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Apotex Inc. c. Bayer Aktiengesellschaft, [1999] 3 R.C.S. 857

 

Apotex Inc.                                                                                         Requérante

 

c.

 

Bayer Aktiengesellschaft et Miles Canada Inc.                              Intimées

 

Répertorié:  Apotex Inc. c. Bayer Aktiengesellschaft

 

No du greffe:  26979. 

 

1999:  7 décembre.

 

Présent:  Le juge Gonthier.

 

requête en révision de la taxation des dépens

 

Pratique – Cour suprême du Canada – Taxation des dépens – Révision de la décision du registraire – Dépenses engagées pour retenir les services d’experts non admissibles au titre de «débours» visés par la partie II de l’annexe B des Règles de la Cour – Dépenses non autorisées expressément par les Règles – Obligation d’obtenir l’autorisation de la Cour conformément à l’art. 58 des Règles pour que de telles  dépenses soient approuvées à titre de débours dans un mémoire de frais – Requête en révision de la taxation des dépens rejetée – Règles de la Cour suprême du Canada, DORS/83‑74, art. 58, 62, annexe B.

 


Jurisprudence

 

Arrêts suivis:  Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd. (1998), 84 C.P.R. (3d) 303; Bhatnager c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] 3 R.C.S. 317; arrêts mentionnés:  Coopérative de commerce “Des Mille‑Îles” c. Société des alcools du Québec, C.S.C., no 25703, 27 octobre 1997; Jaremko c. Metropolitan Toronto Condominium Corp. No. 875, C.S.C., no 26714, 8 juin 1999.

 

Lois et règlements cités

 

Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98‑106, tarif A, art. 3(2), tarif B, art. 1(3).

 

Règles de la Cour suprême du Canada, DORS/83‑74, art. 58, 62, annexe B [mod. DORS/97‑476, art. 12].

 

Règles de procédure civile, R.R.O. 1990, règl. 194, tarif A, poste 28.

 

Tarif des honoraires judiciaires des avocats, R.R.Q. 1981, ch. B‑1, r. 13, art. 12.

 

REQUÊTE en révision de la taxation des dépens établie par le registraire.  Requête rejetée.

 

Argumentation écrite par Henry S. Brown, c.r., pour les intimées/requérantes.

 

Argumentation écrite par Richard Naiberg et Daniela F. Bassan, pour la requérante à la demande d’autorisation d’appel/intimée à la requête.

 


Version française de l’ordonnance rendue par

 

1                                   Le juge Gonthier – Il s’agit d’une requête fondée sur l’art. 62 des Règles de la Cour suprême du Canada, DORS/83‑74 («Règles»), en vue de la révision de la taxation d’un mémoire de frais établie par le registraire le 25 août 1999.  La question au cœur de la présente requête est de savoir si les dépenses engagées par une partie pour retenir les services d’experts constituent des «débours» qui sont payables par la partie qui échoue lors d’une demande d’autorisation d’appel.  Pour les motifs exposés plus bas, je suis d’avis que de telles dépenses ne sont pas expressément autorisées par les Règles, et qu’elles ne peuvent être autorisées qu’à titre de dépenses extraordinaires conformément à l’art. 58 des Règles.

 

2                                   Dans la demande d’autorisation d’appel, la requérante, Apotex Inc., a tenté de démontrer, au moyen des affidavits de trois experts, que l’appel revêtait une importance nationale suffisante pour en justifier l’autorisation.  L’intimée, Bayer Aktiengesellschaft («Bayer»), a répondu en déposant ses propres affidavits signés par deux autres experts.  Le 1er avril 1999, une formation de notre Cour a rejeté, avec dépens, la demande d’autorisation d’appel de la requérante:  [1999] 1 R.C.S. v.

 

3                                   Bayer a cherché à inclure les coûts de la preuve d’expert dans son mémoire de frais.  Elle a inscrit au titre de la «preuve d’expert» le montant de 6 844,40 $, et au titre des frais de déplacement engagés pour rencontrer les experts, le montant de 550 $ (ce dernier type de dépense a été refusé par d’autres tribunaux:  Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd. (1998), 84 C.P.R. (3d) 303 (C.F. 1re inst.)).  Ces deux postes figuraient sous la rubrique «Débours».  Apotex s’est opposée au mémoire de frais en faisant valoir qu’il s’agissait de dépenses inacceptables qui n’étaient pas autorisées par les Règles et qui, de toute façon, étaient déraisonnablement élevées.


4                                   Le registraire a conclu qu’elles ne correspondaient pas aux types de dépense visés par la partie II de l’annexe B des Règles.  À la suite d’une objection de Bayer, le registraire a confirmé sa décision le 8 octobre 1999.  Conformément à l’art. 62 des Règles, Bayer demande la révision de la décision du registraire.

 

5                                   La décision du registraire mérite de faire l’objet d’une certaine retenue.  Dans l’arrêt Bhatnager c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] 3 R.C.S. 317, à la p. 318, le juge Sopinka a expliqué que notre Cour «ne devrait pas en général intervenir dans la décision du registraire uniquement en raison d’une divergence d’opinions quant au montant exact à accorder.  Il doit y avoir une erreur de principe ou l’on doit prouver que le registraire s’est manifestement trompée au sujet du montant accordé».  Le registraire a droit à cette retenue en raison de sa compétence en la matière et de la nature des questions soulevées dans la présente requête.

 

6                                   Le registraire a examiné l’art. 58 des Règles qui prévoit qu’«[à] moins d’une ordonnance contraire de la Cour, les dépens des appels, des demandes d’autorisation ou des autres requêtes sont taxés entre parties conformément au tarif des honoraires établi à l’annexe B.»  On trouve une liste d’honoraires, dont ceux du procureur, et une liste de débours payables dans les parties I et II, respectivement, de l’annexe B.  Les dispositions pertinentes sont les suivantes:

 

Le registraire accorde les débours suivants:

 

1.    Honoraires versés au registraire en application de l’annexe A.

 

2.    Somme raisonnable pour la reproduction de documents qui doivent être déposés à la Cour, dont les demandes d’autorisation d’appel, les requêtes, les dossiers, les mémoires et les recueils de jurisprudence et de doctrine. 

 

3.    Somme raisonnable pour autres débours nécessairement engagés aux fins de l’instance devant la Cour, dont les frais de déplacement.

 


7                                   Le registraire a conclu que la preuve d’expert ne constitue pas une «[s]omme raisonnable pour autres débours nécessairement engagés aux fins de l’instance devant la Cour».  Elle a établi une distinction entre les dépenses liées à la «rédaction de l’argumentation du procureur» et celles liées à la «rédaction de la demande».  Que cette distinction soit confirmée ou non par la réglementation applicable, j’estime que ces dépenses ne peuvent pas être réclamées dans un mémoire de frais relatif à une demande d’autorisation d’appel devant notre Cour.

 

8                                   Les règles de pratique d’autres tribunaux prévoient expressément que ces dépenses peuvent faire partie d’un mémoire de frais, pourvu qu’elles soient raisonnables:  voir, par exemple, les Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98‑106, tarif A, par. 3(2); tarif B, par. 1(3); les Règles de procédure civile de l’Ontario, R.R.O. 1990, règl. 194, tarif A, poste 28; le Tarif des honoraires judiciaires des avocats, R.R.Q. 1981, ch. B‑1, r. 13, art. 12.  L’absence remarquable de dispositions semblables dans les Règles de notre Cour reflète simplement le fait que notre Cour reçoit rarement de nouveaux éléments de preuve de cette nature, que ce soit pendant l’audition d’un appel ou pendant celle d’une demande d’autorisation.  Elle traduit aussi le fait que notre Cour ne motive pas normalement sa décision relative à une demande d’autorisation d’appel, de sorte que le registraire ne serait pas en mesure de déterminer si la preuve d’expert était effectivement «raisonnablement nécessaire» pour trancher la demande en cause.

 


9                                   Puisque les Règles ne comportent aucune disposition expresse qui habilite le registraire à accorder des dépens pour une preuve d’expert, il faut se reporter à la catégorie résiduelle.  À mon avis, les mots «autres débours» doivent être interprétés dans leur contexte global.  Cette disposition des Règles prévoit qu’il doit s’agir de débours «nécessairement engagés» aux fins de l’instance.  La disposition précédente parle de débours relatifs à des frais de photocopie.  À mon avis, si on les interprète dans leur contexte, les mots «autres débours» ne laissent pas entendre qu’il est possible d’inclure des honoraires pour une preuve d’expert dans la partie II d’un mémoire de frais.  Les dépenses autorisées par cette disposition sont plutôt celles qui sont manifestement nécessaires à la présentation d’une argumentation écrite et orale à la Cour.

 

10                               Cette façon d’aborder les dépenses admissibles a été appliquée de façon uniforme.  Le registraire a, dans le passé, pris soin de n’admettre que les dépenses absolument nécessaires au déroulement de l’instance devant notre Cour.  Par exemple, lorsque des parties déposent trop de documents dans un dossier relatif à une demande, sans s’y référer par la suite, elles ne peuvent pas réclamer ces frais de photocopie excédentaires:  Coopérative de commerce «Des Mille‑Îles» c. Société des alcools du Québec, C.S.C., no 25703, 27 octobre 1997.  Voir également Jaremko c. Metropolitan Toronto Condominium CorpNo. 875, C.S.C., no  26714, 8 juin 1999 (publié dans le Bulletin des procédures de la Cour suprême du Canada,1999, à la p. 995).  Lorsqu’on ne peut pas démontrer au registraire que la dépense engagée était nécessaire à la présentation de la cause, cette dépense ne peut pas être réclamée dans un mémoire de frais.

 

11                               À mon avis, en raison de la nature particulière de la nouvelle preuve dont est saisie notre Cour, les dépenses liées à ce genre de preuve ne sauraient être approuvées par le registraire que si elles ont été expressément autorisées.  Pour que ce type de dépense puisse être approuvé à titre de débours dans un mémoire de frais, il doit être autorisé par la Cour conformément à l’art. 58 des Règles à la suite d’une demande en ce sens.  Ces dépenses peuvent être appropriées dans certains cas, comme celui où les questions en litige sont particulièrement complexes et où les renseignements fournis par les experts exigent des compétences et des connaissances particulières et sont importants aux fins de la décision de la Cour.


 

12                               Pour ces motifs, j’estime que le registraire ne s’est pas trompée de façon manifeste et qu’elle n’a commis aucune erreur de principe en concluant qu’en l’espèce la preuve d’expert ne pouvait pas figurer dans la section des débours d’un mémoire de frais, selon le tarif d’honoraires et de débours établi à l’annexe B.

 

13                               Par conséquent, la requête en révision de la taxation d’un mémoire de frais que le registraire a établie le 25 août 1999 et confirmée le 8 octobre 1999 est rejetée avec dépens.

 

Requête rejetée avec dépens.

 

Procureurs des intimées/requérantes:  Gowling, Strathy & Henderson, Ottawa.

 

Procureurs de la requérante à la demande d’autorisation d’appel/intimée à la requête:  Goodman Phillips & Vineberg, Toronto.

 

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