COUR SUPRÊME DU CANADA
Référence : Uber Technologies Inc. c. Heller, 2020 CSC 16, [2020] 2 R.C.S. 118 |
Appel entendu : 6 novembre 2019 Jugement rendu : 26 juin 2020 Dossier : 38534 |
Entre :
Uber Technologies Inc., Société Uber Canada, Uber B.V. et Rasier Operations B.V.
Appelantes
et
David Heller
Intimé
- et -
Procureur général de l’Ontario, Jeunes praticiens canadiens de l’arbitrage, Arbitration Place, Don Valley Community Legal Services, Fédération canadienne de l’entreprise indépendante, Clinique d’intérêt public et de politique d’internet du Canada Samuelson‑Glushko, Centre d’action pour la sécurité du revenu, Parkdale Community Legal Services, Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce Canada, Workers’ Health and Safety Legal Clinic, Institut économique de Montréal, Canadian American Bar Association, Chartered Institute of Arbitrators (Canada) Inc., Toronto Commercial Arbitration Society, Chambre de commerce du Canada, Chambre de commerce internationale, Consumers Council of Canada, Community Legal Assistance Society et ADR Chambers Inc.
Intervenants
Traduction française officielle
Coram : Le juge en chef Wagner et les juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Côté, Brown, Rowe, Martin et Kasirer
Motifs de jugement conjoints : (par. 1 à 100)
Motifs concordants : (par. 101 à 176)
Motifs dissidents : (par. 177 à 338)
|
Les juges Abella et Rowe (avec l’accord du juge en chef Wagner et des juges Moldaver, Karakatsanis, Martin et Kasirer)
Le juge Brown
La juge Côté |
Uber Technologies Inc.,
Société Uber Canada,
Uber B.V. et
Rasier Operations B.V. Appelantes
c.
David Heller Intimé
et
Procureur général de l’Ontario,
Jeunes praticiens canadiens de l’arbitrage,
Arbitration Place,
Don Valley Community Legal Services,
Fédération canadienne de l’entreprise indépendante,
Clinique d’intérêt public et de politique d’internet
du Canada Samuelson-Glushko,
Centre d’action pour la sécurité du revenu,
Parkdale Community Legal Services,
Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation
et du commerce Canada,
Workers’ Health and Safety Legal Clinic,
Institut économique de Montréal,
Canadian American Bar Association,
Chartered Institute of Arbitrators (Canada) Inc.,
Toronto Commercial Arbitration Society,
Chambre de commerce du Canada,
Chambre de commerce internationale,
Consumers Council of Canada,
Community Legal Assistance Society et
ADR Chambers Inc. Intervenants
Répertorié : Uber Technologies Inc. c. Heller
2020 CSC 16
No du greffe : 38534.
2019 : 6 novembre; 2020 : 26 juin.
Présents : Le juge en chef Wagner et les juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Côté, Brown, Rowe, Martin et Kasirer.
en appel de la cour d’appel de l’ontario
Contrats — Contrats d’adhésion — Clause d’arbitrage — Validité — Iniquité — Clause impérative d’un contrat type, conclu entre un chauffeur et une entreprise multinationale, prescrivant le recours à l’arbitrage aux Pays-Bas pour régler leurs différends et imposant le paiement initial de frais importants pour entamer les procédures d’arbitrage — Recours intenté par le chauffeur contre l’entreprise devant une cour de l’Ontario — Sursis de l’instance sollicité par l’entreprise sur le fondement de la clause d’arbitrage — Faut-il surseoir à l’instance? — Qui de la cour ou de l’arbitre devrait statuer sur la validité de la convention d’arbitrage? — La convention d’arbitrage est-elle inique? — Loi de 1991 sur l’arbitrage, L.O. 1991, c. 17, art. 7(2).
H offre des services de livraison de nourriture à Toronto en utilisant les applications d’Uber. Afin de devenir chauffeur pour Uber, H a dû accepter les conditions de l’entente de service standardisée de cette dernière. Suivant ces conditions, H avait l’obligation de résoudre tout différend avec Uber au moyen d’une médiation et d’un arbitrage aux Pays‑Bas. Les procédures de médiation et d’arbitrage en cause exigent le paiement de frais administratifs et de dépôt initial de 14 500 $ US, en plus d’honoraires et d’autres frais de participation. Les frais correspondent à la majeure partie du revenu annuel de H.
En 2017, H a intenté un recours collectif contre Uber en Ontario pour violations de normes d’emploi prescrites par la loi. Uber a demandé le sursis du recours collectif au profit d’un arbitrage aux Pays‑Bas, se fondant sur la clause d’arbitrage prévue à l’entente de service qu’elle avait conclu avec H. Ce dernier a plaidé que la clause d’arbitrage était inique, et donc nulle. Le juge des motions a ordonné le sursis de l’instance, concluant que la validité de la convention d’arbitrage était du ressort d’un arbitre aux Pays‑Bas, conformément au principe voulant que l’arbitre soit habilité à juger de sa propre compétence. La Cour d’appel a accueilli l’appel interjeté par H et annulé l’ordonnance du juge des motions. Elle a conclu qu’il n’était pas nécessaire de renvoyer les arguments de H contre la convention d’arbitrage à un arbitre et que la question pouvait être traitée par une cour en Ontario. Elle a conclu en outre que la clause d’arbitrage était inique, compte tenu de l’inégalité du pouvoir de négociation entre les parties et du coût prohibitif de l’arbitrage.
Arrêt (la juge Côté est dissidente) : Le pourvoi est rejeté.
Le juge en chef Wagner et les juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Rowe, Martin et Kasirer : En raison de l’exigence du paiement de frais importants pour que l’arbitrage puisse être entamé, il existe une réelle possibilité que, si l’affaire est renvoyée devant un arbitre, la contestation de H en ce qui a trait à la validité de la convention d’arbitrage ne soit jamais résolue. La cour doit donc régler la question de la validité de la convention d’arbitrage. La prétention de H quant au caractère inique de la clause d’arbitrage exige l’examen de deux éléments : la question de savoir s’il existe une inégalité du pouvoir de négociation et celle de savoir si un marché imprudent en résulte. Une inégalité du pouvoir de négociation existait entre Uber et H parce que la clause d’arbitrage faisait partie d’un contrat type qui n’avait pas fait l’objet de négociation, parce qu’il existait un fossé important sur le plan des connaissances entre les parties, et parce qu’on ne peut s’attendre à ce qu’une personne dans la position de H puisse apprécier les conséquences financières et juridiques de la clause d’arbitrage. Celle-ci revêt un caractère imprudent puisque les procédures d’arbitrage requièrent le paiement de 14 500 $ US de frais administratifs initiaux. Par conséquent, la clause d’arbitrage est abusive, et donc nulle.
Les parties étaient en désaccord quant à la loi sur l’arbitrage applicable à leur différend. Uber a plaidé que la Loi de 2017 sur l’arbitrage commercial international de l’Ontario s’applique, tandis que, selon H, c’est la Loi de 1991 sur l’arbitrage de l’Ontario qui s’applique. La question de savoir si la Loi de 2017 sur l’arbitrage commercial international s’applique est tributaire de la nature internationale et commerciale ou non de la convention d’arbitrage. Le fait que la convention en cause ici est de nature internationale n’est pas contesté. Les différends liés au travail ou à l’emploi ne sont pas le type de différends que la Loi de 2017 sur l’arbitrage commercial international est censée régir. C’est donc la Loi de 1991 sur l’arbitrage qui les régit.
Dans les arrêts Dell Computer Corp. c. Union des consommateurs, [2007] 2 R.C.S. 801, et Seidel c. TELUS Communications Inc., [2011] 1 R.C.S. 531, la Cour a établi un cadre d’analyse pour déterminer quand un tribunal devrait décider si un arbitre a compétence à l’égard d’un différend, plutôt que de lui renvoyer la question. Ce cadre d’analyse s’applique à la Loi de 1991 sur l’arbitrage de l’Ontario. Conformément à ce cadre d’analyse, le tribunal devrait renvoyer toutes les contestations de la compétence de l’arbitre à l’arbitrage à moins qu’elles ne soulèvent exclusivement des questions de droit, ou des questions mixtes de fait et de droit qui ne requièrent qu’un examen superficiel de la preuve au dossier — c’est-à-dire, s’il est possible de tirer les conclusions de droit nécessaires à partir de faits qui sont soit évidents à la face même du dossier, soit non contestés par les parties.
En plus des deux exceptions au renvoi à l’arbitrage prévues dans les arrêts Dell et Seidel, un tribunal peut s’écarter de la règle générale du renvoi à l’arbitrage si une question d’accessibilité est soulevée. L’hypothèse sous‑jacente formulée dans l’arrêt Dell veut que si le tribunal ne tranche pas une question, l’arbitre le fasse. L’arrêt Dell n’a pas envisagé un cas de figure où la question resterait en suspens advenant un sursis de l’instance. Une telle situation soulève des problèmes pratiques évidents d’accès à la justice que la législature de l’Ontario n’aurait pas pu souhaiter en conférant aux tribunaux le pouvoir de refuser un sursis. Un cas de figure qui pourrait laisser en suspens la question de la validité de la convention d’arbitrage est celui où l’arbitrage est fondamentalement trop onéreux ou autrement inaccessible. Cela peut survenir parce que les frais pour entamer une telle procédure sont importants par rapport à la réclamation du demandeur ou parce que ce dernier n’est pas raisonnablement en mesure de se rendre au lieu où doit se tenir l’arbitrage. Un autre cas de figure pourrait être celui où la clause relative au choix du droit étranger applicable contourne une politique locale impérative, comme une clause qui empêcherait l’arbitre de donner effet aux mesures de protection applicables en droit du travail en Ontario. Dans de telles situations, surseoir à l’instance au profit de l’arbitrage reviendrait à rejeter tous les recours intentés en application de la convention. En fait, la convention d’arbitrage serait à l’abri de toute contestation significative.
En conséquence, le tribunal ne devrait pas renvoyer une contestation de la compétence de l’arbitre à ce dernier s’il existe une réelle possibilité que, s’il le faisait, il ne soit jamais statué sur la contestation. Pour décider si seul un tribunal peut trancher la contestation de la compétence de l’arbitre, le tribunal doit premièrement déterminer si, à supposer que les faits invoqués soient avérés, il existe une véritable contestation de la compétence de l’arbitre. Deuxièmement, le tribunal doit déterminer à partir des preuves à l’appui s’il existe une réelle possibilité que, advenant le prononcé du sursis, la contestation ne soit jamais résolue par l’arbitre. Même si cette seconde question requiert un examen limité de la preuve, celui-ci ne doit pas se transformer en mini‑procès. À cette étape, la seule question est celle de savoir s’il existe une réelle possibilité, dans les circonstances, que l’arbitre puisse ne jamais se prononcer sur le fond de la contestation de la compétence. S’il existe une réelle possibilité que, advenant le renvoi de la contestation de la compétence de l’arbitre à ce dernier, il ne soit jamais statué sur la contestation, le tribunal peut décider si l’arbitre a compétence pour être saisi du différend et, ce faisant, il peut analyser en profondeur les questions en litige ainsi que le dossier. La Cour doit donc se prononcer sur les arguments qu’a fait valoir H.
L’iniquité est une notion d’equity qui sert à annuler les contrats inéquitables qui sont le fruit de l’inégalité du pouvoir de négociation des parties. Dans les cas où les hypothèses traditionnelles qui sous-tendent l’exécution des contrats perdent leur pouvoir justificatif, la doctrine de l’iniquité offre un recours contre les contrats imprudents. Cette doctrine a pour objet de protéger les personnes vulnérables dans le contexte du processus de formation des contrats des pertes ou des conséquences de leur imprudence dans le marché qui a été conclu.
L’iniquité requiert la présence à la fois de l’inégalité du pouvoir de négociation et d’un marché imprudent en résultant. Il existe une inégalité du pouvoir de négociation lorsqu’une partie ne peut pas adéquatement protéger ses intérêts durant le processus de formation d’un contrat. Un marché est imprudent s’il avantage indûment la partie la plus forte ou désavantage indûment la plus vulnérable. L’imprudence est mesurée au moment de la conclusion du contrat et doit être évaluée selon le contexte. Il s’agit de se demander si le potentiel d’avantages ou de désavantages indus créés par l’inégalité du pouvoir de négociation s’est réalisé. Bien que le fait qu’une partie tire sciemment avantage de la vulnérabilité d’une autre peut constituer une preuve solide de l’inégalité du pouvoir de négociation, cela n’est pas essentiel pour conclure à l’iniquité. Celle-ci n’exige pas que la transaction ait été manifestement injuste, que le déséquilibre du pouvoir de négociation ait été flagrant, ou que la partie la plus forte ait eu intention de profiter d’une partie vulnérable.
La doctrine de l’iniquité a des répercussions particulières sur les contrats types. La possibilité que de tels contrats créent une inégalité du pouvoir de négociation est évidente, tout comme la possibilité qu’ils renforcent l’avantage de la partie la plus forte au détriment de la plus vulnérable, notamment par le choix de la loi, l’élection du for et les clauses d’arbitrage qui violent les attentes raisonnables d’une partie en la privant de recours.
En appliquant la doctrine de l’iniquité en l’espèce, il y avait manifestement une inégalité du pouvoir de négociation entre Uber et H. La convention d’arbitrage faisait partie d’un contrat type et on ne peut s’attendre à ce qu’une personne dans la position de H puisse comprendre que la clause d’arbitrage imposait un obstacle de 14 500 $ US à franchir pour avoir accès à une réparation. Le caractère imprudent de la clause d’arbitrage est également manifeste, puisque ces frais s’apparentent au revenu annuel de H et sont disproportionnés par rapport à la valeur d’une sentence arbitrale qui aurait pu être raisonnablement envisagée lors de la conclusion du contrat.
Le respect de l’arbitrage repose sur le fait qu’il s’agit d’un mode rentable et efficace de résolution des différends. Lorsque l’arbitrage est réalistement irréalisable, cela équivaut à une absence totale de mécanisme de résolution des différends. En l’espèce, la clause d’arbitrage est le seul moyen qui permettrait à H de faire valoir les droits que lui confère le contrat, mais l’arbitrage est hors de portée pour lui et pour les autres chauffeurs dans sa position. Ses droits contractuels sont, par conséquent, illusoires.
Compte tenu à la fois des désavantages financiers et logistiques auxquels H a été confronté quant à sa capacité à protéger ses intérêts dans le cadre d’une négociation, et des clauses abusives qui en ont résulté, la clause d’arbitrage est inique et donc nulle.
Le juge Brown : Il y a accord avec les juges majoritaires sur le fait que le pourvoi devrait être rejeté. Il y a également accord avec leur avis selon lequel l’exigence rendant l’arbitrage obligatoire est nulle, mais il existe un désaccord sur le fait qu’ils s’appuient sur la doctrine de l’iniquité pour parvenir à cette conclusion. Les stipulations contractuelles qui excluent le règlement judiciaire des différends — ce que la convention d’arbitrage fait en l’espèce — sont inexécutoires non pas parce qu’elles sont iniques, mais parce qu’elles sapent la primauté du droit en niant l’accès à la justice. Elles sont donc contraires à l’ordre public.
Les juges majoritaires étendent considérablement la portée de la doctrine de l’iniquité. Cela est inutile, parce que le droit contient déjà, outre la doctrine d’iniquité, des principes juridiques établis qui visent à empêcher les parties contractantes de soustraire leurs différends à un mécanisme de résolution des litiges indépendant. Cela est également indésirable, parce que cette approche élargit considérablement la portée de la doctrine sans fournir d’orientation valable au sujet de son application. Suivre pareille voie ne servira qu’à accentuer l’incertitude qui mine déjà la doctrine et à en semer dans l’exécution des contrats en général.
La doctrine d’ordre public est fondamentale pour le droit canadien des contrats et fournit les motifs qui justifient l’annulation de certains types de stipulations contractuelles, y compris ceux qui portent préjudice à l’intégrité du système de justice. Cette considération d’ordre public s’applique lorsqu’une stipulation pénalise une partie ou l’empêche de faire exécuter les conditions de son entente, ce qui sert à maintenir la primauté du droit. À tout le moins, celle-ci garantit aux citoyens et aux résidents du Canada une société stable, prévisible et ordonnée où mener leurs activités. Une telle garantie ne rime à rien sans accès à un appareil judiciaire indépendant en mesure de faire valoir les droits. Il n’y a ainsi aucune raison valable d’établir une distinction entre une clause qui entrave expressément l’accès à un règlement établi par la loi et une autre qui a pour effet ultime de l’entraver. Bien que l’ordre public n’exige pas l’accès à une cour de justice dans toutes les circonstances, tout mode de règlement des différends de dernier recours auquel font appel les parties contractantes doit être juste. L’arbitrage est une solution de rechange acceptable aux litiges civils puisqu’il peut donner lieu à un règlement conforme au droit; cependant, lorsqu’une clause prévoit expressément le recours à l’arbitrage, mais a simultanément pour effet de l’empêcher, ces considérations qui militent en faveur du respect des tribunaux à l’égard de l’arbitrage s’estompent. C’est ici que le principe d’ordre public empêchant d’écarter la compétence des tribunaux opère.
Lorsque le tribunal évalue une clause qui limite l’accès au règlement judiciaire des différends, sa tâche consiste à décider si la restriction est raisonnable pour les deux parties ou si elle impose plutôt des contraintes excessives. Le tribunal doit faire preuve de déférence à l’égard des conventions d’arbitrage, particulièrement dans le contexte commercial. Il arrivera rarement qu’une telle convention impose des contraintes excessives et constitue en fait un obstacle à l’arbitrage. L’ordre public ne saurait être utilisé comme moyen pour faire annuler des conventions d’arbitrage qui sont proportionnelles eu égard à la relation qui existe entre les parties et à la possibilité de régler un différend en temps utile, mais que l’une des parties regrette après coup.
Pour décider si une restriction au règlement des différends impose des contraintes excessives, le premier facteur à examiner est la nature des différends qui risquent de découler de l’entente conclue entre les parties. Si les frais pour présenter une demande sont disproportionnés par rapport aux montants susceptibles d’être réclamés dans les différends qui pourraient découler de l’entente, il existe un risque de contraintes excessives. En outre, les tribunaux devraient tenir compte des positions de négociation des parties. Toutefois, en clair, il n’est pas nécessaire qu’il y ait un déséquilibre dans le pouvoir de négociation pour conclure qu’une disposition entrave l’accès au mécanisme de règlement des différends. Enfin, il peut être utile de se pencher sur la question de savoir si les parties ont tenté d’adapter la restriction au mécanisme de règlement des différends. En l’espèce, la convention d’arbitrage interdit en fait tout recours que H pourrait avoir contre Uber et est disproportionnée dans le contexte de la relation qui existe entre eux. Cette forme de restriction au règlement judiciaire des différends mine la primauté du droit et est contraire à l’ordre public.
Bien que les arbitres doivent normalement se prononcer sur leur propre compétence, on ne peut raisonnablement confier à un arbitre la tâche de décider si une convention d’arbitrage, de par sa teneur ou ses effets, empêche de s’adresser à ce même arbitre. Il revient donc aux tribunaux de le faire. Bien que la question de savoir si une convention d’arbitrage fait obstacle au règlement des différends soit une question mixte de fait et de droit, et que pour y répondre il peut falloir faire davantage qu’un examen superficiel du dossier, cette exception restreinte à la règle générale du renvoi — lorsqu’une clause empêche en fait l’accès à l’arbitrage — est nécessaire pour préserver la légitimité publique du droit en général, et de l’arbitrage en particulier.
La juge Côté (dissidente) : Le pourvoi devrait être accueilli et la motion en sursis d’instance accueillie à la condition qu’Uber avance les fonds nécessaires pour engager les procédures d’arbitrage. L’une des libertés les plus chères à un peuple libre est celle de s’obliger par accord consensuel. L’autonomie des parties et la liberté contractuelle sous-tendent les choix de politique enchâssés dans la Loi de 1991 sur l’arbitrage (« Loi sur l’arbitrage ») et la Loi de 2017 sur l’arbitrage commercial international (« Loi internationale »), parmi lesquels on retrouve la politique selon laquelle les parties à une convention d’arbitrage valide devraient respecter l’entente qu’elles ont conclue. Les parties à l’entente contractuelle en litige dans le présent pourvoi se sont engagées à soumettre tout différend qui en découle à l’arbitrage. La Loi sur l’arbitrage, la Loi internationale, la jurisprudence de la Cour et d’impérieuses considérations d’ordre public exigent de la Cour qu’elle respecte l’engagement des parties à soumettre leurs différends à l’arbitrage.
La Loi internationale, et non la Loi sur l’arbitrage, régit la motion en sursis d’instance d’Uber. Cependant, ni l’analyse qui suit, ni les conclusions finales ne changeraient si la Loi sur l’arbitrage s’appliquait. La Loi internationale s’applique aux arbitrages qui revêtent un caractère international et commercial. L’arbitrage en l’espèce est international parce que les parties ont leur résidence ou leur établissement dans des pays différents, de sorte que l’applicabilité de la Loi internationale dépend de la question de savoir si la relation des parties peut à juste titre être qualifiée de nature commerciale. Le tribunal doit aborder cette question en analysant la nature de la relation des parties sur la base d’un examen superficiel du dossier, plutôt qu’en se limitant à qualifier la nature du différend sur le seul fondement des actes de procédure. Axer l’analyse sur la nature de la relation créée par la transaction est conforme à l’essentiel de la jurisprudence canadienne interprétant la portée de la Loi type de la CNUDCI. Dans la présente affaire, un examen superficiel de la preuve documentaire révèle que la transaction sous-jacente entre Uber et H est de nature commerciale. L’entente de services indique expressément qu’elle ne crée pas une relation d’emploi. Il s’agit plutôt d’un accord de licence de logiciel, un type de transaction qu’on dit relever du champ d’application de la Loi type de la CNUDCI.
Une motion en sursis et en renvoi à l’arbitrage peut être rejetée si la convention d’arbitrage est jugée caduque en vertu de la Loi type de la CNUDCI, ou nulle en vertu de la Loi sur l’arbitrage. La question de la validité de la clause d’arbitrage en l’espèce devrait être décidée par un tribunal arbitral. Il y a une règle générale selon laquelle, lorsqu’il existe une clause d’arbitrage, toute contestation de la compétence de l’arbitre doit d’abord être tranchée par ce dernier. Il s’agit de la règle du renvoi systématique. Le tribunal ne peut déroger à la règle générale du renvoi systématique à l’arbitrage que dans le cas où la contestation de la compétence repose uniquement sur une question de droit ou une question mixte de droit et de fait qui ne requiert qu’un examen superficiel de la preuve documentaire, n’est pas une tactique dilatoire, et ne préjudiciera pas indûment le déroulement de l’arbitrage. Un examen n’est pas superficiel si le tribunal doit analyser la preuve testimoniale.
Les arguments de H contestant la validité de la clause d’arbitrage exigent plus qu’un examen superficiel de la preuve documentaire : les arguments de H s’appuient sur la preuve testimoniale concernant sa situation financière, ses caractéristiques personnelles, les circonstances entourant la formation du contrat ainsi que la valeur qui serait vraisemblablement en litige dans le cadre d’un différend auquel la clause d’arbitrage s’applique.
La Cour ne devrait pas créer une exception à la règle du renvoi systématique. Une exception qui s’appliquerait lorsqu’une convention d’arbitrage est jugée trop coûteuse ou inaccessible pour une autre raison est inopportune pour plusieurs motifs. En premier lieu, la règle du renvoi systématique est le produit d’une interprétation de la loi, donc toute exception à la règle doit aussi être le fruit de l’interprétation législative. Les considérations de principe sur lesquelles s’appuient les juges majoritaires ne peuvent servir à faire dire à la Loi sur l’arbitrage ou à la Loi type de la CNUDCI quelque chose qu’elles ne disent pas. En deuxième lieu, la Cour a déjà refusé de laisser aux tribunaux le pouvoir discrétionnaire d’instruire au complet une contestation relative à la validité d’une convention d’arbitrage. En troisième lieu, elle a aussi décidé que les mesures dilatoires devraient être déjouées en limitant l’analyse d’une motion en sursis d’instance à la preuve documentaire. En quatrième lieu, l’application ordinaire de la règle du renvoi systématique à une convention régie par une clause de choix du droit étranger applicable n’est pas une faille, et rien dans la Loi sur l’arbitrage ou la Loi type de la CNUDCI ne permet de faire la distinction entre les conventions d’arbitrage qui comportent une clause de choix du droit étranger applicable et celles qui n’en ont pas. En cinquième lieu, rien ne permet de conclure que les droits obligatoires pour l’administration des procédures de médiation et d’arbitrage prévus par le Règlement d’arbitrage, Règlement de médiation (« Règlements de la CCI ») de la Chambre de commerce internationale (« CCI ») sont importants par rapport à la réclamation de H, vu que la valeur de la réclamation est inconnue et que les juges majoritaires ne donnent aucune explication pour laquelle ils concluent que H ne peut se rendre au lieu de l’arbitrage. De plus, il y a désaccord avec le juge Brown sur le fait qu’à défaut d’une exception, la règle du renvoi systématique enfreindrait, ou ferait même intervenir, l’art. 96 de la Loi constitutionnelle de 1867. Une loi qui facilite l’exécution de conventions visant à soumettre des différends à l’arbitrage n’abolit pas les cours supérieures, ni ne leur enlève quelque partie que ce soit de leur compétence fondamentale ou inhérente. Les tribunaux conservent une fonction de surveillance tout au long du processus arbitral et par la suite car il est sursis à l’instance introduite en contravention d’une convention d’arbitrage — cette instance n’est pas rejetée —, et le sursis peut être assorti de conditions indiquant de quelle manière les parties devraient procéder à l’arbitrage.
Les enjeux relatifs à la doctrine de l’iniquité, à la Loi de 2000 sur les normes d’emploi (« LNE ») et à l’ordre public soulèvent des questions mixtes de droit et de fait qui ne peuvent être tranchées au vu d’un examen superficiel de cette preuve documentaire et, si la Cour pouvait examiner la preuve testimoniale au dossier, celle-ci n’est pas suffisante pour appuyer la conclusion que la clause d’arbitrage est inique, incompatible avec la LNE ou contraire à l’ordre public.
Il y a accord avec le juge Brown quant à la doctrine d’iniquité en droit général des contrats. La doctrine d’iniquité s’applique dans les cas où (1) une inégalité importante du pouvoir de négociation découle d’une faiblesse ou d’une vulnérabilité, (2) un marché imprudent en résulte et (3) la partie la plus forte connaît la vulnérabilité de la partie la plus faible. La question clé qui concerne l’inégalité importante du pouvoir de négociation est de savoir si la partie la plus faible souffrait d’une vulnérabilité susceptible de nuire sensiblement à sa capacité, par une prise de décision autonome et rationnelle, de défendre ses propres intérêts, ce qui sape ainsi le fondement de la liberté contractuelle. La prétention des juges majoritaires selon laquelle la vulnérabilité dans la formation du contrat peut résulter de stipulations figurant dans des contrats types qui sont alambiquées ou difficiles à lire ou à comprendre fixe le seuil si bas qu’il devient pratiquement vide de sens et se prête aux abus. Il vaut mieux laisser le soin de cette restriction considérable des clauses d’arbitrage dans les contrats types au législateur, d’autant plus que l’économie de partage — un secteur essentiel et en croissance de l’économie canadienne qui dépend des contrats types conclus électroniquement — pourrait être étouffée si l’on adoptait un seuil réduit d’inégalité du pouvoir de négociation.
La prétention de H selon laquelle le marché était imprudent repose sur trois propositions : (1) la clause relative au lieu de l’arbitrage l’oblige à se rendre à ses frais à Amsterdam, (2) la clause de choix du droit applicable exclut l’application de la LNE et (3) la sélection des Règlements de la CCI suppose le paiement de droits qu’il trouve démesurément élevés. Quant à la clause relative au lieu de l’arbitrage, le lieu de l’arbitrage est un concept juridique qui témoigne de la sélection par les parties d’un ressort en particulier dont le droit de l’arbitrage régit l’instance et en vertu duquel la sentence arbitrale est rendue. Il n’existe aucune obligation de procéder physiquement à l’arbitrage au lieu de l’arbitrage. Pour ce qui est de la clause de choix du droit applicable, les arguments portant sur la prétendue injustice de faire régir l’entente de services par le droit d’un autre pays se distinguent au plan analytique de toute l’injustice qui découlerait de la clause d’arbitrage elle-même. La doctrine de la séparabilité veut que les clauses d’arbitrage incorporées dans les contrats soient considérées comme des conventions distinctes, qui sont accessoires ou collatérales au contrat sous‑jacent. Il s’ensuit que la prétendue nullité de la clause de choix du droit applicable pour cause d’iniquité n’emporte pas la nullité de la clause d’arbitrage. En ce qui concerne la sélection des Règlements de la CCI, les conventions d’arbitrage supposent un échange réciproque. Donc, les droits obligatoires qui s’appliquent aux poursuites intentées par l’une ou l’autre des parties rendraient une réclamation de faible valeur aussi peu économique pour Uber que pour H. Par conséquent, si une injustice découle de l’imposition des droits de la CCI sur des réclamations hypothétiques de faible valeur, l’injustice est réciproque. Quoi qu’il en soit, la valeur de la réclamation de H est inconnue, et établir qu’un différend de faible valeur est probable nécessiterait la production et l’examen d’une preuve testimoniale. La proportionnalité des droits de la CCI par rapport à la capacité de H de financer le dépôt d’une réclamation plus élevée doit être mesurée au moment où le contrat est formé, et la Cour ne dispose d’aucune preuve au sujet de la situation financière dans laquelle se trouvait alors H.
La preuve ne permet pas de juger qu’Uber avait une connaissance imputée de la vulnérabilité particulière de H. Il aurait été impossible pour Uber de connaître le revenu exact et le niveau d’instruction de H au moment où il a décidé de devenir chauffeur d’Uber, ou de savoir qu’il voulait se servir de l’appli Driver comme principale source de revenu. Quoi qu’il en soit, ces questions nécessitent la production et l’examen d’une preuve testimoniale, ce qui amènerait la Cour à s’aventurer de manière inadmissible au-delà de la preuve documentaire.
La clause d’arbitrage n’est pas nulle en application de la LNE. La faculté de déposer une plainte conformément à la LNE ne constitue pas une norme d’emploi puisque l’article applicable n’oblige un employeur à faire quoi que ce soit ni ne lui interdit de le faire. La clause d’arbitrage ne soustrait donc pas illégalement les parties à une norme d’emploi. De toute façon, le tribunal ne peut annuler une convention d’arbitrage conformément à la LNE sans d’abord conclure que les parties en cause sont un employeur et un employé. La question de savoir si H est un employé au sens de la LNE constitue une question complexe mixte de droit et de fait qui ne peut être tranchée sur la base d’un examen superficiel de la preuve documentaire. La règle du renvoi systématique s’applique et les parties doivent être renvoyées à l’arbitrage.
La clause d’arbitrage n’est pas non plus nulle au titre de l’ordre public. La Cour ne doit pas créer une nouvelle règle de common law voulant que les stipulations contractuelles ayant pour effet d’interdire l’accès au règlement des différends soient contraires à l’ordre public. La Loi sur l’arbitrage et la Loi internationale sont des énoncés fermes de principes en faveur de l’exécution des conventions d’arbitrage. Lorsque vient le temps de se demander si ou de quelle manière il convient de redéfinir les doctrines anciennes de common law relatives à l’arbitrage, la Cour devrait continuer d’adopter la conception plus moderne du droit de l’arbitrage d’après laquelle l’arbitrage est un processus autonome par lequel les parties conviennent de régler leurs différends en les soumettant à un arbitre et non à un tribunal. La Cour ne doit pas faire reculer le cours de l’histoire en donnant un second souffle à des précédents inconciliables avec la conception moderne de l’arbitrage. En conséquence, les doctrines fondées sur l’idée que seules les cours supérieures peuvent accorder des réparations en cas de différends juridiques ne devraient plus être appliquées. En outre, l’opportunité comparative de se pourvoir devant les tribunaux, d’aller en arbitrage ou d’employer d’autres modes de règlement des différends pour différentes catégories de personnes dans diverses circonstances appelle une décision complexe et polycentrique de politique générale qui met en cause une foule d’intérêts, d’objectifs et de solutions. Il n’appartient pas aux tribunaux de répondre à ces questions; elles relèvent plutôt des décideurs élus qui siègent à la législature.
Les positions favorables à l’arbitrage adoptées par les législatures partout au Canada et par la Cour appuient une conception large des mesures réparatrices qui faciliteront le processus arbitral. Deux de ces options sont : imposer un sursis conditionnel à l’instance et appliquer la doctrine de la divisibilité. Bien que cela ne soit habituellement pas nécessaire, il peut être opportun pour le tribunal d’imposer un sursis conditionnel afin d’assurer l’équité procédurale du processus arbitral. Les tribunaux devraient se garder d’imposer des conditions qui empiètent sur la compétence décisionnelle du tribunal arbitral, mais une condition qui facilite le processus arbitral protège la juridiction du tribunal arbitral en veillant à ce que les parties soient en mesure de procéder à l’arbitrage. En outre, des considérations de principe impérieuses militent en faveur d’une application large de la doctrine de la divisibilité dans les cas où les parties ont clairement manifesté l’intention de régler leurs différends par l’arbitrage, mais où certains aspects de leur convention d’arbitrage sont jugés inexécutoires.
Vu la preuve indiquant que H n’a pas les moyens de payer les droits de la CCI, Uber devrait être tenue d’avancer les droits de dépôt pour lui permettre d’introduire une procédure d’arbitrage. En outre, si la clause d’arbitrage était contraire à l’ordre public ou inique, la sélection des Règlements de la CCI et la clause relative au lieu de l’arbitrage pourraient être retranchées. Les juges majoritaires n’expliquent pas pourquoi ils ont choisi de ne pas traiter de la divisibilité dans leurs motifs. Écarter l’engagement pris par les parties de procéder par arbitrage sur la foi d’un scénario hypothétique serait irréaliste sur le plan commercial et absurde, étant donné que le litige dont est saisie la Cour concerne un recours collectif projeté de 400 000 000 $ CAN et qu’on ne connaît pas encore la valeur de la réclamation individuelle de H. Aborder ainsi le caractère exécutoire des conventions d’arbitrage compromet la certitude sur laquelle comptent les entités commerciales pour organiser leurs activités. La clause d’arbitrage devrait être confirmée.
Jurisprudence
Citée par les juges Abella et Rowe
Arrêts mentionnés : Peterson Farms Inc. c. C&M Farming Ltd., [2004] EWHC 121 (Comm.), [2004] 1 Lloyd’s Rep. 603; Crown Grain Company, Limited c. Day, [1908] A.C. 504; Re Sutherland and Halbrick (1982), 134 D.L.R. (3d) 177; Patel c. Kanbay International Inc., 2008 ONCA 867, 93 O.R. (3d) 588; Borowski c. Fiedler (Heinrich) Perforiertechnik GmbH (1994), 158 A.R. 213; Rhinehart c. Legend 3D Canada Inc., 2019 ONSC 3296, 56 C.C.E.L. (4th) 125; Ross c. Christian & Timbers Inc. (2002), 23 B.L.R. (3d) 297; Dell Computer Corp. c. Union des consommateurs, 2007 CSC 34, [2007] 2 R.C.S. 801; Seidel c. TELUS Communications Inc., 2011 CSC 15, [2011] 1 R.C.S. 531; Rogers Sans-fil inc. c. Muroff, 2007 CSC 35, [2007] 2 R.C.S. 921; Trainor c. Fundstream Inc., 2019 ABQB 800; Alberta Medical Association c. Alberta, 2012 ABQB 113, 537 A.R. 75; A. c. B. (No.2), [2007] EWHC 54 (Comm.), [2007] 1 All E.R. (Comm.) 633; Kyrgyz Mobil Tel Limited c. Fellowes International Holdings Limited, [2005] EWHC 1329, 2005 WL 6514129; West Tankers Inc. c. Allianz SpA, [2012] EWHC 854 (Comm.), [2012] 2 All E.R. (Comm.) 395; Hryniak c. Mauldin, 2014 CSC 7, [2014] 1 R.C.S. 87; Vita Food Products, Inc. c. Unus Shipping Co., [1939] A.C. 277; Pettkus c. Becker, [1980] 2 R.C.S. 834; Das c. George Weston Limited, 2017 ONSC 4129; TELUS Communications Inc. c. Wellman, 2019 CSC 19, [2019] 2 R.C.S. 144; Morrison c. Coast Finance Ltd. (1965), 55 D.L.R. (2d) 710; Harry c. Kreutziger (1978), 9 B.C.L.R. 166; Downer c. Pitcher, 2017 NLCA 13, 409 D.L.R. (4th) 542; Input Capital Corp. c. Gustafson, 2019 SKCA 78, 438 D.L.R. (4th) 387; Cain c. Clarica Life Insurance Co., 2005 ABCA 437, 263 D.L.R. (4th) 368; Titus c. William F. Cooke Enterprises Inc., 2007 ONCA 573, 284 D.L.R. (4th) 734; Birch c. Union of Taxation Employees, Local 70030, 2008 ONCA 809, 305 D.L.R. (4th) 64; Ayres c. Hazelgrove, Q.B. England, 9 février 1984; The Mark Lane (1890), 15 P.D. 135; Commercial Bank of Australia Ltd. c. Amadio, [1983] HCA 14, 151 C.L.R. 447; Hodgkinson c. Simms, [1994] 3 R.C.S. 377; Hunter Engineering Co. c. Syncrude Canada Ltée, [1989] 1 R.C.S. 426; Norberg c. Wynrib, [1992] 2 R.C.S. 226; Bhasin c. Hrynew, 2014 CSC 71, [2014] 3 R.C.S. 494; Douez c. Facebook, Inc., 2017 CSC 33, [2017] 1 R.C.S. 751; Loychuk c. Cougar Mountain Adventures Ltd., 2012 BCCA 122, 347 D.L.R. (4th) 591; Roy c. 1216393 Ontario Inc., 2011 BCCA 500, 345 D.L.R. (4th) 323; McNeill c. Vandenberg, 2010 BCCA 583; Hess c. Thomas Estate, 2019 SKCA 26, 433 D.L.R. (4th) 60; Blomley c. Ryan (1956), 99 C.L.R. 362; Bartle c. GE Custodians, [2010] NZCA 174, [2010] 3 N.Z.L.R. 601; Janet Boustany c. George Pigott Co (Antigua and Barbuda), [1993] UKPC 17; Alec Lobb (Garages) Ltd. c. Total Oil (Great Britain) Ltd., [1985] 1 W.L.R. 173; Lloyds Bank Ltd. c. Bundy, [1975] 1 Q.B. 326; The Medina (1876), 1 P.D. 272; Portal Forest Industries Ltd. c. Saunders, [1978] 4 W.W.R. 658; Phoenix Interactive Design Inc. c. Alterinvest II Fund L.P., 2018 ONCA 98, 420 D.L.R. (4th) 335; Davidson c. Three Spruces Realty Ltd. (1977), 79 D.L.R. (3d) 481; Williams c. Walker-Thomas Furniture Company, 350 F.2d 445 (1965); Bremer Vulkan Schiffbau und Maschinenfabrik c. South India Shipping Corporation Ltd., [1981] A.C. 909; Tercon Contractors Ltd. c. Colombie-Britannique (Transports et Voirie), 2010 CSC 4, [2010] 1 R.C.S. 69.
Citée par le juge Brown
Arrêts mentionnés : Kaverit Steel and Crane Ltd. c. Kone Corp., 1992 ABCA 7, 120 A.R. 346; R. c. Mian, 2014 CSC 54, [2014] 2 R.C.S. 689; 1196303 Ontario Inc. c. Glen Grove Suites Inc., 2015 ONCA 580, 337 O.A.C. 85; Pro Swing Inc. c. Elta Golf Inc., 2006 CSC 52, [2006] 2 R.C.S. 612; Tercon Contractors Ltd. c. Colombie-Britannique (Transports et Voirie), 2010 CSC 4, [2010] 1 R.C.S. 69; In re Estate of Charles Millar, Deceased, [1938] R.C.S. 1; Douez c. Facebook, Inc., 2017 CSC 33, [2017] 1 R.C.S. 751; Elsley c. J. G. Collins Ins. Agencies Ltd., [1978] 2 R.C.S. 916; Shafron c. KRG Insurance Brokers (Western) Inc., 2009 CSC 6, [2009] 1 R.C.S. 157; Fender c. St. John-Mildmay, [1938] A.C. 1; Kill c. Hollister (1746), 1 Wils. K.B. 129, 95 E.R. 532; Scott c. Avery (1856), 5 H.L.C. 811, 10 E.R. 1121; Deuterium of Canada Ltd. c. Burns & Roe Inc., [1975] 2 R.C.S. 124; Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 R.C.S. 217; Jonsson c. Lymer, 2020 ABCA 167; B.C.G.E.U. c. Colombie-Britannique (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 214; Hryniak c. Mauldin, 2014 CSC 7, [2014] 1 R.C.S. 87; Novamaze Pty Ltd. c. Cut Price Deli Pty Ltd. (1995), 128 A.L.R. 540; TELUS Communications Inc. c. Wellman, 2019 CSC 19, [2019] 2 R.C.S. 144; Zodiak International Productions Inc. c. Polish People’s Republic, [1983] 1 R.C.S. 529; Desputeaux c. Éditions Chouette (1987) inc., 2003 CSC 17, [2003] 1 R.C.S. 178; Sport Maska Inc. c. Zittrer, [1988] 1 R.C.S. 564; Trial Lawyers Association of British Columbia c. Colombie-Britannique (Procureur général), 2014 CSC 59, [2014] 3 R.C.S. 31; Dell Computer Corp. c. Union des consommateurs, 2007 CSC 34, [2007] 2 R.C.S. 801; Seidel c. TELUS Communications Inc., 2011 CSC 15, [2011] 1 R.C.S. 531; Ontario Medical Assn. c. Willis Canada Inc., 2013 ONCA 745, 118 O.R. (3d) 241; Bisaillon c. Université Concordia, 2006 CSC 19, [2006] 1 R.C.S. 666; Transport North American Express Inc. c. New Solutions Financial Corp., 2004 CSC 7, [2004] 1 R.C.S. 249; Popack c. Lipszyc, 2009 ONCA 365; Fuller Austin Insulation Inc. c. Wellington Insurance Co. (1995), 135 Sask. R. 254; Fuller Austin Insulation Inc. c. Wellington Insurance Co. (1995), 137 Sask. R. 238; Iberfreight S.A. c. Ocean Star Container Line A.G., [1989] A.C.F. no 513 (QL); Continental Resources Inc. c. East Asiatic Co. (Canada), [1994] A.C.F. no 440 (QL); Norberg c. Wynrib, [1992] 2 R.C.S. 226; Ryan c. Moore, 2005 CSC 38, [2005] 2 R.C.S. 53; Bhasin c. Hrynew, 2014 CSC 71, [2014] 3 R.C.S. 494; Morrison c. Coast Finance Ltd. (1965), 55 D.L.R. (2d) 710; Input Capital Corp. c. Gustafson, 2019 SKCA 78, 438 D.L.R. (4th) 387; Downer c. Pitcher, 2017 NLCA 13, 409 D.L.R. (4th) 542; Hodgkinson c. Simms, [1994] 3 R.C.S. 377; Miglin c. Miglin, 2003 CSC 24, [2003] 1 R.C.S. 303; Rick c. Brandsema, 2009 CSC 10, [2009] 1 R.C.S. 295; Dyck c. Manitoba Snowmobile Association, [1985] 1 R.C.S. 589; Ayres c. Hazelgrove, Q.B. England, 9 février 1984; The Mark Lane (1890), 15 P.D. 135; The Medina (1876), 1 P.D. 272; Commercial Bank of Australia Ltd. c. Amadio, [1983] HCA 14, 151 C.L.R. 447; Chesterfield (Earl of) c. Janssen (1750), 2 Ves. Sen. 125, 28 E.R. 82; Earl of Aylesford c. Morris (1873), L.R. 8 Ch. App. 484; Lloyds Bank Ltd. c. Bundy, [1975] 1 Q.B. 326; Waters c. Donnelly (1884), 9 O.R. 391; Woods c. Hubley (1995), 146 N.S.R. (2d) 97; Hunter Engineering Co. c. Syncrude Canada Ltée, [1989] 1 R.C.S. 426.
Citée par la juge Côté (dissidente)
Hofer c. Hofer, [1970] R.C.S. 958; TELUS Communications Inc. c. Wellman, 2019 CSC 19, [2019] 2 R.C.S. 144; Seidel c. TELUS Communications Inc., 2011 CSC 15, [2011] 1 R.C.S. 531; National Gypsum Co. Inc. c. Northern Sales Ltd., [1964] R.C.S. 144; Zodiak International Productions Inc. c. Polish People’s Republic, [1983] 1 R.C.S. 529; Sport Maska Inc. c. Zittrer, [1988] 1 R.C.S. 564; Desputeaux c. Éditions Chouette (1987) inc., 2003 CSC 17, [2003] 1 R.C.S. 178; Inforica Inc. c. CGI Information Systems and Management Consultants Inc., 2009 ONCA 642, 97 O.R. (3d) 161; Dell Computer Corp. c. Union des consommateurs, 2007 CSC 34, [2007] 2 R.C.S. 801; Borowski c. Fiedler (Heinrich) Perforiertechnik GmbH (1994), 158 A.R. 213; Ross c. Christian & Timbers Inc. (2002), 23 B.L.R. (3d) 297; Patel c. Kanbay International Inc., 2008 ONCA 867, 93 O.R. (3d) 588; United Mexican States c. Metalclad Corp., 2001 BCSC 664, 89 B.C.L.R. (3d) 359; Kaverit Steel and Crane Ltd. c. Kone Corp., 1992 ABCA 7, 120 A.R. 346; Bremer Vulkan Schiffbau und Maschinenfabrik c. South India Shipping Corporation Ltd., [1981] A.C. 909; Heyman c. Darwins, Ltd., [1942] A.C. 356; Prima Paint Corp. c. Flood & Conklin MFG. Co., 388 U.S. 395 (1967); Fiona Trust and Holding Corp. c. Privalov, [2007] UKHL 40, [2007] 4 All E.R. 951; Krutov c. Vancouver Hockey Club Ltd., 1991 CanLII 2077; NetSys Technology Group AB c. Open Text Corp. (1999), 1 B.L.R. (3d) 307; Cecrop Co. c. Kinetic Sciences Inc., 2001 BCSC 532, 16 B.L.R. (3d) 15; James c. Thow, 2005 BCSC 809, 5 B.L.R. (4th) 315; Haas c. Gunasekaram, 2016 ONCA 744, 62 B.L.R. (5th) 1; BNA c. BNB, [2019] SGCA 84; Tolofson c. Jensen, [1994] 3 R.C.S. 1022; Rogers Sans-fil inc. c. Muroff, 2007 CSC 35, [2007] 2 R.C.S. 921; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27; Trial Lawyers Association of British Columbia c. Colombie-Britannique (Procureur général), 2014 CSC 59, [2014] 3 R.C.S. 31; Quintette Coal Ltd. c. Nippon Steel Corp. (1988), 29 B.C.L.R. (2d) 233; Stancroft Trust Ltd. c. Can-Asia Capital Co. (1990), 67 D.L.R. (4th) 131; Popack c. Lipszyc, 2009 ONCA 365; Iberfreight S.A. c. Ocean Star Container Line A.G., [1989] A.C.F. no 513 (QL); Continental Resources Inc. c. East Asiatic Co. (Canada), [1994] A.C.F. n° 440 (QL); Fuller Austin Insulation Inc. c. Wellington Insurance Co. (1995), 135 Sask. R. 254, mod. par (1995), 137 Sask. R. 238; Highwood Congregation of Jehovah’s Witnesses (Judicial Committee) c. Wall, 2018 CSC 26, [2018] 1 R.C.S. 750; Knox c. Conservative Party of Canada, 2007 ABCA 295, 422 A.R. 29; R. c. National Joint Council for the Craft of Dental Technicians (Dispute Committee), [1953] 1 Q.B. 704; Roberval Express Ltée c. Union des chauffeurs de camions, hommes d’entrepôts et autres ouvriers, local 106, [1982] 2 R.C.S. 888; Astoria Medical Group c. Health Insurance Plan of Greater New York, 182 N.E.2d 85 (1962); Sattva Capital Corp. c. Creston Moly Corp., 2014 CSC 53, [2014] 2 R.C.S. 633; Colombie-Britannique (Procureur général) c. Christie, 2007 CSC 21, [2007] 1 R.C.S. 873; Jonsson c. Lymer, 2020 ABCA 167; Bhasin c. Hrynew, 2014 CSC 71, [2014] 3 R.C.S. 494; Downer c. Pitcher, 2017 NLCA 13, 409 D.L.R. (4th) 542; Input Capital Corp. c. Gustafson, 2019 SKCA 78, 438 D.L.R. (4th) 387; R. c. Salituro, [1991] 3 R.C.S. 654; Z.I. Pompey Industrie c. ECU‑Line N.V., 2003 CSC 27, [2003] 1 R.C.S. 450; Douez c. Facebook, Inc., 2017 CSC 33, [2017] 1 R.C.S. 751; Alberta Motor Association Insurance Company c. Aspen Insurance UK Limited, 2018 ABQB 207, 17 C.P.C. (8th) 81; Houston c. Exigen (Canada) Inc., 2006 NBBR 29, 296 R.N.-B. (2e) 112; Transport North American Express Inc. c. New Solutions Financial Corp., 2004 CSC 7, [2004] 1 R.C.S. 249; Danyluk c. Ainsworth Technologies Inc., 2001 CSC 44, [2001] 2 R.C.S. 460; Machtinger c. HOJ Industries Ltd., [1992] 1 R.C.S. 986; Williams c. Amazon.com, Inc., 2020 BCSC 300; In re Estate of Millar (Charles), Deceased, [1938] R.C.S. 1; Fender c. Mildmay, [1937] 3 All E.R. 402; Tercon Contractors Ltd. c. Colombie-Britannique (Transports et Voirie), 2010 CSC 4, [2010] 1 R.C.S. 69; Novamaze Pty Ltd. c. Cut Price Deli Pty Ltd. (1995), 128 A.L.R. 540; Ontario Hydro c. Denison Mines Ltd., 1992 CarswellOnt 3497; Colombie-Britannique c. Imperial Tobacco Canada Ltée, 2005 CSC 49, [2005] 2 R.C.S. 473; Shafron c. KRG Insurance Brokers (Western) Inc., 2009 CSC 6, [2009] 1 R.C.S. 157; 2176693 Ontario Ltd. c. Cora Franchise Group Inc., 2015 ONCA 152, 124 O.R. (3d) 776; Rent-A-Center, West, Inc. c. Jackson, 561 U.S. 63 (2010).
Lois et règlements cités
Code civil du Québec.
Loi constitutionnelle de 1867, art. 96.
Loi de 1991 sur l’arbitrage, L.O. 1991, c. 17, art. 1, 2(1)b), 3, 6, 7, 8, 9, 10, 15, 17(1), (2), (8), 19, 20, 22, 31, 45, 46, 47, 48.
Loi de 2000 sur les normes d’emploi, L.O. 2000, c. 41, art. 1(1), 5, 5.1(1), 96, 98(1).
Loi de 2002 sur la protection du consommateur, L.O. 2002, c. 30, ann. A, art. 7, 8.
Loi de 2008 concernant les prêts sur salaire, L.O. 2008, c. 9, art. 39(2).
Loi de 2010 sur la protection des consommateurs d’énergie, L.O. 2010, c. 8, art. 3(3).
Loi de 2017 pour l’équité en milieu de travail et de meilleurs emplois, L.O. 2017, c. 22.
Loi de 2017 sur l’arbitrage commercial international, L.O. 2017, c. 2, ann. 5, art. 5(1), (3), 9, ann. 2.
Loi sur les tribunaux judiciaires, L.R.O. 1990, c. C.43, art. 106.
Traités et autres instruments internationaux
Convention pour la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères, R.T. Can. 1986 no 43.
Nations Unies. Commission des Nations Unies pour le droit commercial international. Commentaire analytique du projet de texte d’une loi type sur l’arbitrage commercial international : Rapport du Secrétaire général, Doc. N.U. A/CN.9/264, 25 mars 1985.
Nations Unies. Commission des Nations Unies pour le droit commercial international. Loi type de la CNUDCI sur l’arbitrage commercial international, Doc. N.U. A/40/17, ann. I, 21 juin 1985, art. 1(1), (3)a), (4)b), 7, 8(1), 10, 11(3), 16(1), 19(2), 20(1), (2).
Doctrine et autres documents cités
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POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario (les juges Feldman, Pardu et Nordheimer), 2019 ONCA 1, 145 O.R. (3d) 81, 430 D.L.R. (4th) 410, 31 C.P.C. (8th) 1, 52 C.C.E.L. (4th) 10, 85 B.L.R. (5th) 1, 2019 CLLC ¶210-027, [2019] O.J. No. 1 (QL), 2019 CarswellOnt 1 (WL Can.), qui a infirmé une décision du juge Perell, 2018 ONSC 718, 421 D.L.R. (4th) 343, 17 C.P.C. (8th) 342, 79 B.L.R. (5th) 136, [2018] O.J. No. 502 (QL), 2018 CarswellOnt 1090 (WL Can.). Pourvoi rejeté, la juge Côté est dissidente.
Linda M. Plumpton, Lisa Talbot et Sarah Whitmore, pour les appelantes.
Michael Wright, Lior Samfiru et Danielle Stampley, pour l’intimé.
Christopher P. Thompson et Paul Sheridan, pour l’intervenant le procureur général de l’Ontario.
John Siwiec, pour l’intervenant les Jeunes praticiens canadiens de l’arbitrage.
Robert Deane et Craig Chiasson, pour l’intervenante Arbitration Place.
Alexandra Monkhouse et Andrew Monkhouse, pour l’intervenant Don Valley Community Legal Services.
Anthony Daimsis, pour l’intervenante la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante.
Marina Pavlovic et Johann Kwan, pour l’intervenante la Clinique d’intérêt public et de politique d’internet du Canada Samuelson-Glushko.
Nabila F. Qureshi et Karin Baqi, pour les intervenants le Centre d’action pour la sécurité du revenu et Parkdale Community Legal Services.
Steven Barrett et Joshua Mandryk, pour l’intervenant les Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce Canada.
Kevin Simms et John Bartolomeo, pour l’intervenante Workers’ Health and Safety Legal Clinic.
Robert Carson et Lauren Harper, pour l’intervenant l’Institut économique de Montréal.
Alyssa Tomkins et James Plotkin, pour l’intervenante Canadian American Bar Association.
Joseph C. McArthur et Rahat Godil, pour les intervenants Chartered Institute of Arbitrators (Canada) Inc. et Toronto Commercial Arbitration Society.
Matthew Milne-Smith et Chantelle Cseh, pour l’intervenante la Chambre de commerce du Canada.
Andres C. Garin et Alison FitzGerald, pour l’intervenante la Chambre de commerce internationale.
Mohsen Seddigh et David Sterns, pour l’intervenant Consumers Council of Canada.
Wes McMillan et Greg J. Allen, pour l’intervenante Community Legal Assistance Society.
Andrew D. Little et Ranjan K. Agarwal, pour l’intervenante ADR Chambers Inc.
Version française du jugement du juge en chef Wagner et des juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Rowe, Martin et Kasirer rendu par
[1] Les juges Abella et Rowe — Dans le présent appel, la Cour doit déterminer qui a compétence pour décider si un chauffeur Uber est ou n’est pas un « employé » au sens de la Loi de 2000 sur les normes d’emploi, L.O. 2000, c. 41 de l’Ontario (« LNE ») : les tribunaux ontariens, ou un arbitre aux Pays‑Bas comme le prévoit les contrats d’adhésion conclus entre Uber et ses chauffeurs?
[2] David Heller offre des services de livraison de nourriture à Toronto en utilisant les applications d’Uber[1]. Afin de devenir chauffeur pour Uber, il a dû accepter, sans possibilité de négociation, les conditions de l’entente de service standardisée d’Uber. Suivant ces conditions, M. Heller avait l’obligation de résoudre tout différend avec Uber au moyen d’une médiation et d’un arbitrage aux Pays‑Bas. Les procédures de médiation et d’arbitrage en cause exigent le paiement de frais administratifs et de dépôt initiaux de 14 500 $ US, en plus d’honoraires et d’autres frais de participation. M. Heller gagne entre 400 $ et 600 $ par semaine. Les frais correspondent à la majeure partie de son revenu annuel.
[3] Monsieur Heller a intenté un recours collectif contre Uber en 2017 pour violations de la LNE. Uber a demandé le sursis du recours collectif pour que le différend soit plutôt tranché au moyen d’un arbitrage aux Pays‑Bas. En réponse, M. Heller a plaidé que la clause d’arbitrage[2] prévue aux ententes de service d’Uber est nulle, à la fois parce qu’elle est inique et parce qu’elle soustrait les parties par contrat aux dispositions impératives de la LNE. Le juge des motions a conclu qu’il n’avait pas le pouvoir de décider si la convention d’arbitrage était valide et il a donc ordonné le sursis de la procédure intentée par M. Heller (2018 ONSC 718, 421 D.L.R. (4th) 343). La Cour d’appel a infirmé cette ordonnance, jugeant, entre autres, que la convention d’arbitrage était inique, compte tenu de l’inégalité du pouvoir de négociation entre les parties et du coût prohibitif de l’arbitrage (2019 ONCA 1, 430 D.L.R. (4th) 410).
[4] Nous sommes d’accord avec la Cour d’appel. La convention d’arbitrage en cause empêche une des parties de participer à l’arbitrage. Il s’agit d’un cas classique d’iniquité.
Les faits
[5] Uber exploite une entreprise mondiale qui fait affaire dans plus de 600 villes et 77 pays. Sa clientèle est constituée de millions d’individus et d’entreprises. La compagnie offre des services en Ontario depuis huit ans.
[6] Les applications d’Uber sont abondamment utilisées pour gérer le transport d’individus (les applications Rider et Driver) et la livraison de nourriture (l’application UberEATS). Les clients et les chauffeurs peuvent télécharger les applications en question sur leurs téléphones intelligents. Les clients les utilisent ensuite pour demander un transport ou une livraison de nourriture. Les chauffeurs les utilisent pour voir les demandes des clients et y répondre. Le paiement entre les clients et les chauffeurs est facilité par les applications d’Uber, laquelle perçoit une part des montants payés aux chauffeurs.
[7] La première fois qu’un chauffeur se connecte à une application d’Uber, il reçoit une entente de service standardisée d’environ 14 pages. Pour accepter d’adhérer au contrat, il doit cliquer sur la mention [traduction] « J’accepte » à deux reprises. Une fois que cela est fait, l’application d’Uber est activée et l’entente de service est téléchargée dans le « portail du chauffeur », auquel ce dernier peut accéder au moyen d’un compte en ligne. Les parties à l’entente de service sont le chauffeur et des filiales d’Uber constituées aux Pays‑Bas et dont les bureaux se trouvent à Amsterdam.
[8] L’entente de service stipule les clauses suivantes d’arbitrage obligatoire et de choix du droit applicable :
[traduction] Droit applicable; arbitrage. Sauf dans la mesure autrement fixée par le présent Contrat, le présent Contrat sera exclusivement régi et interprété conformément au droit des Pays‑Bas, à l’exclusion de ses règles de conflits de lois. [. . .] Tout différend, conflit ou controverse, découlant de quelque manière que ce soit du présent Contrat ou lié ou se rapportant au présent Contrat, y compris en ce qui concerne sa validité, son interprétation ou son application, seront, tout d’abord, impérativement soumis à la procédure de médiation prévue par le Règlement de médiation de la Chambre de commerce internationale (le « Règlement de médiation de la CCI »). Si le différend n’est pas réglé dans les soixante (60) jours qui suivent la présentation d’une demande de médiation en vertu du Règlement de médiation de la CCI, ledit différend sera exclusivement et définitivement tranché par voie d’arbitrage conformément au Règlement d’arbitrage de la Chambre de commerce internationale (le « Règlement d’arbitrage de la CCI »). [. . .] Le différend sera réglé par (1) un arbitre qui sera nommé conformément au Règlement d’arbitrage de la CCI. Le lieu de l’arbitrage sera Amsterdam, aux Pays‑Bas.
(Motifs de la C.A., par. 11)
[9] La clause relative au choix du droit applicable exige que le contrat soit [traduction] « régi et interprété conformément au droit des Pays‑Bas, à l’exclusion de ses règles de conflits de lois ». La clause d’arbitrage prévoit que tous les différends fassent d’abord l’objet d’une médiation, et que, en cas d’échec, ils soient ensuite soumis à l’arbitrage, dans les deux cas, conformément aux règlements de la Chambre de commerce internationale (« CCI »). L’arbitrage doit se dérouler à Amsterdam.
[10] Selon les règlements de la CCI, les frais initiaux de l’instance d’arbitrage devant elle s’élèvent à environ 14 500 $ US. Ce montant ne comprend pas les honoraires d’avocats, les pertes de revenus et les autres frais en lien avec la participation à l’arbitrage. L’entente de service est muette quant au coût de la médiation et de l’arbitrage.
[11] Monsieur Heller est un résident de l’Ontario qui a conclu des contrats avec des filiales de l’entreprise Uber pour travailler à titre de chauffeur[3]. Il gagne environ 400 $ à 600 $ par semaine pour un horaire de 40 à 50 heures de travail, ou 20 800 $ à 31 200 $ brut par année, avant déduction de ses dépenses. Les frais d’arbitrage d’une demande présentée contre Uber équivalent à la totalité ou presque du revenu annuel brut qu’il gagnerait en travaillant à temps plein comme chauffeur pour cette entreprise.
[12] Monsieur Heller a intenté le recours collectif proposé contre Uber en 2017. Il sollicite réparation en lien avec quatre demandes dans la présente instance : une demande pour violation de la LNE, une demande pour rupture de contrat fondée sur des conditions implicites ou sur l’obligation d’agir de bonne foi, une demande pour négligence et une demande pour enrichissement injustifié. Le succès de toutes ces réclamations dépend toutefois de la LNE. M. Heller soutient essentiellement qu’il est un employé au sens de cette loi.
[13] Uber, se fondant sur la clause d’arbitrage prévue à l’entente de service qu’elle a conclu avec M. Heller, a demandé le sursis de l’instance au profit d’un arbitrage aux Pays‑Bas[4]. Monsieur Heller a plaidé que la clause d’arbitrage est nulle pour deux raisons : parce qu’elle est inique, et parce qu’elle soustrait les parties par contrat aux mesures de protection impératives de la LNE.
[14] Le juge des motions a ordonné le sursis de l’instance au profit de l’arbitrage aux Pays‑Bas. Il a commencé son analyse en se demandant quelle loi sur l’arbitrage était applicable : la Loi de 1991 sur l’arbitrage, L.O. 1991, c. 17 (« LA » ou « Loi sur l’arbitrage »), ou la Loi de 2017 sur l’arbitrage commercial international, L.O. 2017, c. 2, ann. 5 (« LACI »). La LACI s’applique aux conventions d’arbitrage de nature « international[e] » et « commercial[e] ». Le juge des motions a mené l’instance sur le fondement de l’application de la LACI parce que M. Heller et les compagnies Uber contractantes étaient établis dans des ressorts différents, et parce que, selon lui, il était établi à première vue que l’entente était un contrat de licence commercial.
[15] Il a ensuite jugé que la validité de la convention d’arbitrage était du ressort d’un arbitre aux Pays‑Bas, conformément au principe voulant que l’arbitre soit habilité à juger de sa propre compétence (principe de « compétence‑compétence »). Subsidiairement, le juge des motions a conclu que la clause d’arbitrage n’était nulle ni pour cause d’iniquité ni parce qu’elle soustrayait les parties par contrat à la LNE. En conséquence, il a ordonné le sursis de l’instance au profit de l’arbitrage aux Pays‑Bas.
[16] La Cour d’appel a fait droit à l’appel de M. Heller, concluant que la clause d’arbitrage était nulle à la fois parce qu’elle était inique et parce qu’elle soustrayait les parties par contrat aux mesures de protection impératives de la LNE. Au nom d’une cour unanime, le juge Nordheimer a conclu qu’il n’était pas nécessaire de renvoyer les arguments de M. Heller contre la convention d’arbitrage à un arbitre aux Pays‑Bas et que la question pouvait être traitée par une cour en Ontario. Il a refusé de décider si c’était la LA ou la LACI qui était applicable en l’espèce, puisque cela n’aurait pas d’incidence sur l’issue de la cause. Selon lui, la clause d’arbitrage était inique parce qu’elle était le fruit d’un marché injuste et d’une inégalité considérable des pouvoirs de négociation respectifs de M. Heller et d’Uber. Il a ajouté qu’il était très peu probable que M. Heller ait reçu des conseils juridiques et qu’on pouvait déduire sans risque de se tromper qu’Uber avait sciemment et intentionnellement choisi cette [traduction] « clause d’arbitrage afin de se favoriser et de profiter ainsi de ses chauffeurs, qui sont clairement vulnérables face à la puissance commerciale d’Uber ». En outre, la cour a jugé que la clause d’arbitrage était nulle parce qu’elle soustrayait les parties par contrat à la LNE.
[17] La Cour d’appel a donc accueilli l’appel de M. Heller et annulé l’ordonnance du juge des motions accueillant la motion d’Uber en sursis d’instance.
Analyse
[18] Tout au long de l’instance, les parties ont été en désaccord quant à la loi sur l’arbitrage applicable à leur différend. Uber a plaidé que la LACI s’applique, tandis que, selon M. Heller, c’est la LA qui s’applique.
[19] Nous sommes d’accord avec M. Heller. Le différend qui oppose les parties concerne fondamentalement le travail et l’emploi. La LACI n’est pas censée s’appliquer à ce type de causes[5].
[20] La LACI et la LA sont mutuellement exclusives. Si la LACI régit la convention, la LA ne s’applique pas, et vice versa (LA, al. 2(1)b)). Comme l’a correctement établi la Cour supérieure, la question de savoir si la LACI s’applique est tributaire de la nature « international[e] » et « commercial[e] » ou non de la convention d’arbitrage. Le fait que la convention en cause ici est de nature internationale n’est pas contesté. La question de savoir si elle est de nature commerciale reste en litige. Pour répondre à cette question, il faut comprendre le régime établi par la LACI.
[21] La LACI met en œuvre deux instruments internationaux : la Convention pour la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères, R.T. Can. 1986 no 43, adoptée par la Conférence des Nations Unies sur l’arbitrage commercial international à New York le 10 juin 1958 (« Convention ») et la Loi type de la CNUDCI sur l’arbitrage commercial international, Doc. N.U. A/40/17, ann. 1, adoptée par la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international le 21 juin 1985, et modifiée par elle le 7 juillet 2006 (« Loi type »). Seule la Loi type est pertinente en l’espèce.
[22] Le paragraphe 5(3) de la LACI prévoit que la Loi type s’applique aux « conventions d’arbitrage commercial international et aux sentences arbitrales rendues à leur égard ». Le sens du terme « commercial » employé dans cette disposition de la LACI doit être le même que celui du même terme qui figure dans la Loi type, car cette dernière prévoit qu’elle « s’applique à l’arbitrage commercial international » (par. 1(1)).
[23] La Loi type ne définit pas le terme « commercial », mais une note de bas de page relative au par. 1(1) donne des indications :
Le terme « commercial » devrait être interprété au sens large, afin de désigner les questions issues de toute relation de caractère commercial, contractuelle ou non contractuelle. Les relations de nature commerciale comprennent, sans y être limitées, les transactions suivantes: toute transaction commerciale portant sur la fourniture ou l’échange de marchandises ou de services; accord de distribution; représentation commerciale; affacturage; crédit‑bail; construction d’usines; services consultatifs; ingénierie; licences; investissements; financement; transactions bancaires; assurance; accords d’exploitation ou concessions; coentreprises et autres formes de coopération industrielle ou commerciale; transport de marchandises ou de passagers par voie aérienne, maritime, ferroviaire ou routière.
(Loi type, par. 1(1), n. 2)
[24] Le Commentaire sur le projet de texte d’une loi type sur l’arbitrage commercial international : Rapport du Secrétaire général explique en outre que les « différends liés au travail ou à l’emploi » ne sont pas visés par le terme « commercial », « malgré leurs liens avec l’activité économique » :
Bien que les exemples couvrent presque tous les types de cas ayant donné lieu à des différends soumis à des arbitrages commerciaux internationaux, il est stipulé que la liste n’est pas exhaustive. Ainsi, seraient également considérées comme commerciales des transactions telles que la fourniture d’énergie électrique, le transport de gaz liquéfié par gazoduc et même des « non‑transactions » telles que des demandes de dommages‑intérêts s’inscrivant dans un contexte commercial. Ne sont pas visés par exemple les différends liés au travail ou à l’emploi et les actions intentées par de simples particuliers, malgré leurs liens avec l’activité économique.
(Commission des Nations Unies sur le droit commercial international, Commentaire analytique du projet de texte d’une loi type sur l’arbitrage commercial international : Rapport du Secrétaire général, Doc. N.U. A/CN.9/264, 25 mars 1985, p. 10; voir aussi p. 11.)
[25] Deux éléments ressortent de ce commentaire. Premièrement, le tribunal doit déterminer si la LACI s’applique en examinant la nature du différend qui oppose les parties et non pas en tirant des conclusions quant à leur relation. Le tribunal peut plus facilement trancher cette question (ou l’arbitre peut plus facilement décider si la Loi type s’applique) en analysant les actes de procédure qu’en tirant des conclusions de fait quant à la nature de la relation. Pour qualifier le différend, le décideur doit seulement examiner les actes de procédure; pour qualifier la relation, il doit tenir compte de diverses circonstances afin de tirer des conclusions de fait. S’il fallait procéder à un examen minutieux des faits pour décider si la LACI ou la Loi type s’applique, cela aurait pour effet de ralentir le processus d’arbitrage, voire de l’interrompre.
[26] Deuxièmement, il appert que le différend lié à l’emploi n’est pas visé par le terme « commercial ». La question de savoir si une personne est un employé constitue le plus fondamental des différends liés à l’emploi. Par conséquent, si le différend lié à l’emploi est exclu du champ d’application de la Loi type, celui portant sur la question de savoir si M. Heller est un employé est également exclu. Il ne s’agit pas du type de différends que la Loi type est censée régir et, par conséquent, il ne s’agit pas du type de différend que la LACI est censée régir.
[27] Ce résultat est compatible avec ce que les tribunaux ont conclu (Patel c. Kanbay International Inc., 2008 ONCA 867, 93 O.R. (3d) 586, par. 11‑13; Borowski c. Fiedler (Heinrich) Perforeirtechnik GmbH (1994), 158 A.R. 213 (B.R.); Rhinehart c. Legend 3D Canada Inc., 2019 ONSC 3296, 56 C.C.E.L. (4th) 125, par. 27; Ross c. Christian & Timbers Inc. (2002), 23 B.L.R. (3d) 297 (C.S.J. Ont.), par. 11). Il s’accorde en outre avec la mention dans la Loi type de transactions « commercial[es] » qui, comme le fait observer Gary B. Born, [traduction] « évoque vraisemblablement la participation de commerçants ou de marchands, par opposition à des consommateurs ou à des employés » (International Commercial Arbitration, vol. 1, International Arbitration Agreements (2e éd. 2014), p. 309). De plus, il est possible de tirer une inférence négative de l’omission dans la définition des relations [traduction] « d’emploi » (p. 309, n. 454). Il nous semble peu probable que les rédacteurs de la Loi type aient inclus une liste aussi détaillée des relations commerciales visées sans s’être demandé s’il y avait lieu d’inclure l’« emploi ».
[28] En somme, les différends liés à l’emploi ne sont pas visés par le champ d’application de la LACI. C’est donc la LA qui les régit.
[29] La LA prévoit que, sur motion d’une partie, le tribunal sursoit à l’instance visée par une convention d’arbitrage :
Sursis
7(1) Si une partie à une convention d’arbitrage introduit une instance à l’égard d’une question que la convention oblige à soumettre à l’arbitrage, le tribunal judiciaire devant lequel l’instance est introduite doit, sur la motion d’une autre partie à la convention d’arbitrage, surseoir à l’instance.
[30] Le tribunal a toutefois le pouvoir discrétionnaire de conserver sa compétence et de refuser de surseoir à l’instance dans cinq circonstances énumérées au par. 7(2) :
Exceptions
(2) Cependant, le tribunal judiciaire peut refuser de surseoir à l’instance dans l’un ou l’autre des cas suivants :
1. Une partie a conclu la convention d’arbitrage alors qu’elle était frappée d’incapacité juridique.
2. La convention d’arbitrage est nulle.
3. L’objet du différend ne peut faire l’objet d’un arbitrage aux termes des lois de l’Ontario.
4. La motion a été présentée avec un retard indu.
5. La question est propre à un jugement par défaut ou à un jugement sommaire.
La seule exception pertinente ici est celle énoncée à l’al. 7(2)2, qui confère au tribunal le pouvoir discrétionnaire de refuser de surseoir à l’instance s’il détermine que la convention d’arbitrage est nulle.
[31] La LA est muette quant aux principes que devrait examiner le tribunal en exerçant son pouvoir discrétionnaire de juger de la validité d’une convention d’arbitrage en vertu du par. 7(2). Les arrêts Dell Computer Corp. c. Union des consommateurs, [2007] 2 R.C.S. 801, et Seidel c. TELUS Communications Inc., [2011] 1 R.C.S. 531, qui ont interprété les régimes sur l’arbitrage similaires du Québec et de la Colombie‑Britannique, ont toutefois défini certains critères. Dans ces arrêts, la Cour a établi un cadre d’analyse pour déterminer quand un tribunal devrait décider si un arbitre a compétence, plutôt que de renvoyer la question à celui‑ci par respect pour le principe de compétence‑compétence.
[32] Suivant le cadre d’analyse défini dans l’arrêt Dell, la latitude du tribunal pour analyser la preuve dépend de la nature de la contestation de la compétence. Lorsque seules des questions de droit sont en litige, le tribunal est libre de trancher la question de la compétence (par. 84). Lorsque seules des questions de fait sont en litige, le tribunal doit « normalement » renvoyer la cause à l’arbitrage (par. 85). Lorsque des questions mixtes de fait et de droit sont en litige, le tribunal doit renvoyer la cause à l’arbitrage à moins que les questions factuelles pertinentes ne requièrent qu’un « examen superficiel de la preuve documentaire au dossier » (par. 85).
[33] En énonçant ce cadre d’analyse, l’arrêt Dell a adopté une approche de l’exercice du pouvoir discrétionnaire conçue pour être fidèle à ce que la doctrine sur l’arbitrage international appelle le test de l’analyse « prima facie » en ce qui concerne les questions de fait et les questions mixtes de fait et de droit (par. 83). Selon ce test, le tribunal doit « renvoyer les parties à l’arbitrage, sauf si la convention d’arbitrage est manifestement entachée d’un vice la rendant nulle ou inapplicable » (par. 75). Pour que la convention soit à ce point manifestement entachée, la nullité doit être « incontestable », de telle sorte qu’il ne saurait y avoir de débat sérieux quant à la validité (par. 76, citant Éric Loquin, « Compétence arbitrale », dans Juris‑classeur Procédure civile (feuilles mobiles), fasc. 1034, no 105). Plutôt que d’adopter ces normes littéralement, l’arrêt Dell a donné un effet pratique à la doctrine en matière d’arbitrage en créant un test selon lequel le tribunal renvoie toutes les contestations de la compétence de l’arbitre à l’arbitrage, à moins qu’elles soulèvent exclusivement des questions de droit, ou des questions mixtes de fait et de droit qui ne requièrent qu’un examen superficiel de la preuve au dossier (par. 84‑85).
[34] La doctrine établit dans l’arrêt Dell est bien résumée dans l’affaire connexe Rogers Sans‑fil inc. c. Muroff, [2007] 2 R.C.S. 921, par. 11 :
Les juges majoritaires ont conclu qu’en présence d’une clause d’arbitrage, toute contestation de la compétence de l’arbitre doit d’abord être renvoyée à l’arbitre. Les tribunaux judiciaires ne devraient déroger à cette règle générale et se prononcer en premier sur cette question que dans le cas où la contestation de la compétence de l’arbitre ne comporte qu’une question de droit seulement. Lorsqu’une question soulevant la compétence de l’arbitre nécessite l’admission et l’examen des faits, les tribunaux sont normalement tenus de renvoyer ces questions à l’arbitrage. Quant aux questions mixtes de droit et de fait, les tribunaux doivent également privilégier le renvoi à l’arbitrage; n’y font exception que les situations où les questions de fait ne nécessitent qu’un examen superficiel de la preuve documentaire versée au dossier et où le tribunal est convaincu que la contestation ne se veut pas une tactique dilatoire ou qu’elle ne met pas en péril le recours à l’arbitrage.
[35] Les parties conviennent que le cadre d’analyse énoncé dans les arrêts Dell et Seidel s’applique à la Loi sur l’arbitrage de l’Ontario. Nous sommes d’accord, compte tenu des similitudes entre les régimes d’arbitrage de cette province, de la Colombie‑Britannique et du Québec. Les deux exceptions au renvoi à l’arbitrage prévues dans les arrêts Dell et Seidel s’appliquent donc en Ontario. Selon M. Heller, la présente affaire fait intervenir une de ces exceptions parce qu’elle ne requiert tout au plus qu’un examen superficiel du dossier.
[36] Ni l’arrêt Dell ni l’arrêt Seidel ne définissent entièrement ce qu’il faut entendre par un examen « superficiel ». Selon nous, la question essentielle est celle de savoir s’il est possible de tirer les conclusions de droit nécessaires de faits qui sont soit évidents à la face même du dossier, soit non contestés par les parties (voir Trainor c. Fundstream Inc., 2019 ABQB 800, par. 23 (CanLII); voir aussi Alberta Medical Association c. Alberta, 2012 ABQB 113, 537 A.R. 75, par. 26).
[37] Même s’il est possible de trancher la question de la validité de la convention d’arbitrage d’Uber en procédant à un examen superficiel du dossier, nous sommes d’avis que le présent dossier soulève aussi une question d’accessibilité qui ne s’est pas posée, eu égard aux faits de l’affaire Dell, et qui justifie de s’écarter de la règle générale du renvoi à l’arbitrage. Comme l’a reconnu l’arrêt Dell lui‑même, la règle du renvoi systématique des contestations de compétence exigeant un examen de la preuve factuelle s’applique « normalement » (par. 85; voir aussi Muroff, par. 11). Nous sommes en présence d’une de ces circonstances anormales.
[38] L’hypothèse sous‑jacente formulée dans Dell veut que si le tribunal ne tranche pas une question, l’arbitre le fasse. Comme l’énonce cet arrêt, la question « doit d’abord être tranchée par [l’arbitre] » (par. 84). Dell n’a toutefois pas envisagé un cas de figure où la question resterait en suspens advenant un sursis de l’instance. Cela soulève des problèmes pratiques évidents d’accès à la justice que la législature de l’Ontario n’a pas pu souhaiter en conférant aux tribunaux le pouvoir de refuser un sursis.
[39] Un cas de figure (parmi d’autres) qui pourrait laisser en suspens la question de la validité de la convention d’arbitrage est celui où l’arbitrage est fondamentalement trop onéreux ou autrement inaccessible. Cela peut survenir parce que les frais pour entamer une telle procédure sont importants par rapport à la réclamation du demandeur ou parce que ce dernier n’est pas raisonnablement en mesure de se rendre au lieu où doit se tenir l’arbitrage. Un autre cas de figure pourrait être celui où la clause relative au choix du droit étranger applicable contourne une politique locale impérative, comme une clause qui empêcherait l’arbitre de donner effet aux mesures de protection applicables en droit du travail en Ontario. Dans de telles situations, surseoir à l’instance au profit de l’arbitrage reviendrait à refuser d’accorder le redressement sollicité dans la demande. En fait, la convention d’arbitrage serait à l’abri de toute contestation significative (voir Jonnette Watson Hamilton, « Pre‑Dispute Consumer Arbitration Clauses : Denying Access to Justice? » (2006), 51 R.D. McGill 693; Catherine Walsh, « The Uses and Abuses of Party Autonomy in International Contracts » (2010), 60 R.D. U.N.-B. 12; Cynthia Estlund, « The Black Hole of Mandatory Arbitration » (2018), 96 N.C. L. Rev. 679).
[40] Ces cas de figure n’ont pas été envisagés dans l’arrêt Dell. L’essence de cet arrêt repose sur l’hypothèse que si un tribunal ne tranche pas une question, l’arbitre le fera.
[41] À ces risques réels qu’il soit sursis à une instance au profit d’un arbitrage invalide, on pourrait opposer le risque qu’un demandeur cherche à entraver un arbitrage en faisant valoir des arguments fallacieux contre la validité de ce dernier. Cette préoccupation a animé l’arrêt Dell (voir par. 84 et 86).
[42] Selon nous, il existe des moyens d’atténuer cette préoccupation qui font que le calcul global favorise qu’on s’écarte de la règle générale voulant que l’affaire soit renvoyée à un arbitre. Les tribunaux disposent de plusieurs moyens d’éviter que les procédures judiciaires soient utilisées à des fins illégitimes. Les procédures qui semblent vexatoires peuvent faire l’objet d’un cautionnement pour frais et d’une adjudication adéquate des dépens. En Angleterre, les tribunaux ont adjugé une indemnisation complète des dépens lorsqu’une partie n’a pas tenu compte, et ce, indûment, de la compétence de l’arbitre (Hugh Beale, éd., Chitty on Contracts (33e éd. 2018), vol. II, Specific Contracts, par. 32‑065; A. c. B. (No.2), [2007] EWHC 54 (Comm.), [2007] 1 All E.R. (Comm.) 633, par. 15; Kyrgyz Mobil Tel Limited c. Fellowes International Holdings Limited, [2005] EWHC 1329, 2005 WL 6514129, par. 43‑44). De plus, si la partie qui a imposé la convention d’arbitrage avec succès devait intenter un recours, en fonction des circonstances, elle pourrait obtenir des dommages‑intérêts pour rupture de contrat, le contrat étant la convention d’arbitrage (Beale, par. 32‑052; West Tankers Inc. c. Allianz SpA, [2012] EWHC 854 (Comm.), [2012] 2 All E.R. (Comm.) 395, par. 77).
[43] En outre, l’arrêt Dell lui‑même a exprimé clairement que les tribunaux peuvent renvoyer la contestation de la compétence de l’arbitre à ce dernier si elle constitue une « tactique dilatoire », ou si elle porte indûment préjudice au déroulement de l’arbitrage (par. 86). Cela constitue une garantie supplémentaire contre les contestations de la validité de l’arbitrage présentées de mauvaise foi.
[44] Comment un tribunal peut‑il déterminer s’il est en présence d’une contestation de bonne foi de la compétence de l’arbitre que seul un tribunal peut trancher? Tout d’abord, il doit déterminer si, à supposer que les faits invoqués soient avérés, il existe une véritable contestation de la compétence de l’arbitre. Deuxièmement, le tribunal doit déterminer à partir des preuves à l’appui s’il existe une réelle possibilité que, advenant le prononcé du sursis, la contestation ne soit jamais résolue par l’arbitre.
[45] Même si cette seconde question requiert un examen limité de la preuve, cet examen ne doit pas se transformer en mini‑procès. À cette étape, la seule question est celle de savoir s’il existe une réelle possibilité, dans les circonstances, que l’arbitre puisse ne jamais se prononcer sur le fond de la contestation de la compétence. En règle générale, un seul affidavit suffira. Tant les avocats que les juges sont responsables de veiller à ce que l’audience reste étroitement ciblée (Hryniak c. Mauldin, [2014] 1 R.C.S. 87, par. 31‑32). Lorsqu’ils se penchent sur toute tentative d’ajouter au dossier, les juges doivent rester conscients du « risque de manipulation de la procédure en vue de créer de l’obstruction » et de la possibilité qu’une partie fasse usage de tactiques dilatoires (Dell, par. 84; voir aussi par. 86).
[46] En conséquence, le tribunal ne devrait pas renvoyer une contestation de bonne foi de la compétence de l’arbitre à ce dernier s’il existe une réelle possibilité que, s’il le faisait, il ne soit jamais statué sur la contestation. Dans ces circonstances, le tribunal peut décider si l’arbitre a compétence pour être saisi du différend et, ce faisant, il peut analyser en profondeur les questions en litige ainsi que le dossier.
[47] En ce qui a trait au pourvoi dont nous sommes saisis, nous ferions d’abord remarquer que M. Heller a présenté une véritable contestation de la validité de la convention d’arbitrage. Il soutient que la clause en cause est nulle parce qu’elle exige le paiement de frais prohibitifs pour que l’arbitrage puisse être entamé, et parce que ces frais sont inclus par référence dans les mentions en petits caractères d’un contrat d’adhésion. Ensuite, il existe une réelle possibilité que, si le sursis est accordé et la question de la validité de la convention d’arbitrage d’Uber est soumise à l’arbitrage, la véritable contestation de M. Heller ne soit jamais résolue. Les frais constituent un obstacle infranchissable entre lui et la résolution de toutes les demandes qu’il a présentées contre Uber. Un arbitre ne peut pas décider du bien‑fondé des arguments de M. Heller sans que ces frais — possiblement iniques — soient d’abord payés. En définitive, cela voudrait dire que la question du statut ou non d’employé de M. Heller pourrait ne jamais être tranchée. Pour défaire ce nœud gordien, le tribunal doit trancher la question de l’iniquité.
[48] Nous sommes donc d’avis de nous prononcer sur les arguments qu’a fait valoir M. Heller contre la validité de la convention d’arbitrage d’Uber plutôt que de les renvoyer à l’arbitrage aux Pays‑Bas.
[49] Nous notons, incidemment, que le fait de s’écarter de la règle générale du renvoi à l’arbitrage dans ces circonstances aura des conséquences bénéfiques. Cela empêchera ceux qui rédigent les contrats de se soustraire au résultat de la présente affaire au moyen d’une clause relative au choix du droit applicable. Une telle clause pourrait transformer une question de compétence qui en serait une de droit (et qui pourrait être tranchée par une cour) en une question relative au contenu du droit étranger, qui nécessiterait l’audition de preuves afin de tirer des conclusions quant au contenu du droit étranger, ce que l’on n’envisagerait pas normalement dans le cadre d’un examen superficiel du dossier.
[50] Il s’agit là d’une faille importante que les rédacteurs de contrats peuvent exploiter. En effet, le contrat d’Uber en cause ici comprend une clause relative au choix du droit étranger applicable. Comme l’a fait valoir la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (« FCEI »), intervenante, la Cour devrait tenir pour acquis que le droit néerlandais régit la question de savoir si la convention d’arbitrage est inique, puisque c’est ce droit que désigne la clause des contrats relative au choix du droit applicable (m.i. interv., par. 34; voir aussi Vita Food Products, Inc. c. Unus Shipping Co., [1939] A.C. 277 (C.P.), p. 289‑291). Or, ni l’une ni l’autre des parties n’a choisi de mettre en preuve les règles du droit néerlandais relatives à l’iniquité. Compte tenu de leur décision en ce sens, la Cour doit traiter la question de l’iniquité au regard le droit ontarien (voir Pettkus c. Becker, [1980] 2 R.C.S. 834, p. 853‑854; Das c. George Weston Limited, 2017 ONSC 4129, par. 215 (CanLII)). Si Uber avait fait la preuve du droit néerlandais, suivant les deux exceptions à la règle du renvoi à l’arbitrage reconnues par l’arrêt Dell, la Cour aurait été tenue d’accorder le sursis pour qu’un arbitre décide de la question de l’iniquité.
[51] De plus, même si cette cause‑ci avait pu être résolue sur le fondement de faits non contestés, une telle approche pourrait ne pas convenir pour de futures causes. Une approche du renvoi à l’arbitrage qui dépend de faits non contestés serait une invitation pour que les parties contestent les faits. Si une telle norme devait s’appliquer, en contestant déraisonnablement les faits, une partie pourrait éviter tout examen sur le fond en se servant de la clause d’arbitrage. Dans ce contexte, une partie qui contesterait déraisonnablement les faits ne souffrirait d’aucune conséquence négative si sa démarche aboutissait au prononcé du sursis au profit de l’arbitrage. Cela diffère considérablement du contexte habituel des litiges civils, dans le cadre desquels la contestation déraisonnable de faits peut être dissuadée par l’adjonction des dépens.
[52] Finalement, nous nous penchons sur la question de la validité de la convention d’arbitrage. Comme nous l’avons mentionné, M. Heller a fait valoir deux arguments distincts selon lesquels la convention conclue avec Uber est nulle : premièrement, la clause est nulle pour cause d’iniquité et, deuxièmement, elle est nulle parce qu’elle soustrait les parties par contrat aux dispositions de la LNE.
[53] Comme M. Heller, nous sommes d’avis que la convention d’arbitrage est inique. Les parties et les intervenants ont concentré leurs arguments sur l’iniquité conformément à l’orientation donnée dans l’arrêt TELUS Communications Inc. c. Wellman, [2019] 2 R.C.S. 144, par. 85, par la Cour, selon laquelle les « arguments relatifs à l’injustice que risquerait d’entraîner l’application des clauses d’arbitrage qui figurent dans les contrats types devraient être tranchés directement par l’application du principe de l’iniquité ».
[54] L’iniquité est une notion d’equity qui sert à annuler [traduction] « les contrats inéquitables qui sont le fruit de l’inégalité du pouvoir de négociation » des parties (John D. McCamus, The Law of Contracts (2e éd. 2012), p. 424). Appliqué au départ pour protéger les héritiers peu âgés ainsi que [traduction] « les pauvres et les ignorants » des ententes unilatérales, le principe d’iniquité a évolué pour s’appliquer à tout contrat fruit d’une inégalité du pouvoir de négociation entre les parties et d’une imprudence (Mitchell McInnes, The Canadian Law of Unjust Enrichment and Restitution (2014), p. 521; voir aussi p. 520‑524; Bradley E. Crawford, « Restitution — Unconscionable Transaction — Undue Advantage Taken of Inequality Between Parties » (1966), 44 R. du B. can. 142, p. 143). Cette évolution a été décrite comme [traduction] « l’une des réalisations marquantes du droit moderne des contrats, représentant une renaissance dans le traitement doctrinal de l’équité contractuelle » (Peter Benson, Justice in Transactions : A Theory of Contract Law (2019), p. 165; voir aussi Angela Swan, Jakub Adamski et Annie Y. Na, Canadian Contract Law (4e éd. 2018), p. 925).
[55] Le principe d’iniquité est largement accepté en droit canadien des contrats, mais certaines questions subsistent quant au contenu de la doctrine, et celle‑ci a été appliquée de manière incohérente par les tribunaux d’instances inférieures (voir, entre autres, Morrison c. Coast Finance Ltd. (1965), 55 D.L.R. (2d) 710 (C.A. C.‑B.); Harry c. Kreutziger (1978), 9 B.C.L.R. 166 (C.A.), p. 177, le juge Lambert; Downer c. Pitcher, 2017 NLCA 13, 409 D.L.R. (4th) 542, par. 20; Input Capital Corp. c. Gustafson, 2019 SKCA 78, 438 D.L.R. (4th) 387; Cain c. Clarica Life Insurance Co., 2005 ABCA 437, 263 D.L.R. (4th) 368; Titus c. William F. Cooke Enterprises Inc., 2007 ONCA 573, 284 D.L.R. (4th) 734; Birch c. Union of Taxation Employees, Local 70030, 2008 ONCA 809, 305 D.L.R. (4th) 64; voir aussi Swan, Adamski et Na, p. 982; McInnes, p. 518‑519). Pour répondre à ces questions, il faut examiner la théorie sous‑jacente en matière contractuelle (Rick Bigwood, « Antipodean Reflections on the Canadian Unconscionability Doctrine » (2005), 84 R. du B. can. 171, p. 173).
[56] Le paradigme classique qui sous‑tend la liberté contractuelle veut que le [traduction] « marché ou [l’]échange [soit] librement négocié » entre des « parties autonomes et intéressées » (McCamus, p. 24; voir aussi Swan, Adamski et Na, p. 922‑923; P. S. Atiyah, Essays on Contract (1986), p. 140). Cette théorie s’articule autour de la conviction que les parties contractantes sont les mieux placées pour juger de leurs intérêts et pour les protéger durant le processus de négociation (Atiyah, p. 146‑148; Bigwood, p. 199‑200; Alan Brudner, « Reconstructing contracts » (1993), 43 U.T.L.J. 1, p. 2‑3). Elle tient aussi pour acquis l’égalité des parties contractantes et le fait que [traduction] « le contrat est négocié, qu’il y est librement consenti, et [qu’il est] donc équitable » (Mindy Chen‑Wishart, Contract Law (6e éd. 2018), p. 12 (en italique dans l’original)).
[57] C’est lorsque ces hypothèses sont en phase avec la réalité que les arguments pour l’exécution des contrats ont le plus de poids (Melvin Aron Eisenberg, « The Bargain Principle and Its Limits » (1982), 95 Harv. L. Rev. 741, p. 746‑748). Cependant, ces arguments ont « plus ou moins de poids selon le contexte » (Wellman, par. 53; voir aussi B. J. Reiter, « Unconscionability : Is There a Choice? A Reply to Professor Hasson » (1980), 4 Rev. can. dr. comm. 403, p. 405‑406). Comme l’a noté le professeur Atiyah :
[traduction] La proposition selon laquelle une personne est toujours le meilleur juge de ses propres intérêts est un bon point de départ pour les lois et les arrangements institutionnels, mais en tant que proposition empirique infaillible, — elle est un outrage à l’expérience humaine. L’argument moral parallèle selon lequel empêcher une personne, même dans son propre intérêt, de s’engager, démontre un manque de respect envers son autonomie morale —, peut sonner très creux lorsqu’il est utilisé pour défendre un contrat manifestement injuste obtenu aux dépens d’une personne peu informée ou peu habile à négocier. [Nous soulignons; p. 148.]
[58] Les tribunaux n’ont jamais été tenus de considérer les hypothèses idéales de la théorie des contrats comme des [traduction] « proposition[s] empiriques infaillibles ». Les doctrines d’equity ont permis aux juges depuis longtemps de « répondre aux exigences propres de circonstances particulières [. . .] humanis[ant] et contextualis[ant] la nature autrement aseptisée du droit » (Leonard I. Rotman, « The “Fusion” of Law and Equity? : A Canadian Perspective on the Substantive, Jurisdictional, or Non‑Fusion of Legal and Equitable Matters » (2016), 2 C.J.C.C.L. 497, p. 503‑504). En conséquence, les tribunaux ne font pas abstraction des failles importantes du processus de formation des contrats qui ébranlent les paradigmes traditionnels de la common law des contrats, comme la conviction que les parties contractantes sont en mesure de protéger leurs intérêts respectifs. La personne âgée souffrant de troubles cognitifs qui vend ses actifs pour une fraction de leur valeur (Ayres c. Hazelgrove, B.R. Angleterre, 9 février 1984); le capitaine d’un navire ayant fait naufrage qui paie un prix exorbitant pour un sauvetage (The Mark Lane (1890), 15 P.D. 135); le couple vulnérable et mal avisé qui signe un contrat hypothécaire à la légère sans en comprendre les clauses ou les conséquences financières (Commercial Bank of Australia Ltd. c. Amadio, [1983] HCA 14, 151 C.L.R. 447) — ces cas de figure et d’autres semblables ressemblent bien peu aux hypothèses opérationnelles sur lesquelles repose le modèle de contrat classique.
[59] Dans ces types de circonstances, où les hypothèses traditionnelles qui sous‑tendent l’exécution des contrats perdent leur pouvoir justificatif, la doctrine de l’iniquité offre un recours contre les contrats imprudents. Lorsqu’un marché inéquitable ne peut pas être associé à une négociation équitable — c’est-à-dire lorsqu’il ne peut être attribué à [traduction] « l’intention libérale ou au risque accepté » d’une partie, comme l’a formulé le professeur Benson —, les tribunaux peuvent éviter les effets inéquitables de son exécution sans mettre en péril les valeurs fondamentales sur lesquelles repose le principe de la liberté contractuelle (p. 182; voir aussi Eisenberg, p. 799‑801; S. M. Waddams, « Good Faith, Unconscionability and Reasonable Expectations » (1995), 9 J.C.L. 55, p. 60). Cela explique comment la doctrine de l’iniquité s’accorde avec la formulation traditionnelle de la théorie des contrats tout en reconnaissant ses origines historiques en equity, qui, elle, a servi depuis longtemps de [traduction] « contrepoids à la dureté de la common law » (McCamus, p. 10; voir aussi Rotman, p. 503‑504).
[60] La Cour a souvent décrit l’objet de la doctrine de l’iniquité comme une mesure de protection des personnes vulnérables dans le cadre de transactions qu’elles concluent avec d’autres (Hodgkinson c. Simms, [1994] 3 R.C.S. 377, p. 405 et 412; Hunter Engineering Co. c. Syncrude Canada Ltée, [1989] 1 R.C.S. 426, p. 462, le juge en chef Dickson, et p. 516, la juge Wilson; Norberg c. Wynrib, [1992] 2 R.C.S. 226, p. 247; voir aussi Bhasin c. Hrynew, [2014] 3 R.C.S. 494, par. 43). Nous sommes d’accord. Selon nous, la doctrine de l’iniquité vise à protéger les personnes vulnérables dans le contexte du processus de formation des contrats des pertes ou des conséquences de leur imprudence dans le marché qui a été conclu (voir Mindy Chen‑Wishart, Unconscionable Bargains (1989), p. 109; voir aussi James Gordley, « Equality in Exchange » (1981), 69 Cal. L. Rev. 1587, p. 1629‑1634; Birch, par. 44). Même si d’autres doctrines peuvent offrir une mesure de redressement face à des types précis de clauses abusives, celle de l’iniquité permet aux tribunaux de combler les lacunes entre les [traduction] « îlots d’intervention », de telle sorte que la « clause qui n’est pas tout à fait une clause pénale ou pas tout à fait une clause d’exemption ou qui est juste en dehors des dispositions d’un pouvoir légal d’allégement relèvera du pouvoir général, et les distinctions anormales [. . .] disparaîtront » (S. M. Waddams, The Law of Contracts (7e éd. 2017), p. 378).
[61] Reconnaître ouvertement une doctrine de l’iniquité favorise aussi l’équité et la transparence en droit des contrats (Swan, Adamski et Na, p. 925; McCamus, p. 438; Stephen Waddams, Sanctity of Contracts in a Secular Age : Equity, Fairness and Enrichment (2019), p. 225). Il est utile de reconnaître que [traduction] « les juges sont et seront toujours préoccupés par l’injustice, par les dispositifs qui fonctionnent durement et par les comportements abusifs » (Swan, Adamski et Na, p. 925). La doctrine de l’iniquité permet aux tribunaux « de se demander expressément pourquoi ils devraient refuser d’appliquer une condition contractuelle qui aurait reçu le consentement des parties » (Hunter, p. 462). Comme le juge en chef Dickson l’a noté dans l’arrêt Hunter :
À mon avis, il y a beaucoup à gagner à aborder directement la question de la protection des plus faibles contre l’exploitation des plus forts. [. . .] Il est peu utile de masquer la question derrière une construction de l’esprit dotée de caractères propres qui parfois ne cadrent pas avec le souci d’équité. [p. 462]
[62] La plupart des auteurs semblent convenir que la doctrine canadienne de l’iniquité comporte deux volets : [traduction] « . . . une inégalité du pouvoir de négociation, découlant d’une quelconque faiblesse ou vulnérabilité du demandeur et [. . .] une transaction imprudente » (McInnes, p. 524 (italique omis); voir aussi Swan, Adamski et Na, p. 986; McCamus, p. 424 et 426‑427; Benson, p. 167; Waddams (2017), p. 379; Stephanie Ben‑Ishai et David R. Percy, dir., Contracts : Cases and Commentaries (10e éd. 2018), p. 719).
[63] La Cour a avalisé cette dualité depuis longtemps. Dans l’arrêt Hunter, la juge Wilson a noté que
[l]a possibilité d’invoquer l’iniquité dans des circonstances où une stipulation du contrat est déraisonnable en soi et où ce caractère déraisonnable résulte de l’inégalité des parties contractantes a été confirmée au Canada il y a plus d’un siècle . . . [Soulignement dans l’original; p. 512; voir aussi p. 462, le juge en chef Dickson.]
[64] Dans l’arrêt Norberg, le juge La Forest a décrit l’établissement des éléments constitutifs de l’iniquité comme étant « un processus en deux étapes » qui comprend « (1) la preuve de l’inégalité des situations respectives des parties et (2) celle d’un marché imprudent » (p. 256). Les motifs concordants dans l’arrêt Douez c. Facebook Inc., [2017] 1 R.C.S. 751, ont suivi une approche semblable dans une affaire où il était question d’un contrat de consommation type[6] :
Deux éléments sont requis pour que s’applique la doctrine de l’iniquité : l’inégalité du pouvoir de négociation et l’injustice. Le professeur McCamus précise :
[traduction] . . . il faut prouver à la fois l’inégalité du pouvoir de négociation au sens où l’une des parties ne peut protéger adéquatement ses intérêts et l’avantage indu obtenu par la partie dominante grâce à cette inégalité. [Soulignement omis; par. 115.]
(Voir aussi Loychuk c. Cougar Mountain Adventures Ltd., 2012 BCCA 122, 347 D.L.R. (4th) 591, par. 29‑31; Roy c. 1216393 Ontario Inc., 2011 BCCA 500, 345 D.L.R. (4th) 323, par. 29; McNeill c. Vandenberg, 2010 BCCA 583, par. 15 (CanLII); Kreutziger, p. 173; Morrison, p. 713.)
[65] Nous ne voyons aucune raison de nous écarter de cette approche de l’iniquité approuvée par les arrêts Hunter, Norberg et Douez, et qui requière la présence à la fois de l’inégalité du pouvoir de négociation et d’un marché imprudent en résultant.
[66] Il existe une inégalité du pouvoir de négociation lorsqu’une partie ne peut pas adéquatement protéger ses intérêts durant le processus de formation d’un contrat (voir McCamus, p. 426‑427 et 429; Crawford, p. 143; Chen‑Wishart (1989), p. 31; Morrison, p. 713; Gustafson, par. 45; Hess c. Thomas Estate, 2019 SKCA 26, 433 D.L.R. (4th) 60, par. 77; Blomley c. Ryan (1956), 99 C.L.R. 362 (H.C.A.), p. 392; Commercial Bank of Australia, p. 462‑463 et 477‑478; Bartle c. GE Custodians, [2010] NZCA 174, [2010] 3 N.Z.L.R. 601, par. 166).
[67] Il n’existe pas de [traduction] « limites rigides » quant aux types d’inégalités qui correspondent à cette définition (McCamus, p. 429). Des écarts de richesse, de connaissance ou d’expérience peuvent être pertinents, mais l’inégalité comprend davantage que ces seuls attributs (McInnes, p. 524‑525). Le professeur McInnes décrit comme suit la gamme des désavantages possibles :
[traduction] L’equity peut servir relativement à un large éventail de faiblesses présentent au moment de conclure une entente. Ces faiblesses peuvent être personnelles (c.‑à‑d. consister en caractéristiques propres au demandeur en général) ou circonstancielles (c.‑à‑d. consister en vulnérabilités propres à certaines situations). L’incapacité pertinente peut provenir des « capacités et possibilités purement cognitives, délibératives ou informationnelles » du demandeur, qui l’empêchent de porter « un jugement valable sur ce qui est dans son intérêt ». L’incapacité peut aussi découler de ce que, dans les circonstances, le demandeur était « une personne gravement atteinte dans sa volonté ou désespérément dans le besoin », et était donc tout spécialement désavantagé en raison des « contingences du moment ». [En italique dans l’original; notes en bas de page omises; p. 525.]
(Voir aussi Chen‑Wishart (2018), p. 363.)
Ces désavantages n’ont pas à être considérables au point de compromettre la capacité de conclure un contrat techniquement valide (Chen‑Wishart (2018), p. 340; voir aussi McInnes, p. 525‑526).
[68] Dans de nombreux cas où l’inégalité du pouvoir de négociation a été établie, les désavantages pertinents nuisaient à la capacité de la partie de négocier ou de conclure librement un contrat, compromettaient la capacité d’une partie à comprendre ou à apprécier le sens ou l’importance des clauses du contrat ou les deux (voir Stephen A. Smith, Contract Theory (2004), p. 343‑344; John R. Peden, The Law of Unjust Contracts : Including the Contracts Review Act 1980 (NSW) With Detailed Annotations Procedure and Pleadings (1982), p. 36; Andrew Burrows, A Restatement of the English Law of Contract (2016), p. 210; Downer, par. 54; McInnes, p. 525).
[69] Un exemple courant d’inégalité du pouvoir de négociation provient des causes de « nécessité », dans lesquelles la partie plus faible est à ce point dépendante de la plus forte que son refus de conclure le contrat pourrait entraîner de graves conséquences. Ce déséquilibre peut nuire à la capacité de la partie plus faible de contracter librement et de manière autonome. Lorsque cette partie est prête à accepter presque n’importe quelle condition, parce que les conséquences d’un refus seraient si graves, l’equity intervient pour empêcher une partie contractante de tirer un trop grand avantage de la situation malheureuse de la partie la plus faible. Comme l’a affirmé le Conseil privé, [traduction] « par souci d’équité élémentaire, “il n’[est] pas juste que les forts puissent pousser les faibles au pied du mur” » (Janet Boustany c. George Pigott Co (Antigua and Barbuda), [1993] UKPC 17, p. 6 (BAILII), citant Alec Lobb (Garages) Ltd. c. Total Oil (Great Britain) Ltd., [1985] 1 W.L.R. 173, p. 183; voir aussi Lloyds Bank Ltd. c. Bundy, [1975] 1 Q.B. 326 (C.A.), p. 336‑337).
[70] L’exemple classique d’un cas de « nécessité » est celui d’un sauvetage en mer (voir The Medina (1876), 1 P.D. 272). Les circonstances dans lesquelles de telles ententes sont conclues indiquent que la partie la plus faible n’a pas conclu le contrat librement, puisque ce dernier a été le fruit de son [traduction] « besoin extrême [. . .] de remédier aux difficultés auxquelles elle était confrontée » (Bundy, p. 339). D’autres situations de dépendance entrent aussi dans ce moule, y compris celles où une partie est vulnérable en raison de son désespoir sur le plan financier, ou lorsqu’il existe « un rapport spécial fondé sur la confiance de l’une des parties envers l’autre » (Norberg, p. 250, citant Christine Boyle et David R. Percy, Contracts : Cases and Commentaries (4e éd. 1989), p. 637‑638). L’inégalité du pouvoir de négociation peut être établie dans ces cas de figure, même s’il n’a pas été démontré qu’il y a eu contrainte ou influence indue (voir Norberg, p. 247‑248; voir aussi McInnes, p. 543).
[71] Le deuxième exemple classique d’inégalité du pouvoir de négociation survient lorsque, d’un point de vue pratique, une seule des parties peut comprendre et apprécier la portée complète des clauses du contrat, ce qui crée une sorte [traduction] « [d’]asymétrie cognitive » (voir Smith, p. 343‑344). Cette situation peut se présenter en raison de la vulnérabilité d’une personne ou de désavantages propres au processus de formation des contrats, comme la présence de clauses denses ou difficiles à comprendre dans l’entente des parties. Dans ces cas, l’hypothèse du droit selon laquelle les parties protègent leurs intérêts perd de sa force. L’inégalité du pouvoir de négocier peut être établie dans ces cas de figure, même si les exigences légales relatives à la formation du contrat ont par ailleurs été respectées (voir Sébastien Grammond, « The Regulation of Abusive or Unconscionable Clauses from a Comparative Law Perspective » (2010), 49 Rev. can. dr. comm. 345, p. 353‑354).
[72] Ces exemples d’inégalité du pouvoir de négociation sont censés contribuer à l’organisation et à la compréhension de cas antérieurs d’iniquité. Ils fournissent deux exemples de la façon dont la partie la plus faible peut être vulnérable à l’exploitation dans le cadre du processus de formation des contrats. Quel que soit le type d’incapacité en cause, ce qui importe, c’est d’être en présence d’un contexte de négociation [traduction] « où les hypothèses normales du droit sur la liberté de négociation soit ne tiennent essentiellement plus soit ne peuvent pas être appliquées équitablement » (Bigwood, p. 185 (italique omis); voir aussi Benson, p. 189‑190). Dans ces circonstances, les tribunaux peuvent offrir une réparation pour remédier à un marché imprudent pour la partie la plus faible de la relation contractuelle.
[73] Cela nous amène au second élément de l’iniquité : un marché imprudent.
[74] Un marché est imprudent s’il avantage indûment la partie la plus forte ou désavantage indûment la plus vulnérable (voir McCamus, p. 426‑427; Chen‑Wishart (1989), p. 51; Benson, p. 187; voir aussi Waddams (2017), p. 303; Stephen Waddams, Principle and Policy in Contract Law : Competing or Complementary Concepts? (2011), p. 87 et 121‑122). L’imprudence est mesurée au moment de la conclusion du contrat; en effet, la doctrine de l’iniquité ne vient pas au secours de parties qui tentent [traduction] « [d’]échapper à un contrat lorsque leurs circonstances sont telles que l’entente leur cause maintenant un préjudice » (John‑Paul F. Bogden, « On the “Agreement Most Foul” : A Reconsideration of the Doctrine of Unconscionability » (1997), 25 Man. L.J. 187, p. 202 (en italique dans l’original)).
[75] L’imprudence doit être évaluée selon le contexte (McInnes, p. 528). Essentiellement, il s’agit de se demander si le potentiel d’avantages ou de désavantages indus créés par l’inégalité du pouvoir de négociation s’est réalisé. Il est possible qu’un avantage indu ne se manifeste que lorsque les clauses sont lues à la lumière des circonstances présentes au moment de la formation du contrat, comme le prix du marché, le contexte commercial ou les positions des parties (voir Chen‑Wishart (1989), p. 51‑56; McInnes, p. 528‑529; Reiter, p. 417‑418).
[76] Pour une personne qui se retrouve dans des circonstances désespérées, par exemple, pratiquement n’importe quelle entente représentera une amélioration par rapport au status quo. Dans ces circonstances, au moment d’évaluer l’imprudence, il faut se demander avant tout si la partie la plus forte a été indûment enrichie. Cela peut survenir lorsque le prix de biens ou de services s’écarte considérablement du prix habituel du marché.
[77] Lorsque la partie la plus faible n’a pas compris ou apprécié le sens et l’importance de clauses contractuelles clés, l’analyse doit porter avant tout sur la question de savoir si elle a été indûment désavantagée par les clauses qu’elle n’a pas comprises ou appréciées. Ces clauses sont abusives lorsque, compte tenu du contexte, elles bafouent les [traduction] « attentes raisonnables » de la partie la plus faible (voir Swan, Adamski et Na, p. 993‑994) ou causent une [traduction] « surprise inéquitable » (American Law Institute and National Conference of Commissioners on Uniform State Laws, Proposed Amendments to Uniform Commercial Code Article 2 — Sales : With Prefatory Note and Proposed Comments (2002), p. 40). Il s’agit d’une norme objective, mais qui tient compte du contexte.
[78] Puisque l’imprudence peut prendre de nombreuses formes, cet exercice ne peut être réduit à une science exacte. Lorsque les juges appliquent des concepts d’equity, on leur fait confiance pour [traduction] « rendre une justice appropriée sur les plans situationnel et doctrinal » (Rotman, p. 535). L’équité, prémisse et objectif fondamentaux de l’equity, est intrinsèquement contextuelle, ne se laisse pas facilement encadrer par des formules ou renforcer par des adjectifs, et dépend nécessairement des circonstances.
[79] En somme, l’iniquité fait intervenir à la fois l’inégalité et l’imprudence (Crawford, p. 143; Swan, Adamski et Na, p. 986). La nature de la faille dans le processus de formation des contrats fait partie du contexte dans lequel l’imprudence est examinée. En outre, la preuve d’un marché manifestement inéquitable peut appuyer l’inférence qu’une partie était incapable de protéger adéquatement ses intérêts (voir Chen‑Wishart (1989), p. 47‑48; Portal Forest Industries Ltd. c. Saunders, [1978] 4 W.W.R. 658 (C.S. C.‑B.), p. 664‑665). C’est une question de bon sens que les parties ne concluent pas souvent un marché substantiellement imprudent lorsqu’elles ont un pouvoir de négociation égal.
[80] Uber fait toutefois valoir que la Cour devrait abandonner l’approche classique en deux volets de l’iniquité et adopter un test rigoureux comprenant quatre exigences :
• une entente manifestement inéquitable et imprudence;
• une victime qui n’a pas eu accès à des conseils juridiques indépendants ou à d’autres conseils appropriés;
• un déséquilibre flagrant dans le pouvoir de négociation causé par la méconnaissance des affaires de la victime, son analphabétisme, son ignorance du jargon de l’entente, sa cécité, sa surdité, sa maladie, sa sénilité, ou une incapacité similaire;
• la conscience par l’autre partie qu’elle tire avantage de cette vulnérabilité.
(Voir Phoenix Interactive Design Inc. c. Alterinvest II Fund L.P., 2018 ONCA 98, 420 D.L.R. (4th) 335, par. 15; voir aussi Titus, par 38; Cain, par. 32.)
[81] Ce seuil plus élevé exigerait que la transaction ait été « manifestement » injuste, qu’il n’y ait pas eu de conseils indépendants, que le déséquilibre du pouvoir de négociation ait été « flagrant » et qu’il y ait eu intention de profiter d’une partie vulnérable.
[82] Nous rejetons cette approche. Ce test à quatre volets élèverait le seuil traditionnel appliqué en matière d’iniquité et il réduirait indûment la doctrine, la rendant plus formaliste et moins axée sur l’équité. La doctrine de l’iniquité a toujours visé les marchés inéquitables résultant de négociations inéquitables. Le fait d’élever ces facteurs supplémentaires pour en faire des exigences rigides détournerait l’attention de cette enquête.
[83] Le fait que des conseils indépendants ont ou non été prodigués n’est pertinent que dans la mesure où ils réduisent l’inégalité du pouvoir de négociation dont pâtit la partie la plus faible (voir Rick Bigwood, « Rescuing the Canadian Unconscionability Doctrine? Reflections on the Court’s “Applicable Principles” in Downer v. Pitcher » (2018), 60 Rev. can. dr. comm. 124, p. 136; Spencer Nathan Thal, « The Inequality of Bargaining Power Doctrine : the Problem of Defining Contractual Unfairness » (1988), 8 Oxford J. Legal Stud. 17, p. 32‑33). Ils peuvent, par exemple, aider cette dernière à comprendre les clauses d’un contrat, mais ne pas réduire son désespoir ou sa dépendance envers une partie plus forte (Thal, p. 33). Même lorsque les conseils peuvent aider, des conseils pro forma ou inefficaces peuvent ne pas améliorer la capacité d’une partie de protéger ses intérêts (Chen‑Wishart (1989), p. 110‑111).
[84] De plus, l’iniquité peut être établie sans preuve que la partie la plus forte a sciemment tiré avantage de la partie la plus faible. Une telle exigence est étroitement liée aux théories relatives à l’iniquité axées sur les actes répréhensibles du défendeur (voir Boustany, p. 6). Or, l’iniquité peut survenir sans que des actes répréhensibles soient commis. Comme le plaide le professeur Waddams de manière convaincante :
[traduction] Les termes « conduite inique », « comportement inique » et « opérations iniques » manquent de clarté, ils ne correspondent pas à l’historique de la doctrine dans la mesure où ils supposent qu’il faut faire la preuve d’actes répréhensibles, et ils ont été indûment restrictifs.
(Waddams (2019), p. 118‑119; voir aussi Benson, p. 188; Smith, p. 360‑362.)
[85] Nous sommes d’accord. Le fait qu’une partie tire sciemment et délibérément avantage de la vulnérabilité d’une autre peut constituer une preuve solide de l’inégalité du pouvoir de négociation, mais cela n’est pas essentiel pour conclure à l’iniquité. Une telle exigence mettrait à tort l’accent sur l’état d’esprit de la partie la plus forte, plutôt que sur la protection de celle qui est plus vulnérable. Les décisions de la Cour ne laissent aucun doute que la doctrine de l’iniquité est axée sur ce deuxième objectif. Les parties ne peuvent pas s’attendre à ce que les tribunaux appliquent des marchés imprudents conclus dans des situations d’inégalité du pouvoir de négociation; après tout, une partie plus faible est désavantagée tout autant par une exploitation involontaire que par une exploitation délibérée. Une exigence rigide fondée sur l’état d’esprit de la partie la plus forte aurait en outre pour effet d’éroder la pertinence moderne de la doctrine de l’iniquité, puisque, dans les faits, elle mettrait les contrats d’adhésion imprudents à l’abri d’une contestation sur ce fondement lorsque les parties n’ont pas interagi ou négocié.
[86] Selon nous, les exigences d’inégalité et d’imprudence, bien appliquées, atteignent le bon équilibre entre l’équité et la stabilité en matière commerciale. La liberté de contracter reste la règle générale. C’est précisément parce que les hypothèses habituelles du droit quant aux processus de négociation ne s’appliquent pas que le recours contre les marchés imprudents est justifié.
[87] Le respect de la doctrine de l’iniquité a des répercussions sur les contrats types. Comme l’a expliqué Karl N. Llewellyn, le principal rédacteur du Code commercial uniforme :
[traduction] Au lieu de voir les choses sous l’angle d’un « assentiment » aux clauses types, nous pouvons reconnaître qu’en ce qui a trait aux particularités, il n’y a pas d’assentiment. En fait, ce qui a reçu un assentiment, plus particulièrement, ce sont les rares conditions qui ont été négociées, le caractère général de l’opération, et quelque chose de plus. Ce quelque chose de plus, c’est un assentiment général (et non particulier) à toute condition non déraisonnable ou contraire aux bonnes mœurs que le vendeur a pu inclure dans son contrat type, et qui n’altère pas le sens raisonnable des conditions négociées ni ne les vide de leur contenu. Les petits caractères qui n’ont pas été lus ne sauraient altérer le sens raisonnable de ces conditions négociées qui constituent l’expression dominante et la seule véritable expression de l’accord, mais une grande partie de ceux‑ci est communément utilisée.
. . .
Un marché sans lien de dépendance, assorti de conditions négociées, a été conclu. Ce marché de base était accompagné d’un autre qui [. . .] comporte à tout le moins une expression évidente de confiance, demandée et acceptée, assortie d’une restriction correspondante des pouvoirs accordés : le contrat type reçoit un assentiment « en bloc », à l’aveuglette, sur la présomption implicite suivante et dans la mesure où : (1) il n’altère ni ne réduit le sens ordinaire des conditions négociées lorsqu’on les interprète isolément, et (2) les conditions qu’il contient ne sont ni d’une manière particulière ni d’une manière générale manifestement déraisonnables et inéquitables.
(The Common Law Tradition : Deciding Appeals (1960), p. 370‑371)
[88] Nous ne voulons pas laisser entendre qu’un contrat type, en soi, crée une inégalité du pouvoir de négociation (Waddams (2017), p. 240). Au contraire, les contrats types sont dans bien des cas à la fois nécessaires et utiles. Par exemple, des gens d’affaires avisés peuvent être familiers avec les contrats d’adhésion couramment utilisés au sein d’une industrie. Des explications ou des conseils suffisants peuvent lever l’incertitude quant aux clauses d’une convention type. Certains contrats types peuvent exprimer clairement et efficacement le sens de clauses dont les effets sont inhabituels ou onéreux (Benson, p. 234).
[89] Nous sommes simplement d’avis que la doctrine de l’iniquité a un rôle significatif à jouer lors de l’examen des conditions dans lesquelles les parties consentent à des contrats d’adhésion, ou d’ailleurs à n’importe quel contrat. Les nombreuses façons dont les contrats types peuvent nuire à la capacité de certaines parties de protéger leurs intérêts durant le processus de formation des contrats et les rendre vulnérables sont bien documentées. Par exemple, ils sont rédigés par une partie sans que l’autre n’intervienne. Ils peuvent aussi contenir des clauses difficiles à lire ou à comprendre (voir Margaret Jane Radin, « Access to Justice and Abuses of Contract » (2016), 33 Windsor Y.B. Access Just. 177, p. 179; Stephen Waddams, « Review Essay : The Problem of Standard Form Contracts : A Retreat to Formalism » (2013), 53 Rev. can. dr. comm. 475, p. 475‑476; Thal, p. 27‑28; William J. Woodward Jr., « Finding the Contract in Contracts for Law, Forum and Arbitration » (2006), 2 Hastings Bus. L.J. 1, p. 46). La possibilité que de tels contrats créent une inégalité du pouvoir de négociation est évidente. Il en va de même pour leur potentiel à renforcer l’avantage de la partie la plus forte au détriment de la plus vulnérable, notamment par le choix de la loi, l’élection du for et les clauses d’arbitrage qui violent les attentes raisonnables de la partie adhérente en la privant de recours. C’est précisément le genre de situations dans lesquelles la doctrine de l’iniquité est censée s’appliquer.
[90] Cette évolution du droit relatif à l’iniquité en lien avec les contrats types n’est pas radicale. Au contraire, il s’agit d’une application moderne de la doctrine à des situations où [traduction] « la logique normative de l’exécution des contrats [est] étirée au‑delà du point de rupture » (Radin, p. 179). Des décisions judiciaires ainsi que des ouvrages et des articles de doctrine ont suggéré depuis des années l’existence d’un lien entre les contrats types et l’iniquité (voir, par ex., Douez, p. 114, Davidson c. Three Spruces Realty Ltd. (1977), 79 D.L.R. (3d) 481 (C.S. C.‑B.); Hunter, p. 513; Swan, Adamski et Na, p. 992‑993; McCamus, p. 444; Jean Braucher, « Unconscionability in the Age of Sophisticated Mass‑Market Framing Strategies and the Modern Administrative State » (2007), 45 Rev. can. dr. comm. 382, p. 396). Il en a aussi été question dans la jurisprudence américaine depuis plus d’un demi‑siècle (voir Williams c. Walker‑Thomas Furniture Company, 350 F.2d 445 (1965), p. 449‑450).
[91] Appliquer la doctrine de l’iniquité aux contrats types encouragera en outre leurs rédacteurs à les rendre plus accessibles pour l’autre partie ou à s’assurer qu’ils ne sont pas à ce point déséquilibrés qu’ils en sont imprudents, ou encore à faire les deux. Les vertus des transactions équitables ont été expliquées comme suit par Jean Braucher :
[traduction] Les entreprises sont amenées à se comporter de manière compétitive dans leur façon d’envisager le commerce, sinon elles perdent contre celles qui le font. Ce n’est que si des contrôles significatifs sont effectués relativement à ce qui pourrait être considéré comme un comportement immoral que les gens d’affaires auront la liberté d’agir en fonction de leurs réflexes moraux. Il en découle que, en l’absence de réglementation, la culture du monde des affaires deviendrait de plus en plus impitoyable, de sorte que les distinctions entre les « entreprises de bonne réputation » et les vendeurs marginaux s’estomperaient progressivement . . . [p. 390]
[92] Cela nous amène au pourvoi dont nous sommes saisis et à la question de savoir si la clause d’arbitrage qui lie M. Heller et Uber est inique.
[93] Il y avait manifestement une inégalité du pouvoir de négociation entre Uber et M. Heller. La convention d’arbitrage faisait partie d’un contrat type. M. Heller n’avait aucun pouvoir de négociation sur ses clauses. Sa seule option contractuelle était de l’accepter ou de la rejeter. Il existait un fossé important sur le plan des connaissances entre M. Heller, un livreur de nourriture à Toronto, et Uber, une grande multinationale. De plus, la convention d’arbitrage ne contient aucune information sur les coûts de la médiation et de l’arbitrage qui doivent se dérouler aux Pays‑Bas. On ne peut s’attendre à ce qu’une personne dans la position de M. Heller puisse apprécier les conséquences financières et juridiques de son consentement à un arbitrage mené en application des règlements de la CCI ou du droit néerlandais. Même en supposant que M. Heller soit une des rares personnes à avoir lu le contrat dans son intégralité avant de le signer, il n’aurait eu aucune raison de soupçonner que derrière une référence inoffensive à la médiation obligatoire [traduction] « prévue par le Règlement de médiation de la Chambre de commerce internationale » qui pourrait être suivie d’un « arbitrage conformément au Règlement d’arbitrage de la Chambre de commerce internationale », il y avait un obstacle de 14 500 $ US à franchir pour avoir accès à une réparation. Le fait que ces règlements n’étaient pas annexés au contrat, et que M. Heller aurait donc dû les chercher lui‑même, aggrave la situation.
[94] Le caractère imprudent de la clause d’arbitrage est également manifeste. Les procédures de médiation et d’arbitrage requièrent le paiement de 14 500 $ US de frais administratifs initiaux. Ce montant s’apparente au revenu annuel de M. Heller et ne comprend pas les frais potentiels du déplacement, de l’hébergement, de la représentation juridique, ni non plus les pertes de revenu. Ces frais sont disproportionnés par rapport à la valeur d’une sentence arbitrale qui aurait pu être raisonnablement envisagée lors de la conclusion du contrat. La convention d’arbitrage désigne également le droit néerlandais comme droit applicable et Amsterdam comme « lieu » de l’arbitrage. Cela donne à M. Heller et aux autres chauffeurs d’Uber qui se trouvent en Ontario l’impression claire qu’ils n’ont guère d’autre choix que de se rendre aux Pays‑Bas, à leurs propres frais, afin de faire valoir individuellement leurs réclamations contre Uber au moyen d’une médiation et d’un arbitrage obligatoires dans le ressort d’origine d’Uber. Toute représentation auprès de l’arbitre, y compris concernant le lieu de l’audience, ne peut être faite qu’après le paiement des frais.
[95] En fait, la clause d’arbitrage modifie tous les autres droits substantiels prévus au contrat de sorte que tous les droits dont jouit M. Heller sont assujettis à la condition préalable apparente qu’il se rende à Amsterdam[7], entame une procédure d’arbitrage en payant les frais requis et reçoive une sentence arbitrale établissant une violation de ce droit. Ce n’est qu’une fois ces conditions préalables remplies que M. Heller peut obtenir une décision de justice pour faire valoir ses droits substantiels en application du contrat. En fait, la clause d’arbitrage empêche un chauffeur de faire valoir contre Uber les droits substantiels prévus au contrat. Aucune personne raisonnable ayant compris et apprécié les conséquences de la clause d’arbitrage ne l’aurait acceptée.
[96] Nous ajoutons que l’iniquité de la clause d’arbitrage peut être examinée distinctement de celle du contrat dans son ensemble. Comme l’explique la décision Bremer Vulkan Schiffbau und Maschinenfabrik c. South India Shipping Corporation Ltd., [1981] A.C. 909 (H.L.), une convention d’arbitrage [traduction] « constitue un contrat collatéral indépendant ou accessoire au contrat [principal] » (p. 980; voir aussi p. 998, le lord Scarman). La clause de divisibilité des accords Uber Rasier et Uber Portier et le par. 17(2) de la LA[8] étayent en outre cette position.
[97] Le respect de l’arbitrage repose sur le fait qu’il s’agit d’un mode rentable et efficace de résolution des différends. Lorsqu’il est réalistement irréalisable, cela équivaut à une absence totale de mécanisme de résolution des différends. Comme le fait remarquer notre collègue, le juge Brown, selon la clause d’arbitrage, « M. Heller, et uniquement lui, serait exposé à des contraintes excessives s’il tentait de présenter une demande contre Uber, peu importe le bien‑fondé de la demande » (par. 136). La clause d’arbitrage est le seul moyen pour M. Heller de faire valoir les droits que lui confère le contrat, mais l’arbitrage est hors de portée pour lui et pour les autres chauffeurs dans sa position. Ses droits contractuels sont, par conséquent, illusoires.
[98] Compte tenu à la fois des désavantages auxquels M. Heller a été confronté quant à sa capacité à protéger ses intérêts dans le cadre d’une négociation et des clauses abusives qui en ont résulté, la clause d’arbitrage est inique et donc nulle.
[99] Vu la conclusion selon laquelle la convention d’arbitrage est nulle du fait de son iniquité, il n’est pas nécessaire de décider si elle est également nulle parce qu’elle a pour effet de soustraire les parties par contrat aux mesures de protection impératives de la LNE.
Conclusion
[100] Nous sommes d’avis de rejeter l’appel avec dépens en faveur de M. Heller devant toutes les cours.
Version française des motifs rendus par
Le juge Brown —
I. Introduction
[101] Bien que je souscrive à l’avis de mes collègues, les juges Abella et Rowe, selon lequel l’exigence rendant l’arbitrage obligatoire est nulle, je ne me fonderais pas sur la doctrine de l’iniquité pour parvenir à cette conclusion. Les stipulations contractuelles qui excluent le règlement judiciaire des différends — c’est‑à‑dire un règlement conforme à la loi — sont inexécutoires non pas parce qu’elles sont iniques, mais parce qu’elles sapent la primauté du droit en niant l’accès à la justice, et sont donc contraires à l’ordre public.
[102] C’est exactement ce que fait la convention d’arbitrage conclue entre Uber et M. Heller : elle empêche en fait ce dernier de présenter une demande contre Uber, peu importe l’importance ou le bien‑fondé de celle‑ci. En fait, il s’agit non pas d’une convention d’arbitrage, mais d’une convention de non‑arbitrage. Dans ces circonstances exceptionnelles, la prémisse centrale sur laquelle se fonde le respect des tribunaux envers les conventions d’arbitrage ⸺ soit qu’elles fournissent un moyen accessible de régler un différend en conformité avec la loi ⸺ ne tient plus. Pour ce motif restreint, j’estime que la convention d’arbitrage est inexécutoire et, par conséquent, je suis d’avis de rejeter le pourvoi et de confirmer la décision de la Cour d’appel.
II. Analyse
[103] Les parties ont abordé le présent pourvoi sous l’angle de la doctrine de l’iniquité. Cela présente une difficulté regrettable, puisqu’essayer d’appliquer cette doctrine à l’espèce revient à essayer de résoudre la quadrature du cercle. Mes collègues, les juges Abella et Rowe, cherchent à contourner cette difficulté en étendant considérablement la portée de la doctrine et en éliminant toute restriction concrète à son application. Comme je l’expliquerai, selon moi, leur approche est à la fois inutile et indésirable. Inutile parce que le droit contient déjà, outre la doctrine d’iniquité, des principes juridiques établis qui visent à empêcher les parties contractantes de soustraire leurs différends à un mécanisme de résolution des litiges indépendant. Et indésirable, parce qu’elle élargirait considérablement la portée de la doctrine sans fournir d’orientation valable au sujet de son application. Suivre pareille voie ne servira qu’à accentuer l’incertitude qui mine déjà la doctrine et à semer l’incertitude dans l’exécution des contrats en général.
A. L’accès à la justice et la primauté du droit
[104] Je conviens avec mes collègues les juges Abella et Rowe que la Loi de 1991 sur l’arbitrage, L.O. 1991, c. 17, s’applique au présent pourvoi. Bien que la relation entre les parties détermine quelle loi trouve application, la nature de leur relation est la question même sur laquelle il faut statuer dans l’action de M. Heller : ce dernier est‑il ou non un employé d’Uber? Sans soumettre cette question à une instruction complète, il y a lieu de trancher la question préliminaire de la loi applicable en fonction des actes de procédure (voir, p. ex., Kaverit Steel and Crane Ltd. c. Kone Corp., 1992 ABCA 7, 120 A.R. 346, par. 27‑30).
[105] La Loi sur l’arbitrage prescrit généralement le sursis de l’instance si une action en justice porte sur une matière régie par la convention d’arbitrage (par. 7(1)). Au nombre des quelques exceptions à cette règle générale, nous sommes uniquement appelés à décider en l’espèce si l’action de M. Heller doit suivre son cours parce que « [l]a convention d’arbitrage est nulle » (par. 7(2)). Répondre à cette question est fort simple. Pour des motifs d’ordre public, les tribunaux ne feront pas exécuter des clauses contractuelles qui, expressément ou par leur effet, entravent l’accès à un mécanisme indépendant de résolution des différends conforme au droit. Il est donc inutile d’invoquer, et de dénaturer, la doctrine de l’iniquité.
[106] Bien que les parties n’aient pas plaidé le présent pourvoi en se fondant sur l’ordre public, nous ne sommes évidemment pas liés par la façon dont elles ont formulé leurs arguments juridiques. La question centrale qui se pose en l’espèce n’est pas de savoir si la convention d’arbitrage d’Uber est inique, mais bien celle de savoir si elle est nulle au sens où il faut l’entendre pour l’application de la Loi sur l’arbitrage (c.‑à‑d. inexécutoire en droit contractuel). Que cette question soit examinée sous l’angle de l’iniquité ou sous celui de l’ordre public, le fondement pour y répondre et parvenir à une conclusion sur le caractère exécutoire est essentiellement le même : les questions soulevées par les parties demeurent le point central (R. c. Mian, 2014 CSC 54, [2014] 2 R.C.S. 689, par. 30; voir aussi 1196303 Ontario Inc. c. Glen Grove Suites Inc., 2015 ONCA 580, 337 O.A.C. 85, par. 87). La Cour a en outre affirmé que les tribunaux peuvent examiner de leur propre chef des questions touchant à l’ordre public, pour une bonne raison (heureuse coïncidence) qui touche au fondement même de mon opposition à la supposée « convention d’arbitrage » en cause en l’espèce : « ordre public et respect de la règle de droit vont de pair » (Pro Swing Inc. c. Elta Golf Inc., 2006 CSC 52, [2006] 2 R.C.S. 612, par. 59).
[107] Ma collègue la juge Côté met l’accent sur la liberté contractuelle, et je partage volontiers son enthousiasme à cet égard. Cette notion revêt une importance capitale pour les systèmes commercial et juridique canadiens et pour favoriser la certitude et la stabilité des relations contractuelles; elle prime d’ailleurs souvent les autres valeurs sociétales (Tercon Contractors Ltd. c. Colombie‑Britannique (Transports et Voirie), 2010 CSC 4, [2010] 1 R.C.S. 69, par. 117 (le juge Binnie, dissident (mais pas sur ce point))). En effet, la liberté des individus d’organiser leurs affaires sans crainte d’ingérence tentaculaire de la part de l’État, y compris des tribunaux, est une caractéristique d’une société libre.
[108] Même si elle privilégie la liberté contractuelle, la common law ne l’a jamais tenue pour absolue. Cela s’explique simplement : les parties contractantes ne peuvent s’engager à tenir certaines promesses. Comme l’a mentionné la Cour :
[traduction] . . . il arrive parfois que l’on ne puisse pas appliquer normalement les règles de droit parce que le droit lui‑même reconnaît une considération d’ordre public prépondérante qui prime les intérêts de l’intéressé et ce qui, autrement, constituerait ses droits et ses pouvoirs. Il nous paraît important de ne pas oublier que c’est ainsi, par dérogation aux droits et aux pouvoirs des particuliers, tels qu’ils seraient autrement établis par les principes de droit, que s’applique le principe d’ordre public. [Je souligne.]
(In Re Estate of Charles Millar, Deceased, [1938] R.C.S. 1, p. 4)
[109] La Cour a jugé que cette doctrine est fondamentale pour le droit canadien des contrats, et sa « pertinence en matière d’exécution des contrats n’a jamais été mise en doute » (Tercon, par. 113 et 116 (le juge Binnie, dissident (mais pas sur ce point))). Naturellement, et comme le prévient la juge Côté, l’ordre public ne doit pas servir à donner priorité à des opinions judiciaires bien personnelles au détriment des intérêts des parties contractantes. Mais cela ne constitue pas une préoccupation réelle en droit canadien : les tribunaux ont affirmé qu’il faut se garder de reconnaître de nouvelles considérations d’ordre public (Millar Estate, p. 4‑7), et les motifs d’ordre public existants qui justifient l’annulation de certains types de stipulations contractuelles sont restreints et bien établis (voir B. Kain et D. T. Yoshida, « The Doctrine of Public Policy in Canadian Contract Law », dans T. L. Archibald et R. S. Echlin, dir., Annual Review of Civil Litigation 2007 (2007), 1, p. 17 et n. 85). La Cour s’est appuyée sur l’ordre public avec parcimonie et tout récemment pour limiter l’application de clauses d’élection de for et de celles d’exclusion qui suscitent des inquiétudes liées à l’administration de la justice, et pour limiter l’application de clauses restrictives (Douez c. Facebook, Inc., 2017 CSC 33, [2017] 1 R.C.S. 751, par. 47 et 51‑63; Tercon, par. 117‑120; Elsley c. J. G. Collins Ins. Agencies Ltd., [1978] 2 R.C.S. 916, p. 923; Shafron c. KRG Insurance Brokers (Western) Inc., 2009 CSC 6, [2009] 1 R.C.S. 157, par. 15‑22). Certes, les considérations pertinentes quant à chaque type de clause varient, mais l’ordre public offre la solution commune et formulée en termes restrictifs. De plus, en s’attachant à la justification précise qui suggère qu’un certain type de clause est inexécutoire, la Cour a cherché à assurer une approche disciplinée en fournissant une orientation concrète et en élaborant des principes spécifiques qui s’appliquent aux stipulations du même ordre.
[110] Je pars du postulat qui empêche une perte de compétence des tribunaux ou, plus généralement, qui assure l’intégrité du système de justice. Tel que l’a affirmé le lord Atkin dans Fender c. St. John‑Mildmay, [1938] A.C. 1 (H.L.), p. 12, la perte de la compétence des tribunaux est néfaste en soi et [traduction] « préjudiciable à l’ordre public » (voir aussi Kain et Yoshida, p. 20‑23). Une stipulation qui pénalise une partie ou l’empêche de faire exécuter les conditions de son entente avec une autre sape directement l’administration de la justice. La proposition selon laquelle les parties contractantes, par souci d’ordre public, ne peuvent écarter le pouvoir de surveillance du tribunal de régler des différends contractuels n’a rien d’inédit (voir, p. ex., Kill c. Hollister (1746), 1 Wils. K.B. 129, 95 E.R. 532; Scott c. Avery (1856), 5 H.L.C. 811, 10 E.R. 1121; Deuterium of Canada Ltd. c. Burns & Roe Inc., [1975] 2 R.C.S. 124). En fait, peu importe la valeur attribuée à la liberté contractuelle, les tribunaux ont systématiquement conclu que le droit d’une partie contractante de se pourvoir devant les tribunaux est [traduction] « un droit inaliénable, et ce, même si les parties souhaitent qu’il en soit autrement » (Scott, p. 1133).
[111] Cette considération d’ordre public sert à maintenir la primauté du droit, qui, à tout le moins, garantit aux citoyens et aux résidents du Canada « une société stable, prévisible et ordonnée où mener leurs activités » (Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 R.C.S. 217, par. 70). Une telle garantie ne rime à rien sans accès à un appareil judiciaire indépendant en mesure de faire valoir les droits. La primauté du droit exige donc que les citoyens aient accès à un lieu où ils peuvent se demander mutuellement des comptes (Jonsson c. Lymer, 2020 ABCA 167, par. 10 (CanLII)). En effet, « [i]l ne peut y avoir de primauté du droit sans accès aux tribunaux, autrement la primauté du droit sera remplacée par la primauté d’hommes et de femmes qui décident qui peut avoir accès à la justice » (B.C.G.E.U. c. Colombie‑Britannique (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 214, p. 230). À moins que les parties privées puissent faire respecter leurs droits et trancher publiquement leurs différends, « la primauté du droit est compromise et l’évolution de la common law, freinée » (Hryniak c. Mauldin, 2014 CSC 7, [2014] 1 R.C.S. 87, par. 26). L’accès à la justice civile est essentiel pour la légitimité publique du droit et pour celle de l’appareil judiciaire en tant qu’institution de l’État chargée d’expliquer et d’appliquer le droit.
[112] L’accès à la justice civile est une condition préalable non seulement à une démocratie fonctionnelle, mais également à une économie dynamique, en partie parce que cet accès permet aux parties contractantes de faire exécuter leurs ententes. Un contrat qui prive une partie de son droit de faire exécuter ses modalités mine à la fois la primauté du droit et la certitude commerciale. Le fait qu’une telle entente est contraire à l’ordre public n’est pas une manifestation de particularités judiciaires, mais plutôt une illustration de la proposition allant de soi selon laquelle un contrat inexécutoire ne vaut rien. Donc, le préjudice que l’on infligerait au public en obligeant les parties contractantes à respecter un marché qu’elles ne peuvent pas exécuter est [traduction] « foncièrement incontestable » (Millar Estate, p. 7, citant Fender, p. 12). C’est vraiment aussi simple que cela : tant que tout un chacun ne disposera pas d’un accès raisonnable au droit et au processus en place lorsqu’il est nécessaire de faire valoir des droits, nous vivrons dans une société où les forts et les nantis l’emporteront toujours sur les faibles. Ou, comme l’a exprimé Frederick Wilmot‑Smith, [traduction] « [l]es structures juridiques qui rendent l’application du droit pratiquement impossible laisseront les membres de la société les plus faibles vulnérables à l’exploitation aux mains, par exemple, d’employeurs ou de conjoints sans scrupules » (Equal Justice : Fair Legal Systems in an Unfair World (2019), p. 1‑2).
[113] La référence à la nécessité de rendre l’application de la loi pratiquement impossible conduit à un autre point connexe : il n’y a aucune raison valable d’établir une distinction entre une clause qui entrave expressément l’accès à un règlement établi par la loi et une clause qui a pour effet ultime de l’entraver. C’est ce qui ressort du jugement rendu par le juge Drummond dans l’arrêt Novamaze Pty Ltd. c. Cut Price Deli Pty Ltd. (1995), 128 A.L.R. 540 (C.A.F.). Dans cette affaire, les modalités d’un contrat de franchisage permettaient au franchiseur de prendre le contrôle des activités du franchisé si l’une ou l’autre des parties menaçait d’intenter, ou intentait, une action en justice contre l’autre. Comme l’a expliqué le juge Drummond, cette clause était [traduction] « susceptible de dissuader fortement le franchisé d’intenter quelque procédure que ce soit contre [le franchiseur], peu importe la solidité des arguments avancés par le franchisé pour faire valoir qu’il a subi un préjudice » (p. 548). Le juge Drummond a résumé ainsi le principe applicable :
. . . le citoyen a le droit de recourir aux tribunaux pour qu’il soit statué sur ses droits. Une entente contractuelle qui prive une personne de ce « droit inaliénable » est contraire à l’ordre public et nulle. Une mesure visant à dissuader une personne d’exercer ce droit de recourir aux tribunaux peut, selon la force avec laquelle cette mesure arrive à la dissuader, constituer une négation de ce droit au même titre qu’une clause interdisant expressément à une personne d’intenter une action. [p. 548‑549]
[114] Je suis d’accord. À un moment donné, il n’existe plus de différence significative entre une disposition qui fait obstacle au règlement des différends et une disposition qui l’empêche complètement. Comme la Cour d’appel de l’Alberta l’a reconnu récemment, [traduction] « [d]es conditions préalables insurmontables [. . .] constituent en fait un obstacle total à l’accès aux tribunaux » (Lymer, par. 67). Lors de l’instruction du présent pourvoi, l’avocate d’Uber n’a pas reconnu qu’une clause exigeant un paiement initial de 10 milliards de dollars pour intenter une action civile équivaudrait nécessairement à un obstacle majeur au règlement d’un différend. Soit dit en tout respect, la conclusion selon laquelle une telle clause empêcherait le recours à un mécanisme d’arbitrage indépendant est évidente. Les tribunaux reconnaissent depuis longtemps que le fait d’exiger des paiements initiaux peut effectivement priver les parties d’un jugement (dans le contexte de l’obligation de fournir un cautionnement pour les dépens, par exemple).
[115] Rien de ce qui précède ne veut dire que l’ordre public exige l’accès à une cour de justice dans toutes les circonstances. Comme l’a reconnu la Cour, « de nouveaux modèles de règlement des litiges peuvent être justes et équitables » (Hryniak, par. 2). Cependant, l’ordre public exige l’accès à la justice, et cet accès ne signifie pas simplement l’accès à un règlement. Après tout, de nombreux règlements sont injustes. Lorsque, en situation de différend, une partie cherche à obtenir un règlement fondé sur ses droits, un tel règlement n’est juste que s’il est établi conformément au droit, tel qu’interprété et appliqué par un décideur indépendant.
[116] Le droit estimait autrefois que l’arbitrage ne permettait pas de régler un différend en conformité avec la loi. Toute convention d’arbitrage qui soustrayait les différends contractuels à la compétence des tribunaux était inexécutoire pour cause d’ordre public (voir Deuterium, p. 131‑136). Essentiellement, les tribunaux estimaient qu’une convention d’arbitrage avait pour effet de faire obstacle à toute forme légitime de règlement des différends. Il était considéré que les parties contractantes n’avaient pas accès à la justice si elles n’avaient pas accès aux tribunaux ordinaires (voir TELUS Communications Inc. c. Wellman, 2019 CSC 19, [2019] 2 R.C.S. 144, par. 48). Étant donné cette attitude hostile des tribunaux, les législateurs sont intervenus en adoptant des lois modernes en matière d’arbitrage, incitant ainsi les tribunaux à faire preuve de déférence à l’égard de l’arbitrage en tant que mécanisme de résolution des différends, plus particulièrement dans un contexte commercial (Wellman, par. 54; Zodiak International Productions Inc. c. Polish People’s Republic, [1983] 1 R.C.S. 529, p. 533‑542). Notre conception de l’accès à la justice a été modifiée en conséquence afin de tenir compte des « autres objectifs importants visés par la Loi sur l’arbitrage » (Wellman, par. 83). Il est maintenant reconnu que les tribunaux ne sont pas les seules entités en mesure d’offrir un règlement des différends conforme au droit. En effet, l’arbitrage en tant que mécanisme de règlement des différends est admis et encouragé (Desputeaux c. Éditions Chouette (1987) inc., 2003 CSC 17, [2003] 1 R.C.S. 178, par. 38).
[117] Si elle devait adopter la position d’Uber, la Cour devrait accepter que le changement d’attitude des tribunaux à la suite de l’adoption des mesures législatives modernes sur l’arbitrage ne donne pas ouverture à l’application de l’ordre public. Or, le respect des tribunaux à l’égard de l’arbitrage et du choix des parties de s’en remettre à l’arbitrage pour le règlement de leurs différends repose sur deux considérations. Premièrement, l’arbitrage a pour objectif de veiller à ce que les parties contractantes aient accès à « une “bonne méthode accessible pour parvenir à régler un grand nombre de différends”, laquelle “peut s’avérer plus efficace et moins coûteuse que de recourir aux tribunaux” » (Wellman, par. 83, citant l’Assemblée législative de l’Ontario, 27 mars 1991, p. 245). Deuxièmement, les tribunaux ont reconnu que l’arbitrage est une solution de rechange acceptable aux litiges civils puisqu’il peut donner lieu à un règlement conforme au droit. Comme l’a fait remarquer la Cour dans l’arrêt Sport Maska Inc. c. Zittrer, [1988] 1 R.C.S. 564, p. 581 :
. . . le législateur laissait [. . .] divers modes de règlement au libre arbitre des justiciables lorsque le recours aux tribunaux demeurait toujours possible. Si cette intervention judiciaire devait être écartée, toutefois, le législateur devait s’assurer que le processus garantirait aux justiciables la même mesure de justice que celle distribuée par les tribunaux, d’où l’élaboration des règles de procédure destinées à assurer l’impartialité de l’arbitre et le respect des règles de justice fondamentale [. . .] L’arbitre rendra une sentence qui deviendra exécutoire par voie d’homologation. C’est là qu’on voit que le véritable rôle de l’arbitre est assimilable à celui d’un juge chargé de trancher un différend. [Je souligne.]
En d’autres termes, tout mode de règlement des différends de dernier recours auquel font appel les parties contractantes doit être juste. Cela importe, car, contrairement au renvoi de litiges existants à l’arbitrage, et contrairement à ce que dit ma collègue la juge Côté, une entente visant à renvoyer tous les futurs différends inconnus à l’arbitrage est simplement un substitut aux négociations entre les parties (par. 250). Pareille entente sert plutôt à enlever aux décideurs publics le pouvoir de régler des différends (W. G. Horton, « A Brief History of Arbitration » (2017), 47 Adv. Q. 12, p. 14; Sport Maska, p. 581; Wellman, par. 48; Desputeaux, par. 40). La légitimité de ce transfert de pouvoir dépend de la capacité de l’arbitrage d’offrir une mesure comparable de justice.
[118] Comme l’a mentionné la Cour dans l’arrêt Sport Maska, l’arbitrage offre bel et bien une mesure comparable de justice, ce que garantit la législation moderne en cette matière. La Loi sur l’arbitrage de l’Ontario en est un exemple. À l’instar du Code de procédure civile, L.R.Q. 1977, c. C‑25, dont il était question dans l’arrêt Sport Maska, la Loi sur l’arbitrage prévoit un règlement conforme au droit. En effet, selon cette loi, le tribunal arbitral doit trancher les différends conformément au droit et à l’equity (art. 31). (Bien que les parties puissent être en mesure de choisir de se soustraire à l’application de cette disposition de la loi, elles bénéficient tout de même du droit inaliénable d’être traitées sur un pied d’égalité et avec équité (art. 3 et 19).) La Loi sur l’arbitrage confie également aux tribunaux une fonction de surveillance tout au long du processus arbitral.
[119] Cela dit, lorsqu’une clause prévoit expressément le recours à l’« arbitrage », mais a simultanément pour effet de l’empêcher, ces considérations qui militent en faveur du respect des tribunaux à l’égard de l’arbitrage s’estompent ⸺ et c’est ici que le principe d’ordre public empêchant d’écarter la compétence des tribunaux continue d’opérer. Au moment d’adopter la Loi sur l’arbitrage, le législateur n’a pas pu souhaiter que les clauses d’arbitrage ayant pour effet d’empêcher l’accès à la justice soient intouchables. Pourtant, la position d’Uber et, cela étant dit avec égards, celle de ma collègue la juge Côté, supposent que l’on impute cette intention même ⸺ une intention qui contrecarrerait l’objectif de faciliter l’accès à la justice qu’avait le législateur en adoptant la Loi sur l’arbitrage. Autrement dit, une mesure visant à accroître l’accès à la justice servirait maintenant d’outil pour en bloquer l’accès. Cela ne peut pas être le cas.
[120] En outre, l’accès à la justice est protégé par l’art. 96 de la Loi constitutionnelle de 1867, qui limite la capacité du législateur d’imposer des restrictions en matière de règlement des différends (Trial Lawyers Association of British Columbia c. Colombie‑Britannique (Procureur général), 2014 CSC 59, [2014] 3 R.C.S. 31, par. 43). Comme l’a déclaré la Cour dans l’arrêt Trial Lawyers, par. 32 :
Les cours supérieures ont toujours eu pour tâche de résoudre des différends opposant des particuliers et de trancher des questions de droit privé et de droit public. Des mesures qui empêchent des gens de s’adresser à cette fin aux tribunaux vont à l’encontre de cette fonction fondamentale des cours de justice. Considérées dans le contexte institutionnel du système de justice canadien, la résolution de ces différends et les décisions qui en résultent en matière de droit privé et de droit public sont des aspects centraux des activités des cours supérieures. De fait, les plaideurs constituent l’« achalandage » de ces tribunaux. Empêcher l’exercice de ces activités attaque le cœur même de la compétence des cours supérieures que protège l’art. 96 de la Loi constitutionnelle de 1867. [Je souligne.]
Je le répète, l’arbitrage ne touche pas au cœur de la compétence des cours supérieures, car il rend une mesure comparable de justice. Les conditions préalables qui empêchent les parties contractantes d’entamer l’arbitrage ont cependant le même effet que des frais d’audience qui imposent aux plaideurs des contraintes excessives et les empêchent de présenter des demandes légitimes devant les tribunaux (Trial Lawyers, par. 46). Il s’ensuit que, dans l’éventualité (inconcevable) que le législateur a voulu bloquer l’accès à la justice en adoptant la Loi sur l’arbitrage, cette loi ne doit pas être interprétée comme ayant une portée large au point où elle autoriserait les conventions qui prescrivent de telles conditions préalables. À cet égard, et soit dit encore en tout respect, l’affirmation de ma collègue la juge Côté voulant que l’application des principes formulés par la Cour dans Trial Lawyers risque de restreindre en permanence la compétence législative n’est pas fondée (par. 318). En effet, l’annonce de la mort de la compétence législative dans ce domaine, à l’instar de celle de la liberté contractuelle, est grandement exagérée.
[121] En somme, recourir à l’ordre public pour décider si une convention d’arbitrage interdit l’accès à la justice ne revient ni à énoncer une « nouvelle règle de common law », comme ma collègue la juge Côté qualifie cette approche, ni ne se traduit par un élargissement des motifs d’intervention judiciaire dans les procédures d’arbitrage (par. 307, 312 et 316). Les tribunaux de common law reconnaissent depuis longtemps le droit de résoudre les différends conformément au droit. Le droit a tout simplement évolué en adoptant l’arbitrage comme moyen de parvenir à cette résolution. Les stipulations contractuelles qui font complètement obstacle à cette résolution, expressément ou simplement par leur effet, demeurent inexécutoires pour des raisons d’ordre public.
(1) L’incidence de la primauté du droit sur le principe de compétence‑compétence
[122] Avant de formuler des commentaires quant aux types de clauses qui, expressément ou par leur effet, empêchent l’accès à un règlement judiciaire des différends, je m’arrête un instant pour aborder le principe de compétence‑compétence. Celui‑ci comporte deux volets. Premièrement, les arbitres ont le pouvoir de statuer sur des questions liées à leur propre compétence. Deuxièmement, ils devraient généralement rendre de telles décisions avant que le tribunal ne se prononce sur ces questions. Le premier volet est expressément mis en œuvre dans des textes législatifs comme la Loi sur l’arbitrage, aux termes de laquelle « [l]e tribunal arbitral peut statuer sur sa propre compétence » (par. 17(1)). La Cour a reconnu le second volet dans l’arrêt Dell Computer Corp. c. Union des consommateurs, 2007 CSC 34, [2007] 2 R.C.S. 801, en posant la « règle générale que, lorsqu’il existe une clause d’arbitrage, toute contestation de la compétence de l’arbitre doit d’abord être tranchée par ce dernier » (par. 84). Une exception s’applique lorsque la contestation est fondée exclusivement sur une question de droit ou si elle ne requiert qu’un examen superficiel du dossier (par. 84‑85). Cependant, même en pareil cas, le tribunal doit être convaincu que la contestation de la compétence arbitrale n’est pas une tactique dilatoire et qu’elle ne préjudiciera pas indûment au déroulement de l’arbitrage (par. 86).
[123] La conclusion de la Cour dans l’arrêt Dell était fondée sur les dispositions du Code de procédure civile du Québec, RLRQ, c. C‑25. Comme l’a reconnu la juge Deschamps, l’art. 940.1 du C.P.C. qui, de façon générale, enjoint au tribunal de renvoyer une instance à l’arbitrage, « [a] intégr[é] l’essence de l’art. II(3) de la Convention de New York et de son pendant dans la Loi type, l’art. 8 », tandis que l’art. 943 du C.P.C. « [a] reconn[u] à l’arbitre le pouvoir de se prononcer sur sa propre compétence » (par. 80). Ainsi, le C.P.C. « signale clairement l’acceptation du principe de compétence‑compétence incorporé à l’art. 16 de la Loi type » (par. 80). La Cour est arrivée à la même conclusion au sujet du régime d’arbitrage de la Colombie‑Britannique en s’appuyant sur des dispositions comparables (Seidel c. TELUS Communications Inc., 2011 CSC 15, [2011] 1 R.C.S. 531, par. 28‑29).
[124] À l’instar des régimes législatifs du Québec et de la Colombie‑Britannique, la Loi sur l’arbitrage de l’Ontario adopte les deux mêmes principes qui ont conduit à la conclusion de la Cour dans l’arrêt Dell : de façon générale, les tribunaux sont tenus de surseoir à une instance au profit de l’arbitrage (par. 7(1) et (2)), et les arbitres peuvent statuer sur leur propre compétence (par. 17(1)). Ainsi, selon la jurisprudence de la Cour, le principe de compétence‑compétence s’applique aussi au régime législatif de l’Ontario (Ontario Medical Assn. c. Willis Canada Inc., 2013 ONCA 745, 118 O.R. (3d) 241, par. 30). En outre, la Cour a maintes fois reconnu — le plus récemment dans l’arrêt Wellman — que les tribunaux devraient généralement adopter une politique de « non‑intervention » à l’égard de l’arbitrage (par. 56). Le principe de compétence‑compétence décrit dans l’arrêt Dell s’accorde avec cette directive.
[125] À l’instar de mes collègues les juges Abella et Rowe, je suis d’avis que, dans l’arrêt Dell, la Cour n’a pas envisagé les clauses qui empêchent en fait l’accès à l’arbitrage. Je suis donc d’avis de reconnaître qu’il existe une autre exception restreinte à la règle générale voulant qu’une contestation de la compétence d’un arbitre soit tranchée en premier lieu par ce dernier. Comme je l’ai expliqué, les parties contractantes ne peuvent empêcher l’accès à un règlement judiciaire de leurs différends. Bien que les arbitres doivent normalement se prononcer sur leur propre compétence, on ne peut raisonnablement confier à un arbitre la tâche de décider si une convention d’arbitrage, de par sa teneur ou ses effets, empêche de s’adresser à ce même arbitre. Il revient donc aux tribunaux de le faire. Rien dans la Loi sur l’arbitrage ne tend vers une autre conclusion. De plus, et s’il y avait des doutes à ce sujet, l’impératif d’assurer l’accès à la justice devrait guider l’interprétation de la Loi sur l’arbitrage et la consécration par celle‑ci du principe de compétence‑compétence. Comme l’a affirmé la Cour dans l’arrêt Trial Lawyers, l’accès à la justice revêt une telle importance qu’il prend une dimension constitutionnelle, qui a pour effet de limiter même la capacité du législateur d’empêcher des parties privées de résoudre leurs différends.
[126] Bien que la question de savoir si une convention d’arbitrage fait obstacle au règlement des différends soit une question mixte de fait et de droit, et que pour y répondre il peut falloir faire davantage qu’un examen superficiel du dossier, cette exception restreinte à la règle générale du renvoi énoncée dans l’arrêt Dell est nécessaire pour préserver la légitimité publique du droit en général, et de l’arbitrage en particulier. Contrairement à mes collègues, je restreindrais l’application de cette exception aux cas où l’arbitrage est vraisemblablement inaccessible. Elle ne devrait pas s’appliquer uniquement parce que l’entente dont ont convenu les parties comprend une clause relative au choix d’un droit étranger (motifs des juges Abella et Rowe, par. 39). En outre, et comme pour ce qui est de toute autre contestation de la compétence d’un arbitre, le tribunal doit être convaincu que la contestation « n’est pas une tactique dilatoire et ne préjudiciera pas indûment le déroulement de l’arbitrage » (Dell, par. 86).
[127] En plus de créer une exception au cadre d’analyse énoncé dans l’arrêt Dell, mes collègues prescrivent la tenue d’une nouvelle audience contradictoire pour examiner s’il existe « une contestation de bonne foi de la compétence de l’arbitre que seul un tribunal peut trancher » (par. 44‑46). Autrement dit, mes collègues affirment que cette audience est nécessaire parce qu’un tribunal doit déterminer s’il existe une question de validité qu’un tribunal doit trancher.
[128] Soit dit en tout respect, j’estime que ce nouveau mécanisme procédural est inutile et servira uniquement à compliquer et à prolonger les procédures. D’ailleurs, mes collègues semblent le reconnaître lorsqu’ils préviennent que « cet examen ne doit pas se transformer en mini‑procès », qu’« un seul affidavit suffira » et que « [t]ant les avocats que les juges sont responsables de veiller à ce que l’audience reste étroitement ciblée ». Premièrement, il me semble que toute évolution du droit des contrats qui requiert un nouvel affidavit de qui que ce soit sur n’importe quoi constitue probablement une erreur. Plus fondamentalement, toutefois, et toujours dit en tout respect, les avertissements de mes collègues me semblent totalement irréalistes. La Cour ferait aussi bien de dire aux parties et au juge des motions de limiter l’audience à 20 minutes, de la mener sur « Zoom » durant la pause du matin ou de se passer de contre-interrogatoire relativement aux affidavits. Les exhortations de mes collègues, aussi bien intentionnées qu’elles le sont assurément, sont tout simplement futiles. Pire encore, elles seront perçues comme telles; face aux réalités de l’examen d’une motion en particulier, personne ne se souciera de ce que nous, qui habitons sur le mont Olympe, pensons de ces questions. La motion que prescrivent mes collègues procèdera comme l’entendront les parties, et l’audience sera menée comme les parties et le juge des motions jugeront qu’il est approprié de la mener dans les circonstances. Il semble donc raisonnable de s’attendre à ce que l’économie de temps, le cas échéant, soit minime pour les causes où il n’existe pas de véritable question à trancher pour le tribunal. Par ailleurs, lorsqu’il existe bel et bien une véritable question, l’audience supplémentaire ne fera que dédoubler le processus.
(2) À quel moment une disposition contractuelle empêche‑t‑elle en fait la résolution des différends?
[129] Lorsque le tribunal évalue une clause qui limite l’accès au règlement judiciaire des différends, sa tâche consiste à décider si la restriction est raisonnable pour les deux parties ou si elle impose plutôt des contraintes excessives. Là encore, il est utile de se reporter à la restriction qu’impose la primauté du droit sur la capacité du gouvernement d’imposer des frais d’audience. Comme l’a expliqué la Cour dans l’arrêt Trial Lawyers, par. 45 :
Des frais d’audience ne nieront pas aux plaideurs bien nantis l’accès aux cours supérieures. De plus, même des plaideurs disposant de ressources modestes sont souvent capables d’organiser leurs finances de façon à pouvoir, moyennant certains sacrifices raisonnables, avoir accès aux tribunaux. Toutefois, lorsque des frais d’audience privent des plaideurs de l’accès aux cours supérieures, ces frais portent alors atteinte au droit fondamental des citoyens de soumettre leurs différends aux tribunaux. Cette limite est atteinte dans les cas où les frais d’audience en question causent des difficultés excessives à un plaideur qui souhaite s’adresser à la cour supérieure.
[130] J’ouvre ici une parenthèse pour affirmer que « les tribunaux doivent faire preuve de déférence à l’égard des conventions d’arbitrage et de l’arbitrage en général, particulièrement dans le contexte commercial » (Wellman, par. 54). Il arrivera rarement qu’une convention d’arbitrage impose des contraintes excessives et constitue en fait un obstacle à l’arbitrage. L’arbitrage peut nécessiter le paiement de frais initiaux, des frais parfois élevés et beaucoup plus importants que ceux requis pour intenter une action. Ces frais peuvent toutefois être justifiés compte tenu de la relation qu’entretiennent les parties et de la rapidité avec laquelle un règlement peut être obtenu par arbitrage. En effet, l’ordre public ne saurait être utilisé comme moyen pour faire annuler des conventions d’arbitrage qui sont proportionnelles eu égard à la relation qui existe entre les parties, mais que l’une des parties regrette après coup.
[131] Plusieurs facteurs devraient être pris en compte pour décider si une restriction contractuelle au règlement judiciaire des différends impose des contraintes excessives et est donc contraire à l’ordre public. Le premier facteur à examiner est la nature des différends qui risquent de découler de l’entente conclue entre les parties. Si les frais pour présenter une demande sont disproportionnés par rapport aux montants susceptibles d’être réclamés dans les différends qui pourraient découler de l’entente, il existe un risque de contraintes excessives. Cependant, ce facteur doit être évalué dans le contexte de l’entente dans son ensemble; une clause décourageant la présentation de certaines demandes de faible valeur peut être proportionnelle compte tenu de la répartition globale du risque entre les parties.
[132] En l’espèce, le dossier révèle que M. Heller touche de 20 800 $ à 31 200 $ par année en travaillant de 40 à 50 heures par semaine pour Uber. On s’attendrait raisonnablement à ce qu’une demande présentée par M. Heller n’excède pas sa rémunération totale annuelle. En effet, selon le témoignage de ce dernier, une demande type contre Uber concernerait généralement le non‑paiement d’honoraires de moins de 100 $. Les frais initiaux de 14 500 $ US requis pour présenter une demande représentent une portion importante de la rémunération totale que M. Heller touche chaque année au titre de son entente avec Uber et sont nettement disproportionnés par rapport au type de différends que l’entente pourrait raisonnablement générer. Contrairement à ce que suggère ma collègue la juge Côté, il n’est pas vrai que M. Heller et Uber sont tout simplement dissuadés de présenter des réclamations de faible valeur (par. 283 et 311). Le coût d’un renvoi à l’arbitrage est si prohibitif que la convention interdit en fait tout recours que M. Heller pourrait avoir contre Uber. Selon la description qu’en fait ma collègue, ce coût serait comparable à une adjudication des dépens au terme d’une instance judiciaire (par. 236 et 319). À mon avis, ce n’est tout simplement pas le cas. Les frais sont payables par M. Heller au préalable, que sa réclamation contre Uber soit bien‑fondée ou non — et ne ressemblent ainsi aucunement aux dépens adjugés au terme d’une instance. Ainsi, tout comme la clause en cause dans Novamaze, la convention d’arbitrage en l’espèce est « susceptible de dissuader fortement [. . .] quelque procédure que ce soit » (je souligne). Les frais payables par M. Heller constituent une condition préalable insurmontable qui l’empêche de présenter une demande (Lymer, par. 67).
[133] Je ne suis pas d’accord avec ma collègue pour dire qu’il faudrait des éléments de preuve supplémentaires pour arriver à cette conclusion (par. 319). Le dossier à l’appui est abondant. M. Heller est tenu de payer 14 500 $ US pour présenter une réclamation contre Uber, y compris une action pour rupture de contrat, quoique l’on puisse supposer que l’entente entre M. Heller et Uber sera rarement — voire jamais — à l’origine d’une réclamation de cette ampleur. Ces faits ne sont pas contestés. Bien que M. Heller soit peut‑être en mesure d’intenter un recours collectif en combinant sa réclamation à celles d’autres particuliers dans la même situation, cela importe peu en l’espèce. Le recours collectif est un véhicule procédural dont l’emploi « ne modifie ni ne crée des droits substantiels » (Bisaillon c. Université Concordia, 2006 CSC 19, [2006] 1 R.C.S. 666, par. 17). Ce qui compte, c’est la relation contractuelle entre M. Heller et Uber. Selon moi, la possibilité d’obtenir du financement d’un tiers n’est pas non plus une considération pertinente (motifs de la juge Côté, par. 236, 286 et 319). Un justiciable n’a pas à étudier les moyens de recevoir du financement d’un tiers — ce qui mettrait par le fait même vraisemblablement en péril le montant de sa réclamation — pour bénéficier du principe selon lequel les parties contractantes ne peuvent faire obstacle au règlement des différends en conformité avec la loi.
[134] En outre, les tribunaux devraient tenir compte des positions de négociation des parties. En clair, il n’est pas nécessaire qu’il y ait un déséquilibre dans le pouvoir de négociation pour conclure qu’une disposition entrave l’accès au mécanisme de règlement des différends. Une interdiction catégorique de recourir à ce mécanisme minerait la primauté du droit, même dans le contexte d’une entente entre des parties averties. Cela dit, les contraintes découlant d’une restriction à l’accès au règlement judiciaire des différends risquent moins d’être « excessives » si la restriction est le produit de négociations entre des parties ayant un pouvoir de négociation équivalent. Ce qui est considéré comme raisonnable entre les parties doit être examiné au regard de la relation qu’elles entretiennent. La place qu’occupe le pouvoir de négociation dans ce contexte s’apparente à celle qu’il occupe dans l’exécution d’autres clauses contractuelles qui soulèvent des préoccupations d’intérêt public, notamment les clauses restrictives et celles d’élection de for (Elsley, p. 923‑924; Douez, par. 51‑57). En l’espèce, Uber ne le conteste d’ailleurs pas, elle disposait d’un pouvoir de négociation largement supérieur à celui de M. Heller. L’entente entre les parties a été conclue par contrat d’adhésion, que M. Heller n’a pas eu la possibilité de négocier.
[135] Enfin, il peut être utile de se demander si les parties ont tenté d’adapter la restriction au mécanisme de règlement des différends. Les conventions d’arbitrage peuvent, par exemple, être adaptées de façon à exclure certaines demandes ou à exiger de la partie disposant du plus grand pouvoir de négociation de payer une plus grande portion des frais initiaux. L’entente conclue entre M. Heller et Uber ne comporte toutefois aucune nuance du genre. Elle couvre tout type de différends qui pourraient survenir entre eux, peu importe le montant réclamé, et elle exige que M. Heller paie tous les frais initiaux s’il souhaite présenter une demande. Les règlements de la CCI qui s’appliquent à la convention d’arbitrage semblent aussi être expressément conçus pour les demandes commerciales d’envergure. Par exemple, ils prévoient une procédure accélérée, qui ne s’applique qu’aux différends d’une valeur inférieure à 2 millions de dollars US (Cour internationale d’arbitrage et Centre international d’ADR, Règlement d’arbitrage, Règlement de médiation (2016), p. 35 et 71 et suiv.). Loin d’être adaptée aux circonstances, la procédure d’arbitrage choisie par Uber tend à confirmer que cette restriction au mécanisme de règlement des différends est disproportionnée.
[136] En somme, la convention d’arbitrage conclue entre Uber et M. Heller est disproportionnée dans le contexte de la relation qui existe entre eux. M. Heller, et uniquement lui, serait exposé à des contraintes excessives s’il tentait de présenter une demande contre Uber, peu importe le bien‑fondé de la demande. Cette forme de restriction au règlement judiciaire des différends mine la primauté du droit et est donc contraire à l’ordre public. De ce fait, je suis d’accord avec la Cour d’appel pour dire que la convention d’arbitrage conclue entre Uber et M. Heller est nulle.
[137] Je réponds à la critique de ma collègue la juge Côté à l’égard de l’approche susmentionnée en disant que ce qui précède constitue une simple application des règles de droit pertinentes telles qu’elles ont été énoncées par la Cour. En acceptant de se soumettre à l’arbitrage, les parties contractantes enlèvent aux tribunaux le pouvoir de régler des différends (Wellman, par. 48; Horton, p. 19; voir aussi Sport Maska, p. 581; Desputeaux, par. 40). En termes clairs, il ne s’agit pas de savoir si la compétence des tribunaux est exclue : elle l’est clairement. Il s’agit plutôt de savoir dans quelles circonstances cette exclusion est acceptable en droit. Or, selon l’avis de la Cour, que je partage et applique ici, cette exclusion est acceptable si le mécanisme écarté est remplacé par un autre ⸺ tel l’arbitrage ⸺ qui offre une mesure comparable de justice (Sport Maska, p. 581). La thèse que je défends est donc modeste et, considérée au regard de la jurisprudence de la Cour, non controversée : les parties contractantes doivent disposer de moyens quelconques de régler leurs différends conformément au droit. Autrement, [traduction] « justice ne peut être rendue » (Scott, p. 1138). Si la primauté du droit est parfaitement compatible avec les conventions d’arbitrage, elle est incompatible avec ce qui constitue en fait une convention de non‑arbitrage ou une convention qui empêche les parties de recourir à quelque forme de règlement des différends que ce soit conforme au droit. C’est la primauté du droit, non la primauté d’Uber.
[138] Voilà le point restreint, mais fondamental, qui nous divise, ma collègue la juge Côté et moi‑même. Je conviens que la Loi sur l’arbitrage consiste en « énoncés fermes de principes en faveur de l’exécution des conventions d’arbitrage » (par. 309). En effet, comme je l’ai expliqué, les parties contractantes sont généralement tenues à leur engagement d’aller en arbitrage, même si celui‑ci requiert le paiement de frais initiaux élevés. Or, la convention que ma collègue cherche à faire respecter est une convention de non‑arbitrage. Aucun des objectifs de la Loi sur l’arbitrage ne nécessite l’exécution à l’aveugle d’une convention dite d’« arbitrage » qui, dans le contexte de la relation qu’entretiennent les parties, a pour effet d’exclure au bout du compte l’accès au règlement juridique des différends. En fait, comme je l’explique plus loin, ma collègue semble le reconnaître en accordant un sursis conditionnel pour obliger Uber à payer les frais initiaux d’arbitrage.
(3) La réparation qu’il convient d’accorder
[139] Ma collègue la juge Côté affirme que, même si la convention en cause ici va à l’encontre de l’ordre public, il convient d’« employer la technique du trait de crayon bleu pour radier [la] sélection [des règlements de la CCI] » (par. 333). Vu cette affirmation, et bien que les parties n’aient pas débattu du test à appliquer, je me penche sur la manière dont la Cour aborde la divisibilité.
[140] La technique du trait de crayon bleu n’est acceptable que si l’on peut extraire la partie illégale de l’entente conclue entre les parties, « en conservant les parties non viciées par l’illégalité, et ce sans que ne soit affecté le sens du reste du document » (Shafron, par. 29, citant Transport North American Express Inc. c. New Solutions Financial Corp., 2004 CSC 7, [2004] 1 R.C.S. 249, par. 57, le juge Bastarache, dissident). Il importe donc de souligner ici que ce que ma collègue la juge Côté entend par des « modalités » distinctes de l’entente entre Uber et M. Heller est en fait rédigé sous la forme d’une seule clause :
[traduction] Droit applicable; arbitrage. Sauf dans la mesure autrement fixée par le présent Contrat, le présent Contrat sera exclusivement régi et interprété conformément au droit des Pays‑Bas, à l’exclusion de ses règles de conflits de lois. [. . .] Tout différend, conflit ou controverse, découlant de quelque manière que ce soit du présent Contrat ou lié ou se rapportant au présent Contrat, y compris en ce qui concerne sa validité, son interprétation ou son application, seront, tout d’abord, impérativement soumis à la procédure de médiation prévue par le Règlement de médiation de la Chambre de commerce internationale (le « Règlement de médiation de la CCI »). Si le différend n’est pas réglé dans les soixante (60) jours qui suivent la présentation d’une demande de médiation en vertu du Règlement de médiation de la CCI, ledit différend sera exclusivement et définitivement tranché par voie d’arbitrage conformément au Règlement d’arbitrage de la Chambre de commerce internationale (le « Règlement d’arbitrage de la CCI »). [. . .] Le différend sera réglé par (1) un arbitre qui sera nommé conformément au Règlement d’arbitrage de la CCI. Le lieu de l’arbitrage sera Amsterdam, aux Pays‑Bas . . .
(2019 ONCA 1, 430 D.L.R. (4th) 410, par. 11)
[141] Comme je l’ai expliqué, la portion illégale de l’entente conclue par les parties est l’effet cumulatif de cette stipulation. Uber et M. Heller se sont entendus pour soumettre tout litige futur à la médiation, dont le coût initial est élevé, après quoi toute réclamation non réglée est renvoyée à l’arbitrage, ce qui nécessite le paiement de frais initiaux additionnels. On peut réduire les frais de règlement des différends en choisissant entre plusieurs solutions ou en les combinant : radier l’engagement d’aller en médiation; supprimer les renvois aux règlements de la CCI; ou radier l’engagement d’aller en arbitrage. La technique du trait de crayon bleu consiste à « retrancher mécaniquement les clauses illégales du contrat » (Transport North American, par. 33 (je souligne)). En l’espèce, aucun élément de la clause d’arbitrage pris isolément n’est illégal et pourrait être rayé d’un trait bleu, comme le suggère ma collègue la juge Côté.
[142] En outre, la théorie de la divisibilité a pour objectif de « donner effet à l’intention qu’avaient les parties au moment de la conclusion du contrat », et toute application de la théorie doit être restreinte (Shafron, par. 32). Comme le fait remarquer à juste titre ma collègue, la convention en cause ici peut fort bien incarner non seulement l’intention d’aller en arbitrage, mais également celle d’interdire à l’une ou l’autre partie de faire valoir des réclamations inférieures à 14 500 $ US (par. 311). Or, interdire pareilles réclamations dans le contexte de cette convention entre ces parties est précisément ce qui rend la clause d’arbitrage illégale. Il est donc impossible de supprimer toute portion illégale de l’entente sans « modifie[r] [. . .] de manière fondamentale la contrepartie en cause dans le marché et [. . .] fai[re] violence à l’intention des parties » (Transport North American, par. 28).
[143] J’ajoute que la réparation qu’octroierait en fin de compte ma collègue la juge Côté ⸺ soit accorder à Uber un sursis conditionnel d’instance ⸺ n’est pas convenable en l’espèce pour deux raisons. Premièrement, il est difficile de conclure de la jurisprudence citée par ma collègue la juge Côté qu’on puisse même obtenir une telle réparation dans le présent contexte. Dans l’arrêt Popack c. Lipszyc, 2009 ONCA 365, la cour a enjoint à un arbitre proposé de fixer un calendrier ou de ne pas s’attribuer compétence, pour qu’un tribunal puisse décider si la convention d’arbitrage était inexécutoire (par. 1 et 3 (CanLII)). Dans l’arrêt Fuller Austin Insulation Inc. c. Wellington Insurance Co. (1995), 135 Sask. R. 254 (B.R.), la cour ne traitait pas d’un sursis au profit d’une procédure d’arbitrage, mais plutôt d’un sursis d’instance judiciaire en attendant l’issue d’une procédure d’arbitrage connexe. Le pouvoir de surseoir à l’instance ne prenait pas sa source dans une loi sur l’arbitrage et la Cour d’appel de la Saskatchewan en a donc parlé à titre [traduction] d’« indulgence extraordinaire » ((1995), 137 Sask. R. 238, par. 5). En outre, dans les décisions Iberfreight S.A. c. Ocean Star Container Line A.G., [1989] A.C.F. no 513 (QL), et Continental Resources Inc. c. East Asiatic Co. (Canada), [1994] A.C.F. no 440 (QL), l’action en justice proposée a été suspendue à la condition que la défenderesse renonce à toute défense fondée sur les délais dans la procédure d’arbitrage connexe (Iberfreight, par. 5; Continental Resources, par. 5). On pourrait se demander s’il y avait lieu de prescrire une telle condition au lieu de laisser à la discrétion de l’arbitre le soin de décider si un moyen de défense s’applique. Cependant, quoi qu’il en soit, et même selon une interprétation large, les conditions prescrites dans Iberfreight et Continental Resources n’ont fait que favoriser la réalisation de l’intention exprimée dans les ententes conclues entre les parties, soit procéder à l’arbitrage en temps utile au lieu de retarder les choses devant les tribunaux.
[144] Cela m’amène à mon deuxième point : soit le fait qu’octroyer un sursis conditionnel revient simplement à invoquer la théorie de la divisibilité fictive sous un autre nom. Il n’y a aucune démarcation nette entre l’illégalité et la légalité dans le cas présent, et la théorie de la divisibilité fictive est donc inapplicable (Shafron, par. 31; motifs de la juge Côté, par. 327 et 334). Ma collègue la juge Côté superposerait effectivement une telle démarcation nette dans l’entente entre les parties en y ajoutant par interprétation l’obligation pour Uber de payer les droits d’arbitrage. Si j’ai bien compris, elle est d’avis que, comme M. Heller a affirmé sous serment qu’il n’a pas les moyens de payer les droits nécessaires pour donner suite à sa réclamation, Uber doit payer ces droits (par. 324). Ce raisonnement mènerait à la conclusion logique qu’Uber devrait payer les droits d’arbitrage pour tout chauffeur dans une situation financière comparable qui souhaite intenter un recours contre elle. Si une telle réclamation peut être dépourvue de tout bien‑fondé, Uber est encouragée à se consoler du fait de la possibilité pour elle de recouvrer ses frais au terme de l’arbitrage (par. 324) ⸺ malgré la condamnation aux dépens d’un chauffeur qui a déjà fait la preuve de son incapacité de payer.
[145] Il va sans dire que ni l’une ni l’autre des parties n’aurait pu souhaiter pareil résultat. Contrairement aux conditions imposées dans les affaires Iberfreight et Continental Resources, celle que prescrirait ma collègue réécrit entièrement l’entente entre les parties dans le but de la rendre exécutoire. La voie à suivre pour concilier ce résultat avec l’insistance mise par ma collègue sur l’autonomie de la partie et la liberté contractuelle est indéfinissable.
[146] Le seul moyen de remédier à l’illégalité que j’ai relevée est de conclure que l’ensemble de la convention d’arbitrage est inexécutoire. Toute autre réparation emporterait une dénaturation considérable de l’intention des parties.
B. La doctrine de l’iniquité
[147] Bien que les motifs qui précèdent soient suffisants pour trancher le pourvoi, je souhaite formuler quelques observations sur le choix de mes collègues les juges Abella et Rowe de s’appuyer sur le principe de l’iniquité. À mon avis, cette doctrine ne convient pas en l’espèce. En outre, leur approche risque d’accroître l’incertitude en matière d’exécution des contrats, un domaine où la prévisibilité est primordiale.
[148] Dans l’arrêt Norberg c. Wynrib, [1992] 2 R.C.S. 226, le juge Sopinka a déclaré que « le principe de l’iniquité et le principe connexe de l’inégalité du pouvoir de négociation évoluent et ne constituent pas encore un domaine du droit des contrats entièrement établi » (p. 309). Plus de 20 ans plus tard, cette incertitude persiste, même au niveau le plus fondamental du raisonnement qui sous‑tend l’existence de la doctrine (C. D. L. Hunt, « Unconscionability Three Ways : Unfairness, Consent and Exploitation » (2020), 96 S.C.L.R. 37); voir aussi M. McInnes, The Canadian Law of Unjust Enrichment and Restitution (2014), p. 517‑519). Plutôt que d’ébranler davantage la doctrine en la compliquant avec ce qui ne sont essentiellement que des préoccupations d’ordre public, il serait préférable, selon moi, de faire évoluer le concept de l’iniquité d’une manière qui mettrait davantage l’accent sur le raisonnement plutôt que sur les résultats, de sorte que la doctrine soit saine sur le plan conceptuel et qu’elle précise les fondements qui la sous‑tendent (R. Bigwood, « Antipodean Reflections on the Canadian Unconscionability Doctrine » (2005), 84 R. du B. can. 171, p. 173).
(1) Confusion dans la terminologie
[149] Au moins une part de l’incertitude entourant la doctrine de l’iniquité peut être attribuée aux divers usages du terme « inique ». L’iniquité, en tant que doctrine indépendante, est [traduction] « un concept particulier, comme la contrainte et l’abus d’influence, qui sert de fondement à l’annulation d’un transfert » (McInnes, p. 520). Cependant, l’iniquité peut aussi renvoyer, dans un sens plus général, à un thème unificateur ou un principe directeur en matière d’équité, ou à un élément constitutif d’un test juridique distinct (p. 519‑520; Bigwood (2005), p. 177; Ryan c. Moore, 2005 CSC 38, [2005] 2 R.C.S. 53, par. 74). Certains commentateurs suggèrent que l’iniquité en tant que concept plus général explique plusieurs règles indépendantes en droit des contrats, notamment celles en matière de confiscation, de pénalités, de clauses d’exclusion, de contrainte et de restriction au commerce (S. M. Waddams, The Law of Contracts (7e éd. 2017), c. 14 et p. 306).
[150] Bien que le terme « inique » puisse convenir dans des circonstances multiples et variées, il importe de percevoir l’iniquité comme un motif autonome justifiant l’annulation d’opérations. Par exemple, même si, d’un point de vue général ou profane, la convention d’arbitrage en cause dans le présent pourvoi pourrait bien être considérée comme « inique », il ne s’ensuit pas qu’elle est inique dans le sens précis prévu par la doctrine de l’iniquité. Comme l’a déclaré la Cour dans l’arrêt Ryan, l’iniquité « a pris un sens particulier en ce qui concerne l’inégalité du pouvoir de négociation », et l’utilisation de ce terme dans d’autres contextes pourrait donc entraîner de la confusion (par. 74). Afin d’éviter une telle confusion, le terme « iniquité » devrait être utilisé pour renvoyer uniquement à la doctrine indépendante du même nom (McInnes, p. 520).
[151] La spécificité est primordiale en l’espèce, puisque ce n’est pas la même justification de principe qui sous-tend chacun des concepts distincts que l’iniquité serait censée expliquer. Les règles relatives à des préoccupations de fond touchant des dispositions contractuelles précises (comme les clauses pénales ou les clauses d’exclusion) sont indépendantes des règles relatives à des préoccupations de forme touchant la formation du contrat, et elles traitent de préoccupations différentes. Comme l’explique le professeur McInnes :
[traduction] L’iniquité de fond donnerait lieu à un redressement dans le cas où le résultat d’une opération serait intolérable. L’iniquité de forme donnerait lieu à un redressement du fait de la manière intolérable par laquelle une opération a été créée. [En italique dans l’original; p. 548.]
[152] Par conséquent, il importe d’apporter des précisions quant au test qui sert de fondement à la conclusion qu’il faille annuler un contrat ou une disposition contractuelle. Tenter de regrouper de multiples motifs pour annuler des contrats ou des modalités contractuelles sous un seul et unique principe ne sert qu’à obscurcir ce test. Pour aller de l’avant d’une manière cohérente et rationnelle, [traduction] « il est impératif, en lien avec la doctrine de l’iniquité, d’éviter de recourir à une intuition non raisonnée » (McInnes, p. 532; voir aussi Bigwood (2005), p. 172‑173 et 192). Les tribunaux doivent s’abstenir d’élaborer des doctrines en matière contractuelle qui incitent à adopter « une forme de moralisme judiciaire ponctuel ou [. . .] une justice “au cas par cas” » (Bhasin c. Hrynew, 2014 CSC 71, [2014] 3 R.C.S. 494, par. 70).
[153] Cependant, selon moi, ce seront précisément une intuition non raisonnée et un moralisme judiciaire ponctuel qui prévaudront, lorsqu’on appliquera l’analyse de mes collègues les juges Abella et Rowe. D’après eux, il incombe aux juges qui appliquent la doctrine de l’iniquité de rendre la justice qu’ils estiment équitable et convenable, ce qui ramène la doctrine à une époque où l’equity se mesurait à l’aune du pied du chancelier (par. 78, citant L. I. Rotman, « The “Fusion” of Law and Equity? : A Canadian Perspective on the Substantive, Jurisdictional, or Non-Fusion of Legal and Equitable Matters » (2016), 2 C.J.C.C.L. 497, p. 535). Comme l’écrit le professeur Bigwood :
[traduction] . . . accepter une approche aussi « permissive », c’est aussi accepter le risque que les personnes assujetties au droit canadien dans ce domaine perdent les vertus mêmes d’orientation, de transparence et de reddition de compte qui accompagnent une précision forcée dans l’application, la justification et l’analyse. Dans la mesure où le test contourne un phénomène aussi naturel de contrôle qu’implique la common law, il risque assurément de dégénérer en décisions judiciaires non fondées sur des principes et improvisées, ce qui pourrait être perçu à bon droit comme l’« ennemi » de la raison, de la discipline et de la primauté du droit. [Note en bas de page omise.]
(Bigwood (2005), p. 198, citant P. Birks, « Annual Miegunyah Lecture : Equity, Conscience, and Unjust Enrichment » (1999), 23 Melbourne U.L. Rev. 1, p. 20‑21.)
(2) L’iniquité en tant que doctrine indépendante
[154] En se concentrant sur la doctrine de l’iniquité, on constate qu’elle ne s’applique pas au présent pourvoi. D’entrée de jeu, je souligne que l’iniquité s’applique à tous les types de contrats, [traduction] « ce qui indique, implicitement, que son application doit être tout à fait exceptionnelle » (S. Waddams, « Abusive or Unconscionable Clauses from a Common Law Perspective » (2010), 49 Rev. can. dr. comm. 378, p. 392). La doctrine de l’iniquité s’applique également en matière d’enrichissement sans cause, car elle constitue [traduction] « un moyen d’écarter un motif d’apparence juridique (p. ex. une intention libérale ou un contrat) » (McInnes, p. 520 (note en bas de page omise); voir aussi p. 534‑536). Des ramifications importantes découlent donc de la façon dont la doctrine de l’iniquité est conceptualisée par la Cour, de sorte que l’appliquer sans d’abord réfléchir mûrement à sa raison d’être peut avoir un coût élevé (Hunt, p. 37‑39).
[155] Un énoncé important relativement à la doctrine de l’iniquité figure dans l’arrêt Morrison c. Coast Finance Ltd. (1965), 55 D.L.R. (2d) 710 (C.A. C.‑B.), dans lequel le juge Davey a fait remarquer, à la p. 713 :
[traduction] . . . la partie qui allègue l’iniquité d’un marché cherche à obtenir un redressement à l’égard d’un avantage injuste découlant du fait qu’une partie a profité sans scrupule de la situation de force dans laquelle elle se trouvait par rapport à l’autre. Il importe alors de prouver l’inégalité entre les parties qui résulte de l’ignorance de la partie plus faible ou de l’indigence ou du désarroi dans lequel elle se trouve, et qui l’a mise à la merci de la partie plus forte, et de prouver le caractère foncièrement inéquitable du marché obtenu par cette dernière. La preuve de ces éléments a pour effet de créer une présomption de fraude que la partie plus forte doit renverser en établissant que le marché passé était juste et raisonnable, ou peut‑être en prouvant qu’aucun avantage n’a été tiré. [Référence omise.]
[156] Cet énoncé du principe par le juge Davey traduit la perception traditionnelle selon laquelle, pour qu’il y ait iniquité, il doit nécessairement y avoir à la fois iniquité de fond (un marché imprudent) et iniquité de forme (une inégalité du pouvoir de négociation découlant d’une faiblesse ou d’une vulnérabilité du demandeur) (Norberg, p. 256; McInnes, p. 524; P. Benson, Justice in Transactions : A Theory of Contract Law (2019), p. 167; J. A. Manwaring, « Unconscinability : Contested Values, Competing Theories and Choice of Rule in Contract Law » (1993), 25 R.D. Ottawa 235, p. 262; Hunt, p. 54). Bien que ces deux éléments soient généralement considérés comme nécessaires, ils ne jouent pas un rôle d’importance égale. La jurisprudence n’étaye guère l’idée selon laquelle l’iniquité survient uniquement, ou même principalement, sur le fondement d’une inégalité de fond (McInnes, p. 549; Hunt, p. 65‑67). Au contraire, il est surtout reconnu que le simple fait qu’un tribunal considère un marché comme imprudent ou déraisonnable ne rend pas l’opération inique (Input Capital Corp. c. Gustafson, 2019 SKCA 78, 438 D.L.R. (4th) 387, par. 72; Downer c. Pitcher, 2017 NLCA 13, 409 D.L.R. (4th) 542, par. 24 et 64; voir aussi McInnes, p. 549‑550).
[157] Bien que la Cour n’ait pas étudié attentivement la doctrine de l’iniquité d’un point de vue doctrinal, les arrêts où elle en parle étayent l’opinion selon laquelle cette doctrine vise à remédier aux vices de forme associés à la formation du contrat — découlant, par exemple, d’un abus du déséquilibre du pouvoir de négociation ou de l’exploitation d’une vulnérabilité de la partie la plus faible (Norberg, p. 256 et 261; Hodgkinson c. Simms, [1994] 3 R.C.S. 377, p. 412; Miglin c. Miglin, 2003 CSC 24, [2003] 1 R.C.S. 303, par. 82, 86 et 93, les juges Bastarache et Arbour, et par. 208, le juge LeBel, dissident; Rick c. Brandsema, 2009 CSC 10, [2009] 1 R.C.S. 295, par. 6 et 58). Dans l’arrêt Dyck c. Manitoba Snowmobile Association, [1985] 1 R.C.S. 589, la Cour a fait remarquer, à la p. 593 :
. . . les rapports entre Dyck et l’Association ne se situent pas [. . .] dans cette catégorie de cas [. . .] où la différence entre le pouvoir de négociation des parties est telle que les tribunaux considéreront que la transaction est déraisonnable et donc qu’elle n’est pas exécutoire lorsque la partie en position de force a injustement abusé de l’autre. L’appelant a librement adhéré à une association et participé aux activités qu’elle organisait. L’Association n’a exercé aucune pression sur l’appelant ni profité injustement de pressions sociales ou économiques exercées sur lui pour l’amener à participer à ses activités.
[158] Le fait que l’iniquité soit principalement une question de forme a aussi été souligné dans les plus récents arrêts où le principe a fait l’objet d’un examen approfondi (Downer, par. 35‑37; Input Capital, par. 29‑37).
[159] Bien qu’il ne soit pas nécessaire de définir la doctrine en l’espèce, je souligne que certains commentateurs ont même soutenu qu’une imprudence de fond dans un marché ne devrait pas, à elle seule, constituer une exigence pour établir l’iniquité, puisque cette dernière n’est qu’une caractéristique d’une opération entachée d’un vice de forme (McInnes, p. 550‑552; Bigwood (2005), p. 176; voir aussi R. Bigwood, « Rescuing the Canadian Unconscionability Doctrine? Reflections on the Court’s “Applicable Principles” in Downer v. Pitcher » (2018), 60 Rev. can. dr. comm. 124). Cette position a été adoptée dans l’arrêt Downer, par. 35 :
[traduction] Rejeter l’existence d’un marché imprudent comme exigence pour l’application de la doctrine de l’iniquité et la présenter plutôt comme un point important à prendre en compte pour décider si une situation d’inégalité existait et si un avantage indu a été tiré de cette situation, permettra d’harmoniser la doctrine avec les anciennes décisions anglaises qui mettaient l’accent sur la vulnérabilité découlant d’un déséquilibre du pouvoir de négociation et sur le fait de tirer avantage de cette vulnérabilité. Voir, par exemple, la décision Chesterfield c. Janssen (1751), 2 Ves. Sen. 125 (Eng. Ch.), dans laquelle le lord Hardwicke a souligné la nécessité d’« éliminer la possibilité de tirer subrepticement avantage de la faiblesse ou des besoins d’une autre personne ».
[160] À mon avis, tout ceci mène inévitablement à la conclusion que la doctrine de l’iniquité porte essentiellement sur des préoccupations de forme entourant la formation du contrat. En ce sens, je partage l’avis de mes collègues (motifs des juges Abella et Rowe, par. 60). Cela m’amène également à conclure, cependant, qu’une grave iniquité procédurale doit être présente pour inciter à appliquer la doctrine de l’iniquité. Bien qu’il soit souvent soutenu que l’élément de forme ne nécessite qu’une [traduction] « inégalité du pouvoir de négociation », cette formulation est « inadéquate, voire trompeuse » (McInnes, p. 524 (italique omis)). Pratiquement tous les contrats impliquent une certaine disparité du pouvoir de négociation. Une simple inégalité — même une inégalité importante — ne suffit donc pas, à elle seule, à justifier l’application de la doctrine de l’iniquité pour annuler l’opération. Il a plutôt été traditionnellement compris que pour conclure à l’iniquité, il faut être en présence d’une vulnérabilité particulière du côté du demandeur. Comme l’a conclu la Cour d’appel de Terre‑Neuve‑et‑Labrador dans l’arrêt Downer, par. 39 :
[traduction] N’importe quel déséquilibre des positions ne suffira pas [. . .] Le déséquilibre doit être tel qu’il risque de nuire sérieusement à la capacité de celui qui cherche à obtenir un redressement de prendre une décision quant à son intérêt supérieur et qu’il offre ainsi à l’autre partie la possibilité de tirer avantage de la situation personnelle du demandeur ou de ses circonstances propres. Voilà pourquoi des termes comme « majeur », « important » ou « particulier » ont été utilisés [. . .] J’irais jusqu’à dire que ce que signifient ces termes est que l’inégalité doit être liée à un désavantage particulier et important qui pourrait nuire à la capacité du demandeur de s’engager, de façon autonome, dans une négociation intéressée.
(Voir aussi McInnes, p. 524‑528; Bigwood (2005), p. 199‑204.)
[161] D’où la jurisprudence citée par mes collègues, qui porte sur des personnes âgées souffrant de déficiences cognitives (Ayres c. Hazelgrove, B.R. Angleterre, 9 février 1984), des capitaines de navire coincés en mer (The Mark Lane (1890), 15 P.D. 135; The Medina (1876), 1 P.D. 272), et des personnes âgées aux compétences limitées en anglais écrit et ne comprenant pas l’opération à laquelle elles ont consenti (Commercial Bank of Australia Ltd. c. Amadio, [1983] HCA 14, 151 C.L.R. 447). Chaque cas de figure requiert un degré de vulnérabilité propre au demandeur.
[162] À l’inverse, le seul vice de forme qui entacherait l’entente conclue entre Uber et M. Heller est la nature même des modalités du contrat d’Uber, telles qu’elles ont été présentées à M. Heller au moyen d’un contrat d’adhésion type. En fait, cet argument revient à dire que n’importe quelle partie qui conclut un contrat avec Uber serait susceptible de plaider l’iniquité parce qu’elle n’a pas été en mesure de négocier les clauses du contrat. Bien que mes collègues reconnaissent d’emblée ce vice comme étant suffisant (par. 87‑91), la Cour n’a jamais reconnu qu’un contrat type dénotait le degré d’inégalité du pouvoir de négociation nécessaire pour déclencher l’application de la doctrine de l’iniquité. Mes collègues ne voient « aucune raison de nous écarter de cette approche de l’iniquité approuvée par [l’arrêt] Douez » (par. 65). En effet, ils ne s’écartent pas des motifs concordants distincts de la juge Abella dans cet arrêt. Mais ils se dissocient de l’approche retenue par les juges majoritaires dans cette affaire. Plus particulièrement, dans l’arrêt Douez, la Cour a refusé d’examiner le principe de l’iniquité dans le contexte d’un contrat d’adhésion en matière de consommation; elle s’est plutôt penchée sur la question sous l’angle de l’ordre public. À cet égard, l’avis des juges majoritaires ⸺ soit que les contrats d’adhésion types ne sont pas intrinsèquement viciés ⸺ concorde avec notre conception libérale de la liberté contractuelle, une valeur qui accorde un grand respect à l’autonomie individuelle. Bien qu’une personne puisse être obligée d’accepter un contrat d’adhésion type sans négociation pour se prévaloir d’un service, ce fait [traduction] « ne nuit pas à la capacité de l’une ou l’autre partie de négocier efficacement du point de vue de l’autonomie juridique, du choix et de la responsabilité » (Bigwood (2005), p. 199‑200). L’arrêt Douez est, bien entendu, un précédent de la Cour.
[163] Il ne fait aucun doute que les enjeux sont élevés en l’espèce. Conclure qu’un contrat type suffit à satisfaire à l’exigence de forme de la doctrine de l’iniquité aurait pour effet d’exposer chaque contrat de ce type à un examen du caractère raisonnable de ses modalités. Cela constituerait une modification radicale et indésirable du droit, surtout compte tenu de la complexité et de l’éventail d’opérations auxquelles s’applique la doctrine de l’iniquité (voir Bigwood (2005), p. 208‑209). L’application inévitable et improvisée d’une expansion aussi incontrôlée de la doctrine de l’iniquité créerait une profonde incertitude au sujet du caractère exécutoire des contrats.
[164] Mes collègues élargissent davantage la portée de la doctrine de l’iniquité en éliminant l’exigence de la connaissance. En règle générale, pour qu’il y ait iniquité, il faut que la partie la plus forte ait, à tout le moins, une connaissance par imputation de la vulnérabilité de la partie la plus faible (voir, p. ex., McInnes, p. 537 et 544‑548; Downer, par. 44‑49; Bigwood (2005), p. 195; Hunt, p. 58‑59). Comme l’écrit le professeur McInnes :
[traduction] Encore plus clairement que dans le cas de la notion d’equity cousine, l’influence indue, l’iniquité suppose un élément d’inconvenance. L’essence de la doctrine consiste en l’exploitation de la vulnérabilité, en « [. . .] l’utilisation sans scrupule par une partie plus forte de son pouvoir au détriment d’une [partie] plus faible ». Et bien qu’il y ait un certain débat quant à la nature précise de l’élément moral, la meilleure approche consiste à ce que la mesure de redressement soit fondée sur la preuve que le défendeur connaissait la faiblesse du demandeur. [En italique dans l’original; p. 537.]
L’arrêt Downer donne une confirmation récente de cette exigence. La Cour d’appel de Terre‑Neuve-et-Labrador y a conclu que la connaissance soit de la vulnérabilité du demandeur soit [traduction] « de circonstances indiquant un désavantage spécial et significatif créé par une relation de négociation inégale ou en découlant » doit être prouvée pour établir le bien‑fondé de la demande (par. 46‑49).
[165] Sans tenir compte de ce point litigieux ou même en reconnaître l’existence, mes collègues affirment que la connaissance n’est pas essentielle (par. 84‑85), et ce, même si une majorité d’auteurs concluent qu’il faut au moins une connaissance imputée. Pour tirer cette conclusion, mes collègues assimilent la connaissance au fait de poser un acte répréhensible (par. 85‑86). Or, il existe une différence entre les deux concepts dans le contexte de l’iniquité (voir, p. ex., McInnes, p. 540; C. Rickett, « Unconscionability and Commercial Law » (2005), 24 U.Q.L.J. 73, p. 78 et 80). Même si, clairement, certains adhèrent à la proposition voulant que l’iniquité puisse être établie sans preuve d’un acte répréhensible — soit une conduite qui suppose d’avoir formé une intention, d’avoir posé un acte réellement frauduleux ou malhonnête, ou d’avoir tiré avantage activement de la situation —, on ne peut en dire autant pour la connaissance (voir Chesterfield (Earl of) c. Janssen (1750), 2 Ves. Sen. 125, 28 E.R. 82, p. 100‑101; Earl of Aylesford c. Morris (1873), L.R. 8 Ch. App. 484, p. 490‑491; Lloyds Bank Ltd. c. Bundy, [1975] 1 Q.B. 326 (C.A.), p. 339‑340; Waters c. Donnelly (1884), 9 O.R. 391 (Ch. Div.), p. 401‑406; Morrison, p. 714; Woods c. Hubley (1995), 146 N.S.R. (2d) 97 (C.A.), par. 28‑33). Même si elle est envisagée comme une doctrine favorable au demandeur, il ne peut y avoir de réclamation à moins que le défendeur n’exploite la vulnérabilité du demandeur (McInnes, p. 540‑543). Ainsi, [traduction] « l’application directe de la [responsabilité stricte] dans le contexte de l’iniquité ne reçoit que très peu d’appuis »; or, c’est ce que prescriraient mes collègues (McInnes, p. 544 (note en bas de page omise)).
[166] L’exigence de la connaissance est clairement bien fondée, du moins lorsqu’elle est appliquée au domaine des contrats, par opposition à celui des dons. Lorsque la relation entre le demandeur et le défendeur est de nature contractuelle, l’intérêt qu’a l’equity de protéger ceux qui sont vulnérables doit être mis en balance avec les intérêts qui font contrepoids que sont la certitude en matière commerciale et la sécurité des transactions (McInnes, p. 541; Rickett, p. 80). L’equity exige donc une explication pour justifier que le défendeur subisse les conséquences de la vulnérabilité du demandeur (McInnes, p. 541, citant P. Birks et C. Mitchell, « Unjust Enrichment » dans P. Birks, dir., English Private Law (2000)). Exiger que le défendeur ait connaissance de la vulnérabilité du demandeur permet aux deux parties de savoir si leur entente est exécutoire, au moment de la conclusion du contrat, et fournit une raison impérieuse de tenir la partie la plus forte responsable.
[167] Le changement radical des règles de droit que suggèrent mes collègues en retirant l’exigence de la connaissance, semble‑t‑il pour répondre aux circonstances de la présente cause, élargit considérablement la portée du principe d’iniquité. Cela n’est ni appuyé par la jurisprudence ni recommandé par les auteurs de doctrine, et ce, avec raison. Non seulement une telle approche est‑elle un moyen de créer davantage d’incertitude relativement à la doctrine de l’iniquité, mais elle n’est pas applicable sur le plan commercial. Les parties contractantes garderont un doute quant à savoir si un état de vulnérabilité inconnu pourrait un jour entraîner l’examen de leur entente sur le fondement de l’« équité ». Cela, pris isolément, devrait faire réfléchir, mais mes collègues ne s’arrêtent pas là. Suivant leur approche, une partie qui conclut des contrats exclusivement avec des individus qui ont obtenu des conseils juridiques indépendants ne pourrait toujours pas être rassurée quant à la finalité de leurs ententes. Selon mes collègues, seuls des conseils juridiques donnés par une personne compétente amélioreraient le déséquilibre du pouvoir de négociation (par. 83). Un possible défendeur ne pourrait donc être rassuré quant à la finalité de l’entente à moins qu’il ne connaisse la teneur des conseils qu’a reçus son vis‑à‑vis.
[168] En outre, il est parfaitement inutile d’ainsi étendre le principe d’iniquité dans le contexte du présent appel. Au fond, la préoccupation qui sous‑tend l’approche de mes collègues est simplement que M. Heller n’a accès à aucune forme de résolution des différends (par. 94‑95). Comme je l’ai expliqué, une règle d’ordre public répond déjà depuis longtemps à cette préoccupation. D’ailleurs, les décisions de la Cour illustrent clairement que lorsque l’exécution d’un contrat soulève une préoccupation quant au fond d’une stipulation en particulier, la doctrine de l’iniquité n’est pas celle qu’il convient d’appliquer pour accorder un redressement. La Cour a adopté des règles précises pour répondre aux considérations d’ordre public donnant à penser que le fond d’un type particulier de dispositions soulève des préoccupations. Par exemple, dans l’arrêt Douez, la Cour a refusé d’appliquer la doctrine de l’iniquité à une clause d’élection de for figurant dans un contrat d’adhésion en matière de consommation. Le déséquilibre du pouvoir de négociation a plutôt été présenté comme une considération pertinente sur le plan de l’intérêt public (par. 47 et 51‑63). Dans ses motifs, la Cour a fourni des directives précises et s’est directement penchée sur le préjudice lié à une clause d’élection de for dans le contexte de la consommation. La Cour a adopté une approche semblable relativement aux clauses restrictives qui entravent la liberté du commerce, en considérant ces dispositions sous l’angle de l’intérêt public (Elsley, p. 923; voir aussi Shafron, par. 15‑23; Benson, p. 203). Dans les deux contextes, le déséquilibre du pouvoir de négociation est un facteur pertinent, mais le degré de vulnérabilité nécessaire pour établir l’iniquité n’est pas requis (Elsley, p. 923‑924; Douez, par. 51‑53). Ainsi, l’analyse repose sur l’ordre public et porte sur la teneur de la disposition en cause.
[169] En appliquant à des stipulations contractuelles de fond des règles précises conçues pour s’appliquer à des types particuliers de clauses, les tribunaux peuvent donner des orientations concrètes pour résoudre le problème pertinent, et ils l’ont fait. La Cour a traité de l’exécution des contrats de manière rationnelle et fondée sur des principes en tentant de [traduction] « vérifier l’existence et les limites exactes » des considérations d’ordre public prépondérantes qui empêchent l’exécution (Fender, p. 22). La nature de l’examen varie, selon les questions d’ordre public soulevées par la clause en cause : des considérations différentes s’appliqueront pour examiner les clauses d’exclusion (Tercon, par. 117‑120, le juge Binnie, dissident (mais pas quant à l’approche analytique à suivre eu égard à l’applicabilité de la clause d’exclusion)), les clauses d’élection du for (Douez, par. 51‑62), les clauses de restriction au commerce (Elsley, p. 923‑924) et les clauses de restriction à l’accès à des modes de résolution des différents prévus par la loi (comme je l’ai expliqué dans les présents motifs). Même si les clauses de ce type peuvent toutes être décrites comme imprudentes dans certaines circonstances, il est fondamental d’expliquer pourquoi il en est ainsi. Appliquer la doctrine de l’iniquité comme le suggèrent mes collègues incite à conclure qu’il y a lieu de rejeter les règles bien établies relatives à l’exécution de clauses spécifiques au profit d’une conception unifiée ponctuelle et non fondée sur des principes de la force obligatoire des contrats. Voilà pourquoi je dis que, même s’il convient d’appliquer la doctrine de l’iniquité pour remédier à des préoccupations de forme qui surviennent durant la formation du contrat, l’application de ses exigences générales pour remédier à ce qui s’avère être, en définitive, des préoccupations d’ordre public ne servira qu’à obscurcir le test applicable pour accorder un redressement, ce qui aura à son tour pour effet de nuire à la certitude en matière commerciale.
[170] En effet, l’approche adoptée par mes collègues incarne cette préoccupation en omettant de donner des orientations concrètes sur la façon de déterminer ce en quoi consiste l’iniquité substantielle — ou une transaction imprudente. Mes collègues soutiennent qu’il y a imprudence chaque fois qu’un marché « avantage indûment la partie la plus forte ou désavantage indûment la plus vulnérable » (par. 74). Selon eux, leur approche est « contextuelle » et elle ne peut être définie avec précision (par. 78). Ils invitent donc les juges à appliquer leur propre compréhension subjective, et même idiosyncrasique, de l’« équité » et de rendre une justice [traduction] « appropriée sur le plan [. . .] situationnel » pour décider si un contrat devrait ou non être exécuté (par. 78, citant Rotman, p. 535). Il est difficile de concevoir une approche judiciaire qui soit plus susceptible de nuire à la certitude en matière commerciale. Les commentaires du professeur Rickett sont pertinents à cet égard :
[traduction] Les juges doivent s’abstenir d’annoncer des principes si abstraits qu’ils sont dénués d’une signification ordinaire claire. Ils devraient encore moins tenter de les appliquer comme principe de droit. Le fait qu’il n’existe pas de sens généralement reconnu de l’iniquité devrait immédiatement nous inciter à ne pas y recourir. Il ne suffit pas de claironner la primauté du droit, pour ensuite appliquer la règle du cœur des hommes. La primauté du droit exige des principes juridiquement applicables. [En italique dans l’original; p. 87.]
[171] De plus, mes collègues sont d’avis que les clauses d’un contrat peuvent être iniques lorsqu’une partie ne les « a pas compris[es] ou apprécié[es] » (par. 77). Cela laisse entendre que l’entente conclue entre Uber et M. Heller aurait pu être redressée si elle avait prévu expressément le paiement des frais de 14 500 $ US pour intenter un recours. Or, comme je l’ai expliqué, même un contrat qui prescrit des conséquences expresses comme conditions préalables au droit d’intenter un recours civil — comme le contrat en cause dans Novamaze — est contraire à l’ordre public si ces conséquences atteignent le niveau d’une contrainte excessive. Il peut être pertinent d’examiner si la partie la plus forte a tenté de masquer la limite du processus de résolution des différends, mais cela ne peut être déterminant. Traiter directement des préoccupations d’ordre public en cause dans le présent appel, plutôt que les voiler en les examinant sous l’angle de l’iniquité, permet de répondre plus adéquatement au problème.
[172] Finalement, la doctrine de l’iniquité n’a jamais été censée être appliquée aux clauses individuelles d’un contrat. Contrairement aux considérations d’ordre public qui visent une clause contractuelle précise, l’examen au fond de l’iniquité doit porter sur l’ensemble du marché — soit sur l’ensemble de l’échange de valeur entre les parties (Benson, p. 176‑182). D’ailleurs, mes collègues semblent convenir qu’un contrat qui paraît injuste peut être expliqué en démontrant que cela a été pris en compte dans la répartition du risque entre les parties (par. 59; Benson, p. 182). Pourtant, aucune partie de leur analyse ne porte sur l’échange général de valeur et sur la répartition du risque entre M. Heller et Uber, d’où la forte possibilité de considérer ce qui paraît constituer une grande « imprudence » uniquement du point de vue de M. Heller. Même si ce dernier n’a pas été en mesure de négocier les clauses du contrat qu’il a conclu avec Uber, il a tiré avantage de son travail de chauffeur pour Uber et du revenu qui en a découlé. Le contrat ne lui a en aucun cas été imposé. En ne tenant pas compte de l’échange de valeur entre les parties, mes collègues créent en définitive une doctrine de l’exécution des contrats qui repose entièrement sur des motifs de justice distributive. Je ne vois aucune raison de faire évoluer le droit dans ce sens et je suis d’accord avec le professeur Benson qui écrit :
[traduction] L’iniquité est le reflet d’une conception de l’équité dans les transactions ou de la justice commutative, non pas de la justice dans les distributions. Elle traite les parties sur un pied d’égalité en reconnaissant et en protégeant en chacune le pouvoir de recevoir de l’autre quelque chose d’égale valeur en échange de ce qu’elle donne. [Note en bas de page omise; p. 190.]
(Voir aussi Waddams (2017), p. 304.)
[173] Plutôt que d’examiner l’ensemble du marché, mes collègues affirment que l’iniquité peut être invoquée à l’égard de dispositions précises d’un contrat plutôt qu’à l’égard du contrat dans son ensemble (par. 96 et n. 8). J’estime toutefois qu’il s’agit là d’une nouvelle proposition. Leur position pourrait peut‑être trouver un certain appui dans l’arrêt Tercon de la Cour, qui exige que les tribunaux se demandent si la « clause [d’exclusion] était inique au moment de la formation du contrat » (par. 122, le juge Binnie, dissident (mais pas sur ce point)). Cependant, rien dans les arrêts Tercon, ou Hunter Engineering Co. c. Syncrude Canada Ltée, [1989] 1 R.C.S. 426 (où la notion d’iniquité dans le contexte des clauses d’exclusion a été abordée pour la première fois) ne laisse présager l’intention d’adopter, en matière d’iniquité, une nouvelle approche qui viserait des dispositions particulières (J. D. McCamus, The Law of Contracts (2e éd. 2012), p. 442). À mon avis, l’utilisation du terme « iniquité » dans l’arrêt Hunter Engineering (et plus tard dans l’arrêt Tercon) s’explique par le fait que ce terme est souvent utilisé plutôt librement pour faire référence à de nombreux concepts différents. Quoi qu’il en soit, le critère établi dans l’arrêt Tercon traduit, en définitive, une approche semblable à celle adoptée dans l’arrêt Douez, que je trouve convaincante : si une clause contractuelle précise est intégrée correctement à une entente valide (compte tenu des principes généraux en matière d’exécution des contrats), en l’absence de considérations d’ordre public impérieuses, cette clause devrait être réputée exécutoire.
[174] En somme, l’approche de mes collègues élargit considérablement la portée de la doctrine de l’iniquité, fournit très peu d’orientation quant à son application, et elle le fait dans le contexte d’un pourvoi qui ne requiert pas un tel changement pour qu’il en soit disposé avec équité.
[175] En l’espèce, il n’est pas allégué que M. Heller se trouvait dans une situation de vulnérabilité qui justifierait normalement une demande fondée sur la doctrine de l’iniquité. Il s’ensuit qu’il n’existe aucun vice de forme justifiant l’application de cette doctrine à l’entente conclue entre Uber et M. Heller. En revanche, il existe une réelle préoccupation de fond : la convention d’arbitrage d’Uber entrave l’accès à la justice, minant ainsi la primauté du droit. Comme je l’ai expliqué, la meilleure façon de répondre à cette préoccupation est de se demander si l’entrave à l’accès à la justice est raisonnable dans les circonstances, ou si elle donne plutôt lieu à des contraintes excessives.
III. Conclusion
[176] La convention d’arbitrage conclue par M. Heller et Uber prive, dans les faits, M. Heller de l’accès à un règlement des différends conforme au droit; par conséquent, elle lui occasionne des contraintes excessives et mine la primauté du droit. La convention d’arbitrage n’est donc pas exécutoire. Je rejetterais le pourvoi avec dépens en faveur de M. Heller devant la Cour et les juridictions d’instances inférieures.
Version française des motifs rendus par
La juge Côté (dissidente) —
I. Introduction
[177] L’une des libertés les plus chères à un peuple libre est celle de s’obliger par accord consensuel : Hofer c. Hofer, [1970] R.C.S. 958, p. 963. Alors que les temps changent et que les modèles conventionnels d’organisation du travail et des affaires évoluent avec eux, les conditions essentielles à la liberté individuelle dans une société libre et ouverte, elles, ne changent pas. L’autonomie des parties et la liberté contractuelle sont les pierres angulaires philosophiques de la législation moderne en matière d’arbitrage. Elles sous‑tendent les choix de politique enchâssés dans la Loi de 1991 sur l’arbitrage, L.O. 1991, c. 17, et la Loi de 2017 sur l’arbitrage commercial international, L.O. 2017, c. 2, ann. 5 (« Loi internationale »), parmi lesquels on retrouve la politique selon laquelle les « parties à une convention d’arbitrage valide devraient respecter l’entente qu’elles ont conclue » : TELUS Communications Inc. c. Wellman, 2019 CSC 19, [2019] 2 R.C.S. 144, par. 52.
[178] Les parties à l’entente contractuelle en litige dans le présent pourvoi se sont engagées à soumettre tout différend qui en découle à l’arbitrage. Mes collègues les juges Abella et Rowe ainsi que le juge Brown avancent des théories opposées mettant en question, à divers degrés, le choix du droit applicable aux ententes contractuelles des parties, le siège désigné de l’arbitrage et le choix des règles de procédure d’une institution d’arbitrage internationale. Mes collègues ne remettent pas en cause la convention des parties de soumettre leurs différends à l’arbitrage, mais ils arrivent à la conclusion que l’engagement des parties de recourir à l’arbitrage est nul. Je ne puis concilier ce résultat avec les concepts d’autonomie des parties, de liberté contractuelle, d’intention du législateur et des réalités commerciales pratiques. Ces considérations importantes, qui devraient être prises en compte, sont ignorées dans les motifs des juges majoritaires.
[179] Comme je l’explique plus loin, la Loi sur l’arbitrage, la Loi internationale, la jurisprudence de la Cour et d’impérieuses considérations d’ordre public exigent de la Cour qu’elle respecte l’engagement des parties à soumettre leurs différends à l’arbitrage. J’accueillerais donc le pourvoi.
II. Contexte
[180] Les appelantes, Uber Technologies Inc., Société Uber Canada, Uber B.V. et Rasier Operations B.V. (collectivement appelées « Uber »), font partie d’un groupe de sociétés ayant des liens forts avec les Pays‑Bas, notamment les sièges sociaux d’Uber B.V. et de Rasier Operations B.V. Le groupe de sociétés exerce des activités mondiales dans ce que l’on appelle l’« économie de partage ».
[181] Uber développe et exploite des applications logicielles (des « applis » ou une « appli ») pour les utilisateurs de téléphone intelligents équipés d’un GPS, qui mettent en contact des chauffeurs avec des passagers qui sont à la recherche d’un transport ainsi qu’avec des clients qui souhaitent se faire livrer des plats de restaurants. Ce dernier secteur d’activité est connu sous le nom d’« UberEATS » et l’appli développée pour celui‑ci est connue sous le nom d’« appli UberEATS ».
[182] Uber accorde une licence à David Heller, l’intimé, pour l’utilisation d’une autre appli, « Driver ». Monsieur Heller livre des plats de restaurants à des clients qui ont commandé des repas au moyen de l’appli UberEATS et il est payé par l’entremise de l’appli Driver. La position qu’il occupe est communément appelée « chauffeur Uber ». Il gagne entre 400 $ CAN et 600 $ CAN par semaine pour 40 à 50 heures de conduite.
[183] Pour devenir chauffeur Uber, M. Heller a dû conclure une entente de services avec Rasier Operations B.V. au moyen de l’appli Driver. Il a périodiquement dû consentir à de nouvelles versions de l’entente de services et d’une entente signée ultérieurement avec la société Uber Portier B.V., laquelle n’est pas une partie au présent pourvoi. Pour accepter l’entente de services, M. Heller devait faire défiler le contrat en entier et cliquer sur deux boutons pour indiquer son acceptation. L’appli Driver ne limite pas le temps que peut prendre le chauffeur Uber pour examiner l’entente de services avant de l’accepter.
[184] Pour les fins du présent pourvoi, les parties ne suggèrent pas qu’il existe des différences de fond importantes entre les diverses ententes de services. Tout au long de mes motifs, j’y réfère collectivement comme l’« entente de services ».
[185] L’entente de services comporte une clause prévoyant que tout différend, conflit ou controverse découlant de l’entente de services sera d’abord soumis à la médiation et, si la médiation échoue, sera définitivement tranché par voie d’arbitrage (« clause d’arbitrage »). La clause d’arbitrage ajoute que le Règlement d’arbitrage, Règlement de médiation de la Chambre de commerce internationale (« CCI ») élaborés par la Cour internationale d’arbitrage (« CIA ») et le Centre international d’ADR, et leurs modifications successives (« Règlements de la CCI »), doivent s’appliquer, et elle désigne Amsterdam, aux Pays‑Bas, comme lieu de l’arbitrage (« clause relative au lieu de l’arbitrage »). L’entente de services comporte également une clause prévoyant que l’entente sera régie et interprétée conformément aux lois des Pays‑Bas (« clause de choix du droit applicable »).
[186] Uber offre gratuitement un mécanisme interne de règlement des différends qui met les chauffeurs Uber en contact avec des représentants du soutien à la clientèle. Les chauffeurs qui exercent leurs activités en Ontario peuvent aussi se rendre dans un centre de soutien local, appelé Greenlight Hub, pour régler leurs différends. Il importe de souligner que M. Heller a déposé plus de 300 plaintes au moyen de la procédure interne d’Uber, dont la plupart ont été réglées en moins de 48 heures.
[187] Le choix des Règlements de la CCI dans une convention de médiation ou d’arbitrage suppose que les procédures soient administrées par les organismes autonomes de règlement des différends de la CCI : la CIA et le Centre international d’ADR. Les Règlements de la CCI prévoient le paiement de droits obligatoires à ces organismes de règlement des différends pour l’administration des procédures de médiation et d’arbitrage, lesquels s’élèvent à 14 500 $ US pour une réclamation de moins de 200 000 $ US (« droits de la CCI »).
[188] Monsieur Heller a institué une procédure de recours collectif projeté d’une valeur de 400 000 000 $ CAN en Ontario, alléguant que les chauffeurs Uber, tel que lui‑même, ont été mal classés par Uber parce qu’ils sont des employés ayant droit aux avantages et protections qu’accorde la Loi de 2000 sur les normes d’emploi, L.O. 2000, c. 41, de l’Ontario (« LNE »).
[189] Uber a déposé une motion pour faire surseoir à l’action de M. Heller en faveur d’un arbitrage en vertu de la clause d’arbitrage et des dispositions de la Loi internationale ou, subsidiairement, de la Loi sur l’arbitrage.
[190] Appliquant la Loi internationale, la Cour supérieure de l’Ontario a sursis à l’action de M. Heller en faveur de l’arbitrage : 2018 ONSC 718, 41 D.L.R. (4th) 343. La Cour d’appel a fait droit à l’appel et annulé le sursis, jugeant que, si les chauffeurs sont des employés, tel qu’il est allégué, alors la clause d’arbitrage a illégalement soustrait les parties par contrat à une norme d’emploi. De plus, la clause d’arbitrage a été jugée inique en common law. L’une ou l’autre conclusion signifie que la clause d’arbitrage est nulle au sens du par. 7(2) de la Loi sur l’arbitrage, si bien que le sursis obligatoire ne s’applique pas.
III. Dispositions législatives
[191] La LNE comporte les dispositions suivantes :
Définitions
1 (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.
. . .
« norme d’emploi » Exigence ou interdiction prévue par la présente loi qui s’applique à un employeur et qui bénéficie à un employé. . .
. . .
Impossibilité de se soustraire à une norme d’emploi
5 (1) Sous réserve du paragraphe (2), aucun employeur ou mandataire d’un employeur ni aucun employé ou mandataire d’un employé ne doit se soustraire contractuellement à une norme d’emploi ni y renoncer. Tout acte de ce genre est nul.
Supériorité du droit accordé par une loi ou par contrat
(2) Si une ou plusieurs dispositions d’un contrat de travail ou d’une autre loi qui traitent directement du même sujet qu’une norme d’emploi accordent à un employé un avantage supérieur à celle‑ci, ces dispositions s’appliquent et la norme d’emploi ne s’applique pas.
Traitement interdit
5.1 (1) L’employeur ne doit pas, dans le cadre de la présente loi, traiter une personne qui est son employé comme si elle n’était pas un employé aux termes de la présente loi.
. . .
Plaintes
96 (1) Quiconque prétend qu’il a été ou qu’il est contrevenu à la présente loi peut déposer une plainte auprès du ministère selon la formule écrite ou électronique qu’approuve le directeur.
. . .
Plainte non autorisée
98 (1) L’employé qui introduit une instance civile à l’égard d’une prétendue omission de verser un salaire ou de se conformer à la partie XIII (Régimes d’avantages sociaux) ne peut pas déposer une plainte à l’égard de la même question ni faire faire une enquête sur une telle plainte.
[192] La Loi sur l’arbitrage comporte les dispositions suivantes :
Intervention limitée du tribunal judiciaire
6 Aucun tribunal judiciaire ne doit intervenir dans les questions régies par la présente loi, sauf dans les cas prévus par celle‑ci et pour les objets suivants :
1. Faciliter la conduite des arbitrages.
2. Veiller à ce que les arbitrages soient effectués conformément aux conventions d’arbitrage.
3. Empêcher que des parties aux conventions d’arbitrage soient traitées autrement que sur un pied d’égalité et avec équité.
4. Exécuter les sentences.
. . .
Sursis
7 (1) Si une partie à une convention d’arbitrage introduit une instance à l’égard d’une question que la convention oblige à soumettre à l’arbitrage, le tribunal judiciaire devant lequel l’instance est introduite doit, sur la motion d’une autre partie à la convention d’arbitrage, surseoir à l’instance.
Exceptions
(2) Cependant, le tribunal judiciaire peut refuser de surseoir à l’instance dans l’un ou l’autre des cas suivants :
1. Une partie a conclu la convention d’arbitrage alors qu’elle était frappée d’incapacité juridique.
2. La convention d’arbitrage est nulle.
3. L’objet du différend ne peut faire l’objet d’un arbitrage aux termes des lois de l’Ontario.
4. La motion a été présentée avec un retard indu.
5. La question est propre à un jugement par défaut ou à un jugement sommaire.
. . .
Possibilité pour le tribunal arbitral de statuer sur sa propre compétence
17 (1) Le tribunal arbitral peut statuer sur sa propre compétence en matière de conduite de l’arbitrage et peut, à cet égard, statuer sur les objections relatives à l’existence ou à la validité de la convention d’arbitrage.
Convention distincte
(2) La convention d’arbitrage qui fait partie d’une autre convention est considérée, aux fins d’une décision sur la compétence, comme une convention distincte pouvant subsister même si la convention principale est déclarée nulle.
. . .
Révision par le tribunal judiciaire
(8) Si le tribunal arbitral statue sur une objection en la traitant comme une question préalable, une partie peut, dans les trente jours de la date où elle a reçu avis de la décision, présenter une requête au tribunal judiciaire pour qu’il rende une décision sur la question.
[193] La Loi internationale comporte les dispositions suivantes :
Application de la Loi type
5 (1) Sous réserve de la présente loi, la Loi type sur l’arbitrage commercial international, que la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international a adoptée le 21 juin 1985 et amendée le 7 juillet 2006, et dont le texte est reproduit à l’annexe 2, a force de loi en Ontario.
. . .
Suspension de l’instance
9 La décision du tribunal de renvoyer les parties à l’arbitrage en application du paragraphe II (3) de la Convention ou de l’article 8 de la Loi type opère suspension de l’instance judiciaire relativement aux questions visées par l’arbitrage.
[194] L’annexe 2 de la Loi internationale met en œuvre la Loi type de la CNUDCI sur l’arbitrage commercial international de la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international, Doc. N.U. A/40/17, ann. 1, 21 juin 1985 (« Loi type de la CNUDCI » et « CNUDCI », respectivement), qui comporte les dispositions suivantes :
Article premier. Champ d’application
(1) La présente loi s’applique à l’arbitrage commercial international; elle ne porte atteinte à aucun accord multilatéral ou bilatéral en vigueur pour le présent État.
. . .
Article 8. Convention d’arbitrage et actions intentées quant au fond devant un tribunal
(1) Le tribunal saisi d’un différend sur une question faisant l’objet d’une convention d’arbitrage renverra les parties à l’arbitrage si l’une d’entre elles le demande au plus tard lorsqu’elle soumet ses premières conclusions quant au fond du différend, à moins qu’il ne constate que ladite convention est caduque, inopérante ou non susceptible d’être exécutée.
. . .
Article 16. Compétence du tribunal arbitral pour statuer sur sa propre compétence
(1) Le tribunal arbitral peut statuer sur sa propre compétence, y compris sur toute exception relative à l’existence ou à la validité de la convention d’arbitrage. À cette fin, une clause compromissoire faisant partie d’un contrat est considérée comme une convention distincte des autres clauses du contrat. La constatation de nullité du contrat par le tribunal arbitral n’entraîne pas de plein droit la nullité de la clause compromissoire. [p. 1, 5 et 8]
[195] La Loi sur les tribunaux judiciaires, L.R.O. 1990, c. C.43, comprend une disposition qui traite du sursis d’instance :
Sursis d’instance
106 Le tribunal peut, de son propre chef ou sur motion présentée par une personne qui est partie ou non au litige, surseoir à une instance aux conditions qu’il estime justes.
[196] La partie du règlement de la CCI qui traite de l’arbitrage (« Règlement d’arbitrage de la CCI ») comporte les dispositions suivantes :
Article 18
Lieu de l’arbitrage
1. La Cour fixe le lieu de l’arbitrage, à moins que les parties ne soient convenues de celui‑ci.
2. Le tribunal arbitral peut, après consultation des parties, tenir des audiences et réunions en tout autre endroit qu’il estime opportun, à moins que les parties n’en soient convenues autrement.
3. Le tribunal arbitral peut délibérer en tout endroit qu’il considère opportun.
. . .
Article 22
Conduite de l’arbitrage
1. Le tribunal arbitral et les parties font tous leurs efforts pour conduire la procédure d’arbitrage avec célérité et efficacité en termes de coût, eu égard à la complexité et à l’enjeu du litige.
. . .
4. Dans tous les cas, le tribunal arbitral conduit la procédure de manière équitable et impartiale et veille à ce que chaque partie ait eu la possibilité d’être suffisamment entendue.
. . .
Article 38
Décision sur les frais de l’arbitrage
. . .
3. À tout moment de la procédure d’arbitrage, le tribunal arbitral peut se prononcer sur des frais autres que ceux fixés par la Cour, et ordonner tout paiement.
4. La sentence finale du tribunal arbitral liquide les frais de l’arbitrage et décide à quelle partie le paiement en incombe ou dans quelle proportion ils sont partagés entre elles.
[197] L’appendice VI du Règlement d’arbitrage de la CCI contient un ensemble de règles procédurales pour le déroulement accéléré de l’arbitrage (« Règles relatives à la procédure accélérée de la CCI »), lesquelles comportent les dispositions suivantes :
Article 3
Procédure
…
4. Le tribunal arbitral peut adopter à sa discrétion les mesures procédurales qu’il juge appropriées. Il peut notamment, après consultation des parties, décider de ne pas autoriser les demandes de production de documents ou limiter le nombre, la longueur et la portée des écritures et des déclarations écrites (tant en ce qui concerne les témoins que les experts).
5. Le tribunal arbitral peut, après consultation des parties, décider de statuer sur le litige seulement sur pièces soumises par les parties, sans tenir d’audience ni entendre de témoins ou d’experts. Lorsqu’une audience est tenue, le tribunal arbitral peut la conduire par visioconférence, par téléphone ou par d’autres moyens de communication similaires. [p. 71‑72]
IV. Questions en litige
[198] La question globale en litige dans le présent pourvoi est de savoir si la motion d’Uber visant à faire surseoir à l’action de M. Heller devrait être accueillie soit en vertu de l’art. 9 de la Loi internationale, soit en vertu du par. 7(1) de la Loi sur l’arbitrage. Cette question soulève un certain nombre de questions connexes :
- Quelle loi sur l’arbitrage régit la motion en sursis d’instance d’Uber?
- La clause d’arbitrage est‑elle caduque (Loi internationale), ou nulle (Loi sur l’arbitrage)?
- Qui, d’un tribunal judiciaire ou d’un tribunal arbitral, devrait statuer en premier lieu sur la validité de la clause d’arbitrage?
- De quelles conditions, le cas échéant, la Cour devrait‑elle assortir le sursis de l’instance?
V. Analyse
A. Aperçu
[199] Je suis d’avis d’accueillir le pourvoi et de faire droit à la motion en sursis d’instance d’Uber, à la condition qu’Uber avance les fonds nécessaires pour engager les procédures d’arbitrage de la CIA.
[200] Je commence mon analyse en examinant les tendances historiques du droit canadien en matière d’arbitrage, lequel a d’abord été caractérisé par une attitude ouvertement hostile des tribunaux judiciaires à l’égard de l’arbitrage. Toutefois, au cours des dernières décennies, le droit canadien de l’arbitrage a connu un revirement spectaculaire, puisque l’arbitrage a été accueilli à bras ouverts et le Canada est devenu un chef de file mondial en matière de jurisprudence arbitrale. Or, je crains qu’en retenant l’approche qu’ils adoptent dans le présent pourvoi, mes collègues risquent de miner le rôle du Canada comme chef de file en droit de l’arbitrage.
[201] J’analyse ensuite les problèmes doctrinaux concrets que pose le présent pourvoi. J’examine la question de savoir quelle loi sur l’arbitrage régit la motion d’Uber en sursis d’instance. Bien que je conclue que la Loi internationale s’applique, mes conclusions finales seraient les mêmes sous le régime de la Loi sur l’arbitrage. J’examine ensuite la question de savoir si la clause d’arbitrage est caduque ou nulle, selon la loi qui est en cause. Une sous‑question principale est de savoir si un tribunal judiciaire ou bien un tribunal arbitral devrait statuer en premier lieu sur ces questions, et la réponse à cette sous‑question dépend elle‑même de la réponse à la question de savoir si les arguments de M. Heller peuvent être qualifiés de questions de droit ou de questions mixtes de droit et de fait n’impliquant qu’un examen superficiel de la preuve documentaire au dossier pour établir les aspects factuels pertinents. Je conclus que les arguments de M. Heller fondés sur la LNE et la doctrine de l’iniquité soulèvent des questions mixtes de droit et de fait qui ne peuvent être tranchées au vu d’un examen superficiel de la preuve documentaire au dossier et devraient donc être tranchées par l’arbitre.
[202] Ces conclusions suffisent pour statuer sur le pourvoi, mais puisque mes collègues vont plus loin et se penchent sur les arguments de M. Heller au fond, je me prononce également sur le bien-fondé de la contestation de M. Heller relative à la validité de la clause d’arbitrage. Je suis d’avis que la preuve testimoniale dont dispose la Cour n’est pas suffisante pour appuyer la conclusion que la clause d’arbitrage est inique. Je conclus aussi que cette clause n’est ni incompatible avec la LNE, ni contraire à l’ordre public, comme l’estime le juge Brown.
[203] Je termine en examinant les réparations possibles dans le cadre d’une motion en sursis d’instance. Les juges majoritaires semblent croire que les tribunaux font face à un choix difficile entre l’application stricte de ce qu’ils perçoivent comme étant une convention d’arbitrage à sens unique et la conclusion que la convention d’arbitrage au complet est nulle. J’estime que la cour saisie d’une motion en sursis d’instance dispose d’au moins deux mesures de réparation pour atténuer toute perception d’injustice : (1) un sursis d’instance conditionnel et (2) le retranchement d’une disposition inexécutoire de la convention d’arbitrage. Ces mesures permettraient aux tribunaux de préserver l’équité procédurale, d’une manière conforme au principe de l’autonomie des parties et à l’intention du législateur.
[204] Je situe maintenant le présent pourvoi dans son contexte historique et jurisprudentiel plus général.
B. Tendances historiques du droit canadien de l’arbitrage : d’une attitude ouvertement hostile à un rôle de chef de file mondial
[205] Jusqu’aux années 1980, les tribunaux canadiens se sont montrés hostiles à l’arbitrage, qu’ils considéraient comme un mécanisme de règlement des différends de second ordre : Seidel c. TELUS Communications Inc., 2011 CSC 15, [2011] 1 R.C.S. 531, par. 89‑96, les juges LeBel et Deschamps (dissidents, mais non sur ce point). L’hostilité des tribunaux canadiens a été héritée de la common law anglaise, selon laquelle les conventions d’arbitrage avaient pour effet d’évincer la compétence des tribunaux et étaient, par conséquent, nulles parce que contraires à l’ordre public : Seidel, par. 89‑90; Wellman, par. 48. Cette hostilité est illustrée par l’arrêt National Gypsum Co. Inc. c. Northern Sales Ltd., [1964] R.C.S. 144, où la Cour a statué qu’une convention prévoyant l’arbitrage d’un différend à New York était inexécutoire parce que contraire à l’ordre public.
[206] Toutefois, au début des années 1980, la Cour a reconnu que l’attitude qui prévalait était mal fondée et a commencé à tracer une nouvelle voie pour la jurisprudence en matière d’arbitrage au Canada. Dans l’arrêt Zodiak International Productions Inc. c. Polish People’s Republic, [1983] 1 R.C.S. 529, la Cour a pris ses distances par rapport à l’approche qu’elle avait adoptée dans National Gypsum et préconisé une attitude plus favorable à l’arbitrage. Dans l’arrêt Sport Maska Inc. c. Zittrer, [1988] 1 R.C.S. 564, la Cour a reconnu à quel point l’hostilité des tribunaux à l’égard de l’arbitrage avait malheureusement freiné l’intérêt de la communauté juridique envers l’arbitrage, ralentissant la croissance de ce mécanisme de résolution des différends. À peu près à la même époque, les législatures ont commencé à intervenir afin de favoriser davantage le recours à l’arbitrage : Wellman, par. 49.
[207] Au fil des ans, les tribunaux, y compris la Cour, ont commencé à prendre en compte le fait que les législatures avaient adopté une position favorable à l’arbitrage. Dans l’arrêt Desputeaux c. Éditions Chouette (1987) inc., 2003 CSC 17, [2003] 1 R.C.S. 178, par. 38 et 40‑41, la Cour a admis que l’arbitrage constitue une forme légitime de règlement des différends, qui est pleinement reconnue et approuvée par le législateur et sa propre jurisprudence. Au paragraphe 2 de l’arrêt Seidel, la Cour a affirmé qu’« [e]n l’absence d’intervention du législateur, les tribunaux donnent généralement effet aux clauses d’un contrat commercial librement conclu dans lequel figure une clause d’arbitrage, et ce, même s’il s’agit d’un contrat d’adhésion ». La Cour a en outre affirmé qu’elle avait reconnu et accueilli favorablement les vertus de l’arbitrage commercial : Seidel, par. 23. Enfin, dans l’arrêt Wellman, la Cour a souscrit à « l’approche moderne selon laquelle l’arbitrage est un processus autonome par lequel les parties conviennent de régler leurs différends en les soumettant à un arbitre et non à un tribunal » : Wellman, par. 56, citant Inforica Inc. c. CGI Information Systems and Management Consultants Inc., 2009 ONCA 642, 97 O.R. (3d) 161, par. 14.
[208] En raison d’encouragements législatifs et judiciaires, le Canada est maintenant un chef de file mondial en droit de l’arbitrage. Les décisions des tribunaux canadiens occupent une place de choix parmi celles d’autres acteurs de premier plan ayant adopté un texte législatif fondé sur la Loi type de la CNUDCI, comme l’Allemagne, l’Australie, Hong Kong et Singapour, dans le UNCITRAL 2012 Digest of Caselaw on the Model Law on International Commercial Arbitration (2012) de la CNUDCI. Le Canada est sur le point de devenir un siège de l’arbitrage de renommée mondiale, où l’on trouve des lois modernes en matière d’arbitrage et une communauté florissante de praticiens, d’auteurs et d’arbitres dévoués : J. Walker, « Canada’s Place in the World of International Arbitration » (2019), 1 Can. J. Comm. Arb. 1.
[209] La position de mes collègues menace de faire reculer le cours de l’histoire et de la jurisprudence canadienne à l’époque où les juges se montraient ouvertement hostiles à l’arbitrage. Ils refusent de respecter la règle du renvoi systématique à l’arbitrage qui a été clairement établie dans l’arrêt Dell Computer Corp. c. Union des consommateurs, 2007 CSC 34, [2007] 2 R.C.S. 801, par. 84‑85. Ils ajoutent plutôt aux motifs d’intervention judiciaire dans le processus arbitral en proposant de nouvelles exceptions à la règle de renvoi systématique. Enfin, ils laissent entendre qu’en dépit de l’intention législative enchâssée dans la Loi sur l’arbitrage et la Loi internationale, le respect des tribunaux envers l’arbitrage dépend de la possibilité d’y recourir dans un cas donné : Wellman, par. 48‑56 et 82; motifs des juges Abella et Rowe, par. 97; motifs du juge Brown, par. 117. Par conséquent, les approches de mes collègues remettent en question l’engagement de la Cour à encourager le recours à l’arbitrage et à adopter l’approche moderne de « non‑intervention » en matière d’arbitrage à laquelle elle a tout récemment souscrit dans l’arrêt Wellman. Le rôle du Canada en tant que chef de file mondial en droit de l’arbitrage peut désormais être mis en doute.
C. Quelle loi sur l’arbitrage régit la motion en sursis d’instance d’Uber?
[210] Monsieur Heller soutient que la Loi sur l’arbitrage s’applique parce que les différends en matière d’emploi sont exclus du champ d’application de la Loi type de la CNUDCI incorporée au droit ontarien dans la Loi internationale.
[211] La Loi internationale s’applique aux arbitrages qui revêtent un caractère « international » et « commercial » : Loi type de la CNUDCI, par. 1(1). Dans le présent pourvoi, l’arbitrage est « international » parce que les parties ont leur résidence ou leur établissement dans des pays différents : Loi type de la CNUDCI, al. 1(3)a) et (4)b). L’applicabilité de la Loi internationale dépend donc de la question de savoir si la relation des parties peut à juste titre être qualifiée de nature « commerciale ». À mon avis, le tribunal doit aborder cette question en analysant la nature de la relation des parties sur la base d’un examen superficiel du dossier, plutôt qu’en se limitant à qualifier la nature du différend sur le seul fondement des actes de procédure.
[212] Une note de bas de page interprétative figurant dans la Loi type de la CNUDCI précise que le terme « commercial » devrait être « interprété au sens large, afin de désigner les questions issues de toute relation de caractère commercial » : n. 2 (je souligne). La note de bas de page dresse aussi une liste non exhaustive de transactions visées, qui comprend les contrats de licence. Cela signifie que l’analyse doit porter sur la nature de la relation créée par la transaction : voir J. K. McEwan et L. B. Herbst, Commercial Arbitration in Canada : A Guide to Domestic and International Arbitrations (feuilles mobiles), p. 1‑36 à 1‑40.
[213] L’essentiel de la jurisprudence canadienne interprétant la portée de la Loi type de la CNUDCI est axé sur la nature de la relation, et non du différend. Par exemple, dans Borowski c. Fiedler (Heinrich) Perforiertechnik GmbH (1994), 158 A.R. 213 (B.R.), le juge Murray a conclu que la Loi type de la CNUDCI ne s’appliquait pas à l’affaire dont il était saisi parce que la preuve établissait que la relation entre les parties en était une de [traduction] « commettant‑préposé » (c.‑à‑d. une relation d’emploi) : par. 30. Dans d’autres affaires, la Loi type de la CNUDCI s’est avérée inapplicable parce que le statut d’employé du demandeur n’était pas contesté, ce qui écartait tout besoin de qualifier la relation : Ross c. Christian & Timbers Inc. (2002), 23 B.L.R. (3d) 297 (C.S.J. Ont.); Patel c. Kanbay International Inc., 2008 ONCA 867, 93 O.R. (3d) 588. À l’inverse, dans United Mexican States c. Metalclad Corp., 2001 BCSC 664, 89 B.C.L.R. (3d) 359, par. 46, le juge Tysoe a conclu que la Loi type de la CNUDCI s’appliquait malgré le fait que le différend n’était pas en soi de nature commerciale parce que la relation entre les parties était commerciale. De même, dans Kaverit Steel and Crane Ltd. c. Kone Corp., 1992 ABCA 7, 120 A.R. 346, par. 26, le juge Kerans a conclu que les différends en matière de responsabilité délictuelle sont visés par la Loi type de la CNUDCI malgré leur nature extracontractuelle [traduction] « tant que la relation qui donne lieu à la responsabilité en est une que l’on peut à juste titre qualifier de “commerciale”».
[214] On affirme que les différends liés au travail ou à l’emploi sont exclus du champ d’application du terme « commercial » : Commission des Nations Unies pour le droit commercial international, Commentaire analytique du projet de texte d’une loi type sur l’arbitrage commercial international : Rapport du Secrétaire général, Doc. N.U. A/CN.9/264, 25 mars 1985. Toutefois, cela ne déplace pas l’objet de l’analyse de la nature de la relation vers la nature du différend qui oppose les parties. Ce principe a plutôt pour effet d’exclure les arbitrages découlant de relations d’emploi et de travail du champ d’application de la Loi type de la CNUDCI. L’analyse demeure axée sur la nature de la relation.
[215] Mes collègues les juges Abella et Rowe adoptent le point de vue contraire et soutiennent que l’analyse porte sur la nature du litige, et non sur la nature de la relation : par. 25. Cependant, l’auteur du savant traité sur lequel se fondent les juges Abella et Rowe à titre de source pour étayer leur point de vue défend en fait une position qui est diamétralement opposée à leur conception de l’applicabilité de la Loi type de la CNUDCI : motifs des juges Abella et Rowe, par. 27. Gary B. Born présente effectivement la proposition selon laquelle les différends en matière de consommation et d’emploi sont exclus de la Loi type de la CNUDCI, mais seulement à titre de solution de rechange à son propre avis. Il réfute ensuite cette proposition en soulignant que la liste des transactions visées n’est pas exhaustive et [traduction] « englobe expressément le “transport de [. . .] de passagers” et les ententes de “consultation”, dont on peut très bien dire qu’elles visent au moins certaines relations avec des consommateurs ou des relations entre employeurs et employés » : International Commercial Arbitration, vol. 1, International Arbitration Agreements (2e éd. 2014), p. 309. Selon Born, « la Loi type comprend dans son champ d’application tant les questions de consommation que de relations de travail, sous réserve de toute interdiction de recours à l’arbitrage établie dans des États en particulier » : p. 309. Son travail n’est donc d’aucun secours pour mes collègues sur ce point. Au contraire, il estime que le mot « commercial » s’applique « sans égard à la nature ou à la forme des réclamations des parties et ne s’attache qu’au caractère de la transaction ou de la conduite sous‑jacente » : p. 308.
[216] Un examen superficiel de la preuve documentaire révèle que la transaction sous‑jacente entre Uber et M. Heller est de nature commerciale. L’entente de services indique expressément qu’elle ne crée pas une relation d’emploi. Il s’agit plutôt d’un accord de licence de logiciel qui, comme je l’ai mentionné précédemment, est un type de transaction qui relève du champ d’application de la Loi type de la CNUDCI.
[217] Monsieur Heller fait cependant valoir qu’il est l’employé d’Uber. Bien que la façon dont les parties qualifient leur relation ne soit pas déterminante dans un différend portant sur la classification erronée d’une relation d’emploi, le tribunal judiciaire saisi d’une motion en sursis d’instance ne doit pas se prononcer sur les questions mixtes de droit et de fait complexes qui requièrent un examen plus que superficiel de la preuve documentaire au dossier : Dell, par. 84‑85. La Cour ne peut conclure que l’entente de service crée une relation d’emploi sans usurper le rôle du tribunal arbitral. Je suis donc d’accord avec le juge des motions, le juge Perell, que [traduction] « tant que l’arbitre n’en aura pas décidé autrement, le tribunal doit prendre les parties à leur parole lorsqu’elles affirment que les ententes de service ne constituent pas des contrats de travail » : par. 49.
[218] Sur la base d’un examen superficiel, je suis convaincue que la relation qu’entretiennent les parties revêt un caractère à la fois commercial et international au sens de la Loi type de la CNUDCI. Par conséquent, je conclus que la Loi internationale régit la motion en sursis d’Uber. Toutefois, comme mes collègues sont d’avis que c’est la Loi sur l’arbitrage qui s’applique, je continuerai de traiter des deux lois lorsque cela est pertinent. Je le répète, mon analyse ci‑dessous ne changerait pas si je devais conclure que la Loi sur l’arbitrage s’applique au lieu de la Loi internationale.
D. La clause d’arbitrage est‑elle caduque (Loi internationale) ou nulle (Loi sur l’arbitrage)?
[219] Monsieur Heller ne conteste pas que le présent différend est visé par la clause d’arbitrage, ce qui signifie que le critère d’octroi d’un sursis tant au titre de la Loi internationale que de la Loi sur l’arbitrage est rempli. Le tribunal saisi d’une motion en sursis et en renvoi à l’arbitrage peut néanmoins rejeter la motion si la convention d’arbitrage est jugée caduque, ou nulle : Loi type de la CNUDCI, par. 8(1); Loi sur l’arbitrage, par. 7(2). Monsieur Heller soutient que la clause d’arbitrage est nulle, ou caduque, parce qu’elle soustrait illégalement les parties à l’application de la LNE et va à l’encontre de la doctrine de l’iniquité. Je reviendrai plus loin sur les arguments de M. Heller après avoir d’abord examiné quelques questions préliminaires qui se posent au sujet de la démarche analytique à suivre à l’égard d’une telle contestation.
(1) La doctrine de la séparabilité des conventions d’arbitrage
[220] Monsieur Heller conteste la validité de la clause d’arbitrage elle‑même, et non celle de l’entente de services tout entière. Il fait reposer son argument sur la thèse voulant que les clauses d’arbitrage incorporées dans les contrats doivent être considérées comme des conventions distinctes : m.i., par. 101. L’argument de M. Heller donne ainsi à la Cour l’occasion de reconnaître et d’affirmer le principe de la séparabilité des conventions d’arbitrage, ce que j’accepte volontiers.
[221] La doctrine de la séparabilité est [traduction] « l’une des pierres angulaires conceptuelles et pratiques » du droit de l’arbitrage qui contribue de façon importante à assurer l’efficacité et l’efficience du processus arbitral : Born, vol. I, p. 350‑351 et 401. Selon cette doctrine, une clause d’arbitrage devrait être analysée comme une convention distincte, accessoire ou collatérale au contrat sous‑jacent : Bremer Vulkan Schiffbau und Maschinenfabrik c. South India Shipping Corporation Ltd., [1981] A.C. 909 (H.L.), p. 980; voir également Heyman c. Darwins, Ltd., [1942] A.C. 356 (H.L.); Prima Paint Corp. c. Flood & Conklin MFG. Co., 388 U.S. 395 (1967), p. 402 et 404; Fiona Trust and Holding Corp. c. Privalov, [2007] UKHL 40, [2007] 4 All E.R. 951. Autrement dit, une clause d’arbitrage doit être considérée comme étant [traduction] « autonome et juridiquement indépendante du contrat principal dans lequel elle figure » : A. J. van den Berg, dir., Yearbook Commercial Arbitration 1999 (1999), vol. XXIVa, p. 176, cité dans Born, vol. I, p. 350.
[222] La doctrine de la séparabilité est un prolongement logique de la règle créée par la Cour dans l’arrêt Dell, selon laquelle la contestation de la compétence d’un tribunal arbitral doit d’abord être examinée par ce dernier, car les tribunaux arbitraux ont compétence pour statuer sur leur propre juridiction : par. 84‑85. Je donnerai à cette conclusion le nom de « règle du renvoi systématique ». Les mêmes dispositions statutaires qui font en sorte que le tribunal arbitral ait compétence pour établir sa propre juridiction font également en sorte que le tribunal arbitral ait compétence pour juger de la nullité du contrat sous‑jacent en prévoyant que la convention d’arbitrage devrait être considérée comme une convention distincte pour les besoins de cette décision : Loi sur l’arbitrage, par. 17(1) et (2); Loi type de la CNUDCI, par. 16(1). Étant donné que le législateur a jugé bon d’attribuer au tribunal arbitral la compétence pour trancher ces questions, le choix législatif exprimé au par. 17(2) mérite le même respect que celui exprimé au par. 17(1). Le lien qui unit le principe de compétence‑compétence et la séparabilité est mis en évidence par leur fusion au par. 16(1) de la Loi type de la CNUDCI.
[223] Les tribunaux nationaux du monde entier reconnaissent quasi uniformément la doctrine de la séparabilité, même là où aucune loi ne la prévoit : Born, vol. I, p. 361 et 390; R. Feehily, « Separability in international commercial arbitration; confluence, conflict and the appropriate limitations in the development and application of the doctrine » (2018), 34 Arb. Intl. 355, p. 356‑357. En outre, quelques cours supérieures et cours d’appel canadiennes ont déjà reconnu la doctrine : voir, p. ex., Krutov c. Vancouver Hockey Club Ltd., 1991 CanLII 2077 (C.S. C.‑B.); NetSys Technology Group AB c. Open Text Corp., 1 B.L.R. (3d) 307 (C.S.J. Ont.), par. 21; Cecrop Co. c. Kinetic Sciences Inc., 2001 BCSC 532, 16 B.L.R. (3d) 15, par. 25; James c. Thow, 2005 BCSC 809, 5 B.L.R. (4th) 315; Haas c. Gunasekaram, 2016 ONCA 744, 62 B.L.R. (5th) 1.
[224] La Loi sur l’arbitrage et la Loi type de la CNUDCI codifient un aspect de la doctrine, soit la préservation de la juridiction du tribunal arbitral de statuer sur la validité du contrat sous‑jacent sur la base du fait que la convention d’arbitrage doit être considérée comme un contrat séparé et indépendant à ces fins. Or, la doctrine de la séparabilité a une portée plus large. De façon plus générale, la doctrine veut qu’une convention d’arbitrage soit annulée uniquement en raison d’une lacune qui a trait précisément à la convention d’arbitrage elle‑même et non simplement en raison d’une lacune relative au contrat sous‑jacent dans lequel elle se trouve : Fiona Trust, par. 32‑35, lord Hope; Feehily, p. 373; Born, vol. I, p. 351, 457 et 466‑469. En effet, la doctrine de la séparabilité [traduction] « immunise la clause d’arbitrage, la mettant à l’abri des défauts ou des vices » contenus dans le contrat sous‑jacent : Feehily, p. 371 et 373. Il peut néanmoins y avoir des cas où les circonstances mettant en question la validité du contrat sous‑jacent mettent également en question la validité de la convention d’arbitrage : Fiona Trust, par. 17, lord Hoffman.
[225] La reconnaissance de la doctrine de la séparabilité a plusieurs conséquences en l’espèce. Aux fins de la contestation par M. Heller de la validité de la clause d’arbitrage, l’engagement de recourir à l’arbitrage doit être considéré comme une convention indépendante, qui est séparée de l’entente de services. Par conséquent, bien que la clause de choix du droit applicable et la clause d’arbitrage figurent ensemble dans l’entente de services, la clause de choix du droit applicable s’applique à l’entente de services tout entière et doit être analysée séparément de la clause d’arbitrage. Les autres conséquences sont examinées ci‑après.
(2) Les règles de droit qui régissent la validité quant au fond de la clause d’arbitrage
[226] La clause de choix du droit applicable désigne le droit néerlandais comme droit régissant l’entente de services. Toutefois, à cause du principe de la séparabilité, la validité de la convention d’arbitrage peut être régie par un droit substantif différent de celui régissant la validité du contrat sous‑jacent dans lequel figure la clause d’arbitrage : Born, vol. I, p. 475‑476 et 835; McEwan et Herbst, p. 8‑1 à 8‑6.
[227] Cette distinction est toutefois peu significative en l’espèce pour deux raisons. Premièrement, la clause d’arbitrage est vraisemblablement régie par le droit néerlandais, car le droit applicable au contrat sous‑jacent et celui applicable au siège de l’arbitrage sont généralement considérés comme des facteurs persuasifs lorsqu’il s’agit de déterminer le droit régissant la convention d’arbitrage : N. Blackaby et autres, Redfern and Hunter on International Arbitration (6e éd. 2015), p. 158; BNA c. BNB, [2019] SGCA 84, par. 44‑48 (CommonLII). Le droit applicable à la clause d’arbitrage est donc vraisemblablement le droit néerlandais en raison de la clause de choix du droit applicable et de la clause relative au lieu de l’arbitrage — bien que je ne formule aucune conclusion définitive sur ce point à ce stade‑ci. Deuxièmement, les parties n’ont pas fait la preuve du droit néerlandais. En l’absence de preuve quant au droit étranger, le tribunal peut appliquer la loi du for : Tolofson c. Jensen, [1994] 3 R.C.S. 1022, p. 1053. Par conséquent, pour les besoins du présent pourvoi, la Cour peut appliquer le droit ontarien afin de déterminer la validité au fond de la clause d’arbitrage.
[228] Je tiens à souligner, cependant, que le tribunal saisi d’une contestation de la validité d’une convention d’arbitrage, même en vertu de la législation interne en matière d’arbitrage, ne saurait présumer que la loi du for régit toujours la validité au fond de la convention d’arbitrage. Le tribunal ne saurait présumer non plus que le droit applicable à la convention d’arbitrage est le même que celui du contrat sous‑jacent.
(3) La règle du renvoi systématique à l’arbitrage
[229] L’argumentation de M. Heller à l’encontre de la motion d’Uber soulève la même question que celle dont a été saisie la Cour dans Dell : quel organisme devrait se prononcer en premier lieu, le tribunal judiciaire ou le tribunal arbitral? Étant donné que la Loi internationale met en œuvre la Loi type de la CNUDCI, la règle du renvoi systématique établie dans Dell s’applique clairement aux motions présentées sous le régime de cette loi. Cette règle du renvoi systématique de l’arrêt Dell s’applique également à la Loi sur l’arbitrage, laquelle est fondée en grande partie sur la Loi uniforme sur l’arbitrage, 1991 (en ligne), rédigée par la Conférence pour l’harmonisation des lois au Canada (« CHLC »). Il en est ainsi parce que, malgré de légères modifications se rapportant aux arbitrages nationaux, [traduction] « l’organisation et les principes de la Loi uniforme sur l’arbitrage sont de toute évidence ceux de la Loi type » : Loi uniforme sur l’arbitrage, p. 2‑3. Plus précisément, la Loi sur l’arbitrage dispose que le tribunal arbitral est habilité à statuer sur sa propre juridiction, ce qui comprend le pouvoir de se prononcer sur des contestations visant la validité de la convention d’arbitrage : Loi sur l’arbitrage, par. 17(1). Par conséquent, l’arrêt Dell s’applique quelle que soit la loi sur l’arbitrage qui régit la motion en sursis d’instance d’Uber.
[230] Dans l’arrêt Dell, la Cour a interprété une disposition statutaire québécoise mettant en œuvre la Loi type de la CNUDCI dans le contexte du Code civil du Québec. La Cour a établi une « règle générale que, lorsqu’il existe une clause d’arbitrage, toute contestation de la compétence de l’arbitre doit d’abord être tranchée par ce dernier » : Dell, par. 84. Le tribunal ne peut déroger à la règle du renvoi systématique à l’arbitrage que dans le cas où la contestation repose uniquement sur une question de droit ou une question mixte de droit et de fait qui ne requiert qu’un examen « superficiel » de la preuve documentaire : Dell, par. 84‑85. Le tribunal doit également être convaincu que la contestation de la compétence « n’est pas une tactique dilatoire et ne préjudiciera pas indûment le déroulement de l’arbitrage » : par. 86.
[231] Contrairement à l’avis qu’expriment les juges Abella et Rowe au par. 36, la Cour s’est déjà clairement prononcée sur le sens du terme « examen superficiel ». Un examen n’est pas superficiel si le tribunal doit analyser la preuve testimoniale : Dell, par. 88. Autrement dit, « la décision du tribunal quant à la compétence arbitrale ne doit pas mettre en cause les faits donnant lieu à l’application de la clause d’arbitrage » : par. 84. Tout au long de ses motifs dans l’arrêt Dell, la juge Deschamps distingue avec soin les types de preuve qu’un tribunal peut examiner lorsqu’il est saisi d’une demande de renvoi à l’arbitrage. Elle affirme que, quand une contestation de la validité de la convention d’arbitrage oblige le tribunal à examiner une « preuve factuelle », le tribunal doit normalement renvoyer l’affaire à l’arbitrage : par. 85. L’exception dont elle parle relativement aux questions mixtes de droit et de fait ne s’applique qu’aux questions de fait n’exigeant qu’un « examen superficiel de la preuve documentaire au dossier » : par. 85. La juge Deschamps explique ensuite que l’une des questions soulevées par le pourvoi nécessitait davantage qu’un examen superficiel du dossier parce qu’elle requérait une étude de la « preuve documentaire et testimoniale » au dossier : par. 88. La preuve testimoniale n’est donc pas considérée comme étant susceptible de faire l’objet d’un examen superficiel, et l’examen de cette preuve devrait revenir au tribunal arbitral. Pour reprendre le langage du test prima facie que la Cour a voulu incorporer à l’analyse effectuée dans l’arrêt Dell, la « nullité » d’une convention d’arbitrage est « manifeste » si, eu égard au contrat dans lequel elle se trouve, la question de la validité de la convention d’arbitrage est une question qui peut être principalement tranchée sans que l’on ait recours à d’autres éléments de preuve : voir Dell, par. 75‑77 et 83.
[232] Dans sa jurisprudence où elle applique la règle du renvoi systématique, la Cour est demeurée fidèle à cette limitation du type de preuve qui peut être examinée dans le cadre d’une motion en sursis d’instance. Dans l’arrêt Rogers Sans‑fil inc. c. Muroff, 2007 CSC 35, [2007] 2 R.C.S. 921, le docteur Muroff a contesté la validité de la clause d’arbitrage figurant dans son contrat de téléphone cellulaire avec Rogers Sans‑fil au motif qu’elle était abusive. La Cour a estimé que trancher la contestation exigerait davantage qu’un examen superficiel de la preuve documentaire. La détermination du caractère abusif de la convention d’arbitrage aurait exigé de la Cour qu’elle aille au‑delà de la preuve documentaire, car « une clause d’arbitrage ne saurait être abusive uniquement parce qu’elle se trouve dans un contrat de consommation » : par. 15; voir aussi le par. 25, le juge LeBel (opinion concordante). Par conséquent, la Cour a refusé d’entendre la contestation du docteur Muroff, car celle‑ci dépendait d’une preuve testimoniale. Par la suite, dans l’arrêt Seidel, la Cour a entendu une contestation visant la validité d’une convention d’arbitrage alors qu’un examen superficiel de la preuve documentaire au dossier était en soi suffisant pour établir l’applicabilité de la loi sur laquelle s’est appuyée la Cour pour conclure à la nullité de la clause d’arbitrage : par. 13 et 30. La Cour a donc appliqué constamment la norme de l’examen superficiel depuis son énoncé initial dans l’arrêt Dell, et ce jusqu’au présent pourvoi.
[233] La nouvelle norme d’examen superficiel qu’introduisent mes collègues les juges Abella et Rowe permet de produire et d’étudier une preuve testimoniale abondante. L’examen superficiel comportera désormais un examen approfondi du dossier en vue de décider s’il est possible de tirer des conclusions de fait sur le fondement d’une preuve testimoniale apparemment non contestée, et pourrait même entraîner des contre-interrogatoires. Il s’agit là d’un écart marqué par rapport aux principes clairs posés dans l’arrêt Dell qui ont été suivis dans Rogers et Seidel, et je ne peux par conséquent l’accepter.
[234] Il s’agit d’un point important car le présent pourvoi devrait porter sur la règle du renvoi systématique. Il faut plus qu’un examen superficiel de la preuve documentaire en l’espèce, parce que les arguments de M. Heller, de même que ceux de mes collègues les juges Abella et Rowe et ceux de mon collègue le juge Brown, s’appuient sur la preuve testimoniale concernant la situation financière de M. Heller, ses caractéristiques personnelles, les circonstances entourant la formation du contrat ainsi que la valeur qui serait vraisemblablement en litige dans le cadre d’un différend auquel la clause d’arbitrage s’applique.
[235] En outre, mes collègues évitent l’application de la règle du renvoi systématique en créant de nouvelles exceptions à l’arrêt Dell qui leur permettent d’examiner la preuve testimoniale au dossier. Or, même si cette preuve pouvait à bon droit être considérée dans le cadre d’une décision sur une motion en sursis d’instance, elle est déficiente à maints égards importants. Par exemple, il n’y a pas de preuve permettant d’établir que M. Heller se trouvait dans un état de nécessité ou souffrait d’une incapacité lorsqu’il a conclu l’entente. Il a disposé d’un délai illimité pour examiner l’entente avant de l’accepter. Le témoignage de M. Heller donne à penser qu’il est en mesure de comprendre l’importance de la clause d’arbitrage : d.a., vol. II, p. 134. Comme l’a démontré l’avocate d’Uber en contre‑interrogatoire, M. Heller est assez perspicace pour saisir rapidement les conséquences d’une modification de la structure de paiement de frais d’Uber et exprimer ses préoccupations par l’entremise des médias : d.a., vol. III, p. 145‑146. Il a également fait preuve d’une grande sophistication en déposant plus de 300 plaintes au moyen de la procédure interne de règlement des différends d’Uber : d.a., vol. III, p. 129. Le dossier ne permet tout simplement pas à la Cour de conclure avec certitude que Heller était vulnérable tout au long du processus de conclusion du contrat
[236] De plus, mes collègues affirment que M. Heller ne peut recourir à la clause d’arbitrage malgré l’absence d’éléments de preuve au sujet de la disponibilité comparative de financement par un tiers pour un arbitrage ou pour un litige. La Cour ne dispose pas non plus d’indications quant à savoir quelle fraction de la somme de 400 000 000 $ CAN réclamée dans les actes de procédure de M. Heller représente sa réclamation individuelle contre Uber. Il n’y a pas non plus d’éléments de preuve concernant les coûts comparatifs liés à l’exercice d’un recours collectif — quoique je constate que les dépens adjugés par la Cour d’appel (20 000 $ CAN) étaient plus élevés que les droits exigés par la CCI (environ 19 000 $ CAN) et que les parties n’en sont même pas encore à l’étape de la certification du recours collectif : motifs de la Cour d’appel, par. 75. Je suis d’avis que toute cette preuve est nécessaire, parce qu’il me semble fort peu probable que les coûts liés à la poursuite de cette réclamation devant les tribunaux judiciaires, à titre individuel ou par voie de recours collectif, soient nettement moindres que les droits de la CCI. En effet, un tel recours pourrait s’avérer encore plus coûteux. Ce n’est donc pas la valeur absolue en dollars des droits imposés par la CCI qui est en jeu. J’estime que les arguments de mes collègues relatifs à l’accessibilité reposent implicitement sur une hypothèse inexprimée au sujet de la possibilité comparative d’intenter un recours collectif vu l’existence d’une industrie spécialisée du financement de litige par un tiers et les structures d’honoraires d’avocats pour la poursuite de tels recours. De telles hypothèses devraient cependant être fondées sur la preuve. Vu l’état actuel du dossier, la Cour ne peut affirmer, sur la foi de la preuve testimoniale, que la clause d’arbitrage ne rende le règlement des différends moins accessible qu’une action en justice.
[237] À mon avis, la peine que se donnent mes collègues pour éviter l’application de la règle du renvoi systématique à l’arbitrage témoigne de la même hostilité historique à l’égard de l’arbitrage que celle que le législateur et la Cour se sont efforcés de dissiper. Les parties en l’espèce ont tout simplement convenu de régler leurs différends en ayant recours à l’arbitrage; la Cour ne devrait pas hésiter à donner effet à cette entente. La facilité avec laquelle les juges majoritaires font abstraction de la clause d’arbitrage sur la base du plus mince des dossiers factuels me fait craindre que les principes de l’iniquité et de l’ordre public ne soient amenés à se transformer en moralisme judiciaire ponctuel ou en « justice au cas par cas », qui sèmera l’incertitude et ouvrira la porte à des litiges sans fin portant sur le caractère exécutoire des conventions d’arbitrage. C’est ce que la Loi sur l’arbitrage et la Loi type de la CNUDCI visaient à éviter.
(4) Exceptions proposées à la règle du renvoi systématique
[238] Je me penche maintenant sur les exceptions à la règle du renvoi systématique proposées par la Cour d’appel, les juges Abella et Rowe ainsi que le juge Brown. Je limite mes commentaires sur l’approche du juge Brown à sa prétention selon laquelle l’art. 96 de la Loi constitutionnelle de 1867 requiert une telle exception.
(a) Renvoi systématique et contestations visant la validité de la convention d’arbitrage
[239] La Cour d’appel semble avoir conclu que l’application de la règle du renvoi systématique est limitée aux contestations relatives à la portée d’une convention d’arbitrage et ne vise donc pas les contestations de la validité de la convention d’arbitrage : motifs de la Cour d’appel, par. 39‑40. Je ne suis pas d’accord.
[240] La règle du renvoi systématique découle du pouvoir du tribunal arbitral de statuer sur sa propre juridiction. Le libellé de l’art. 16(1) de la Loi type de la CNUDCI et celui du par. 17(1) de la Loi sur l’arbitrage indiquent tous deux que le tribunal arbitral a compétence pour statuer sur les objections relatives à « l’existence ou à la validité de la convention d’arbitrage ». Dans les arrêts Seidel et Rogers Sans‑fil, la Cour a appliqué la règle du renvoi systématique aux contestations visant la validité des conventions d’arbitrage en cause. Rien dans le libellé de l’une ou l’autre de ces lois ne permet donc d’exclure la règle du renvoi systématique de la contestation de la validité d’une clause d’arbitrage, et il existe par ailleurs des précédents de la Cour à l’effet contraire.
(b) Renvoi systématique et accessibilité
[241] Les juges Abella et Rowe proposent de créer une exception à la règle du renvoi systématique qui s’appliquerait lorsqu’une convention d’arbitrage est jugée « trop coûteuse ou inaccessible pour une autre raison » : par. 38‑46. Avec grands égards, je suis d’avis que la Cour ne devrait pas créer une telle exception à la règle du renvoi systématique. Je ne suis pas non plus d’accord pour dire que, si une telle exception était créée, il y aurait lieu de l’appliquer sur la base du dossier dont dispose la Cour.
[242] D’abord et avant tout, la règle du renvoi systématique est le produit d’une interprétation de la Loi type de la CNUDCI. Par conséquent, toute exception à la règle doit aussi être le fruit de l’interprétation législative. Mes collègues les juges Abella et Rowe ne prétendent pas cependant justifier leur exception en fonction du texte, de l’économie, du contexte, de l’objet et des objectifs de l’une ou l’autre loi comme l’exige la jurisprudence de la Cour : Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, par. 21, citant E. Driedger, Construction of Statutes (2e éd. 1983), p. 87. L’exception qu’ils proposent s’appuie plutôt sur des considérations de principe relatives à l’accès à la justice : par. 38‑39. Même si je conviens de l’importance de ces préoccupations, je suis respectueusement d’avis qu’elles ne peuvent servir à faire dire à la Loi sur l’arbitrage quelque chose qu’elle ne dit pas : voir Wellman, par. 79. En outre, puisque les juges Abella et Rowe proposent leur exception en tant que modification du cadre établi dans l’arrêt Dell lui‑même, l’exception doit aussi être justifiée sur la base d’une interprétation de la Loi type de la CNUDCI, ce qui a été fait dans Dell.
[243] En deuxième lieu, les juges dissidents dans l’arrêt Dell ont proposé une approche souple concernant le renvoi qui aurait permis aux tribunaux de conserver un certain pouvoir discrétionnaire d’instruire au complet une contestation relative à la validité d’une convention d’arbitrage : par. 178, les juges Bastarache et LeBel (dissidents). Les juges majoritaires ont choisi de ne pas retenir cette approche discrétionnaire, lui préférant plutôt la règle du renvoi systématique à l’arbitrage « lorsqu’il existe une clause d’arbitrage » : par. 84. L’exception de mes collègues les juges Abella et Rowe transformerait la règle du renvoi systématique en une règle de renvoi ponctuel, dont l’application dépend des circonstances propres à une affaire donnée. Cette exclusion situationnelle d’une partie de la règle du renvoi systématique ajoute aux motifs d’intervention des tribunaux dans le processus arbitral, ce qui a pour effet pervers d’inciter des parties à intenter des poursuites « parasitaires » comme mesure dilatoire : voir J. Paulsson, The Idea of Arbitration (2013), p. 58‑60. Il sera loisible aux tribunaux de continuer éternellement à trouver des enjeux qui constituent des « circonstances imprévues » que n’avait pas envisagées l’arrêt Dell, créant ainsi de l’incertitude et donnant lieu à des litiges sans fin sur la rigueur de l’examen qui doit porter sur une motion en sursis d’instance. L’incitation à la judiciarisation est plus susceptible d’entraver l’accès à la justice que de le favoriser, car elle prolonge la durée et fait augmenter le coût du règlement des différends.
[244] En troisième lieu, les juges Abella et Rowe affirment que les tribunaux sont bien placés pour atténuer le risque d’arguments fallacieux avancés à l’encontre de la validité d’une convention d’arbitrage grâce aux dépens et au cautionnement pour dépens : par. 42. Cependant, dans l’arrêt Dell, la Cour a envisagé le risque que des arguments fallacieux soient utilisés à titre de mesure dilatoire et a décidé que l’analyse d’une motion en sursis d’instance devrait se limiter à un examen superficiel de la preuve documentaire en vue de déjouer de telles tactiques : par. 84. Si l’adjudication des dépens était un moyen de dissuasion efficace contre ces mesures dilatoires, il ne serait aucunement nécessaire de restreindre l’analyse à un examen superficiel de la preuve documentaire au dossier. De plus, la recherche d’un cautionnement pour dépens nécessiterait l’insertion d’une motion dans la motion, ce qui rendrait le processus encore plus complexe et entraînerait la possibilité de nouveaux délais.
[245] En quatrième lieu, les juges Abella et Rowe font remarquer « incidemment » que leur approche empêche la rédaction de conventions d’arbitrage qui « exploite[nt] » ce qu’ils voient comme une « faille importante » de l’arrêt Dell : par. 49‑50. La faille exploitable dont s’inquiètent mes collègues découle de l’application ordinaire de la règle du renvoi systématique à une convention d’arbitrage régie par une clause de choix du droit étranger applicable. Cet argument participe d’une critique de l’arrêt Dell lui‑même. Qui plus est, la critique ne repose pas sur l’intention législative. Rien dans la Loi sur l’arbitrage ou la Loi type de la CNUDCI ne permet de faire la distinction entre les conventions d’arbitrage qui comportent une clause de choix du droit étranger applicable et celles qui n’en ont pas.
[246] Enfin, les juges Abella et Rowe disent que leur exception s’applique lorsque les droits à payer pour intenter une procédure arbitrale sont « importants » par rapport à la réclamation du demandeur : par. 39. Or, ils n’expliquent pas à quoi se chiffrent des coûts « importants » et le dossier soumis à la Cour ne contient aucune indication quant à la taille de la réclamation de M. Heller. Ils disent également craindre que M. Heller ne soit pas raisonnablement en mesure de se rendre au lieu de l’arbitrage. Toutefois, comme je l’explique en détail plus loin, le choix d’un siège étranger d’arbitrage ne devrait pas être assimilé au choix du lieu de la procédure d’arbitrage. En fait, Uber a accepté en l’espèce que la procédure se déroule en Ontario. Bien que l’on puisse faire abstraction de la concession d’Uber lorsqu’il s’agit d’établir la validité du contrat, il n’y a aucune raison d’ignorer cette concession selon l’exception circonstancielle créée par les juges Abella et Rowe à la règle du renvoi systématique. Il n’y a donc aucune raison de conclure que les droits de la CCI sont importants par rapport à la réclamation de M. Heller, vu que la valeur de la réclamation est inconnue, et rien ne permet de conclure qu’il ne peut se rendre au lieu de l’arbitrage, étant donné qu’Uber a accepté de tenir la procédure dans le ressort de M. Heller.
[247] Pour ces motifs, je n’accepte pas qu’il y a lieu de créer ou d’appliquer une exception en l’espèce. Bien entendu, si la Constitution requérait une telle exception, il me faudrait alors réexaminer la question. C’est sur cette question que je me penche maintenant.
(c) Renvoi systématique et pouvoir constitutionnel du gouverneur général de nommer les juges des cours supérieures
[248] Mon collègue le juge Brown fait allusion à une « dimension constitutionnelle » qui, soutient‑il, requiert une exception à la règle du renvoi systématique lorsque l’arbitrage est inaccessible eu égard à la relation entre les parties : par. 120 et 125. Je limite mes commentaires ici à la question de savoir si la Constitution requiert pareille exception, car j’examine dans une section subséquente les arguments supplémentaires du juge Brown relatifs à l’ordre public. Bien que je reconnaisse que l’accès à la justice et la primauté du droit sont des considérations importantes, avec égards, je ne crois pas qu’à défaut d’une exception, la règle du renvoi systématique enfreindrait, ou ferait même intervenir, l’art. 96 de la Loi constitutionnelle de 1867.
[249] L’article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867 investit le gouverneur général du pouvoir de nommer les juges des cours supérieures. D’après la Cour, cette disposition restreint le pouvoir des législatures provinciales et du Parlement d’adopter des lois qui abolissent les cours supérieures ou leur enlèvent une partie de leur compétence fondamentale ou inhérente : Trial Lawyers Association of British Columbia c. Colombie‑Britannique (Procureur général), 2014 CSC 59, [2014] 3 R.C.S. 31, par. 30. À mon avis, une loi qui facilite l’exécution de conventions visant à soumettre des différends à l’arbitrage n’abolit pas les cours supérieures, ni ne leur enlève quelque partie que ce soit de leur compétence fondamentale ou inhérente.
[250] À titre préliminaire, il importe de comprendre que l’arbitrage n’est pas un autre nom donné à la judiciarisation : W. G. Horton, « A Brief History of Arbitration » (2017), 47 Adv. Q. 12, p. 12. Il s’agit plutôt d’un substitut à la capacité des parties de négocier ou d’arriver à une entente par voie de médiation et il ne repose pas sur un transfert ou une négation du pouvoir des cours de justice : Alberta Law Reform Institute, rapport final no 103, Arbitration Act : Stay and Appeal (2013), par. 24. Les tribunaux conservent une fonction de surveillance tout au long du processus arbitral et par la suite : Loi sur l’arbitrage, art. 6, 8, 10, 15, par. 17(8) et art. 45 à 48. La législation en matière d’arbitrage ainsi que les doctrines à l’appui comme la règle du renvoi systématique ne doivent pas être conceptualisées comme limitées au pouvoir de contrôle des tribunaux. Il faut plutôt les voir comme un renforcement positif du principe de l’autonomie des parties en ce qu’elles obligent les parties à une convention d’arbitrage à s’y conformer.
[251] Quand on considère les choses sous cet angle, c’est l’autonomie des parties, et non un acte législatif, qui contraint les parties à une convention d’arbitrage à s’abstenir de s’adresser aux tribunaux et à utiliser le mode de règlement des différends sur lequel elles se sont entendues : voir Wellman, par. 51‑52. La législation ne fait que fournir aux parties à une convention d’arbitrage le mécanisme d’exécution de leur entente. L’article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867 et le principe non écrit de la primauté du droit n’entrent pas en jeu, car l’art. 96 [traduction] « n’a jamais été interprété (et ne peut l’être) comme interdisant à deux ou plusieurs citoyens de nommer une autre personne leur “juge privé” pour régler leur différend » : Quintette Coal Ltd. c. Nippon Steel Corp. (1988), 29 B.C.L.R. (2d) 233 (C.S.). De plus, [traduction] « [c]omme des lois aux effets semblables sont en place depuis près de 300 ans sans avoir été attaquées parce qu’elles seraient scandaleuses au plan constitutionnel, je crois qu’il est trop tard pour le faire » : Stancroft Trust Ltd. c. Can-Asia Capital Co. (1990), 67 D.L.R. (4th) 131 (C.A. C.‑B.), p. 136. Donc, aucune question constitutionnelle ne se pose. À mon avis, la possibilité que les modalités convenues d’une convention d’arbitrage donnée se prêtent mal à un litige hypothétique de faible valeur qui n’a rien à voir avec le présent pourvoi n’élève pas la question de droit privé à une question de droit constitutionnel.
[252] Une autre considération pertinente et importante est le type de réparation qu’accordent les tribunaux pour faire exécuter des sentences arbitrales. Le tribunal sursoit à l’instance introduite en contravention d’une convention d’arbitrage — il ne rejette pas l’action : Loi sur l’arbitrage, art. 7. Cela a d’importantes répercussions concrètes, car un sursis peut être levé. Qui plus est, le tribunal saisi d’une motion en sursis peut accorder un sursis conditionnel et indiquer de quelle manière les parties devraient procéder à l’arbitrage : voir, p. ex., Popack c. Lipszyc, 2009 ONCA 365; Iberfreight S.A. c. Ocean Star Container Line A.G., [1989] A.C.F. no 513 (QL); Continental Resources Inc. c. East Asiatic Co. (Canada), [1994] A.C.F. no 440 (C.F.) (QL); voir aussi Fuller Austin Insulation Inc. c. Wellington Insurance Co. (1995), 135 Sask. R. 254 (B.R.), mod. par (1995), 137 Sask. R. 238 (C.A.). Il est donc faux de concevoir une motion en sursis couronnée de succès comme signifiant la fin de la réclamation du demandeur.
[253] Il serait également faux de qualifier les tribunaux d’arbitrage privés de tribunaux statutaires, lesquels sont susceptibles de « surveillance » judiciaire par application de l’art. 96 de la Loi constitutionnelle de 1867 : Highwood Congregation of Jehovah’s Witnesses (Judicial Committee) c. Wall, 2018 CSC 26, [2018] 1 R.C.S. 750, par. 13, citant Knox c. Conservative Party of Canada, 2007 ABCA 295, 422 A.R. 29, par. 14. Le tribunal statutaire est un [traduction] « organisme constitué et investi de fonctions par une loi pour que les parties soient tenues d’y avoir recours » : R. c. National Joint Council for the Craft of Dental Technicians (Dispute Committee), [1953] 1 Q.B. 704, p. 706, cité dans Roberval Express Ltée c. Union des chauffeurs de camion, hommes d’entrepôts et autres ouvriers, local 106, [1982] 2 R.C.S. 888, p. 893‑894. À l’opposé, l’arbitrage [traduction] « est essentiellement une création contractuelle, un contrat par lequel les parties chargent elles‑mêmes un tribunal privé de résoudre leurs différends » : Astoria Medical Group c. Health Insurance Plan of Greater New York, 182 N.E.2d 85 (N.Y. 1962), p. 87, cité dans Wellman, par. 52. Ainsi, ce qui distingue le tribunal statutaire du tribunal arbitral privé est l’autonomie accrue que peuvent exercer les parties dans le contexte de l’arbitrage privé. Voilà pourquoi la jurisprudence de la Cour distingue le tribunal statutaire du « tribunal purement consensuel qui ne doit son existence qu’à la seule volonté des parties » : Roberval Express, p. 900; voir aussi Sattva Capital Corp. c. Creston Moly Corp., 2014 CSC 53, [2014] 2 R.C.S. 633, par. 104.
[254] J’ajouterais que, même si l’on considérait que l’art. 96 entre en jeu, le droit constitutionnel de s’adresser aux tribunaux n’est pas absolu : Colombie‑Britannique (Procureur général) c. Christie, 2007 CSC 21, [2007] 1 R.C.S. 873, par. 17. Le législateur a le pouvoir d’imposer des conditions relativement à quand et comment les gens ont accès aux tribunaux. Toute entrave à l’accès aux tribunaux qui découle de la Loi sur l’arbitrage ou de la Loi internationale existe simplement parce que les parties à une convention d’arbitrage doivent respecter leur convention. Le paiement des frais d’audience en cause dans Trial Lawyers Association constituait une condition obligatoire de l’accès des justiciables aux cours supérieures, laquelle a eu pour effet de retirer à une partie de la population la faculté de poursuivre une action devant les cours supérieures : par. 35. Dans la même veine, la remarque de la Cour d’appel de l’Alberta suivant laquelle [traduction] « [d]es conditions préalables insurmontables constituent un obstacle total à l’accès aux tribunaux » visait des ordonnances judiciaires qui interdisent aux plaideurs quérulents d’introduire une instance devant les tribunaux s’ils ne satisfont pas à certaines conditions préalables : Jonsson c. Lymer, 2020 ABCA 167, par. 67 (CanLII). À l’opposé, la Loi sur l’arbitrage et la Loi internationale ne refusent l’accès (dans la mesure où elles le font) qu’à [traduction] « ceux et celles qui ont convenu de renoncer à leur droit constitutionnel d’accès aux tribunaux » : Stancroft, par. 21. Puisque le législateur a compétence pour imposer certaines conditions à l’accès, ces humbles conditions doivent être autorisées.
[255] Pour ces motifs, je conclus que la règle du renvoi systématique s’applique telle quelle à la motion d’Uber en sursis d’instance. La règle générale veut que l’on renvoie les parties à l’arbitrage sauf s’il est possible de qualifier la contestation par M. Heller de la validité de la clause d’arbitrage de question pure de droit ou de question mixte de droit et de fait n’exigeant qu’un examen superficiel de la preuve documentaire. Si les arguments à l’encontre de la validité de la clause d’arbitrage commandent davantage qu’un examen superficiel de la preuve documentaire, cela suffira pour trancher le pourvoi. Or, comme les parties ont présenté des observations sur le bien-fondé de la contestation de M. Heller quant à la validité de la clause d’arbitrage, je me prononce également sur le bien‑fondé de ces arguments.
(5) Pour déterminer la validité de la clause d’arbitrage, faut‑il effectuer davantage qu’un examen superficiel de la preuve documentaire?
[256] Trois arguments principaux ont été présentés à l’encontre de la validité de la clause d’arbitrage. M. Heller plaide la nullité de la clause d’arbitrage car celle‑ci est à la fois inique et contraire à la LNE. Le juge Brown avance un argument distinct selon lequel la clause d’arbitrage est nulle parce que contraire à l’ordre public. J’aborde ces arguments ci‑après à tour de rôle.
(a) La doctrine d’iniquité
[257] Malgré la savante analyse que font les juges Abella et Rowe des assises théoriques de la doctrine d’iniquité, je ne peux malheureusement pas souscrire à leur énoncé de la doctrine. Tout particulièrement, je crains que le seuil retenu par mes collègues pour conclure à une inégalité du pouvoir de négociation soit fixé si bas qu’il devienne pratiquement vide de sens dans le cas des contrats types. Mes collègues mentionnent que la vulnérabilité dans la formation du contrat résulte de « conditions alambiquées ou difficiles à comprendre » dans l’entente : par. 71. Mes collègues signalent aussi qu’une situation dans laquelle un contrat type pourrait entraver la capacité d’une partie de défendre ses intérêts est celle où le contrat contient des clauses « difficiles à lire ou à comprendre » : par. 89. Je trouve cette norme plutôt vague et illusoire. Je crains qu’elle se prête aux abus d’une partie à un contrat type qui décide de jouir des avantages de l’entente lorsque cela lui convient, mais qui choisit néanmoins de s’appuyer sur cette norme opaque quand elle est appelée à acquitter une obligation qui n’est pas dans son intérêt. Comme le fait remarquer le juge Brown, un critère moins rigoureux d’inégalité de pouvoir de négociation risque d’exposer les conditions de tout contrat type à un contrôle de leur caractère raisonnable sur le fond : par. 163. Il s’agirait d’un changement inopportun car il ébranlerait l’ordre privé et la certitude commerciale, des considérations importantes en droit des contrats : voir Bhasin c. Hrynew, 2014 CSC 71, [2014] 3 R.C.S. 494, par. 66.
[258] Je suis donc d’accord avec la description juste que donne le juge Brown de la doctrine d’iniquité en droit général des contrats. Toutefois, une convention d’arbitrage fait intervenir des considérations uniques qui commandent une méthode d’analyse différente de celle qu’il emploie : par. 172. Plus particulièrement, les arguments de M. Heller relatifs à l’iniquité visent précisément la clause d’arbitrage, qui devrait être considérée comme un contrat séparé et autonome pour ces fins.
[259] J’analyse maintenant les arguments de M. Heller et ceux des juges Abella et Rowe, à la lumière des composantes de la doctrine d’iniquité identifiées par le juge Brown, que je comprends comme étant les suivantes : (1) une inégalité importante du pouvoir de négociation qui découle d’une faiblesse ou d’une vulnérabilité; (2) un marché imprudent qui en résulte; et (3) la connaissance par la partie la plus forte de la vulnérabilité de la partie la plus faible : motifs du juge Brown, par. 156, 159 et 164‑166. J’ajoute cependant que je parviendrais aux mêmes conclusions en appliquant le critère énoncé par les juges Abella et Rowe.
(i) Inégalité importante du pouvoir de négociation
[260] La question clé qui se pose à cette étape est de savoir si la partie la plus faible [traduction] « souffrait d’une vulnérabilité susceptible de nuire sensiblement à sa capacité, par une prise de décision autonome et rationnelle, de défendre ses propres intérêts », ce qui sape ainsi le fondement de la liberté contractuelle : Downer c. Pitcher, 2017 NLCA 13, 409 D.L.R. (4th) 542, par. 37. Les [traduction] « caractéristiques ou attributs personnels de la partie la plus faible sont une considération fondamentale » à cet égard : Input Capital Corp. c. Gustafson, 2019 SKCA 78, 438 D.LR. (4th) 387, par. 39.
[261] La vulnérabilité que s’attribue M. Heller tient à son éducation de niveau secondaire et à son accès relativement faible à des ressources financières : m.i., par. 121‑122. La Cour aurait à étudier la preuve testimoniale afin d’établir ces faits, ce qui signifie que la règle du renvoi systématique entre en jeu et qu’il faut renvoyer les parties à l’arbitrage. Cette conclusion suffit pour disposer de l’argument de M. Heller fondé sur l’iniquité, mais je tiens à traiter de la question de savoir si la preuve testimoniale est suffisante pour appuyer une conclusion d’iniquité sur le fond.
[262] Même si le critère de l’examen superficiel ne s’appliquait pas, la preuve testimoniale dont dispose la Cour est contradictoire sur la question de savoir si M. Heller pouvait comprendre et saisir l’importance de la clause d’arbitrage. La preuve soumise par M. Heller établit qu’il est capable de comprendre l’importance de la clause d’arbitrage, mais qu’il a tout simplement refusé de la lire au moment où il a accepté les conditions : d.a., vol. II, p. 134. M. Heller était libre de consulter l’entente de services aussi longtemps qu’il le désirait avant de communiquer son acceptation : d.a., vol. II, p. 16. Comme l’a démontré l’avocate d’Uber en contre‑interrogatoire, M. Heller a fait preuve d’une grande sophistication en déposant plus de 300 plaintes au moyen de la procédure interne de règlement des différends chez Uber et en communiquant avec les médias peu après une modification de la structure du paiement des frais d’Uber : d.a., vol. III, p. 129 et 145‑146. Rien dans le dossier ne porte à croire qu’on a pressé M. Heller d’accepter les conditions de l’entente de services, et il n’existe aucune preuve au sujet des raisons pour lesquelles il a décidé de devenir un chauffeur Uber. Rien ne permet donc de conclure que sa capacité de prendre des décisions lui‑même dans son propre intérêt a été compromise ou que les postulats habituels du droit à propos de la libre négociation ne tiennent plus la route. Puisque ces questions appellent des conclusions de fait sur des éléments de preuve contradictoires, il n’est pas possible de résoudre cette question sur la foi du dossier soumis à la Cour.
[263] Les juges Abella et Rowe concluent à l’inégalité du pouvoir de négociation en l’espèce parce que l’entente de services où figure la clause d’arbitrage était un contrat type et qu’elle n’était pas accompagnée de renseignements qui expliquent les frais de la médiation et de la procédure arbitrale gérées par les organismes de règlement des différends de la CCI : par. 93. Bien entendu, les circonstances susmentionnées ne seraient pas suffisantes pour conclure à une inégalité du pouvoir de négociation suivant l’approche formulée par le juge Brown, à laquelle je souscris : par. 162. J’apprécie néanmoins les motifs de mes collègues les juges Abella et Rowe pour ce qu’ils ne disent pas. Ils ne font pas valoir qu’une convention d’arbitrage contenue dans un contrat type est inique en soi. Le poids de la jurisprudence de la Cour rejetterait pareille conclusion :
. . . rien dans la Loi sur l’arbitrage ne donne à penser que les conventions d’arbitrage types, qui se caractérisent par une absence de négociation véritable, sont en soi inexécutoires. En effet, l’arrêt Seidel de la Cour — de même que ses prédécesseurs Dell, Rogers et Desputeaux — confirme que la présomption initiale est l’inverse.
(Wellman, par. 84)
[264] À première vue, la thèse de mes collègues, selon laquelle il n’est pas clair pour le lecteur du texte de la clause d’arbitrage que le choix des Règlements de la CCI signifie qu’engager le processus arbitral s’accompagnera du paiement de 14 500 $ US (environ 19 000 $ CAN) en droits, a un certain poids. Après mûre réflexion, cependant, j’estime que les individus doivent être réputés savoir que toute forme de règlement des différends, y compris une action en justice, a un prix. Une personne ne saurait lire une clause d’arbitrage et présumer raisonnablement que le processus sera gratuit. Il n’a pas été démontré que les droits imposés par la CCI sont en décalage avec le coût d’une action en justice, ou de l’arbitrage régi par un ensemble différent de règles, dans le cas d’une réclamation dont la valeur est équivalente à celle, inconnue, de la réclamation de M. Heller. J’ai donc de la difficulté à accepter l’hypothèse des juges Abella et Rowe que M. Heller n’aurait eu aucune raison de soupçonner qu’il fallait payer des droits de cette ampleur. Avec égards, mes collègues soutiennent en fait que les individus n’ont aucune raison de se douter que le règlement des différends a un prix. Aborder la question comme le font les juges Abella et Rowe infantilise les individus en les percevant tous comme étant dénués d’autonomie et incapables de prendre des décisions rationnelles. Le dossier contient une preuve abondante indiquant que M. Heller n’est pas ce genre de personne.
[265] De plus, bien que les juges Abella et Rowe n’affirment pas en termes exprès qu’un contrat type contenant une clause d’arbitrage est inique, l’on se demande comment un rédacteur de contrat pourrait anticiper les frais cumulatifs engendrés par chaque scénario possible d’arbitrage, vu le vaste éventail de différends auxquels peut donner lieu une convention d’arbitrage. L’arbitrage est une forme privée de règlement des différends où, en général, les parties doivent payer, à tout le moins, le temps et les dépenses du tribunal, ainsi que l’emplacement et d’autres éléments. Les juges Abella et Rowe soutiennent implicitement qu’Uber n’aurait pas dû choisir les Règlements de la CCI, car les droits qu’elle impose leur semblent injustes. Il est difficile de voir comment le rédacteur d’un contrat pourrait anticiper le montant des droits d’un arbitrage non institutionnel qui se déroule de façon ponctuelle soit en application de la Loi sur l’arbitrage, soit en application de la Loi internationale. Par conséquent, il est difficile de voir comment l’on pourrait rédiger une clause d’arbitrage dans un contrat type qui respecterait les exigences de l’approche des juges Abella et Rowe quant à la doctrine d’iniquité.
[266] Malheureusement, je crains que leur approche se traduise par une restriction considérable des clauses d’arbitrage dans les contrats types, même s’ils ne souhaitaient pas cette conséquence. La Cour a déjà affirmé que la décision de restreindre ou non les clauses d’arbitrage dans les contrats types appartient au législateur : Seidel, par. 2; Wellman, par. 46 et 79‑80. Avec égards, la manière dont les juges Abella et Rowe abordent la doctrine d’iniquité n’est donc pas conforme au rôle que doivent jouer les tribunaux en matière de création du droit. Dans notre démocratie, c’est au législateur et non aux tribunaux qu’incombe la responsabilité principale de réformer le droit : R. c. Salituro, [1991] 3 R.C.S. 654, p. 666‑670. Il vaut mieux laisser au législateur le soin d’apporter des changements majeurs au droit parce que l’on doit envisager une réforme en ayant une perception plus générale de la façon dont la nouvelle règle s’appliquera à la grande majorité des cas : p. 666‑668. Une cour de justice peut ne pas être en mesure de saisir les questions économiques, sociales et autres questions de principe en jeu : p. 668.
[267] Ces préoccupations sont exacerbées par le contexte économique du présent pourvoi, qui fait intervenir les contrats de sociétés exerçant leurs activités dans ce que l’on a appelé l’« économie de partage » : m.i. (Institut économique de Montréal), par. 6. Les entreprises au modèle d’affaires semblable à celui d’Uber et les individus dans la situation de M. Heller font partie d’un secteur essentiel et en croissance de l’économie canadienne qui pourrait être étouffé si l’on adoptait le seuil réduit d’inégalité du pouvoir de négociation établi par la majorité. L’économie de partage dépend des contrats types conclus électroniquement entre les entreprises et les personnes qui se servent de ses plates‑formes : m.i. (Institut économique de Montréal), par. 12. Les individus dans la situation de M. Heller risquent de perdre des occasions de tirer un revenu dans l’économie de partage si des sociétés comme Uber ne peuvent obtenir la certitude dans leurs contrats, une condition essentielle à l’exercice d’activités commerciales mondiales. La Cour n’est tout simplement pas en mesure de connaître le contrecoup potentiel de l’approche des juges Abella et Rowe.
[268] Il n’appartient pas aux tribunaux d’adopter des politiques que la législature a refusé ou omis d’adopter. Le ministre du Travail, de la Formation et du Développement des compétences de l’Ontario a récemment entrepris une analyse exhaustive de la LNE afin de répondre au caractère évolutif du travail, y compris l’économie de partage : L’examen portant sur l’évolution des milieux de travail : Un programme pour les droits en milieu de travail — Rapport final (2017). Cette révision a donné lieu à des modifications à la LNE adoptées dans la Loi de 2017 pour l’équité et de meilleurs emplois, L.O. 2017, c. 22. Si la législature se souciait des conventions d’arbitrage que l’on retrouve dans les contrats numériques types de l’économie de partage, elle aurait facilement pu modifier la LNE pour restreindre les clauses de cette nature, comme elle l’a fait dans la législation en matière de protection du consommateur : Loi de 2002 sur la protection du consommateur, L.O. 2002, c. 30, ann. A, art. 7 et 8. Peu importe que l’omission de la législature soit attribuable à un oubli ou à un choix de principe délibéré, la décision de restreindre ou non les contrats types qui contiennent des clauses d’arbitrage appartient à la législature, et non aux tribunaux.
[269] En dernière analyse, la question de savoir si M. Heller souffrait d’une vulnérabilité particulière qui compromettait sa capacité de prendre des décisions rationnelles en toute autonomie est une question mixte de droit et de fait qui nécessite davantage qu’un examen superficiel de la preuve documentaire. En conséquence, la règle du renvoi systématique s’applique et il y a lieu de renvoyer les parties à l’arbitrage. Je vais néanmoins me pencher sur les autres éléments de l’iniquité ci‑dessous.
(ii) Marché imprudent
[270] Monsieur Heller s’attaque à la clause d’arbitrage sur la base de trois propositions : (1) la clause relative au lieu de l’arbitrage l’oblige à se rendre à ses frais à Amsterdam; (2) la clause de choix du droit applicable exclut l’application de la LNE; et (3) la sélection des Règlements de la CCI suppose le paiement à l’avance de droits démesurément élevés pour intenter un recours. Je traiterai de chaque affirmation à tour de rôle, non parce qu’elles se traduisent de façon cumulative par un marché profondément injuste, mais parce que les deux premières propositions ne me paraissent pas convaincantes; il ne reste donc que la troisième.
1. Clause relative au lieu de l’arbitrage
[271] Monsieur Heller assimile la clause relative au lieu de l’arbitrage qui figure dans la clause d’arbitrage à une clause d’élection de for l’obligeant à se rendre à Amsterdam pour faire valoir sa réclamation. Avec égards, il est faux d’assimiler la désignation d’un siège étranger dans une convention d’arbitrage à une clause d’élection de for.
[272] Une grande distinction a trait au fait que le pouvoir discrétionnaire de ne pas appliquer des clauses d’élection de for tire son origine de la common law : voir Z.I. Pompey Industrie c. ECU‑Line N.V., 2003 CSC 27, [2003] 1 R.C.S. 450. En revanche, le pouvoir des tribunaux de refuser d’exécuter une convention d’arbitrage est circonscrit par la liste exhaustive que l’on trouve au par. 7(2) de la Loi sur l’arbitrage. La désignation d’un lieu étranger d’arbitrage ne fait pas partie des motifs énumérés de refus de prononcer un sursis d’instance.
[273] Une autre distinction tient au fait que les « clauses d’élection de for visent à écarter la juridiction d’un tribunal, par ailleurs régulièrement saisi, au profit de celle d’un tribunal étranger » : Douez c. Facebook, Inc., 2017 CSC 33, [2017] 1 R.C.S. 751, par. 1. Si elles sont appliquées, ces clauses exigent des plaideurs qu’ils intentent une action devant l’instance étrangère, ce qui pourrait en effet les obliger à se déplacer au ressort étranger. À l’inverse, le lieu (ou le « siège ») de l’arbitrage est un concept juridique qui témoigne de la sélection par les parties d’un ressort en particulier [traduction] « dont le droit de l’arbitrage régit l’instance et en vertu duquel la sentence arbitrale est rendue » : Born, vol. I, p. 206; Born, vol. II, International Arbitral Procedures and Proceedings, p. 1596. La désignation d’un ressort étranger comme lieu de l’arbitrage s’apparente donc à une clause de choix du droit applicable pour ce qui est des aspects procéduraux du processus arbitral.
[274] Le lieu de l’arbitrage [traduction] « ne saurait [toutefois] être confondu avec celui où se tiennent les audiences arbitrales » : Alberta Motor Association Insurance Co. c. Aspen Insurance UK Limited, 2018 ABQB 207, 17 C.P.C. (8th) 81, par. 147. Il n’existe aucune obligation de procéder physiquement à l’arbitrage au lieu de l’arbitrage. Selon le par. 20(2) de la Loi type de la CNUDCI, le tribunal arbitral peut, nonobstant le lieu d’arbitrage choisi par les parties, se réunir ou entendre des témoins ou des parties en tout lieu qu’il jugera approprié. La Loi sur l’arbitrage comprend une disposition substantiellement similaire : par. 22(2). L’article 18 du Règlement d’arbitrage de la CCI confère au tribunal arbitral le pouvoir de tenir des audiences et des réunions à tout lieu qu’il juge indiqué : p. 26. En outre, le par. 3(5) des Règles relatives à la procédure accélérée de la CCI accorde au tribunal arbitral le pouvoir de trancher le litige uniquement sur la base de la preuve documentaire et de l’argumentation écrite. Le tribunal arbitral peut aussi tenir des audiences « par visioconférence, par téléphone ou par d’autres moyens de communication similaires » : p. 74. En pratique, il arrive souvent que, même si les parties se sont entendues pour aller en arbitrage dans un ressort, la procédure d’arbitrage se déroule physiquement ailleurs par souci de commodité : McEwan et Herbst, p. 7‑1 à 7‑8; Born, vol. II, p. 1596.
[275] Certes, la Loi type de la CNUDCI, la Loi sur l’arbitrage et le Règlement d’arbitrage de la CCI laissent le soin de choisir le lieu de l’arbitrage à la discrétion du tribunal arbitral, mais il n’y a aucune raison de présumer qu’un tribunal arbitral agirait de manière arbitraire et impitoyable en contraignant une partie à voyager outre-mer inutilement et au prix de grands sacrifices. En effet, il y a tout lieu de présumer le contraire. La Loi sur l’arbitrage exige du tribunal arbitral qu’il traite les parties sur un pied d’égalité et avec équité : par. 19(1). De plus, les par. 22(1) et 22(4) du Règlement d’arbitrage de la CCI disposent que le tribunal arbitral doit faire tous les efforts pour conduire la procédure d’arbitrage avec célérité et efficacité en termes de coûts et veiller à ce que chaque partie ait la possibilité raisonnable d’être entendue : p. 27‑28. Je ne vois donc aucune raison de supposer que le tribunal arbitral exigerait que M. Heller se rende à Amsterdam pour participer aux procédures d’arbitrage. S’il faut tenir des audiences, on peut raisonnablement s’attendre à ce qu’elles se déroulent en Ontario ou à distance. En outre, la Cour devrait prendre connaissance d’office qu’en raison des moyens de communication modernes, il n’est pas nécessaire qu’un résident de l’Ontario voyage à l’étranger afin de payer les droits de la CCI ou de présenter des observations préliminaires au tribunal arbitral.
[276] La clause d’arbitrage ne peut être attaquée au motif que la clause relative au lieu de l’arbitrage oblige M. Heller à se rendre dans un autre pays pour intenter une réclamation ou participer aux audiences, ce qui lui occasionnerait des dépenses, et tout argument en ce sens ne peut être retenu. Je ne vois donc aucune raison de conclure que la clause relative au lieu de l’arbitrage favorise considérablement Uber au détriment de M. Heller.
2. La clause de choix du droit applicable
[277] Compte tenu de la doctrine de la séparabilité, il est crucial sur le plan analytique de faire la distinction entre la validité de l’entente de services, ou de l’une de ses modalités, et la validité de la clause d’arbitrage : Born, vol. I, p. 401‑402 et 834; voir aussi Fiona Trust. Il s’ensuit que la prétendue nullité de la clause de choix du droit applicable pour cause d’iniquité n’emporte pas la nullité de la clause d’arbitrage. Par conséquent, les arguments portant sur la prétendue injustice, substantive ou procédurale, de faire régir l’entente de services par le droit d’un autre pays se distinguent au plan analytique de toute l’injustice qui découlerait de la clause d’arbitrage elle-même. Donc, les arguments portant sur la clause de choix du droit applicable ne font pas obstacle à la motion d’Uber en sursis d’instance.
[278] Cette façon d’aborder la validité de la clause d’arbitrage est conforme à la jurisprudence de la Cour. En effet, dans l’arrêt Seidel, la convention d’arbitrage stipulait que « [t]out différend, toute controverse ou toute réclamation [. . .] sera [. . .] soumis à l’arbitrage » et « [e]n acceptant ce qui précède, [Mme Seidel] renonc[e] à tout droit qu[’elle peut] avoir d’intenter un recours collectif, ou d’y participer, à l’encontre de TELUS Mobilité » : par. 13 (italique ajouté; soulignement dans l’original omis). La Cour a refusé de considérer la renonciation au recours collectif comme étant distincte de la clause d’arbitrage parce que le contrat était « rédig[é] de façon à rendre la renonciation au recours collectif tributaire de la clause d’arbitrage » : par. 46. À l’opposé, en l’espèce, la clause de choix du droit applicable ne dépend pas de l’arbitrage en tant que moyen choisi par les parties pour régler leurs différends. Même si le texte de la clause de choix du droit applicable et celui de la clause d’arbitrage figurent au même paragraphe dans l’entente de services, les deux clauses ont des effets juridiques fort différents et devraient être jugées distinctes.
[279] La situation serait tout autre si M. Heller soutenait que l’injustice découle du fait que la clause d’arbitrage est régie par le droit néerlandais, mais il n’a ni plaidé, ni prouvé que c’était le cas. Tout comme pour ses arguments relatifs à la LNE, dont je traiterai plus loin, la prétendue nullité de la clause de choix du droit applicable n’a aucune incidence sur la validité de la clause d’arbitrage.
[280] Même si la doctrine de la séparabilité ne s’appliquait pas, la présence d’une clause de choix du droit applicable dans un contrat international n’a rien d’inhabituel ou d’offensant. Uber est une société qui exerce ses activités dans le monde et dont le siège social se situe aux Pays‑Bas. Son choix que le contrat soit régi par le droit néerlandais n’est qu’une tentative de gérer le risque juridique en assurant une certaine certitude dans ses activités. Pour une société active dans le monde entier, ce choix sert un objectif commercial valable dans lequel les tribunaux ne devraient pas s’immiscer à la légère. Le tribunal qui le fait risque de miner la certitude essentielle à la conduite du commerce international. De plus, bien que la clause de choix du droit applicable confère un avantage à Uber (à savoir la certitude juridique dans ses activités mondiales), il n’est pas clair qu’elle le fasse aux dépens de M. Heller, car ni l’une ni l’autre des parties n’a fait la preuve du droit étranger et, comme je l’explique ci‑dessous en traitant des arguments de M. Heller relatifs à la LNE, il reste à voir si le tribunal arbitral appliquerait la LNE en tout état de cause.
3. Le choix des règles de procédure de l’institution
[281] Comme j’ai réfuté les arguments de M. Heller à propos de l’effet des clauses relatives au lieu de l’arbitrage et au choix du droit applicable, tout ce qui reste de son argument fondé sur l’iniquité est son affirmation selon laquelle le choix des Règlements de la CCI impose le paiement de droits démesurément élevés, soit 14 500 $ US, ce qui représente environ 19 000 $ CAN. L’argument de M. Heller fondé sur la disproportionnalité comprend deux volets : (1) les droits de la CCI dissuadent le dépôt de réclamations hypothétiques de faible valeur; et (2) ces droits sont démesurés par rapport à la capacité de M. Heller de financer le dépôt d’une réclamation plus élevée, car le revenu qu’il gagne à titre de chauffeur Uber est d’environ 20 800 à 31 200 $ CAN par année. Je me penche sur chacun de ces volets à tour de rôle vu que je les perçois comme des arguments distincts sur le plan analytique.
[282] À mon avis, on devrait considérer que tout engagement de soumettre des litiges à l’arbitrage impose généralement des obligations réciproques aux deux parties. Il n’impose pas d’obligation à une partie en faveur de l’autre. Il [traduction] « incarne [plutôt] l’entente intervenue entre deux parties portant qu’en cas de différend au sujet des obligations auxquelles la partie s’est engagée envers l’autre, ce différend sera tranché par un tribunal de leur choix » : Heyman, p. 373‑374, lord Macmillan. Une convention d’arbitrage implique donc un échange réciproque.
[283] Si une convention d’arbitrage suppose un échange réciproque, je ne vois pas comment les droits obligatoires qui s’appliquent aux poursuites intentées par l’une ou l’autre des parties n’entraîneraient pas eux aussi un échange réciproque semblable. Les droits fixés par la CCI rendent une réclamation de faible valeur aussi peu économique pour Uber que pour M. Heller. À l’inverse, une clause d’arbitrage à sens unique qui oblige une partie à soumettre des différends à l’arbitrage, alors que l’autre partie conserve le droit de s’adresser aux tribunaux, ne saurait impliquer un échange réciproque : voir, p. ex., Houston c. Exigen (Canada) Inc., 2006 NBBR 29, 296 R.N.-B. (2e) 112, par. 12. Par conséquent, dans la mesure où une injustice découle de l’imposition de droits élevés sur des réclamations hypothétiques de faible valeur, je ne considère pas cette situation suffisamment injuste à la lumière du caractère réciproque de l’échange.
[284] Quoi qu’il en soit, la valeur de la réclamation de M. Heller est inconnue. Bien qu’il soit possible — en ce sens que « tout peut arriver » — de discerner de la clause d’arbitrage elle‑même qu’un différend de faible valeur pourrait survenir en théorie, établir qu’un tel différend découlant du contrat est probable ou prévisible nécessiterait la production et l’examen d’une preuve testimoniale, ce qui emporterait l’application de la règle du renvoi systématique. Procéder autrement aurait pour effet d’annuler un contrat sur le fondement d’une conjecture.
[285] C’est en comparant l’importance des droits à la capacité de M. Heller de financer une réclamation de grande valeur que l’on pourrait observer un déséquilibre, car Uber a clairement des moyens financiers supérieurs à ceux de M. Heller. Cependant, cet aspect de l’argument de M. Heller nécessite la production et l’examen d’une preuve testimoniale, ce qui fait intervenir la règle du renvoi systématique.
[286] Même si la Cour devait étudier la preuve testimoniale présentée par M. Heller, l’imprudence d’une transaction doit être mesurée au moment où le contrat est formé : motifs des juges Abella et Rowe, par. 74. La Cour ne dispose d’aucune preuve au sujet de la situation financière dans laquelle se trouvait M. Heller au moment où il a conclu l’entente de services. La seule information que possède la Cour à propos des moyens financiers de M. Heller est le revenu qu’il a touché à titre de chauffeur Uber après avoir conclu l’entente de services. En outre, la Cour ne dispose d’aucune preuve quant à la possibilité d’obtenir du financement auprès d’un tiers pour l’arbitrage ou quant aux coûts comparables, par exemple, de l’exercice d’un recours collectif. De plus, je le répète, la valeur de la réclamation de M. Heller est inconnue. Il n’y a tout simplement aucune base pour conclure que les droits fixés par la CCI empêchent M. Heller d’exercer les droits que lui confère l’entente de services.
(iii) Connaissance
[287] Un tribunal doit juger qu’Uber avait, au minimum, une connaissance imputée de la vulnérabilité particulière de M. Heller afin de conclure à l’iniquité de la clause d’arbitrage : Downer, par. 47; Input Capital, par. 48 et 61‑64. En l’espèce, la Cour d’appel a conclu qu’Uber avait cette connaissance, mais j’estime qu’elle a commis une erreur de principe au sujet du type de vulnérabilité qui suffirait à établir une inégalité du pouvoir de négociation, ce qui entache sa conclusion sur la connaissance. La Cour d’appel a conclu qu’Uber savait que ses chauffeurs étaient [traduction] « vulnérables à la force de son marché » : par. 68. Le fait qu’Uber sait être une grande société qui utilise des contrats types ne suffit pas parce que les contrats d’adhésion, y compris les clauses d’arbitrage, sont généralement exécutoires : Seidel, par. 2.
[288] La vulnérabilité que s’attribue M. Heller tient au fait que son accès à des ressources financières est comparativement limité et qu’il a seulement une éducation de niveau secondaire. Puisque l’appli Driver est largement accessible au public, il aurait été impossible pour Uber de connaître le revenu exact et le niveau d’instruction de M. Heller au moment où il a décidé au départ de devenir chauffeur d’Uber. Uber ne pouvait pas savoir que M. Heller voulait se servir de l’appli Driver comme principale source de revenu, car les chauffeurs d’Uber n’ont pas l’obligation d’utiliser l’appli à quelque moment que ce soit et peuvent donc s’en servir occasionnellement pour augmenter leur revenu. Il y a absence de preuve au sujet des raisons pour lesquelles M. Heller a choisi de recourir à l’appli Driver et des raisons pour lesquelles il en a fait sa principale source de revenu au lieu de chercher un autre travail. Il n’y a non plus aucune preuve de son revenu au moment où il a conclu le contrat. Quoi qu’il en soit, ces questions nécessitent la production et l’examen d’une preuve testimoniale, ce qui amènerait la Cour à s’aventurer de manière inadmissible au-delà de la preuve documentaire.
[289] Par conséquent, la question de savoir si la doctrine de l’iniquité rend inexécutoire la clause d’arbitrage est une question mixte de droit et de fait qui exige davantage qu’un examen superficiel de la preuve documentaire. Il y a donc lieu de renvoyer les parties à l’arbitrage.
(iv) Application de la doctrine de l’iniquité à certaines conditions d’une convention d’arbitrage
[290] Dans une note en bas de page de leurs motifs, les juges Abella et Rowe font valoir un point de vue controversé du droit substantif : soit qu’il est possible d’appliquer la doctrine de l’iniquité à certaines conditions individuelles d’un contrat : n. 8. Je conviens avec le juge Brown que la doctrine de l’iniquité ne devrait pas être appliquée à certaines conditions individuelles d’un contrat, mais je m’oppose à la manière dont les juges Abella et Rowe utilisent leur approche pour juger du caractère inique de certaines modalités du contrat dont est saisie la Cour.
[291] Si les juges Abella et Rowe appliquaient leur approche au vu de la doctrine de la divisibilité, qu’ils disent accepter au par. 96, ils arriveraient à la conclusion que la clause relative au lieu de l’arbitrage et la sélection des Règlements de la CCI sont, prises individuellement, des conditions iniques de la clause d’arbitrage. D’après eux, cela ne rend pas en soi la clause d’arbitrage inexécutoire, car, affirment-ils, il est possible d’appliquer la doctrine de l’iniquité à certaines conditions individuelles sans rendre toute l’entente inexécutoire : n. 8.
[292] Même si la doctrine de la séparabilité ne s’appliquait pas, il serait arbitraire de conclure à l’invalidité de la condition par laquelle les parties s’engagent à soumettre leurs différends à l’arbitrage au motif que la clause prévoyant cette condition se trouve près d’autres clauses supposément inexécutoires concernant la sélection de certaines règles procédurales institutionnelles pour les procédures arbitrales, d’un siège étranger pour de telles procédures et d’un droit étranger pour régir l’entente de services. Les juges Abella et Rowe relèvent M. Heller de son engagement de recourir à l’arbitrage au motif qu’ils jugent offensantes les modalités de l’arbitrage, tandis que l’engagement d’aller en arbitrage lui‑même est maintenu. Ce résultat est peu pratique sur le plan commercial et injustifié suivant la conception même que se font les juges Abella et Rowe de la doctrine d’iniquité.
[293] Il s’ensuit donc de la manière dont les juges Abella et Rowe abordent la doctrine de l’iniquité que la clause d’arbitrage est valide et exécutoire. Je vais maintenant examiner si l’autre série d’arguments de M. Heller, laquelle porte principalement sur la question de savoir si la clause d’arbitrage est nulle en application de la LNE, nécessite davantage qu’un examen superficiel de la preuve documentaire au dossier.
(b) La LNE
[294] Mes collègues refusent d’examiner la question de la LNE parce qu’ils sont d’avis de trancher le pourvoi sur le fondement de la doctrine d’iniquité ou, dans le cas du juge Brown, sur la base de l’ordre public. Puisque je ne suis pas d’accord avec la manière dont ils statuent sur ces questions, et par souci d’exhaustivité, je dois également analyser les arguments de M. Heller quant à la question de savoir si la clause d’arbitrage est nulle en application de la LNE.
[295] Monsieur Heller invoque deux arguments pour faire valoir que la clause d’arbitrage est nulle en application de la LNE. Premièrement, il soutient que la clause d’arbitrage a pour effet de soustraire illicitement les parties par contrat à une norme d’emploi en l’empêchant de se prévaloir des mécanismes statutaires d’application de la loi prévus dans la LNE. Deuxièmement, il soutient que le choix du droit néerlandais comme droit régissant l’entente de services a également pour effet de soustraire illicitement par contrat les parties à une norme d’emploi.
[296] Bien que ces deux arguments soient distincts, ils souffrent du même défaut fatal. Pour les besoins de ses deux arguments, M. Heller affirme qu’il convient de présumer qu’il est un employé, ce qui garantit l’application de la LNE. Dans Seidel, la Cour a pu appliquer la Business Practices and Consumer Protection Act, S.B.C. 2004, c. 2 (« BPCPA »), en vue d’annuler en partie la convention d’arbitrage en litige, parce qu’un examen superficiel de la preuve documentaire était suffisant pour établir l’applicabilité de la législation. À l’opposé, l’entente de services stipule expressément qu’elle constitue un accord de licence pour l’utilisation d’un logiciel et qu’elle ne crée pas de relation d’emploi : d.a., vol. II, p. 34 et 109‑110. La question de savoir si M. Heller est ou non un employé est au cœur du différend entre les parties. La Cour d’appel a reconnu que cette question était au centre du litige, s’appuyant à plusieurs reprises dans son analyse sur une assomption selon laquelle M. Heller était un employé : par. 24, 42, 45‑46, 49‑50 et 74. Par contre, le tribunal saisi d’une motion en sursis d’instance ne peut le présumer sans usurper le rôle du tribunal arbitral.
[297] Par conséquent, M. Heller ne peut se prévaloir de la disposition de la LNE qu’il invoque afin de faire annuler la clause d’arbitrage pour les besoins de la motion en l’espèce :
Impossibilité de se soustraire à une norme d’emploi
5 (1) Sous réserve du paragraphe (2), aucun employeur ou mandataire d’un employeur ni aucun employé ou mandataire d’un employé ne doit se soustraire contractuellement à une norme d’emploi ni y renoncer. Tout acte de ce genre est nul.
Le tribunal ne peut annuler une convention d’arbitrage conformément à l’art. 5 sans d’abord conclure que les parties en cause sont des employeurs, des employés ou leurs mandataires[9]. La question de savoir si M. Heller est un employé au sens de la LNE est une question complexe mixte de droit et de fait qui ne peut être tranchée sur la base du dossier soumis à la Cour, et elle ne devrait pas l’être non plus. La règle du renvoi systématique s’applique et les parties doivent être renvoyées à l’arbitrage.
[298] Néanmoins, comme les parties ont soumis des arguments quant au bien‑fondé de la contestation relative à la LNE, il me paraît utile de commenter certains des enjeux juridiques qui se posent.
(i) Se soustraire par contrat aux mécanismes d’application de la loi au moyen d’une clause d’arbitrage
[299] Monsieur Heller fait valoir que la clause d’arbitrage soustrait par contrat les parties à une norme d’emploi en l’empêchant de déposer une plainte auprès du ministère du Travail en vertu de l’art. 96 de la LNE dans laquelle il soutiendrait avoir été classifié de manière erronée. La faille dans son argument est que la faculté de déposer une plainte conformément à l’art. 96 de cette loi ne constitue pas une norme d’emploi. La « norme d’emploi » s’entend d’une « exigence ou interdiction prévue par la [LNE] qui s’applique à un employeur et qui bénéficie à un employé » : LNE, par. 1(1). Même si je tiens pour acquis, sans en décider, que l’application de l’art. 96 de la LNE « bénéficie à un employé », il est clair que cette disposition n’oblige pas un employeur à faire quoi que ce soit ni ne lui interdit de le faire. Il ne s’agit donc pas d’une norme d’emploi.
[300] De plus, rien dans le dossier n’indique que M. Heller a tenté de déposer une plainte conformément à l’art. 96 de la LNE. Il a plutôt intenté un recours collectif d’une valeur de plusieurs millions de dollars. Il peut être possible d’interpréter la clause d’arbitrage de façon à ne pas appliquer l’art. 96 de cette loi. Comme les parties ont expressément déclaré dans l’entente de services qu’elles n’entretiennent pas une relation d’emploi, une cour ou un tribunal arbitral pourrait conclure qu’ils ne songeaient raisonnablement pas à l’art. 96 de la LNE. Je fais remarquer à cet égard que, si une condition d’un contrat se prête à deux interprétations possibles, l’une qui rend la condition légale et l’autre qui la rend illégale, il faut privilégier l’interprétation qui préserve la validité et la légalité de la condition : J. D. McCamus, The Law of Contracts (2e éd. 2012), p. 772‑773.
[301] Monsieur Heller soutient également que la LNE empêche de recourir à l’arbitrage pour présenter des réclamations en vertu de cette loi. Le contraire est plutôt vrai puisque la LNE ne prévoit aucune interdiction expresse de l’arbitrage et « [o]n ne saurait présumer qu[e la LNE] exclut la juridiction arbitrale, faute de la mentionner expressément » : Desputeaux, par. 42. Lorsque le législateur souhaite exclure l’arbitrage, il a les moyens de s’exprimer dans un langage très clair et l’a déjà fait dans d’autres lois : voir, p. ex., Loi de 2002 sur la protection du consommateur, par. 7(2); Loi de 2010 sur la protection des consommateurs d’énergie, L.O. 2010, c. 8, par. 3(3); Loi de 2008 concernant les prêts sur salaire, L.O. 2008, c. 9, par. 39(2). De plus, l’objectif des dispositions d’application de la LNE est « d’offrir, dans les cas appropriés, un recours rapide et peu coûteux » : Danyluk c. Ainsworth Technologies Inc., 2001 CSC 44, [2001] 2 R.C.S. 460, par. 27. L’arbitrage est tout à fait conforme à cet objectif. Vu la souplesse inhérente à l’arbitrage, les nombreuses déclarations par lesquelles la Cour promeut et vante les avantages de l’arbitrage, ainsi que la politique du législateur clairement favorable à l’arbitrage qui est énoncée dans la Loi sur l’arbitrage et la Loi internationale, j’hésiterais énormément à conclure que la LNE exclut l’arbitrage en tant que mode acceptable de règlement des différends : Seidel, par. 23; Wellman, par. 48‑56.
(ii) Se soustraire par contrat à la LNE au moyen d’une clause de choix du droit applicable
[302] Monsieur Heller fait aussi valoir que la clause d’arbitrage soustrait par contrat les parties à l’ensemble de la LNE par le truchement de la clause de choix du droit applicable. Cependant, compte tenu de la doctrine de la séparabilité, il faut considérer que la clause de choix du droit applicable fait partie de l’entente de services, alors que la clause d’arbitrage doit être considérée comme un contrat distinct, indépendant de l’entente de services. Par conséquent, à supposer, sans en décider, que la clause de choix du droit applicable est nulle, cette conclusion ne rendrait pas à elle seule nulle la clause d’arbitrage, car la convention d’arbitrage survit généralement à la nullité du contrat sous‑jacent ou d’une de ses conditions.
[303] Qui plus est, la LNE ne fait qu’annuler les conditions individuelles qui soustraient les parties par contrat aux normes d’emploi, et non supprimer le contrat de travail dans son intégralité : Machtinger c. HOJ Industries Ltd., [1992] 1 R.C.S. 986, p. 1001. Par conséquent, nous ne sommes pas en présence d’un de ces cas où la nullité du contrat sous‑jacent emporte celle de la convention d’arbitrage : Fiona Trust, par. 17, lord Hoffman. La prétendue nullité de la clause de choix du droit applicable ne nuit pas à la validité de la clause d’arbitrage. L’argument de M. Heller ne constitue donc pas un obstacle à la motion d’Uber en sursis d’instance.
[304] En outre, puisque l’entente de services stipule expressément qu’elle constitue un accord de licence de logiciel et qu’elle ne crée pas de relation d’emploi, il est loisible au tribunal arbitral de conclure que les parties contractantes n’avaient pas l’intention d’exclure l’application de la législation obligatoire en matière d’emploi dans le ressort où le contrat devait être exécuté. Comme le contrat ne visait pas à créer une relation d’emploi, il est peu probable que les rédacteurs aient envisagé l’application de la législation en matière d’emploi au contrat.
[305] Quoi qu’il en soit, le droit applicable choisi par les parties n’exclut pas les règles obligatoires, particulièrement les règles statutaires obligatoires d’un ressort ayant un lien étroit avec le litige (en l’occurrence l’Ontario) : S. G. A. Pitel et N. S. Rafferty, Conflict of Laws (2e éd. 2016), p. 298‑300; G. A. Bermann, « Mandatory rules of law in international arbitration », dans F. Ferrari et S. Kröll, dir., Conflict of Laws in International Arbitration (2011), 325, p. 333‑334; voir aussi Williams c. Amazon.com, Inc., 2020 BCSC 300, par. 61‑71 (CanLII). Même si les parties n’ont produit aucune preuve sur la question de savoir si un tribunal arbitral siégeant aux Pays‑Bas et appliquant le droit néerlandais appliquerait la LNE, il ne découle pas du simple choix de retenir le droit néerlandais que la LNE ne serait pas appliquée au litige. Se contenter de présumer que la LNE ne s’appliquera pas est typique de la méfiance manifestée autrefois par la common law vis‑à‑vis l’arbitrage à laquelle devait mettre fin la Loi sur l’arbitrage : Wellman, par. 49.
[306] Pour conclure sur la LNE, ni l’un ni l’autre des arguments de M. Heller ne justifie l’annulation de la clause d’arbitrage, car les deux sont niés par la règle du renvoi systématique et, en tout état de cause, la teneur de ses arguments ne justifie pas la réparation qu’il sollicite.
(b) La doctrine de l’ordre public
[307] Mon collègue le juge Brown propose de créer une nouvelle règle de common law voulant que les stipulations contractuelles ayant pour effet d’interdire l’accès au règlement des différends soient contraires à l’ordre public : par. 119‑121 et 129‑131. D’après lui, la sélection des Règlements de la CCI en l’espèce est contraire à l’ordre public, car les droits imposés par la CCI sont démesurés au regard de la relation entre les parties, et la clause d’arbitrage en soi est nulle pour ce motif.
[308] À l’instar des analyses que font les juges Abella et Rowe de l’iniquité, l’approche du juge Brown se fonde sur la preuve testimoniale afin d’établir que les droits fixés par la CCI sont démesurés en regard de la valeur vraisemblable d’un différend découlant de l’entente de services et du revenu que gagne M. Heller à titre de chauffeur Uber : motifs du juge Brown, par. 132. Son approche requiert donc davantage qu’un examen superficiel de la preuve documentaire et il y a lieu de renvoyer les parties à l’arbitrage. Néanmoins, même si la règle du renvoi systématique ne s’appliquait pas, je ne souscris respectueusement pas au bien‑fondé juridique et factuel de l’analyse relative à l’ordre public qu’expose le juge Brown dans ses motifs soigneusement rédigés.
[309] La common law en matière contractuelle est fondamentalement résolue à assurer « la liberté des parties contractantes dans la poursuite de leur intérêt personnel » : Bhasin, par. 70. Ainsi, la doctrine de l’ordre public [traduction] « ne doit être invoquée que dans les cas clairs, où le préjudice infligé au public est foncièrement incontestable et ne dépend pas des inférences idiosyncratiques de quelques esprits judiciaires » : In re Estate of Millar (Charles), Deceased, [1938] R.C.S. 1, p. 7, citant Fender c. Mildmay, [1937] 3 All E.R. 402, p. 407. Il s’agit d’un énorme obstacle à surmonter. Avec égards, je ne suis pas convaincue que les considérations d’ordre public décrites par mon collègue justifient que l’on passe outre au « très grand intérêt public lié à l’application des contrats » : Tercon Contractors Ltd. c. Colombie‑Britannique (Transports et Voirie), 2010 CSC 4, [2010] 1 R.C.S. 69, par. 123, le juge Binnie (dissident, mais non sur ce point). À cet égard, je considère la Loi sur l’arbitrage et la Loi internationale comme des énoncés fermes de principes en faveur de l’exécution des conventions d’arbitrage : voir Haas, par. 10, 40 et 58; Wellman, par. 54.
[310] La décision de soumettre un différend à l’arbitrage ou d’intenter une action en justice implique des compromis. En arbitrage, les parties renoncent à la certitude procédurale des tribunaux et à l’occasion d’interjeter appel d’une décision défavorable en échange de la souplesse procédurale, de la célérité et de l’efficacité de l’arbitrage. Rien ne garantit que l’arbitrage aboutira toujours à la bonne décision, mais les cours sont elles aussi incapables d’offrir une telle garantie : L. Y. Fortier, « Delimiting the Spheres of Judicial and Arbitral Power : “Beware, my Lord, of Jealousy” » (2001), 80 R. du B. can. 143. Il appartient aux parties, et non aux tribunaux, de décider si ce compromis est dans leur intérêt.
[311] Tout comme il existe de nombreuses raisons commerciales valables pour lesquelles les parties ont recours à des clauses d’exclusion, notamment afin de répartir le risque, il existe également de nombreuses raisons commerciales valables pour lesquelles les parties se servent d’une convention d’arbitrage dans laquelle elles choisissent les règles procédurales d’une certaine institution arbitrale internationale : Tercon, par. 102, le juge Binnie (dissident). L’une de ces raisons pourrait être de répartir entre les deux parties le risque qu’il ne soit pas économique d’aller en arbitrage dans le cas d’une réclamation de faible valeur (même si, bien entendu, M. Heller serait libre de recourir à la procédure interne d’Uber pour faire régler un différend, comme il l’a déjà fait à maintes reprises). Cependant, en cas de réclamation de valeur élevée, les parties auraient accès à une institution de règlement des différends de classe mondiale pour faire trancher le différend. Il s’agit là d’un arrangement contractuel valable que les tribunaux ne devraient pas modifier. Vu l’échange réciproque dans la clause d’arbitrage, celle-ci ne s’apparente aucunement à la clause en litige dans Novamaze Pty Ltd. c. Cut Price Deli Pty Ltd. (1995), 128 A.L.R. 540 (C.F.), qui était manifestement à sens unique.
[312] Quoi qu’il en soit, la quête de l’accès à la justice et l’exécution des conventions d’arbitrage forment souvent des objectifs complémentaires. En effet, un des objectifs de la Loi sur l’arbitrage est de renforcer l’accès à la justice en encourageant le recours à l’arbitrage : Wellman, par. 135. L’arbitrage améliore l’accès à la justice parce qu’il peut se révéler plus expéditif et moins coûteux que de s’adresser aux tribunaux : par. 135. La politique selon laquelle les parties à une convention d’arbitrage valide devraient respecter leur convention renforce l’accès à la justice en prévenant les mesures dilatoires qui entravent l’accès au règlement des différends : par. 135. À l’inverse, élargir les motifs d’intervention judiciaire, comme le ferait le juge Brown, risque autant de compromettre l’accès à la justice que de le favoriser, parce que cela inciterait le recours aux tribunaux comme manœuvre dilatoire, ce qui ferait augmenter la durée et le coût du règlement des différends.
[313] Bien qu’elle complète souvent d’autres objectifs législatifs, on ne saurait permettre que la quête de l’accès à la justice « prenne le dessus sur les autres objectifs importants visés par la Loi sur l’arbitrage » : Wellman, par. 83. L’un des autres objectifs importants visés par la Loi est la nécessité de donner effet à l’autonomie des parties en leur permettant de concevoir leur propre mode de règlement des différends par accord consensuel : Wellman, par. 52. De plus, conclure à la nullité d’une convention d’arbitrage pour cause d’ordre public, sans porter atteinte au consentement des parties à la convention, compromet un autre objectif de la Loi sur l’arbitrage, soit de tenir les parties à leur engagement de soumettre leurs différends à l’arbitrage dans les cas convenus : Wellman, par. 49, citant Ontario Hydro c. Denison Mines Ltd., 1992 CarswellOnt 3497 (Div. gén.) (WL Can.).
[314] De même, la primauté du droit n’est pas un « instrument permettant à celui qui s’oppose à certaines mesures législatives de s’y soustraire » : Colombie‑Britannique c. Imperial Tobacco Canada Ltd., 2005 CSC 49, [2005] 2 R.C.S. 473, par. 67. Au contraire, la primauté du droit exige des tribunaux qu’ils « donnent effet au texte constitutionnel, et qu’ils appliquent, quels qu’en soient les termes, les lois qui s’y conforment » : Imperial Tobacco, par. 67. Puisqu’une motion en sursis d’instance en faveur de l’arbitrage n’empiète pas sur le pouvoir du gouverneur général de nommer des juges en vertu de l’art. 96 de la Loi constitutionnelle de 1867, je ne vois aucune raison pour laquelle la Cour ne devrait pas tenter de donner effet aux objectifs du législateur consacrés dans la Loi sur l’arbitrage et la Loi internationale.
[315] En outre, lorsque vient le temps de se demander si ou de quelle manière il convient de redéfinir les doctrines anciennes de common law relatives à l’arbitrage, j’estime que la Cour devrait suivre sa décision dans Wellman d’adopter la conception plus moderne du droit de l’arbitrage. D’après cette conception, l’arbitrage est [traduction] « un processus autonome par lequel les parties conviennent de régler leurs différends en les soumettant à un arbitre et non à un tribunal » : Inforica, par. 14, cité dans Wellman, par. 56. En conséquence, les doctrines fondées sur l’idée que seules les cours supérieures peuvent accorder des réparations en cas de différends juridiques ne devraient plus être appliquées. La Cour ne doit pas faire reculer le cours de l’histoire en donnant un second souffle à des précédents inconciliables avec la conception moderne de l’arbitrage.
[316] J’apprécie l’habile tentative du juge Brown de fournir une nouvelle justification conceptuelle de la doctrine de common law : par. 111‑114. Or, quand cette nouvelle justification est examinée avec sa reformulation de la doctrine substantive, on ne saurait affirmer que ces innovations participent d’une élaboration progressive du droit : par. 119‑121 et 129‑131. Il s’agit plutôt, selon moi, d’une toute nouvelle règle de common law portant sur la validité des conventions d’arbitrage.
[317] En outre, l’opportunité comparative de se pourvoir devant les tribunaux, d’aller en arbitrage ou d’employer d’autres modes de règlement des différends pour différentes catégories de personnes dans diverses circonstances appelle une décision complexe et polycentrique de politique générale qui met en cause une foule d’intérêts, d’objectifs et de solutions. Il n’appartient pas aux tribunaux de répondre à ces questions; elles relèvent plutôt des décideurs élus qui siègent à la législature : Wellman, par. 79.
[318] Mes réserves à propos des limites de la capacité institutionnelle des tribunaux d’étudier pleinement ces questions sont accentuées par le fait que le juge Brown invoque l’art. 96 de la Loi constitutionnelle de 1867, d’où le risque de restreindre en permanence le pouvoir du législateur d’élaborer à l’avenir des politiques qui renforcent l’accès à la justice civile à l’extérieur de la salle d’audience. J’apprécie la tentative du juge Brown de circonscrire l’ampleur de la règle qu’il propose, mais l’ordre public est un « cheval rétif », et je crains qu’une fois que la Cour monte dessus, les juges soient ramenés à l’époque où ils se montraient ouvertement hostiles à l’arbitrage, qu’ils voyaient comme un mode de règlement des différends de deuxième ordre : Tercon, par. 116.
[319] Enfin, bien que le juge Brown soutienne que les droits de la CCI empêchent M. Heller d’intenter une action, quelle qu’en soit la valeur, contre Uber, la Cour ne dispose d’aucune preuve au sujet de la taille réelle de la réclamation de M. Heller contre Uber ou de la possibilité d’obtenir du financement d’un tiers pour présenter sa réclamation : motifs du juge Brown, par. 132. Il n’y a pas non plus de preuve du revenu de M. Heller au moment où le contrat a été formé. Il n’y a donc pas assez d’éléments permettant d’appuyer la conclusion du juge Brown étant donné la preuve testimoniale au dossier. L’analyse exige de comprendre la capacité des parties à financer l’institution d’une procédure d’arbitrage ainsi que la disponibilité de financement pour le litige. Dans l’état actuel du dossier, il est difficile d’accepter qu’environ 19 000 $ CAN en droits d’arbitrage font totalement obstacle au règlement du différend en l’espèce alors que les dépens adjugés à M. Heller en Cour d'appel s’élevaient à 20 000 $ CAN : motifs de la Cour d’appel, par. 75. Étant donné l’insuffisance du dossier, le présent pourvoi diffère nettement de l’affaire Lymer, où la Cour d’appel de l’Alberta a conclu qu’une ordonnance judiciaire empêchant un failli non libéré d’intenter ou de poursuivre une action en justice jusqu’à ce qu’il ait payé tous les dépens auxquels la cour l’a condamné constituait une condition préalable insurmontable à l’accès aux tribunaux : par. 67. Je ne peux donc arriver à la conclusion, comme le fait mon collègue, que les droits de la CCI sont une condition préalable insurmontable qui empêche M. Heller d’intenter une réclamation : motifs du juge Brown, par. 132.
[320] Je conclus que la sélection des Règlements de la CCI en l’espèce n’est pas contraire à l’ordre public. Comme chacun des arguments à l’encontre de la validité de la clause d’arbitrage nécessite davantage qu’un examen superficiel de la preuve documentaire au dossier, il y a lieu de renvoyer les parties à l’arbitrage. Il reste cependant à analyser les mesures correctives qui s’offrent au tribunal dans le cadre d’une motion en sursis d’instance.
E. Les mesures correctives qui peuvent être prises dans le cadre d’une motion en sursis d’instance
[321] Mes collègues avancent différentes théories pour conclure que la clause d’arbitrage est nulle. Bien qu’aucune de ces théories n’attaque l’engagement de base des parties de soumettre leurs différends à l’arbitrage, mes collègues concluent pourtant à la nullité de cet engagement. Ils semblent concevoir la réparation susceptible d’être octroyée comme entraînant un choix difficile entre l’exécution rigide de la convention d’arbitrage et l’annulation de celle‑ci dans son ensemble. À mon avis, les positions favorables à l’arbitrage adoptées par les législatures partout au Canada, et exprimées dans la jurisprudence de la Cour, appuient une conception large des mesures correctives qui faciliteront le processus arbitral. Deux de ces options sont (1) imposer un sursis conditionnel à l’instance et (2) appliquer la doctrine de la divisibilité. Je traiterai maintenant de chacune de ces options.
(1) Un sursis d’instance conditionnel
[322] Si les exceptions prévues au par. 7(2) de la Loi sur l’arbitrage et au par. 8(1) de la Loi type de la CNUDCI ne s’appliquent pas, la législation prescrit un sursis d’instance : Loi sur l’arbitrage, par. 7(1); Loi internationale, art. 9; Loi type de la CNUDI, par. 8(1). Un sursis est obligatoire dans de tels contextes, mais la Loi sur l’arbitrage et la Loi internationale sont muettes quant aux conditions, s’il en est, pouvant être assorties au sursis. Cependant, l’art. 106 de la Loi sur les tribunaux judiciaires, qu’Uber a plaidé dans son avis de motion, prévoit que le tribunal peut surseoir à une instance aux conditions qu’il estime justes : d.a., vol. II, p. 88. Bien que cela ne soit habituellement pas nécessaire, il peut être opportun pour le tribunal d’imposer un sursis conditionnel afin d’assurer l’équité procédurale du processus arbitral. Je souligne que le tribunal devrait se garder d’imposer des conditions qui empiètent sur la compétence décisionnelle du tribunal arbitral : Born, vol. II, p. 2196. Néanmoins, avant la nomination du tribunal arbitral, une condition qui facilite le processus arbitral peut protéger la juridiction du tribunal arbitral en veillant à ce que les parties soient en mesure de procéder à l’arbitrage.
[323] Des tribunaux ayant entendu des motions en sursis et en renvoi à l’arbitrage ont imposé des sursis conditionnels dans le passé : voir, p. ex., Popack; Iberfreight; Continental Resources; voir aussi Fuller Austin. Comme dans les affaires Iberfreight et Continental Resources, de telles conditions favorisent l’atteinte d’un des objectifs des conventions d’arbitrage et de la législation moderne en matière d’arbitrage : régler le différend en temps utile au lieu de retarder les choses devant les tribunaux. À cet égard, je trouve convaincantes les observations du juge d’appel Gerwing, qui a interprété la mesure législative de la Saskatchewan mettant en œuvre la Loi type de la CNUDCI dans Fuller Austin (C.A.), par. 5 :
[traduction] Dans la plupart des cas de sursis, la partie qui demande l’indulgence extraordinaire de la cour doit agir avec célérité pour favoriser la justice. Si l’on permet que des recours inhabituels comme l’arbitrage commercial contournent le recours normal aux tribunaux ou le retarde, c’est surtout dans le but de favoriser la justice, et non de la retarder. Comme dans la majorité des sursis, le bon sens veut que le demandeur obtenant un sursis ne puisse s’en servir comme s’il s’agissait un moyen permanent de mettre un terme à l’affaire en omettant délibérément de poursuivre la démarche qui a justifié l’octroi du sursis. Même si nous n’avons pas mentionné cette exigence — prendre des mesures raisonnables — en termes exprès dans nos motifs, nous souscrivons à l’interprétation du juge en cabinet en l’espèce selon laquelle cette exigence existe implicitement. (En effet, il convient de signaler la possibilité de soutenir, à titre d’argument substantiel, que, s’il faut recourir à des principes d’interprétation législative pour interpréter la Loi, la mesure législative visait elle aussi à accélérer le règlement des différends, et non à le retarder.)
[324] Monsieur Heller a affirmé sous serment qu’il n’a pas les moyens de payer les droits de la CCI qui doivent être acquittés pour introduire une instance devant la CIA. Vu la situation particulière de M. Heller, j’imposerais la condition qu’Uber paye d’avance les droits de dépôt permettant à M. Heller d’introduire une telle instance. Je laisserais au tribunal arbitral le soin de décider à qui il revient au bout du compte de supporter ces frais. À cet égard, l’art. 38 du Règlement d’arbitrage de la CCI habilite le tribunal arbitral à adjuger des frais à tout moment au cours de l’instance et à décider quelle partie devrait les payer dans la sentence finale.
[325] La condition que j’impose s’accorde tant avec l’autonomie des parties qu’avec l’intention du législateur, car elle facilite le processus arbitral. Comme il s’agit simplement d’une mesure provisoire, elle ne modifie pas les droits et obligations substantiels des parties découlant de la clause d’arbitrage. Elle respecte donc le par. 17(1) de la Loi sur l’arbitrage et le par. 16(1) de la Loi type de la CNUDCI parce qu’elle laisse au tribunal arbitral le soin de statuer sur la validité de la clause d’arbitrage.
(2) La doctrine de la divisibilité
[326] Bien qu’il me suffise d’octroyer un sursis conditionnel pour statuer sur le pourvoi, il y a un autre aspect important des observations d’Uber dont n’ont pas traité les juges Abella et Rowe dans leurs motifs. Dans leurs plaidoiries, les avocates d’Uber ont laissé entendre que, si une partie de la clause d’arbitrage était jugée inexécutoire, la Cour devrait retrancher les passages inexécutoires et faire exécuter ce qui reste : transcription, p. 17 et 55‑56. Je suis d’accord. Des considérations de principe impérieuses militent en faveur d’une application large de la doctrine de la divisibilité dans les cas où les parties ont clairement manifesté l’intention de régler leurs différends par l’arbitrage, mais où certains aspects de leur convention d’arbitrage sont jugés inexécutoires. Lorsqu’il est pratique de le faire, les tribunaux doivent s’efforcer de donner effet aux intentions des parties en retranchant les conditions inexécutoires et en renvoyant les parties à l’arbitrage.
[327] La doctrine de la divisibilité prend deux formes : (1) la divisibilité fictive; et (2) la technique du trait de crayon bleu. La divisibilité fictive implique de donner une interprétation atténuée à une stipulation contractuelle pour la rendre légale et exécutoire. La technique du trait de crayon bleu consiste à retrancher la partie illégale d’une stipulation contractuelle : Shafron c. KRG Insurance Brokers (Western) Inc., 2009 CSC 6, [2009] 1 R.C.S. 157, par. 2 et 29‑30. Alors que la divisibilité fictive appelle l’application d’un critère de démarcation nette entre l’illégalité et la légalité, le tribunal peut employer la technique du trait de crayon bleu lorsqu’il est en mesure de retrancher, en tirant un trait, la partie du contrat qu’il veut effacer, sans affecter le sens de la partie restante : Shafron, par. 29 et 31; Transport North American Express, par. 34.
[328] Le tribunal qui se demande s’il y a lieu d’appliquer la doctrine de la divisibilité devrait aussi se demander s’il serait pratique sur le plan commercial et conforme aux intentions des parties de faire exécuter le reste de la convention d’arbitrage : McCamus, p. 510‑511. La caractéristique fondamentale d’une convention d’arbitrage est l’engagement clair des parties de soumettre leurs différends à l’arbitrage : voir Loi type de la CNUDCI, art. 7 (option 1); Loi sur l’arbitrage, art. 1 « convention d’arbitrage ». Par conséquent, lorsque l’intention des parties d’aller en arbitrage est clairement établie, l’application de la doctrine de la divisibilité s’accordera habituellement avec l’intention des parties.
[329] Par ailleurs, le tribunal examinera le contexte du contrat en cause et toute considération de principe pertinente au moment d’évaluer l’opportunité et la manière de retrancher des stipulations : 2176693 Ontario Ltd. c. Cora Franchise Group Inc., 2015 ONCA 152, 124 O.R. (3d) 776, par. 37. La Loi sur l’arbitrage et la Loi internationale sont deux énoncés législatifs de principes qui encouragent le recours à l’arbitrage et contribuent à obliger les parties à respecter leur engagement de soumettre leurs différends à l’arbitrage : Wellman, par. 49. La doctrine de la divisibilité promeut ces principes en évitant que les intentions des parties soient contrecarrées par des lacunes dans leur choix des modalités du processus arbitral.
[330] Dans l’arrêt Shafron, le juge Rothstein privilégie la modération à l’égard de la divisibilité parce que celle‑ci porte atteinte au droit des parties de contracter librement et de choisir les mots qui définissent leurs droits et obligations : par. 32. Cependant, différentes considérations entrent en jeu dans l’évaluation des conventions d’arbitrage, parce que l’arbitrage est en soi une forme de règlement des différends axée sur les parties. Si un élément d’une convention d’arbitrage devait être retranché, les parties seraient toujours libres de s’entendre sur une solution de rechange. Par exemple, si certaines règles de procédure étaient retranchées, les parties pourraient s’entendre sur un autre ensemble de règles de procédure ou encore sur leur propre procédure. La divisibilité ne leur enlève pas ce choix. En fait, elle favorise l’autonomie des parties en garantissant qu’elles aient accès au mécanisme de règlement des différends de leur choix. L’utilisation de la divisibilité ne changera que rarement, voire jamais, la nature fondamentale de l’accord intervenu entre les parties, lequel visait à régler leur différend par voie d’arbitrage.
[331] La pratique ayant cours à l’échelle internationale consiste à retrancher des stipulations inexécutoires tout en donnant effet à la clause d’arbitrage chaque fois que cela est possible. En effet, [traduction] « [l]a très grande majorité des décisions judiciaires d’un pays [. . .] confirment la validité de conventions d’arbitrage international même après avoir annulé une ou plusieurs conditions de ces conventions » : Born, vol. I, p. 916 ; voir, p. ex., Rent‑A‑Center, West, Inc. c. Jackson, 561 U.S. 63 (2010).
[332] La jurisprudence de la Cour permet de confirmer la validité d’une clause d’arbitrage lorsqu’il est pratique de le faire. Dans l’arrêt Seidel, la Cour a jugé que la clause d’arbitrage en litige était incompatible avec la BPCPA. La consommatrice avait intenté un recours collectif projeté qui comprenait des demandes fondées sur la BPCPA de même que d’autres causes d’action. La Cour n’a annulé la clause d’arbitrage que dans la mesure où elle visait les demandes fondées sur la BPCPA puisque la clause en question était exclue par l’application de cette loi, et a suspendu les autres demandes pour les renvoyer à l’arbitrage : Seidel, par. 50. L’approche réparatrice adoptée par la Cour dans Seidel peut être perçue comme une application de la doctrine de la divisibilité fictive à la convention d’arbitrage, car la Cour a, dans les faits, accordé une réparation équivalente à la rédaction d’une condition soustrayant les demandes fondées sur la BPCPA à la portée de la convention d’arbitrage, au lieu d’annuler la convention au complet. De plus, la Cour a mentionné dans l’arrêt Wellman que les tribunaux doivent faire preuve de déférence à l’égard des conventions d’arbitrage et de l’arbitrage en général, faisant ainsi sienne l’opinion selon laquelle le droit devrait favoriser le fait de donner effet aux conventions d’arbitrage, et que le recours à l’arbitrage devrait être encouragé : par. 54.
[333] En l’espèce, l’engagement des parties à soumettre leurs différends à l’arbitrage est limpide. Bien que la sélection des Règlements de la CCI ne soit pas contraire à l’ordre public ni inique, si elle l’était, la réparation appropriée consisterait pour la Cour à employer la technique du trait de crayon bleu pour radier cette sélection et laisser Uber et M. Heller s’entendre sur une procédure d’arbitrage ou laisser au tribunal arbitral le soin d’en décider. On pourrait en dire autant de la clause relative au lieu de l’arbitrage. Cette démarche concorde mieux avec les intentions des parties et l’intention du législateur que le simple fait de conclure que la convention d’arbitrage est nulle dans son intégralité.
[334] Puisque mes collègues ne semblent pas s’opposer à la sélection de l’arbitrage lui-même en tant que mode de règlement des différends, ni à l’obligation de tenter d’abord une médiation, il serait inopportun de supprimer ces aspects de la clause d’arbitrage. La substance des arguments de M. Heller et de ceux de mes collègues se rapporte aux droits fixés par la CCI qui découlent de la sélection des Règlements de la CCI ainsi que de la désignation d’un siège étranger d’arbitrage. Je répète que, même si je conclus que les Règlements de la CCI et la clause relative au lieu de l’arbitrage sont valides, si je les avais jugés inexécutoires, j’aurais appliqué la technique du trait de crayon bleu de la façon suivante :
Tout différend, conflit ou controverse, découlant de quelque manière que ce soit du présent Contrat ou lié ou se rapportant au présent Contrat y compris en ce qui concerne sa validité, son interprétation ou son application, seront, tout d’abord, impérativement soumis à la procédure de médiation prévue par le Règlement ADR de la Chambre de commerce internationale (le « Règlement de médiation de la CCI »). Si le différend n’est pas réglé dans les soixante (60) jours qui suivent la présentation d’une demande de médiation en vertu du Règlement de médiation de la CCI, ledit différend sera exclusivement et définitivement tranché par voie d’arbitrage conformément au Règlement d’arbitrage de la Chambre de commerce international (le « Règlement d’arbitrage de la CCI »). L’application des dispositions relatives à l’arbitre d’urgence du Règlement d’arbitrage de la CCI est écartée. Le litige sera réglé par (1) un arbitre qui sera nommé conformément aux Règlement d’arbitrage de la CCI. Le lieu de l’arbitrage sera Amsterdam, aux Pays‑Bas.
[335] Si les parties n’arrivent pas alors à s’entendre sur la manière de procéder, la Loi sur l’arbitrage et la Loi type de la CNUDCI contiennent des dispositions détaillées qui ont pour objet d’aider à faire exécuter une convention d’arbitrage lorsque les parties ne parviennent pas à s’entendre sur les détails : voir, p. ex., la Loi sur l’arbitrage, art. 9, 10, 20 et 22; Loi type de la CNUDCI, art. 10, par. 11(3), 19(2) et 20(1).
[336] Les faits de l’espèce illustrent une situation où la divisibilité est nécessaire afin d’empêcher des résultats absurdes sur le plan commercial. Mes collègues en ont contre les droits de la CCI dans le cadre d’un différend hypothétique de faible valeur. Même si j’apprécie qu’un tel différend pourrait découler de l’entente de services, il est absurde de défaire l’engagement des parties de soumettre leurs différends à l’arbitrage sur la base de ce cas hypothétique, vu que le différend dont est saisi la Cour a plutôt trait à un recours collectif projeté d’une valeur de 400 000 000 $ CAN et que la valeur de la réclamation individuelle de M. Heller demeure inconnue. Aborder ainsi le caractère exécutoire des conventions d’arbitrage compromet la certitude sur laquelle comptent les entités commerciales pour organiser leurs activités mondiales. Il y a lieu de confirmer l’engagement de recourir à l’arbitrage. Tout autre résultat serait peu pratique sur le plan commercial.
[337] En dernier lieu, je note que, puisque les juges Abella et Rowe sont d’avis d’appliquer la doctrine de l’iniquité à des conditions en particulier, ils emploient en fait la technique du trait de crayon bleu mais sous un autre nom. Par contre, ils n’expliquent pas leur choix de supprimer au complet la clause d’arbitrage (et peut‑être aussi la clause de choix du droit applicable — ce n’est pas clair), au lieu des conditions individuelles qu’ils trouvent iniques.
VI. Conclusion
[338] Pour les motifs qui précèdent, j’accueillerais le pourvoi et j’ordonnerais un sursis d’instance conditionnel.
Pourvoi rejeté avec dépens devant toutes les cours, la juge Côté est dissidente.
Procureurs des appelantes : Torys, Toronto.
Procureurs de l’intimé : Wright Henry, Toronto; Samfiru Tumarkin, Toronto.
Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Ontario : Procureur général de l’Ontario, Toronto.
Procureurs de l’intervenant les Jeunes praticiens canadiens de l’arbitrage : Perley-Robertson, Hill & McDougall, Ottawa.
Procureurs de l’intervenante Arbitration Place : Borden Ladner Gervais, Vancouver.
Procureurs de l’intervenant Don Valley Community Legal Services : Monkhouse Law, Toronto.
Procureur de l’intervenante la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante : Fédération canadienne de l’entreprise indépendante, Ottawa.
Procureur de l’intervenante la Clinique d’intérêt public et de politique d’internet du Canada Samuelson‑Glushko : Clinique d’intérêt public et de politique d’internet du Canada Samuelson‑Glushko, Ottawa.
Procureur des intervenants le Centre d’action pour la sécurité du revenu et Parkdale Community Legal Services : Centre d’action pour la sécurité du revenu, Toronto.
Procureurs de l’intervenant les Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce Canada : Goldblatt Partners, Toronto.
Procureur de l’intervenante Workers’ Health and Safety Legal Clinic : Workers’ Health and Safety Legal Clinic, Toronto.
Procureurs de l’intervenant l’Institut économique de Montréal : Osler, Hoskin & Harcourt, Toronto.
Procureurs de l’intervenante Canadian American Bar Association : Caza Saikaley, Ottawa.
Procureurs des intervenants Chartered Institute of Arbitrators (Canada) Inc. et Toronto Commercial Arbitration Society : Blake, Cassels & Graydon, Vancouver.
Procureurs de l’intervenante la Chambre de commerce du Canada : Davies Ward Phillips & Vineberg, Toronto.
Procureurs de l’intervenante la Chambre de commerce internationale : Norton Rose Fulbright Canada, Montréal.
Procureurs de l’intervenant Consumers Council of Canada : Sotos, Toronto.
Procureurs de l’intervenante Community Legal Assistance Society : Allen/McMillan Litigation Counsel, Vancouver.
Procureurs de l’intervenante ADR Chambers Inc. : Bennett Jones, Toronto.
[1] Par « Uber », nous entendons les quatre appelantes collectivement.
[2] Les deux termes « clause d’arbitrage » et « convention d’arbitrage » réfèrent à la portion de l’ensemble du contrat qui traite de l’arbitrage.
[3] Le 7 juin 2016, M. Heller a conclu un contrat avec Rasier Operations B.V. (« Uber Rasier ») afin d’utiliser l’application Ride. Le 15 décembre 2016, il a conclu un contrat avec Uber Portier B.V. (« Uber Portier ») afin d’utiliser l’application UberEATS.
[4] La cause a été plaidée sur le fondement que les quatre défenderesses Uber peuvent invoquer la convention d’arbitrage, même si seule Uber Rasier y est partie. Il ne faudrait pas interpréter nos motifs comme s’ils laissent entendre qu’une convention d’arbitrage peut lier des personnes qui n’y sont pas parties ou qu’elle peut être invoquée par de telles personnes (voir J. Brian Casey, Arbitration Law of Canada : Practice and Procedure (3e éd. 2017), p. 74‑75; Peterson Farms Inc. c. C&M Farming Ltd., [2004] EWHC 121 (Comm.), [2004] 1 Lloyd’s Rep. 603). Cette question sera tranchée ultérieurement.
[5] Nous notons au passage que si le juge des motions avait ordonné le sursis de l’instance en application de la LA, il n’aurait pas été possible d’interjeter appel de sa décision devant la Cour d’appel (LA, par. 7(6)). Il aurait toutefois été possible d’en faire appel directement devant la Cour avec autorisation (Crown Grain Compagny, Limited c. Day, [1908] A.C. 504 (C.P.), p. 507; Re Sutherland and Halbrick (1982), 134 D.L.R. (3d) 177 (C.A. Man.), p. 181). En l’espèce, comme l’ordonnance du juge des motions a été prononcée (erronément) en application de la LACI, la Cour d’appel avait compétence.
[6] Les juges majoritaires n’ont pas traité des éléments constitutifs de l’iniquité.
[7] Nous notons que la concession d’Uber selon laquelle l’arbitrage pourrait se dérouler physiquement en Ontario n’a aucune pertinence dans le contexte d’un contrat type qui stipule que [traduction] « [l]e lieu de l’arbitrage sera Amsterdam, aux Pays-Bas ».
[8] En outre, la Cour a confirmé que la conclusion d’iniquité peut viser un contrat dans son ensemble ou l’une ou l’autre de ses clauses qui peut en être extraite (Tercon Contractors Ltd. c. Colombie-Britannique (Transport et Voirie), [2010] 1 R.C.S. 69, par. 122, citant Hunter, p. 462, le juge en chef Dickson; McCamus, p. 440-442; Chris D. L. Hunt et Milad Javdan, « Apparitions of Doctrines Past: Fundamental Breach and Exculpatory Clauses in the Post-Tercon Jurisprudence » (2018), 60 Rev. can. dr. comm. 309, p. 328, n. 112).
[9] Monsieur Heller n’a pas fondé son argument sur la doctrine de l’illégalité du fait de la loi en common law et je refuse de l’examiner à défaut d’observations des parties : voir Transport North American Express Inc. c. New Solutions Financial Corp., 2004 SCC 7, [2004] 1 S.C.R. 249.