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Arsenault-Cameron c. Île-du-Prince-Édouard, [1999] 3 R.C.S. 851

 

Noëlla Arsenault-Cameron, Madeleine Costa-Petitpas et

la Fédération des Parents de l’Île-du-Prince-Édouard Inc.             Appelantes

 

c.

 

Le gouvernement de l’Île-du-Prince-Édouard                                  Intimé

 

et

 

Le procureur général du Canada,

le procureur général de l’Ontario,

le procureur général du Manitoba,

la Commission scolaire de langue française de l’Île‑du‑Prince‑Édouard,

la Commission nationale des parents francophones,

la Société St‑Thomas d’Aquin ‑‑ Société acadienne de l’Île‑du‑Prince‑Édouard

et le Commissaire aux langues officielles du Canada                      Intervenants

 

Répertorié:  Arsenault‑Cameron c. Île-du-Prince-Édouard

 

No du greffe:  26682. 

 

1999:  4 novembre.

 

Présent:  Le juge Bastarache.

 

requête en récusation

 


Pratique – Cour suprême du Canada – Requête en récusation – Crainte de partialité – Absence d’élément de preuve établissant que les croyances ou les opinions exprimées par le juge en qualité d’avocat, de professeur de droit ou à un autre titre l’empêcheraient de rendre une décision fondée sur la preuve – Probabilité réelle de partialité non démontrée – Requête rejetée.

 

Jurisprudence

 

Arrêts appliqués:  R. c. S. (R.D.), [1997] 3 R.C.S. 484; South Africa (President) c. South African Rugby Football Union, [1999] S.A.J. No. 22 (QL); arrêt mentionné:  Valente c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 673.

 

REQUÊTE en récusation pour crainte de partialité.  Requête rejetée.

 

Argumentation écrite par Roger B. Langille, c.r., pour l’intimé/requérant.

 

Version française de l’ordonnance rendue par

 

1                                   Le juge Bastarache — J’ai examiné l’avis de requête présenté par le requérant comme s’il m’était adressé sous la forme d’une demande de récusation pour crainte de partialité.  Je rejette la requête.

 

2                                   Le critère applicable à la crainte de partialité tient compte de la présomption d’impartialité.  Une réelle probabilité de partialité doit être établie (R. c. S. (R.D.), [1997] 3 R.C.S. 484, aux par. 112 et 113).  Je conclus qu’aucune des pièces soumises par le requérant ne conduirait une personne raisonnable, qui comprend les questions complexes et contextuelles qui sont soulevées, à croire que je n’examinerais pas les divers points de vue présentés avec un esprit ouvert.

 


3                                   Étant donné la nature des pièces susmentionnées, il convient de citer les propos du juge Cory dans l’arrêt S. (R.D.), au par. 119, au sujet de la pertinence de l’expérience en ce qui concerne la crainte de partialité:

 

Rester neutre pour le juge ce n’est pas faire abstraction de toute l’expérience de la vie à laquelle il doit peut-être son aptitude à arbitrer les litiges.  On a fait observer que l’obligation d’impartialité

 

ne veut pas dire qu’un juge n’amène pas ou ne peut pas amener avec lui sur le banc de nombreuses sympathies, antipathies ou attitudes.  Tout être humain est le produit de son expérience sociale, de son éducation et de ses contacts avec ceux et celles qui partagent le monde avec nous.  Un juge qui n’aurait pas connu ces expériences passées -- à supposer que cela soit possible -- manquerait probablement des qualités humaines dont a besoin un juge.  La sagesse que l’on exige d’un juge lui impose d’admettre consciemment, et peut-être de remettre en question, l’ensemble des attitudes et des sympathies que ses concitoyens sont libres d’emporter à la tombe sans en avoir vérifié le bien-fondé.

 

La véritable impartialité n’exige pas que le juge n’ait ni sympathie ni opinion.  Elle exige que le juge soit libre d’accueillir et d’utiliser différents points de vue en gardant un esprit ouvert.

 

(Conseil canadien de la magistrature, Propos sur la conduite des juges (1991), à la p. 15.)

 

De toute évidence, le bon juge a une vaste expérience personnelle et professionnelle, qu’il met à profit pour trancher les litiges avec sensibilité et compassion.  Si l’on a décidé d’encourager la nomination de juges appartenant à des groupes plus variés, c’est qu’on a estimé à juste titre que les femmes et les minorités visibles apporteraient une perspective importante à la tâche difficile de rendre justice.  Voir par exemple l’analyse de l’honorable Maryka Omatsu, «The Fiction of Judicial Impartiality» (1997), 9 R.F.D. 1.  Voir aussi Devlin, précité, aux pp. 408 et 409.

 


4                                   Le même raisonnement a été suivi par la Cour constitutionnelle de l’Afrique du Sud dans une décision rendue le 4 juin 1999 (South Africa (President) c. South African Rugby Football Union, [1999] S.A.J. No. 22 (QL)).  Cette cour a noté en particulier qu’aucune demande de récusation ne pouvait être fondée sur le lien qui unit l’avocat à son client, à moins que l’avocat n’ait conseillé une partie au litige devant être tranché (voir le par. 79).  Elle a examiné la similarité des critères appliqués au Royaume-Uni, aux États-Unis, en Australie et au Canada (voir les par. 35 à 44).

 

5                                   Les documents mentionnés par le requérant ne font ressortir aucun jugement préconçu à l’égard des questions soulevées dans la présente affaire.  Comme l’a dit le juge Le Dain dans l’arrêt Valente c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 673, à la p. 685, la partialité est un «un état d’esprit ou une attitude [. . .] vis-à-vis des points en litige et des parties dans une instance donnée», une véritable prédisposition à privilégier un résultat particulier.  Pour réussir, il faudrait que le requérant prouve que des déclarations fautives ou inappropriées permettent d’établir l’existence d’un état d’esprit qui influe sur le jugement.

 

6                                   Je conclus qu’aucun des éléments de preuve présentés n’établit que mes croyances ou les opinions que j’ai exprimées, que ce soit comme avocat, professeur de droit ou à un autre titre, m’empêcheraient de rendre une décision fondée sur la preuve.

 

7                                   Pour ces motifs, je rejette la requête.

 

Requête rejetée.

 

Procureur de l’intimé/requérant:  Le procureur général de l’Île‑du‑Prince‑Édouard, Charlottetown.

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