Jugements de la Cour suprême

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COUR SUPRÊME DU CANADA

 

Référence : 9354-9186 Québec inc. c.

Callidus Capital Corp., 2020 CSC 10, [2020] 1 R.C.S. 521

Appels entendus et jugement rendu : 23 janvier 2020

Motifs de jugement : 8 mai 2020

Dossier : 38594

 

Entre :

 

9354-9186 Québec inc. et 9354-9178 Québec inc.

Appelantes

 

et

 

Callidus Capital Corporation, International Game Technology, Deloitte S.E.N.C.R.L.,

Luc Carignan, François Vigneault, Philippe Millette, Francis Proulx et François Pelletier

Intimés

 

- et -

 

Ernst & Young Inc., IMF Bentham Limited (maintenant connue sous le nom d’Omni Bridgeway Limited), Corporation Bentham IMF Capital (maintenant connue sous le nom de Corporation Omni Bridgeway Capital (Canada)), Institut d’insolvabilité du Canada et

Association canadienne des professionnels de l’insolvabilité et de la réorganisation

Intervenants

 

Et entre:

 

IMF Bentham Limited (maintenant connue sous le nom d’Omni Bridgeway Limited) et Corporation Bentham IMF Capital (maintenant connue sous le nom de Corporation Omni Bridgeway Capital (Canada))

Appelantes

 

et

 

Callidus Capital Corporation, International Game Technology, Deloitte S.E.N.C.R.L.,

Luc Carignan, François Vigneault, Philippe Millette, Francis Proulx et François Pelletier

Intimés

 

- et -

 

Ernst & Young Inc., 9354-9186 Québec inc., 9354-9178 Québec inc.,

Institut d’insolvabilité du Canada et

Association canadienne des professionnels de l’insolvabilité et de la réorganisation

Intervenants

 

Traduction française officielle

 

Coram : Le juge en chef Wagner et les juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Côté, Rowe et Kasirer

 

Motifs de jugement conjoints :

(par. 1 à 117)

Le juge en chef Wagner et le juge Moldaver (avec l’accord des juges Abella, Karakatsanis, Côté, Rowe et Kasirer)

 

 

 


 


9354-9186 Québec inc. et

9354-9178 Québec inc.                                                                                 Appelantes

c.

Callidus Capital Corporation,

International Game Technology,
Deloitte S.E.N.C.R.L., Luc Carignan,
François Vigneault, Philippe Millette,
Francis Proulx et François Pelletier                                                                 Intimés

et

Ernst & Young Inc.,

IMF Bentham Limited (maintenant connue sous le nom d’Omni Bridgeway Limited), Corporation Bentham IMF Capital (maintenant connue sous le nom de Corporation Omni Bridgeway Capital (Canada)), Institut d’insolvabilité du Canada et Association canadienne des professionnels de l’insolvabilité et de la réorganisation                                                       Intervenants

- et -

IMF Bentham Limited (maintenant connue sous le nom d’Omni Bridgeway Limited) et Corporation Bentham IMF Capital (maintenant connue sous le nom de Corporation Omni Bridgeway Capital (Canada))                                                                                                      Appelantes

c.

Callidus Capital Corporation, International Game Technology, Deloitte S.E.N.C.R.L., Luc Carignan, François Vigneault, Philippe Millette, Francis Proulx et François Pelletier Intimés

et

Ernst & Young Inc.,

9354-9186 Québec inc.,

9354-9178 Québec inc., Institut d’insolvabilité du Canada et
Association canadienne des professionnels de l’insolvabilité et de la réorganisation    Intervenants

Répertorié : 9354-9186 Québec inc. c. Callidus Capital Corp.

2020 CSC 10

No du greffe : 38594.

Audition et jugement : 23 janvier 2020.

Motifs déposés : 8 mai 2020.

Présents : Le juge en chef Wagner et les juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Côté, Rowe et Kasirer.

en appel de la cour d’appel du québec

                    Faillite et insolvabilité Pouvoir discrétionnaire du juge surveillant dans une instance introduite sous le régime de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies  Contrôle en appel des décisions du juge surveillant Le juge surveillant a-t-il le pouvoir discrétionnaire d’empêcher un créancier de voter sur un plan d’arrangement si ce créancier agit dans un but illégitime? Le juge surveillant peut‑il approuver le financement de litige par un tiers à titre de financement temporaire? Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, L.R.C. 1985, c. C-36, art. 11 , 11.2 .

                    En novembre 2015, les compagnies débitrices déposent une requête en délivrance d’une ordonnance initiale sous le régime de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies  (« LACC  »). La requête est accueillie, et l’ordonnance initiale est rendue par un juge surveillant, qui est chargé de surveiller le déroulement de l’instance. Depuis, la quasi-totalité des éléments d’actif de la compagnie débitrice ont été liquidés, à l’exception notable des réclamations réservées en dommages-intérêts contre le seul créancier garanti des compagnies. En septembre 2017, le créancier garanti propose un plan d’arrangement, qui n’obtient pas subséquemment l’appui nécessaire des créanciers. En février 2018, le créancier garanti propose un autre plan d’arrangement, presque identique au premier. Il demande aussi au juge surveillant la permission de voter sur ce nouveau plan dans la même catégorie que les créanciers non garantis des compagnies débitrices, au motif que sa sûreté ne vaut rien. À peu près au même moment, les compagnies débitrices demandent un financement temporaire sous forme d’un accord de financement de litige par un tiers qui leur permettrait de poursuivre l’instruction des réclamations réservées. Elles sollicitent également l’approbation d’une charge super-prioritaire pour financer le litige.

                    Le juge surveillant décide que le créancier garanti ne peut voter sur le nouveau plan parce qu’il agit dans un but illégitime. En conséquence, le nouveau plan n’a aucune possibilité raisonnable d’être avalisé et il n’est pas soumis au vote des créanciers. Le juge surveillant accueille la demande des compagnies débitrices et les autorise à conclure un accord de financement de litige par un tiers. À l’issue d’un appel formé par le créancier garanti et certains des créanciers non garantis, la Cour d’appel annule l’ordonnance du juge surveillant, estimant qu’il est parvenu à tort aux conclusions qui précèdent.

                    Arrêt : Le pourvoi est accueilli et l’ordonnance du juge surveillant est rétablie.

                    Le juge surveillant n’a commis aucune erreur en empêchant le créancier garanti de voter ou en approuvant l’accord de financement de litige par un tiers. Un juge surveillant a le pouvoir discrétionnaire d’empêcher un créancier de voter sur un plan d’arrangement s’il décide que le créancier agit dans un but illégitime. Un juge surveillant peut aussi approuver le financement de litige par un tiers à titre de financement temporaire, en vertu de l’art. 11.2  de la LACC . La Cour d’appel n’était pas justifiée de modifier les décisions discrétionnaires du juge surveillant à cet égard et n’a pas fait preuve de la déférence à laquelle elle était tenue par rapport à ces décisions.

                    La LACC  est l’une des trois principales lois canadiennes en matière d’insolvabilité. Elle poursuit un grand nombre d’objectifs réparateurs généraux qui témoignent de la vaste gamme des conséquences potentiellement catastrophiques qui peuvent découler de l’insolvabilité. Ces objectifs incluent les suivants : régler de façon rapide, efficace et impartiale l’insolvabilité d’un débiteur; préserver et maximiser la valeur des actifs d’un débiteur; assurer un traitement juste et équitable des réclamations déposées contre un débiteur; protéger l’intérêt public; et, dans le contexte d’une insolvabilité commerciale, établir un équilibre entre les coûts et les bénéfices découlant de la restructuration ou de la liquidation d’une compagnie. La structure de la LACC  laisse au juge surveillant le soin de procéder à un examen et à une mise en balance au cas par cas de ces objectifs.

                    Chaque procédure fondée sur la LACC  est supervisée du début à la fin par un seul juge surveillant, qui a le vaste pouvoir discrétionnaire de rendre toute une gamme d’ordonnances susceptibles de répondre aux circonstances de chaque cas. Le point d’ancrage de ce pouvoir discrétionnaire est l’art. 11  de la LACC , lequel confère au juge le pouvoir de rendre toute ordonnance qu’il estime indiquée. Quoique vaste, ce pouvoir discrétionnaire n’est pas sans limites. Son exercice doit tendre à la réalisation des objectifs réparateurs de la LACC et tenir compte de trois considérations de base : (1) que l’ordonnance demandée est indiquée, et (2) que le demandeur a agi de bonne foi et (3) avec la diligence voulue. La considération de diligence décourage les parties de rester sur leurs positions et fait en sorte que les créanciers n’usent pas stratégiquement de ruse ou ne se placent pas eux‑mêmes dans une position pour obtenir un avantage. Les décisions discrétionnaires des juges chargés de la supervision des procédures intentées sous le régime de la LACC  commandent un degré élevé de déférence. En conséquence, les cours d’appel ne seront justifiées d’intervenir que si le juge surveillant a commis une erreur de principe ou exercé son pouvoir discrétionnaire de manière déraisonnable.

                    En général, un créancier peut voter sur un plan d’arrangement ou une transaction qui a une incidence sur ses droits, sous réserve des dispositions de la LACC  qui peuvent limiter son droit de voter, ou de l’exercice justifié par le juge surveillant de son pouvoir discrétionnaire de limiter ou de supprimer ce droit. Étant donné que le régime de la LACC , dont l’un des aspects essentiels tient à la participation du créancier au processus décisionnel, les créanciers ne devraient être empêchés de voter que si les circonstances l’exigent. Lorsqu’un créancier cherche à exercer ses droits de vote de manière à contrecarrer ou à miner les objectifs réparateurs de la LACC  ou à aller à l’encontre de ceux‑ci — c’est‑à‑dire à agir dans un but illégitime — l’art. 11  de la LACC  confère au juge surveillant le pouvoir discrétionnaire d’empêcher le créancier de voter. Ce pouvoir discrétionnaire s’apparente au pouvoir discrétionnaire semblable qui existe en vertu de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité  et favorise l’équité fondamentale qui imprègne le droit et la pratique en matière d’insolvabilité au Canada. La question de savoir s’il y a lieu d’exercer le pouvoir discrétionnaire dans une situation donnée appelle une analyse fondée sur les circonstances propres à chaque situation que le juge surveillant est le mieux placé pour effectuer.

                    En l’espèce, la décision du juge surveillant d’empêcher le créancier garanti de voter sur le nouveau plan ne révèle aucune erreur justifiant l’intervention d’une cour d’appel. Lorsqu’il a rendu sa décision, le juge surveillant connaissait très bien les procédures en cause, car il les avait présidées pendant plus de 2 ans, avait reçu 15 rapports du contrôleur et avait délivré environ 25 ordonnances. Il a tenu compte de l’ensemble des circonstances et a conclu que le vote du créancier garanti viserait un but illégitime. Il savait qu’avant le vote sur le premier plan, le créancier garanti avait choisi de n’évaluer aucune partie de sa réclamation à titre de créancier non garanti et n’avait pas tenté de voter sur ce plan, qui n’a finalement pas reçu l’aval des autres créanciers. Entre l’insuccès du premier plan et la proposition du nouveau plan (identique pour l’essentiel au premier plan), les circonstances factuelles se rapportant aux affaires financières ou commerciales des compagnies débitrices n’avaient pas réellement changé. Pourtant, le créancier garanti a tenté d’évaluer la totalité de sa sûreté à zéro et, sur cette base, a demandé l’autorisation de voter sur le nouveau plan à titre de créancier non garanti. Si le créancier garanti avait été autorisé à voter de cette façon, le nouveau plan aurait certainement satisfait au critère d’approbation à double majorité prévu par le par. 6(1)  de la LACC . La seule conclusion possible était que le créancier garanti tentait d’évaluer stratégiquement la valeur de sa sûreté afin de prendre le contrôle du vote et ainsi contourner la démocratie entre les créanciers que défend la LACC . La façon d’agir du créancier garanti était manifestement contraire à l’attente selon laquelle les parties agissent avec diligence dans une procédure d’insolvabilité, ce qui comprend le fait de faire preuve de diligence raisonnable dans l’évaluation de leurs réclamations et sûretés. Le créancier garanti a donc été empêché à bon droit de voter sur le nouveau plan.

                    La question de savoir s’il y a lieu d’approuver le financement d’un litige par un tiers à titre de financement temporaire commande une analyse fondée sur les faits de l’espèce qui doit tenir compte du libellé de l’art. 11.2 de la LACC et des objectifs réparateurs de la LACC de façon plus générale. Le financement temporaire est un outil souple qui peut revêtir différentes formes. Cela ressort du libellé du par. 11.2(1), qui est large et ne prescrit aucune forme ou condition type. Le financement temporaire permet essentiellement de préserver et de réaliser la valeur des éléments d’actif du débiteur. Dans certaines circonstances, comme en l’espèce, le financement de litige favorise la réalisation de cet objectif fondamental. Les accords de financement de litige par un tiers peuvent être approuvés à titre de financement temporaire dans le cadre des procédures fondées sur la LACC  lorsque le juge surveillant estime qu’il serait juste et approprié de le faire, compte tenu de l’ensemble des circonstances et des objectifs de la Loi. Cela implique la prise en considération des facteurs précis énoncés au par. 11.2(4)  de la LACC . Ces facteurs ne doivent pas être appliqués machinalement ou examinés individuellement par le juge surveillant, car ils ne seront pas tous importants dans tous les cas, et ils ne sont pas non plus exhaustifs. En outre, pour qu’un accord de financement de litige par un tiers soit approuvé à titre de financement temporaire, il ne doit pas comporter des conditions qui le convertissent effectivement en plan d’arrangement.

                    En l’espèce, il n’y a aucune raison d’intervenir dans l’exercice par le juge surveillant de son pouvoir discrétionnaire d’approuver l’accord de financement de litige à titre de financement temporaire. L’examen des motifs du juge surveillant dans leur ensemble, conjugué à la reconnaissance de son expérience évidente des procédures intentées par les compagnies débitrices sous le régime de la LACC , mène à la conclusion que les facteurs énumérés au par. 11.2(4) concernent des questions qui n’auraient pu échapper à son attention et à son examen adéquat. Il est manifeste que le juge surveillant a mis l’accent sur l’équité envers toutes les parties, les objectifs précis de la LACC et les circonstances particulières de la présente affaire lorsqu’il a approuvé l’accord de financement de litige à titre de financement temporaire. De plus, l’accord de financement de litige ne constitue pas un plan d’arrangement parce qu’il ne propose aucune transaction visant les droits des créanciers. Le fait que les créanciers puissent en fin de compte remporter plus ou moins d’argent ne modifie en rien la nature ou l’existence de leurs droits d’avoir accès aux fonds provenant des actifs des compagnies débitrices, pas plus qu’on ne saurait dire qu’il s’agit d’une transaction à l’égard de leurs droits. Enfin, la charge relative au financement de litige ne convertit pas l’accord de financement de litige en plan d’arrangement. Une conclusion contraire aurait pour effet d’annihiler le pouvoir du juge surveillant d’approuver ces charges sans un vote des créanciers, un résultat qui est expressément prévu par l’art. 11.2  de la LACC .

 

Jurisprudence

Citée par le juge en chef Wagner et le juge Moldaver

                    Arrêt appliqué : Century Services Inc. c. Canada (Procureur général), 2010 CSC 60, [2010] 3 R.C.S. 379; arrêts examinés : Re Crystallex, 2012 ONCA 404, 293 O.A.C. 102; Laserworks Computer Services Inc. (Bankruptcy), Re, 1998 NSCA 42, 165 N.S.R. (2d) 296; arrêts mentionnés : Bayens c. Kinross Gold Corporation, 2013 ONSC 4974, 117 O.R. (3d) 150; Hayes c. The City of Saint John, 2016 NBQB 125; Schenk c. Valeant Pharmaceuticals International Inc., 2015 ONSC 3215, 74 C.P.C. (7th) 332; Re Blackburn, 2011 BCSC 1671, 27 B.C.L.R. (5th) 199; Sun Indalex Finance, LLC c. Syndicat des Métallos, 2013 CSC 6, [2013] 1 R.C.S. 271; Ernst & Young Inc. c. Essar Global Fund Ltd., 2017 ONCA 1014, 139 O.R. (3d) 1; Third Eye Capital Corporation c. Ressources Dianor Inc./Dianor Resources Inc., 2019 ONCA 508, 435 D.L.R. (4th) 416; Re Canadian Red Cross Society (1998), 5 C.B.R. (4th) 299; Re Target Canada Co., 2015 ONSC 303, 22 C.B.R. (6th) 323; Uti Energy Corp. c. Fracmaster Ltd., 1999 ABCA 178, 244 A.R. 93, conf. 1999 ABQB 379, 11 C.B.R. (4th) 204; Orphan Well Association c. Grant Thornton Ltd., 2019 CSC 5, [2019] 1 R.C.S. 150; Stelco Inc. (Re) (2005), 253 D.L.R. (4th) 109; Lehndorff General Partner Ltd., Re (1993), 17 C.B.R. (3d) 24; North American Tungsten Corp. c. Global Tungsten and Powders Corp., 2015 BCCA 390, 377 B.C.A.C. 6; Re BA Energy Inc., 2010 ABQB 507, 70 C.B.R. (5th) 24; HSBC Bank Canada c. Bear Mountain Master Partnership, 2010 BCSC 1563, 72 C.B.R. (5th) 276; Caterpillar Financial Services Ltd. c. 360networks Corp., 2007 BCCA 14, 279 D.L.R. (4th) 701; Grant Forest Products Inc. c. Toronto-Dominion Bank, 2015 ONCA 570, 387 D.L.R. (4th) 426; Bridging Finance Inc. c. Béton Brunet 2001 inc., 2017 QCCA 138, 44 C.B.R. (6th) 175; New Skeena Forest Products Inc., Re, 2005 BCCA 192, 39 B.C.L.R. (4th) 338; Canadian Metropolitan Properties Corp. c. Libin Holdings Ltd., 2009 BCCA 40, 308 D.L.R. (4th) 339; Metcalfe & Mansfield Alternative Investments II Corp. (Re), 2008 ONCA 587, 296 D.L.R. (4th) 135; Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601; Re 1078385 Ontario Ltd. (2004), 206 O.A.C. 17; ATCO Gas and Pipelines Ltd. c. Alberta (Energy and Utilities Board), 2006 CSC 4, [2006] 1 R.C.S. 140; Nortel Networks Corp., Re, 2015 ONCA 681, 391 D.L.R. (4th) 283; Kitchener Frame Ltd., 2012 ONSC 234, 86 C.B.R. (5th) 274; Royal Oak Mines Inc., Re (1999), 6 C.B.R. (4th) 314; Boutiques San Francisco Inc. c. Richter & Associés Inc., 2003 CanLII 36955; Dugal c. Manulife Financial Corp., 2011 ONSC 1785, 105 O.R. (3d) 364; Montgrain c. Banque nationale du Canada, 2006 QCCA 557, [2006] R.J.Q. 1009; Langtry c. Dumoulin (1884), 7 O.R. 644; McIntyre Estate c. Ontario (Attorney General) (2002), 218 D.L.R. (4th) 193; Marcotte c. Banque de Montréal, 2015 QCCS 1915; Houle c. St. Jude Medical Inc., 2017 ONSC 5129, 9 C.P.C. (8th) 321, conf. par 2018 ONSC 6352, 429 D.L.R. (4th) 739; Stanway c. Wyeth, 2013 BCSC 1585, 56 B.C.L.R. (5th) 192; Re Crystallex International Corporation, 2012 ONSC 2125, 91 C.B.R. (5th) 169; Cliffs Over Maple Bay Investments Ltd. c. Fisgard Capital Corp., 2008 BCCA 327, 296 D.L.R. (4th) 577.

Lois et règlements cités

An Act respecting Champerty, R.S.O. 1897, c. 327.

Loi n o  1 d’exécution du budget de 2019 , L.C. 2019, c. 29, art. 133 , 138 , 140 .

Loi sur la faillite et l’insolvabilité , L.R.C. 1985, c. B‑3, art. 4.2 , 43(7) , 50(1) , 54(3) , 108(3) , 187(9) .

Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies , L.R.C. 1985, c. C‑36, art. 2(1) , 3(1) , 4 , 5 , 6(1) , 7 , 11 , 11.2(1) , (2) , (4) , a), b), c), d), e), f), g), (5) , 11.7 , 11.8 , 18.6 , 22(1) , (2) , (3) , 23(1) d), i), 23  à 25 , 36 .

Loi sur les liquidations et les restructurations , L.R.C. 1985, c. W‑11, art. 6(1) .

Doctrine et autres documents cités

Agarwal, Ranjan K., and Doug Fenton. « Beyond Access to Justice : Litigation Funding Agreements Outside the Class Actions Context » (2017), 59 Rev. can. dr. comm. 65.

Canada. Bureau du surintendant des faillites Canada. Projet de loi C-12 : analyse article par article, élaboré par Industrie Canada, dernière mise à jour 24 mars 2015 (en ligne : https://www.ic.gc.ca/eic/site/bsf-osb.nsf/fra/br01986.html#a77f; version archivée : https://www.scc-csc.ca/cso-dce/2020SCC-CSC10_2_fra.pdf).

Canada. Innovation, Sciences et Développement économique Canada. Archivé — Projet de Loi C-55 : analyse article par article, dernière mise à jour 29 décembre 2016 (en ligne : https://www.ic.gc.ca/eic/site/cilp-pdci.nsf/fra/cl00908.html#lacc11-2; version archivée : https://www.scc-csc.ca/cso-dce/2020SCC-CSC10_1_fra.pdf).

Canada. Sénat. Comité sénatorial permanent des banques et du commerce. Les débiteurs et les créanciers doivent se partager le fardeau : Examen de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité et de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, Ottawa, 2003.

Houlden, Lloyd W., Geoffrey B. Morawetz and Janis P. Sarra. Bankruptcy and Insolvency Law of Canada, vol. 4, 4th ed., Toronto, Thomson Reuters, 2009 (loose‑leaf updated 2020, release 3).

Kaplan, Bill. « Liquidating CCAAs : Discretion Gone Awry? », in Janis P. Sarra, ed., Annual Review of Insolvency Law, Toronto, Carswell, 2008, 79.

Klar, Lewis N., et al. Remedies in Tort, vol. 1, by Leanne Berry, ed., Toronto, Thomson Reuters, 1987 (loose-leaf updated 2019, release 12).

McElcheran, Kevin P. Commercial Insolvency in Canada, 4th ed., Toronto, LexisNexis, 2019.

Michaud, Guillaume. « New Frontier : The Emergence of Litigation Funding in the Canadian Insolvency Landscape », in Janis P. Sarra et al., eds., Annual Review of Insolvency Law 2018, Toronto, Thomson Reuters, 2019, 221.

Nocilla, Alfonso. « Asset Sales Under the Companies’ Creditors Arrangement Act  and the Failure of Section 36 » (2012), 52 Rev. can. dr. comm. 226.

Nocilla, Alfonso. « The History of the Companies’ Creditors Arrangement Act  and the Future of Re‑Structuring Law in Canada » (2014), 56 Rev. can. dr. comm. 73.

Rotsztain, Michael B., and Alexandra Dostal. « Debtor‑In-Possession Financing », in Stephanie Ben‑Ishai and Anthony Duggan, eds., Canadian Bankruptcy and Insolvency Law : Bill C‑55, Statute c. 47 and Beyond, Markham (Ont.), LexisNexis, 2007, 227.

Sarra, Janis P. Rescue! The Companies’ Creditors Arrangement Act , 2nd ed., Toronto, Carswell, 2013.

Sarra, Janis P. « The Oscillating Pendulum : Canada’s Sesquicentennial and Finding the Equilibrium for Insolvency Law », in Janis P. Sarra and Barbara Romaine, eds., Annual Review of Insolvency Law 2016, Toronto, Thomson Reuters, 2017, 9.

Wood, Roderick J. Bankruptcy and Insolvency Law, 2nd ed., Toronto, Irwin Law, 2015.

                    POURVOIS contre un arrêt de la Cour d’appel du Québec (les juges Dutil, Schrager et Dumas), 2019 QCCA 171, [2019] AZ-51566416, [2019] Q.J. No. 670 (QL), 2019 CarswellQue 94 (WL Can.), qui a infirmé une décision du juge Michaud, 2018 QCCS 1040, [2018] AZ-51477967, [2018] Q.J. No. 1986 (QL), 2018 CarswellQue 1923 (WL Can.). Pourvois accueillis.

                    Jean-Philippe Groleau, Christian Lachance, Gabriel Lavery Lepage et Hannah Toledano, pour les appelantes/intervenantes 9354‑9186 Québec inc. et 9354‑9178 Québec inc.

                    Neil A. Peden, pour les appelantes/intervenantes IMF Bentham Limited (maintenant connue sous le nom d’Omni Bridgeway Limited) et Corporation Bentham IMF Capital (maintenant connue sous le nom de Corporation Omni Bridgeway Capital (Canada)).

                    Geneviève Cloutier et Clifton P. Prophet, pour l’intimée Callidus Capital Corporation.

                    Jocelyn Perreault, Noah Zucker et François Alexandre Toupin, pour les intimés International Game Technology, Deloitte S.E.N.C.R.L., Luc Carignan, François Vigneault, Philippe Millette, Francis Proulx et François Pelletier.

                    Joseph Reynaud et Nathalie Nouvet, pour l’intervenante Ernst & Young Inc.

                    Sylvain Rigaud, Arad Mojtahedi et Saam Pousht-Mashhad, pour les intervenants l’Institut d’insolvabilité du Canada et l’Association canadienne des professionnels de l’insolvabilité et de la réorganisation.

                    Version française des motifs de jugement de la Cour rendus par

                    Le juge en chef et le juge Moldaver —

I.               Aperçu

[1]                              Ces pourvois s’inscrivent dans le contexte d’une instance toujours en cours introduite sous le régime de la Loi sur les arrangements avec les créanciers de compagnies, L.R.C. 1985, c. C‑36  (« LACC  »), dans le cadre de laquelle la quasi‑totalité des éléments d’actif des compagnies débitrices ont été liquidés. L’instance a été introduite il y a plus de quatre ans. Depuis, un seul juge surveillant a été chargé de sa supervision. À ce titre, il a rendu de nombreuses décisions discrétionnaires.

[2]                              Deux de ces décisions du juge surveillant font l’objet du présent pourvoi. Chacune d’elles soulève une question exigeant de notre Cour qu’elle précise la nature et la portée du pouvoir discrétionnaire exercé par les tribunaux dans les instances relevant de la LACC . La première est de savoir si le juge surveillant dispose du pouvoir discrétionnaire d’interdire à un créancier de voter sur un plan d’arrangement s’il estime que ce créancier agit dans un but illégitime. La deuxième porte sur le pouvoir du juge surveillant d’approuver le financement du litige par un tiers à titre de financement temporaire, en vertu de l’art. 11.2  de la LACC .

[3]                              Pour les motifs qui suivent, nous sommes d’avis de répondre à ces deux questions par l’affirmative, à l’instar du juge surveillant. Dans la mesure où la Cour d’appel s’est dite d’avis contraire et a modifié les décisions discrétionnaires du juge surveillant, nous concluons qu’elle n’était pas justifiée de le faire. Avec égards, la Cour d’appel n’a pas fait preuve de la déférence à laquelle elle était tenue par rapport aux décisions du juge surveillant. C’est pourquoi, comme nous l’avons ordonné à l’issue de l’audience, les pourvois sont accueillis et l’ordonnance du juge surveillant est rétablie.

II.            Les faits

[4]                              En 1994, M. Gérald Duhamel fonde Bluberi Gaming Technologies Inc., qui est devenue l’une des appelantes, 9354‑9186 Québec inc. L’entreprise fabriquait, distribuait, installait et entretenait des appareils de jeux électroniques pour casino. Elle offrait aussi des systèmes de gestion dans le domaine des jeux d’argent. Pendant toute la période pertinente, son unique actionnaire était Bluberi Group Inc., qui est devenue une autre des appelantes, 9354‑9178 Québec inc. Par l’entremise d’une fiducie familiale, M. Duhamel contrôlait Bluberi Group inc. et, de ce fait, Bluberi Gaming (collectivement, « Bluberi »).

[5]                             En 2012, Bluberi demande du financement à l’intimée Callidus Capital Corporation (« Callidus »), qui se décrit comme un [traduction] « prêteur offrant du financement garanti par des actifs ou du financement à des entreprises en difficulté financière » (m.i., par. 26). Callidus lui consent une facilité de crédit d’environ 24 millions de dollars, que Bluberi garantit partiellement en signant une entente par laquelle elle met en gage ses actions.

[6]                             Au cours des trois années suivantes, Bluberi perd d’importantes sommes d’argent et Callidus continue de lui consentir du crédit. En 2015, Bluberi doit environ 86 millions de dollars à Callidus — Bluberi affirme que près de la moitié de cette somme est composée d’intérêts et de frais.

A.           L’introduction des procédures sous le régime de la LACC  par Bluberi et la vente initiale d’actifs

[7]                             Le 11 novembre 2015, Bluberi dépose une requête en délivrance d’une ordonnance initiale sous le régime de la LACC . Dans sa requête, Bluberi allègue que ses problèmes de liquidité découlent du fait que Callidus exerce un contrôle de facto à l’égard de son entreprise et lui dicte un certain nombre de décisions d’affaires dans l’intention de lui nuire. Bluberi prétend que Callidus agit ainsi afin de réduire la valeur des actions dans le but de devenir propriétaire de Bluberi et ultimement de la vendre.

[8]                             Malgré l’objection de Callidus, la requête de Bluberi est accueillie. Le juge surveillant, le juge Michaud, rend une ordonnance initiale sous le régime de la LACC . Celle‑ci confirme entre autres que Bluberi est une « compagnie débitrice » au sens du par. 2(1) de la Loi, suspend toute procédure introduite à l’encontre de Bluberi, de ses administrateurs ou dirigeants, et désigne Ernst & Young Inc. pour agir à titre de contrôleur (« contrôleur »).

[9]                             Travaillant en collaboration avec le contrôleur, Bluberi décide que la vente de ses actifs est nécessaire. Le 28 janvier 2016, elle propose un processus de mise en vente que le juge surveillant approuve. Ce processus débouche sur la conclusion d’une convention d’achat d’actifs entre Bluberi et Callidus. Cette convention prévoit que Callidus obtient l’ensemble des actifs de Bluberi en échange de l’extinction de la presque totalité de la créance garantie qu’elle détient à l’encontre de Bluberi, qui s’élevait à environ 135,7 millions de dollars. Callidus conserve une créance garantie non libérée de 3 millions de dollars contre Bluberi. La convention prévoit aussi que Bluberi se réserve le droit de réclamer des dommages‑intérêts à Callidus en raison de l’implication alléguée de celle‑ci dans ses difficultés financières (les « réclamations réservées »)[1]. Tout au long de ces procédures, Bluberi affirme que la valeur des réclamations ainsi réservées représente plus de 200 millions de dollars en dommages‑intérêts.

[10]                         Le juge surveillant approuve la convention d’achat d’actifs, et la vente des actifs de Bluberi à Callidus est conclue en février 2017. En conséquence, Callidus acquiert l’entreprise de Bluberi et en poursuit l’exploitation.

[11]                         Depuis la vente, les réclamations réservées sont le seul élément d’actif de Bluberi et représentent donc la seule garantie que possède Callidus pour sa créance de 3 millions de dollars.

B.            Les premiers plans d’arrangement concurrents

[12]                         Le 11 septembre 2017, Bluberi dépose une demande par laquelle elle sollicite l’approbation d’un financement provisoire de 2 millions de dollars sous forme de facilité de crédit afin de financer le coût des procédures liées aux réclamations réservées ainsi que d’autres mesures de réparation accessoires. Le prêteur est une coentreprise constituée sous le numéro 9364‑9739 Québec inc. Cette demande de financement provisoire devait être instruite le 19 septembre 2017.

[13]                         Toutefois, la veille de l’audience, Callidus propose un plan d’arrangement (« premier plan ») et demande une ordonnance pour convoquer les créanciers à une assemblée afin qu’ils votent sur ce plan. Le premier plan proposait que Callidus avance la somme de 2,5 millions de dollars (puis plus tard 2,63 millions de dollars) aux fins de distribution aux créanciers de Bluberi, sauf elle‑même, en échange de quoi elle serait libérée des réclamations réservées. Cette somme aurait permis d’acquitter entièrement les créances des anciens employés de Bluberi et toutes celles de moins de 3 000 $; les créanciers dont la créance était plus élevée devaient recevoir chacun en moyenne 31 pour 100 du montant de leur réclamation.

[14]                         Le juge surveillant ajourne donc l’audition des deux demandes au 5 octobre 2017. Entre‑temps, Bluberi dépose son propre plan d’arrangement dans lequel elle propose notamment que la moitié de toute somme provenant des réclamations réservées, après paiement des dépenses et acquittement des réclamations des créanciers de Bluberi, soit distribuée aux créanciers non garantis, pourvu que la somme nette ainsi obtenue soit supérieure à 20 millions de dollars.

[15]                         Le 5 octobre 2017, le juge surveillant ordonne que les plans d’arrangement des parties soient soumis au vote des créanciers. Il ordonne que les honoraires et dépenses découlant de la présentation des plans d’arrangement à l’assemblée des créanciers soient partagés entre les parties et qu’il soit interdit à toute partie qui ne dépose pas les fonds nécessaires auprès du contrôleur de présenter son plan d’arrangement. Bluberi choisit de ne pas déposer les fonds nécessaires et, en conséquence, seul le premier plan de Callidus est présenté aux créanciers.

C.            Le vote des créanciers sur le premier plan de Callidus

[16]                         Le 15 décembre 2017, Callidus soumet son premier plan au vote des créanciers. Le plan n’obtient pas l’appui nécessaire. Le paragraphe 6(1)  de la LACC  prévoit que, pour être approuvé, le plan doit obtenir la « double majorité » de chaque catégorie de créanciers — c’est‑à‑dire, la majorité en nombre d’une catégorie de créanciers, qui représente aussi les deux tiers en valeur des réclamations de cette catégorie de créanciers. Tous les créanciers de Bluberi, hormis Callidus, forment une seule catégorie de créanciers non garantis ayant droit de vote. Des 100 créanciers non garantis, 92 (qui ont ensemble une créance de 3 450 882 $) votent en faveur du plan, et 8 votent contre (qui ont ensemble une créance de 2 375 913 $). Le premier plan échoue parce que les réclamations des créanciers ayant voté en sa faveur ne détiennent que 59,22 p. 100 en valeur des réclamations de ceux ayant voté, ce qui ne respectait pas le seuil établi au par. 6(1) . Plus particulièrement, SMT Hautes Technologies (« SMT »), qui détient 36,7 p. 100 de la dette de Bluberi, vote contre le plan.

[17]                         Callidus ne vote pas sur le premier plan — malgré les propos explicites du contrôleur, selon qui Callidus pouvait [traduction] « voter [. . .] selon le pourcentage de sa créance qui, de l’avis de Callidus, était non garantie » (dossier conjoint des intimés, vol. III, p. 188).

D.           La demande de financement provisoire de Bluberi et le nouveau plan de Callidus

[18]                         Le 6 février 2018, Bluberi dépose une des demandes à l’origine des présents pourvois. Elle demande au tribunal l’autorisation de conclure un accord de financement du litige par un tiers (« AFL ») avec un bailleur de fonds de litiges coté en bourse, IMF Bentham Limited ou sa filiale canadienne, Corporation Bentham IMF Capital (collectivement, « Bentham »). Bluberi demande également l’autorisation de grever son actif d’une charge super‑prioritaire de 20 millions de dollars en faveur de Bentham (« charge liée au financement du litige »).

[19]                         L’AFL prévoit que Bentham financera le litige relatif aux réclamations réservées de Bluberi et qu’en retour elle recevra un pourcentage de toute somme convenue par règlement ou accordée à l’issue d’un procès. Toutefois, dans l’éventualité où Bluberi serait déboutée, Bentham perdra la totalité des fonds investis. L’AFL prévoit aussi que Bentham peut mettre fin au recours si, agissant de façon raisonnable, elle n’est plus convaincue du bien‑fondé du litige ou de sa viabilité commerciale.

[20]                         Callidus et certains créanciers non garantis qui ont voté en faveur de son plan (qui sont maintenant intimés au présent pourvoi et se font appeler le « groupe de créanciers ») contestent la demande de Bluberi au motif que l’AFL est un plan d’arrangement et qu’à ce titre, il doit être soumis au vote des créanciers[2].

[21]                         Le 12 février 2018, Callidus dépose l’autre demande qui est à l’origine des présents pourvois, laquelle vise à soumettre un autre plan d’arrangement au vote des créanciers (« nouveau plan »). Le nouveau plan est pour l’essentiel identique au premier plan, sauf que Callidus propose que la somme à distribuer soit augmentée de 250 000 $ (passant de 2,63 millions à 2,88 millions de dollars). Callidus a en outre déposé une preuve de réclamation modifiée qui ramène à zéro la valeur de la garantie liée à sa créance de 3 millions de dollars. Callidus considère que cette évaluation est juste parce que Bluberi n’a aucun autre élément d’actif que les revendications réservées. Sur cette base, elle fait valoir qu’elle se trouve dans la situation d’un créancier non garanti et demande au juge surveillant la permission de voter sur le nouveau plan avec les autres créanciers non garantis. Vu l’importance de sa réclamation, le plan serait nécessairement adopté par les créanciers si Callidus était autorisée à voter. Bluberi s’oppose à la demande de Callidus.

[22]                         Le juge surveillant instruit ensemble la demande de financement provisoire de Bluberi ainsi que la demande présentée par Callidus concernant son nouveau plan. Il est à souligner que le contrôleur appuie la position de Bluberi.

III.         Historique judiciaire

A.           Cour supérieure du Québec, 2018 QCCS 1040 (le juge Michaud)

[23]                         Le juge surveillant rejette la demande de Callidus et refuse de soumettre le nouveau plan au vote des créanciers. Il accueille la demande de Bluberi, l’autorisant ainsi à conclure un accord de financement du litige avec Bentham aux conditions énoncées dans l’AFL et ordonne que les actifs de Bluberi soient grevés de la charge liée au financement du litige.

[24]                         En ce qui a trait à la demande de Callidus, le juge surveillant décide que cette dernière ne peut voter sur le nouveau plan parce qu’elle agit dans un [traduction] « but illégitime » (par. 48 (CanLII)). Il reconnaît que les créanciers ont habituellement le droit de voter dans leur propre intérêt. Or, étant donné que le premier plan — qui était presque identique au nouveau plan — a été rejeté par les créanciers, le juge surveillant conclut qu’en demandant à voter sur le nouveau plan, Callidus tentait de contourner le résultat du premier vote. Il écrit notamment :

     [traduction] Tenant compte de leur intérêt, la Cour a accepté à l’automne 2017 que le plan de Callidus soit soumis au vote des créanciers, étant entendu que, en tant que créancière garantie, celle‑ci ne voterait pas. Toutefois, si, dans les circonstances actuelles, Callidus était autorisée à voter sur son propre plan, elle le ferait dans un but illégitime d’autant plus qu’il est probable que son vote permettrait d’atteindre le seuil de deux tiers nécessaire pour que le nouveau plan soit approuvé en vertu de la LACC .

     Comme l’a souligné SMT, la principale créancière non garantie, Callidus souhaite voter afin d’annuler le vote de SMT, qui a empêché que son plan soit approuvé lors de l’assemblée des créanciers.

     C’est une chose de laisser les créanciers voter sur un plan présenté par un créancier garanti, c’en est une autre de laisser ce créancier garanti voter sur son propre plan et exercer ainsi un contrôle sur le vote à seule fin d’être libéré de toute responsabilité. [par. 45‑47]

[25]                         Le juge surveillant conclut que, dans les circonstances, permettre à Callidus de voter serait à la fois [traduction] « injuste et déraisonnable » (par. 47). Il note aussi que, tout au long de la procédure introduite en vertu de la LACC , Callidus a « manqué de transparence » (par. 41) et qu’elle « n’est motivée que par le litige [en cours] » (par. 44). En somme, il conclut que la conduite de Callidus est contraire à « l’opportunité, [à] la bonne foi et [à] la diligence » requises, et il ordonne que Callidus ne puisse pas voter sur le nouveau plan (par. 48, citant Century Services Inc. c. Canada (Procureur général), 2010 CSC 60, [2010] 3 R.C.S. 379, par. 70).

[26]                         Puisque Callidus n’a pas été autorisée à voter sur le nouveau plan et que SMT a manifesté sans équivoque son intention de voter contre celui‑ci, le juge surveillant conclut que le plan n’a aucune possibilité raisonnable de recevoir l’aval des créanciers. Il refuse donc de le soumettre au vote des créanciers.

[27]                         Pour ce qui est de la demande de Bluberi, le juge surveillant examine trois questions qui sont pertinentes pour les présents pourvois : (1) si l’AFL devait être soumis au vote des créanciers; (2) dans la négative, si l’AFL devait être approuvé par le tribunal; et (3) le cas échéant, s’il devait ordonner que la charge liée au financement du litige de 20 millions de dollars grève les actifs de Bluberi.

[28]                         Le juge surveillant décide qu’il n’est pas nécessaire de soumettre l’AFL au vote des créanciers parce qu’il ne s’agit pas d’un plan d’arrangement. Il considère qu’un tel plan suppose [traduction] « un arrangement ou une transaction entre un débiteur et ses créanciers » (par. 71, citant Re Crystallex, 2012 ONCA 404, 293 O.A.C. 102, par. 92 (« Crystallex »)). À son avis, l’AFL est dépourvu de cette caractéristique essentielle. Il conclut aussi qu’il n’est pas nécessaire que l’AFL soit assorti d’un plan étant donné que Bluberi a exprimé l’intention d’en déposer un plus tard.

[29]                         Après en avoir examiné les modalités, le juge surveillant conclut que l’AFL respecte le critère d’approbation applicable en matière de financement d’un litige par un tiers qui est établi dans les décisions Bayens c. Kinross Gold Corporation, 2013 ONSC 4974, 117 O.R. (3d) 150, par. 41, et Hayes c. The City of Saint John, 2016 NBQB 125, par. 4 (CanLII). Plus particulièrement, il considère que le taux de retour de Bentham est raisonnable eu égard à son niveau d’investissement et de risque. Il rejette en outre l’argument avancé par Callidus et le groupe de créanciers, qui soutenaient que l’AFL donne trop de latitude à Bentham. Il conclut que l’AFL ne permet pas à Bentham d’exercer une influence indue sur le déroulement du litige lié aux réclamations réservées et souligne que des clauses générales semblables à celles qu’il contient ont déjà été approuvées dans le contexte de la LACC  (par. 82, citant Schenk c. Valeant Pharmaceuticals International Inc., 2015 ONSC 3215, 74 C.P.C. (7th) 332, par. 23).

[30]                         Enfin, le juge surveillant ordonne que les actifs de Bluberi soient grevés de la charge liée au financement du litige. Il juge que, même s’il est élevé, le montant en question est raisonnable étant donné : le montant des dommages‑intérêts qui sont réclamés à Callidus; l’engagement financier de Bentham dans le litige; et le fait que Bentham n’exige aucune provision pour frais ou intérêts (c.‑à‑d. qu’elle ne tirera profit de l’accord que si le procès ou le règlement est couronné de succès). En termes simples, Bentham prend des risques importants et il est raisonnable qu’elle obtienne certaines garanties en échange.

[31]                         Callidus, de nouveau appuyée par le groupe de créanciers, interjette appel de l’ordonnance du juge surveillant et met en cause Bentham.

B.            Cour d’appel du Québec, 2019 QCCA 171 (les juges Dutil et Schrager et le juge Dumas (ad hoc))

[32]                         La Cour d’appel accueille l’appel et conclut que [traduction] « [l]’exercice par le juge de son pouvoir discrétionnaire [n’était] pas fondé en droit, non plus qu’il ne reposait sur un traitement approprié des faits, de sorte que, peu importe la norme de contrôle appliquée, il [était] justifié d’intervenir en appel » (par. 48 (CanLII)). En particulier, la cour relève deux erreurs qui sont pertinentes pour les présents pourvois.

[33]                         D’une part, la cour conclut que le juge surveillant a commis une erreur en concluant que Callidus a agi dans un but illégitime en demandant l’autorisation de voter sur son nouveau plan. À son avis, Callidus aurait dû être autorisée à voter. La cour s’appuie grandement sur l’idée que les créanciers ont le droit de voter en fonction de leur propre intérêt. Elle juge que l’exercice du pouvoir discrétionnaire qui consiste à empêcher un créancier de voter dans un but illégitime devrait être [traduction] « réservé aux cas les plus évidents » (par. 62, renvoyant à Re Blackburn, 2011 BCSC 1671, 27 B.C.L.R. (5th) 199, par. 45). Selon elle, en tentant de façon transparente d’être libérée des réclamations de Bluberi à son égard, Callidus ne pouvait être considérée comme ayant agi dans un but illégitime. La cour conclut également que la conduite de Callidus, avant et pendant la procédure introduite en vertu de la LACC , ne pouvait justifier la conclusion qu’il existe un but illégitime.

[34]                         D’autre part, la cour conclut que le juge surveillant a eu tort d’approuver l’AFL en tant qu’accord de financement provisoire parce qu’à son avis, il n’est pas lié aux opérations commerciales de Bluberi. Elle conclut que le juge surveillant a [traduction] « donné à la notion de financement provisoire une interprétation non fondée en droit et qu’il a mal appliqué cette notion aux circonstances factuelles de l’affaire » (par. 78).

[35]                         À la lumière de ce qu’elle percevait comme une erreur, la cour substitue son opinion selon laquelle l’AFL est un plan d’arrangement et que pour cette raison, il aurait dû être soumis au vote des créanciers. Elle conclut [traduction] « [qu']un arrangement ou une proposition peut englober une transaction visant les réclamations des créanciers ainsi que le processus suivi pour y donner suite » (par. 85). La cour juge que l’AFL est un plan d’arrangement parce qu’il a une incidence sur la participation des créanciers à l’indemnité susceptible d’être accordée à la suite d’un litige, qu’il oblige ceux‑ci à attendre l’issue de tout litige, et qu’il est possible que les créanciers se retrouvent les mains vides. De plus, la cour conclut que le projet de Bluberi « dans son entièreté », soit la poursuite des réclamations réservées et l’AFL, doit être soumis à l’approbation des créanciers (par. 89).

[36]                         Bluberi et Bentham (collectivement, les « appelantes »), encore une fois appuyées par le contrôleur, se pourvoient maintenant devant notre Cour.

IV.         Questions en litige

[37]                         Les pourvois soulèvent deux questions :

(1)            Le juge surveillant a‑t‑il commis une erreur en empêchant Callidus de voter sur son nouveau plan au motif qu’elle agissait dans un but illégitime?

(2)            Le juge surveillant a‑t‑il commis une erreur en approuvant l’AFL en tant que plan de financement provisoire, selon les termes de l’art. 11.2  de la LACC ?

V.           Analyse

A.           Considérations préliminaires

[38]                         Pour répondre aux questions ci‑dessus, nous devons les situer dans le contexte contemporain de l’insolvabilité au Canada, et plus précisément du régime de la LACC . Ainsi, avant de passer à ces questions, nous examinons (1) la nature évolutive des procédures intentées sous le régime de la LACC ; (2) le rôle que joue le juge surveillant dans ces procédures; et (3) la portée du contrôle, en appel, de l’exercice du pouvoir discrétionnaire du juge surveillant.

(1)            La nature évolutive des procédures intentées sous le régime de la LAC C 

[39]                          La LACC  est l’une des trois principales lois canadiennes en matière d’insolvabilité. Les autres sont la Loi sur la faillite et l’insolvabilité , L.R.C. 1985 c. B‑3  (« LFI  »), qui traite de l’insolvabilité des personnes physiques et des sociétés, et la Loi sur les liquidations et les restructurations , L.R.C. 1985 c. W‑11  (« LLR  »), qui traite de l’insolvabilité des institutions financières et de certaines autres personnes morales, telles que les compagnies d’assurance (LLR , par. 6(1) ). Bien que la LACC et la LFI permettent toutes deux la restructuration de compagnies insolvables, l’accès à la LACC  est limité aux sociétés débitrices qui sont aux prises avec des réclamations dont le montant total est supérieur à 5 millions de dollars (LACC , par. 3(1) ).

[40]                          Ensemble, les lois canadiennes sur l’insolvabilité poursuivent un grand nombre d’objectifs réparateurs généraux qui témoignent de la vaste gamme des conséquences potentiellement « catastrophiques » qui peuvent découler de l’insolvabilité (Sun Indalex Finance, LLC c. Syndicat des Métallos, 2013 CSC 6, [2013] 1 R.C.S. 271, par. 1). Ces objectifs incluent les suivants : régler de façon rapide, efficace et impartiale l’insolvabilité d’un débiteur; préserver et maximiser la valeur des actifs d’un débiteur; assurer un traitement juste et équitable des réclamations déposées contre un débiteur; protéger l’intérêt public; et, dans le contexte d’une insolvabilité commerciale, établir un équilibre entre les coûts et les bénéfices découlant de la restructuration ou de la liquidation d’une compagnie (J. P. Sarra, « The Oscillating Pendulum : Canada’s Sesquicentennial and Finding the Equilibrium for Insolvency Law », dans J. P. Sarra et B. Romaine, dir., Annual Review of Insolvency Law 2016 (2017), 9, p. 9‑10; J. P. Sarra, Rescue! The Companies’ Creditors Arrangement Act  (2e éd. 2013), p. 4‑5 et 14; Comité sénatorial permanent des banques et du commerce, Les débiteurs et les créanciers doivent se partager le fardeau : Examen de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité et de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (2003), p. 13‑14; R. J. Wood, Bankruptcy and Insolvency Law (2e éd. 2015), p. 4‑5).

[41]                          Parmi ces objectifs, la LACC  priorise en général le fait d’« éviter les pertes sociales et économiques résultant de la liquidation d’une compagnie insolvable » (Century Services, par. 70). C’est pourquoi les affaires types qui relèvent de cette loi ont historiquement facilité la restructuration de l’entreprise débitrice qui n’a pas encore déposé de proposition en la maintenant dans un état opérationnel, c’est‑à‑dire en permettant qu’elle poursuive ses activités. Lorsqu’une telle restructuration n’était pas possible, on considérait qu’il fallait alors procéder à la liquidation par voie de mise sous séquestre ou sous le régime de la LFI . C’est précisément le résultat qui était recherché dans l’affaire Century Services (voir par. 14).

[42]                          Cela dit, la LACC  est fondamentalement une loi sur l’insolvabilité, et à ce titre, elle a aussi [traduction] « comme objectifs simultanés de maximiser le recouvrement au profit des créanciers, de préserver la valeur d’exploitation dans la mesure du possible, de protéger les emplois et les collectivités touchées par les difficultés financières de l’entreprise [. . .] et d’améliorer le système de crédit de manière générale » (Sarra, Rescue! The Companies’ Creditors Arrangement Act , p. 14; voir aussi Ernst & Young Inc. c. Essar Global Fund Ltd., 2017 ONCA 1014, 139 O.R. (3d) 1 (« Essar »), par. 103). Afin d’atteindre ces objectifs, les procédures intentées sous le régime de la LACC  ont évolué de telle sorte qu’elles permettent des solutions qui évitent l’émergence, sous une forme restructurée, de la société débitrice qui existait avant le début des procédures, mais qui impliquent plutôt une certaine forme de liquidation des actifs du débiteur sous le régime même de la Loi (Sarra, « The Oscillating Pendulum : Canada’s Sesquicentennial and Finding the Equilibium for Insolvency Law », p. 19‑21). Ces cas, qualifiés de [traduction] « procédures de liquidation sous le régime de la LACC  », sont maintenant courants dans le contexte de la LACC  (voir Third Eye Capital Corporation c. Ressources Dianor Inc./Dianor Resources Inc., 2019 ONCA 508, 435 D.L.R. (4th) 416, par. 70).

[43]                          Les procédures de liquidation sous le régime de la LACC  revêtent différentes formes et peuvent, entre autres, inclure la vente de la société débitrice à titre d’entreprise en activité; la vente « en bloc » des éléments d’actif susceptibles d’être exploités par un acquéreur; une liquidation partielle de l’entreprise ou une réduction de ses activités; ou encore une vente de ses actifs élément par élément (B. Kaplan, « Liquidating CCAAs : Discretion Gone Awry? » dans J. P. Sarra, dir., Annual Review of Insolvency Law (2008), 79, p. 87‑89). Les résultats commerciaux ultimement obtenus à l’issue des procédures de liquidation introduites sous le régime de la LACC  sont eux aussi variés. Certaines procédures peuvent avoir pour résultat la continuité des activités de la débitrice sous la forme d’une autre entité viable (p. ex., les sociétés liquidées dans Indalex et Re Canadian Red Cross Society (1998), 5 C.B.R. (4th) 299 (C.J. Ont., Div. gén.)), alors que d’autres peuvent simplement aboutir à la vente des actifs et de l’inventaire sans donner naissance à une nouvelle entité (p. ex., la procédure en cause dans Re Target Canada Co., 2015 ONSC 303, 22 C.B.R. (6th) 323, par. 7 et 31). D’autres encore, comme dans le dossier qui nous occupe, peuvent donner lieu à la vente de la plupart des actifs de la débitrice en vue de la poursuite de son activité, laissant à la débitrice et aux parties intéressées le soin de s’occuper des actifs résiduaires.

[44]                          Les tribunaux chargés de l’application de la LACC  ont d’abord commencé à approuver ces formes de liquidation en exerçant le vaste pouvoir discrétionnaire que leur confère la Loi. L’émergence de cette pratique a fait l’objet de critiques, essentiellement parce qu’elle semblait incompatible avec l’objectif de « restructuration » de la LACC  (voir, p. ex., Uti Energy Corp. c. Fracmaster Ltd., 1999 ABCA 178, 244 A.R. 93, par. 15‑16, conf. 1999 ABQB 379, 11 C.B.R. (4th) 204, par. 40‑43; A. Nocilla, « The History of the Companies’ Creditors Arrangement Act  and the Future of Re-Structuring Law in Canada » (2014), 56 Rev. can. dr. comm. 73, p. 88‑92).

[45]                          Toutefois, depuis que l’art. 36  de la LACC  est entré en vigueur en 2009, les tribunaux l’utilisent pour consentir à une liquidation sous le régime de la LACC . L’article 36  confère aux tribunaux le pouvoir d’autoriser la vente ou la disposition des actifs d’une compagnie débitrice hors du cours ordinaire de ses affaires[3]. Fait important, lorsque le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce a recommandé l’adoption de l’art. 36 , il a fait observer que la liquidation n’est pas nécessairement incompatible avec les objectifs réparateurs de la LACC et qu’il pourrait s’agir d’un moyen « soit pour obtenir des capitaux [et faciliter la restructuration] ou éviter des pertes plus graves aux créanciers, soit pour se concentrer sur ses activités solvables » (p. 163). D’autres auteurs ont observé que la liquidation peut [traduction] « être un moyen de restructurer une entreprise » en lui permettant de survivre, quoique sous une forme corporative différente ou sous la gouverne de propriétaires différents (Sarra, Rescue! The Companies’ Creditors Arrangement Act , p. 169; voir aussi K. P. McElcheran, Commercial Insolvency in Canada (4e éd. 2019), p. 311). D’ailleurs, dans l’arrêt Indalex, la compagnie a vendu ses actifs sous le régime de la LACC  afin de protéger les emplois de son personnel, même si elle ne pouvait demeurer leur employeur (voir par. 51).

[46]                          En définitive, le poids relatif attribué aux différents objectifs de la LACC  dans une affaire donnée peut varier en fonction des circonstances factuelles, de l’étape des procédures ou des solutions qui sont présentées à la cour pour approbation. En l’espèce, il est possible d’établir un parallèle avec le contexte de la LFI . Dans l’arrêt Orphan Well Association c. Grant Thornton Ltd., 2019 CSC 5, [2019] 1 R.C.S. 150, par. 67, notre Cour a expliqué que, de façon générale, la LFI  vise deux objectifs : (1) la réhabilitation financière du failli, et (2) le partage équitable des actifs du failli entre les créanciers. Or, dans les cas où la société débitrice ne s’extirpera jamais de la faillite, seul le dernier objectif est pertinent (voir par. 67). Dans la même veine, sous le régime de la LACC , lorsque la restructuration d’une société débitrice qui n’a pas déposé de proposition est impossible, une liquidation visant à protéger sa valeur d’exploitation et à maintenir ses activités courantes peut devenir l’objectif réparateur principal. En outre, lorsque la restructuration ou la liquidation est terminée et que le tribunal doit décider du sort des actifs résiduels, l’objectif de maximiser le recouvrement des créanciers à partir de ces actifs peut passer au premier plan. Comme nous l’expliquerons, la structure de la LACC  laisse au juge surveillant le soin de procéder à un examen et à une mise en balance au cas par cas de ces objectifs réparateurs.

(2)          Le rôle du juge surveillant dans les procédures intentées sous le régime de la LACC 

[47]                          Un des principaux moyens par lesquels la LACC  atteint ses objectifs réside dans le rôle particulier de surveillance qu’elle réserve aux juges (voir Sarra, Rescue! The Companies’ Creditors Arrangement Act , p. 18‑19). Chaque procédure fondée sur la LACC  est supervisée du début à la fin par un seul juge surveillant. En raison de ses rapports continus avec les parties, ce dernier acquiert une connaissance approfondie de la dynamique entre les intéressés et des réalités commerciales entourant la procédure.

[48]                          La LACC  mise sur la position avantageuse qu’occupe le juge surveillant en lui accordant le vaste pouvoir discrétionnaire de rendre toute une gamme d’ordonnances susceptibles de répondre aux circonstances de chaque cas et de « [s’adapter] aux besoins commerciaux et sociaux contemporains » (Century Services, par. 58) en « temps réel » (par. 58, citant R. B. Jones, « The Evolution of Canadian Restructuring : Challenges for the Rule of Law », dans J. P. Sarra, dir., Annual Review of Insolvency Law 2005 (2006), 481, p. 484). Le point d’ancrage de ce pouvoir discrétionnaire est l’art. 11, qui confère au juge le pouvoir de « rendre toute ordonnance qu’il estime indiquée ». Cette disposition a été décrite comme étant le « moteur » du régime législatif (Stelco Inc. (Re) (2005), 253 D.L.R. (4th) 109 (C.A. Ont.), par. 36).

[49]                          Quoique vaste, le pouvoir discrétionnaire conféré par la LACC  n’est pas sans limites. Son exercice doit tendre à la réalisation des objectifs réparateurs de la LACC , que nous avons expliqués ci‑dessus (voir Century Services, par. 59). En outre, la cour doit garder à l’esprit les trois « considérations de base » (par. 70) qu’il incombe au demandeur de démontrer : (1) que l’ordonnance demandée est indiquée, et (2) qu’il a agi de bonne foi et (3) avec la diligence voulue (par. 69).

[50]                          Les deux premières considérations, l’opportunité et la bonne foi, sont largement connues dans le contexte de la LACC . Le tribunal « évalue l’opportunité de l’ordonnance demandée en déterminant si elle favorisera la réalisation des objectifs de politique générale qui sous‑tendent la Loi » (par. 70). Par ailleurs, l’exigence bien établie selon laquelle les parties doivent agir de bonne foi dans les procédures d’insolvabilité est depuis peu mentionnée de façon expresse à l’art. 18.6  de la LACC , qui dispose :

        Bonne foi

        18.6 (1) Tout intéressé est tenu d’agir de bonne foi dans le cadre d’une procédure intentée au titre de la présente loi.

        Bonne foi — pouvoirs du tribunal

        (2) S’il est convaincu que l’intéressé n’agit pas de bonne foi, le tribunal peut, à la demande de tout intéressé, rendre toute ordonnance qu’il estime indiquée.

(Voir aussi LFI , art. 4.2 ; Loi n o  1 d’exécution du budget de 2019 , L.C. 2019, c. 29, art. 133  et 140 .)

[51]                          La troisième considération, celle de la diligence, requiert qu’on s’y attarde. Conformément au régime de la LACC  en général, la considération de diligence décourage les parties de rester sur leurs positions et fait en sorte que les créanciers n’usent pas stratégiquement de ruse ou ne se placent pas eux‑mêmes dans une position pour obtenir un avantage (Lehndorff General Partner Ltd., Re (1993), 17 C.B.R. (3d) 24 (C.J. Ont. (Div. gén.)), p. 31). La procédure prévue par la LACC  se fonde sur les négociations et les transactions entre le débiteur et les intéressés, le tout étant supervisé par le juge surveillant et le contrôleur. Il faut donc nécessairement que, dans la mesure du possible, ceux qui participent au processus soient sur un pied d’égalité et aient une compréhension claire de leurs droits respectifs (voir McElcheran, p. 262). La partie qui, dans le cadre d’une procédure fondée sur la LACC , n’agit pas avec diligence et en temps utile risque de compromettre le processus et, de façon plus générale, de nuire à l’efficacité du régime de la Loi (voir, p. ex., North American Tungsten Corp. c. Global Tungsten and Powders Corp., 2015 BCCA 390, 377 B.C.A.C. 6 par. 21‑23; Re BA Energy Inc., 2010 ABQB 507, 70 C.B.R. (5th) 24; HSBC Bank Canada c. Bear Mountain Master Partnership, 2010 BCSC 1563, 72 C.B.R. (5th) 276 par. 11; Caterpillar Financial Services Ltd. c. 360networks Corp., 2007 BCCA 14, 279 D.L.R. (4th) 701, par. 51‑52, où les tribunaux se sont penchés sur le manque de diligence d’une partie).

[52]                          Nous soulignons que les juges surveillants s’acquittent de leur rôle de supervision avec l’aide d’un contrôleur qui est nommé par le tribunal et dont les compétences et les attributions sont énoncées dans la LACC  (voir art. 11.7, 11.8 et 23 à 25). Le contrôleur est un expert indépendant et impartial qui agit comme [traduction] « les yeux et les oreilles du tribunal » tout au long de la procédure (Essar, par. 109). Il a essentiellement pour rôle de donner au tribunal des avis consultatifs sur le caractère équitable de tout plan d’arrangement proposé et sur les ordonnances demandées par les parties, y compris celles portant sur la vente d’actifs et le financement provisoire (voir LACC , al. 23(1) d) et i); Sarra, Rescue! The Companies’ Creditors Arrangement Act , p. 566 et 569).

(3)          Le contrôle en appel de l’exercice du pouvoir discrétionnaire du juge surveillant

[53]                          Les décisions discrétionnaires des juges chargés de la supervision des procédures intentées sous le régime de la LACC  commandent un degré élevé de déférence. Ainsi, les cours d’appel ne seront justifiées d’intervenir que si le juge surveillant a commis une erreur de principe ou exercé son pouvoir discrétionnaire de manière déraisonnable (voir Grant Forest Products Inc. c. Toronto‑Dominion Bank, 2015 ONCA 570, 387 D.L.R. (4th) 426, par. 98; Bridging Finance Inc. c. Béton Brunet 2001 inc., 2017 QCCA 138, 44 C.B.R. (6th) 175, par. 23). Elles doivent prendre garde de ne pas substituer leur propre pouvoir discrétionnaire à celui du juge surveillant (New Skeena Forest Products Inc., Re, 2005 BCCA 192, 39 B.C.L.R. (4th) 338, par. 20).

[54]                          Cette norme déférente de contrôle tient compte du fait que le juge surveillant possède une connaissance intime des procédures intentées sous le régime de la LACC  dont il assure la supervision. À cet égard, les observations formulées par le juge Tysoe dans Canadian Metropolitan Properties Corp. c. Libin Holdings Ltd., 2009 BCCA 40, 308 D.L.R. (4th) 339 (« Re Edgewater Casino Inc. »), par. 20, sont pertinentes :

        [traduction] ... une des fonctions principales du juge chargé de la supervision de la procédure fondée sur la LACC  est d’essayer d’établir un équilibre entre les intérêts des différents intéressés durant le processus de restructuration, et il sera bien souvent inopportun d’examiner une des décisions qu’il aura rendues à cet égard isolément des autres. [. . .] Les procédures intentées sous le régime de la LACC  sont de nature dynamique et le juge surveillant a une connaissance intime du processus de restructuration. La nature du processus l’oblige souvent à prendre des décisions rapides dans des situations complexes.

[55]                         En gardant ce qui précède à l’esprit, nous passons maintenant aux questions soulevées par le présent pourvoi.

B.            Callidus ne devrait pas être autorisée à voter sur son nouveau plan

[56]                         En général, un créancier peut voter sur un plan d’arrangement ou une transaction qui a une incidence sur ses droits, sous réserve des dispositions de la LACC  qui peuvent limiter son droit de voter (p. ex., par. 22(3)), ou de l’exercice justifié par le juge surveillant de son pouvoir discrétionnaire de limiter ou de supprimer ce droit. Nous concluons qu’une telle limite découle de l’art. 11  de la LACC , qui confère au juge surveillant le pouvoir discrétionnaire d’empêcher le créancier de voter lorsqu’il agit dans un but illégitime. Le juge surveillant est mieux placé que quiconque pour déterminer s’il doit exercer ce pouvoir dans un cas donné. À notre avis, le juge surveillant n’a, en l’espèce, commis aucune erreur en exerçant son pouvoir discrétionnaire pour empêcher Callidus de voter sur le nouveau plan.

(1)          Les paramètres du droit d’un créancier de voter sur un plan d’arrangement

[57]                         L’approbation par les créanciers d’un plan d’arrangement ou d’une transaction est l’une des principales caractéristiques de la LACC , tout comme la supervision du processus assurée par le juge surveillant. Lorsqu’un plan est proposé, le juge surveillant peut, sur demande, ordonner que soit convoquée une assemblée des créanciers pour que ceux‑ci puissent voter sur le plan proposé (LACC ,   art. 4  et 5 ). Le juge surveillant a le pouvoir discrétionnaire de décider ou non d’ordonner qu’une assemblée soit convoquée. Pour les besoins du vote à l’assemblée des créanciers, la compagnie débitrice peut établir des catégories de créanciers, sous réserve de l’approbation du tribunal (LACC,  par. 22(1) ). Peuvent faire partie de la même catégorie les créanciers « ayant des droits ou intérêts à ce point semblables [. . .] qu’on peut en conclure qu’ils ont un intérêt commun » (LACC , par. 22(2) ; voir aussi L. W. Houlden, G. B. Morawetz, et J. P. Sarra, Bankruptcy and Insolvency Law of Canada (4e éd. (feuilles mobiles)), vol. 4, §149). Si la « double majorité » requise dans chaque catégorie de créanciers — rappelons qu’il s’agit de la majorité en nombre d’une catégorie, qui représente aussi les deux‑tiers en valeur des réclamations de cette catégorie — vote en faveur du plan, le juge surveillant peut homologuer celui‑ci (Metcalfe & Mansfield Alternative Investments II Corp. (Re), 2008 ONCA 587, 296 D.L.R. (4th) 135, par. 34; voir la LACC , art. 6 ). Le juge surveillant tiendra ce qu’on appelle communément une [traduction] « audience d’équité » pour décider, entre autres choses, si le plan est juste et raisonnable (Wood, p. 490‑492; Sarra, Rescue! The Companies’ Creditors Arrangement Act , p. 529; Houlden, Morawetz et Sarra, §45). Une fois homologué par le juge surveillant, le plan lie chaque catégorie de créanciers qui a participé au vote (LACC , par. 6(1) ).

[58]                          Les créanciers qui ont une réclamation prouvable contre le débiteur et dont les intérêts sont touchés par un plan d’arrangement proposé ont habituellement le droit de voter sur un tel plan (Wood, p. 470). En fait, aucune disposition expresse de la LACC  n’interdit à un créancier de voter sur un plan d’arrangement, y compris sur un plan dont il fait la promotion.

[59]                         Nonobstant ce qui précède, les appelantes soutiennent qu’une interprétation téléologique du par. 22(3)  de la LACC  révèle que, de façon générale, un créancier ne devrait pas pouvoir voter sur son propre plan. Le paragraphe 22(3)  prévoit :

        Créancier lié

        (3) Le créancier lié à la compagnie peut voter contre, mais non pour, l’acceptation de la transaction ou de l’arrangement.

Les appelantes font remarquer que le par. 22(3) devait permettre d’harmoniser le régime de la LACC  avec le par. 54(3)  de la LFI , qui dispose que « [u]n créancier qui est lié au débiteur peut voter contre, mais non pour, l’acceptation de la proposition. » Elles soulignent que, en vertu du par. 50(1)  de la LFI , seuls les débiteurs peuvent faire la promotion d’un plan; ainsi, le « débiteur » auquel renvoie le par. 54(3) s’entend de tous les promoteurs de plan. Elles soutiennent que, si le par. 54(3) vise tous les promoteurs de plan, le par. 22(3)  de la LACC  doit également les viser. Pour cette raison, les appelantes nous demandent d’étendre la restriction au droit de voter imposée par le par. 22(3) de manière à ce qu’elle s’applique non seulement aux créanciers « lié[s] à la compagnie », comme le prévoit la disposition, mais aussi à tous les créanciers qui font la promotion d’un plan. Elles soutiennent que cette interprétation donne effet à l’intention sous‑jacente aux deux dispositions, intention qui, de dire les appelantes, est de faire en sorte qu’un créancier qui est en conflit d’intérêts ne puisse pas « diluer » ou supplanter le vote des autres créanciers.

[60]                         Nous n’acceptons pas cette interprétation forcée du par. 22(3). Il n’est nullement question dans cette disposition de conflit d’intérêts entre les créanciers et les promoteurs d’un plan en général. Les restrictions au droit de voter imposées par le par. 22(3) ne s’appliquent qu’aux créanciers qui sont « lié[s] à la compagnie [débitrice] ». Ce libellé est « précis et non équivoque », et il doit ainsi « joue[r] un rôle primordial dans le processus d’interprétation » (Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601, par. 10). À notre avis, l’analogie que les appelantes font avec la LFI  ne suffit pas à écarter le libellé clair de cette disposition.

[61]                         Bien que les appelantes aient raison de dire que l’adoption du par. 22(3) visait à harmoniser le traitement réservé aux parties liées par la LACC et la LFI, son historique montre qu’il ne s’agit pas d’une disposition générale relative aux conflits d’intérêts. Avant qu’elle soit modifiée et qu’on y incorpore le par. 22(3) , la LACC  permettait clairement aux créanciers de présenter un plan d’arrangement (voir Houlden, Morawetz et Sarra, §33, Red Cross; Re 1078385 Ontario Inc. (2004), 206 O.A.C. 17). À l’opposé, en vertu de la LFI , seuls les débiteurs pouvaient déposer une proposition. Il faut présumer que le législateur était au fait de cette différence évidente entre les deux lois (voir ATCO Gas and Pipelines Ltd. c. Alberta (Energy and Utilities Board), 2006 CSC 4, [2006] 1 R.C.S. 140, par. 59; voir aussi Third Eye, par. 57). Le législateur a malgré tout importé dans la LACC , avec les adaptations nécessaires, le texte de la disposition de la LFI  portant sur les créanciers liés. Aller au‑delà de ce libellé suppose d’accepter que le législateur n’a pas choisi les bons mots pour donner effet à son intention, ce que nous ne ferons pas.

[62]                         En fait, le législateur n’a pas reproduit de façon irréfléchie, au par. 22(3)  de la LACC , le texte du par. 54(3)  de la LFI . Au contraire, il a apporté deux modifications au libellé du par. 54(3) pour l’adapter à celui employé dans la LACC . Premièrement, il a remplacé le terme « proposition » (défini dans la LFI ) par les mots « transaction ou arrangement » (employés tout au long dans la LACC ). Deuxièmement, il a remplacé « débiteur » par « compagnie », reconnaissant ainsi que les compagnies sont les seuls débiteurs qui existent dans le contexte de la LACC .

[63]                          Notre opinion est en outre appuyée par Industrie Canada, selon qui l’adoption du par. 22(3) se justifie par la volonté de « réduire la capacité des compagnies débitrices d’établir un plan de restructuration apportant des avantages supplémentaires à des personnes qui leur sont liées » (Bureau du surintendant des faillites Canada, Projet de loi C‑12 : analyse article par article (en ligne), cl. 71, art. 22 (nous soulignons); voir aussi Comité sénatorial permanent des banques et du commerce, p. 166).

[64]                         Enfin, nous soulignons que la LACC  prévoit d’autres mécanismes qui réduisent le risque qu’un créancier en situation de conflit d’intérêts par rapport au plan qu’il propose puisse biaiser le vote des créanciers. Bien que nous rejetions l’interprétation donnée par les appelantes au par. 22(3), ce paragraphe interdit tout de même aux créanciers liés à la compagnie débitrice de voter en faveur de tout plan. De plus, les créanciers qui n’ont pas suffisamment d’intérêts en commun pourraient être contraints de voter dans des catégories distinctes (par. 22(1) et (2)); et, comme nous l’expliquerons, le juge surveillant peut empêcher un créancier de voter si ce dernier agit dans un but illégitime.

(2)          Le pouvoir discrétionnaire d’interdire à un créancier de voter dans un but illégitime

[65]                         Il est acquis aux débats que la LACC  ne contient aucune disposition énonçant les circonstances dans lesquelles un créancier, autrement admissible à voter sur un plan, peut être empêché de le faire. Toutefois, les juges chargés d’appliquer la LACC  sont souvent appelés à « sanctionner des mesures non expressément prévues par la LACC  » (Century Services, par. 61; voir aussi par. 62). Dans l’arrêt Century Services, notre Cour a souscrit à l’approche « hiérarchisée » qui vise à déterminer si le tribunal a compétence pour sanctionner une mesure proposée : « ... les tribunaux procédèrent d’abord à une interprétation des dispositions de la LACC  avant d’invoquer leur compétence inhérente ou leur compétence en equity pour justifier des mesures prises dans le cadre d’une procédure fondée sur la LACC  » (par. 65). Dans la plupart des cas, une interprétation téléologique et large des dispositions de la LACC  suffira à « justifier les mesures nécessaires à la réalisation de ses objectifs » (par. 65).

[66]                         Après avoir appliqué cette approche, nous concluons que l’art. 11  de la LACC  confère au tribunal le pouvoir d’interdire à un créancier de voter sur un plan d’arrangement ou une transaction s’il agit dans un but illégitime.

[67]                         Les tribunaux reconnaissent depuis longtemps que le libellé de l’art. 11  de la LACC  indique que le législateur a sanctionné « l’interprétation large du pouvoir conféré par la LACC  qui a été élaborée par la jurisprudence » (Century Services, par. 68). L’article 11  est ainsi libellé :

        Pouvoir général du tribunal

        11 Malgré toute disposition de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité  ou de la Loi sur les liquidations et les restructurations , le tribunal peut, dans le cas de toute demande sous le régime de la présente loi à l’égard d’une compagnie débitrice, rendre, sur demande d’un intéressé, mais sous réserve des restrictions prévues par la présente loi et avec ou sans avis, toute ordonnance qu’il estime indiquée.

Selon le libellé clair de la disposition, le pouvoir conféré par l’art. 11 n’est limité que par les restrictions imposées par la LACC  elle‑même, ainsi que par l’exigence que l’ordonnance soit « indiquée » dans les circonstances.

[68]                         Lorsqu’une partie sollicite une ordonnance relativement à une question qui entre dans le champ de compétence du juge surveillant, mais pour laquelle aucune disposition de la LACC  ne confère plus précisément compétence, l’art. 11 est nécessairement la disposition à laquelle on peut recourir d’emblée pour fonder la compétence du tribunal. Comme l’a dit le juge Blair dans l’arrêt Stelco, l’art. 11 [traduction] « fait en sorte que la plupart du temps, il est inutile de recourir à la compétence inhérente » dans le contexte de la LACC  (par. 36).

[69]                         La supervision des négociations entourant le plan, tout comme le vote et le processus d’approbation, relève nettement de la compétence du juge surveillant. Comme nous l’avons dit, aucune disposition de la LACC  ne vise le cas où un créancier par ailleurs admissible à voter sur un plan peut néanmoins être empêché de le faire. Il n’existe non plus aucune disposition de la LACC  selon laquelle le droit que possède un créancier de voter sur un plan est absolu et que ce droit ne peut pas être écarté par l’exercice légitime du pouvoir discrétionnaire du tribunal. Toutefois, étant donné le régime de la LACC , dont l’un des aspects essentiels tient à la participation du créancier au processus décisionnel, les créanciers ne devraient être empêchés de voter que si les circonstances l’exigent. Autrement dit, il faut nécessairement procéder à un examen discrétionnaire axé sur les circonstances propres à chaque situation.

[70]                         L’article 11 constitue donc manifestement la source de la compétence du juge surveillant pour rendre une ordonnance discrétionnaire empêchant un créancier de voter sur un plan d’arrangement. L’exercice du pouvoir discrétionnaire doit favoriser la réalisation des objets réparateurs de la LACC et être fondé sur les considérations de base que sont l’opportunité, la bonne foi et la diligence. Cela signifie que, lorsqu’un créancier cherche à exercer ses droits de vote de manière à contrecarrer, à miner ces objectifs ou à aller à l’encontre de ceux‑ci — c’est‑à‑dire à agir dans un « but illégitime » — le juge surveillant a le pouvoir discrétionnaire d’empêcher le créancier de voter.

[71]                         Le pouvoir discrétionnaire d’empêcher un créancier de voter dans un but illégitime au sens de la LACC  s’apparente au pouvoir discrétionnaire semblable qui existe en vertu de la LFI , lequel a été reconnu dans l’arrêt Laserworks Computer Services Inc. (Bankruptcy), Re, 1998 NSCA 42, 165 N.S.R. (2d) 296. Dans Laserworks, la Cour d’appel de la Nouvelle‑Écosse a conclu que le pouvoir discrétionnaire d’empêcher un créancier de voter de cette façon découlait du pouvoir du tribunal, inhérent au régime établi par la LFI , de superviser [traduction] « [c]haque étape du processus de faillite » (par. 41), comme l’indiquent les par. 43(7), 108(3) et 187(9) de la Loi. La cour a expliqué que le par. 187(9) confère expressément le pouvoir de remédier à une « injustice grave », laquelle se produit « lorsque la LFI  est utilisée dans un but illégitime » (par. 54). La cour a statué que « [l]e but illégitime est un but qui est accessoire à l’objet pour lequel la loi en matière de faillite et d’insolvabilité a été adoptée par le législateur » (par. 54).

[72]                         Bien qu’elle ne soit pas déterminante, l’existence de ce pouvoir discrétionnaire en vertu de la LFI  étaye l’existence d’un pouvoir discrétionnaire semblable en vertu de la LACC  pour deux raisons.

[73]                         D’abord, cette conclusion serait compatible avec le fait que la Cour a reconnu que la LACC  « établit un mécanisme plus souple, dans lequel les tribunaux disposent d’un plus grand pouvoir discrétionnaire » que sous le régime de la LFI  (Century Services, par. 14 (nous soulignons)).

[74]                         Ensuite, la Cour a reconnu les bienfaits de l’harmonisation, dans la mesure du possible, des deux lois. À titre d’exemple, dans l’arrêt Indalex, la Cour a souligné que « pour éviter de précipiter une liquidation sous le régime de la LFI , les tribunaux privilégieront une interprétation de la LACC  qui confère [. . .] aux créanciers [des droits analogues] » à ceux dont ils jouissent en vertu de la LFI  (par. 51; voir également Century Services, par. 24; Nortel Networks Corp., Re, 2015 ONCA 681, 391 D.L.R. (4th) 283, par. 34‑46). Ainsi, lorsque les lois permettent une interprétation harmonieuse, il y a lieu de retenir cette interprétation [traduction] « afin d’écarter les embûches pouvant découler du choix des créanciers de “recourir à la loi la plus favorable” [en matière d’insolvabilité] » (Kitchener Frame Ltd., 2012 ONSC 234, 86 C.B.R. (5th) 274, par. 78; voir aussi par. 73). À notre avis, la manière dont a été formulé le « but illégitime » dans l’arrêt Laserworks — c’est‑à‑dire un but accessoire à l’objet de la loi en matière d’insolvabilité — s’harmonise parfaitement avec la nature et la portée du pouvoir discrétionnaire judiciaire que confère la LACC . En effet, comme nous l’avons expliqué, ce pouvoir discrétionnaire doit être exercé conformément aux objets de la LACC  en tant que loi en matière d’insolvabilité.

[75]                         Nous soulignons également que la reconnaissance de l’existence de ce pouvoir discrétionnaire sous le régime de la LACC  favorise l’équité fondamentale qui [traduction] « imprègne le droit et la pratique en matière d’insolvabilité au Canada » (Sarra, « The Oscillating Pendulum : Canada’s Sesquicentennial and Finding the Equilibrium for Insolvency Law », p. 27; voir également Century Services, par. 70 et 77). Comme le fait observer la professeure Sarra, l’équité commande que les juges surveillants soient en mesure de reconnaître les situations où les parties empêchent la réalisation des objectifs de la loi et de prendre des mesures utiles à leur égard :

     [traduction] Le régime d’insolvabilité canadien repose sur la présomption que les créanciers et le débiteur ont pour objectif commun de maximiser les recouvrements. L’aspect substantiel de la justice dans le régime d’insolvabilité repose sur la présomption que toutes les parties concernées sont exposées à de réels risques économiques. L’injustice réside dans les situations où seules certaines personnes sont exposées aux risques, tandis que d’autres tirent en fait avantage de la situation. [. . .] Si l’on veut que la LACC  reçoive une interprétation téléologique, les tribunaux doivent être en mesure de reconnaître les situations où les gens ont des intérêts opposés et s’emploient activement à contrecarrer les objectifs de la loi. [Nous soulignons.]

(« The Oscillating Pendulum : Canada’s Sesquicentennial and Finding the Equilibrium for Insolvency Law », p. 30)

Dans le même ordre d’idées, la surveillance du régime de droit de vote prévu par la LACC  qu’exerce le juge surveillant ne doit pas seulement assurer une application stricte de la Loi, mais doit aussi favoriser la réalisation de ses objectifs. Nous estimons que la réalisation des objectifs de politique de la LACC  nécessite la reconnaissance du pouvoir discrétionnaire d’empêcher un créancier de voter s’il agit dans un but illégitime.

[76]                         La question de savoir s’il y a lieu d’exercer le pouvoir discrétionnaire dans une situation donnée appelle une analyse fondée sur les circonstances propres à chaque situation qui doit mettre en balance les divers objectifs de la LACC . Comme le démontre le présent dossier, le juge surveillant est le mieux placé pour procéder à cette analyse.

(3)          Le juge surveillant n’a pas commis d’erreur en interdisant à Callidus de voter

[77]                         À notre avis, la décision du juge surveillant d’empêcher Callidus de voter sur le nouveau plan ne révèle aucune erreur justifiant l’intervention d’une cour d’appel. Comme nous l’avons expliqué, il faut adopter l’attitude de déférence appropriée à l’égard des décisions discrétionnaires de ce genre. Il convient de mentionner que, lorsqu’il a rendu sa décision, le juge surveillant connaissait très bien les procédures fondées sur la LACC  relatives à Bluberi. Il les avait présidées pendant plus de 2 ans, avait reçu 15 rapports du contrôleur et avait délivré environ 25 ordonnances.

[78]                         Le juge surveillant a tenu compte de l’ensemble des circonstances et a conclu que le vote de Callidus viserait un but illégitime (par. 45 et 48). Nous sommes d’accord avec cette conclusion. Il savait qu’avant le vote sur le premier plan, Callidus avait choisi de n’évaluer aucune partie de sa réclamation à titre de créancier non garanti et s’était par la suite abstenue de voter — bien que le contrôleur l’ait expressément invité à le faire[4]. Le juge surveillant savait aussi que le premier plan de Callidus n’avait pas reçu l’aval des autres créanciers à l’assemblée des créanciers tenue le 15 décembre 2017, et que Callidus avait choisi de ne pas profiter de l’occasion pour modifier ou augmenter la valeur de son plan à ce moment-là, ce qu’elle était en droit de faire (voir LACC , art. 6  et 7 ; contrôleur, m.i., par. 17). Entre l’insuccès du premier plan et la proposition du nouveau plan — qui était identique au premier plan, hormis la modeste augmentation de 250 000 $ — les circonstances factuelles se rapportant aux affaires financières ou commerciales de Bluberi n’avaient pas réellement changé. Pourtant, Callidus a tenté d’évaluer la totalité de sa sûreté à zéro et, sur cette base, a demandé l’autorisation de voter sur le nouveau plan à titre de créancier non garanti. Si Callidus avait été autorisée à voter de cette façon, le nouveau plan aurait certainement satisfait au critère d’approbation prévu par le par. 6(1). Dans ces circonstances, la seule conclusion possible était que Callidus tentait d’évaluer stratégiquement la valeur de sa sûreté afin de prendre le contrôle du vote et ainsi contourner la démocratie entre les créanciers que défend la LACC . En termes simples, Callidus cherchait à « se donner une seconde chance » et à manipuler le vote sur le nouveau plan. Le juge surveillant n’a pas commis d’erreur en exerçant son pouvoir discrétionnaire pour empêcher Callidus de le faire.

[79]                         En effet, comme le fait observer le contrôleur, [traduction] « [u]ne fois que le plan d’arrangement ou la proposition ont été présentés aux créanciers du débiteur aux fins d’un vote, le fait d’ordonner la tenue d’une seconde assemblée des créanciers pour voter sur un plan à peu près semblable ne favoriserait pas la réalisation des objectifs de politique de la LACC , pas plus qu’il ne servirait ou n’accroîtrait la confiance du public dans le processus ou ne servirait par ailleurs les fins de la justice » (m.i., par. 18). C’est particulièrement le cas en l’espèce étant donné que la tenue d’une autre assemblée pour voter sur le nouveau plan aurait coûté plus de 200 000 $ (voir les motifs du juge surveillant, par. 72).

[80]                         Ajoutons que la façon d’agir de Callidus était manifestement contraire à l’attente selon laquelle les parties agissent avec diligence dans les procédures d’insolvabilité — ce qui, à notre avis, comprend le fait de faire preuve de diligence raisonnable dans l’évaluation de leurs réclamations et sûretés. Pendant toute la période pertinente, les réclamations retenues de Bluberi ont constitué les seuls éléments d’actif garantissant la réclamation de Callidus. Cette dernière n’a rien relevé dans le dossier qui indique que la valeur des réclamations retenues a changé. Si Callidus estimait que les réclamations retenues n’avaient aucune valeur, on se serait attendu à ce qu’elle ait évalué sa sûreté en conséquence avant le vote sur le premier plan, voire même plus tôt. Nous ouvrons une parenthèse pour souligner que, peu importe le moment, la tentative d’évaluer ainsi la sûreté aurait pu fort bien échouer. Cela aurait empêché Callidus de voter à titre de créancier non garanti même si elle ne poursuivait pas de but illégitime.

[81]                         Comme nous l’avons indiqué, les décisions discrétionnaires appellent une norme de contrôle empreinte d’une grande déférence. La déférence commande que l’examen d’une décision discrétionnaire commence par la qualification appropriée du fondement de la décision. Soit dit en tout respect, la Cour d’appel a échoué à cet égard. La Cour d’appel s’est saisie des commentaires quelque peu critiques formulés par le juge surveillant à l’égard de l’objectif de Callidus d’être libérée des réclamations retenues et de la conduite de celle‑ci tout au long des procédures pour affirmer qu’il ne s’agissait pas de considérations pouvant donner lieu à une conclusion de but illégitime. Toutefois, comme nous l’avons expliqué, ce ne sont pas ces considérations qui ont amené le juge surveillant à tirer sa conclusion. Sa conclusion reposait nettement sur la tentative de Callidus de manipuler le vote des créanciers pour faire en sorte que son nouveau plan soit retenu alors que son premier plan ne l’avait pas été (voir les motifs du juge surveillant, par. 45‑48). Nous ne voyons rien dans les motifs de la Cour d’appel qui s’attaque à cette irrégularité déterminante, qui va beaucoup plus loin que le simple fait pour un créancier d’agir dans son propre intérêt.

[82]                         En résumé, nous ne voyons rien dans les motifs du juge surveillant sur ce point qui justifie l’intervention d’une cour d’appel. Callidus a été à juste titre empêchée de voter sur le nouveau plan.

[83]                         Avant de passer au prochain point, soulignons que la Cour d’appel a abordé deux questions supplémentaires : Callidus est‑elle « liée » à Bluberi au sens du par. 22(3)  de la LACC ? Si Callidus est autorisée à voter, convient‑il de lui ordonner de voter dans une catégorie distincte des autres créanciers de Bluberi (voir la LACC , par. 22(1)  et (2) )? Vu notre conclusion que le juge surveillant n’a pas commis d’erreur en interdisant à Callidus de voter sur le nouveau plan au motif qu’elle avait agi dans un but illégitime, il n’est pas nécessaire de se prononcer sur l’une ou l’autre de ces questions. Cependant, rien dans les présents motifs ne doit être interprété comme souscrivant à l’analyse que la Cour d’appel a faite de ces questions.

C.            L’AFL de Bluberi devrait être approuvé à titre de financement temporaire

[84]                          À notre avis, le juge surveillant n’a commis aucune erreur en approuvant l’AFL à titre de financement temporaire en vertu de l’art. 11.2  de la LACC . Le financement temporaire est un outil souple qui peut revêtir différentes formes. Comme nous l’expliquerons, le financement d’un litige par un tiers peut constituer l’une de ces formes. La question de savoir s’il y a lieu d’approuver le financement d’un litige par un tiers à titre de financement temporaire commande une analyse fondée sur les faits de l’espèce qui doit tenir compte du libellé de l’art. 11.2  et des objectifs réparateurs de la LACC de façon plus générale.

(1)          Le financement temporaire et l’art. 11.2  de la LACC 

[85]                          Bien qu’il soit expressément prévu par l’art. 11.2  de la LACC , le financement temporaire n’est pas défini dans la Loi. La professeure Sarra l’a décrit comme [traduction] « vis[ant] principalement le fonds de roulement dont a besoin la société débitrice pour continuer de fonctionner pendant la restructuration ainsi que les fonds nécessaires pour payer les frais liés au processus de sauvetage » (Rescue! The Companies’ Creditors Arrangement Act , p. 197). Utilisé de cette façon, le financement temporaire — parfois appelé financement de [traduction] « débiteur‑exploitant » — protège la valeur d’exploitation de la compagnie débitrice pendant qu’elle met au point une solution viable à ses problèmes d’insolvabilité (p. 197; Royal Oak Mines Inc., Re (1999), 6 C.B.R. (4th) 314 (C.J. Ont. (Div. gén.)), par. 7, 9 et 24; Boutiques San Francisco Inc. c. Richter & Associés Inc., 2003 CanLII 36955 (C.S. Qc), par. 32). Cela dit, le financement temporaire ne se limite pas à fournir un fonds de roulement immédiat aux compagnies débitrices. Conformément aux objectifs réparateurs de la LACC , le financement temporaire permet essentiellement de préserver et de réaliser la valeur des éléments d’actif du débiteur.

[86]                          Depuis 2009, le par. 11.2(1) de la LACC a codifié le pouvoir discrétionnaire du juge surveillant d’approuver le financement temporaire et d’accorder une charge ou une sûreté correspondante, d’un montant qu’il estime indiqué, en faveur du prêteur :

        Financement temporaire

 (1) Sur demande de la compagnie débitrice, le tribunal peut par ordonnance, sur préavis de la demande aux créanciers garantis qui seront vraisemblablement touchés par la charge ou sûreté, déclarer que tout ou partie des biens de la compagnie sont grevés d’une charge ou sûreté — d’un montant qu’il estime indiqué — en faveur de la personne nommée dans l’ordonnance qui accepte de prêter à la compagnie la somme qu’il approuve compte tenu de l’état de l’évolution de l’encaisse et des besoins de celle‑ci. La charge ou sûreté ne peut garantir qu’une obligation postérieure au prononcé de l’ordonnance.

[87]                          L’étendue du pouvoir discrétionnaire du juge surveillant d’approuver le financement temporaire ressort du libellé du par. 11.2(1). Abstraction faite des protections concernant le préavis et les sûretés constituées avant le dépôt des procédures, le par. 11.2(1) ne prescrit aucune forme ou condition type[5]. Il prévoit simplement que le financement doit être d’un montant qui est « indiqué » et qui tient compte de « l’état de l’évolution de l’encaisse et des besoins de [la compagnie] ».

[88]                          Le juge surveillant peut également accorder au prêteur une « charge super prioritaire » qui aura priorité sur toute réclamation des créanciers garantis, en vertu du par. 11.2(2) :

        Priorité — créanciers garantis

        (2) Le tribunal peut préciser, dans l’ordonnance, que la charge ou sûreté a priorité sur toute réclamation des créanciers garantis de la compagnie.

[89]                          Ces charges, également appelées « superprivilèges », réduisent les risques des prêteurs, les incitant ainsi à aider les compagnies insolvables (Innovation, Sciences et Développement économique Canada, Archivé — Projet de loi C‑55 : analyse article par article, dernière mise à jour le 29 décembre 2016 (en ligne), cl. 128, art. 11.2; Wood, p. 387). Sur le plan pratique, ces charges constituent souvent le seul moyen d’encourager ce type de prêt. Généralement, le prêteur se protège contre le risque de crédit en prenant une sûreté sur les éléments d’actifs de l’emprunteur. Or, les compagnies débitrices qui sont sous la protection de la LACC  ont souvent donné en gage la totalité ou la presque totalité de leurs actifs à d’autres créanciers. En l’absence d’une charge super prioritaire, le prêteur qui accepte d’apporter un financement temporaire prendrait rang derrière les autres créanciers (McElcheran, p. 298‑299). Bien que la charge super prioritaire subordonne les sûretés des créanciers garantis à celle du prêteur qui apporte un financement temporaire — un résultat qui a suscité la controverse en common law — le législateur a signifié son acceptation générale des transactions allant de pair avec ces charges en adoptant le par. 11.2(2) (voir M. B. Rotsztain et A. Dostal, « Debtor-In-Possession Financing », dans S. Ben‑Ishai et A. Duggan, dir., Canadian Bankruptcy and Insolvency Law : Bill C‑55, Statute c. 47 and Beyond (2007), 227, p. 228‑229 et 240‑250). En effet, cet équilibre a été expressément pris en considération par le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce, qui a recommandé la codification du financement temporaire dans la LACC  (p. 111‑115).

[90]                          Au bout du compte, la question de savoir s’il y a lieu d’approuver le financement temporaire projeté est une question à laquelle le juge surveillant est le mieux placé pour répondre. La LACC  énonce un certain nombre de facteurs qui encadrent l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire. L’inclusion de ces facteurs dans le par. 11.2 reposait sur le point de vue du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce selon lequel ils permettraient de respecter les « principes fondamentaux » ayant guidé la conception des lois en matière d’insolvabilité au Canada, notamment « l’équité, la prévisibilité et l’efficience » (p. 115; voir également Innovation, Sciences et Développement économique Canada, cl. 128, art. 11.2). Pour décider s’il y a lieu d’accorder le financement temporaire, le juge surveillant doit prendre en considération les facteurs non exhaustifs suivants :

        Facteurs à prendre en considération

        (4) Pour décider s’il rend l’ordonnance, le tribunal prend en considération, entre autres, les facteurs suivants :

      a) la durée prévue des procédures intentées à l’égard de la compagnie sous le régime de la présente loi;

      b) la façon dont les affaires financières et autres de la compagnie seront gérées au cours de ces procédures;

      c) la question de savoir si ses dirigeants ont la confiance de ses créanciers les plus importants;

      d) la question de savoir si le prêt favorisera la conclusion d’une transaction ou d’un arrangement viable à l’égard de la compagnie;

      e) la nature et la valeur des biens de la compagnie;

      f) la question de savoir si la charge ou sûreté causera un préjudice sérieux à l’un ou l’autre des créanciers de la compagnie;

      g) le rapport du contrôleur visé à l’alinéa 23(1)b).

(LACC , par. 11.2(4) )

[91]                          Avant l’entrée en vigueur en 2009 des dispositions susmentionnées, les tribunaux utilisaient le pouvoir discrétionnaire général que confère l’art. 11 pour autoriser le financement temporaire et la constitution des charges super prioritaires s’y rattachant (Century Services, par. 62). L’article 11.2 codifie en grande partie les approches adoptées par ces tribunaux (Wood, p. 388; McElcheran, p. 301). En conséquence, il est possible, le cas échéant, de s’inspirer de la jurisprudence relative au financement temporaire antérieure à la codification.

[92]                          Comme c’est le cas pour les autres mesures susceptibles d’être prises sous le régime de la LACC , le financement temporaire est un outil souple qui peut revêtir différentes formes ou faire intervenir différentes considérations dans chaque cas. Comme nous l’expliquerons plus loin, le financement d’un litige par un tiers peut, dans les cas qui s’y prêtent, constituer l’une de ces formes.

(2)          Les juges surveillants peuvent approuver le financement d’un litige par un tiers à titre de financement temporaire

[93]                          Le financement d’un litige par un tiers met généralement en cause [traduction] « un tiers, n’ayant par ailleurs aucun lien avec le litige, [qui] accepte de payer une partie ou la totalité des frais de litige d’une partie, en échange d’une portion de la somme recouvrée par cette partie au titre des dommages‑intérêts ou des dépens » (R. K. Agarwal et D. Fenton, « Beyond Access to Justice : Litigation Funding Agreements Outside the Class Actions Context » (2017), 59 Rev. can. dr. comm. 65, p. 65). Le financement d’un litige par un tiers peut revêtir diverses formes. Un modèle courant met en cause un bailleur de fonds de litiges qui s’engage à payer les débours du demandeur et à indemniser ce dernier dans l’éventualité d’une adjudication des dépens défavorable, en échange d’une partie de la somme obtenue dans le cadre d’un procès ou d’un règlement couronné de succès (voir Dugal c. Manulife Financial Corp., 2011 ONSC 1785, 105 O.R. (3d) 364; Bayens).

[94]                          En dehors du cadre de la LACC , l’approbation des accords de financement d’un litige par un tiers a été quelque peu controversée. Une partie de cette controverse découle de la possibilité que ces accords portent atteinte aux doctrines de common law concernant la champartie (champerty) et le soutien abusif (maintenance)[6]. Le délit de soutien abusif interdit [traduction] « l’immixtion trop empressée dans une action avec laquelle on n’a rien à voir » (L. N. Klar et autres, Remedies in Tort (feuilles mobiles), vol. 1, par L. Berry, dir., p. 14‑11, citant Langtry c. Dumoulin (1884), 7 O.R. 644 (Ch. Div.), p. 661). La champartie est une sorte de soutien abusif qui comporte un accord prévoyant le partage de la somme obtenue ou de tout autre profit réalisé dans le cadre d’une action réussie (McIntyre Estate c. Ontario (Attorney General) (2002), 218 D.L.R. (4th) 193 (C.A. Ont.), par. 26).

[95]                          S’appuyant sur la jurisprudence voulant que les conventions d’honoraires conditionnels ne constituent pas de la champartie lorsqu’elles ne sont pas motivées par un but illégitime (p. ex., McIntyre Estate), les tribunaux d’instance inférieure en sont venus progressivement à reconnaître que les accords de financement d’un litige ne constituent pas non plus de la champartie en soi. Cette évolution s’est opérée surtout dans le contexte des recours collectifs, en réaction aux obstacles, comme les adjudications de dépens défavorables, qui entravaient l’accès des parties à la justice (voir Dugal, par. 33; Marcotte c. Banque de Montréal, 2015 QCCS 1915, par. 43‑44 (CanLII); Houle c. St. Jude Medical Inc., 2017 ONSC 5129, 9 C.P.C. (8th) 321, par. 52, conf. par 2018 ONSC 6352, 429 D.L.R. (4th) 739 (C. div.); voir également Stanway c. Wyeth, 2013 BCSC 1585, 56 B.C.L.R. (5th) 192, par. 13). La jurisprudence relative à l’approbation des accords de financement de litige par un tiers dans le contexte des recours collectifs — et même les paramètres de leur légalité en général — continue d’évoluer, et aucune des parties au présent pourvoi ne nous a invités à l’analyser.

[96]                          Cela dit, dans la mesure où les accords de financement de litige par un tiers ne sont pas illégaux en soi, il n’y a aucune raison de principe qui permet d’empêcher les juges surveillants d’approuver ce type d’accord à titre de financement temporaire dans les cas qui s’y prêtent. Nous reconnaissons que cette forme de financement diffère des formes plus courantes de financement temporaire qui visent simplement à aider le débiteur à [traduction] « payer les frais courants » (voir Royal Oak, par. 7 et 24). Toutefois, dans des circonstances semblables à celles en l’espèce, lorsqu’il existait un seul élément d’actif susceptible de monétisation au bénéfice des créanciers, l’objectif visant à maximiser le recouvrement des créanciers a occupé le devant de la scène. En pareilles circonstances, le financement de litige favorise la réalisation de l’objectif fondamental du financement temporaire : permettre au débiteur de réaliser la valeur de ses éléments d’actif.

[97]                          Nous concluons que les accords de financement de litige par un tiers peuvent être approuvés à titre de financement temporaire dans le cadre des procédures fondées sur la LACC  lorsque le juge surveillant estime qu’il serait juste et approprié de le faire, compte tenu de l’ensemble des circonstances et des objectifs de la Loi. Cela implique la prise en considération des facteurs précis énoncés au par. 11.2(4)  de la LACC . Cela dit, ces facteurs ne doivent pas être appliqués machinalement ou examinés individuellement par le juge surveillant. En effet, ils ne seront pas tous importants dans tous les cas, et ils ne sont pas non plus exhaustifs. Des enseignements supplémentaires peuvent être tirés d’autres domaines où des accords de financement de litige par un tiers ont été approuvés.

[98]                          Ce qui précède est compatible avec la pratique qui a déjà cours devant les tribunaux d’instance inférieure. Plus particulièrement, dans Crystallex, la Cour d’appel de l’Ontario a approuvé un accord de financement de litige par un tiers dans des circonstances très semblables à celles en l’espèce. Cette affaire mettait en cause une société minière ayant le droit d’exploiter un grand gisement d’or au Venezuela. Crystallex est finalement devenue insolvable, et (comme Bluberi) il ne lui restait plus qu’un seul élément d’actif important : une réclamation d’arbitrage de 3,4 milliards de dollars américains contre le Venezuela. Après s’être placée sous la protection de la LACC , Crystallex a demandé l’approbation d’un accord de financement de litige par un tiers. L’accord prévoyait que le prêteur avancerait des fonds importants pour financer l’arbitrage en échange, notamment, d’un pourcentage de la somme nette obtenue à la suite d’une sentence ou d’un règlement. Le juge surveillant a approuvé l’accord à titre de financement temporaire en vertu de l’art. 11.2. La Cour d’appel a conclu à l’unanimité que le juge surveillant n’avait commis aucune erreur dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. Elle a conclu que l’art. 11.2 [traduction] « n’empêche pas le juge surveillant d’approuver, s’il y a lieu, avant qu’un plan soit approuvé, l’octroi d’une charge garantissant un financement qui pourra continuer après que la compagnie aura émergé de la protection de la LACC  » (par. 68).

[99]                          Dans Crystallex, l’un des principaux arguments soulevés par les créanciers — et l’un de ceux qu’ont soulevés Callidus et le groupe de créanciers dans le présent pourvoi — était que l’accord de financement de litige en cause était un plan d’arrangement et non pas un financement temporaire. Il s’agissait d’un argument important car, si l’accord était en fait un plan, il aurait dû être soumis à un vote des créanciers conformément aux art. 4  et 5  de la LACC  avant de recevoir l’aval du tribunal. La cour, dans Crystallex, a rejeté cet argument, et nous en faisons autant.

[100]                      La LACC  ne définit pas le plan d’arrangement. En fait, la LACC  ne fait aucunement allusion aux plans — elle fait uniquement état d’un « arrangement » ou d’une « transaction » (voir art. 4 et 5). S’appuyant sur l’ancienne jurisprudence anglaise, les auteurs de Bankruptcy and Insolvency Law of Canada proposent la définition générale suivante de ces termes :

     [traduction] La « transaction » suppose d’emblée l’existence d’un différend au sujet des droits visés par la transaction et d’un règlement de ce différend selon des conditions jugées satisfaisantes par le débiteur et le créancier. L’accord visant à accepter une somme inférieure à 100 ¢ par dollar constituerait une transaction lorsque le débiteur conteste la dette ou n’a pas les moyens de la payer. Le mot « arrangement » a un sens plus large que le mot « transaction » et ne se limite pas à quelque chose qui ressemble à une transaction. Il viserait tout plan de réorganisation des affaires du débiteur : Re Guardian Assur. Co., [1917] 1 Ch. 431, 61 Sol. Jo 232, [1917] H.B.R. 113 (C.A.); Re Refund of Dues under Timber Regulations, [1935] A.C. 185 (C.P.).

(Houlden, Morawetz et Sarra, §33)

[101]                      Malgré leur vaste portée apparente, ces termes connaissent quand même certaines limites. Selon une jurisprudence plus récente, ils exigeraient, à tout le moins, une certaine transaction à l’égard des droits des créanciers. Dans Crystallex, par exemple, on a conclu que l’accord de financement de litige en cause (également appelé [traduction] « facilité de DE Tenor ») ne constituait pas un plan d’arrangement parce qu’il ne comportait pas [traduction] « une transaction visant les conditions [des] dettes envers [des créanciers] ni ne [. . .] privait [ceux‑ci] de [. . .] leurs droits reconnus par la loi » (par. 93). La Cour d’appel a fait sien le raisonnement suivant du tribunal de première instance, auquel nous souscrivons pour l’essentiel :

        [traduction] Le « plan d’arrangement » et la « transaction » ne sont pas définis dans la LACC . Il doit toutefois s’agir d’un arrangement ou d’une transaction entre un débiteur et ses créanciers. La facilité de DE Tenor ne constitue pas, à première vue, un arrangement ou une transaction entre Crystallex et ses créanciers. Fait important, les détenteurs de billets ne sont pas privés de leurs droits par la facilité de DE Tenor. Les détenteurs de billets sont des créanciers non garantis. Leurs droits se résument à poursuivre en vue d’obtenir un jugement et à faire exécuter ce jugement. S’ils ne sont pas payés, ils ont le droit de demander une ordonnance de faillite en vertu de la LFI . Sous le régime de la LACC , ils ont le droit de voter sur un plan d’arrangement ou une transaction. La facilité de DE Tenor ne les prive d’aucun de ces droits.

(Re Crystallex International Corporation, 2012 ONSC 2125, 91 C.B.R. (5th) 169, par. 50)

[102]                      Il n’est pas nécessaire de définir exhaustivement les notions de plan d’arrangement ou de transaction pour trancher les présents pourvois. Il suffit de conclure que les plans d’arrangement doivent au moins comporter une certaine transaction à l’égard des droits des créanciers. Il s’ensuit que l’accord de financement de litige par un tiers visant à apporter un financement à la compagnie débitrice pour réaliser la valeur d’un élément d’actif ne constitue pas nécessairement un plan d’arrangement. Nous sommes d’avis de laisser aux juges surveillants le soin de déterminer si, compte tenu des circonstances particulières de l’affaire dont ils sont saisis, l’accord de financement de litige par un tiers comporte des conditions qui le convertissent effectivement en plan d’arrangement. Si l’accord ne comporte pas de telles conditions, il peut être approuvé à titre de financement temporaire en vertu de l’art. 11.2  de la LACC .

[103]                      Ajoutons que, dans certaines circonstances, l’accord de financement de litige par un tiers peut contenir ou incorporer un plan d’arrangement (p. ex., s’il contient un plan prévoyant la distribution aux créanciers des sommes obtenues dans le cadre du litige). Subsidiairement, le juge surveillant peut décider que, bien que l’accord lui‑même ne constitue pas un plan d’arrangement, il y a lieu de l’accompagner d’un plan et de le soumettre à un vote des créanciers. Cela dit, nous le répétons, les accords de financement de litige par un tiers ne constituent pas nécessairement, ni même généralement, des plans d’arrangement.

[104]                      Rien de ce qui précède n’est sérieusement contesté en l’espèce. Les parties s’entendent essentiellement pour dire que les accords de financement de litige par un tiers peuvent être approuvés à titre de financement temporaire. Le différend qui les oppose porte sur la question de savoir si le juge surveillant a commis une erreur en exerçant son pouvoir discrétionnaire d’approuver l’AFL en l’absence d’un vote des créanciers, soit parce qu’il constituait un plan d’arrangement, soit parce qu’il aurait dû être accompagné d’un plan d’arrangement. Nous abordons maintenant cette question.

(3)          Le juge surveillant n’a pas commis d’erreur en approuvant l’AFL

[105]                      À notre avis, il n’y a aucune raison d’intervenir dans l’exercice par le juge surveillant de son pouvoir discrétionnaire d’approuver l’AFL à titre de financement temporaire. Se fondant sur les principes applicables à l’approbation d’accords semblables dans le contexte des recours collectifs (par. 74, citant Bayens, par. 41; Hayes, par. 4), le juge surveillant a estimé que l’AFL était juste et raisonnable. Plus particulièrement, il a examiné soigneusement les conditions selon lesquelles les avocats de Bentham et de Bluberi seraient payés si le litige était couronné de succès, les risques qu’ils prenaient en investissant dans le litige et l’étendue du contrôle qu’exercerait désormais Bentham sur le litige (par. 79 et 81). Le juge surveillant a également pris en compte les objectifs uniques des procédures fondées sur la LACC  en établissant une distinction entre l’AFL et des accords apparemment semblables qui n’avaient pas été approuvés dans le contexte des recours collectifs (par. 81‑82, établissant une distinction avec l’affaire Houle). Sa prise en compte de ces objectifs ressort également du fait qu’il s’est fondé sur Crystallex, qui, comme nous l’avons expliqué, portait sur l’approbation d’un financement temporaire dans des circonstances très semblables à celles en l’espèce (voir par. 67 et 71). Nous ne voyons aucune erreur de principe ni rien de déraisonnable dans cette approche.

[106]                      Certes, le juge surveillant n’a pas examiné à fond chacun des facteurs énoncés au par. 11.2(4) de la LACC de façon individuelle avant de tirer sa conclusion, mais cela ne constituait pas une erreur en soi. L’examen des motifs du juge surveillant dans leur ensemble, conjugué à la reconnaissance de son expérience évidente des procédures intentées par Bluberi sous le régime de la LACC , nous mène à conclure que les facteurs énumérés au par. 11.2(4) concernent des questions qui n’auraient pu échapper à son attention et à son examen adéquat. Il convient de rappeler qu’au moment où il a rendu sa décision, le juge surveillant était saisi des procédures en question depuis plus de deux ans et avait pu bénéficier de l’aide du contrôleur. En ce qui a trait à chacun des facteurs énoncés au par. 11.2(4), nous soulignons ce qui suit :

            le rôle de surveillance du juge lui aurait permis de connaître la durée prévue des procédures intentées par Bluberi sous le régime de la LACC  ainsi que la mesure dans laquelle les dirigeants de Bluberi bénéficiaient du soutien des créanciers (al. 11.2(4)a) et c)), mais nous constatons que ces facteurs semblent revêtir beaucoup moins d’importance que les autres dans le contexte de la présente affaire (voir par. 96);

            l’AFL lui‑même indique « la façon dont les affaires financières et autres de la compagnie seront gérées au cours de ces procédures » (al. 11.2(4)b));

            le juge surveillant était d’avis que l’AFL favoriserait la conclusion d’un plan viable, car il a accepté (1) le fait que Bluberi avait l’intention de présenter un plan et (2) l’argument de Bluberi selon lequel l’approbation de l’AFL l’aiderait à conclure un plan [traduction] « visant à atteindre une réalisation maximale » de ses éléments d’actif (par. 68, citant la demande de 9354‑9186 Québec inc. et de 9354‑9178 Québec inc., par. 99; al. 11.2(4)d));

            le juge surveillant était au courant de la « nature et [de] la valeur » des biens de Bluberi, qui se limitaient clairement aux réclamations retenues (al. 11.2(4)e));

                  le juge surveillant a conclu implicitement que la charge relative au financement de litige ne causerait pas un préjudice sérieux aux créanciers, car il a affirmé que [traduction] « [c]ompte tenu du résultat du vote [sur le premier plan] et des circonstances particulières de la présente affaire, la seule possibilité de recouvrement réside dans l’action que vont intenter les débiteurs » (par. 91 (nous soulignons); al. 11.2(4)f));

                  le juge surveillant était aussi bien au fait des rapports du contrôleur, et s’est appuyé sur le plus récent d’entre eux à divers endroits dans ses motifs (voir, p. ex., par. 64‑65 et note 1; al. 11.2(4)g)). Il convient de souligner que le contrôleur appuyait l’approbation de l’AFL à titre de financement temporaire.

[107]                      À notre avis, il est manifeste que le juge surveillant a mis l’accent sur l’équité envers toutes les parties, les objectifs précis de la LACC et les circonstances particulières de la présente affaire lorsqu’il a approuvé l’AFL à titre de financement temporaire. Nous ne pouvons affirmer qu’il a commis une erreur dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. Nous ne savons pas avec certitude si l’AFL était aussi favorable aux créanciers de Bluberi qu’il aurait pu l’être — dans une certaine mesure, il donne priorité au recouvrement de Bentham sur le leur — mais nous nous en remettons néanmoins à l’exercice par le juge surveillant de son pouvoir discrétionnaire.

[108]                      Dans la mesure où la Cour d’appel a conclu le contraire, en toute déférence, nous ne sommes pas d’accord. De façon générale, nous estimons que la Cour d’appel a encore une fois omis de faire preuve de la déférence nécessaire à l’égard du juge surveillant. Plus particulièrement, nous souhaitons faire des observations sur trois des erreurs qu’aurait décelées la Cour d’appel dans la décision du juge surveillant.

[109]                      Premièrement, il découle de notre conclusion selon laquelle les AFL peuvent constituer un financement temporaire que la Cour d’appel a eu tort de conclure que l’approbation de l’AFL à titre de financement temporaire [traduction] « transcendait la nature de ce type de financement » (par. 78).

[110]                      Deuxièmement, à notre avis, la Cour d’appel a eu tort de conclure que l’AFL était un plan d’arrangement, et qu’il était possible d’établir une distinction entre l’espèce et les faits de l’affaire Crystallex. La Cour d’appel a conclu que l’AFL et la charge relative au financement de litige super prioritaire s’y rattachant constituaient un plan parce qu’ils subordonnaient les droits des créanciers de Bluberi à ceux de Bentham.

[111]                      Nous souscrivons à l’opinion du juge surveillant selon laquelle l’AFL ne constitue pas un plan d’arrangement parce qu’il ne propose aucune transaction visant les droits des créanciers. Pour reprendre la formule qu’a employée la Cour d’appel dans Crystallex, la réclamation de Bluberi s’apparente à une [traduction] « marmite d’or » (par. 4). Les plans d’arrangement établissent la façon dont le contenu de cette marmite sera distribué. Ils n’indiquent généralement pas ce que la compagnie débitrice devra faire pour la remplir. Le fait que les créanciers puissent en fin de compte remporter plus ou moins d’argent ne modifie en rien la nature ou l’existence de leurs droits d’avoir accès à la marmite une fois qu’elle est remplie, pas plus qu’on ne saurait dire qu’il s’agit d’une « transaction » à l’égard de leurs droits. Lorsque la « marmite d’or » aura été obtenue — c’est‑à‑dire dans l’éventualité d’une action ou d’un règlement — les sommes nettes seront distribuées aux créanciers. En l’espèce, si les réclamations retenues permettent de recouvrer des sommes qui dépassent le total des dettes de Bluberi, les créanciers seront payés en entier; si les sommes sont insuffisantes, un plan d’arrangement ou une transaction établira la façon dont les sommes seront distribuées. Bluberi s’est engagée à proposer un tel plan (voir les motifs du juge surveillant, par. 68, établissant une distinction avec Cliffs Over Maple Bay Investments Ltd. c. Fisgard Capital Corp., 2008 BCCA 327, 296 D.L.R. (4th) 577).

[112]                      C’est exactement la même conclusion qui a été tirée dans Crystallex dans des circonstances semblables :

 

     [traduction] Les faits de l’espèce sont inhabituels : la « marmite d’or » ne contient qu’un seul élément d’actif qui, s’il est réalisé, rapportera beaucoup plus que ce qui est nécessaire pour rembourser les créanciers. Le juge surveillant était le mieux placé pour établir un équilibre entre les intérêts de toutes les parties intéressées. J’estime que l’exercice par le juge surveillant de son pouvoir discrétionnaire d’approuver le prêt de DE Tenor était raisonnable et approprié, bien qu’il ait eu pour effet de limiter la position de négociation des créanciers.

      . . .

     ... L’approbation du prêt de DE Tenor a certes amoindri l’influence que pouvaient exercer les détenteurs de billets lors de la négociation d’un plan, et rendu plus complexe la négociation d’un plan, mais ce prêt ne constituait pas une transaction visant les conditions de leurs dettes ni ne les privait de l’un de leurs droits reconnus par la loi. Il ne s’agit donc pas d’un arrangement, et un vote des créanciers n’était pas nécessaire. [par. 82 et 93]

[113]                      Nous ne souscrivons pas à l’opinion de la Cour d’appel selon laquelle il y a lieu d’établir une distinction avec Crystallex parce que, dans cette affaire, les créanciers disposaient d’un seul moyen de recouvrement (c.‑à‑d. l’arbitrage) tandis que, dans la présente affaire, il y en a deux (c.‑à‑d. l’introduction d’une action à l’égard des réclamations retenues et le nouveau plan de Callidus). Étant donné que le juge surveillant avait conclu que Callidus ne pouvait pas voter sur le nouveau plan, ce plan ne constituait pas une solution de rechange viable à l’AFL. La [traduction] « seule possibilité de recouvrement » qui s’offrait aux créanciers de Bluberi résidait donc dans l’AFL et l’introduction d’une action à l’égard des réclamations retenues (motifs du juge surveillant, par. 91). Fait peut‑être plus important, même si les créanciers avaient disposé de plusieurs moyens de recouvrement, tant dans l’affaire Crystallex que dans la présente affaire, la simple existence de ces moyens n’aurait pas nécessairement modifié la nature des accords de financement de litige par un tiers en cause ni n’aurait eu pour effet de les convertir en plans d’arrangement. La question que doit se poser le juge surveillant dans chaque affaire est de savoir si l’accord qui lui est soumis doit être approuvé à titre de financement temporaire. Certes, les autres moyens de recouvrement dont disposent les créanciers peuvent entrer en ligne de compte dans la prise de cette décision discrétionnaire, mais ils ne sont pas déterminants.

[114]                      Ajoutons que la charge relative au financement de litige ne convertit pas l’AFL en plan d’arrangement en [traduction] « subordonn[ant] » les droits des créanciers (motifs de la Cour d’appel, par. 90). Nous reconnaissons que cette charge aurait pour effet de placer les créanciers garantis comme Callidus derrière Bentham dans l’ordre de priorité, mais ce résultat est expressément prévu par l’art. 11.2  de la LACC . Cette « subordination » ne convertit pas le financement temporaire autorisé par la loi en plan d’arrangement. Retenir cette interprétation aurait pour effet d’annihiler le pouvoir du juge surveillant d’approuver ces charges sans un vote des créanciers en vertu du par. 11.2(2).

[115]                      Troisièmement, nous estimons que la Cour d’appel a eu tort de conclure que le juge surveillant aurait dû soumettre l’AFL accompagné d’un plan à l’approbation des créanciers (par. 89). Comme nous l’avons indiqué, la décision d’exiger que le débiteur accompagne d’un plan son accord de financement de litige par un tiers est une décision discrétionnaire qui appartient au juge surveillant.

[116]                      Enfin, sur les instances des appelantes, nous soulignons que l’affirmation de la Cour d’appel selon laquelle l’AFL [traduction] « s’apparente [en quelque sorte] à un placement à échéance non déterminée » était inutile et pouvait prêter à confusion (par. 90). Cela dit, il s’agissait manifestement d’une remarque incidente. Dans la mesure où la Cour d’appel s’est fondée sur cette qualification pour conclure que l’AFL constituait un plan d’arrangement, nous avons déjà expliqué pourquoi nous croyons que la Cour d’appel a fait erreur sur ce point.

VI.         Conclusion

[117]                      Pour ces motifs, à l’issue de l’audience, nous avons accueilli les pourvois et rétabli l’ordonnance du juge surveillant. Les dépens devant notre Cour et la Cour d’appel ont été adjugés aux appelantes.

                    Pourvois accueillis avec dépens devant la Cour et la Cour d’appel.

                    Procureurs des appelantes/intervenantes 9354‑9186 Québec inc. et 9354‑9178 Québec inc. : Davies Ward Phillips & Vineberg, Montréal.

                    Procureurs des appelantes/intervenantes IMF Bentham Limited (maintenant connue sous le nom d’Omni Bridgeway Limited) et Corporation Bentham IMF Capital (maintenant connue sous le nom de Corporation Omni Bridgeway Capital (Canada)) : Woods, Montréal.

                    Procureurs de l’intimée Callidus Capital Corporation : Gowling WLG (Canada), Montréal.

                    Procureurs des intimés International Game Technology, Deloitte S.E.N.C.R.L., Luc Carignan, François Vigneault, Philippe Millette, Francis Proulx et François Pelletier : McCarthy Tétrault, Montréal.

                    Procureurs de l’intervenante Ernst & Young Inc. : Stikeman Elliott, Montréal.

                    Procureurs des intervenants l’Institut d’insolvabilité du Canada et l’Association canadienne des professionnels de l’insolvabilité et de la réorganisation : Norton Rose Fulbright Canada, Montréal.



[1]  Bluberi semble ne pas avoir encore déposé cette action (voir 2018 QCCS 1040, par. 10 (CanLII)).

[2]  Fait à remarquer, le groupe de créanciers a informé Callidus qu’il appuierait le nouveau plan. Il lui a aussi demandé de rembourser tous les frais juridiques découlant de cet appui. Par ailleurs, le groupe de créanciers ne s’est pas engagé à voter d’une certaine façon, et a confirmé que chacun de ses membres évaluerait toutes les possibilités qui s’offraient à lui.

[3]  Mentionnons que, bien que l’art. 36 codifie désormais le pouvoir du juge surveillant de rendre une ordonnance de vente et de dévolution, et qu’il énonce les facteurs devant orienter l’exercice de son pouvoir discrétionnaire d’accorder une telle ordonnance, il est muet quant aux circonstances dans lesquelles les tribunaux doivent approuver une liquidation sous le régime de la LACC  plutôt que d’exiger des parties qu’elles procèdent à la liquidation par voie de mise sous séquestre ou sous le régime de la LFI  (voir Sarra, Rescue! The Companies’ Creditors Arrangement Act , p. 167‑168; A. Nocilla, « Asset Sales Under the Companies’ Creditors Arrangement Act  and the Failure of Section 36 » (2012) 52 Rev. can. dr. comm. 226, p. 243‑244 et 247). Cette question demeure ouverte et n’a pas été soumise à la Cour dans Indalex non plus que dans les présents pourvois.

[4]  Il convient de souligner que la déclaration du contrôleur à cet égard ne permettait pas de décider si Callidus aurait finalement eu le droit de voter sur le premier plan. Comme Callidus n’a même pas essayé de voter sur le premier plan, cette question n’a jamais été soumise au juge surveillant.

[5]  Une autre exception a été codifiée dans les modifications apportées en 2019 à la LACC  qui créent le par. 11.2(5) (voir Loi n o  1 d’exécution du budget de 2019 , art. 138 ). Cet article prévoit que, lorsqu’une ordonnance relative à la demande initiale a été demandée, « le tribunal ne rend l’ordonnance visée au paragraphe [11.2](1) que s’il est également convaincu que les modalités du financement temporaire demandé sont limitées à ce qui est normalement nécessaire à la continuation de l’exploitation de la compagnie débitrice dans le cours ordinaire de ses affaires durant cette période ». Cette disposition ne s’applique pas en l’espèce, et les parties ne l’ont pas invoquée. Toutefois, il se peut qu’elle ait pour effet d’empêcher les juges surveillants d’approuver des AFL à titre de financement temporaire au moment où l’ordonnance relative à la demande initiale est rendue.

[6]  L’ampleur de la controverse varie selon les provinces. En Ontario, les accords de champartie sont interdits par la loi (voir An Act respecting Champerty, R.S.O. 1897, c. 327). Au Québec, les questions relatives à la champartie et au soutien abusif ne se posent pas de façon aussi aiguë parce que la champartie et le soutien abusif ne font pas partie du droit comme tel (voir Montgrain c. Banque nationale du Canada, 2006 QCCA 557, [2006] R.J.Q. 1009; G. Michaud, « New Frontier : The Emergence of Litigation Funding in the Canadian Insolvabilité Landscape » dans J. P. Sarra et autres, dir., Annual Review of Insolvency Law 2018 (2019), 221, p. 231).

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