelle la MVHC sollicite des renseignements au sujet du revenu et des actifs, est un document visant à aider la MVHC à administrer son programme discrétionnaire d’aide au loyer. Elle permet à cet organisme de recueillir des renseignements pertinents afin de déterminer si un requérant satisfait aux conditions d’admissibilité de base de son régime d’aide, renseignements qu’il est tenu de recueillir conformément à l’accord qu’il a conclu avec la BC Housing. Le fait que la MVHC demande des renseignements portant précisément sur le revenu et les actifs ne l’empêche pas de prendre d’autres facteurs en considération pour décider comment distribuer l’aide au loyer. On peut dire tout plus que les modalités de la demande permettent de déterminer quels requérants respectent la condition établie par la MVHC en ce qui a trait à la valeur maximale des actifs qu’ils peuvent détenir, à savoir 25 000 $. Les juges majoritaires commettent l’erreur fondamentale de confondre le droit à l’examen de sa demande d’aide au loyer avec le droit de se voir accorder une telle aide. Ce faisant, ils nient la nature discrétionnaire de la décision de la MVHC qu’ils prétendent reconnaître.

[83]                          Ainsi, les personnes qui satisfont aux conditions d’admissibilité de base sont des locataires parmi lesquels la MVHC peut décider d’accorder une aide au loyer supplémentaire. La convention de location et la demande d’aide ne prévoient rien quant à la manière dont la MVHC doit utiliser ses fonds. En termes simples, c’est à cet organisme de déterminer quels locataires se verront accorder une aide. En fait, dans les limites des dispositions sur les droits de la personne applicables, il est loisible à la MVHC d’établir comme elle l’entend qui recevra une aide au loyer, dans la mesure où au moins 15 p. 100 des locataires dans un projet donné reçoivent une aide et où tous les locataires recevant une aide satisfont aux conditions d’admissibilité de base établies par la BC Housing. En somme, n’étant pas assujettie à des obligations contractuelles envers les requérants, la MVHC peut procéder comme elle le juge indiqué.

[84]                          L’entente d’aide au loyer marque la conclusion de ce processus discrétionnaire. La MVHC ne conclut avec ses locataires une entente en ce qui a trait à son programme d’aide au loyer qu’une fois qu’elle a décidé de leur accorder une telle aide. Avant cette décision, il n’existe aucune obligation contractuelle relativement à la demande ou à l’entente d’aide au loyer.

A.           Il n’existe aucune obligation contractuelle d’examiner la demande d’aide de S.A.

[85]                          Mes collègues concèdent que S.A. ne dispose pas du droit contractuel de recevoir une aide au loyer, mais ils estiment que la MVHC a l’obligation d’examiner la demande d’aide de S.A. et qu’elle doit le faire sans tenir compte de sa fiducie. Ils ajoutent que, si la valeur des actifs de S.A. est inférieure à 25 000 $, un tribunal peut alors ordonner que celle‑ci soit indemnisée en ce qui a trait à l’aide au loyer qu’elle aurait dû, à leur avis, recevoir. Le raisonnement à cet égard semble être qu’il est loisible au tribunal de se prononcer sur la manière dont le pouvoir discrétionnaire de la MVHC aurait dû être exercé et qu’il doit le faire au moyen de la demande d’aide (motifs des juges majoritaires, par. 33). Je constate que les juges majoritaires expriment l’idée différemment. À leur avis, un tribunal ne se prononce pas sur ce que la MVHC aurait dû faire, mais sur ce qu’elle aurait fait. Je ne vois aucune différence importante dans les circonstances. Même conjointement avec une preuve portant sur d’autres requérants, la directive selon laquelle une demande doit être examinée « conformément aux modalités de la demande d’aide » n’indique pas ce que la MVHC aurait fait. Si l’on accepte, tout comme moi, que la MVHC n’est pas tenue de prendre uniquement en considération les renseignements fournis dans la demande d’aide ou de s’en tenir à la manière dont elle a distribué cette aide dans le passé, toute ordonnance compensatoire impose alors effectivement le point de vue d’un tribunal sur la manière dont cet organisme devrait accomplir son mandat.

[86]                          Mes collègues se fondent sur les cl. 5(a) et 2(a)(xii) de la convention de location pour étayer la thèse selon laquelle la MVHC avait l’obligation contractuelle de se demander s’il y avait lieu de rajuster le loyer de S.A. en conformité avec la demande d’aide. La clause 5(a) de la convention de location énonce la façon dont sera calculé le loyer du locataire : un montant de loyer unitaire [traduction] « moins une réduction de loyer déterminée en fonction du revenu actuel du locataire et conformément aux modalités d’une entente d’aide au loyer » (d.a., p. 80). Le terme « loyer unitaire » est défini comme le « loyer mensuel pour le logement locatif avant toute augmentation ou réduction de loyer déterminée en fonction du revenu du locataire et conformément aux modalités d’une entente d’aide au loyer » (cl. 2(a)(xii); d.a., p. 80). Bien qu’elles envisagent la possibilité que le locataire reçoive une aide au loyer supplémentaire, je ne vois pas, soit dit en tout respect, de quelle manière ces clauses peuvent obliger la MVHC à se demander si un locataire devrait recevoir une aide au loyer. Qu’il puisse y avoir une réduction de loyer ne signifie pas que la MVHC a l’obligation de se demander s’il y en aura une pour tout locataire. La convention de location indique tout au plus que, lorsque des personnes ont conclu une entente d’aide au loyer avec la MVHC — soit celles ayant été sélectionnées en vue de l’octroi d’une aide au loyer —, la MVHC a la responsabilité de rajuster leur loyer en conformité avec cette entente.

[87]                          Se fondant sur leur conclusion selon laquelle S.A. a droit de faire examiner sa demande, les juges majoritaires concluent ensuite que cela signifie que la MVHC est tenue d’appliquer un cadre particulier lorsqu’elle exerce son pouvoir discrétionnaire pour décider s’il y a lieu d’accorder une aide au loyer. À leur avis, la MVHC doit prendre uniquement en considération les renseignements recueillis dans la demande d’aide. Il semble en résulter que, si elle satisfait aux critères d’admissibilité de base et à moins que la MVHC ne puisse démontrer à la satisfaction d’un tribunal pourquoi elle ne devait pas recevoir une aide au loyer, S.A. devrait se voir accorder une telle aide, car elle en a reçu une dans le passé. Cependant, n’appartient‑il pas à la MVHC d’établir ses propres priorités en ce qui a trait à la distribution de l’aide au loyer? Sur quelle base un tribunal pourrait‑il substituer son point de vue à celui d’une entité privée qui exerce son pouvoir discrétionnaire? Il me semble que la MVHC, dans les limites des accords qu’elle a conclus avec la BC Housing et des dispositions sur les droits de la personne applicables, est libre d’accomplir son mandat comme elle le juge indiqué.

[88]                          L’octroi d’un jugement déclaratoire dans les circonstances pose donc un autre problème. En effet, contrairement à ce qu’affirment les juges majoritaires, un jugement déclaratoire quant au sens du terme « actif » ne règle pas le « litige actuel » entre les parties (motifs des juges majoritaires, par. 61). Bien que les parties ne se soient pas entendues sur le sens à donner au terme « actif » tout au long de la présente procédure, la résolution de cette question ne règle pas celle du droit de S.A. à une aide au loyer, la raison pour laquelle un jugement déclaratoire est demandé par celle‑ci et est apparemment accordé par les juges majoritaires. Il en est ainsi parce qu’il n’appartient pas aux tribunaux de décider comment la MVHC utilise ses ressources. Un jugement déclaratoire sur le sens à donner au terme « actif » ne règle le litige actuel entre les parties que si l’on accepte également qu’en plus d’avoir une obligation contractuelle d’examiner les demandes dûment remplies, la MVHC est tenue d’appliquer un cadre particulier pour décider qui doit recevoir une aide au loyer. Pour les motifs que j’ai exposés précédemment, je ne partage pas l’opinion de mes collègues majoritaires sur la question de l’obligation contractuelle.

[89]                          La situation serait différente si la MVHC avait accepté d’accorder une aide au loyer à S.A. pour une année donnée. Si, en apprenant l’existence de la fiducie de S.A., la MVHC avait cherché à mettre fin à son entente avec celle‑ci et à cesser de lui accorder une aide au loyer pour cette période au motif qu’elle ne satisfaisait plus aux conditions d’admissibilité de base, la définition du terme « actif » règlerait l’affaire. Dans un tel cas, un jugement déclaratoire porterait sur la signification d’un terme contenu dans une entente contractuelle, à savoir l’entente d’aide au loyer. Les faits en l’espèce sont, bien entendu, différents, car une telle entente n’existe pas.

[90]                          Dans le cas d’un locataire qui a simplement présenté une demande d’aide au loyer, il n’y a pas d’entente d’aide au loyer et par conséquent aucun contrat, et ce, jusqu’à ce qu’il soit établi qu’il recevra effectivement une telle aide. Le fait que la convention de location renvoie à l’entente d’aide au loyer n’incorpore pas pour autant une façon particulière ou l’obligation même d’examiner les demandes d’aide au loyer. En l’absence de tout droit contractuel des locataires de recevoir une aide au loyer ou de toute obligation (découlant par exemple d’une directive législative) de la MVHC de « considérer si S.A. devait recevoir une aide au loyer conformément aux modalités de la Demande d’aide » (motifs des juges majoritaires, par. 59), rien ne permet d’accorder la réparation demandée par S.A.

B.            La MVHC a‑t‑elle droit au jugement déclaratoire?

[91]                          Compte tenu de ce qui précède, je me penche maintenant sur la question de savoir si la MVHC a droit au jugement déclaratoire qui lui a été accordé par les juridictions inférieures. Si la décision de la MVHC d’accorder ou non une aide au loyer n’est pas justiciable, ni S.A. ni la MVHC ne peuvent alors obtenir un jugement déclaratoire en ce qui a trait à cette décision.

[92]                          Répétons‑le, tout jugement déclaratoire doit être fondé sur les droits du demandeur. Au départ, la MVHC a sollicité un tel jugement au motif qu’elle avait le droit de prendre en considération des renseignements relatifs à la fiducie de S.A. dans le cadre de son processus discrétionnaire de traitement des demandes. Je souligne que le juge en chambre a accordé le jugement déclaratoire demandé par la MVHC notamment parce que la demande d’aide au loyer supplémentaire faisait partie de l’entente entre les parties (par. 35 et 57). Cependant, en l’absence d’une conclusion selon laquelle le processus de traitement des demandes d’aide et les obligations qui en découlent font partie d’une entente, je ne puis voir un tel fondement. Tout comme S.A. ne dispose pas du droit à l’examen de sa demande, la MVHC n’a pas le droit d’obliger S.A. à solliciter une aide au loyer ni le droit de recevoir de S.A. tout renseignement qui l’aidera à déterminer si, à son avis, celle‑ci devrait recevoir une aide. Les circonstances empêchent l’octroi d’un jugement déclaratoire tant à S.A. qu’à la MVHC.

[93]                          Le raisonnement des juges majoritaires peut avoir des répercussions qui débordent les faits de l’espèce. Sur le fondement de ce qui semble être le droit contractuel implicite d’une personne à l’examen de sa demande — droit qui, à mon avis, n’existe pas —, les juges majoritaires ouvrent la porte à la possibilité qu’un autre tribunal accorde des dommages‑intérêts à S.A. s’il estime que la MVHC aurait dû exercer son pouvoir discrétionnaire d’une manière particulière. Cela me semble avoir des répercussions d’une grande portée. À l’avenir, premièrement, si un demandeur convainc le tribunal qu’un organisme de bienfaisance ou autre organisme bénévole a fixé des critères et invité les gens à présenter des demandes, cela tendra‑t‑il à indiquer que l’organisme a l’obligation d’examiner les demandes en conformité avec les critères en question et, deuxièmement, si la demande du demandeur répond à ces critères, le tribunal ne pourra‑t‑il pas alors ordonner à l’organisme d’accorder la prestation demandée ou de financer le projet proposé visé par la demande? Le tribunal ne pourra‑t‑il pas à plus forte raison le faire si le demandeur démontre que l’organisme a fait preuve d’une certaine « injustice » dans l’application de ses critères? Accorder une réparation en pareilles circonstances, y compris un jugement déclaratoire, étendrait les limites de ce qui est justiciable de manière à englober les décisions discrétionnaires prises par des organismes de bienfaisance et autres organismes bénévoles, ce qui serait malavisé. À ma connaissance, aucun principe de droit ne permet de le faire.

III.        Conclusion

[94]                          En conclusion, j’accueillerais le pourvoi en partie et j’annulerais les jugements déclaratoires accordés à la MVHC par la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique. Je m’abstiendrais d’accorder les autres réparations sollicitées par S.A. Je ne rendrais aucune ordonnance concernant les dépens.

ANNEXE

[traduction]

À LA SUITE DE LA DEMANDE présentée par la demanderesse, [S.A.], après avoir entendu les observations de l’avocate de la demanderesse, Lauren Blake‑Borrell, et après avoir examiné les documents déposés;

LA COUR ORDONNE que :

1.     la part de la succession du défunt léguée à la demanderesse soit placée dans une fiducie discrétionnaire, et plus particulièrement que les paragraphes 3(a) et 3(d) du testament de [J.A.], signé le 11 mai 2004 et homologué par la Cour le 18 octobre 2010, soient modifiés comme suit :

Paragraphe 3(a)

« Fiducie discrétionnaire de [S.A.] »

(a)   si ma fille [S.A.] me survit :

(i)        je désigne [S.A.] et ma fille [J.W.] à titre de fiduciaires (les « fiduciaires du fonds discrétionnaire destiné à [S.A.] ») du fonds discrétionnaire destiné à [S.A.] (défini ci‑après);

(ii)      si [J.W.] refuse ou qu’elle n’est pas en mesure d’agir ou de continuer d’agir en qualité de fiduciaire du fonds discrétionnaire destiné à [S.A.], je nomme la personne ou le fiduciaire constitué en société que désignera [S.A.], par écrit, en vue de combler la vacance au poste de fiduciaire du fonds discrétionnaire destiné à [S.A.];

(iii)    toute mention du « fiduciaire du fonds discrétionnaire destiné à [S.A.] » ou des « fiduciaires du fonds discrétionnaire destiné à [S.A.] » comprend tous les genres ainsi que le singulier ou le pluriel, selon ce qu’exige le contexte;

(iv)    je donne instruction à mon fiduciaire de transférer le solde (le « fonds discrétionnaire destiné à [S.A.] ») de mon compte bancaire, numéro XXXX‑XXX, à la Banque de Montréal, au 4395, rue Dunbar, Vancouver, C.‑B., aux fiduciaires du fonds discrétionnaire destiné à [S.A.] qui en disposeront de la façon suivante :

A.       en consacrant la partie du revenu et du capital du fonds discrétionnaire destiné à [S.A.] que les fiduciaires du fonds discrétionnaire destiné à [S.A.] estiment nécessaire ou opportune, aux soins, à la subsistance, à l’éducation ou au bénéfice de [S.A.];

B.       en ajoutant au capital du fonds discrétionnaire destiné à [S.A.] tout revenu non versé au cours d’une année donnée;

C.       en transférant, à la date du décès de [S.A.] (la « date pertinente »), le solde du fonds discrétionnaire destiné à [S.A.] à la personne ou aux personnes désignées dans le testament de [S.A.], selon les proportions et dans les fiducies qui y sont indiquées, et selon les modalités du testament, pourvu que le pouvoir de désignation ne soit pas exercé par [S.A.] en sa faveur ou en faveur de ses créanciers;

D.       si le pouvoir de désignation prévu au paragraphe 3(a)(iv)(C) n’est pas exercé avant la date pertinente, ou dans la mesure où ce pouvoir ne s’applique pas ou ne prend pas effet, les fiduciaires du fonds discrétionnaire destiné à [S.A.] verseront ledit fonds (ou la partie dudit fonds à l’égard de laquelle le pouvoir de désignation ne s’applique pas ou ne prend pas effet) aux personnes qui auraient hérité de [S.A.] si, à son décès, son patrimoine n’avait été constitué que du fonds discrétionnaire destiné à [S.A.] (ou de la partie de ce fonds à l’égard de laquelle le pouvoir de désignation ne s’applique pas ou ne prend pas effet) et qu’il n’y avait aucun créancier, étant entendu que le fonds discrétionnaire destiné à [S.A.] ne sera en aucun cas considéré comme faisant partie de la succession de [S.A.];

E.        les paragraphes 4 et 5 du présent testament, y compris les pouvoirs qu’ils confèrent à mon fiduciaire, s’appliquent à la gestion du fonds discrétionnaire destiné à [S.A.] par les fiduciaires dudit fonds, et, lorsqu’ils sont appliqués, les termes « ma succession » et « mon fiduciaire » qui y figurent s’entendent du fonds discrétionnaire destiné à [S.A.] et des fiduciaires du fonds discrétionnaire destiné à [S.A.], respectivement; »

Paragraphe 3(d)

« (d)   diviser le reliquat de ma succession en trois (3) parts égales entre mes trois enfants, [S.A.], [M.A.] et [J.W.]; je donne instruction à mon fiduciaire de transférer la part de [S.A.] aux fiduciaires du fonds discrétionnaire destiné à [S.A.] pour que celle‑ci soit ajoutée au fonds discrétionnaire destiné à [S.A.] et gérée comme en faisant partie; »

2.     les dépens spéciaux de la demanderesse relatifs à la présente demande soient payés sur sa part de la succession de [J.A.]

 

                    Pourvoi accueilli, les juges Brown et Rowe sont dissidents en partie.

                    Procureurs de l’appelante : McCarthy Tétrault, Vancouver.

                    Procureurs de l’intimée : Alexander Holburn Beaudin & Lang, Vancouver.

                    Procureurs de l’intervenant le procureur général de la Colombie‑Britannique : Procureur général de la Colombie‑Britannique, Victoria.

                    Procureurs des intervenants l’Association canadienne pour l’intégration communautaire et Personnes d’abord du Canada : PooranLaw Professional Corporation, Toronto.

                    Procureurs de l’intervenant le Conseil des Canadiens avec déficiences : ARCH Disability Law Centre, Toronto.

                    Procureurs des intervenants le Centre d’action pour la sécurité du revenu et HIV & AIDS Legal Clinic Ontario : Borden Ladner Gervais, Toronto; HIV & AIDS Legal Clinic Ontario, Toronto; Income Security Advocacy Center, Toronto.

                    Procureurs de l’intervenante Disability Alliance BC Society : Clark Wilson, Vancouver; Conway, Baxter, Wilson, Ottawa.



[1]  Bien que l’exercice par les fiduciaires de leur pouvoir discrétionnaire (ou l’omission de l’exercer) soit assujetti au pouvoir de surveillance des tribunaux, ces derniers ne sont généralement pas habilités à contraindre les fiduciaires à exercer leur pouvoir discrétionnaire d’une manière particulière (Waters, Gillen et Smith, p. 1172‑1173; A. H. Oosterhoff, R. Chambers et M. McInnes, Oosterhoff on Trusts: Text, Commentary and Materials (8e éd. 2014), p. 972).

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