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COUR SUPRÊME DU CANADA

 

Référence : Canada (Procureur général) c. British Columbia Investment Management Corp., 2019 CSC 63, [2019] 4 R.C.S. 559

Appel entendu : 13 mai 2019

Jugement rendu : 13 décembre 2019

Dossier : 38059

 

Entre :

 

Procureur général du Canada

Appelant/Intimé au pourvoi incident

 

et

 

British Columbia Investment Management Corporation

Intimée/Appelante au pourvoi incident

 

et

 

Sa Majesté la Reine du chef de la province de la Colombie-Britannique

Intimée/Intimée au pourvoi incident

 

- et -

 

Procureur général de l’Ontario et

procureur général de l’Alberta

Intervenants

 

 

Traduction française officielle

 

Coram : Le juge en chef Wagner et les juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Brown, Rowe et Martin

 

Motifs de jugement :

(par. 1 à 114)

 

Motifs dissidents en partie :

(par. 115 à 171)

 

La juge Karakatsanis (avec l’accord des juges Abella, Moldaver, Brown, Rowe et Martin)

 

Le juge en chef Wagner

 

 

 

 

 

 

canada c. b.c. investment management.

Procureur général du Canada                            Appelant/Intimé au pourvoi incident

c.

British Columbia Investment Management Corporation       Intimée/Appelante au

                                                                                                               pourvoi incident

et

Sa Majesté la Reine du chef de la province de                                                           

la Colombie-Britannique                                    Intimée/Intimée au pourvoi incident

et

Procureur général de l’Ontario et

procureur général de l’Alberta                                                                 Intervenants

Répertorié : Canada (Procureur général) c.

British Columbia Investment Management Corp.

2019 CSC 63

No du greffe : 38059.

2019 : 13 mai; 2019 : 13 décembre.

Présents : Le juge en chef Wagner et les juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Brown, Rowe et Martin.

en appel de la cour d’appel de la colombie‑britannique

                    Droit constitutionnel — Immunité intergouvernementale contre la taxation — Taxe sur les produits et services  — Portée de l’immunité intergouvernementale — Société de la Couronne provinciale créée par la législature afin qu’elle fournisse des services de gestion de placement aux régimes de retraite du secteur public et à d’autres entités de la Couronne — La société de la Couronne provinciale est‑elle tenue de percevoir et de verser la TPS fédérale sur les frais qu’elle engage lorsqu’elle fait des placements dans les portefeuilles de fonds communs de placement? — La société de la Couronne provinciale a‑t‑elle droit à l’immunité fiscale prévue par la Constitution? — Loi constitutionnelle de 1867, art. 125 Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. 1985, c. E‑15 , Partie IX.

                    Droit fiscal — Taxe sur les produits et services  — Accord de réciprocité fiscale fédéral‑provincial — Les accords conclus par les gouvernements fédéral et provinciaux visant le paiement réciproque de leurs taxes de vente lient‑ils les entités de la Couronne? — Les accords ont‑ils l’effet juridique d’écarter l’immunité fiscale dont jouirait par ailleurs un mandataire de la Couronne?

                    En 1999, la législature de la Colombie‑Britannique (la province) a créé la British Columbia Investment Management Corporation (BCI) afin qu’elle fournisse des services de gestion de placements aux régimes de retraite du secteur public de la province ainsi qu’à d’autres entités de la Couronne sous le régime de la Public Sector Pension Plans Act (PSPPA). Au moment de sa création, BCI a assumé la propriété en common law et a pris en charge la gestion des placements détenus dans des portefeuilles de fonds communs de placement (Portefeuilles), qui étaient auparavant détenus et gérés par le ministre des Finances de la province. À la même époque, la province procédait à une modernisation de ses fonds de retraite du secteur public en créant une structure d’administration fiduciaire conjointe, afin de permettre tant aux participants aux régimes de retraite du secteur public qu’à leurs employeurs de participer à la gestion de ces régimes. Ces changements visaient à créer une certaine distance entre le gouvernement et la gestion de ses fonds de placement et des fonds de retraite du secteur public.

                    Aux termes de deux accords distincts, la province et le Canada ont convenu de payer réciproquement leurs taxes de vente dans certaines circonstances. Selon l’accord de réciprocité fiscale (le Reciprocal Tax Agreement ou RTA), le Canada a convenu de payer certains frais et taxes provinciaux et la province a convenu de payer les taxes exigées au titre de la Partie IX de la Loi sur la taxe d’accise  (LTA ). Les entités provinciales figurant sur la liste de l’annexe A du RTA pouvaient demander un remboursement de la TPS payée. BCI a été ajoutée à l’annexe A en 1999, mais a été retirée en 2003. Aux termes de l’accord global intégré de coordination fiscale (Comprehensive Integrated Tax Coordination Agreement ou CITCA), la province et le Canada ont convenu de payer la TVH sur les fournitures achetées par leur gouvernement et mandataires respectifs. Le CITCA est demeuré en vigueur jusqu’en 2013, lorsque la province a délaissé le régime de la TVH en faveur du modèle antérieur de TPS‑TVP.

                    À la suite du retrait de BCI de l’annexe A du RTA en 2003, l’Agence du revenu du Canada (ARC) a commencé à mettre en doute le droit de BCI d’invoquer l’immunité à l’égard de la TPS relativement aux frais qu’elle engageait dans le cadre de la gestion des Portefeuilles. En décembre 2013, BCI a saisi la Cour suprême de la Colombie‑Britannique d’une requête, afin d’obtenir les déclarations qu’en qualité de mandataire légal de la Couronne, BCI bénéficie de l’immunité fiscale à l’égard des actifs qu’elle détient dans les Portefeuilles, et qu’elle n’est pas liée par le RTA ou le CITCA, ni par les obligations de paiement énoncées dans ces accords.

                    Le Canada a sollicité la radiation de la requête de BCI, soutenant que le litige devait être instruit par la Cour canadienne de l’impôt, et non par la Cour suprême de la Colombie‑Britannique, mais sa requête a été rejetée. Le juge siégeant en son cabinet a conclu que la Cour suprême de la Colombie‑Britannique avait compétence pour trancher la requête, que BCI, en qualité de mandataire légal de la Couronne chargé de gérer les Portefeuilles, bénéficiait de l’immunité fiscale en vertu de l’art. 125  de la Loi constitutionnelle de 1867 , dont le libellé prévoit que nulle terre ou propriété appartenant au Canada ou à aucune province ne sera sujette à la taxation, et que BCI est liée par les accords fiscaux. La Cour d’appel était aussi de cet avis. Le Canada interjette appel de la conclusion selon laquelle BCI bénéficie de l’immunité fiscale, et BCI forme un appel incident à l’égard de la conclusion relative au caractère contraignant des accords.

                    Arrêt (le juge en chef Wagner est dissident en partie) : Le pourvoi et le pourvoi incident sont rejetés.

                    Les juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Brown, Rowe et Martin : Le juge siégeant en son cabinet n’a pas commis d’erreur en exerçant sa compétence pour trancher la requête de BCI. Tant la portée de la requête de BCI que le moment où elle a été introduite appuient la qualification de la demande de BCI par le juge siégeant en son cabinet et sa décision d’exercer sa compétence. Pour décider s’il exerce ou non sa compétence, le tribunal doit déterminer la nature essentielle de la demande. En l’espèce, le juge siégeant en son cabinet a décidé que l’essentiel de la requête de BCI ne constituait pas une contestation des cotisations de TPS, mais plutôt du pouvoir du Canada d’imposer dès le départ une taxe à BCI. Il a également conclu que les questions relatives à l’immunité constitutionnelle et aux accords intergouvernementaux étaient connexes — si la demande relative à l’immunité était retenue, les accords seraient la seule voie par laquelle BCI pourrait être tenue de payer la TPS. Il n’y a aucune erreur donnant lieu à révision dans cette analyse. Les questions soulevées dans la requête de BCI vont au‑delà de la cotisation fiscale établie sous le régime de la LTA ; la présente affaire porte sur les droits, obligations et devoirs d’un mandataire de la Couronne aux termes de la Constitution et en common law. Qui plus est, bien que les contestations du bien‑fondé d’une cotisation fiscale établie en application de la LTA  relève de la compétence exclusive de la Cour canadienne de l’impôt, lorsque BCI a déposé sa requête, les nouvelles cotisations de 2015 n’avaient pas encore été établies de sorte que la Cour canadienne de l’impôt n’avait pas compétence sur le litige.

                    Le mécanisme prévu dans la LTA  pour imposer la TPS sur les Portefeuilles aurait pour effet d’assujettir les biens de la Couronne à la taxation. En conséquence, l’art. 125  de la Loi constitutionnelle de 1867  rend inapplicables les dispositions pertinentes de la partie IX de la LTA en ce qui a trait aux Portefeuilles. La partie IX de la LTA régit le paiement, la perception et le versement de la TPS fédérale (et, le cas échéant, de la TVH). L’acquéreur d’une fourniture taxable doit payer la TPS sur la valeur de la contrepartie de la fourniture. Les fournisseurs inscrits au titre de la LTA  sont tenus de percevoir la TPS et de la verser périodiquement au gouvernement fédéral. BCI se sert de deux structures différentes pour gérer les actifs qui lui sont confiés à des fins d’investissement : les placements sont détenus dans des Portefeuilles ou à titre de fonds distincts, séparément des actifs des Portefeuilles. Il est indéniable que les services de gestion de placements que BCI fournit en dehors du contexte des Portefeuilles (c.‑à‑d., dans le cadre de la gestion des fonds distincts) constituent des fournitures taxables aux fins de la TPS. Cependant, en ce qui concerne les Portefeuilles, BCI recouvre ses frais de gestion à même les revenus générés par les actifs qui y sont détenus et ne perçoit pas de TPS sur ces montants. En conséquence, la question qui se pose dans le cadre de l’application de la LTA  ne concerne pas la nature des activités de gestion de placements de BCI, mais est plutôt celle de savoir si les Portefeuilles peuvent être considérés comme un « acquéreur » d’une fourniture taxable aux fins de la LTA .

                    Selon le paragraphe 123(1)  de la LTA , l’« acquéreur » s’entend de la personne qui est tenue de payer la contrepartie de la fourniture du service qui lui est rendu ou, si nulle contrepartie n’est payable, la personne à qui un service est rendu. Pour être visé par cette définition, l’acquéreur doit également être une personne. En common law, seules les personnes physiques et les personnes morales ont une personnalité juridique; les fiducies n’en ont pas. Afin de comprendre les opérations mettant en cause un vaste éventail d’entités, la LTA  définit le terme « personne » et confère à la fiducie une identité juridique artificielle distincte aux fins fiscales. Cela a pour effet, sous le régime de la LTA , d’imposer aux fiducies et aux fiduciaires des obligations relatives à la perception, au versement et au paiement de la TPS dans certaines circonstances. Afin de trancher la question de savoir si BCI bénéficie de l’immunité constitutionnelle, on suppose que les Portefeuilles constituent une « fiducie » au sens de la partie IX de la LTA. Dans cette hypothèse, BCI détiendrait les actifs du Portefeuille en fiducie au profit des détenteurs d’unités.

                    Le fait que BCI est un mandataire de la Couronne provinciale complique quelque peu l’application de la LTA  à BCI et aux Portefeuilles. L’immunité fiscale intergouvernementale accorde à chaque ordre de gouvernement l’espace opérationnel nécessaire pour gouverner sans intervention externe et a pour but de préserver la répartition des biens entre les gouvernements fédéral et provinciaux énoncée dans la Loi constitutionnelle de 1867 . L’article 125 confère l’immunité fiscale constitutionnelle lorsque deux conditions sont réunies. D’abord, le prélèvement contesté, de par son caractère véritable, doit viser la « taxation » au sens du par. 91(3)  ou 92(2)  de la Loi constitutionnelle de 1867 . Ensuite, la taxe doit viser des biens appartenant à la Couronne fédérale dans le cas d’une taxe imposée par la législature provinciale, et des biens appartenant à la Couronne provinciale dans le cas d’une taxe imposée par le Parlement. Lorsque ces deux conditions préalables sont établies, l’art. 125 s’applique et rend inapplicables les dispositions fiscales par ailleurs valides à l’égard des biens de la Couronne.

                    En l’espèce, il ne fait aucun doute que la TPS fédérale relève directement du sens donné au terme « taxation » que l’on trouve au par. 91(3)  de la Loi constitutionnelle de 1867 , et qu’en tant que mandataire légal de la Couronne, BCI jouit de la même immunité constitutionnelle à l’égard de ses biens que la Couronne provinciale. Lorsque la Couronne détient des biens en fiducie, l’art. 125  de la Loi constitutionnelle de 1867  confère l’immunité seulement à l’intérêt de la Couronne dans les biens en fiducie. Un intérêt bénéficiaire privé peut donc faire l’objet d’une taxe même lorsque la Couronne détient un titre en common law. Cependant, si la taxe est imposée sur l’intérêt de la Couronne dans le bien, l’immunité constitutionnelle s’applique. En l’espèce, la LTA  recourt à une fiction juridique pour contraindre une fiducie à payer une taxe sur les services taxables que lui fournit son fiduciaire. Cependant, lorsque le fiduciaire est un mandataire de la Couronne provinciale, ce mécanisme contrevient à l’art. 125 parce qu’il impose une taxe sur des biens appartenant en common law à la Couronne. La LTA  n’impose pas la TPS sur un intérêt de propriété bénéficiaire privé et distinct en l’espèce. En conséquence, la LTA  est constitutionnellement inapplicable aux Portefeuilles.

                    BCI est liée par les dispositions du RTA et du CITCA. À la lumière de leur libellé clair, les accords s’apparentent à des contrats de droit privé et visaient à créer des obligations juridiquement contraignantes pour le Canada et la province. La PSPPA établit que les obligations et immunités fiscales de BCI sont les mêmes que celles de la province. Comme le libellé de cette disposition est suffisamment large pour inclure les obligations que la province a assumées de son plein gré, BCI est généralement assujettie aux obligations énoncées dans les accords dans la même mesure que le serait la province. Toutefois, la nature des obligations précises prévues par les accords est une question qui dépasse le cadre du présent pourvoi.

                    Le juge en chef Wagner (dissident en partie) : Il y a accord avec les juges majoritaires pour dire que la Cour suprême de la Colombie-Britannique s’est à bon droit déclarée compétente à l’égard du présent litige et que BCI est liée par les accords fiscaux intergouvernementaux applicables entre la Colombie‑Britannique et le Canada. Toutefois, il y a désaccord sur la question de l’immunité prévue à l’art. 125  de la Loi constitutionnelle de 1867 . Le titre de propriété en common law que détient BCI sur les biens taxés n’est pas suffisant pour faire en sorte que ces biens « appartiennent » à la province, comme l’exige l’art. 125, parce qu’ils ont été confiés à BCI par des parties privées pour qu’elle les détienne et les gère à leur seul profit contre paiement. Les biens sont assujettis à la taxe seulement parce que les conseils privés des régimes de retraite ont choisi de se servir de ces biens comme mécanisme de paiement des services qu’ils ont reçus de BCI. Le fait d’étendre l’immunité prévue à l’art. 125 aux circonstances de la présente affaire ne protège pas les valeurs constitutionnelles du fédéralisme et de la démocratie que cet article cherche à promouvoir. Cela va plutôt au‑delà de ces objectifs en permettant à des parties privées de profiter de l’immunité fiscale à laquelle ils n’ont pas droit, tout en protégeant la province de certaines conséquences contractuelles préjudiciables et en conférant à BCI un avantage commercial injustifié.

                    Les détenteurs d’unités sont les bénéficiaires des fonds que BCI détient en fiducie. Les services de gestion de placements que fournit BCI aux Portefeuilles profitent ultimement aux détenteurs d’unités. Ce sont eux qui ont droit aux revenus et aux gains en capital produits par les Portefeuilles pendant qu’ils existent, et ce sont eux qui ont droit au produit net lorsqu’il est mis fin aux Portefeuilles. Ni BCI ni la province n’ont la capacité ou le droit de s’approprier les actifs du Portefeuille. Le seul avantage que BCI retire des Portefeuilles est la possibilité de recouvrer ses frais d’exploitation et ses dépenses en capital à même les fonds détenus dans les Portefeuilles, ce qui réduit la valeur des unités et le rendement final réalisé par les détenteurs d’unités. Le rôle que joue la province en ce qui concerne les régimes de retraite du secteur public est purement contractuel. Les conseils des régimes de retraite, qui représentent la majeure partie des détenteurs d’unités, sont des parties privées. Ce sont les détenteurs d’unités privés qui supportent dans les faits la charge de la taxe parce que BCI fournit ses services relativement aux Portefeuilles au seul profit des détenteurs d’unités. Seul le choix des conseils des régimes de retraite de payer BCI indirectement en lui permettant de se payer à même la fiducie fait en sorte que les Portefeuilles deviennent les acquéreurs au sens de la LTA  des services fournis par BCI. Si BCI et les conseils des régimes de retraite avaient convenu que BCI facturerait directement ses services à ces derniers plutôt qu’elle se paye à même les Portefeuilles, les conseils auraient été les acquéreurs au sens de la LTA et ils auraient donc été tenus de payer la TPS.

                    Les parties privées ne peuvent pas se fonder sur l’art. 125  de la Loi constitutionnelle de 1867  pour se soustraire au paiement de la taxe sur les services de gestion de placements qu’elles reçoivent d’une société d’État. L’interprétation de l’art. 125 ne doit pas aller au-delà des objets du fédéralisme et de la démocratie. Il est clair que le Parlement peut obliger les acheteurs privés de services provinciaux à payer la TPS sur ces services sans contrevenir à l’art. 125. De plus, l’art. 125 n’a pas pour objet de mettre l’État à l’abri des conséquences contractuelles ou d’autres effets commerciaux préjudiciables qu’il pourrait subir en raison de la taxation d’une partie privée. Les intérêts commerciaux et contractuels de l’État ne peuvent être favorisés au détriment de ceux des parties privées. En l’espèce, les biens n’appartiennent pas à l’État et ne bénéficient pas de l’immunité prévue à l’art. 125. Cette disposition n’exempte pas les biens que des parties privées ont confiés à l’État pour qu’il les détienne en fiducie à leur seul profit d’une taxe sur les services qu’elles se sont engagées par contrat à recevoir de l’État relativement aux biens en question. Les biens pour l’essentiel n’appartiennent pas à l’État mais bien aux parties privées, et le titre en common law que détient l’État en tant que fiduciaire ne donne pas lieu à l’immunité fiscale. L’élargissement de l’immunité irait au‑delà des objets de l’art. 125 en permettant l’application de l’immunité aux intérêts de parties privées, en reposant sur les conséquences contractuelles préjudiciables qu’entraînerait pour l’État l’élargissement de l’immunité, et en rendant les biens de la Couronne plus attrayants sur le plan commercial en faisant d’eux un paradis fiscal pour les parties privées.

                    L’élargissement de l’immunité ne favoriserait pas la réalisation des objets de l’art. 125. Il ne favoriserait pas l’objectif de l’art. 125 d’empêcher un ordre de gouvernement de s’approprier, pour son propre usage, les biens d’un autre ordre de gouvernement, ou les fruits de ces biens. De plus, le fait de conclure que l’immunité ne s’applique pas en l’espèce n’irait pas à l’encontre de la décision de la province de permettre à BCI de détenir les actifs des Portefeuilles en fiducie. Cette conclusion ne ferait qu’entraîner les conséquences fiscales qui s’imposent sur le mode de paiement des services que BCI et ses clients privés ont choisi. Rien dans la PSPPA ou dans le droit des fiducies n’exige le recours au mode de paiement qui est censé donner lieu à l’immunité prévue à l’art. 125. La PSPPA ne fait du paiement direct à même les fonds en fiducie qu’une des nombreuses options de paiement possibles, et permet également à BCI de facturer directement à ses clients les services rendus. L’immunité n’est pas nécessaire pour protéger l’espace opérationnel dont la province a besoin pour gouverner. De plus, le fait d’exiger que les Portefeuilles paient la TPS ne les exposerait pas à un risque. BCI et les conseils des régimes de retraite sont libres de s’assurer que la TPS n’est pas payée à même les fonds en fiducie en convenant que les conseils des régimes de retraite paieront directement BCI pour ses services, une option prévue par le législateur et utilisée par BCI et les conseils de régimes de retraite pour les fonds distincts. Enfin, l’élargissement de l’immunité ne favorise pas la valeur constitutionnelle de la démocratie parce que la présente affaire ne porte pas sur une décision qu’aurait prise le législateur fédéral concernant la façon dont les taxes prélevées par la législature de la province devraient être dépensées. Le législateur de la province a déjà décidé comment il entendait dépenser ses recettes fiscales. Il a autorisé le versement des recettes fiscales aux conseils privés des régimes de retraite pour respecter ses obligations contractuelles en matière de rémunération des employés provinciaux. Une fois que la province a versé ces sommes aux conseils des régimes de retraite privés, elles ne sont plus des fonds publics; elles deviennent dès lors assujetties aux modalités contractuelles des accords d’administration en fiducie conjointe. Les services en cause sont donc fournis par BCI aux parties privées qui ont accepté de payer pour ces services. Le Canada tente simplement de s’assurer que ces parties privées paient la TPS sur ces services.

Jurisprudence

Citée par la juge Karakatsanis

                    Arrêts examinés : Renvoi relatif à la taxe sur le gaz naturel exporté, [1982] 1 R.C.S. 1004; Quirt c. The Queen (1891), 19 R.C.S. 510; arrêts mentionnés : British Columbia Investment Management Corp. c. Canada (Attorney General), 2014 BCSC 1296, [2014] G.S.T.C. 93, conf. par 2015 BCCA 373, 80 B.C.L.R. (5th) 316; Canada (Procureur général) c. Fontaine, 2017 CSC 47, [2017] 2 R.C.S. 205; Sattva Capital Corp. c. Creston Moly Corp., 2014 CSC 53, [2014] 2 R.C.S. 633; Hryniak c. Mauldin, 2014 CSC 7, [2014] 1 R.C.S. 87; Banque Canadienne Impériale de Commerce c. Green, 2015 CSC 60, [2015] 3 R.C.S. 801; Mines Alerte Canada c. Canada (Pêches et Océans), 2010 CSC 2, [2010] 1 R.C.S. 6; Windsor (City) c. Canadian Transit Co., 2016 CSC 54, [2016] 2 R.C.S. 617; Canada (Procureur général) c. TeleZone Inc., 2010 CSC 62, [2010] 3 R.C.S. 585; Johnson c. Ministre du Revenu national, 2015 CAF 51; JP Morgan Asset Management (Canada) Inc. c. Canada (Revenu national), 2013 CAF 250, [2014] 2 R.C.F. 557; Sorbara c. Canada (Attorney General), 2009 ONCA 506, 98 O.R. (3d) 673; Aboriginal Federated Alliance Inc. c. Canada Customs and Revenue Agency, 2002 ABCA 104, 303 A.R. 304; Smith c. Canada, 2006 BCCA 237, 61 B.C.L.R. (4th) 231; Canada c. Addison & Leyen Ltd., 2007 CSC 33, [2007] 2 R.C.S. 793; Pintendre Autos Inc. c. La Reine, 2003 CCI 818; Whitford c. La Reine, 2008 CCI 359; R. c. Eldorado Nucléaire Ltée, [1983] 2 R.C.S. 551; Province of Bombay c. City of Bombay, [1947] A.C. 58; Alberta Government Telephones c. Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes), [1989] 2 R.C.S. 225; Nova Scotia Power Inc. c. Canada, 2004 CSC 51, [2004] 3 R.C.S. 53; Canada (Procureur général) c. Thouin, 2017 CSC 46, [2017] 2 R.C.S. 184; Renvoi relatif à la taxe sur les produits et services, [1992] 2 R.C.S. 445; Will-Kare Paving & Contracting Ltd. c. Canada, 2000 CSC 36, [2000] 1 R.C.S. 915; Backman c. Canada, 2001 CSC 10, [2001] 1 R.C.S. 367; R. c. D.L.W., 2016 CSC 22, [2016] 1 R.C.S. 402; Schmidt c. Air Products Canada Ltd., [1994] 2 R.C.S. 611; Colombie-Britannique c. Henfrey Samson Belair Ltd., [1989] 2 R.C.S. 24; Guarantee Company of North America c. Royal Bank of Canada, 2019 ONCA 9, 144 O.R. (3d) 225; Bande et nation indiennes d’Ermineskin c. Canada, 2009 CSC 9, [2009] 1 R.C.S. 222; Guerin c. La Reine, [1984] 2 R.C.S. 335; Attorney-General of British Columbia c. Esquimalt and Nanaimo R. Co., [1950] 1 D.L.R. 305; De Mond c. La Reine, 1999 CanLII 466; C.I. Mutual Funds Inc. c. Canada, [1997] G.S.T.C. 84, mod. par [1999] 2 C.F. 613; First Vancouver Finance c. M.R.N., 2002 CSC 49, [2002] 2 R.C.S. 720; Première nation de Westbank c. British Columbia Hydro and Power Authority, [1999] 3 R.C.S. 134; City of Halifax c. Halifax Harbour Commissioners, [1935] R.C.S. 215; Re Canadian Broadcasting Corp. Assessment, [1938] 4 D.L.R. 591, conf. par [1938] 4 D.L.R. 764; Calgary & Edmonton Land Co. c. Attorney-General of Alberta (1911), 45 R.C.S. 170; Smith c. Rur. Mun. of Vermillion Hills (1916), 30 D.L.R. 83; City of Vancouver c. Attorney-General of Canada, [1944] R.C.S. 23; Phillips and Taylor c. City of Sault Ste. Marie, [1954] R.C.S. 404; Rural Municipality of Vermillion Hills c. Smith (1913), 6 Sask. L.R. 366; Regina c. County of Wellington (1890), 17 O.A.R. 421; Renvoi relatif à la Loi anti‑inflation, [1976] 2 R.C.S. 373; Northrop Grumman Overseas Services Corp. c. Canada (Procureur général), 2009 CSC 50, [2009] 3 R.C.S. 309; Renvoi relatif au Régime d’assistance publique du Canada (C.-B.), [1991] 2 R.C.S. 525; Renvoi relatif à la réglementation pancanadienne des valeurs mobilières, 2018 CSC 48, [2018] 3 R.C.S. 189; Québec (Procureur général) c. Moses, 2010 CSC 17, [2010] 1 R.C.S. 557; South Australia c. The Commonwealth (1962), 108 C.L.R. 130; Conseil scolaire de district de Toronto c. La Reine, 2009 CCI 39; Corporation de l’hôpital d’Ottawa c. La Reine, 2010 CCI 53.

Citée par le juge en chef Wagner (dissident en partie)

                    Valard Construction Ltd. c. Bird Construction Co., 2018 CSC 8, [2018] 1 R.C.S. 224; Ehrcke c. Public Service Pension Board of Trustees, 2004 BCSC 757, 32 B.C.L.R. (4th) 388; McKinney c. Université de Guelph, [1990] 3 R.C.S. 229; Première nation de Westbank c. British Columbia Hydro and Power Authority, [1999] 3 R.C.S. 134; Renvoi relatif à la taxe sur le gaz naturel exporté, [1982] 1 R.C.S. 1004; Succession Eurig (Re), [1998] 2 R.C.S. 565; Caron c. Alberta, 2015 CSC 56, [2015] 3 R.C.S. 511; R. c. Blais, 2003 CSC 44, [2003] 2 R.C.S. 236; Calgary & Edmonton Land Co. c. Attorney-General of Alberta (1911), 45 R.C.S. 170; Renvoi relatif à la taxe sur les produits et services, [1992] 2 R.C.S. 445; City of Vancouver c. Attorney-General of Canada, [1944] R.C.S. 23; Phillips and Taylor c. City of Sault Ste. Marie, [1954] R.C.S. 404; Pecore c. Pecore, 2007 CSC 17, [2007] 1 R.C.S. 795; Csak c. Aumon (1990), 69 D.L.R. (4th) 567; R. c. Penunsi, 2019 CSC 39, [2019] 3 R.C.S. 91; Trident Holdings Ltd. c. Danand Investments Ltd. (1988), 64 O.R. (2d) 65; De Mond c. La Reine, 1999 CanLII 466; Smith c. Rural Municipality of Vermilion Hills (1914), 49 R.C.S. 563, conf. par (1916), 30 D.L.R. 83; Quirt c. The Queen (1891), 19 R.C.S. 510; Regina c. County of Wellington (1889), 17 O.R. 615; Regina c. County of Wellington (1890), 17 O.A.R. 421.

Lois et règlements cités

Entente intégrée globale de coordination fiscale entre le gouvernement du Canada et le gouvernement de la Colombie-Britannique, art. 1, 38 à 41, 42, 51, 65.

Financial Administration Act, R.S.B.C. 1996, c. 138, art. 43.  

Financial Administration Act, S.B.C. 1981, c. 15, art. 36.

Funds Investment and Management Agreement Between British Columbia Investment Management Corporation and the Teachers’ Pension Board of Trustees, art. 1.1.22, 2.1, 2.2, 2.4.3, 5.1, 8, 8.2, 9.1.2, 12.1.1, ann. A, art. 2 à 4, 5.

Interpretation Act, R.S.B.C. 1996, c. 238, art. 14(1), 29.

Loi  constitutionnelle  de 1867 , partie VIII, art. 91(3), 92(2), 125.

Loi  constitutionnelle  de 1982 , art. 52(1) .

Loi d’interprétation , L.R.C. 1985, c. I‑21, art. 8.1 , 17 .

Loi de l’impôt sur le revenu , L.R.C. 1985, c. 1 (5 e  suppl .), art. 104(1).

Loi sur la Cour canadienne de l’impôt , L.R.C. 1985, c. T-2, art. 12(1) .

Loi sur la  taxe  d’accise , L.R.C. 1985, c. E-15 , partie IX, art. 122, 123(1), 165, 221(1), 225(1), 228(1), (2), 267.1(5), 306, 309(1).

Loi sur les arrangements fiscaux entre le gouvernement fédéral et les provinces , L.R.C. 1985, c. F-8, art. 32 , 33 .

Ministry of Intergovernmental Relations Act, R.S.B.C. 1996, c. 303, art. 4.

Pooled Investment Portfolios Regulation, B.C. Reg. 84/86, art. 3, 4, 11.

Pooled Investment Portfolios Regulation, B.C. Reg. 447/99, art. 1, 2, 4, 5, 6(2), 10(1), (2), (3), (4), (5), 11, 14.

Public Sector Pension Plans Act, S.B.C. 1999, c. 44, Part 3, art. 15, 16(5), (6), 17, 18(2), (3), (4), 18.1, 20, 21(2)(b), 24(1), 25.1.

Public Service Pension Plan Joint Trust Agreement, attendu C(c), (d), préambule, art. 3, 7.2, 7.3, 10.3, 13.

Reciprocal Taxation Agreement (Canada ― British Columbia), préambule, art. 1, 3, 4, 6(d), 9, 15, ann. A.

Doctrine et autres documents cités

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                    POURVOI et POURVOI INCIDENT contre un arrêt de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique (les juges Smith, Willcock et Goepel), 2018 BCCA 47, 5 B.C.L.R. (6th) 237, 37 C.C.P.B. (2nd) 163, [2018] 7 W.W.R. 235, [2018] G.S.T.C. 11, [2018] B.C.J. No. 190 (QL), 2018 CarswellBC 227 (WL Can.), qui a confirmé une décision du juge Weatherill, 2016 BCSC 1803, 90 B.C.L.R. (5th) 126, 28 C.C.P.B. (2nd) 169, 401 D.L.R. (4th) 729, [2017] 1 W.W.R. 589, [2016] G.S.T.C. 90, [2016] B.C.J. No. 2061 (QL), 2016 CarswellBC 2749 (WL Can.). Pourvoi et pourvoi incident rejetés, le juge en chef Wagner est dissident en partie.

                    Michael Taylor et Ian Demers, pour l’appelant/intimé à l’appel incident le procureur général du Canada.

                    Craig A. B. Ferris, c.r., Lisa A. Peters, c.r., Gordon Brandt et Michael Sobkin, pour l’intimée/appelante à l’appel incident la British Columbia Investment Management Corporation.

                    Sointula Kirkpatrick et David Poore, pour l’intimée/intimée à l’appel incident Sa Majesté la Reine du chef de la province de la Colombie‑Britannique.

                    Padraic Ryan et Robin K. Basu, pour l’intervenant le procureur général de l’Ontario.

                    Argumentation écrite seulement par L. Christine Enns, c.r., pour l’intervenant le procureur général de l’Alberta.

 

                    Version française du jugement des juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Brown, Rowe et Martin rendu par

[1]                             La juge Karakatsanis — Les présents pourvoi et pourvoi incident portent sur la question de savoir dans quelles circonstances les activités d’une société de la Couronne provinciale peuvent être assujetties à la taxation fédérale. Pour trancher cette question, notre Cour doit évaluer la portée de l’immunité fiscale intergouvernementale énoncée à l’art. 125  de la Loi constitutionnelle de 1867  et établir si les accords conclus par deux ordres de gouvernement en vue du paiement de l’équivalent de « taxes » peuvent lier d’autres entités de la Couronne.

[2]                              En 1999, la législature de la Colombie‑Britannique a créé la British Columbia Investment Management Corporation (BCI) afin qu’elle fournisse des services de gestion de placements aux régimes de retraite du secteur public de la province ainsi qu’à d’autres entités de la Couronne. Au moment de sa création, BCI a assumé la propriété en common law et a pris en charge la gestion des placements détenus dans des Portefeuilles de fonds communs de placement. À la même époque, la législature procédait à une modernisation de ses fonds de retraite du secteur public en créant une structure d’administration fiduciaire conjointe, dans le cadre de laquelle les employeurs et les employés exerceraient un plus grand contrôle sur la gestion des fonds de pension. Ces changements visaient tous les deux à créer une certaine distance entre le gouvernement et la gestion de ses fonds de placement et des fonds de retraite du secteur public.

[3]                              Le procureur général du Canada soutient que ces changements structurels font en sorte que BCI est tenue de percevoir et de verser la taxe fédérale sur les produits et services[1] (la TPS) à l’égard des frais engagés pour faire des placements dans les Portefeuilles pour le compte des conseils des régimes de retraite du secteur public, ainsi que pour d’autres entités de la Couronne. Étant donné que les placements sont détenus à titre bénéficiaire par des entités privées (les conseils des régimes de retraite), ils ne constituent pas une « propriété » provinciale et ne bénéficient pas de l’immunité prévue par la Constitution à l’égard de la taxation fédérale. Même si BCI jouit de l’immunité constitutionnelle, elle doit néanmoins payer la TPS conformément aux accords de réciprocité fiscale signés par les gouvernements fédéral et provincial.

[4]                              BCI soutient que les dispositions de la Loi sur la taxe d’accise , L.R.C. 1985, c. E‑15  (LTA ), ne visent pas les activités de gestion de placements qu’elle exerce. À titre de mandataire de la Couronne provinciale, elle revendique l’immunité fiscale constitutionnelle sur les biens dont elle est propriétaire en common law, y compris les placements. Qui plus est, même si la province est liée par les accords, BCI n’est pas partie à ceux‑ci et n’y est pas assujettie.

[5]                              Le procureur général de la Colombie‑Britannique est en grande partie d’accord avec BCI, sauf en ce qui concerne l’applicabilité des accords intergouvernementaux; il soutient qu’ils s’appliquent à BCI.

[6]                              À l’instar des juridictions inférieures, je conclus que la LTA  ne peut s’appliquer aux activités qu’exerce BCI dans le cadre de la gestion des Portefeuilles, parce que BCI jouit de l’immunité constitutionnelle prévue à l’art. 125. La LTA  ne peut imposer la TPS sur des biens appartenant en common law à un mandataire de la Couronne. Néanmoins, je conviens également que la province et BCI sont toutes les deux assujetties aux obligations énoncées dans les accords intergouvernementaux.

[7]                              Je suis d’avis de rejeter le pourvoi ainsi que le pourvoi incident.

I.               Contexte factuel

[8]                              Une multitude de relations contractuelles et de textes législatifs sont en cause dans la présente affaire. Dans un premier temps, je résumerai le cadre législatif régissant BCI, la nature des accords intergouvernementaux et les faits à l’origine du présent pourvoi et du pourvoi incident. Après avoir passé en revue les démarches retenues par les juridictions inférieures, j’examinerai les trois questions de fond soulevées par les parties.

A.           Cadre législatif et historique général

(1)          BCI et les Portefeuilles de fonds communs de placement

[9]                              BCI a été établie en 1999 sous le régime de la partie 3 de la Public Sector Pension Plans Act, S.B.C. 1999, c. 44 (« PSPPA »)[2]. Elle a pour objet de [traduction] « fournir des services de gestion financière à l’égard des fonds qui lui sont confiés, notamment de faire des placements et de consentir des prêts » (par. 18(2)). Pour réaliser cet objet, BCI reçoit et investit des fonds au nom de diverses entités autorisées.

[10]                          Avant l’adoption de la PSPPA, des sommes importantes, notamment les fonds de pension du secteur public, étaient détenues et gérées par le ministre des Finances de la Colombie‑Britannique par l’entremise du bureau du directeur des placements. À compter de 1984, l’art. 36 de la Financial Administration Act, S.B.C. 1981, c. 15 (« FAA »),[3] autorisait le ministre à créer et à gérer des [traduction] « Portefeuilles de fonds communs de placement » (« Portefeuilles »). La structure des Portefeuilles permettait au ministre de réunir des sommes provenant de différentes sources et de les investir dans un ensemble diversifié de placements. À l’origine, les sommes détenues dans un Portefeuille ne pouvaient être investies que dans des titres de créance à faible risque. Cependant, avec pour objectif d’améliorer le taux de rendement des Portefeuilles, le législateur a modifié la FAA en 1989 de façon à autoriser les placements dans différents instruments financiers, notamment les actions, les options et les contrats à terme.

[11]                          La gestion des Portefeuilles était régie par le Pooled Investment Portfolios Regulation, B.C. Reg. 84/86. Le ministre était chargé d’investir, de gérer et de contrôler tous les éléments d’actif des Portefeuilles (par. 3(2)[4]). Lorsque des sommes provenant d’un « fonds » (p. ex. le fonds de retraite du secteur public) étaient confiées au ministre pour être placées dans un Portefeuille, le fonds recevait des unités de participation dans ce Portefeuille. La propriété des placements achetés par le ministre n’était attribuable à aucun des détenteurs d’unités (par. 3(4)[5]). La valeur d’une unité de participation correspondait plutôt à la part de l’investissement du fonds dans le Portefeuille (art. 4[6]). Toutefois, tous les éléments d’actif d’un Portefeuille étaient [traduction] « détenus en fiducie par le ministre » et devaient être classés à part des autres biens du gouvernement (par. 3(1) et 3(3)[7]). Si le ministre décidait de mettre fin à un Portefeuille, le produit net réalisé devait être distribué aux détenteurs d’unités (art. 11[8]).

[12]                          Au début des années 1990, des préoccupations ont été soulevées concernant d’éventuels conflits d’intérêts parce que le ministre exerçait une surveillance sur les placements dans des sociétés ayant des liens avec la Colombie‑Britannique et qu’il prenait des décisions de politique générale susceptibles d’avoir une incidence sur leur rentabilité. Pendant la même période, de longues discussions ont eu lieu entre le gouvernement provincial, les administrations municipales et les responsables des quatre régimes de retraite du secteur public de la province et des principaux syndicats du secteur public sur la façon de moderniser la législation de la Colombie‑Britannique sur les pensions, à la suite desquelles le législateur a adopté la PSPPA, qui a établi le cadre de l’administration en fiducie conjointe des régimes de retraite du secteur public.

[13]                          L’administration en fiducie conjointe visait à permettre tant aux participants aux régimes de retraite du secteur public qu’à leurs employeurs de participer à la gestion de ces régimes. La PSPPA a créé l’infrastructure nécessaire pour encadrer les nouveaux conseils des fiduciaires des régimes de retraite, qui comprenaient deux nouvelles entités de la Couronne : (1) la British Columbia Pension Corporation, chargée de fournir des services d’administration aux conseils des fiduciaires, et (2) BCI. Cette dernière est un mandataire légal du gouvernement et le ministre des Finances en est le seul actionnaire (par. 16(5) et art. 17). Lors de la deuxième lecture du projet de loi, la ministre des Finances a expliqué en ces termes les buts de la PSPPA :

            [traduction] En deuxième lieu, le projet de loi vise à permettre l’administration en fiducie conjointe des régimes de retraite. L’administration en fiducie conjointe repose sur l’idée que les participants aux régimes devraient assumer une part de la responsabilité et du contrôle relatifs aux régimes de retraite auxquels ils participent . . .

     Le projet de loi prévoit la possibilité que l’entière responsabilité de la gestion de chacun des régimes de retraite du secteur public soit transférée à un conseil de fiduciaires du régime de retraite, qui serait composé d’un nombre égal de représentants des participants au régime et des employeurs. Par suite du transfert de cette responsabilité, les régimes de retraite seront administrés de façon indépendante du gouvernement . . .

. . .

L’absence de lien de dépendance avec le gouvernement est nécessaire, car les fiduciaires des régimes de retraite doivent avoir la capacité absolue d’évaluer la qualité et la rapidité des services fournis aux participants aux régimes afin de s’acquitter de leurs responsabilités.

La British Columbia Investment Management Corporation sera l’organisation qui succédera au bureau du directeur des placements. Elle fournira des services de gestion de placements aux régimes de retraite du secteur public et à d’autres clients qui ne participent pas aux régimes de retraite. [Je souligne.]

 

 

(Colombie‑Britannique, Official Report of Debates of the Legislative Assembly (Hansard), vol. 16, no 25, 3e sess., 36lég., 14 juillet 1999, p. 14409 (l’hon. Joy MacPhail))

[14]                          Par suite de l’adoption de la PSPPA, BCI a assumé les responsabilités de gestion des placements qui incombaient auparavant au ministre. Suivant le par. 18(4), BCI [traduction] « dispose des mêmes pouvoirs, fonctions et devoirs dans le cadre de la prestation des services de gestion à l’égard des fonds qui lui sont confiés [. . .] que ceux dont disposerait le ministre des Finances si les fonds lui avaient été confiés en vertu de la partie 5 de la Financial Administration Act, telle qu’elle se lisait en date du 1er avril 1999 ». Dans le cadre de ce transfert de responsabilités, les Portefeuilles déjà constitués ont été maintenus sous le régime de la PSPPA (art. 18.1). Les détenteurs d’unités ont conservé celles qu’ils détenaient auparavant et BCI a continué à détenir tous les éléments d’actif des Portefeuilles que détenait auparavant le ministre. Selon la version à jour du Pooled Investment Portfolios Regulation, B.C. Reg. 447/99 (Règlement), les Portefeuilles fonctionnent essentiellement de la même façon que lorsqu’ils étaient gérés par le ministre.

[15]                          En 2013, BCI était le quatrième plus important gestionnaire de fonds de pension du Canada et gérait un actif brut d’une valeur de 102,8 milliards de dollars pour 39 clients institutionnels. Une grande partie de ces fonds sont gérés pour le compte des quatre régimes de retraite du secteur public de la Colombie‑Britannique. BCI se sert de deux structures différentes pour gérer les actifs qui lui sont confiés à des fins d’investissement. Les placements sont détenus dans des Portefeuilles ou à titre de fonds distincts, séparément des actifs des Portefeuilles. Le présent pourvoi porte uniquement sur les Portefeuilles.

[16]                          Aux termes de l’al. 20(2)d) de la PSPPA, le conseil d’administration de BCI est tenu d’ [traduction] « avoir en place un système de cotisation équitable fondé sur le principe de l’utilisateur‑payeur ». Le paragraphe 24(1) prévoit que BCI doit recouvrer ses frais d’exploitation de l’une des trois sources suivantes :

        [traduction]

        a) les sommes imputées aux fonds au titre des frais d’exploitation et des dépenses en capital que la société de gestion de placements a nécessairement engagés pour le compte des fonds qu’elle gère;

        b) les sommes imputées aux personnes, organisations et autres clients au titre des services que la société de gestion de placements a fournis;

        c) les revenus des placements que la société de gestion de placements a réalisés pour son propre compte.

Dans le cas des placements détenus dans des fonds distincts, BCI facture des frais de gestion à ses clients et perçoit et verse la TPS sur ces montants. Cependant, en ce qui concerne les Portefeuilles, BCI recouvre ses frais de gestion à même les revenus générés par les actifs qui y sont détenus et ne perçoit pas de TPS sur ces montants. Cette façon de procéder correspond à la pratique précédente du ministre, qui recouvrait les frais de gestion à même les actifs des Portefeuilles et ne percevait ni ne versait la TPS sur ces montants.

(2)          Accords fiscaux intergouvernementaux

[17]                          Aux termes de deux accords distincts (les Accords), le gouvernement de la Colombie‑Britannique et celui du Canada ont convenu de payer réciproquement leurs taxes de vente dans certaines circonstances. L’accord de réciprocité fiscale pertinent (le Reciprocal Tax Agreement (RTA)), dont des versions étaient en vigueur avant la constitution de BCI en 1999, est entré en vigueur en juillet 2010. Selon cet accord, le Canada convient de payer certains frais et taxes provinciaux et la province convient de payer les taxes exigées au titre de la LTA  fédérale. Les entités provinciales figurant sur la liste de l’annexe A du RTA peuvent demander un remboursement de la TPS payée — ces entités paieraient la TPS sur leurs achats de produits et services, mais auraient droit à un remboursement de ces sommes. BCI a été ajoutée à l’annexe A en novembre 1999, mais a été retirée en avril 2003.

[18]                         En novembre 2009, la Colombie‑Britannique et le Canada ont également conclu un accord global intégré de coordination fiscale, le Comprehensive Integrated Tax Coordination Agreement (« CITCA »). Celui-ci découlait de la décision de la province de remplacer la taxe de vente provinciale et la TPS fédérale par un régime de taxe de vente harmonisée. Aux termes du CITCA, la province et le Canada ont convenu de payer la TVH sur les fournitures achetées par leur gouvernement et mandataires respectifs. À l’instar du RTA, le CITCA établit un régime de « paiement et remboursement » qui prévoit le remboursement de la TVH versée par des entités provinciales qui jouiraient par ailleurs de l’immunité fiscale constitutionnelle. Le CITCA permet à la province d’établir si un remboursement est versé à l’entité gouvernementale qui a payé la taxe ou directement à la province. Le CITCA est demeuré en vigueur jusqu’en avril 2013, lorsque la province a délaissé le régime de la TVH en faveur du modèle antérieur de TPS‑TVP.

(3)          Requête en jugement déclaratoire de BCI

[19]                          À la suite du retrait de BCI de l’annexe A du RTA en 2003, l’Agence du revenu du Canada (ARC) a commencé à mettre en doute le droit de BCI d’invoquer l’immunité à l’égard de la TPS relativement aux frais qu’elle engageait dans le cadre de la gestion des Portefeuilles. À compter de 2006, BCI, la province et le Canada ont eu des discussions au sujet de la question de savoir si les services de gestion des Portefeuilles fournis par BCI étaient assujettis à la TPS.

[20]                          Comme les parties étaient incapables d’arriver à un accord, l’ARC a ouvert un dossier de vérification de la « conformité des fournisseurs » en septembre 2013, pour les périodes de déclaration de la TPS allant du 1er avril 2010 au 31 mars 2013. La vérification a débuté en janvier 2014.

[21]                          Le 20 décembre 2013, BCI a saisi la Cour suprême de la Colombie‑Britannique de la requête à l’origine de la présente affaire, afin d’obtenir les déclarations suivantes :

a)      en qualité de mandataire légal de la Couronne, BCI bénéficie de l’immunité fiscale à l’égard des actifs qu’elle détient dans les Portefeuilles;

b)      BCI n’est pas liée par le RTA ou le CITCA, ni par les obligations de paiement énoncées dans ces accords.

[22]                          Le Canada a sollicité la radiation de la requête de BCI, soutenant que le litige devait être instruit par la Cour canadienne de l’impôt, et non par la Cour suprême de la Colombie‑Britannique. Le juge Wong a rejeté la requête, concluant que les actes de procédure de BCI soulevaient un [traduction] « argument plausible qui devrait être examiné » (British Columbia Investment Management Corp. c. Canada (Attorney General), 2014 BCSC 1296, [2014] G.S.T.C. 93, par. 5‑7). La décision du juge Wong a été confirmée en appel (2015 BCCA 373, 80 B.C.L.R. (5th) 316).

[23]                          En novembre 2015, le ministre du Revenu national a établi des avis de nouvelle cotisation à l’égard de BCI, selon lesquels celle‑ci devait un montant de 40 498 754,94 $, plus intérêts et pénalités, attribuable à la TPS et à la TVH à payer sur des fournitures taxables pour les Portefeuilles. En février 2016, BCI a déposé des avis d’opposition aux nouvelles cotisations, sans renoncer à sa position selon laquelle les Portefeuilles bénéficient des immunités fiscales, préservant ainsi ses droits de contester les cotisations en vertu des dispositions de la LTA  prévoyant le droit d’appel.

[24]                          Le juge Weatherill a instruit la requête de BCI en avril et en juin 2016.

B.            Cour suprême de la Colombie‑Britannique, 2016 BCSC 1803, 90 B.C.L.R. (5th) 126 (le juge Weatherill)

[25]                          Le juge Weatherill a d’abord conclu qu’il avait compétence pour trancher la requête. Il a ensuite rendu l’ordonnance déclaratoire suivante :

        [traduction] Même si, du fait qu’elle est un mandataire de la Couronne provinciale, [BCI] bénéficie de l’immunité à l’égard de la taxation fédérale sous le régime de la LTA  à l’égard des actifs qu’elle détient dans des portefeuilles de fonds communs de placement en application du Pooled Investment Portfolios Regulation, B.C. Reg 447/99, elle est néanmoins liée par les dispositions du RTA et du CITCA concernant ces actifs. [par. 173]

 

[26]                          Pour ce qui est de la compétence, le juge Weatherill a souligné que, même si la Cour canadienne de l’impôt avait compétence concurrente sur la question de l’immunité, elle n’avait pas compétence pour décider si les Accords liaient BCI. Étant donné que les deux questions étaient connexes et que le différend durait depuis une dizaine d’années, il était selon lui préférable, par souci d’économie judiciaire et d’équité, de trancher les questions ensemble.

[27]                          Le juge siégeant en son cabinet a ensuite conclu qu’en qualité de mandataire légal chargé de gérer les Portefeuilles, BCI bénéficiait de la même immunité fiscale que celle dont jouissait la province en vertu de l’art. 125. Étant donné que la PSPPA prévoit que BCI est propriétaire en common law des actifs des Portefeuilles, les dispositions de la LTA  régissant les fiducies [traduction] « ne peuvent transformer la fiducie en quelque chose qu’elle n’est pas » (par. 132‑133). Lors de l’adoption de la PSPPA, BCI « a simplement pris la place du ministre des Finances » (par. 135). Enfin, le juge Weatherill a conclu que le par. 16(6) de la PSPPA impose l’obligation spécifique à BCI de payer la même taxe que la province, y compris celle exigible au titre des Accords.

[28]                          Le Canada a interjeté appel de la conclusion selon laquelle BCI bénéficie de l’immunité fiscale, et BCI a formé un appel incident à l’égard de la conclusion relative au caractère contraignant des Accords.

C.            Cour d’appel de la Colombie‑Britannique, 2018 BCCA 47, 5 B.C.L.R. (6th) 237 (les juges Smith, Willcock et Goepel)

[29]                          La Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a rejeté l’appel du Canada et l’appel incident de BCI. S’exprimant au nom de la cour, le juge Willcock a décidé qu’il n’y avait aucune raison d’intervenir à l’égard de la décision du juge Weatherill, qui s’est déclaré compétent et a instruit la requête en jugement déclaratoire.

[30]                          Pour ce qui est de la question de l’immunité constitutionnelle, le juge Willcock a fait observer qu’en tant que mandataire de la Couronne, BCI elle‑même bénéficiait de l’immunité fiscale. La question était donc de savoir si une entité qui n’est pas une entité de la Couronne reçoit des services lorsque BCI gère les Portefeuilles. Même si l’art. 125 n’interdisait pas l’imposition d’une taxe sur un intérêt bénéficiaire privé à l’égard d’un bien appartenant en common law à la Couronne, deux facteurs distinctifs intervenaient en l’espèce. D’abord, il n’y avait aucun intérêt bénéficiaire manifeste dans les Portefeuilles qui était différent de l’intérêt en common law de BCI. En second lieu, sans les dispositions déterminatives de la LTA , il n’y aurait aucune opération taxable, car BCI serait à la fois le fournisseur et l’acquéreur des services en qualité de fiduciaire. De l’avis du juge Willcock, les dispositions déterminatives de la LTA  ne pouvaient s’appliquer à la fiducie d’origine législative parce qu’une loi fédérale ne peut restreindre la portée de l’immunité fiscale provinciale.

[31]                          Le juge Willcock a également reconnu que les Accords liaient BCI. Même si certains accords intergouvernementaux sont de nature purement politique, le RTA et le CITCA visaient à créer des obligations mutuellement contraignantes. Le paragraphe 16(6) de la PSPPA établit que la portée de l’immunité fiscale de BCI n’est pas supérieure à celle de la Couronne provinciale. L’expression [traduction] « assujettie à la taxation » est suffisamment générale pour englober la responsabilité contractuelle qu’assume la province aux termes du RTA (par. 155).

II.            Analyse

[32]                          Mon analyse est la suivante : je conclue tout d’abord que le juge siégeant en son cabinet n’a pas commis d’erreur en exerçant sa compétence. Ensuite, j’examine l’application de la LTA et je conclus que l’art. 125 rend cette loi inapplicable en ce qui concerne les frais que BCI recouvre des Portefeuilles. Enfin, j’estime que les Accords lient la province et que BCI est assujettie aux obligations qui y sont énoncées en vertu du par. 16(6) de la PSPPA.

A.           Pouvoir discrétionnaire d’une cour supérieure de décliner compétence en faveur de la Cour canadienne de l’impôt

[33]                          Devant le juge siégeant en son cabinet, le procureur général du Canada a prétendu que la demande relative à l’immunité constitutionnelle relevait de la compétence exclusive de la Cour canadienne de l’impôt. Cependant, en appel, les parties ont admis que la cour supérieure était dotée d’une compétence inhérente à l’égard de tous les aspects de la requête de BCI.

[34]                          Néanmoins, le Canada fait valoir que le juge siégeant en son cabinet a commis une erreur lorsqu’il a décidé d’exercer sa compétence. Ce faisant, il a usurpé la compétence de la Cour canadienne de l’impôt et a en fait tranché la contestation de BCI à l’égard des nouvelles cotisations. De l’avis du Canada, une cour supérieure devrait refuser d’exercer sa compétence lorsqu’une autre cour dotée d’une expertise au sujet des principales questions à trancher dans un litige a compétence concurrente. Le Canada ajoute que le juge siégeant en son cabinet a commis une erreur lorsqu’il a tenu compte du principe de l’économie des ressources judiciaires pour trancher ensemble les questions relatives à l’immunité et aux Accords. Étant donné que l’ARC ne s’est pas fondée sur les Accords pour établir une nouvelle cotisation à l’encontre de BCI, la requête était prématurée.

[35]                          Les parties conviennent qu’il faut faire preuve de déférence à l’égard de la décision discrétionnaire du juge siégeant en son cabinet d’exercer sa compétence. Sauf si le juge siégeant en son cabinet s’est fondé sur des considérations erronées ou a rendu une décision erronée au point de créer une injustice, le tribunal de contrôle ne devrait pas intervenir (Canada (Procureur général) c. Fontaine, 2017 CSC 47, [2017] 2 R.C.S. 205, par. 36; Sattva Capital Corp. c. Creston Moly Corp., 2014 CSC 53, [2014] 2 R.C.S. 633, par. 95; Hryniak c. Mauldin, 2014 CSC 7, [2014] 1 R.C.S. 87, par. 83; voir également Banque Canadienne Impériale de Commerce c. Green, 2015 CSC 60, [2015] 3 R.C.S. 801, par. 95; Mines Alerte Canada c. Canada (Pêches et Océans), 2010 CSC 2, [2010] 1 R.C.S. 6, par. 43).

[36]                          Pour décider s’il exerce ou non sa compétence, le tribunal doit déterminer la nature essentielle de la demande. Une cour supérieure peut refuser d’exercer sa compétence si elle conclut qu’une partie invoque d’« astucieux arguments » pour porter sa demande devant une juridiction inappropriée (Windsor (City) c. Canadian Transit Co., 2016 CSC 54, [2016] 2 R.C.S. 617, par. 25‑27; Canada (Procureur général) c. TeleZone Inc., 2010 CSC 62, [2010] 3 R.C.S. 585, par. 78). Cependant, une partie a également le droit de faire de véritables choix stratégiques quant à la façon de faire valoir ses droits. Si les actes de procédure révèlent l’existence de motifs raisonnables de présenter une demande valide devant une cour supérieure provinciale, l’auteur de la demande est généralement admis à exercer son recours (Windsor (City), par. 27; TeleZone, par. 76).

[37]                          Toute contestation du bien‑fondé d’une cotisation fiscale établie en application de la LTA  relève de la compétence exclusive de la Cour canadienne de l’impôt (Loi sur la Cour canadienne de l’impôt , L.R.C. 1985, c. T‑2, par. 12(1) ; LTA , art. 306, par. 309(1); Johnson c. Ministre du Revenu national, 2015 CAF 51, 469 N.R. 326, par. 21‑23, citant JP Morgan Asset Management (Canada) Inc. c. Canada (Revenu national), 2013 CAF 250, [2014] 2 R.C.F. 557, par. 82; Sorbara c. Canada (Attorney General), 2009 ONCA 506, 98 O.R. (3d) 673, par. 7‑11; voir, de façon générale, Aboriginal Federated Alliance Inc. c. Canada Customs and Revenue Agency, 2002 ABCA 104, 303 A.R. 304, par. 16‑18; Smith c. Canada, 2006 BCCA 237, 61 B.C.L.R. (4th) 231).

[38]                          Même lorsqu’une demande n’a pas pour objet la contestation d’une cotisation, une cour supérieure peut refuser d’exercer sa compétence en reconnaissance de l’expertise de la Cour canadienne de l’impôt (Canada c. Addison & Leyen Ltd., 2007 CSC 33, [2007] 2 R.C.S. 793, par. 11; voir également D. Jacyk, « The Dividing Line Between the Jurisdictions of the Tax Court of Canada and Other Superior Courts » (2008), 56 Rev. fisc. can. 661, p. 685‑686). Dans l’arrêt Addison, notre Cour a souligné qu’il ne fallait pas permettre qu’une « procédure connexe » serve à contourner le système d’appel établi par le Parlement en matière fiscale (par. 11). Cependant, il ne s’ensuit pas qu’une demande par ailleurs valide ne peut être introduite devant la cour supérieure pour la simple raison qu’elle pourrait avoir une incidence sur une instance devant la Cour canadienne de l’impôt.

[39]                          En l’espèce, le juge siégeant en son cabinet a décidé que l’essentiel de la requête de BCI ne constituait pas une contestation des cotisations de TPS, mais plutôt du pouvoir du Canada d’imposer dès le départ une taxe à BCI. Il a également conclu que les questions relatives à l’immunité constitutionnelle et aux Accords étaient connexes : si la demande relative à l’immunité était retenue, les Accords seraient la seule voie par laquelle BCI pourrait être tenu de payer la TPS.

[40]                          À l’instar de la Cour d’appel, je ne vois aucune erreur donnant lieu à révision dans l’analyse du juge siégeant en son cabinet. Tant la portée de la requête que le moment où elle a été introduite appuient la qualification de la demande de BCI par le juge siégeant en son cabinet et sa décision d’exercer sa compétence.

[41]                          D’abord, les questions soulevées dans la requête de BCI vont au‑delà de la cotisation fiscale établie sous le régime de la LTA . La présente affaire porte essentiellement sur les droits, obligations et devoirs d’un mandataire de la Couronne aux termes de la Constitution et en common law. Même si BCI aurait pu soulever la question de l’immunité constitutionnelle dans le cadre d’un appel devant la Cour canadienne de l’impôt, sa requête concerne le pouvoir de taxation du Canada à son endroit de façon plus générale. Le statut de BCI aux termes des Accords est aussi sans aucun doute une question qui oppose les parties. Bien que d’autres débats quant à leur application puissent naître, un jugement déclaratoire — que la Cour canadienne de l’impôt ne peut rendre (voir Pintendre Autos Inc. c. La Reine, 2003 CCI 818, par. 43 (CanLII); Whitford c. La Reine, 2008 CCI 359, par. 13‑14 (CanLII)) — fournirait la réponse à un conflit qui perdure quant à la question de savoir si BCI est assujettie aux Accords.

[42]                          En deuxième lieu, lorsque BCI a déposé sa requête, les nouvelles cotisations n’avaient pas encore été établies (d’ailleurs, la vérification n’avait pas encore commencé), de sorte que la Cour canadienne de l’impôt n’avait pas compétence sur le litige (Loi sur la Cour canadienne de l’impôt , par. 12(1) ; LTA , art. 306, par. 309(1)). Je reconnais qu’une cotisation a été établie avant l’instruction de la requête; mais il n’en demeure pas moins que BCI a déposé sa requête devant la seule juridiction compétente pour l’instruire à l’époque. Le différend qui oppose les parties est également antérieur à la décision de l’ARC de mener une vérification à l’égard de BCI. Le droit de BCI d’invoquer l’immunité constitutionnelle et son statut aux termes des Accords sont contestés depuis au moins 2006. À mon avis, le juge siégeant en son cabinet n’a pas commis d’erreur en concluant qu’il était souhaitable, par souci d’économie judiciaire, de trancher les deux questions ensemble.

B.            La partie IX de la Loi sur la taxe d’accise  et l’immunité fiscale constitutionnelle

[43]                          Les juridictions inférieures ont fait porter leur analyse principalement sur l’argument de BCI relatif à l’immunité constitutionnelle et n’ont pas examiné en détail l’application de la LTA . De toute évidence, une telle analyse serait probablement au cœur de toute instance devant la Cour canadienne de l’impôt visant la contestation des nouvelles cotisations. De plus, le dossier est incomplet : il ne mentionne que quelques‑uns des détenteurs d’unités des Portefeuilles et ne comporte que certains des Accords d’investissement et de gestion conclus entre BCI et un détenteur d’unités. Par ailleurs, il n’est pas strictement nécessaire d’examiner la façon dont s’applique la LTA  pour décider si l’immunité constitutionnelle s’applique. Toutefois, certaines observations seront utiles afin d’examiner les arguments soulevés par les parties et de mieux comprendre le mécanisme auquel le Canada a recours pour faire valoir que les frais que BCI recouvre des Portefeuilles sont taxables.

i)                Application de la partie IX de la Loi sur la taxe d’accise  aux fiducies d’origine législative

[44]                          La partie IX de la LTA régit le paiement, la perception et le versement de la TPS fédérale (et, le cas échéant, de la TVH). Selon l’art. 165, l’acquéreur d’une « fourniture taxable » doit payer la TPS sur la valeur de la contrepartie de la fourniture. Diverses autres règles définissent les types d’activités commerciales qui constituent une fourniture taxable. Les fournisseurs inscrits au titre de la LTA  sont tenus de percevoir la TPS et de la verser périodiquement au gouvernement fédéral (par. 221(1), 225(1), 228(1) et 228(2)).

[45]                          Il est indéniable que les services de gestion de placements que BCI fournit en dehors du contexte des Portefeuilles (c.‑à‑d., dans le cadre de la gestion des fonds distincts) constituent des fournitures taxables aux fins de la TPS. En conséquence, la question qui se pose dans le cadre de l’application de la LTA  ne concerne pas la nature des activités de gestion de placements de BCI, mais est plutôt celle de savoir si les Portefeuilles peuvent être considérés comme un « acquéreur » d’une fourniture taxable.

[46]                          Selon le paragraphe 123(1)  de la LTA , l’« acquéreur » s’entend de la personne qui est tenue de payer la contrepartie de la fourniture du service qui lui est rendu ou, si nulle contrepartie n’est payable, la personne à qui un service est rendu. Cependant, pour être visé par cette définition, l’acquéreur doit également être une « personne ». En common law, seules les personnes physiques et les personnes morales ont une personnalité juridique; les fiducies n’en ont pas (Waters’ Law of Trusts in Canada (4e éd. 2012), par D. W. M. Waters, M. R. Gillen et L. D. Smith, p. 614‑642). Afin de comprendre les opérations mettant en cause un vaste éventail d’entités, le par. 123(1) confère une grande portée au terme « personne », le définissant de la façon suivante : « particulier, société de personnes, personne morale, fiducie ou succession, ainsi que l’organisme qui est un syndicat, un club, une association, une commission ou autre organisation ». La définition du mot « personne » au par. 123(1) confère donc à la fiducie une [traduction] « identité juridique artificielle distincte aux fins fiscales » (Value‑Added Taxation in Canada : GST, HST, and QST (5e éd. 2015), ¶12,030).

[47]                          Le paragraphe 267.1(5) énonce également d’autres règles applicables aux fiducies; selon ces règles, les actes accomplis par un fiduciaire sont réputés accomplis par la fiducie et le fiduciaire est réputé, dans certaines circonstances, avoir fourni des services à la fiducie :

        Activités du fiduciaire

        (5) Les présomptions suivantes s’appliquent dans le cadre de la présente partie lorsqu’une personne agit à titre de fiduciaire d’une fiducie :

     a) tout acte qu’elle accomplit à ce titre est réputé accompli par la fiducie et non par elle;

     b) malgré l’alinéa a), si elle n’est pas un cadre de la fiducie, elle est réputée fournir à celle‑ci un service de fiduciaire et tout montant auquel elle a droit à ce titre et qui est inclus, pour l’application de la Loi de l’impôt sur le revenu , dans le calcul de son revenu ou, si elle est un particulier, dans le calcul de son revenu tiré d’une entreprise est réputé être un montant au titre de la contrepartie de cette fourniture.

Les paragraphes 123(1) et 267.1(5) ont ensemble pour effet d’imposer aux fiducies et aux fiduciaires des obligations relatives à la perception, au versement et au paiement de la TPS dans certaines circonstances.

[48]                          Le fait que BCI est un mandataire de la Couronne provinciale complique quelque peu l’application de la LTA  à BCI et aux Portefeuilles. Selon un principe d’interprétation législative établi depuis longtemps, la Couronne n’est liée par aucun texte législatif, si ce n’est par des termes exprès ou nettement implicites (R. c. Eldorado Nucléaire Ltée, [1983] 2 R.C.S. 551, p. 556‑557, citant Province of Bombay c. City of Bombay, [1947] A.C. 58 (C.P.); voir également P. W. Hogg, P. J. Monohan et W. K. Wright, Liability of the Crown (4e éd. 2011), p. 397‑406). Dans le cas des textes législatifs du gouvernement fédéral[9], ce principe est codifié à l’art. 17  de la Loi d’interprétation , L.R.C. 1985, c. I‑21  :

        Non‑obligation, sauf indication contraire

        17 Sauf indication contraire y figurant, nul texte ne lie Sa Majesté ni n’a d’effet sur ses droits et prérogatives.

L’immunité de la Couronne à l’égard de l’application des lois vaut aussi pour la Couronne du chef d’une province ainsi que pour les mandataires de la Couronne, lorsqu’ils agissent dans le cadre des objectifs que leur attribue la loi (Alberta Government Telephones c. Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes), [1989] 2 R.C.S. 225, p. 274; Eldorado Nucléaire, p. 565‑566).

[49]                          En l’espèce, le par. 16(5) de la PSPPA désigne BCI à titre de mandataire du gouvernement. L’article 29 de l’Interpretation Act de la Colombie‑Britannique, R.S.B.C. 1996, c. 238, définit le [traduction] « gouvernement » comme Sa Majesté du chef de la Colombie‑Britannique, de sorte que tout mandataire du gouvernement est mandataire de la Couronne provinciale. Le paragraphe 18(2) de cette même loi dispose que BCI est constituée pour gérer les fonds qui lui sont confiés à des fins d’investissement. En conséquence, BCI jouit de l’immunité d’origine législative de la Couronne lorsqu’elle gère les Portefeuilles (voir Nova Scotia Power Inc. c. Canada, 2004 CSC 51, [2004] 3 R.C.S. 53, par. 13‑18).

[50]                          Pour qu’un texte de loi lie la Couronne, il doit y avoir une « dérogation claire à l’immunité » de la Couronne (Canada (Procureur général) c. Thouin, 2017 CSC 46, [2017] 2 R.C.S. 184, par. 20). L’article 122  de la LTA  énonce expressément les obligations de la Couronne à l’égard des règles sur la TPS qui se trouvent à la partie IX :

        Sa Majesté

        122 La présente partie lie :

      a) Sa Majesté du chef du Canada;

      b) Sa Majesté du chef d’une province en ce qui concerne une obligation à titre de fournisseur de percevoir et de verser la taxe relative aux fournitures taxables qu’elle effectue.

Alors que la partie IX s’applique en entier à la Couronne fédérale, les obligations de la Couronne provinciale se limitent à percevoir et verser la TPS. La Couronne provinciale doit donc percevoir et verser la TPS lorsqu’elle effectue des fournitures taxables pour des parties privées (Renvoi relatif à la taxe sur les produits et services, [1992] 2 R.C.S. 445 (Renvoi relatif à la TPS), p. 478‑481).

[51]                          Les parties ne s’entendent pas sur la question de savoir si le libellé de la LTA  comprend les activités qu’exerce BCI dans le cadre de la gestion des Portefeuilles.

[52]                          Le Canada soutient qu’aucune disposition législative ne l’empêche d’exiger de BCI qu’elle perçoive et verse la TPS sur les frais qu’elle recouvre des Portefeuilles. L’analyse du Canada comporte deux volets. D’abord, selon lui, le par. 123(1) et l’al. 267.1(5)a) s’appliquent de manière à établir une distinction entre la fiducie d’origine législative et BCI (le fiduciaire) aux fins de l’imposition de la taxe. En conséquence, lorsque BCI fournit des services de gestion de placements pour les Portefeuilles, une opération taxable a lieu. En second lieu, il soutient que lorsque la province a créé BCI pour fournir des services de gestion de placements, elle [traduction] « s’est elle‑même présentée comme une entreprise qui fournit des services par l’entremise de son mandataire ». L’alinéa 122b)  de la LTA  oblige donc BCI à percevoir et à verser la TPS sur les services de gestion de placements qu’elle fournit aux Portefeuilles (m.a., par. 60).

[53]                          Deux obstacles potentiels pourraient se poser relativement à la démarche du Canada concernant les Portefeuilles. D’abord, les intimées font valoir que, étant donné que la LTA  n’énonce pas expressément que les par. 123(1) et 267.1(5) s’appliquent à la Couronne provinciale, ces dispositions sont sans effet en ce qui concerne les Portefeuilles. Ensuite, il n’est pas certain que les Portefeuilles constituent une « fiducie » au sens des par. 123(1) et 267.1(5). Dans la négative, les Portefeuilles ne sont pas des personnes pour l’application de la LTA et ils ne peuvent être tenus de payer la TPS à titre d’acquéreurs de services. Si tel est le cas, il n’y a pas d’opération taxable puisque BCI ne ferait que gérer les actifs qu’elle possède en common law, plutôt que de fournir un service à une autre « personne ». Je vais maintenant examiner chacun de ces obstacles potentiels à tour de rôle.

a)               Les paragraphes 123(1)  et 267.1(5)  de la LTA  s’appliquent‑ils à BCI?

[54]                          En ce qui concerne tout d’abord la question de savoir si les par. 123(1) et 267.1(5) s’appliquent à BCI, je ne suis pas d’accord avec les intimées pour dire que ces dispositions ne s’appliquent pas à la Couronne provinciale. Même si l’al. 122b) prévoit que la Couronne provinciale n’est assujettie qu’à des obligations de perception et de versement, il peut être nécessaire de recourir aux par. 123(1) et 267.1(5) pour déterminer la portée de ces obligations. Par exemple, le par. 221(1) impose à « la personne qui effectue une fourniture taxable » l’obligation de percevoir la TPS. La seule façon de comprendre les obligations qui incombent à la Couronne provinciale au titre de cette disposition est de se reporter aux définitions des termes « personne » et « fourniture taxable » énoncées au par. 123(1). Par ailleurs, l’al. 122b) prévoit que les obligations de la Couronne provinciale découlent de l’ensemble de « [l]a présente partie » (partie IX). Il n’est pas nécessaire de dresser la liste de toutes les dispositions pouvant s’appliquer à la Couronne provinciale pour déterminer les obligations qui lui incombent en qualité de fournisseur.

[55]                          La principale question en litige dans le présent pourvoi — celle de savoir si le mécanisme de taxation créé par la LTA a pour effet d’obliger une province ou son mandataire à payer la taxe à même ses biens — peut être considérée à bon droit comme une question de qualification aux termes de l’art. 125  de la Loi constitutionnelle de 1867 . Selon la LTA, c’est l’acquéreur des services, et non le fournisseur, qui est tenu de payer la TPS (Renvoi relatif à la TPS, p. 480). Dans le cas qui nous occupe, le Canada soutient que les biens détenus en fiducie reçoivent des services de BCI. En conséquence, si les éléments d’actif détenus dans les Portefeuilles ne sont pas qualifiés comme étant la propriété de la Couronne pour l’application de l’art. 125, ils ne peuvent pas non plus bénéficier de l’immunité d’origine législative sous le régime de la LTA . Dans ces conditions, les obligations de la Couronne provinciale se limiteraient à la perception et au versement de la TPS à l’égard des services fournis pour ces biens privés, comme l’exige expressément l’al. 122b).

b)               Les Portefeuilles constituent‑ils une « fiducie » pour l’application de la partie IX de la LTA?

[56]                          La deuxième question qui se pose dans le contexte de la LTA  est celle de savoir si les Portefeuilles constituent une « fiducie » au sens des par. 123(1) et 267.1(5). Au cours des plaidoiries, les avocats du Canada ont fait valoir que même si les Portefeuilles ne semblent pas posséder tous les attributs d’une fiducie de droit privé, ils sont néanmoins visés par la LTA . Ils ont souligné que, étant donné que la PSPPA et le Règlement énoncent que les actifs des Portefeuilles sont [traduction] « détenus en fiducie », les Portefeuilles doivent être considérés comme une fiducie pour l’application de la LTA .

[57]                          Je ne suis pas de cet avis. Le terme « fiducie » n’est pas défini dans la LTA . Sauf indication contraire expresse, les termes non définis dans une loi fiscale doivent être interprétés suivant leur sens juridique bien établi et reconnu (Will‑Kare Paving & Contracting Ltd. c. Canada, 2000 CSC 36, [2000] 1 R.C.S. 915, par. 29‑33; voir également Backman c. Canada, 2001 CSC 10, [2001] 1 R.C.S. 367, par. 17; R. c. D.L.W., 2016 CSC 22, [2016] 1 R.C.S. 402, par. 20). Dans le cas d’une loi fédérale comme la LTA , l’art. 8.1  de la Loi d’interprétation  prévoit que « s’il est nécessaire de recourir à des règles, principes ou notions appartenant au domaine de la propriété et des droits civils en vue d’assurer l’application d’un texte dans une province, il faut, sauf règle de droit s’y opposant, avoir recours aux règles, principes et notions en vigueur dans cette province au moment de l’application du texte ». Puisque la LTA ne définit pas le terme « fiducie » et que le concept de fiducie appartient indubitablement au domaine de la propriété et des droits civils, il faut avoir recours au concept tel qu’il existe en droit en Colombie‑Britannique. Sur ce fondement, à moins que les Portefeuilles ne soient considérés comme une fiducie en droit privé, ils ne peuvent être assimilés à des « personnes » au sens du par. 123(1).

[58]                          L’emploi du terme « fiducie », que ce soit dans une loi ou dans un document juridique, ne signifie pas qu’un arrangement constitue nécessairement une fiducie de droit privé. En droit privé, pour qu’il y ait fiducie, les conditions suivantes doivent être réunies : (1) il y a eu déclaration de fiducie expresse ou implicite, (2) les biens ont été confiés à un fiduciaire et (3) le fiduciaire détient les biens pour un bénéficiaire donné (ces exigences sont également appelées les trois « certitudes » : certitude quant à l’intention, certitude quant aux biens sujets à la fiducie et certitude quant aux bénéficiaires (Schmidt c. Air Products Canada Ltd., [1994] 2 R.C.S. 611, p. 655; Waters’ Law of Trusts in Canada, p. 140)).

[59]                          Dans l’affaire Colombie‑Britannique c. Henfrey Samson Belair Ltd., [1989] 2 R.C.S. 24, notre Cour s’est demandé si une fiducie créée par une loi provinciale donnait lieu à des « biens détenus [. . .] en fiducie » pour l’application de l’al. 47a) de la Loi sur la faillite, L.R.C. 1970, c. B‑3 (disposition qui a été remplacée par le par. 67(1) de l’actuelle Loi sur la faillite et l’insolvabilité , L.R.C. 1985, c. B‑3 ). Même si la loi provinciale prévoyait que les biens étaient réputés être détenus « en fiducie », la juge McLachlin a conclu qu’il ne s’agissait pas d’une « fiducie véritable » parce qu’il était impossible de cerner les biens pouvant être considérés comme sujets à la fiducie (il n’y avait pas de certitude quant aux biens sujets à la fiducie) (p. 34‑36; voir également Guarantee Company of North America c. Royal Bank of Canada, 2019 ONCA 9, 144 O.R. (3d) 225).

[60]                          Dans d’autres affaires, les tribunaux ont reconnu que la Couronne pouvait assumer des obligations semblables à celles d’une fiducie sans créer une « fiducie véritable » au sens du droit privé (voir Bande et nation indiennes d’Ermineskin c. Canada, 2009 CSC 9, [2009] 1 R.C.S. 222, par. 72‑79; Guerin c. La Reine, [1984] 2 R.C.S. 335, p. 375, 378‑379 et 386; Attorney General of British Columbia c. Esquimalt and Nanaimo R. Co., [1950] 1 D.L.R. 305 (C.P.), p. 314; Waters’ Law of Trusts in Canada, p. 31‑33; Hogg, Monohan et Wright, p. 370‑372).

[61]                          De façon similaire, même lorsque des parties privées entendent créer une fiducie, il faut examiner soigneusement les relations en question afin d’en déterminer la véritable nature aux fins fiscales. Par exemple, la « simple fiducie » — dans le cadre de laquelle la seule obligation du fiduciaire consiste à transférer sur demande le bien au bénéficiaire — est généralement écartée aux fins fiscales (voir De Mond c. La Reine, 1999 CanLII 466 (C.C.I.); M. C. Cullity, « Legal Issues Arising Out of the Use of Business Trusts in Canada », dans T. G. Youdan, dir., Equity, Fiduciaries and Trusts (1989), 181, p. 187‑188; Agence du revenu du Canada, Bulletin d’information technique sur la TPS/TVH B‑068 : Simples fiducies, 20 janvier 1993 (en ligne); Agence du revenu du Canada, Énoncé de politique P‑015 sur la TPS/TVH : Le traitement des simples‑fiducies en vertu de la Loi sur la taxe d’accise, 20 juillet 1992 (en ligne); Loi de l’impôt sur le revenu , L.R.C. 1985, c. 1 (5 e  suppl .), par. 104(1)).

[62]                          Dans le cas qui nous occupe, il est difficile de savoir si la PSPPA et le Règlement comportent des dispositions suffisamment étoffées pour que la présence des trois certitudes soit établie. Par exemple, le cadre législatif ne désigne pas de bénéficiaire pour les actifs des Portefeuilles.

[63]                          Le Canada soutient que les mots [traduction] « détenus en fiducie » au par. 4(1) du Règlement sous‑entendent l’existence d’un bénéficiaire. À son avis, il ne peut y avoir de relation fiduciaire à moins qu’une entité autre que BCI ne soit le titulaire du titre bénéficiaire sur les actifs des Portefeuilles. Le Canada ajoute qu’il ressort clairement du cadre législatif que ni la Couronne ni BCI n’est le propriétaire bénéficiaire de ces éléments d’actif. Le Canada décrit les Portefeuilles comme étant [traduction] « semblables sur le plan conceptuel à des fiducies de fonds communs de placement », c’est‑à‑dire une forme reconnue de fiducie de common law qui semble être assujettie à la taxe en vertu de la LTA  (m.a., par. 78; Waters’ Law of Trusts in Canada, p. 578‑602; C.I. Mutual Funds Inc. c. Canada, [1997] G.S.T.C. 84 (C.C.I.), p. 84‑20 à 84‑21, mod. par [1999] 2 C.F. 613 (C.A.)).

[64]                          Le problème que posent ces arguments est que le Canada interprète l’emploi par le législateur des mots [traduction] « détenus en fiducie » comme supposant nécessairement l’existence d’une relation de fiduciaire de droit privé. Cependant, les règles habituelles applicables aux fiducies ne lient pas les fiducies d’origine législative (First Vancouver Finance c. M.R.N., 2002 CSC 49, [2002] 2 R.C.S. 720, par. 34). Il se peut fort bien que la province ait créé les Portefeuilles en s’inspirant d’une structure du droit privé. Et il serait sans doute loisible à la province d’imposer à BCI les contraintes d’une relation fiduciaire au sens du droit privé. Toutefois, une telle conclusion nécessite une évaluation à savoir si les trois certitudes sont respectées, et non simplement une mention de l’expression « détenus en fiducie ».

[65]                          En résumé, pour que les Portefeuilles soient considérés comme une « fiducie » au sens de la partie IX de la LTA, ils doivent respecter les exigences de la common law. Si les Portefeuilles ne sont pas des fiducies de common law et qu’ils ne sont visés par aucune autre disposition de la LTA , BCI gère simplement les actifs qui lui appartiennent et il n’y a aucune opération taxable. La question de savoir s’il existe une fiducie de droit privé en l’espèce dépasse le cadre du présent pourvoi. Les parties dans l’affaire qui nous occupe avaient comme postulat commun que les Portefeuilles constituaient une « fiducie » pour l’application de la LTA . Par conséquent, aucun argument n’a été présenté sur cette question précise. Eu égard au dossier incomplet et à ma conclusion selon laquelle les Portefeuilles bénéficiaient de l’immunité fiscale en application de l’art. 125  de la Loi constitutionnelle de 1867 , il n’est pas nécessaire de répondre à la question en l’espèce. Néanmoins, afin de trancher la principale question qui se pose dans le présent pourvoi, soit celle de savoir si BCI bénéficie de l’immunité constitutionnelle, je vais partir du principe que les Portefeuilles constituent une « fiducie » au sens de la partie IX de la LTA. Dans cette hypothèse, BCI détiendrait les actifs du Portefeuille en fiducie au profit des détenteurs d’unités.

(1)          Article 125 : l’immunité fiscale constitutionnelle

[66]                          L’article 125  de la Loi constitutionnelle de 1867  est ainsi libellé :

     125. Nulle terre ou propriété appartenant au Canada ou à aucune province en particulier ne sera sujette à la taxation.

[67]                          L’immunité prévue à l’art. 125 vise « à empêcher un palier de gouvernement de s’approprier, pour son propre usage, les biens de l’autre palier de gouvernement ou les fruits de ces biens » (Renvoi relatif à la taxe sur le gaz naturel exporté, [1982] 1 R.C.S. 1004, p. 1078). L’immunité fiscale intergouvernementale accorde à chaque ordre de gouvernement l’espace opérationnel nécessaire pour gouverner sans intervention externe. Elle empêche également un groupe de représentants élus de dicter à un autre organe législatif la façon de répartir les ressources financières dont il a le contrôle (Première nation de Westbank c. British Columbia Hydro and Power Authority, [1999] 3 R.C.S. 134, par. 17‑19). En outre, l’art. 125 a pour but de préserver la répartition des biens entre les gouvernements fédéral et provinciaux énoncée dans la Loi constitutionnelle de 1867  (G. V. La Forest, The Allocation of Taxing Power Under the Canadian Constitution (2e éd. 1981), p. 182‑183).

[68]                          L’article 125 confère l’immunité fiscale constitutionnelle lorsque deux conditions sont réunies. D’abord, le prélèvement contesté, de par son caractère véritable, doit viser la « taxation » au sens du par. 91(3)  ou 92(2)  de la Loi constitutionnelle de 1867 . Les redevances de nature réglementaire et les frais d’utilisation ne sont pas visés par l’art. 125 (Westbank, par. 31; Gaz naturel exporté, p. 1068). Ensuite, la taxe doit viser des biens appartenant à la Couronne fédérale dans le cas d’une taxe imposée par la législature provinciale, et des biens appartenant à la Couronne provinciale dans le cas d’une taxe imposée par le Parlement (Gaz naturel exporté, p. 1078‑1079). Lorsque ces deux conditions préalables sont établies, l’art. 125 s’applique et rend inapplicables les dispositions fiscales par ailleurs valides à l’égard des biens de la Couronne (Loi constitutionnelle de 1982 , par. 52(1) ; Gaz naturel exporté, p. 1067).

[69]                          Pour les motifs qui suivent, je conclus que le mécanisme prévu dans la LTA  pour imposer la TPS sur les Portefeuilles aurait pour effet d’assujettir les biens de la Couronne à la taxation. En conséquence, l’art. 125  de la Loi constitutionnelle de 1867  rend inapplicables les dispositions pertinentes de la partie IX de la LTA en ce qui a trait aux Portefeuilles.

[70]                          Il ne fait aucun doute que la TPS fédérale relève directement du sens donné au terme « taxation » que l’on trouve au par. 91(3)  de la Loi constitutionnelle de 1867  (Renvoi relatif à la TPS, p. 467‑471). Pour ce qui est de la deuxième condition, en tant que mandataire légal de la Couronne, BCI jouit de la même immunité constitutionnelle à l’égard de ses biens que la Couronne provinciale (Westbank, par. 1; voir également City of Halifax c. Halifax Harbour Commissioners, [1935] R.C.S. 215; Re Canadian Broadcasting Corp. Assessment, [1938] 4 D.L.R. 591 (C. cté Ont.), conf. par [1938] 4 D.L.R. 764 (C.A. Ont.)). En conséquence, le présent pourvoi porte sur la question de savoir si les biens assujettis à la taxe sous le régime de la LTA  sont des biens « appartenant » à BCI aux termes de l’art. 125.

[71]                          Les tribunaux reconnaissent depuis longtemps que l’art. 125 n’empêche pas la taxation des intérêts privés, même si la Couronne détient elle aussi un intérêt dans le bien (voir, p. ex., Calgary & Edmonton Land Co. c. Attorney‑General of Alberta (1911), 45 R.C.S. 170 (l’acquéreur de bien‑fonds fédéraux a été tenu de payer la taxe provinciale même si le Canada avait conservé le simple titre en common law parce que les lettres patentes n’avaient pas encore été délivrées); Smith c. Rur. Mun. of Vermillion Hills (1916), 30 D.L.R. 83 (C.P.) (le locataire de bien‑fonds fédéraux a été tenu de payer la taxe provinciale prélevée sur sa tenure à bail); City of Vancouver c. Attorney‑General of Canada, [1944] R.C.S. 23 (une taxe a été imposée au propriétaire en common law d’un bien‑fonds malgré le fait que la Couronne avait loué le bien‑fonds et construit des immeubles sur celui‑ci); Phillips and Taylor c. City of Sault Ste. Marie, [1954] R.C.S. 404 (les employés fédéraux habitant dans des maisons appartenant au Canada ont été tenus de payer la taxe provinciale imposée aux locataires des biens de la Couronne)).

[72]                          Cependant, toutes ces décisions présentent un dénominateur commun : dans chacune d’elles, la loi fiscale s’appliquait à un intérêt privé dans le bien qui était distinct de l’intérêt de la Couronne. Par exemple, dans l’arrêt Calgary & Edmonton Land Co., la loi provinciale imposait une taxe à [traduction] « toute personne détenant quelque droit ou titre que ce soit, ou un intérêt autre que celui du simple occupant d’un bien‑fonds ». L’intérêt de l’acquéreur privé dans le bien‑fonds était incontestablement visé par cette définition (p. 185‑186). Comme l’a expliqué le juge Davies : [traduction] « L’intérêt de la Couronne quel qu’il soit ne pouvait pas être taxé, mais l’intérêt bénéficiaire des appelants n’était certainement pas soustrait à la taxation en vertu de [l’art. 125] » (p. 179 (je souligne)).

[73]                          La loi examinée dans l’arrêt Smith comportait des définitions exhaustives similaires qui englobaient l’intérêt du locataire dans le bien‑fonds de la Couronne (voir (1913), 6 Sask. L.R. 366 (C.S. en formation plénière)). De plus, dans l’affaire Phillips and Taylor, l’art. 32 de la loi de l’Ontario intitulée The Assessment Act, R.S.O. 1950, c. 24, assujettissait à la taxation [traduction] « le locataire d’un bien‑fonds qui est la propriété de la Couronne », le terme « locataire » était en outre défini comme [traduction] « la personne qui utilise un bien‑fonds appartenant à la Couronne à titre de résidence ou à des fins connexes » (p. 406). Étant donné que le « locataire » était la personne assujettie au paiement de la taxe, l’art. 125 ne s’appliquait pas.

[74]                          De l’avis du Canada, il ressort des arrêts Calgary & Edmonton Land Co. et Smith (C.S. en formation plénière) que l’art. 125 ne s’applique que si la Couronne provinciale (ou BCI) est le propriétaire bénéficiaire des actifs détenus dans les Portefeuilles. Étant donné que le cadre législatif établit sans conteste que BCI n’est pas le bénéficiaire, le Canada affirme que l’art. 125 ne s’applique pas.

[75]                          Soit dit en toute déférence, j’estime que ce n’est pas la question qu’il faut se poser. Il faut plutôt se demander si la loi fiscale vise à imposer une taxe sur l’intérêt de la Couronne dans le bien. Dans les décisions invoquées par le Canada, la taxe était prélevée sur l’intérêt du bénéficiaire, et non sur celui de la Couronne. Ces décisions permettent d’affirmer qu’un intérêt bénéficiaire privé peut faire l’objet d’une taxe malgré l’existence d’un titre en common law de la Couronne. Cependant, si la taxe est imposée sur l’intérêt de la Couronne dans le bien, l’immunité constitutionnelle s’applique.

[76]                          Suivant le par. 4(1) du Règlement et le par. 18.1(3) de la PSPPA, BCI — en qualité de fiduciaire — est propriétaire en common law des éléments d’actif détenus dans les Portefeuilles. En l’espèce, la LTA  fait porter le fardeau de la taxe aux actifs détenus dans les Portefeuilles sur lesquels BCI détient le titre en common law. En qualité de mandataire de la Couronne, BCI a donc réussi à établir qu’elle est titulaire d’un intérêt de propriété sur les biens qui supportent le fardeau de la taxe fédérale. Je reconnais qu’on peut aussi considérer que les bénéficiaires de la fiducie supportent la charge de la taxe. Toutefois, l’essentiel, c’est que l’intérêt de la Couronne provinciale est taxé en vertu du droit fédéral, et que cela est interdit par l’art. 125.

[77]                          L’article 125 entre directement en jeu lorsqu’un ordre de gouvernement tente d’obliger l’autre à se servir de ce qui constitue légalement un bien de la Couronne pour payer une taxe. Il en est ainsi même si la Couronne détient le bien en qualité de fiduciaire, à moins qu’il n’y ait un autre intérêt bénéficiaire privé et distinct qui est assujetti à la taxe. En conséquence, je conviens avec l’intervenant, le procureur général de l’Alberta, qu’à moins que la taxe ne soit imposée directement aux bénéficiaires, ou sur leur intérêt bénéficiaire, la Couronne jouit de l’immunité prévue à l’art. 125 lorsqu’elle agit en qualité de fiduciaire.

[78]                          Cette conclusion concorde avec une ancienne décision de notre Cour, l’arrêt Quirt c. The Queen (1891), 19 R.C.S. 510. Dans cette affaire, les biens d’une banque insolvable avaient été dévolus à la Couronne fédérale en qualité de fiduciaire. Notre Cour a décidé, à l’unanimité, que les biens dévolus à la Couronne ne pouvaient pas être taxés (p. 514 (le juge en chef Ritchie), p. 518 (le juge Strong) et p. 525 (le juge Patterson)). Même si la Couronne détenait également un intérêt bénéficiaire dans les actifs de la banque puisqu’elle était son plus important créancier, le juge Strong et le juge Osler en Cour d’appel avaient conclu que l’intérêt de la Couronne en qualité de fiduciaire était suffisant pour que l’immunité de la Couronne s’applique (voir Regina c. County of Wellington (1890), 17 O.A.R. 421, p. 444).

[79]                          Dans l’arrêt Gaz naturel exporté, les juges majoritaires de notre Cour ont écrit que « [l]a protection fondamentale qu’offre l’art. 125 de la Constitution ne peut pas reposer sur des nuances subtiles en ce qui concerne la forme » (p. 1078). Se fondant sur ces propos, le Canada soutient que les actifs des Portefeuilles achetés à l’aide des fonds provenant des conseils des régimes de retraite (qui, selon lui, sont des organismes privés et non publics) n’appartiennent pas à la Couronne au sens de l’art. 125. Même si je souscris au principe général selon lequel l’applicabilité des protections constitutionnelles ne devrait pas dépendre de formalités juridiques, je ne partage pas l’avis du Canada quant à l’application de ce principe à la présente affaire pour les deux motifs qui suivent.

[80]                          D’abord, dans l’arrêt Gaz naturel exporté, la Cour a adopté une approche axée sur le fond pour donner à l’art. 125 une interprétation large et généreuse plutôt qu’une interprétation restrictive. Dans cette affaire, le gouvernement fédéral tentait d’imposer une taxe à l’exportation sur le gaz naturel appartenant à la province de l’Alberta et produit par celle‑ci. Le gouvernement fédéral soutenait que l’art. 125 ne s’appliquait pas parce que la taxe découlait de la décision de l’Alberta de faire le commerce du gaz naturel. Il ne s’agissait donc pas d’une taxe sur un bien de la Couronne, mais d’une taxe sur une opération. La Cour a rejeté à la majorité cette approche formaliste et conclu que l’art. 125 s’appliquait parce que, essentiellement, le gouvernement fédéral tentait « d’exiger le paiement par la Couronne du chef de la province d’une taxe sur sa propriété » (p. 1078‑1080). L’arrêt Gaz naturel exporté permet donc d’affirmer que l’immunité prévue à l’art. 125 ne dépend pas du qualificatif attribué à un prélèvement précis. Toutefois, en l’espèce, la situation est inversée : le Canada soutient que la Cour ne devrait pas tenir compte du fait que BCI serait tenue de payer la taxe au moyen des actifs dont il est propriétaire en common law parce que, essentiellement, une entité qui n’est pas une société de la Couronne assumerait le fardeau de la taxe. À mon avis, l’arrêt Gaz naturel exporté ne commande pas un tel résultat.

[81]                          Ensuite, selon la démarche préconisée par le Canada pour déterminer si un bien en fiducie est visé par l’art. 125, la détention du titre de propriété en common law n’est pas pertinente. De l’avis du Canada, l’art. 125 ne s’applique aux biens [traduction] « détenus en fiducie » par la Couronne seulement lorsqu’il est évident que celle‑ci en est le propriétaire bénéficiaire. Toutefois, la propriété en common law est sans conteste un intérêt de propriété et rien dans l’art. 125 ne justifie d’interpréter l’expression « propriété appartenant au Canada ou à [une] province en particulier » comme exigeant que la Couronne détienne la propriété à titre bénéficiaire.

[82]                          Le Canada ajoute que l’immunité prévue à l’art. 125 ne s’applique que lorsque les biens détenus par le mandataire de la Couronne peuvent être utilisés pour l’exercice d’une fonction gouvernementale. Appliquant ce critère, le Canada affirme que les sommes investies par les conseils des régimes de retraite du secteur public ne sont pas visées par l’art. 125.

[83]                          Cet argument pose une difficulté, car il fait fi de l’objectif du gouvernement qui sous‑tend l’existence des Portefeuilles : ceux‑ci ont été créés pour permettre à la province et à d’autres entités autorisées de mettre en commun leurs capitaux en vue de diversifier leurs placements. Le rôle actif que joue BCI en qualité de fiduciaire de cette fiducie d’origine législative illustre cet objectif. BCI dispose d’un large pouvoir discrétionnaire en ce qui a trait à l’investissement et à la gestion des Portefeuilles, notamment la distribution et le réinvestissement des revenus (Règlement, par. 4(2) et art. 11). BCI peut également constituer des Portefeuilles ou y mettre fin selon ce qu’il juge indiqué (Règlement, art. 2 et 14). Cette structure est logique compte tenu de l’intérêt de la province à s’assurer que les investissements des fonds de pension du secteur public sont bien gérés. Par exemple, en cas d’excédent dans les fonds de pension, il pourrait y avoir exonération de cotisations. En cas de déficit, le montant correspondant à la portion attribuable au gouvernement sera prélevé sur le Trésor de la province (PSPPA, art. 25.1).

[84]                          En résumé, ces caractéristiques montrent que les Portefeuilles, y compris le choix du législateur de la Colombie‑Britannique d’attribuer à BCI, en sa qualité de fiduciaire, le titre de propriété en common law sur les actifs des Portefeuilles, font partie de « l’espace opérationnel » que l’immunité fiscale prévue à l’art. 125 confère à la province et à BCI. De toute évidence, l’imposition d’une taxe fédérale sur les Portefeuilles toucherait les activités de BCI, diminuant ainsi considérablement la valeur des actifs de placement relevant du contrôle de BCI. Même s’il n’est pas nécessaire de circonscrire avec précision la portée de l’art. 125 en l’espèce, ces aspects du mandat que la loi confère à BCI indiquent que son contrôle sur les actifs va bien au‑delà de celui qu’exerce un simple fiduciaire (comme c’était le cas dans l’affaire Calgary & Edmonton Land Co.). Je remets à une autre occasion l’examen de la question de savoir si l’art. 125 s’appliquerait aux activités d’un fiduciaire de la Couronne qui ne portent pas sur une fonction gouvernementale appropriée.

[85]                          L’objectif que visait le législateur de la Colombie‑Britannique lorsqu’il a créé les Portefeuilles répond également à l’objection du Canada selon laquelle l’immunité prévue à l’art. 125 conférerait un avantage fiscal indu aux détenteurs d’unités. Bien que le Canada ne souscrive peut‑être pas à la décision du législateur provincial de créer cette structure d’investissement, l’art. 125 donne tant au gouvernement fédéral qu’au gouvernement provincial la liberté nécessaire pour exercer les fonctions que leur confère la Constitution (Westbank, par. 17). Sous réserve des limites constitutionnelles à sa compétence, la législature peut poursuivre ses propres objectifs de principe, même si le gouvernement fédéral a des priorités différentes.

[86]                          Le fait que le Canada invoque l’équité fiscale entre les fournisseurs de la Couronne et les autres fournisseurs pour justifier la non‑application de l’art. 125 est aussi difficile à concilier avec l’existence du RTA. Selon le préambule de celui‑ci, un de ses principaux objets est la lutte contre les iniquités sur le plan de la concurrence entre les fournisseurs du gouvernement et les autres fournisseurs. Si l’immunité fiscale de la Couronne dépendait du risque d’injustice pouvant en découler sur le plan de la concurrence, il ne serait pas nécessaire de conclure des accords volontaires comme le RTA. En conséquence, ni les considérations liées à l’équité ni le risque de compromettre la neutralité fiscale aux termes de la LTA  fédérale ne constituent des raisons valables de restreindre la protection constitutionnelle que l’art. 125 confère à la province.

[87]                          En résumé, la LTA  recourt à une fiction juridique pour contraindre une fiducie à payer une taxe sur les services taxables que lui fournit son fiduciaire. Cependant, lorsque le fiduciaire est un mandataire de la Couronne provinciale, ce mécanisme contrevient à l’art. 125 parce qu’il impose une taxe sur des biens appartenant en common law à la Couronne. La LTA  n’impose pas la TPS sur un intérêt de propriété bénéficiaire privé et distinct en l’espèce. En conséquence, la LTA  est constitutionnellement inapplicable aux Portefeuilles.

C.            L’effet des accords fiscaux intergouvernementaux sur les mandataires légaux

[88]                          BCI, en qualité d’appelante dans le pourvoi incident, soutient que la Cour d’appel a commis deux erreurs lorsqu’elle a conclu que BCI était liée par le RTA et le CITCA. Premièrement, BCI fait valoir que les Accords sont de nature politique et non juridique : ils n’ont pas été mis en œuvre par une loi et ne possèdent pas les caractéristiques nécessaires pour démontrer que les parties avaient l’intention de créer des obligations juridiques. Deuxièmement, même si les Accords imposent des obligations à la province, ces engagements ne lient pas BCI. De l’avis de celle‑ci, le par. 16(6) de la PSPPA n’est pas pertinent, parce que les Accords n’assujettissent pas la province — et, par conséquent, BCI — à la taxe aux termes de cette disposition. La province n’est pas de cet avis et soutient que les Accords créent des obligations contraignantes qui s’appliquent à BCI en sa qualité de mandataire légal. Le Canada laisse entendre que les Accords pourraient créer de telles obligations.

[89]                          Pour trancher le pourvoi incident, notre Cour doit décider si BCI est assujettie au RTA et à le CITCA. Pour ce faire, elle doit évaluer si les Accords imposent des obligations légales à la Couronne provinciale et, dans l’affirmative, si le par. 16(6) de la PSPPA étend la portée de ces obligations à BCI. En d’autres termes, la question qui s’est posée tout au long de l’instance est celle de savoir si les Accords ont l’effet juridique d’écarter l’immunité fiscale dont BCI jouirait par ailleurs en qualité de mandataire légal. Sur ce point, le juge siégeant en son cabinet a simplement déclaré dans son ordonnance que BCI était [traduction] « liée par les dispositions du RTA et du CITCA concernant les actifs [détenus dans les Portefeuilles] » (par. 173). Les détails des obligations spécifiques découlant des Accords dépassent le cadre du pourvoi incident.

[90]                          Je suis d’avis de rejeter le pourvoi incident. Je conviens avec le juge Willcock de la Cour d’appel qu’il ressort du libellé des Accords que la province et le Canada avaient l’intention de créer des obligations mutuellement contraignantes. Bien qu’elle jouisse par ailleurs de l’immunité constitutionnelle en ce qui concerne l’application de la LTA , la province a accepté de son plein gré de payer la TPS au Canada. À l’instar de la Cour d’appel, je reconnais également que le par. 16(6) de la PSPPA a une portée assez large pour englober l’obligation assumée par la province aux termes des Accords. Étant donné que le par. 16(6) rattache les immunités et obligations fiscales de BCI à celles de la province, BCI est généralement assujettie aux obligations énoncées dans les Accords dans la même mesure que la province.

[91]                          Nul ne conteste que les ministres des Finances respectifs étaient légalement habilités à conclure les Accords. La signature des deux Accords par la ministre des Finances de la Colombie‑Britannique a été autorisée par décret (CITCA : O.I.C. no 661/2009; RTA : O.I.C. no 485/2010), conformément à l’art. 4 de la Ministry of Intergovernmental Relations Act, R.S.B.C. 1996, c. 303. Dans le même ordre d’idées, les art. 32  et 33  de la Loi sur les arrangements fiscaux entre le gouvernement fédéral et les provinces , L.R.C. 1985, c. F‑8 , autorisent le ministre fédéral des Finances à conclure des accords de réciprocité fiscale au nom du Canada et à en appliquer les modalités.

[92]                          Comme l’a expliqué clairement le juge en chef Laskin dans le Renvoi relatif à la Loi anti‑inflation, [1976] 2 R.C.S. 373, la Couronne peut être liée par un accord intergouvernemental régulièrement signé (p. 433) (voir également Northrop Grumman Overseas Services Corp. c. Canada (Procureur général), 2009 CSC 50, [2009] 3 R.C.S. 309, par. 11). Bien entendu, une législature a le droit d’adopter une loi qui est incompatible avec des engagements pris par le gouvernement aux termes d’un accord antérieur (Renvoi relatif au Régime d’assistance publique du Canada (C.‑B.), [1991] 2 R.C.S. 525, p. 548‑549; Renvoi relatif à la réglementation pancanadienne des valeurs mobilières, 2018 CSC 48, [2018] 3 R.C.S. 189, par. 62‑71; voir également S. A. Kennett, « Hard Law, Soft Law and Diplomacy : The Emerging Paradigm for Intergovernmental Cooperation in Environmental Assessment » (1993), 31 Alta. L. Rev. 644, p. 653‑654). Toutefois, cette possibilité n’empêche pas le tribunal de déterminer le statut juridique d’un accord intergouvernemental ou d’en interpréter les modalités. Dans le Renvoi relatif au Régime d’assistance publique du Canada (C.‑B.), le juge Sopinka a expliqué la différence qui existe entre les questions purement politiques, qui ne peuvent être tranchées par les tribunaux, et celles qui « présentent un aspect suffisamment juridique pour justifier l’intervention des tribunaux » (p. 545). En l’espèce, la question de droit qui se pose est de savoir si les Accords ont pour effet de modifier les droits et obligations de la province.

[93]                          BCI soutient que les Accords n’ont pas force de loi en Colombie‑Britannique parce qu’ils n’ont pas été mis en œuvre par voie législative (m.a. pour le pourvoi incident, par. 122‑123). Je conviens qu’une loi serait nécessaire pour mettre en œuvre un accord intergouvernemental dans la mesure où il vise à modifier le droit provincial (Renvoi relatif à la Loi anti‑inflation, p. 433; Renvoi relatif à la réglementation pancanadienne des valeurs mobilières, par. 66). Cependant, la question à trancher en l’espèce est plus restreinte, et elle ne dépend pas d’une modification du droit provincial. Elle concerne uniquement la nature des obligations que la province a volontairement assumées et la mesure dans laquelle ces obligations valent aussi pour son mandataire légal, BCI. La question de savoir si les Accords sont « contraignants » pour leurs signataires dépend donc de la nature juridique ou simplement politique des engagements qu’ils contiennent.

[94]                          Il existe toute une gamme d’accords intergouvernementaux, allant de ceux qui sont de simples vœux pieux ou qui sont de nature politique jusqu’à ceux qui s’apparentent à des contrats de droit privé et qui créent des obligations juridiquement contraignantes (voir Québec (Procureur général) c. Moses, 2010 CSC 17, [2010] 1 R.C.S. 557, par. 85‑86, les juges LeBel et Deschamps (dissidents, mais pas sur ce point)). Comme pour tout contrat de droit privé, il faut analyser l’accord intergouvernemental pour savoir si les parties avaient l’intention de créer des obligations légales (voir Esquimalt and Nanaimo R. Co., p. 311‑312; South Australia c. The Commonwealth (1962), 108 C.L.R. 130 (H.C.).)

[95]                          Divers éléments peuvent indiquer l’intention des parties de créer des obligations légales dans un accord intergouvernemental :

         L’objet : l’accord porte‑t‑il sur des questions commerciales précises plutôt que sur des questions générales d’intérêt public?

         Les mots employés : la formulation de l’accord ressemble‑t‑elle à celle d’un contrat de droit privé? Par exemple, est‑ce que des obligations y sont exprimées, comme au moyen de l’emploi de l’indicatif présent; est‑ce que la durée de l’accord est précisée, ou est‑ce que l’accord exige des vérifications ou la production d’états financiers?

         Le mécanisme de règlement des différends : les parties ont‑elles convenu de soumettre leurs différends à l’arbitrage ou à un tribunal désigné plutôt que de les régler par des moyens purement politiques?

         Le comportement ultérieur des parties : les parties ont‑elles considéré l’accord comme contraignant, se sont‑elles fondées sur celui‑ci à leur détriment ou en ont‑elles tiré des avantages clairs?

(Voir J. Poirier, « Intergovernmental Agreements in Canada : At the Crossroads Between Law and Politics », dans J. P. Meekison, H. Telford et H. Lazar, dir., Canada: The State of the Federation 2002 — Reconsidering the Institutions of Canadian Federalism (2004) 425, p. 430‑434; Kennett, p. 653‑656; N. Bankes, « Co‑operative Federalism: Third Parties and Intergovernmental Agreements and Arrangements in Canada and Australia » (1991), 29 Alta. L. Rev. 792, p. 794 et 832; J. Owen Saunders, lnterjurisdictional Issues in Canadian Water Management (1988), p. 95‑99). J’examinerai chacun de ces facteurs à tour de rôle.

[96]                          Pour ce qui est de l’objet, les Accords portent sur la taxation, ce qui est sans conteste une question de politique gouvernementale. Toutefois, l’engagement de chaque gouvernement se limite au paiement des taxes de vente existantes perçues par l’autre gouvernement. Les Accords ne prévoient ni la mise en œuvre d’un nouveau régime de taxation ni d’autres objectifs de principe généraux. De plus, les Accords ont une portée restreinte car ils sont censés s’appliquer seulement au Canada, à la province et à leurs mandataires.

[97]                          Comme l’a fait remarquer la Cour d’appel, les Accords énoncent des obligations détaillées en matière de paiement, de perception et de versement (par. 142‑151). L’article 3 du RTA prévoit expressément que [traduction] « [l]e présent accord lie le Canada, la province et leurs mandataires respectifs » (je souligne). Chacun des Accords prévoit une période distincte durant laquelle il sera en vigueur (RTA, art. 15; CITCA, art. 42), et l’art. 15 du RTA renvoie spécifiquement aux « droits acquis ou [aux] obligations contractées par l’une ou l’autre des parties pendant la durée de l’application du présent accord » (je souligne). Ce libellé témoigne de l’intention des parties de s’entendre sur bien plus que de simples « vœux pieux ».

[98]                          BCI fait valoir que les Accords doivent, à tout le moins, comprendre un mécanisme contraignant de règlement des différends pour que la responsabilité des parties soit engagée. Autrement, affirme‑t‑elle, les seules conséquences auxquelles s’expose la partie qui ne respecte pas ses engagements sont de nature politique (m.a. pour le pourvoi incident, par. 165).

[99]                          Je ne suis pas convaincue que ce facteur soit décisif. Comme l’a souligné la Cour d’appel, les commentateurs ont exprimé différents points de vue sur l’importance des mécanismes contraignants de règlement des différends (par. 148; voir également K. Horsman et G. Morley, Government Liability : Law and Practice (feuilles mobiles), par. 2.20.40(3), citant D. W. Mundell, « Legal Nature of Federal and Provincial Executive Governments: Some Comments on Transactions between them » (1960), 2 Osgoode Hall L.J. 56; Poirier, p. 433‑434; D. Culat, « Coveting Thy Neighbour’s Beer : Intergovernmental Agreements Dispute Settlement and Interprovincial Trade Barriers » (1992), 33 C. de D. 617, p. 619‑621; Saunders, p. 96). À mon avis, même si l’existence d’un mécanisme obligatoire de règlement des différends peut donner naissance à une « forte présomption » que les parties avaient l’intention de créer des obligations légales, il ne s’agit pas d’une condition préalable (voir Poirier, p. 433).

[100]                      En l’espèce, la nature des mécanismes prévus dans les Accords pour que les différends soient soumis à un tiers en vue d’un examen indépendant est contestée. Il est évident que les parties peuvent soumettre leur différend à un tiers, mais elles n’y sont pas tenues (RTA, art. 9; CITCA, art. 38 à 41; voir également les motifs de la Cour d’appel, par. 148‑150). Le Canada soutient également que le mécanisme d’appel prévu par la LTA  s’appliquerait à tout différend découlant du RTA concernant l’« application ou l’exécution » de cette Loi (voir RTA, par. 9(9); voir également Conseil scolaire de district de Toronto c. La Reine, 2009 CCI 39, par. 50 (CanLII); Corporation de l’hôpital d’Ottawa c. La Reine, 2010 CCI 53, par. 65‑67 (CanLII)). Toutefois, la question du caractère contraignant de tout mécanisme de règlement des différends n’est pas déterminante en l’espèce. Même s’il n’y avait pas de mécanisme contraignant de règlement des différends, les autres facteurs indiquent que les parties avaient l’intention de créer des obligations juridiques, et non simplement politiques.

[101]                      Enfin, pour ce qui est du comportement ultérieur des parties, le dossier ne permet pas de savoir dans quelle mesure les gouvernements signataires respectifs se sont acquittés des engagements qu’ils avaient pris aux termes des Accords (abstraction faite de l’objection de BCI selon laquelle les Accords ne s’appliquent pas dans son cas). Toutefois, le Canada et la province sont d’avis que les Accords créent des obligations contraignantes. Il s’agit là d’un indice clair que les parties avaient l’intention d’être liées par les Accords.

[102]                      En résumé, à la lumière de leur libellé clair, je n’ai aucun mal à conclure que les Accords en litige dans le pourvoi incident s’apparentent à des contrats de droit privé et qu’ils visaient à créer des obligations juridiquement contraignantes pour le Canada et la province.

[103]                      Ayant conclu que les Accords imposent des obligations contraignantes à la province, je dois maintenant établir si ces obligations ont quelque incidence sur BCI. À mon avis, en précisant la portée de l’immunité fiscale de BCI, le par. 16(6) de la PSPPA englobe également le choix de la province de payer des sommes qu’elle serait par ailleurs dispensée de payer en vertu de son immunité constitutionnelle. Même si les Accords n’ont pas été expressément mis en œuvre par la législature de la Colombie‑Britannique, la PSPPA rattache les obligations fiscales de BCI à celles de la province. Le paragraphe 16(6) établit donc le lien législatif qui existe entre les immunités et les obligations de la province, aux termes de la Constitution et des Accords, et celles de BCI.

[104]                      Le paragraphe 16(6) de la PSPPA est ainsi libellé :

                    [traduction]

     (6) À titre de mandataire du gouvernement, la société de gestion de placements n’est assujettie à la taxation que dans la mesure où l’est le gouvernement.

[105]                      BCI invoque trois arguments pour soutenir que le par. 16(6) ne la soumet pas aux obligations qui incombent à la province aux termes des Accords. D’abord, elle soutient que cette disposition traite [traduction] « en langage simple » de l’immunité dont elle jouit et des obligations qui lui incombent aux termes des lois provinciales de portée générale (m.a. pour le pourvoi incident, par. 146‑148). Bien que je ne doute pas que cette disposition sert cet objectif, rien dans son libellé n’en restreint la portée aux lois fiscales provinciales.

[106]                      En deuxième lieu, BCI fait valoir que les sommes dues aux termes des Accords ne constituent pas une « taxe », mais plutôt des sommes versées pour tenir lieu de taxes, qui ne sont pas visées par la portée du par. 16(6). Étant donné que les Accords préservent expressément l’immunité fiscale de la province (RTA, art. 4; CITCA, art. 65), BCI estime que toute mention du mot « taxes » dans les Accords n’est qu’un « renvoi commode » (m.a. pour le pourvoi incident, par. 149).

[107]                      Je ne suis pas de cet avis. Le raisonnement de BCI sous‑entend que parce que la province bénéficie de l’immunité constitutionnelle en ce qui a trait aux lois fiscales fédérales, elle ne peut, au moyen d’un accord intergouvernemental, décider de payer une « taxe ». Cependant, il semble que c’est précisément ce que la province a convenu de faire. D’abord, en vertu de l’art. 51 du CITCA, la province convient [traduction] « de payer les taxes de vente harmonisées relativement aux fournitures effectuées par leurs gouvernements respectifs ou par leurs mandataires ou entités » (je souligne). De même, aux termes de l’al. 6d) du RTA, la province s’engage [traduction] « à payer [. . .] la taxe à la valeur ajoutée conformément à la [LTA ] » (je souligne); l’art. 1 définit ainsi la « taxe à la valeur ajoutée » : « toute taxe imposée ou perçue sous le régime de la partie IX de la [LTA ] » (je souligne). Vu ce libellé clair, je ne vois pas comment ces sommes pourraient être considérées comme autre chose que des obligations fiscales volontairement assumées. Le fait que la province ne peut se voir imposer d’obligations fiscales fédérales ne l’empêche pas d’assumer de telles obligations si elle choisit de le faire.

[108]                      Enfin, BCI affirme que même si la province a convenu de son plein gré de payer une « taxe », elle n’est pas « assujettie » à la taxation aux termes des Accords parce qu’elle ne peut être tenue de payer une taxe fédérale imposée par une loi fiscale (m.a. pour le pourvoi incident, par. 150). Encore là, cet argument contredit le libellé exprès des Accords. L’article 1 du CITCA définit, d’une façon semblable au RTA, les « taxes de vente harmonisées » comme étant les composantes fédérale et provinciale de la « taxe payable en vertu de la partie IX de la Loi sur la taxe d’accise  ». Sur le plan constitutionnel, la province n’est pas tenue de payer la taxe fédérale sous le régime de la LTA . Cependant, en concluant les Accords, la province a accepté de la payer conformément à la LTA . En conséquence, tant et aussi longtemps que les Accords sont en vigueur, la province est « assujettie à la taxation » sous le régime de la LTA , malgré le fait que cette obligation trouve sa source dans les Accords eux‑mêmes.

[109]                      Au‑delà de ces nuances fondées sur le texte, il existe une raison plus fondamentale pour laquelle BCI doit bénéficier de la même immunité fiscale (qu’elle soit d’origine constitutionnelle, législative, contractuelle ou autre) que celle dont jouit la province. Le paragraphe 16(6) rattache directement les obligations fiscales de BCI et les immunités fiscales dont elle jouit à celles de la province. De la même façon, il ressort des deux Accords que les parties avaient l’intention d’assujettir les mandataires de la province aux mêmes obligations fiscales que la province (RTA, art. 3; CITCA, art. 51). En concluant les Accords, la Couronne provinciale a choisi de payer les taxes auxquelles elle n’aurait pas autrement été assujettie. Étant donné que l’immunité dont jouit BCI est directement associée à celle de la Couronne en application du par. 16(6) de la PSPPA, BCI ne peut tout simplement pas prétendre qu’elle n’est généralement pas assujettie à la taxation de la même façon que la province. Évidemment, l’obligation actuelle de BCI est établie par les dispositions de la loi fiscale, et le pourvoi incident ne porte pas sur les obligations particulières que BCI pourrait avoir aux termes des Accords.

[110]                      En résumé, il ressort du libellé du RTA et du CITCA que la province avait l’intention de s’engager à s’acquitter des obligations énoncées dans ces Accords. Le paragraphe 16(6) de la PSPPA établit que les obligations et immunités fiscales de BCI sont les mêmes que celles de la province. Comme le libellé de cette disposition est suffisamment large pour inclure les obligations que la province a assumées de son plein gré, BCI est généralement assujettie aux obligations énoncées dans les Accords dans la même mesure que le serait la province. Toutefois, comme je l’ai déjà expliqué, la nature des obligations précises prévues par les Accords est une question qui dépasse le cadre du pourvoi incident.

D.           Conclusion

[111]                      Je suis d’avis de rejeter le pourvoi et le pourvoi incident.

[112]                      Étant donné que la partie IX de la LTA vise à obliger le mandataire provincial à payer les taxes à même des biens détenus en common law par la Couronne, l’art. 125  de la Loi constitutionnelle de 1867  rend les dispositions pertinentes de la LTA  inapplicables à l’égard des Portefeuilles. Toutefois, à titre de mandataire légal de la Couronne et conformément au par. 16(6) de la PSPPA, BCI est assujettie aux obligations que la province a assumées aux termes du RTA et du CITCA.

[113]                      Il y a donc lieu de rendre le jugement déclaratoire suivant :

        En tant que mandataire de la Couronne provinciale, la British Columbia Investment Management Corporation (BCI) bénéficie de l’immunité fiscale à l’égard de la taxation fédérale sous le régime de la Loi sur la taxe d’accise , L.R.C. 1985, c. E‑15 , à l’égard des actifs qu’elle détient dans des portefeuilles de fonds communs de placement en application du Pooled Investment Portfolios Regulation, B.C. Reg 447/99.

        En vertu du par. 16(6) de la Public Sector Pension Plans Act, S.B.C. 1999, c. 44, BCI est néanmoins assujettie aux dispositions du Reciprocal Tax Agreement et de la Comprehensive Integrated Tax Coordination Agreement concernant ces actifs dans la même mesure que l’est Sa Majesté la Reine du chef de la province de la Colombie‑Britannique.

[114]                      Toutes les parties sollicitent leurs dépens devant notre Cour et devant les juridictions inférieures. Étant donné que chacune des parties a obtenu partiellement gain de cause, je suis d’avis qu’il n’y a pas lieu d’adjuger de dépens en l’espèce.

                    Version française des motifs rendus par

                    Le juge en chef (dissident en partie) —

I.                    Aperçu

[115]                     La présente affaire porte sur la question de savoir si des parties privées peuvent se fonder sur la Constitution pour se soustraire au paiement de la taxe sur les services de gestion de placements qu’elles reçoivent d’une société d’État. En l’espèce, les conseils privés des régimes de retraite ont conclu des contrats avec la British Columbia Investment Management Corporation (« BCI »), une société d’État mandataire du gouvernement provincial. Aux termes de ces contrats, BCI convenait de détenir en fiducie les fonds des conseils des régimes de retraite et de fournir à ces derniers des services de gestion de placements à l’égard de ces fonds contre paiement. Les conseils des régimes de retraite ont choisi de ne pas payer BCI directement pour ses services. Ils ont plutôt pris des dispositions pour payer indirectement BCI en lui permettant de se payer à même les fonds en fiducie. Si BCI était payée directement par les conseils des régimes de retraite, ceux‑ci seraient imposables en tant qu’acquéreurs des services au sens de la Loi sur la taxe d’accise , L.R.C. 1985, c. E‑15  (« LTA  ») et seraient donc tenus de payer la taxe sur les produits et services (« TPS »). Le mode de paiement indirect retenu par les conseils des régimes de retraite et par BCI fait en sorte que le bien en fiducie lui‑même devient l’acquéreur des services aux termes de la LTA , et est de ce fait assujetti à la taxe. Ma collègue conclut donc que la prestation de services de BCI fait l’objet de l’immunité fiscale prévue à l’art. 125  de la Loi constitutionnelle de 1867  parce que BCI détient un titre de propriété en common law sur les biens en fiducie.

[116]                     Je ne peux accepter ce point de vue. Le titre de propriété en common law que détient BCI sur les biens taxés n’est pas suffisant pour faire en sorte que ces biens « appartiennent » à la province, comme l’exige l’art. 125, parce qu’ils ont été confiés à BCI par des parties privées pour qu’elle les détienne et les gère à leur seul profit contre paiement. Les biens sont assujettis à la taxe seulement parce que les conseils privés des régimes de retraite ont choisi de se servir de ces biens comme mécanisme de paiement des services qu’ils ont reçus de BCI. Le fait d’étendre l’immunité prévue à l’art. 125 aux circonstances de la présente affaire ne protège pas les valeurs constitutionnelles du fédéralisme et de la démocratie que cet article cherche à promouvoir; cela va plutôt au‑delà de ces objectifs en permettant à des parties privées de profiter de l’immunité fiscale à laquelle ils n’ont pas droit, tout en protégeant la province de certaines conséquences contractuelles préjudiciables et en conférant à BCI un avantage commercial injustifié.

[117]                     J’ai pris connaissance de l’opinion de ma collègue la juge Karakatsanis. Je souscris à sa conclusion que le juge siégeant en son cabinet s’est à bon droit déclaré compétent à l’égard du présent litige. Je souscris aussi à sa conclusion suivant laquelle BCI est liée par les accords fiscaux intergouvernementaux applicables (« Accords ») entre la Colombie‑Britannique et le Canada. Le seul point sur lequel mon opinion diverge de la sienne concerne la question de l’immunité prévue à l’art. 125.

II.        Contexte factuel

[118]                     Ma collègue a habilement exposé les faits complexes à l’origine du présent pourvoi. Toutefois, pour bien préciser ma position sur la question de l’immunité prévue à l’art. 125, je dois donner certains faits additionnels concernant les conseils des régimes de retraite, qui sont les détenteurs d’unités des portefeuilles de fonds communs de placement (« Portefeuilles ») que BCI détient en fiducie, ainsi que leur lien avec BCI. À cet égard, je vais développer les quatre idées suivantes :

a)             les détenteurs d’unités sont les bénéficiaires des fonds que BCI détient en fiducie;

b)             les conseils des régimes de retraite, qui représentent la « majeure partie » des détenteurs d’unités, sont des parties privées;

c)             les conseils des régimes de retraite supportent dans les faits la charge de la taxe;

d)             les conseils des régimes de retraite seraient les acquéreurs des services de BCI au sens donné dans la LTA  n’eût été le mode de paiement indirect qu’ils ont choisi.

E.            Les détenteurs d’unités sont les bénéficiaires des fonds que BCI détient en fiducie

[119]                     Tout d’abord, il est important de souligner un point essentiel. Ma collègue et moi sommes partis du principe que les Portefeuilles sont des fiducies de common law. Dès lors, l’intérêt bénéficiaire dans les Portefeuilles doit être distinct de l’intérêt en common law de BCI. Il serait incompatible avec l’existence d’une fiducie de common law que BCI soit à la fois propriétaire en common law des biens en fiducie et unique propriétaire bénéficiaire de ceux‑ci (voir Valard Construction Ltd. c. Bird Construction Co., 2018 CSC 8, [2018] 1 R.C.S. 224). Le régime législatif et réglementaire qui s’applique aux Portefeuilles ne précise pas en quoi consiste l’intérêt bénéficiaire dans ceux‑ci. Toutefois, comme je vais le démontrer, il ressort clairement de l’analyse de ce régime que ce sont les détenteurs d’unités qui sont les titulaires de l’intérêt bénéficiaire. D’ailleurs, même si j’avais accepté que les Portefeuilles sont des fiducies d’origine législative sui generis qui ne seraient donc pas nécessairement soumises aux exigences de la common law, j’aurais conclu sans hésiter, en me fondant sur ce régime, que ce sont les détenteurs d’unités qui sont titulaires de l’intérêt bénéficiaire dans les Portefeuilles.

[120]                     BCI a été créée par la Public Sector Pension Plans Act, S.B.C. 1999, c. 44 (« PSPPA »). Le paragraphe 18(3) de la PSPPA permet à certaines personnes définies (divers fonds en fiducie ou entités publiques) de placer de l’argent ou des titres auprès de BCI à des fins de placement. Les sommes d’argent et les titres confiés à BCI en vertu du par. 18(3) sont appelés [traduction] « fonds » (art. 15). Les fonds sont détenus par BCI dans l’un des deux types de structures de placement suivants : des placements distincts, qui sont gérés comme des comptes de placement ou de courtage ordinaires, ou des Portefeuilles. La gestion des Portefeuilles est encadrée principalement par le Pooled Investment Portfolios Regulation, B.C. Reg. 447/99 (« Règlement »). Le présent pourvoi porte sur les incidences fiscales des Portefeuilles, mais je reviendrai sur les placements distincts plus loin dans mon analyse. BCI perçoit et verse la TPS sur les services de gestion de placements qu’elle fournit aux fonds distincts.

[121]                     La « majeure partie » des fonds des Portefeuilles provient de quatre importants régimes de retraite du secteur public de la Colombie‑Britannique, à savoir le régime de retraite de la fonction publique, le régime de retraite des employés municipaux, le régime de retraite des enseignants et le régime de retraite des enseignants du niveau collégial — ainsi que de la Worker’s Compensation Board. Les autres sommes proviennent directement du gouvernement de la Colombie‑Britannique, notamment du Trésor. Les sommes provenant directement de la province auraient [traduction] « fluctué au fil du temps » (m.i., par. 10; affidavit de S. Newton, d.a., vol. X, p. 50), même si, logiquement, le contraire de la « majeure partie » ne peut représenter un pourcentage particulièrement élevé. BCI utilise les fonds pour effectuer divers placements, notamment par l’entremise de filiales.

[122]                     Dans le Règlement, un [traduction] « fonds participant » est défini comme étant un fonds à partir duquel des sommes d’argent ou des titres sont utilisés pour acheter des « unité[s] de participation » (« unités ») dans un portefeuille (art. 1). Les Portefeuilles doivent être divisés en unités de valeur égale, et l’intérêt proportionnel attribué à chaque fonds participant doit être exprimé en fonction du nombre d’unités qui lui sont allouées (Règlement, par. 5(1)). Lors de la dernière date d’ouverture de l’année civile[10], le total des revenus et des gains en capital nets imposables de chaque Portefeuille pour cette année est payable à chaque fonds participant au prorata de sa participation dans le Portefeuille (déduction faite des revenus et gains en capital nets imposables déjà versés au fonds participant pour l’année en question) (par. 10(1)). Un fonds participant peut exiger le paiement auquel il a droit (par. 10(2)). Dans ce cas, le nombre de ses unités doit être réduit proportionnellement pour correspondre à la valeur du paiement (par. 10(5)). S’il n’exige pas le paiement, le fonds participant est réputé avoir choisi de verser au portefeuille les revenus et les gains en capital nets imposables auxquels il a droit, et ces sommes doivent être ajoutées aux coûts de détention des unités détenus par le fonds (par. 10(3) et 10(4)).

[123]                     Les placements détenus dans les Portefeuilles doivent être désignés séparément des autres biens de BCI (Règlement, par. 4(3)). Le directeur des placements doit rendre compte aux fiduciaires ou aux autres personnes responsables des fonds [traduction] « de la gestion et du rendement des fonds qu’ils ont confiés à [BCI] » (PSPPA, al. 21(2)b)). La PSPPA reconnaît en outre que BCI peut effectuer des placements « pour son propre compte » (al. 24(1)c)), qui sont distincts des placements qu’elle fait pour le compte des fonds participants en tant que mandataire (al. 18(3)). Le directeur des placements est habilité à mettre fin à un portefeuille, mais il doit alors distribuer le produit net réalisé aux détenteurs d’unités (Règlement, art. 14). Dans un tel cas, aucune part n’est payable à BCI ou à la province (sauf si la province détient elle‑même des unités).

[124]                     Les services de gestion de placements que fournit BCI aux Portefeuilles profitent ultimement aux détenteurs d’unités. Ce sont eux qui ont droit aux revenus et aux gains en capital produits par les Portefeuilles pendant qu’ils existent. Ce sont eux qui ont droit au produit net lorsqu’il est mis fin aux Portefeuilles. Ni BCI ni la province n’ont la capacité ou le droit de s’approprier les actifs du portefeuille. Le seul avantage que BCI retire des Portefeuilles est la possibilité de recouvrer ses frais d’exploitation et ses dépenses en capital à même les fonds détenus dans les Portefeuilles, ce qui réduit la valeur des unités et le rendement final réalisé par les détenteurs d’unités (PSPPA, al. 24(1)a)). Je signale que la PSPPA permet à BCI de facturer des frais de service directement à ses clients pour couvrir ces dépenses (al. 24(1)b)). Il ressort toutefois de l’accord d’investissement et de gestion des fonds (« Accord de gestion ») conclu entre BCI et le conseil du régime de retraite des enseignants (dont il est question plus loin) que BCI ne facture de tels frais que pour les fonds distincts. BCI recouvre ses frais d’exploitation et ses dépenses en capital à l’égard des Portefeuilles exclusivement sur les actifs se trouvant dans les Portefeuilles.

[125]                     Les parties ont fait valoir divers arguments au sujet du par. 4(4) du Règlement, qui prévoit que [traduction] « [l]a propriété d’un élément d’actif détenu dans les Portefeuilles ne peut être conférée à un fonds participant ». Le paragraphe 4(4) doit être interprété à la lumière du par. 4(1), qui prévoit que [traduction] « [t]ous les éléments d’actif des Portefeuilles sont détenus en fiducie par BCI ». Il y a évidemment une nette différence entre les Portefeuilles — qui sont des véhicules pour des fonds communs de placement sur les marchés de capitaux modernes — et la fiducie plus « traditionnelle », structurée en fonction d’intérêts divis dans un bien immeuble. Les fonds de chaque portefeuille proviennent de diverses sources. Suivant le par. 4(4), les détenteurs d’unités ne peuvent pas désigner un élément d’actif particulier dans un portefeuille et en revendiquer la propriété. Comme le fait valoir le Canada, les détenteurs d’unités ont plutôt droit collectivement à tous les actifs d’un portefeuille sur une base proportionnelle, sans être titulaires de droits de propriété sur un élément d’actif en particulier (m.a., par. 78).

[126]                     Compte tenu de ce régime, je suis convaincu que ce sont les détenteurs d’unités qui sont titulaires de l’intérêt bénéficiaire dans les Portefeuilles. Ma collègue reconnaît aussi que, si les Portefeuilles constituent une fiducie de common law, les détenteurs d’unités en sont les bénéficiaires (par. 65). L’importance de cette conclusion mérite d’être soulignée, car elle implique que les détenteurs d’unités sont les propriétaires bénéficiaires des Portefeuilles.

F.             Les conseils des régimes de retraite, qui représentent « la majeure partie » des détenteurs d’unités, sont des parties privées

[127]                     De plus, les conseils des régimes de retraite qui détiendraient « la majeure partie » des unités dans les Portefeuilles sont des entités privées. La Colombie‑Britannique et BCI n’ont jamais laissé entendre, que ce soit devant notre Cour ou devant les tribunaux de la Colombie‑Britannique, que les conseils des régimes de retraite sont des entités de l’État ayant droit à l’immunité fiscale constitutionnelle. Comme je vais l’expliquer, la Colombie‑Britannique et BCI ont eu raison de ne pas contester ce point, car les conseils des régimes de retraite ne peuvent être assimilés à la Couronne provinciale; ils tirent leur existence d’un contrat.

[128]                     Les régimes de retraite du secteur public sont dirigés par des conseils de fiduciaires aux termes d’accords contractuels « d’administration en fiducie conjointe ». Bien que la composition des conseils des quatre régimes de retraite du secteur public diffère quelque peu, chacun d’entre eux compte généralement un nombre égal de fiduciaires nommés, d’une part, par la province et le ou les employeurs concernés et, d’autre part, par le ou les syndicats participant au régime et, dans un cas, par la B.C. Government Retired Employees Association. Les régimes de retraite du secteur public n’ont pas toujours été gérés selon ce modèle d’administration en fiducie conjointe. Les accords d’administration en fiducie conjointe ont été instaurés et imposés par la PSPPA lors de son adoption en 1999. Les dispositions à cet effet ont été abrogées à la suite de la négociation fructueuse d’accords contractuels d’administration en fiducie conjointe entre la province, les employeurs et les syndicats.

[129]                     Je me reporterai à l’accord relatif à l’administration en fiducie conjointe du régime de retraite de la fonction publique à titre d’exemple des quatre accords des régimes de retraite du secteur public. L’objet de ces accords est [traduction] « d’assurer une gestion prudente » des régimes et des fonds de pension, tout en veillant à ce que les participants au régime et les employeurs [traduction] « se partagent la responsabilité de la gestion du régime, ainsi que les risques et les avantages que comporte l’adhésion au régime » (préambule). Les régimes de retraite et les fonds de pension qui existaient auparavant ont été prorogés en vertu des accords d’administration en fiducie conjointe. Les fonds de pension sont détenus en fiducie par les conseils des fiduciaires, au seul profit des participants au régime, c’est‑à‑dire les employés actuels et anciens (art. 3). Seul le conseil des fiduciaires est habilité à modifier ou à résilier les accords d’administration en fiducie conjointe (art. 13). Les conseils des régimes de retraite étaient tenus de retenir les services de BCI comme gestionnaire de placements pour des périodes déterminées, après quoi ils avaient toute latitude pour recourir à d’autres gestionnaires (art. 7.2 et 7.3). Les quatre conseils des régimes de retraite ont par la suite conclu des accords d’investissement et de gestion des fonds avec BCI[11].

[130]                     Lors de la présentation de la PSPPA en deuxième lecture, la ministre responsable du dossier, l’honorable Joy MacPhail, a expliqué que l’administration en fiducie conjointe donnerait lieu [traduction] « au transfert de l’entière responsabilité de la gestion de chacun des régimes de retraite du secteur public à un conseil de fiduciaires ». Elle a déclaré que « par suite du transfert de cette responsabilité, les régimes de retraite seront administrés de façon indépendante du gouvernement ». Elle a expliqué qu’il était nécessaire qu’il n’y ait aucun lien de dépendance avec le gouvernement, car « les fiduciaires des régimes de retraite doivent avoir la capacité absolue de déterminer la qualité et la rapidité de la prestation des services fournis aux membres des régimes afin de s’acquitter de leurs responsabilités » (Colombie‑Britannique, Official Report of Debates of the Legislature Assembly (Hansard), vol. 16, no 25, 3e sess., 36e lég., 14 juillet 1999, p. 14409 (hon. Joy MacPhail)).

[131]                     Le rôle que joue la province en ce qui concerne les régimes de retraite du secteur public est purement contractuel. Elle est partie aux divers accords d’administration en fiducie conjointe et elle nomme un certain nombre de fiduciaires directement en application de ces accords. Elle n’exerce cependant aucun contrôle sur les fiduciaires une fois qu’ils sont nommés. Par ailleurs, la moitié des cotisations aux régimes de retraite provient du gouvernement provincial par l’entremise des employeurs du secteur public. Toutefois, une fois que les cotisations sont versées, ces fonds sont assujettis à la fiducie et sont régis par ses modalités contractuelles (voir Ehrcke c. Public Service Pension Board of Trustees, 2004 BCSC 757, 32 B.C.L.R. (4th) 388, par. 60). Enfin, tout comme les participants au régime, la province (par l’entremise des employeurs du secteur public) a certaines responsabilités en cas de déficit du fonds de pension, et elle peut avoir droit à une exonération de cotisations en cas d’excédent. Tout excédent doit demeurer dans le fonds de pension (accord relatif à l’administration en fiducie conjointe du régime de retraite de la fonction publique, art. 10.3), et cet excédent est la propriété de chacun [traduction] « à parts égales » (préambule, Cd)). L’accord prévoit également que chacun assume une « part égale de responsabilité » relativement à tout déficit actuariel (préambule, Cc)). La PSPPA n’oblige pas le Trésor de la province à combler tout déficit qui pourrait survenir, mais donne simplement au ministre des Finances le pouvoir discrétionnaire de combler la partie du déficit actuariel attribuable au gouvernement (art. 25.1). Comme l’a fait remarquer le Canada, ces obligations ne résultent pas du fait que les actifs appartiennent à la province, mais sont plutôt des obligations contractuelles de la province envers ses employés (transcription, p. 39).

[132]                     Je souscris à la conclusion de la Cour suprême de la Colombie‑Britannique dans l’affaire Ehrcke selon laquelle les conseils des régimes de retraite sont des organismes privés. Dans cette affaire, la juge Neilson s’est penchée sur la question de savoir si le conseil des fiduciaires du régime de retraite de la fonction publique était un organisme public afin d’établir si ses décisions pouvaient faire l’objet d’un contrôle judiciaire. Bien que le contexte du présent pourvoi soit différent, je souscris à sa conclusion suivant laquelle [traduction] « la nature du conseil des fiduciaires, la source et la nature de ses pouvoirs et la façon dont ses pouvoirs décisionnels sont énoncés dans l’accord d’administration en fiducie conjointe mènent inévitablement à la conclusion qu’il s’agit d’un organisme privé » (par. 63). Cette conclusion ne reposait pas seulement sur le fait que les conseils des régimes de retraite n’ont officiellement aucun lien de dépendance avec le gouvernement. Essentiellement, leur situation peut se comparer à celle des universités dont il était question dans l’affaire McKinney c. Université de Guelph, [1990] 3 R.C.S. 229. Dans cet arrêt, la Cour a jugé que les universités ne faisaient pas partie du « gouvernement » au sens de l’art. 32  de la Charte canadienne des droits et libertés . Les propos suivants (aux p. 272‑274 de cet arrêt), adaptés en fonction du contexte, valent aussi pour les conseils des régimes de retraite :

                    En réalité, chaque université a son corps dirigeant. Seul un petit nombre de ses membres [. . .] sont nommés par le lieutenant‑gouverneur en conseil . . .

 

. . . Bien que les universités, comme d’autres organismes privés, soient assujetties à la réglementation gouvernementale et dépendent en grande partie de fonds publics, elles dirigent leurs propres affaires et répartissent ces sommes. . .  

 

. . . Bien que la législature puisse délimiter en grande partie le milieu dans lequel les universités fonctionnent, la réalité est qu’elles fonctionnent comme des organismes autonomes dans ce milieu. . .

[133]                      En conséquence, il est évident que ni les participants au régime ni les conseils des régimes de retraite n’ont droit à la protection de l’art. 125. Comme l’indique le régime applicable, les conseils des régimes de retraite ne sont pas assimilés à la province et ils n’en sont pas les mandataires. Ainsi, les fonds de pension qui appartiennent aux conseils des régimes de retraite ne peuvent être considérés comme une « propriété appartenant à [. . .] [une] province » au sens de l’art. 125.

[134]                      Il n’est pas nécessaire de tenir compte du pourcentage des fonds dans les Portefeuilles qui provient directement du gouvernement de la Colombie‑Britannique, notamment du Trésor. Le Canada admet que BCI détient ces fonds au profit ultime de la province (m.a., par. 77). Comme la province détient un intérêt bénéficiaire dans les fonds en question, l’art. 125 s’applique et les fonds jouissent de l’immunité fiscale fédérale.

G.           Les conseils des régimes de retraite supportent dans les faits la charge de la taxe

[135]                      Ce sont les détenteurs d’unités qui supportent dans les faits la charge de la taxe parce que BCI fournit ses services relativement aux Portefeuilles au seul profit des détenteurs d’unités. Essentiellement, la TPS est exigible sur les services que BCI fournit aux détenteurs d’unités privés. Seul le choix des conseils des régimes de retraite de payer BCI indirectement en lui permettant de se payer à même la fiducie fait en sorte que les Portefeuilles deviennent les acquéreurs au sens de la LTA  des services fournis par BCI.

[136]                      Les caractéristiques des Portefeuilles démontrent que les détenteurs d’unités assument dans les faits la charge de la taxe. Pour résumer brièvement, pendant la durée de vie des Portefeuilles, tous les revenus et gains en capital produits par ceux‑ci reviennent aux détenteurs d’unités. Lorsqu’il est mis fin aux Portefeuilles, le produit net est versé en totalité aux détenteurs d’unités. BCI ne peut s’approprier les éléments d’actif des Portefeuilles et elle ne reçoit rien lorsqu’il y est mis fin. La taxation des Portefeuilles n’entraîne pas donc pour BCI la perte d’un bien auquel elle aurait autrement eu accès sans cette taxe. La taxation des Portefeuilles entraîne plutôt une diminution des revenus, des gains en capital et du produit final revenant aux détenteurs d’unités. Le seul avantage que BCI retire de chaque portefeuille est la possibilité de recouvrer ses frais d’exploitation et ses dépenses en capital relativement au Portefeuille en question. De tels frais d’exploitation et dépenses en capital n’existent que parce que BCI gère les Portefeuilles au profit ultime des détenteurs d’unités.

[137]                     L’Accord de gestion conclu entre BCI et le conseil du régime de retraite des enseignants démontre également que les détenteurs d’unités exercent un contrôle important sur leurs fonds, même après qu’ils ont été investis dans les Portefeuilles[12]. Comme nous l’avons mentionné, le Règlement confère au directeur des placements de BCI le pouvoir de mettre fin aux Portefeuilles. Toutefois, aux termes de l’accord de gestion, le conseil du régime de retraite peut ordonner à BCI de mettre fin à un portefeuille, bien que BCI semble conserver son pouvoir discrétionnaire quant à l’opportunité de suivre ou non cette directive (art. 2.4.3). Néanmoins, même s’il n’a pas le pouvoir de donner l’ordre à BCI de mettre fin à un portefeuille, le conseil du régime de retraite peut résilier l’Accord de gestion moyennant un préavis de 180 jours (art. 8), après quoi, entre autres, la part proportionnelle des placements dans le portefeuille qui lui appartient lui sera restituée (art. 9.1.2.).

[138]                     De plus, l’opération taxable aux termes de la LTA  est la conséquence directe de l’obligation contractuelle de BCI visant la prestation de services aux conseils privés des régimes de retraite. Aux termes de l’Accord de gestion, BCI a convenu de fournir certains services de placement et de gestion au conseil du régime de retraite des enseignants (art. 1.1.22). L’Accord de gestion précise que BCI agit en qualité de mandataire du conseil et s’acquitte des responsabilités de ce dernier lorsqu’elle fournit ces services (art. 2.1 et 2.2). Le conseil paie par ailleurs BCI en contrepartie de ces services (art. 5.1 et ann. A, art. 2).

H.           Les conseils des régimes de retraite seraient les acquéreurs des services de BCI au sens donné dans la LTA  n’eût été le mode de paiement indirect qu’ils ont choisi

[139]                     La seule raison pour laquelle il pourrait y avoir des conséquences fiscales différentes en l’espèce est que les conseils des régimes de retraite ont convenu d’utiliser un mode de paiement différent lorsque BCI détient leurs biens en fiducie. BCI gère deux types de fonds : les Portefeuilles et les fonds distincts. Elle détient les Portefeuilles en fiducie, mais pas les fonds distincts. En ce qui concerne ces derniers, BCI facture directement au conseil des régimes de retraite les frais et les dépenses qu’elle engage pour fournir ses services (Accord de gestion, ann. A, art. 5). Toutefois, BCI et le conseil des régimes de retraite ont choisi un mode de paiement différent pour les Portefeuilles. Ils ont convenu que ce dernier paierait BCI indirectement en permettant à celle‑ci de recouvrer ses frais et ses dépenses à même les Portefeuilles (Accord de gestion, ann. A, art. 2‑4). Rien dans la PSPPA n’obligeait BCI à choisir ce mode de paiement pour les Portefeuilles. En fait, le par. 24(1) de la PSPPA lui donne le pouvoir discrétionnaire de recouvrer ses frais d’exploitation et ses dépenses en capital en les facturant aux fonds qu’elle gère ou en facturant à ses clients les services fournis.

[140]                     En raison de ces choix contractuels de BCI et du conseil du régime de retraite, les conséquences fiscales au titre de la LTA  diffèrent. Dans le cas des fonds distincts, le conseil du régime de retraite est l’« acquéreur » parce qu’il est tenu, aux termes de l’Accord de gestion, de payer à BCI la contrepartie de la fourniture taxable des services de gestion de placements (LTA , par. 123(1) , définition d’« acquéreur »). En conséquence, le conseil du régime de retraite est tenu de payer la TPS (LTA , par. 165(1) ). En revanche, en tenant pour acquis qu’ils sont une « fiducie » pour l’application de la LTA , les Portefeuilles sont considérés être une « personne » au sens de la LTA et BCI est leur fiduciaire. L’Agence du revenu du Canada a adopté la position selon laquelle les Portefeuilles eux‑mêmes sont les acquéreurs des services parce que BCI, à titre de fiduciaire, recouvre ses frais et ses dépenses à même les Portefeuilles, et non directement des conseils des régimes de retraite. L’immunité prévue à l’art. 125 s’applique, selon BCI, parce que ce sont les Portefeuilles eux‑mêmes, et non les conseils des régimes de retraite, qui sont les acquéreurs au sens de la LTA .

[141]                     Les choix contractuels de BCI et des conseils des régimes de retraite sont la seule raison pour laquelle les acquéreurs des services fournis par BCI sous le régime de la LTA  sont les Portefeuilles et non les conseils des régimes de retraite. Si BCI et les conseils des régimes de retraite avaient convenu que BCI facturerait directement ses services à ces derniers plutôt qu’elle se paye à même les Portefeuilles, les conseils auraient été les acquéreurs au sens de la LTA et ils auraient donc été tenus de payer la TPS.

III.       L’article 125  de la Loi constitutionnelle de 1867 

A.           Critère pour l’application de l’immunité prévue à l’art. 125

[142]                      L’article 125  de la Loi constitutionnelle de 1867  est ainsi libellé :

                        125. Nulle terre ou propriété appartenant au Canada ou à aucune province en particulier ne sera sujette à la taxation.

[143]                     BCI est un mandataire légal de la Couronne provinciale et bénéficie donc, en vertu de l’art. 125, de la même immunité fiscale constitutionnelle que celle dont jouit la Couronne provinciale (Première nation de Westbank c. British Columbia Hydro and Power Authority, [1999] 3 R.C.S. 134, par. 46). Les deux exigences que doivent respecter la Couronne provinciale et la Couronne fédérale — ou leurs mandataires — pour obtenir gain de cause dans une demande fondée sur l’art. 125 sont bien établies. Premièrement, le prélèvement contesté doit constituer une « taxation » au sens des par. 91(3)  et 92(2)  de la Loi constitutionnelle de 1867 . Les pouvoirs de taxation prévus par ces dispositions sont assujettis à l’art. 125 (voir Renvoi relatif à la taxe sur le gaz naturel exporté, [1982] 1 R.C.S. 1004, p. 1054‑1055 et 1067) (« Gaz naturel exporté »)). Nul ne conteste en l’espèce que le prélèvement que le Canada cherche à percevoir sur les Portefeuilles (la TPS) constitue une taxe. Pour cette raison, le différend dont la Cour est saisie porte sur la deuxième exigence à respecter pour qu’une demande fondée sur l’art. 125 soit accordée : les biens assujettis à la taxe — les Portefeuilles — sont des biens « appartenant » à la Couronne ou à son mandataire, en l’espèce BCI. Pour établir si cette seconde exigence est respectée, il faut examiner les objets de l’art. 125.

B.            Les objets de l’article 125

[144]                     L’article 125 vise à protéger deux valeurs constitutionnelles : le fédéralisme et la démocratie. La principale valeur que soutient l’art. 125 est le fédéralisme (Westbank, par. 19). Selon notre Cour, l’art. 125 vise « à empêcher un palier de gouvernement de s’approprier, pour son propre usage, les biens de l’autre palier de gouvernement ou les fruits de ces biens » (Gaz naturel exporté, p. 1078). Le fait que l’art. 125 se trouve à la partie VIII de la Loi constitutionnelle de 1867  confirme cet objet. Intitulée « Revenus; Dettes; Actifs, Taxe », la partie VIII partage les biens de l’État entre le Canada et les provinces. L’article 125 protège ce partage des biens en empêchant un ordre de gouvernement « d’agir unilatéralement pour modifier [ce] partage » au moyen de la taxation de terres ou de biens appartenant à l’autre ordre de gouvernement (Gaz naturel exporté, p. 1066). En assurant une telle protection, l’art. 125 garantit à chaque palier de gouvernement « suffisamment d’espace opérationnel pour gouverner sans intervention externe » (Westbank, par. 17).

[145]                     L’article 125 favorise également la valeur constitutionnelle de la démocratie. Comme l’a expliqué la Cour dans l’arrêt Westbank, au par. 19, la taxation entre gouvernements permettrait aux représentants élus d’un ordre de gouvernement de décider comment devraient être dépensées les taxes prélevées par les représentants élus d’un autre ordre de gouvernement. Cela irait à l’encontre du principe suivant lequel il n’y a pas de taxation sans représentation, que notre Cour a reconnu dans l’arrêt Succession Eurig (Re), [1998] 2 R.C.S. 565, par. 30‑32. En interdisant la taxation entre gouvernements, l’art. 125 protège ainsi la démocratie à chaque ordre de gouvernement.

C.            L’interprétation de l’art. 125 ne doit pas aller au‑delà de ces objets

[146]                     Les tribunaux se sont gardés d’interpréter l’art. 125 d’une façon qui irait au‑delà de ce double objet. Par exemple, dans l’arrêt Gaz naturel exporté, aux p. 1054‑1055, notre Cour a limité la protection de l’art. 125 à la taxation prévue aux par. 91(3) et 92(2) et a conclu que l’art. 125 n’avait pas pour objet d’assurer une protection contre les mesures de réglementation légitimes prises par un ordre de gouvernement. De même, dans l’arrêt Westbank, au par. 33, la Cour a souligné que l’exclusion des redevances de nature réglementaire du champ d’application de l’art. 125 fait en sorte que cet article confère aux gouvernements seulement l’« espace opérationnel » que les objectifs de cet article exigent. Une telle prudence de la part des tribunaux est tout à fait de mise parce que, selon un principe bien établi d’interprétation constitutionnelle, il est important de ne pas interpréter une disposition d’une façon qui va au‑delà de son objet. Les tribunaux n’ont pas le pouvoir d’« inventer de nouvelles obligations sans rapport avec l’objectif original de la disposition en litige » (Caron c. Alberta, 2015 CSC 56, [2015] 3 R.C.S. 511, par. 37, citant R. c. Blais, 2003 CSC 44, [2003] 2 R.C.S. 236, par. 40).

[147]                     Les tribunaux ont limité le champ d’application de l’art. 125 pour s’assurer qu’il n’excède pas son objet de deux façons qui nous intéressent en l’espèce. Premièrement, les tribunaux se sont gardés d’étendre la protection de l’art. 125 aux parties privées. Comme l’a déclaré le juge Davies dans l’arrêt Calgary & Edmonton Land Co. c. Attorney‑General of Alberta (1911), 45 R.C.S. 170, p. 180, l’immunité prévue à l’art. 125 n’a pas pour objet de protéger contre la taxation les intérêts bénéficiaires que possèdent des parties privées sur des biens sur lesquels la Couronne détient le titre de propriété en common law. Comme l’explique ma collègue au par. 71 de ses motifs, les tribunaux ont donc systématiquement rejeté les demandes par lesquelles des parties privées tentaient, pour se soustraire à la taxation, de se prévaloir de l’immunité dont jouit la Couronne en vertu de l’art. 125.

[148]                     En particulier, notre Cour a bien précisé que le Parlement peut obliger les acheteurs privés de services provinciaux à payer la TPS sur ces services sans contrevenir à l’art. 125. Dans le Renvoi relatif à la taxe sur les produits et services, [1992] 2 R.C.S. 445 (« Renvoi relatif à la TPS »), l’Alberta soutenait que l’imposition de la TPS sur les fournitures taxables fabriquées par les provinces équivalait à taxer les « fruits » provenant des biens de la province. La Cour a rejeté cet argument. Ce n’était pas les provinces qui étaient tenues de payer la TPS en tant que fournisseurs, mais plutôt les parties privées qui achetaient des services provinciaux en tant qu’acquéreurs (Renvoi relatif à la TPS, p. 479‑480).

[149]                     Deuxièmement, les tribunaux ont conclu que l’art. 125 n’a pas pour objet de mettre l’État à l’abri des conséquences contractuelles ou d’autres effets commerciaux préjudiciables qu’il pourrait subir en raison de la taxation d’une partie privée. Par exemple, dans l’affaire City of Vancouver c. Attorney‑General of Canada, [1944] R.C.S. 23, la ville de Vancouver avait taxé le propriétaire privé en common law d’un terrain que le Canada lui avait loué en fonction de la valeur du terrain, qui comprenait la valeur des structures que le Canada y avait érigées à titre de locataire. Le Canada a fait valoir que l’imposition de cette taxe aurait pour effet qu’il serait tenu de payer, parce que la partie privée facturerait des frais de location plus élevés ou exigerait que le Canada l’indemnise pour les taxes. La Cour a catégoriquement rejeté cet argument et statué que l’art. 125 ne protégeait pas le Canada contre de telles conséquences contractuelles ou commerciales préjudiciables (p. 36‑37, le juge Davies, p. 56, le juge Rand (avec l’accord du juge Taschereau)). De même, dans l’arrêt Phillips and Taylor c. City of Sault Ste. Marie, [1954] R.C.S. 404, aux p. 408‑409, la Cour a rejeté l’argument selon lequel le fait que le Canada pourrait être tenu contractuellement de payer une taxe imposée à l’occupant d’une terre appartenant au gouvernement fédéral était suffisant pour que s’applique l’immunité prévue à l’art. 125. De façon similaire, notre Cour a jugé que la TPS ne contrevenait pas à l’art. 125 simplement parce qu’elle rend un bien de la province moins attrayant sur le plan commercial qu’il ne le serait si cette taxe ne s’appliquait pas (Renvoi relatif à la TPS, p. 480).

[150]                     Cette jurisprudence témoigne du souci des tribunaux de ne pas aller au‑delà des objets de l’art. 125 en favorisant les intérêts commerciaux et contractuels de l’État au détriment de ceux des parties privées. La Cour a reconnu cette préoccupation dans l’arrêt Gaz naturel exporté en soulignant la portée étroite de sa déclaration d’inconstitutionnalité de la taxe fédérale proposée sur les ressources provinciales. À la p. 1081, la Cour a précisé qu’il n’était pas question dans cette affaire d’une situation où le Parlement taxait la prestation d’un service fourni par une province ou l’exploitation par une province d’une entreprise liée seulement de façon accessoire à la consommation d’une ressource provinciale.

[151]                     Une telle prudence judiciaire s’impose. Une définition trop large irait au‑delà de l’objectif de protection du partage des biens, et aurait plutôt pour effet de [traduction] « modifier l’équilibre entre l’entreprise privée et l’entreprise publique en faveur de la propriété publique » en encourageant les provinces à créer des sociétés d’État pour gérer des activités jusqu’alors exercées par l’entreprise privée (G. Bale, « Reciprocal Tax Immunity in a Federation — Section 125  of the Constitution Act, 1867  and the Proposed Federal Tax on Exported Natural Gas » (1983), 61 R. du B. can. 652, p. 678). Je ne me prononce pas sur la question de savoir si un tel changement est souhaitable du point de vue de l’ordre public. C’est au Parlement et aux législatures provinciales d’en décider. Ce que je tiens à dire, c’est qu’on ne peut invoquer les objets de l’art. 125 pour réaliser ou encourager un tel changement.

IV.    L’article 125 n’exempte pas de la TPS les services offerts par BCI

A.           Pour l’essentiel, les Portefeuilles appartiennent aux conseils privés des régimes de retraite

[152]                     La véritable question est celle de savoir si, eu égard aux circonstances de l’espèce, les biens « appart[iennent] » à l’État et bénéficient de ce fait de l’immunité prévue à l’art. 125. Je conclus que les biens n’appartiennent pas à l’État comme l’exige l’art. 125. Cette disposition n’exempte pas les biens que des parties privées ont confiés à l’État pour qu’il les détienne en fiducie à leur seul profit d’une taxe sur les services qu’elles se sont engagées par contrat à recevoir de l’État relativement aux biens en question. Dans ces conditions, les biens pour l’essentiel n’appartiennent pas à l’État mais bien aux parties privées, et le titre en common law que détient l’État en tant que fiduciaire ne donne pas lieu à l’immunité fiscale.

[153]                     Je suis d’accord avec ma collègue pour dire que la propriété en common law est sans conteste un intérêt de propriété et que rien à l’art. 125 ne limite le mot « propriété » aux intérêts bénéficiaires dans un bien. Cependant, il ne s’agit que d’une pièce du casse‑tête. Il faut également donner un sens à l’expression « appartenant au Canada ou à aucune province en particulier » que l’on trouve à l’art. 125.

[154]                     Comme l’a déclaré notre Cour dans l’arrêt Gaz naturel exporté à la p. 1078, il convient, lorsqu’on interprète la portée de l’immunité prévue à l’art. 125, d’empêcher que des « nuances subtiles en ce qui concerne la forme » comme celles que les conseils des régimes de retraite et BCI ont utilisées en l’espèce ne viennent changer la véritable nature de cette immunité. Il est vrai, comme le fait observer ma collègue, que dans l’arrêt Gaz naturel exporté, la Cour a tenu pareils propos alors qu’elle donnait une interprétation large — et non étroite — à l’art. 125. Dans cet arrêt, la Cour a interprété l’art. 125 de façon large pour donner effet à son objectif d’empêcher les modifications unilatérales au partage des biens prévu à la partie VIII de la Loi constitutionnelle de 1867 . Toutefois, comme je l’ai déjà expliqué, les tribunaux se sont également gardés d’aller au‑delà des objets de l’art. 125 en interprétant les limites de l’immunité prévue par cet article. Il n’y a pas de raison pour laquelle le même principe voulant que le fond l’emporte sur la forme ne devrait pas s’appliquer pour empêcher que l’art. 125 ait une portée qui va au‑delà de ses objets.

[155]                     De fait, dans l’arrêt Phillips and Taylor, notre Cour a appliqué le principe suivant lequel le fond l’emporte sur la forme pour éviter que l’art. 125 aille au‑delà de ses objets. Dans cette affaire, des employés de la Couronne fédérale devaient utiliser des biens‑fonds appartenant à la Couronne fédérale comme résidence afin de mieux s’acquitter de leurs fonctions, sans détenir d’intérêt en common law dans ces biens‑fonds. Une loi fiscale provinciale comportait une disposition qui permettait à la municipalité d’assujettir à une taxe foncière les occupants de bien‑fonds appartenant à la Couronne, indépendamment de la nature de leur relation juridique avec la Couronne fédérale concernant ce bien‑fonds. La Cour a jugé que la taxe ne contrevenait pas à l’art. 125. Même si, sur le plan de la forme, les locataires n’avaient aucun intérêt en common law dans les biens‑fonds et que la Couronne détenait à la fois le titre de propriété en common law et le titre bénéficiaire, sur le plan du fond, c’étaient eux qui occupaient les biens‑fonds de la Couronne et pouvaient donc être assujettis à la taxe sans qu’il y ait atteinte à l’art. 125 (Phillips and Taylor, p. 407‑408).

[156]                     J’appliquerais le même principe suivant lequel le fond l’emporte sur la forme pour interpréter l’expression « appartenant au Canada ou à aucune province en particulier » que l’on trouve à l’art. 125. J’estime que l’art. 125 n’exempte pas les biens que les parties privées ont confiés à l’État pour qu’il les détienne en fiducie à leur seul profit de la taxe sur les services qu’elles se sont engagées par contrat à recevoir de l’État relativement aux biens en question. Sur le plan de la forme, l’État a un intérêt en common law sur les biens, mais en ce qui a trait au fond, les biens n’appartiennent pas à l’État mais aux parties privées. Cela ressort clairement de la jurisprudence de notre Cour sur la propriété bénéficiaire. Comme l’a déclaré notre Cour : « [l]e propriétaire bénéficiaire d’un bien est [traduction] “le véritable propriétaire du bien même si ce dernier n’est pas à son nom” » (Pecore c. Pecore, 2007 CSC 17, [2007] 1 R.C.S. 795, par. 4, citant le jugement Csak c. Aumon (1990), 69 D.L.R. (4th) 567 (H.C.J. Ont.), p. 570). Dans le même ordre d’idées, dans l’arrêt Valard Construction, par. 16, notre Cour a jugé que la définition même de la fiducie suppose que le fiduciaire détient un bien « au profit » d’une autre personne « de façon à ce que ce bien profite concrètement non pas [au fiduciaire] mais aux bénéficiaires ou à la réalisation des fins de la fiducie ». Le fiduciaire détient les biens en fiducie uniquement pour que le bénéficiaire puisse en jouir (Valard Construction, par. 17).

[157]                     De plus, cette obligation de détenir les biens au seul profit d’un bénéficiaire privé va à l’encontre du concept même des biens publics que l’on trouve à la partie VIII de la Loi constitutionnelle de 1867  et que l’art. 125 vise à protéger. Dans son ouvrage Natural Resources and Public Property under the Canadian Constitution (1969), p. 18, le professeur G. V. La Forest définit les biens publics dont il est question à la partie VIII de la Loi constitutionnelle de 1867  comme renvoyant en partie au pouvoir d’une province [traduction] « de gestion et de maîtrise au nom de la province [. . .] à l’égard des biens dont la propriété est dévolue à la Couronne ». Il va de soi qu’il est expressément interdit à BCI, en tant que fiduciaire, d’exercer son pouvoir de gestion et de maîtrise des Portefeuilles pour son propre profit ou pour celui de son commettant, la Colombie‑Britannique. La loi l’oblige plutôt à exercer son pouvoir de gestion et de maîtrise au profit des parties privées qui lui ont confié leur argent pour qu’elle le gère en sa qualité de fiduciaire.

B.            L’élargissement de l’immunité irait au‑delà des objets de l’art. 125

[158]                     L’interprétation de la portée de l’art. 125 que j’ai adoptée évite comme il se doit d’aller au‑delà des objets de cet article, parce qu’elle ne permet pas l’application de l’immunité aux intérêts de parties privées. Selon l’interprétation de ma collègue, les conseils privés des régimes de retraite peuvent toujours se soustraire au paiement de la TPS exigée sur les services qu’ils se sont engagés par contrat à recevoir de BCI. Ils n’ont qu’à demander à BCI de détenir leurs fonds en fiducie plutôt que dans un compte distinct, et ensuite à autoriser BCI à se payer à même les fonds au lieu de facturer directement les conseils des régimes de retraite. Ce sont les parties privées, et non BCI, qui profitent véritablement de cette immunité, étant donné que les Portefeuilles assujettis à la taxe n’appartiennent pas à BCI, mais sont simplement détenus en fiducie. Sur le plan de la forme, les biens sont la propriété de BCI, mais sur le plan du fond, ils appartiennent aux parties privées. Et comme l’Accord de gestion l’indique clairement, sur le plan du fond, les parties privées se servent des biens afin de payer BCI pour les services de gestion de placements qu’elle leur fournit.

[159]                     En outre, cette interprétation évite que l’art. 125 excède ses objets parce qu’elle ne repose pas sur les conséquences contractuelles préjudiciables qu’entraînerait pour l’État l’élargissement de l’immunité. Comme je l’ai déjà signalé, une taxe ne contrevient pas à l’art. 125 simplement parce qu’elle aura des conséquences contractuelles préjudiciables pour l’État. Ce principe s’applique ici intégralement. Les obligations de la province en cas de déficit du fonds de pension sont de nature contractuelle. Les accords d’administration en fiducie conjointe exigent que la province, à titre d’employeur, partage également les frais nécessaires pour combler les déficits avec les participants au régime (accord d’administration en fiducie conjointe du régime de retraite de la fonction publique, al. 10.3b)). La province n’a aucune obligation légale de combler un déficit actuariel; le par. 25.1(1) de la PSPPA confère plutôt simplement au ministre des Finances le pouvoir discrétionnaire de le faire. Aux par. 83-84 de ses motifs, ma collègue s’appuie sur la faible possibilité que la taxation des biens en fiducie puisse créer un déficit que la province serait tenue de combler pour justifier l’application de l’immunité. Toutefois, il ressort de la jurisprudence qu’il ne convient pas de prendre appui sur une telle conséquence contractuelle pour le faire.

[160]                     De plus, cette interprétation évite que l’art. 125 aille au‑delà de ses objets parce qu’elle ne rend pas les biens de la Couronne plus attrayants sur le plan commercial en faisant d’eux un paradis fiscal pour les parties privées. Comme je l’ai déjà expliqué, l’Accord de gestion indique clairement que les conseils des régimes de retraite paient BCI pour les services fournis et qu’ils ont simplement choisi le recouvrement de sommes à même les Portefeuilles comme mode de paiement. Celui‑ci a pour effet de conférer à BCI un avantage commercial par rapport aux gestionnaires de placements privés, car les investisseurs qui confient leur argent à BCI pour qu’elle les détienne en fiducie n’ont pas à payer la TPS sur les services de gestion de placements qu’ils reçoivent, à condition que le paiement se fasse à même les fonds en fiducie. Ce qui constitue dans les faits une taxe imposée aux acquéreurs privés de services provinciaux ne fait pas entrer en jeu l’art. 125, même si cette taxe a pour effet de supprimer un avantage commercial dont jouiraient autrement ces biens provinciaux (Renvoi relatif à la TPS, p. 480).

C.            L’élargissement de l’immunité ne favoriserait pas la réalisation des objets de l’art. 125

[161]                     Non seulement l’élargissement de l’immunité irait au‑delà des objets de l’art. 125, mais il ne favoriserait nullement leur réalisation. La présente affaire n’a pas grand‑chose à voir avec l’objectif de l’art. 125 d’empêcher un ordre de gouvernement de s’approprier, pour son propre usage, les biens d’un autre ordre de gouvernement, ou les fruits de ces biens. Cet objectif trouve sa source dans la nécessité de protéger le partage des biens de la Couronne entre les gouvernements fédéral et provinciaux, qui est prévu à la partie VIII de la Loi constitutionnelle de 1867 . Pourtant, en l’espèce, les fonds détenus dans les Portefeuilles n’appartenaient pas à l’origine à la province. Il s’agissait de biens privés appartenant à des conseils privés de régime de retraite. BCI n’a pas acheté ces biens, mais a simplement accepté de les gérer en qualité de mandataire des conseils. Bien qu’ils aient autorisé BCI à assumer le titre en common law, les conseils des régimes de retraite en ont conservé l’intérêt bénéficiaire intégral et ils ont accepté de payer BCI pour les services fournis relativement à ces biens.

[162]                     La taxation des fonds détenus en fiducie pour les services fournis par BCI ne contrevient pas non plus aux objectifs gouvernementaux qui sous‑tendent l’existence des Portefeuilles. Je souscris à la conclusion de ma collègue suivant laquelle la législature de la Colombie‑Britannique a créé BCI en vue de la réalisation de divers objectifs publics. Toutefois, l’objectif législatif qui nous intéresse en ce qui concerne les services de gestion de placements fournis par BCI est beaucoup plus restreint. Cet objectif consiste à exiger de BCI qu’elle recouvre les coûts des services qu’elle fournit à ses clients (PSPPA, al. 20(2)d) et par. 24(1)). Comme ma collègue le reconnaît au par. 16 de ses motifs, la PSPPA confère à BCI le pouvoir discrétionnaire concernant la façon de le faire. En plus de recouvrer ses coûts à même les Portefeuilles (PSPPA, al. 24(1)a)), BCI peut facturer directement à ses clients les services fournis (PSPPA, al. 24(1)b)). Si BCI facture les services directement à ses clients, comme elle le fait pour les fonds distincts, ceux‑ci sont alors tenus de payer la TPS.

[163]                     En conséquence, le fait de conclure que l’immunité ne s’applique pas en l’espèce n’irait pas à l’encontre de la décision du législateur de la Colombie‑Britannique de permettre à BCI de détenir les actifs des Portefeuilles en fiducie, comme le suggère ma collègue au par. 84 de ses motifs. Cette conclusion ne ferait qu’entraîner les conséquences fiscales qui s’imposent sur le mode de paiement des services que BCI et ses clients privés ont choisi. Rien dans la PSPPA ou dans le droit des fiducies n’exige le recours au mode de paiement qui est censé donner lieu à l’immunité prévue à l’art. 125. Comme je l’ai déjà fait observer, la PSPPA ne fait du paiement direct à même les fonds en fiducie qu’une des nombreuses options de paiement possibles, et permet également à BCI de facturer directement à ses clients les services rendus. Pour ce qui est du droit des fiducies, un acte de fiducie peut prévoir expressément la rémunération d’un fiduciaire (Oosterhoff on Trusts : Text, Commentary and Materials (9e éd. 2019), A. H. Oosterhoff, R. Chambers et M. McInnes, p. 975). Il est de jurisprudence constante que les parties à un acte de fiducie peuvent convenir que la rémunération d’un fiduciaire sera payable directement par une personne qui en assume la responsabilité personnelle, plutôt que sur les fonds détenus en fiducie (Lewin on Trusts (19e éd. 2015), L. Tucker, N. Le Poidevin et J. Brightwell, par. 20‑249).

[164]                     Ces éléments viennent également affaiblir l’argument selon lequel l’immunité est nécessaire pour protéger « l’espace opérationnel » dont la province a besoin pour gouverner. Le législateur de la Colombie‑Britannique a envisagé la possibilité que BCI recouvre ses frais auprès de ses clients, soit directement, soit en les facturant aux Portefeuilles qu’elle gère à leur profit. Le législateur est présumé connaître l’ensemble du droit pertinent (R. c. Penunsi, 2019 CSC 39, [2019] 3 R.C.S 91, par. 59). En conséquence, comme l’adoption de la PSPPA est postérieure à l’arrêt rendu par notre Cour dans le Renvoi relatif à la TPS, il faut supposer que le législateur de la Colombie‑Britannique avait compris que les clients paieraient la TPS sur les services reçus de BCI si celle‑ci les leur facturait directement. Le choix du législateur de prévoir quand même cette possibilité de facturation directe à l’al. 24(1)b) de la PSPPA indique qu’il n’a pas considéré que l’obligation des parties privées de payer la TPS sur les services de gestion de placements qu’ils reçoivent de BCI nuirait à l’espace opérationnel dont la province a besoin pour gouverner. La facturation directe de BCI à ses clients est également entièrement compatible avec la structure fiduciaire que le législateur de la Colombie‑Britannique a permis à BCI d’utiliser pour les actifs du Portefeuille. De plus, je n’accepte pas l’argument de BCI selon lequel le fait d’exiger que les Portefeuilles paient la TPS les exposerait à un risque. BCI et les conseils des régimes de retraite sont libres de s’assurer que la TPS n’est pas payée à même les fonds en fiducie en convenant que les conseils des régimes de retraite paieront directement BCI pour ses services, une option prévue par le législateur et utilisée par BCI et les conseils de régimes de retraite pour les fonds distincts.

[165]                     Je tiens par ailleurs à souligner que BCI joue un rôle moins actif que ce que laisse entendre ma collègue en ce qui concerne la gestion des fonds qui lui sont confiés par les conseils des régimes de retraite. Au paragraphe 83 de ses motifs, ma collègue souligne le « rôle actif » que joue BCI à titre de fiduciaire en citant principalement le Règlement. Cependant, si l’on examine le Règlement en faisant abstraction de l’Accord de gestion, on n’obtient qu’une image partielle de la réalité. L’Accord de gestion limite en fait le « rôle actif » de BCI dont parle ma collègue en prévoyant que BCI fournit des services de gestion de placements à titre de mandataire du conseil du régime de retraite des enseignants et qu’elle exerce les pouvoirs que lui délègue ce conseil (art. 2.1 et 2.2). L’Accord de gestion prévoit effectivement que BCI reçoit des directives du conseil concernant les décisions de placements, comme en fait foi la disposition exonérant BCI de toute responsabilité si elle se conforme aux directives expresses qu’elle reçoit du conseil relativement aux décisions de placement (art. 2.4.3 et 12.1.1) Dans le même ordre d’idées, BCI est tenue de remettre les biens qu’elle détient en fiducie au conseil du régime de retraite des enseignants sur demande de celui‑ci (art. 8.2 et 9.1.2). Je suis d’accord avec ma collègue pour dire que BCI n’est pas un simple fiduciaire parce que l’Accord de gestion lui confère le pouvoir discrétionnaire de prendre des décisions de placement indépendantes précises (Trident Holdings Ltd. c. Danand Investments Ltd. (1988), 64 O.R. (2d) 65 (C.A.), p. 75). Toutefois, le rôle de mandataire, les directives données par le conseil du régime de retraite et l’obligation de remettre les biens au conseil du régime de retraite sur demande sont tous des éléments compatibles avec un rôle de simple fiduciaire et démontrent que le « rôle actif » que joue BCI est considérablement limité (voir De Mond c. La Reine, 1999 CanLII 466 (C.C.I.), par. 35‑37).

[166]                     Enfin, l’élargissement de l’immunité ne favorise pas la valeur constitutionnelle de la démocratie parce que la présente affaire ne porte pas sur une décision qu’aurait prise le législateur fédéral concernant la façon dont les taxes prélevées par la législature de la Colombie‑Britannique devraient être dépensées. Le législateur de cette province a déjà décidé comment il entendait dépenser ses recettes fiscales. Il a autorisé le versement des recettes fiscales aux conseils privés des régimes de retraite pour que la Colombie‑Britannique respecte ses obligations contractuelles en matière de rémunération de ses employés provinciaux. Une fois que la Colombie‑Britannique a versé ces sommes aux conseils des régimes de retraite privés, elles ne sont plus des fonds publics; elles deviennent dès lors assujetties aux modalités contractuelles des accords d’administration en fiducie conjointe. Les services en cause sont donc fournis par BCI aux parties privées qui ont accepté de payer pour ces services. Le Canada tente simplement de s’assurer que ces parties privées paient la TPS sur ces services. Le fait que la fiducie soit réputée être l’acquéreur des services en question n’est pas une tentative de priver BCI de biens qui lui appartiennent. Il s’agit plutôt simplement d’un moyen d’empêcher les parties privées de recourir aux formalités de la fiducie pour éviter de payer la TPS sur les services de gestion qu’ils paient et reçoivent à l’égard des fonds détenus à leur profit. Le Canada admet d’ailleurs que les fonds provenant du Trésor que la Colombie‑Britannique a elle‑même investis auprès de BCI sont détenus par celle‑ci au profit de la province (m.a., par. 77).

D.           La jurisprudence ne commande pas le résultat auquel arrive ma collègue

[167]                     Je ne suis pas non plus d’accord avec ma collègue pour dire que la jurisprudence commande le résultat auquel elle arrive. En réalité, la question de savoir si l’art. 125 s’applique lorsque l’État détient un titre en common law mais aucun intérêt bénéficiaire n’a jamais été soulevé dans l’une ou l’autre des affaires citées par ma collègue. Aucune de ces affaires ne concernait non plus une partie privée qui aurait réussi à structurer ses relations contractuelles avec un organisme gouvernemental de manière à pouvoir se soustraire à la taxe en invoquant l’immunité de l’art. 125.

[168]                     Ma collègue attache une grande importance aux arrêts Calgary & Edmonton Land Co. et Smith c. Rural Municipality of Vermilion Hills (1914), 49 R.C.S. 563, conf. par (1916), 30 D.L.R. 83 (C.P.), à l’appui de la proposition voulant que la taxation de tout intérêt de la Couronne dans un bien donne lieu à l’application de l’art. 125. Toutefois, dans aucune des deux affaires qu’elle cite, la loi fiscale ne visait à taxer l’intérêt en common law détenu par la Couronne sur un bien‑fonds. En fait, comme la loi fiscale ne liait pas expressément la Couronne fédérale, les tribunaux ont plutôt appliqué la présomption d’interprétation établie depuis longtemps selon laquelle le législateur provincial n’a pas l’intention de taxer les intérêts de la Couronne fédérale dans des biens ou des terres (Calgary & Edmonton Land Co., p. 180, 184‑185 et 192; Smith (CSC), p. 564‑565). En conséquence, la Cour n’avait pas à décider si l’art. 125 exempterait les biens de la taxe dans le cas où une partie privée a confié ses biens à la Couronne pour qu’elle les détienne en fiducie à son seul profit. La déclaration du juge Davies à la p. 179 de l’arrêt Calgary & Edmonton Land Co. suivant laquelle tout intérêt de la Couronne dans un bien est exempté de la taxe en vertu de l’art. 25 n’était donc qu’une remarque incidente.

[169]                     De plus, l’arrêt Quirt c. The Queen (1891), 19 R.C.S. 510, ne permet pas d’affirmer que le titre de propriété en common law que possède la Couronne en qualité de fiduciaire est suffisant pour donner lieu à l’immunité prévue à l’art. 125, même lorsque la Couronne ne possède pas d’intérêt bénéficiaire. Comme le reconnaît ma collègue, dans cette affaire, la Couronne était non seulement fiduciaire de l’actif de la banque insolvable, mais elle possédait également un intérêt bénéficiaire important dans l’actif de la banque en tant que créancière la plus importante. De plus, l’art. 125 n’était même pas en jeu dans l’arrêt Quirt. La Cour a tranché cette affaire en partant du principe que la Couronne fédérale était exonérée de la taxe parce que la loi fiscale ontarienne exemptait expressément les biens dévolus à la Couronne (Quirt, p. 514, le juge en chef Ritchie, p. 518, le juge Strong, p. 525, le juge Patterson (avec l’appui des juges Strong et Taschereau)). Les tribunaux de l’Ontario ont fait de même. La Cour divisionnaire a expressément déclaré qu’il n’était pas nécessaire d’examiner si l’Ontario avait le pouvoir constitutionnel de taxer les biens fédéraux en raison de l’exemption expresse prévue par la loi fiscale (Regina c. County of Wellington (1889), 17 O.R. 615 (Cour div.), p. 619). Quant à la Cour d’appel de l’Ontario, l’extrait des motifs du juge Osler cité par ma collègue porte en fait sur l’exemption prévue par la loi fiscale ontarienne et non sur l’immunité constitutionnelle de l’art. 125 (Regina c. County of Wellington (1890), 17 O.A.R. 421, p. 444).

V.           Conclusion

[170]                     Pour ces motifs, je suis d’avis d’accueillir le pourvoi en ce qui concerne la question de l’immunité. Les détenteurs d’unités sont titulaires de l’intérêt bénéficiaire dans les Portefeuilles. Les conseils privés des régimes de retraite — qui comprennent une très grande partie des détenteurs d’unités — ne peuvent être assimilés à la Couronne provinciale et ils n’en sont pas les mandataires. L’article 125 n’exempte pas les biens que les conseils des régimes de retraite ont confiés à BCI pour qu’elle les détienne en fiducie de la TPS pour les services qu’ils reçoivent de BCI relativement à ces biens.

[171]                     Je suis d’accord avec la façon dont ma collègue tranche les questions relatives à la compétence et aux Accords.

ANNEXE

Public Sector Pension Plans Act, S.B.C. 1999, c. 44

[traduction]

         Constitution de la British Columbia Investment Management Corporation

         16 (1)   La société British Columbia Investment Management Corporation est créée et constituée en société de fiducie autorisée à exercer des activités fiduciaires ainsi qu’à offrir des services de gestion de placements en conformité avec la présente partie.

. . .

      (5)  La société de gestion de placements est un mandataire du gouvernement.

      (6)  À titre de mandataire du gouvernement, la société de gestion de placements n’est assujettie à la taxation que dans la mesure où l’est le gouvernement.

Capital de la société de gestion de placements

         17 (1)   Le capital de la société de gestion de placements est constitué d’une action ayant une valeur nominale de 10 $.

      (2)  L’action doit être émise et inscrite au nom du ministre des Finances, qui la détient pour le compte du gouvernement.

         Pouvoirs, fonctions et devoirs de la société de gestion de placements

         18 . . .

              (2)   La société de gestion de placements a pour objet de fournir des services de gestion financière, notamment de faire des placements et de consentir des prêts à l’égard des fonds qui lui sont confiés.

            . . .

      (4)  En plus des pouvoirs, fonctions et devoirs que lui attribue la présente partie, la société de gestion de placements dispose des mêmes pouvoirs, fonctions et devoirs dans le cadre de la prestation des services de gestion à l’égard des fonds qui lui sont confiés au titre du paragraphe (3), que ceux dont disposerait le ministre des Finances si les fonds lui avaient été confiés en vertu de la partie 5 de la Financial Administration Act, dans sa version du 1er avril 1999.

            . . .

         Maintien des Portefeuilles

         18.1 (1)   Les Portefeuilles créés en vertu du B.C. Reg. 84/86, le Pooled Investment Portfolios Regulation, sont maintenus en vertu de la présente loi.

      (2)     Les unités d’un Portefeuille attribuées à un fonds participant immédiatement avant le 1er janvier 2000 demeurent attribuées à ce fonds et sont désormais détenues par la société de gestion de placements en qualité de mandataire du fonds.

      (3)     Les éléments d’actif détenus dans un Portefeuille par le ministre des Finances ou par le directeur des placements en vertu de la Financial Administration Act immédiatement avant le 1er janvier 2000 demeurent ainsi détenus, en fiducie, par la société de gestion de placements.

         Pouvoirs, fonctions et devoirs du conseil de gestion des investissements

         20 . . .

                     (2)     Le conseil de gestion des investissements est tenu, par l’entremise de la société de gestion des investissements et, dans la mesure du possible, dans les limites du budget approuvé à l’égard de celle‑ci :

            . . .

      d)    d’avoir en place un système de cotisation équitable fondé sur le principe de l’utilisateur‑payeur;

            . . .

         Frais d’exploitation et dépenses en capital de la société de gestion de placements

         24 (1)   La société de gestion de placements doit recouvrer ses frais d’exploitation et ses dépenses en capital de l’une ou plusieurs des sources suivantes :

      a)     les sommes imputées aux fonds au titre des frais d’exploitation et des dépenses en capital que la société de gestion de placements a nécessairement engagés pour le compte des fonds qu’elle gère;

      b)    les sommes imputées aux personnes, organisations et autres clients au titre des services que la société de gestion de placements a fournis;

c)         les revenus des placements que la société de gestion de placements a réalisés pour son propre compte.

           

         Affectation pour déficit actuariel du régime de retraite

25.1 (1)   Si une évaluation actuarielle révèle qu’un régime de retraite a un déficit actuariel, le ministre des Finances peut, conformément aux principes comptables généralement reconnus, imputer une dépense au Trésor afin d’amortir la part du déficit actuariel qui est attribuable au gouvernement.

           

Pooled Investment Portfolios Regulation, B.C. Reg. 447/99

      [traduction]

      Création de portefeuilles de fonds communs de placement

      2      La société de gestion de placements peut créer un ou plusieurs portefeuilles.

      Maintien des portefeuilles de fonds communs de placement

     3      Les portefeuilles créés en vertu du B.C. Reg. 84/86 sont maintenus en vertu du présent règlement.

      Gestion des portefeuilles de fonds communs de placements

      4 (1) Tous les éléments d’actif des portefeuilles sont détenus en fiducie par la société de gestion de placements.

      (2)   Sous réserve de la Loi, le directeur des placements est chargé d’investir les sommes détenues dans les portefeuilles dans les catégories de placement qu’il estime indiquées ainsi que de la gestion et de la surveillance des portefeuilles.

      (3)   Les investissements détenus dans les portefeuilles doivent être identifiés séparément des autres biens de la société de gestion de placements et chaque investissement doit être enregistré de façon à indiquer clairement le portefeuille dans lequel il est détenu.

      (4)   La propriété d’un élément d’actif détenu dans les portefeuilles ne peut être conférée à un fonds participant.

         Unités de participation

         5 (1)     Les portefeuilles sont divisés en unités de participation qui sont en tout temps de valeur égale, la quote‑part de chaque fonds participant étant exprimée selon le nombre d’unités qui lui sont attribuées.

      (2)  La valeur de chaque unité entière dans un portefeuille est la suivante :

      a)     à la création du portefeuille, un million de dollars;

      b)    par la suite, la valeur déterminée par le directeur des placements.

      (3)   Au moment de la création d’un portefeuille, le nombre approprié d’unités est attribué à chaque fonds participant en proportion de son investissement dans le portefeuille.

      (4)   Sous réserve du paragraphe 10 (4.1), le coût d’une unité dans un portefeuille correspond à la valeur des unités à la date de l’achat.

      (5)   Un fonds participant peut détenir une fraction d’unité, calculée à la 9e décimale près.

      Placement des revenus et autres produits

      11 Sous réserve de l’article 10, le directeur des placements peut

a)         distribuer tout revenu net, gain en capital net ou autre produit qu’il a reçu d’un portefeuille à chaque fonds participant en proportion de sa participation dans le portefeuille;

b)         investir tout revenu net, gain en capital net ou autre produit qu’il a reçu d’un portefeuille dans ce portefeuille.

      Cessation d’un portefeuille de fonds communs de placement

      14       Le directeur des placements peut mettre fin à un portefeuille et distribuer aux détenteurs d’unités le produit net réalisé.

Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. 1985, c. E‑15 

         PARTIE IX

         Taxe sur les produits et services 

         Sa Majesté

         122 La présente partie lie :

      a)   Sa Majesté du chef du Canada;

      b)   Sa Majesté du chef d’une province en ce qui concerne une obligation à titre de fournisseur de percevoir et de verser la taxe relative aux fournitures taxables qu’elle effectue.

         Définitions

         123 (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à l’article 121, à la présente partie et aux annexes V à X.

            . . .

         acquéreur

      a) Personne qui est tenue, aux termes d’une convention portant sur une fourniture, de payer la contrepartie de la fourniture;

      b) personne qui est tenue, autrement qu’aux termes d’une convention portant sur une fourniture, de payer la contrepartie de la fourniture;

      c) si nulle contrepartie n’est payable pour une fourniture :

      (i) personne à qui un bien, fourni par vente, est livré ou à la disposition de qui le bien est mis,

      (ii) personne à qui la possession ou l’utilisation d’un bien, fourni autrement que par vente, est transférée ou à la disposition de qui le bien est mis,

      (iii) personne à qui un service est rendu.

Par ailleurs, la mention d’une personne au profit de laquelle une fourniture est effectuée vaut mention de l’acquéreur de la fourniture. (recipient)

         . . .

         fourniture taxable Fourniture effectuée dans le cadre d’une activité commerciale. (taxable supply)

         personne Particulier, société de personnes, personne morale, fiducie ou succession, ainsi que l’organisme qui est un syndicat, un club, une association, une commission ou autre organisation; ces notions sont visées dans des formulations générales impersonnelles ou comportant des pronoms ou adjectifs indéfinis. (person)

            . . .

         Taux de la taxe sur les produits et services

         165 (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente partie, l’acquéreur d’une fourniture taxable effectuée au Canada est tenu de payer à Sa Majesté du chef du Canada une taxe calculée au taux de 5 % sur la valeur de la contrepartie de la fourniture.

         Taux de la taxe dans les provinces participantes

         (2) Sous réserve des autres dispositions de la présente partie, l’acquéreur d’une fourniture taxable effectuée dans une province participante est tenu de payer à Sa Majesté du chef du Canada, outre la taxe imposée par le paragraphe (1), une taxe calculée au taux de taxe applicable à la province sur la valeur de la contrepartie de la fourniture.

         Perception

         221 (1) La personne qui effectue une fourniture taxable doit, à titre de mandataire de Sa Majesté du chef du Canada, percevoir la taxe payable par l’acquéreur en vertu de la section II.

           

         Calcul de la taxe nette

         228 (1) La personne tenue de produire une déclaration en application de la présente section doit y calculer sa taxe nette pour la période de déclaration qui y est visée, sauf si les paragraphes (2.1) ou (2.3) s’appliquent à la période de déclaration.

         Versement

         (2) La personne est tenue de verser au receveur général le montant positif de sa taxe nette pour une période de déclaration dans le délai suivant, sauf les paragraphes (2.1) ou (2.3) s’appliquent à la période de déclaration :

      a) si elle est un particulier auquel le sous‑alinéa 238(1)a)(ii) s’applique pour la période, au plus tard le 30 avril de l’année suivant la fin de la période;

      b) dans les autres cas, au plus tard le jour où la déclaration visant la période est à produire.

         Activités du fiduciaire

         267.1 (5) Les présomptions suivantes s’appliquent dans le cadre de la présente partie lorsqu’une personne agit à titre de fiduciaire d’une fiducie :

      a) tout acte qu’elle accomplit à ce titre est réputé accompli par la fiducie et non par elle;

      b) malgré l’alinéa a), si elle n’est pas un cadre de la fiducie, elle est réputée fournir à celle‑ci un service de fiduciaire et tout montant auquel elle a droit à ce titre et qui est inclus, pour l’application de la Loi de l’impôt sur le revenu , dans le calcul de son revenu ou, si elle est un particulier, dans le calcul de son revenu tiré d’une entreprise est réputé être un montant au titre de la contrepartie de cette fourniture.

Reciprocal Taxation Agreement : Canada – British Columbia

         [traduction]

         Définitions

         1.   Les définitions qui suivent s’appliquent au présent accord.

            . . .

      « Loi fédérale » La Loi sur la taxe d’accise , L.R.C. 1985, c. E‑15 ;

            . . .

      « taxe à la valeur ajoutée » Toute taxe imposée ou perçue sous le régime de la Partie IX de la Loi fédérale.

         Application

         3.   Le présent accord lie le Canada et la province et leurs mandataires respectifs.

         Immunité constitutionnelle

        4.   Il est entendu que ni le Canada ni la province n’est réputé, pour avoir conclu le présent accord, avoir cédé ou abandonné à l’autre les pouvoirs, droits, privilèges ou attributions qui lui sont conférés par la Constitution du Canada, ou être lésé dans l’un ou l’autre de ces pouvoirs, droits, privilèges ou attributions.

         Engagement pris par la province

         6.   La province s’engage :

            . . .

      d)   à payer, sous réserve de l’alinéa 6e) et du paragraphe 7(1), la taxe à la valeur ajoutée conformément à la Loi fédérale;

         Règlement des litiges

         9.(1)     Si les parties ne peuvent s’entendre sur l’interprétation ou l’application du présent accord, l’une ou l’autre peut porter le litige devant le conseil constitué conformément au paragraphe (2).

            . . .

      (9)  Le présent article ne s’applique pas en cas de litige entre les parties relatif à toute question liée à l’application d’une loi imposant une taxe ou un droit qu’une des parties s’est engagée à payer.

         Durée

         15. (1)  Le présent accord demeure en vigueur jusqu’au 31 décembre 2015, sauf si l’une des parties le révoque par préavis écrit de six mois donné à l’autre partie.

      (2)  La révocation du présent accord n’a aucune incidence sur les droits acquis et les obligations contractées par l’une ou l’autre des parties pendant la durée de l’application du présent accord.

Comprehensive Integrated Tax Coordination Agreement Between the Governement of Canada and the Government of British Columbia

[traduction]

Partie I

Interprétation

         1. Les définitions qui suivent s’appliquent à l’Entente :

            . . .

         « taxes de vente harmonisées » La TVAC et la TVAP relative à chaque province participante.

           

Partie XIV

Règlement des différends

         38. Les fonctionnaires fédéraux et provinciaux s’efforcent d’en venir à un consensus au sujet des problèmes touchant des questions régies par l’accord.

         39. Sous réserve de l’article 40, les questions non réglées par les fonctionnaires fédéraux et provinciaux sont soumises au ministre des Finances (Canada) et aux ministres des Finances des provinces participantes intéressées.

         40. Toute question qui a trait à l’administration des taxes de vente harmonisées prévue à l’article 29 est soumise au ministre du Revenu national, au ministre des Finances (Colombie‑Britannique) et, s’il y a lieu, au ministre compétent des provinces participantes intéressées, et un avis en ce sens est adressé au ministre des Finances (Canada). Toute question qui a trait à la perception des taxes de vente harmonisées prévue à l’article 30 est soumise au ministre de la Sécurité publique, au ministre des Finances (Colombie‑Britannique) et, s’il y a lieu, au ministre compétent des provinces participantes intéressées, et un avis en ce sens est adressé au ministre des Finances (Canada) et au ministre du Revenu national.

         41. Les ministres mentionnés aux articles 39 ou 40 peuvent demander à un tiers d’examiner une question qui leur a été soumise et de les conseiller à cet égard.

            Partie XV

            Durée, modification et résiliation

         42. Les modalités de l’Entente demeurent en vigueur, conformément aux dispositions de la présente partie et sous réserve de ces dispositions, jusqu’à la date précisée par l’une des parties dans un avis écrit envoyé à l’autre, faisant état de son désir de mettre fin à l’accord.

            . . .

            Partie XVI

            Achats de l’État

         51. Le Canada et la Province conviennent de payer les taxes de vente harmonisées relativement aux fournitures effectuées par leurs gouvernements respectifs ou par les mandataires et entités de ceux‑ci.

           

            Partie XIX

            Divers

         65. En concluant l’Entene, ni l’une ni l’autre des parties n’est réputée avoir cédé ou abandonné les pouvoirs, droits, privilèges ou attributions qui lui sont conférés par les Lois constitutionnelles de 1867 à 1982 (et leurs modifications) ou autrement, ou être lésée dans l’un ou l’autre de ces pouvoirs, droits, privilèges ou attributions.

 

 

                    Pourvoi et pourvoi incident rejetés sans dépens, le juge en chef Wagner est dissident en partie.

                    Procureur de l’appelant/intimé à l’appel incident le procureur général du Canada : Procureur général du Canada, Vancouver.

                    Procureurs de l’intimée/appelante à l’appel incident la British Columbia Investment Management Corporation : Lawson Lundell, Vancouver.

                    Procureur de l’intimée/intimée à l’appel incident Sa Majesté la Reine du chef de la province de la Colombie‑Britannique : Procureur général de la Colombie‑Britannique, Victoria.

                    Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Ontario : Procureur général de l’Ontario, Toronto.

                    Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Alberta : Procureur général de l’Alberta, Edmonton.



[1]  La présente affaire concerne à la fois le régime fédéral de la TPS et le régime de la taxe de vente harmonisée (TVH) en vigueur en Colombie‑Britannique de 2010 à 2013; par souci de simplicité, les présents motifs renvoient seulement à la TPS.

[2]  Les dispositions législatives pertinentes citées tout au long des présents motifs sont reproduites à l’annexe.

[3]  Article 43 de l’actuelle Financial Administration Act, R.S.B.C. 1996, c. 138.

[4]  Paragraphe 4(2) de la version à jour du Pooled Investment Portfolios Regulation, B.C. Reg. 447/99.

[5]  Par. 4(4) actuel.

[6]  Art. 5 actuel.

[7]  Par. 4(1) et 4(3) actuels.

[8]  Art. 14 actuel.

[9]   En Colombie‑Britannique, c’est l’inverse : un texte législatif provincial lie le gouvernement : [traduction] « sauf disposition contraire expresse » (Interpretation Act, R.S.B.C. 1996, c. 238, par. 14(1)).

[10] Le terme [traduction] « [d]ate d’ouverture » est défini dans le Règlement : « date à laquelle les fonds peuvent acheter ou liquider des unités dans un portefeuille » (art. 1). Les dates d’ouverture de chacun des Portefeuilles sont fixées par le directeur des placements (Règlement, par. 6(2)), un poste créé par l’art. 20 de la PSPPA.

[11] On ne sait pas avec certitude si, jusqu’à présent, un conseil de régime de retraite a opté pour un autre gestionnaire que BCI; le Canada affirme que ce n’est pas le cas, alors que BCI soutient que rien ne permet de l’affirmer, étant donné que les accords d’administration en fiducie conjointe n’exigent pas la nomination d’un seul gestionnaire exclusif de placements (m.a., par. 16; m.i., note 16).

[12]  Bien que BCI ait conclu des accords d’investissement et de gestion des fonds avec les conseils des quatre régimes de retraite du secteur public, seul l’accord qu’elle a signé avec le conseil du régime de retraite des enseignants a été versé au dossier. Rien ne permet de penser qu’il existe des différences substantielles entre cet accord et les trois autres. L’avocat du Canada a convenu lors de l’audience qu’il s’agissait d’un accord [traduction] « typique » (transcription, p. 15).

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