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COUR SUPRÊME DU CANADA

 

Référence : R. c. Rafilovich,

2019 CSC 51, [2019] 3 R.C.S. 838

Appel entendu : 25 janvier 2019

Jugement rendu : 8 novembre 2019

Dossier : 37791

 

Entre :

 

Yulik Rafilovich

Appelant

 

et

 

Sa Majesté la Reine

Intimée

 

- et -

 

Procureur général de l’Ontario,

Association canadienne des libertés civiles,

Criminal Lawyers’ Association of Ontario et

British Columbia Civil Liberties Association

Intervenants

 

 

Traduction française officielle

 

Coram : Le juge en chef Wagner et les juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Gascon, Côté, Brown, Rowe et Martin

 

Motifs de jugement :

(par. 1 à 87)

La juge Martin (avec l’accord des juges Abella, Karakatsanis, Gascon, Brown et Rowe)

 

Motifs dissidents en partie : (par. 88 à 176)

 

Le juge Moldaver (avec l’accord du juge en chef Wagner et de la juge Côté)

 

 


 


r. c. rafilovich

Yulik Rafilovich                                                                                               Appelant

c.

Sa Majesté la Reine                                                                                            Intimée

et

Procureur général de l’Ontario,

Association canadienne des libertés civiles,

Criminal Lawyers’ Association of Ontario et

British Columbia Civil Liberties Association                                          Intervenants

Répertorié : R. c. Rafilovich

2019 CSC 51

No du greffe : 37791.

2019 : 25 janvier; 2019 : 8 novembre.

Présents : Le juge en chef Wagner et les juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Gascon, Côté, Brown, Rowe et Martin.

en appel de la cour d’appel de l’ontario

                    Droit criminel — Produits de la criminalité — Amende en remplacement de la confiscation — Restitution de biens saisis pour le paiement des frais juridiques — Saisie, au détriment de l’accusé, de biens que l’on croit être des produits de la criminalité — Ordonnance du juge portant restitution à l’accusé de biens en vue du paiement de frais juridiques raisonnables pour sa défense — Accusé reconnu coupable — Décision de la juge chargée de déterminer la peine que les biens restitués sont des produits de la criminalité confiscables — Biens utilisés pour payer les frais juridiques et ne pouvant plus être confisqués — Est‑il possible d’infliger une amende en remplacement de la confiscation à l’égard de fonds restitués par voie judiciaire en vue du paiement de frais juridiques pour la défense de l’accusé? — Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46, art. 462.34(4) c)(ii), 462.37(3) .

                    R a été arrêté pour possession de cocaïne en vue d’en faire le trafic. Lorsqu’elle a fouillé son véhicule et perquisitionné ses appartements, la police a saisi près de 42 000 $ en espèces constituant peut‑être des produits de la criminalité en application de la partie XII.2 du Code criminel . Avant l’ouverture de son procès, R a présenté en vertu du sous‑al. 462.34(4)c)(ii) du Code criminel  une demande visant à obtenir la restitution des fonds saisis aux fins de paiement des frais juridiques raisonnables associés à sa cause. La demande a été accueillie et les fonds ont été restitués pour le paiement de frais juridiques raisonnables, sous réserve de conditions. Au procès, R a plaidé coupable à plusieurs accusations. La juge chargée de déterminer la peine a infligé une peine d’emprisonnement et la confiscation du droit de R sur un appartement, mais elle a refusé d’imposer une amende en remplacement de la confiscation égale au montant des fonds restitués déjà dépensés par R pour ses frais juridiques comme le demandait le ministère public en vertu du par. 462.37(3)  du Code criminel . Le ministère public s’est pourvu en appel. La Cour d’appel a modifié l’ordonnance relative à la détermination de la peine en y ajoutant une amende en remplacement de la confiscation de 41 976,39 $, équivalente au montant des fonds restitués, et une peine d’emprisonnement de 12 mois si R ne payait pas son amende.

                    Arrêt (le juge en chef Wagner et les juges Moldaver et Côté sont dissidents en partie) : Le pourvoi est accueilli et l’ordonnance de la Cour d’appel est annulée.

                    Les juges Abella, Karakatsanis, Gascon, Brown, Rowe et Martin : En général, le juge chargé de déterminer la peine ne doit pas infliger une amende en remplacement de la confiscation à l’égard de fonds qui ont été restitués par un tribunal pour le paiement des frais juridiques raisonnables associés à la défense d’un accusé. Le pouvoir discrétionnaire d’infliger une amende que confère le par. 462.37(3)  du Code criminel  doit s’exercer conformément aux objets des dispositions du régime des produits de la criminalité. L’ensemble de ce régime a pour objet de s’assurer que le crime ne paie pas ni ne bénéficie au contrevenant; toutefois, en adoptant la disposition sur la restitution en vue du paiement des frais juridiques, soit le sous‑al. 462.34(4)c)(ii) du Code criminel , le législateur a non seulement prévu la possibilité que l’accusé ait besoin des fonds saisis pour préparer sa défense, mais a aussi permis explicitement que les fonds restitués soient consacrés à cette fin. La disposition sur la restitution vise la réalisation de deux objets secondaires : permettre l’accès aux services d’un avocat et accorder une importance suffisante à la présomption d’innocence. Ces objets secondaires assurent l’équité envers l’accusé dans les poursuites criminelles. Dans la plupart des cas, récupérer les sommes versées pour le paiement de frais juridiques raisonnables au moyen d’une amende en remplacement de la confiscation aura pour effet de miner la réalisation de ces objets. S’il s’avère que le contrevenant n’avait pas un véritable besoin financier ou que les fonds n’ont pas été utilisés pour atténuer ce besoin, il serait indiqué d’infliger une amende en remplacement de la confiscation, car cela concorderait avec l’intention du législateur. Cela pourrait survenir en présence d’agissements répréhensibles relativement à la demande de restitution ou à l’occasion de l’exécution de l’ordonnance de restitution ou si la situation de l’accusé change de façon imprévue après la restitution des fonds. Dans le contexte de la présente affaire, l’infliction d’une amende aurait pour conséquence de miner l’intention qu’avait le législateur en édictant la disposition sur la restitution. Aucune preuve n’établit que R a présenté faussement sa situation financière, a fait un mauvais usage des fonds restitués ou connu un changement quelconque de situation. En conséquence, la juge chargée de déterminer la peine a exercé correctement son pouvoir discrétionnaire et il n’y a pas lieu d’intervenir à cet égard.

                    Étant donné que le Code   criminel  n’indique pas expressément si les fonds restitués par voie judiciaire doivent faire l’objet d’une amende en remplacement de la confiscation, il faut s’en remettre aux règles d’interprétation législative pour trancher cette question. Cette analyse est guidée par les mots que le législateur a choisi d’employer, par la façon dont il souhaitait atteindre ses objectifs et par le régime qu’il a mis en place. Lorsque le litige concerne de multiples objets de la loi et l’interaction entre au moins deux dispositions législatives, l’économie de la loi et les objectifs qui sous‑tendent chacune des dispositions applicables revêtent une importance particulière. Le législateur avait plusieurs objectifs en tête au moment où il a instauré le régime des produits de la criminalité. Le législateur avait pour objectif premier de s’assurer que le crime ne paie pas et qu’il ne bénéficie pas au contrevenant. La confiscation vise à priver les contrevenants des produits de leur crime. La saisie permet à l’État de prendre le contrôle des biens qu’il croit être des produits de la criminalité avant le procès et la détermination de la peine, afin de veiller à ce qu’ils demeurent confiscables. La disposition relative à l’infliction d’une amende en remplacement de la confiscation fait en sorte que l’accusé qui a pu conserver des produits de la criminalité hors de la portée de l’État tout au long de l’instance criminelle est tenu, en fin de compte, de payer une amende égale à la valeur du bien qui ne peut plus être confisqué.

                    La disposition sur la restitution en vue du paiement des frais juridiques démontre que le législateur voulait que l’on pondère les objectifs secondaires qui la sous‑tendent — permettre l’accès aux services d’un avocat et accorder une importance suffisante à la présomption d’innocence — au regard de l’objectif premier de s’assurer que le crime ne paie pas. La formulation ainsi que la complexité et le caractère détaillé de la disposition sur la restitution indiquent que le législateur a clairement et délibérément tenté de traiter la question de la nécessité pour l’accusé d’obtenir les services d’un avocat, dans des circonstances circonscrites où l’accusé ne possède pas d’autres biens ou moyens et où nulle autre personne ne semble être le propriétaire légitime de ces biens ou avoir droit à leur possession légitime. Les objectifs secondaires témoignent de l’intention sous‑jacente de promouvoir l’équité dans les poursuites criminelles qui se dégage du régime des produits de la criminalité. Ils viennent restreindre la poursuite de l’objectif premier. La disposition sur la restitution visait à faire respecter le principe de l’équité dans les poursuites criminelles, y compris les notions d’avis suffisant et de fiabilité. On peut s’attendre à ce que l’accusé se fonde sur une ordonnance judiciaire autorisée par un régime légal en particulier et que cet accusé ne puisse raisonnablement pas savoir qu’en faisant cela, il s’expose à une sanction additionnelle. De plus, les accusés qui comprennent que les fonds restitués par voie judiciaire seront récupérés plus tard pourraient renoncer complètement à solliciter la restitution de fonds et se représenter plutôt eux‑mêmes. Lorsqu’un accusé ne peut avoir accès aux services d’un avocat, la présomption d’innocence en souffre parce qu’il est difficile pour le profane inculpé d’apprécier correctement la complexité des affaires criminelles. Imposer des sanctions rétroactives à des accusés qui invoquent la présomption d’innocence sape cette présomption et les protections qu’elle confère.

                    Les fonds restitués par voie judiciaire aux fins de paiement des frais d’avocat ne constituent pas le type d’avantage que le législateur souhaitait retirer aux contrevenants au moyen d’une amende. Il s’agit plutôt d’un avantage strictement contrôlé que le législateur souhaitait expressément accorder à un groupe restreint d’accusés dans le besoin. En l’espèce, la disposition sur la restitution offrait à R, qui ne possédait pas d’autres biens ou moyens de payer les frais de sa défense, une possibilité d’avoir accès à des fonds saisis qui étaient assujettis à une surveillance judiciaire étroite et à des conditions rigoureuses. Il reste indéniablement moins d’argent qui pourrait être confisqué au profit de Sa Majesté mais l’un des objectifs fondamentaux du système de justice pénale est d’offrir un processus équitable permettant d’arriver à des résultats justes et non d’imposer le plus de représailles à tout prix. Les biens saisis restitués en vertu d’une ordonnance judiciaire ne relèvent pas non plus d’un sujet semblable à ceux figurant à la liste des raisons énumérées au par. 462.37(3)  du Code criminel  permettant l’infliction d’une amende en remplacement de la confiscation. Toutes les circonstances énumérées traduisent la crainte du législateur que l’accusé dissimule, dilapide ou distribue des biens dont on pourrait conclure plus tard qu’il s’agit de produits de la criminalité. L’avocat de l’accusé n’est pas une personne inconnue qui reçoit les fonds dans le cadre d’une transaction privée non supervisée. Il a été spécifiquement autorisé par un juge à être rémunéré pour assurer la défense de l’accusé. De plus, le législateur a précisé les exigences légales qu’il souhaitait appliquer à la restitution de fonds saisis par voie judiciaire. Rien ne révèle une intention d’obliger l’accusé à prouver, afin d’éviter l’infliction d’une amende en remplacement de la confiscation, que la nature des procédures est telle qu’il est essentiel qu’il obtienne l’assistance d’un avocat. Par conséquent, s’abstenir d’infliger une amende en remplacement de la confiscation à l’égard de fonds qui ont été restitués par un tribunal pour le paiement des frais juridiques raisonnables associés à la défense d’un accusé sera généralement la solution la plus fidèle à la volonté du législateur.

                    Le juge en chef Wagner et les juges Moldaver et Côté (dissidents en partie) : L’imposition d’une amende en remplacement de la confiscation au contrevenant qui s’est servi de produits de la criminalité pour payer sa propre défense permet d’atteindre l’objectif premier du régime de confiscation de s’assurer que le crime ne paie pas; et elle ne sape pas l’utilité de la disposition sur la restitution en vue du paiement des frais juridiques, soit de faciliter l’accès aux services d’un avocat de manière équitable et conforme à la présomption d’innocence. Permettre aux accusés, qui sont présumés innocents, d’accéder à des fonds saisis pour payer les services de leur avocat n’a rien d’incompatible avec le fait d’exiger des contrevenants, qui ont été reconnus coupables, qu’ils remboursent ces fonds s’il est établi que ce sont des produits de la criminalité. Il y a toutefois une exception importante à la règle générale : lorsque le juge chargé de déterminer la peine est convaincu que la représentation du contrevenant par avocat est essentielle pour assurer le respect de son droit constitutionnel à un procès équitable, le juge devrait exercer son pouvoir discrétionnaire limité de refuser d’infliger une amende en remplacement de la confiscation. Cette interprétation donne l’effet voulu à l’objectif du législateur d’assurer l’efficacité du régime de confiscation tout en respectant le droit constitutionnel à l’assistance d’un avocat et, plus particulièrement, le droit constitutionnel aux services d’un avocat rémunéré par l’État dans quelques situations.

                    La partie XII.2 du Code criminel , qui régit la saisie, le blocage et la confiscation des produits de la criminalité, vise à s’assurer que le crime ne paie pas. Afin d’atteindre cet objectif, elle permet à l’État de saisir et de retenir des biens que l’on croit, pour des motifs raisonnables, être des produits de la criminalité, de manière à préserver ces biens et à faciliter la mise à exécution d’éventuelles ordonnances de confiscation. En revanche, le législateur a reconnu que la saisie et la rétention des biens dont on croit pour des motifs raisonnables, mais dont on n’a pas encore prouvé, qu’il s’agit de produits de la criminalité pouvaient avoir d’importantes répercussions financières sur les accusés, notamment en limitant leur capacité d’avoir accès à l’assistance d’un avocat. Afin de répondre à cette préoccupation, l’art. 462.34  du Code criminel  permet aux accusés de solliciter une ordonnance de restitution autorisant la mainlevée des biens saisis pour payer différentes dépenses — dont des frais juridiques raisonnables — lorsqu’ils ne possèdent pas d’autres moyens de le faire et que personne d’autre ne semble être le propriétaire légitime des biens saisis ou avoir droit à leur possession légitime. En adoptant cette disposition, le législateur a établi un équilibre entre la nécessité d’assurer un régime de confiscation efficace et celle de permettre aux accusés par ailleurs impécunieux d’avoir accès à des fonds à certaines fins légitimes. Toutefois, lorsqu’il est appelé à déterminer la peine à infliger au contrevenant reconnu coupable d’un acte criminel, le tribunal doit ordonner la confiscation des biens dont il a été conclu qu’il s’agit de produits de la criminalité. Ou encore, lorsque le tribunal est convaincu qu’une ordonnance de confiscation devrait être rendue à l’égard d’« un bien [. . .] d’un contrevenant », mais que le bien ne peut pas faire l’objet d’une telle ordonnance, il « peut », en vertu du par. 462.37(3)  du Code criminel , infliger une amende en remplacement de celle‑ci.

                    Les contrevenants qui se sont servis de produits de la criminalité pour payer leur propre défense tirent profit de leur crime et devraient généralement être tenus de rembourser ce profit au moyen d’une amende en remplacement de la confiscation. Cette mesure découle d’une simple application de l’objectif premier du régime des produits de la criminalité, à savoir garantir que le crime ne paie pas. L’interprétation juste du par. 462.37(3)  du Code criminel  montre que lorsque les fonds saisis sont restitués à un contrevenant, puis remis à un avocat, les deux conditions préalables à l’imposition d’une amende de remplacement sont réunies. Premièrement, ces fonds sont visés par la définition large de « bien [. . .] d’un contrevenant », ce qui englobe les biens originairement en la possession ou sous le contrôle d’une personne. Deuxièmement, la remise à un avocat de fonds restitués ne peut faire l’objet d’une ordonnance de confiscation. Le paragraphe 462.37(3) dresse une liste non exhaustive de circonstances dans lesquelles ce critère est satisfait, l’une d’entre elles étant en cas de « remise à un tiers » de tout bien. Le législateur aurait pu restreindre cette catégorie de remises, mais il ne l’a pas fait. À défaut de formulation restrictive, c’est le sens grammatical et ordinaire du mot « remise » — action de remettre, de transférer quelque chose à quelqu’un — qu’il faut retenir. La remise autorisée par voie judiciaire de fonds restitués à un avocat constitue donc une « remise à un tiers ». Cela s’inscrit également fort bien dans le sujet récurrent dans les exemples énumérés au par. 462.37(3), qui dispose simplement que le bien en question ne peut faire l’objet d’une ordonnance de confiscation.

                    Il y a une exception importante à la règle générale voulant qu’une amende de remplacement soit imposée au contrevenant qui s’est servi de produits de la criminalité pour payer sa propre défense. Lorsque le juge chargé de déterminer la peine est convaincu, en appliquant le test énoncé dans l’arrêt R. c. Rowbotham (1988), 41 C.C.C. (3d) 1 (C.A. Ont.), que la représentation du contrevenant par avocat est essentielle pour assurer le respect de son droit constitutionnel à un procès équitable garanti par l’art. 7 et l’al. 11 d )  de la Charte canadienne des droits et libertés , le juge devrait exercer son pouvoir discrétionnaire limité de refuser d’infliger une amende de remplacement à l’égard des fonds restitués. Le texte du par. 462.37(3) a un caractère permissif et confère un pouvoir discrétionnaire limité de ne pas infliger une amende. Il faut exercer ce pouvoir discrétionnaire limité conformément à l’esprit de l’ensemble de la partie XII.2. La partie XII.2 vise à atteindre un équilibre entre la nécessité d’assurer un régime de confiscation efficace et celle de respecter le droit constitutionnel à l’assistance d’un avocat. Cependant, afin de bien comprendre cet équilibre, il est impératif d’examiner d’abord ce que ce droit protégé par la Constitution suppose et ce qu’il ne suppose pas. Ni l’al. 10b) ni quelque autre droit garanti par la Charte  ne crée un droit général à l’assistance juridique. Le droit aux services d’un avocat rémunéré par l’État dans un procès criminel qui repose sur l’art. 7  et l’al. 11 d )  de la Charte  n’existe que dans les cas où l’aide juridique a été refusée, où l’accusé n’a pas d’autres moyens et où le fait d’être représenté par un avocat est essentiel pour assurer le respect du droit constitutionnel de l’accusé à un procès équitable. Donc, si le contrevenant arrive à démontrer qu’il avait le droit constitutionnel d’obtenir l’assistance d’un avocat rémunéré par l’État, l’infliction d’une amende de remplacement pour le contraindre à rembourser ses frais juridiques serait incompatible avec ce droit constitutionnel. Cette conception donne l’effet voulu à l’objectif du législateur d’assurer à la fois un régime de confiscation efficace et le respect du droit constitutionnel à l’assistance d’un avocat. Aller plus loin non seulement perturberait le juste équilibre que le législateur a établi, mais conférerait en fait aussi un droit constitutionnel alors qu’il n’en existe aucun.

                    Contrairement à l’approche de la majorité, il n’est pas nécessaire de sacrifier l’objectif premier du régime des produits de la criminalité pour pouvoir réaliser les « objets secondaires » de la disposition sur la restitution de fournir l’accès aux services d’un avocat, d’accorder une importance suffisante à la présomption d’innocence et de donner effet à l’intention sous‑jacente d’assurer l’équité dans les poursuites criminelles. Une fois les rôles respectifs de la disposition sur la restitution et de celle sur l’amende de remplacement bien compris, il est évident que tous les objectifs du régime légal peuvent être atteints. La disposition sur la restitution facilite l’accès aux services d’un avocat de manière équitable et conforme à la présomption d’innocence. Mais lorsque l’ordonnance de restitution est suivie d’une déclaration de culpabilité, « l’accusé » devient un « contrevenant », et il y a lieu d’imposer une amende de remplacement parce que l’objectif premier du régime légal consistant à s’assurer que le crime ne paie pas passe au premier plan. Bien que le législateur ait voulu donner aux accusés l’avantage d’avoir accès à des fonds saisis afin de payer leurs frais juridiques raisonnables, il n’avait pas l’intention de donner aux contrevenants l’avantage de ne jamais avoir à les rembourser. Si cela avait été l’intention du législateur, il aurait pu aisément édicter une telle disposition.

                    Dans la présente affaire, les fonds remis à l’avocat de R constituaient un bien de R et on a jugé qu’il s’agissait de produits de la criminalité. Ils ne pouvaient pas faire l’objet d’une ordonnance de confiscation. En conséquence, le pouvoir d’infliger une amende de remplacement était en jeu. Dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire limité de ne pas invoquer cette prérogative, la juge chargée de déterminer la peine ne s’est pas demandé si le fait d’être représenté par un avocat était essentiel pour assurer le respect du droit constitutionnel de R à un procès équitable et le dossier n’est pas suffisamment étoffé pour permettre de trancher cette question. Il convient donc d’annuler l’ordonnance de la Cour d’appel et de renvoyer l’affaire à la juge chargée de déterminer la peine pour qu’elle rende une nouvelle décision.

Jurisprudence

Citée par la juge Martin

                    Distinction d’avec l’arrêt : R. c. Rowbotham (1988), 41 C.C.C. (3d) 1; arrêt examiné : R. c. Lavigne, 2006 CSC 10, [2006] 1 R.C.S. 392; arrêts mentionnés : R. c. Appleby, 2009 NLCA 6, 282 Nfld. & P.E.I.R. 134; R. c. Wilson (1993), 15 O.R. (3d) 645; R. c. Smith, 2008 SKCA 20, 307 Sask. R. 45; R. c. MacLean (1996), 184 N.B.R. (2d) 26; R. c. Wu, 2003 CSC 73, [2003] 3 R.C.S. 530; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27; ATCO Gas and Pipelines Ltd. c. Alberta (Energy and Utilities Board), 2006 CSC 4, [2006] 1 R.C.S. 140; Sun Indalex Finance, LLC c. Syndicat des Métallos, 2013 CSC 6, [2013] 1 R.C.S. 271; R. c. Davidson, 2016 ONSC 7440; R. c. Alves, 2015 ONSC 4489; R. c. Borean, 2007 NBQB 335, 321 N.B.R. (2d) 309; R. c. Gagnon (1993), 80 C.C.C. (3d) 508; R. c. Chaulk, [1990] 3 R.C.S. 1303; R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103; R. c. Whyte, [1988] 2 R.C.S. 3; R. c. Hodgson, [1998] 2 R.C.S. 449; Greenshields c. The Queen, [1958] R.C.S. 216; R. c. G.D.B., 2000 CSC 22, [2000] 1 R.C.S. 520; R. c. Jordan, 2016 CSC 27, [2016] 1 R.C.S. 631; R. c. Antic, 2017 CSC 27, [2017] 1 R.C.S. 509; R. c. Mabior, 2012 CSC 47, [2012] 2 R.C.S. 584; R. c. Levkovic, 2013 CSC 25, [2013] 2 R.C.S. 204; R. c. Taylor, 2014 CSC 50, [2014] 2 R.C.S. 495; R. c. Keating (1997), 159 N.S.R. (2d) 357; R. c. Hobeika, 2014 ONSC 5453; R. c. Kizir, 2014 ONSC 1676, 304 C.R.R. (2d) 287; R. c. Ro, [2006] O.J. No. 3347 (QL).

Citée par le juge Moldaver (dissident en partie)

                    R. c. Lavigne, 2006 CSC 10, [2006] 1 R.C.S. 392; Québec (Procureur général) c. Laroche, 2002 CSC 72, [2002] 3 R.C.S. 708; R. c. Rowbotham (1988), 41 C.C.C. (3d) 1; Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 R.C.S. 559; United States c. Monsanto, 491 U.S. 600 (1989); R. c. Dieckmann, 2017 ONCA 575, 355 C.C.C. (3d) 216; R. c. Angelis, 2016 ONCA 675, 133 O.R. (3d) 575; R. c. Khatchatourov, 2014 ONCA 464, 313 C.C.C. (3d) 94; R. c. Bourque (2005), 193 C.C.C. (3d) 485; R. c. Wu, 2003 CSC 73, [2003] 3 R.C.S. 530; R. c. Appleby, 2009 NLCA 6, 282 Nfld. & P.E.I.R. 134; R. c. Dwyer, 2013 ONCA 34, 296 C.C.C. (3d) 193; R. c. Wilson (1993), 15 O.R. (3d) 645; R. c. MacLean (1996), 184 N.B.R. (2d) 26; R. c. Smith, 2008 SKCA 20, 307 Sask. R. 45; R. c. Sinclair, 2010 CSC 35, [2010] 2 R.C.S. 310; R. c. Manninen, [1987] 1 R.C.S. 1233; Colombie‑Britannique (Procureur général) c. Christie, 2007 CSC 21, [2007] 1 R.C.S. 873; R. c. Willier, 2010 CSC 37, [2010] 2 R.C.S. 429; R. c. Smith, 2004 CSC 14, [2004] 1 R.C.S. 385; R. c. McIntosh, [1995] 1 R.C.S. 686; R. c. MacDougall, [1982] 2 R.C.S. 605; R. c. Nova Scotia Pharmaceutical Society, [1992] 2 R.C.S. 606; R. c. G.D.B., 2000 CSC 22, [2000] 1 R.C.S. 520.

Lois et règlements cités

Act for enabling Persons indicted of Felony to make their Defence by Counsel or Attorney (R.-U.), 1836, 6 & 7 Will. 4, c. 114, art. 1.

Charte  canadienne  des droits et libertés , art. 7 , 10 b ) , 11 d ) , 24(1) .

Code criminel , L.R.C. 1985, c. C‑46, art. 2 , 354(1) , partie XII.2 [aj. c. 42 (4e suppl.), art. 2], 462.3(1), 462.32, 462.33, 462.34, 462.37(1), (2), (3), (4), 730.

Loi réglementant certaines drogues et autres substances , L.C. 1996, c. 19, art. 2 .

Doctrine et autres documents cités

Canada. Chambre des communes. Débats, vol. 14, 2e sess., 33e lég., 7 juillet 1988, p. 17258‑17259.

Canada. Chambre des communes. Procès‑verbaux et témoignages du Comité législatif sur le projet de loi C‑61 : Loi modifiant le Code criminel, la Loi des aliments et drogues et la Loi sur les stupéfiants, no 1, 2e sess., 33e lég., 5 novembre 1987, p. 1:8.

Canada. Chambre des communes. Procès‑verbaux et témoignages du Comité législatif sur le projet de loi C‑61 : Loi modifiant le Code criminel, la Loi des aliments et drogues et la Loi sur les stupéfiants, no 5, 2e sess., 33e lég., 10 mai 1988, p. 5:5 et 5:9.

Canada. Chambre des communes. Procès‑verbaux et témoignages du Comité législatif sur le projet de loi C‑61 : Loi modifiant le Code criminel, la Loi des aliments et drogues et la Loi sur les stupéfiants, no 1, 2e sess., 33e lég., 1er juin 1988, p. 9:22‑9:24.

Canada. Chambre des communes. Procès‑verbaux et témoignages du Comité législatif sur le projet de loi C‑61 : Loi modifiant le Code criminel, la Loi des aliments et drogues et la Loi sur les stupéfiants, n1, 2e sess., 33e lég., 2 juin 1988, p. 10:17‑10:18.

Driedger, Elmer A. Construction of Statutes, 2nd ed., Toronto, Butterworths, 1983.

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                    POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario (les juges Weiler, Hourigan et Pardu), 2017 ONCA 634, 137 O.R. (3d) 81, 353 C.C.C. (3d) 293, [2017] O.J. No. 4064 (QL), 2017 CarswellOnt 11968 (WL Can.), qui a modifié la décision sur la peine de la juge Croll, 2013 ONSC 7293, [2013] O.J. No. 5421 (QL), 2013 CarswellOnt 16580 (WL Can.). Pourvoi accueilli, le juge en chef Wagner et les juges Moldaver et Côté sont dissidents en partie.

                    Gregory Lafontaine et Carly Eastwood, pour l’appelant.

                    Bradley Reitz et Sarah Egan, pour l’intimée.

                    Brett Cohen et Melissa Adams, pour l’intervenant le procureur général de l’Ontario.

                    Michael W. Lacy et Bryan Badali, pour l’intervenante l’Association canadienne des libertés civiles.

                    Alan D. Gold et Deepa Negandhi, pour l’intervenante Criminal Lawyers’ Association of Ontario.

                    Gregory DelBigio, c.r., et Alison M. Latimer, pour l’intervenante British Columbia Civil Liberties Association.

                    Version française du jugement des juges Abella, Karakatsanis, Gascon, Brown, Rowe et Martin rendu par

                    La juge Martin —

I.               Introduction

[1]                              Les dispositions du Code criminel ,   L.R.C. 1985, c. C‑46  (« Code  »), relatives aux produits de la criminalité obligent‑elles les tribunaux à retirer d’une main ce qu’ils donnent de l’autre? L’appelant, Yulik Rafilovich, a réclamé les fonds que l’État lui avait saisis au départ parce qu’il s’agissait peut‑être de produits de la criminalité et a obtenu leur restitution, car il en avait besoin pour payer sa défense contre des accusations liées au trafic de drogue. Après qu’il eut plaidé coupable, le ministère public a demandé à la juge chargée de déterminer la peine d’infliger à M. Rafilovich une amende en vertu des dispositions du Code  en matière de confiscation, au motif qu’en se servant des fonds qui lui ont été restitués pour assurer sa défense, il avait bénéficié par le fait même des produits de la criminalité. À mon avis, le législateur ne souhaitait pas que ces dispositions s’appliquent de façon aussi incohérente.

[2]                              En 1988, le législateur a adopté un régime juridique exhaustif et distinct pour traiter des produits de la criminalité, lequel régime constitue maintenant la partie XII.2 du Code . Ce régime complexe et multidimensionnel avait pour objectif général de veiller à ce que le « crime ne paie pas » et de dissuader les contrevenants en les privant de leurs gains mal acquis.

[3]                              Suivant ce régime, l’État peut saisir les biens de l’accusé que l’on croit, pour des motifs raisonnables et probables, être des produits de la criminalité[1]. Le bien saisi est alors détenu en vue de sa possible confiscation au profit de Sa Majesté lors d’une éventuelle audience sur la détermination de la peine (par. 462.32(1), 462.33(1), 462.33(2) et 462.33(3))[2]. En raison de cette saisie initiale, l’accusé, qui est présumé innocent et n’a été reconnu coupable d’aucun crime, risque néanmoins de voir ses biens lui être enlevés par l’État, qui les conservera avant le procès et pendant toute la durée de celui‑ci. Si ses biens n’avaient pas été saisis, cet accusé aurait pu les utiliser librement pour financer sa défense. Or, un grand nombre d’accusés dont tout ou partie des biens ont été saisis n’ont pas les moyens d’engager des avocats pour répondre aux accusations portées contre eux. Conscient des graves problèmes que posait une telle situation, le législateur a reconnu la nécessité d’y remédier.

[4]                              Le législateur a réagi en établissant une procédure précise dans le régime des produits de la criminalité prévu au Code  qui permet à l’accusé de réclamer la restitution de quelques‑uns ou de l’ensemble des biens saisis à certaines fins désignées s’il ne « possède pas d’autres biens ou moyens » (par. 462.34(4))[3]. La liste des fins approuvées par le législateur comprend expressément les frais juridiques raisonnables (sous‑al. 462.34(4)c)(ii)). Selon cette procédure, qui se déroule au début d’un procès criminel, l’accusé demande au juge la restitution des biens saisis pour se payer un avocat (par. 462.34(1)). Par la suite, deux audiences distinctes ont lieu, de la preuve est produite, et le juge décide : (1) si l’accusé a bel et bien besoin d’un des biens saisis pour payer des frais juridiques raisonnables (par. 462.34(4) et (5)); (2) de la somme à restituer; et (3) les conditions indiquées relativement à la restitution des fonds (par. 462.34(4)). La restitution des fonds saisis se fait donc en vertu d’une ordonnance judiciaire. Les fonds restitués sont normalement détenus en fiducie par un avocat et ils ne peuvent servir qu’à la défense de l’accusé, et ces fonds ne sont plus considérés comme des biens saisis que détient l’État.

[5]                              Le processus pénal suit ensuite son cours. Si l’accusé est reconnu ou plaide coupable, le tribunal tiendra une audience de détermination de la peine pour lui infliger une sanction pénale juste et proportionnelle. Le juge chargé de déterminer la peine décide aussi lesquels, s’il en est, des biens du contrevenant (y compris les biens saisis auparavant) s’avèrent être des produits de la criminalité. En règle générale, les biens dont il a été prouvé qu’il s’agit de produits de la criminalité doivent être confisqués au profit de Sa Majesté (par. 462.37(1)).

[6]                              Le législateur a également prévu la situation dans laquelle un bien dont il a été prouvé qu’il s’agit d’un produit de la criminalité à l’étape de la détermination de la peine ne peut être confisqué au profit de Sa Majesté, comme dans le cas où l’argent a été dépensé ou donné à un tiers. En pareil cas, le juge chargé de déterminer la peine peut infliger une « amende en remplacement de la confiscation » égale à la somme dont il a été prouvé qu’il s’agit d’un produit de la criminalité (par. 462.37(3))[4]. Le contrevenant qui ne paie pas l’amende est passible d’un emprisonnement (par. 462.37(4)).

[7]                             La présente affaire concerne le rapport juridique entre une ordonnance judiciaire portant restitution de fonds pour permettre à l’intéressé de payer des frais juridiques raisonnables et le pouvoir discrétionnaire du juge chargé de la détermination de la peine d’infliger une amende en remplacement de la confiscation. La Cour est appelée pour la première fois à déterminer les circonstances dans lesquelles, le cas échéant, le juge chargé de déterminer la peine devrait exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confère la loi pour infliger une amende en remplacement de la confiscation à l’égard de biens utilisés, avec l’autorisation préalable du tribunal, pour payer les frais juridiques raisonnables de la défense de l’accusé. Le législateur n’a donné aucune réponse explicite à cette question. Les juridictions inférieures sont parvenues à des conclusions opposées et la jurisprudence peu abondante partout au pays sur les deux dispositions en cause est tout aussi partagée (R. c. Appleby, 2009 NLCA 6, 282 Nfld. & P.E.I.R. 134; R. c. Wilson (1993), 15 O.R. (3d) 645 (C.A.); R. c. Smith, 2008 SKCA 20, 307 Sask. R. 45; R. c. MacLean (1996), 184 N.B.R. (2d) 26 (C.A.)).

[8]                             À mon avis, l’application des principes d’interprétation législative mène à la conclusion qu’en général, le juge chargé de déterminer la peine ne doit pas infliger une amende en remplacement de la confiscation à l’égard de fonds qui ont été restitués par le tribunal pour le paiement des frais juridiques raisonnables associés à la défense d’un accusé. Cette approche est la plus fidèle à la volonté du législateur.

[9]                             Le pouvoir discrétionnaire d’infliger une amende que la loi accorde au juge chargé de déterminer la peine doit s’exercer conformément aux objets des dispositions du régime des produits de la criminalité (R. c. Lavigne, 2006 CSC 10, [2006] 1 R.C.S. 392, par. 28). Ces objets se dégagent d’un examen du Code  visant à cerner l’intention du législateur quant à la coexistence de la disposition sur la restitution en vue du paiement des frais juridiques et de celle sur l’amende en remplacement de la confiscation. En adoptant la disposition sur la restitution, le législateur a non seulement prévu la possibilité que l’accusé ait besoin des fonds saisis pour préparer sa défense, mais a aussi permis explicitement que les fonds restitués soient consacrés à cette fin. S’il est vrai que l’ensemble du régime des produits de la criminalité a pour objet de s’assurer que le crime ne paie pas ni ne bénéficie au contrevenant, la disposition sur la restitution en vue du paiement des frais juridiques vise la réalisation d’objets secondaires, à savoir : (1) permettre l’accès aux services d’un avocat et (2) accorder une importance suffisante à la présomption d’innocence. Le désir d’assurer l’équité à l’accusé dans les poursuites criminelles sous‑tend ces deux objectifs. Dans la plupart des cas, récupérer les sommes versées pour le paiement de frais juridiques raisonnables au moyen d’une amende en remplacement de la confiscation aura pour effet de miner la réalisation de ces objets tout aussi valables.

[10]                          Par contre, s’il s’avère que le contrevenant n’avait pas un véritable besoin financier ou que les fonds n’ont pas été utilisés pour atténuer ce besoin, il serait indiqué pour le juge d’infliger une amende en remplacement de la confiscation, car cela concorderait avec l’intention du législateur. Par exemple, cela pourrait survenir en présence d’agissements répréhensibles relativement à la demande de restitution (telle la présentation inexacte de la situation financière de l’accusé) ou à l’occasion de l’exécution de l’ordonnance de restitution (p. ex., l’utilisation des fonds d’une manière non prévue dans l’ordonnance, pour des dépenses à des fins qui ne sont pas visées par l’ordonnance ou pour des dépenses qui dépassent les limites autorisées par le tribunal). En outre, cela pourrait se produire si la situation financière de l’accusé change de façon imprévue après la restitution des fonds, mais avant la détermination de la peine, de sorte qu’il ne soit plus nécessaire d’avoir recours aux fonds restitués dès que l’accusé prend connaissance de la nouvelle situation. Ce sont là des exemples du genre de situation qui mine le fondement même de l’ordonnance de restitution de telle sorte que le législateur aurait souhaité recouvrer les sommes d’argent restituées au moyen d’une amende.

[11]                          Dans le contexte de la présente affaire, puisque l’infliction d’une amende aurait pour conséquence de miner l’intention qu’avait le législateur en édictant la disposition sur la restitution en vue du paiement des frais juridiques, je suis d’avis d’accueillir le pourvoi et d’annuler l’ordonnance de la Cour d’appel, qui a imposé une amende et une peine d’emprisonnement pour défaut de paiement.

II.            Faits et historique judiciaire

[12]                          L’appelant, M. Rafilovich, a été arrêté à deux reprises en quatorze mois pour possession de cocaïne en vue d’en faire le trafic. Après avoir fouillé le véhicule de M. Rafilovich et perquisitionné ses deux appartements, la police a saisi entre autres une fausse carte d’assurance sociale, de la cocaïne valant environ 47 000 $ et près de 42 000 $ en argent comptant. L’argent a été saisi par Sa Majesté en tant que biens constituant peut‑être des produits de la criminalité.

[13]                          En 2009, avant l’ouverture du procès de M. Rafilovich, son avocat a présenté en vertu de l’art. 462.34 du Code une demande visant à obtenir la restitution d’une partie des fonds saisis aux fins de paiement des frais juridiques raisonnables associés à l’affaire. Le juge MacDonald, de la Cour supérieure de justice de l’Ontario, a fait droit à la demande en vertu du sous‑al. 462.34(4)c)(ii). Il était convaincu que M. Rafilovich avait répondu à l’exigence du besoin financier énoncée au par. 462.34(4)  du Code  (d.a., vol. II, p. 1). Il a ordonné que les fonds restitués soient détenus par l’avocat de M. Rafilovich dans un compte en fiducie portant intérêt et a imposé les conditions suivantes : les fonds restitués devaient servir uniquement au paiement des frais juridiques et, avant que le moindre paiement de cette nature puisse être fait, l’avocat de M. Rafilovich devait fournir [traduction] « un relevé détaillé justifiant ces frais auprès de M. Rafilovich et il [devait] signer ce relevé pour reconnaître que les frais étaient raisonnables et consentir au paiement » (d.a., vol. II, p. 2). Le juge MacDonald a également fixé le taux horaire et le nombre maximal d’heures d’audience qui pourraient être facturées jusqu’à la fin de l’enquête préliminaire.

[14]                          Au procès, M. Rafilovich a plaidé coupable à : un chef de possession d’une marque contrefaite (une carte d’assurance sociale); deux chefs de possession de cocaïne en vue d’en faire le trafic; et deux chefs de possession de biens de plus de 5 000 $, sachant qu’ils avaient été obtenus ou qu’ils provenaient, directement ou indirectement, de la perpétration au Canada d’une infraction punissable sur acte d’accusation. La juge chargée de déterminer la peine a condamné M. Rafilovich à une peine d’emprisonnement de 36 mois, qui a été écourtée de 13 mois en raison de la période de détention préventive, ainsi que d’une autre période de 9 mois, eu égard aux conditions de sa mise en liberté provisoire. En plus de cette peine, la juge a ordonné que le droit de M. Rafilovich sur 50 p. 100 d’un appartement, qui constituait un « bien infractionnel » au sens de l’art. 2  de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances , L.C. 1996, c. 19  (« LRCDAS  »), soit confisqué au profit de Sa Majesté. La peine d’emprisonnement infligée à M. Rafilovich et la confiscation du droit sur l’appartement ne sont pas en litige dans le présent pourvoi. Bien que le droit sur l’appartement ait été confisqué en application de la LRCDAS , les parties conviennent que les dispositions sur la confiscation qui s’appliquent aux fonds en cause dans la présente affaire sont celles qui figurent dans le Code . Pour les besoins du présent pourvoi, j’accepte, sans trancher la question, que les dispositions déterminantes sont celles du Code et non celles de la LRCDAS .

[15]                          À l’audience de détermination de la peine, le ministère public a également sollicité, en vertu du par. 462.37(3), une amende en remplacement de la confiscation, soit une amende égale à la somme saisie, puis restituée à M. Rafilovich pour qu’il puisse payer son avocat. La juge chargée de déterminer la peine a refusé d’infliger l’amende discrétionnaire, et ce, pour quatre raisons. Premièrement, comme l’a conclu le juge saisi de la demande, M. Rafilovich n’avait pas les moyens d’être représenté par un avocat et il n’était pas admissible à l’aide juridique. En conséquence, [traduction] « [i]l était nécessaire d’accorder la mainlevée de la saisie des fonds » (2013 ONSC 7293, p. 20 (CanLII)). Deuxièmement, M. Rafilovich n’avait retiré aucun bénéfice de la restitution des fonds, si ce n’est la possibilité d’être représenté par un avocat. Il ne s’agissait pas d’une situation où le contrevenant avait tiré profit d’une conduite criminelle. Troisièmement, M. Rafilovich n’avait pas dilapidé ou détourné l’un de ses autres biens. Quatrièmement, le défaut de payer l’amende mènerait à l’imposition d’une nouvelle peine d’emprisonnement de 12 à 18 mois — conséquence que ne subiraient pas les contrevenants disposant de fonds ou ayant droit à l’aide juridique.

[16]                          Le ministère public s’est pourvu en appel. La Cour d’appel de l’Ontario a jugé à l’unanimité que la juge chargée de déterminer la peine avait mal exercé son pouvoir discrétionnaire en l’espèce. Même si elle a reconnu que les juges chargés de déterminer la peine sont investis par la loi du pouvoir discrétionnaire de ne pas infliger d’amende, la cour a rappelé que ce pouvoir ne peut, suivant l’arrêt Lavigne, être exercé de manière à faire obstacle à la réalisation des objectifs que le régime des produits de la criminalité cherche à atteindre. Un de ces objectifs consiste à empêcher les contrevenants de tirer profit de leur conduite criminelle, et la Cour d’appel a estimé que M. Rafilovich avait bénéficié de sa conduite criminelle en disposant de fonds saisis pour payer ses frais juridiques. De l’avis de la Cour d’appel, le fait que le Code  autorise les juges à restituer les fonds saisis pour le paiement de frais juridiques raisonnables était compatible avec l’infliction d’une amende en remplacement de la confiscation plus tard au cours de la poursuite criminelle.

[17]                          La Cour d’appel a également décidé que la juge chargée de déterminer la peine avait commis une erreur en envisageant la possibilité d’une peine d’emprisonnement en cas de défaut de paiement d’une amende. Elle a considéré que, selon l’arrêt de notre Cour dans R. c. Wu, 2003 CSC 73, [2003] 3 R.C.S. 530, le contrevenant ne peut être incarcéré pour défaut de paiement d’une amende s’il a une excuse raisonnable. Étant donné que l’incapacité de payer constitue une excuse raisonnable, M. Rafilovich ne risquerait aucunement de se voir infliger une autre peine d’emprisonnement s’il était incapable en fin de compte de payer l’amende.

[18]                          En se fondant sur l’analyse qui précède, la Cour d’appel a infligé une amende de 41 976,39 $, soit le montant des fonds saisis et restitués, en remplacement de la confiscation. Elle a également ordonné qu’à défaut de payer cette amende sans excuse raisonnable, M. Rafilovich serait condamné à une autre peine de 12 mois d’emprisonnement en sus des 14 mois de la peine qu’il lui restait à purger. Après avoir obtenu l’autorisation de notre Cour, M. Rafilovich se pourvoit de cette décision devant nous.

III.         Question en litige

[19]                         La question que notre Cour doit trancher est la suivante : comment le juge chargé de déterminer la peine, qui est investi du pouvoir discrétionnaire d’infliger ou non une amende en remplacement de la confiscation en vertu du par. 462.37(3) à l’égard du bien dont il est démontré qu’il s’agit d’un produit de la criminalité, devrait‑il traiter le bien qui a été restitué par voie judiciaire pour le paiement de frais juridiques raisonnables aux termes du sous‑al. 462.34(4)c)(ii)? En d’autres termes, quelle est l’interaction souhaitée entre la disposition sur la restitution et celle concernant l’amende en remplacement de la confiscation dans le contexte de frais juridiques raisonnables?

IV.         Analyse

[20]                         Étant donné que le Code  n’indique pas expressément si les fonds restitués par voie judiciaire doivent faire l’objet d’une amende en remplacement de la confiscation, il faut s’en remettre aux règles bien établies d’interprétation législative pour trancher cette question. Cette analyse, qui s’intéresse à l’intention du législateur, est guidée par les mots que le législateur a choisi d’employer, par la façon dont il souhaitait atteindre ses objectifs et par le régime qu’il a mis en place (Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, par. 21). Selon la méthode moderne d’interprétation législative, le sens des mots et expressions est interprété en contexte et eu égard à l’économie de la loi dans laquelle ils sont employés (ATCO Gas and Pipelines Ltd. c. Alberta (Energy and Utilities Board), 2006 CSC 4, [2006] 1 R.C.S. 140, par. 48). De plus, le législateur est présumé vouloir que les dispositions qu’il adopte soient interprétées de façon harmonieuse et qu’elles soient interprétées et appliquées de manière à former un tout cohérent qui respecte les multiples objectifs du législateur et donne un objet et un sens à chacune d’elles. Dans la présente affaire, où le litige concerne de multiples objets de la loi et l’interaction entre au moins deux dispositions législatives, l’économie de la loi et les objectifs qui sous‑tendent chacune des dispositions applicables revêtent une importance particulière.

[21]                         Pour entreprendre cette analyse, je procéderai donc ainsi. En premier lieu, je résumerai le cadre général dans lequel se pose cette question restreinte et exposerai les deux dispositions au cœur de la controverse. En deuxième lieu, j’examinerai les multiples objectifs du régime des produits de la criminalité, la procédure de restitution ainsi que la disposition sur l’amende en remplacement de la confiscation, et j’expliquerai la façon dont les tribunaux devraient interpréter les régimes aux objets multiples. En troisième lieu, je me demanderai si le fait d’interpréter la disposition sur la restitution comme quelque chose de semblable à un prêt à l’accusé permettrait d’atteindre et de protéger ces objectifs. En quatrième lieu, je m’attarderai à la question de savoir si les biens restitués constituent le genre d’avantage visé par le régime. En cinquième lieu, je me demanderai si les fonds restitués par voie judiciaire s’apparentent aux exemples énumérés dans la disposition sur l’amende en remplacement de la confiscation. En sixième lieu, j’indiquerai dans quel cas le pouvoir discrétionnaire d’infliger une amende en remplacement de la confiscation devrait être exercé. Enfin, je répondrai à l’affirmation selon laquelle notre Cour devrait imposer les critères de prestation des services d’un avocat rémunéré par l’État qui sont énoncés dans R. c. Rowbotham (1988), 41 C.C.C. (3d) 1 (C.A. Ont.), à l’exercice par le juge de son pouvoir discrétionnaire d’infliger une amende en remplacement de la confiscation pour le paiement de frais juridiques raisonnables en sus des exigences fixées par le législateur pour la restitution de fonds servant à payer des frais juridiques raisonnables.

A.           L’économie de la loi, la procédure de restitution et la disposition sur l’amende en remplacement de la confiscation

[22]                         Selon l’économie du régime des produits de la criminalité établi dans le Code , la question dont la Cour est saisie se pose uniquement dans des circonstances limitées lorsque cinq conditions préalables sont réunies.

[23]                         Premièrement, l’inculpé est accusé d’une « infraction désignée » au sens du par. 462.3(1).

[24]                         Deuxièmement, un bien est saisi. Le législateur a permis à l’État d’enlever un bien à l’accusé sur le fondement de motifs raisonnables et probables de croire qu’il sera éventuellement prouvé qu’il s’agit d’un produit de la criminalité (par. 462.32(1) et 462.33(1)). Cette saisie survient alors que l’accusé est présumé innocent et qu’il demeure légalement, aux yeux de la loi, le propriétaire du bien saisi, tant que celui-ci n’est pas confisqué lors de la détermination de la peine. Le fait de saisir les biens de personnes encore présumées innocentes constituait une mesure vraiment extraordinaire lors de la création du régime des produits de la criminalité en 1988 (G. J. Rose, « Non‑Part XII.2 Warrants and Proceeds of Crime » (1996), 38 Crim. L.Q. 206, p. 210‑211).

[25]                         Troisièmement, l’accusé demande, au titre des par. 462.34(4) à (6), la restitution des biens saisis en vue de payer ses frais juridiques raisonnables. Pour les besoins du présent dossier, voici le texte des dispositions pertinentes du paragraphe :

        (4) Le juge saisi d’une demande d’ordonnance présentée en vertu du paragraphe (1) peut, après avoir entendu le demandeur, le procureur général et, éventuellement, les personnes à qui le préavis mentionné au paragraphe (2) a été remis, ordonner que les biens soient restitués en tout ou en partie au demandeur, annuler ou modifier l’ordonnance de blocage rendue en vertu du paragraphe 462.33(3) de façon à soustraire, en totalité ou en partie, ces biens ou un droit sur ceux‑ci à son application, selon le cas, ou rendre l’ordonnance de blocage sujette aux conditions qu’il estime indiquées dans les cas suivants :

      . . .

      c) afin de permettre :

      . . .

        (ii) à l’une des personnes mentionnées au sous‑alinéa (i) de faire face à ses dépenses commerciales courantes et de payer ses frais juridiques dans la mesure où ces dépenses et frais sont raisonnables,

      . . .

lorsque le juge est convaincu que l’auteur de la demande ne possède pas d’autres biens ou moyens pour ce faire et que nulle autre personne ne semble être le propriétaire légitime de ces biens ou avoir droit à leur possession légitime.

[26]                         En adoptant ces dispositions sur la restitution, le législateur a ouvert la voie à un encadrement judiciaire rigoureux des modalités pour ce qui est de savoir si, quand et comment les biens saisis peuvent être restitués en vue du paiement de frais juridiques raisonnables. Les biens saisis ne peuvent être restitués que « lorsque le juge est convaincu que l’auteur de la demande ne possède pas d’autres biens ou moyens » pour payer ses frais juridiques (sous‑al. 462.34(4)c)(ii)). Ces dispositions et cette procédure en matière de restitution, ainsi que le but qu’avait le législateur en les adoptant, seront étudiés plus en détail dans une prochaine section.

[27]                         Quatrièmement, le ministère public prouve que certains biens sont visés par la définition légale de produits de la criminalité au sens du par. 462.37(1) ou (2). Seuls les biens dont on a jugé qu’ils constituent des « produits de la criminalité » à l’issue de l’instance, qu’il s’agisse d’une audience de détermination de la peine ou de confiscation, peuvent faire l’objet d’une confiscation ou d’une amende en remplacement de la confiscation.

[28]                         Cinquièmement, une partie ou la totalité des biens dont il est prouvé qu’ils constituent des produits de la criminalité à l’étape de la détermination de la peine n’est plus confiscable au profit de Sa Majesté. En pareil cas, le juge chargé de déterminer la peine peut infliger une « amende en remplacement de la confiscation » en conformité avec les par. 462.37(3) et (4). L’infliction d’une amende participe d’une décision discrétionnaire et le par. 462.37(3) dresse une liste non exhaustive de circonstances dans lesquelles il est possible d’infliger une amende en remplacement de la confiscation, notamment en cas de « remise [du bien] à un tiers » (al. 462.37(3)b)). Le paragraphe 462.37(3) est rédigé ainsi :

        (3) Le tribunal qui est convaincu qu’une ordonnance de confiscation devrait être rendue à l’égard d’un bien — d’une partie d’un bien ou d’un droit sur celui‑ci — d’un contrevenant peut, en remplacement de l’ordonnance, infliger au contrevenant une amende égale à la valeur du bien s’il est convaincu que le bien ne peut pas faire l’objet d’une telle ordonnance et notamment dans les cas suivants :

      a) impossibilité, malgré des efforts en ce sens, de retrouver le bien;

      b) remise à un tiers;

      c) situation du bien à l’extérieur du Canada;

      d) diminution importante de valeur;

      e) fusion avec un autre bien qu’il est par ailleurs difficile de diviser.

L’amende infligée, le cas échéant, doit être égale au montant des fonds dont il a été prouvé qu’ils constituent des produits de la criminalité. Le contrevenant qui ne paie pas l’amende est passible d’une peine d’emprisonnement supplémentaire (par. 462.37(4)).

B.            Les multiples objets du régime des produits de la criminalité

(i)            Principes généraux

[29]                         Je reconnais que le législateur avait plusieurs objectifs en tête au moment où il a instauré ce régime exhaustif des produits de la criminalité, ce que la professeure Sullivan qualifie de [traduction] « combinaison souhaitée d’objectifs » (Sullivan on the Construction of Statutes (6e éd. 2014), p. 409).

[30]                         Pour interpréter un régime complexe tel que celui qui nous intéresse en l’espèce, il est essentiel de ne pas s’attarder à un seul objectif au détriment des autres. Comme l’explique la professeure Sullivan, les objets secondaires doivent jouer un rôle actif dans une entreprise d’interprétation législative :

     [traduction] Bien que la promulgation d’un texte législatif puisse viser une politique ou un principe premier, les objectifs premiers d’une loi que vise le législateur ne le sont presque jamais de façon absolue ou résolue; diverses politiques ou divers principes secondaires sont inévitablement inclus de telle sorte que la poursuite des objectifs premiers s’en voit nuancée ou modifiée. Par exemple, le respect des principes d’équité ou de justice naturelle pourrait empêcher l’adoption de la mesure la plus efficace et la moins coûteuse permettant de mettre en œuvre une politique générale comme la sécurité nationale . . .

     Les objets secondaires sont rarement mentionnés dans le préambule de la loi ou dans l’énoncé de l’objet qu’elle renferme. C’est grâce à une analyse de l’économie de la loi, et plus particulièrement du rapport qu’entretiennent ses différentes dispositions, qu’il est possible de dégager ces objets secondaires. [Notes en bas de page omises; p. 271.]

De même, dans l’arrêt Sun Indalex Finance, LLC c. Syndicat des Métallos, 2013 CSC 6, [2013] 1 R.C.S. 271, le juge Cromwell a signalé que, tout aussi importants soient-ils, « le législateur n’entend pas atteindre [les objectifs premiers de la loi] à n’importe quel prix, son intention étant clairement de [les] mettre en balance avec d’autres intérêts importants dans le cadre d’un régime soigneusement conçu » (par. 174). Autrement dit, sans que cela doive être un facteur déterminant, l’objet prépondérant d’un régime législatif éclaire l’interprétation d’une disposition donnée de ce régime.

[31]                         Eu égard à ces principes, il faut traiter de l’arrêt Lavigne de notre Cour et du fait qu’il ne fournit pas la réponse à la question en litige dans la présente affaire, et examiner la façon dont était censée fonctionner la procédure de restitution vu que le juge chargé de déterminer la peine jouit par la suite du pouvoir discrétionnaire d’infliger une amende en remplacement de la confiscation. Il faut également passer en revue les objectifs précis qui sous‑tendent les dispositions sur la restitution.

(i)            L’arrêt Lavigne

[32]                         Notre Cour a examiné dans l’arrêt Lavigne les objectifs généraux du régime des produits de la criminalité ainsi que de l’amende en remplacement de la confiscation. La question de droit à trancher dans cette affaire était de savoir si le juge chargé de déterminer la peine pouvait tenir compte de la capacité de payer d’un contrevenant au moment d’infliger une amende en remplacement de la confiscation et de fixer le montant de l’amende. Monsieur Lavigne a admis avoir reçu 150 000 $ de son entreprise criminelle, mais il a fait valoir qu’il n’avait pas bénéficié personnellement de l’argent, « mais en aurait fait profiter ses proches » (par. 3). Notre Cour a conclu que le législateur ne souhaitait pas que ce juge tienne compte de l’incapacité de payer de M. Lavigne lorsqu’il a décidé d’infliger une amende en remplacement de la confiscation. Autoriser ce contrevenant à invoquer l’impécuniosité et retrancher au montant de l’amende l’argent qu’il a choisi de dépenser en cadeaux ou autres achats pour ses proches équivaudrait effectivement à lui permettre de tirer profit de ses crimes d’une manière qui irait à l’encontre des objets sous-jacents du régime des produits de la criminalité.

[33]                         Dans l’arrêt Lavigne, notre Cour a conclu que les juges chargés de déterminer la peine doivent exercer leur pouvoir discrétionnaire d’infliger une amende en remplacement de la confiscation sans miner les objectifs du régime des produits de la criminalité. Elle a statué qu’en adoptant le régime des produits de la criminalité, le législateur avait pour objectif premier — ou global — de s’assurer que l’infraction génératrice d’un profit ne « bénéfici[e] [pas] au contrevenant » et que « le crime ne paie pas » (par. 10). La disposition sur la confiscation avait pour objectif de « priver le contrevenant et l’organisation criminelle des produits de leur crime et de les dissuader de perpétrer d’autres infractions » (Lavigne, par. 16; voir également par. 23). Pour y arriver, il fallait empêcher les accusés de se soustraire à la confiscation en dissimulant ou en dilapidant les biens. Ainsi, les dispositions sur la saisie permettent à l’État de prendre le contrôle des biens qu’il croit être des produits de la criminalité avant le procès et la détermination de la peine, afin de veiller à ce qu’ils demeurent confiscables. Dans le même ordre d’idées, la disposition relative à l’infliction d’une amende en remplacement de la confiscation fait en sorte que l’accusé qui a pu conserver des produits de la criminalité hors de la portée de l’État tout au long de l’instance criminelle est tenu, en fin de compte, de payer une amende égale à la valeur du bien qui n’est pas confiscable. Comme la Cour l’a fait remarquer dans l’arrêt Lavigne, cela permet d’éviter « que le produit d’un crime profite indirectement à ses auteurs » (par. 18).

[34]                         Cependant, il n’était pas du tout question de la disposition sur la restitution dans l’arrêt Lavigne. Donc, pour les besoins du présent dossier, cet arrêt ne portait que sur certains des objectifs du législateur et il ne traitait pas des objets distincts qui sous‑tendent la disposition sur la restitution. Le présent pourvoi, en revanche, porte sur la disposition relative à la restitution et sur son interaction avec les autres parties du régime des produits de la criminalité, surtout son rapport avec la disposition sur l’amende en remplacement de la confiscation. Il est donc nécessaire en l’espèce que la Cour décide de la manière dont un juge doit exercer son pouvoir discrétionnaire pour concilier les objectifs qui sous‑tendent le régime des produits de la criminalité dans son ensemble et les objectifs supplémentaires particuliers de la disposition sur la restitution en vue du paiement des frais juridiques. La disposition sur la restitution démontre que le législateur voulait que l’on pondère les autres objectifs secondaires au regard de l’objectif premier de s’assurer que « le crime ne paie pas ». En conséquence, les objectifs de la disposition expresse et distincte sur la restitution revêtent aujourd’hui une importance cruciale car elles indiquent de quelle manière on peut l’interpréter en harmonie avec la disposition sur l’amende en remplacement de la confiscation.

(i)            La procédure de restitution pour le paiement de frais juridiques raisonnables

[35]                         En édictant la disposition sur la restitution, le législateur a créé un mécanisme distinct et particulier qui permet à l’accusé de récupérer un bien saisi aux fins énumérées au par. 462.34(4), notamment pour les frais juridiques raisonnables. Le législateur a prescrit une procédure de demande particulière, qui comporte la tenue de deux audiences devant un juge; il a obligé les demandeurs à prouver qu’ils ne possédaient pas d’autres biens ou moyens; il a interdit la restitution de fonds dans le cas du tiers qui semble être le propriétaire légitime des biens ou avoir droit à leur possession légitime; il a autorisé le juge à décider du montant à restituer; il s’est assuré que toute restitution soit effectuée par la voie d’une ordonnance judiciaire susceptible de préciser les montants, le nombre d’avocats, etc.; et il a prévu le réexamen subséquent de ces montants pour s’assurer qu’ils sont effectivement raisonnables.

[36]                         Dans bien des cas, un projet de budget est présenté à huis clos au tribunal (comme dans l’affaire R. c. Davidson, 2016 ONSC 7440, par. 21 (CanLII)); sinon, le juge peut fixer le nombre d’heures admissibles et les frais accessoires (R. c. Alves, 2015 ONSC 4489, par. 46‑51 (CanLII)). En outre, le par. 462.34(5) oblige le juge à « t[enir] compte du barème d’aide juridique de la province » et, aux termes du par. 462.34(5.2), les frais juridiques peuvent être taxés (c.‑à‑d. qu’ils peuvent être contrôlés ou vérifiés). Le juge doit faire [traduction] « davantage qu’un examen rapide » de la situation financière de l’accusé; de plus, un « examen approfondi des faits est nécessaire » (R. c. Borean, 2007 NBQB 335, 321 N.B.R. (2d) 309, par. 8). Les fonds saisis seront ensuite restitués conformément aux modalités de l’ordonnance judiciaire.

[37]                         La formulation des dispositions pertinentes ainsi que la complexité et le caractère détaillé de la disposition sur la restitution indiquent que le législateur a clairement et délibérément tenté de traiter la question de la nécessité pour l’accusé d’obtenir les services d’un avocat, mais seulement dans des circonstances circonscrites : (1) lorsque l’accusé « ne possède pas d’autres biens ou moyens » et, par conséquent, qu’il est absolument essentiel d’avoir recours aux fonds; et (2) lorsque « nulle autre personne ne semble être le propriétaire légitime de ces biens ou avoir droit à leur possession légitime » (par. 462.34(4)). La disposition sur la restitution vise donc à offrir un filet de sûreté aux accusés qui ont besoin d’une aide financière.

(i)            Les objectifs de la disposition sur la restitution

[38]                         Une revue des débats parlementaires sur le régime des produits de la criminalité permet de constater que deux objectifs sous-tendent la disposition sur la restitution en vue du paiement des frais juridiques qui figure au sous-al. 462.34(4)c)(ii) : (1) permettre l’accès aux services d’un avocat; et (2) accorder une importance suffisante à la présomption d’innocence. Ces objectifs témoignent de l’intention sous‑jacente de promouvoir l’équité dans les poursuites criminelles qui se dégage du régime des produits de la criminalité établi par le législateur.

[39]                         Lorsqu’il a témoigné devant le comité législatif chargé d’étudier le projet de loi qui incorpore le régime des produits de la criminalité au Code , le ministre de la Justice a fait remarquer ce qui suit :

             La loi garantira [. . .] les droits des tiers innocents et assurera certaines protections aux accusés. [. . .] Ce projet de loi n’entame en rien les garanties de présomption d’innocence ni la nécessité de prouver la culpabilité au‑delà de tout doute raisonnable.

(Chambre des communes, Procès-verbaux et témoignages du Comité législatif sur le projet de loi C-61 : Loi modifiant le Code criminel, la Loi des aliments et drogues et la Loi sur les stupéfiants, no 1, 2e sess., 33e lég., 5 novembre 1987, p. 1:8)

Dans un témoignage livré à une date subséquente, le ministre a souligné le but de l’équité :

        [L]e projet de loi vise à nous permettre de lutter énergiquement et efficacement contre la criminalité organisée. Toutefois, j’aimerais vous rappeler que j’entends instituer une procédure qui soit juste pour les accusés et les tiers innocents touchés par les produits de la criminalité.

(Chambre des communes, Procès‑verbaux et témoignages du Comité législatif sur le projet de loi C‑61 : Loi modifiant le Code criminel, la Loi des aliments et drogues et la Loi sur les stupéfiants, no 5, 2e sess., 33e lég., 10 mai 1988, p. 5:5)

[40]                         Par la suite, le ministre a expliqué la disposition sur la restitution en vue du paiement des frais juridiques :

     Je crois que cette disposition établit un juste équilibre entre le droit à un avocat de son choix et l’intérêt de l’État dans la confiscation des produits de la criminalité. [. . .] Cette disposition [permettant de réclamer des fonds pour les frais juridiques raisonnables] est une amélioration du droit actuel et aidera à concrétiser la garantie constitutionnelle du recours à l’aide d’un avocat.

(Chambre des communes, Procès‑verbaux, 10 mai 1988, p. 5:9)

[41]                         Lors de la troisième lecture, le ministre de la Justice a expliqué que les dispositions sur la restitution et celles sur l’amende en remplacement de la confiscation s’appuyaient sur ces objectifs :

       Les intéressés peuvent demander une révision judiciaire immédiate de cette action judiciaire [en saisie ou blocage] pour se faire rembourser des dépenses personnelles, commerciales et légales raisonnables qu’ils ont subies.

     Je rappelle que ces moyens de protection sont uniques dans notre droit pénal. Sans compter que les droits des tierces parties sont reconnus pendant toute la procédure de saisie, de blocage et de confiscation. L’équilibre qu’on a pris soin d’apporter entre cette procédure de confiscation et le droit constitutionnel aux services d’un avocat est typique de la politique du gouvernement actuel qui ne tient pas à s’exposer aux critiques que des mesures analogues ont soulevées aux États‑Unis.

(Chambre des communes, Débats, vol. 14, 2e sess., 33e lég., 7 juillet 1988, p. 17258)

[42]                         Les mots « critiques que des mesures analogues ont soulevées aux États‑Unis » évoquaient les dispositions qui attribuaient rétroactivement les produits de la criminalité à l’État, sans prévoir d’exception pour les frais juridiques. Comme la juge Veit l’a fait remarquer dans la décision R. c. Gagnon (1993), 80 C.C.C. (3d) 508 (B.R. Alb.), p. 512 :

     [traduction] Il convient de souligner que le législateur, connaissant sans doute le modèle américain fondé sur l’utilisation des saisies générales, ainsi que la jurisprudence américaine correspondante, a choisi pour sa part d’adapter ce modèle afin de permettre à l’accusé d’avoir accès à des fonds pour le paiement de ses frais de subsistance raisonnables, de ses dépenses d’entreprise raisonnables, de ses frais d’avocats et de ses engagements.

[43]                         Il appert des propos tenus par le ministre que garantir à l’accusé la possibilité d’avoir accès aux services d’un avocat est un objectif principal de la disposition sur la restitution en vue du paiement des frais juridiques. Bien que la saisie des fonds aide l’État à protéger son éventuel droit sur les biens, le législateur a voulu que ce droit éventuel passe au second plan lorsqu’il met en péril la capacité d’un accusé à avoir accès aux services d’un avocat.

[44]                         La protection choisie par le législateur s’appuie sur le fait que la capacité d’un accusé de retenir les services d’un avocat pour se défendre dans un procès criminel fait partie du droit anglais depuis 1836 (An Act for enabling Persons indicted of Felony to make their Defence by Counsel or Attorney (R.‑U.), 1836, 6 & 7 Will. 4, c. 114, art. 1) même si ce droit existait bien avant, dans une forme plus limitée, dans le cas de la trahison ou d’autres crimes graves (J. H. Langbein, The Origins of Adversary Criminal Trial (2003), p. 101‑102). Il s’agit sans aucun doute d’un précepte fondamental de notre système de justice pénale.

[45]                         Les propos du ministre donnent à penser que le législateur se souciait également de la présomption d’innocence, « la clé de voûte de notre système de justice pénale » (R. c. Chaulk, [1990] 3 R.C.S. 1303, p. 1368). La disposition sur la restitution tient également compte du fait qu’au Canada, les biens peuvent être saisis sur le seul fondement d’une croyance raisonnable qu’il pourrait s’agir de produits de la criminalité, alors que ces biens appartiennent en principe à une personne présumée innocente (B. A. MacFarlane, R. J. Frater et C. Michaelson, Drug Offences in Canada (4e éd. (feuilles mobiles)), § 14:180.40.120). En effet, il se peut que l’accusé ne soit jamais reconnu coupable ou qu’il ne soit jamais prouvé que les biens en cause sont des produits de la criminalité. Par conséquent, lorsqu’un accusé utilise les fonds restitués pour le paiement de frais juridiques raisonnables, il dépense son propre argent pour payer sa défense. Le législateur était manifestement préoccupé par la sévérité d’un régime qui emporterait la saisie des biens de personnes encore présumées innocentes, et il a pris des mesures pour protéger leurs droits.

[46]                         Enfin, les propos tenus par le ministre témoignent d’une préoccupation sous-jacente à l’égard de l’équité procédurale envers l’accusé dans les poursuites criminelles. Le principe de l’équité procédurale dans les procès criminels est à la base de notre système de justice (R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103, p. 121; R. c. Whyte, [1988] 2 R.C.S. 3, p. 15; R. c. Hodgson, [1998] 2 R.C.S. 449, par. 18). Le ministre a souligné l’importance de la « procédure [. . .] juste » que l’on était en train d’instaurer au moyen de la « protection » de l’accès aux services d’un avocat. De plus, le ministre a mentionné que « [le projet de loi] est une mesure équilibrée et juste qui ne contient pas de dispositions excessives comme c’était le cas d’autres lois. [. . .] Nous tenons à nous assurer que lorsque nous cherchons à nous emparer des produits de la criminalité, nous le faisons d’une façon équitable » (Débats, p. 17259).

[47]                         Ainsi que l’a affirmé le juge Doherty, la disposition sur la restitution [traduction] « reconnaît que l’État ne devrait pas être autorisé à appauvrir une personne qui aura souvent besoin de retenir les services d’un avocat afin de se défendre contre une mesure de l’État visant à la priver de ses biens et de sa liberté » (Wilson, p. 659). La disposition sur la restitution visait donc à faire respecter le principe de l’équité dans les poursuites criminelles : il ne faut pas priver une personne de la possibilité d’embaucher un avocat pour la représenter au motif que l’État a saisi les fonds avec lesquels elle aurait payé son avocat.

[48]                         Le législateur voulait créer une « procédure [. . .] juste » pour permettre aux accusés de demander au tribunal d’autoriser à certaines fins la restitution des fonds saisis. Ce principe d’équité, y compris les notions d’avis suffisant et de fiabilité, devrait par le fait même éclairer l’interprétation de la disposition sur la restitution, surtout compte tenu du rôle qui lui est attribué dans le régime plus large des produits de la criminalité.

[49]                         L’examen qui précède montre que, même si le législateur souhaitait indéniablement supprimer l’attrait financier de certains crimes, il voulait aussi s’assurer que les accusés puissent être représentés par un avocat et que la présomption d’innocence soit protégée afin de maintenir une procédure qui est juste envers l’accusé. Ces objets viennent restreindre la poursuite de l’objectif premier. L’interprétation judiciaire devrait favoriser la conciliation des droits et intérêts en jeu dans cette partie du Code , et non la compromettre. À mon avis, l’interprétation juste ne néglige pas les objets secondaires, ni n’en minimise l’importance, dans le but de réaliser l’objectif premier de s’assurer que le crime ne paie pas. Le régime établi par le législateur, ainsi que ses multiples objectifs, doivent plutôt être lus ensemble, [traduction] « interprétés globalement, chaque partie de ce texte ou article éclairant au besoin le reste de celui‑ci » (Greenshields c. The Queen, [1958] R.C.S. 216, p. 225).

[50]                         Bien que l’appelant et deux intervenantes, la British Columbia Civil Liberties Association et la Criminal Lawyers’ Association of Ontario, aient formulé des arguments constitutionnels, il n’est pas nécessaire, pour trancher le présent pourvoi, de délimiter les paramètres du droit constitutionnel d’un accusé de dépenser son propre argent pour retenir les services d’un avocat. Notre Cour a mentionné que l’accès à une bonne représentation par avocat est ancrée dans la présomption d’innocence, le principe des poursuites criminelles équitables et les principes de justice fondamentale (R. c. G.D.B., 2000 CSC 22, [2000] 1 R.C.S. 520, par. 24‑25). Il suffit de dire que le législateur a conçu son régime des produits de la criminalité pour établir des mesures de protection équitables envers l’accusé, notamment la possibilité de payer les frais juridiques à même les biens saisis ou bloqués lorsque cela est nécessaire.

[51]                         En gardant ces objets à l’esprit, je me penche maintenant sur la disposition relative à l’infliction d’une amende en remplacement de la confiscation comme telle.

C.            L’infliction d’une amende en remplacement de la confiscation à l’égard de fonds restitués par voie judiciaire minerait les objectifs de la disposition sur la restitution

[52]                         L’appelant, M. Rafilovich, soutient que la disposition relative à l’infliction d’une amende en remplacement de la confiscation ne s’applique pas aux fonds restitués en application d’une ordonnance qu’un juge a rendue pour permettre le paiement de frais juridiques raisonnables. Le ministère public intimé répond qu’à moins que le juge n’inflige une amende en remplacement de la confiscation à l’égard des sommes restituées pour le paiement des frais juridiques, l’accusé est avantagé d’une façon qui mine les objectifs de la confiscation. Le ministère public a formulé la théorie que la disposition sur la restitution visait à accorder à l’accusé une avance provisoire qui sera récupérée plus tard par l’infliction d’une amende en remplacement de la confiscation. D’après ce raisonnement, la restitution des fonds saisis constitue une avance temporaire de fonds, qui seront récupérés par l’infliction d’une amende lors d’une audience subséquente sur la détermination de la peine. À l’audience, l’avocat du ministère public intimé a qualifié l’ordonnance de restitution de [traduction] « mesure semblable à un prêt, lequel provient de fonds associés à la criminalité » (transcription, p. 78).

[53]                         Tout compte fait, je partage l’avis de M. Rafilovich. L’exercice par le juge de son pouvoir discrétionnaire d’infliger une amende en remplacement de la confiscation doit être « conforme à l’esprit » et « compatible avec les objectifs » du régime dans son ensemble (Lavigne, par. 28 et 52). La disposition sur la restitution en vue du paiement des frais juridiques a pour objectifs d’assurer l’accès aux services d’un avocat et de faire respecter la présomption d’innocence, lesquels doivent être pondérés au regard de l’objectif premier du régime des produits de la criminalité, qui consiste à s’assurer que le crime ne paie pas. L’application de ces objectifs dans l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire mène à la conclusion qu’en général, les juges ne doivent pas infliger une amende correspondant à la somme restituée en vertu d’une autorisation judiciaire pour le paiement de frais juridiques raisonnables.

[54]                         À l’inverse, l’interprétation du ministère public aurait pour effet de miner les objectifs de la disposition sur la restitution en vue du paiement de frais juridiques raisonnables — soit permettre l’accès aux services d’un avocat et accorder une importance suffisante à la présomption d’innocence — et ne favorise pas la réalisation de l’intention du législateur d’établir une « procédure [. . .] juste ». Ce faisant, cette interprétation ne permet pas d’établir un juste équilibre entre les droits que prévoit cette partie du Code et elle ne devrait pas être adoptée pour cette raison. C’est pourquoi, et afin de respecter la multiplicité des objectifs du législateur, en général le juge chargé de déterminer la peine ne devrait pas infliger une amende en remplacement de la confiscation à l’égard de fonds qui ont été restitués par voie judiciaire pour le paiement de frais juridiques raisonnables liés à la défense de l’accusé en matière criminelle.

[55]                         L’accès aux services d’un avocat est un objectif principal de la disposition sur la restitution en vue du paiement des frais juridiques. Si l’on voit l’ordonnance de restitution comme un prêt et une amende en remplacement de la confiscation est infligée automatiquement à l’égard de fonds restitués par voie judiciaire, la capacité d’un accusé d’avoir accès aux services d’un avocat devient largement illusoire. Craignant une amende ou une peine d’emprisonnement additionnelle, les accusés pourraient renoncer complètement à solliciter la restitution de fonds et se représenter plutôt eux‑mêmes. Par conséquent, au lieu d’aider les accusés à avoir accès aux services d’un avocat, la disposition aurait exactement l’effet contraire : elle les découragerait de retenir les services d’un avocat. La disposition sur la restitution était censée faire en sorte que les personnes dont les fonds ont été saisis par l’État ne soient pas incapables d’embaucher un avocat. Toutefois, les accusés qui comprennent que les fonds restitués par voie judiciaire seront récupérés plus tard, par l’infliction d’une amende, voire d’un emprisonnement, risquent fort bien de choisir de se représenter eux-mêmes. En conséquence, les personnes dont les fonds ont été saisis par l’État se verront souvent dans l’impossibilité de retenir les services d’un avocat.

[56]                         Lorsqu’un accusé ne peut avoir accès aux services d’un avocat, la présomption d’innocence en souffre. Il en est ainsi puisqu’en favorisant l’exercice du droit de l’accusé de présenter une défense pleine et entière, l’avocat de la défense fait en sorte que la preuve à établir incombe toujours au ministère public. Il est difficile pour le profane inculpé d’apprécier correctement « la complexité accrue des affaires criminelles » qui, selon ce qu’a affirmé la Cour, touche « la plupart des causes » dans notre système de justice pénale (R. c. Jordan, 2016 CSC 27, [2016] 1 R.C.S. 631, par. 53 et 83).

[57]                         L’importance de la présomption d’innocence n’est pas non plus « épuisé[e] » dès qu’il y a déclaration de culpabilité (par. 159). Le système de justice pénale ne limite pas rétroactivement la présomption d’innocence — et il ne doit pas le faire —, pas plus qu’il en assortit l’exercice de conditions préalables ou de sanctions. Imposer des sanctions rétroactives à des accusés qui invoquent la présomption d’innocence ne peut avoir d’autre effet que de saper cette présomption et les protections qu’elle confère aux accusés. Par exemple, la présomption d’innocence sous-tend le concept de mise en liberté sous caution (R. c. Antic, 2017 CSC 27, [2017] 1 R.C.S. 509, par. 1). Le temps passé en liberté sous caution n’est pas ajouté au moment de la détermination de la peine; au contraire, des conditions de mise en liberté sous caution rigoureuses peuvent être un facteur atténuant lorsque vient le moment de déterminer la peine.

[58]                         Tout comme la loi ne prévoit aucun mécanisme de « récupération » du temps passé en liberté sous caution en vertu du régime de mise en liberté provisoire parce qu’un tel mécanisme irait à l’encontre de la présomption d’innocence consacrée par ce régime, la disposition sur l’amende en remplacement de la confiscation ne saurait représenter, en temps normal, une dilution rétroactive de la présomption d’innocence à l’égard des biens que le tribunal a restitués pour le paiement de frais juridiques raisonnables. Bien que la loi prévoie un mécanisme permettant de récupérer les produits de la criminalité dépensés par le truchement du régime de l’amende en remplacement de la confiscation, cette analogie avec la mise en liberté sous caution fait ressortir que les contrevenants en général ne sont pas punis pour avoir invoqué la présomption d’innocence. En adoptant la disposition sur la restitution en vue du paiement des frais juridiques, le législateur voulait accorder une importance significative au principe fondamental de la présomption d’innocence, notamment en veillant à ce que l’accusé puisse retenir les services d’un avocat. Considérer que la disposition sur la restitution est simplement temporaire et dissuade par le fait même l’accusé de recourir aux services d’un avocat mine l’objectif même que le législateur cherchait à atteindre.

[59]                         De plus, l’imposition d’une amende à l’égard de fonds restitués par voie judiciaire suscite des préoccupations de préavis et de fiabilité qui sont ancrées dans le principe de l’équité envers l’accusé dans les poursuites criminelles. On peut s’attendre à ce que l’accusé se fonde sur une ordonnance judiciaire autorisée par un régime légal en particulier. Cet accusé ne peut raisonnablement pas savoir qu’en faisant cela, il s’expose à une sanction additionnelle. Pourtant, « [l]a règle de droit exige que les lois délimitent à l’avance ce qui est permis et ce qui est interdit » (R. c. Mabior, 2012 CSC 47, [2012] 2 R.C.S. 584, par. 14; R. c. Levkovic, 2013 CSC 25, [2013] 2 R.C.S. 204, par. 3). L’imposition générale d’une amende en remplacement d’une confiscation à l’égard de fonds restitués par voie judiciaire ne respecterait pas les principes de notification raisonnable, ce qui mine davantage l’intention du législateur de créer une procédure équitable qui permet le recours aux services d’un avocat et assure la présomption d’innocence.

[60]                         Mon collègue minimise ces préoccupations en affirmant que même si le « choix » de retenir les services d’un avocat quitte à faire face à une amende à l’égard des fonds restitués en application d’une ordonnance judiciaire « peut ne pas s’avérer facile à faire, mais notre système de justice criminelle ne garantit à personne une expérience exempte de choix difficiles » (par. 142). Soit dit en tout respect, il y a une différence entre un choix difficile et un choix qui n’en est pas un du tout. Le « choix » auquel est confronté un accusé en pareille situation est un faux choix : un choix apparemment libre quand il n’existe en réalité qu’une seule option. Dans ce cas, l’option est de ne pas être représenté par avocat. La Cour a souligné qu’il faut se garder de donner un faux choix dans le contexte du droit criminel (R. c. Taylor, 2014 CSC 50, [2014] 2 R.C.S. 495, par. 40).

[61]                         Pour l’ensemble des raisons qui précèdent, traiter la restitution de fonds autorisée par le tribunal comme étant l’argent de l’accusé prêté à ce dernier par l’État — faisant ainsi de la restitution un piège à appât — découragerait ceux tentés de s’en prévaloir et, au final, compromettrait les objectifs que visait le législateur lorsqu’il a édicté la disposition sur la restitution en vue du paiement des frais juridiques.

D.           Les fonds restitués pour le paiement de frais juridiques raisonnables constituent‑ils un avantage?

[62]                         Le ministère public soutient par ailleurs que M. Rafilovich a néanmoins reçu un [traduction] « avantage » — le paiement de ses frais juridiques — dont il doit être privé par l’infliction d’une amende en remplacement de la confiscation pour assurer le respect de l’objectif du régime des produits de la criminalité (m.i., par. 49). Je ne suis pas de cet avis.

[63]                         Bien que notre Cour ait conclu dans l’arrêt Lavigne que l’objectif premier du régime des produits de la criminalité et de la disposition sur l’amende en remplacement de la confiscation est d’empêcher les contrevenants de tirer profit directement ou non de leur crime (par. 10 et 18), on ne compromet pas cet objectif en permettant aux accusés d’utiliser les fonds saisis pour payer des frais juridiques raisonnables.

[64]                         En un sens restreint, l’accusé qui a accès à des fonds pour retenir les services d’un avocat jouit d’un avantage qu’un autre accusé pourrait ne pas avoir. Cependant, les fonds restitués par voie judiciaire aux fins de paiement des frais d’avocat ne constituent pas, à mon avis, le type d’avantage que le législateur souhaitait retirer aux contrevenants au moyen d’une amende. Il s’agit plutôt d’un avantage que le législateur souhaitait expressément leur accorder, comme en témoigne l’existence même de la disposition sur la restitution. Comme il est indiqué ci‑dessus, l’autre option — qui serait en réalité un prêt temporaire des fonds saisis — avantagerait grandement l’État et marginaliserait les objets secondaires importants du législateur sur lesquels prennent appui les protections et les principes de la disposition sur la restitution en vue du paiement des frais juridiques.

[65]                         Au lieu de consentir un prêt temporaire, le législateur a pondéré les multiples objectifs en contrôlant strictement la portée de tout avantage. Selon le Code, le demandeur doit prouver qu’il ne possède pas d’autres moyens de s’offrir les services d’un avocat avant qu’un juge ordonne la restitution de fonds à cette fin. Les mots « autres moyens » ont reçu une interprétation large qui englobe le droit à des aliments ou à d’autres sources d’aide financière (R. c. Keating (1997), 159 N.S.R. (2d) 357 (C.A.), par. 28), l’aide de membres de la famille (R. c. Hobeika, 2014 ONSC 5453, par. 24 (CanLII); R. c. Kizir, 2014 ONSC 1676, 304 C.R.R. (2d) 287, par. 16‑18), ainsi que l’accès de l’accusé au crédit, pourvu que ce crédit puisse être consenti (R. c. Ro, [2006] O.J. No. 3347 (QL) (C.S.), par. 35‑39). Même si l’accusé n’a pas d’autres moyens, les fonds ne peuvent être restitués que si le juge est convaincu que « nulle autre personne ne semble être le propriétaire légitime [des] biens ou avoir droit à leur possession légitime ». De plus, dans bien des cas, les accusés ne peuvent pas recevoir de l’aide juridique, parce que le bien saisi leur est attribué et les rend inadmissibles à recevoir cette aide, même s’ils ne peuvent effectivement avoir accès au bien saisi en question[5]. C’est ce qui s’est produit dans le cas de M. Rafilovich. La disposition sur la restitution en vue du paiement des frais juridiques permet donc d’atteindre un équilibre entre le fait d’offrir une soupape à un groupe restreint d’accusés dans le besoin et celui de priver les contrevenants d’un accès aux produits de leurs crimes dans la plupart des autres cas.

[66]                         Cette conclusion s’accorde avec les énoncés de l’arrêt Lavigne sur la manière dont le juge chargé de déterminer la peine devrait exercer son pouvoir discrétionnaire pour infliger une amende. Dans l’arrêt Lavigne, l’infliction d’une amende en remplacement de la confiscation favorisait la réalisation de l’objectif du régime qui était en jeu; dans le cas de M. Rafilovich, cette mesure minerait l’objet de la disposition sur la restitution que le législateur a intégrée à ce même régime.

[67]                         À mon avis, la Cour d’appel a accordé trop d’importance à l’objectif général de la disposition sur l’amende en remplacement de la confiscation pour empêcher que l’accusé obtienne indirectement un avantage et n’a pas suffisamment tenu compte des objectifs importants du mécanisme de restitution détaillé adopté par le législateur. La disposition sur la restitution en vue du paiement des frais juridiques offrait à M. Rafilovich, qui ne possédait pas d’autres biens ou moyens de payer les frais de sa défense, une possibilité d’avoir accès à des fonds saisis (qui lui appartenaient toujours) qui étaient assujettis à une surveillance judiciaire étroite et à des conditions rigoureuses. Il ne s’agit pas là du type d’« avantage » que la disposition sur l’amende en remplacement de la confiscation vise à prévenir. Ainsi que l’a fait remarquer la juge Veit dans Gagnon,

[traduction] contrairement au ministère public, je ne crois pas que les honoraires d’avocats s’apparentent à ceux des coiffeurs et que leur paiement découle de l’exercice par l’accusé d’un pouvoir discrétionnaire relativement à un revenu disponible. Même si l’intention du législateur était de retirer au contrevenant le droit d’exercer ce type général de pouvoir discrétionnaire, il a considéré les frais d’avocat comme un type spécial de dépense . . . [p. 512]

[68]                         Comme M. Rafilovich a affecté les fonds restitués au paiement de sa défense, il reste indéniablement moins d’argent qui pourrait être confisqué au profit de Sa Majesté. Cette conséquence du fait pour les accusés d’exercer leurs droits n’a toutefois rien d’inhabituel. L’un des objectifs fondamentaux du système de justice pénale est d’offrir un processus équitable permettant d’arriver à des résultats justes et non d’imposer le plus de représailles à tout prix.

E.            Le paiement de frais juridiques raisonnables ne constitue pas le type de remise à un tiers visé par le par. 462.37(3)

[69]                         Les objectifs de la disposition sur l’amende en remplacement de la confiscation renforcent la thèse que les juges ne doivent pas utiliser leur pouvoir discrétionnaire pour imposer généralement des amendes à l’égard des fonds restitués par ordonnance judiciaire pour le paiement de frais juridiques raisonnables. Le paragraphe 462.37(3) énonce deux conditions à l’imposition d’une amende. En premier lieu, il doit s’agir « d’un bien — d’une partie d’un bien ou d’un droit sur celui‑ci — [qui] ne peut pas faire l’objet d’une telle ordonnance ». Si cette condition est remplie, l’analyse passe à une série d’exemples :

        Le tribunal [. . .] peut [. . .] infliger au contrevenant une amende [. . .] notamment dans les cas suivants :

        a) impossibilité, malgré des efforts en ce sens, de retrouver le bien;

        b) remise à un tiers;

        c) situation du bien à l’extérieur du Canada;

        d) diminution importante de valeur;

        e) fusion avec un autre bien qu’il est par ailleurs difficile de diviser.

Le mot « notamment » implique une liste non exhaustive de circonstances dans lesquelles il est indiqué d’infliger une amende.

[70]                         Dans l’arrêt Lavigne, la juge Deschamps a reconnu que l’emploi du mot « notamment » au par. 462.37(3) laisse entendre que « d’autres circonstances ne sont pas énumérées. Ces circonstances doivent cependant être de même nature que celles qui sont explicitement mentionnées » (par. 24). Pour établir s’il est question d’une telle circonstance non énumérée, il nous faut analyser les traits qu’ont en commun les exemples donnés par le législateur quant aux situations qui donneraient lieu à l’infliction d’une amende en remplacement de la confiscation.

[71]                         Dans la présente affaire, l’argumentation du ministère public portait en grande partie sur le fait que les biens restitués à l’accusé par voie judiciaire aux fins du paiement des frais juridiques avaient été « remi[s] à un tiers », l’avocat de M. Rafilovich, de sorte qu’ils étaient visés par l’al. 462.37(3)b). Même si la restitution de fonds par voie judiciaire pour permettre le paiement de frais juridiques raisonnables constitue une « remise » à un tiers, les juges ont quand même le pouvoir discrétionnaire de refuser d’infliger l’amende si cette sanction va à l’encontre des objectifs de la disposition sur la restitution. À mon avis, le paiement des frais juridiques raisonnables autorisé par le tribunal n’est pas le type de « remise » à laquelle ce paragraphe était censé s’appliquer.

[72]                         La principale distinction ici est l’autorisation judiciaire. Les fonds restitués ne sont jamais détenus ou remis par l’accusé : l’État les envoie directement (sur autorisation judiciaire) à une personne désignée pour des fins précises sous la supervision stricte du tribunal. L’avocat de l’accusé n’est pas une personne inconnue qui reçoit les fonds dans le cadre d’une transaction privée non supervisée, comme c’était le cas dans l’affaire Lavigne. Il a plutôt été spécifiquement autorisé, par un juge au moyen d’une ordonnance de restitution, à être rémunéré à un taux horaire établi en échange de services précis visant à assurer la défense de l’accusé. Ainsi qu’en a décidé la Cour d’appel de Terre‑Neuve‑et‑Labrador dans l’arrêt Appleby, il ne convient pas [traduction] « de considérer les fonds transférés suivant l’ordonnance d’un juge précisément autorisé à ordonner ce transfert pour une fin et dans les circonstances restreintes expressément prévues par le texte législatif, comme des fonds de même nature » que ceux qui auraient été remis à un tiers sans la supervision du tribunal (par. 53).

[73]                         L’utilisation de biens pour le paiement de frais juridiques raisonnables avec l’autorisation du tribunal ne relève pas non plus d’un sujet semblable à ceux figurant à la liste des raisons d’infliger une amende en remplacement de la confiscation. Toutes les circonstances énumérées au par. 462.37(3) traduisent la crainte du législateur que l’accusé — et non un juge — dissimule, dilapide ou distribue des biens dont on pourrait conclure plus tard qu’il s’agit de produits de la criminalité. En effet, il s’agit de l’interprétation couramment admise au moment de l’édiction de la disposition. Dans son témoignage devant le comité législatif, le ministre de la Justice a expliqué la préoccupation à l’origine de la disposition sur l’amende en remplacement de la confiscation :

     Pour encourager les criminels à renoncer aux produits de leur crime, les tribunaux pourront imposer des amendes spéciales et, si elles ne sont pas payées, des peines d’emprisonnement en rapport avec la valeur des biens illicitement obtenus et qui ont été intentionnellement mis hors de la portée des autorités.

(Chambre des communes, Procès-verbaux, 5 novembre 1987, p. 1:8)

Plus tard, lors du débat en troisième lecture, le ministre a ajouté ce qui suit :

     Le projet de loi prévoit également l’imposition d’une amende lorsque la confiscation est impossible, soit parce que le contrevenant a caché ses gains illicites, soit parce qu’il les a retirés de la juridiction des tribunaux canadiens.

(Chambre des communes, Débats, p. 17258)

[74]                         C’est pourquoi, à mon avis, la remise à l’avocat de l’accusé de fonds restitués par voie judiciaire n’est pas le type de « remise » à laquelle le législateur voulait que la disposition sur l’amende en remplacement de la confiscation s’applique. Par conséquent, même si la remise de fonds à un avocat constitue, techniquement parlant, une remise à un tiers, les juges ne doivent généralement pas exercer leur pouvoir discrétionnaire pour infliger une amende à un accusé qui s’est servi de fonds restitués pour payer ses frais juridiques raisonnables.

F.             Il est possible d’infliger une amende en remplacement de la confiscation lorsque la raison d’être de la disposition sur la restitution n’est pas respectée

[75]                         Si, d’une manière générale, le législateur n’avait pas l’intention d’imposer une amende en remplacement de la confiscation à l’égard des fonds restitués par voie judiciaire qui ont été dépensés en frais juridiques raisonnables, de quelle façon le pouvoir discrétionnaire prévu au par. 463.37(3) devrait‑il être exercé? Dans l’arrêt Lavigne, notre Cour a statué que ce pouvoir discrétionnaire doit s’exercer conformément aux objectifs du régime des produits de la criminalité. La juge Deschamps a reconnu dans l’arrêt Lavigne que « le tribunal pourrait être en présence de circonstances où la poursuite des objectifs de ces dispositions ne requiert pas l’infliction d’une amende » (par. 28). Ainsi, l’amende serait inappropriée si « le contrevenant n’a pas bénéficié du crime et s’il s’agit d’un crime isolé commis par un contrevenant agissant seul » (par. 28). Compte tenu de l’analyse qui précède, j’ajoute l’exemple qui suit : l’accusé a été autorisé par ordonnance judiciaire à utiliser les fonds restitués pour payer des frais juridiques raisonnables.

[76]                         Les circonstances dans lesquelles il est possible d’infliger une amende en remplacement de la confiscation à l’égard des fonds restitués pour le paiement de frais juridiques raisonnables doivent être rattachées à l’intention du législateur, et le juge chargé de déterminer la peine doit se demander si l’utilisation des fonds par le contrevenant a favorisé ou miné la réalisation de l’objet de la disposition sur la restitution. S’il s’avère que le besoin financier n’était pas réel ou que les fonds n’ont pas servi à atténuer ce besoin, l’infliction d’une amende en remplacement de la confiscation pourrait être indiquée. J’envisage trois situations dans lesquelles l’infliction d’une amende serait indiquée, mais il pourrait y en avoir d’autres.

[77]                         La première serait le cas d’agissements répréhensibles commis dans le cadre de la présentation de la demande de restitution des fonds, comme la présentation inexacte de la situation financière de l’accusé. La deuxième serait le cas d’agissements répréhensibles du contrevenant lors de l’exécution de l’ordonnance de restitution, comme l’utilisation des fonds d’une manière non prévue dans l’ordonnance ou pour des dépenses à des fins dépassant la portée de celle‑ci, ou le paiement d’honoraires dépassant les montants autorisés par cette même ordonnance. La troisième serait le cas où la situation financière de l’accusé change de façon imprévue après la restitution des fonds, mais avant la détermination de la peine, de telle sorte que les fonds restitués ne sont plus nécessaires après que l’accusé ait pris connaissance du changement de situation. En effet, l’avocat de M. Rafilovich a concédé que le tribunal devrait exercer son pouvoir discrétionnaire [traduction] « [s]’il y avait eu enrichissement imprévu entre le prononcé de l’ordonnance [de restitution] et la fin du procès, comme un gain à la loterie » (transcription, p. 24, lignes 16‑19).

[78]                         Ce sont là des exemples de situations dans lesquelles l’accusé a obtenu davantage que ce que le législateur voulait lui offrir, et le juge chargé de déterminer la peine peut donner suite à cette intention en recouvrant les sommes d’argent restituées au moyen d’une amende. En infligeant une amende en pareilles circonstances, les tribunaux respectent l’équilibre recherché entre les objectifs du législateur consistant à permettre l’accès aux services d’un avocat et à protéger la présomption d’innocence au moyen de la disposition sur la restitution en vue du paiement des frais juridiques, et son autre objectif de priver les contrevenants des produits de leurs crimes au moyen de la disposition sur la confiscation.

G.           L’arrêt Rowbotham et l’amende en remplacement de la confiscation

[79]                         Mon collègue juge que le pouvoir discrétionnaire de refuser d’infliger une amende en remplacement de la confiscation ne peut être exercé que si le contrevenant avait le droit constitutionnel d’obtenir l’assistance d’un avocat financée par l’État. Pour établir si c’est le cas, il faut « appliqu[er] le test énoncé dans l’arrêt R. c. Rowbotham » (par. 93). Selon lui, cette approche donne « l’effet voulu à l’objectif du législateur d’assurer à la fois un régime de confiscation efficace et le respect du droit constitutionnel à l’assistance d’un avocat » (par. 141). Je ne suis pas de cet avis.

[80]                         L’arrêt Rowbotham prévoit un régime constitutionnel exceptionnel par lequel un accusé peut insister pour que l’État paie les services de son avocat à défaut de quoi il y aurait atteinte à son droit à un procès équitable. Ce régime ne s’applique que dans des cas restreints et il mène à un arrêt des procédures à moins que l’État ne fournisse des fonds. Suivant l’arrêt Rowbotham, le droit à un procès équitable n’entre en jeu que si trois conditions préalables sont réunies : (1) la demande d’aide juridique a été refusée, (2) l’accusé ne dispose d’aucun autre moyen financier et (3) [traduction] « il est essentiel à l’équité du procès que l’accusé soit représenté par un avocat » (Rowbotham, p. 66). Dans une certaine mesure, il semblerait que les deux premiers éléments du test de l’arrêt Rowbotham se rapprochent, sur le plan conceptuel, de l’exigence prévue au par. 462.34(4) que « l’auteur de la demande ne possède pas d’autres bien ou moyens ». Toutefois, du simple fait qu’il existe des fonds saisis, les tribunaux vont généralement déclarer l’accusé inadmissible suivant le test de l’arrêt Rowbotham puisque les fonds saisis sont accessibles au moyen de la disposition relative à la restitution. De toute évidence, c’est le troisième élément du test, à savoir que la représentation par avocat soit « essentiel[le] à l’équité du procès », que mon collègue importerait effectivement, en guise de condition supplémentaire, dans le régime des produits de la criminalité.

[81]                         À mon avis, le législateur a précisé les exigences légales qu’il souhaitait appliquer à la restitution par voie judiciaire de fonds saisis. Et le fait de restituer les fonds seulement lorsque cela s’avère « essentiel à l’équité du procès » n’en fait pas partie. Par ailleurs, les critères de l’arrêt Rowbotham ont été conçus dans le but de répondre à des circonstances très différentes de celles visées par la disposition sur la restitution en vue du paiement des frais juridiques. Cette disposition n’emporte pas présentation d’une demande en vue de faire payer les services d’un avocat par l’État; elle permet plutôt au tribunal de restituer des sommes saisies, qui appartiennent toujours à l’accusé, lorsque celles‑ci sont nécessaires pour payer des frais juridiques raisonnables. La disposition sur la restitution respecte le droit de l’accusé de se faire représenter par l’avocat de son choix, ce qui est fort différent du droit aux services d’un avocat rémunéré par l’État. L’arrêt Rowbotham, quant à lui, s’intéresse au droit à un procès équitable (voir Rowbotham, p. 65-67 et 69-70). Rien dans le régime des produits de la criminalité n’indique que l’accusé est censé prouver que la nature des procédures est telle qu’il est « essentiel » qu’il obtienne l’assistance d’un avocat.

[82]                         Si les ordonnances fondées sur l’arrêt Rowbotham et la disposition sur la restitution en vue du paiement des frais juridiques opèrent pour assurer une représentation convenable, elles le font dans des contextes différents. Selon Rowbotham, les juges doivent évaluer la complexité de l’affaire et se demander si le fait de poursuivre l’instance sans avocat mettrait en péril le droit de l’accusé à un procès équitable. Tel est le critère exigeant auquel il faut satisfaire pour obliger l’État à financer la représentation de l’accusé par avocat. En revanche, sous le régime de la disposition relative à la restitution, le juge n’ordonne pas l’affectation de fonds publics, mais bien celle de fonds réputés privés afin de permettre l’accès aux services d’un avocat. Il s’agit là d’un objectif fort différent, et si le législateur avait voulu imposer ces critères additionnels comme conditions préalables à l’exercice du pouvoir discrétionnaire de ne pas imposer une amende, il l’aurait fait explicitement.

[83]                         Le raisonnement de mon collègue aurait essentiellement pour effet de limiter l’application de la disposition sur la restitution en vue du paiement des frais juridiques aux accusés qui peuvent répondre aux exigences plus strictes de l’arrêt Rowbotham. Puisque la question de savoir si un accusé a droit à une ordonnance de type Rowbotham est tranchée au stade de la détermination de la peine, même l’accusé qui croit satisfaire aux critères de l’arrêt Rowbotham pourrait s’abstenir de demander la restitution des fonds saisis de peur que, ultimement, le juge chargé de déterminer la peine refuse. Par conséquent, l’accusé qui ne peut être certain que sa demande fondée sur l’arrêt Rowbotham sera accueillie à un moment donné risque de se montrer encore plus prudent et de se représenter lui‑même, même si les services d’un avocat sont en fait « essentiel[s] », sur le plan constitutionnel, au respect de son droit à un procès équitable.

H.           Résumé

[84]                         Le pouvoir discrétionnaire d’infliger une amende doit être exercé conformément à tous les objectifs recherchés par le législateur au moyen du régime des produits de la criminalité, y compris la disposition sur la restitution lorsqu’elle s’applique. La disposition sur la restitution en vue du paiement des frais juridiques a notamment pour objet de permettre l’accès aux services d’un avocat et d’accorder suffisamment d’importance à la présomption d’innocence. Ces deux objectifs reposent sur l’intention du Parlement de créer une procédure équitable de restitution de fonds en vue du paiement de frais juridiques raisonnables tout en permettant la saisie, la restitution et la confiscation des produits de la criminalité. Dans la plupart des cas, récupérer les sommes restituées pour le paiement de frais juridiques raisonnables au moyen d’une amende en remplacement de la confiscation minerait la réalisation de ces objets. Par ailleurs, le paiement de frais juridiques raisonnables ne constitue ni le type d’avantage visé par les dispositions, ni le type de « remise » à un tiers envisagée dans la disposition sur l’infliction d’une amende en remplacement de la confiscation.

[85]                         C’est pourquoi, d’une manière générale, il ne convient pas d’infliger une amende en remplacement de la confiscation à l’égard de fonds qui ont été restitués par voie judiciaire pour le paiement de frais juridiques raisonnables. Toutefois, les juges conservent le pouvoir discrétionnaire d’infliger une telle amende si le contrevenant n’avait pas réellement besoin, au plan financier, des fonds ou ne les a pas utilisés pour atténuer ce besoin. En agissant ainsi, les tribunaux peuvent donner pleinement effet aux objectifs recherchés par le législateur.

V.           Application

[86]                         Dans la présente affaire, la juge chargée de déterminer la peine a exercé son pouvoir discrétionnaire de ne pas infliger d’amende en remplacement de la confiscation. Aucune preuve n’établit que M. Rafilovich a présenté faussement sa situation financière, a fait un mauvais usage des fonds restitués ou a connu un changement quelconque de situation. En conséquence, la juge chargée de déterminer la peine a exercé correctement son pouvoir discrétionnaire et il n’y a pas lieu d’intervenir à cet égard.

VI.         Dispositif

[87]                         Je suis donc d’avis d’accueillir le pourvoi et d’écarter la modification de l’ordonnance de la juge chargée de déterminer la peine par la Cour d’appel imposant au surplus une amende en remplacement de la confiscation et une peine d’emprisonnement de 12 mois en cas de défaut de paiement. L’appelant n’a pas sollicité les dépens et aucuns ne sont adjugés.

 

                    Version française des motifs du juge en chef Wagner et des juges Moldaver et Côté rendus par

                    Le juge Moldaver (dissident en partie)

I.               Aperçu

[88]                         La partie XII.2 du Code criminel , L.R.C. 1985, c. C‑46 [6], qui régit la saisie, le blocage et la confiscation des produits de la criminalité, vise à s’assurer que le crime ne paie pas (voir R. c. Lavigne, 2006 CSC 10, [2006] 1 R.C.S. 392, par. 10; Québec (Procureur général) c. Laroche, 2002 CSC 72, [2002] 3 R.C.S. 708, par. 25). Afin d’atteindre cet objectif, elle permet à l’État de saisir et de retenir des biens que l’on croit, pour des motifs raisonnables, être des produits de la criminalité, de manière à préserver ces biens et à faciliter la mise à exécution d’éventuelles ordonnances de confiscation. La partie XII.2 prévoit également que, lorsqu’il est appelé à déterminer la peine à infliger au contrevenant reconnu coupable d’un acte criminel, le tribunal doit ordonner la confiscation des biens dont il a été conclu qu’il s’agit de produits de la criminalité. Subsidiairement, lorsque les biens ne peuvent faire l’objet d’une ordonnance de confiscation, le tribunal peut infliger une amende en remplacement de la confiscation (« amende de remplacement »).

[89]                         Cependant, le législateur a reconnu que la saisie et la rétention des biens dont on croit pour des motifs raisonnables, mais sans l’avoir encore prouvé, qu’il s’agit de produits de la criminalité peuvent avoir d’importantes répercussions financières sur les accusés, notamment en limitant leur capacité d’avoir accès aux services d’un avocat. Afin de répondre à cette préoccupation, la partie XII.2 permet à l’accusé de demander au juge une « ordonnance de restitution » autorisant la mainlevée de la saisie pour lui permettre de payer différentes dépenses — dont des frais juridiques raisonnables — lorsqu’il ne possède pas d’autres moyens de s’en acquitter. En procédant ainsi, le législateur a établi un équilibre entre la nécessité d’assurer l’efficacité du régime de confiscation et celle de permettre à des accusés par ailleurs impécunieux d’avoir accès à des fonds pour certaines fins.

[90]                         Cependant, les juridictions d’appel en sont arrivées à des conclusions différentes quant à la façon d’atteindre cet équilibre lorsqu’il est conclu par la suite que les fonds saisis qui ont été restitués à l’accusé pour lui permettre de payer ses frais juridiques raisonnables sont des produits de la criminalité. Le juge chargé de déterminer la peine peut‑il infliger une amende de remplacement à l’égard de ces fonds? Dans l’affirmative, dans quelles circonstances le juge devrait‑il refuser de le faire? Ce sont là les questions que soulève le présent pourvoi.

[91]                          Ma collègue la juge Martin arrive à la conclusion que, lorsque le tribunal a autorisé la restitution de fonds saisis pour le paiement de frais juridiques raisonnables, une amende de remplacement ne devrait, « en général », pas être infligée, sous réserve de deux exceptions : « s’il s’avère que le contrevenant n’avait pas un véritable besoin financier ou que les fonds n’ont pas été utilisés pour atténuer ce besoin » (par. 8 et 10). Elle soutient que cette conclusion découle d’une combinaison des deux « objets secondaires » visés par la disposition sur la restitution — fournir l’accès aux services d’un avocat et accorder une importance suffisante à la présomption d’innocence — ainsi que de l’intention sous‑jacente du législateur d’assurer l’équité dans les poursuites criminelles (par. 9 et 38). Ces objectifs, selon elle, « viennent restreindre la poursuite de l’objectif premier » consistant à s’assurer que le crime ne paie pas (par. 49).

[92]                          En toute déférence, je rejette cette approche. Dépouillée des subtilités juridiques sur lesquelles elle repose, l’approche de ma collègue envoie un message clair et sans équivoque : le crime paie bel et bien. Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis qu’il n’est ni nécessaire, ni opportun de sacrifier l’objectif premier du régime légal consistant à s’assurer que le crime ne paie pas sur l’autel des « objets secondaires » invoqués par ma collègue. L’imposition d’une amende de remplacement au contrevenant qui s’est servi de produits de la criminalité pour payer sa propre défense permet d’atteindre l’objectif premier du régime de s’assurer que le crime ne paie pas; en outre, elle ne sape pas l’utilité de la disposition sur la restitution, soit de faciliter l’accès aux services d’un avocat de manière équitable et conforme à la présomption d’innocence. De cette façon, tous les objectifs du régime légal peuvent être réalisés.

[93]                         J’estime toutefois qu’il y a une exception importante à la règle générale voulant qu’une amende de remplacement soit imposée au contrevenant qui s’est servi de produits de la criminalité pour payer sa propre défense. Lorsque le juge chargé de déterminer la peine est convaincu, en appliquant le test énoncé dans l’arrêt R. c. Rowbotham (1988), 41 C.C.C. (3d) 1 (C.A. Ont.), que la représentation du contrevenant par avocat est essentielle pour assurer le respect de son droit constitutionnel à un procès équitable garanti par l’art. 7 et l’al. 11 d )  de la Charte canadienne des droits et libertés , le juge devrait exercer son pouvoir discrétionnaire limité de refuser d’infliger une amende de remplacement à l’égard des fonds restitués. Cette interprétation donne l’effet voulu à l’objectif du législateur d’assurer l’efficacité du régime de confiscation tout en respectant le droit constitutionnel à l’assistance d’un avocat et, plus particulièrement, le droit constitutionnel aux services d’un avocat rémunéré par l’État dans quelques situations.

[94]                         En l’espèce, la juge chargée de déterminer la peine ne s’est pas demandé si le fait pour M. Rafilovich d’être représenté par avocat était essentiel pour assurer le respect de son droit constitutionnel à un procès équitable avant de refuser de lui infliger une amende de remplacement en vertu de son pouvoir discrétionnaire limité. Étant donné que le dossier soumis à la Cour n’est pas suffisamment étoffé pour nous permettre de trancher cette question, je renverrais l’affaire à la juge chargée de déterminer la peine pour qu’elle rende une nouvelle décision.

II.            Contexte

[95]                         Ma collègue a exposé les faits pertinents et l’historique judiciaire, et je ne vois pas la nécessité de répéter son travail.

III.         Question en litige

[96]                         La question à trancher dans le présent pourvoi est axée sur le lien qui unit la disposition sur la restitution et celle concernant l’amende de remplacement qui figurent à la partie XII.2 : dans quelles circonstances, le cas échéant, une amende de remplacement devrait‑elle être infligée à l’égard des fonds saisis qui ont été restitués à un accusé pour lui permettre de payer ses frais juridiques raisonnables mais dont il est plus tard conclu qu’il s’agit de produits de la criminalité?

IV.         Analyse

A.           Interprétation législative — la méthode moderne

[97]                         La question à trancher en l’espèce en est une d’interprétation législative. En conséquence, l’analyse doit être guidée par la méthode moderne d’interprétation législative : [traduction] « il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’économie de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » (E. A. Driedger, Construction of Statutes (2e éd. 1983), p. 87; Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 R.C.S. 559, par. 26).

B.            Aperçu du régime de la partie XII.2

(i)            Objectif général

[98]                         Ainsi que la Cour l’a mentionné dans l’arrêt Lavigne, le régime des produits de la criminalité prévu à la partie XII.2 poursuit un double objectif général : (1) priver les contrevenants et les organisations criminelles des produits de leurs crimes et (2) les dissuader de perpétrer d’autres infractions (voir par. 16, 28 et 36). En résumé, ce régime vise à garantir que le crime ne paie pas (voir Lavigne, par. 10; Laroche, par. 25).

(i)            « Biens » et « produits de la criminalité » — art. 2 et par. 462.3(1)

[99]                         Selon le par. 462.3(1), les « produits de la criminalité » s’entendent d’un « [b]ien, bénéfice ou avantage » qui est obtenu ou qui provient, directement ou indirectement, de la perpétration d’une « infraction désignée », ce qui comprend toute infraction punissable par mise en accusation sous le régime d’une loi fédérale. Suivant la définition énoncée à l’art. 2, le mot « biens » englobe les « biens meubles et immeubles de tous genres », ainsi que « des biens originairement en la possession ou sous le contrôle d’une personne, et tous biens en lesquels ou contre lesquels ils ont été convertis ou échangés et tout ce qui a été acquis au moyen de cette conversion ou de cet échange ». Comme le montrent ces définitions, les dispositions sur les produits de la criminalité s’appliquent à « la plus vaste gamme possible de biens » (Lavigne, par. 15).

(i)            La disposition sur la saisie — art. 462.32

[100]                     Les paragraphes 462.32(1) et (4) permettent à l’État de saisir et de retenir des biens que l’on croit, pour des motifs raisonnables, être des produits de la criminalité. À l’instar de l’ordonnance de blocage (voir Laroche, par. 55), le mandat autorisant la saisie et la rétention garantit la préservation des biens et facilite la mise à exécution d’éventuelles ordonnances de confiscation. Ce faisant, il favorise la réalisation de l’objectif consistant à priver les contrevenants et les organisations criminelles des produits de leurs crimes.

(i)            La disposition sur la restitution — par. 462.34(4)

[101]                     Le législateur a reconnu toutefois que la saisie et la rétention des biens dont on croit pour des motifs raisonnables, mais dont on n’a pas encore prouvé, qu’il s’agit de produits de la criminalité pouvaient avoir d’importantes répercussions financières sur les accusés, notamment en limitant leur capacité d’avoir accès à l’assistance d’un avocat. Afin de répondre à cette préoccupation, l’art. 462.34 permet au détenteur d’un droit sur le bien saisi, y compris un accusé, de solliciter une « ordonnance de restitution » autorisant la mainlevée de la saisie afin d’utiliser les biens saisis pour payer différentes dépenses — dont des frais juridiques raisonnables — lorsqu’il ne possède pas d’autres moyens de le faire et que personne d’autre ne semble être le propriétaire légitime des biens ou avoir droit à leur possession légitime :

        Demande de révision

        462.34 (1) Le détenteur d’un droit sur un bien saisi en vertu d’un mandat délivré sous le régime de l’article 462.32 ou d’un bien visé par une ordonnance de blocage rendue sous le régime du paragraphe 462.33(3) peut en tout temps demander à un juge de rendre une ordonnance en vertu du paragraphe (4) ou de lui accorder l’autorisation d’examiner le bien.

      . . .

        Restitution ou modification de l’ordonnance de blocage

          (4) Le juge saisi d’une demande d’ordonnance présentée en vertu du paragraphe (1) peut, après avoir entendu le demandeur, le procureur général et, éventuellement, les personnes à qui le préavis mentionné au paragraphe (2) a été remis, ordonner que les biens soient restitués en tout ou en partie au demandeur, annuler ou modifier l’ordonnance de blocage rendue en vertu du paragraphe 462.33(3) de façon à soustraire, en totalité ou en partie, ces biens ou un droit sur ceux‑ci à son application, selon le cas, ou rendre l’ordonnance de blocage sujette aux conditions qu’il estime indiquées dans les cas suivants :

      . . .

      c) afin de permettre :

(i) au détenteur des biens bloqués ou saisis — ou à toute autre personne qui, de l’avis du juge, a un droit valable sur ces biens — de prélever, sur les biens ou certains de ceux‑ci, les sommes raisonnables pour ses dépenses courantes et celles des personnes à sa charge,

(ii) à l’une des personnes mentionnées au sous‑alinéa (i) de faire face à ses dépenses commerciales courantes et de payer ses frais juridiques dans la mesure où ces dépenses et frais sont raisonnables,

(iii) à une personne d’utiliser ces biens pour contracter un engagement sous le régime de la partie XVI,

                        lorsque le juge est convaincu que l’auteur de la demande ne possède pas d’autres biens ou moyens pour ce faire et que nulle autre personne ne semble être le propriétaire légitime de ces biens ou avoir droit à leur possession légitime.

[102]                     En adoptant cette disposition, le législateur a établi un équilibre entre la nécessité d’assurer un régime de confiscation efficace et celle de permettre aux accusés par ailleurs impécunieux d’avoir accès à des fonds à certaines fins. Plus précisément, ainsi que l’a expliqué le ministre de la Justice lors du dépôt du projet de loi qui deviendra plus tard la partie XII.2, « [l]’équilibre qu’on a pris soin d’apporter entre cette procédure de confiscation et le droit constitutionnel aux services d’un avocat est typique de la politique du gouvernement actuel qui ne tient pas à s’exposer aux critiques que des mesures analogues ont soulevées aux États‑Unis » (Chambre des communes, Débats, vol. 14, 2e sess., 33e lég., 7 juillet 1988, p. 17258). Les mots « critiques que des mesures analogues ont soulevées aux États‑Unis » renvoient au fait qu’à l’époque où le projet de loi a été déposé, il était interdit aux accusés, aux États‑Unis, d’utiliser des fonds saisis pour payer leurs frais juridiques, quelles que soient les circonstances (voir R. W. Hubbard et al., Money Laundering and Proceeds of Crime (2004), p. 118‑120; United States c. Monsanto, 491 U.S. 600 (1989)).

(i)            La disposition sur la confiscation — par. 462.37(1)

[103]                     Selon le par. 462.37(1), le tribunal doit, lorsqu’il détermine la peine[7] à infliger au contrevenant reconnu coupable d’une infraction désignée, ordonner la confiscation des biens dont on a établi qu’ils constituent des produits de la criminalité obtenus par la perpétration de cette infraction désignée. Subsidiairement, si le tribunal n’est pas convaincu que les biens ont été obtenus par la perpétration de l’infraction désignée en question, mais qu’il est convaincu, hors de tout doute raisonnable, qu’il s’agit de produits de la criminalité, il peut alors en ordonner la confiscation en vertu du par. 462.37(2).

(i)            La disposition sur l’amende de remplacement — par. 462.37(3)

[104]                     Lorsque le tribunal est convaincu qu’une ordonnance de confiscation devrait être rendue en vertu du par. 462.37(1) à l’égard d’« un bien [. . .] d’un contrevenant », mais que le bien (ou une partie du bien ou un droit sur celui‑ci) ne peut pas faire l’objet d’une telle ordonnance, il « peut », en vertu du par. 462.37(3), infliger une amende en remplacement de celle‑ci :

        Amende

        (3) Le tribunal qui est convaincu qu’une ordonnance de confiscation devrait être rendue à l’égard d’un bien — d’une partie d’un bien ou d’un droit sur celui‑ci — d’un contrevenant peut, en remplacement de l’ordonnance, infliger au contrevenant une amende égale à la valeur du bien s’il est convaincu que le bien ne peut pas faire l’objet d’une telle ordonnance et notamment dans les cas suivants :

      a) impossibilité, malgré des efforts en ce sens, de retrouver le bien;

      b) remise à un tiers;

      c) situation du bien à l’extérieur du Canada;

      d) diminution importante de valeur;

      e) fusion avec un autre bien qu’il est par ailleurs difficile de diviser.

[105]                     Cette disposition a été examinée dans l’arrêt Lavigne, où notre Cour s’est demandé si l’incapacité du contrevenant de payer une amende pouvait constituer un motif valable pour refuser d’infliger une amende de remplacement. Dans un jugement unanime, la juge Deschamps a affirmé, au nom de la Cour, que l’amende de remplacement « n’est pas considérée comme la punition prévue spécifiquement pour l’infraction désignée »; « elle vise [plutôt] à remplacer le produit du crime » (par. 25; voir également R. c. Dieckmann, 2017 ONCA 575, 355 C.C.C. (3d) 216, par. 88; R. c. Angelis, 2016 ONCA 675, 133 O.R. (3d) 575, par. 39).

[106]                     La juge Deschamps a précisé que même si le par. 462.37(3) prévoit que le tribunal « peut » infliger une amende de remplacement, cette formulation optionnelle ne confère pas un large pouvoir discrétionnaire de refuser de le faire. Le pouvoir discrétionnaire en question est plutôt « limité » (par. 1, 23, 27, 29, 34 et 44). Plus précisément, il est limité par « l’objectif de la disposition, par la nature de l’ordonnance et par les circonstances dans lesquelles celle‑ci doit être rendue » et il doit être exercé d’une manière qui est « conforme à l’esprit de l’ensemble des dispositions concernées » (par. 27‑28).

[107]                     Ces facteurs ont amené la juge Deschamps à conclure que l’incapacité de payer du contrevenant ne peut être prise en considération dans la décision d’infliger ou non l’amende (voir par. 1, 37 et 48)[8]. De plus, le simple fait que le bien a été utilisé ne peut justifier le refus d’infliger une amende (voir par. 32). La disposition ne permet pas non plus de diminuer le montant de l’amende, laquelle est égale à la valeur du bien (ou de la partie du bien ou du droit sur celui‑ci, selon le cas) (voir par. 34‑35).

[108]                     Cela dit, la juge Deschamps a reconnu qu’il peut y avoir des cas où la poursuite des objectifs de la partie XII.2 ne requiert pas l’infliction d’une amende. Il en serait ainsi, par exemple, « si le contrevenant n’a pas bénéficié du crime et s’il s’agit d’un crime isolé commis par un contrevenant agissant seul » (par. 28). Dans ce cas, « aucun des objectifs [de la partie XII.2] ne serait servi ou contrecarré par le refus d’infliger une amende de remplacement » (ibid.). La juge Deschamps ne s’est pas penchée sur la question de savoir si la poursuite des objectifs de la partie XII.2 nécessiterait l’infliction d’une amende de remplacement dans l’éventualité où les fonds saisis, dont on a jugé par la suite qu’ils constituaient des produits de la criminalité, seraient restitués pour permettre le paiement de frais juridiques raisonnables.

(i)            La disposition sur le défaut de paiement — par. 462.37(4)

[109]                      Si une amende de remplacement est infligée, mais que le contrevenant ne la paie pas, le tribunal devra lui imposer une peine d’emprisonnement dont la durée varie en fonction du montant de l’amende (al. 462.37(4)a)). Cette peine d’emprisonnement doit être purgée consécutivement à toute autre peine d’emprisonnement infligée au contrevenant (al. 462.37(4)b)).

[110]                      La peine d’emprisonnement infligée pour défaut de paiement d’une amende n’est pas considérée comme une sanction pour l’infraction désignée, mais plutôt comme un mécanisme d’exécution visant à inciter les contrevenants qui en ont les moyens à payer l’amende (voir Angelis, par. 50, citant R. c. Khatchatourov, 2014 ONCA 464, 313 C.C.C. (3d) 94, par. 55‑56; R. c. Bourque (2005), 193 C.C.C. (3d) 485 (C.A. Ont.), par. 20).

[111]                      Suivant l’arrêt rendu par notre Cour dans R. c. Wu, 2003 CSC 73, [2003] 3 R.C.S. 530, un mandat d’incarcération pour défaut de paiement d’une amende ne peut être délivré lorsque le contrevenant est effectivement incapable de la payer (par. 3 et 60‑66; voir également Lavigne, par. 47). En conséquence, seul le contrevenant qui a les moyens de payer l’amende, mais qui refuse de le faire dans le délai imparti (lequel est établi « selon ce qui est raisonnable eu égard à toutes les circonstances » (Wu, par. 31)), peut être incarcéré.

C.            Rapport entre la disposition sur la restitution et celle sur l’amende de remplacement

[112]                      Les parties interprètent différemment le rapport qui existe entre la disposition sur la restitution et celle concernant l’amende de remplacement. Monsieur Rafilovich soutient que, lorsque le tribunal a autorisé la restitution des fonds saisis pour le paiement de frais juridiques raisonnables, ces fonds sont réputés ne pas pouvoir faire l’objet d’une amende de remplacement. Il ajoute que cette présomption ne peut être réfutée que lorsqu’un changement important de situation survient entre la restitution des fonds et la détermination de la peine (p. ex., un enrichissement imprévu ou la présentation de nouveaux éléments de preuve établissant une fraude envers le tribunal). Pour sa part, le ministère public fait valoir que la restitution des fonds n’est envisagée à aucun moment sous l’angle de la détermination de la peine : les fonds devraient généralement pouvoir faire l’objet d’une amende de remplacement, sous réserve uniquement de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire limité.

[113]                      La conclusion de ma collègue s’accorde avec la position de M. Rafilovich. Elle conclut que, lorsque le tribunal a autorisé la restitution de fonds saisis pour le paiement de frais juridiques raisonnables, une amende de remplacement ne devrait, « en général », pas être infligée, sous réserve de deux exceptions : « s’il s’avère que le contrevenant n’avait pas un véritable besoin financier ou que les fonds n’ont pas été utilisés pour atténuer ce besoin » (par. 8 et 10).

[114]                      En toute déférence, je préconise un raisonnement différent. Pour les motifs qui suivent, je conclus que les contrevenants qui se sont servis de produits de la criminalité pour payer leur propre défense et, de ce fait, tiré profit de leur crime devraient généralement être tenus de rembourser ce profit au moyen d’une amende de remplacement. Cette mesure découle d’une simple application de l’objectif premier du régime des produits de la criminalité, à savoir garantir que le crime ne paie pas. Cependant, lorsque le juge chargé de déterminer la peine est convaincu que le fait d’être représenté par avocat était essentiel pour assurer le respect du droit constitutionnel du contrevenant à un procès équitable garanti par l’art. 7 et l’al. 11 d )  de la Charte , le juge devrait exercer son pouvoir discrétionnaire limité de refuser d’infliger une amende de remplacement à l’égard des fonds restitués.

(i)            Les fonds restitués qui sont remis à un avocat constituent un « bien [. . .] d’un contrevenant » visé par le par. 462.37(3)

[115]                      Comme je l’ai déjà indiqué, le par. 462.37(3) prévoit qu’une amende de remplacement peut être infligée à l’égard « d’un bien [. . .] d’un contrevenant » qui serait habituellement visé par une ordonnance de confiscation, mais qui ne peut faire l’objet d’une telle ordonnance. Dans l’arrêt R. c. Appleby, 2009 NLCA 6, 282 Nfld. & P.E.I.R. 134, la Cour d’appel de Terre‑Neuve‑et‑Labrador a conclu que, lorsque les fonds saisis sont remis à un avocat en application d’une ordonnance de restitution, ils cessent de constituer un « bien [. . .] d’un contrevenant » et, par conséquent, ils ne peuvent faire l’objet d’une amende de remplacement (voir par. 65).

[116]                      Avec égards, je ne peux être de cet avis. La définition de « biens » énoncée à l’art. 2 englobe des « biens originairement en la possession ou sous le contrôle d’une personne ». Suivant cette large définition, les fonds saisis qui ont été restitués à un contrevenant, mais subséquemment remis à un avocat constituent toujours « un bien [. . .] d’un contrevenant », parce qu’ils étaient « originairement » en la possession ou sous le contrôle du contrevenant.

[117]                      Cette conclusion trouve appui dans la jurisprudence. Les tribunaux ont interprété les mots « bien [. . .] d’un contrevenant » qui figurent au par. 462.37(3) comme exigeant que, à un moment donné, le bien ait été en la possession ou sous le contrôle du contrevenant (voir P. M. German, Proceeds of Crime and Money Laundering (2e éd. (feuilles mobiles)), vol. 1, § 9.6(a.2); voir, p. ex., R. c. Dwyer, 2013 ONCA 34, 296 C.C.C. (3d) 193, par. 24). Elle est par ailleurs conforme aux propos tenus par la Cour dans l’arrêt Lavigne selon lesquels les dispositions sur les produits de la criminalité s’appliquent à « la plus vaste gamme possible de biens » (par. 15).

[118]                      Cette conclusion trouve également appui dans la doctrine. Ainsi que l’expliquent les auteurs de l’ouvrage Drug Offences in Canada :

                    [traduction] Les biens du contrevenant qui ont été saisis ou bloqués continuent d’appartenir à ce dernier jusqu’à ce qu’ils soient confisqués par ordonnance. Le juge saisi d’une demande présentée par le contrevenant en vertu de l’art. 462.34 peut ordonner que les biens saisis lui soient restitués, en tout ou en partie, ou encore modifier ou révoquer l’ordonnance de blocage, afin de lui permettre de payer ses frais juridiques raisonnables (al. 462.34(4)c)). Les fonds demeurent la propriété du contrevenant, même après qu’ils lui ont été restitués à cette fin.

(B. A. MacFarlane, R. J. Frater et C. Michaelson, Drug Offences in Canada (4e éd. (feuilles mobiles)), § 14:180.40.120)

[119]                      Qui plus est, accepter que le bien remis à un tiers cesse d’être un « bien [. . .] d’un contrevenant » et se trouve ainsi soustrait à l’application du régime des produits de la criminalité reviendrait à ignorer que la remise du bien à un tiers constitue la raison d’être de l’infliction d’une amende de remplacement au départ (al. 462.37(3)b)). Ce raisonnement transformerait la raison de condamner le contrevenant à une amende en une raison de ne pas lui infliger cette même amende, contrairement à l’affirmation de notre Cour, dans l’arrêt Lavigne, que les tribunaux ne peuvent « transformer des circonstances donnant ouverture à l’ordonnance de remplacement en circonstances justifiant de ne pas infliger l’amende » (par. 24). Plus précisément, ce raisonnement ne permettrait pas d’infliger une amende de remplacement lorsque le contrevenant a remis le bien à un tiers, ce qui créerait une brèche dans le régime de confiscation et en diminuerait l’efficacité.

[120]                      De plus, même si les produits de la criminalité ont été restitués au contrevenant conformément à une ordonnance judiciaire, il n’en demeure pas moins que les biens en question ont été « obtenu[s] ou [. . .] provien[nent], [. . .] directement ou indirectement », de la perpétration d’une infraction désignée. Par conséquent, ils demeurent des « produits de la criminalité » au sens du par. 462.3(1).

[121]                      Pour ces motifs, je conclus que les fonds saisis qui ont été restitués à un contrevenant, puis remis à un avocat demeurent un « bien [. . .] d’un contrevenant » pour l’application du par. 462.37(3).

(i)            La remise à un avocat de fonds restitués à un contrevenant constitue une « remise à un tiers » aux termes de l’al. 462.37(3)b)

[122]                      Il faut aussi décider si la remise autorisée par voie judiciaire de fonds restitués à un avocat constitue une « remise à un tiers » aux termes de l’al. 462.37(3)b). Comme je vais l’expliquer, elle en constitue manifestement une.

[123]                      Le paragraphe 462.37(3) dispose que le tribunal qui est convaincu qu’une ordonnance de confiscation devrait être rendue à l’égard d’un bien, alors que celui‑ci « ne peut pas faire l’objet d’une telle ordonnance », peut infliger une amende en remplacement de celle‑ci. Cette formulation, qui est suivie d’une liste non exhaustive de circonstances dans lesquelles un bien « ne peut pas faire l’objet d’une [. . .] ordonnance [de confiscation] » (voir Lavigne, par. 24), est vaste. Comme le souligne un auteur, cette disposition [traduction] « n’établit pas de distinction entre les remises faites de bonne foi et celles visant à contrecarrer la confiscation » (German, § 9.6(a.3) (note en bas de page omise)). En fait, on a par deux fois tenté de modifier le par. 462.37(3) au cours des travaux du comité parlementaire chargé du projet de loi C‑61, qui a introduit la partie XII.2, afin d’exiger que le contrevenant ait délibérément tenté d’éviter une ordonnance de confiscation avant qu’une amende de remplacement puisse être infligée. Les deux amendements proposés ont toutefois été rejetés (voir Chambre des communes, Procès‑verbaux et témoignages du Comité législatif sur le projet de loi C‑61 : Loi modifiant le Code criminel, la Loi des aliments et drogues et la Loi sur les stupéfiants, no 1, 2e sess., 33e lég., 1er juin 1988, p. 9:22‑9:24; 2 juin 1988, p. 10:17‑10:18).

[124]                      L’alinéa 462.37(3)b) envisage la possibilité d’infliger une amende de remplacement en cas de « remise à un tiers » de tout bien qui aurait par ailleurs fait l’objet d’une confiscation. Le législateur aurait pu restreindre la catégorie de remises visées par cette disposition. Ainsi, il aurait pu viser les cas de « remise [du bien] à un tiers qui n’est pas avocat » ou les cas de « remise à un tiers, sauf si cette remise a été autorisée par ordonnance du tribunal en vertu de l’al. 462.34(4)c) », de façon à protéger ces remises. Or, il ne l’a pas fait. À défaut de formulation restrictive de cette nature, c’est le sens grammatical et ordinaire du mot « remise » — action de remettre, de transférer quelque chose à quelqu’un — qu’il faut retenir.

[125]                      La jurisprudence dominante des cours d’appel appuie la conclusion selon laquelle la remise autorisée par voie judiciaire de fonds restitués à un avocat constitue une « remise à un tiers » visée à l’al. 462.37(3)b) et peut donner lieu à l’infliction d’une amende de remplacement (voir, p. ex., R. c. Wilson (1993), 15 O.R. (3d) 645 (C.A.); R. c. MacLean (1996), 184 N.B.R. (2d) 26 (C.A.); R. c. Smith, 2008 SKCA 20, 307 Sask. R. 45 (« Smith »)). La seule exception est l’arrêt Appleby, dont la portée est affaiblie, comme je l’ai déjà expliqué, par une interprétation erronée des mots « bien [. . .] d’un contrevenant » à l’al. 462.37(3)b).

[126]                      Et bien que ma collègue insiste pour dire que la remise autorisée par voie judiciaire de fonds restitués à un avocat ne relève pas d’un « sujet semblable » à ceux figurant dans la liste d’exemples du par. 462.37(3) parce qu’elle porte le sceau d’approbation du tribunal (par. 72‑73), il faut rejeter ce raisonnement. Le « sujet » récurrent dans tous ces exemples est que le bien en question ne peut faire l’objet d’une ordonnance de confiscation (voir Lavigne, par. 23 et 32). C’est aussi simple que cela. Le fait de remettre, en application d’une ordonnance judiciaire, des fonds restitués à un avocat — qui est un tiers — s’inscrit fort bien dans ce « sujet », puisque le tribunal ne peut aucunement fouiller dans les poches d’un avocat ayant légitimement pris possession des fonds. Cela est conforme au par. 462.34(7), qui empêche les tiers prenant possession de biens restitués d’être accusés de certaines infractions relatives aux produits de la criminalité.

[127]                      À mon avis, le simple fait qu’un tribunal a donné sa bénédiction à la mainlevée de fonds saisis pour le paiement des frais juridiques raisonnables ne fournit pas une assise valable pour refuser d’imposer une amende de remplacement. Cet avis est partagé par les auteurs de l’ouvrage Drug Offences in Canada qui écrivent : [traduction] « [l]’affirmation selon laquelle le tribunal ne peut infliger une amende en remplacement de la confiscation pour la simple raison que la remise a reçu l’aval d’un officier de justice met à rude épreuve le sens de l’art. 462.34 et de l’al. 462.37(3)b) » (MacFarlane, Frater et Michaelson, § 14:180.40.120).

[128]                      En résumé, je conclus que la remise autorisée par voie judiciaire de fonds restitués à un avocat constitue une « remise à un tiers » visée à l’al. 462.37(3)b). En conséquence, le juge chargé de déterminer la peine peut infliger une amende de remplacement à l’égard de ces fonds. Mais l’analyse ne s’arrête pas là. Bien que cette conclusion donne ouverture à l’infliction d’une amende de remplacement, il ne sera pas toujours indiqué que le juge chargé de déterminer la peine emprunte cette voie. En particulier, comme je l’explique plus loin, il se peut que le droit constitutionnel à l’assistance d’un avocat rémunéré par l’État commande une autre avenue.

(i)            Le pouvoir discrétionnaire limité de refuser d’infliger une amende de remplacement

a)              Il y a lieu d’exercer le pouvoir discrétionnaire de refuser d’infliger une amende de remplacement si la représentation par avocat était essentielle au respect du droit à un procès équitable que garantissent au contrevenant l’art. 7  et l’al. 11d)  de la Charte 

[129]                      Comme nous l’avons vu, le par. 462.37(3) dispose que, lorsque le tribunal chargé de déterminer la peine est convaincu qu’une ordonnance de confiscation devrait être rendue à l’égard d’un bien d’un contrevenant, mais que ce bien ne peut faire l’objet d’une telle ordonnance, le juge « peut » infliger une amende de remplacement. Ce texte a un caractère permissif et confère le pouvoir discrétionnaire « limité » de ne pas infliger d’amende (voir Lavigne, par. 1, 23, 27, 29, 34 et 44). Il faut exercer ce pouvoir discrétionnaire conformément à l’esprit de l’ensemble de la partie XII.2 (voir ibid., par. 28).

[130]                      Comme le révèlent les débats qui ont précédé l’instauration du régime des produits de la criminalité, la partie XII.2 vise à atteindre un équilibre entre la nécessité d’assurer un régime de confiscation efficace et celle de respecter le « droit constitutionnel à l’assistance d’un avocat ». Cependant, afin de bien comprendre cet équilibre, il est impératif d’examiner d’abord ce que ce droit protégé par la Constitution suppose et ce qu’il ne suppose pas.

[131]                      Suivant l’al. 10 b )  de la Charte , « [c]hacun a le droit, en cas d’arrestation ou de détention [. . .] d’avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat et d’être informé de ce droit ». Ce droit vise à fournir aux personnes arrêtées ou détenues la possibilité, au moment de l’arrestation ou de la détention, d’avoir accès à des conseils juridiques propres à leur situation (voir R. c. Sinclair, 2010 CSC 35, [2010] 2 R.C.S. 310, par. 24‑26; R. c. Manninen, [1987] 1 R.C.S. 1233, p. 1242‑1243).

[132]                      Cependant, comme l’a fait remarquer la Cour dans l’arrêt Colombie‑Britannique (Procureur général) c. Christie, 2007 CSC 21, [2007] 1 R.C.S. 873, ni l’al. 10b) ni quelque autre droit garanti par la Charte  ne crée « un droit général à l’assistance juridique » (par. 24-25). En termes clairs, l’al. 10b) n’envisage pas l’existence d’un droit général à la représentation par avocat pour toute la durée du procès criminel et encore moins que cette représentation soit payée par l’État. Ce point de vue est renforcé par le fait que l’al. 10b) a nettement pour point de mire le moment de l’« arrestation » ou de la « détention ». Comme la Cour l’a expliqué dans l’arrêt Sinclair, l’al. 10b) a constamment été défini comme « le droit de consulter un avocat pour obtenir renseignements et conseils dès le début de la détention » mais pas le droit à l’assistance continue d’un avocat par la suite (par. 31 (je souligne); voir également R. c. Willier, 2010 CSC 37, [2010] 2 R.C.S. 429, par. 28).

[133]                      Ma collègue fait allusion au « droit constitutionnel d’un accusé de dépenser son propre argent pour retenir les services d’un avocat » (par. 50). Pour être franc, je n’ai pas la moindre idée de ce que cela veut dire. Pour ma part, il ne s’agit pas de savoir si l’accusé peut dépenser son propre argent pour retenir les services d’un avocat — il peut évidemment le faire et il n’a pas besoin d’un droit constitutionnel à cette fin. Il s’agit plutôt de savoir si les contrevenants ayant obtenu le bénéfice d’une représentation par avocat en utilisant des produits de la criminalité — dont la possession illégale constitue une infraction criminelle (par. 354(1)) — sont dispensés de l’obligation de rembourser ce bénéfice au moyen d’une amende de remplacement. Autant ma collègue souhaite peut‑être qu’il en soit autrement, ni l’al. 10b) ni aucune autre disposition de la Charte  n’accorde le droit d’utiliser des produits de la criminalité pour retenir les services d’un avocat sans conséquence.

[134]                      Le droit aux services d’un avocat rémunéré par l’État dans un procès criminel existe bel et bien, mais sa portée est limitée et repose sur l’art. 7  et l’al. 11 d )  de la Charte . Dans l’arrêt Rowbotham, la Cour d’appel de l’Ontario a reconnu l’existence d’un droit limité aux services d’un avocat rémunéré par l’État lorsque l’aide juridique a été refusée, que l’accusé n’a pas d’autres moyens et que le fait d’être représenté par un avocat est essentiel pour assurer le respect du droit constitutionnel à un procès équitable garanti à l’accusé par l’art. 7 et l’al. 11 d )  de la Charte  (voir p. 65-66 et 69-70). Lorsque le juge des requêtes est convaincu que les trois conditions sont réunies, il peut, en vertu du par. 24(1)  de la Charte , ordonner l’arrêt des procédures intentées contre l’accusé jusqu’à ce que le financement nécessaire soit fourni (voir p. 69). Deux possibilités s’offrent alors au ministère public : soit il finance la défense, soit il se résigne à l’arrêt des procédures. En revanche, si l’une des conditions n’est pas remplie (p. ex., l’accusé est en mesure de se défendre sans l’assistance d’un avocat), l’accusé n’aura d’autre choix que de se représenter lui‑même.

[135]                      Monsieur Rafilovich soutient que les exigences de l’arrêt Rowbotham sont sous‑entendues dans la disposition sur la restitution. Plus précisément, il affirme que les mots « frais juridiques [. . .] raisonnables » que l’on trouve au sous‑al. 462.34(4)c)(ii) comportent l’exigence que le fait d’être représenté par un avocat soit essentiel à la tenue d’un procès équitable. En conséquence, affirme‑t‑il, lorsque le tribunal a autorisé la restitution de fonds saisis pour le paiement de frais juridiques raisonnables, cela signifie qu’il estimait que le fait d’être représenté par un avocat était essentiel à la tenue d’un procès équitable.

[136]                      En toute déférence, je ne puis me rallier à cette opinion, et ce, pour au moins trois raisons.

[137]                      D’abord, de par son libellé, le sous‑al. 462.34(4)c)(ii) autorise l’accusé à solliciter la mainlevée des fonds saisis pour le paiement de frais juridiques « raisonnables ». La portée de ce qui est « raisonnable » est manifestement plus large que celle de ce qui est strictement « nécessaire » ou « essentiel ». Par conséquent, la disposition permet la mainlevée des fonds lorsque la représentation par avocat peut être préférable sans être essentielle. Dans ces circonstances, le droit à un procès équitable garanti à l’accusé par l’art. 7 et l’al. 11 d )  de la Charte  ne serait pas en jeu.

[138]                      Ensuite, faire une analyse exhaustive fondée sur l’arrêt Rowbotham lorsqu’on interprète le mot « raisonnables » au sous‑al. 462.34(4)c)(ii) aurait pour effet d’étendre indûment la portée de ce mot. Si le législateur avait voulu intégrer une analyse fondée sur Rowbotham à cette disposition, il l’aurait fait de façon explicite. Suivant l’interprétation la plus plausible, le mot « raisonnables » introduit simplement une exigence de proportionnalité. Ainsi, il ne serait pas « raisonnable » de payer un taux horaire exorbitant pour les services d’un avocat ou de solliciter la restitution de centaines de milliers de dollars pour contester des accusations de trafic de stupéfiants peu complexes. La restitution de sommes d’argent aussi élevées aurait pour effet de contrecarrer les objectifs qui consistent à préserver les produits de la criminalité potentiels et à faciliter la mise à exécution d’éventuelles ordonnances de confiscation. Cette interprétation trouve appui dans le par. 462.34(5), qui oblige le tribunal à tenir compte du barème d’aide juridique lorsqu’il se prononce sur le « caractère raisonnable » des frais juridiques en application du sous‑al. 462.34(4)c)(ii).

[139]                      En troisième lieu, le mot « raisonnables » s’applique tant aux « dépenses commerciales » qu’aux « frais juridiques » visés au sous‑al. 462.34(4)c)(ii). Or, le critère de l’arrêt Rowbotham ne s’applique pas aux dépenses commerciales. Il serait contraire à la logique, ainsi qu’aux principes élémentaires d’interprétation législative, de croire que le même mot figurant dans la même disposition peut avoir deux sens complètement différents selon qu’il s’agit des « dépenses commerciales » ou des « frais juridiques ».

[140]                      Je conclus donc que le sous‑al. 462.34(4)c)(ii) permet à l’accusé d’avoir accès à des fonds pour payer des frais juridiques raisonnables même lorsque le fait d’être représenté par un avocat n’est pas essentiel pour assurer le respect du droit à un procès équitable qui lui est garanti par l’art. 7 et l’al. 11 d )  de la Charte . Cependant, il reste à savoir si le juge chargé de déterminer la peine devrait exercer son pouvoir discrétionnaire limité de refuser d’infliger une amende de remplacement à l’égard des fonds qui ont été restitués pour le paiement de frais juridiques raisonnables lorsque le fait d’être représenté par un avocat était essentiel pour assurer le respect du droit de l’accusé à un procès équitable. À mon avis, la réponse est « oui ».

[141]                      Si le contrevenant arrive à démontrer qu’il avait le droit constitutionnel d’obtenir l’assistance d’un avocat rémunéré par l’État, l’infliction d’une amende de remplacement pour le contraindre à rembourser ses frais juridiques me semblerait incompatible avec ce droit constitutionnel. Cette conception du pouvoir discrétionnaire limité accordé par le par. 462.37(3), qui répond à des situations où la disponibilité des fonds saisis est la seule chose qui sépare le contrevenant d’une ordonnance fondée sur l’arrêt Rowbotham, donne l’effet voulu à l’objectif du législateur d’assurer à la fois un régime de confiscation efficace et le respect du droit constitutionnel à l’assistance d’un avocat. Cette conception reconnaît également que, si la représentation par avocat était en fait essentielle au droit constitutionnel du contrevenant à un procès équitable, il n’aurait tiré aucun bénéfice net de la faculté d’utiliser les fonds saisis pour retenir les services d’un avocat, car ces fonds se substitueraient simplement à ceux fournis par l’État auxquels aurait droit par ailleurs le contrevenant. Mais aller plus loin comme le fait ma collègue et soustraire à l’amende de remplacement tous les fonds qui ont été restitués aux fins de paiement des frais juridiques raisonnables, indépendamment de la question de savoir si le contrevenant avait le droit constitutionnel d’obtenir les services d’un avocat rémunéré par l’État, non seulement perturberait le juste équilibre que le législateur a établi, mais conférerait en fait aussi un droit constitutionnel alors qu’il n’en existe aucun.

[142]                      Lorsque l’accusé doit choisir de solliciter ou non la restitution des fonds saisis pour payer ses frais juridiques raisonnables, il ne sera pas toujours possible de savoir si le fait d’être représenté par un avocat est essentiel pour assurer le respect de son droit à un procès équitable, et une demande fondée sur l’arrêt Rowbotham serait généralement refusée étant donné la disponibilité des fonds saisis. L’accusé se trouvera alors confronté à un choix : a) ou bien il sollicite la restitution des fonds pour payer son avocat, auquel cas il devra peut‑être rembourser cet argent au moyen d’une amende de remplacement s’il est déclaré coupable; b) ou bien il ne demande pas la restitution des fonds et décide de se représenter lui‑même. Toutefois, faire des choix difficiles n’est pas une caractéristique inhabituelle du système de justice criminelle. Au contraire, les accusés sont souvent appelés à prendre des décisions épineuses. Par exemple, certains peuvent avoir à décider de plaider coupable et d’être condamnés à une peine plus clémente, ou de clamer leur innocence et de s’exposer à une peine plus lourde s’ils sont reconnus coupables. D’autres pourraient avoir à décider de consentir de lourds sacrifices financiers ou de se représenter eux‑mêmes. En revanche, d’autres n’auront peut‑être d’autre choix que de se représenter eux‑mêmes. Une chose est sûre. L’accusé ayant accès à une réserve de fonds susceptibles de servir au paiement des services d’un avocat se trouve manifestement dans une situation plus avantageuse que ceux qui n’ont aucun choix. Ce choix peut ne pas s’avérer facile à faire, mais notre système de justice criminelle ne garantit à personne une expérience exempte de choix difficiles.

[143]                      Ma collègue signale que les conditions légales d’une ordonnance de restitution n’obligent pas l’accusé à démontrer que la représentation par avocat est essentielle au respect de son droit à un procès équitable (par. 81). Par souci de clarté, je ne prétends pas le contraire. Comme je l’ai expliqué, l’analyse du point de savoir si la représentation par avocat était essentielle pour assurer l’équité du procès est pertinente lorsqu’il s’agit de juger s’il convient d’infliger une amende de remplacement, et non de décider s’il y avait lieu de rendre une ordonnance de restitution.

[144]                      En résumé, je conclus que, lorsque le juge chargé de déterminer la peine est convaincu que le fait d’être représenté par un avocat est essentiel pour assurer le respect du droit constitutionnel à un procès équitable garanti au contrevenant par l’art. 7 et l’al. 11 d )  de la Charte , le juge devrait exercer son pouvoir discrétionnaire limité de refuser d’infliger une amende de remplacement à l’égard des fonds restitués. Cependant, lorsqu’aucun droit de ce genre ne prend naissance, il conviendra généralement d’infliger une amende de remplacement. Cette mesure découle d’une simple application de l’objectif premier du régime des produits de la criminalité, à savoir faire en sorte que le crime ne paie pas. Comme le reconnaît ma collègue, l’accusé qui dispose de fonds saisis pour retenir les services d’un avocat jouit d’un avantage dont ne peuvent profiter les autres (voir le par. 64; voir également Smith, par. 106). Lorsque cet avantage provient de produits de la criminalité, le contrevenant qui n’avait pas constitutionnellement droit aux services d’un avocat rémunéré par l’État devrait généralement être obligé de rembourser cet avantage au moyen d’une amende de remplacement. Sinon, contrairement à l’objectif général du régime légal, le crime paierait bel et bien.

b)              Problèmes que pose l’approche des juges majoritaires

[145]                     Maintenant que j’ai énoncé ma propre analyse de la façon dont les juges chargés de déterminer la peine devraient exercer leur pouvoir discrétionnaire restreint de refuser d’infliger une amende de remplacement à l’égard de fonds restitués pour le paiement de frais juridiques raisonnables, je souhaite aborder trois lacunes fondamentales dont souffre l’approche de ma collègue sur ce point. Premièrement, cette approche sacrifie l’objectif premier du régime légal consistant à s’assurer que le crime ne paie pas afin de réaliser les deux « objets secondaires » de la disposition sur la restitution et de donner effet à l’intention sous‑jacente du législateur d’assurer l’équité dans les poursuites criminelles. Pourtant, comme je vais l’expliquer, il est possible de réaliser tous les objectifs du régime légal, et le fait d’infliger une amende de remplacement au contrevenant qui s’est servi de produits de la criminalité pour payer sa propre défense ne sape pas l’utilité de la disposition sur la restitution. Deuxièmement, l’idée que le législateur était prêt à procurer au contrevenant l’avantage d’utiliser des produits de la criminalité pour payer sa propre défense sans conséquence, et qu’il se contentait de faire tout simplement une croix sur tous fonds restitués même s’il était démontré par la suite que ceux‑ci constituaient des produits de la criminalité, va à l’encontre de la logique et du bon sens. Troisièmement, cela dénature le « pouvoir discrétionnaire limité » de refuser d’infliger une amende de remplacement. J’aborderai ces points à tour de rôle.

(i)             Il n’est ni nécessaire ni opportun de sacrifier l’objectif premier du régime des produits de la criminalité afin de réaliser les « objets secondaires » de la disposition sur la restitution

[146]                     Ma collègue soutient qu’au‑delà de l’objectif premier du régime des produits de la criminalité dans son ensemble — à savoir, priver les contrevenants et les organisations criminelles des produits de la criminalité et les dissuader de perpétrer d’autres crimes (voir Lavigne, par. 16, 28 et 36) —, il existerait deux « objets secondaires » qui sous‑tendent tout particulièrement la disposition sur la restitution : fournir l’accès aux services d’un avocat et accorder une importance suffisante à la présomption d’innocence (par. 9 et 38). Elle ajoute qu’à la base de ces « objets secondaires » réside le « désir » ou l’« intention » d’assurer l’équité envers l’accusé dans les poursuites criminelles, et que cette intention sous‑jacente « se dégage du régime des produits de la criminalité établi par le législateur » (ibid.). Elle insiste sur le fait que la Cour, dans l’arrêt Lavigne, ne s’est pas penchée sur ces objets secondaires, qui « restrei[gnent] la poursuite de l’objectif premier » (par. 34 et 49). Elle en conclut ultimement que, en règle générale, les juges chargés de déterminer la peine devraient s’abstenir d’infliger une amende de remplacement à l’égard de fonds restitués pour le paiement de frais juridiques raisonnables.

[147]                     Même si ma collègue prétend distinguer, d’une part, les deux « objets secondaires » identifiés de la disposition sur la restitution et, d’autre part, l’intention sous‑jacente d’assurer l’équité envers l’accusé qui, selon elle, « se dégage du régime des produits de la criminalité établi par le législateur » (par. 38), tous les trois semblent jouer exactement le même rôle dans son interprétation de la disposition sur la restitution. En effet, cette intention sous‑jacente pourrait aisément avoir constitué un troisième objet secondaire. Quoi qu’il en soit, à mon sens, la distinction que fait ma collègue est sans importance. Au bout du compte, cela n’influe pas sur l’analyse à laquelle je soumets la question dont est saisie notre Cour.

[148]                     Comme je l’établirai plus loin, la réponse à l’analyse de ma collègue est qu’il n’est ni nécessaire ni opportun de sacrifier l’objectif premier consistant à s’assurer que le crime ne paie pas soit pour pouvoir réaliser les « objets secondaires » de la disposition sur la restitution, soit pour donner effet à l’intention qui les sous‑tend. Une fois les rôles respectifs de la disposition sur la restitution et de celle sur l’amende de remplacement bien compris, il est évident que tous les objectifs du régime légal peuvent être atteints.

[149]                     La disposition sur la restitution facilite l’accès aux services d’un avocat de manière équitable et conforme à la présomption d’innocence. L’autre option — refuser les fonds saisis à l’accusé présumé innocent qui ne dispose d’aucun autre moyen, le privant ainsi de la possibilité d’avoir accès à l’assistance d’un avocat — aurait l’effet contraire.

[150]                     Or, la situation prend une tout autre tournure lorsque l’ordonnance de restitution est suivie d’une déclaration de culpabilité. Dès qu’il est déclaré coupable, « l’accusé » devient un « contrevenant », et on sait alors que les fonds jusque‑là présumés être légitimes ont toujours été des produits de la criminalité. À ce stade, quand on s’aperçoit que le contrevenant a utilisé des produits de la criminalité pour payer sa propre défense, l’objectif premier du régime légal consistant à s’assurer que le crime ne paie pas passe au premier plan.

[151]                     Pourtant, l’approche de ma collègue dénature cet objectif et crée des situations dans lesquelles le crime paie. Dans les cas où il n’existe aucun droit constitutionnel aux services d’un avocat rémunéré par l’État, elle crée une inégalité évidente entre les accusés qui ont accès à une réserve de fonds pour payer leur défense et les accusés qui n’y ont pas accès. Ceux qui ont la chance d’appartenir à la première catégorie sont autorisés, presque sans la moindre condition, à puiser les fonds nécessaires au paiement de leur propre défense à même cette réserve de ressources. Il s’agit indéniablement d’un avantage, comme le reconnaît ma collègue (par. 64). En comparaison, les accusés qui ont le malheur d’appartenir à la deuxième catégorie — lesquels sont fort nombreux — pourraient souvent n’avoir d’autre choix que de se représenter eux‑mêmes.

[152]                     Récompenser les contrevenants qui se procurent des produits de la criminalité en leur permettant de dépenser ces fonds sur leur propre défense sans la moindre conséquence n’est guère compatible avec le double objectif du régime des produits de la criminalité. Cela ne fait rien pour priver les contrevenants et les organisations criminelles des bénéfices qu’ils tirent du crime, ni ne les dissuade de récidiver à l’avenir. Sur ce dernier point, communiquer le message fort et sans équivoque que le crime ne paie pas est beaucoup plus susceptible de produire un effet dissuasif spécifique et général que de communiquer le message contraire. Plus précisément, du point de vue du bon sens, les Canadiens ordinaires estimeraient sans doute qu’il est troublant, voire tout à fait inacceptable, qu’une personne puisse commettre un vol qualifié pour ensuite se servir d’une partie de l’argent volé pour financer sa propre défense sans jamais devoir le rembourser.

[153]                      En résumé, l’approche de ma collègue mine l’objectif général du régime des produits de la criminalité. Si elle insiste pour dire que les tribunaux ne doivent pas « néglige[r] [. . .] les objets secondaires, ni [. . .] en minimise[r] l’importance, dans le but de réaliser l’objectif premier de s’assurer que le crime ne paie pas » (par. 49), sa solution consiste justement à faire cela, mais à l’envers : abandonner l’objectif premier de s’assurer que le crime ne paie pas pour réaliser les « objets secondaires » de la disposition sur la restitution. Mais comme je vais l’expliquer, il ne sert à rien d’effectuer cette opération à somme nulle car il est possible de veiller à ce que le crime ne paie pas tout en fournissant l’accès aux services d’un avocat, d’accorder une importance suffisante à la présomption d’innocence et de donner effet à l’intention sous‑jacente d’assurer l’équité envers l’accusé dans les poursuites criminelles.

1.               Fournir l’accès aux services d’un avocat

[154]                      Commençons par l’objectif de fournir l’accès aux services d’un avocat. Le principal souci de ma collègue est que, si les fonds restitués pour le paiement de frais juridiques raisonnables doivent généralement être remboursés après la déclaration de culpabilité, certains accusés, par crainte d’avoir à payer une amende de remplacement sous peine d’emprisonnement s’ils sont reconnus coupables, pourraient décider de ne pas solliciter une ordonnance de restitution et de se représenter eux‑mêmes (par. 55). Selon elle, infliger une amende de remplacement dans ces circonstances rendrait « largement illusoire » la disposition sur la restitution et donnerait à l’accusé un « faux choix » pour lequel sa seule véritable option est de ne pas être représenté par avocat (par. 55 et 60).

[155]                      Avec égards, je ne peux souscrire à cette opinion. La possibilité que l’accusé soit obligé, s’il est déclaré coupable, de rembourser les fonds restitués pour le paiement de frais juridiques raisonnables ne rend pas « largement illusoire » la disposition sur la restitution ni ne laisse à l’accusé d’autre choix que de se représenter lui‑même. L’accusé qui dispose de fonds saisis pour payer des frais juridiques raisonnables peut soit utiliser ces fonds, soit ne pas y toucher. Au final, le fait d’avoir ce choix le place dans une situation plus enviable que ceux n’ayant pas du tout les moyens d’obtenir l’assistance d’un avocat. Alors que les personnes ayant le choix pourraient décider de ne pas demander d’ordonnance de restitution, d’autres la demanderont.

[156]                     Quant à la suggestion de ma collègue que le risque d’être emprisonné pour non‑paiement d’une amende de remplacement dissuade l’accusé d’invoquer la disposition sur la restitution, cette préoccupation est tempérée par l’arrêt Wu, dans lequel notre Cour affirme clairement qu’un mandat d’incarcération ne peut être décerné pour non‑paiement d’une amende si le contrevenant est réellement incapable de payer (par. 3 et 60‑66; voir aussi Lavigne, par. 47). Par conséquent, le risque d’emprisonnement n’existe que si le contrevenant a les moyens de payer mais refuse de le faire.

[157]                     En dernier lieu, la jurisprudence reconnaît que la réalisation de l’objectif de faciliter l’accès aux services d’un avocat n’a pas à se faire au détriment de l’objectif premier du régime des produits de la criminalité. Dans l’arrêt Wilson, le juge d’appel Doherty a affirmé, dans une remarque incidente, que l’infliction d’une amende de remplacement à l’égard de fonds qui ont été restitués pour le paiement de frais juridiques raisonnables favoriserait la réalisation de [traduction] « l’objet ultime » du régime des produits de la criminalité « tout en permettant à l’accusé d’avoir accès aux biens saisis dans le but de payer des frais juridiques raisonnables » (p. 660). En résumé, l’objectif premier du régime des produits de la criminalité n’est pas incompatible avec le but de faciliter l’accès aux services d’un avocat.

2.               Accorder une importance suffisante à la présomption d’innocence

[158]                     Passons à la présomption d’innocence. Soit dit en tout respect, je ne partage pas l’avis de ma collègue selon lequel, si les contrevenants sont généralement tenus de rembourser les fonds qu’ils ont utilisés pour payer leur propre défense, la présomption d’innocence en souffrira. La présomption d’innocence empêche l’État d’obliger l’accusé à renoncer sur‑le‑champ à des biens dont on croit pour des motifs raisonnables, sans l’avoir encore prouvé, qu’ils sont des produits de la criminalité. Cette présomption trouve aussi son expression dans la disposition relative à la restitution qui permet à l’accusé de [traduction] « bénéficier de la présomption d’innocence [. . .] de la manière la plus concrète possible — par un accès aisé aux fonds saisis » (Smith, par. 106).

[159]                     Mais la présomption d’innocence n’est pas perpétuelle. Comme l’a dit la Cour dans R. c. Smith, 2004 CSC 14, [2004] 1 R.C.S. 385, « la présomption d’innocence cesse en cas de déclaration de culpabilité » (par. 16). C’est à ce stade, une fois que les fonds restitués et la présomption d’innocence ont été épuisés, que la disposition relative à l’infliction d’une amende de remplacement entre en jeu. Permettre aux accusés, qui sont présumés innocents, d’avoir accès à des fonds saisis pour payer les services d’un conseiller juridique n’a rien d’incompatible avec le fait d’exiger des contrevenants, qui ont été reconnus coupables, de rembourser ces fonds une fois qu’il est établi que ce sont des produits de la criminalité. Contrairement à ce que prétend ma collègue, cette mesure ne « limite pas rétroactivement la présomption d’innocence » (par. 57), car la présomption en cause demeure entièrement en vigueur jusqu’à la déclaration de culpabilité. En résumé, la présomption d’innocence n’a pas pour effet de protéger les contrevenants des conséquences d’une déclaration de culpabilité, notamment l’obligation de renoncer à tout produit de la criminalité ou de payer une amende de remplacement.

[160]                     Ma collègue tente aussi d’établir une analogie entre le contexte qui nous occupe et celui de la mise en liberté sous caution. Elle suggère que la « récupération » du temps passé en liberté sous caution « dilu[erait] rétroactive[ment] » la présomption d’innocence, et que la « récupér[ation] » des produits de la criminalité dépensés par un contrevenant pour sa défense produirait le même effet (par. 57‑58). En toute déférence, le contexte de la mise en liberté sous caution n’a rien à voir avec le présent contexte, et les considérations en jeu sont fort différentes. Mis à part le simple fait qu’aucune disposition législative n’autorise la « récupération » du temps passé en liberté sous caution, l’une des différences cruciales que ma collègue néglige est que, contrairement à la capacité de retenir les services d’un avocat au moyen de produits de la criminalité, le temps passé en liberté sous caution n’est pas un bénéfice tiré du crime. Donc, s’il existe un motif rationnel d’obliger le contrevenant à « rembourser » les produits de la criminalité dépensés pour l’assistance d’un avocat, il n’y a absolument aucun motif rationnel de l’obliger à « rembourser » le temps passé en liberté sous caution. Autrement dit, passer du temps en liberté sous caution n’est pas comparable au fait de dépenser des produits de la criminalité pour l’assistance d’un avocat. Avec égards, l’analogie est inappropriée.

3.               L’intention d’assurer l’équité envers l’accusé dans les poursuites criminelles

[161]                     En dernier lieu, la disposition sur la restitution répond aux craintes concernant l’injustice qu’il peut y avoir — sur le plan procédural ou autre — à refuser des fonds saisis à des accusés présumés innocents de manière à restreindre leur capacité de retenir les services d’un avocat, ou à leur retirer cette capacité, et obliger les contrevenants qui ont utilisé des produits de la criminalité pour payer leur propre défense à rembourser ce bénéfice n’a rien d’inéquitable.

[162]                     Ma collègue prétend qu’infliger une amende de remplacement à l’égard de fonds qui ont été restitués pour le paiement de frais juridiques raisonnables susciterait des « préoccupations de préavis et de fiabilité qui sont ancrées dans le principe de l’équité envers l’accusé dans les poursuites criminelles » (par. 59). Selon elle, l’accusé « se fonde[ra] sur une ordonnance judiciaire autorisée par un régime légal en particulier » et « [c]et accusé ne peut raisonnablement pas savoir qu’en faisant cela, il s’expose à une sanction additionnelle » (ibid.).

[163]                     Soit dit en tout respect, je rejette la thèse selon laquelle les dispositions pertinentes du Code criminel , conjuguées à une décision où la Cour explique l’effet qu’elles doivent avoir, laisserait l’accusé dans l’ignorance des conséquences préjudiciables que peut entraîner l’utilisation de fonds saisis pour payer des frais juridiques raisonnables en cas de déclaration de culpabilité. Le raisonnement de ma collègue est fondamentalement incompatible avec la maxime bien établie en droit criminel : l’ignorance de la loi n’est pas une excuse (ignorantia juris non excusat). Comme l’a expliqué le juge en chef Lamer dans R. c. McIntosh, [1995] 1 R.C.S. 686, « [n]otre système de justice criminelle repose sur le principe que nul n’est censé ignorer la loi » (par. 38; voir aussi R. c. MacDougall, [1982] 2 R.C.S. 605; R. c. Nova Scotia Pharmaceutical Society, [1992] 2 R.C.S. 606, p. 633). Contrairement à ma collègue, je ne suis pas disposé à dénaturer cette présomption bien établie.

[164]                     En dernier lieu, je souligne que ma collègue invoque l’arrêt R. c. G.D.B., 2000 CSC 22, [2000] 1 R.C.S. 520, où la Cour a affirmé que « tout inculpé a droit à l’assistance effective d’un avocat » et expliqué que ce droit constitue un principe de justice fondamentale (par. 24). Il importe toutefois de reconnaître que le droit à l’assistance effective d’un avocat n’équivaut pas au droit à l’assistance d’un avocat. Le premier protège l’accusé du travail incompétent de son avocat qui entraîne une erreur judiciaire (G.D.B., par. 26); il ne garantit cependant pas à tout inculpé le droit à l’assistance d’un avocat. Avec égards, ma collègue isole l’arrêt G.D.B. du contexte qui lui est propre.

(ii)           Le législateur n’avait pas l’intention de donner aux contrevenants l’avantage de payer leur défense au moyen de produits de la criminalité sans conséquence

[165]                     Ma collègue admet que les accusés qui disposent de fonds pour payer les services de leur conseiller juridique jouissent d’un avantage dont ne peuvent profiter les autres (par. 64; voir aussi Smith, par. 106). Pourtant, elle soutient qu’il ne s’agit pas là du « type d’avantage que le législateur souhaitait retirer aux contrevenants », mais bien « d’un avantage que le législateur souhaitait expressément leur accorder » (ibid.).

[166]                     En toute déférence, je ne suis pas de cet avis. Ma collègue confond deux concepts distincts : (1) l’intention du législateur concernant les circonstances dans lesquelles un accusé peut avoir accès aux fonds saisis; et (2) l’intention du législateur concernant les circonstances dans lesquelles un contrevenant peut être tenu de les rembourser. Je le répète, permettre aux accusés d’accéder à des fonds saisis pour payer les services de leur conseiller juridique n’a rien d’incompatible avec le fait d’exiger des contrevenants qu’ils remboursent ces fonds s’il est établi que ce sont des produits de la criminalité. Bien que le législateur ait voulu donner aux accusés l’avantage d’avoir accès à des fonds saisis afin de payer leurs frais juridiques raisonnables, il n’avait pas l’intention, à mon avis, de donner aux contrevenants l’avantage de ne jamais avoir à les rembourser.

[167]                     Si cela avait été l’intention du législateur, il aurait pu aisément édicter une disposition portant que les fonds restitués par application d’une ordonnance de restitution seraient soustraits à la confiscation ou à une amende de remplacement, ou qu’ils le seraient sauf « [s]’il s’avère que le besoin financier [du contrevenant] n’était pas réel ou que les fonds n’ont pas servi à atténuer ce besoin », comme le propose ma collègue (par. 76). Le législateur n’a toutefois pas édicté une telle disposition, en conséquence de quoi aucun motif impérieux ne permet de conclure qu’il était prêt à simplement traiter les fonds restitués pour la rémunération d’un conseiller juridique — ce qui peut représenter des centaines de milliers de dollars (voir Smith) — comme un don.

[168]                     Évidemment, si l’accusé est acquitté et il est établi que les fonds ne sont pas des produits de la criminalité, l’accusé aura tout simplement payé pour sa propre défense au moyen de son propre argent. Le cas échéant, l’État n’a pas été privé de biens qui auraient autrement été confisqués. Toutefois, si l’accusé est reconnu coupable et il est établi que les fonds étaient bel et bien des produits de la criminalité, chaque dollar consacré à la défense du contrevenant au moyen de produits de la criminalité est un dollar qui aurait autrement été confisqué au profit de l’État — un fait qui, de l’aveu de ma collègue, est « indéniabl[e] » (par. 68). Dans les circonstances, il est impensable que le législateur se soit contenté d’absorber la perte.

[169]                     Bien que le législateur ait édicté des garanties légales qui circonscrivent le montant des fonds restitués, on ne saurait y voir là une indication qu’il était prêt à renoncer à ces fonds pour de bon. L’objectif de circonscrire les fonds restitués à un accusé sert à protéger l’intérêt légitime de l’État à préserver dans la mesure du possible les biens dont on croit, pour des motifs raisonnables, qu’il s’agit de produits de la criminalité de manière à faciliter l’exécution d’éventuelles ordonnances de confiscation. Restituer la totalité des fonds saisis, que l’accusé ait besoin ou non de la totalité du montant, créerait un risque inutile que les fonds disparaissent bien avant la tenue d’une éventuelle audience relative à la détermination de la peine. Qui plus est, bien qu’une amende de remplacement puisse être infligée lorsqu’une partie ou l’ensemble des fonds ont été dépensés, un contrevenant pourrait prendre des années pour la payer ou même ne pas la payer du tout, soit parce qu’il refuse de le faire, soit parce qu’il est réellement incapable de le faire. Aussi les limites imposées aux sommes restituées visent‑elles un but légitime et ne peuvent être considérées comme un signal que le législateur était prêt à renoncer à ces fonds pour de bon.

(iii)         L’interprétation des juges majoritaires ne cadre pas avec le « pouvoir discrétionnaire limité » décrit dans l’arrêt Lavigne

[170]                     Enfin, soit dit en tout respect, l’interprétation qu’adopte ma collègue quant à l’exercice par un juge chargé de déterminer la peine de son pouvoir discrétionnaire limité de refuser d’infliger une amende de remplacement n’est pas conforme avec l’arrêt Lavigne, dans lequel notre Cour a rappelé plusieurs fois que le pouvoir discrétionnaire de refuser d’infliger l’amende de remplacement est « limité » (voir par. 1, 23, 27, 29, 34 et 44). Le raisonnement de ma collègue a pour effet de dénaturer ce concept en transformant ce pouvoir discrétionnaire limité de refuser d’infliger une amende en une règle interdisant à première vue l’adoption de cette mesure, du moins à l’égard des fonds qui ont été restitués pour le paiement de frais juridiques raisonnables.

[171]                     Ayant expliqué pourquoi je rejette l’interprétation adoptée par ma collègue, je passe à l’application des principes pertinents en l’espèce.

V.           Application

[172]                     Dans la présente affaire, la police a saisi des fonds dont on a plus tard jugé, lors de l’inscription des plaidoyers de culpabilité de M. Rafilovich, qu’il s’agissait de produits de la criminalité. Ces fonds lui ont été restitués pour lui permettre de payer ses frais juridiques raisonnables suivant le par. 462.34(4). Ces fonds, qui constituaient un « bien [. . .] d’un contrevenant », ont subséquemment été remis à un tiers — l’avocat de M. Rafilovich — de sorte qu’ils ne pouvaient pas faire l’objet d’une ordonnance de confiscation. En conséquence, le pouvoir d’infliger une amende de remplacement en vertu du par. 462.37(3) était en jeu.

[173]                     Cependant, la juge chargée de déterminer la peine a, en vertu de son pouvoir discrétionnaire limité, décidé de ne pas imposer cette sanction. Elle a souligné que M. Rafilovich [traduction] « n’avait pas tiré profit de son crime » (2013 ONSC 7293, p. 20 (CanLII)). De plus, a‑t‑elle ajouté, « il n’a tiré aucun avantage de ces fonds, hormis celui de les utiliser pour payer la représentation par avocat à laquelle il [avait] droit en vertu de la Constitution » (ibid.). La juge a également exprimé sa crainte d’exposer M. Rafilovich à l’incarcération pour défaut de paiement, un sort que ne risqueraient pas de subir des contrevenants se trouvant dans une situation semblable qui posséderaient d’autres moyens ou qui seraient admissibles à l’aide juridique.

[174]                     En toute déférence, je ne peux souscrire à l’analyse de la juge chargée de déterminer de la peine. Monsieur Rafilovich a effectivement tiré profit de son crime : il a retenu les services d’un avocat expérimenté de son choix grâce à l’utilisation d’une somme d’environ 42 000 $ découlant de la perpétration d’infractions criminelles. Contrairement à de nombreux accusés, M. Rafilovich a eu accès à une réserve de ressources pour financer sa défense. De plus, les craintes de la juge chargée de déterminer la peine au sujet du risque d’incarcération n’étaient pas fondées. Suivant l’arrêt rendu par notre Cour dans Wu, un mandat d’incarcération ne serait délivré que si M. Rafilovich avait les moyens de payer l’amende de remplacement, mais aurait refusé de le faire dans le délai imparti.

[175]                     Enfin, même si la juge chargée de déterminer la peine a affirmé que M. Rafilovich avait utilisé les fonds restitués pour obtenir [traduction] « une représentation par avocat à laquelle il [avait] droit en vertu de la Constitution » (p. 20), elle ne s’est pas demandé si le fait d’être représenté par un avocat était essentiel pour assurer le respect du droit constitutionnel de M. Rafilovich à un procès équitable. Or, elle se devait, en droit, d’analyser cette question avant de conclure que M. Rafilovich avait droit, en vertu de la Constitution, aux services d’un avocat rémunéré par l’État et d’exercer correctement le pouvoir discrétionnaire limité de refuser d’infliger une amende de remplacement en l’espèce.

[176]                     Comme le dossier dont la Cour est saisie n’est pas suffisamment étoffé pour nous permettre de trancher cette question, j’annulerais l’ordonnance de la Cour d’appel et je renverrais l’affaire à la juge chargée de déterminer la peine pour qu’elle rende une nouvelle décision.

                    Pourvoi accueilli, le juge en chef Wagner et les juges Moldaver et Côté sont dissidents en partie.

                    Procureurs de l’appelant : Lafontaine & Associates, Toronto.

                    Procureur de l’intimée : Service des poursuites pénales du Canada, Toronto.

                    Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Ontario : Procureur général de l’Ontario, Toronto.

                    Procureurs de l’intervenante l’Association canadienne des libertés civiles : Brauti Thorning, Toronto.

                    Procureurs de l’intervenante Criminal Lawyers’ Association of Ontario : Alan D. Gold Professional Corporation, Toronto; Brauti Thorning, Toronto.

                    Procureurs de l’intervenante British Columbia Civil Liberties Association : Thorsteinssons, Vancouver; Arvay Finlay, Vancouver.



[1] Le Code  prévoit deux mécanismes permettant à l’État de prendre le contrôle d’un bien que l’on croit être un produit de la criminalité. Le mécanisme en cause dans le présent pourvoi — la saisie — est autorisé par mandat délivré en vertu de l’art. 462.32  du Code . Le second mécanisme est l’ordonnance de blocage prévue à l’art. 462.33  du Code , qui interdit à « toute personne de se départir des biens mentionnés dans l’ordonnance ou d’effectuer des opérations sur les droits qu’elle détient sur ceux‑ci, sauf dans la mesure où l’ordonnance le prévoit » (par. 462.33(3)). Pour simplifier les choses, j’utilise le terme « saisi » au sens de « saisi ou bloqué » dans les présents motifs.

[2] Tel qu’il est expliqué au par. 27, il peut y avoir confiscation malgré l’absence de déclaration de culpabilité si le ministère public réussit à prouver hors de tout doute raisonnable que le bien en question est un produit de la criminalité. Dans un tel cas, il y aura une « audience de confiscation » plutôt qu’une « audience de détermination de la peine ». J’emploie ce deuxième terme au sens d’« audience de détermination de la peine ou de confiscation » dans les présents motifs.

[3] Le paragraphe 462.34(4) du Code  autorise le juge à ordonner la restitution de biens saisis au moyen d’un mandat délivré en vertu de l’art. 462.32. Dans le cas d’un bien faisant l’objet d’une ordonnance de blocage rendue en vertu du par. 462.33(3), le juge peut « annuler ou modifier l’ordonnance de blocage [. . .] de façon à soustraire, en totalité ou en partie, ces biens ou un droit sur ceux‑ci à son application, selon le cas, ou rendre l’ordonnance de blocage sujette aux conditions qu’il estime indiquées ». Par souci de simplicité, j’emploie dans les présents motifs le terme « restitution » pour parler de ces deux situations. Quand je parle plus particulièrement de la disposition sur la restitution en vue du paiement de frais juridiques raisonnables au titre du sous‑al. 462.34(4)c)(ii), j’utilise le terme « disposition sur la restitution en vue du paiement des frais juridiques ».

[4] Dans certaines décisions, les tribunaux parlent d’« amende infligée au lieu de la confiscation ». Par souci de clarté, j’utilise dans les présents motifs les mots « en remplacement » qui font partie du texte du par. 462.37(3)  du Code .

[5] Des décisions contradictoires ont été rendues quant à savoir si l’accusé doit présenter une demande d’aide juridique avant d’obtenir une ordonnance de restitution. La question n’a pas été débattue en l’espèce et je n’ai pas l’intention d’y répondre.

[6] Sauf indication contraire, toutes les dispositions législatives citées renvoient au Code criminel .

[7] Une déclaration de culpabilité n’est pas une condition préalable au prononcé d’une ordonnance de confiscation, laquelle peut également être rendue après qu’une absolution ait été prononcée en vertu de l’art. 730.

[8] Elle peut toutefois être prise en compte dans la détermination du délai accordé au contrevenant pour payer l’amende (voir par. 47‑48).

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