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COUR SUPRÊME DU CANADA

 

Référence : MacDonald c. Canada, 2020 CSC 6, [2020] 1 R.C.S. 319

Appel entendu : 17 octobre 2019

Jugement rendu : 13 mars 2020

Dossier : 38320

 

Entre :

 

James S. A. MacDonald

Appelant

 

et

 

Sa Majesté la Reine

Intimée

 

 

Traduction française officielle

 

Coram : Le juge en chef Wagner et les juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Côté, Brown, Rowe, Martin et Kasirer

 

Motifs de jugement :

(par. 1 à 45)

 

 

Motifs dissidents :

(par. 46 à 88)

La juge Abella (avec l’accord du juge en chef Wagner et des juges Moldaver, Karakatsanis, Brown, Rowe, Martin et Kasirer)

 

La juge Côté

 

 

 


 


James S. A. MacDonald                                                                                  Appelant

c.

Sa Majesté la Reine                                                                                            Intimée

Répertorié : MacDonald c. Canada

2020 CSC 6

No du greffe : 38320.

2019 : 17 octobre; 2020 : 13 mars.

Présents : Le juge en chef Wagner et les juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Côté, Brown, Rowe, Martin et Kasirer.

en appel de la cour d’appel fédérale

                    Droit fiscal — Contrats dérivés — Couverture — Intention subjective et objective — Rattachement — Contrat dérivé conclu par un contribuable — Contribuable donnant en gage les paiements en espèces à titre de règlement et l’actif sous‑jacent qui lui étaient dus en vertu d’un contrat dérivé en guise de garantie pour un prêt — Y a‑t‑il lieu de considérer le contrat dérivé comme une opération de couverture ou de la spéculation? — Les gains ou pertes issus du contrat dérivé sont‑ils imposables au titre du revenu ou au titre du capital?

                    En 1988, M a obtenu 183 333 actions ordinaires de la Banque de Nouvelle‑Écosse. En 1997, la Banque Toronto‑Dominion lui a offert un prêt à hauteur de 10,5 millions de dollars. Le prêt prévoyait également qu’un contrat à terme de gré à gré devait faire partie du gage. Un contrat à terme de gré à gré est un type de contrat dérivé qui oblige une partie à vendre, et une autre à acheter, un actif sous‑jacent à une date fixée d’avance et à un prix fixé d’avance.

                    Peu de temps avant de signer les ententes de prêt et de nantissement pour obtenir le prêt, M a signé le contrat à terme de gré à gré avec Valeurs mobilières TD Inc. Les éléments d’actif sous‑jacents à ce contrat étaient 165 000 actions de la Banque de Nouvelle‑Écosse, soit le même nombre d’actions que M a données par la suite en gage à titre de garantie pour le prêt. Le contrat à terme de gré à gré devait être réglé en espèces et a été structuré de façon à ce que M fasse de l’argent si le cours de l’action de la Banque de Nouvelle‑Écosse baissait. M devait donner en gage, en garantie du prêt, les paiements en espèces à titre de règlement qu’il avait le droit de recevoir en exécution du contrat à terme de gré à gré. M a conclu le contrat à terme de gré à gré avec Valeurs mobilières TD Inc. le 26 juin 1997.

                    Pendant la durée du contrat à terme de gré à gré, le prix des actions de la Banque de Nouvelle‑Écosse a augmenté et M a fait des paiements en espèces à titre de règlement totalisant environ 10 millions de dollars. En calculant son revenu pour ses années d’imposition 2004, 2005 et 2006, M a décrit les paiements en espèces à titre de règlement comme des pertes de revenu déductibles de revenus provenant d’autres sources. Le ministre du Revenu national a établi une nouvelle cotisation à l’égard de M et a décrit les paiements en espèces à titre de règlement comme des pertes en capital vu que le contrat à terme de gré à gré était une opération de couverture des actions de la Banque de Nouvelle‑Écosse. M a déposé des avis d’opposition parce qu’il estimait s’être servi du contrat à terme de gré à gré à des fins de spéculation, non de couverture. La Cour de l’impôt a conclu que le contrat à terme de gré à gré était un instrument de spéculation et que les paiements en espèces à titre de règlement avaient été par conséquent qualifiés à bon droit de pertes au titre du revenu. La Cour d’appel fédérale a accueilli l’appel du ministère public à l’unanimité, concluant que le contrat à terme de gré à gré était une couverture des actions de la Banque de Nouvelle‑Écosse, et donc, que les paiements en espèces à titre de règlement étaient des pertes en capital.

                    Arrêt (la juge Côté est dissidente) : Le pourvoi est rejeté.

                    Le juge en chef Wagner et les juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Brown, Rowe, Martin et Kasirer : La question de savoir s’il y a lieu de caractériser les gains et les pertes issus de contrats dérivés comme étant au titre du revenu ou au titre du capital dépend de la question de savoir si le contrat est considéré comme une opération de couverture ou de la spéculation. La couverture est généralement une opération qui atténue le risque, alors que la spéculation est la prise d’un risque dans le but de réaliser un profit. Les gains et les pertes issus de contrats dérivés de couverture acquièrent la qualité de l’élément d’actif, de l’élément de passif ou de l’opération sous‑jacents faisant l’objet de la couverture.

                    La qualification d’un contrat dérivé dépend de l’objet du contrat. Bien que les manifestations subjectives de l’objet puissent parfois être pertinentes, l’intention déclarée du contribuable n’est pas décisive. Le principal indice qui permet de déterminer l’objet d’un contrat dérivé est le rattachement entre le contrat dérivé et l’élément d’actif, l’élément de passif ou l’opération sous‑jacents censément couverts.

                    L’analyse du rattachement commence par l’identification d’un élément d’actif, d’un élément de passif ou d’une opération sous‑jacents qui exposent le contribuable à un risque financier en particulier, puis nécessite un examen de la mesure dans laquelle le contrat dérivé atténue ou neutralise le risque identifié. Plus le contrat dérivé est efficace pour atténuer ou neutraliser le risque identifié et plus le contrat dérivé est étroitement lié à l’élément qu’il est censé couvrir, plus forte sera l’inférence que le contrat dérivé a pour fin de couvrir. Il n’est pas nécessaire que le rattachement soit parfait pour conclure que le contrat dérivé vise à couvrir et la méthode par laquelle un contrat dérivé se dénoue n’est pas déterminante en ce qui concerne le rattachement ni, en fin de compte, l’objet. La relation entre ce contrat et les opérations ou actifs qui débordent de son cadre s’avère très souvent pertinente.

                    Bien que M n’ait pas immédiatement vendu ses actions de la Banque de Nouvelle‑Écosse pour compenser ses pertes en exécution du contrat à terme de gré à gré, l’absence d’opération synchrone utilisée pour compenser les gains ou les pertes issus d’un contrat dérivé n’équivaut pas à l’absence de risque et ne dicte pas, à elle seule, la qualification d’un contrat dérivé. En l’espèce, le rattachement substantiel entre le contrat à terme de gré à gré et les actions de la Banque de Nouvelle‑Écosse étaye entièrement la conclusion selon laquelle le contrat à terme de gré à gré était une opération de couverture. Le contrat à terme de gré à gré avait pour effet de neutraliser presque parfaitement les fluctuations du prix des actions de la Banque de Nouvelle‑Écosse, ce qui témoigne du rattachement nécessaire.

                    L’objet du contrat à terme de gré à gré en tant qu’instrument de couverture est d’autant plus apparent lorsqu’on examine côte à côte le contrat à terme de gré à gré et les ententes de prêt et de nantissement. Les ententes de prêt et de nantissement font partie du contexte utile pour établir l’objet du contrat à terme de gré à gré. Elles donnaient à M accès à une importante facilité de crédit, mais l’obligeaient à maintenir en vigueur le contrat à terme de gré à gré et à donner en gage, à titre de garantie, des actions de la Banque de Nouvelle‑Écosse et tous les paiements en espèces à titre de règlement qui lui étaient dus en vertu du contrat à terme de gré à gré. Le crédit dont il disposait ne pouvait pas dépasser 95 p. 100 de la valeur des actions de la Banque de Nouvelle‑Écosse qu’il avait données en gage, et les actions données en gage à titre de garantie correspondaient aux actions envisagées par le contrat à terme de gré à gré. Ces modalités permettaient à M d’avoir accès à une facilité de crédit importante à des conditions avantageuses. Elles permettaient aussi à la Banque Toronto‑Dominion de fournir la facilité de crédit avec la garantie d’une sûreté exempte de risque de fluctuation du marché, car si le prix des actions de la Banque de Nouvelle‑Écosse augmentait, la valeur des actions données en gage par M augmenterait proportionnellement; si le prix baissait, M aurait droit à un paiement en espèces à titre de règlement en guise de compensation qui serait automatiquement donné en gage comme garantie. Cet arrangement révèle le rattachement nécessaire entre les actions de la Banque de Nouvelle‑Écosse détenues par M et le contrat à terme de gré à gré pour indiquer un objet de couverture.

                    Le traitement fiscal des paiements en espèces à titre de règlement issus du contrat à terme de gré à gré découle des actions sous‑jacentes de la Banque de Nouvelle‑Écosse qui, comme en conviennent les parties, étaient détenues par M à titre de capital. Lorsqu’on l’examine dans le contexte global qui lui est propre, le contrat à terme de gré à gré avait manifestement pour objet de se prémunir contre les fluctuations du prix du marché auxquelles étaient exposées les actions de la Banque de Nouvelle‑Écosse détenues par M.

                    La juge Côté (dissidente) : L’appel devrait être accueilli et l’ordonnance de la juge de première instance rétablie. Il y désaccord avec les juges majoritaires quant à la signification de l’intention, quant à leur intervention à l’égard des conclusions de fait de la juge de première instance, et quant au rapport entre le contrat à terme de gré à gré et les ententes conclues par M avec d’autres entités. Aucune raison ne justifie d’intervenir quant à la conclusion de la juge de première instance selon laquelle M avait l’intention de spéculer et non de couvrir.

                    La qualification fiscale du contrat à terme de gré à gré repose sur l’intention du contribuable, laquelle est établie au moyen de l’examen des déclarations subjectives d’intention du contribuable, ainsi que des manifestations objectives de cette intention. Ni l’élément objectif ni l’élément subjectif ne sont déterminants à eux seuls. Une couverture peut exister aux fins du calcul de l’impôt malgré l’absence d’opération synchronisée utilisée pour compenser les gains ou les pertes issus d’un contrat dérivé en raison du risque lié à la propriété. Ce risque est une notion qui repose sur la reconnaissance du fait que le propriétaire d’un bien est exposé à des risques relatifs aux fluctuations de la valeur du bien, même si le propriétaire n’a pas l’intention de vendre le bien (et, de ce fait, d’encourir un risque lié à une transaction).

                    Les juges majoritaires adoptent un test qui se veut fondé de façon similaire sur les énoncés subjectifs et les manifestations objectives de l’intention du contribuable. Cependant, leur analyse porte seulement sur les effets économiques de l’instrument dérivé en vue de déterminer sa qualification fiscale. Le test utilisé par les juges majoritaires introduira un important degré d’incertitude à l’égard du traitement fiscal des instruments dérivés, car un test qui est effectivement fondé uniquement sur la mitigation des risques aura des répercussions considérables sur l’imposition des instruments dérivés.

                    Il y a désaccord avec les juges majoritaires quant à la façon dont ils traitent le contrat à terme de gré à gré conclu entre M et Valeurs mobilières TD Inc., à savoir comme une composante indissociable de la facilité de crédit et de l’entente de nantissement conclues par M et la Banque Toronto‑Dominion. Il ne revient pas aux tribunaux d’empêcher les contribuables de recourir à des structures sophistiquées pour leurs transactions, en déterminant l’obligation fiscale en fonction des effets véritables des opérations sur les plans économique et commercial. Les ententes conclues par M avec d’autres entités ne modifient pas le caractère fiscal des pertes découlant du contrat à terme de gré à gré. Ce contrat doit être traité séparément de la facilité de crédit et de l’entente de nantissement. De plus, dans les cas de qualification fiscale, c’est l’intention du contribuable qui intéresse le tribunal, et non l’intention des autres entités à l’autre extrémité des opérations du contribuable. Par conséquent, l’intérêt de la Banque Toronto‑Dominion à l’égard de la mitigation du risque relatif aux actions de la Banque de Nouvelle‑Écosse n’est pas pertinent. Pour que le contrat à terme de gré à gré constitue un instrument de couverture, celui‑ci et le risque lié à la propriété de M dans les actions de la Banque de Nouvelle‑Écosse doivent être indépendants.

                    Il y a également désaccord avec les juges majoritaires pour ce qui est des trois erreurs de droit qu’ils imputent à la juge de première instance. Concernant la première erreur, la critique formulée par les juges majoritaires équivaut à une divergence d’opinion quant au poids à accorder au mode de règlement du contrat à terme de gré à gré et au témoignage de M. La juge de première instance a correctement énoncé et appliqué les principes juridiques pertinents. Elle n’a traité ni le mode de règlement, ni les déclarations d’intention de comme des éléments déterminants. Aucune raison ne justifie l’intervention de la Cour. La deuxième erreur reprochée repose sur une interprétation erronée des motifs de la juge de première instance. Celle‑ci n’a pas nié que la loi reconnaît la notion de risque lié à la propriété. Elle a plutôt décidé, comme question de fait, que le risque lié à la propriété à court terme n’était pas une préoccupation importante pour M, et que cette éventualité ne guidait donc pas sa conduite ni ses intentions. Concernant la dernière erreur reprochée, il faut lire les motifs de la juge de première instance dans leur ensemble. Elle n’a pas limité son examen à l’absence du risque lié à la propriété. Elle a plutôt pris en considération un certain nombre de facteurs objectifs et tiré des conclusions relatives à la crédibilité et à la fiabilité, lesquelles commandent la retenue en appel. À défaut d’une erreur de droit isolable, ses conclusions de fait voulant que M ait eu l’intention de spéculer et qu’il ait manifesté objectivement cette intention sont des conclusions de fait susceptibles de révision uniquement selon la norme de l’erreur manifeste et déterminante.

                    Pour ce qui est de la question du rattachement, bien que le lien temporel et le lien quant au quantum soient imparfaits, pendant la durée de son existence, le contrat à terme de gré à gré offrait théoriquement une couverture partielle économique du risque relatif à la propriété auquel était exposé M en ce qui concerne les actions de la Banque de Nouvelle‑Écosse. Toutefois, l’analyse ne s’arrête pas à la réalité économique. M a davantage agi comme une personne qui spécule plutôt que comme une personne qui effectue une opération de couverture, parce que le contrat à terme de gré à gré devait être réglé en espèces et qu’il constituait une opération isolée. Tout bien considéré, les conclusions de fait de la juge de première instance ne devraient pas être infirmées sur la base d’une norme de contrôle qui commande la déférence, parce que, même si certains indicateurs économiques objectifs sont compatibles avec une intention de couvrir, il existe également des circonstances objectives tendant à indiquer une intention de spéculer.

                    En dernière analyse, la Cour ne peut faire fi d’une jurisprudence unanime, des normes de contrôle applicables, des conclusions de fait et de l’appréciation de la crédibilité faite par la juge de première instance à seule fin d’appliquer le test axé sur l’intention à une opération de couverture économique théorique, ce qui équivaut à faire passer un chameau par le chas d’une aiguille.

Jurisprudence

Citée par la juge Abella

                    Arrêts examinés : Placer Dome Canada Ltd. c. Ontario (Ministre des Finances), 2006 CSC 20, [2006] 1 R.C.S. 715; Shell Canada Ltée c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 622; A.‑G. of Man. c. A.‑G. of Can., [1925] 2 D.L.R. 691; Atlantic Sugar Refineries Ltd. c. Minister of National Revenue, [1949] R.C.S. 706; Salada Foods Ltd. c. The Queen, [1974] C.T.C. 201; Echo Bay Mines Ltd. c. Canada, [1992] 3 C.F. 707; George Weston Limited c. La Reine, 2015 CCI 42; arrêts mentionnés : Friesen c. Canada, [1995] 3 R.C.S. 103; Entreprises Ludco Ltée c. Canada, 2001 CSC 62, [2001] 2 R.C.S. 1082.

Citée par la juge Côté (dissidente)

                    Underwood c. Ocean City Realty Ltd. (1987), 12 B.C.L.R. (2d) 199; Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235; Symes c. Canada, [1993] 4 R.C.S. 695; Entreprises Ludco Ltée c. Canada, 2001 CSC 62, [2001] 2 R.C.S. 1082; George Weston Limited c. La Reine, 2015 CCI 42; Barrick Gold Corporation c. La Reine, 2017 CCI 18; Echo Bay Mines Ltd. c. Canada, [1992] 3 C.F. 707; Atlantic Sugar Refineries Ltd. c. Minister of National Revenue, [1949] R.C.S. 706; Salada Foods Ltd. c. The Queen, [1974] C.T.C. 201; Canada Safeway Limited c. Canada, 2008 CAF 24; Friesen c. Canada, [1995] 3 R.C.S. 103; Shell Canada Ltée c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 622; Canada c. Shell Canada Ltée, [1998] 3 C.F. 64; R. c. Javanmardi, 2019 CSC 54, [2019] 4 R.C.S. 3; Placer Dome Canada Ltd. c. Ontario (Ministre des Finances), 2006 CSC 20, [2006] 1 R.C.S. 715.

Lois et règlements cités

Loi de l’impôt sur le revenu , L.R.C. 1985, c. 1 (5 e  suppl .), art. 3.

Doctrine et autres documents cités

Balmer, Alexandra G. Regulating Financial Derivatives : Clearing and Central Counterparties, Northampton (Mass.), Edward Elgar Publishing, 2018.

Beitel, Jeremie. « Hedging Transactions — MacDonald Reversed » (2018), 66 Rev. fisc. can. 919.

Grottenthaler, Margaret E., and Philip J. Henderson. The Law of Financial Derivatives in Canada, Toronto, Thomson Reuters, 2019 (loose‑leaf updated 2019, release 2).

Hogg, Peter W., Joanne E. Magee, and Jinyan Li. Principles of Canadian Income Tax Law, 7th ed., Toronto, Carswell, 2010.

Krishna, Vern. Income Tax Law, 2nd ed., Toronto, Irwin Law, 2012.

Li, Jinyan, Joanne Magee, and J. Scott Wilkie. Principles of Canadian Income Tax Law, 9th ed., Toronto, Thomson Reuters, 2017.

                    POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel fédérale (le juge en chef Noёl et les juges Pelletier et de Montigny), 2018 CAF 128, [2019] 2 R.C.F. 302, 2018 D.T.C. 5077, [2019] 3 C.T.C. 79, [2018] A.C.F. no 680 (QL), 2018 CarswellNat 3823 (WL Can.), qui a infirmé une décision de la juge Lafleur, 2017 CCI 157, [2018] 1 C.T.C. 2239, 2017 D.T.C. 1104, [2017] T.C.J. No. 121 (QL), 2017 CarswellNat 9106 (WL Can.). Pourvoi rejeté, la juge Côté est dissidente.

                    Matthew Milne‑Smith, Elie S. Roth, Stephen S. Ruby et Chenyang Li, pour l’appelant.

                    Daniel Bourgeois et Eric Noble, pour l’intimée.

                    Version française du jugement du juge en chef Wagner et des juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Brown, Rowe, Martin et Kasirer rendu par

[1]                             La juge Abella — Le présent pourvoi porte sur ce qu’on appelle les contrats dérivés. La question de savoir L y a lieu de caractériser les gains et les pertes issus de ces contrats comme étant au titre du revenu ou au titre du capital dépend de la question de savoir si le contrat est considéré comme une opération de couverture ou de la spéculation. La couverture est généralement une opération qui atténue le risque, alors que la spéculation est la prise d’un risque dans le but de réaliser un profit.

[2]                             James S. A. MacDonald a plus de 40 ans d’expérience dans les domaines des marchés financiers et du financement des entreprises. Il était directeur du service des fusions et acquisitions chez McLeod Young Weir, un cabinet de courtage qui s’occupait de divers aspects du financement des entreprises, lorsque le cabinet a été acquis par la Banque de Nouvelle‑Écosse en 1988. À la suite de cette acquisition, M. MacDonald a obtenu 183 333 actions ordinaires de la Banque de Nouvelle‑Écosse. Il a poursuivi sa carrière comme cadre à la Banque jusqu’en mars 1997, lorsqu’il a quitté son poste pour démarrer une autre entreprise.

[3]                             Peu de temps après que M. MacDonald eut quitté la Banque de Nouvelle‑Écosse, la Banque Toronto‑Dominion lui a offert une facilité de crédit à hauteur de 10,5 millions de dollars. Selon les modalités de cette offre, M. MacDonald devait donner en gage des actions de la Banque de Nouvelle‑Écosse en garantie partielle de la facilité de crédit et le crédit à sa disposition ne dépasserait pas 95 p. 100 de la valeur de ces actions données en gage. L’offre de crédit prévoyait également qu’un « contrat à terme de gré à gré » devait faire partie du gage.

[4]                             Un contrat à terme de gré à gré est une entente ayant pour objet l’achat et la vente d’un actif à une date future dont conviennent les parties. Sur un plan plus technique, un contrat à terme de gré à gré est un type de contrat dérivé qui oblige une partie à vendre, et une autre à acheter, un actif sous‑jacent (« actif de référence ») à une date fixée d’avance (« date d’échéance ») et à un prix fixé d’avance (« prix à terme ») (Placer Dome Canada Ltd. c. Ontario (Ministre des Finances), [2006] 1 R.C.S. 715, par. 30; Margaret E. Grottenthaler et Philip J. Henderson, The Law of Financial Derivatives in Canada (feuilles mobiles), p. 1‑5).

[5]                             Les contrats à terme de gré à gré peuvent se dénouer par la livraison physique de l’actif sous‑jacent, ou être « réglés en espèces » par une partie qui paie l’autre selon que le prix à terme est supérieur ou inférieur au prix du marché à la date d’échéance (Placer Dome, par. 31; Grottenthaler et Henderson, p. 11‑18). Dans un cas comme dans l’autre, les contrats à terme de gré à gré ont essentiellement pour fonction de [traduction] « lever les incertitudes relatives aux changements de prix futurs » de l’actif de référence (Alexandra G. Balmer, Regulating Financial Derivatives: Clearing and Central Counterparties (2018), p. 24).

[6]                             Monsieur MacDonald a conclu le contrat à terme de gré à gré avec Valeurs mobilières TD Inc. le 26 juin 1997. Les éléments d’actif de référence sous‑jacents à ce contrat étaient 165 000 actions de la Banque de Nouvelle‑Écosse. Le contrat à terme de gré à gré devait être réglé en espèces et a été structuré de façon à ce que M. MacDonald fasse de l’argent si le cours de l’action de la Banque de Nouvelle‑Écosse baissait. En particulier,

a)         si la valeur des 165 000 actions de la Banque de Nouvelle‑Écosse baissait, Valeurs mobilières TD paierait à M. MacDonald le plein montant de la baisse (c.‑à‑d. le montant duquel le prix à terme dépassait le prix réel du marché à la date d’échéance, multiplié par le nombre d’actions de la Banque de Nouvelle‑Écosse (165 000));

et

b)         si la valeur des 165 000 actions de la Banque de Nouvelle‑Écosse augmentait, M. MacDonald paierait à Valeurs mobilières TD le plein montant de l’augmentation (c.‑à‑d. le montant duquel le prix à terme était inférieur au prix réel du marché à la date d’échéance, multiplié par le nombre d’actions de la Banque de Nouvelle‑Écosse (165 000)).

[7]                             Les paiements faits en exécution du contrat à terme de gré à gré étaient appelés [traduction] « paiements en espèces à titre de règlement ». Monsieur MacDonald avait la possibilité de résilier le contrat par anticipation en faisant les paiements en espèces à titre de règlement appropriés. Il l’a fait à plusieurs occasions à l’égard d’un certain nombre d’actions, ce qui avait pour effet de réduire proportionnellement le nombre d’actions comprises dans le contrat à terme de gré à gré.

[8]                             Le 2 juillet 1997, M. MacDonald a signé une entente de nantissement par laquelle il a donné en gage, en garantie de la facilité de crédit, 165 000 de ses actions de la Banque de Nouvelle‑Écosse et les paiements en espèces à titre de règlement qu’il avait le droit de recevoir en exécution du contrat à terme de gré à gré. Peu de temps après, soit le 7 juillet 1997, il a formellement accepté l’offre de crédit.

[9]                             Les parties avaient initialement fixé la date d’échéance au 26 juin 2002, mais le contrat a été prolongé et modifié plusieurs fois avant d’être résilié le 29 mars 2006.

[10]                         Pendant la durée du contrat à terme de gré à gré, le prix des actions de la Banque de Nouvelle‑Écosse a augmenté et M. MacDonald a fait des paiements en espèces à titre de règlement totalisant environ 10 millions de dollars.

[11]                         En calculant son revenu pour ses années d’imposition 2004, 2005 et 2006, M. MacDonald a estimé s’être servi du contrat à terme de gré à gré à des fins de spéculation, non de couverture, et, pour cette raison, il a décrit les paiements en espèces à titre de règlement comme des pertes de revenu déductibles de revenus provenant d’autres sources. Le ministre du Revenu national a établi une nouvelle cotisation à l’égard de M. MacDonald et a décrit les paiements en espèces à titre de règlement comme des pertes en capital — qui ne pouvaient être déduites que des gains en capital — vu que le contrat à terme de gré à gré était une opération de couverture des actions de la Banque de Nouvelle‑Écosse que possédait M. MacDonald au titre du capital.

[12]                         Monsieur MacDonald a déposé des avis d’opposition et a interjeté appel des nouvelles cotisations à la Cour canadienne de l’impôt (2017 CCI 157).

[13]                         La juge de première instance a statué que la seule intention de M. MacDonald, au moment de conclure le contrat à terme de gré à gré, était de spéculer, et non de couvrir, et qu’il n’y avait aucun rattachement entre le contrat à terme de gré à gré et les actions de la Banque de Nouvelle‑Écosse que possédait M. MacDonald. La juge a donc conclu que le contrat à terme de gré à gré était un instrument de spéculation et que les paiements en espèces à titre de règlement avaient été qualifiés à bon droit de pertes au titre du revenu.

[14]                         S’exprimant au nom de la cour à l’unanimité, le juge en chef Noël a accueilli l’appel du ministère public ([2019] 2 R.C.F. 302). À son avis, l’intention n’est pas une condition préalable à une opération de couverture : un contrat dérivé est un instrument de couverture si la partie qui conclut le contrat détient des biens exposés à un risque de fluctuation du marché, si le contrat a pour effet de neutraliser ou d’atténuer ce risque et si la partie qui conclut le contrat comprend la nature de celui‑ci. Ces conditions ont été remplies en l’espèce, puisque M. MacDonald détenait des actions de la Banque de Nouvelle‑Écosse exposées à un risque de fluctuation du marché, le contrat à terme de gré à gré avait pour effet de neutraliser ou d’atténuer ce risque et M. MacDonald comprenait qu’il avait cet effet. Le témoignage de M. MacDonald quant à ses intentions ne pouvait pas supplanter ces faits. Pour ces motifs, le juge en chef Noël a conclu que le contrat à terme de gré à gré était une couverture des actions de la Banque de Nouvelle‑Écosse que détenait M. MacDonald et, partant, que les paiements en espèces à titre de règlement étaient des pertes en capital.

[15]                         Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis de rejeter le pourvoi.

Analyse

[16]                         Les règles de base qui servent à déterminer le revenu d’un contribuable se trouvent à l’art. 3  de la Loi de l’impôt sur le revenu , L.R.C. 1985, c. 1 (5 e  suppl .) :

3. Pour déterminer le revenu d’un contribuable pour une année d’imposition, pour l’application de la présente partie, les calculs suivants sont à effectuer :

a) le calcul du total des sommes qui constituent chacune le revenu du contribuable pour l’année (autre qu’un gain en capital imposable résultant de la disposition d’un bien) dont la source se situe au Canada ou à l’étranger, y compris, sans que soit limitée la portée générale de ce qui précède, le revenu tiré de chaque charge, emploi, entreprise et bien;

b) le calcul de l’excédent éventuel du montant visé au sous‑alinéa (i) sur le montant visé au sous‑alinéa (ii) :

(i) le total des montants suivants :

(A) ses gains en capital imposables pour l’année tirés de la disposition de biens, autres que des biens meubles déterminés,

(B) son gain net imposable pour l’année tiré de la disposition de biens meubles déterminés,

      (ii) l’excédent éventuel de ses pertes en capital déductibles pour l’année, résultant de la disposition de biens autres que des biens meubles déterminés sur les pertes déductibles au titre d’un placement d’entreprise pour l’année, subies par le contribuable;

      . . .

      d) le calcul de l’excédent éventuel de l’excédent calculé selon l’alinéa c) sur le total des pertes subies par le contribuable pour l’année qui résultent d’une charge, d’un emploi, d’une entreprise ou d’un bien et des pertes déductibles au titre d’un placement d’entreprise subies par le contribuable pour l’année;

[17]                         Dans Friesen c. Canada, [1995] 3 R.C.S. 103, le juge Major a expliqué que l’art. 3  de la Loi de l’impôt sur le revenu 

reconnaît deux catégories fondamentales de revenus : le « revenu ordinaire » tiré d'une charge, d'un emploi, d'une entreprise et d'un bien, qui sont tous visés par l’al. 3a), et le revenu tiré de biens en immobilisation, ou les gains en capital, qui sont visés par l’al. 3b). Toute la structure de la Loi de l’impôt sur le revenu  reflète cette distinction de base, reconnue dans le régime fiscal canadien, entre le revenu et le gain en capital. [p. 111]

[18]                         Les instruments financiers dérivés sont « des contrats dont la valeur devient fonction de celle d’un actif, d’un taux de référence ou d’un indice qui lui est sous‑jacent » (Placer Dome, par. 29). Selon les circonstances, les gains ou les pertes issus de contrats dérivés peuvent être imposables au titre du revenu ou du capital. Il y a deux types fondamentaux de contrats dérivés, qui forment les éléments de base de structures plus complexes : les contrats à terme de gré à gré et les options. Même si les contrats à terme de gré à gré et les options ont tous les deux pour objet l’achat ou la vente futur d’actifs, les contrats à terme de gré à gré créent une obligation réciproque d’acheter et de vendre, tandis que les options confèrent à une partie le droit, et non l’obligation, d’acheter ou de vendre l’actif (Placer Dome, par. 30; Grottenthaler et Henderson, p. 1‑4).

[19]                         Indépendamment du type, les contrats dérivés sont utilisés à deux fins :

         « soit la spéculation sur les fluctuations de la valeur de l’actif, du taux de référence ou de l’indice sous‑jacent »;

         « soit la volonté de couvrir une position exposée à un risque financier particulier, comme celui que présente la volatilité des prix des marchandises » (Placer Dome, par. 29).

[20]                         Le traitement fiscal des gains et des pertes issus de contrats dérivés dépend de la question de savoir si le contrat dérivé est qualifié de couverture ou de spéculation. Les gains et les pertes issus de contrats dérivés de couverture acquièrent la qualité de l’élément d’actif, de l’élément de passif ou de l’opération sous‑jacents faisant l’objet de la couverture (Shell Canada Ltée c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 622, par. 68‑70). En revanche, les contrats dérivés spéculatifs sont qualifiés suivant leurs propres modalités, indépendamment d’un élément d’actif ou d’une opération sous‑jacents.

[21]                         En l’espèce, nul ne conteste que les actions de la Banque de Nouvelle‑Écosse que détenait M. MacDonald sont une immobilisation et que si le contrat à terme de gré à gré était une opération de couverture de ces actions, les paiements en espèces à titre de règlement seront qualifiés de pertes en capital. Nul ne conteste non plus que si le contrat à terme de gré à gré n’était pas une opération de couverture des actions de la Banque de Nouvelle‑Écosse que détenait M. MacDonald, les paiements en espèces à titre de règlement seront qualifiés de pertes au titre du revenu.

[22]                         Un long courant jurisprudentiel permet de conclure que la qualification d’un contrat dérivé comme opération de couverture dépend de l’objet du contrat. L’objet est déterminé objectivement (Enterprises Ludco Ltée c. Canada, [2001] 2 R.C.S. 1082, par. 54). Bien que les manifestations subjectives de l’objet puissent parfois être pertinentes, l’intention déclarée du contribuable n’est pas décisive, comme l’a fait remarquer le juge en chef Noël. La conduite du contribuable est généralement plus révélatrice que ses [traduction] « déclarations ex post facto » (Vern Krishna, Income Tax Law (2e éd. 2012), p. 161; voir aussi Jinyan Li, Joanne Magee et J. Scott Wilkie, Principles of Canadian Income Tax Law (9e éd. 2017), p. 296). Comme le démontre la jurisprudence, le principal indice qui permet de déterminer l’objet d’un contrat dérivé est le rattachement entre le contrat dérivé et l’élément d’actif, l’élément de passif ou l’opération sous‑jacents censément couverts. Plus le contrat dérivé sera étroitement lié à ce qui est censé être couvert, plus forte sera l’inférence selon laquelle l’objet du contrat dérivé était la couverture.

[23]                         L’arrêt A.‑G. of Man. c. A.-G. of Can., [1925] 2 D.L.R. 691 (C.P.), fournit une des premières descriptions de l’opération de couverture et de l’importance qu’ont l’« objet » et le « rattachement » dans la définition du contrat dérivé comme couverture. Dans cette affaire, le Comité judiciaire du Conseil privé a examiné le pouvoir de la législature manitobaine d’édicter la Grain Futures Taxation Act, S.M. 1923, c. 17, qui imposait une taxe sur les gains issus des marchés de grain à terme (un type d’instrument dérivé similaire à un contrat à terme de gré à gré). En concluant que la loi était ultra vires, le vicomte Haldane a qualifié le recours aux marchés de grain à terme d’[traduction] « opérations de couverture », faisant observer que les vendeurs de grain avaient recours aux marchés de grain à terme pour « se prémunir » et « éviter d’éventuelles pertes causées par une chute du prix du marché » en attendant de vendre leur grain sur le marché (p. 694). Il a fait remarquer que le vendeur de grain fait cela en achetant et en vendant des marchés de grain à terme équivalents à la quantité de grain réellement détenue dans le [traduction] « but [. . .] d’éliminer le risque qu’il court en raison des fluctuations du prix du marché général en attendant de vendre ce qu’il possède réellement » (p. 694 (je souligne)). Comme le laisse entendre la description du vicomte Haldane, le rattachement entre l’actif sous‑jacent (le grain possédé) et le contrat dérivé (les marchés de grain à terme) est essentiel à la détermination de l’objet du contrat.

[24]                         Une interprétation semblable de la couverture a été appliquée dans l’arrêt Atlantic Sugar Refineries Ltd. c. Minister of National Revenue, [1949] R.C.S. 706, où notre Cour a étudié les limites du rattachement. La question en litige était de savoir comment caractériser les gains d’une raffinerie de sucre issus de la conclusion d’un contrat à terme du sucre au regard de la Loi de l’impôt de guerre sur le revenu, S.R.C. 1927, c. 97. En concluant que le contrat à terme était une opération de couverture, le juge Kerwin a fait remarquer que le sujet du contrat dérivé était le même que l’entreprise de la contribuable (le sucre brut) et il a conclu que l’objet du contrat à terme du sucre était [traduction] « de compenser les pertes, réelles ou appréhendées » issues de l’achat par la contribuable de quantités supérieures à la normale de sucre brut pendant que prévalent des conditions de temps de guerre (p. 707). Il a conclu que les profits réalisés sur ces contrats à terme étaient suffisamment liés aux opérations commerciales de la contribuable, si bien qu’ils devaient être traités de la même façon que ses autres revenus d’entreprise. Dans ses motifs concordants, le juge Locke a ajouté que même si le contrat à terme n’avait pas été conclu au moment même où le sucre brut a été acheté, ce décalage chronologique ne modifiait pas la nature essentielle du contrat à terme comme couverture. Le juge Locke a conclu que le contrat à terme était une opération de couverture, malgré le témoignage du président de la contribuable selon lequel les ventes [traduction] « n’étaient pas de la nature de couvertures, mais des opérations spéculatives » (p. 710).

[25]                         L’arrêt Salada Foods Ltd. c. La Reine, [1974] C.T.C. 201 (C.F. 1ère inst.), est un exemple de cas où un lien insuffisant mènera à la conclusion que le contrat dérivé a été signé à des fins de spéculation, et non de couverture. Dans cette affaire, Salada Foods avait conclu un contrat de vente à terme pour 500 000 £ avec la Banque Canadienne Impériale de Commerce, duquel elle a réalisé un profit substantiel. Salada Foods a plaidé que le contrat avait été conclu dans le seul but de protéger la valeur de son investissement dans ses filiales du Royaume‑Uni (qu’elle considérait être des immobilisations). Elle a fait valoir, par conséquent, que les gains issus de ce contrat devaient être imposés à titre de gains en capital. Le juge Urie a rejeté l’argument, faisant remarquer que la valeur du contrat de vente à terme ne correspondait pas à la valeur des investissements de Salada Foods dans ses filiales et « qu’il n’y [avait] qu’un faible lien ou aucun entre le profit qu’ [avait] touché [Salada Foods] sur le contrat de vente à terme et sa véritable perte d’investissement résultant de la dévaluation de la livre » (p. 206). En conséquence, malgré les intentions déclarées de Salada Foods, le juge Urie a conclu que le contrat de vente à terme avait un but spéculatif et que les gains qui en étaient issus étaient imposables au titre du revenu.

[26]                         La définition de la couverture et la suffisance du rattachement nécessaire ont été analysées plus à fond dans Echo Bay Mines Ltd. c. Canada, [1992] 3 C.F. 707. Le point litigieux à trancher était de savoir si le revenu provenant de la liquidation de contrats de vente à terme pour la livraison d’argent pouvait être assimilé aux « bénéfices relatifs à des ressources » au sens du par. 1204(1) du Règlement de l’impôt sur le revenu, C.R.C., c. 945. Le juge MacKay a conclu que pour trancher l’affaire, il fallait décider si les contrats de vente à terme étaient une couverture de la production d’argent de la mine. Il fallait par conséquent prendre en compte ce qui suit :

            ... elon les principes comptables généralement reconnus, le bénéfice réalisé ou la perte subie par le producteur à la liquidation du contrat de vente à terme peut être considéré comme une « couverture » et par conséquent mis sur le compte de la marchandise effectivement produite, si quatre conditions sont réunies. . .

      [traduction] 1. La marchandise à couvrir expose l’entreprise au risque de fluctuation du prix (ou du taux d’intérêt).

      2. Le contrat de vente à terme réduit ce risque et est considéré comme une couverture.

      3. Les caractéristiques et les stipulations de l’opération prévue sont précisées.

      4. Il est probable que l'opération prévue aura lieu. [p. 715‑716]

[27]                         Le juge MacKay a conclu que malgré la symétrie imparfaite entre le montant des contrats à terme et la production réelle de la mine, et entre la chronologie des ventes de production et le dénouement des contrats à terme, « [l]a concordance exacte n’était pas possible dans les faits; elle n’est pas non plus essentielle pour qu’il y ait opération de couverture » (p. 731). Il a statué que le rattachement entre les contrats à terme et la production de la mine était suffisant pour étayer la conclusion selon laquelle les contrats à terme avaient pour objet de se prémunir contre les fluctuations du prix de l’argent. Sur ce fondement, il a conclu que les gains et les pertes issus des contrats à terme devaient être traités comme faisant partie du prix reçu pour l’argent produit par la mine et compris comme « bénéfices relatifs à des ressources » (p. 732).

[28]                         Dans Shell Canada, une affaire où il était entendu que le contrat dérivé en cause était une opération de couverture, notre Cour a examiné le traitement fiscal d’un arrangement de financement complexe comportant plusieurs contrats d’achat de débentures et un contrat de change à terme. Selon cet arrangement, Shell s’est effectivement vu donner accès à un prêt de 100 millions de dollars US moyennant un coût de financement moindre que ce qui aurait été consenti normalement en obtenant le prêt indirectement par l’achat et la vente de monnaie néo‑zélandaise. L’une des questions litigieuses soumises à la Cour était la façon dont il convenait de traiter, pour les fins de l’impôt sur le revenu, les gains de Shell sur le contrat de change à terme conclu dans le cadre du prêt. En répondant à cette question, la juge McLachlin a conclu ce qui suit :

            La qualification à titre de revenu ou de gain en capital d’un gain de change issu d’une opération de couverture dépend de la qualification de la dette à laquelle se rapporte l’opération de couverture. Comme je le mentionne précédemment, Shell a conclu le contrat de change à terme pour se couvrir, au moyen de dollars américains, contre le risque du marché auquel l’exposaient les contrats d’achat de débentures libellés en monnaie néo‑zélandaise. Shell n’aurait pas conclu les contrats d’achat de débentures sans le contrat de change à terme. Le gain réalisé sur les contrats d’achat de débentures a été qualifié de gain en capital, et le gain réalisé sur le contrat de change à terme doit l’être aussi. [par. 70]

[29]                         C’est dans l’arrêt Placer Dome que notre Cour a abordé le plus récemment les opérations de couverture dans le contexte des contrats dérivés. La question litigieuse était de savoir si des contrats dérivés dénoués au moyen d’un règlement en espèces pouvaient être considérés comme des opérations de « couverture » au sens de la Loi de l’impôt sur l’exploitation minière, L.R.O. 1990, c. M.15, de l’Ontario. Le ministre avait précédemment exclu ces contrats de la définition de « couverture » au motif que les contrats dérivés dénoués au moyen d’un règlement en espèces étaient spéculatifs et ne donnaient pas lieu à la livraison physique des produits d’une mine. Selon le juge LeBel, « [i]l y a opération de couverture lorsque des éléments d’actif ou de passif de la partie qui l’effectue sont véritablement exposés aux fluctuations du marché, alors que la spéculation est [traduction] “la mesure dans laquelle l’opérateur en couverture effectue des opérations dérivées dont la valeur nominale excède le risque couru” » (par. 29, citant Brent W. Kraus, « The Use and Regulation of Derivative Financial Products in Canada » (1999), 9 W.R.L.S.I. 31, p. 38). Il est parvenu à la conclusion que les contrats dérivés en cause avaient été « conclu[s] dans le cadre d’un vaste programme destiné à gérer le risque lié aux fluctuations du [cours] de l’or » et que, pour l’application des principes comptables généralement reconnus (PCGR), « le contrat dérivé demeure un instrument de “couverture” quel qu’en soit le dénouement » (par. 5 et 31). Il a fait sien le critère employé par le juge de première instance selon lequel, pour qu’un contrat dérivé qui ne se dénoue pas par la livraison physique de la production d’une mine réponde à la définition de « couverture » dans la Loi de l’impôt sur l’exploitation minière, il doit exister un « lien » entre le contrat dérivé et la production de la mine (par. 14). Le juge LeBel a conclu que la définition de « couverture » dans la Loi de l’impôt sur l’exploitation minière comprenait les contrats à terme de gré à gré dénoués au moyen d’un règlement en espèces.

[30]                         La Cour de l’impôt a examiné l’arrêt Placer Dome dans George Weston Limited c. La Reine, 2015 CC1 42, où la juge en chef adjointe Lamarre a raffiné davantage les contours du rattachement suffisant. Dans George Weston, il s’agissait de bien qualifier, aux fins de l’impôt sur le revenu, les gains issus d’accords de crédits croisés fondés sur le taux de change, un type de contrat dérivé. La contribuable, George Weston Ltée, a plaidé que les accords de crédits croisés avaient été conclus pour se prémunir contre la fluctuation du taux de change liée à ses filiales américaines. Sa Majesté a plaidé que pour constituer une opération de couverture, le contrat dérivé devait être rattaché à une opération sous‑jacente, ce qui n’était pas le cas, puisque George Weston n’avait pas vendu ses filiales américaines.

[31]                         La juge en chef adjointe Lamarre a rejeté cet argument, statuant qu’il était possible d’utiliser un contrat dérivé à des fins de couverture même « en l’absence de vente ou d’une vente proposée de l’élément sous‑jacent couvert » (par. 97 (CanLII)). Elle a fait remarquer que les crédits croisés, même s’ils « n’étaient pas rattachés à l’achat ou à la vente de marchandises », avaient permis à George Weston de « stabiliser la valeur des actifs en dollars américains exposés au risque de change sur le bilan » (par. 77). Compte tenu des faits de l’affaire, la juge en chef adjointe Lamarre a conclu que les politiques internes de George Weston ainsi que les liens, sur les plans de la chronologie et des montants, entre les crédits croisés et l’investissement net de George Weston dans ses filiales américaines permettaient de conclure que les crédits croisés étaient utilisés à des fins de couverture, et non de spéculation.

[32]                         Comme le démontre la jurisprudence précitée, la qualification d’un contrat dérivé en tant que couverture dépend de son objet. Le principal indice qui permet de déterminer l’objet d’un contrat dérivé est l’ampleur du rattachement entre le contrat dérivé et un élément d’actif, un élément de passif ou une opération sous‑jacents. L’analyse du rattachement commence par l’identification d’un élément d’actif, d’un élément de passif ou d’une opération sous‑jacents qui exposent le contribuable à un risque financier en particulier, puis nécessite un examen de la mesure dans laquelle le contrat dérivé atténue ou neutralise le risque identifié. Plus le contrat dérivé est efficace pour atténuer ou neutraliser le risque identifié et plus le contrat dérivé est étroitement lié à l’élément qu’il est censé couvrir, plus forte sera l’inférence que le contrat dérivé a pour fin de couvrir. Toutefois, comme nous l’avons vu, il n’est pas nécessaire que le rattachement soit parfait pour conclure que le contrat dérivé vise à couvrir (voir, p. ex., Atlantic Sugar, p. 711; Echo Bay Mines, p.722‑723; Placer Dome, par. 49; George Weston, par. 96‑98).

[33]                         En l’espèce, le rattachement substantiel entre le contrat à terme de gré à gré et les actions de la Banque de Nouvelle‑Écosse détenues par M. MacDonald étaye entièrement la conclusion du juge en chef Noël selon laquelle le contrat à terme de gré à gré était une opération de couverture.

[34]                         S’appuyant sur le témoignage de M. MacDonald, la juge de première instance a statué que ce dernier entendait garder ses actions de la Banque de Nouvelle‑Écosse indéfiniment. Pour cette raison, elle a conclu que « M. MacDonald ne s’exposait à aucun risque en détenant les actions de la [Banque de Nouvelle‑Écosse] » et que, par conséquent, il avait augmenté son niveau de risque, plutôt que de l’avoir atténué, en concluant le contrat à terme de gré à gré (par. 68). Je suis d’accord avec le juge en chef Noël pour dire que cette conclusion équivalait à une erreur de droit. L’absence d’opération synchrone utilisée pour compenser les gains ou les pertes issus d’un contrat dérivé n’équivaut pas à l’absence de risque et ne dicte pas, à elle seule, la qualification d’un contrat dérivé (voir, p. ex., George Weston, par. 97; Echo Bay Mines, p. 722‑723; Atlantic Sugar, p. 711).

[35]                         L’erreur commise par la juge de première instance en concluant que M. MacDonald ne s’exposait à aucun risque en détenant ses actions de la Banque de Nouvelle‑Écosse l’a forcément amenée à statuer que M. MacDonald avait conclu le contrat à terme de gré à gré dans un dessein de spéculation. Elle a en outre permis que le témoignage ex post facto de M. MacDonald et le fait que le contrat à terme de gré à gré s’était dénoué par un règlement en espèces, et non par la livraison physique des actions de la Banque de Nouvelle‑Écosse, dominent son analyse. Dans Placer Dome, le juge LeBel a fait observer ce qui suit :

Les opérations dérivées peuvent avoir différents dénouements : la livraison physique de l’actif sous‑jacent, le règlement en espèces ou la conclusion d’un contrat symétrique. Toutefois, la plupart des contrats dérivés ne se dénouent pas par une livraison physique. Ce qui importe le plus à cet égard, c’est que, tout au moins pour l’application des PCGR, le contrat dérivé demeure un instrument de « couverture » quel qu’en soit le dénouement. [par. 31]

[36]                         Bien que cette affirmation ait été faite dans le contexte d’une explication des PCGR, plus loin dans ses motifs, le juge LeBel a adopté la thèse des professeurs Grottenthaler et Henderson faisant leur la décision rendue dans Echo Bay Mines selon laquelle les contrats à terme de gré à gré se dénouant par règlement en espèces et les contrats à terme de gré à gré se dénouant par la livraison physique étaient économiquement équivalents et que les traiter différemment à des fins fiscales créerait « une distinction injustifiée et artificielle » (Placer Dome, par. 34, citant Grottenthaler et Henderson, p. 11‑8 et 11‑9). Par conséquent, la méthode par laquelle un contrat dérivé se dénoue n’est pas déterminante en ce qui concerne le rattachement ni, en fin de compte, l’objet.

[37]                         Le contrat à terme de gré à gré avait pour effet de neutraliser presque parfaitement les fluctuations du prix des actions de la Banque de Nouvelle‑Écosse détenues par M. MacDonald, ce qui témoigne d’un rattachement étroit. L’objet du contrat à terme de gré à gré en tant qu’instrument de couverture est d’autant plus apparent lorsqu’on examine côte à côte le contrat à terme de gré à gré et les ententes de prêt et de nantissement conclues entre M. MacDonald et la Banque TD. Partant, il y avait un rattachement considérable entre le contrat à terme de gré à gré et les actions de la Banque de Nouvelle‑Écosse détenues par M. MacDonald.

[38]                         Dans l’arrêt Shell Canada, la juge McLachlin a averti que « la réalité économique » d’une situation ne pouvait justifier « une nouvelle qualification des rapports juridiques véritables établis par le contribuable » (par. 39). Cela ne veut pas dire que les facteurs contextuels excédant les limites du contrat dérivé ne seront jamais utiles pour en déterminer l’objet. La juge McLachlin a fait cette affirmation dans la foulée du rejet par notre Cour de l’argument suivant lequel deux opérations liées entre différentes parties devraient effectivement être considérées comme une seule opération collective pour les besoins de leur qualification fiscale. Cela est très différent du fait d’examiner de multiples opérations liées afin de mieux établir la raison pour laquelle une entente en particulier a été conclue.

[39]                         Lorsqu’il s’agit de décider si un contrat dérivé est une opération de couverture ou de spéculation, la relation entre ce contrat et les opérations ou actifs qui débordent de son cadre s’avère très souvent pertinente. Le contrat dérivé de couverture, de par sa nature, vise à réduire le risque associé à certains éléments d’actif, éléments de passif ou opérations. En l’espèce, les ententes de prêt et de nantissement font partie du contexte utile pour établir l’objet du contrat à terme de gré à gré. L’analyse de ces ententes ne donne aucunement lieu à une nouvelle qualification des rapports juridiques véritables établis par M. MacDonald.

[40]                         Comme l’a fait remarquer le juge en chef Noël, l’effet conjugué du contrat à terme de gré à gré ainsi que des ententes de prêt et de nantissement a permis l’octroi d’un crédit garanti par une sûreté exempte de risque de fluctuation du marché. Les ententes de prêt et de nantissement donnaient à M. MacDonald accès à une importante facilité de crédit, mais l’obligeaient à maintenir en vigueur le contrat à terme de gré à gré et à donner en gage, à titre de garantie, des actions de la Banque de Nouvelle‑Écosse et tous les paiements en espèces à titre de règlement qui lui étaient dus en vertu du contrat à terme de gré à gré. Le crédit dont il disposait ne pouvait pas dépasser 95 p. 100 de la valeur des actions de la Banque de Nouvelle‑Écosse qu’il avait données en gage. Les actions données en gage à titre de garantie correspondaient aux actions envisagées par le contrat à terme de gré à gré. À mesure que le nombre d’actions visées par le contrat à terme de gré à gré diminuait en raison des paiements à titre de règlement, le même nombre d’actions était libéré comme garantie suivant les termes des ententes de prêt et de nantissement.

[41]                         Du point de vue de la Banque TD, cela voulait dire que la valeur de la garantie était entièrement à l’abri des fluctuations du marché : si le prix des actions de la Banque de Nouvelle‑Écosse augmentait, la valeur des actions données en gage par M. MacDonald augmenterait proportionnellement; si le prix baissait, M. MacDonald aurait droit à un paiement en espèces à titre de règlement en guise de compensation qui serait automatiquement donné en gage comme garantie. Ces modalités permettaient à M. MacDonald d’avoir accès à une facilité de crédit importante à des conditions avantageuses et permettaient à la Banque TD de fournir la facilité de crédit avec la garantie d’une sûreté protégée.

[42]                         À mon avis, cet arrangement révèle le rattachement nécessaire entre les actions de la Banque de Nouvelle‑Écosse détenues par M. MacDonald et le contrat à terme de gré à gré pour indiquer un objet de couverture. Le fait que M. MacDonald n’a pas immédiatement vendu ses actions de la Banque de Nouvelle‑Écosse pour compenser ses pertes en exécution du contrat à terme de gré à gré ne rompt pas ce lien. Bien que les ententes de prêt et de nantissement fassent partie du contexte en l’espèce et nous éclairent sur l’objet du contrat à terme de gré à gré comme couverture, le contrat à terme de gré à gré, considéré de façon indépendante, mettait la plus grande partie des actions de la Banque de Nouvelle‑Écosse détenues par M. MacDonald parfaitement à l’abri des fluctuations du cours de ces actions. En conséquence, on pourrait fort bien soutenir que même sans l’entente de prêt, le contrat demeurait une opération de couverture.

[43]                         Le témoignage ex post facto de M. MacDonald quant à ses intentions ne saurait supplanter les manifestations d’un objet différent qui ressort objectivement du dossier.

[44]                         Le traitement fiscal des paiements en espèces à titre de règlement issus du contrat à terme de gré à gré découle des actions sous‑jacentes de la Banque de Nouvelle‑Écosse qui, comme en conviennent les parties, étaient détenues par M. MacDonald à titre de capital. Lorsqu’on l’examine dans le contexte global qui lui est propre, le contrat à terme de gré à gré avait manifestement pour objet de se prémunir contre les fluctuations du prix du marché auxquelles étaient exposées les actions de la Banque de Nouvelle‑Écosse détenues par M. MacDonald.

[45]                         Par conséquent, je suis d’avis de rejeter le pourvoi avec dépens.

Version française des motifs rendus par

La juge Côté (dissidente) —

I.               Introduction

[46]                         Notre Cour est appelée en l’espèce à décider si les pertes découlant d’un contrat à terme de gré à gré avec règlement en espèces (« contrat à terme de gré à gré ») conclu entre James S. A. MacDonald et Valeurs mobilières TD Inc. (« VMTD ») sont déductibles du revenu ou du capital de M. MacDonald. L’issue du présent pourvoi dépend de la question de savoir si le contrat à terme de gré à gré devrait être qualifié de projet comportant un risque à caractère commercial, ou d’opération destinée à couvrir les actions de la Banque de Nouvelle‑Écosse détenues par M. MacDonald (« actions de la BNE »). Si ce contrat était un projet comportant un risque à caractère commercial, alors les pertes sont déductibles du revenu de M. MacDonald. S’il constituait un instrument de couverture, les pertes revêtent le caractère fiscal de l’actif sous‑jacent — soit, en l’espèce, les actions de la BNE — et sont dès lors déductibles du capital de M. MacDonald.

[47]                         Contrairement à la Cour d’appel fédérale, je suis d’avis, avec beaucoup d’égards, que la qualification fiscale du contrat à terme de gré à gré repose sur l’intention du contribuable, laquelle est établie au moyen de l’examen des déclarations subjectives d’intention du contribuable, ainsi que des manifestations objectives de cette intention. Je diverge d’opinion avec ma collègue la juge Abella quant à la signification de l’intention, quant à son intervention à l’égard des conclusions de fait de la juge de première instance, et quant au rapport entre le contrat à terme de gré à gré et les ententes conclues par M. MacDonald avec d’autres entités. Je ne vois rien qui justifierait d’intervenir quant à la conclusion de la juge de première instance selon laquelle, considérant toutes les circonstances pertinentes, M. MacDonald avait l’intention de spéculer et non de couvrir. J’accueillerais donc le pourvoi.

II.            Résumé des faits pertinents

[48]                         Je n’entends pas reprendre ici les faits exposés par ma collègue dans ses motifs. Je tiens toutefois à souligner certains détails importants en ce qui concerne la manière dont M. MacDonald a organisé ses affaires.

[49]                         Monsieur  MacDonald et la Banque Toronto‑Dominion (« Banque TD ») étaient parties à une convention de facilité de crédit conclue le 7 juillet 1997 (« facilité de crédit »), qui exigeait de M. MacDonald qu’il maintienne le contrat à terme de gré à gré, et à une entente de nantissement de valeurs mobilières (« entente de nantissement »), dans le cadre de laquelle il a donné en gage à la Banque TD tous les montants que VMTD pourrait avoir à verser à M. MacDonald conformément au contrat à terme de gré à gré. Monsieur  MacDonald et VMTD — une entité distincte de la Banque TD — étaient parties au contrat à terme de gré à gré. Par ailleurs, si les modalités de la facilité de crédit prévoyaient le contrat à terme de gré à gré, les modalités du contrat à terme de gré à gré ne prévoyaient pas la facilité de crédit.

[50]                         De plus, même si la facilité de crédit autorisait M. MacDonald à emprunter des fonds jusqu’à concurrence de 10 477 480 $, il n’a emprunté que 4 899 000 $ au total. En date du 5 novembre 2004, il avait remboursé l’intégralité du solde de la facilité de crédit. Cependant, le contrat à terme de gré à gré est demeuré en vigueur jusqu’au 29 mars 2006. Les pertes pour lesquelles M. MacDonald réclame une déduction sont celles des années d’imposition 2004, 2005 et 2006.

III.         Conclusions de fait de la juge de première instance et norme de contrôle

[51]                         La juge de première instance, la juge Lafleur, a tiré plusieurs conclusions importantes qui n’ont pas été contestées en appel (2017 CCI 157) :

-          le témoignage de M. MacDonald est « crédible et fiable, et il [est] un témoin très digne de foi » (par. 59 (CanLII));

-          la « seule intention de [M. MacDonald] au moment de conclure le contrat à terme était de spéculer sur une baisse prévue du cours des actions de la BNE et d’en tirer profit » (par. 59);

-          l’« intention de [M. MacDonald] au moment de signer le contrat à terme était de réaliser un bénéfice en spéculant que le cours des actions de la BNE baisserait » (par. 63);

-          Monsieur  MacDonald « n’avait pas l’intention claire de mener une opération de couverture lorsqu’il a conclu le contrat à terme » (par. 80);

-          Monsieur  MacDonald « ne considérait pas que [la facilité de crédit] faisait partie du contrat à terme » (par. 62);

-          il n’y avait aucun « lien entre le montant emprunté en vertu [de la facilité de crédit] et la conclusion, de même que le règlement, du contrat à terme » (par. 106);

-          Monsieur  MacDonald ne souhaitait pas, à court terme, vendre les actions de la BNE et il a continué de détenir une partie substantielle des actions de la BNE qu’il possédait au moment où il a signé le contrat à terme de gré à gré (par. 66, 104 et 107).

[52]                         Un pourvoi, même devant la Cour suprême du Canada, ne signifie pas de refaire un procès. Le pouvoir de notre Cour de substituer sa propre appréciation des faits à celle du juge de première instance est limité par son rôle en tant que cour d’appel : Underwood c. Ocean City Realty Ltd. (1987), 12 B.C.L.R. (2d) 199 (C.A.), p. 204, cité avec approbation dans l’arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, par. 3. Compte tenu de cette limite institutionnelle, la norme de contrôle applicable aux conclusions de fait est celle de l’erreur manifeste et déterminante : Housen, par. 10. La norme qui s’applique aux questions mixtes de fait et de droit est également celle de l’erreur manifeste et déterminante, à moins que le juge de première instance n’ait clairement commis une erreur de principe isolable équivalant à une erreur de droit : par. 37. Enfin, la norme de contrôle applicable aux questions de droit est la norme de la décision correcte : par. 8.

[53]                         En l’espèce, la question de savoir si l’intention doit être présente pour que l’on puisse conclure que le contrat à terme de gré à gré est un instrument de couverture est une question de droit, et est donc susceptible de contrôle suivant la norme de la décision correcte. La conclusion de la juge de première instance selon laquelle M. MacDonald avait pour unique intention de spéculer, et non de couvrir, est une conclusion de fait qui est susceptible de révision selon la norme de l’erreur manifeste et déterminante, à défaut d’une erreur de droit identifiable : Symes c. Canada, [1993] 4 R.C.S. 695, p. 736.

IV.         Signification du mot intention

[54]                         Avant d’expliquer pourquoi l’intention doit être présente pour conclure que le contrat à terme de gré à gré constituait un instrument de couverture, il me paraît utile de préciser d’abord ce que j’entends par « intention ». La Cour a déjà considéré auparavant comment déterminer l’intention du contribuable. Ainsi, dans l’arrêt Symes, à la p. 736, le juge Iacobucci a souligné que la question soumise à la Cour était de savoir si Mme Symes avait engagé des frais de garde d’enfants en vue de tirer un revenu de l’entreprise, ou de faire produire un revenu à celle‑ci. Il a ensuite expliqué que, lorsqu’il doit déterminer l’intention du contribuable, le tribunal doit aller au‑delà des déclarations subjectives du contribuable pour cerner les manifestations objectives de son intention :

            Comme dans d’autres domaines du droit, lorsqu’il faut établir l’objet ou l’intention des actes, on ne doit pas supposer que les tribunaux se fonderont seulement, en répondant à cette question, sur les déclarations du contribuable, ex post facto ou autrement, quant à l’objet subjectif d’une dépense donnée. Ils examineront plutôt comment l’objet se manifeste objectivement, et l’objet est en définitive une question de fait à trancher en tenant compte de toutes les circonstances. [p. 736]

[55]                         Le juge Iacobucci est revenu sur cette question dans l’arrêt Entreprises Ludco Ltée c. Canada, 2001 CSC 62, [2001] 2 R.C.S. 1082, par. 54, où notre Cour devait déterminer l’intention qu’avait le contribuable lorsqu’il a utilisé l’argent emprunté, pour décider si les frais d’intérêt étaient déductibles du revenu en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu , L.R.C. 1985, c. 1 (5 e  suppl .) (« LIR  ») :

        Dans l’interprétation de la [LIR ], tout comme dans d’autres domaines du droit, les tribunaux appelés à dégager l’objet d’une mesure ou l’intention de son auteur doivent déterminer objectivement la nature de la fin poursuivie en tenant compte à la fois des éléments subjectifs et objectifs pertinents. Par conséquent, voici le critère applicable pour déterminer la fin visée par l’utilisation des fonds empruntés et décider si l’intérêt est déductible en application du sous‑al. 20(1)c)(i) : Compte tenu de toutes les circonstances, le contribuable avait‑il, au moment de l’investissement, une expectative raisonnable de tirer un revenu? [Je souligne; citations omises.]

[56]                         Nous sommes liés par les énoncés faisant autorité formulés dans les arrêts Symes et Ludco, selon lesquels l’intention est une question exigeant la prise en compte aussi bien de l’intention subjective du contribuable que de la présence ou l’absence de manifestations objectives de cette intention. Ni l’élément objectif ni l’élément subjectif ne sont déterminants à eux seuls.

V.           L’intention doit être présente pour conclure que le contrat à terme de gré à gré était un instrument de couverture

[57]                         Je suis d’avis que la qualification fiscale du contrat à terme de gré à gré repose sur l’intention du contribuable, laquelle est établie au moyen de l’examen des déclarations subjectives du contribuable et des manifestations objectives de son intention. Selon ma lecture de la jurisprudence, il y a opération de couverture aux fins de l’application du droit fiscal lorsque le contribuable a l’intention de procéder à une opération de couverture en utilisant l’instrument dérivé, et que cette intention se manifeste objectivement par un lien suffisant entre l’instrument dérivé et l’élément d’actif ou de passif sous-jacent (« rattachement »), ou par l’intégration de l’opération dérivée dans les activités du contribuable visant à générer des bénéfices : George Weston Limited c. La Reine, 2015 CCI 42; Barrick Gold Corporation c. La Reine, 2017 CCI 18; Echo Bay Mines Ltd. c. Canada, [1992] 3 C.F. 707; Atlantic Sugar Refineries Ltd. c. Minister of National Revenue, [1949] R.C.S. 706. En revanche, une opération constitue un projet comportant un risque à caractère commercial si le contribuable a l’intention de spéculer en utilisant l’instrument dérivé, et que cette intention se manifeste objectivement par des indices que l’opération est un plan visant la réalisation d’un bénéfice : Salada Foods Ltd. c. The Queen, [1974] C.T.C 201 (C.F. 1re inst.); M. E. Grottenthaler et P. J. Henderson, The Law of Financial Derivatives in Canada (feuilles mobiles), p. 11‑5. Avec égards, j’estime par voie de conséquence logique que la Cour d’appel fédérale (2018 CAF 128, [2019] 2 R.C.F. 302) a commis une erreur de droit lorsqu’elle a conclu que l’intention de couvrir ne constitue pas un prérequis pour qu’il soit établi qu’une opération constitue une couverture.

[58]                         De plus, il serait artificiel de faire abstraction de l’intention de couvrir du contribuable dans les affaires relatives à la qualification, parce que l’intention de spéculer est « le facteur le plus déterminant » à prendre en compte pour décider si une opération de quelque nature que ce soit est un projet comportant un risque à caractère commercial : Canada Safeway Limited. c. Canada, 2008 CAF 24, par. 43 (CanLII); voir également Friesen c. Canada, [1995] 3 R.C.S. 103, par. 16. Étant donné que l’intention est clairement une considération pertinente pour cette analyse, adopter une règle selon laquelle l’intention ne doit pas être prise en compte au moment de décider si une opération dérivée est une couverture ne ferait que semer de la confusion. Qui plus est, éliminer l’intention du contribuable en tant qu’important facteur devant être appliqué pour établir la qualification fiscale d’une opération dérivée reviendrait à faire de l’imposition de ces opérations une exception créée par voie judiciaire à la jurisprudence générale en matière de qualification fiscale, et une telle distinction ne serait pas justifiée par le texte de la LIR  telle qu’elle existait au moment des faits. Les contribuables ont le droit d’être imposés en fonction de règles juridiques connues, et non en fonction de décisions judiciaires prises après coup.

[59]                         Ma collègue adopte un test qui se veut fondé de façon similaire sur les énoncés subjectifs et les manifestations objectives de l’intention du contribuable. À première vue, son critère semble incompatible avec la conclusion de la Cour d’appel fédérale voulant que l’intention ne soit pas un élément requis pour qu’une opération constitue une couverture. Comme je l’explique plus loin, l’application par ma collègue de son test aux faits de l’espèce illustre que la différence entre son test et celui de la Cour d’appel fédérale en est une de style plutôt que de fond. Contrairement à la Cour d’appel fédérale, ma collègue réfère à l’intention dans son analyse, mais à l’instar de la Cour d’appel fédérale, son analyse porte seulement sur les effets économiques de l’instrument dérivé en vue de déterminer sa qualification fiscale.

[60]                         En outre, j’aimerais souligner qu’un test qui est effectivement fondé uniquement sur la mitigation des risques aura des répercussions considérables sur l’imposition des instruments dérivés. Par exemple, le fait qu’il y a souvent une forte corrélation entre les valeurs de deux placements du même type, comme les actions bancaires, a pour conséquence que — en raison de l’effet de mitigation des risques — le test de ma collègue mènerait à la conclusion qu’un instrument dérivé qui prévoit la vente à découvert d’actions de la Banque TD constituerait une couverture des actions de la BNE, peu importe les intentions du contribuable. Par conséquent, ce test introduira un important degré d’incertitude à l’égard du traitement fiscal des instruments dérivés : voir J. Beitel, « Hedging Transactions — MacDonald Reversed » (2018), 66 Rev. fisc. can. 919, p. 923.

[61]                         J’examine plus loin la décision de la juge de première instance ainsi que la critique qu’en fait ma collègue. En définitive, toutefois, le test qu’a utilisé la juge de première instance et sa conclusion voulant que M. MacDonald avait l’intention de spéculer et non de couvrir, sont conformes au courant jurisprudentiel existant concernant l’imposition des instruments financiers dérivés et ne devraient pas être modifiés. Je conclus sur le sujet en réitérant que les contribuables ont le droit d’être imposés en fonction de règles juridiques connues comme s’appliquant au moment où ils concluent l’opération.

VI.         La facilité de crédit et l’entente de nantissement ne sont pas pertinentes

[62]                         Je diverge d’opinion avec ma collègue quant à la façon dont elle traite le contrat à terme de gré à gré conclu entre M. MacDonald et VMTD, à savoir comme une composante indissociable de la facilité de crédit et de l’entente de nantissement conclues par M. MacDonald et la Banque TD. Notre Cour doit respecter la forme juridique du contrat à terme de gré à gré, lequel, selon ses termes mêmes, n’a aucun lien avec la facilité de crédit et a été conclu par M. MacDonald et la VMTD, une entité distincte de la Banque TD. Décider autrement irait à l’encontre de la décision unanime de notre Cour dans l’arrêt Shell Canada Ltée c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 622.

[63]                         Dans l’affaire Shell, le contribuable a eu recours à une opération de financement complexe pour avoir accès à 100 millions de dollars américains (« dollars US ») pour financer ses activités commerciales. Il a d’abord conclu des contrats d’achat de débentures avec trois prêteurs étrangers en vue d’emprunter 150 millions de dollars néo‑zélandais (« dollars NZ ») à un taux d’intérêt de 15,4 p. 100. Ensuite, le contribuable a conclu avec Sumitomo Bank Ltd. un contrat de change à terme qui lui permettrait d’acheter 100 millions de dollars US avec la somme empruntée en vertu des contrats d’achat de débentures. En vertu du contrat de change à terme, le contribuable pouvait également échanger des dollars US contre des dollars NZ pour un montant équivalant aux intérêts versés au titre des contrats d’achat de débentures, et d’échanger des dollars US pour le même montant que le principal en vertu de ces contrats. Cette opération devait permettre au contribuable de réaliser un gain de change sur le contrat de change à terme, au moment où il rembourserait en dollars NZ les montants dus en vertu des contrats d’achat de débentures. Dans le calcul de son revenu pour les années au cours desquelles cette opération de financement était en vigueur, le contribuable a déduit l’intérêt qu’il avait versé conformément aux contrats d’achat de débentures et déclaré le gain de change réalisé en tant que gain en capital. Le ministre du Revenu national a contesté ces réclamations au motif que, selon lui, la stratégie de financement en cause avait permis au contribuable d’obtenir des dollars US à un taux d’intérêt qui était en apparence plus élevé, mais qui, en réalité, était inférieur au taux d’intérêt qu’il aurait payé s’il avait contracté un simple prêt de 100 millions de dollars US. Une nouvelle cotisation a été établie à l’égard du gain en capital qui a été imputé au revenu. La Cour d’appel fédérale a déclaré qu’elle n’était pas liée par la forme juridique de l’opération en question, et elle a examiné les contrats d’achat de débentures et le contrat de change à terme ensemble pour établir si les sommes que le contribuable voulait déduire pouvaient être considérées comme des intérêts.

[64]                         Notre Cour a accueilli à l’unanimité le pourvoi du contribuable, et a conclu qu’il était erroné en droit de requalifier les opérations du contribuable en considérant le contrat de change à terme qui liait le contribuable et Sumitomo de pair avec les contrats d’achat de débentures conclus avec les prêteurs étrangers. Notre Cour a déclaré que la Cour d’appel fédérale avait commis une erreur en n’accordant pas suffisamment d’attention à certains « principes très importants » lorsqu’elle a écarté le fait que Sumitomo n’était pas partie aux contrats d’achat de débentures conclus par le contribuable avec les prêteurs étrangers : par. 41. Notre Cour a précisé de la façon suivante ce qu’étaient certains de ces « principes très importants » :

Notre Cour a statué à maintes reprises que les tribunaux doivent tenir compte de la réalité économique qui sous‑tend l’opération et ne pas se sentir liés par la forme juridique apparente de celle‑ci. Cependant, deux précisions à tout le moins doivent être apportées. Premièrement, notre Cour n’a jamais statué que la réalité économique d’une situation pouvait justifier une nouvelle qualification des rapports juridiques véritables établis par le contribuable. Au contraire, nous avons décidé qu’en l’absence d’une disposition expresse contraire de la [LIR ] ou d’une conclusion selon laquelle l’opération en cause est un trompe‑l’œil, les rapports juridiques établis par le contribuable doivent être respectés en matière fiscale. Une nouvelle qualification n’est possible que lorsque la désignation de l’opération par le contribuable ne reflète pas convenablement ses effets juridiques véritables. [Citations omises; par. 39.]

Notre Cour a statué à l’unanimité que les fonds obtenus par le contribuable au titre des contrats d’achat de débentures ne pouvaient être requalifiés, aux fins du calcul de l’impôt, sur la base d’autres ententes conclues par le contribuable avec d’autres entités juridiques. De plus, notre Cour a unanimement déclaré qu’il ne revenait pas aux tribunaux d’empêcher les contribuables de recourir à des structures sophistiquées pour leurs transactions, en déterminant l’obligation fiscale en fonction des « effets véritables des opérations sur les plans économique et commercial » : par. 44‑45. Les opérations doivent être traitées séparément aux fins du calcul de l’impôt.

[65]                         Bien que l’affaire Shell ne portait pas exactement sur la même question au regard de la LIR  que celle en l’espèce, je ne suis pas d’avis, à l’instar de la juge de première instance, d’interpréter de façon restrictive les énoncés généraux de « principes très importants » d’une décision unanime de notre Cour. En l’espèce, les ententes conclues par M. MacDonald avec Banque TD ne modifient pas le caractère fiscal des pertes découlant du contrat à terme de gré à gré entre VMTD et M. MacDonald. VMTD n’était partie ni à la facilité de crédit, ni à l’entente de nantissement. Il n’a pas été conclu que les ententes en cause étaient factices, et rien dans la LIR  n’exige qu’elles soient considérées comme telles.

[66]                         Comme l’a fait la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Canada c. Shell Canada Ltée, [1998] 3 C.F. 64, ma collègue invoque les ententes conclues entre M. MacDonald et Banque TD afin de requalifier le traitement fiscal des ententes qu’il a conclues avec VMTD. En ne respectant pas les rapports juridiques de M. MacDonald avec des entités distinctes, ma collègue adopte une approche axée sur la réalité économique que notre Cour a en principe rejetée à l’unanimité : Shell, par. 39‑45. Les rapports juridiques de M. MacDonald avec des entités distinctes doivent être respectés; on ne peut simplement ignorer leur personnalité juridique distincte. Le contrat à terme de gré à gré doit être traité séparément de la facilité de crédit et de l’entente de nantissement.

[67]                         De plus, il est difficile de voir ce que la facilité de crédit et l’entente de nantissement ajoutent à l’analyse de ma collègue, étant donné qu’elle considère le risque neutralisé par le contrat à terme de gré à gré comme étant le risque de « fluctuations du prix » des actions de la BNE : motifs de la juge Abella, par. 37. L’exposition de M. MacDonald aux fluctuations du prix de ses actions est un risque qui serait présent même si la facilité de crédit et l’entente de nantissement n’existaient pas. Ce que la facilité de crédit et l’entente de nantissement démontrent, c’est l’intérêt de la Banque TD à l’égard de la mitigation du risque que les actions de la BNE perdent de la valeur alors que le principal de la facilité de crédit est impayé. Par conséquent, il semble que ma collègue se fonde sur la facilité de crédit et sur l’entente de nantissement pour démontrer la manière dont le contrat à terme de gré à gré couvrait le risque éventuel de Banque TD relativement aux fluctuations du prix des actions de la BNE, dans le cas où elles sont offertes en garantie pour la facilité de crédit. Cependant, dans les cas de qualification fiscale, c’est l’intention du contribuable qui intéresse la Cour, et non l’intention des autres entités à l’autre extrémité des opérations du contribuable : P. W. Hogg, J. E. Magee et J. Li, Principles of Canadian Income Tax Law (7e éd. 2010), p. 358. L’intention de la Banque TD ne devrait pas être utilisée pour démontrer que le contrat à terme de gré à gré constituait une couverture à l’égard d’un risque qui ne concernait pas M. MacDonald. Notre Cour devrait tenir compte uniquement de l’intention de celui‑ci au moment de la conclusion du contrat à terme de gré à gré, et non de celle de la Banque TD.

[68]                         Pour que le contrat à terme de gré à gré constitue un instrument de couverture, celui‑ci et le risque lié à la propriété de M. MacDonald dans les actions de la BNE doivent être indépendants. L’opération dérivée en cause doit être considérée indépendamment des ententes conclues par le contribuable avec des entités distinctes et des risques auxquels s’exposent ces entités distinctes.

[69]                         J’ouvre ici une parenthèse pour expliquer ce que j’entends par « risque lié à la propriété » et pour souligner un point sur lequel ma collègue et moi sommes d’accord. Le risque lié à la propriété est une notion qui repose sur la reconnaissance du fait que le propriétaire d’un bien est exposé à des risques relatifs aux fluctuations de la valeur du bien, même si le propriétaire n’a pas l’intention de vendre le bien (et, de ce fait, d’encourir un risque lié à une transaction) : voir les motifs de la C.A., par. 78‑82. Comme le souligne ma collègue, la notion de risque lié à la propriété a pour effet qu’une couverture peut exister aux fins du calcul de l’impôt malgré d’absence d’opération synchronisée utilisée pour compenser les gains ou les pertes issus d’un contrat dérivé.

VII.      Rien ne justifie d’intervenir quant aux conclusions de fait de la juge de première instance

[70]                         Je ne suis pas non plus du même avis que ma collègue pour ce qui est des trois erreurs qu’elle impute à la juge de première instance, à savoir : (1) celle‑ci aurait, à tort, accordé une importance indue au témoignage de M. MacDonald et au mode de règlement du contrat à terme de gré à gré; (2) elle n’aurait pas tenu compte du fait que les actions de la BNE étaient exposées à un risque, malgré l’absence d’« opération synchrone utilisée pour compenser les gains ou les pertes »; et (3) elle aurait « forcément » été amenée à conclure, du fait de cette deuxième erreur, que M. MacDonald avait agi dans un dessein de spéculation (par. 34‑35). Je souligne également que l’analyse que fait ma collègue de la facilité de crédit et de l’entente de nantissement va à l’encontre des conclusions de la juge de première instance; cependant, comme j’ai déjà abordé la question, je n’en parlerai point davantage.

[71]                         Avec égards, j’estime qu’aucune de ces supposées erreurs ne résiste à un examen approfondi.

[72]                         Pour ce qui est de la première des erreurs reprochées, la critique formulée par ma collègue équivaut à une divergence d’opinion quant au poids à accorder au mode de règlement et au témoignage de M. MacDonald. Toutefois, le rôle de la Cour à titre de cour d’appel n’est pas de refaire le procès ni de soupeser à nouveau la preuve. Les cours d’appel ne sont pas habilitées à intervenir à l’égard d’une conclusion factuelle à laquelle elles ne souscrivent pas, lorsque ce désaccord résulte d’une divergence d’opinion sur le poids à attribuer aux éléments de preuve : Housen, par. 23. Il est tout aussi inapproprié pour les cours d’appel d’assimiler leur « opposition aux conclusions et inférences factuelles du juge du procès à de prétendues erreurs de droit » : R. c. Javanmardi, 2019 CSC 54, [2019] 4 R.C.S. 3, par. 42.

[73]                         La juge de première instance a examiné le témoignage de M. MacDonald et a expressément tenu compte des circonstances objectives :

     L’intimée fait valoir que les déclarations intéressées de M. MacDonald ne peuvent à elles seules être déterminantes de son intention. Cependant, je ne m’appuie pas uniquement sur les déclarations de M. MacDonald (c’est‑à‑dire sur son intention subjective), et je dois examiner comment son intention se manifeste objectivement, ce qui est une question de fait à trancher en tenant compte de toutes les circonstances. Comme je l’ai mentionné au paragraphe précédent, les faits et les circonstances montrent que le témoignage de M. MacDonald était crédible et fiable. [Je souligne; citations omises; par. 65.]

[74]                         En outre, le mode de règlement n’a joué qu’un rôle secondaire dans l’analyse de la juge de première instance, en tant que circonstance cadrant avec la conclusion que M. MacDonald agissait comme spéculateur :

Ma conclusion est étayée par le fait que le règlement du contrat à terme devait avoir lieu en espèces, ce qui, comme l’a exprimé M. Kurgan, est plus susceptible de se produire lors de la spéculation. Comme il est mentionné plus haut, M. MacDonald ne pouvait régler le contrat à terme par un transfert d’actions de la BNE; seul un transfert en espèces pouvait régler le contrat. La seule source de revenu pour M. MacDonald est le contrat à terme. Cependant, M. Klein était d’avis que le fait que le contrat à terme dût être réglé en espèces n’était pas un élément déterminant d’une couverture ou de la spéculation, puisque celles‑ci sont équivalentes sur le plan économique. À l’audience, M. Klein a témoigné de l’équivalence économique entre des contrats à terme dont le règlement se fait en espèces ou en éléments d’actif. Je conviens qu’il a établi ce fait. Cependant, en matière de fiscalité, la forme a de l’importance, et mon but n’est pas de déterminer l’équivalence économique de deux transactions différentes, mais les conséquences fiscales découlant d’une transaction précise, et je dois à cette fin obtenir une image précise du revenu d’un contribuable. [par. 69]

[75]                         Nulle part dans ses motifs la juge de première instance n’a‑t‑elle traité le mode de règlement comme un facteur déterminant. De fait, elle a cité le même passage tiré de l’arrêt Placer Dome Canada Ltd. c. Ontario (Ministre des Finances), 2006 CSC 20, [2006] 1 R.C.S. 715, que celui sur lequel ma collègue s’appuie pour conclure que la juge de première instance a commis une erreur :

     Néanmoins, je suis également au fait des commentaires de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Placer Dome, précité, selon lesquels « tout au moins pour l’application des PCGR [principes comptables généralement reconnus], le contrat dérivé demeure un instrument de « couverture » quel qu’en soit le dénouement » [. . .] Cependant, comme l’a aussi affirmé la Cour suprême dans l’arrêt Canderel, précité, les PCGR ne sont pas déterminants en matière de traitement fiscal . . . [par. 70]

[76]                         La juge de première instance a correctement énoncé et appliqué les principes juridiques pertinents. Elle n’a traité ni le mode de règlement, ni les déclarations d’intention de M. MacDonald comme des éléments déterminants. Je ne vois aucune raison justifiant l’intervention de la Cour. Une intervention en appel ne serait justifiée que si les énoncés d’intention du contribuable et le mode de règlement n’avaient aucune incidence juridique. Si tel était le cas, la Cour devrait tout aussi bien cesser d’affirmer que le test est fondé sur l’« intention », et reconnaître que le véritable test qu’elle applique est fondé purement sur les effets économiques de l’opération.

[77]                         La deuxième erreur reprochée, à savoir que la juge de première instance n’a pas tenu compte du fait que les actions de la BNE étaient exposées à un risque malgré l’absence d’opération y étant reliée, repose sur une interprétation erronée des motifs de la juge de première instance. Celle‑ci comprenait très bien que la couverture d’un actif immobilisé est légalement possible; elle l’a d’ailleurs indiqué clairement alors qu’elle résumait l’affaire George Weston Limited :

     La juge en chef adjointe Lamarre a souligné que la Cour suprême, dans l’arrêt Shell, précité, n’avait pas déclaré que le gain ou la perte provenant d’une opération dérivée devait nécessairement être rattaché à un gain ou à une perte découlant d’une autre opération; elle a affirmé qu’il n’y avait pas de fondement juridique justifiant que le produit tiré d’un contrat de couverture ne puisse pas être imputé au capital en l’absence de vente ou d’une vente proposée de l’élément couvert sous‑jacent. Pour conclure que les échanges avaient été utilisés à titre de couverture du placement dans les entreprises exploitées en dollars américains, la juge en chef adjointe Lamarre a pris en considération l’intention de GWL [George Weston Limitée], la valeur des échanges et la valeur des entreprises exploitées en dollars américains, laquelle était approximativement égale, en plus de la date d’acquisition des échanges, qui était assez proche de la date d’acquisition des entreprises exploitées en dollars américains. [par. 94]

[78]                         Dans l’arrêt George Weston Limited, le contribuable était exposé à un risque lié à la propriété qui avait une incidence importante sur ses activités commerciales, et qui l’avait amené à réagir en couvrant ce risque :

        . . . GWL était exposée au risque de change associé à une augmentation du ratio emprunts/capitaux propres découlant de l’élargissement de ses avoirs indirects dans des actifs américains. Ce risque a abouti à des conséquences concrètes, comme les a précisées Mme Frost et comme le montre la surveillance de la solvabilité par Standard & Poor’s, tel que cela a été mentionné plus tôt. Cela a amené la direction à couvrir le risque en recourant à des crédits croisés qui étaient directement liés à la valeur des actifs américains de GWL. [par. 75]

[79]                         Dans le présent pourvoi, la juge de première instance a démontré que les faits dans l’affaire George Weston Limited étaient différents de ceux en l’espèce, car le risque lié à la propriété couru par M. MacDonald était entièrement théorique et sans conséquence compte tenu des objectifs financiers qu’il poursuivait :

     De plus, je suis d’avis que l’intimée a commis une erreur quand elle a affirmé que le risque pour M. MacDonald concernait les actions de la BNE qu’il détenait et la possibilité d’une fluctuation des prix, citant George Weston, précité. Dans la décision George Weston, les faits sont clairs : les échanges ont été conclus pour protéger GWL d’une dévaluation du dollar américain par rapport au dollar canadien, ce qui aurait [nui] aux états financiers de GWL et sur le rapport emprunts/capitaux propres de GWL. Le risque pour GWL était clair et, sans les échanges, GWL aurait souffert de la dévaluation du dollar américain, puisque cela aurait eu un effet direct sur les états financiers de GWL et sur ses actionnaires. Lorsque le risque n’était plus présent, GWL a liquidé les échanges.

     Toutefois, je suis d’avis que la situation sur laquelle je dois me pencher est entièrement différente en ce qui a trait à l’existence d’un risque. Dans son argumentation, l’intimée n’a pas tenu compte des faits réels de l’espèce. M. MacDonald a témoigné qu’il voulait conserver les actions de la BNE à très long terme. Il n’a vendu qu’un petit nombre de ses actions de la BNE au cours des ans pour rééquilibrer son portefeuille. Il possédait des actions de la BNE depuis 30 ans. Il a conclu le contrat à terme, qui devait être réglé en espèces, ce qui confirme son intention de ne pas vendre les actions de la BNE. Je ne vois pas comment M. MacDonald aurait pu être exposé à un risque associé aux actions de la BNE qu’il détenait, puisqu’il voulait ne jamais vendre les actions de la BNE; en fait, il n’en a vendu qu’un petit nombre. Tant qu’il ne vendait pas ses actions de la BNE, il n’était exposé à aucun risque du fait qu’il les détenait, et je ne vois pas comment la fluctuation des prix aurait pu le toucher. [par. 103‑104]

[80]                         Dans ce passage, la juge de première instance n’a pas nié que la loi reconnaît la notion de risque lié à la propriété. Elle a plutôt décidé, comme question de fait, d’après son appréciation de l’ensemble de la preuve et sa conclusion que M. MacDonald était un témoin crédible et fiable, que le risque lié à la propriété à court terme n’était pas une préoccupation importante pour celui‑ci, et que cette éventualité ne guidait donc pas sa conduite ni ses intentions. Il ne s’agit pas là d’une erreur de droit, mais d’une conclusion de fait susceptible de révision uniquement selon la norme de l’erreur manifeste et déterminante. Je ne relève aucune telle erreur et, par conséquent, aucun motif justifiant l’intervention de la Cour.

[81]                         La dernière erreur qu’aurait commise la juge de première instance tiendrait à ce que le traitement qu’elle a appliqué à la notion du risque lié à la propriété a vicié sa conclusion à l’effet que la « seule intention » de M. MacDonald au moment de conclure le contrat à terme de gré à gré avait été de spéculer. Ici, il faut lire les motifs de la juge de première instance dans leur ensemble, plutôt que d’effectuer une analyse chirurgicale de phrases précises isolées. Elle n’a pas, afin de déterminer l’intention de M. MacDonald, limité son examen à l’absence du risque de fluctuation du cours des actions. Elle a plutôt pris en considération un certain nombre de facteurs objectifs et tiré des conclusions relatives à la crédibilité et à la fiabilité, lesquelles commandent la retenue en appel :

     Je suis d’avis que la seule intention de M. MacDonald au moment de conclure le contrat à terme était de spéculer sur une baisse prévue du cours des actions de la BNE et d’en tirer profit; son témoignage était crédible et fiable, et il était un témoin très digne de foi . . .

     . . . Les faits démontrent que M. MacDonald avait une intention légitime de tirer un bénéfice du contrat à terme. Lorsqu’il a conclu le contrat à terme, il n’était pas possible de dire avec certitude s’il devrait faire un paiement à VMTD ou s’il recevrait un montant de VMTD. Le contrat à terme permettait à M. MacDonald de spéculer sur la possibilité que le cours des actions de la BNE baisse à court terme et qu’il puisse tirer profit de cette baisse prévue. Son témoignage n’a pas été contredit et les faits appuient son témoignage.

     Je suis d’accord avec les observations suivantes soulevées par l’appelant. M. MacDonald a conclu un contrat à terme qui ne pouvait faire l’objet que d’un règlement en espèces. Par conséquent, le contrat à terme ne comportait pas d’échange, de vente ou de livraison d’actions de la BNE. [. . .] En outre, le contrat à terme lui‑même indique que la transaction était une opération commerciale, puisqu’il est de nature hautement spéculative, qu’il présente un fort potentiel de perte et de bénéfice, qu’il s’agit d’une opération isolée et non récurrente et qu’il n’a pas été utilisé pour réaliser un gain de la valeur des actions de la BNE . . . 

      . . .

     . . . Je suis d’avis que la preuve démontre, selon la prépondérance des probabilités, que l’intention de M. MacDonald au moment de signer le contrat à terme était de réaliser un bénéfice en spéculant que le cours des actions de la BNE baisserait, en raison des nuages sombres qu’il voyait s’accumuler sur les marchés financiers et dont il a fait mention dans son témoignage : la crise de la dette asiatique en 1997, l’effondrement du baht thaïlandais, le mini‑krach boursier d’octobre 1997 à la bourse de New York, la crise de la dette russe en 1998 et l’effondrement du fonds de couverture Long Term Capital Management en 1998. Selon ses propres mots, M. MacDonald avait l’intention [traduction] « de réaliser un profit de la baisse prévue de la valeur des actions de la Banque de la Nouvelle‑Écosse en raison des nuages sombres que je voyais s’accumuler à l’horizon financier ». Le témoignage de M. MacDonald montre clairement qu’il avait l’intention de spéculer — il voulait tirer profit d’une baisse possible du cours des actions de la BNE à la lumière de l’état des marchés financiers au moment où il a négocié le contrat à terme.

     . . . Selon le témoignage de M. MacDonald, que j’ai trouvé crédible et fiable, ses prévisions défavorables à court terme découlaient des préoccupations que lui inspiraient ces nuages sombres dans les marchés internationaux et du fait qu’à son avis, la BNE était la banque canadienne qui présentait la plus grande exposition à ces événements à l’étranger. Sa croyance était fondée sur la vaste expérience acquise durant ses nombreuses années de travail dans les marchés financiers et sur l’information cruciale dont il disposait sur la BNE en particulier. Dans son témoignage, M. MacDonald a établi clairement quelle était son intention au moment de conclure le contrat à terme. À titre de personne bien informée sur le monde de la finance, il voyait les nuages sombres qui s’accumulaient à l’horizon. De plus, parce qu’il avait occupé des postes de très haut niveau pendant plusieurs années à la BNE, il était en mesure de conclure de façon raisonnable que la BNE était la banque canadienne la plus exposée aux turbulences des marchés étrangers.

      . . .

     Un autre fait très important dont il faut tenir compte en l’espèce est que M. MacDonald avait l’intention de ne jamais vendre ses actions de la BNE et qu’il voulait les conserver à très long terme. Les faits étayent aussi cette partie de son témoignage, puisque M. MacDonald n’a vendu qu’une petite partie de ses actions de la BNE au fil des années afin de rééquilibrer son portefeuille. En 2003 et en 2004, il n’a vendu aucune action de la BNE (il a fait don de 400 actions de la BNE en 2004). En 2005, alors que VFC [Inc., société dont il était président et actionnaire] commençait à connaître beaucoup de succès, M. MacDonald a vendu 273 000 actions de la BNE, soit 37 % de sa participation. La raison invoquée par M. MacDonald pour la vente des actions de la BNE était crédible : puisqu’il était l’un des fondateurs de VFC, il n’aurait pas envoyé un bon message en vendant des actions de VFC. De plus, en 2006, M. MacDonald a acquis des actions de la Banque TD en échange de ses actions de VFC et a décidé de vendre une partie de ses actions de la BNE et de la Banque TD afin de rééquilibrer son portefeuille. En 2006, M. MacDonald a vendu 10 000 actions de la BNE, ce qui ne représentait que 2,2 % de sa participation. Le témoignage de M. MacDonald a été très clair : les actions de la BNE constituent la pierre angulaire de son portefeuille de placements, représentant environ 15 % de la valeur de son portefeuille à la date de l’audience. Par conséquent, il est clair que M. MacDonald a pris un risque financier très important en concluant le contrat à terme. Si le cours des actions de la BNE avait augmenté, il aurait dû faire un paiement à VMTD. Comme il ne voulait pas vendre ses actions de la BNE et qu’il n’a pas, en fait, vendu d’actions de la BNE lorsqu’il a fait des paiements en vertu du contrat à terme, il est évident que le fait de faire des paiements en vertu du contrat à terme sans vendre des actions de la BNE correspondantes plaçait M. MacDonald dans une situation financière désavantageuse. Par conséquent, on ne peut conclure qu’il a réalisé un gain en concluant le contrat à terme. En outre, et en gardant à l’esprit le fait important que M. MacDonald a déclaré qu’il souhaitait conserver ses actions de la BNE à très long terme, je ne peux voir pourquoi M. MacDonald aurait conclu le contrat à terme dans l’intention d’effectuer un paiement à VMTD, ce qui reviendrait à perdre de l’argent. [Je souligne; par. 59‑66.]

[82]                         Compte tenu de l’ensemble de la preuve et des circonstances objectives examinées par la juge de première instance, je ne peux accepter que son opinion concernant la notion de risque lié à la propriété l’a forcément amenée à conclure que M. MacDonald avait l’intention de spéculer. Comme je l’ai déjà conclu, la juge de première instance n’a pas commis d’erreur de droit en appliquant incorrectement la notion de risque lié à la propriété, ou en niant son existence. À défaut d’une erreur de droit isolable, les conclusions de fait de la juge de première instance voulant que M. MacDonald ait eu l’intention de spéculer, et qu’il ait manifesté objectivement cette intention, sont des conclusions de fait susceptibles de révision uniquement selon la norme de l’erreur manifeste et déterminante. Une telle erreur n’a pas été établie en l’espèce. Je ne vois donc aucune raison justifiant l’intervention de notre Cour.

VIII.   Le rattachement

[83]                         J’arrive maintenant à la question du rattachement, laquelle est importante pour établir si le contribuable a manifesté objectivement son intention de couvrir. Le lien temporel entre le contrat à terme de gré à gré et les actions de la BNE est ténu, étant donné que M. MacDonald détenait ses actions de la BNE depuis environ 10 ans quand il a conclu le contrat à terme de gré à gré, que ce contrat était une opération isolée et qu’il est demeuré en vigueur pendant 16 mois après que M. MacDonald a remboursé le solde dû sur la facilité de crédit. Le lien quant au quantum est également imparfait, car le nombre d’actions de la BNE auxquelles s’appliquait le contrat à terme de gré à gré ne correspondait pas exactement au nombre d’actions de la BNE détenues par M. MacDonald au moment pertinent. Je reconnais néanmoins que, pendant la durée de son existence, le contrat à terme de gré à gré offrait théoriquement une couverture partielle économique du risque relatif à la propriété auquel était exposé M. MacDonald en ce qui concerne les actions de la BNE. Toutefois, l’analyse ne s’arrête pas à la réalité économique.

[84]                         Monsieur  MacDonald a le droit d’être imposé en fonction de ce qu’il a véritablement fait, et non de ce qu’il aurait pu faire : Shell, par. 45. Parce que le contrat à terme de gré à gré devait être réglé en espèces, M. MacDonald pouvait seulement compenser le risque qu’il courait en vendant une quantité correspondante d’actions de la BNE pour couvrir ses pertes. Cependant, il n’a pas vendu ses actions au même moment où il a subi ses pertes, ou dans une période rapprochée. De plus, le contrat à terme de gré à gré constituait une opération isolée, qui ne faisait pas régulièrement ou systématiquement partie de ses pratiques en matière de finances ou d’investissement. Monsieur  MacDonald a donc davantage agi comme une personne qui spécule plutôt que comme une personne qui effectue une opération de couverture.

[85]                         En outre, étant donné que l’arrêt Shell exige de notre Cour qu’elle examine le contrat à terme de gré à gré séparément de la facilité de crédit et de l’entente de nantissement aux fins du calcul de l’impôt, la juge de première instance a eu raison de ne pas tenir compte des divers liens, proposés par l’intimée, entre la facilité de crédit et le contrat à terme de gré à gré. Comme je l’ai déjà souligné, la juge de première instance a soigneusement passé en revue les indices objectifs laissant croire que le contrat à terme de gré à gré était spéculatif, et a accepté ces éléments de preuve. De surcroît, comme il a été mentionné plus tôt, M. MacDonald était indifférent quant au risque relatif à la propriété.

[86]                         Tout bien considéré, même si certains indicateurs économiques objectifs sont compatibles avec une intention de couvrir, il existe également des circonstances objectives tendant à indiquer une intention de spéculer, et je ne suis pas convaincue que les conclusions de fait de la juge de première instance doivent être infirmées sur la base d’une norme de contrôle qui commande la déférence. Comme je l’ai mentionné précédemment, le rôle de notre Cour n’est pas de refaire le procès ni de soupeser à nouveau la preuve : Housen, par. 23. Lorsque la question en appel soulève l’interprétation de l’ensemble de la preuve par le juge de première instance, cette interprétation ne doit pas être infirmée en l’absence d’erreur manifeste et déterminante : par. 36. Une telle erreur n’a pas été établie en l’espèce. Je suis donc d’avis de rétablir la conclusion de la juge de première instance selon laquelle les pertes de M. MacDonald issues du contrat à terme de gré à gré découlent d’un projet comportant un risque à caractère commercial, et sont par conséquent déductibles du revenu de M. MacDonald.

IX.         Conclusion

[87]                         En dernière analyse, ma collègue prétend adopter un test fondé sur l’intention du contribuable. Toutefois, son application de ce test aux faits du présent pourvoi permet de constater qu’elle applique en fait un test qui repose sur les réalités économiques des ententes conclues par M. MacDonald avec d’autres entités. Dans l’arrêt Shell, notre Cour a unanimement statué que les réalités économiques ne peuvent être utilisées pour requalifier des rapports juridiques véritables. La Cour ne peut faire fi d’une jurisprudence unanime, des normes de contrôle applicables, des conclusions de fait et de l’appréciation de la crédibilité faite par la juge de première instance à seule fin d’appliquer le test axé sur l’intention à une opération de couverture économique théorique, ce qui équivaut à faire passer un chameau par le chas d’une aiguille.

[88]                         Pour les motifs qui précèdent, je suis d’avis d’accueillir le pourvoi et de rétablir l’ordonnance de la juge de première instance.

                    Pourvoi rejeté avec dépens, la juge Côté est dissidente.

                    Procureurs de l’appelant : Davies Ward Phillips & Vineberg, Toronto.

                    Procureur de l’intimée : Procureur général du Canada, Ottawa.

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