COUR SUPRÊME DU CANADA |
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Référence : Keatley Surveying Ltd. c. Teranet Inc., 2019 CSC 43, [2019] 3 R.C.S. 418 |
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Appel entendu : 29 mars 2019 Jugement rendu : 26 septembre 2019 Dossier : 37863 |
Entre :
Keatley Surveying Ltd. Appelante/Intimée au pourvoi incident
et
Teranet Inc. Intimée/Appelante au pourvoi incident
- et -
Procureur général du Canada, procureur général de l’Ontario, procureur général de la Colombie-Britannique, procureur général de la Saskatchewan, Association canadienne des bibliothèques de droit, lnstitut canadien d’information juridique, Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada, Clinique d’intérêt public et de politique d’internet du Canada Samuelson-Glushko, Land Title and Survey Authority of British Columbia, Centre des politiques en propriété intellectuelle, Ariel Katz et Canadian Standards Association Intervenants
Traduction française officielle
Coram : Le juge en chef Wagner et les juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Côté, Brown et Martin
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Motifs de jugement : (par. 1 à 91) |
La juge Abella (avec l’accord des juges Moldaver, Karakatsanis et Martin) |
Motifs conjoints concordants : (par. 92 à 147) |
Les juges Côté et Brown (avec l’accord du juge en chef Wagner) |
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Keatley Surveying Ltd. c. Teranet Inc., 2019 CSC 43, [2019] 3 R.C.S. 418
Keatley Surveying Ltd. Appelante/Intimée au pourvoi incident
c.
Teranet Inc. Intimée/Appelante au pourvoi incident
et
Procureur général du Canada,
procureur général de l’Ontario,
procureur général de la Colombie‑Britannique,
procureur général de la Saskatchewan,
Association canadienne des bibliothèques de droit,
Institut canadien d’information juridique,
Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada,
Clinique d’intérêt public et de politique d’internet du Canada Samuelson‑Glushko, Land Title and Survey Authority of British Columbia,
Centre des politiques en propriété intellectuelle, Ariel Katz et
Canadian Standards Association Intervenants
Répertorié : Keatley Surveying Ltd. c. Teranet Inc.
2019 CSC 43
No du greffe : 37863.
2019 : 29 mars; 2019 : 26 septembre.
Présents : Le juge en chef Wagner et les juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Côté, Brown et Martin.
en appel de la cour d’appel de l’ontario
Propriété intellectuelle — Droit d’auteur — Droit d’auteur de la Couronne — Plans d’arpentage — Recours collectif intenté par un arpenteur au nom des arpenteurs en Ontario qui ont inscrit ou déposé des plans d’arpentage auprès de bureaux d’enregistrement immobilier provinciaux — Allégation de l’arpenteur selon laquelle il y a eu violation du droit d’auteur des arpenteurs lorsque les plans d’arpentage ont été numérisés, entreposés et copiés par le fournisseur de services de la province — Recours rejeté au motif que le droit d’auteur sur les plans d’arpentage appartient à la province — Le droit d’auteur sur les plans d’arpentage est‑il dévolu à la Couronne aux termes de l’art. 12 de la Loi sur le droit d’auteur? — Les plans d’arpentage ont‑ils été préparés ou publiés par l’entremise, sous la direction ou la surveillance de la province? — Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. 1985, c. C‑42, art. 12.
En 2007, Keatley Surveying Ltd. a présenté une motion en certification d’un recours collectif au nom de tous les arpenteurs en Ontario qui ont enregistré ou déposé des plans d’arpentage auprès des bureaux d’enregistrement immobilier provinciaux. Elle faisait valoir que Teranet Inc., qui gère le système d’enregistrement immobilier électronique de l’Ontario à titre de fournisseur de services au gouvernement conformément aux pouvoirs que lui confère la loi et aux modalités des accords de mise en œuvre et de licence conclus avec la province, violait le droit d’auteur des arpenteurs en numérisant, entreposant et copiant les plans d’arpentage créés par les arpenteurs et enregistrés ou déposés dans le système d’enregistrement immobilier électronique. Lorsque des plans d’arpentage sont enregistrés et déposés auprès d’un bureau d’enregistrement immobilier en Ontario, Teranet les numérise et les ajoute dans ses bases de données. Teranet exploite deux portails de services, Teraview et GeoWarehouse, à partir desquels les utilisateurs autorisés peuvent avoir accès aux documents d’enregistrement immobilier de l’Ontario, y compris les plans d’arpentage, moyennant des frais prescrits par la loi.
Sept questions communes ont été certifiées dans le recours collectif proposé par Keatley. En 2016, Keatley et Teranet ont toutes deux présenté une motion en jugement sommaire. La décision relative à la motion était fondée sur la deuxième question commune, à savoir si le droit d’auteur sur les plans d’arpentage appartient à l’Ontario conformément à l’art. 12 de la Loi sur le droit d’auteur du fait de l’enregistrement ou du dépôt de ces plans au bureau d’enregistrement immobilier de l’Ontario. L’article 12 de la Loi sur le droit d’auteur prévoit que le droit d’auteur sur les œuvres préparées ou publiées par l’entremise, sous la direction ou la surveillance de Sa Majesté ou d’un ministère du gouvernement appartient à Sa Majesté. Le juge des motions a déterminé que le droit d’auteur appartenait à la Couronne et que, par conséquent, il n’y a eu aucune violation du droit d’auteur. Puisque la réponse à la deuxième question commune était déterminante quant à la demande de Keatley, le juge des motions a accueilli la motion en jugement sommaire de Teranet et rejeté le recours collectif de Keatley. La Cour d’appel a rejeté l’appel de Keatley. Celle‑ci a interjeté appel devant la Cour et Teranet a interjeté un appel incident afin que ses droits quant aux questions communes restantes soient préservés.
Arrêt : Le pourvoi est rejeté. Il n’est pas nécessaire de trancher le pourvoi incident.
Les juges Abella, Moldaver, Karakatsanis et Martin : L’interprétation de l’art. 12 de la Loi sur le droit d’auteur repose à la fois sur le libellé de la disposition et sur les objectifs généraux de cette loi, de la façon dont la Cour en est venue à les comprendre au cours du siècle qui a suivi l’adoption de l’art. 12. Ensemble, ces outils d’interprétation donnent lieu à une portée étroite du droit d’auteur de la Couronne. Le présent pourvoi donne à la Cour l’occasion de se pencher pour la première fois sur la portée et l’application de l’art. 12 de la Loi sur le droit d’auteur, adopté en 1921.
Le texte introductif de l’art. 12 — « sous réserve de tous les droits ou privilèges de la Couronne » — reflète la prérogative historique de la Couronne en matière de publication. Le reste de l’art. 12 apporte un fondement législatif au droit d’auteur de la Couronne, qui existera sur toutes les œuvres « préparées ou publiées par l’entremise, sous la direction ou la surveillance de Sa Majesté ». L’objectif du droit d’auteur que la loi confère à la Couronne est de protéger les œuvres préparées ou publiées sous la surveillance de la Couronne lorsque cela est nécessaire pour en garantir l’authenticité, l’exactitude et l’intégrité dans l’intérêt public. Cependant, la portée du droit d’auteur de la Couronne ne peut être étendue au point de permettre à celle‑ci de s’approprier systématiquement le droit d’auteur des créateurs sur leurs œuvres ou de porter atteinte à l’intérêt qu’a le public à l’accès à l’information.
La notion de direction ou de surveillance revêt une importance cruciale pour déterminer si le droit d’auteur de la Couronne existe. Dans son ensemble, l’examen de l’art. 12 vise à établir si la Couronne exerce sur la préparation ou la publication de l’œuvre un degré de direction ou de surveillance suffisant pour que lui soit dévolu le droit d’auteur.
Une œuvre est préparée par l’entremise de la Couronne lorsqu’un de ses agents ou fonctionnaires crée l’œuvre pour elle ou en son nom dans le cadre de son emploi, ou lorsque la Couronne décide essentiellement si elle réalisera une telle œuvre et de quelle façon elle le fera, même si l’œuvre est produite par un entrepreneur indépendant. Dans les deux cas, la Couronne exerce une direction et une surveillance à la fois sur la personne qui prépare l’œuvre et sur l’œuvre qui est ultimement préparée.
L’évaluation de la direction ou de la surveillance qu’exerce la Couronne est d’autant plus importante lorsqu’il s’agit de savoir si l’œuvre a été publiée par l’entremise de la Couronne au sens de l’art. 12. Le simple fait de rendre l’œuvre d’une autre personne accessible au public ne suffit pas. L’œuvre ne sera publiée par l’entremise, sous la direction ou la surveillance de la Couronne que lorsqu’on peut affirmer qu’elle exerce une direction ou une surveillance sur le processus de publication, notamment sur la personne publiant l’œuvre de même que sur la nature, la forme et le contenu de la version définitive publiée de l’œuvre.
Pour savoir si la direction ou la surveillance du gouvernement sur la publication d’une œuvre est suffisante pour l’application de l’art. 12, il faut examiner l’intérêt de la Couronne sur cette œuvre au moment de la publication. Il peut être utile de se reporter aux indices pertinents de direction ou de surveillance gouvernementale, comme la présence d’un régime législatif qui transfère les droits de propriété sur les œuvres à la Couronne; un régime législatif qui prévoit un encadrement strict quant à la forme et au contenu de l’œuvre; la réponse à la question de savoir si la Couronne a la possession physique de l’œuvre; la réponse à la question de savoir si le gouvernement est investi du pouvoir exclusif de modifier l’œuvre; le caractère optionnel du régime législatif; et la nécessité que la Couronne mette l’œuvre à la disposition du public.
Le cœur du présent pourvoi est la publication, c’est‑à‑dire qu’il faut se demander si les plans d’arpentage enregistrés et déposés ont été publiés par l’entremise, sous la direction ou la surveillance de la Couronne. La nature et la portée de la direction et de la surveillance qu’exerce la Couronne sont influencées par le régime législatif exhaustif d’enregistrement immobilier de l’Ontario, qui donne à la Couronne le contrôle complet sur le processus de publication. La Couronne a des droits de propriété sur les plans, ainsi que la garde et la surveillance des plans matériels. Le régime législatif veille à ce que la direction et la surveillance du format et du contenu des plans enregistrés soient exercées par la Couronne. Cette surveillance se poursuit après l’enregistrement ou le dépôt. Seule la Couronne peut modifier le contenu des plans, et c’est elle qui exerce une surveillance permanente sur le processus de publication et en est responsable, ce qui comprend la forme définitive de l’œuvre. De même, c’est la Couronne qui — par une loi validement adoptée — a le pouvoir exclusif de faire des copies des plans d’arpentage enregistrés et déposés.
Lorsque la Couronne ou Teranet publie les plans d’arpentage enregistrés ou déposés, le droit d’auteur est dévolu à la Couronne parce qu’elle exerce une direction ou une surveillance sur le processus de publication. Cette conclusion favorise l’atteinte des objectifs qui sous‑tendent le droit d’auteur de la Couronne parce que les plans d’arpentage enregistrés et déposés dans le système d’enregistrement immobilier sont censés être utilisés par les membres du public pour qu’ils déterminent leurs droits de propriété et obligations.
Conformément au principe de la neutralité technologique, le fait pour l’Ontario d’utiliser des nouvelles technologies post‑numérisation ne change pas l’analyse de la question de savoir si la Couronne est titulaire du droit d’auteur en application de l’art. 12 de la Loi. Il n’y a aucune différence d’ordre pratique entre obtenir la copie d’un plan d’arpentage enregistré ou déposé auprès d’un bureau physique d’enregistrement immobilier ou par voie électronique. Étant donné que le droit d’auteur appartient à la Couronne en application de l’art. 12 de la Loi sur le droit d’auteur, il n’y a aucune violation dans le cadre du système d’enregistrement électronique.
Le juge en chef Wagner et les juges Côté et Brown : Il y a accord avec la majorité sur le fait que le pourvoi devrait être rejeté puisque le droit d’auteur sur les plans d’arpentage enregistrés ou déposés auprès du bureau de la publicité foncière appartient à l’Ontario conformément à l’art. 12 de la Loi sur le droit d’auteur. Il y a désaccord, cependant, avec l’interprétation de l’art. 12 retenue par les juges majoritaires.
L’interprétation statutaire consiste à dégager l’intention du Parlement en examinant les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’économie et l’objet de la loi. À première vue, le sens ordinaire et grammatical du libellé de l’art. 12 semble clair : le droit d’auteur sur « les œuvres » est dévolu à la Couronne lorsque celle‑ci prépare ou publie les œuvres, ou lorsqu’un tiers prépare ou publie les œuvres sous la direction ou la surveillance de la Couronne. Cependant, le législateur ne peut avoir voulu des conséquences absurdes, et une interprétation littérale de l’art. 12 conférerait à la Couronne un droit d’auteur d’une portée excessive qui écarterait l’équilibre délicat que le Parlement a établi entre les droits des créateurs et ceux des utilisateurs. Une interprétation littérale conférerait en effet à la Couronne le pouvoir de déposséder des créateurs indépendants de leur droit d’auteur sur toute œuvre protégeable simplement en publiant l’œuvre elle‑même ou en la faisant publier par un tiers. Même si les tribunaux de juridiction inférieure et les juges majoritaires ont reconnu l’absurdité découlant d’une interprétation littérale de l’art. 12, leur solution — exiger que la Couronne exerce un degré suffisant « de direction ou de surveillance » sur le processus de publication, y compris sur l’œuvre elle‑même — exclut certaines parties de l’art. 12 et dénature ce qu’il en reste.
Il faut interpréter l’expression « préparées ou publiées par l’entremise, sous la direction ou la surveillance » de la Couronne selon son sens ordinaire : l’acte de préparer ou de publier l’œuvre doit être exécuté par la Couronne elle‑même ou sous sa direction ou sa surveillance. Dans chaque cas, il faut s’arrêter à la personne qui prépare ou publie l’œuvre, ainsi qu’à sa relation avec la Couronne. L’exigence selon laquelle le volet « préparation » et le volet « publication » impliquent tous deux d’établir si la Couronne exerce un degré de direction ou de surveillance suffisant sur l’œuvre elle‑même ne devrait pas être intégrée à la loi. Il faut simplement se demander si la Couronne est à l’origine de la préparation ou de la publication de l’œuvre, que ce soit par l’entremise de ses propres représentants et fonctionnaires ou en exerçant une direction ou une surveillance sur un tiers.
Une œuvre est préparée par l’entremise, sous la direction ou la surveillance de la Couronne lorsque celle‑ci est en position de décider si une œuvre sera créée ou non. Il ne suffit pas pour le volet « préparation » que la Couronne décide, dans le cas où l’œuvre doit être créée, qu’elle sera créée d’une façon précise. Une œuvre est préparée par l’entremise de la Couronne lorsqu’un de ses représentants ou fonctionnaires crée l’œuvre dans l’exercice de ses fonctions. Une œuvre est préparée sous la direction ou la surveillance de la Couronne lorsque celle‑ci décide qu’un tiers doit créer l’œuvre. Une œuvre est publiée par l’entremise de la Couronne lorsque celle‑ci publie elle‑même l’œuvre, et une œuvre est publiée sous la direction ou la surveillance de la Couronne lorsqu’un tiers, comme un entrepreneur indépendant, publie l’œuvre à sa demande. Aucun des volets ne nécessite d’établir si la Couronne exerce une direction et une surveillance sur la personne qui prépare l’œuvre et sur l’œuvre qui est ultimement préparée. Il faut seulement déterminer quelle est l’identité de l’auteur et la nature de sa relation avec la Couronne.
Toutefois, le fait qu’une œuvre soit publiée « par l’entremise, sous la direction ou la surveillance » de la Couronne ne met pas fin à l’analyse fondée sur l’art. 12. Une fois que le tribunal est convaincu qu’une œuvre a été « préparée ou publiée par l’entremise, sous la direction ou la surveillance » de la Couronne, il doit ensuite se demander si, au moment de la préparation ou de la publication, l’œuvre était une « œuvre gouvernementale ». Une œuvre gouvernementale est une œuvre qui sert un objectif public, objectif dont la réalisation est facilitée par le fait que le droit d’auteur est dévolu à la Couronne. Il s’agit d’œuvres à l’égard desquelles le gouvernement a un grand intérêt en ce qui a trait à leur précision, leur intégrité et leur diffusion — le simple fait que le gouvernement a fait préparer ou publier une œuvre ne suffit pas en soi à conclure que l’œuvre répond à un objectif public.
Les plans d’arpentage en l’espèce sont mis à la disposition du public et ils sont donc « publiés » à la fois par l’Ontario et par Teranet sous la direction ou la surveillance de l’Ontario, puisque celle‑ci met les plans à la disposition du public au bureau de la publicité foncière et que Teranet met les plans à la disposition des abonnés de ses plateformes. De plus, les plans d’arpentage en cause dans la présente affaire sont manifestement des œuvres gouvernementales. Ils ont de toute évidence un caractère public car ils définissent et illustrent les limites juridiques des terres en Ontario, fournissent des précisions sur la propriété des terres et permettent aux propriétaires fonciers et aux utilisateurs de gérer leurs affaires en conséquence. Les citoyens se fient à la précision des plans d’arpentage pour déterminer leur droit sur un bien‑fonds et pour faciliter les transactions immobilières. En étant titulaire du droit d’auteur sur les plans, la Couronne peut limiter la capacité d’un inspecteur ou d’un tiers privé de modifier les plans puis de les vendre ou les distribuer à titre personnel. En revendiquant le droit d’auteur de la Couronne, le gouvernement peut faire en sorte que les plans d’arpentage obtenus auprès du bureau de la publicité foncière ou de Teranet soient précis. De même, étant donné que de nombreuses personnes se fondent sur les plans d’arpentage, il est important d’en garantir l’accès au public de sorte que tous ceux qui ont besoin d’y avoir accès puissent les obtenir. Comme les plans d’arpentage enregistrés et déposés sont des œuvres gouvernementales lorsqu’ils sont « publié[s] par l’entremise, sous la direction ou la surveillance » de l’Ontario, le droit d’auteur sur ces plans est dévolu à la Couronne en application de l’art. 12, et non aux arpenteurs ayant initialement créé les plans.
Jurisprudence
Citée par la juge Abella
Arrêts mentionnés : Théberge c. Galerie d’Art du Petit Champlain inc., 2002 CSC 34, [2002] 2 R.C.S. 336; CCH Canadienne Ltée c. Barreau du Haut‑Canada, 2004 CSC 13, [2004] 1 R.C.S. 339; Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Bell Canada, 2012 CSC 36, [2012] 2 R.C.S. 326; Alberta (Éducation) c. Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CSC 37, [2012] 2 R.C.S. 345; R. c. Bellman, [1938] 3 D.L.R. 548; Attorney‑General (N.S.W.) c. Butterworth & Co. (Australia) Ltd. (1938), 38 S.R. (N.S.W.) 195; Land Transport Safety Authority of New Zealand c. Glogau, [1999] 1 N.Z.L.R. 261; Robertson c. Thomson Corp., 2006 CSC 43, [2006] 2 R.C.S. 363; Entertainment Software Association c. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2012 CSC 34, [2012] 2 R.C.S. 231; Société Radio‑Canada c. SODRAC 2003 Inc., 2015 CSC 57, [2015] 3 R.C.S. 615.
Citée par les juges Côté et Brown
Arrêts mentionnés : Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27; Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 R.C.S. 559; Théberge c. Galerie d’Art du Petit Champlain inc., 2002 CSC 34, [2002] 2 R.C.S. 336; Copyright Agency Ltd. c. New South Wales, [2007] FCAFC 80, 159 F.C.R. 213, inf. par [2008] HCA 35, 233 C.L.R. 279; Land Transport Safety Authority of New Zealand c. Glogau, [1999] 1 N.Z.L.R. 261; P.S. Knight Co. Ltd. c. Canadian Standards Association, 2018 CAF 222, 161 C.P.R. (4th) 243; R. c. Bellman, [1938] 3 D.L.R. 548.
Lois et règlements cités
Copyright Act, 1911 (R.‑U.), 1 & 2 Geo. 5, c. 46, art. 18.
Loi de 1992 sur les recours collectifs, L.O. 1992, c. 6.
Loi de 1998 sur les condominiums, L.O. 1998, c. 19.
Loi de 2010 sur les services d’enregistrement immobilier électronique, L.O. 2010, c. 1, ann. 6.
Loi sur l’arpentage, L.R.O. 1990, c. S.30.
Loi sur l’enregistrement des actes, L.R.O. 1990, c. R.20, art. 15(4), 17(4), 18(1), (10), 50(3), 89.
Loi sur l’enregistrement des droits immobiliers, L.R.O. 1990, c. L.5, art. 14(1), 145(6), 164, 165(1), (4).
Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. 1985, c. C‑42, art. 2, 2.2(1), 12, 13(1), (3), (4).
Loi sur les arpenteurs‑géomètres, L.R.O. 1990, c. S.29.
R.R.O. 1990, Règl. 690, art. 3.
Règl. de l’Ont. 43/96, art. 5(1), 7, 9(1)e), 49(2).
Règl. de l’Ont. 49/01, art. 17.
Règl. de l’Ont. 216/10, art. 8.
Doctrine et autres documents cités
Canada. Consommation et Corporations. De Gutenberg à Télidon : Livre blanc sur le droit d’auteur, Ottawa, 1984.
Chitty, Joseph. A Treatise on the Law of the Prerogatives of the Crown and the Relative Duties and Rights of the Subject, London, Butterworths, 1820.
Driedger, Elmer A. Construction of Statutes, 2nd ed., Toronto, Butterworths, 1983.
Fox, Harold G. « Copyright in Relation to the Crown and Universities with Special Reference to Canada » (1947), 7 U.T.L.J. 98.
Geist, Michael. « Introduction » in Michael Geist, ed., The Copyright Pentalogy : How the Supreme Court of Canada Shook the Foundations of Canadian Copyright Law, Ottawa, University of Ottawa Press, 2013.
Gilchrist, John. « Origins and Scope of the Prerogative Right to Print and Publish Certain Works in England » (2011), 10 Canberra L. Rev. 139.
High, James L., ed. Speeches of Lord Erskine, While at the Bar, vol. 1, Chicago, Callaghan & Company, 1876.
Judge, Elizabeth F. « Crown Copyright and Copyright Reform in Canada » in Michael Geist, ed., In the Public Interest : The Future of Canadian Copyright Law, Toronto, Irwin Law, 2005.
McKeown, John S. Fox Canadian Law of Copyright and Industrial Designs, 4th ed., Toronto, Thomson/Carswell, 2003 (loose‑leaf updated August 2019, release 4).
Oldfield, Laurel C. F. The Law of Copyright, London, Butterworths, 1912.
Payne, Sebastian. « The Royal Prerogative », in Maurice Sunkin and Sebastian Payne, eds., The Nature of the Crown : A Legal and Political Analysis, Oxford, Oxford University Press, 1999.
Petit Robert : dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, nouvelle éd., Paris, Le Robert, 2019, « surveiller ».
Siemiatycki, Matti. « Public‑Private Partnerships in Canada : Reflections on twenty years of practice » (2015), 58 Admin. Pub. Can. 343.
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Torno, Barry. Le droit d’auteur de la Couronne au Canada : un héritage embrouillé, Ottawa, Consommation et Corporations, 1981.
Vaver, David. « Copyright and the State in Canada and the United States » (1996), 10 I.P.J. 187.
Vaver, David. Intellectual Property Law : Copyright, Patents, Trade‑marks, 2nd ed., Toronto, Irwin Law, 2011.
POURVOI et POURVOI INCIDENT contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario (les juges Doherty, Brown et Miller), 2017 ONCA 748, 418 D.L.R. (4th) 425, 87 R.P.R. (5th) 4, 139 O.R. (3d) 340, [2017] O.J. No. 5023 (QL), 2017 CarswellOnt 14961 (WL Can.), qui a confirmé une décision du juge Belobaba, 2016 ONSC 1717, 131 O.R. (3d) 703, 72 R.P.R. (5th) 248, [2016] O.J. No. 2370 (QL), 2016 CarswellOnt 7233 (WL Can.). Pourvoi rejeté.
Luciana P. Brasil, Michael Sobkin et Avichay Sharon, pour l’appelante/intimée au pourvoi incident.
Julie Parla, Barry B. Sookman, F. Paul Morrison, Stephanie Sugar et Hovsep Afarian, pour l’intimée/appelante au pourvoi incident.
Kathryn Hucal et John Provart, pour l’intervenant le procureur général du Canada.
Michael S. Dunn et Yashoda Ranganathan, pour l’intervenant le procureur général de l’Ontario.
Graham J. Underwood et Wes G. Crealock, pour l’intervenant le procureur général de la Colombie‑Britannique.
Theodore Litowski, pour l’intervenant le procureur général de la Saskatchewan.
Robert Janes, c.r., et Kim Nayyer, pour l’intervenante l’Association canadienne des bibliothèques de droit.
Rahool P. Agarwal et Khrystina McMillan, pour les intervenants l’Institut canadien d’information juridique et la Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada.
Jeremy de Beer et David Fewer, pour l’intervenante la Clinique d’intérêt public et de politique d’internet du Canada Samuelson‑Glushko.
Steve Garland, Theodore Sum et Laura Easton, pour l’intervenante Land Title and Survey Authority of British Columbia.
Michael Shortt et Jean‑Philippe Mikus, pour les intervenants le Centre des politiques en propriété intellectuelle et Ariel Katz.
John E. Callaghan et Kevin Sartorio, pour l’intervenante Canadian Standards Association.
Version française du jugement des juges Abella, Moldaver, Karakatsanis et Martin rendu par
[1] La juge Abella — Le présent pourvoi donne à la Cour l’occasion de se pencher pour la première fois sur la portée et l’application du droit d’auteur de la Couronne. Pour procéder à l’interprétation de ce droit, nous disposons non seulement des principes habituels d’interprétation législative, mais aussi de la jurisprudence abondante qui explique la façon dont la Cour en est venue à comprendre le droit d’auteur au cours des années qui ont suivi l’adoption, en 1921, de la disposition relative au droit d’auteur de la Couronne. Ensemble, ces outils donnent lieu selon moi à une portée étroite du droit d’auteur de la Couronne, laquelle protège les droits des créateurs d’une œuvre mais attribue la propriété à la Couronne seulement lorsque celle‑ci a exercé un degré suffisamment important de direction ou de surveillance dans la création ou la diffusion de l’œuvre.
[2] Le contexte du présent pourvoi est le système d’enregistrement immobilier de l’Ontario. Historiquement, l’enregistrement immobilier en Ontario se faisait exclusivement sur papier. Les documents qui constituaient le registre immobilier, notamment les plans d’arpentage, étaient enregistrés ou déposés auprès des bureaux d’enregistrement immobilier de l’Ontario. Les membres du public qui désiraient obtenir copie de ces documents pouvaient se présenter à un bureau d’enregistrement immobilier et demander une copie moyennant des frais. Les arpenteurs ayant créé les plans d’arpentage ne recevaient ni honoraires ni redevances lorsque le gouvernement fournissait des copies des plans enregistrés et déposés aux membres du public.
[3] Dans les années 1980, l’Ontario a commencé à élaborer le Fichier informatisé d’enregistrement foncier, ou FIEF, lequel visait notamment à automatiser le système d’enregistrement immobilier de l’Ontario. Le FIEF a été initialement conçu comme complément aux bureaux d’enregistrement immobilier dans la prestation de services au public. Toutefois, les parties ayant un intérêt dans le régime d’enregistrement immobilier craignaient que le FIEF à lui seul n’aide pas de façon concrète les personnes qui utilisaient le registre immobilier et qui s’y fiaient. En particulier, les utilisateurs seraient tout de même tenus de se présenter à un bureau pour effectuer leurs opérations immobilières. Dans le but de remédier à ces lacunes, les arpenteurs, ainsi que les autres utilisateurs du système, ont fait pression pour l’obtention d’un accès à distance aux bureaux d’enregistrement immobilier.
[4] Toutefois, la création d’un système d’enregistrement immobilier entièrement automatisé et électronique avec possibilité d’accès à distance a entraîné des coûts importants. En 1987, l’Ontario a entamé un processus de consultation sur la modernisation du système d’enregistrement immobilier. Les arpenteurs prenant part à la consultation ont plaidé en faveur d’un partenariat public‑privé qui réaliserait ce projet de modernisation. En 1988, l’Ontario a sollicité des déclarations d’intérêts ainsi que des propositions pour la création d’un système d’administration et d’enregistrement immobilier électronique. L’élaboration de ce système visait deux objectifs interreliés : numériser tous les documents d’enregistrement immobilier et fournir un accès à distance à ces documents, d’une part, et créer une carte‑index à l’échelle de la province, d’autre part. Les arpenteurs ont participé aux deux aspects de ce projet de modernisation. Durant l’élaboration du système d’enregistrement immobilier électronique, l’Ontario a également travaillé en étroite collaboration avec l’Ordre des arpenteurs‑géomètres de l’Ontario, l’organisme professionnel de gouvernance autonome chargé d’accorder les permis d’exercice aux arpenteurs de la province et de régir leurs activités.
[5] En raison de la nature interdisciplinaire du projet de modernisation, les entreprises n’ont pas eu les moyens de mener le projet à bien. Par conséquent, des consortiums de soumissionnaires ont été formés. Les arpenteurs et les entreprises d’arpentage faisaient partie intégrante de ces consortiums. Par exemple, Real/Data Ontario Inc., l’entité qui a finalement été retenue, était formée de plus d’une douzaine de sociétés membres, dont cinq ou six étaient des entreprises d’arpentage ou des consortiums d’entreprises d’arpentage.
[6] En 1991, l’Ontario a conclu un partenariat public‑privé avec Real/Data, qui a subséquemment été constituée en personne morale sous la dénomination Teranet Inc. Cette dernière s’est engagée par contrat avec l’Ontario à automatiser le système d’enregistrement sur support papier et à le convertir en un système d’enregistrement électronique de droits immobiliers, ainsi qu’à exploiter et à entretenir ce système pour le compte de l’Ontario. Lorsque Teranet a été constituée en personne morale, LanData Group, un consortium d’entreprises d’arpentage, est devenu actionnaire de Teranet.
[7] Le partenariat public‑privé entre l’Ontario et Teranet s’inscrivait dans la « première vague » des partenariats public‑privé. Ces projets étaient planifiés directement par les ministères ou les organismes du gouvernement afin d’augmenter le financement public accordé aux infrastructures en recueillant des fonds supplémentaires au moyen de droits ou de paiements d’utilisation et afin de transférer le risque lié à la fourniture, la disponibilité et la demande des ressources au partenaire du secteur privé. Ces partenariats étaient formés parce qu’on croyait qu’une plus grande concurrence et une plus grande participation dans la prestation de services publics entraîneraient une réduction des coûts et une efficacité accrue[1].
[8] En 1991, Teranet a commencé à créer la carte‑index provinciale du FIEF. LanData était chargée de créer la « structure » de la carte du FIEF. Teranet a conclu des ententes avec LanData pour des travaux liés à une région géographique en particulier, et LanData assignait ensuite les travaux à une entreprise d’arpentage membre. LanData et Teranet ont également conclu une entente relative aux services de mise en œuvre (« Implementation Services Agreement ») confirmant que LanData fournirait des services de mise en œuvre à Teranet. Ces services comprenaient notamment la représentation cartographique ainsi que l’automatisation et la conversion des documents et des dossiers du registre, de même que la tenue à jour de la base de données sur l’enregistrement immobilier et de la carte du FIEF. L’entente relative aux services de mise en œuvre prévoyait que l’Ontario conserverait tous les droits, titres et intérêts sur les documents d’enregistrement immobilier, y compris les plans d’arpentage. LanData s’est dissoute en 1999. À partir de ce moment, Teranet a commencé à conclure des contrats directement avec les arpenteurs et les entreprises d’arpentage. Ces contrats ont été mis à la disposition des arpenteurs. Au cours de la période entre 1991 et 2010, environ 40 millions de dollars dépensés pour la création de la carte du FIEF ont été versés aux arpenteurs. Ces derniers ont joué de nombreux rôles dans la création du FIEF, notamment en accomplissant du travail de terrain, en préparant les dossiers numériques, en recueillant des données et en préparant des rapports fondés sur les résultats de l’arpentage. Pour créer le système d’enregistrement immobilier électronique automatisé, les arpenteurs avec lesquels Teranet avait conclu des contrats se sont fondés sur les plans d’arpentage existants. La conversion vers un système d’enregistrement immobilier électronique s’est terminée en 2010.
[9] Teranet gère maintenant le système d’enregistrement immobilier électronique de l’Ontario à titre de fournisseur de services au gouvernement. Teranet agit conformément aux pouvoirs que lui confère la loi et aux modalités des accords de mise en œuvre et de licence conclus avec la province (Loi de 2010 sur les services d’enregistrement immobilier électronique, L.O. 2010, c. 1, ann. 6). Selon ces accords, l’Ontario conserve tous les droits, titres et intérêts, y compris les droits de propriété intellectuelle, sur les données utilisées dans le système d’enregistrement immobilier électronique, ce qui comprend les plans d’arpentage. Le contrat de licence permet à Teranet d’avoir accès aux documents du registre, qui appartiennent à l’Ontario, pour simplifier le système d’enregistrement immobilier électronique.
[10] Depuis 1999, les documents d’enregistrement immobilier peuvent être enregistrés par voie électronique, à l’exception des plans d’arpentage. Lorsque ceux‑ci sont enregistrés et déposés auprès d’un bureau d’enregistrement immobilier en Ontario, Teranet les numérise et les ajoute dans ses bases de données. Teranet fournit des copies électroniques des plans d’arpentage au public moyennant des frais établis par la loi. Dans certains cas, les copies des plans d’arpentage sont immédiatement transmises à diverses personnes et entités, par exemple lorsqu’une demande de premier enregistrement d’une parcelle de terrain ou une demande d’enregistrement d’un plan de condominium est présentée (Procédures et documents, R.R.O. 1990, règl. 690, pris en vertu de la Loi sur l’enregistrement des droits immobiliers, L.R.O. 1990, c. L.5, art. 3; Description et enregistrement, Règl. de l’Ont. 49/01, pris en vertu de la Loi de 1998 sur les condominiums, L.O. 1998, c. 19, art. 17).
[11] Teranet exploite deux portails de services, Teraview et GeoWarehouse, à partir desquels les utilisateurs autorisés peuvent avoir accès aux documents d’enregistrement immobilier de l’Ontario, y compris les plans d’arpentage, moyennant des frais prescrits par la loi, qui sont actuellement de 16,30 $ par plan[2], peu importe le service utilisé.
[12] Teranet collecte ces frais pour le compte de l’Ontario. Selon une entente conclue entre l’Ontario et Teranet, cette dernière facture l’Ontario pour les services qu’elle fournit et est ensuite payée par l’Ontario pour la prestation de ces services.
[13] Les arpenteurs sont tenus d’utiliser des copies des plans d’arpentage afin de remplir les obligations que leur impose la loi ainsi que leurs obligations professionnelles, qui sont codifiées dans la Loi sur les arpenteurs‑géomètres, L.R.O. 1990, c. S.29, et ses règlements d’application. Lorsqu’ils créent un plan d’arpentage, les arpenteurs doivent faire des recherches afin de trouver tous les éléments de preuve liés à la parcelle de terrain faisant l’objet de l’arpentage (Règl. de l’Ont. 216/10). Ces éléments de preuve comprennent notamment les copies des plans d’arpentage enregistrés préparés relativement au terrain faisant l’objet de l’arpentage et aux terrains voisins (art. 8). Bon nombre d’arpenteurs ont régulièrement accès aux plans d’arpentage enregistrés par les portails de services en ligne de Teranet. Les modalités d’utilisation qui accompagnent les licences relatives à l’utilisation de ces portails prévoient que la propriété intellectuelle sur les produits consultés sur Teraview ou GeoWarehouse appartient aux fournisseurs de Teranet ou a été concédée par licence à celle‑ci.
[14] Une série de lois gouverne le dépôt et l’enregistrement des plans d’arpentage, le format et le contenu de ces plans, ainsi que l’utilisation subséquente de ces documents par le gouvernement. Le Règlement de l’Ontario 43/96, pris en vertu de la Loi sur l’enregistrement des actes, L.R.O. 1990, c. R.20, s’applique aux plans enregistrés et déposés en vertu de la Loi sur l’enregistrement des actes ou de la Loi sur l’enregistrement des droits immobiliers. Le paragraphe 5(1) de ce règlement prévoit :
. . . tout plan qui doit être présenté à l’enregistrement ou au dépôt est conforme aux textes suivants :
a) la Loi, ou la Loi sur l’enregistrement des droits immobiliers si le plan a été dressé en application de cette loi, et le présent règlement;
b) la Loi sur l’arpentage et ses règlements;
c) la loi et les règlements en application desquels le plan a été dressé;
d) la Loi sur les arpenteurs‑géomètres et ses règlements.
[15] Conformément au par. 165(1) de la Loi sur l’enregistrement des droits immobiliers, tous les plans présentés en vue de l’enregistrement et du dépôt auprès d’un bureau d’enregistrement immobilier deviennent la propriété de la Couronne. Le paragraphe 50(3) de la Loi sur l’enregistrement des actes indique de façon similaire que les actes enregistrés sont la propriété de la Couronne, alors que le par. 18(1) prévoit que tous les dossiers créés, utilisés ou conservés pour les besoins du régime d’enregistrement immobilier sont la propriété de la Couronne.
[16] Les plans d’arpentage ne seront pas acceptés aux fins de l’enregistrement ou du dépôt s’ils contiennent une marque indiquant un droit d’auteur, comme des mots ou des symboles (al. 9(1)e), Règl. de l’Ont. 43/96, pris en vertu de la Loi sur l’enregistrement des actes; Loi sur l’enregistrement des droits immobiliers, art. 164). Conformément au par. 14(1) de la Loi sur l’enregistrement des droits immobiliers, le sous‑ministre est chargé de nommer l’inspecteur des arpentages, qui exerce les fonctions prescrites par les lois en matière d’enregistrement immobilier, notamment la Loi sur l’enregistrement des droits immobiliers et la Loi sur l’enregistrement des actes. L’inspecteur des arpentages est chargé d’ordonner la correction des défauts ou omissions dans les plans d’arpentage enregistrés ou déposés. Une fois qu’un plan d’arpentage est enregistré ou déposé, il est interdit à l’arpenteur d’en modifier le contenu sans obtenir la permission de l’inspecteur des arpentages. Une personne autre que l’arpenteur ayant créé le plan peut également demander à l’inspecteur d’ordonner la modification d’un plan enregistré ou déposé (Loi sur l’enregistrement des droits immobiliers, par. 145(6); Loi sur l’enregistrement des actes, art. 89; Règl. de l’Ont. 43/96, par. 49(2)).
[17] Le présent pourvoi tire son origine d’une motion en certification d’un recours collectif intenté par Keatley Surveying Ltd., société professionnelle détenue et exploitée par Gordon R. Keatley, un arpenteur professionnel et membre de l’Ordre des arpenteurs‑géomètres de l’Ontario.
[18] En 2007, Keatley a présenté une motion en certification d’un recours collectif au nom de tous les arpenteurs en Ontario qui ont enregistré ou déposé des plans d’arpentage auprès des bureaux d’enregistrement immobilier provinciaux. Keatley faisait valoir que Teranet violait le droit d’auteur des arpenteurs en numérisant, entreposant et copiant les plans d’arpentage créés par les arpenteurs et enregistrés ou déposés dans le système d’enregistrement immobilier électronique.
[19] Le juge saisi du recours collectif a refusé de certifier le recours (Keatley Surveying Ltd. c. Teranet Inc., 2012 ONSC 7120, 107 C.P.R. (4th) 237). Keatley a modifié sa liste de questions communes, et la Cour divisionnaire a certifié le recours en vertu de la Loi de 1992 sur les recours collectifs, L.O. 1992, c. 6, lequel soulevait sept questions communes (Keatley Surveying Ltd. c. Teranet Inc., 2014 ONSC 1677, 119 O.R. (3d) 497) :
[traduction]
1. Existe‑t‑il un droit d’auteur sur les plans d’arpentage en vertu de la Loi sur le droit d’auteur [L.R.C. 1985, c. C‑42]?
2. Le droit d’auteur sur les plans d’arpentage appartient‑il à la province de l’Ontario conformément à l’article 12 de la Loi sur le droit d’auteur du fait de l’enregistrement et/ou du dépôt de ces plans d’arpentage au bureau d’enregistrement immobilier de l’Ontario?
3. La déclaration signée jointe au plan d’arpentage au moment de l’enregistrement et/ou du dépôt constitue‑t‑elle une cession écrite et signée du droit d’auteur à la province de l’Ontario conformément au paragraphe 13(4) de la Loi sur le droit d’auteur?
4. Les membres du groupe sont‑ils réputés avoir consenti à l’une ou à l’ensemble des utilisations que la défenderesse aurait fait des plans d’arpentage à la suite de l’enregistrement et/ou du dépôt de ces plans au bureau d’enregistrement immobilier de l’Ontario?
5. La défenderesse a‑t‑elle fait des plans d’arpentage l’une ou l’ensemble des prétendues utilisations? Dans l’affirmative, lesquelles?
6. Si la réponse aux deuxième et troisième questions communes est négative, l’une ou l’ensemble des prétendues utilisations constituent‑elles :
a) des utilisations que, selon la Loi sur le droit d’auteur, seul le titulaire du droit d’auteur a le droit de faire?
b) des utilisations qui sont énumérées aux alinéas 27(2)a) à e) de la Loi sur le droit d’auteur et qui, comme la défenderesse savait ou aurait dû savoir, violent le droit d’auteur? Dans l’affirmative, lesquelles?
7. La défenderesse peut‑elle invoquer un moyen de défense fondé sur l’ordre public qui lui permettrait de faire des plans d’arpentage les prétendues utilisations?
[20] L’appel que Teranet a porté devant la Cour d’appel de l’Ontario à l’encontre de la décision de certification a été rejeté (Keatley Surveying Ltd. c. Teranet Inc., 2015 ONCA 248, 125 O.R. (3d) 447).
[21] Au début de 2016, Keatley et Teranet ont toutes deux présenté une motion en jugement sommaire. Le juge Belobaba s’est penché sur les sept questions communes (Keatley Surveying Inc. c. Teranet Inc., 2016 ONSC 1717, 131 O.R. (3d) 703). La première, à savoir s’il existe un droit d’auteur sur les plans d’arpentage, n’était pas contestée. Les parties s’entendaient pour dire que les plans d’arpentage étaient visés par la définition d’« œuvre artistique » figurant à l’art. 2 de la Loi sur le droit d’auteur, qui comprend des « dessins [. . .], graphiques, cartes [et] plans ».
[22] La deuxième question commune, à savoir si le droit d’auteur sur les plans d’arpentage appartient à la province de l’Ontario conformément à l’art. 12 de la Loi sur le droit d’auteur, a fait l’objet de débats animés entre les parties. L’article 12 de la Loi dispose :
Quand le droit d’auteur appartient à Sa Majesté
12 Sous réserve de tous les droits ou privilèges de la Couronne, le droit d’auteur sur les œuvres préparées ou publiées par l’entremise, sous la direction ou la surveillance de Sa Majesté ou d’un ministère du gouvernement, appartient, sauf stipulation conclue avec l’auteur, à Sa Majesté et, dans ce cas, il subsiste jusqu’à la fin de la cinquantième année suivant celle de la première publication de l’œuvre.
Teranet a fait valoir que les plans d’arpentage étaient « préparé[s] ou publié[s] par l’entremise, sous la direction ou la surveillance » de la province et que, par conséquent, le droit d’auteur appartient à la Couronne.
[23] Selon le juge Belobaba, l’art. 12 comporte deux volets : le volet « préparation » et le volet « publication ». À son avis, les plans d’arpentage ne sont pas préparés « sous la direction ou la surveillance » de la province. Les plans sont généralement préparés par des arpenteurs à la demande de clients relevant du secteur privé. Bien que ces plans doivent être conformes aux directives prescrites par la loi, celles‑ci ont trait à la forme et non au contenu. S’il est conclu que les plans d’arpentage sont « préparés » sous la direction ou la surveillance de la province, cela voudrait dire que le droit d’auteur sur tous les plans d’arpentage, même ceux qui ne sont jamais enregistrés ni déposés, appartiendrait automatiquement à la Couronne dès leur création.
[24] Le juge Belobaba s’est ensuite demandé si les plans d’arpentage étaient publiés sous la direction ou la surveillance de la province. Il n’était pas convaincu que parce que la numérisation et la publication des plans d’arpentage enregistrés ou déposés au bureau d’enregistrement immobilier sont faites sous la direction ou la surveillance de la province, il s’ensuit que le droit d’auteur sur les documents appartient à la province. Toutefois, cette conclusion n’était pas déterminante car les lois provinciales indiquent clairement que la propriété sur les plans d’arpentage, y compris le droit d’auteur, est transférée à la province lorsqu’ils sont enregistrés ou déposés au bureau d’enregistrement immobilier. La province assure ensuite la « surveillance » des plans d’arpentage, et la publication de ces documents a lieu « par l’entremise, sous la direction ou la surveillance de Sa Majesté ». Dans ces cas, l’art. 12 prévoit que le droit d’auteur sur ces œuvres appartient à la province pendant la durée qui y est prescrite. Par conséquent, la réponse à la deuxième question commune — la question déterminante quant à la demande de Keatley — était que le droit d’auteur appartient à la Couronne et que, par conséquent, il n’y a eu aucune violation du droit d’auteur.
[25] Le juge Belobaba a examiné les autres questions communes certifiées, en commençant par la troisième, qui était de savoir si la déclaration signée jointe aux plans d’arpentage au moment de l’enregistrement ou du dépôt constitue une cession du droit d’auteur à la province de l’Ontario conformément au par. 13(4) de la Loi sur le droit d’auteur. Cette déclaration atteste que le plan est conforme aux lois, règlements et normes de pratiques applicables. Comme la déclaration ne comprend aucune mention à propos du droit d’auteur ou d’une cession des droits, le juge Belobaba a conclu qu’il n’y avait eu aucune cession du droit d’auteur.
[26] La quatrième question commune consistait à savoir si les membres du groupe sont réputés avoir consenti aux utilisations que Teranet aurait fait des plans d’arpentage à la suite de l’enregistrement ou du dépôt de ces plans. En raison de la réponse à la deuxième question commune, il était inutile de se pencher sur la question du consentement ou du consentement présumé des arpenteurs. À titre de titulaire du droit d’auteur sur les plans d’arpentage, la province pouvait faire des copies des documents et les distribuer.
[27] Le juge Belobaba a répondu par l’affirmative à la cinquième question commune, qui était de savoir si Teranet a fait des plans d’arpentage l’une des prétendues utilisations. Teranet a utilisé les plans d’arpentage de toutes les façons invoquées.
[28] La sixième question commune consistait à savoir si l’une ou l’ensemble des utilisations reprochées constituait une violation du droit d’auteur. Comme le juge a répondu par l’affirmative à la deuxième question commune, et que la Couronne a un droit d’auteur sur les plans d’arpentage enregistrés et déposés, la sixième question commune ne pouvait recevoir de réponse. Il était inutile d’examiner la défense fondée sur l’« utilisation équitable ». De même, il n’était pas nécessaire de répondre à la septième question commune, qui portait sur un moyen de défense fondé sur l’ordre public pour justifier la violation du droit d’auteur, puisqu’il n’y avait aucune violation du droit d’auteur.
[29] Par conséquent, compte tenu de la réponse à la deuxième question commune, la motion en jugement sommaire de Teranet a été accueillie et le recours collectif de Keatley a été rejeté.
[30] Keatley a interjeté appel devant la Cour d’appel. Teranet a interjeté un appel incident quant aux autres questions communes. S’exprimant au nom de la Cour d’appel, le juge Doherty a indiqué qu’il n’était pas contesté qu’il existe un droit d’auteur sur les plans d’arpentage préparés par les arpenteurs puisqu’il s’agit d’œuvres artistiques au sens de l’art. 2 de la Loi sur le droit d’auteur (2017 ONCA 748, 139 O.R. (3d) 340). L’arpenteur qui prépare le plan d’arpentage est l’« auteur » de l’œuvre et le premier titulaire du droit d’auteur sur cette œuvre (Loi sur le droit d’auteur, par. 13(1)). Le juge Doherty a souligné que les arpenteurs ne sont pas tenus de déposer ou d’enregistrer les plans d’arpentage. Étant donné que les arpenteurs peuvent empêcher qu’un plan soit enregistré ou déposé, on ne saurait affirmer que Teranet a dépossédé du droit d’auteur des arpenteurs dont les plans sont enregistrés ou déposés dans le système d’enregistrement immobilier électronique.
[31] Le juge Doherty a fait observer que l’art. 12 de la Loi sur le droit d’auteur, qui s’inspire étroitement de l’art. 18 de la loi du Royaume‑Uni intitulée Copyright Act, 1911 (R.‑U.), 1 & 2 Geo. 5, c. 46, est demeuré inchangé pendant près d’un siècle. Les mots introductifs de l’art. 12, « [s]ous réserve de tous les droits ou privilèges de la Couronne », se rapportent à la prérogative de common law de la Couronne qui l’autorise à contrôler la publication de divers documents, comme les lois, et n’étaient pas utiles pour trancher l’affaire.
[32] Le juge Doherty a souscrit à l’opinion du juge Belobaba selon laquelle les plans d’arpentage n’étaient pas préparés par l’entremise, sous la direction ou la surveillance de Sa Majesté. La question qu’il fallait se poser était celle de savoir s’ils étaient publiés par l’entremise, sous la direction ou la surveillance de la Couronne. L’alinéa 2.2(1)a) de la Loi sur le droit d’auteur définit la « publication » comme la « mise à la disposition du public d’exemplaires de l’œuvre ». Selon les dispositions de la Loi sur l’enregistrement des actes et de la Loi sur l’enregistrement des droits immobiliers, Teranet est tenue de fournir des copies des plans d’arpentage au public. Il ne fait aucun doute alors que Teranet [traduction] « et, par conséquent, la Couronne » publient les plans d’arpentage lorsqu’elles mettent des copies des plans à la disposition du public (par. 31). À elle seule, la publication par la Couronne ne suffit pas à investir celle‑ci d’un droit d’auteur en vertu de l’art. 12. Au contraire, pour satisfaire aux exigences de l’art. 12, cette publication doit se faire « par l’entremise, sous la direction ou la surveillance de Sa Majesté ».
[33] Pour établir si une œuvre est publiée sous la direction ou la surveillance de la Couronne, il faut examiner la nature des droits de propriété que détient la Couronne au moment de la publication. Selon le juge Doherty, [traduction] « plus ces droits sont étendus, et plus les droits qui se rattachent au droit d’auteur sont entre les mains de la Couronne, plus il est possible d’inférer que la publication se fait sous la “direction ou la surveillance” de la Couronne » (par. 33). La nature des droits que détient la Couronne au moment de la publication repose sur une série de lois provinciales. Le juge Doherty a examiné les types de droits que ces lois accordent à la Couronne.
[34] Premièrement, les dispositions pertinentes de ces textes législatifs transfèrent à la Couronne divers droits de propriété sur les plans enregistrés ou déposés. Le plan lui‑même doit être déposé auprès d’un bureau d’enregistrement immobilier (Règl. de l’Ont. 43/96 pris sous le régime de la Loi sur l’enregistrement des actes, art. 7). Ces plans demeurent ensuite sous la garde et en la possession de la Couronne, et ils sont déclarés être « la propriété de la Couronne » (Loi sur l’enregistrement des droits immobiliers, par. 165(1); Loi sur l’enregistrement des actes, par. 18(10), 50(3)).
[35] Deuxièmement, le régime législatif assujettit à des contrôles stricts la forme et le contenu des plans d’arpentage enregistrés et déposés. L’inspecteur des arpentages est investi de larges pouvoirs l’autorisant à examiner et, si nécessaire, à modifier les plans. L’arpenteur qui a déposé le plan ne peut, sans autorisation, apporter des modifications subséquentes à celui‑ci. Ces dispositions ne constituent pas en elles‑mêmes « [une] direction ou [une] surveillance » pour l’application de l’art. 12, mais elles guident l’analyse visant à établir si leur publication se fait sous la direction ou la surveillance de la Couronne.
[36] Troisièmement, les dispositions de la Loi sur l’enregistrement des droits immobiliers et de la Loi sur l’enregistrement des actes prévoient que des copies certifiées conformes des plans doivent être mises à la disposition du public après acquittement des droits prescrits. Les dispositions législatives qui obligent la Couronne à faire des copies portent sur la nature et la portée de la surveillance qu’exerce la Couronne sur la publication des plans. Il ressort clairement du régime législatif que ce n’est pas l’auteur qui exerce une surveillance sur la production d’exemplaires de l’œuvre.
[37] Bien qu’il y ait une différence entre la garde et la surveillance et le fait d’être titulaire du droit d’auteur sur le plan, ces contrôles législatifs à l’égard des plans sont utiles pour établir si la publication subséquente des plans par la Couronne se fait sous la direction ou la surveillance de celle‑ci. Selon le juge Doherty, ce régime législatif confère à la Couronne un contrôle complet sur les plans d’arpentage enregistrés et déposés ainsi que sur la « publication » de ces œuvres au sens de l’art. 12 de la Loi.
[38] Par conséquent, la Cour d’appel a rejeté l’appel de Keatley et l’appel incident de Teranet. Elle a refusé d’examiner les autres questions communes parce que la deuxième question commune était déterminante.
[39] Keatley a interjeté appel devant notre Cour et Teranet a interjeté un appel incident afin que ses droits quant aux questions communes restantes soient préservés.
Analyse
[40] Au Canada, le droit d’auteur tire son origine de la loi, et les droits et recours que prévoit la Loi sur le droit d’auteur sont exhaustifs (Théberge c. Galerie d’Art du Petit Champlain inc., 2002 CSC 34, [2002] 2 R.C.S. 336, par. 5; CCH Canadienne Ltée c. Barreau du Haut‑Canada, 2004 CSC 13, [2004] 1 R.C.S. 339, par. 9).
[41] L’interprétation de l’art. 12 de la Loi sur le droit d’auteur est au cœur du présent pourvoi. Cette disposition est libellée comme suit :
Quand le droit d’auteur appartient à Sa Majesté
12 Sous réserve de tous les droits ou privilèges de la Couronne, le droit d’auteur sur les œuvres préparées ou publiées par l’entremise, sous la direction ou la surveillance de Sa Majesté ou d’un ministère du gouvernement, appartient, sauf stipulation conclue avec l’auteur, à Sa Majesté et, dans ce cas, il subsiste jusqu’à la fin de la cinquantième année suivant celle de la première publication de l’œuvre.
[42] L’article 12 de la Loi sur le droit d’auteur est demeuré pratiquement inchangé depuis son adoption en 1921. Son interprétation repose à la fois sur le libellé de la disposition et sur les objectifs généraux de la Loi sur le droit d’auteur.
[43] Comme l’a souligné le juge Binnie dans l’arrêt Théberge, la Loi sur le droit d’auteur vise à établir « un équilibre entre, d’une part, la promotion, dans l’intérêt du public, de la création et de la diffusion des œuvres [. . .] et, d’autre part, l’obtention d’une juste récompense pour le créateur » (par. 30). Les droits des créateurs doivent être reconnus, mais l’atteinte du juste équilibre entre ces droits et les objectifs de la Loi nécessite qu’on en restreigne la portée. Comme il l’a affirmé, « [d]’un point de vue grossièrement économique, il serait tout aussi inefficace de trop rétribuer les artistes et les auteurs pour le droit de reproduction qu’il serait nuisible de ne pas les rétribuer suffisamment » (par. 31).
[44] Dans sa jurisprudence postérieure à l’arrêt Théberge, la Cour a cherché à établir le juste équilibre entre les droits des créateurs et ceux des utilisateurs. Cet équilibre était à l’origine de la façon dont la Cour a traité l’utilisation équitable dans l’arrêt CCH, par exemple, lorsque la juge en chef McLachlin a souligné qu’« il est peut‑être plus juste de considérer [l’exception de l’utilisation équitable] comme une partie intégrante de la Loi sur le droit d’auteur plutôt que comme un simple moyen de défense. [. . .] À l’instar des autres exceptions que prévoit la Loi sur le droit d’auteur, cette exception correspond à un droit des utilisateurs » (par. 48).
[45] Dans les arrêts Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Bell Canada, 2012 CSC 36, [2012] 2 R.C.S. 326 (« SOCAN »), et Alberta (Éducation) c. Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CSC 37, [2012] 2 R.C.S. 345, la Cour a confirmé que l’utilisation équitable — et les droits des utilisateurs — doivent recevoir une interprétation large et libérale. Dans SOCAN, la Cour a souligné le rôle vital que jouent les droits des utilisateurs dans la promotion de l’intérêt public. L’accès aux « œuvres » au sens de la Loi sur le droit d’auteur et l’utilisation de celles‑ci jouent « un rôle crucial dans l’établissement d’un domaine public vigoureux sur les plans culturel et intellectuel » (par. 9‑10).
[46] L’utilisation équitable n’est, bien sûr, qu’un élément du droit canadien en matière de droit d’auteur, mais elle en constitue un élément emblématique, car elle donne un aperçu clair de l’approche générale relative au droit d’auteur appliquée au Canada — une approche qui établit un équilibre entre les droits des créateurs d’œuvres et ceux de leurs utilisateurs. Comme l’a souligné le professeur Michael Geist, le cadre relatif aux droits des utilisateurs, si essentiel au droit canadien en matière de droit d’auteur, est [traduction] « de plus en plus cité comme l’exemple type où l’accent a été mis autant sur les droits des créateurs que sur ceux des utilisateurs » (Michael Geist, « Introduction », dans Michael Geist, dir., The Copyright Pentalogy : How the Supreme Court of Canada Shook the Foundations of Canadian Copyright Law (2013), iii, p. iv). Toutes les dispositions de la Loi sur le droit d’auteur, y compris l’art. 12, doivent être interprétées à la lumière de cet équilibre, de sorte que la Loi sur le droit d’auteur continue de promouvoir l’intérêt public.
[47] Cet équilibre entre les droits des créateurs et ceux des utilisateurs doit également guider l’interprétation et la portée qu’il convient de donner à l’art. 12 de la Loi. De par sa nature et son objet sui generis, le droit d’auteur de la Couronne se prête particulièrement à l’établissement d’un équilibre entre les droits des créateurs et ceux des utilisateurs à l’intérieur même de l’art. 12.
[48] Le texte introductif de l’art. 12 — « [s]ous réserve de tous les droits ou privilèges de la Couronne » — reflète la prérogative historique de la Couronne en matière de publication. Cette prérogative se caractérise non pas par un « droit d’auteur », mais par un « droit de propriété » qui confère à la Couronne un monopole perpétuel sur l’impression de certaines œuvres (Elizabeth F. Judge, « Crown Copyright and Copyright Reform in Canada », dans Michael Geist, dir., In the Public Interest : The Future of Canadian Copyright Law (2005), 550, p. 557 (« Crown Copyright »)).
[49] L’incorporation de la prérogative de la Couronne dans la Loi sur le droit d’auteur a consacré des siècles de droit anglais et d’histoire concernant la portée de la prérogative en matière de publication. À la suite de l’invention de la presse à imprimer, l’imprimerie en Angleterre était considérée comme une question intéressant l’État. Initialement, toute l’imprimerie était réglementée par la Couronne. Au dix‑septième siècle, la prérogative de la Couronne en matière de publication était utilisée comme outil de censure visant à réprimer la [traduction] « trahison » et la « sédition » (David Vaver, Intellectual Property Law : Copyright, Patents, Trade-marks (2e éd. 2011), p. 134). La Couronne exerçait ses droits de prérogative au moyen de l’octroi, dans des lettres patentes, de licences exclusives autorisant l’impression et la publication de ces œuvres (John Gilchrist, « Origins and Scope of the Prerogative Right to Print and Publish Certain Works in England » (2011), 10 Canberra L. Rev. 139, p. 140).
[50] Les types d’œuvres à l’égard desquelles la Couronne avait traditionnellement un droit exclusif de publication à l’origine comprenaient les œuvres religieuses, les lois, les documents publics et les recueils de jurisprudence (Harold G. Fox, « Copyright in Relation to the Crown and Universities with Special Reference to Canada » (1947), 7 U.T.L.J. 98, p. 108‑116). En 1820, Joseph Chitty a cité des extraits d’un discours de lord Erskine prononcé en 1779, où il faisait valoir que la prérogative de la Couronne comprend les œuvres qui :
[traduction] . . . selon des principes justes et rationnels de gouvernement, doivent absolument appartenir au magistrat exécutif de tous les pays, à savoir le droit exclusif de publier les constitutions religieuses ou civiles — bref, de promulguer toute ordonnance par laquelle l’objet doit exister, et être régi. Elles ont toujours et, compte tenu de la nature même du gouvernement civil, doivent toujours appartenir au Souverain, et se sont donc méritées le titre de copies de prérogative.
(A Treatise on the Law of the Prerogatives of the Crown and the Relative Duties and Rights of the Subject (1820), p. 239, citant Thomas Erskine, Speeches of Lord Erskine, While at the Bar (1876), vol. 1, James L. High, dir., p. 61.)
[51] Le maintien de la prérogative de la Couronne en matière de publication se justifie notamment par la nécessité d’assurer la conservation, l’authenticité, l’exactitude et la fiabilité de certains documents, tout en conservant le pouvoir discrétionnaire de l’exécutif (R. c. Bellman, [1938] 3 D.L.R. 548 (C.S.N.‑B.) (Div. app.)); Sebastian Payne, « The Royal Prerogative », dans Maurice Sunkin et Sebastian Payne, dir., The Nature of the Crown : A Legal and Political Analysis (1999), 77, p. 87).
[52] La mention à l’art. 12 de la prérogative de la Couronne préserve ainsi la faculté historique de celle‑ci de publier certaines œuvres et de jouir de droits de propriété sur ces œuvres. Dans un certain sens, l’existence continue de la prérogative de la Couronne constitue une dérogation à la règle générale voulant que le droit d’auteur « tire [entièrement] son origine de la loi » (Théberge, par. 5). Le reste de l’art. 12 apporte un fondement législatif au droit d’auteur de la Couronne, qui continuera d’exister sur toutes les œuvres « préparées ou publiées par l’entremise, sous la direction ou la surveillance de Sa Majesté ».
[53] Des justifications et objectifs semblables valent pour le droit d’auteur que la loi confère à la Couronne : protéger les œuvres préparées ou publiées sous la surveillance de la Couronne lorsque cela est nécessaire pour en garantir l’authenticité, l’exactitude et l’intégrité dans l’intérêt public (voir Judge, « Crown Copyright », p. 553; David Vaver, « Copyright and the State in Canada and the United States » (1996), 10 I.P.J. 187; Judy Erola et Francis Fox, De Gutenberg à Télidon : Livre blanc sur le droit d’auteur : Propositions en vue de la révision de la Loi canadienne sur le droit d’auteur (1984), p. 71).
[54] Cependant, la portée du droit d’auteur de la Couronne ne peut être étendue au point de permettre à celle‑ci de s’approprier systématiquement le droit d’auteur des créateurs sur leurs œuvres. Ainsi que l’a souligné la Cour dans l’arrêt Théberge, l’autre élément dans l’équilibre visé par la Loi sur le droit d’auteur est « l’obtention d’une juste récompense pour le créateur ». Il y a aussi un risque que le droit d’auteur de la Couronne mine l’objet même qu’il est censé viser s’il est interprété trop largement. Étendre la portée du droit d’auteur de la Couronne à des catégories d’œuvres, alors que ces œuvres ne sont pas reconnues comme étant visées par un quelconque droit d’auteur, risque de porter atteinte à l’intérêt qu’a le public à avoir accès à ces œuvres et de compromettre l’existence d’un domaine public solide (voir, p. ex., Barry Torno, Le droit d’auteur de la Couronne au Canada : un héritage embrouillé (1981), sommaire du rapport). En d’autres termes, l’intérêt public à ce que la Couronne assure l’exactitude et l’intégrité des documents du gouvernement ne saurait mener à un régime de droit d’auteur de la Couronne large au point de porter atteinte à l’intérêt qu’a le public à l’accès à l’information.
[55] L’article 12 de la Loi sur le droit d’auteur, irrévérencieusement décrit comme étant une [traduction] « monstruosité législative » caractérisée par une « formulation exécrable » (Torno, Le droit d’auteur de la Couronne au Canada, p. 53[3]), n’a reçu que peu d’attention des tribunaux. Les auteurs et praticiens spécialistes du droit d’auteur se sont toutefois exprimés sur la portée et l’application de cette disposition. Dans son ouvrage rédigé en 1947, Harold G. Fox a cité l’actuel art. 12 (l’ancien art. 11), faisant remarquer :
[traduction] Par conséquent, lorsque l’œuvre est préparée sous la direction ou la surveillance de la Couronne ou d’un ministère du gouvernement, le droit d’auteur est immédiatement dévolu à celle‑ci jusqu’à la publication, quelle que soit la date, et il subsiste pendant cinquante ans suivant la publication. Lorsque l’œuvre est préparée de manière indépendante, mais publiée ensuite par l’entremise, sous la direction ou la surveillance de la Couronne ou d’un ministère du gouvernement, le droit d’auteur appartient à l’auteur jusqu’à la publication suivant laquelle le droit d’auteur sera automatiquement dévolu à la Couronne et ce, pendant les cinquante ans suivant la publication. Dans le cas d’une œuvre préparée par l’entremise ou sous la surveillance de la Couronne ou d’un ministère du gouvernement, le droit d’auteur est dévolu à celle‑ci même en dépit de l’existence ou non d’un contrat de louage de service, qui est normalement requis en matière d’emploi aux termes de l’al. 12b) [maintenant par. 13(3)].
(« Copyright in Relation to the Crown », p. 105)
[56] Le docteur Fox a ensuite exposé son point de vue sur la portée de l’art. 12 :
[traduction] La Couronne est titulaire du droit d’auteur sur une œuvre pourvu qu’elle soit publiée par son entremise, sous sa direction ou sa surveillance. À moins d’une entente conclue avec l’auteur, le droit d’auteur sur une œuvre appartient à la Couronne simplement du fait qu’elle assume les frais de sa publication ou, même si elle ne paie pas pour la publication, du fait que l’œuvre est publiée sous la direction ou la surveillance de la Couronne ou d’un ministère du gouvernement. Ce principe déroge à la règle habituelle en matière de propriété du droit d’auteur, car la loi prévoit de façon générale que l’auteur est le premier titulaire de ce droit. [. . .] [D]ans le cas d’œuvres préparées pour la Couronne ou pour un ministère du gouvernement ou publiées par l’entremise de ceux‑ci, aucun contrat de louage de service n’est nécessaire pour conférer à la Couronne le droit d’auteur. [Notes en bas de page omises; p. 125.]
[57] Dans la plus récente édition de son ouvrage intitulé Fox Canadian Law of Copyright and Industrial Designs (4e éd. (feuilles mobiles)), p. 18-12, John S. McKeown affirme que l’art. 12 de la Loi s’applique à deux situations différentes :
[traduction] Premièrement, lorsque les œuvres sont préparées sous la direction ou la surveillance de la Couronne ou d’un ministère du gouvernement, le droit d’auteur appartient à la Couronne . . .
Deuxièmement, lorsque les œuvres sont préparées de manière indépendante, mais ensuite publiées par l’entremise ou sous la surveillance de la Couronne ou d’un ministère du gouvernement . . .
[58] Les professeurs David Vaver et Elizabeth Judge, respectivement, ont formulé des commentaires sur l’incertitude entourant la portée de l’art. 12. Le professeur Vaver a souligné [traduction] « l’ampleur [. . .] remarquable » qui peut être donnée à l’art. 12 (« Copyright and the State », p. 190). Dans son ouvrage Intellectual Property Law, il a affirmé ce qui suit :
[traduction] Les problèmes que soulevait la disposition britannique équivalente ont conduit à son remplacement en 1988. Au Canada, il demeure difficile de décider à quel moment une œuvre est produite sous « la direction ou la surveillance » du gouvernement. Ces termes reçoivent généralement une interprétation restrictive — à raison, étant donné que cette disposition déroge au principe bien établi selon lequel l’auteur est le premier titulaire du droit d’auteur sur l’œuvre qu’il crée. Pour que le gouvernement en soit le titulaire, la production de l’œuvre doit être le principal objet, et non une conséquence accessoire, de la direction ou de la surveillance du gouvernement. Il y a « direction ou surveillance » uniquement si le gouvernement prescrit la manière dont l’œuvre doit être réalisée, et non s’il peut simplement accepter une œuvre volontairement produite conformément aux exigences de la loi sur la forme et le contenu. Le fait que le gouvernement puisse exiger des modifications ou empêcher la publication, ou refuser de reconnaître l’œuvre pour quelque raison que ce soit, ne signifie pas qu’elle est assujettie à sa direction ou sa surveillance. [Notes en bas de page omises; p. 134.]
[59] La professeure Elizabeth Judge a expliqué que [traduction] « l’objet exact du droit d’auteur de la Couronne est malheureusement obscur » (« Crown Copyright », p. 556). Elle fait les observations suivantes :
[traduction] [L]’article 12 s’applique aux œuvres préparées ou publiées sous la direction et la surveillance de la Couronne ou d’un ministère du gouvernement. À défaut d’un accord contractuel stipulant que l’auteur de l’œuvre est le titulaire du droit d’auteur, le droit d’auteur sur cette œuvre appartient au gouvernement. Il s’agit de l’une des exceptions à la présomption générale, selon les lois en matière de droit d’auteur, voulant que l’auteur d’une œuvre soit le premier titulaire du droit d’auteur sur cette œuvre. Par exemple, lorsqu’un fonctionnaire rédige un rapport dans le cadre de ses fonctions habituelles, le droit d’auteur appartient au gouvernement à moins d’une convention contraire. De même, lorsqu’un entrepreneur indépendant rédige un rapport « sous la direction ou la surveillance » du gouvernement, le droit d’auteur appartient au gouvernement. [Note en bas de page omise; ibid.]
[60] Il est important de souligner que le par. 13(3) de la Loi indique que l’employeur est le premier titulaire du droit d’auteur sur une œuvre produite par un employé dans l’exercice de cet emploi, ou par une autre personne employée en vertu d’un contrat de louage de service[4]. Il s’ensuit que la Couronne sera titulaire du droit d’auteur sur les œuvres exécutées par ses employés dans l’exercice de leur emploi. Comme le par. 13(3) s’applique généralement seulement si l’auteur est un employé, et non un pigiste ou un entrepreneur indépendant, il faut appliquer les principes du droit du travail pour savoir si c’est l’employeur qui possède le droit d’auteur. Le rapport entre les parties doit être analysé pour établir si l’auteur est un entrepreneur indépendant ou s’il a agi sous la surveillance de celui qui le rémunère (Intellectual Property Law, p. 125).
[61] Voilà pourquoi certains observateurs laissent entendre qu’étant donné l’application de l’art. 12 de la Loi, les entrepreneurs indépendants peuvent avoir différents droits de propriété intellectuelle vis‑à‑vis de la Couronne qu’ils auraient eus vis‑à‑vis d’un autre « employeur ». Selon la théorie de la Cour d’appel de la Nouvelle‑Zélande, le précurseur de l’art. 12 — l’art. 18 de la Copyright Act, 1911 (R.‑U.) — a été adopté notamment pour [traduction] « établir une disposition particulière visant les œuvres rédigées par les fonctionnaires, étant donné que ceux‑ci occupaient traditionnellement leur poste à titre amovible, et non en vertu d’un contrat de louage de service » (Land Transport Safety Authority of New Zealand c. Glogau, [1999] 1 N.Z.L.R. 261, p. 273).
[62] Tous ces éléments ont mené les parties au présent pourvoi à adopter deux points de vue opposés relativement au droit d’auteur de la Couronne. Keatley plaide en faveur d’une interprétation de l’art. 12 qui, dans les faits, ne s’appliquerait qu’aux œuvres préparées par l’entremise, sous la direction ou la surveillance de Sa Majesté. L’article 12 serait assimilable à une disposition de type « œuvre sur commande ». En revanche, Teranet propose de donner à l’art. 12 une interprétation qui permettrait à toute œuvre d’être visée par le droit d’auteur de la Couronne du seul fait que celle‑ci la publie sur ou dans une plateforme. Soit dit en tout respect, la juste interprétation se situe entre ces deux extrêmes.
[63] Selon l’article 12, la Couronne est titulaire du droit d’auteur sur les œuvres préparées ou publiées par son entremise, sous sa direction ou sa surveillance. La notion de direction ou de surveillance du gouvernement sur une œuvre et la portée de celle‑ci revêt une importance cruciale pour déterminer si le droit d’auteur de la Couronne existe. Comme c’est le cas dans la Loi sur le droit d’auteur en général, l’« œuvre » est la pierre angulaire de l’art. 12. Même s’il est vrai que l’art. 12 comporte deux volets — le volet relatif à la préparation et celui relatif à la publication —, ces deux « volets » se distinguent uniquement dans la mesure où la préparation et la publication sont différents processus. Dans son ensemble, l’examen de l’art. 12 vise à établir si la Couronne exerce sur la préparation ou la publication de l’œuvre un degré de direction ou de surveillance suffisant pour que lui soit dévolu le droit d’auteur. Bien que la façon d’évaluer si ce degré voulu de direction ou de surveillance est présent varie nécessairement selon que le droit d’auteur de la Couronne est revendiqué sur la base de la préparation ou de la publication, la principale question demeure la suivante : la Couronne a‑t‑elle exercé une direction ou une surveillance suffisante, conformément aux objectifs du droit d’auteur de celle‑ci, pour qu’on puisse dire que le droit d’auteur de la Couronne existe?
[64] Lorsque j’évalue d’abord à quel moment on peut dire qu’une œuvre a été préparée par l’entremise de la Couronne au sens de l’art. 12, il me semble que deux situations se dégagent de façon générale. Une œuvre est préparée par l’entremise de la Couronne lorsqu’un de ses agents ou fonctionnaires crée l’œuvre pour elle ou en son nom dans le cadre de son emploi. Dans un tel cas, la Couronne — y compris ses agents et employés — exerce la direction et la surveillance ultimes sur la création de cette œuvre.
[65] De même, une œuvre est préparée sous la direction ou la surveillance de la Couronne au sens de l’art. 12 lorsque celle‑ci décide essentiellement si elle réalisera une telle œuvre et de quelle façon elle le fera. Dans un tel cas, le droit d’auteur de la Couronne existe même si elle n’en est pas l’« auteur » car c’est elle qui exerce la direction ou la surveillance sur la création de l’œuvre. De cette façon, les œuvres produites par des entrepreneurs indépendants qui exécutent des commandes de la Couronne, selon lesquelles celle‑ci exerce la direction ou la surveillance sur la création de l’œuvre, seront assujetties au droit d’auteur de la Couronne. Comme l’indiquent les juges Belobaba et Doherty dans leurs motifs, le volet « préparation » de l’art. 12 ne s’applique pas aux situations où la Couronne ne fait qu’imposer des exigences ou des consignes formelles quant à la manière dont l’œuvre doit être créée. Je suis du même avis que le professeur Vaver : une œuvre est préparée sous la direction ou la surveillance de la Couronne seulement si [traduction] « la production de l’œuvre [constitue] l’objet principal, et non une conséquence accessoire, de la direction ou de la surveillance du gouvernement » (Intellectual Property Law, p. 134).
[66] Cette interprétation du sens du mot « préparé » cadre avec les principes généraux entourant la propriété du droit d’auteur énoncés ailleurs dans la Loi, plus particulièrement au par. 13(3), qui prévoit que le droit d’auteur sur les œuvres produites par des employés dans l’exercice de leur emploi est dévolu à l’employeur. Bien que la Couronne soit déjà titulaire du droit d’auteur sur les œuvres que produisent ses employés dans l’exercice de leur emploi, le volet « préparation » de l’art. 12 élargit ce droit aux œuvres produites par des entrepreneurs indépendants dans des circonstances où la Couronne exerce une direction ou une surveillance suffisante. Dans les deux cas, la Couronne exerce une direction et une surveillance à la fois sur la personne qui prépare l’œuvre et sur l’œuvre qui est ultimement préparée.
[67] L’évaluation de la direction ou de la surveillance qu’exerce la Couronne est d’autant plus importante lorsqu’il s’agit de savoir si l’œuvre a été publiée par l’entremise de la Couronne au sens de l’art. 12. Le simple fait de rendre l’œuvre d’une autre personne accessible au public ne suffit pas. Ce point est important car, contrairement au volet « préparation », le volet « publication » — si on l’interprète libéralement — déroge profondément au régime général de la Loi, qui confère le droit d’auteur à l’auteur de l’œuvre. Par conséquent, la juste portée devrait être conceptuellement symétrique à l’approche adoptée pour le volet « préparation ». Tout comme la Couronne doit faire en sorte que l’œuvre soit créée pour que le volet relatif à la préparation s’applique, l’œuvre ne sera publiée par l’entremise, sous la direction ou la surveillance de la Couronne que lorsqu’on peut affirmer qu’elle exerce une direction ou une surveillance sur le processus de publication, notamment sur la personne publiant l’œuvre de même que sur la nature, la forme et le contenu de la version définitive publiée de l’œuvre.
[68] À l’instar du juge Doherty, j’estime que pour savoir si la direction ou la surveillance du gouvernement sur la publication d’une œuvre est suffisante pour l’application de l’art. 12, il faut examiner l’intérêt de la Couronne sur cette œuvre au moment de la publication car cet intérêt démontre le degré de direction ou de surveillance exercé par celle‑ci sur le processus de publication. Tout comme dans le cas du volet « préparation », la Couronne doit exercer une direction ou une surveillance sur ce processus de publication, que les œuvres soient publiées « par l’entremise » de la Couronne elle‑même ou par un tiers sous la « direction ou la surveillance » de la Couronne.
[69] Pour décider si une œuvre a été publiée « par l’entremise » de la Couronne pour l’application de l’art. 12, il peut être utile de se reporter aux indices pertinents de direction ou de surveillance gouvernementale, comme la présence d’un régime législatif qui transfère les droits de propriété sur les œuvres à la Couronne; un régime législatif qui prévoit un encadrement strict quant à la forme et au contenu de l’œuvre; la réponse à la question de savoir si la Couronne a la possession physique de l’œuvre; la réponse à la question de savoir si le gouvernement est investi du pouvoir exclusif de modifier l’œuvre; le caractère optionnel du régime législatif; et la nécessité que la Couronne mette l’œuvre à la disposition du public. On pourra affirmer que le droit d’auteur de la Couronne existe au sens de l’art. 12 uniquement lorsque le gouvernement exerce une direction ou une surveillance suffisante sur le processus de publication.
[70] Ces mêmes facteurs sont utiles lors de l’analyse de la question de savoir si une œuvre est publiée « sous la direction ou la surveillance » de la Couronne lorsqu’un tiers participe au processus de publication. Si c’est un tiers qui se charge de la publication proprement dite, cependant, il faudra aussi examiner la direction ou la surveillance exercée par la Couronne sur ce tiers qui effectue la publication.
[71] En conséquence, au regard des deux volets de l’art. 12 — soit la préparation et la publication —, il faudra toujours se demander si la direction ou la surveillance du gouvernement sur la préparation ou la publication de l’œuvre est suffisamment importante pour que le droit d’auteur soit dévolu à la Couronne. Les volets relatifs à la préparation et à la publication de l’analyse fondée sur l’art. 12 s’accordent l’un avec l’autre : les deux nécessitent un examen du degré de direction ou de surveillance exercé par la Couronne sur la personne qui prépare ou publie l’œuvre de même que sur l’œuvre en cours de préparation ou de publication. Même si l’examen peut varier, la tâche fondamentale est la même : il faut mesurer le degré de direction ou de surveillance qu’a exercé la Couronne pour faire en sorte que l’œuvre soit créée ou diffusée.
[72] L’article 12 s’applique‑t‑il de manière à conférer à la Couronne le droit d’auteur sur les plans d’arpentage enregistrés ou déposés? Encore une fois, j’adhère à l’opinion des juges Belobaba et Doherty selon laquelle ces plans d’arpentage ne sont pas préparés par l’entremise, sous la direction ou la surveillance de la Couronne. Le juge des motions a fait remarquer que les plans d’arpentage sont généralement préparés à la demande de clients relevant du secteur privé qui passent un contrat avec l’arpenteur. La Couronne ne décide pas si les plans d’arpentage sont faits ou non. Ces plans ne sont pas préparés par l’entremise, sous la direction ou la surveillance de la Couronne.
[73] Nous voici maintenant au cœur du présent pourvoi : la publication. La question qui se pose est la suivante : les plans d’arpentage enregistrés et déposés sont‑ils publiés par l’entremise, sous la direction ou la surveillance de la Couronne? La réponse à cette question exige un examen du degré de direction ou de surveillance que la Couronne exerce sur le processus de publication aboutissant à l’œuvre publiée.
[74] Ainsi que l’a énoncé le juge Doherty, la nature et la portée de la direction et de la surveillance qu’exerce la Couronne sont influencées par le régime législatif exhaustif d’enregistrement immobilier de l’Ontario. Conformément aux dispositions de la Loi sur l’enregistrement des actes et de ses règlements, le plan d’arpentage doit être déposé au bureau d’enregistrement immobilier (Règl. de l’Ont. 43/96 pris en vertu de la Loi sur l’enregistrement des actes, art. 7). Une fois qu’ils sont produits, enregistrés ou déposés, les plans doivent généralement demeurer en la garde et possession exclusives de la Couronne, et ces plans sont « la propriété de la Couronne » (Loi sur l’enregistrement des droits immobiliers, par. 165(1); Loi sur l’enregistrement des actes, par. 18(10) et 50(3)). Le régime législatif applicable à l’enregistrement immobilier prévoit en outre un encadrement strict quant à la forme et au contenu des plans d’arpentage enregistrés et déposés (voir le Règl. de l’Ont. 43/96, par. 5(1)), où il est indiqué que les plans présentés à l’enregistrement ou au dépôt doivent être conformes aux dispositions de la Loi sur l’enregistrement des actes, de la Loi sur l’enregistrement des droits immobiliers, de la Loi sur l’arpentage, L.R.O. 1990, c. S.30, et de la Loi sur les arpenteurs‑géomètres).
[75] Ce régime législatif exige également que l’Ontario permette au public d’obtenir des copies des plans d’arpentage enregistrés ou déposés après acquittement des droits exigés (voir, p. ex., Loi sur l’enregistrement des droits immobiliers, par. 165(4); Loi sur l’enregistrement des actes, par. 17(4)). Le droit de reproduire des œuvres est certes l’un des éléments essentiels du droit d’auteur (Théberge, par. 42). Les dispositions législatives qui confèrent à la Couronne le droit de surveiller la reproduction indiquent que celle‑ci possède un vaste pouvoir de surveillance sur le processus de publication. Seule la Couronne peut exercer une surveillance à l’égard de la diffusion des plans d’arpentage enregistrés et déposés; aucun plan ne peut être présenté à l’enregistrement ou au dépôt s’il comporte des notes, mots ou symboles indiquant une restriction quelconque du droit d’en faire ou d’en distribuer des copies (Règl. de l’Ont. 43/96, al. 9(1)e)).
[76] Comme nous l’avons vu en ce qui concerne le moment où il est possible d’affirmer qu’une œuvre est préparée par la Couronne, et comme l’a indiqué le juge Doherty, les dispositions législatives régissant le contenu et la forme d’une œuvre ne suffisent pas pour conférer le droit d’auteur à la Couronne. Toutefois, ces règles détaillées qui s’appliquent au contenu et à la forme témoignent de la surveillance qu’exerce la Couronne sur la publication de la version officielle publiée des plans d’arpentage.
[77] Il est particulièrement révélateur que la Couronne ait le pouvoir de modifier le contenu des plans d’arpentage une fois qu’ils sont enregistrés ou déposés. Du moment qu’un arpenteur dépose un plan, seul l’inspecteur des arpentages peut le modifier ou le corriger. Une personne autre que l’arpenteur qui a créé le plan peut aussi demander à l’inspecteur d’apporter un changement au plan enregistré ou déposé. Les pouvoirs de l’inspecteur des arpentages suivant l’enregistrement reflètent l’important degré de direction et de surveillance du gouvernement dans le processus de publication. C’est à la Couronne, et non à l’arpenteur, qu’il appartient ultimement de veiller à ce que les plans d’arpentage soient conformes à toutes les lignes directrices pertinentes établies par la loi, et à ce qu’ils soient exacts, fiables et officiels. Comme l’a fait observer le juge Doherty, [traduction] « la logique [. . .] donne fortement à penser que le pouvoir exclusif de modifier un document, même si l’auteur n’est pas informé de la modification ou ne l’a pas approuvée, est un solide indice de surveillance » (par. 38).
[78] Pris dans sa globalité, le régime provincial d’enregistrement immobilier donne à la Couronne le contrôle complet sur le processus de publication. La Couronne a des droits de propriété sur les plans, ainsi que la garde et la surveillance des plans matériels. Le régime législatif veille à ce que la direction et la surveillance du format et du contenu des plans enregistrés soient exercées par la Couronne. Fait important, cette surveillance se poursuit après l’enregistrement ou le dépôt. Seule la Couronne, par l’entremise de l’inspecteur des arpentages, peut modifier le contenu des plans, et seule la Couronne exerce une surveillance permanente sur le processus de publication et en est responsable, ce qui comprend la forme définitive de l’œuvre. De même, c’est la Couronne qui — par une loi validement adoptée — a le pouvoir exclusif de faire des copies des plans d’arpentage enregistrés et déposés.
[79] Dans son ensemble, le régime démontre l’étendue de la direction ou de la surveillance qu’exerce la Couronne sur le processus de publication. Les droits normalement accordés au créateur d’une œuvre, y compris le droit de la modifier et d’en faire des copies, sont plutôt dévolus à la Couronne. Celle‑ci exerce une direction et une surveillance sur chacun des aspects de la publication des plans d’arpentage enregistrés et déposés. Compte tenu de l’étendue de cette direction et surveillance, le droit d’auteur est dévolu à la Couronne en application de l’art. 12 de la Loi une fois que les plans d’arpentage enregistrés ou déposés sont publiés. Lorsque c’est la Couronne qui publie les œuvres en les mettant à la disposition du public par l’entremise des bureaux d’enregistrement immobilier, les œuvres sont publiées « par l’entremise » de la Couronne au sens de l’art. 12.
[80] Ces mêmes indices de direction et de surveillance entourant l’œuvre publiée valent lorsque Teranet publie les plans d’arpentage enregistrés ou déposés en les mettant à la disposition du public sur Teraview ou GeoWarehouse. Pour décider si Teranet, un tiers, publie l’œuvre sous la direction ou la surveillance de la Couronne, il faut aussi examiner la nature de la relation entre Teranet et la Couronne. Comme je l’ai expliqué précédemment, Teranet agit conformément aux modalités des contrats de mise en œuvre et de licence conclus avec l’Ontario (Loi de 2010 sur les services d’enregistrement immobilier électronique, ann. 6). Teranet n’est pas autorisée à agir au‑delà des paramètres énoncés dans les accords qu’elle conclut avec la Couronne ou des dispositions du régime législatif, résumé ci‑dessus. Par conséquent, lorsque c’est Teranet qui publie les œuvres en les mettant à la disposition du public sur Teraview ou GeoWarehouse, cette publication se fait sous la « direction ou la surveillance » de la Couronne.
[81] Lorsque la Couronne ou Teranet publie les plans d’arpentage enregistrés ou déposés, le droit d’auteur est dévolu à la Couronne parce qu’elle exerce une direction ou une surveillance sur le processus de publication, ce qui comprend à la fois celui qui effectue la publication et la publication qui en découle. Bien que le critère énoncé à l’art. 12 soit strict, il y est nettement satisfait en l’espèce au vu des faits.
[82] Il importe également de signaler que la conclusion susmentionnée favorise l’atteinte des objectifs qui sous‑tendent le droit d’auteur de la Couronne. Fait marquant en l’espèce, les plans d’arpentage enregistrés et déposés dans le système d’enregistrement immobilier sont censés être utilisés par les membres du public pour qu’ils déterminent leurs droits de propriété et obligations. C’est justement pour cette raison que la Couronne a décidé de créer un seul registre faisant autorité. Il s’agit précisément des types d’œuvre sur lesquels le droit d’auteur de la Couronne devrait exister — ceux dont la Couronne doit assurer l’authenticité, l’exactitude et l’intégrité dans l’intérêt public.
[83] J’ouvre une parenthèse pour souligner que seuls les plans d’arpentage enregistrés ou déposés auprès du bureau d’enregistrement immobilier sont assujettis à la direction ou la surveillance de la Couronne. Si les plans ne sont pas enregistrés ou déposés, l’art. 12 ne s’applique pas. Comme l’a affirmé le juge Doherty de la Cour d’appel, les arpenteurs ne sont pas tenus de déposer ou d’enregistrer les plans d’arpentage dans le système d’enregistrement immobilier. Ils peuvent prendre un certain nombre de mesures afin d’empêcher l’enregistrement ou le dépôt. L’article 12 ne s’applique que pour conférer à la Couronne le droit d’auteur sur les plans d’arpentage enregistrés ou déposés, publiés dans le cadre d’un régime gouvernemental optionnel.
[84] Devant le juge Belobaba, Keatley a « apparemment » soutenu qu’il n’y avait eu aucune violation du droit d’auteur sous l’ancien régime sur papier d’enregistrement des actes. Seule l’intervention de Teranet, une tierce entité à but lucratif, a entraîné la violation du droit d’auteur des arpenteurs. Keatley a repris ce point devant la Cour d’appel, mais a aussi fait valoir qu’il y avait eu violation du droit d’auteur sous l’ancien régime sur support papier, mais qu’elle était moins flagrante. Plusieurs observations s’imposent relativement à ces arguments.
[85] En sa qualité de titulaire du droit d’auteur sur les plans d’arpentage, la Couronne est libre d’assujettir à une licence l’utilisation des œuvres de la manière qu’elle juge indiquée, notamment en permettant à Teranet d’avoir accès aux plans d’arpentage enregistrés ou déposés, de les publier et d’en faire des copies en vertu d’un accord de licence conclu avec l’Ontario. Le choix de l’Ontario de confier à Teranet la gestion du système d’enregistrement immobilier électronique est appuyé par une loi dûment adoptée et par des contrats de licence valides. Les frais facturés par Teranet sont prescrits par la loi. Comme l’a dit succinctement le juge Belobaba, [traduction] « [l]a province avait parfaitement le droit de faire ce qu’elle a fait » (par. 20).
[86] Il n’y a eu aucune réclamation pour violation du droit d’auteur sous l’ancien régime d’enregistrement immobilier sur support papier. Bien qu’il ne soit pas nécessaire pour les besoins du présent pourvoi d’établir s’il y a eu violation du droit d’auteur sous ce régime, il me semble que la Couronne exerçait un degré de direction et de surveillance similaire. Le fait pour l’Ontario d’utiliser de nouvelles technologies post‑numérisation ne change pas, à mon avis, l’analyse de la question de savoir si la Couronne est titulaire du droit d’auteur en application de l’art. 12 de la Loi. En fait, le principe de la neutralité technologique exige qu’une telle utilisation ne change pas l’analyse de cette question.
[87] La Cour a maintes fois souligné que la neutralité technologique constitue un principe fondamental du droit en matière de droit d’auteur, lequel vise « l’application uniforme de la Loi sur le droit d’auteur peu importe le support ou son degré d’avancement technologique » (SOCAN, par. 43, citant Robertson c. Thomson Corp., 2006 CSC 43, [2006] 2 R.C.S. 363, par. 49). La neutralité technologique exige « que la Loi sur le droit d’auteur s’applique uniformément aux supports traditionnels et aux supports plus avancés sur le plan technologique » (Entertainment Software Association c. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2012 CSC 34, [2012] 2 R.C.S. 231 (« ESA »), par. 5 (je souligne)).
[88] En d’autres termes, il n’y a pas lieu d’interpréter ou d’appliquer la Loi sur le droit d’auteur d’une manière qui favorise une forme de technologie ou qui crée une distinction entre différentes formes de technologie (ESA, par. 5; Robertson, par. 49; Société Radio‑Canada c. SODRAC 2003 Inc., 2015 CSC 57, [2015] 3 R.C.S. 615, par. 66). Dans l’arrêt ESA, par exemple, la Cour s’est fondée sur le principe de la neutralité technologique pour conclure qu’« il n’y a aucune différence d’ordre pratique entre acheter un exemplaire durable de l’œuvre en magasin, recevoir un exemplaire par la poste ou télécharger une copie identique sur le Web. Internet ne représente qu’un taxi technologique assurant la livraison d’une copie durable de la même œuvre à l’utilisateur » (par. 5).
[89] J’estime qu’un raisonnement semblable s’applique en l’espèce. Il n’y a aucune différence d’ordre pratique entre obtenir la copie d’un plan d’arpentage enregistré ou déposé auprès d’un bureau physique d’enregistrement immobilier ou par l’intermédiaire de Teraview ou de GeoWarehouse. Et, comme nous l’avons souligné, l’Ontario était parfaitement en droit, en sa qualité de titulaire du droit d’auteur, de conclure des accords de licence avec Teranet. Étant donné que le droit d’auteur appartient à la Couronne en application de l’art. 12 de la Loi sur le droit d’auteur, il n’y a aucune violation dans le cadre du système d’enregistrement électronique.
[90] Je tiens à faire une dernière remarque sur l’art. 12. Cette disposition est centenaire. Comme c’est la première fois que la Cour examine sa portée, nous avons délibérément tenu compte de l’évolution de la jurisprudence des dernières décennies en matière de droit d’auteur. Le législateur peut certes envisager de la mettre à jour à sa guise, de la manière qu’il juge indiquée, dans le cadre de sa révision actuelle.
[91] Je suis d’avis de rejeter le pourvoi. Il n’est donc pas nécessaire de trancher l’appel incident de Teranet. Je n’adjugerais aucuns dépens compte tenu des questions jurisprudentielles inédites en jeu.
Version française des motifs du juge en chef Wagner et des juges Côté et Brown rendus par
[92] Les juges Côté et Brown — Nous avons lu les motifs de notre collègue. Nous convenons que le pourvoi de Keatley devrait être rejeté puisque le droit d’auteur sur les plans d’arpentage enregistrés ou déposés auprès du bureau de la publicité foncière appartient à la province de l’Ontario conformément à l’art. 12 de la Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. 1985, c. C‑42. Cependant, nous sommes en désaccord avec son interprétation de l’art. 12.
[93] Nous ne retenons que l’exposé sommaire des faits et l’historique procédural que présente notre collègue (par. 2‑39).
[94] L’article 12 de la Loi sur le droit d’auteur est ainsi libellé :
12 Sous réserve de tous les droits ou privilèges de la Couronne, le droit d’auteur sur les œuvres préparées ou publiées par l’entremise, sous la direction ou la surveillance de Sa Majesté ou d’un ministère du gouvernement, appartient, sauf stipulation conclue avec l’auteur, à Sa Majesté et, dans ce cas, il subsiste jusqu’à la fin de la cinquantième année suivant celle de la première publication de l’œuvre.
[95] L’interprétation statutaire consiste à dégager l’intention du Parlement en examinant les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’économie et l’objet de la loi (Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, par. 21; Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 R.C.S. 559, par. 26, citant tous deux E. Driedger, Construction of Statutes (2e éd. 1983), p. 87).
[96] À première vue, le sens ordinaire et grammatical du libellé de l’art. 12 semble clair : le droit d’auteur sur « les œuvres » est dévolu à la Couronne lorsque celle‑ci prépare ou publie les œuvres, ou lorsqu’un tiers prépare ou publie les œuvres sous la direction ou la surveillance de la Couronne. Cependant, les principes d’interprétation statutaire nous indiquent que la discussion ne s’arrête pas là. Dans l’arrêt Rizzo, la Cour a reconnu que « le législateur ne peut avoir voulu des conséquences absurdes », et que l’interprétation est « absurde » si elle « v[a] à l’encontre de la fin d’une loi ou en ren[d] un aspect inutile ou futile » (Rizzo, par. 27; citant R. Sullivan, Driedger on the Construction of Statutes (3e éd. 1994), p. 88).
[97] Ce point revêt une grande importance ici, car une interprétation littérale de l’art. 12 conférerait à la Couronne un droit d’auteur d’une portée excessive qui écarterait l’équilibre délicat que le Parlement a établi entre les droits des créateurs et ceux des utilisateurs (voir Théberge c. Galerie d’Art du Petit Champlain inc., 2002 CSC 34, [2002] 2 R.C.S. 336, par. 30‑31). Plus précisément, une interprétation littérale conférerait en effet à la Couronne le pouvoir de déposséder des créateurs indépendants de leur droit d’auteur sur toute œuvre protégeable simplement en publiant l’œuvre elle‑même ou en la faisant publier par un tiers. Par exemple, la Couronne pourrait publier un exemplaire du roman Le monde de Barney sur un site Web du gouvernement, dépossédant Mordecai Richler de son droit d’auteur pour ainsi se l’approprier. Ce résultat, manifestement absurde, saperait gravement l’équilibre préservé par la Loi sur le droit d’auteur entre les droits des utilisateurs et ceux des créateurs ainsi que le concept d’une juste récompense pour les créateurs, et ce, en faisant peu pour accroître l’intérêt du public pour la diffusion des œuvres. C’est sur ce fondement que nous convenons avec notre collègue que « la portée du droit d’auteur de la Couronne ne peut être étendue au point de permettre à celle‑ci de s’approprier systématiquement le droit d’auteur des créateurs sur leurs œuvres » (motifs de la juge Abella, par. 54).
[98] Chacun des tribunaux de juridiction inférieure a reconnu l’absurdité découlant d’une interprétation littérale de l’art. 12 qui ferait en sorte que le droit d’auteur appartient à la Couronne lorsqu’une œuvre a tout simplement été « publié[e] par l’entremise de » la Couronne, et chacun a expressément rejeté cette interprétation (motifs de la C.S., 2016 ONSC 1717, 131 O.R. (3d) 703, par. 37; motifs de la C.A., 2017 ONCA 748, 139 O.R. (3d) 340, par. 32). Comme solution, ils ont choisi d’ignorer la nature disjonctive de l’expression « la direction ou la surveillance » et de ne tenir compte que du degré de surveillance exercé par le gouvernement sur les œuvres elles‑mêmes. Notre collègue a adopté une interprétation semblable de l’art. 12 selon laquelle la Couronne doit exercer un degré suffisant « de direction ou de surveillance » sur le processus de publication, y compris sur l’œuvre elle‑même. À notre humble avis, toutefois, cette interprétation exclut certaines parties de l’art. 12 et dénature ce qu’il en reste.
[99] Nous interprétons l’expression « préparées ou publiées par l’entremise, sous la direction ou la surveillance » de la Couronne selon son sens ordinaire. Cependant, afin d’éviter le résultat absurde qu’entraîne une interprétation littérale de l’ensemble de l’art. 12, nous sommes d’avis d’adopter une interprétation selon laquelle le droit d’auteur sur une œuvre est dévolu à la Couronne lorsque l’œuvre est « préparé[e] ou publié[e] par l’entremise, sous la direction ou la surveillance » de la Couronne et que l’œuvre est une œuvre gouvernementale. Une œuvre gouvernementale est une œuvre qui sert un objectif public, objectif dont la réalisation est facilitée par le fait que le droit d’auteur est dévolu à la Couronne. Cette interprétation respecte dûment le libellé de l’art. 12, les objectifs du droit d’auteur de la Couronne et l’équilibre qu’a établi le Parlement en adoptant la Loi sur le droit d’auteur.
[100] Puisqu’il est évident, en fonction de la définition énoncée précédemment, que les plans d’arpentage enregistrés ou déposés sont des œuvres gouvernementales publiées « par l’entremise, sous la direction ou la surveillance » de la Province, nous concluons que l’art. 12 confère à la Province le droit d’auteur sur ces plans. Par conséquent, nous sommes d’avis de rejeter le pourvoi.
I. Interprétation de l’art. 12 de la Loi sur le droit d’auteur
A. « Préparées ou publiées par l’entremise, sous la direction ou la surveillance »
[101] Comme nous l’avons déjà examiné, l’art. 12 prévoit que le droit d’auteur sur une œuvre appartient à la Couronne si l’œuvre est ou a été « préparé[e] ou publié[e] par l’entremise, sous la direction ou la surveillance » de la Couronne. Les tribunaux des juridictions inférieures ont correctement identifié les deux « volets » de l’art. 12 : le volet « préparation » et le volet « publication » (motifs de la C.S., par. 31; motifs de la C.A., par. 30‑31). Nous commencerons notre analyse en expliquant le sens qu’il convient de donner à l’expression « par l’entremise, sous la direction ou la surveillance » avant d’examiner chaque « volet » de façon plus approfondie.
(1) Sens de l’expression « par l’entremise, sous la direction ou la surveillance » utilisée à l’art. 12
[102] À l’article 12, les mots « préparées » et « publiées » sont suivis de la condition portant que la préparation ou la publication doit être faite « par l’entremise, sous la direction ou la surveillance » de la Couronne. À notre avis, cette expression devrait également être interprétée littéralement : l’acte de préparer ou de publier l’œuvre doit être exécuté par la Couronne elle‑même ou sous sa direction ou sa surveillance. Une œuvre est préparée ou publiée par l’entremise de la Couronne lorsque celle‑ci prépare ou publie l’œuvre par l’intermédiaire d’un employé ou d’un représentant. La préparation ou la publication sous la direction ou la surveillance de la Couronne a lieu lorsqu’un tiers s’en charge à la demande de la Couronne.
[103] En bref, nous interprétons l’intégralité de l’expression de façon cohérente en nous arrêtant, dans chaque cas, à la personne qui prépare ou publie l’œuvre, ainsi qu’à la nature de sa relation avec la Couronne. Sur ce point, notre avis diffère de celui de notre collègue : elle intègre à la loi l’exigence selon laquelle le volet « préparation » et le volet « publication » impliquent tous deux d’établir si la Couronne exerce un degré de direction ou de surveillance suffisant sur l’œuvre elle‑même. Plus précisément, une œuvre est « préparé[e] ou publié[e] par l’entremise, sous la direction ou la surveillance » de la Couronne si celle‑ci exerce un degré de direction ou de surveillance « suffisant » sur le processus de préparation ou de publication, ce qui comprend la personne qui prépare ou publie l’œuvre et l’intérêt de la Couronne à l’égard de l’œuvre elle‑même au moment de la préparation ou de la publication (motifs de la juge Abella, par. 63‑71). Toutefois, nous sommes d’avis qu’une telle interprétation soulève plusieurs difficultés.
[104] Premièrement, le sens ordinaire et grammatical de l’art. 12 ne justifie pas d’examiner le degré de « direction ou surveillance » exercée par la Couronne sur l’œuvre elle‑même. L’expression « la direction ou la surveillance » utilisée à l’art. 12 est manifestement liée aux participes passés utilisés dans la disposition, soit « préparées » ou « publiées ». En concluant que « la direction ou la surveillance » doit être exercée sur l’œuvre elle‑même, notre collègue dissocie à tort cette expression de la préparation ou de la publication de l’œuvre (voir m.i. (Clinique d’intérêt public et de politique d’Internet du Canada Samuelson‑Glushko), par. 21). Il s’agit là d’une interprétation tout à fait indéfendable de l’art. 12, lequel renvoie à « la direction ou la surveillance » exercée sur l’acte de préparer ou de publier, et non sur l’œuvre préparée ou publiée.
[105] En outre, nous ne savons pas vraiment ce que l’exercice d’une « direction » sur une œuvre signifierait pour la Couronne. À cet égard, il est révélateur que les éléments du régime provincial dont ont tenu compte notre collègue et les tribunaux des juridictions inférieures soient liés directement à la « surveillance » exercée par la Province sur les plans d’arpentage matériels, et non à la « direction » exercée sur ceux‑ci.
[106] Deuxièmement, il ne ressort pas clairement de l’interprétation de notre collègue comment l’expression « préparées ou publiées par l’entremise » pourrait être interprétée comme exigeant que la Couronne exerce « [une] direction ou [une] surveillance ». Selon notre collègue, « [l]’évaluation de la direction ou de la surveillance qu’exerce la Couronne est d’autant plus importante lorsqu’il s’agit de savoir si l’œuvre a été publiée par l’entremise de la Couronne au sens de l’art. 12 » (par. 67 (nous soulignons)). Elle déclare ensuite que « l’œuvre ne sera publiée par l’entremise, sous la direction ou la surveillance de la Couronne que lorsqu’on peut affirmer qu’elle exerce une direction ou une surveillance sur le processus de publication » (par. 67 (nous soulignons)).
[107] À l’article 12, les expressions « par l’entremise », « direction » et « surveillance » font partie d’une énumération disjonctive en raison du « ou » qui les sépare. Par conséquent, en regardant le libellé de l’art. 12, nous ne voyons pas en quoi une évaluation de « la direction ou [de] la surveillance » exercée par la Couronne pourrait avoir une quelconque utilité pour savoir si une œuvre est « préparé[e] ou publié[e] par l’entremise de » la Couronne. De plus, en exigeant que la Couronne exerce « [une] direction ou [une] surveillance » sur le processus, y compris sur le produit, pour que l’œuvre soit « préparé[e] ou publié[e] par l’entremise de » la Couronne, notre collègue, dans son interprétation, réduit en fait les aspects « préparées ou publiées par l’entremise » et « préparées ou publiées sous la direction ou la surveillance » de l’art. 12 à un seul critère. Cette interprétation revient à réécrire l’art. 12, éliminant toute distinction entre la préparation ou la publication d’une œuvre par la Couronne elle‑même et la préparation ou la publication d’une œuvre par un tiers à la demande du gouvernement — une distinction que l’art. 12, tel qu’il a été édicté, prévoit expressément.
[108] Troisièmement, la version française de l’art. 12 appuie l’interprétation selon laquelle les mots « direction » et « control » dans la version anglaise se rapportent à la personne qui prépare ou publie ainsi qu’à l’acte de préparer ou de publier, mais elle n’appuie pas l’interprétation selon laquelle les mots se rapportent à l’œuvre elle‑même.
[109] Effectivement, lire la version anglaise de l’art. 12 comme exigeant que l’œuvre elle‑même fasse l’objet de « direction or control » va à l’encontre de la version française de l’art. 12, qui contient l’expression « sous la direction ou la surveillance » pour rendre l’expression anglaise « under the direction or control ». Le mot « surveillance » est le substantif du verbe « surveiller », que l’on peut définir comme suit : « [o]bserver avec une attention soutenue » ou « [o]bserver attentivement, fixer son attention sur, pour éviter ou prévenir un danger, une action » (Le Petit Robert (2019), p. 2477, « surveiller »). Cependant, bien qu’un objet inanimé puisse faire l’objet de « direction or control », on ne peut « surveiller » un objet inanimé, du moins pas sans l’observer littéralement — nous doutons fortement que l’art. 12 exige cela pour que le droit d’auteur soit dévolu à la Couronne. Dans le contexte de l’art. 12, le mot « surveillance » n’a de sens que s’il se rapporte à la personne qui prépare ou publie et à l’acte de préparer ou de publier, et non à l’œuvre elle‑même.
[110] Enfin, l’interprétation de notre collègue ne donne aucune orientation pour l’avenir quant à la façon de déterminer dans quelles conditions le droit d’auteur est dévolu à la Couronne conformément à l’art. 12. Dans ses motifs, notre collègue parle souvent du critère énoncé à l’art. 12 — plus particulièrement en ce qui concerne le volet « publication » — comme étant une question de degré. Par exemple, le critère demande de déterminer « si la Couronne exerce sur la préparation ou la publication de l’œuvre un degré de direction ou de surveillance suffisant pour que lui soit dévolu le droit d’auteur » (par. 63 (nous soulignons)) et « si la direction ou la surveillance du gouvernement sur la préparation ou la publication de l’œuvre est suffisamment importante pour que le droit d’auteur soit dévolu à la Couronne » (par. 71 (nous soulignons)); le critère qu’applique notre collègue nécessite un « examen du degré de direction ou de surveillance que la Couronne exerce » (par. 73 (nous soulignons)). Cela suggère qu’il y a un seuil de « direction ou de surveillance » qui doit être atteint pour que la Couronne soit investie du droit d’auteur conformément à l’art. 12.
[111] En revanche, à notre avis, les motifs de notre collègue ne sont d’aucune utilité pour établir quand ce seuil est atteint dans chaque cas particulier. Selon notre collègue, l’art. 12 s’applique en l’espèce parce que « le régime provincial d’enregistrement immobilier donne à la Couronne le contrôle complet sur le processus de publication » (par. 78 (nous soulignons)). Cependant, le contrôle de la Couronne doit‑il être « complet »? Si un contrôle « complet » n’est pas exigé, quel degré de direction ou de surveillance sera suffisant? On ne nous le dit pas. Notre collègue déclare plutôt simplement que la question fondamentale est celle de savoir si l’étendue de la direction ou de la surveillance exercée par la Couronne est suffisamment large pour que le droit d’auteur lui revienne. Toutefois, cette analyse est circulaire puisqu’elle consiste à déterminer si la direction ou la surveillance exercée suffit à établir que la direction ou la surveillance exercée est suffisante.
[112] Ce manque d’orientation entraînera inévitablement de l’instabilité dans le domaine du droit d’auteur de la Couronne, à tout le moins lorsque le degré de contrôle exercé par le gouvernement se situe en deçà du contrôle « complet » dont il est question en l’espèce.
[113] Ces difficultés importantes peuvent être évitées si nous nous posons simplement la question de savoir si la Couronne est à l’origine de la préparation ou de la publication de l’œuvre, que ce soit par l’entremise de ses propres représentants et fonctionnaires ou en exerçant une direction ou une surveillance sur un tiers. Comme le fait de se renseigner sur l’identité de la personne qui a préparé ou publié l’œuvre ainsi que sur la nature de sa relation avec la Couronne permettra de tirer des conclusions de fait, procéder de cette façon offrira beaucoup plus de certitude et de prévisibilité à toutes les parties.
[114] Notre interprétation de l’expression « publiées par l’entremise, sous la direction ou la surveillance » est également conforme à celle des sources doctrinales citées par notre collègue (par. 55‑59), qui ne font aucunement mention d’une exigence selon laquelle la Couronne devrait exercer « [une] direction ou [une] surveillance » sur l’œuvre elle‑même, ou selon laquelle il serait nécessaire de se pencher sur l’intérêt de la Couronne à l’égard de l’œuvre. Ils reconnaissent plutôt que l’art. 12 confère à la Couronne le droit d’auteur sur une œuvre si elle la prépare ou la publie, ou si un tiers prépare ou publie l’œuvre sous sa direction ou sa surveillance. Par exemple, le docteur Fox a affirmé que [traduction] « le droit d’auteur sur une œuvre appartient à la Couronne simplement du fait qu’elle assume les frais de sa publication ou, même si elle ne paie pas pour la publication, du fait que l’œuvre est publiée sous la direction ou la surveillance de la Couronne ou d’un ministère du gouvernement » (H. G. Fox, « Copyright in Relation to the Crown and Universities with Special Reference to Canada » (1947), 7 U.T.L.J. 98, p. 125 (nous soulignons)).
[115] De plus, notre interprétation est en accord avec celle donnée à des dispositions largement similaires en matière de droit d’auteur de la Couronne figurant dans des lois d’autres pays du Commonwealth, bien qu’elle ne soit également pas contraignante. Dans l’arrêt Copyright Agency Ltd. c. New South Wales, [2007] FCAFC 80, 159 F.C.R. 213, inf. pour d’autres motifs par [2008] HCA 35, 233 C.L.R. 279, la Cour fédérale de l’Australie s’est penchée sur une question essentiellement semblable à celle soulevée dans le présent pourvoi, à savoir si le droit d’auteur sur des plans d’arpentage enregistrés au bureau local de la publicité foncière appartient à la Couronne. Tout comme l’art. 12, les dispositions législatives australiennes relatives au droit d’auteur de la Couronne tirent leur origine de l’art. 18 de la Copyright Act, 1911 (R.‑U.), 1 & 2 Geo. 5, c. 46, et confèrent le droit d’auteur à la Couronne lorsque les œuvres sont préparées ou publiées [traduction] « par l’entremise, sous la direction ou la surveillance » de la Couronne (Copyright Agency Ltd., par. 121). Le juge Emmett, s’exprimant au nom des juges majoritaires, a expliqué ce qui suit au par. 122 :
[traduction] Depuis l’adoption de la loi de 1911, l’expression « par l’entremise, sous la direction ou la surveillance de la [Couronne] » régit la propriété du droit d’auteur par la Couronne, tant pour les œuvres préparées par l’entremise, sous la direction ou la surveillance de la Couronne dans ses diverses manifestations que pour les œuvres d’abord publiées par l’entremise, sous la direction ou la surveillance de la Couronne. L’expression « par l’entremise de » se rapporte aux circonstances dans lesquelles un fonctionnaire ou un représentant de la Couronne crée l’œuvre pour la Couronne ou en son nom. Les mots « direction » et « surveillance » ne se rapportent pas aux situations où l’œuvre est préparée par la Couronne, mais plutôt aux situations où la personne à l’origine de l’œuvre est assujettie à la direction ou à la surveillance de la Couronne quant à la façon dont l’œuvre doit être créée. [Italique omis.]
Le juge Emmett n’examine aucunement dans son analyse la surveillance exercée par le gouvernement sur les plans d’arpentage eux‑mêmes pour établir s’ils ont été préparés ou publiés « par l’entremise, sous la direction ou la surveillance » de la Couronne. (Dans le même ordre d’idées, le juge Finkelstein, dans des motifs distincts, a expliqué que [traduction] « [l]’hypothèse qui sous‑tend chaque concept (direction et surveillance) est l’existence d’une relation entre la Couronne et l’auteur qui autorise celle‑ci à assurer la direction ou à exercer une surveillance, selon le cas » (par. 186).)
[116] En fin de compte, le résultat dans l’affaire Copyright Agency Ltd. dépendait de la question de savoir si la publication des plans d’arpentage [traduction] « par l’entremise, sous la direction ou la surveillance » de la Couronne constituait la première publication — une exigence prévue dans la loi australienne qui ne figure pas à l’art. 12 de la Loi sur le droit d’auteur. Toutefois, cela ne change rien à l’importance de la conclusion de cette cour selon laquelle le texte statutaire « par l’entremise, sous la direction ou la surveillance » de la Couronne renvoie à la décision de celle‑ci de préparer ou de publier l’œuvre, et non à la question de savoir si la Couronne exerce une surveillance suffisante sur l’œuvre.
[117] En résumé, nous interprétons l’expression « par l’entremise, sous la direction ou la surveillance » de la Couronne comme se rapportant à l’acte de préparer ou de publier, ce qui est le cas soit lorsque la Couronne prépare ou publie l’œuvre elle‑même, soit lorsque l’œuvre est préparée ou publiée par un tiers agissant sous la direction ou la surveillance de la Couronne.
(2) Le volet « préparation » de l’article 12
[118] Une œuvre est « préparé[e] [. . .] par l’entremise, sous la direction ou la surveillance » de la Couronne lorsque [traduction] « la Couronne est en position de décider si une œuvre sera créée ou non » (Copyright Agency Ltd., par. 126). Il ne suffit pas pour le volet « préparation » que la Couronne décide, dans le cas où l’œuvre doit être créée, qu’elle sera créée d’une façon précise (voir Copyright Agency Ltd., par. 126; Land Transport Safety Authority of New Zealand c. Glogau, [1999] 1 N.Z.L.R. 261, p. 272‑273).
[119] Nous sommes d’accord avec la conclusion de notre collègue, aux par. 64‑65, selon laquelle il y a deux situations où le volet « préparation » est satisfait : lorsque l’œuvre est préparée par l’entremise de la Couronne et lorsque l’œuvre est préparée sous la direction ou la surveillance de la Couronne (motifs de la juge Abella, par. 64‑65). Une œuvre est préparée par l’entremise de la Couronne lorsqu’un de ses représentants ou fonctionnaires crée l’œuvre dans l’exercice de ses fonctions. Une œuvre est préparée sous la direction ou la surveillance de la Couronne lorsque celle‑ci décide qu’un tiers doit créer l’œuvre, par exemple en chargeant un entrepreneur indépendant de la créer. Dans l’une ou l’autre de ces situations, la question consiste à savoir si la Couronne décide que l’œuvre sera créée ou pas. Dans l’affirmative, le droit d’auteur sur l’œuvre appartient à la Couronne, sauf stipulation conclue avec l’auteur. Dans la négative, l’auteur demeure titulaire du droit d’auteur sur l’œuvre (Loi sur le droit d’auteur, par. 13(1)).
[120] Comme nous l’avons expliqué précédemment, nous ne sommes pas d’accord pour dire que l’examen du volet « préparation » nécessite d’établir si « la Couronne exerce une direction et une surveillance à la fois sur la personne qui prépare l’œuvre et sur l’œuvre qui est ultimement préparée » (motifs de la juge Abella, par. 66). Établir si une œuvre est « préparé[e] [. . .] par l’entremise, sous la direction ou la surveillance » de la Couronne nécessite plutôt seulement un examen de l’identité de l’auteur et de la nature de sa relation avec la Couronne.
[121] En l’espèce, il ne fait aucun doute que le volet « préparation » n’est pas respecté en ce qui concerne les plans d’arpentage enregistrés ou déposés. Les plans d’arpentage ne sont pas « préparé[s] par l’entremise » de la Couronne, puisque les arpenteurs ne sont ni des représentants ni des employés de la Couronne. De même, les plans ne sont pas « préparé[s] [. . .] sous la direction ou la surveillance » de la Couronne. Bien que les plans doivent être conformes aux lignes directrices prescrites par la loi, celles‑ci ne concernent que la forme. Les plans d’arpentage sont préparés de façon volontaire par les arpenteurs à la demande de clients particuliers et, par conséquent, la Province ne décide pas si les plans sont créés ou non.
(3) Le volet « publication » de l’article 12
[122] Comme pour le volet « préparation », le volet « publication » de l’art. 12 est satisfait dans les cas où la Couronne décide si une œuvre doit être publiée (Copyright Agency Ltd., par. 128). Plus précisément, une œuvre est publiée par l’entremise de la Couronne lorsque celle‑ci publie elle‑même l’œuvre, et une œuvre est publiée sous la direction ou la surveillance de la Couronne lorsqu’un tiers, comme un entrepreneur indépendant, publie l’œuvre à sa demande.
[123] Pour déterminer ce que l’on entend par œuvre « publiée » pour l’application de l’art. 12, nous nous appuyons sur la définition de « publication » qui se trouve au par. 2.2(1) de la Loi sur le droit d’auteur. Selon l’al. 2.2(1)a), « publication » s’entend de « la mise à la disposition du public d’exemplaires de l’œuvre ». Il s’ensuit que « publier » signifie [traduction] « mettre à la disposition du public des exemplaires de l’œuvre » (P.S. Knight Co. Ltd. c. Canadian Standards Association, 2018 CAF 222, 161 C.P.R. (4th) 243, par. 79).
[124] Quant à la question de savoir si une œuvre a été « publiée » et si cette publication a eu lieu « sous la direction ou la surveillance » de la Couronne, le régime législatif provincial peut être pertinent dans la mesure où il démontre qu’une œuvre est mise à la disposition du public et que le tiers qui effectue la publication agit sous la direction ou la surveillance de la Couronne.
[125] En l’espèce, il ne fait aucun doute que les plans d’arpentage sont mis à la disposition du public et qu’ils sont donc « publiés ». Selon le par. 15(4) de la Loi sur l’enregistrement des actes, L.R.O. 1990, c. R.20, et le par. 165(4) de la Loi sur l’enregistrement des droits immobiliers, L.R.O. 1990, c. L.5, le registrateur doit fournir une copie des plans d’arpentage enregistrés après acquittement des droits exigés. De cette façon, la loi exige que les plans d’arpentage soient mis à la disposition du public. Par conséquent, les plans d’arpentage déposés et enregistrés sont à la fois « publié[s] par l’entremise » de la Province et publiés par Teranet sous la direction ou la surveillance de la Province, puisque celle‑ci met les plans à la disposition du public au bureau de la publicité foncière et que Teranet met les plans à la disposition des abonnés de ses plateformes (conformément à la Loi de 2010 sur les services d’enregistrement immobilier électronique, L.O. 2010, c. 1, ann. 6, et à son contrat avec la Province). L’accord que la Province a conclu avec Teranet est important car en vertu de ce contrat, Teranet assume le rôle de fournisseur de services à la Province (motifs de la C.S., par. 21), de sorte que lorsque Teranet met les plans d’arpentage à la disposition du public, elle agit sous la direction et la surveillance de la Province. Ainsi, c’est la Province qui décide de publier l’œuvre. Sur ce point, nous convenons avec la Cour d’appel que, [traduction] « selon le régime législatif, Teranet, et par conséquent la Couronne, “publient” ces plans d’arpentage lorsqu’elles mettent à la disposition du public des copies de ces plans » (par. 31).
B. L’article 12 se limite aux « œuvres gouvernementales »
[126] Le fait que les plans d’arpentage ont été publiés « par l’entremise, sous la direction ou la surveillance » de la Couronne ne met pas fin à l’analyse fondée sur l’art. 12. Bien que nous interprétions les volets « préparation » et « publication » de la disposition comme le requiert le texte statutaire, l’art. 12 exige manifestement davantage pour que le droit d’auteur soit dévolu à la Couronne. Comme nous l’avons déjà expliqué, une interprétation littérale de l’art. 12 entraînerait un résultat absurde, lequel peut être évité en donnant effet à l’application de l’art. 12 à l’égard de la catégorie précise d’œuvres que visait le législateur : pas n’importe quelle œuvre, mais ce que nous appellerons les « œuvres gouvernementales ».
[127] Par conséquent, une fois que le tribunal est convaincu qu’une œuvre a été « préparé[e] ou publié[e] par l’entremise, sous la direction ou la surveillance » de la Couronne, il doit ensuite se demander si, au moment de la préparation ou de la publication, l’œuvre était une « œuvre gouvernementale ». Pour ce faire, il doit examiner le caractère et l’objet de l’œuvre. L’œuvre sera une « œuvre gouvernementale » si elle répond à un objectif public et si le droit d’auteur de la Couronne contribue à la réalisation de cet objectif. Il s’agit d’œuvres à l’égard desquelles le gouvernement a un grand intérêt en ce qui a trait à leur précision, leur intégrité et leur diffusion.
[128] Interpréter la portée de l’art. 12 de cette manière est conforme au libellé, au contexte, à l’objet et à l’historique de l’art. 12, ainsi qu’aux objectifs de la Loi sur le droit d’auteur. Premièrement, cette interprétation n’exclut aucun mot du libellé de la disposition et assure le maintien d’une juste parité entre les volets « préparation » et « publication ». Comme nous l’avons déjà souligné, elle respecte le libellé choisi par le législateur en donnant le sens voulu à l’expression « préparées ou publiées par l’entremise, sous la direction ou la surveillance » de la Couronne, tout en limitant son application à la catégorie d’œuvres que visait le législateur.
[129] Deuxièmement, les mots introductifs de la disposition (« [s]ous réserve de tous les droits ou privilèges de la Couronne ») — qui, comme il est largement reconnu, renvoient à la prérogative de la Couronne lui permettant d’exercer une surveillance sur la publication — font également partie intégrante du contexte de l’art. 12, lequel doit être pris en compte dans l’interprétation des droits que confère le reste de la disposition (D. Vaver, Intellectual Property Law : Copyright, Patents, Trade‑marks (2e éd. 2011), p. 134‑135; B. Torno, Le droit d’auteur de la Couronne au Canada : un héritage embrouillé (1981), p. 3; J. S. McKeown, Fox Canadian Law of Copyright and Industrial Designs (4e éd. (feuilles mobiles)), p. 18-3 et 18-4). Alors que la prérogative de la Couronne en matière de publication était historiquement plutôt large, elle renvoyait, au début du 20e siècle, au [traduction] « droit exclusif d’imprimer une collection quelque peu diverse d’œuvres, dont aucun catalogue ne semble exhaustif » (R. c. Bellman, [1938] 3 D.L.R. 548 (C.S.N.‑B. (Div. app.)), p. 553), ce qui comprend les lois, les décrets, les documents d’État, les proclamations, les cartes de l’amirauté, diverses versions autorisées de textes religieux (au R.‑U.) et possiblement des décisions judiciaires (voir Vaver, « Copyright and the State in Canada and the United States » (1996), 10 I.P.J. 187, p. 189; McKeown, p. 18‑6 à 18‑9; Torno, p. 3). Au moment où l’art. 12 a été initialement adopté, la prérogative était, de toute évidence, la source du droit exclusif de la Couronne relatif à la publication de catégories précises d’œuvres « publiques ». En assujettissant l’application de l’art. 12 à la condition que le droit d’auteur conféré par la loi à la Couronne soit « [s]ous réserve » de cette prérogative, le Parlement voulait manifestement que les types d’œuvres historiquement visés par la prérogative sous‑tendent l’étendue des œuvres visées par le reste de l’art. 12; c’est‑à‑dire que le Parlement souhaitait préserver le droit exclusif de la Couronne de publier ces œuvres en particulier, tout en l’étendant à un catalogue élargi d’œuvres d’un caractère public similaire — à condition, évidemment, que la Couronne soit responsable de leur préparation ou de leur publication.
[130] Troisièmement, cette interprétation est renforcée par l’historique législatif de l’art. 12. La note marginale originale qui accompagnait l’art. 18 de la Copyright Act, 1911 (R.‑U.) — lequel, comme nous l’avons déjà souligné, est à l’origine de l’art. 12 — renvoyait aux [traduction] « dispositions relatives aux publications du gouvernement ». Cette note donne une idée de la nature des œuvres que la disposition devrait viser.
[131] Le fait que la disposition relative au droit d’auteur de la Couronne se limite aux œuvres gouvernementales a été reconnu par les observateurs au moment de son adoption initiale. Peu après l’adoption de la Copyright Act, 1911 (R.‑U.), L. C. F. Oldfield a écrit que la disposition sur le droit d’auteur de la Couronne [traduction] « reproduit essentiellement l’ancienne loi, selon laquelle le droit d’auteur sur les publications gouvernementales appartient à la Couronne » (The Law of Copyright (1912), p. 111 (nous soulignons); voir aussi Glogau, p. 272‑273). À l’appui de sa déclaration, il a parlé d’un procès‑verbal du Conseil du Trésor datant de 1887, dans lequel les « publications gouvernementales » étaient classées en diverses catégories, notamment les rapports de certains comités des chambres du Parlement, les documents déposés devant le Parlement, les livres officiels comme les règlements pour l’armée, les graphiques et les cartes d’ordonnances, ainsi que les œuvres littéraires ou quasi littéraires comme les rapports de l’expédition Challenger et les procès auxquels participe l’État. Il est donc évident, dès le départ, que l’art. 12 ne devait s’appliquer qu’à une catégorie d’œuvres qui étaient de nature publique ou gouvernementale.
[132] Quatrièmement, l’interprétation qui limite le droit d’auteur de la Couronne aux œuvres gouvernementales s’harmonise avec les objectifs de l’art. 12. Cette interprétation fait en sorte que le droit d’auteur de la Couronne s’étende à des œuvres seulement si cela sert les objectifs qui le sous‑tendent. Ces objectifs consistent à garantir la précision et l’intégrité des œuvres (E. Judge, « Crown Copyright and Copyright Reform in Canada », dans M. Geist, dir., In the Public Interest : The Future of Canadian Copyright Law (2005), p. 551 et 554; Vaver (1996), p. 199‑200 et 211‑212). La professeure Judge explique ce qui suit :
[traduction] Dans un monde où l’impression constituait la méthode de diffusion de l’information gouvernementale, où le piratage et la contrefaçon étaient monnaie courante et où les mots imprimés pouvaient voyager loin de leur auteur dans le temps et dans l’espace, il était logique que la Couronne exerce un certain contrôle sur l’imprimeur en revendiquant la propriété du contenu afin de faire en sorte que le public reçoive des œuvres intégrales exactes et en temps (relativement) opportun. [p. 554]
[133] Cela paraît logique : il est important que le public puisse avoir confiance en l’authenticité des œuvres gouvernementales, en particulier celles qui décrivent des obligations légales ou morales (Vaver (1996), p. 199‑200). À cette liste, les professeurs Vaver et Judge ajoutent un autre objectif du droit d’auteur de la Couronne : permettre au gouvernement de contrôler la diffusion des œuvres gouvernementales (Vaver (1996), p. 203‑205; Judge, p. 572‑573), ce qui comprend assurer une diffusion large des œuvres qui revêtent une importance pour le public (en accordant à la Couronne le droit de les reproduire) et limiter la diffusion (pour veiller à ce que les œuvres ne soient pas utilisées à des fins inadéquates).
[134] Ces objectifs indiquent clairement pourquoi le Parlement permettrait au gouvernement de s’attribuer le droit d’auteur sur une œuvre gouvernementale par l’acte de préparer ou de publier l’œuvre ou par celui de diriger ou de surveiller sa préparation ou sa publication. En étant titulaire du droit d’auteur sur les œuvres à caractère public, la Couronne peut assurer leur précision, leur fiabilité et leur diffusion adéquate.
[135] En outre, ces objectifs permettent d’établir quelles œuvres sont des œuvres gouvernementales visées par l’art. 12 en précisant que celui‑ci s’applique aux œuvres à caractère public, c’est‑à‑dire celles qui servent un objectif public. On entend par là les œuvres dont la précision, l’intégrité et la diffusion sont importantes afin qu’elles puissent répondre efficacement à l’objectif public. Pour déterminer si une œuvre en particulier est une œuvre gouvernementale, il faut donc prendre en compte l’objectif de l’œuvre. L’article 12 confère à la Couronne le droit d’auteur sur les œuvres lorsqu’il serait préjudiciable à l’intérêt public que soient disponibles de multiples versions pouvant contenir des renseignements différents et contradictoires. Il s’applique aux œuvres sur lesquelles le public s’appuiera, de sorte qu’il est d’intérêt public de savoir où obtenir des copies authentiques de l’œuvre. Il s’applique également aux œuvres dont de nombreuses personnes pourraient avoir besoin, de sorte qu’une diffusion limitée ne servirait pas l’intérêt public, ainsi qu’aux œuvres auxquelles l’accès peut être limité dans l’intérêt public.
[136] Le simple fait que le gouvernement a fait préparer ou publier une œuvre ne suffit pas en soi à conclure que l’œuvre répond à un objectif public. Pour que l’art. 12 s’applique, le tribunal doit être convaincu que l’œuvre sert un tel objectif, et que le fait de conférer à la Couronne le droit d’auteur sur cette œuvre afin qu’elle puisse en assurer la précision, l’intégrité et la diffusion appropriée contribue à ce que l’œuvre serve cet objectif.
[137] Nous voulons souligner qu’un régime législatif relatif aux œuvres — qu’il soit fédéral ou provincial — pourrait être utile pour établir l’objectif d’une œuvre et pour savoir si sa précision, son intégrité et sa diffusion sont importantes afin que l’œuvre puisse servir l’objectif visé. Par exemple, le fait que le gouvernement dispose du droit exclusif d’apporter des modifications à une œuvre peut révéler l’importance de la précision. En fin de compte, toutefois, une œuvre est une œuvre gouvernementale si elle a un caractère public en raison de son objectif public et si, du fait de cet objectif public, le gouvernement a un intérêt à en garantir la précision, l’intégrité et la diffusion. Si l’œuvre est aussi préparée ou publiée par l’entremise, sous la direction ou la surveillance de la Couronne, le droit d’auteur sur l’œuvre sera dévolu à la Couronne conformément à l’art. 12.
[138] Il est important de souligner que la restriction du droit d’auteur de la Couronne aux œuvres gouvernementales s’applique à l’ensemble de l’art. 12. Par conséquent, pour que le droit d’auteur soit dévolu à la Couronne, l’œuvre doit s’inscrire dans cette catégorie, peu importe si la Couronne est responsable de sa préparation, de sa publication ou des deux. Toutefois, il pourrait être plus important d’établir la nature et l’objectif de l’œuvre si le gouvernement cherche à s’appuyer sur le volet « publication » de l’art. 12; selon le volet « préparation », une fois qu’il est déterminé qu’un employé ou un entrepreneur indépendant du gouvernement a préparé l’œuvre dans le cadre de son emploi ou d’un contrat avec le gouvernement, la nature publique de l’œuvre — et l’importance de sa précision, de son intégrité et de sa diffusion — sera généralement évidente.
[139] Notre collègue semble admettre que la précision et l’intégrité sont des objectifs importants du droit d’auteur de la Couronne (bien qu’elle ne mentionne pas précisément la diffusion à cet égard) (voir les par. 51 et 53). Selon la description qu’elle donne de son critère aux termes de l’art. 12, celui‑ci consiste à se demander si « la Couronne [a] exercé une direction ou une surveillance suffisante, conformément aux objectifs du droit d’auteur de celle‑ci, pour qu’on puisse dire que le droit d’auteur de la Couronne existe » (par. 63 (nous soulignons)). Cependant, la façon dont ce critère s’applique dans le cadre de son approche est loin d’être claire. On ne nous dit pas si les tribunaux doivent évaluer de façon indépendante si les objectifs du droit d’auteur de la Couronne sont servis dans un cas en particulier. On ne nous dit pas non plus si l’art. 12 s’applique lorsque la Couronne exerce un contrôle « complet » sur une œuvre, mais qu’elle n’accorde que peu d’importance à la précision, l’intégrité et la diffusion. Bref, bien qu’elle soulève la question, notre collègue n’explique pas précisément quelle incidence les objectifs du droit d’auteur de la Couronne ont, selon elle, sur l’applicabilité de l’art. 12.
[140] Enfin, nous tenons à ajouter que notre interprétation du libellé de l’art. 12 protège l’équilibre entre les droits des créateurs et ceux des utilisateurs, qui est au cœur de la Loi sur le droit d’auteur. Elle préserve le concept de juste récompense pour les créateurs en limitant l’acquisition du droit d’auteur par la Couronne selon l’art. 12 aux œuvres qui sont de nature « publique », et elle empêche la Couronne d’abuser de ce pouvoir en dépossédant les créateurs de leur droit d’auteur sur des œuvres privées simplement en les publiant. Selon l’interprétation de notre collègue, un tel abus est possible si le législateur adopte un régime législatif qui confère à la Couronne un contrôle « complet » sur la copie matérielle d’une œuvre privée. En outre, notre interprétation protège les droits des utilisateurs en veillant à ce que les œuvres qui revêtent une importance pour le public soient diffusées de façon appropriée. Finalement, cette interprétation restreint la portée de l’art. 12 aux types d’œuvres que la disposition a toujours été censée viser, sans plus.
[141] Bien que l’art. 12 renvoie au droit d’auteur de la Couronne sur « les œuvres », ce libellé n’exclut pas notre interprétation. L’utilisation de l’expression « les œuvres » à l’art. 12 indique que la Couronne peut obtenir le droit d’auteur sur une œuvre conformément à l’art. 12, peu importe le « type » d’œuvre. La Loi sur le droit d’auteur ne prévoit pas de définition exhaustive du terme « œuvre ». Cependant, elle définit différents types d’œuvres, y compris les œuvres architecturales, artistiques, cinématographiques, collectives, dramatiques, littéraires et musicales (Loi sur le droit d’auteur, art. 2). L’expression « les œuvres » utilisée à l’art. 12 signifie donc simplement que la Couronne est en mesure d’obtenir le droit d’auteur sur n’importe lequel de ces types d’œuvres gouvernementales (architecturale, artistique, cinématographique, etc.) visés par la Loi sur le droit d’auteur, pourvu que les exigences prévues par l’article soient respectées.
[142] De nombreux intervenants en l’espèce ont soulevé des préoccupations relatives au statut du droit d’auteur sur ce qu’ils ont appelé les [traduction] « sources primaires de droit » ou les « documents juridiques publics », ce qui comprend les lois, les règlements et les décisions judiciaires. Ils ont fait valoir des arguments fondés sur l’ordre public quant à savoir pourquoi de tels documents devraient être exclus de la portée de l’art. 12 et pourquoi aucune entité — y compris la Couronne — ne devrait être titulaire du droit d’auteur sur eux. À notre avis, la détermination du statut approprié du droit d’auteur sur ces documents juridiques soulève des questions particulières et complexes qui débordent le cadre de la présente affaire. En conséquence, nous remettons l’examen de cette question à une autre occasion dans un dossier où la Cour aura reçu des observations complètes sur celle‑ci.
[143] Pour ce qui est des plans d’arpentage en cause en l’espèce, il est évident qu’il s’agit d’œuvres gouvernementales auxquelles l’art. 12, interprété correctement, s’applique. Ils ont de toute évidence un caractère public car ils définissent et illustrent les limites juridiques des terres dans la Province. Ces renseignements sont de la plus haute importance pour le public puisqu’ils fournissent des précisions sur la propriété des terres et qu’ils permettent aux propriétaires fonciers et aux utilisateurs de gérer leurs affaires en conséquence. Les œuvres servent donc un objectif public au sein de la Province.
[144] Le droit d’auteur de la Couronne sur ces renseignements est tout aussi important. Les gens se fient à la précision des plans d’arpentage pour déterminer leur droit sur un bien‑fonds et pour faciliter les transactions immobilières. La Couronne a grandement intérêt à veiller à l’intégrité du système d’enregistrement immobilier et à garantir au public l’accès à des versions précises des plans d’arpentage. (En effet, le fait que seul l’inspecteur des arpentages puisse modifier les plans d’arpentage déposés ou enregistrés démontre à quel point il est essentiel que les plans d’arpentage précis soient versés dans le système.) En étant titulaire du droit d’auteur sur les plans, la Couronne peut limiter la capacité d’un inspecteur ou d’un tiers privé de modifier les plans puis de les vendre ou les distribuer à titre personnel. En revendiquant le droit d’auteur de la Couronne, le gouvernement peut faire en sorte que les plans d’arpentage obtenus auprès du bureau de la publicité foncière ou de Teranet soient précis. De même, étant donné que de nombreuses personnes se fondent sur les plans d’arpentage, il est important d’en garantir l’accès au public de sorte que tous ceux qui ont besoin d’y avoir accès puissent les obtenir. À cet égard, les lois applicables exigent que la Province mette les plans à la disposition du public sur paiement des droits exigés (Loi sur l’enregistrement des droits immobiliers, par. 165(4); Loi sur l’enregistrement des actes, par. 15(4)). Si les arpenteurs devaient conserver le droit d’auteur sur les plans d’arpentage déposés et enregistrés, ils pourraient restreindre la capacité de la Couronne d’assurer une large diffusion des plans. Le dossier indique que la précision, l’intégrité et la diffusion des œuvres en question sont essentielles au bon fonctionnement du système de la publicité foncière de l’Ontario.
[145] Toutes ces considérations nous permettent de conclure que les plans d’arpentage enregistrés ou déposés sont des œuvres gouvernementales une fois qu’ils sont publiés par Teranet ou par le bureau de la publicité foncière. Nous convenons avec notre collègue qu’« [i]l s’agit précisément des types d’œuvres sur lesquels le droit d’auteur de la Couronne devrait exister — ceux dont la Couronne doit assurer l’authenticité, l’exactitude et l’intégrité dans l’intérêt public » (par. 82). En fait, si ces plans d’arpentage ne peuvent être considérés comme des œuvres gouvernementales, nous nous demandons ce qui pourrait l’être.
[146] Comme les plans d’arpentage enregistrés et déposés sont des œuvres gouvernementales lorsqu’ils sont « publié[s] par l’entremise, sous la direction ou la surveillance » de la Province, le droit d’auteur sur ces plans est dévolu à la Couronne en application de l’art. 12, et non aux arpenteurs ayant initialement créé les plans. Ce droit d’auteur est dévolu à la Couronne dès la première publication des œuvres « par l’entremise, sous la direction ou la surveillance » de la Province, et il subsiste « jusqu’à la fin de la cinquantième année suivant celle de la première publication de l’œuvre ».
II. Dispositif
[147] Nous sommes d’avis de rejeter le pourvoi. Nous convenons avec notre collègue qu’il n’est pas nécessaire de trancher l’appel incident de Teranet et nous sommes d’avis de le rejeter en raison de son caractère théorique.
Pourvoi rejeté sans dépens.
Procureurs de l’appelante/intimée au pourvoi incident : Branch MacMaster, Vancouver.
Procureurs de l’intimée/appelante au pourvoi : McCarthy Tétrault, Toronto; Miller Thomson, Toronto.
Procureur de l’intervenant le procureur général du Canada : Procureur général du Canada, Toronto.
Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Ontario : Procureur général de l’Ontario, Toronto.
Procureur de l’intervenant le procureur général de la Colombie‑Britannique : Procureur général de la Colombie‑Britannique, Victoria.
Procureur de l’intervenant le procureur général de la Saskatchewan : Procureur général de la Saskatchewan, Regina.
Procureurs de l’intervenante l’Association canadienne des bibliothèques de droit : JFK Law Corporation, Victoria; Kim Nayyer, Victoria.
Procureurs des intervenants l’Institut canadien d’information juridique et la Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada : Lax O’Sullivan Lisus Gottlieb, Toronto.
Procureur de l’intervenante la Clinique d’intérêt public et de politique d’internet du Canada Samuelson‑Glushko : Clinique d’intérêt public et de politique d’internet du Canada Samuelson‑Glushko, Ottawa.
Procureurs de l’intervenante Land Title and Survey Authority of British Columbia : Smart & Biggar, Vancouver.
Procureurs des intervenants le Centre des politiques en propriété intellectuelle et Ariel Katz : Fasken Martineau DuMoulin, Montréal.
Procureurs de l’intervenante Canadian Standards Association : Gowling WLG (Canada), Toronto.
[1] Matti Siemiatycki, « Public-Private Partnerships in Canada : Reflections on twenty years of practice » (2015), 58 Admin. Pub. Can. 343, p. 347.
[2] Sur le montant de 16,30 $, 5 $ correspond aux frais prescrits par la loi, 10 $ correspond aux frais engagés sous le régime de la Loi sur les services d’enregistrement immobilier électronique, et 1,30 $ correspond aux taxes. En 2011, le coût général d’une licence Teraview était de 595 $.
[3] Ces termes « péjoratifs » sont tirés des observations de l’avocat dans Attorney-General (N.S.W.) c. Butterworth & Co. (Australia) Ltd. (1938), 38 S.R. (N.S.W.) 195 (C.S.), p. 258, et de la critique qu’a formulée l’Institut canadien des brevets et marques dans un mémoire présenté en 1978 à un comité sur le droit d’auteur.
[4] Le paragraphe 13(3) de la Loi sur le droit d’auteur dispose : « Lorsque l’auteur est employé par une autre personne en vertu d’un contrat de louage de service ou d’apprentissage, et que l’œuvre est exécutée dans l’exercice de cet emploi, l’employeur est, à moins de stipulation contraire, le premier titulaire du droit d’auteur; mais lorsque l’œuvre est un article ou une autre contribution, à un journal, à une revue ou à un périodique du même genre, l’auteur, en l’absence de convention contraire, est réputé posséder le droit d’interdire la publication de cette œuvre ailleurs que dans un journal, une revue ou un périodique semblable. »