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COUR SUPRÊME DU CANADA

 

Référence : R. c. K.G.K., 2020 CSC 7, [2020] 1 R.C.S. 364

Appel entendu : 25 septembre 2019

Jugement rendu : 20 mars 2020

Dossier : 38532

 

Entre :

K.G.K.

Appelant

 

et

 

Sa Majesté la Reine

Intimée

 

- et -

 

Directrice des poursuites pénales, procureur général de l’Ontario, directeur des poursuites criminelles et pénales et Criminal Lawyers’ Association of Ontario

Intervenants

 

 

Traduction française officielle

 

Coram : Le juge en chef Wagner et les juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Côté, Brown, Rowe, Martin et Kasirer

 

Motifs de jugement :

(par. 1 à 84)

Le juge Moldaver (avec l’accord du juge en chef Wagner et des juges Karakatsanis, Côté, Brown, Rowe, Martin et Kasirer)

 

Motifs concordants :

(par. 85 à 94)

 

La juge Abella

 

 


 


K.G.K.                                                                                                               Appelant

c.

Sa Majesté la Reine                                                                                            Intimée

et

Directrice des poursuites pénales,

procureur général de l’Ontario,

directeur des poursuites criminelles et pénales et

Criminal Lawyers’ Association of Ontario                                              Intervenants

Répertorié : R. c. K.G.K.

2020 CSC 7

No du greffe : 38532.

2019 : 25 septembre; 2020 : 20 mars.

Présents : Le juge en chef Wagner et les juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Côté, Brown, Rowe, Martin et Kasirer.

en appel de la cour d’appel du manitoba

                    Droit constitutionnel — Charte des droits — Procès dans un délai raisonnable — Temps de délibération en vue du prononcé du verdict — Délai de neuf mois entre la fin de la présentation de la preuve et des plaidoiries au procès et le prononcé du verdict par le juge du procès — L’alinéa 11b)  de la Charte canadienne des droits et libertés  s’applique‑t‑il au temps de délibération en vue du prononcé du verdict? — Si oui, le temps de délibération en vue du prononcé du verdict est‑il inclus dans les plafonds présumés établis par l’arrêt Jordan? — Test à appliquer pour évaluer si le délai découlant du temps de délibération en vue du prononcé du verdict a entraîné une violation du droit d’être jugé dans un délai raisonnable.

                    K a été inculpé en avril 2013 d’infractions sexuelles contre sa belle‑fille. La présentation de la preuve et des plaidoiries au procès a pris fin le 21 janvier 2016. Le juge du procès a mis l’affaire en délibéré. Après s’être enquises quant à l’état du dossier de K, les parties ont été informées le 30 septembre 2016 que le juge du procès rendrait sa décision le 25 octobre 2016. Le juge du procès a rendu sa décision comme prévu, déclarant K coupable. Toutefois, la veille, K avait déposé une requête en arrêt des procédures au motif que le délai qui s’était écoulé entre la date du dépôt des accusations et la date à laquelle le verdict devait être rendu était déraisonnable et portait atteinte au droit que lui garantit l’al. 11 b )  de la Charte  d’être jugé dans un délai raisonnable. Le juge du procès s’est récusé eu égard à la requête en arrêt des procédures. Le juge des requêtes a rejeté la requête de K, concluant que ni le temps de délibération en vue du prononcé du verdict qu’il avait fallu au juge du procès ni le délai s’étant écoulé entre le dépôt des accusations et le dernier jour du procès n’avaient entraîné une violation des droits que l’al. 11b) garantit à K. Les juges majoritaires de la Cour d’appel ont rejeté l’appel de K.

                    Arrêt : L’appel est rejeté.

                    Le juge en chef Wagner et les juges Moldaver, Karakatsanis, Côté, Brown, Rowe, Martin et Kasirer : Bien que le droit d’être jugé dans un délai raisonnable enchâssé dans l’al. 11b) s’applique au‑delà de la fin de la présentation de la preuve et des plaidoiries dans le cadre du procès et englobe le temps de délibération en vue du prononcé du verdict, ce n’est pas le cas des plafonds présumés fixés par la Cour dans l’arrêt Jordan. Lorsque l’accusé soutient que le temps de délibération en vue du prononcé du verdict qu’il a fallu au juge du procès a violé le droit d’être jugé dans un délai raisonnable que lui garantit l’al. 11b), il doit établir que le temps consacré aux délibérations a été nettement plus long qu’il aurait dû raisonnablement l’être compte tenu de l’ensemble des circonstances. Il s’agit d’un lourd fardeau pour l’accusé en raison de l’application de la présomption d’intégrité judiciaire.

                    Les plafonds présumés fixés par l’arrêt Jordan n’étaient pas censés viser toute la période à laquelle s’applique l’al. 11b). Interprétés correctement, ces plafonds s’appliquent à compter de la date du dépôt des accusations jusqu’à la fin réelle ou anticipée de la présentation de la preuve et des plaidoiries. Ils apportent une solution précise à un problème précis : la culture de complaisance à l’endroit de l’écoulement de délais excessifs avant que les inculpés soient traduits en justice. Rien ne suggère dans la présente affaire que le délai découlant du temps de délibération en vue du prononcé du verdict contribue au problème systémique auquel l’arrêt Jordan cherchait à remédier, et rien ne le suggérait dans l’arrêt Jordan. En outre, de nombreux problèmes d’ordre pratique surgiraient si les plafonds présumés devaient inclure le temps de délibération en vue du prononcé du verdict, ce qui contrecarrerait les objectifs de clarté et de prévisibilité visés par l’arrêt Jordan.

                    Lorsqu’il s’agit de déterminer si le délai attribuable au temps de délibération en vue du prononcé du verdict a porté atteinte au droit de l’accusé d’être jugé dans un délai raisonnable, il faut se demander si ce temps de délibération a été nettement plus long qu’il aurait dû raisonnablement l’être compte tenu de l’ensemble des circonstances. Ce test doit être abordé en tenant compte de la présomption d’intégrité dont bénéficient les juges. La présomption d’intégrité judiciaire fait naître dans ce contexte une présomption selon laquelle, d’une part, le juge du procès a mis en balance la nécessité d’instruire rapidement les affaires, les considérations liées à l’équité du procès et les contraintes pratiques auxquelles il faisait face et selon laquelle, d’autre part, il n’a pris que le temps raisonnablement nécessaire compte tenu des circonstances pour rendre un verdict juste. Il incombe à l’accusé de réfuter cette présomption en expliquant pourquoi, compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’affaire, le temps de délibération en vue du prononcé du verdict a été nettement plus long qu’il aurait dû raisonnablement l’être. Le seuil est élevé en raison de l’importance considérable de la présomption d’intégrité.

                    Lorsqu’elle procède à cette appréciation objective, la cour de révision doit tenir compte de l’ensemble des circonstances. Parmi les considérations pertinentes, figurent : le temps de délibération en vue du prononcé du verdict; la proximité du temps écoulé avant que le juge du procès ne prenne la cause en délibéré avec le plafond pertinent fixé par l’arrêt Jordan; la complexité de l’affaire; n’importe quel élément au dossier émanant du juge ou de la cour. Il peut aussi être utile de comparer le temps qu’il a fallu avec le temps qu’il faut généralement pour trancher une affaire de nature semblable dans des circonstances semblables.

                    Compte tenu de l’ensemble des circonstances, K ne s’est pas acquitté du fardeau d’établir qu’il y a eu violation de son droit d’être jugé dans un délai raisonnable au sens où il faut l’entendre pour l’application de l’al. 11b). Bien que la présente affaire frôle la limite, le temps qu’il a fallu au juge du procès pour rendre son verdict n’a pas été nettement plus long qu’il aurait dû raisonnablement l’être compte tenu de l’ensemble des circonstances. En l’espèce, c’est le fait que le procès de K et une grande partie du temps de délibération du juge du procès se sont respectivement déroulés et écoulés avant la publication de l’arrêt de la Cour dans Jordan qui est le facteur le plus important. L’appréciation antérieure à l’arrêt Jordan qu’a faite le juge du procès de l’équilibre requis entre la nécessité d’instruire rapidement les affaires, les considérations liées à l’équité du procès et les contraintes pratiques auxquelles il faisait face était raisonnable à l’époque. Même si la fin de la présentation de la preuve et des plaidoiries a eu lieu à une date rapprochée du plafond de 30 mois fixé par l’arrêt Jordan, cette proximité dans une cause transitoire (comme celle‑ci) ne permet pas de déterminer si le temps de délibération en vue du prononcé du verdict a été ou non raisonnable. Cela dit, si l’arrêt Jordan avait déjà été rendu lorsque le juge du procès a pris la cause de K en délibéré, la proximité du délai avec le plafond aurait sans aucun doute été un facteur qu’il aurait pris en considération pour juger du temps dont il avait raisonnablement besoin pour rendre son verdict. Il ne peut lui être reproché de ne pas avoir tenu compte de ce facteur avant le prononcé de l’arrêt Jordan. Qui plus est, le juge des requêtes n’a pas commis d’erreur en concluant que, une fois la durée du délibéré soustraite du délai total qui s’est écoulé avant le prononcé du verdict, la présente cause constitue une mesure transitoire exceptionnelle au sens de l’arrêt Jordan.

                    La juge Abella : Il y accord avec le résultat auquel arrivent les juges majoritaires quant à l’appel et avec la majeure partie de leur analyse. Toutefois, rien ne justifie d’exiger que l’accusé réfute la présomption d’intégrité judiciaire pour démontrer que le temps consacré à la délibération a été déraisonnable. Les facteurs objectifs et contextuels exposés par les juges majoritaires pour évaluer si le temps de délibération a été nettement plus long qu’il aurait dû raisonnablement l’être ne nécessitent pas d’évaluer l’intégrité du juge. La norme du délai « nettement plus long » constitue déjà un seuil élevé. Ajouter au fardeau de l’accusé l’obligation non pertinente sur le plan conceptuel de démontrer que le juge du procès a agi sans intégrité élève ce fardeau à un seuil inatteignable.

                    De plus, les juges majoritaires semblent avoir écarté le rôle de la personne raisonnable lorsqu’il s’agit de déterminer si la présomption d’intégrité judiciaire a été réfutée. Éliminer le rôle de la personne raisonnable, un élément clé de l’évaluation servant à déterminer si la présomption d’intégrité judiciaire a été réfutée, alourdit forcément le fardeau de l’accusé en exigeant que la cour de révision tire une conclusion directe quant à l’état d’esprit subjectif du juge et quant à son intégrité. Le test pour juger du caractère déraisonnable du temps de délibération serait plus efficace et équitable, et plus compatible avec l’arrêt Jordan, s’il consistait exclusivement à évaluer les facteurs objectifs et contextuels à l’origine du délai, et ne comportait pas l’obligation supplémentaire de réfuter la présomption d’intégrité judiciaire.

Jurisprudence

Citée par le juge Moldaver

                    Arrêts examinés : R. c. Jordan, 2016 CSC 27, [2016] 1 R.C.S. 631; R. c. Rahey, [1987] 1 R.C.S. 588; R. c. MacDougall, [1998] 3 R.C.S. 45; arrêts mentionnés : R. c. K.J.M., 2019 CSC 55, [2019] 4 R.C.S. 39; R. c. Morin, [1992] 1 R.C.S. 771; R. c. Godin, 2009 CSC 26, [2009] 2 R.C.S. 3; R. c. Henry, 2005 CSC 76, [2005] 3 R.C.S. 609; R. c. Cody, 2017 CSC 31, [2017] 1 R.C.S. 659; R. c. Jordan, 2014 BCCA 241, 357 B.C.A.C. 137; R. c. Jordan, 2012 BCSC 1735; R. c. Brown, 2018 NSCA 62, 364 C.C.C. (3d) 238; R. c. Lamacchia, 2012 ONSC 2583, 258 C.R.R. (2d) 370; Cojocaru c. British Columbia Women’s Hospital and Health Centre, 2013 CSC 30, [2013] 2 R.C.S. 357; R. c. Teskey, 2007 CSC 25, [2007] 2 R.C.S. 267; R. c. R.E.M., 2008 CSC 51, [2008] 3 R.C.S. 3; R. c. Allen (1996), 92 O.A.C. 345; R. c. Potvin, [1993] 2 R.C.S. 880.

Citée par la juge Abella

                    Arrêt examiné : R. c. Jordan, 2016 CSC 27, [2016] 1 R.C.S. 631; arrêts mentionnés : Cojocaru c. British Columbia Women’s Hospital and Health Centre, 2013 CSC 30, [2013] 2 R.C.S. 357; R. c. Teskey, 2007 CSC 25, [2007] 2 R.C.S. 267; R. c. Chan, 2019 ABCA 82, 82 Alta. L.R. (6th) 1; 8640025 Canada Inc. (Re), 2019 BCCA 473, 75 C.B.R. (6th) 3; Bande indienne Wewaykum c. Canada, 2003 CSC 45, [2003] 2 R.C.S. 259; Newfoundland Telephone Co. c. Terre‑Neuve (Board of Commissioners of Public Utilities), [1992] 1 R.C.S. 623.

Lois et règlements cités

Charte canadienne des droits et libertés , art. 11 b ) .

Doctrine et autres documents cités

Canada. Conseil canadien de la magistrature. Principes de déontologie judiciaire, Ottawa, 2004.

Canada. Sénat. Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Justice différée, justice refusée : L’urgence de réduire les longs délais dans le système judiciaire au Canada (Rapport final), Ottawa, 2017.

                    POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Manitoba (les juges Hamilton, Monnin et Cameron), 2019 MBCA 9, 429 C.R.R. (2d) 1, [2019] 5 W.W.R. 492, 373 C.C.C. (3d) 1, [2019] M.J. No. 24 (QL), 2019 CarswellMan 47 (WL Can.), qui a confirmé une décision du juge en chef Joyal de la Cour du Banc de la Reine, 2017 MBQB 96, [2017] 11 W.W.R. 179, [2017] M.J. No. 148 (QL), 2017 CarswellMan 236 (WL Can.). Pourvoi rejeté.

                    Katherine L. Bueti et Amanda Sansregret, pour l’appelant.

                    Michael Conner, Renée Lagimodière et Charles Murray, pour l’intimée.

                    John Walker, pour l’intervenante la directrice des poursuites pénales.

                    Joanne Stuart, pour l’intervenant le procureur général de l’Ontario.

                    Nicolas Abran, pour l’intervenant le directeur des poursuites criminelles et pénales.

                    Jill R. Presser, pour l’intervenante Criminal Lawyers’ Association of Ontario.

Version française du jugement du juge en chef Wagner et des juges Moldaver, Karakatsanis, Côté, Brown, Rowe, Martin et Kasirer rendu par

                    Le juge Moldaver —

I.               Aperçu

[1]                              L’alinéa 11 b )  de la Charte canadienne des droits et libertés  prévoit que tout inculpé a le droit d’être jugé dans un délai raisonnable. Dans l’arrêt R. c. Jordan, 2016 CSC 27, [2016] 1 R.C.S. 631, la Cour a établi un nouveau cadre d’analyse pour l’application de cette disposition conçu pour venir à bout de la culture de complaisance qui s’était développée au sein du système de justice criminelle et qui laissait s’écouler des délais excessifs avant que l’on traduise les inculpés en justice. À cette fin, la Cour a fixé des plafonds au‑delà desquels le délai est présumé déraisonnable pour l’application de l’al. 11b).

[2]                              En l’espèce, la Cour est appelée à examiner l’application de l’al. 11b) dans le cas où le juge du procès met l’affaire en délibéré. Initialement, le pourvoi soulève deux questions : l’al. 11b) s’applique‑t‑il au temps de délibération en vue du prononcé du verdict, soit le temps mis par le juge du procès pour délibérer et rendre une décision après la présentation de la preuve et des plaidoiries au procès; et, si oui, le délai qu’entraîne la délibération en vue du prononcé du verdict est‑il inclus dans les plafonds présumés fixés par l’arrêt Jordan?

[3]                              Quant à la première de ces questions, il est acquis que la protection que garantit l’al. 11b) s’étend au‑delà de la fin de la présentation de la preuve et des plaidoiries dans le cadre du procès, jusqu’à la date du prononcé de la peine inclusivement (voir R. c. Rahey, [1987] 1 R.C.S. 588; R. c. MacDougall, [1998] 3 R.C.S. 45). Il s’ensuit que le temps de délibération en vue du prononcé du verdict, qui précède forcément celui de la peine, est assujetti à l’examen qu’entraîne l’al. 11b). Ensuite, pour les motifs qui suivent, j’estime que les plafonds fixés par l’arrêt Jordan — au‑delà desquels le délai est présumé déraisonnable pour l’application de l’al. 11b) — s’appliquent jusqu’à la fin de la présentation de la preuve et des plaidoiries dans le cadre du procès, et pas plus. Ils ne comprennent pas le temps de délibération en vue du prononcé du verdict.

[4]                              Ces conclusions soulèvent une autre question, soit celle de savoir comment il faut apprécier le délai attribuable au temps de délibération en vue du prononcé du verdict pour déterminer s’il y a eu atteinte au droit de l’accusé d’être jugé dans un délai raisonnable. À mon avis, il y aura une atteinte à ce droit de l’accusé d’être jugé dans un délai raisonnable au sens où il faut l’entendre pour l’application de l’al. 11b) s’il est conclu que le temps de délibération en vue du prononcé du verdict a été nettement plus long qu’il aurait dû raisonnablement l’être compte tenu de l’ensemble des circonstances. Comme je l’expliquerai, il s’agit d’un lourd fardeau pour l’accusé en raison de l’application de la présomption d’intégrité judiciaire. Suivant cette présomption, les juges de première instance sont les mieux placés pour mettre en balance les diverses considérations éclairant le temps de délibération en vue du prononcé du verdict, et le temps de délibération en vue du prononcé du verdict qu’il a fallu au juge dans une affaire donnée n’a pas été plus long qu’il était raisonnablement nécessaire qu’il le soit compte tenu des circonstances.

[5]                              En l’espèce, il a fallu au juge du procès un peu plus de neuf mois pour prononcer son verdict dans une affaire assez simple, d’une complexité minimale à moyenne — ce qui constitue, certes, un long délai. Cela dit, si l’on tient compte de l’ensemble des circonstances — notamment du fait que la présentation de la preuve et des plaidoiries a eu lieu avant l’arrêt de la Cour dans Jordan, et que la majeure partie du temps de délibération en vue du prononcé du verdict s’est écoulée avant le prononcé de cet arrêt —, je ne suis pas convaincu que K.G.K. s’est acquitté du fardeau d’établir qu’il y a eu violation de son droit d’être jugé dans un délai raisonnable au sens où il faut l’entendre pour l’application de l’al. 11b). Certes, la présente affaire frôle la limite. Cependant, je ne peux pas dire que le temps qu’il a fallu au juge du procès pour rendre son verdict a été nettement plus long qu’il aurait dû raisonnablement l’être compte tenu de l’ensemble des circonstances. Par conséquent, je suis d’avis de rejeter le pourvoi.

II.            Faits

[6]                              K.G.K. a été inculpé en avril 2013 d’infractions sexuelles contre sa belle‑fille, qui était mineure à l’époque. Les accusations visaient une période allant de 2002 à 2013. K.G.K. a d’abord nié les allégations, mais a plus tard admis avoir commis trois ou quatre actes précis d’agression sexuelle entre 2011 et 2013.

[7]                              Quatre jours après avoir été inculpé, K.G.K. a comparu devant la cour provinciale à Winnipeg (au Manitoba) et a obtenu sa mise en liberté provisoire. À compter de ce moment, le dossier a avancé lentement. Les avocats de la Couronne et de la défense n’ont eu aucune conversation sérieuse entre avril et août 2013, et ils n’ont fixé les dates de l’enquête préliminaire qu’en septembre 2013.

[8]                              L’enquête préliminaire n’a été tenue que plus d’un an plus tard, soit le 14 octobre 2014. Le 15 décembre 2014, après que K.G.K. a été renvoyé à procès devant un juge de la Cour du Banc de la Reine du Manitoba siégeant seul, les parties ont tenu une conférence préparatoire. La date du procès n’a toutefois pas pu être fixée parce que la Couronne envisageait d’inculper K.G.K. d’autres chefs d’accusation relatifs à d’autres plaignants et prévoyait présenter une requête en jonction des poursuites si le dépôt de ces accusations était autorisé. La conférence a été ajournée sans que la défense n’émette de protestation.

[9]                              Une seconde conférence préparatoire a été tenue le 15 janvier 2015. Celle‑ci, à l’instar de la première, a été ajournée sans que la date du procès soit fixée.

[10]                          Deux semaines plus tard, lors de la troisième conférence préparatoire, la Couronne a indiqué qu’elle ne présenterait pas de requête en jonction, et il a été prévu que le procès de K.G.K. aurait lieu du 11 au 22 janvier 2016. Des dates plus rapprochées (du 19 au 30 octobre 2015) étaient disponibles, mais l’avocate de la défense, elle, ne l’était pas.

[11]                          À aucun moment entre le dépôt des accusations en avril 2013 et le début du procès de K.G.K. le 11 janvier 2016, la Couronne ou la défense n’ont‑elles exprimé quelques préoccupations que ce soit au sujet du délai. Elles semblent s’être attendues à de tels délais, et même les avoir considérés comme des délais communs.

[12]                          La présentation de la preuve et des plaidoiries au procès de K.G.K. a pris fin le 21 janvier 2016. Le juge du procès a mis l’affaire en délibéré, indiquant qu’il avait [traduction] « quelques affaires en délibéré », mais espérait « statuer sur la présente affaire le plus rapidement possible ».

[13]                          Les parties n’ont eu aucune nouvelle pendant plusieurs mois. En mai 2016, alors que l’avocate de la défense comparaissait devant le juge du procès relativement à une autre affaire, elle s’est informée de l’état du dossier de K.G.K. Le juge du procès a indiqué qu’il rendrait sa décision sous peu.

[14]                          Le 14 septembre 2016, la Couronne a écrit au juge en chef adjoint de la Cour du Banc de la Reine (Division générale) pour savoir où en était le délibéré en vue du prononcé du verdict. Le juge en chef adjoint a répondu que les avocats seraient contactés sous peu pour que soit fixée une date à laquelle la décision serait rendue.

[15]                          Le 30 septembre 2016, les parties ont été informées que le juge du procès rendrait sa décision le 25 octobre 2016. Le 24 octobre 2016, K.G.K. a déposé une requête en arrêt des procédures au motif que le délai qui s’était écoulé entre la date du dépôt des accusations et la date à laquelle le verdict devait être rendu était déraisonnable et portait atteinte aux droits que lui garantit l’al. 11b). Bien qu’il ait reçu la requête en question, le juge du procès a rendu sa décision comme prévu le 25 octobre, déclarant K.G.K. coupable d’un chef de contacts sexuels, d’un chef d’incitation à des contacts sexuels et d’un chef d’agression sexuelle.

[16]                          K.G.K. a reconnu en toute franchise que [traduction] « [l]e prononcé de l’arrêt Jordan [le 8 juillet 2016] a[vait] entraîné le dépôt de la requête concernant le délai » (m.a., par. 174). Puisque le temps de délibération en vue du prononcé du verdict qu’il avait fallu au juge était au cœur de sa requête en arrêt des procédures, K.G.K. a également présenté une requête en récusation du juge du procès, alléguant qu’il existait une crainte raisonnable de partialité compte tenu des circonstances. Le juge du procès a accueilli la requête en récusation, et celle en arrêt des procédures fondée sur l’al. 11b) a été instruite par le juge en chef Joyal de la Cour du Banc de la Reine.

III.         Décisions des juridictions d’instances inférieures

A.           Cour du Banc de la Reine du Manitoba (le juge en chef Joyal), 2017 MBQB 96, [2017] 11 W.W.R. 179

[17]                          Dans le cadre de la requête fondée sur l’al. 11b), K.G.K. a soutenu qu’il y avait eu violation de son droit d’être jugé dans un délai raisonnable parce qu’il s’était écoulé environ 42 mois entre la date du dépôt des accusations et la date du prononcé du verdict par le juge du procès. La principale question de droit que devait trancher le juge des requêtes était celle de savoir si le temps de délibération en vue du prononcé du verdict qu’il avait fallu au juge du procès devait être apprécié selon le cadre établi dans l’arrêt Jordan. Le juge des requêtes a conclu que non. À son avis, l’inclusion du temps de délibération en vue du prononcé du verdict dans le calcul des plafonds présumés fixés par Jordan ne permettrait pas d’établir un juste équilibre entre les impératifs constitutionnels dictés par l’al. 11 b )  de la Charte , d’une part, et l’indépendance judiciaire, d’autre part. De plus, elle soulèverait de graves difficultés sur le plan pratique. Par exemple, il a souligné que l’inclusion dans le plafond applicable du temps de délibération des juges [traduction] « placerait la Couronne et les tribunaux dans la position intenable d’avoir à établir le calendrier pour l’ensemble des affaires de manière à ce qu’elles soient terminées plusieurs mois avant l’atteinte du plafond applicable afin de tenir compte du temps qu’il pourrait falloir aux juges pour rédiger leurs motifs » (par. 55). Cela, a‑t‑il fait observer, compromettrait la certitude et la prévisibilité que l’arrêt Jordan a voulu apporter à l’al. 11b). Se fondant plutôt sur l’arrêt Rahey de la Cour, le juge des requêtes a conclu que le temps de délibération en vue du prononcé du verdict ne serait déraisonnable pour l’application de l’al. 11b) que si, compte tenu du contexte global de l’affaire, le temps qu’il a fallu était « honteux, démesuré et déraisonnable ».

[18]                          Appliquant ce test, le juge des requêtes a conclu que le délai dans le dossier de K.G.K. n’était pas déraisonnable. Bien qu’il ait qualifié le temps de délibération en vue du prononcé du verdict qu’il avait fallu au juge du procès de [traduction] « plus long que ce qui était souhaitable » (par. 103), le juge des requêtes a estimé qu’il n’avait pas entraîné une violation des droits que l’al. 11b) garantit à K.G.K., car il n’atteignait pas le degré de délai « honteux, démesuré et déraisonnable ». Quant au délai s’étant écoulé entre le dépôt des accusations et le dernier jour du procès (environ 33 mois), le juge des requêtes a tenu compte du fait qu’il s’agissait d’une affaire visée par les mesures transitoires où le délai s’était écoulé en grande partie avant l’arrêt Jordan et il a conclu que la mesure transitoire exceptionnelle mentionnée dans Jordan s’appliquait. À son avis, [traduction] « les parties [s’étaient] conduites raisonnablement compte tenu de la culture et du cadre juridiques qui avaient cours à l’époque » (par. 94). Il a donc rejeté la requête fondée sur l’al. 11b) de K.G.K.

B.            Cour d’appel du Manitoba (les juges Hamilton (dissidente), Monnin et Cameron), 2019 MBCA 9, 373 C.C.C. (3d) 1

[19]                          Les juges majoritaires de la Cour d’appel du Manitoba ont rejeté l’appel de K.G.K. Ils ont toutefois rédigé des motifs distincts. La juge Cameron a souscrit pour l’essentiel à l’opinion du juge des requêtes. Elle a conclu que ce dernier [traduction] « n’avait pas commis d’erreur de droit en interprétant l’arrêt Rahey ni en qualifiant le test du caractère raisonnable lorsqu’il s’applique au temps mis pour rendre une décision judiciaire » (par. 228). En conséquence, la juge Cameron n’a pas été convaincue que la décision du juge des requêtes était déraisonnable. Ainsi, elle a confirmé sa conclusion que ni le délai de délibération en vue du prononcé du verdict mis par le juge du procès ni celui entre l’accusation et le dernier jour du procès n’avaient violé l’art. 11b).

[20]                          Le juge Monnin a souscrit à l’opinion de la juge Cameron quant au résultat. Bien qu’il ait été d’accord avec elle pour dire que le cadre d’analyse établi dans l’arrêt Jordan ne s’appliquait pas au temps de délibération en vue du prononcé du verdict, il a rejeté le critère du délai « honteux, démesuré et déraisonnable » appliqué par le juge des requêtes. Il a soutenu que, pour déterminer si le temps de délibération en vue du prononcé du verdict avait entraîné une violation des droits que l’al. 11b) garantit à l’accusé, la cour devait plutôt adopter [traduction] « une méthode contextuelle mettant en balance les nombreuses facettes du processus décisionnel selon les éléments de preuve pertinents de l’affaire » (par. 288).

[21]                          La juge Hamilton, dissidente, aurait accueilli l’appel. Les plafonds présumés, a‑t‑elle conclu, s’appliquent à compter de la date du dépôt des accusations jusqu’à la date du verdict. Elle a reconnu que l’arrêt Jordan ne mentionnait pas expressément le temps de délibération en vue du prononcé du verdict et que les cours d’appel n’avaient pas traité uniformément cette question, mais, selon elle, le fait que la jurisprudence relative à l’al. 11b) antérieure à l’arrêt Jordan considérait ce temps comme une partie du « délai inhérent à l’affaire », conjuguée à l’intention déclarée de la Cour de s’attaquer à la culture de complaisance, permettait de conclure que le temps de délibération en vue du prononcé du verdict devait être inclus dans le cadre d’analyse établi par l’arrêt Jordan. Appliquant cette approche, la juge Hamilton a conclu que le délai dans le dossier de K.G.K. avait été déraisonnable. Elle aurait donc ordonné l’arrêt des procédures.

IV.         Questions en litige

[22]                          Dans le présent pourvoi, la Cour doit trancher les trois questions suivantes :

1.         L’alinéa 11b) s’applique‑t‑il au temps de délibération en vue du prononcé du verdict et, si oui, ce temps est‑il inclus dans les plafonds présumés fixés par l’arrêt Jordan?

2.         Si l’alinéa 11b) s’applique au temps de délibération en vue du prononcé du verdict, mais que les plafonds fixés par l’arrêt Jordan ne l’incluent pas, comment faut‑il apprécier le délai découlant de ce temps de délibération pour déterminer s’il y a eu atteinte au droit de l’accusé d’être jugé dans un délai raisonnable?

3.         Le temps de délibération en vue du prononcé du verdict qu’il a fallu dans le dossier de K.G.K. a‑t‑il été déraisonnable?

V.           Analyse

A.           Les plafonds fixés par l’arrêt Jordan n’incluent pas de temps de délibération en vue du prononcé du verdict

[23]                          Bien que le droit d’être jugé dans un délai raisonnable enchâssé dans l’al. 11 b )  de la Charte  s’applique au‑delà de la fin de la présentation de la preuve et des plaidoiries dans le cadre du procès, j’estime que ce n’est pas le cas des plafonds présumés fixés par la Cour dans l’arrêt Jordan.

[24]                          L’arrêt Jordan visait la culture de complaisance qui avait pris racine dans le système de justice criminelle — une culture qui contribuait à l’écoulement de longs délais avant que l’on traduise un accusé en justice. Lorsque l’arrêt Jordan a été rendu, rien ne suggérait que le temps de délibération en vue du prononcé du verdict s’inscrivait dans cette culture ou contribuait d’une quelconque façon à la création des délais qui s’écoulaient avant que l’on traduise un accusé en justice. Aucune suggestion de la sorte n’a en outre été faite lors de l’audition du présent appel. Qui plus est, les difficultés d’ordre pratique qu’entraînerait l’inclusion du temps de délibération en vue du prononcé du verdict dans les plafonds fixés par l’arrêt Jordan ajoutent foi à la conclusion selon laquelle la Cour n’entendait pas que ce temps soit inclus. Comme je l’expliquerai, il faut plutôt appliquer un test différent pour déterminer si le temps de délibération en vue du prononcé du verdict a porté atteinte aux droits que l’al. 11b) garantit à l’accusé.

(1)          La portée temporelle de l’al. 11b)

[25]                          L’alinéa 11 b )  de la Charte  prévoit que « [t]out inculpé a le droit [. . .] d’être jugé dans un délai raisonnable ». Cette disposition traduit et renforce l’idée que « [l]a justice rendue en temps utile est l’une des caractéristiques d’une société libre et démocratique » (Jordan, par. 1). L’alinéa 11b) protège à la fois les intérêts de l’accusé et ceux de la société. La dimension individuelle de l’al. 11b) protège les droits de l’accusé à la liberté, à la sécurité de sa personne et à un procès équitable. Sa dimension sociétale reconnaît notamment que les procès instruits en temps utile sont bénéfiques aux victimes et aux témoins, ainsi qu’aux accusés, et inspirent confiance au public envers l’administration de la justice (voir R. c. K.J.M., 2019 CSC 55, [2019] 4 R.C.S. 39, par. 38).

[26]                          En l’espèce, personne ne conteste la portée temporelle de l’al. 11b). Plus précisément, les parties conviennent que le droit d’être jugé dans un délai raisonnable englobe le temps de délibération en vue du prononcé du verdict.

[27]                          Cette question a été implicitement tranchée dans l’arrêt MacDougall, où la Cour a statué que le droit d’être jugé dans un délai raisonnable s’étend à la détermination de la peine. Comme l’a expliqué la juge McLachlin (plus tard juge en chef) au nom de la Cour, au par. 19 :

     La prochaine question à trancher est celle de savoir si la portée de l’expression « jugé dans un délai raisonnable » à l’al. 11b) peut s’étendre à la détermination de la peine. Une interprétation axée sur l’objet suggère que « l’al. 11b) protège contre un assujettissement trop long à une accusation criminelle pendante et vise à soulager de la tension et de l’angoisse qui persistent jusqu’à ce que l’affaire soit finalement tranchée » : R. c. Rahey, [1987] 1 R.C.S. 588, à la p. 610 (je souligne), le juge Lamer, avec l’appui du juge en chef Dickson. Dans le même arrêt, le juge La Forest, avec l’appui du juge McIntyre, a précisé que le mot « jugé » ne signifie pas « tried » au sens de « brought to trial » (« subir son procès »), mais plutôt au sens de « adjudicated » (p. 632). Comme une affaire criminelle n’est pas « tranchée » tant que la peine n’a pas été prononcée et comme le prononcé de la peine exige une décision, il semble raisonnable de conclure que le champ d’application du mot « jugé » utilisé à l’al. 11b) s’étend à la détermination de la peine.

[28]                          Puisque l’al. 11b) protège l’accusé contre les délais déraisonnables jusqu’au moment de la détermination de la peine inclusivement, il s’ensuit forcément que le temps qu’il a fallu au juge pour délibérer et rendre son verdict — toutes des actions qui précèdent le processus de détermination de la peine — est également inclus.

[29]                          Cette conclusion trouve un appui supplémentaire dans l’arrêt Rahey. Dans quatre opinions distinctes, la Cour, divisée, a néanmoins conclu à l’unanimité que l’omission du juge de rendre une décision sur une requête en obtention d’un verdict imposé dans un délai raisonnable violait les droits que l’al. 11b) garantit à l’accusé. Le juge Lamer (plus tard juge en chef) (avec l’accord du juge en chef Dickson) a suivi le raisonnement suivant :

En l’espèce, le délai est survenu avant la détermination de la culpabilité ou de l’innocence et ainsi, tant que l’instance est demeurée pendante, l’appelant a continué d’éprouver de la tension et de l’angoisse. [. . .] Les stigmates résultant d’une inculpation disparaissent non pas lorsque l’inculpé est traduit devant les tribunaux pour subir son procès, mais lorsque le procès prend fin et que la décision est rendue. [p. 610‑611]

De plus, le juge La Forest (avec l’accord du juge McIntyre) a conclu que toute ambiguïté quant à la question de savoir si la portée de l’al. 11b) comprend le temps de délibération peut être résolue par la version française de la disposition qui prévoit que « [t]out inculpé a le droit [. . .] d’être jugé dans un délai raisonnable ». À son avis, le verbe « jugé » a le sens du verbe anglais « adjudicated » et il en a conclu que l’al. 11b) « vise donc clairement la conduite adoptée par un juge en rendant sa décision » (p. 632). En outre, il a reconnu que « les tribunaux, à titre de gardiens des principes enchâssés dans la Charte , doivent eux‑mêmes être assujettis à l’examen que prévoit la Charte  dans l’exécution de leurs fonctions », et que « [l]e fait d’être cité rapidement à son procès constituerait une maigre consolation pour un accusé si le procès lui‑même pouvait être prolongé indéfiniment par le juge » (p. 633).

[30]                          Cela dit, le simple fait que l’al. 11b) vise le temps de délibération en vue du prononcé du verdict ne mène pas inexorablement à la conclusion que ce temps est inclus dans les plafonds fixés par l’arrêt Jordan. Au contraire, comme nous le verrons, les plafonds présumés fixés par cet arrêt n’étaient pas censés viser toute la période à laquelle s’applique l’al. 11b).

(2)          La portée temporelle des plafonds fixés par l’arrêt Jordan

[31]                         Interprétés correctement, les plafonds fixés par l’arrêt Jordan s’appliquent à compter de la date du dépôt des accusations jusqu’à la fin réelle ou anticipée de la présentation de la preuve et des plaidoiries, c’est‑à‑dire lorsque la participation des parties quant au fond du procès est terminée, et que l’affaire est remise au juge des faits. Comme je l’expliquerai, cette date permet d’appliquer simplement le cadre établi dans Jordan conformément à sa conception et à ses objectifs.

[32]                         Dans l’arrêt Jordan, la Cour a établi un nouveau cadre d’analyse pour l’application de l’al. 11 b )  de la Charte . Au cœur de ce cadre d’analyse se trouvent deux plafonds présumés, au‑delà desquels le délai est présumé déraisonnable : (1) un plafond de 18 mois pour les affaires simples instruites devant une cour provinciale, et (2) un plafond de 30 mois pour celles instruites devant une cour supérieure ou devant une cour provinciale après l’enquête préliminaire (par. 49). Ces plafonds fonctionnent de la façon suivante :

     Si le délai total entre le dépôt des accusations et la conclusion réelle ou anticipée du procès (moins les délais imputables à la défense) dépasse le plafond, il est présumé déraisonnable. Pour réfuter cette présomption, le ministère public doit établir la présence de circonstances exceptionnelles. S’il ne peut le faire, le délai est déraisonnable et un arrêt des procédures doit suivre.

     Si le délai total entre le dépôt des accusations et la conclusion réelle ou anticipée du procès (moins le délai imputable à la défense et la période découlant de circonstances exceptionnelles) se situe en deçà du plafond présumé, il incombe à la défense de démontrer le caractère déraisonnable du délai. Pour ce faire, elle doit prouver (1) qu’elle a pris des mesures utiles qui font la preuve d’un effort soutenu pour accélérer l’instance, et (2) que le procès a été nettement plus long qu’il aurait dû raisonnablement l’être. Nous nous attendons à ce que les arrêts de procédures prononcés dans des cas où le délai est inférieur au plafond soient rares, et limités aux cas manifestes. [En italique dans l’original; par. 47‑48.]

[33]                          L’arrêt Jordan indique que les plafonds présumés s’appliquent « entre le dépôt des accusations et la conclusion réelle ou anticipée du procès ». La Cour n’a toutefois pas expressément défini l’expression « conclusion [. . .] du procès ». On a soutenu que cette expression autorisait quatre interprétations possibles : (1) la fin de la présentation de la preuve et des plaidoiries; (2) la date à laquelle le verdict est rendu, à l’exclusion des requêtes postérieures au procès; (3) la conclusion des requêtes postérieures au procès; ou (4) la date de la détermination de la peine (voir m.a., par. 131). Quand on y regarde de près, c’est la première interprétation qui reflète correctement le raisonnement qui sous‑tend l’arrêt Jordan et la situation problématique à laquelle il visait à remédier. Plus précisément, les plafonds fixés par l’arrêt Jordan s’appliquent du dépôt des accusations à la fin de la présentation de la preuve et des plaidoiries, et pas plus.

[34]                          Fait important, les plafonds fixés par l’arrêt Jordan n’ont pas été conçus pour évacuer l’analyse fondée sur l’al. 11b) et s’appliquer à toutes les sources de délai. Au contraire, ils apportaient une solution précise à un problème précis : la culture de complaisance à l’endroit de l’écoulement de délais excessifs avant que « les inculpés [soient] traduits […] en justice » (Jordan, par. 2; voir aussi par. 4, 13, 117, 121 et 129).

[35]                          Cette culture de complaisance à l’endroit des délais qui s’écoulaient avant que l’on traduise l’accusé en justice découlait en partie des lacunes sur le plan théorique dont souffrait le cadre d’analyse relatif à l’al. 11b) établi dans l’arrêt R. c. Morin, [1992] 1 R.C.S. 771. Ce cadre exigeait des tribunaux qu’ils soupèsent quatre facteurs pour décider si le délai était devenu déraisonnable : « (1) la longueur du délai; (2) la renonciation de la défense à invoquer une portion du délai; (3) les motifs du délai, y compris les besoins inhérents au dossier, le délai imputable à la défense, celui attribuable au ministère public, le délai institutionnel et les autres motifs du délai; (4) l’atteinte aux droits de l’inculpé à la liberté, à la sécurité de sa personne et à un procès équitable » (Jordan, par. 30; voir aussi R. c. Godin, 2009 CSC 26, [2009] 2 R.C.S. 3, par. 18). Avec le temps, ce cadre d’analyse s’est révélé « trop imprévisible, trop difficile à saisir et trop complexe sur le plan théorique » (Jordan, par. 38). Entre autres choses, le préjudice — qui est « difficile à prouver et [dont le] traitement porte à confusion en plus d’être hautement subjectif » — était devenu un facteur déterminant dans l’analyse (Jordan, par. 33‑34).

[36]                          Des problèmes sur le plan pratique ont aggravé ces lacunes théoriques et aussi favorisé la culture de complaisance. Plus particulièrement, l’arrêt Morin n’a rien fait pour s’attaquer à cette culture. Son approche rétrospective n’a inspiré aucune mesure proactive visant à éviter le délai; son cadre d’analyse était conçu « non pas pour prévenir le délai, mais uniquement pour y remédier (ou pas) » (Jordan, par. 35). De plus, des étapes procédurales inutiles et la défense inefficace des droits alourdissaient le système. Quant à la culture en salle d’audience, les délais excessifs étaient devenus beaucoup trop tolérables.

[37]                          L’arrêt Jordan a marqué une nette rupture par rapport à la méthode adoptée dans l’arrêt Morin à l’égard de l’al. 11b). Dans Jordan, la Cour a entrepris d’accroître la clarté et la prévisibilité de l’analyse fondée sur l’al. 11b) et de provoquer un changement systémique. Il importe de rappeler qu’elle a agi ainsi en se fondant sur une preuve convaincante établissant qu’un tel changement s’imposait. L’ampleur bien documentée de la culture de complaisance qui régnait au sein du système de justice criminelle et son effet sur les accusés constituaient des justifications valables pour créer une nouvelle façon d’apprécier les délais pouvant s’écouler avant que l’on traduise un accusé en justice (voir par. 40, citant Alberta Justice and Solicitor General, Criminal Justice Division, « Injecting a Sense of Urgency : A new approach to delivering justice in serious and violent criminal cases », rapport de G. Lepp (avril 2013) (en ligne), p. 17, B.C. Justice Reform Initiative, A Criminal Justice System for the 21st Century : Final Report to the Minister of Justice and Attorney General Honourable Shirley Bond, rapport de D. Geoffrey Cowper, c.r. (2012), p. 4, P. J. LeSage et M. Code, Rapport sur l’examen de la procédure relative aux affaires criminelles complexes (2008), p. 15, et Canada, ministère de la Justice, « Rapport final sur l’examen prioritaire des dossiers du comité directeur sur l’efficacité et l’accès en matière de justice » (2006) (en ligne), p. 5‑6). Ces éléments de preuve, ainsi que les problèmes sur les plans théorique et pratique engendrés par l’arrêt Morin, constituaient les « raisons impérieuses » justifiant d’introduire les plafonds présumés (par. 45, citant R. c. Henry, 2005 CSC 76, [2005] 3 R.C.S. 609, par. 44).

[38]                          Rien ne suggère ici que le délai découlant du temps de délibération en vue du prononcé du verdict contribue au problème systémique auquel l’arrêt Jordan cherchait à remédier, et rien ne le suggérait dans Jordan. Comme il est indiqué au par. 35, cet arrêt visait strictement le temps pris pour traduire les accusés en justice, et c’est là toute la portée de son application.

[39]                          L’arrêt Jordan lui‑même fait ressortir cette portée temporelle limitée. D’abord, la Cour a expressément refusé de se prononcer sur la question de savoir si les plafonds fixés par Jordan s’appliquaient à compter de la date du dépôt des accusations jusqu’à la date de la détermination de la peine, en dépit de sa conclusion dans MacDougall selon laquelle la portée de l’al. 11b) s’étend jusqu’à la détermination de la peine. Plus précisément, la Cour a affirmé que « [l]a question du délai de détermination de la peine ne nous est [. . .] pas soumise et nous ne nous prononçons ni sur la manière dont le plafond exposé précédemment devrait s’appliquer aux demandes présentées sur le fondement de l’al. 11b) après l’inscription d’une déclaration de culpabilité ni sur l’opportunité de prévoir un délai maximal plus long pour les cas de ce genre » (par. 49, note 2). Ensuite, les directives qu’a données la Cour afin de remédier à la culture de complaisance portaient presque exclusivement sur les pratiques et les procédures qui s’appliquent au procès. Du point de vue de la Couronne, le cadre d’analyse établi dans l’arrêt Jordan « clarifi[ait] l’obligation constitutionnelle qu’[elle] a toujours eue de traduire l’accusé en justice dans un délai raisonnable » (par. 112). Il « encourage[ait] également la défense à contribuer à la résolution du problème » en soustrayant d’entrée de jeu le délai imputable à la défense du délai total, et en exigeant que, pour obtenir un arrêt des procédures, la défense démontre qu’elle a pris « des mesures utiles et soutenues pour accélérer le cours de l’instance » dans les cas où le délai est inférieur au plafond présumé (par. 113).

[40]                          Dans l’arrêt Jordan, la Cour a reconnu que les tribunaux avaient un rôle à jouer pour modifier la culture de complaisance, mais elle n’a nullement laissé entendre que le temps de délibération des juges contribuait à cette culture. Elle a plutôt invité les tribunaux à changer la « culture en salle d’audience » en mettant en œuvre des procédures plus efficaces pour les procès, notamment des pratiques d’établissement de calendriers, en revoyant leurs régimes de gestion des instances et en faisant des efforts raisonnables pour diriger et gérer le déroulement des procès (par. 114 et 139; voir aussi R. c. Cody, 2017 CSC 31, [2017] 1 R.C.S. 659, par. 37‑39).

[41]                          La thèse selon laquelle l’arrêt Jordan visait non pas le délai attribuable au temps de délibération en vue du prononcé du verdict, mais le temps pris pour traduire les accusés en justice se confirme lorsque l’on tient compte des nombreux problèmes d’ordre pratique qui surgiraient si les plafonds présumés devaient inclure la date à laquelle le verdict peut être rendu. Comme je l’expliquerai, inclure le délai de délibération dans les plafonds présumés contrecarrerait les objectifs de clarté et de prévisibilité visés par l’arrêt Jordan, et s’avèrerait vraisemblablement inapplicable en pratique.

[42]                          Le problème le plus important qui surgirait si le temps de délibération en vue du prononcé du verdict devait être inclus dans les plafonds présumés est, peut‑être, le fait qu’il deviendrait hypothétique, voire impossible, de présenter des arguments à l’égard des demandes fondées sur l’al. 11b) préalables au procès et de trancher ces demandes. Il en serait ainsi parce qu’il n’y aurait aucun moyen de prédire, dans une affaire donnée, si le juge mettra la cause en délibéré et, le cas échéant, combien de temps il lui faudra pour rendre son verdict.

[43]                          L’arrêt Jordan encourage la présentation de demandes fondées sur l’al. 11b) préalables au procès. Cela marque l’abandon de l’approche réactive et rétrospective adoptée à l’égard des délais excessifs dans l’arrêt Morin, et favorise plutôt une approche permettant aux parties de connaître « à l’avance, les limites du délai raisonnable et [de] prendre des mesures proactives pour remédier aux délais » (par. 108 (en italique dans l’original)).

[44]                          L’inclusion du temps de délibération en vue du prononcé du verdict dans les plafonds fixés par l’arrêt Jordan obligerait les avocats à émettre des hypothèses sur la date à laquelle le verdict pourrait être rendu, ce qui va directement à l’encontre de la prévisibilité qu’a voulu favoriser l’arrêt Jordan. Cela empêcherait à leur tour les avocats de prendre des mesures proactives pour que l’instance soit conclue dans un délai inférieur au plafond, car ils ne connaîtraient pas à l’avance la date à laquelle l’instance serait censée prendre fin. Le juge ne pourrait pas non plus donner d’indications aux avocats à cet égard, car il n’aurait pas pris connaissance des éléments de preuve ni entendu les observations des avocats, et connaîtrait encore moins les contraintes de temps qui pourraient survenir dans son propre horaire.

[45]                          En revanche, la dernière date prévue de la présentation de la preuve et des plaidoiries constitue une date réaliste et prévisible qu’il y a lieu d’utiliser pour calculer le délai dans les demandes préalables au procès. D’ailleurs, c’est la date prévue de la fin du procès qui a été utilisée à la fois dans Jordan (voir R. c. Jordan, 2014 BCCA 241, 357 B.C.A.C. 137, par. 18; R. c. Jordan, 2012 BCSC 1735, par. 12) et dans Cody (par. 21).

[46]                          Le fait d’étendre les plafonds fixés par l’arrêt Jordan jusqu’à la date du verdict plutôt que jusqu’à celle à laquelle prend fin la présentation de la preuve et des plaidoiries soulèverait également des questions d’ordre pratique pour les demandes fondées sur l’al. 11b) postérieures au procès. En effet, ces demandes se révéleraient particulièrement problématiques pour la Couronne lorsque le plafond a été dépassé après la fin de la présentation de la preuve et des plaidoiries et que le juge avait mis l’affaire en délibéré.

[47]                          Lorsque le plafond est dépassé, l’arrêt Jordan impose à la Couronne le fardeau de démontrer que la cause du dépassement était « véritablement indépendant[e] de sa volonté » (par. 112). Cette inversion du fardeau de la preuve vise à inciter la Couronne à agir de façon proactive. Toutefois, il n’est pas logique de la tenir responsable du temps qu’il faut au juge pour délibérer en vue du prononcé du verdict. En principe, il ne convient pas que la Couronne intervienne ou soit perçue comme intervenant dans le processus de délibération judiciaire dans la mesure où cela pourrait raisonnablement être considéré comme une tentative d’influencer la décision du juge (voir MacDougall, par. 49‑52). Qui plus est, en règle générale, la Couronne n’est pas non plus en mesure d’expliquer pourquoi il a fallu au juge le temps qu’il lui a fallu pour rendre son verdict.

[48]                          Même si la Couronne pouvait apprendre les raisons pour lesquelles il a fallu au juge le temps de délibération qu’il lui a fallu, ces raisons ne pourraient en principe être utilement vérifiées, car [traduction] « les juges ne deviennent pas des témoins et ne font pas d’affidavits » (motifs du juge des requêtes, par. 59). D’ailleurs, le fait que le juge devienne témoin dans une affaire mise en délibéré nuirait, selon toute vraisemblance, à sa capacité de trancher l’affaire.

[49]                          L’inclusion du temps de délibération en vue du prononcé du verdict dans le cadre d’analyse établi par l’arrêt Jordan aurait un autre effet indésirable, soit que le temps de délibération disponible dans une affaire donnée dépendrait grandement de la mesure dans laquelle la fin de la présentation de la preuve et des plaidoiries se rapprocherait de l’atteinte du plafond applicable. Comme l’a fait observer le juge des requêtes :

[traduction] . . . si les juges devaient être assujettis à l’obligation catégorique et inconditionnelle de rendre des décisions dans les délais des plafonds présumés, la façon dont l’affaire s’est déroulée déterminerait la façon dont le juge aborderait sa propre décision et possiblement la façon dont il la prendrait. En d’autres termes, dans les affaires prenant fin bien avant l’atteinte du plafond applicable, le juge disposerait de plusieurs mois pour rendre des motifs écrits soigneusement rédigés. Dans les affaires prenant fin peu avant l’atteinte du plafond applicable, le juge pourrait ne disposer que de quelques jours. [par. 54]

Le caractère indésirable et absurde de ce résultat devient évident lorsque l’on pense aux affaires qui prennent fin peu avant l’atteinte du plafond applicable en raison notamment de la quantité ou de la complexité de la preuve présentée. Dans un tel cas, plus la preuve serait volumineuse et complexe — en tenant pour acquis que cela n’est pas au point de constituer une circonstance exceptionnelle au sens de l’arrêt Jordan —, moins le juge disposerait de temps pour l’apprécier. Il ne saurait assurément en être ainsi.

[50]                          Bref, lorsqu’on l’interprète correctement, l’arrêt Jordan n’a pas tranché la question de savoir comment déterminer si le délai attribuable au temps de délibération en vue du prononcé du verdict a porté atteinte au droit d’être jugé dans un délai raisonnable que l’al. 11b) garantit à l’accusé. Comme je l’ai mentionné, les plafonds présumés fixés par Jordan ne s’appliquent que jusqu’à la fin réelle ou anticipée de la présentation de la preuve et des plaidoiries dans le cadre du procès, et pas plus. Cette interprétation est compatible avec les objectifs de l’arrêt Jordan et permet d’éviter les graves problèmes d’ordre pratique qui surgiraient si les plafonds étaient étendus de manière à viser le temps de délibération en vue du prononcé du verdict. En termes simples, les plafonds présumés fixés par l’arrêt Jordan ne constituent pas le critère approprié pour apprécier le caractère raisonnable du délai attribuable au temps de délibération en vue du prononcé du verdict.

B.            Comment déterminer si le temps de délibération en vue du prononcé du verdict a été raisonnable au sens où il faut l’entendre pour l’application de l’al. 11b)

[51]                          Bien qu’il ne soit pas contesté que l’al. 11b) s’applique au temps de délibération en vue du prononcé du verdict, aucun test précis permettant de déterminer si ce temps de délibération a été raisonnable au sens où il faut l’entendre pour l’application de l’al. 11b) n’a été élaboré dans la jurisprudence antérieure à l’arrêt Jordan. Dans l’arrêt Morin, le juge Sopinka a fait observer que le délai découlant des « actes des juges de première instance » ne s’inscrit particulièrement bien dans aucune des catégories de délai qui y sont mentionnées (p. 800). Dans les décisions postérieures à l’arrêt Morin, ce type de délai semble avoir fait l’objet de différentes qualifications dans différentes circonstances — dans certains cas, il a été considéré comme faisant partie du délai inhérent à l’affaire et, dans d’autres, comme un délai reproché à la Couronne (MacDougall, par. 45‑46; voir R. c. Brown, 2018 NSCA 62, 364 C.C.C. (3d) 238, par. 73; R. c. Lamacchia, 2012 ONSC 2583, 258 C.R.R. (2d) 370, par. 7). Cela dit, comme l’a fait observer la juge Cameron dans la présente affaire, [traduction] « [a]vant l’arrêt Jordan, rien dans la jurisprudence n’indiquait que les juges de première instance devaient estimer avant le procès le temps que prendrait une décision mise en délibéré et inclure ce temps dans le calcul des délais inhérents pris en considération dans l’analyse prescrite par l’arrêt Morin » (motifs de la Cour d’appel, par. 198).

[52]                         À mon avis, la Cour n’a pas non plus, dans l’arrêt Rahey, établi un test selon lequel le temps de délibération des juges ne sera considéré comme violant l’al. 11b) que s’il est « honteux, démesuré et déraisonnable ». Aucune des quatre opinions exprimées dans cet arrêt ne va plus loin que simplement citer une phrase du juge de première instance qualifiant le délai de « honteux, démesuré et déraisonnable » (voir p. 604‑605, le juge Lamer; p. 649, le juge La Forest; voir aussi les motifs de la Cour d’appel, par. 287, le juge Monnin, et par. 166‑168, la juge Hamilton). S’exprimant dans leurs propres mots, les juges se sont simplement demandé si le délai était « déraisonnable » ou « raisonnable » (p. 605, le juge Lamer; p. 616, le juge Le Dain; p. 621‑622, la juge Wilson; p. 637 et 649‑650, le juge La Forest). Bref, si l’arrêt Rahey permet de conclure qu’une violation de l’al. 11b) fondée sur le temps de délibération en vue du prononcé du verdict est établie lorsque le délai découlant de celui‑ci est jugé « honteux, démesuré et déraisonnable », il ne s’ensuit pas que ces trois caractéristiques doivent nécessairement exister pour que soit établie une violation de l’al. 11b).

[53]                          Enfin, comme je l’ai expliqué, l’arrêt Jordan n’a pas tranché la question de savoir comment il faut apprécier le temps de délibération en vue du prononcé du verdict aux fins de l’application de l’al. 11b). C’est cette question que je vais maintenant aborder.

[54]                          À mon avis, lorsqu’il s’agit de déterminer si le délai attribuable au temps de délibération en vue du prononcé du verdict a porté atteinte au droit de l’accusé d’être jugé dans un délai raisonnable, il faut se demander si ce temps de délibération a été nettement plus long qu’il aurait dû raisonnablement l’être compte tenu de l’ensemble des circonstances[1].

[55]                          Ce test doit être abordé en tenant compte de la présomption d’intégrité dont bénéficient les juges. Cette présomption « reconnaît que [ces derniers] sont tenus de respecter leur serment professionnel et de s’acquitter des obligations qu’ils ont fait le serment de remplir » (Cojocaru c. British Columbia Women’s Hospital and Health Centre, 2013 CSC 30, [2013] 2 R.C.S. 357, par. 17, citant R. c. Teskey, 2007 CSC 25, [2007] 2 R.C.S. 267, par. 29, la juge Abella, dissidente). Dans le cadre de leur devoir de faire respecter les droits garantis par la Charte , les juges ont l’obligation de réduire les délais au minimum à toutes les étapes du procès, notamment à la phase de la délibération en vue du prononcé du verdict. Depuis l’arrêt Jordan, les juges — comme tous les participants au système de justice — doivent demeurer pleinement conscients des problèmes systémiques qui favorisent l’écoulement de délais, qui peuvent, à leur tour, donner lieu à une violation de l’al. 11b).

[56]                          Comme je l’expliquerai, la présomption d’intégrité judiciaire fait naître dans ce contexte une présomption selon laquelle le temps qu’il a fallu au juge du procès pour arriver à son verdict n’a pas été plus long qu’il était raisonnablement nécessaire qu’il le soit. Plus précisément, on doit présumer que le juge du procès a établi un équilibre raisonnable entre la nécessité d’instruire rapidement les affaires et les considérations liées à l’équité du procès — qui revêtent un caractère différent une fois que la présentation de la preuve et des plaidoiries dans le cadre du procès a pris fin — et, aussi, les contraintes pratiques auxquelles les juges font face. Il incombe à l’accusé de réfuter cette présomption en expliquant pourquoi, compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’affaire, le temps de délibération en vue du prononcé du verdict a été nettement plus long qu’il aurait dû raisonnablement l’être. Lorsque l’accusé s’acquitte de ce fardeau, dans une affaire donnée, je m’empresse d’ajouter que, bien que significative, cette conclusion ne devrait pas être considérée comme mettant en doute la compétence générale ou le professionnalisme du juge.

(1)          Les considérations qui expliquent le temps de délibération en vue du prononcé du verdict

[57]                          Lorsqu’il s’agit de déterminer si le temps de délibération en vue du prononcé du verdict dans une affaire donnée a été nettement plus long qu’il aurait dû raisonnablement l’être, il faut garder à l’esprit que les juges de procès sont les mieux placés pour savoir combien de temps il faut, compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’affaire. Plus précisément, on doit présumer que le juge du procès a établi un équilibre raisonnable entre la nécessité d’instruire rapidement les affaires et les considérations liées à l’équité du procès — deux éléments qui animent l’al. 11b) lui‑même — et, aussi, les considérations d’ordre pratique qui restreignent le temps qu’il peut consacrer à une affaire donnée.

[58]                          Pour atteindre les objets de l’al. 11b), qui sont bien établis, il est essentiel d’agir en temps opportun. Dans l’arrêt Morin, le juge Sopinka a expliqué que l’objet principal de l’al. 11b) est la protection des droits individuels de l’accusé, mais qu’il protège aussi les intérêts de la société (p. 786). La Cour a donné des précisions sur ces objets dans K.J.M., au par. 38 :

        À l’échelle de l’individu, [l’al. 11b)] protège « [la] liberté [de l’accusé], en ce qui touche sa détention avant procès ou ses conditions de mise en liberté sous caution; la sécurité de sa personne, c’est‑à‑dire ne pas avoir à subir le stress et le climat de suspicion que suscite une accusation criminelle; et le droit de présenter une défense pleine et entière, dans la mesure où les délais écoulés peuvent compromettre sa capacité de présenter des éléments de preuve, de contre‑interroger les témoins ou de se défendre autrement ». À l’échelle de la société, « les procès instruits dans un délai raisonnable permettent aux victimes et aux témoins d’apporter la meilleure contribution possible au procès et minimisent “[l’]angoiss[e] et [la] frustration [qu’ils ressentent] jusqu’au témoignage lui‑même” » et leur permettent de tourner la page. La société a aussi un intérêt à ce que les citoyens accusés de crimes soient traités de façon humaine et équitable, et les procès instruits rapidement aident à préserver la confiance du public envers l’administration de la justice, qui est « essentielle à la survie du système lui‑même ». « Bref, les procès instruits en temps utile servent l’administration de la justice ». [Références omises.]

[59]                          En ce qui concerne les droits individuels que protège l’al. 11b), la nature des droits de l’accusé à la liberté et à la sécurité de sa personne demeure la même de la date du dépôt des accusations à la date du verdict. Dans l’attente du verdict, l’accusé demeure généralement assujetti aux mêmes restrictions de sa liberté et aux mêmes stress et stigmates que ceux qui existaient entre le dépôt des accusations et la fin de la présentation de la preuve et des plaidoiries dans le cadre du procès. En règle générale, la meilleure façon de protéger ces droits est de clore l’instance le plus rapidement possible.

[60]                          Le droit à un procès équitable, par contre, revêt un caractère différent une fois que le procès proprement dit est terminé et que l’affaire est laissée entre les mains du juge des faits. Avant la fin de la présentation de la preuve et des plaidoiries, le temps peut être l’ennemi de l’équité du procès. Comme l’a fait observer la Cour dans l’arrêt Jordan, le droit à une défense pleine et entière et « le droit à un procès équitable [sont] en cause, car plus un procès est retardé, plus certains inculpés risquent d’être lésés dans la préparation de leur défense à cause des souvenirs qui s’estompent, de l’indisponibilité de témoins ou encore de la perte ou de la détérioration d’éléments de preuve » (par. 20). Par contre, une fois que les éléments de preuve sont conservés dans le dossier et que l’affaire est laissée entre les mains du juge des faits, ces préoccupations sont grandement atténuées, et le temps de délibération nécessaire permet d’assurer l’équité. Il en est ainsi parce que le temps de délibération en vue du prononcé du verdict correspond au temps que le juge du procès estime raisonnablement nécessaire pour trancher une affaire donnée de façon juste. Cela comprend un examen attentif des éléments de preuve, des recherches sur des points de droit et la rédaction de motifs, des démarches qui « favorisent le prononcé de décisions équitables et exactes; la tâche d’énoncer les motifs attire l’attention du juge sur les points saillants et diminue le risque qu’il laisse de côté des questions de fait ou de droit importantes ou ne leur accorde pas l’importance qu’elles méritent » (R. c. R.E.M., 2008 CSC 51, [2008] 3 R.C.S. 3, par. 12). En tant que telle, cette période profite à l’accusé et à la société dans son ensemble.

[61]                          Enfin, un temps raisonnable de délibération en vue du prononcé du verdict doit prendre en considération les contraintes pratiques auxquelles font face les juges de première instance, tant sur le plan individuel que sur le plan institutionnel. Le caractère raisonnable au sens où il faut l’entendre pour l’application de l’al. 11b) a toujours tenu compte du fait que [traduction] « [n]ulle affaire n’est une île que l’on peut traiter comme s’il s’agissait de la seule affaire donnant lieu à une utilisation légitime des ressources judiciaires » (R. c. Allen (1996), 92 O.A.C. 345, par. 27). Les juges de première instance savent très bien qu’il s’agit d’un jeu à somme nulle : le temps de délibération en vue du prononcé du verdict consacré à une affaire ne peut l’être à une autre. La répartition appropriée du temps entre les affaires est fonction de la charge de travail individuelle des juges, de leurs différentes approches quant aux motifs et au raisonnement et des réalités de leur vie quotidienne (voir, p. ex., K.J.M., par. 102). Cela dit, les juges de première instance peuvent et doivent prendre en considération la proximité de l’atteinte des plafonds fixés par l’arrêt Jordan lorsqu’il s’agit de prioriser les affaires qui leur sont confiées.

[62]                          Les ressources affectées au système judiciaire et à l’administration des tribunaux ont aussi des limites. Il va sans dire que cette charge administrative en amont a un impact sur le temps de délibération en aval, en particulier dans les ressorts qui travaillent encore pour répondre à l’arrêt Jordan. Il ne manque pas de commentaires à ce sujet. Par exemple, dans Justice différée, justice refusée : L’urgence de réduire les longs délais dans le système judiciaire au Canada (2017), le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles a indiqué que « [l]’un des problèmes récurrents soulevés par les témoins ainsi que dans l’arrêt Jordan est l’insuffisance chronique des ressources financières » (p. 2). Ce rapport précise que les grands obstacles à la célérité du système judiciaire attribuables à la gestion des instances et des dossiers sont la surréservation des salles d’audience et leur manque d’effectifs, de même que l’élaboration et l’intégration insuffisantes de solutions technologiques qui permettraient d’améliorer l’efficacité des tribunaux (comme l’installation de systèmes de vidéoconférence et d’accès à distance, et l’amélioration de l’établissement des calendriers) (p. 86 et 104). Le rapport fait également état d’un urgent besoin de « pourvoir rapidement les postes vacants de juge de nomination fédérale » (p. 3, voir aussi les p. 6 et 97 et ss.). Il laisse entendre que « [t]ous les problèmes attribuables à la gestion des dossiers et à la gestion efficace des dossiers seraient amoindris si le Canada disposait d’un effectif suffisant de juges pour gérer le nombre d’affaires criminelles en attente de procès » (p. 97). Les juges doivent composer avec ces restrictions institutionnelles et gérer leur charge de travail le plus efficacement possible. Cela dit, rien dans les présents motifs ne doit être interprété comme diminuant la responsabilité du gouvernement de veiller à ce que les tribunaux disposent de ressources suffisantes pour remplir la promesse de l’al. 11b) (voir Jordan, par. 40‑41, 117 et 140).

[63]                          Bien souvent, la mise en balance des considérations mentionnées précédemment donne lieu au prononcé d’un verdict dans le délai indicatif de six mois fixé par le Conseil canadien de la magistrature (« CCM »). Dans le texte intitulé Principes de déontologie judiciaire (2004), le CCM qualifie le respect de ce délai de « fonctio[n] juridictionnell[e] » (p. 20) liée à la charge judiciaire, et décrit le contenu de cette fonction de la façon suivante :

[L]e juge doit prononcer son jugement, et les motifs qui l’accompagnent, dès qu’il est raisonnablement possible de le faire, compte tenu de l’urgence de l’affaire et des autres circonstances particulières auxquelles le juge fait face. Ces circonstances peuvent comprendre la maladie; la longueur ou la complexité de l’affaire; ainsi qu’une charge de travail ou un autre facteur exceptionnels pouvant empêcher que le jugement ne soit prononcé plus rapidement. En 1985, le Conseil canadien de la magistrature a, par voie de résolution, exprimé l’avis que, sauf s’il existe des circonstances particulières, les juges qui ont mis une affaire en délibéré doivent rendre jugement dans les six mois qui suivent l’audience. [Note en bas de page omise; p. 21.]

[64]                          Ce délai suggéré de six mois est certes important, mais il ne constitue pas un facteur déterminant en matière de constitutionnalité. Il ne suffira pas de démontrer que le délai a excédé les lignes directrices pour établir une violation de l’al. 11b). En effet, les Principes de déontologie judiciaire rédigés par le CCM se veulent de « simples recommandations » (p. 3). Les énoncés et principes qu’ils contiennent « ne constituent pas un code ou une liste de comportements prohibés et [. . .] ne doivent pas être utilisés comme tel »; en outre, « [i]ls n’énoncent pas de normes définissant l’inconduite judiciaire » (p. 3). De plus, le délai indicatif suggéré par le CCM reconnaît la nature intrinsèque propre à chaque affaire et à chaque juge de la mise en balance des considérations liées à la nécessité d’instruire rapidement les affaires, de celles liées à l’équité du procès et des contraintes pratiques.

(2)          La question de savoir si le temps de délibération en vue du prononcé du verdict qu’il a fallu au juge du procès a été nettement plus long qu’il aurait dû raisonnablement l’être compte tenu de l’ensemble des circonstances

[65]                          Lorsque l’accusé soutient que le temps de délibération en vue du prononcé du verdict qu’il a fallu au juge du procès a violé le droit d’être jugé dans un délai raisonnable que lui garantit l’al. 11b), il doit établir que le temps consacré aux délibérations a été nettement plus long qu’il aurait dû raisonnablement l’être compte tenu de l’ensemble des circonstances. Cela place — à bon droit, à mon avis — la barre haute. Je le répète, la présomption d’intégrité judiciaire fait naître dans ce contexte une présomption selon laquelle, d’une part, le juge du procès a mis en balance la nécessité d’instruire rapidement les affaires, les considérations liées à l’équité du procès et les contraintes pratiques auxquelles il faisait face et selon laquelle, d’autre part, il n’a pris que le temps raisonnablement nécessaire compte tenu des circonstances pour rendre un verdict juste. Ce n’est que lorsqu’il est conclu que le temps de délibération mis par le juge du procès en vue du prononcé du verdict a été nettement plus long qu’il aurait dû raisonnablement l’être que cette présomption est réfutée. Le seuil est aussi élevé — « nettement plus long » plutôt que « plus long » ou une autre norme moins élevée — en raison de « l’importance considérable » de la présomption d’intégrité (Cojocaru, par. 20). Dans ce contexte, les arrêts de procédure sont significatifs et, bien que distincts de ceux prononcés dans des cas où le délai est inférieur au plafond, ils seront aussi vraisemblablement « rares » et limités aux « cas manifestes » (Jordan, par. 48). Il vaut la peine de réitérer toutefois que lorsqu’une cour conclut que le temps de délibération en vue du prononcé du verdict a été nettement plus long qu’il aurait raisonnablement dû l’être dans une affaire donnée, cela ne devrait pas être considéré comme mettant en doute la compétence générale ou le professionnalisme du juge.

[66]                          Le rôle que joue la présomption d’intégrité dans ce contexte est parfaitement compatible avec la façon dont elle a été appliquée dans la jurisprudence de la Cour. Je conviens avec ma collègue la juge Abella que la présomption sert à éviter la « remise en question rétrospective du raisonnement du juge » (Teskey, par. 47). J’ajouterais toutefois que cette présomption ne concerne pas exclusivement le raisonnement du juge — elle concerne aussi ce qu’il a effectivement fait. Plus précisément, elle reconnaît que le juge est lié par son serment professionnel et suppose qu’il « respecte » effectivement ce dernier en s’acquittant de ses fonctions au meilleur de ses capacités (Teskey, par. 20; voir aussi Cojocaru, par. 17). Dans le présent contexte, la présomption d’intégrité sert ces deux objectifs, à savoir : elle limite considérablement les circonstances dans lesquelles une cour de révision peut remettre en question la décision du juge du procès quant au temps de délibération en vue du prononcé du verdict qui était raisonnablement nécessaire à la lumière des considérations concurrentes en jeu; et elle fournit un fondement légitime pour présumer que le juge du procès n’a effectivement pris que le temps raisonnablement nécessaire compte tenu de toutes les circonstances.

[67]                          Lorsqu’elle procède à cette appréciation, la cour de révision doit tenir compte de l’ensemble des circonstances, dont certaines sont identifiées ci‑après. Cette liste ne se veut pas exhaustive.

[68]                          Le point de départ est, bien entendu, le temps de délibération en vue du prononcé du verdict. S’il est fort peu probable que la prise en compte du temps de délibération soit à elle seule suffisante, il peut y avoir des cas où le temps qu’il a fallu est si manifestement excessif qu’il constitue une violation en soi de l’al. 11b), indépendamment des circonstances.

[69]                          La cour de révision doit aussi se demander à quel point le temps écoulé avant que le juge du procès ne prenne la cause en délibéré était rapproché du plafond pertinent fixé par Jordan et en tenir compte. Cela s’impose pour prendre en considération le fait que, même en l’absence d’un dépassement du plafond, l’incidence du délai sur les droits à la liberté et à la sécurité de l’accusé continue à s’accentuer au fur et à mesure du déroulement de la cause et à l’approche de la fin de la présentation de la preuve et des arguments. Cette incidence cumulative ne disparaît pas lorsque le juge du procès met la cause en délibéré. C’est pourquoi celui‑ci doit tenir compte de la proximité du délai écoulé dans chaque cause avec les plafonds fixés par Jordan pour établir les priorités parmi les dossiers dont il est saisi.

[70]                          La complexité de l’affaire est un facteur important. En effet, le temps de délibération nécessaire varie en fonction de la complexité de l’affaire (voir Jordan, par. 88, citant Morin, p. 791‑792). La quantité et la nature des éléments de preuve présentés, le nombre de coaccusés (le cas échéant), les questions de droit que soulève l’affaire et les positions des parties sont tous des facteurs pertinents pour déterminer si le temps qu’il a fallu au juge du procès pour délibérer en vue du verdict a été nettement plus long qu’il aurait dû raisonnablement l’être compte tenu de l’ensemble des circonstances.

[71]                          N’importe quel élément au dossier émanant du juge ou de la cour peut également être pertinent. Il peut s’agir de communications qu’a adressées la cour aux parties (p. ex., concernant la maladie du juge), ou de communications qu’a adressées le juge aux parties, s’il a jugé bon de le faire (p. ex., au sujet de sa charge de travail et des autres affaires auxquelles il pourrait devoir donner la priorité). De plus, même si le juge n’a versé au dossier aucun renseignement concernant sa charge de travail personnelle, les parties ou le juge siégeant en révision peuvent être au courant des conditions locales régnant dans un ressort donné et peuvent à leur tour être en mesure de tirer des conclusions sur la charge de travail du juge du procès et sur les contraintes institutionnelles auxquelles il a pu faire face. Le fait de garder ces contraintes à l’esprit assure la bonne application de l’al. 11b) pendant que les acteurs étatiques travaillent à répondre à l’arrêt Jordan et à apporter le changement institutionnel qu’exige cette disposition.

[72]                          Enfin, il peut être utile dans certains cas de comparer le temps qu’il a fallu avec le temps qu’il faut généralement pour trancher une affaire de nature semblable dans des circonstances semblables (voir Jordan, par. 89).

[73]                          Comme le fait remarquer ma collègue, ces facteurs sont objectifs. Toutefois, avec tout le respect que je lui dois, la cour de révision n’est pas chargée, comme elle le suggère, d’« évaluer » l’état d’esprit subjectif réel du juge de première instance ou de « se prononcer sur » lui (motifs de la juge Abella, par. 87 et 91). Le test que je propose exige plutôt que la cour de révision s’engage dans une détermination objective — qui reflète le test de l’observateur raisonnable utilisé dans les cas où l’accusé doit directement réfuter la présomption d’intégrité.

C.            Une dernière remarque d’ordre pratique

[74]                          Les avocats se trouvent souvent dans une situation difficile lorsque beaucoup de temps s’est écoulé depuis que le juge du procès a mis l’affaire en délibéré sans qu’ils aient reçu de mises à jour sur l’état du dossier. La Couronne peut hésiter à s’enquérir à cet égard, dans la mesure où elle pourrait donner l’impression d’intervenir de façon inappropriée dans le processus judiciaire. Pour sa part, l’accusé peut, et cela se comprend, ne pas souhaiter être perçu comme exerçant une pression sur la personne qui va décider de son sort.

[75]                          Dans l’arrêt Jordan, la Cour a souligné que tous les participants au système de justice criminelle doivent collaborer pour réduire les délais au minimum et protéger les droits que l’al. 11b) garantit à l’accusé. À cette fin, je ne vois pas pourquoi les parties ne pourraient pas, dans les circonstances qui s’y prêtent et par les voies appropriées, communiquer avec le juge du procès. Il pourrait s’agir d’une brève rencontre en salle d’audience ou d’une communication au moyen de toute autre procédure approuvée par la cour. Peu importe la manière de procéder, les avocats doivent pouvoir s’attendre à ce que le juge soit suffisamment résolu pour examiner une demande de renseignements sans que cela porte à conséquences pour les avocats, l’accusé, ou le procès.

[76]                          En effet, certains ressorts pourraient trouver utile d’établir une procédure normalisée permettant aux avocats de s’enquérir de l’état d’un verdict. Il pourrait s’agir d’une règle de pratique prévoyant une communication conjointe des parties adressée au juge directement, ou au juge principal régional ou à toute autre personne compétente, après qu’un certain temps s’est écoulé. Au bout du compte, l’établissement de ces procédures pourrait réduire l’anxiété et les préoccupations qui découlent du caractère intrinsèquement incertain de la date du verdict, et des délais de façon plus générale (MacDougall, par. 19, citant Rahey, p. 610, le juge Lamer; voir aussi R. c. Potvin, [1993] 2 R.C.S. 880, p. 887). De plus, la communication adressée aux autorités administratives de la cour ou au juge principal régional pourrait contenir des renseignements aidant la cour à gérer la charge de travail des juges. Elle pourrait aussi aider à l’élaboration du dossier aux fins de l’al. 11b).

VI.         Application au pourvoi interjeté par K.G.K.

[77]                          Nonobstant la barre élevée que requiert la présomption d’intégrité, la présente cause se rapproche — et même dangereusement — de la ligne. Cependant, une fois toutes les circonstances prises en considération, je ne suis pas convaincu que K.G.K. s’est acquitté du fardeau d’établir que le temps de délibération en vue du prononcé du verdict a été nettement plus long qu’il aurait dû raisonnablement l’être.

[78]                          Je reconnais, certes, que le temps de délibération en vue du prononcé du verdict en l’espèce a été long, mais je ne suis pas convaincu qu’il a été en soi déraisonnable. Un délai de neuf mois n’est pas si manifestement excessif qu’il constitue, indépendamment des circonstances, une violation de l’al. 11b).

[79]                          Quant aux circonstances de l’espèce, j’ai déjà indiqué que la présente affaire était d’une complexité minimale à moyenne. S’il est vrai que ce facteur remet en question le caractère raisonnable du temps qu’il a fallu, il n’en demeure pas moins que le délai doit être considéré dans son contexte.

[80]                          Exception faite de la déclaration du juge du procès selon laquelle il avait [traduction] « quelques affaires en délibéré » au moment où il a mis son jugement en délibéré en l’espèce, le dossier ne contient aucun renseignement concernant sa charge de travail. Ce facteur n’est donc pas d’un grand secours pour déterminer si la présomption du caractère raisonnable est réfutée.

[81]                          À mon avis, c’est le fait que le procès de K.G.K. et une grande partie du temps de délibération du juge du procès se sont respectivement déroulés et écoulés avant la publication de l’arrêt de la Cour dans Jordan qui est le facteur le plus important. Ce contexte importe. L’arrêt Jordan a lancé un appel à l’action que personne en l’espèce ne pouvait prévoir. En effet, avant la publication de cette décision, les parties semblent s’être conduites avec la complaisance qui caractérisait l’époque. Rien n’indique que K.G.K. ait exprimé un quelconque intérêt — et encore moins une quelconque préoccupation — quant au rythme de la procédure, y compris quant au temps de délibération en vue du prononcé du verdict pris par le juge de première instance, avant que l’arrêt Jordan soit rendu (quelque cinq mois et demi après la mise en délibéré de la cause). Il est tout aussi manifeste que l’arrêt Jordan a provoqué un changement d’attitude chez les personnes jouant un rôle dans l’affaire : K.G.K. reconnaît que c’est cet arrêt qui a donné lieu au dépôt de sa requête fondée sur le délai; la Couronne a écrit au juge en chef adjoint pour s’enquérir de l’état du verdict; et une date a ensuite été fixée pour le prononcé du verdict. Fait à noter dans tout cela, K.G.K. n’a pas suffisamment expliqué pourquoi il a attendu la veille du prononcé du verdict par le juge de première instance (soit près de quatre mois après que l’arrêt Jordan a été rendu) pour déposer la requête en cause fondée sur l’art. 11b). Chose plus importante, l’appréciation antérieure à l’arrêt Jordan qu’a faite le juge du procès de l’équilibre requis entre la nécessité d’instruire rapidement les affaires, les considérations liées à l’équité du procès et les contraintes pratiques auxquelles il faisait face était raisonnable à l’époque. Même si la fin de la présentation de la preuve et des plaidoiries a eu lieu à une date rapprochée du plafond de 30 mois fixé par Jordan, cette proximité dans une cause transitoire (comme celle‑ci) ne permet pas de déterminer si le temps de délibération en vue du prononcé du verdict a été ou non raisonnable. Cela dit, si le juge du procès avait eu accès à l’arrêt Jordan lorsqu’il a mis la cause de K.G.K. en délibéré, la proximité du délai avec le plafond aurait sans aucun doute été un facteur qu’il aurait pris en considération pour juger du temps dont il avait raisonnablement besoin pour rendre son verdict. Il est impossible de savoir avec certitude combien de temps il aurait pris pour délibérer et pour rendre son verdict, mais l’on peut tenir pour acquis qu’il aurait rendu son verdict et publié ses motifs plus tôt qu’il ne l’a fait. Il ne peut lui être reproché de ne pas avoir tenu compte de ce facteur avant le prononcé de l’arrêt Jordan.

[82]                          Cela dit, si la présente affaire avait été entendue entièrement après le prononcé de l’arrêt Jordan, j’aurais selon toute vraisemblance tranché différemment la question relative à l’art. 11b). À cet égard, je dois respectueusement contredire ma collègue selon laquelle le test que j’ai proposé « hausse [. . .] le fardeau de l’accusé à un seuil à la fois non pertinent sur le plan conceptuel et inatteignable » et « pourrait avoir la conséquence imprévue de soustraire le temps de délibération des juges de procès à un examen fondé sur la Charte  » (motifs de la juge Abella, par. 94). Ce n’est tout simplement pas le cas.

[83]                          En résumé, compte tenu de l’ensemble des circonstances, K.G.K. n’a pas établi que le temps de délibération en vue du prononcé du verdict qu’il a fallu au juge du procès a été nettement plus long qu’il aurait dû raisonnablement l’être. Qui plus est, je souscris à l’opinion exprimée par les juges majoritaires de la Cour d’appel aux par. 246 à 250 de leurs motifs, selon laquelle le juge des requêtes n’a pas commis d’erreur en concluant que, une fois la durée du délibéré soustraite du délai total qui s’est écoulé avant le prononcé du verdict, la présente cause constitue une mesure transitoire exceptionnelle au sens de l’arrêt Jordan.

VII.      Conclusion

[84]                         Je suis donc d’avis de rejeter le pourvoi.

Version française des motifs rendus par

[85]                          La juge Abella — Je suis d’accord avec le résultat auquel arrivent les juges majoritaires quant à l’appel et avec la majeure partie de leur analyse. Je ne souscris toutefois pas à leur utilisation de la présomption d’intégrité judiciaire comme élément du test pour évaluer si le temps de délibération a porté atteinte au droit de l’accusé d’être jugé dans un délai raisonnable. Je ne vois pas pourquoi il est nécessaire de mettre en cause l’intégrité du juge du procès afin de pouvoir conclure que le temps consacré à la délibération dans une affaire donnée est déraisonnable, ce qui a pour effet de hausser le fardeau de l’accusé à un niveau presque insurmontable.

[86]                          Le test préconisé par les juges majoritaires pour évaluer si le temps de délibération a porté atteinte au droit de l’accusé d’être jugé dans un délai raisonnable consiste à se demander « si [ce] temps [. . .] a été nettement plus long qu’il aurait dû raisonnablement l’être compte tenu de l’ensemble des circonstances ». Ils concluent que, pour satisfaire à ce test, l’accusé doit réfuter la présomption d’intégrité judiciaire. Je ne vois toutefois pas quel rôle utile cette présomption peut jouer pour évaluer si un délai est « nettement plus long » que ce qui serait raisonnable.

[87]                          Comme le notent les juges majoritaires, pour évaluer le caractère raisonnable du temps de délibération du juge, il faut examiner des facteurs tels la durée du temps de délibération en vue du prononcé du verdict, la proximité avec le plafond présumé pertinent fixé par R. c. Jordan, [2016] 1 R.C.S. 631, la complexité de la cause y compris la quantité d’éléments de preuve et leur nature ainsi que les questions juridiques en cause, les conditions locales et tout autre élément du dossier du juge qui pourrait expliquer le délai. Il s’agit de facteurs objectifs et contextuels. À mon avis, le test ne nécessite pas d’évaluer l’intégrité du juge ou son état d’esprit subjectif et ne devrait pas exiger de le faire.

[88]                          La présomption d’intégrité judiciaire « reconnaît que les juges sont tenus de respecter leur serment professionnel et de s’acquitter des obligations qu’ils ont fait le serment de remplir » (Cojocaru c. British Columbia Women’s Hospital and Health Centre, [2013] 2 R.C.S. 357, par. 17, citant R. c. Teskey, [2007] 2 R.C.S. 267, par. 29, la juge Abella, dissidente). Elle est invoquée dans les causes où il est nécessaire d’évaluer l’état d’esprit du juge pour décider s’il « [a] honoré son serment en accomplissant sa tâche » (Cojocaru, par. 15). Dans ces causes, la présomption d’intégrité judiciaire sert à « protéger la magistrature contre les attaques perceptuelles injustifiées » et à éviter les « remise[s] en question rétrospective du raisonnement du juge » (Teskey, par. 47).

[89]                          Selon cette jurisprudence, pour réfuter la présomption d’intégrité judiciaire, la partie qui conteste l’issue de la cause doit présenter « une preuve convaincante » démontrant qu’une personne raisonnable mise au fait de tous les faits pertinents conclurait, eu égard à l’ensemble des circonstances, que la présomption est réfutée (Cojocaru, par. 18 et 27‑28; Teskey, par. 21 et 33; voir aussi R. c. Chan (2019), 82 Alta. L.R. (6th) 1 (C.A.), par. 12; 8640025 Canada Inc. (Re) (2019), 75 C.B.R. (6th) 3, par. 79).

[90]                          Il est difficile de voir quelle « preuve convaincante » un accusé pourrait présenter dans le présent contexte pour démontrer que la présomption d’intégrité judiciaire a été réfutée, mise à part la preuve de la durée du délai dans les circonstances. Les facteurs objectifs exposés par les juges majoritaires permettent d’évaluer le caractère raisonnable du délai. La norme du délai « nettement plus long » adoptée par les juges majoritaires constitue déjà un seuil élevé. Faire peser sur l’accusé le fardeau supplémentaire de démontrer que le juge du procès a agi sans intégrité, surtout sans moyen clair pour en faire la démonstration, élève le fardeau à un seuil inatteignable. Autrement dit, cela crée un risque que la présomption d’intégrité judiciaire serve à justifier le temps de délibération qui, objectivement, a été nettement plus long qu’il n’aurait dû raisonnablement l’être.

[91]                          Qui plus est, les juges majoritaires semblent avoir écarté le rôle de la « personne raisonnable », un élément clé de l’évaluation servant à déterminer si la présomption d’intégrité judiciaire a été réfutée. Dans le contexte de cette évaluation, notre jurisprudence a fait intervenir la personne raisonnable pour que les cours de révision puissent éviter de se prononcer sur l’état d’esprit véritable du juge; une tâche « évidemment impossible » (Bande indienne Wewaykum c. Canada, [2003] 2 R.C.S. 259, par. 64, citant le juge Cory dans Newfoundland Telephone Co. c. Terre-Neuve (Board of Commissioners of Public Utilities), [1992] 1 R.C.S. 623, p. 636). Suivant le test énoncé par les juges majoritaires, sans la perspective objective de la personne raisonnable, la conclusion d’une cour de révision que la présomption d’intégrité judiciaire a été réfutée entraînera forcément l’inférence que le juge du procès a effectivement agi sans intégrité. Cela alourdit forcément le fardeau de l’accusé en exigeant que la cour de révision tire une conclusion directe quant à l’état d’esprit subjectif du juge et quant à son intégrité.

[92]                          Il vaut la peine de noter que sans faire appel à la présomption d’intégrité judiciaire, le test du délai « nettement plus long » adopté par les juges majoritaires serait totalement compatible avec l’arrêt Jordan. Dans cet arrêt, la Cour a établi des « plafonds présumés » au‑delà desquels le délai était présumé déraisonnable. Au‑delà du plafond présumé, il revenait à la Couronne de justifier le temps qu’il avait fallu pour instruire l’affaire (Jordan, par. 58). En deçà du plafond et avant l’inversement du fardeau de preuve, l’accusé avait le fardeau de démontrer que « le procès a été nettement plus long qu’il aurait dû raisonnablement l’être » pour établir que le délai avait été déraisonnable (Jordan, par. 48)[2]. Cette norme est celle qu’ont adoptée les juges majoritaires dans la présente affaire pour évaluer le caractère déraisonnable du temps de délibération en vue du prononcé du verdict.

[93]                          L’absence de plafonds présumés dans le cas du temps de délibération signifie que le fardeau de démontrer son caractère déraisonnable repose toujours sur l’accusé. Ajouter à ce fardeau l’obligation de démontrer la réfutation de la présomption d’intégrité judiciaire met celui-ci hors de la portée de l’accusé.

[94]                         La présence de la présomption d’intégrité judiciaire dans le test adopté par les juges majoritaires hausse déraisonnablement le fardeau de l’accusé à un seuil à la fois non pertinent sur le plan conceptuel et inatteignable. Exiger que l’accusé démontre, et que la cour de révision accepte, que le juge du procès ait agi sans intégrité pour conclure que le temps de délibération a été déraisonnable pourrait avoir la conséquence imprévue de soustraire le temps de délibération des juges de procès à un examen fondé sur la Charte canadienne des droits et libertés  et, ultimement, d’affaiblir la teneur du droit de l’accusé d’être jugé dans un délai raisonnable. À mon avis, le test énoncé par les juges majoritaires serait plus efficace et équitable sans cette présomption.

                    Pourvoi rejeté.

                    Procureurs de l’appelant : Bueti Wasyliw Wiebe, Winnipeg; Legal Aid Manitoba, Winnipeg.

                    Procureur de l’intimée : Procureur général du Manitoba, Winnipeg.

                    Procureur de l’intervenante la directrice des poursuites pénales : Service des poursuites pénales du Canada, Vancouver.

                    Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Ontario : Procureur général de l’Ontario, Toronto.

                    Procureur de l’intervenant le directeur des poursuites criminelles et pénales : Directeur des poursuites criminelles et pénales, Québec.

                    Procureurs de l’intervenante Criminal Lawyers’ Association of Ontario : Presser Barristers, Toronto.



[1]  Ce test ne s’applique que lorsqu’il s’agit de déterminer si le temps qu’a pris le juge du procès pour délibérer et pour rendre sa décision après la présentation de la preuve et des plaidoiries au procès viole l’al. 11b). Les présents motifs ne traitent pas du test applicable au délai écoulé après le prononcé du verdict, p. ex., celui écoulé avant le prononcé de la peine.

[2]  Suivant le cadre d’analyse adopté par Jordan, lorsqu’elle sollicite un arrêt des procédures dans le contexte d’un délai inférieur au plafond présumé, en plus de démontrer que « le procès a été nettement plus long qu’il aurait dû raisonnablement l’être », la défense doit aussi établir « qu’elle a pris des mesures utiles qui font la preuve d’un effort soutenu pour accélérer l’instance » (Jordan, par. 48). Cette considération n’entre pas en jeu dans le test pour évaluer le temps de délibération en vue du prononcé du verdict puisque l’accusé n’a aucun moyen « d’accélérer l’instance » dans ce contexte.

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