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Air Canada c. C.-B. (P.G.), [1986] 2 R.C.S. 539

 

Air Canada          Appelante

 

c.

 

Le procureur général de la Colombie‑Britannique                          Intimé

 

répertorié: air canada c. colombie‑britannique (procureur général)

 

No du greffe: 18089.

 

1985: 4 novembre; 1986: 27 novembre.

 

Présents: Le juge en chef Dickson et les juges Beetz, McIntyre, Chouinard, Wilson, Le Dain et La Forest.

 

 

en appel de la cour d'appel de la colombie‑britannique

 

                   Couronne ‑‑ Poursuites contre Sa Majesté ‑‑ Pétition de droit ‑‑ Autorisation ‑‑ L'appelante cherche à obtenir un redressement de la part de Sa Majesté pour des avantages obtenus en vertu d'une loi invalide ‑‑ Autorisation refusée par le lieutenant‑gouverneur sur le conseil du procureur général de la province ‑‑ Un mandamus peut‑il être délivré pour enjoindre au procureur général de conseiller au lieutenant‑gouverneur d'accorder l'autorisation? ‑‑ Crown Proceeding Act, R.S.B.C. 1979, chap. 86.

 


                   L'appelante a, dans une action distincte, cherché à obtenir un jugement déclaratoire portant que la Gasoline Tax Act de la Colombie‑Britannique était ultra vires et un jugement déclaratoire portant qu'elle avait le droit d'obtenir qu'on lui rembourse toutes les sommes d'argent payées après le 1er août 1974. Toutefois, pour les sommes d'argent payées avant cette date, l'appelante, conformément à la Crown Proceeding Act, a présenté une pétition de droit visant à obtenir substantiellement le même redressement. En ce qui concerne les causes d'action qui ont pris naissance avant le 1er août 1974, cette loi conservait la méthode traditionnelle de poursuite contre Sa Majesté par voie de pétition de droit qui oblige ceux qui cherchent à obtenir un redressement de la part de Sa Majesté d'obtenir une autorisation. Le procureur général de la province a conseillé au conseil exécutif de recommander que le lieutenant‑gouverneur refuse l'autorisation et c'est ce qu'il a fait. L'appelante a alors présenté une demande devant la Cour suprême de la Colombie‑Britannique aux termes de la Judicial Review Procedure Act en vue d'obtenir une ordonnance de mandamus pour obliger le procureur général à examiner la pétition de droit et ensuite à conseiller le lieutenant‑gouverneur quant à savoir s'il doit donner ou refuser son autorisation. La demande a été rejetée et le jugement a été confirmé par la Cour d'appel à la majorité. Le présent pourvoi a pour but de déterminer si on peut ordonner au procureur général d'une province de conseiller au lieutenant‑gouverneur d'autoriser une pétition de droit en vertu de laquelle une réclamation est présentée en vue de recouvrer une somme d'argent que la province aurait perçue aux termes d'une loi inconstitutionnelle.

 

                   Arrêt: Le pourvoi est accueilli et une ordonnance de mandamus est délivrée pour enjoindre au procureur général de la Colombie‑Britannique de conseiller au lieutenant‑gouverneur d'accorder son autorisation à la pétition de droit.

 

                   Il a été établi qu'une loi ne peut permettre de conserver une somme d'argent obtenue en vertu d'une loi inconstitutionnelle. En conséquence, un résultat semblable ne peut être atteint parce qu'il a la prétention d'être l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire de refuser une autorisation, quel que soit le fondement juridique de ce supposé pouvoir discrétionnaire. Le pouvoir discrétionnaire d'accorder ou de refuser une autorisation, comme d'autres pouvoirs exécutifs, doit être exercé conformément aux préceptes de la Constitution et les conseillers de Sa Majesté doivent s'y conformer. Toute autre manière d'agir violerait la structure fédérale de la Constitution. Aux termes de l'Attorney General Act, le procureur général est le principal conseiller juridique du lieutenant‑gouverneur et le membre juriste du conseil exécutif. Bien que, techniquement, son rôle consiste simplement à conseiller, la question en l'espèce a un caractère juridique, à laquelle il n'y a qu'une seule réponse aux termes de la Constitution. Le procureur général est tenu de conseiller au lieutenant‑gouverneur d'accorder son autorisation et le conseiller exécutif est lui aussi tenu d'accepter cette recommandation.

 

Jurisprudence

 

                   Arrêt appliqué: Amax Potash Ltd. c. Gouvernement de la Saskatchewan, [1977] 2 R.C.S. 576; arrêts mentionnés: Thorson c. Procureur général du Canada, [1975] 1 R.C.S. 138; British Columbia Power Corp. v. British Columbia Electric Co., [1962] R.C.S. 642; Ryves v. Duke of Wellington (1846), 9 Beav. 579, 50 E.R. 467; In re Nathan (1884), 12 Q.B.D. 461; Orpen v. Attorney General for Ontario, [1925] 2 D.L.R. 366; Bombay and Persia Steam Navigation Co. v. MacLay, [1920] 3 K.B. 402; Irwin v. Grey (1862), 3 F. & F. 635, 176 E.R. 290; Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada, [1980] 2 R.C.S. 735; Teh Cheng Poh v. Public Prosecutor, Malaysia, [1980] A.C. 458; Padfield v. Minister of Agriculture, Fisheries & Food, [1968] A.C. 997.

 

Lois et règlements cités

 

Attorney General Act, R.S.B.C. 1979, chap. 23, art. 2a), e).

 

Crown Procedure Act, R.S.B.C. 1960, chap. 89 [abr. 1974, chap. 24, art. 16], art. 4.

 

Crown Proceeding Act, R.S.B.C. 1979, chap. 86.

 

Gasoline Tax Act, R.S.B.C. 1979, chap. 152.

 

Interpretation Act, R.S.B.C. 1979, chap. 206, art. 29 "Lieutenant Governor", "Lieutenant Governor in Council".

 

Judicial Review Procedure Act, R.S.B.C. 1979, chap. 209.

 

 

Doctrine citée

 

Edwards, J. Ll. J. The Law Officers of the Crown. London: Sweet & Maxwell, 1964.

 

Halsbury's Laws of England, vol. 9, 2nd ed. London: Butterworths, 1933.

 

 

                   POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique (1983), 47 B.C.L.R. 341, 150 D.L.R. (3d) 653, [1983] 6 W.W.R. 689, qui a rejeté l'appel de l'appelante contre le jugement du juge Callaghan (1982), 41 B.C.L.R. 41, 141 D.L.R. (3d) 530, [1982] 6 W.W.R. 415, qui avait rejeté sa requête présentée aux termes de la Judicial Review Procedure Act de la Colombie‑Britannique. Pourvoi accueilli.

 

                   D. M. M. Goldie, c.r., et W. S. Martin, pour l'appelante.

 

                   E. R. A. Edwards, c.r., et Robert Vick Farley, pour l'intimé.

 

                   Version française du jugement de la Cour rendu par

 

1.                Le juge La Forest‑‑La question soulevée en l'espèce est de savoir si on peut ordonner au procureur général d'une province de conseiller au lieutenant‑gouverneur d'autoriser une pétition de droit en vertu de laquelle une réclamation est présentée en vue de recouvrer une somme d'argent que la province aurait perçue aux termes d'une loi inconstitutionnelle.

 

2.                En juillet 1980, l'appelante, Air Canada, a intenté une action en Cour suprême de la Colombie‑Britannique pour obtenir un jugement déclaratoire portant que la Gasoline Tax Act, R.S.B.C. 1979, chap. 152, ne s'appliquait pas à Air Canada ou était ultra vires de la province, une reddition de compte relative à toutes les sommes d'argent versées aux termes de cette loi par Air Canada et un jugement déclaratoire portant que l'appelante a le droit d'obtenir qu'on lui rembourse toutes les sommes d'argent payées après le 1er août 1974. Cette action représentait seulement une partie de la réclamation d'Air Canada qui a payé des taxes en vertu de la Loi depuis 1937. Toutefois, en ce qui concerne les causes d'action qui ont pris naissance avant le 1er août 1974, la Crown Proceeding Act, R.S.B.C. 1979, chap. 86, conservait la méthode traditionnelle de poursuite contre Sa Majesté par voie de pétition de droit qui oblige ceux qui cherchent à obtenir un redressement de la part de Sa Majesté d'obtenir une autorisation. Conformément à cette procédure, Air Canada a présenté une pétition de droit en juillet 1981 visant à obtenir substantiellement le même redressement que dans l'action décrite précédemment, mais pour les sommes d'argent payées avant le 1er août 1974. Le présent pourvoi porte sur cette pétition de droit.

 

3.                La pétition a été dûment signifiée au secrétaire de la province et une copie a été envoyée au procureur général de la province. Celui‑ci a conseillé au conseil exécutif de recommander que le lieutenant‑gouverneur refuse l'autorisation. Le secrétaire de la province a ensuite transmis une copie de la pétition au lieutenant‑gouverneur avec le conseil suivant:

 

                   [TRADUCTION]  Après avoir dûment examiné la question et sur la recommandation du procureur général, le conseil exécutif estime humblement qu'il ne s'agit pas d'une affaire où il est approprié d'accorder une autorisation. Le conseil exécutif m'a chargé de transmettre cet avis.

 

Conformément à cet avis, le lieutenant‑gouverneur a donc refusé d'accorder l'autorisation et le secrétaire de la province en a avisé Air Canada.

 

4.                Air Canada a alors présenté une demande à la Cour suprême de la Colombie‑Britannique aux termes de la Judicial Review Procedure Act, R.S.B.C. 1979, chap. 209, en vue d'obtenir:

 

a) une ordonnance de mandamus obligeant le procureur général à examiner la pétition de droit et ensuite à conseiller le lieutenant‑gouverneur sur la question de savoir s'il doit donner ou refuser son autorisation;

 

b) un jugement déclaratoire portant que le procureur général a omis d'exercer son pouvoir de décision conféré par la loi pour conseiller le lieutenant‑gouverneur alors qu'il était obligé de le faire;

 

c) un ordre enjoignant au procureur général d'examiner de nouveau et de trancher, avec motifs à l'appui, la question de savoir s'il faut conseiller au lieutenant‑gouverneur d'accorder son autorisation.

 

5.                La demande d'Air Canada a été entendue par le juge Callaghan qui l'a rejetée dans un jugement rendu le 1er octobre 1982: 41 B.C.L.R. 41, 141 D.L.R. (3d) 530, [1982] 6 W.W.R. 415. Air Canada a alors interjeté appel à la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique qui, à la majorité (les juges Taggart et Aikins, le juge Anderson étant dissident), l'a rejeté: (1983), 47 B.C.L.R. 341, 150 D.L.R. (3d) 653, [1983] 6 W.W.R. 689. Air Canada a ensuite obtenu l'autorisation de se pourvoir devant cette Cour, [1983] 2 R.C.S. v.

 

6.                Devant cette Cour, l'avocat d'Air Canada n'a pas insisté sur les arguments concernant le contrôle judiciaire des pouvoirs conférés par la loi, mais a essentiellement demandé une ordonnance de mandamus, qui formait le fondement du jugement du juge Anderson, dissident de la Cour d'appel. Étant donné que je partage en substance l'avis du juge Anderson, il n'est pas nécessaire que je discute des autres questions soulevées en l'espèce.

 

7.                Le droit applicable à l'égard de cette question découle du principe bien établi selon lequel ni le Parlement ni une assemblée législative ne peut empêcher qu'une décision soit rendue sur la constitutionnalité d'une mesure législative. Ce principe a ainsi été exprimé en ces termes par le juge Laskin, alors juge puîné, dans l'arrêt Thorson c. Procureur général du Canada, [1975] 1 R.C.S. 138, à la p. 151:

 

                   La question de la constitutionnalité des lois a toujours été dans ce pays une question réglable par les voies de justice. Une tentative du Parlement ou d'une législature de fixer des conditions préalables au règlement d'une question de constitutionnalité de loi, en exigeant le consentement de certains fonctionnaires publics ou de certaines autorités publiques, ne peut empêcher l'accès aux cours de justice pour la simple raison que les conditions ne sont pas remplies.

 

8.                Je ne peux croire que s'il n'existait pas de loi comme la Crown Proceeding Act qui autorise les poursuites contre Sa Majesté un tribunal pourrait, lorsque l'affaire n'est pas futile, refuser qu'on s'adresse à lui pour vérifier la constitutionnalité d'une loi simplement parce qu'une autorisation a été refusée. Toutefois, ce que l'on demande en l'espèce est plus complexe. L'action vise à obtenir un redressement de la part de Sa Majesté pour des avantages obtenus en vertu d'une loi invalide.

 

9.                Cette Cour a fait un pas important dans cette direction dans l'arrêt British Columbia Power Corp. v. British Columbia Electric Co., [1962] R.C.S. 642. Dans cette affaire, la demanderesse cherchait à obtenir la nomination d'un séquestre à l'égard des biens d'une société dont les actions ordinaires avaient été transférées à Sa Majesté du chef de la province par une loi dont la constitutionnalité était contestée. Sa Majesté a contesté la nomination du séquestre, invoquant que cela aurait des conséquences sur ses biens et ses intérêts. Toutefois, cette Cour a rejeté les arguments de Sa Majesté. Le juge en chef Kerwin, rendant le jugement de la majorité, a établi les principes suivants aux pp. 644 et 645:

 

[TRADUCTION]  À mon avis, dans un système fédératif où l'autorité législative se divise, comme les prérogatives de la Couronne, entre le Dominion et les provinces, il n'est pas permis à la Couronne, du chef du Canada ou d'une province, de réclamer une immunité fondée sur un droit dans certaine propriété, lorsque ce droit dépend entièrement et uniquement de la validité de la législation qu'elle a elle‑même passée, s'il existe un doute raisonnable quant à la validité constitutionnelle de cette législation. Lui permettre d'agir ainsi serait lui permettre, par l'exercice de droits en vertu d'une législation qui excède ses pouvoirs, d'obtenir le même résultat que si cette législation était valide.

 

10.              Dans l'arrêt Amax Potash Ltd. c. Gouvernement de la Saskatchewan, [1977] 2 R.C.S. 576, cette Cour est allée plus loin et a déclaré ultra vires une loi qui interdisait le recouvrement de taxes payées sous réserve en vertu d'une loi inconstitutionnelle. Le juge Dickson, alors juge puîné, a résumé le principe de la manière suivante à la p. 592:

 

                   On peut résumer le principe régissant le présent pourvoi en ces termes: si une loi est déclarée ultra vires de la législature qui l'a adoptée, toute législation qui aurait pour effet d'attacher des conséquences juridiques aux actes accomplis en exécution de la loi invalide est également ultra vires puisqu'elle a trait à l'objet même de la première loi. Un état ne peut conserver par des mesures inconstitutionnelles ce qu'il ne peut prendre par de telles mesures.

 

11.              Examinons la situation présente en fonction de ces principes. Jusqu'à l'adoption de la Crown Proceeding Act, la manière traditionnelle de poursuivre Sa Majesté, nous l'avons vu, était la pétition de droit, mais aucun tribunal n'entendait une affaire tant que le lieutenant‑gouverneur n'avait pas donné son autorisation. Cette procédure traditionnelle a été conservée en Colombie‑Britannique à l'égard des causes d'action contre Sa Majesté qui ont pris naissance avant le 1er août 1974. C'est le cas de la présente action. Le lieutenant‑gouverneur a refusé son autorisation. Par conséquent, si ce refus est constitutionnellement permis, ce que l'arrêt Amax a déclaré impossible a été en fait, quoique indirectement, accompli par l'exercice du pouvoir de prérogative de Sa Majesté de refuser l'autorisation.

 

12.              À mon avis, si même une loi ne peut permettre de conserver une somme d'argent obtenue en vertu d'une loi inconstitutionnelle, ce résultat ne peut être atteint par ce qui a la prétention d'être l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire de refuser l'autorisation, quel que soit le fondement juridique de ce supposé pouvoir discrétionnaire. Tous les pouvoirs exécutifs, qu'ils découlent de la loi, de la common law ou d'une prérogative, doivent respecter les impératifs constitutionnels.

 

13.              Les tribunaux d'instance inférieure ont beaucoup discuté de la portée du pouvoir discrétionnaire du lieutenant‑gouverneur d'accorder ou de refuser son autorisation. Il y a des indications dans certaines décisions qu'il existe de fait un devoir d'accorder l'autorisation à moins que la réclamation ne soit futile; voir Ryves v. Duke of Wellington (1846), 9 Beav. 579, 50 E.R. 467, à la p. 475; In re Nathan (1884), 12 Q.B.D. 461, à la p. 479. Dans cette dernière décision, le lord juge Bowen dit que l'autorisation est accordée "invariablement" par Sa Majesté et son conseiller a l'obligation constitutionnelle de ne pas préconiser le refus d'une autorisation à moins que la réclamation ne soit futile. Cependant, dans Orpen v. Attorney General for Ontario, [1925] 2 D.L.R. 366 (H.C. Ont.) à la p. 372, le juge Riddell a expliqué que ces observations traduisent simplement la pratique habituelle. Il a déclaré que l'obligation constitutionnelle des conseillers du souverain dans un tel cas est d'agir de manière consciencieuse selon leur meilleur jugement (p. 375).

 

14.              Je n'ai pas à examiner laquelle de ces opinions devrait prévaloir dans les affaires ordinaires. Peu importe le pouvoir discrétionnaire qui peut être exercé dans une affaire non constitutionnelle, dans une affaire comme l'espèce le pouvoir discrétionnaire doit être exercé conformément aux préceptes de la Constitution et les conseillers de Sa Majesté doivent s'y conformer. Toute autre manière d'agir violerait la structure fédérale de la Constitution. Même si l'on présume qu'il peut toujours y avoir un pouvoir résiduaire qui permet de refuser l'autorisation dans le cas d'une affaire vraiment futile, nul ne peut prétendre que c'est le cas en l'espèce et aucun argument à cet égard n'a été présenté.

 

15.              Il ne s'ensuit pas comme l'a suggéré le juge Taggart que si la position constitutionnelle précédente est juste, alors il n'est pas nécessaire qu'Air Canada demande une autorisation. Le principe que j'ai énoncé doit être appliqué dans le contexte des arrangements institutionnels prévus par la loi. Le seul mécanisme prévu pour obtenir un jugement demandant une somme d'argent contre Sa Majesté dans des circonstances comme l'espèce est, en vertu de la Crown Proceeding Act, la pétition de droit et, pour présenter une réclamation de cette manière, il est nécessaire d'obtenir une autorisation.

 

16.              Pour parvenir à cette fin, Air Canada cherche à obtenir une ordonnance de mandamus enjoignant au procureur général de conseiller au lieutenant‑gouverneur d'accorder une autorisation parce que le lieutenant‑gouverneur suit son avis lorsqu'il examine l'octroi d'une autorisation. Le procureur général exerce ce pouvoir conformément aux al. 2a) et e) de l'Attorney General Act, R.S.B.C. 1979, chap. 23, dont voici le texte:

 

                   [TRADUCTION]  2. Le procureur général

 

a)                est le conseiller juridique officiel du                                     lieutenant‑gouverneur et le membre juriste du conseil exécutif;

 

                                                                    ...

 

e)                détient les pouvoirs et occupe les fonctions rattachées à la charge de procureur général et de solliciteur général de l'Angleterre par la loi ou l'usage, dans la mesure où les mêmes pouvoirs et fonctions s'appliquent à la province, et également des pouvoirs et fonctions qui, en vertu des lois du Canada et de la province qui doivent être appliquées par le gouvernement de la province, sont rattachés à la charge de procureur général et de solliciteur général;

 

Ces dispositions font du procureur général le conseiller juridique officiel du lieutenant‑gouverneur et le membre juriste du conseil exécutif et aux termes du par. 2e) lui attribuent les fonctions de procureur général de l'Angleterre dans la mesure où elles s'appliquent à la province. Cela comporte le droit de conseiller Sa Majesté en ce qui a trait à l'octroi d'une autorisation; voir J. Ll. J. Edwards, The Law Officers of the Crown (1964), à la p. 154; In re Nathan, précité, aux pp. 468, 475, 479; Halsbury's Laws of England (2nd ed. 1933), vol. 9, par. 1180, note (c). Il est vrai que certaines affaires soulignent qu'en Angleterre le souverain agissait suivant l'avis du Secrétaire d'état; voir Bombay and Persia Steam Navigation Co. v. MacLay, [1920] 3 K.B. 402, à la p. 408; Irwin v. Grey (1862), 3 F. & F. 635, 176 E.R. 290 (C.P.), à la p. 291. Cependant, comme il ressort de cette dernière affaire, les fonctions du secrétaire dans ce domaine étaient essentiellement de recevoir les pétitions de droit et, après avoir obtenu l'opinion des avocats, de conseiller Sa Majesté en conséquence.

 

17.              Une situation semblable prévaut en Colombie‑Britannique. Le secrétaire de la province y est chargé de recevoir les pétitions pour les transmettre au lieutenant‑gouverneur afin qu'il les examine. C'est ce que prévoit l'art. 4 de la Crown Procedure Act, R.S.B.C. 1960, chap. 89, dont voici le texte:

 

                   [TRADUCTION]  4. (1) La pétition doit être remise au secrétaire de la province afin qu'elle soit présentée au lieutenant‑gouverneur pour qu'il l'examine et afin que celui‑ci, s'il le juge à propos, puisse accorder son autorisation pour que justice soit faite.

 

                   (2) Aucun droit ou somme d'argent ne doit être payable par le requérant lorsqu'il donne la pétition ou lorsqu'il la reçoit.

 

18.              Toutefois, comme l'expliquent les juges Taggart et Anderson de la Cour d'appel, le secrétaire de la province demande l'avis du procureur général, le membre juriste du conseil exécutif, avant de soumettre la question au conseil exécutif. Le conseil exécutif donne alors son avis au lieutenant‑gouverneur quant à la manière dont il devrait régler la question sur la recommandation du procureur général.

 

19.              D'après ce qui précède, il me semble que l'officier approprié contre lequel une ordonnance de mandamus devrait être délivrée en l'espèce est le procureur général. Il est le principal conseiller juridique du lieutenant‑gouverneur et je suis porté à convenir avec le juge Anderson que, aux termes de l'art. 2 de l'Attorney General Act, il est le seul chargé des pouvoirs et de la fonction de conseiller le lieutenant‑gouverneur sur la question de savoir s'il doit ou non donner une autorisation. C'était la position anglaise qui a été adoptée dans l'al. 2e). Il faut établir une distinction en l'espèce entre le lieutenant‑gouverneur et le lieutenant‑gouverneur en conseil. Ce dernier comprend le conseil exécutif; mais non le premier; voir l'Interpretation Act, R.S.B.C. 1979, chap. 206, art. 29. La Crown Procedure Act donne au lieutenant‑gouverneur seul le pouvoir de délivrer une autorisation. Cela étant, comme le souligne le juge Anderson, l'intervention du conseil exécutif n'a aucune portée juridique. Le renvoi au conseil devient une simple formalité.

 

20.              Toutefois, il n'est pas vraiment nécessaire de trancher d'une manière définitive ces dernières questions. Même si l'on présume que dans des circonstances ordinaires le conseil exécutif a un rôle significatif à jouer en décidant si une autorisation devrait ou non être délivrée, je suis d'avis d'adopter la même opinion. Les points de procédure doivent être tempérés avec réalisme. Le procureur général est le principal conseiller juridique du lieutenant‑gouverneur et le membre juriste du conseil exécutif. Bien que, techniquement, son rôle consiste simplement à conseiller, la question en l'espèce a un caractère juridique à laquelle en outre il n'y a qu'une seule réponse aux termes de la Constitution. En donnant son avis, le procureur général doit respecter les exigences imposées par la structure fédérale de la Constitution. Il est tenu de conseiller au lieutenant‑gouverneur d'accorder son autorisation. Je ne peux souscrire à la proposition du juge Callaghan et de la majorité de la Cour d'appel selon laquelle le procureur général a satisfait à son obligation de conseiller le lieutenant‑gouverneur lorsqu'il lui a recommandé de refuser l'autorisation.

 

21.              Le conseil exécutif est lui aussi tenu d'accepter la recommandation du procureur général dans un cas comme celui‑ci. Car, même s'il a le droit de conseiller le lieutenant‑gouverneur, il est lui aussi obligé d'exercer ce droit en conformité avec les impératifs constitutionnels. De toute façon, on peut considérer l'ordonnance demandée comme étant adressée au procureur général à titre de représentant; voir Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada, [1980] 2 R.C.S. 735.

 

22.              Finalement, il convient de souligner qu'il existe des précédents portant sur le genre d'ordonnance demandé en l'espèce. L'arrêt Teh Cheng Poh v. Public Prosecutor, Malaysia, [1980] A.C. 458 (C.P.), étaye la proposition selon laquelle le mandamus peut être utilisé pour obliger un ministre à conseiller de manière appropriée le pouvoir exécutif lorsqu'il y a eu un abus de pouvoir constitutionnel de la part de Sa Majesté; voir également Padfield v. Minister of Agriculture, Fisheries & Food, [1968] A.C. 997 (H.L.)

 

23.              Finalement, l'avocat de l'intimé a soutenu qu'un jugement selon ces termes empêcherait la province de se fonder non seulement sur l'immunité de Sa Majesté mais également sur des délais de prescription, sur des mesures législatives correctives ayant un effet rétroactif et sur une erreur de droit mutuelle pour conserver les sommes d'argent perçues aux termes de la loi invalide. Bien que je ne désire pas traiter de ces questions en détail, je ne crois pas que c'est la conclusion qui en découle nécessairement. Il existe une différence entre se fonder sur un acte du pouvoir exécutif qui a un effet direct sur un recours aux tribunaux pour le recouvrement de sommes d'argent obtenues en vertu d'une loi qu'on dit inconstitutionnelle et se fonder sur des principes généraux du droit, comme les délais de prescription, qui visent des fins différentes, en l'espèce, à empêcher des réclamations prescrites. Il est préférable que la signification de cette distinction soit soulevée dans l'action principale lorsque la question, qui a simplement été effleurée devant cette Cour, pourra être examinée d'une manière approfondie.

 

24.              Pour ces motifs, je suis d'avis d'accueillir le pourvoi, d'annuler la décision du juge qui a entendu la demande, d'infirmer l'arrêt de la Cour d'appel, de la Colombie‑Britannique et d'ordonner la délivrance d'un mandamus pour enjoindre au procureur général de conseiller au lieutenant­gouverneur d'accorder son autorisation à la pétition de droit en l'espèce.

 

Pourvoi accueilli.

 

Procureurs de l'appelante: Russell & DuMoulin, Vancouver.

 

Procureur de l'intimé: Le ministère du procureur général, Victoria.

 

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