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COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : Wastech Services Ltd. c. Greater Vancouver Sewerage and Drainage District, 2021 CSC 7, [2021] 1 R.C.S. 32

 

Appel entendu : 6 décembre 2019

Jugement rendu : 5 février 2021

Dossier : 38601

 

Entre :

 

Wastech Services Ltd.

Appelante

 

et

 

Greater Vancouver Sewerage and Drainage District

Intimée

 

- et -

 

Procureur général de la Colombie-Britannique et Chambre de commerce du Canada

Intervenants

 

 

Traduction française officielle

 

Coram : Le juge en chef Wagner et les juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Côté, Brown, Rowe, Martin et Kasirer

 

Motifs de jugement :

(par. 1 à 114)

 

Le juge Kasirer (avec l’accord du juge en chef Wagner et des juges Abella, Moldaver, Karakatsanis et Martin)

Motifs conjoints concordants :

(par. 115 à 141)

Les juges Brown et Rowe (avec l’accord de la juge Côté)


 

wastech c. g.v. sewerage and drainage

Wastech Services Ltd.                                                                                   Appelante

c.

Greater Vancouver Sewerage and Drainage District                                     Intimée

et

Procureur général de la Colombie-Britannique et

Chambre de commerce du Canada                                                          Intervenants

Répertorié : Wastech Services Ltd. c. Greater Vancouver Sewerage and Drainage District

2021 CSC 7

No du greffe : 38601.

2019 : 6 décembre; 2021 : 5 février.

Présents : Le juge en chef Wagner et les juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Côté, Brown, Rowe, Martin et Kasirer.

en appel de la cour d’appel de la colombie‑britannique

                    Contrats Violation Exécution Obligation d’exercer un pouvoir discrétionnaire contractuel de bonne foi Contrat d’enlèvement de déchets conférant au district municipal le pouvoir discrétionnaire absolu concernant la répartition des déchets entre diverses installations d’élimination Nouvelle répartition des déchets par le district municipal donnant lieu à une réduction du profit de l’entreprise de transport des déchets Entreprise de transport des déchets alléguant une violation de contrat en raison de la nouvelle répartition des déchets la privant de la possibilité d’atteindre son profit cible La nouvelle répartition des déchets constitue‑t‑elle une violation de l’obligation d’exercer le pouvoir discrétionnaire contractuel de bonne foi?

                    Wastech, une entreprise qui s’occupe du transport et de l’élimination des déchets, et Metro, une société constituée en vertu d’une loi et chargée de gérer l’élimination des déchets dans le district régional du Grand Vancouver, entretiennent depuis longtemps une relation contractuelle visant l’enlèvement et le transport des déchets par Wastech vers trois installations d’élimination des déchets. Wastech devait être payée à un taux différent selon l’installation vers laquelle les déchets étaient envoyés et la distance pour s’y rendre. Le contrat ne garantissait pas que Wastech réaliserait un certain profit chaque année et il conférait à Metro le pouvoir discrétionnaire absolu de décider où les déchets seraient envoyés.

                    En 2011, Metro a décidé de modifier la répartition des déchets pour que les déchets qui étaient envoyés à une installation d’élimination des déchets plus éloignée soient envoyés à une installation plus rapprochée, de sorte que Wastech a enregistré un bénéfice d’exploitation bien inférieur à son objectif. Wastech a allégué que Metro avait violé le contrat en répartissant les déchets entre les installations d’une manière qui la privait de la possibilité d’atteindre les profits ciblés pour 2011. Wastech a renvoyé le différend à l’arbitrage et a réclamé des dommages‑intérêts compensatoires. L’arbitre était d’avis qu’une obligation d’agir de bonne foi s’appliquait, que Metro avait manqué à cette obligation et que Wastech avait donc droit à une indemnisation. La Cour suprême de la Colombie‑Britannique a accueilli l’appel de Metro, et a annulé la décision de l’arbitre au motif que l’imposition d’une obligation contractuelle de prendre en compte comme il se doit les intérêts d’une autre partie contractante doit être fondée sur les conditions du contrat en tant que tel, et qu’en l’espèce, les parties ont délibérément rejeté l’inclusion d’une condition limitant l’exercice du pouvoir discrétionnaire relatif à la répartition des déchets. La Cour d’appel a rejeté l’appel interjeté par Wastech.

                    Arrêt : Le pourvoi est rejeté.

                    Le juge en chef Wagner et les juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Martin et Kasirer : Lorsqu’une partie à un contrat exerce son pouvoir discrétionnaire de façon déraisonnable, c’est‑à‑dire d’une manière étrangère aux objectifs qui sous‑tendent le pouvoir discrétionnaire conféré par le contrat, sa conduite constitue un manquement à l’obligation d’exercer ses pouvoirs discrétionnaires contractuels de bonne foi. L’exercice par Metro de son pouvoir discrétionnaire n’était pas déraisonnable eu égard aux objectifs pour lesquels le pouvoir discrétionnaire a été conféré et ne constituait donc pas un manquement à l’obligation. Par conséquent, la sentence arbitrale ne peut être maintenue, que la norme de contrôle applicable soit celle de la décision correcte ou celle de la décision raisonnable.

                    L’obligation d’exercer les pouvoirs discrétionnaires contractuels de bonne foi est bien établie en common law. Elle a été expressément reconnue par la Cour lorsqu’elle a énoncé le principe directeur de bonne foi dans l’arrêt Bhasin c. Hrynew, 2014 CSC 71, [2014] 3 R.C.S. 494. Toutefois, il n’était pas nécessaire dans l’arrêt Bhasin de détailler la portée de cette obligation. Afin de répondre à la prétention de Wastech, la Cour doit alors déterminer quelles contraintes impose l’obligation d’exercer le pouvoir discrétionnaire contractuel de bonne foi à son titulaire.

                    L’obligation d’exercer un pouvoir discrétionnaire contractuel de bonne foi exige des parties qu’elles exercent celui‑ci d’une manière conforme aux objectifs pour lesquels il est conféré par le contrat, ou, pour reprendre la terminologie du principe directeur dans l’arrêt Bhasin, qu’elles exercent leur pouvoir discrétionnaire de manière raisonnable. Il y a manquement à l’obligation d’exercer le pouvoir discrétionnaire contractuel seulement lorsque ce pouvoir est exercé de façon déraisonnable, d’une manière étrangère aux objectifs qui sous‑tendent le pouvoir discrétionnaire. Lorsque le pouvoir discrétionnaire est exercé d’une façon conforme à cet objectif, un tel exercice peut être qualifié de raisonnable selon le marché que les parties ont choisi de mettre en place. Toutefois, lorsque l’exercice sort des balises établies par l’objectif contractuel, il est déraisonnable à la lumière de l’accord que les parties ont négocié et peut être considéré comme injuste et contraire aux exigences de la bonne foi.

                    Il faut évaluer l’équité selon ce qui est raisonnable en fonction du marché qu’ont conclu les parties. Ce n’est pas ce que le tribunal estime juste selon sa propre perception de ce qu’est l’exercice approprié du pouvoir discrétionnaire. Lorsque l’exercice du pouvoir discrétionnaire est en dehors de l’éventail des choix liés à son objectif sous‑jacent — en dehors de l’objectif pour lequel l’accord que les parties ont elles‑mêmes choisi confère ce pouvoir discrétionnaire — il est contraire aux exigences de la bonne foi. Les tribunaux peuvent intervenir lorsque l’exercice du pouvoir est arbitraire ou abusif compte tenu de son objectif établi par les parties; toutefois, il ne leur appartient pas de se demander si le pouvoir discrétionnaire a été exercé de façon opportune sur le plan moral ou avec sagesse d’un point de vue commercial. Les tribunaux doivent seulement s’assurer que les parties n’ont pas exercé leur pouvoir discrétionnaire d’une façon étrangère aux objectifs pour lesquels les parties elles‑mêmes confèrent ce pouvoir. Dans un contexte contractuel, on détermine de tels choix principalement en se rapportant au contrat, interprété dans son ensemble — il s’agit de la première source de justice entre les parties.

                    Ce qu’un tribunal juge déraisonnable est étroitement lié au contexte et dépend en fin de compte de l’intention qu’ont manifestée les parties dans leur contrat. De façon générale cependant, en ce qui concerne les contrats conférant un pouvoir discrétionnaire pour lequel la question à trancher est facile à mesurer objectivement, la gamme des issues raisonnables sera relativement réduite. En ce qui concerne les contrats conférant un pouvoir discrétionnaire pour lequel la question à trancher ou à approuver ne se prête guère à une mesure objective, la gamme d’issues raisonnables sera relativement plus grande. C’est en interprétant correctement le contrat aux fins des objectifs pour lesquels le pouvoir discrétionnaire a été conféré que la gamme de comportements de bonne foi deviendra apparente et que l’on pourra cerner les violations.

                    Exiger l’annulation substantielle — c’est‑à‑dire, le fait pour une partie de vider de son sens une grande partie de l’avantage obtenu par l’autre partie dans le cadre du contrat — n’est pas la norme qui convient pour conclure à un manquement à l’obligation d’exercer son pouvoir discrétionnaire contractuel de bonne foi. Le fait que l’exercice par une partie de son pouvoir discrétionnaire fasse perdre à son partenaire contractuel une partie ou la totalité de son avantage prévu au contrat ne devrait pas être considéré comme un élément déterminant, en soi, permettant de répondre à la question de savoir si le pouvoir discrétionnaire a été exercé de bonne foi. Cependant, il pourrait fort bien s’avérer utile pour démontrer que ce pouvoir discrétionnaire a été exercé d’une manière étrangère aux objectifs contractuels pertinents.

                    Enfin, l’obligation d’exercer un pouvoir discrétionnaire de bonne foi est un principe général du droit des contrats. Cette obligation n’a pas à trouver sa source dans une condition implicite du contrat; elle se manifeste plutôt dans chaque contrat, sans égard aux intentions des parties. La reconnaissance de cette obligation générale porte très peu atteinte à la liberté contractuelle pour deux raisons. D’abord, tout comme les parties s’attendront rarement à ce que leur contrat les autorise à exécuter leurs obligations de façon malhonnête, elles ne s’attendent que rarement, voire jamais, à ce que le pouvoir discrétionnaire conféré par le contrat soit exercé d’une manière étrangère aux objectifs pour lesquels il a été conféré. Deuxièmement, la teneur de l’obligation est fonction de la volonté des parties telle qu’elle est exprimée dans leur contrat. Au lieu de nuire aux objectifs des parties contractantes ou de leur imposer des obligations qu’elles ne peuvent raisonnablement envisager, cette obligation ne fait qu’exiger des parties qu’elles respectent les limites du pouvoir discrétionnaire défini par leurs propres objectifs pour lesquels elles en ont librement négocié l’octroi. Les parties qui prévoient un pouvoir discrétionnaire ne peuvent se soustraire à l’engagement implicite voulant que le pouvoir soit exercé de bonne foi, en fonction des objectifs pour lesquels il a été conféré.

                    L’exercice par Metro de son pouvoir discrétionnaire n’était pas déraisonnable eu égard aux objectifs pour lesquels le pouvoir discrétionnaire a été conféré. La cause de Wastech ne repose pas sur des allégations portant qu’elle a été victime de mensonges ou de tromperies ou que Metro a exercé son pouvoir discrétionnaire de façon abusive ou arbitraire, et elle ne relève pas de faute identifiable commise par Metro hormis la recherche de son propre intérêt dans les limites que fixe le contrat pour l’exercice du pouvoir discrétionnaire. Le contrat confère à Metro le pouvoir discrétionnaire absolu pour établir la façon dont les déchets seront répartis. Il n’y a aucun volume minimal garanti de déchets destinés aux sites au cours d’une année donnée. Lorsqu’on lit les clauses du contrat dans son ensemble, les objectifs deviennent clairs : donner à Metro la souplesse nécessaire pour maximiser l’efficacité et réduire au minimum les frais de l’opération. De plus, la coexistence de ce pouvoir discrétionnaire avec un cadre détaillé servant à ajuster les paiements en vue de l’atteinte d’un niveau négocié de rentabilité contredit l’idée que les parties entendaient que ce pouvoir discrétionnaire soit exercé de manière à ce que Wastech bénéficie d’une certaine rentabilité. Ces incitatifs détaillés existent déjà ailleurs dans le contrat.

                    À la lumière de ces objectifs, Metro n’a pas agi de façon déraisonnable. L’exercice par Metro de son pouvoir discrétionnaire était guidé par les objectifs d’optimisation de l’efficacité, de préservation de la capacité restante du site et d’exploitation du système de la manière la plus rentable possible, et Metro avait pris sa décision en vue d’atteindre ses propres objectifs opérationnels. Wastech cherche à obtenir un avantage qu’elle n’a pas négocié : elle demande que Metro lui confère un avantage qui n’a pas été envisagé, expressément ou implicitement, dans le contrat. Bien que Wastech ait souligné que le contrat constituait un accord relationnel à long terme tributaire d’un élément de confiance et de collaboration entre Wastech et Metro, cela ne permet pas de trancher l’affaire en faveur de Wastech. Il ne s’agit pas d’un exemple d’une situation imprévue ou non réglementée qui, en raison de la nature relationnelle du contrat, devait se régler grâce à la confiance et à la collaboration considérées comme inhérentes à l’accord à long terme. Les parties avaient prévu ce risque — et ont choisi de conserver le pouvoir discrétionnaire.

                    Wastech demande à la Cour de faire en sorte que Metro compromette son propre intérêt afin d’accommoder l’intérêt de Wastech. Toutefois, Metro est le partenaire contractuel de Wastech, non pas son fiduciaire. La loyauté exigée de sa part dans le cadre de l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire était la loyauté envers le marché, et non envers Wastech. Celle‑ci ne peut se fonder sur une compréhension de la bonne foi qui s’accorde mal avec le fondement de la justice contractuelle. Si l’on définit adéquatement les limites de l’exécution de bonne foi dans ce contexte, il est évident que Metro n’a pas exercé son pouvoir relatif à la répartition des déchets en violation d’une obligation d’agir de bonne foi. Par ailleurs, une analogie avec la norme de conduite raisonnable dans le domaine de l’abus de droits contractuels au Québec ne serait d’aucun secours à Wastech en l’espèce.

                    Les juges Côté, Brown et Rowe : Il y a accord sur le fait que le pourvoi devrait être rejeté. Pour répondre à la question soulevée, il faut simplement appliquer l’arrêt Bhasin et confirmer que, même si cet arrêt a classé plusieurs doctrines établies en common law sous la rubrique de la bonne foi, il ne représentait pas un abandon de la stabilité commerciale et n’exigeait pas que les parties contractantes subordonnent leurs intérêts à ceux de leur cocontractant.

                    Même si les juges majoritaires s’abstiennent de se prononcer sur la norme de contrôle applicable, des indications claires sur ce point devraient être fournies. Bien qu’il existe des différences importantes entre l’arbitrage commercial et le processus décisionnel administratif, ces différences n’ont pas d’incidence sur la norme de contrôle applicable lorsque le législateur a prévu un droit d’appel dans la loi. Les normes de contrôle applicables en appel s’appliquent suivant les règles d’interprétation législative. Le présent pourvoi a été interjeté en vertu de l’art. 31 de l’Arbitration Act de la Colombie‑Britannique qui prévoit que, sur consentement des parties ou sur autorisation de la Cour suprême de la Colombie‑Britannique, une partie à un arbitrage peut interjeter appel au tribunal sur toute question de droit découlant de la sentence. Au vu de l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 R.C.S. 653, il s’ensuit que la norme de contrôle que doit appliquer la Cour en l’espèce est celle de la décision correcte.

                    L’objectif de la bonne foi est de garantir l’exécution et l’application du contrat conclu par les parties. Elle ne peut servir à créer de nouveaux droits et obligations non négociés, ou à modifier les termes exprès du contrat. Lorsqu’un accord révèle une attente partagée et raisonnable pour ce qui est de la façon dont un pouvoir discrétionnaire peut être exercé, cette attente se verra donner effet. Même si les parties s’attendront habituellement à ce que le pouvoir discrétionnaire soit exercé conformément aux fins pour lesquelles il a été conféré, il en est ainsi seulement lorsque l’objet du pouvoir discrétionnaire découle des modalités du contrat, interprété objectivement, et compte tenu de la matrice factuelle. L’obligation d’exercer un pouvoir discrétionnaire de façon raisonnable ne représente pas des normes externes imposées sur l’exercice du pouvoir discrétionnaire, mais donne plutôt effet aux normes propres au marché conclu par les parties. En conséquence, il y a désaccord avec les juges majoritaires quant à l’affirmation portant que lorsque le pouvoir discrétionnaire est absolu à sa face même, le tribunal doit se faire une idée générale des objectifs de l’entreprise auxquels donne effet le contrat, et de la loyauté envers cette entreprise que pourrait entraîner celui-ci pour les parties, et de considérer ces objectifs généraux comme établissant les limites inhérentes de l’exercice du pouvoir. La mention par les juges majoritaires de la loyauté envers l’entreprise donne à penser que les parties doivent exercer leur pouvoir discrétionnaire, même lorsqu’elles ont décidé qu’il serait absolu, d’une façon qui favorise la réalisation des objectifs du contrat. Aborder la tâche d’interprétation sur la base d’un tel point de départ risque de miner la liberté contractuelle et de dénaturer le marché des parties en imposant des contraintes auxquelles elles n’ont pas consenti, et favorise même une telle conséquence.

                    Par ailleurs, l’objet d’un pouvoir discrétionnaire est toujours défini par les intentions des parties, qui se dégagent du contrat. Ainsi, lorsqu’un contrat révèle une intention claire de conférer un pouvoir discrétionnaire qui peut être exercé à toute fin, les tribunaux, dans le cadre du rôle qui leur incombe, doivent donner effet à cette intention. Grâce à une rédaction minutieuse, les parties peuvent mettre dans une large mesure l’exercice du pouvoir discrétionnaire à l’abri d’un contrôle sur ce fondement, ou elles peuvent choisir de préciser la fin pour laquelle un pouvoir discrétionnaire a été conféré afin de prévoir une norme claire en fonction de laquelle l’exercice du pouvoir discrétionnaire devra être évalué. Dans un cas comme dans l’autre, leur intention devrait se voir donner effet et non être minée.

                    L’obligation d’exécution honnête et l’obligation d’exercer les pouvoirs discrétionnaires de bonne foi devraient demeurer distinctes. Toute affirmation portant que l’obligation d’exécution honnête est une étape préliminaire pour évaluer s’il y a eu manquement à l’obligation d’exercer les pouvoirs discrétionnaires de bonne foi démontre une incompréhension de la façon dont la common law établit une distinction entre ces obligations, ou n’en tient pas compte. De surcroît, plutôt que de contribuer à l’évolution de la common law relativement à la bonne foi en matière d’exécution contractuelle, la digression des juges majoritaires sur le droit civil du Québec donne lieu à des difficultés, de l’incertitude et de la confusion. Celui‑ci n’est d’aucune pertinence en l’espèce et cette digression crée de la confusion pour aucune raison valable. La common law de la Colombie‑Britannique s’applique au contrat dont il est question et répond clairement aux questions de droit que soulève le présent pourvoi.

Jurisprudence

Citée par le juge Kasirer

                    Arrêt appliqué : Bhasin c. Hrynew, 2014 CSC 71, [2014] 3 R.C.S. 494; arrêt rejeté : Gateway Realty Ltd. c. Arton Holdings Ltd. (1991), 106 N.S.R. (2d) 180, conf. par (1992), 112 N.S.R. (2d) 180; arrêts mentionnés : C.M. Callow Inc. c. Zollinger, 2020 CSC 45, [2020] 3 R.C.S. 908; Styles c. Alberta Investment Management Corp., 2017 ABCA 1, 44 Alta. L.R. (6th) 214; Finney c. Barreau du Québec, 2004 CSC 36, [2004] 2 R.C.S. 17; Sattva Capital Corp. c. Creston Moly Corp., 2014 CSC 53, [2014] 2 R.C.S. 633; Teal Cedar Products Ltd. c. Colombie‑Britannique, 2017 CSC 32, [2017] 1 R.C.S. 688; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 R.C.S. 653; Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559; Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Procureur général) c. Uashaunnuat (Innus de Uashat et de Mani‑Utenam), 2020 CSC 4, [2020] 1 R.C.S. 15; Mitsui & Co. (Canada) Ltd. c. Banque Royale du Canada, [1995] 2 R.C.S. 187; Greenberg c. Meffert (1985), 50 O.R. (2d) 755; 2123201 Ontario Inc. c. Succession Israel, 2016 ONCA 409, 130 O.R. (3d) 652; LeMesurier c. Andrus (1986), 54 O.R. (2d) 1; Jack Wookey Hldg. Ltd. c. Tanizul Timber Ltd. (1988), 27 B.C.L.R. (2d) 221; Canadian National Railway Co. c. Inglis Ltd. (1997), 36 O.R. (3d) 410; Marshall c. Bernard Place Corp. (2002), 58 O.R. (3d) 97; Shelanu Inc. c. Print Three Franchising Corp. (2003), 64 O.R. (3d) 533; Filice c. Complex Services Inc., 2018 ONCA 625, 428 D.L.R. (4th) 548; Abu Dhabi National Tanker Co. c. Product Star Shipping Ltd. (The “Product Star”) (No. 2), [1993] 1 Lloyd’s Rep. 397; Renard Constructions (ME) Pty Ltd. c. Minister for Public Works (1992), 26 N.S.W.L.R. 234; A.I. Enterprises Ltd. c. Bram Enterprises Ltd., 2014 CSC 12, [2014] 1 R.C.S. 177; OBG Ltd. c. Allan, [2007] UKHL 21, [2008] 1 A.C. 1; Sherry c. CIBC Mortgages Inc., 2016 BCCA 240, 88 B.C.L.R. (5th) 105; Mesa Operating Limited Partnership c. Amoco Canada Resources Ltd. (1994), 149 A.R. 187; Klewchuk c. Switzer, 2003 ABCA 187, 330 A.R. 40; British Telecommunications plc c. Telefónica O2 UK Ltd., [2014] UKSC 42, [2014] 4 All E.R. 907; Houle c. Banque Canadienne Nationale, [1990] 3 R.C.S. 122; Ponce c. Montrusco & Associés inc., 2008 QCCA 329, [2008] R.J.D.T. 65; Churchill Falls (Labrador) Corp. c. Hydro-Québec, 2018 CSC 46, [2018] 3 R.C.S. 101; Dunkin’ Brands Canada Ltd. c. Bertico inc., 2015 QCCA 624, 41 B.L.R. (5th) 1; Gestion immobilière Bégin inc. c. 9156-6901 Québec inc., 2018 QCCA 1935.

Citée par les juges Brown et Rowe

                    Arrêts appliqués : Bhasin c. Hrynew, 2014 CSC 71, [2014] 3 R.C.S. 494; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 R.C.S. 653; Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235; arrêts mentionnés : Northland Utilities (NWT) Limited c. Hay River (Town of), 2021 NWTCA 1; Ontario First Nations (2008) Limited Partnership c. Ontario Lottery And Gaming Corporation, 2020 ONSC 1516; Cove Contracting Ltd. c. Condominium Corporation No 012 5598 (Ravine Park), 2020 ABQB 106, 10 Alta. L.R. (7th) 178; Allstate Insurance Co. c. Ontario (Minister of Finance), 2020 ONSC 830, 149 O.R. (3d) 761; Buffalo Point First Nation c. Cottage Owners Association, 2020 MBQB 20; Clark c. Unterschultz, 2020 ABQB 338, 41 R.F.L. (8th) 28; Sattva Capital Corp. c. Creston Moly Corp., 2014 CSC 53, [2014] 2 R.C.S. 633; Teal Cedar Products Ltd. c. Colombie-Britannique, 2017 CSC 32, [2017] 1 R.C.S. 688; Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Procureur général) c. Uashaunnuat (Innus de Uashat et de Mani‑Utenam), 2020 CSC 4, [2020] 1 R.C.S. 15; C.M. Callow Inc. c. Zollinger, 2020 CSC 45, [2020] 3 R.C.S. 908; Mitsui & Co. (Canada) Ltd. c. Banque Royale du Canada, [1995] 2 R.C.S. 187; Transamerica Life Canada Inc. c. ING Canada Inc. (2003), 68 O.R. (3d) 457; Styles c. Alberta Investment Management Corp., 2017 ABCA 1, 44 Alta. L.R. (6th) 214; Mesa Operating Ltd. Partnership c. Amoco Canada Resources Limited (1994), 149 A.R. 187.

Lois et règlements cités

Arbitration Act, R.S.B.C. 1996, c. 55 [abr. & rempl. 2020, c. 2, s. 72], art. 31 [abr. & rempl. 2020, c. 2, art. 59].

Code civil du Québec, art. 6, 7, 1375.

Greater Vancouver Sewerage and Drainage District Act, S.B.C. 1956, c. 59.

Doctrine et autres documents cités

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                    POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique (les juges Newbury, Stromberg-Stein et Fisher), 2019 BCCA 66, 19 B.C.L.R. (6th) 217, 431 D.L.R. (4th) 512, [2019] B.C.J. No. 236 (QL), 2019 CarswellBC 336 (WL Can.), qui a confirmé une décision du juge McEwan, 2018 BCSC 605, [2018] B.C.J. No. 684 (QL), 2018 CarswellBC 910 (WL Can.). Pourvoi rejeté.

                    Geoffrey G. Cowper, c.r., Mark D. Andrews, c.r., et Stanley Martin, pour l’appelante.

                    Irwin G. Nathanson, c.r., et Julia K. Lockhart, pour l’intimée.

                    Jonathan Eades et Graham J. Underwood, pour l’intervenant le procureur général de la Colombie‑Britannique.

                    Jeremy Opolsky et Winston Gee, pour l’intervenante la Chambre de commerce du Canada.

 

                    Version française du jugement du juge en chef Wagner et des juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Martin et Kasirer rendu par

                    Le juge Kasirer —

I.               Aperçu

[1]                              Le présent pourvoi soulève la question de savoir si une obligation d’exécution de bonne foi découlant de la common law s’applique à un contrat à long terme relatif à l’enlèvement des déchets dans la grande région de Vancouver. Plus précisément, le pourvoi porte sur la façon dont les principes de bonne foi peuvent empêcher ce qu’un auteur a appelé [traduction] « l’abus de pouvoirs discrétionnaires contractuels » (J. D. McCamus, The Law of Contracts (3e éd. 2020), p. 938). Dans l’arrêt Bhasin c. Hrynew, 2014 CSC 71, [2014] 3 R.C.S. 494, par. 47 et 50, le juge Cromwell a observé que l’exercice par une partie de son pouvoir discrétionnaire contractuel est une situation dans laquelle les tribunaux ont conclu à l’existence d’une obligation d’exécution de bonne foi en conformité avec le « principe directeur » dont cette obligation et d’autres obligations de bonne foi découlent : « les parties doivent, de façon générale, exécuter leurs obligations contractuelles de manière honnête et raisonnable, et non de façon abusive ou arbitraire » (par. 63, voir aussi McCamus, p. 931‑943). Toutefois, l’arrêt Bhasin n’aborde pas les questions de la source ni de la teneur de l’obligation précise d’exercer un pouvoir discrétionnaire de bonne foi, car elles n’étaient pas en litige dans cette affaire.

[2]                              L’appelante en l’espèce, une entreprise d’enlèvement de déchets, affirme que l’intimée a exercé son pouvoir contractuel pour décider où les déchets seraient envoyés dans la région contrairement aux exigences de la bonne foi. L’appelante soutient que les juridictions inférieures n’ont pas compris le concept au cœur de l’arrêt Bhasin, selon lequel une partie contractante devrait « prendre en compte comme il se doit les intérêts légitimes de son partenaire contractuel » (Bhasin, par. 65). Selon l’appelante, l’exercice du pouvoir discrétionnaire de l’intimée a rendu impossible pour elle de réaliser les profits qu’elle avait négociés dans le cadre de ce qu’elle décrit comme un contrat relationnel à long terme, fondé sur la confiance entre les parties. En conséquence, l’intimée a exercé son pouvoir discrétionnaire d’une manière que l’appelante a décrite comme ne respectant pas la norme d’honnêteté et de raisonnabilité qu’exige l’arrêt Bhasin dans ce contexte.

[3]                              Le problème dans la présente affaire n’est pas tant de savoir si l’obligation d’exercer le pouvoir discrétionnaire contractuel de bonne foi existe, mais de déterminer sur quoi repose son existence et selon quelle norme un manquement à celle‑ci peut être établi. Certes, l’appelante a raison de dire que le principe directeur de bonne foi reconnu dans l’arrêt Bhasin illustre l’idée qu’une partie contractante devrait prendre en compte comme il se doit les intérêts contractuels légitimes de son partenaire contractuel. Toutefois, en demandant une indemnisation pour la perte d’occasion subie en raison de l’exercice supposément malhonnête ou déraisonnable du pouvoir discrétionnaire relatif à la répartition des déchets prévu au contrat, l’appelante interprète mal le principe directeur et attribue une portée excessive à l’une des obligations précises de bonne foi qui en découle.

[4]                              Il y a manquement à l’obligation d’exercer le pouvoir discrétionnaire contractuel seulement lorsque ce pouvoir est exercé de façon déraisonnable, ce qui signifie en l’espèce d’une manière étrangère aux objectifs qui sous‑tendent le pouvoir discrétionnaire. Cela sera établi, par exemple, lorsque l’exercice du pouvoir discrétionnaire est arbitraire ou abusif, comme le laisse entendre la formulation par le juge Cromwell dans l’arrêt Bhasin du principe directeur de l’exécution de bonne foi. Selon cet arrêt, cette obligation découle de la même exigence de justice corrective que l’obligation d’exécution honnête, qui exige que les parties exécutent leurs obligations ou exercent leurs droits prévus au contrat en prenant en compte comme il se doit les intérêts contractuels légitimes de leur partenaire contractuel. Comme l’obligation d’exécution honnête dont il était question dans l’arrêt C.M. Callow Inc. c. Zollinger, 2020 CSC 45, [2020] 3 R.C.S. 908, l’obligation reconnue en l’espèce en est une qui s’applique, comme l’indique le juge Cromwell dans l’arrêt Bhasin, de la même manière qu’une doctrine, c’est‑à‑dire qu’elle s’applique quelles que soient les intentions des parties (Bhasin, par. 74).

[5]                              Si on examine bien la cause de l’appelante, on constate qu’elle ne repose pas sur des allégations portant qu’elle a été victime de mensonges ou de tromperies. Il n’y est pas affirmé que l’intimée a exercé son pouvoir discrétionnaire de façon abusive ou arbitraire. L’appelante ne relève pas, sous l’apparence d’un comportement prétendument déraisonnable, de faute identifiable commise par l’intimée hormis la recherche de son propre intérêt dans les limites que fixe le contrat pour l’exercice du pouvoir discrétionnaire. Dans le cas qui nous occupe, l’obligation d’exécution de bonne foi en cause restreint l’exercice acceptable des pouvoirs discrétionnaires conférés par contrat, mais, ce faisant, elle ne remplace pas le marché détaillé et négocié comme source principale de justice entre les parties.

[6]                              Plus important encore, l’obligation d’agir de bonne foi en jeu n’exige pas que l’intimée subordonne ses intérêts à ceux de l’appelante, et n’exige pas non plus que soit conféré à l’appelante un avantage qui n’a pas été prévu au contrat ou dont la portée dépasse les objectifs pour lesquels a été consenti le pouvoir discrétionnaire. En l’espèce, l’appelante dénonce une conduite intéressée, certes, et affirme que cette conduite a rendu impossible pour elle d’obtenir l’avantage fondamental qu’elle avait négocié. Par contre, même si elle demande des dommages‑intérêts pour cette perte, l’appelante n’allègue pas que l’intimée a commis une faute donnant ouverture à un droit d’action lorsqu’elle a exercé le pouvoir discrétionnaire prévu au contrat. Bien qu’il soit vrai que l’arbitre a caractérisé le contrat à long terme en cause de relationnel, il a conclu que la situation donnant lieu au présent litige, même si elle pouvait avoir semblé improbable pour les parties, constituait un risque que les parties avaient précisément envisagé lors de la rédaction de leur accord détaillé. Dans ce contexte, la confiance et la collaboration que pourraient se devoir mutuellement les parties en raison du caractère relationnel à long terme du contrat ne permettent pas de régler le présent cas en faveur de l’appelante en exigeant que l’intimée agisse en tant que fiduciaire.

[7]                              Si l’on définit adéquatement les limites de l’exécution de bonne foi dans ce contexte, il est évident que l’intimée n’a pas exercé son pouvoir relatif à la répartition des déchets en violation d’une obligation d’agir de bonne foi. Dans les faits, en sollicitant des dommages‑intérêts fondés sur l’obligation contractuelle d’agir de bonne foi que l’intimée avait envers elle, l’appelante demande à la Cour de lui accorder un avantage qui n’était pas prévu dans l’accord conclu entre les parties, en l’absence d’une violation contractuelle importante ou d’une faute identifiable. Cela me semble une confusion des exigences de l’exécution de bonne foi avec une directive d’agir de façon désintéressée d’une manière qui sort des balises ordinaires de l’ordre social établi par contrat, au service d’une solidarité théorique entre les parties fondée sur une théorie différente de la justice. Par conséquent, je suis d’avis de rejeter le pourvoi.

II.            Contexte

A.           Le contrat

[8]                              L’appelante, Wastech Services Ltd. (« Wastech »), est une entreprise de la Colombie‑Britannique qui s’occupe du transport et de l’élimination des déchets. L’intimée, la société Greater Vancouver Sewerage and Drainage District (« Metro »), a été constituée en vertu de la Greater Vancouver Sewerage and Drainage District Act, S.B.C. 1956, c. 59. L’un de ses principaux mandats est de gérer l’élimination des déchets dans le district régional du Grand Vancouver.

[9]                              Wastech et Metro entretiennent une relation commerciale depuis longtemps. Elles ont conclu des contrats pour l’élimination des déchets dans le district régional du Grand Vancouver deux fois en 1986, une fois en 1988 et à nouveau en 1992. En 1996, après environ 18 mois de négociations, Wastech et Metro ont conclu un nouvel accord d’élimination des déchets (« contrat »), établissant ce que les parties ont décrit comme un [traduction] « système municipal complet et intégré de transfert des déchets solides [. . .] et un site d’enfouissement fiables, rentables et respectueux de l’environnement » (d.a., vol. II, p. 9, attendu B). Le contrat était complexe et comprenait plusieurs attendus, de nombreuses définitions et annexes. Il remplaçait les 4 accords existants entre Wastech et Metro et était d’une durée de 20 ans.

[10]                          Le contrat visait l’enlèvement et le transport des déchets par Wastech dans le district représenté par Metro vers trois installations d’élimination des déchets : le site d’enfouissement de Vancouver, l’installation de valorisation énergétique des déchets de Burnaby et le site d’enfouissement de Cache Creek. Wastech devait être payée à un taux réduit, sous réserve de certaines variables, pour le transport sur une courte distance des déchets vers le site d’enfouissement de Vancouver et l’installation de valorisation énergétique des déchets de Burnaby, en comparaison au taux qu’elle recevait pour le transport vers le site d’enfouissement de Cache Creek, plus éloigné.

[11]                          La rémunération de Wastech était structurée selon un [traduction] « ratio d’exploitation cible » (« RE cible »). Défini à l’al. 14.1(ag) du contrat comme un ratio de 0,890, le RE cible correspondait à un scénario où les coûts d’exploitation de Wastech s’élevaient à 89 pour 100 de ses revenus totaux, donnant ainsi un bénéfice d’exploitation de 11 pour 100. Il convient de mentionner que le contrat ne garantissait pas que Wastech atteindrait le RE cible chaque année.

[12]                          Le contrat prévoyait divers ajustements afin de tenir compte des fluctuations du ratio d’exploitation réel (« RE réel ») atteint par Wastech. L’article 14.19 du contrat prévoyait que si le RE réel différait du RE cible, les parties se partageraient également les conséquences financières de cette différence. Si le RE réel dépassait le RE cible, Metro devrait verser à Wastech une somme additionnelle équivalant à 50 pour 100 de la différence entre le RE cible et le RE réel. Wastech indemniserait Metro de la même façon si le RE réel était inférieur au RE cible. L’article 14.11 du contrat prévoyait également que les taux devant être payés à Wastech et la contribution de Metro aux dépenses d’exploitation fixes seraient ajustés chaque année si le RE réel atteint au cours de l’année précédente était inférieur à 0,860 ou supérieur à 0,920.

[13]                          Selon l’article 12.7 du contrat, Metro devait fournir chaque année à Wastech une prévision détaillée de la répartition de tous les déchets devant être transportés dans le cadre du contrat pour l’année d’exploitation suivante. L’arbitre a conclu que [traduction] « [c]ette exigence [avait] notamment pour but de donner à Wastech l’occasion de planifier ses activités futures et de gérer ses coûts » (d.a., vol. I, p. 1 (« sentence arbitrale »), par. 44). Cependant, les art. 30.1, 30.2 et 30.4 conféraient à Metro le [traduction] « pouvoir discrétionnaire absolu » pour déterminer et modifier la quantité minimale de déchets devant être transportés vers le site d’enfouissement de Cache Creek pour une année donnée.

[14]                          Durant les négociations, Wastech et Metro se sont rendu compte que la quantité de déchets transportés sur une longue distance vers le site d’enfouissement de Cache Creek était susceptible de diminuer, notamment en raison de la décision de Metro de rediriger les déchets vers le site d’enfouissement de Vancouver, qui est moins loin. En outre, les deux parties savaient que cela pourrait empêcher Wastech d’atteindre le RE cible. Elles croyaient qu’un tel scénario était très peu probable. Étant donné leur volonté mutuelle de simplifier le contrat, Wastech et Metro ont convenu de ne pas inclure dans le contrat une clause de rajustement visant ce scénario.

B.            Circonstances de la violation alléguée

[15]                          En septembre 2010, Metro a remis à Wastech son plan annuel de répartition des déchets pour 2011, selon lequel de 600 000 à 700 000 tonnes de déchets devaient être éliminées au cours de l’année. Metro a demandé à Wastech de modifier la répartition des déchets devant être transportés pour 2011 : le site d’enfouissement de Vancouver devait recevoir 200 000 tonnes, soit une augmentation par rapport aux 138 380 tonnes reçues en 2010; l’installation de valorisation énergétique des déchets de Burnaby devait recevoir suffisamment de déchets pour fonctionner à pleine capacité; et le site d’enfouissement de Cache Creek devait recevoir le reste des déchets.

[16]                          En fin de compte, la quantité totale de déchets transportés par Wastech en 2011 a été de 609 340 tonnes, soit approximativement 8 pour 100 de moins qu’en 2010. Le site d’enfouissement de Cache Creek a reçu 273 018 tonnes, soit approximativement 31 pour 100 de moins qu’en 2010. Le site d’enfouissement de Vancouver a reçu 187 428 tonnes, soit approximativement 36 pour 100 de plus qu’en 2010. Ces totaux sont le résultat d’une décision délibérée de Metro d’envoyer au site d’enfouissement de Vancouver une partie des déchets qui devaient être transportés à celui de Cache Creek.

[17]                          À la suite de la nouvelle répartition des déchets, et avant les paiements de rajustement, Wastech fonctionnait à perte, son ratio d’exploitation étant de 1,045. Toutefois, si l’on tient compte des paiements de rajustement prévus à l’art. 14.19, Wastech réalisait un profit, atteignant un ratio d’exploitation de 0,960. Comme je l’ai mentionné précédemment, le paiement de rajustement visait à faire en sorte que les parties se partagent également les conséquences financières d’un écart par rapport au RE cible. Après avoir tenu compte de ce paiement, Wastech a donc enregistré un bénéfice d’exploitation de 4 pour cent pour l’année, bien inférieur à son objectif de 11 pour cent.

[18]                          En vertu de l’art. 18.3 du contrat, Wastech a renvoyé le différend à l’arbitrage, alléguant que Metro avait violé le contrat en répartissant les déchets parmi les installations pour 2011 d’une manière qui privait Wastech de la possibilité d’atteindre le RE cible cette année‑là. Wastech a réclamé des dommages‑intérêts compensatoires de 2 888 162 $, ce qui, selon elle, représentait le montant additionnel qu’elle aurait gagné en 2011 si la répartition des déchets établie par Metro ne l’avait pas privée de la possibilité d’atteindre le RE cible.

III.         Décisions des juridictions inférieures

A.           La sentence arbitrale — no de dossier DCA‑1560 du BCICAC, 13 février 2015 (Gerald W. Ghikas, c.r.)

[19]                          L’arbitre a jugé en faveur de Wastech.

[20]                          Wastech a présenté deux observations. Premièrement, elle a soutenu que la décision de Metro d’envoyer au site d’enfouissement de Vancouver des déchets qui devaient être envoyés à celui de Cache Creek en 2011 constituait une violation d’une condition implicite du contrat fondée sur les intentions présumées des parties. La condition implicite alléguée, telle qu’elle a été formulée par Wastech devant l’arbitre, était complexe. Essentiellement, elle aurait obligé les parties à rétablir rétroactivement divers taux et paiements dans le cas où Metro décidait de modifier la répartition des déchets d’une manière qui aurait rendu impossible pour Wastech d’atteindre le RE cible au cours de l’année d’exploitation précédente.

[21]                          Subsidiairement, Wastech a fait valoir que le pouvoir discrétionnaire de Metro relatif à la répartition des déchets entre les installations était assujetti à une obligation d’agir de bonne foi, de sorte qu’il ne pouvait être exercé d’une manière susceptible de priver Wastech de la possibilité d’atteindre le RE cible.

[22]                          L’arbitre a refusé de conclure que la condition proposée par Wastech était implicite parce qu’il n’était pas évident que les parties y auraient consenti. Au contraire, l’arbitre a jugé que les parties avaient pris la décision de ne pas inclure au contrat une clause [traduction] « traitant du sujet de la condition » que Wastech disait être implicite (sentence arbitrale, par. 74).

[23]                          Néanmoins, l’arbitre était d’avis que cela ne l’empêchait pas de se demander si le pouvoir discrétionnaire que le contrat conférait à Metro était limité par une obligation d’agir de bonne foi. Sur ce point, il était d’accord avec Wastech pour dire qu’une obligation d’agir de bonne foi s’appliquait, que Metro avait manqué à cette obligation et que Wastech avait donc droit à une indemnisation.

[24]                          L’arbitre a commencé par examiner le jugement rendu par la Cour dans l’arrêt Bhasin. Il a souligné que les tribunaux ont conclu que, dans le cas où un contrat confère expressément un pouvoir discrétionnaire à une partie, celui‑ci doit être exercé de bonne foi. Comme le contrat était un accord relationnel à long terme qui reposait sur la confiance entre Wastech et Metro, l’arbitre a conclu que les [traduction] « règles existantes » de la bonne foi obligeaient Metro à « “prendre en compte comme il se doit” les intérêts contractuels légitimes de Wastech dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire contractuel » relatif à la répartition des déchets (par. 85).

[25]                          En ce qui concerne la preuve qui lui a été soumise, l’arbitre a accepté que la décision de Metro d’envoyer ailleurs des déchets qui devaient être envoyés au site d’enfouissement de Cache Creek en 2011 était [traduction] « guidée par les objectifs d’optimisation de l’efficacité [de l’installation de Burnaby], de préservation de la capacité restante du site [d’enfouissement de Cache Creek] et d’exploitation du système de la manière la plus rentable possible » (par. 87). En outre, avant que la répartition des déchets soit modifiée, la situation financière de Metro s’était détériorée en raison du déclin des volumes de déchets. Se fondant sur ces éléments de preuve, l’arbitre a conclu que Metro avait pris sa décision relative à la répartition des déchets « en vue d’atteindre ses propres objectifs opérationnels » et que, « [s]i l’on examinait la situation du point de vue de Metro uniquement et sans tenir compte des intérêts de Wastech, la conduite de Metro était honnête et raisonnable » (par. 88).

[26]                          Selon l’arbitre, il restait encore à établir si Metro avait [traduction] « pris en compte comme il se doit » les intérêts de Wastech dans le cadre du contrat. Il s’agissait là de la question principale, car « [l]e principe directeur énoncé dans l’arrêt Bhasin est axé sur une conduite dans le cadre de laquelle une partie ne “prend [pas] en compte comme il se doit” les “attentes légitimes” de l’autre partie en ce qui concerne l’exécution du contrat » (par. 90). Il a mentionné que, selon l’arrêt Bhasin, l’exercice d’un « droit contractuel négocié [est] “malhonnête” lorsqu’il est totalement incompatible avec les attentes contractuelles légitimes de l’autre partie », et qu’il n’est pas nécessaire de démontrer une autre forme de malhonnêteté, comme « une demi‑vérité, un mensonge ou une tromperie » (par. 90).

[27]                          L’arbitre a conclu que l’exercice par Metro de son pouvoir discrétionnaire avait rendu [traduction] « impossible » pour Wastech d’atteindre le RE cible (par. 89). Il a aussi jugé que Wastech avait une attente contractuelle légitime que Metro n’exerce pas son pouvoir de manière à la priver de la possibilité d’atteindre le RE cible (par. 92). Par ailleurs, l’arbitre a mentionné que le fait d’avoir cette possibilité d’atteindre le RE cible chaque année du contrat était « l’avantage fondamental que Wastech avait négocié » (par. 94). Soulignant le fait que les tribunaux exigent souvent une preuve que la conduite d’une partie a « dépouillé » ou vidé le contrat de son sens, ou a privé l’autre partie contractante de la totalité ou de la quasi‑totalité des avantages qu’elle avait négociés, l’arbitre a mentionné qu’il n’était pas nécessaire que Wastech fournisse de tels éléments de preuve, car « le principe fondamental énoncé dans l’arrêt Bhasin ne comprend pas une telle exigence » (par. 93).

[28]                          À partir de ce raisonnement, l’arbitre a conclu que [traduction] « la conduite de Metro démontr[ait] que les attentes légitimes de Wastech n’avaient pas été prises en compte comme il se doit » et que cela suffisait à justifier une conclusion de manquement à l’obligation d’agir de bonne foi (par. 94). Cependant, l’arbitre a précisé que le manquement s’était produit non pas en lien avec la décision de modifier la répartition des déchets en tant que telle, mais plutôt en lien avec le fait que Metro n’a pas indemnisé Wastech pour la perte de la possibilité d’atteindre le RE cible (par. 95).

B.            Cour suprême de la Colombie‑Britannique — Décision relative à la demande d’autorisation, 2016 BCSC 68, 409 D.L.R. (4th) 9 (la juge Fitzpatrick)

[29]                          Metro a demandé l’autorisation d’interjeter appel de la décision de l’arbitre en vertu de l’art. 31 de l’Arbitration Act, R.S.B.C. 1996, c. 55 [abr. et rempl. 2020, c. 2, art. 72], et sa demande a été accueillie à l’égard des questions de droit suivantes :

      [traduction]

1. L’arbitre a‑t‑il commis une erreur de droit en omettant d’appliquer les principes appropriés lorsqu’il a jugé que l’exercice par une partie d’un droit négocié pouvait être [traduction] « malhonnête » et constituer un acte de mauvaise foi simplement parce qu’il était totalement incompatible avec les attentes de l’autre partie contractante, lesquelles n’étaient pas énoncées dans le contrat?

      2. L’arbitre a‑t‑il commis une erreur de droit en confondant le « principe directeur » énoncé dans l’arrêt Bhasin avec une obligation distincte de bonne foi contractuelle, omettant par le fait même de tenir compte des principes de bonne foi applicables tels qu’ils sont énoncés dans la jurisprudence? [par. 40]

C.            Cour d’appel de la Colombie‑Britannique — Décision relative à la demande d’autorisation, 2016 BCCA 393, 409 D.L.R. (4th) 4 (les juges Frankel, MacKenzie et Fenlon)

[30]                          Wastech a porté en appel l’ordonnance autorisant Metro à interjeter appel. Dans de brefs motifs oraux, la Cour d’appel a rejeté à l’unanimité l’appel de Wastech.

D.           Cour suprême de la Colombie‑Britannique — Décision d’appel, 2018 BCSC 605 (le juge McEwan)

[31]                          Le juge siégeant en cabinet qui a instruit l’appel de Metro sur le fond a annulé la décision de l’arbitre, adjugé les dépens de l’appel à Metro et renvoyé à l’arbitre la question des frais de l’arbitrage.

[32]                          Le juge siégeant en cabinet a rejeté l’argument de Wastech selon lequel [traduction] « des contraintes objectivement raisonnables doivent être imposées à l’exercice du pouvoir discrétionnaire de Metro » parce que cette dernière était tenue de « prendre en compte comme il se doit » les intérêts de Wastech (par. 23 et 41 (CanLII)).

[33]                          Selon le juge siégeant en cabinet, l’imposition d’une obligation de prendre en compte comme il se doit les intérêts d’une autre partie contractante doit être fondée sur les conditions du contrat en tant que tel. En l’espèce, les parties ont envisagé et délibérément rejeté l’inclusion d’une condition limitant l’exercice du pouvoir discrétionnaire de Metro relatif à la répartition des déchets. Il a écrit ce qui suit : [traduction] « Il s’agit d’un cas où des parties bien informées ont laissé de côté une condition qui aurait pu régler le problème », plutôt que d’un cas où elles ont fait abstraction d’une disposition du contrat ou ont omis de la prendre en compte. Pour le juge siégeant en cabinet, ce point à lui seul [traduction] « invali[dait] l’approche adoptée par l’arbitre » (par. 57).

[34]                          Rappelant que la Cour dans l’arrêt Bhasin a explicitement reconnu qu’une partie peut parfois causer une perte à une autre partie dans la poursuite légitime d’intérêts économiques personnels, le juge siégeant en cabinet a aussi conclu que l’arbitre avait effectivement fait fi des conditions du contrat en concluant que la conduite de Metro était [traduction] « malhonnête » seulement parce qu’elle était « incompatible » avec les attentes contractuelles légitimes de Wastech (par. 60‑62). En fin de compte, il a jugé qu’il était difficile de [traduction] « voir comment le principe de bonne foi [pouvait] être appliqué au [contrat] compte tenu des circonstances dans lesquelles [celui‑ci] a été établi » (par. 61). Il a donc accueilli l’appel de Metro.

E.            Cour d’appel de la Colombie‑Britannique — Décision d’appel, 2019 BCCA 66, 19 B.C.L.R. (6th) 217 (les juges Newbury, Stromberg‑Stein et Fisher)

[35]                          Wastech a interjeté appel de l’ordonnance rendue par le juge siégeant en cabinet. Dans les motifs rédigés par la juge Newbury, la Cour d’appel a rejeté à l’unanimité l’appel et adjugé les dépens à Metro.

[36]                          La juge Newbury a commencé son analyse en faisant remarquer que le juge siégeant en cabinet n’avait pas clairement répondu aux deux questions de droit dont il était saisi. En conséquence, elle a examiné les deux questions de nouveau (par. 63‑65). Répondant à chacune par l’affirmative, la Cour d’appel a relevé quatre erreurs de droit commises par l’arbitre.

[37]                          Premièrement, la Cour d’appel a conclu que l’arbitre avait appliqué le mauvais critère juridique pour établir si la conduite de Metro annulait les avantages que Wastech pouvait raisonnablement s’attendre à obtenir dans le cadre du contrat. Plus précisément, il n’avait pas vérifié quels étaient les attentes ou les intérêts contractuels légitimes de Wastech selon les conditions du contrat lui‑même (par. 68).

[38]                          Deuxièmement, l’arbitre a commis une erreur en concluant que son rejet de la condition implicite proposée par Wastech [traduction] « n’ajoutait rien » à son analyse de la bonne foi alors qu’en droit, il « amputait une grande partie » des arguments de Wastech à l’appui de l’existence d’un manquement à l’obligation d’agir de bonne foi (par. 69 (italiques omis); sentence arbitrale, par. 91).

[39]                          Troisièmement, la Cour d’appel a conclu que l’arbitre avait commis une erreur en jugeant qu’il n’était pas nécessaire d’établir si la conduite de Metro avait eu pour effet d’annuler le contrat ou de le vider de son sens pour conclure que Metro avait manqué à une obligation d’agir de bonne foi (par. 70). Cette conclusion créait effectivement, contrairement à ce que la Cour a affirmé dans l’arrêt Bhasin, une obligation distincte de ne pas [traduction] « omettre de prendre en compte les intérêts contractuels [de l’autre partie] » (par. 70). Se fondant sur l’arrêt Styles c. Alberta Investment Management Corp., 2017 ABCA 1, 44 Alta. L.R. (6th) 214, la Cour d’appel a conclu qu’une telle conclusion constituerait un [traduction] « élargissement radical du droit » (par. 70).

[40]                          Quatrièmement, la juge Newbury a écrit que l’arbitre avait eu tort de conclure que la [traduction] « malhonnêteté » comprenait l’exercice de droits contractuels d’une manière totalement incompatible avec les attentes contractuelles légitimes de l’autre partie. Dans l’arrêt Bhasin, l’analyse du juge Cromwell visait [traduction] « essentiellement une conduite comportant au moins un élément subjectif de motif illégitime ou de malhonnêteté » (motifs de la C.A., par. 71). Un certain élément subjectif de malhonnêteté, de mensonge, de motif illégitime ou de « mauvaise foi » est donc nécessaire pour juger qu’une partie est malhonnête et pour conclure à un manquement à l’obligation d’agir de bonne foi. Cela pourrait inclure une conduite tellement insouciante que l’exécution du contrat est inexplicable et incompréhensible, à un point tel qu’elle peut être considérée comme [traduction] « un véritable abus de pouvoir par rapport à ses fins » (par. 71, citant Finney c. Barreau du Québec, 2004 CSC 36, [2004] 2 R.C.S. 17, par. 39).

[41]                          Compte tenu des erreurs commises par l’arbitre, la Cour d’appel a rejeté l’appel de Wastech, concluant que le juge siégeant en cabinet avait eu raison d’accueillir l’appel de Metro. Cependant, elle a aussi noté que ses conclusions auraient été les mêmes si elle avait appliqué la norme de la décision raisonnable, plutôt que celle de la décision correcte, pour contrôler la décision de l’arbitre (par. 74).

IV.         Analyse

A.           Norme de contrôle

[42]                          Les parties soulèvent des questions préliminaires concernant la norme de contrôle applicable aux appels des sentences arbitrales commerciales et la nature véritable des questions de droit en appel dans le cas présent.

[43]                          Wastech soutient d’abord que la Cour d’appel a commis une erreur dans son examen de la conclusion de l’arbitre concernant l’existence d’un manquement à l’obligation d’exercer les pouvoirs discrétionnaires contractuels de bonne foi. Invoquant l’art. 31 de l’Arbitration Act et les jugements rendus par la Cour dans les arrêts Sattva Capital Corp. c. Creston Moly Corp., 2014 CSC 53, [2014] 2 R.C.S. 633, et Teal Cedar Products Ltd. c. Colombie‑Britannique, 2017 CSC 32, [2017] 1 R.C.S. 688, Wastech affirme que les appels interjetés contre les sentences arbitrales commerciales se limitent aux questions de droit isolables et que, en l’espèce, Metro n’a démontré aucun fondement juridique justifiant l’annulation de la sentence arbitrale. Wastech affirme que les questions d’interprétation contractuelle soulèvent, autant en général que dans le cas qui nous occupe, des questions mixtes de fait et de droit et que par conséquent, elles ne peuvent pas faire l’objet d’une révision en appel. Ensuite, Wastech soutient que les questions de droit qui sont pertinentes dans la présente affaire, comme les a tranchées l’arbitre, sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Néanmoins, Wastech affirme également que l’arbitre n’a commis aucune erreur donnant ouverture à révision, même selon la norme de la décision correcte.

[44]                          Metro répond en faisant observer que la Cour d’appel a examiné attentivement les arrêts Sattva et Teal Cedar et a tenu compte de la portée limitée des appels dans les cas d’arbitrage commercial. La cour a confirmé à juste titre que les questions soulevées en l’espèce sont des questions de droit susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte. Metro affirme que dans la présente affaire, les questions pour lesquelles l’autorisation d’interjeter appel a été accordée sont liées à la teneur de l’obligation d’exercer les pouvoirs discrétionnaires contractuels de bonne foi et à l’erreur commise par l’arbitre lorsqu’il a établi le critère juridique applicable, qui sont manifestement des questions de droit. Metro soutient également que même si la norme applicable est celle de la décision raisonnable, la décision de l’arbitre était déraisonnable et ne peut être maintenue.

[45]                          La Cour a effectivement conclu que la norme de contrôle applicable dans les appels interjetés en vertu de l’art. 31 de l’Arbitration Act est celle de la décision raisonnable, à moins que la question n’appartienne à celles qui entraînent l’application de la norme de la décision correcte, comme les questions constitutionnelles ou les questions de droit qui revêtent une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et qui sont étrangères au domaine d’expertise de l’arbitre (Sattva, par. 102‑106; Teal Cedar, par. 74‑76). Je suis cependant conscient du fait que le jugement rendu par la Cour dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 R.C.S. 653, publié peu après l’instruction du présent pourvoi, établit un cadre d’analyse révisé servant à déterminer la norme de contrôle qu’une cour de justice devrait appliquer lorsqu’elle se penche sur le fond d’une décision administrative. Je note que l’arrêt Vavilov ne fait pas référence aux arrêts Teal Cedar et Sattva, décisions où il est souligné que la déférence répond aux objectifs particuliers de l’arbitrage commercial (voir Sattva, par. 104; Teal Cedar, par. 81‑83).

[46]                          Dans ces circonstances, je remettrais à plus tard l’examen de l’effet, le cas échéant, de l’arrêt Vavilov sur les principes relatifs à la norme de contrôle énoncés dans les arrêts Sattva et Teal Cedar. Nous n’avons pas eu l’occasion de recevoir des observations sur cette question, et nous ne pouvons pas non plus avoir recours aux motifs des instances inférieures sur ce point. De plus, les parties en l’espèce conviennent, à juste titre selon moi, que l’issue du présent pourvoi ne dépend pas de la détermination de la bonne norme de contrôle. Par conséquent, bien que notre Cour soit normalement appelée à trancher si la Cour d’appel a choisi la bonne norme de contrôle et l’a appliquée correctement, il est inutile dans le cas qui nous occupe de décider si la norme applicable est celle de la décision correcte ou celle de la décision raisonnable (voir Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559, par. 45‑47). Que l’on applique l’une ou l’autre de ces normes, la décision de l’arbitre ne peut être maintenue. Soit dit en tout respect, le fait que je ne poursuive pas la discussion sur ce point précis soulevé dans l’opinion de mes collègues ne devrait pas être interprété comme un acquiescement à leur avis (voir, de façon similaire, Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Procureur général), c. Uashaunnuat (Innus de Uashat et Mani‑Utenam), 2020 CSC 4, [2020] 1 R.C.S. 15, par. 15).

[47]                          Je suis également d’accord avec Metro pour affirmer que, à cette étape‑ci, Wastech ne peut pas contester les questions à l’égard desquelles la sentence arbitrale a été rendue. Après tout, elle n’a pas interjeté appel de la décision de la Cour d’appel sur la demande d’autorisation, dans le cadre de laquelle elle avait fait valoir sans succès que l’ordonnance autorisant Metro à interjeter appel devrait être infirmée pour le principal motif que les questions soulevées étaient des questions mixtes de fait et de droit. Néanmoins, je souscris en tout respect à l’opinion du procureur général de la Colombie‑Britannique selon laquelle, lorsqu’ils accordent l’autorisation d’interjeter appel, les tribunaux devraient s’assurer que les questions de droit à l’égard desquelles l’autorisation est accordée sont énoncées de façon simple et précise en vue d’une instruction efficace de l’appel. En l’espèce, la formulation complexe de la première question de droit, en particulier, a rendu difficile pour les instances inférieures de fournir une réponse directe et efficace.

B.            Bonne foi

[48]                          Wastech soutient que les tribunaux d’instances inférieures ont commis une erreur en annulant la conclusion de l’arbitre selon laquelle Metro avait manqué à une obligation d’agir de bonne foi, plus précisément une obligation qui limitait la façon dont Metro pouvait exercer son pouvoir discrétionnaire relatif à la répartition des déchets entre les diverses installations. Elle affirme que l’arbitre a eu raison de conclure que Metro avait omis de prendre en compte comme il se doit les « attentes contractuelles légitimes » de Wastech, au sens où on l’entend dans l’arrêt Bhasin, et qu’elle a donc violé le contrat.

[49]                          À cette fin, Wastech invoque le principe directeur de bonne foi reconnu par notre Cour dans l’arrêt Bhasin — selon lequel « les parties doivent, de façon générale, exécuter leurs obligations contractuelles de manière honnête et raisonnable, et non de façon abusive ou arbitraire » (par. 63). Selon Wastech, cela illustre le concept selon lequel « la partie contractante, lorsqu’elle exécute ses obligations contractuelles, devrait prendre en compte comme il se doit les intérêts légitimes de son partenaire contractuel » (Bhasin, par. 65).

[50]                          Wastech ne souscrit pas à la conclusion de la Cour d’appel voulant que l’arbitre ait commis une erreur en créant dans les faits une obligation distincte de ne pas [traduction] « omettre de prendre en compte les intérêts contractuels [de l’autre partie] », ce que la Cour d’appel a considéré comme un « élargissement radical du droit » (par. 70). Wastech reconnaît que le principe directeur n’est pas une obligation « distincte » ou « autonome » de prendre en compte comme il se doit les intérêts de la partie contractante lors de l’exécution d’un contrat. Elle soutient toutefois que l’arbitre a conclu à juste titre qu’une manifestation précise du principe directeur de bonne foi s’applique en l’espèce, et que Metro n’a pas respecté les contraintes qu’impose ce principe à l’exercice de son pouvoir discrétionnaire.

[51]                          Wastech n’a certainement pas tort d’affirmer que le principe directeur de l’exécution de bonne foi prévoit une norme « dont il est possible de tirer des règles de droit plus particulières » (Bhasin, par. 64). De façon générale, la notion de bonne foi ne sera pas retenue si elle ne cadre pas avec la « règl[e] existant[e] » de bonne foi, même si ces règles « se chevauchent dans une certaine mesure » et sont toutes tirées du même principe directeur (Bhasin, par. 48 et 66). Par ailleurs, la liste des règles existantes n’est pas exhaustive et peut être élargie graduellement lorsque les règles de droit existantes sont jugées insuffisantes. Toutefois, un tel élargissement devrait être compatible avec la structure du droit des contrats en common law et reconnaître toute son importance au choix personnel fait au moyen d’accords ainsi qu’à la stabilité dans les affaires commerciales (Bhasin, par. 66).

[52]                          Bien que Wastech ait raison de constater que le principe directeur de bonne foi repose, en partie, sur la notion selon laquelle les parties contractantes doivent prendre en compte comme il se doit les intérêts légitimes de leur partenaire contractuel, les principes régissant les règles existantes définissent la signification « hautement contextuelle » des expressions « tenir compte comme il se doit » et « intérêts légitimes » dans les situations et les relations particulières où des obligations d’agir de bonne foi ont été jusqu’alors reconnues (Bhasin, par. 69). Il est essentiel d’invoquer avec soin les règles précises en cause dans chaque cas, parce que, comme le mentionne Metro avec raison, [traduction] « le fait de dire qu’il faut prendre en compte comme il se doit les intérêts contractuels légitimes de l’autre partie ne constitue pas un test pour la teneur de l’obligation d’agir de bonne foi — car cette expression est large et vise une variété de niveaux de conduite selon les circonstances » (m.i., par. 47). Il importe de noter que, peu importe la variation selon le contexte, une partie contractante — contrairement à un fiduciaire — n’est habituellement pas tenue de servir les intérêts contractuels de l’autre partie par des obligations d’exécution de bonne foi.

[53]                          À mon avis, il n’a pas été démontré que Metro avait exécuté ses obligations ou exercé ses droits prévus au contrat d’une manière contraire aux exigences applicables de la bonne foi. Elle n’a pas manqué à l’obligation d’exécution honnête, ni à l’obligation d’exercer le pouvoir discrétionnaire de bonne foi. Soit dit en tout respect, la conclusion de l’arbitre portant que Wastech avait établi un manquement contractuel à une obligation d’exécution de bonne foi doit être écartée.

(1)          L’obligation d’exécution honnête

[54]                          Wastech et Metro conviennent que pour qu’un pouvoir discrétionnaire contractuel soit exercé de bonne foi, il ne peut, à tout le moins, être exercé de façon malhonnête. Ces observations sont conformes à la jurisprudence de notre Cour. Comme il est expliqué dans l’arrêt Bhasin, par. 73‑75, et confirmé dans l’arrêt Callow, par. 53, l’obligation d’exécution honnête, une manifestation distincte du principe directeur de bonne foi, limite la manière dont tous les droits et obligations contractuels sont exercés ou exécutés, suivant la doctrine du droit des contrats. Cela inclut nécessairement l’exercice des pouvoirs discrétionnaires contractuels. Exercer un pouvoir discrétionnaire contractuel de façon malhonnête au sens où on l’entend dans l’arrêt Bhasin constitue une violation de contrat.

[55]                          Je m’empresse de dire que l’obligation d’exécution honnête, comme l’envisage notre Cour dans l’arrêt Bhasin, n’est pas en cause dans la présente affaire. Wastech n’allègue pas que Metro a menti ou l’a intentionnellement induite en erreur à l’égard d’une question directement liée à l’exécution du contrat, y compris dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire relatif à la répartition des déchets entre les diverses installations d’élimination. Cette forme de conduite malhonnête doit être présente pour établir un manquement à l’obligation d’exécution honnête reconnue dans l’arrêt Bhasin et appliquée dans l’arrêt Callow. Wastech a expressément concédé devant l’arbitre que l’obligation d’exécution honnête en ce sens précis n’est pas en cause en l’espèce (sentence arbitrale, par. 82). Malgré cette concession, et malgré la conclusion de l’arbitre selon laquelle Metro a, de son point de vue, exercé son pouvoir discrétionnaire de manière [traduction] « honnête », celui‑ci a néanmoins conclu qu’une preuve relative à « une demi‑vérité, un mensonge ou une tromperie » n’était pas nécessaire pour prouver qu’un pouvoir discrétionnaire a été exercé de façon malhonnête (par. 88 et 90). L’arbitre a affirmé que l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire peut être « malhonnête » lorsqu’il est [traduction] « totalement incompatible avec les attentes contractuelles légitimes de l’autre partie » (par. 90). La Cour d’appel a conclu que l’arbitre avait commis une erreur sur ce point. À son avis, un certain élément subjectif est requis pour établir qu’il y a eu malhonnêteté au sens où il faut l’entendre (par. 71‑73).

[56]                          Je souscris de façon générale à l’avis de la Cour d’appel sur ce point. Il n’y a assurément pas de mensonge dans le cas qui nous occupe. Il n’y a même pas d’allégation de fausse représentation de la vérité, de quelque nature que ce soit. Comme elle a concédé qu’il n’était pas question de malhonnêteté au vu des faits de l’espèce, Wastech ne conteste pas la conclusion de la Cour d’appel selon laquelle on ne peut prouver qu’il y a eu malhonnêteté sans un certain élément subjectif. En l’espèce, il n’y a pas eu de manquement à l’obligation d’exécution honnête énoncée dans l’arrêt Bhasin, mais l’argument de Wastech ne s’arrête pas là; elle soutient plutôt que l’arbitre a eu raison de conclure qu’un manquement à l’obligation de bonne foi peut quand même être prouvé en l’absence d’une conclusion de malhonnêteté. Autrement dit, Wastech soutient que l’honnêteté n’est pas la seule contrainte qu’imposait la bonne foi au pouvoir discrétionnaire de Metro. J’examinerai maintenant ce point.

(2)          L’obligation d’exercer le pouvoir discrétionnaire contractuel de bonne foi

[57]                          Conformément au cadre d’analyse établi dans l’arrêt Bhasin, l’arbitre a conclu qu’une doctrine existante obligeait Metro à exercer son pouvoir discrétionnaire de bonne foi. Bien que cela ne soit pas déterminant, Wastech et Metro sont d’accord avec l’arbitre pour dire qu’une doctrine existante de bonne foi s’applique en l’espèce et limitait la façon dont Metro pouvait exercer son pouvoir discrétionnaire conféré par le contrat.

[58]                          Je conviens avec les parties que l’obligation d’exercer les pouvoirs discrétionnaires contractuels de bonne foi est bien établie en common law et je constate qu’elle a été expressément reconnue par le juge Cromwell lorsqu’il a énoncé le principe directeur de bonne foi dans l’arrêt Bhasin (par. 47‑48, 50 et 89, citant plusieurs auteurs dont J. D. McCamus, The Law of Contracts (2e éd. 2012), p. 835‑868; S. M. Waddams, The Law of Contracts (6e éd. 2010), par. 494‑508). Comme l’a observé le juge Cromwell, la Cour a appliqué cette obligation dans l’arrêt Mitsui & Co. (Canada) Ltd. c. Banque Royale du Canada, [1995] 2 R.C.S. 187 (Bhasin, par. 50). Il ne s’agit donc pas d’une création récente sortie de nulle part.

[59]                          Il n’était pas nécessaire dans l’arrêt Bhasin de détailler la portée de cet aspect de l’exécution de bonne foi des contrats. Dans le présent pourvoi, afin de répondre à la prétention de Wastech suivant laquelle le pouvoir de répartir les déchets a été exercé d’une manière qui ne tenait pas compte comme il se doit de ses intérêts, il faut déterminer quelles contraintes impose l’obligation d’exercer le pouvoir discrétionnaire de bonne foi à son titulaire. La Cour doit ensuite se demander si Metro a omis de se conformer à ces contraintes, et a violé par le fait même le contrat.

[60]                          Dans les observations qu’elles ont présentées à la Cour, les parties ont rassemblé une gamme de moyens en vue de cerner les limites appropriées qu’impose l’obligation d’exercer le pouvoir discrétionnaire de bonne foi. L’observation principale de Wastech est que, selon la jurisprudence précédant l’arrêt Bhasin, la norme [traduction] « directrice » et « appropriée » pour évaluer si Metro a exercé de bonne foi son pouvoir discrétionnaire relatif à la répartition des déchets est celle de la « raisonnabilité ». Wastech soutient qu’il serait déraisonnable pour une partie d’exercer son pouvoir discrétionnaire [traduction] « de manière à priver l’autre partie contractuelle d’avantages importants qui lui reviennent et qui représentent des aspects fondamentaux des attentes contractuelles légitimes des parties » (recueil condensé de l’appelante, p. 1). Wastech affirme qu’en la privant de [traduction] « l’avantage fondamental qu’[elle] avait négocié » — soit la possibilité d’atteindre le RE cible chaque année du contrat — Metro a exercé son pouvoir discrétionnaire de manière déraisonnable, et donc contraire aux exigences de l’obligation d’exercer les pouvoirs discrétionnaires contractuels de bonne foi (m.a., par. 23).

[61]                          À mon humble avis, la position de Wastech comporte deux points faibles étroitement liés. Premièrement, elle exagère le sens de la « raisonnabilité » dans ce contexte. Deuxièmement, son observation repose sur la proposition erronée voulant qu’il soit approprié d’établir si l’exercice du pouvoir discrétionnaire par une partie a donné lieu à une « annulation substantielle » ou à une « perte de sens » de l’avantage négocié ou de l’objectif du contrat pour évaluer si cette partie a exercé son pouvoir discrétionnaire en conformité avec les exigences de l’obligation de bonne foi en cause. Je commencerai toutefois par expliquer cette obligation.

[62]                          On peut se demander — comme l’ont fait les tribunaux et les universitaires à l’occasion — comment l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire contractuel apparemment absolu peut constituer une violation de contrat, puisqu’on pourrait faire valoir qu’une partie, lorsqu’elle exerce un tel pouvoir, même de façon opportuniste, fait simplement ce que l’autre partie a convenu qu’elle pouvait faire dans le contrat (D. Stack, « The Two Standards of Good Faith in Canadian Contract Law » (1999), 62 Sask. L. Rev. 201, p. 208). La réponse se trouve dans la « norme » qui sous‑tend les règles de droit particulières et se manifeste dans la doctrine particulière applicable, laquelle exige que lorsqu’une partie exerce un pouvoir discrétionnaire, elle doive le faire de bonne foi. Définie comme un principe directeur, cette norme exige que les parties exécutent leurs obligations contractuelles, et exercent leurs droits contractuels, de manière honnête et raisonnable, et non de façon abusive ou arbitraire (Bhasin, par. 63‑64). Par conséquent, un pouvoir discrétionnaire, même absolu, est limité par la bonne foi. L’exercer de manière abusive ou arbitraire, par exemple, est fautif et constitue une violation de contrat. Même absolu, le pouvoir discrétionnaire aura des objectifs qui tiennent compte des attentes et des intérêts communs des parties, lesquels aident à déterminer quand l’exercice est abusif ou arbitraire, pour garder le même exemple. Comme l’obligation d’exécution honnête étudiée dans les arrêts Bhasin et Callow, l’obligation d’exercer le pouvoir discrétionnaire de bonne foi limite la façon dont une personne peut exercer des droits contractuels à première vue illimités. Lorsqu’il y a manquement à l’obligation d’exécution de bonne foi, il y a violation du contrat. La question est de savoir quelles contraintes pose cette obligation précise à l’exercice du pouvoir discrétionnaire contractuel.

[63]                          Pour dire les choses simplement, l’obligation d’exercer un pouvoir discrétionnaire contractuel de bonne foi exige des parties qu’elles exercent celui‑ci d’une manière conforme aux objectifs pour lesquels il est conféré par contrat, ou, pour reprendre la terminologie du principe directeur dans l’arrêt Bhasin, qu’elles exercent leur pouvoir discrétionnaire de manière raisonnable.

(a)           Teneur de l’obligation

[64]                          D’abord, il est à noter que, dans l’arrêt Bhasin, la Cour a reconnu à l’unanimité que, dans certaines circonstances, la bonne foi peut exiger que l’exécution contractuelle soit « raisonnable ». Par exemple, au par. 66, le juge Cromwell a écrit que le « principe directeur de bonne foi se manifeste par les règles existantes portant sur les types de situations et de relations dans lesquelles la loi exige, à certains égards, une exécution contractuelle honnête, franche ou raisonnable » (je souligne). En effet, cela est conforme au principe directeur en tant que tel, lequel fait expressément référence à l’exécution contractuelle raisonnable, ainsi qu’à la description que fait le professeur McCamus des affaires où l’obligation d’exercer les pouvoirs discrétionnaires contractuels de bonne foi a été appliquée : [traduction] « Un certain nombre de décisions canadiennes où cette proposition a été appliquée l’ont reliée à la notion de bonne foi. Dans chacune de celles‑ci, le défendeur était tenu d’exercer le pouvoir en question de manière raisonnable » ((2020), p. 932; voir aussi Bhasin, par. 63).

[65]                          Je constate également que de nombreux tribunaux canadiens ont conclu que l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire contractuel en particulier doit être raisonnable. Par exemple, dans l’arrêt Greenberg c. Meffert (1985), 50 O.R. (2d) 755, une décision sur laquelle se sont fondées tant Wastech que Metro, la Cour d’appel de l’Ontario a conclu que [traduction] « le pouvoir discrétionnaire doit être exercé de manière raisonnable » (p. 763). Plus récemment, dans l’arrêt 2123201 Ontario Inc. c. Succession Israel, 2016 ONCA 409, 130 O.R. (3d) 641, la même cour a écrit ceci : [traduction] « Il ressort clairement de la jurisprudence que le pouvoir discrétionnaire conféré à une partie contractante doit être exercé de manière raisonnable » (par. 28). Il existe de nombreux autres exemples dans la jurisprudence canadienne (voir, p. ex., LeMesurier c. Andrus (1986), 54 O.R. (2d) 1 (C.A.), p. 7; Jack Wookey Hldg. Ltd. c. Tanizul Timber Ltd. (1988), 27 B.C.L.R. (2d) 221 (C.A.), p. 225; Canadian National Railway Co. c. Inglis Ltd. (1997), 36 O.R. (3d) 410 (C.A.), p. 415‑416; Marshall c. Bernard Place Corp. (2002), 58 O.R. (3d) 97 (C.A.), par. 26; Shelanu Inc. c. Print Three Franchising Corp. (2003), 64 O.R. (3d) 533 (C.A.), par. 96; Filice c. Complex Services Inc., 2018 ONCA 625, 428 D.L.R. (4th) 548, par. 38).

[66]                          Les tribunaux du Royaume‑Uni et de l’Australie ont rendu des décisions semblables (voir, p. ex., Abu Dhabi National Tanker Co. c. Product Star Shipping Ltd. (The “Product Star”) (No. 2), [1993] 1 Lloyd’s Rep. 397 (C.A. Angl.), p. 404, le lord juge Leggatt; Renard Constructions (ME) Pty Ltd. c. Minister for Public Works (1992), 26 N.S.W.L.R. 234 (C.A.), p. 258, le juge Priestley).

[67]                          Enfin, un grand nombre de juristes ont exprimé leur appui à l’égard de la proposition voulant que les pouvoirs discrétionnaires contractuels doivent être exercés de manière raisonnable en vue du respect des exigences de l’obligation d’agir de bonne foi en cause, ou ont au moins reconnu que les tribunaux appliquent souvent une telle contrainte (voir, p. ex., A. Mason, « Contract, Good Faith and Equitable Standards in Fair Dealing » (2000), 116 L.Q.R. 66, p. 76; J. D. McCamus, « Abuse of Discretion, Failure to Cooperate and Evasion of Duty : Unpacking the Common Law Duty of Good Faith Contractual Performance » (2005), 29 Adv. Q. 72, p. 80; McCamus (2020), p. 937; J. M. Paterson, « Good Faith Duties in Contract Performance » (2014), 14 O.U.C.L.J. 283, p. 284, 299 et 302; A. Gray, « Development of Good Faith in Canada, Australia and Great Britain » (2015), 57 Rev. can. dr. comm. 84, p. 113; S. M. Waddams, The Law of Contracts (7e éd. 2017), par. 503).

[68]                          Je crois qu’il vaut mieux signaler d’emblée que je ne parle pas de la raisonnabilité au sens où on l’entend en droit administratif. Je suis plutôt d’accord avec le point de vue du professeur McCamus selon lequel le caractère raisonnable pour cette obligation d’agir de bonne foi est interprété en fonction de l’objectif : [traduction] « . . . lorsque des pouvoirs discrétionnaires sont conférés par un accord, il est implicitement entendu que ces pouvoirs doivent être exercés de manière raisonnable. Le concept de raisonnabilité dans ce contexte emporte une obligation d’exercer le pouvoir discrétionnaire de façon honnête et en tenant compte des objectifs pour lesquels il a été conféré » ((2020), p. 937).

[69]                          Donc, outre l’exigence d’exécution honnête, pour établir si une partie a manqué à son obligation d’exercer le pouvoir discrétionnaire de bonne foi, il faut se poser la question suivante : l’exercice du pouvoir discrétionnaire contractuel était‑il étranger à l’objectif pour lequel le contrat conférait ce pouvoir? Le cas échéant, la partie n’a pas exercé le pouvoir contractuel de bonne foi.

[70]                          La pierre d’assise pour évaluer si une partie a exercé son pouvoir discrétionnaire de bonne foi est l’objectif pour lequel il a été créé. Lorsque le pouvoir discrétionnaire est exercé d’une façon conforme à cet objectif, un tel exercice peut être qualifié de raisonnable selon le marché que les parties ont choisi de mettre en place. Forcément, l’exercice du pouvoir conforme à l’objectif peut être considéré comme étant juste et de bonne foi selon les termes des parties. Par conséquent, excluant les questions comme celle de l’iniquité qui ne sont pas soulevées dans le présent pourvoi, il faut voir cet exercice, de façon générale, comme étant à l’abri d’un contrôle judiciaire pour des raisons d’équité.

[71]                          Toutefois, lorsque l’exercice sort des balises établies par l’objectif contractuel, il est déraisonnable à la lumière de l’accord que les parties ont négocié et, par conséquent, il peut être considéré comme injuste et contraire aux exigences de la bonne foi. Les auteurs qui ont commenté les tendances dans les ressorts de common law ont observé que [traduction] « les tribunaux ont à maintes reprises conclu que les pouvoirs discrétionnaires contractuels ne devraient pas être exercés en vue d’un objectif “inapproprié” ou “dépourvu de pertinence” » (J. M. Paterson, « Implied Fetters on the Exercise of Discretionary Contractual Powers » (2009), 35 Mon. L. R. 45, p. 54). Comme l’a écrit le professeur Collins, [traduction] « [l]a norme de la bonne foi [. . .] permet au tribunal de faire un contrôle des décisions discrétionnaires perçues comme étant fondées sur des objectifs inappropriés, c’est‑à‑dire lorsque le pouvoir est utilisé en vue d’un objectif qui ne se rattache habituellement pas à l’objet du pouvoir » (H. Collins, « Discretionary Powers in Contracts », dans D. Campbell, H. Collins et J. Wightman, dir., Implicit Dimensions of Contract: Discrete, Relational and Network Contracts (2003), 219, p. 223). C’est ce principe qui restreint le pouvoir discrétionnaire contractuel et, par conséquent, établit les limites appropriées relatives au contrôle judiciaire de l’exercice du pouvoir. Il importe de noter que ce n’est pas ce que le tribunal estime juste selon sa perception de ce qu’est l’exercice approprié du pouvoir discrétionnaire. Le tribunal doit plutôt, s’appuyant sur l’objectif établi par les parties, évaluer l’équité selon ce qui est raisonnable en fonction du marché qu’ont conclu les parties. Lorsque l’exercice du pouvoir discrétionnaire est en dehors de l’éventail des choix liés à son objectif sous‑jacent — en dehors de l’objectif pour lequel l’accord que les parties ont elles‑mêmes choisi confère le pouvoir discrétionnaire — il est contraire aux exigences de la bonne foi. Les tribunaux peuvent alors intervenir, par exemple, lorsque l’exercice du pouvoir est arbitraire ou abusif compte tenu de son objectif établi par les parties.

[72]                          Parfois, le texte de la clause discrétionnaire lui-même indiquera clairement l’objectif contractuel des parties. En d’autres circonstances, on ne peut comprendre l’objectif qu’en lisant la clause dans le contexte du contrat dans son ensemble. Dans un écrit extrajudiciaire, le lord Sales a récemment expliqué que lorsque la clause qui confère un pouvoir discrétionnaire est [traduction] « entièrement générale », le tribunal devra interpréter lui‑même la portée du pouvoir (P. Sales, « Use of Powers for Proper Purposes in Private Law » (2020), 136 L.Q.R. 384, p. 393). Il souligne à la p. 393 que dans ces cas : [traduction] « Il est plutôt nécessaire de se faire une idée générale des objectifs de l’entreprise auxquels donne effet le contrat, et de la loyauté envers cette entreprise que pourrait entraîner celui‑ci pour les parties, et de considérer ces objectifs généraux comme établissant les limites inhérentes de l’exercice du pouvoir. »

[73]                          Je m’empresse de dire qu’il n’appartient pas aux tribunaux de se demander si le pouvoir discrétionnaire a été exercé de façon opportune sur le plan moral ou avec sagesse d’un point de vue commercial. La common law reconnaît que « [d]es entreprises en concurrence vont régulièrement faire en sorte de se faire valoir au détriment de leurs concurrentes. [. . .] Loin d’interdire ce comportement, la common law cherche à l’encourager et à le protéger » (A.I. Enterprises Ltd. c. Bram Enterprises Ltd., 2014 CSC 12, [2014] 1 R.C.S. 177, par. 31, citant OBG Ltd. c. Allan, [2007] UKHL 21, [2008] 1 A.C. 1, par. 142). En règle générale, le principe de la bonne foi ne devrait pas servir de prétexte à un examen approfondi des motivations des parties (Bhasin, par. 70).

[74]                          Non seulement cette déférence garantit [traduction] « une certaine liberté d’action en vue de la poursuite énergique d’intérêts personnels » (C. Sappideen et P. Vines, dir., Fleming’s The Law of Torts (10e éd. 2011), par. 30.120; voir aussi A.I. Enterprises, par. 31), mais elle évite aussi que le principe de la bonne foi se transforme en « une forme de moralisme judiciaire ponctuel ou en une “justice au cas par cas” » (Bhasin, par. 70). Dans ce contexte, alors, les tribunaux doivent seulement s’assurer que les parties n’ont pas exercé leur pouvoir discrétionnaire d’une façon étrangère aux objectifs pour lesquels le contrat confère ce pouvoir.

[75]                          À cet égard, il est utile de garder à l’esprit que, généralement, une gamme d’issues découle des choix qui peuvent être considérés comme un exercice raisonnable du pouvoir discrétionnaire au regard des objectifs fixés dans le contrat. Certains de ces choix peuvent être considérés à juste titre comme étant liés aux objectifs du pouvoir discrétionnaire. D’autres seront manifestement étrangers aux objectifs envisagés. Chaque fois qu’une partie se voit conférer un pouvoir discrétionnaire, elle pourrait l’exercer de différentes façons légitimes qui font elles‑mêmes partie du marché. Dans un contexte contractuel, on détermine de tels choix principalement en se rapportant au contrat, interprété dans son ensemble — il s’agit de la première source de justice entre les parties. La bonne foi n’élimine pas le pouvoir de choisir de la partie exerçant le pouvoir discrétionnaire. Elle limite simplement la gamme des façons légitimes dont ce pouvoir peut être exercé compte tenu des objectifs applicables (S. J. Burton, « Breach of Contract and the Common Law Duty to Perform in Good Faith » (1980), 94 Harv. L. Rev. 369, p. 385‑386). Lorsque le pouvoir discrétionnaire est exercé en vue d’un objectif illégitime, comme à l’encontre de l’intention des parties, dans un dessein [traduction] « secret ou étranger » à leurs intentions, il est exercé de mauvaise foi (J. D. McCamus, « The New General ‘Principle’ of Good Faith Performance and the New ‘Rule’ of Honesty in Performance in Canadian Contract Law » (2015), 32 J.C.L. 103, p. 115).

[76]                          Ayant cette approche à l’esprit, j’insiste pour dire que ce qu’un tribunal juge déraisonnable est étroitement lié au contexte et [traduction] « dépend en fin de compte de l’intention qu’ont manifestée les parties dans leur contrat » (Greenberg, p. 762; voir aussi Sherry c. CIBC Mortgages Inc., 2016 BCCA 240, 88 B.C.L.R. (5th) 105, par. 63‑65; G. R. Hall, Canadian Contractual Interpretation Law (3e éd. 2016), p. 312‑313). La démonstration d’une violation sera nécessairement axée sur une opération d’interprétation contractuelle. C’est en interprétant correctement le contrat et les objectifs pour lesquels le pouvoir discrétionnaire a été conféré que la gamme de comportements de bonne foi deviendra apparente et que l’on pourra cerner les violations.

[77]                          J’ajoute cependant la remarque suivante à titre de guide général. En ce qui concerne les contrats conférant un pouvoir discrétionnaire pour lequel la question à trancher est facile à mesurer objectivement — p. ex. des questions liées [traduction] « à la capacité opérationnelle, à l’achèvement d’une structure, à l’utilité mécanique ou à la qualité marchande » — la gamme des issues raisonnables sera relativement réduite (Greenberg, p. 762). En ce qui concerne les contrats conférant un pouvoir discrétionnaire [traduction] « pour lequel la question à trancher ou à approuver ne se prête guère à une mesure objective — [notamment] les questions relatives au goût, à la sensibilité, à la compatibilité personnelle ou au jugement de la partie » qui exerce le pouvoir discrétionnaire — la gamme d’issues raisonnables sera relativement plus grande (Greenberg, p. 761). Je souligne toutefois que cette remarque devrait servir de guide général, et non de moyen pour catégoriser l’exercice déraisonnable du pouvoir.

[78]                          Pour comprendre ce qu’exige cette obligation, il est utile d’examiner les normes mises de l’avant par les parties, et la mesure dans laquelle ces concepts aident à établir si l’exercice du pouvoir discrétionnaire est déraisonnable, c’est‑à‑dire étranger aux objectifs applicables.

[79]                          Rappelons que Wastech fait valoir que l’obligation d’agir de bonne foi en cause interdisait à Metro d’exercer son pouvoir discrétionnaire de manière à la priver des avantages fondamentaux à ses attentes contractuelles légitimes. Quant à elle, Metro concède que les pouvoirs discrétionnaires contractuels [traduction] « ne peuvent pas être exercés pour annuler l’avantage fondamental du contrat ou lui faire perdre son sens » (m.i., par. 54).

[80]                          Pour appuyer sa position, Wastech se fonde principalement sur l’arrêt Gateway Realty Ltd. c. Arton Holdings Ltd. (1991), 106 N.S.R. (2d) 180 (C.S. (1re inst.)), conf. par (1992), 112 N.S.R. (2d) 180 (C.S. (Div. d’appel)), une décision influente concernant la bonne foi en droit contractuel, où le juge Kelly a écrit que la [traduction] « mauvaise foi » comprend la conduite qui est « contraire aux normes sociales de l’honnêteté, de la raisonnabilité ou de l’équité » et que l’on peut généralement dire qu’il y a mauvaise foi lorsque l’exercice du pouvoir discrétionnaire « annule substantiellement l’objectif ou l’avantage négocié par l’autre partie au contrat » (par. 38, 58 et 60). Cette norme a par la suite été adoptée et appliquée par plusieurs cours d’appel canadiennes et approuvée par certains universitaires (voir, p. ex., Mesa Operating Limited Partnership c. Amoco Canada Resources Ltd. (1994), 149 A.R. 187 (C.A.), par. 22; Klewchuk c. Switzer, 2003 ABCA 187, 330 A.R. 40, par. 33; G. H. L. Fridman, The Law of Contract in Canada (6e éd. 2011), p. 530).

[81]                          Wastech soutient que les conclusions de l’arbitre concernant la nature des répercussions qu’a eues sur elle l’exercice du pouvoir discrétionnaire de Metro équivalent à une conclusion [traduction] « [d’]annulation » ou de « perte de sens ». Plus particulièrement, Wastech attire l’attention sur la conclusion de l’arbitre portant que l’exercice du pouvoir discrétionnaire de Metro a rendu « impossible » pour Wastech d’atteindre le RE cible, et sur celle portant que le fait d’avoir la possibilité d’atteindre le RE cible chaque année du contrat était [traduction] « l’avantage fondamental que Wastech avait négocié » (sentence arbitrale, par. 94). Metro répond que l’arbitre n’a pas tiré de conclusion [traduction] « [d’]annulation substantielle » ou de « perte de sens » et que, de toute façon, il ne pouvait pas tirer une telle conclusion au vu des faits (m.i., par. 73 et 75; transcription, p. 93).

[82]                          Soit dit en tout respect, je suis d’avis qu’exiger « l’annulation substantielle » — c’est‑à‑dire, le fait pour une partie de vider de son sens une grande partie de l’avantage obtenu par l’autre partie dans le cadre du contrat — n’est pas la norme qui convient pour conclure à un manquement à l’obligation d’exercer son pouvoir discrétionnaire contractuel de bonne foi.

[83]                          Le fait que l’exercice par une partie de son pouvoir discrétionnaire fasse perdre à son partenaire contractuel une partie ou la totalité de son avantage prévu au contrat ne devrait pas être considéré comme un élément déterminant, en soi, permettant de répondre à la question de savoir si le pouvoir discrétionnaire a été exercé de bonne foi (Burton, p. 384‑385). Comme l’expliquent les auteurs A. Swan, J. Adamski et A. Y. Na, le simple fait qu’une partie soit privée de la quasi‑totalité de l’avantage d’un contrat ne suffit pas, s’il n’y a aucune preuve que la partie ayant exercé son pouvoir discrétionnaire a commis une faute ou un manquement, pour étayer une allégation de violation de contrat (voir Canadian Contract Law (4e éd. 2018), §7.73). Autrement dit, s’il n’y a pas d’atteinte aux droits de la partie qui n’exerce pas un pouvoir discrétionnaire, il n’y a pas de faute donnant ouverture à un droit d’action que les règles de droit peuvent corriger.

[84]                          Pour ces motifs, je conclus que l’« annulation substantielle » ou la « perte de sens » de l’avantage d’un contrat n’est pas une condition préalable pour conclure qu’une partie a manqué à l’obligation d’exercer les pouvoirs discrétionnaires contractuels de bonne foi. Cependant, le fait que l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire annule substantiellement l’avantage d’un contrat ou lui fait perdre son sens pourrait fort bien s’avérer utile pour démontrer que ce pouvoir discrétionnaire a été exercé d’une manière étrangère aux objectifs contractuels pertinents.

[85]                          Les parties font également valoir que l’obligation d’agir de bonne foi en cause ne permet pas à une partie d’exercer son pouvoir discrétionnaire de manière abusive ou arbitraire. Pour appuyer leurs arguments, Wastech et Metro attirent toutes les deux l’attention sur le principe directeur reconnu dans l’arrêt Bhasin — qui prévoit que les parties doivent généralement exécuter leurs obligations contractuelles « de manière honnête et raisonnable, et non de façon abusive ou arbitraire » (Bhasin, par. 63) — ainsi que sur un courant jurisprudentiel qui, selon elles, confirme l’existence de telles contraintes à l’égard de l’exercice des pouvoirs discrétionnaires contractuels.

[86]                          Je suis d’accord avec les parties pour dire que la jurisprudence étaye la conclusion selon laquelle l’obligation de bonne foi en cause ne permet pas à une partie d’exercer son pouvoir discrétionnaire de façon abusive ou arbitraire. Dans l’arrêt Greenberg, à la p. 763, la Cour d’appel de l’Ontario a souligné que le pouvoir discrétionnaire en question devait être [traduction] « exercé d’une façon raisonnable, et non de manière abusive ou arbitraire ». De même, dans l’arrêt British Telecommunications plc c. Telefónica O2 UK Ltd., [2014] UKSC 42, [2014] 4 All. E.R. 907, la Cour suprême du Royaume‑Uni a confirmé l’existence de ces contraintes dans le droit anglais, au par. 37 : [traduction] « . . . il est bien établi qu’en l’absence d’un libellé très clair à l’effet contraire, un pouvoir discrétionnaire doit être exercé de bonne foi et non de façon arbitraire ou abusive [. . .]. Cela veut habituellement dire qu’il doit être exercé en conformité avec l’objectif du contrat ».

[87]                          Bien qu’il ait parfois été question de l’exercice abusif et arbitraire indépendamment de l’exercice en vue d’un objectif inapproprié, je souscris à la conclusion de la Cour suprême du Royaume‑Uni dans l’arrêt Telefónica selon laquelle l’exercice abusif ou arbitraire d’un pouvoir discrétionnaire est un exemple d’exercice d’un tel pouvoir contraire à cette norme. Lorsqu’on cherche à prouver que le pouvoir discrétionnaire a été exercé de manière abusive ou arbitraire, on examine nécessairement les objectifs contractuels pour évaluer la conduite en démontrant que le pouvoir discrétionnaire a été exercé d’une façon étrangère aux objectifs contractuels sous‑jacents pour lesquelles le pouvoir a été conféré.

[88]                          En résumé, donc, il y a manquement à l’obligation d’exercer le pouvoir discrétionnaire de bonne foi lorsque l’exercice de ce pouvoir est déraisonnable, en ce sens qu’il est étranger aux objectifs pour lesquels le pouvoir discrétionnaire a été conféré. Ce sera notamment le cas lorsque l’exercice du pouvoir discrétionnaire est abusif ou arbitraire compte tenu de ces objectifs, parce que cet exercice n’appartient pas à la gamme des comportements envisagés par les parties. Le fait que l’exercice annule substantiellement l’avantage fondamental du contrat ou lui fasse perdre son sens peut s’avérer pertinent, mais ce n’est pas une condition préalable nécessaire pour établir qu’il y a eu manquement.

(b)          Source de l’obligation

[89]                          Ayant établi la teneur de l’obligation, j’examinerai maintenant sa source pour établir si l’obligation existe au vu des faits de l’espèce.

[90]                          Je reconnais qu’il existe un certain débat quant à la source de cette obligation. L’arbitre a conclu qu’il n’était pas nécessaire que les exigences du critère de l’observateur objectif permettant de conclure à l’existence d’une condition implicite soient satisfaites pour que l’obligation d’agir de bonne foi en cause s’applique. De même, Wastech soutient que l’obligation de bonne foi en cause [traduction] « existe en droit » et ne se limite pas aux circonstances où une condition peut être implicite sur le plan des faits (m.a., par. 74). Pour sa part, Metro concède que le fait qu’il n’y ait pas de condition implicite n’empêche pas nécessairement, sur le plan du droit, l’imposition d’une obligation d’agir de bonne foi. Le juge Cromwell a noté dans l’arrêt Bhasin qu’un « débat [. . .] laisse planer l’incertitude sur une bonne partie de la jurisprudence » concernant la source de nombreuses obligations de bonne foi (par. 74; voir aussi par. 48 et 52). Bien que le juge Cromwell ait expressément abordé cette incertitude pour l’obligation d’exécution honnête, précisant qu’elle constitue une doctrine générale du droit des contrats, il ne l’a pas réglée pour toutes les manifestations existantes du principe directeur (par. 74). Il revient donc à la Cour de le faire pour l’obligation d’exercer les pouvoirs discrétionnaires contractuels de bonne foi, à la lumière de l’argument avancé par Wastech selon lequel la bonne foi restreint l’exercice du pouvoir de Metro en l’espèce.

[91]                          À mon avis, il y a lieu de reconnaître l’obligation d’exercer un pouvoir discrétionnaire de bonne foi en tant que principe général du droit des contrats. Cette obligation, tout comme celle d’exécution honnête, n’a pas à trouver sa source dans une condition implicite du contrat; elle se manifeste plutôt dans chaque contrat, sans égard aux intentions des parties (voir Bhasin, par. 74). Cela apporte une clarté conceptuelle aux règles de droit en matière de bonne foi en harmonisant l’analyse de l’obligation d’exercer le pouvoir discrétionnaire de bonne foi avec l’obligation énoncée dans l’arrêt Bhasin.

[92]                          En outre, la reconnaissance de cette obligation générale porte très peu atteinte à la liberté contractuelle pour deux raisons. D’abord, tout comme les parties s’attendront rarement à ce que leur contrat les autorise à exécuter leurs obligations de façon malhonnête (Bhasin, par. 76), elles ne s’attendent que rarement, voire jamais, à ce que le pouvoir discrétionnaire conféré par le contrat soit exercé d’une manière étrangère aux objectifs pour lesquels il a été conféré. Par exemple, au vu des faits de l’espèce, l’imposition d’une obligation à Metro d’exercer son pouvoir discrétionnaire de bonne foi était nécessaire pour donner une efficacité commerciale au contrat. Comme l’a observé l’arbitre à juste titre, en l’absence d’une obligation d’agir de bonne foi limitant l’exercice du pouvoir discrétionnaire de Metro, [traduction] « celle-ci [pouvait] théoriquement, en vertu de son pouvoir discrétionnaire, réduire à zéro le volume de déchets envoyés au [site d’enfouissement de Cache Creek] » (m.a., par. 94). Il est absurde de penser que les parties voulaient que Metro détienne un tel pouvoir sans entraves étant donné que cela aurait soumis Wastech aux [traduction] « caprices désinhibés » de Metro (The « Product Star », p. 404, le lord juge Leggatt). En effet, il est difficile d’imaginer qu’une partie veuille conférer à son partenaire contractuel un pouvoir aussi absolu. Pour cette raison, lorsque des parties contractantes confèrent un pouvoir discrétionnaire, même s’il n’y a pas de condition ou de critère limitatif apparent, les tribunaux reconnaissent depuis longtemps une [traduction] « inférence naturelle » selon laquelle les parties entendent que des contraintes minimales limitent l’exercice du pouvoir discrétionnaire (Sales, p. 387; voir aussi Swan, Adamski et Na, §8.304; Bhasin, par. 45). À mon avis, ces contraintes minimales comprennent l’attente que les parties n’exercent pas leur pouvoir discrétionnaire d’une manière étrangère aux objectifs pour lesquels il a été conféré, par exemple d’une manière abusive ou arbitraire. Comme les parties s’attendent très souvent à ce qu’il y ait des contraintes minimales de cette nature, reconnaître que celles‑ci s’appliquent à tous les contrats en raison de l’obligation d’exercer le pouvoir discrétionnaire de bonne foi porte très peu atteinte à leur liberté contractuelle.

[93]                          Deuxièmement, comme nous l’avons vu, la teneur de l’obligation est fonction de la volonté des parties telle qu’elle est exprimée dans leur contrat. Au lieu de nuire aux objectifs des parties contractantes ou de leur imposer des obligations qu’elles ne peuvent raisonnablement envisager, cette obligation ne fait qu’exiger des parties qu’elles respectent les limites du pouvoir discrétionnaire défini par leurs propres objectifs pour lesquels elles en ont librement négocié l’octroi. Le fait d’assujettir les parties à cette norme s’accordera généralement avec le marché qu’elles ont librement négocié, au lieu de s’en écarter de manière imprévue. Par conséquent, la reconnaissance d’une obligation générale en droit des contrats dans la présente affaire portera très peu atteinte à cette liberté.

[94]                          Dans l’ensemble, donc, comme l’obligation d’exécution honnête, l’obligation d’exercer le pouvoir discrétionnaire contractuel de bonne foi n’est pas une condition implicite, mais une doctrine d’application générale du droit des contrats qui trouve application sans égard aux intentions des parties (Bhasin, par. 74). Cela place les deux obligations sur le même pied, et est conforme à la présomption générale que les parties n’ont pas l’intention qu’un pouvoir discrétionnaire soit complètement absolu (voir Bhasin, par. 45). Tout comme l’obligation d’exécution honnête, l’obligation d’exercer le pouvoir discrétionnaire contractuel de bonne foi, tel qu’il est décrit dans les présents motifs, devrait être considérée comme obligatoire dans tous les contrats. Les parties qui prévoient un pouvoir discrétionnaire ne peuvent se soustraire à l’engagement implicite voulant que le pouvoir soit exercé de bonne foi, c’est‑à‑dire en fonction des objectifs pour lesquels il a été conféré. Cette conclusion n’empiètera sur la liberté contractuelle que dans les rares cas où les parties cherchent à autoriser l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire contractuel d’une manière étrangère à ses objectifs sous‑jacents, ou à mettre autrement une pareille conduite à l’abri du contrôle judiciaire.

[95]                          En conséquence, il ne fait aucun doute que l’obligation d’exercer des pouvoirs discrétionnaires contractuels de bonne foi s’applique en l’espèce. La clause d’intégralité de l’entente (art. 32.17) n’écarte pas l’obligation, quoique, dans un cas donné, le contrat dans son ensemble guide l’analyse de ce qu’exige l’obligation. Cela veut également dire que le rejet, par l’arbitre, de l’existence d’une clause implicite n’empêchait pas de reconnaître et d’appliquer l’obligation d’exercer le pouvoir discrétionnaire contractuel de bonne foi.

(c)          Application à l’exercice du pouvoir discrétionnaire de Métro

[96]                          L’exercice par Metro de son pouvoir discrétionnaire était‑il déraisonnable eu égard aux objectifs pour lesquels le pouvoir discrétionnaire a été conféré et constituait‑il par le fait même un manquement à l’obligation? À mon avis, la réponse est non.

[97]                          Rappelons que le contrat confère à Metro le [traduction] « pouvoir discrétionnaire absolu » pour établir la quantité minimale de déchets qui seront transportés au site d’enfouissement de Cache Creek, et non aux autres sites d’élimination des déchets, au cours d’une période donnée. Contrairement à ce que prévoyaient certains accords antérieurs entre les parties, il n’y a aucun volume minimal garanti de déchets destinés à ce site au cours d’une année donnée (sentence arbitrale, par. 84). Cette quantité minimale (« capacité de remorquage garantie ») doit être fixée en fonction de la variation saisonnière du flux de déchets et [traduction] « d’autres facteurs qui influent sur le volume de déchets transportés au site d’enfouissement de Cache Creek durant une année civile » (m.a., vol. II, p. 68, art. 30.5). Mis à part cette affirmation générale, il n’y a aucune indication quant aux objectifs qui sous‑tendent l’octroi à Metro du pouvoir discrétionnaire pour fixer cette quantité.

[98]                          Cependant, lorsqu’on lit les clauses en tenant compte du contrat dans son ensemble, les objectifs deviennent plus clairs. Les attendus au début du contrat décrivent l’intention des parties de, notamment, s’inciter l’une et l’autre à [traduction] « maximiser l’efficacité et à réduire les coûts au minimum », à permettre « l’exploitation optimale de la capacité municipale d’élimination des déchets solides du site d’enfouissement de Cache Creek », et à être « attentives aux changements importants apportés aux normes d’exploitation, aux services ou à la configuration du système » (d.a., vol. II, p. 9, attendus C(2) et (6) à (7)). Ces attendus concordent avec le texte de l’ensemble du contrat, qui se veut souple pour tenir compte des divers facteurs prévus par les parties, comme les volumes de déchets, les frais d’exploitation et la capacité des sites d’élimination des déchets (sentence arbitrale, par. 43). Comme nous l’avons vu, le contrat s’adapte aux répercussions qu’auront ces facteurs sur la rentabilité de Wastech, non seulement en ajustant les taux payables par Metro, mais aussi en l’obligeant à assumer sa part des conséquences de l’omission d’atteindre le degré cible de rentabilité (art. 14.11 et 14.19). C’est par le truchement de cette structure que les parties ont décidé de gérer le risque et les bénéfices de l’opération.

[99]                          Dans ce contexte, les objectifs pour lesquels Metro s’est vu conférer le « pouvoir discrétionnaire absolu » relatif à la répartition des déchets étaient clairement de lui donner la souplesse nécessaire pour maximiser l’efficacité et réduire au minimum les frais de l’opération. L’octroi d’un tel pouvoir, par opposition à l’établissement de certains volumes de déchets, favorise la réalisation de l’objectif général de permettre aux parties de s’adapter à l’évolution de la situation pendant la durée du contrat, de sorte que cette efficacité opérationnelle soit assurée. De plus, la coexistence de ce pouvoir discrétionnaire avec un cadre détaillé servant à ajuster les paiements en vue de l’atteinte d’un niveau négocié de rentabilité contredit l’idée que les parties entendaient que ce pouvoir discrétionnaire soit exercé de manière à ce que Wastech bénéficie d’une certaine rentabilité. Ces incitatifs détaillés existent déjà ailleurs dans le contrat. Ainsi, lorsqu’on lit les clauses susmentionnées dans leur contexte, les objectifs pour lesquels Metro s’est vu conférer un « pouvoir discrétionnaire absolu » étaient de lui permettre d’organiser l’élimination des déchets, pour laquelle elle avait conclu un contrat avec Wastech, de manière efficiente et rentable compte tenu de la variabilité opérationnelle que prévoyaient les parties.

[100]                      À la lumière de ces objectifs, Metro n’a pas agi de façon déraisonnable. L’exercice par Metro de son pouvoir discrétionnaire était [traduction] « guidé par les objectifs d’optimisation de l’efficacité [de l’installation de valorisation énergétique de Burnaby], de préservation de la capacité restante du site [d’enfouissement de Cache Creek] et d’exploitation du système de la manière la plus rentable possible », et Metro avait pris sa décision « en vue d’atteindre ses propres objectifs opérationnels » (sentence arbitrale, par. 87‑88). Tout cela dénote un pouvoir discrétionnaire qui ne peut être considéré comme étranger aux objectifs contractuels pour lesquels il a été conféré.

[101]                      Fait à noter, l’obligation n’obligeait pas Metro à subordonner ses intérêts à ceux de Wastech dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, de la façon invoquée par cette dernière. Le contrat n’incluait à dessein aucune garantie que le RE cible serait atteint. Les parties étaient conscientes du risque que représentait l’exercice du pouvoir discrétionnaire et ont choisi, malgré de longues négociations et un accord détaillé, de ne pas limiter ce pouvoir discrétionnaire de la façon dont le demande maintenant Wastech. En fait, cette dernière cherche à obtenir un avantage qu’elle n’a pas négocié. Elle demande dans les faits que Metro lui confère un avantage qui n’a pas été envisagé, expressément ou implicitement, dans le contrat. Selon ce que je comprends, cela ne relève pas de l’« exigence de justice » énoncée par le juge Cromwell dans l’arrêt Bhasin (par. 64).

[102]                      Bien que, lors de l’instruction du présent pourvoi, Wastech ait souligné à maintes reprises la conclusion de l’arbitre selon laquelle le contrat constituait un accord relationnel à long terme tributaire d’un élément de confiance et de collaboration entre Wastech et Metro, cela ne permet pas de trancher l’affaire en faveur de Wastech. Malgré la conclusion de l’arbitre, que je n’ai pas l’intention de modifier, la nature détaillée du contrat montre clairement que les parties ont soigneusement structuré leur relation et précisément réparti entre elles les risques de leur marché, notamment au moyen des divers mécanismes de rajustement prévus au contrat. On ne peut mettre ce contexte de côté lorsqu’on évalue si Metro a exercé son pouvoir discrétionnaire de bonne foi. Il ne s’agit pas d’un exemple d’une situation imprévue ou non réglementée qui, en raison de la nature relationnelle du contrat, devait se régler grâce à la confiance et à la collaboration considérées comme inhérentes à l’accord à long terme. Les parties avaient prévu ce risque — et ont choisi de conserver le pouvoir discrétionnaire.

[103]                      Il me semble que la seule conduite douteuse évoquée en l’espèce soit celle de l’exercice du pouvoir discrétionnaire par Metro qui a rendu « impossible » pour Wastech d’atteindre le RE cible en 2011. Certes, étant donné l’esprit de confiance et de collaboration qui sous-tend le contrat — que l’arbitre, dans son examen des faits, a encore une fois décrit comme un contrat de nature relationnelle à long terme —, les intérêts contractuels légitimes de ces parties étaient différents de ceux des parties à un accord de nature plus transactionnelle par exemple (voir l’arrêt Bhasin, par. 69). Il demeure que le contrat ne garantissait pas que Wastech atteindrait le RE cible chaque année. Effectivement, les divers mécanismes de rajustement complexes prévus dans le contrat lui‑même, qui ne s’appliquent que lorsque le RE réel pour une année donnée est différent du RE cible, démontrent clairement que les parties avaient prévu que le RE cible ne serait pas atteint certaines années (sentence arbitrale, par. 84). En conséquence, le simple fait que Wastech n’ait pas eu l’occasion d’atteindre le RE cible durant l’une des 20 années du contrat n’est pas vraiment surprenant, malgré la conclusion de l’arbitre selon laquelle le contrat était un accord de nature relationnelle à long terme. Il me semble plutôt que l’incidence sur Wastech de l’exercice du pouvoir discrétionnaire de Metro reflète simplement la répartition du risque établie dans le contrat, que Wastech a négociée et acceptée. De fait, l’attendu C(3) mentionne expressément que le contrat prévoyait le partage des [traduction] « risques et avantages ». Il est vrai que la situation à l’origine du litige était considérée comme improbable par les parties. Cependant, elles ont toutes les deux perçu le risque et, ensemble, elles l’ont écarté, laissant le pouvoir discrétionnaire en place. En ce sens, on ne peut pas dire que Metro a exercé son pouvoir discrétionnaire d’une manière manifestement étrangère aux objectifs applicables. Wastech aurait pu s’attendre à bénéficier de cette possibilité chaque année, mais vu les conditions du marché qu’elle a accepté, cette attente n’était pas partagée.

[104]                      Le texte de la clause discrétionnaire dans le cas qui nous occupe n’indiquait pas expressément pourquoi le contrat conférait à Metro un « pouvoir discrétionnaire absolu » relativement à la répartition des déchets d’une année à l’autre. Toutefois, à la lumière du contexte du contrat dans son ensemble, et en tenant compte de ce que le lord Sales appelle la [traduction] « loyauté [des parties] envers l’entreprise », l’objectif qui restreint l’exercice du pouvoir discrétionnaire de Metro devient évident.

[105]                      Si on lit le contrat dans son ensemble, on comprend qu’il n’y avait aucune garantie que Wastech atteigne le RE cible lors d’une année donnée. Le risque que les revenus varient d’une année à l’autre avait été envisagé par les parties, et cette variation pourrait bien être fondée sur des facteurs comme l’exercice par Metro de son pouvoir discrétionnaire relatif à la répartition des déchets. Le contrat abordait ce risque, notamment au moyen des dispositions de rajustement. Le risque que l’exercice du pouvoir discrétionnaire affecte le profit réalisé par l’une ou l’autre des parties au cours d’une année donnée a donc été pris en compte et, malgré tout, le pouvoir discrétionnaire a été conservé. Dans ces circonstances, l’objectif de la disposition était simplement de donner à Metro la latitude, en fonction de son jugement de ce qui est le mieux pour elle, pour rajuster les proportions de la répartition des déchets parmi les trois sites de la façon nécessaire pour assurer l’efficacité de l’opération. La capacité de faire une telle répartition était non seulement permise, mais on peut aussi dire qu’elle reflétait l’objectif de la disposition.

[106]                      Bien que le choix de Metro, du point de vue de son partenaire contractuel, Wastech, fût désavantageux, il faisait partie de l’éventail permis par l’objectif de la disposition, en ce sens qu’il avait été fait de bonne foi, même si l’exercice avait pour effet de porter préjudice à l’intérêt de Wastech. Puisque l’exercice du pouvoir discrétionnaire faisait partie de l’éventail des conduites pouvant être envisagées en fonction de l’objectif de la disposition, on ne peut dire, selon les normes de la justice contractuelle, qu’il a été fait de mauvaise foi ou qu’il était injuste.

[107]                      En demandant ce qui équivaut à une garantie du RE cible chaque année du contrat, Wastech cherche à obtenir une issue qui n’est pas visée par le contrat. Elle se plaint que l’issue est injuste parce que, en définitive, elle ne serait pas en mesure de gagner le revenu auquel elle estimait avoir droit. Dans les faits, Wastech demande que le pouvoir discrétionnaire de Metro soit restreint de sorte qu’elle puisse obtenir un résultat — un avantage — qu’elle n’a pas négocié et, en fait, auquel elle aurait renoncé. Elle demande à la Cour de faire en sorte que Metro compromette son propre intérêt afin d’accommoder l’intérêt de Wastech; mais Metro est le partenaire contractuel de Wastech, non pas son fiduciaire. La loyauté exigée de sa part dans le cadre de l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire était la loyauté envers le marché, et non envers Wastech. Celle‑ci ne peut se fonder sur une compréhension de la bonne foi qui s’accorde mal avec le fondement de la justice contractuelle.

(d)          Le droit civil du Québec ne serait d’aucun secours à Wastech

[108]                      Enfin, je me permets d’observer que Metro soutient, après avoir souligné les allusions à l’abus de droit en droit civil qu’a faites le juge Cromwell dans l’arrêt Bhasin, que la position de Wastech ne serait pas traitée plus favorablement en vertu du droit québécois. Il est vrai, tel qu’il est reconnu dans l’arrêt Bhasin au par. 83, que l’art. 7 du Code civil du Québec (« C.c.Q. ») prévoit notamment que la bonne foi oblige les parties à s’abstenir d’exercer leurs droits, y compris leurs droits contractuels, d’une manière déraisonnable[1]. D’ailleurs, même avant l’adoption de cette règle, la Cour a conclu dans l’arrêt Houle c. Banque Canadienne Nationale, [1990] 3 R.C.S. 122, que la théorie de l’abus des droits exige que les droits contractuels soient exercés de manière raisonnable en droit québécois des obligations (p. 154‑155). Dans l’arrêt Houle, la Cour a qualifié la conduite de la banque défenderesse de « soudaine, impulsive et dommageable » et a affirmé qu’elle constituait, d’après la Cour, un « abus flagrant du droit contractuel de la banque » (p. 176). Je rappelle que dans l’arrêt Callow, notre Cour s’est référée au cadre d’analyse québécois de l’abus de droit afin de préciser que le lien direct avec l’exécution contractuelle nécessaire pour établir un manquement à l’obligation d’exécution honnête est présent si une obligation a été exécutée, ou un droit exercé, de façon malhonnête et donc de mauvaise foi. En l’espèce, il n’y a aucune raison de se rapporter à ce cadre, car l’exercice de mauvaise foi du pouvoir discrétionnaire contractuel est une caractéristique définitionnelle non contestée de cette obligation. C’est plutôt la teneur de l’obligation qui est en cause dans la présente affaire. Bien sûr, il n’est pas question d’appliquer le droit québécois au présent litige, mais, selon Metro, même si l’on procédait par analogie ou comparaison, la norme de conduite raisonnable dans le domaine de l’abus de droits contractuels au Québec ne permettrait pas à Wastech d’obtenir le redressement qu’elle réclame en l’espèce.

[109]                      Je conviens avec Metro qu’invoquer la teneur réelle de ce qui constitue un abus dans l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire contractuel en droit québécois n’est d’aucun secours à Wastech en l’espèce. En soutenant que le fait d’être privé de la possibilité de toucher son revenu cible indique un exercice déraisonnable du pouvoir discrétionnaire de Metro relatif à la répartition des déchets, Wastech ne prétend pas que Metro a fait preuve d’imprudence ou de négligence, qu’elle s’est comportée de manière immodérée ou a agi dans l’intention de causer du tort, des facteurs souvent jugés pertinents pour évaluer l’abus de droit dans l’arrêt Houle et les décisions rendues en application des articles 6, 7 et 1375 C.c.Q. (J.‑L. Baudouin et P.‑G. Jobin, Les obligations (7e éd. 2013), P.‑G. Jobin et N. Vézina, no 156 et 157). De plus, la doctrine et les tribunaux québécois ont souligné que la norme servant à établir ce qui constitue un exercice abusif d’un droit discrétionnaire est particulièrement exigeante : on affirme généralement qu’elle repose sur « la mauvaise foi ou sur une faute caractérisée engendrant un préjudice anormal » (J.‑L. Baudouin, P. Deslauriers et B. Moore, La responsabilité civile, vol. 1, Principes généraux (8e éd. 2014), par. 1‑232, citant Ponce c. Montrusco & Associés inc., 2008 QCCA 329, [2008] R.J.D.T. 65). Wastech n’allègue aucune conduite de ce genre à l’appui de sa demande fondée sur l’exercice supposément déraisonnable du pouvoir conféré par le contrat en l’espèce. Certes, quelques sources québécoises appuient la thèse voulant qu’un droit contractuel ne doive pas être exercé de façon abusive ou arbitraire (D. Lluelles et B. Moore, Droit des obligations (3e éd. 2018), no 1987). Toutefois, comme nous l’avons vu, même si l’on admettait la pertinence de ces mesures pour déterminer en quoi consiste l’exercice raisonnable d’un pouvoir discrétionnaire en common law, la poursuite de Wastech contre Metro ne reposait pas sur ce fondement.

[110]                      Plus important encore, l’argument de Wastech selon lequel le pouvoir discrétionnaire de Metro aurait dû être exercé dans un esprit de coopération — un principe qui a été reconnu à l’occasion au Québec — ne serait d’aucun secours à Wastech en l’espèce. En définitive, Wastech demande, sous le couvert de l’exécution de bonne foi du pouvoir discrétionnaire de Metro, de recevoir un avantage que les parties n’avaient pas prévu au contrat. Peu importe la mesure dans laquelle une obligation de coopération avec l’autre partie contractante est requise par le droit relatif à l’obligation d’agir de bonne foi au Québec, cela ne reviendrait pas à exiger que Metro, en l’absence d’une conduite fautive, confère une garantie de profit qui n’est pas prévue au contrat. En ce sens, la Cour a comparé le droit québécois à une notion semblable esquissée pour la common law dans l’arrêt Bhasin, dans l’affaire de Churchill Falls (Labrador) Corp. c. Hydro‑Québec, 2018 CSC 46, [2018] 3 R.C.S. 101, par. 128 : « Le devoir de collaborer avec son cocontractant n’exige pas de sacrifier ses intérêts propres. » Peu importe la collaboration des parties contractantes qu’exige la bonne foi, dans les contrats commerciaux ordinaires ou même dans les accords relationnels à long terme, le droit n’exige pas, en règle générale, que les parties agissent comme la loi l’exigerait d’un fiduciaire, ou qu’elle redistribue les avantages aux termes de l’accord d’une manière qui ne relève habituellement pas de la justice contractuelle (voir, p. ex., Dunkin’ Brands Canada Ltd. c. Bertico inc., 2015 QCCA 624, 41 B.L.R. (5th) 1, par. 74, et Gestion immobilière Bégin inc. c. 9156‑6901 Québec inc., 2018 QCCA 1935, par. 28 (CanLII)). Décidément, une analogie avec le droit québécois n’est pas utile à Wastech en l’espèce.

(3)          Conclusion sur la bonne foi

[111]                      Lorsqu’une partie à un contrat exerce son pouvoir discrétionnaire de façon déraisonnable, ce qui signifie dans le présent contexte d’une manière étrangère aux objectifs qui sous‑tendent le pouvoir discrétionnaire conféré par le contrat, sa conduite constitue un manquement à l’obligation d’exercer ses pouvoirs discrétionnaires de bonne foi — soit un exercice fautif du pouvoir discrétionnaire — et donc une violation contractuelle qui doit être corrigée. Obliger une partie à payer des dommages‑intérêts pour réparer une telle faute est compatible avec la théorie de la justice corrective et ne constitue pas une réaffectation des avantages prévus au contrat comme l’ont établi les parties, ni un don de l’une des parties à l’autre.

[112]                      Cette même théorie de la justice corrective est à la base du principe directeur de l’exécution de bonne foi et des obligations particulières qui en découlent, comme cela ressort des déclarations formulées par le juge Cromwell dans l’arrêt Bhasin, selon lesquelles le principe directeur est une « exigence de justice ». Cela n’oblige pas une partie à subordonner ses intérêts à ceux de l’autre partie (par. 86). Comme l’obligation distincte d’exécution honnête, l’obligation d’exercer les pouvoirs discrétionnaires contractuels de bonne foi n’en est pas une qui est de nature fiduciaire. Lorsqu’elle exerce un pouvoir discrétionnaire contractuel, « une partie peut parfois causer une perte à une autre partie — même de façon intentionnelle — dans la poursuite légitime d’intérêts économiques personnels » (par. 70). Cela ne constitue pas nécessairement un exercice abusif ou de « mauvaise foi » d’un pouvoir discrétionnaire.

[113]                      Je souligne encore une fois que l’obligation d’exercer les pouvoirs discrétionnaires de bonne foi n’exige pas qu’une partie confère à l’autre un avantage qui n’était pas prévu dans leur accord initial, et n’exige pas non plus qu’une partie subordonne ses intérêts à ceux de l’autre partie. Soit dit en tout respect, l’arbitre n’a pas respecté ces préceptes et la sentence arbitrale étend l’obligation de bonne foi en cause au‑delà des limites qui s’imposent. Dans ces circonstances, l’argument de Wastech selon lequel Metro ne pouvait pas la priver de l’avantage fondamental qu’elle avait négocié ne tient pas compte des conditions de l’accord en tant que tel et de l’objectif pour lequel Metro s’est vu confier le pouvoir discrétionnaire en question. Les parties avaient constaté le risque que Wastech puisse ne pas atteindre le RE cible au cours d’une année. Elles ont choisi d’assumer ce risque dans le marché et n’ont pas garanti de marge de profit à Wastech. Compte tenu de ce choix, Wastech ne peut dire que l’exercice du pouvoir discrétionnaire était déraisonnable. Essentiellement, Wastech soutient que la bonne foi obligeait Metro à subordonner ses intérêts aux siens, et à lui garantir quelque chose qui n’était pas prévu dans le contrat qu’elles avaient laborieusement négocié pendant environ 18 mois. De manière générale, ce n’est pas là le rôle de la bonne foi dans la common law en matière de contrats compte tenu de l’exigence de justice abordée dans l’arrêt Bhasin, et l’arbitre a commis une erreur de droit en donnant effet à ces arguments. Pour les motifs qui précèdent, je souscris à la conclusion des instances inférieures selon laquelle la demande de Wastech doit être rejetée : la sentence arbitrale ne peut être maintenue, que la norme de contrôle applicable soit celle de la décision correcte ou celle de la décision raisonnable.

V.           Dispositif

[114]                      Je suis d’avis de rejeter le pourvoi avec dépens.

                    Version française des motifs des juges Côté, Brown et Rowe rendus par

                    Les juges Brown et Rowe —

I.               Introduction

[115]                     Nous sommes d’accord avec notre collègue le juge Kasirer pour rejeter le pourvoi. Malgré que nous souscrivions au résultat, nous rédigeons des motifs distincts pour quatre raisons. Premièrement, la Cour devrait préciser la norme de contrôle applicable. Deuxièmement, bien que nous convenions que l’analyse de la bonne foi doit à juste titre être axée sur l’objet d’un pouvoir discrétionnaire, les tribunaux doivent donner effet au marché conclu par les parties pour établir quel est cet objet. Troisièmement, nous ne souscrivons pas au traitement que fait notre collègue de l’obligation d’exécution honnête dans la mesure où il laisse entendre qu’il s’agit d’une étape préliminaire à l’examen de l’obligation d’exercer un pouvoir discrétionnaire de bonne foi. Enfin, son recours au droit civil du Québec est inutile, malavisé et totalement injustifié. Plutôt que de contribuer à l’évolution de la common law relativement à la bonne foi en matière d’exécution contractuelle, comme l’a établi notre Cour dans l’arrêt Bhasin c. Hrynew, 2014 CSC 71, [2014] 3 R.C.S. 494, la digression sur le droit civil donne lieu à des difficultés, de l’incertitude et de la confusion.

[116]                      Fondamentalement, pour répondre à la question soulevée dans le présent pourvoi, il faut simplement appliquer l’arrêt Bhasin et confirmer que, même si cet arrêt a classé plusieurs doctrines établies en common law sous la rubrique de la « bonne foi », il ne représentait pas un abandon de la stabilité commerciale et n’exigeait pas que les parties contractantes subordonnent leurs intérêts à ceux de leur cocontractant. Dans la mesure où l’effet de la décision de l’arbitre en l’espèce était d’exiger que l’intimée protège les intérêts de l’appelante aux dépens des siens, celle‑ci n’est pas conforme à l’arrêt Bhasin ou à la jurisprudence l’ayant précédé. Nous sommes donc d’avis de rejeter le pourvoi.

II.            Norme de contrôle

[117]                     Notre collègue s’abstient de se prononcer sur la norme de contrôle applicable, car il infirmerait les conclusions de l’arbitre peu importe la norme appliquée. Cependant, à notre avis, la Cour devrait fournir des indications claires sur ce point. L’application de l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 R.C.S. 653, aux appels des sentences arbitrales a donné lieu à des courants jurisprudentiels divergents (Northland Utilities (NWT) Limited c. Hay River (Town of), 2021 NWTCA 1, par. 21‑44 (CanLII); Ontario First Nations (2008) Limited Partnership c. Ontario Lottery And Gaming Corporation, 2020 ONSC 1516, par. 62‑75 (CanLII); Cove Contracting Ltd c. Condominium Corporation No 012 5598 (Ravine Park), 2020 ABQB 106, 10 Alta. L.R. (7th) 178, par. 3‑12; Allstate Insurance Co. c. Ontario (Minister of Finance), 2020 ONSC 830, 149 O.R. (3d) 761, par. 12‑19; Buffalo Point First Nation c. Cottage Owners Association, 2020 MBQB 20, par. 46‑48 (CanLII); Clark c. Unterschultz, 2020 ABQB 338, 41 R.F.L. (8th) 28, par. 55‑56). Cette question doit être réglée.

[118]                     Dans l’arrêt Vavilov, la Cour a conclu que les normes de contrôle applicables en appel établies dans l’arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, s’appliquent aux droits d’appel à l’encontre de décisions administratives prévus par la loi (par. 37). Certains tribunaux de première instance ont toutefois résisté à l’application de ce principe aux appels interjetés contre des sentences arbitrales. Deux raisons sont offertes pour expliquer cela. D’abord, les arrêts Sattva Capital Corp. c. Creston Moly Corp., 2014 CSC 53, [2014] 2 R.C.S. 633, et Teal Cedar Products Ltd. c. Colombie‑Britannique, 2017 CSC 32, [2017] 1 R.C.S. 688, ne supportent pas l’application aux appels en matière d’arbitrage des normes de contrôle applicables en appel, et l’arrêt Vavilov n’a pas expressément écarté ces décisions (Ontario First Nations, par. 71; Cove Contracting Ltd., par. 10‑12). Ensuite, l’arrêt Vavilov résulte de [traduction] « considérations constitutionnelles qui justifient la déférence de la magistrature envers le législateur » (Ontario First Nations, par. 72). En revanche, la norme de contrôle qui s’applique aux appels interjetés à l’encontre de sentences arbitrales privées est « guidée par des considérations commerciales relatives au respect des décideurs choisis par les parties. Par conséquent, la déférence est justifiée par l’intention contractuelle des parties » (Ontario First Nations, par. 72).

[119]                     Il existe des différences importantes entre l’arbitrage commercial et le processus décisionnel administratif (Sattva, par. 104). Ces différences n’ont toutefois pas d’incidence sur la norme de contrôle applicable lorsque le législateur a prévu un droit d’appel dans la loi. Les normes de contrôle applicables en appel s’appliquent suivant les règles d’interprétation législative. Comme l’a expliqué la Cour dans l’arrêt Vavilov, le « choix [du législateur] de créer dans la loi un droit d’appel manifeste une intention d’attribuer un rôle de tribunal d’appel aux cours de révision » (par. 39). Ce principe d’interprétation s’applique de la même façon aux droits d’appel de sentences arbitrales prévus par la loi :

     De façon plus générale, il n’y a aucune raison convaincante de présumer que le législateur voulait que le mot « appel » revête un sens tout à fait différent dans une loi à caractère administratif que, par exemple, dans un contexte de droit criminel ou commercial. Accepter que le mot « appel » porte sur le même type de procédure dans tous ces contextes s’accorde également avec la présomption d’uniformité d’expression, selon laquelle le législateur est présumé employer des mots de telle sorte que les mêmes termes ont le même sens, dans une même loi ainsi que d’une loi à l’autre : R. Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes (6e éd. 2014), p. 217.

(Vavilov, par. 44)

[120]                     Les facteurs justifiant la déférence envers l’arbitre, notamment le respect de la décision des parties en faveur d’un mode alternatif de résolution des conflits et la sélection d’un décideur compétent, ne sont pas pertinents dans le cadre de cet exercice d’interprétation. Ce qui importe, ce sont les mots choisis par le législateur, et de donner effet à l’intention que reflètent ces mots. Ainsi, lorsqu’une loi prévoit un « appel » d’une sentence arbitrale, les normes énoncées dans l’arrêt Housen s’appliquent. Dans cette mesure, l’arrêt Vavilov a remplacé le raisonnement exposé dans les arrêts Sattva et Teal Cedar. Tirer une conclusion contraire minerait la cohérence de l’arrêt Vavilov et des principes qui y sont énoncés.

[121]                     Le présent pourvoi a été interjeté en vertu de l’art. 31 de l’Arbitration Act, R.S.B.C. 1996, c. 55[2], qui prévoit que, sur consentement des parties ou sur autorisation de la Cour suprême de la Colombie‑Britannique, une partie à un arbitrage [traduction] « peut interjeter appel au tribunal sur toute question de droit découlant de la sentence ». Au vu de l’arrêt Vavilov, il s’ensuit que la norme de contrôle que doit appliquer notre Cour en l’espèce est celle de la décision correcte (Housen, par. 8). Notre conclusion sur ce point ne vise que la disposition législative précise dont il est question. Dans chaque cas, la question en est une d’intention législative, qui se dégage du libellé de la loi.

[122]                     Plutôt que de répondre sur le fond, notre collègue invoque un passage regrettable des motifs des juges majoritaires dans l’arrêt Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Procureur général) c. Uashaunnuat (Innus de Uashat et de Mani‑Utenam), 2020 CSC 4, [2020] 1 R.C.S. 15, au par. 15, où ceux‑ci ont expressément rejeté les avis contraires de leurs collègues comme s’ils ne méritaient pas de réponse. Les conséquences de son refus de se prononcer sur la norme de contrôle appropriée sont tout aussi préoccupantes, et risquent de miner la décision de la Cour dans l’arrêt Vavilov en ce qui a trait aux appels prévus par la loi. Laisser cette question sans réponse risque de causer de la confusion et de susciter des conflits.

III.         Contexte

[123]                      Le présent pourvoi tire son origine d’un accord exhaustif de 20 ans (« accord ») conclu entre Greater Vancouver Sewerage and Drainage District (« Metro ») et Wastech Services Inc. (« Wastech ») visant la gestion des déchets solides municipaux. Plus précisément, l’accord prévoyait que Wastech ou ses sous‑traitants transporteraient les déchets solides aux stations de transfert de Cache Creek, de Vancouver et de Burnaby. Wastech gérait la station de transfert de Cache Creek. Aux termes de l’accord, Metro pouvait, en vertu de son pouvoir discrétionnaire, décider chaque année de la répartition des déchets entre ces stations. Le volume de déchets transportés à chaque installation avait une incidence sur les coûts et les revenus de Wastech et, par conséquent, sur sa capacité de faire des profits. En particulier, Wastech recevait un taux de rémunération plus élevé pour le transport des déchets à Cache Creek. Toujours selon l’accord, la rémunération totale de Wastech était structurée selon un ratio d’exploitation cible de 0,890 (« RE cible »), ce qui signifie que, lors d’une année donnée, les coûts d’exploitation devaient correspondre à 89 pour 100 des revenus, de sorte que Wastech puisse toucher un profit de 11 pour 100.

[124]                      Il importe de noter que l’accord ne garantissait pas que Wastech atteindrait le RE cible; il indiquait plutôt ce qui se passerait si le RE cible n’était pas atteint. Si le ratio d’exploitation réel (« RE réel ») se situait entre 0,860 et 0,920 à la fin de l’année, un paiement rétroactif à l’une ou l’autre des parties correspondant à 50 pour 100 de la différence entre le RE cible et le RE réel était prévu dans l’accord. Dans les faits, les parties se partageraient les conséquences financières de tout écart de 0,300 ou moins du RE cible. En outre, l’accord prévoyait un rajustement prospectif applicable si le RE réel se situait à l’extérieur de la « fourchette cible » de 0,860 à 0,920 (« rajustement hors de la fourchette »). Ce rajustement se voulait suffisant pour ramener le ratio d’exploitation tout juste à l’extérieur de la fourchette cible. Par ailleurs, si le RE réel de Wastech se trouvait à l’extérieur de la fourchette cible pendant trois années consécutives, les taux faisaient l’objet d’un nouveau calcul.

[125]                      Le volume total de déchets transportés par Wastech dans le cadre de l’accord avait diminué de façon constante depuis 2007. Metro a donc décidé de rediriger vers Vancouver une partie des déchets devant être envoyés à Cache Creek en 2011 afin [traduction] « [d’]optimiser la durée de vie utile restante du site d’enfouissement de Cache Creek » (sentence arbitrale, d.a., vol. I, p. 1, par. 52) et en raison de préoccupations budgétaires. Metro savait qu’il était possible que Wastech ne soit pas en mesure de réduire ses coûts pour tenir compte du changement dans la répartition des déchets, lequel a finalement causé une baisse du volume de déchets transportés à Cache Creek de 31 pour 100 en 2011 par rapport à 2010. En raison de la décision de Metro, Wastech n’a pas eu la possibilité d’atteindre le RE cible en 2011.

[126]                      L’arbitre a expressément refusé de conclure à l’existence dans l’accord d’une condition implicite garantissant le RE cible, et a plutôt jugé que les parties avaient envisagé une telle condition mais l’avaient rejetée. Toutefois, il a également conclu que Metro était assujettie à une obligation de bonne foi selon laquelle elle devait prendre en compte comme il se doit les intérêts légitimes de Wastech. Même si la décision de 2011 concernant la répartition des déchets était honnête et raisonnable lorsqu’on l’envisage du point de vue de Metro, elle a également [traduction] « eu des répercussions financières importantes [pour Wastech] excédant celles prévues par les mécanismes de rajustement [de l’accord] » (par. 86). L’arbitre a conclu que la décision de Metro était « malhonnête » parce qu’elle écartait indûment l’attente légitime de Wastech d’avoir au moins la possibilité d’atteindre le RE cible chaque année de l’accord.

IV.         Questions

[127]                      Metro s’est vu accorder l’autorisation d’interjeter appel de la décision de l’arbitre à l’égard de deux questions de droit :

[traduction]

1. L’arbitre a‑t‑il commis une erreur de droit en omettant d’appliquer les principes appropriés lorsqu’il a jugé que l’exercice par une partie d’un droit négocié pouvait être [traduction] « malhonnête » et constituer un acte de mauvaise foi simplement parce qu’il était totalement incompatible avec les attentes de l’autre partie contractante, lesquelles n’étaient pas énoncées dans le contrat?

      2. L’arbitre a‑t‑il commis une erreur de droit en confondant le « principe directeur » énoncé dans l’arrêt Bhasin avec une obligation distincte de bonne foi contractuelle, omettant par le fait même de tenir compte des principes de bonne foi applicables tels qu’ils sont énoncés dans la jurisprudence?

(2016 BCSC 68, 409 D.L.R. (4th) 9, par. 40)

En définitive, ces questions soulèvent toutes deux une autre question simple : quelle est la norme applicable pour établir si un pouvoir discrétionnaire contractuel a été exercé de bonne foi?

V.           Analyse

A.           L’obligation d’exercer les pouvoirs discrétionnaires de bonne foi

[128]                      La première étape à suivre pour trancher une demande fondée sur le principe de bonne foi en common law est de se demander si certaines doctrines de la bonne foi reconnues trouvent application (C.M. Callow Inc. c. Zollinger, 2020 CSC 45, [2020] 3 R.C.S. 908, par. 129). Dans l’arrêt Bhasin, notre Cour a reconnu qu’il existe en common law quatre doctrines distinctes, chacune ayant des obligations correspondantes, qui sont des manifestations du « principe directeur général » de bonne foi : (1) une obligation de collaboration entre les parties en vue de la réalisation des objectifs du contrat (par. 49); (2) une obligation d’exercer un pouvoir discrétionnaire de nature contractuelle de bonne foi (par. 50); (3) une obligation de ne pas éluder de mauvaise foi des obligations contractuelles (par. 51); et (4) une obligation d’exécution honnête (par. 73). Le présent pourvoi découle de l’une d’elles — l’obligation d’exercer un pouvoir discrétionnaire contractuel de bonne foi.

[129]                      Bien que notre Cour ait reconnu l’existence de cette doctrine de la bonne foi, elle ne s’est jamais prononcée sur la norme applicable (voir Mitsui & Co. (Canada) Ltd. c. Banque Royale du Canada, [1995] 2 R.C.S. 187; Bhasin, par. 47 et 50). Nous sommes d’accord avec notre collègue pour dire que la jurisprudence des cours d’appel appuie l’idée que le pouvoir discrétionnaire doit être exercé de façon raisonnable, et que cette norme exige simplement qu’une partie exerce son pouvoir discrétionnaire conformément à la fin pour laquelle il a été conféré. Nous voulons toutefois mettre l’accent sur deux points qu’il faut garder à l’esprit lors de son application.

[130]                      Premièrement, l’objectif de la bonne foi est de [traduction] « garantir l’exécution et l’application du contrat conclu par les parties » (Transamerica Life Canada Inc. c. ING Canada Inc. (2003), 68 O.R. (3d) 457 (C.A.), par. 53). Elle ne peut servir à [traduction] « créer de nouveaux droits et obligations non négociés », ou à « modifier les termes exprès du contrat conclu par les parties » (Transamerica, par. 53). Les parties contractantes ne peuvent être assujetties à une norme qui est [traduction] « contraire au sens ordinaire des termes du contrat, ou qui comporte l’imposition d’attentes subjectives » (Styles c. Alberta Investment Management Corp., 2017 ABCA 1, 44 Alta. L.R. (6th) 214, par. 45).

[131]                      Lorsqu’un accord révèle une attente partagée et raisonnable pour ce qui est de la façon dont un pouvoir discrétionnaire peut être exercé, cette attente doit se voir donner effet (Mesa Operating Limited Partnership c. Amoco Canada Resources Ltd. (1994), 149 A.R. 187 (C.A.), par. 19; J. T. Robertson, « Good Faith as an Organizing Principle in Contract Law : Bhasin v. Hrynew — Two Steps Forward and One Look Back » (2015), 93 R. du B. can. 809, p. 839; J. Steyn, « Contract Law: Fulfilling the Reasonable Expectations of Honest Men » (1997), 113 L.Q.R. 433, p. 434). Voilà, à notre avis, ce que signifie exercer un pouvoir discrétionnaire de façon raisonnable. Comme l’affirme notre collègue, les parties s’attendront habituellement à ce que le pouvoir discrétionnaire soit exercé conformément aux fins pour lesquelles il a été conféré. Cependant, il en est ainsi seulement lorsque l’objet du pouvoir discrétionnaire découle des modalités du contrat, interprété objectivement, et compte tenu de la matrice factuelle. De cette façon, l’obligation d’exercer un pouvoir discrétionnaire de façon raisonnable ne représente pas des normes externes imposées sur l’exercice du pouvoir discrétionnaire, mais donne plutôt effet aux normes propres au marché conclu par les parties.

[132]                      En conséquence, nous ne partageons pas l’avis de notre collègue portant que lorsque le pouvoir discrétionnaire est absolu à sa face même, le tribunal doit « se faire une idée générale des objectifs de l’entreprise auxquels donne effet le contrat, et de la loyauté envers cette entreprise que pourrait entraîner celui‑ci pour les parties, et de considérer ces objectifs généraux comme établissant les limites inhérentes de l’exercice du pouvoir » (motifs du juge Kasirer, par. 72, citant P. Sales, « Use of Powers for Proper Purposes in Private Law » (2020), 136 L.Q.R. 384, p. 393). La mention par notre collègue de la « loyauté envers l’entreprise » donne à penser que les parties doivent exercer leur pouvoir discrétionnaire, même lorsqu’elles ont décidé qu’il serait absolu, d’une façon qui (de l’avis du juge) favorise la réalisation des objectifs du contrat. Il ne s’agit pas d’une opération d’interprétation; il s’agit plutôt de l’imposition, post facto, d’une opinion judiciaire. Aborder la tâche d’interprétation sur la base d’un tel point de départ risque de miner la liberté contractuelle et de dénaturer le marché des parties en imposant des contraintes auxquelles elles n’ont pas consenti, et favorise même une telle conséquence.

[133]                      Deuxièmement, notre collègue affirme que l’obligation d’exercer le pouvoir discrétionnaire de bonne foi est un principe général du droit des contrats. En conséquence, elle « n’a pas à trouver sa source dans une condition implicite du contrat; elle se manifeste plutôt dans chaque contrat, sans égard aux intentions des parties » (motifs du juge Kasirer, par. 91). Que ces règles judiciaires s’appliquent sans égard aux intentions des parties ou non, nous sommes convaincus que l’objet d’un pouvoir discrétionnaire est toujours défini par les intentions des parties, qui se dégagent du contrat. Il s’ensuit que, lorsqu’un contrat révèle une intention claire de conférer un pouvoir discrétionnaire qui peut être exercé à toute fin, les tribunaux, dans le cadre du rôle qui leur incombe, doivent donner effet à cette intention. Grâce à une rédaction minutieuse, les parties peuvent mettre dans une large mesure l’exercice du pouvoir discrétionnaire à l’abri d’un contrôle sur ce fondement. Inversement, elles peuvent choisir de préciser la fin pour laquelle un pouvoir discrétionnaire a été conféré afin de prévoir une norme claire en fonction de laquelle l’exercice du pouvoir discrétionnaire devra être évalué. Dans un cas comme dans l’autre, leur intention devrait se voir donner effet et non être minée.

[134]                      En l’espèce, la sentence arbitrale était fondée sur l’idée que Metro devait « prendre en compte comme il se doit » l’intérêt de Wastech à atteindre le RE cible chaque année. Toutefois, il était clair selon la structure de l’accord que le pouvoir discrétionnaire de Metro ne faisait pas l’objet d’une telle limite. En effet, au moyen du rajustement hors de la fourchette et du rajustement applicable dans le cas où Wastech n’atteignait pas le RE cible pendant trois années consécutives, l’accord prévoyait expressément la possibilité que Wastech soit incapable d’atteindre le RE cible certaines années. Les parties ont géré ce risque en convenant d’une formule qui rajustait la rémunération totale par rapport au RE cible. Conclure que le pouvoir discrétionnaire était limité de la façon dont Wastech le laisse entendre ferait fi de ces éléments de l’accord.

[135]                      C’est pour cette raison que nous affirmons que la présente affaire est en fait assez simple. Dans le marché conclu par les parties, un vaste pouvoir discrétionnaire a été conféré à Metro, et les intérêts de Wastech à l’égard de l’exercice de ce pouvoir étaient protégés par la formule qui rajustait la rémunération totale en fonction du RE cible. De fait, les parties avaient envisagé que Metro puisse exercer le pouvoir discrétionnaire de façon à faire valoir ses propres intérêts, tout comme elles avaient envisagé de protéger les intérêts de Wastech au moyen de la formule de rajustement. Bien que la bonne foi exige d’une partie qu’elle exerce son pouvoir discrétionnaire contractuel pour la fin pour laquelle il a été conféré, l’arbitre a commis une erreur en concluant que Metro était tenue d’exercer son pouvoir discrétionnaire d’une façon qui protégeait les attentes subjectives de Wastech. Au contraire, Wastech avait négocié l’inclusion de la formule de rajustement pour protéger ses intérêts, tout en acceptant que Metro puisse exercer son pouvoir discrétionnaire seulement dans son intérêt.

B.            Autres questions

[136]                     Deux autres questions découlant des motifs de notre collègue nécessitent d’être commentées.

[137]                     D’abord, notre collègue aborde l’obligation d’exécution honnête dans ses motifs. La question de l’honnêteté se pose en l’espèce parce que l’arbitre a qualifié la conduite de Metro de [traduction] « malhonnête », ce qui voulait dire qu’elle était « totalement incompatible » avec les « attentes contractuelles légitimes » de Wastech (sentence arbitrale, par. 90). Nous sommes d’accord avec notre collègue pour dire que l’arbitre a commis une erreur. La difficulté, toutefois, est que notre collègue va plus loin dans ses explications concernant l’exécution honnête, et risque de brouiller les limites entre cette obligation et l’obligation d’exercer les pouvoirs discrétionnaires de bonne foi. Il s’agit d’une préoccupation particulière à son affirmation portant que l’obligation d’exécution honnête est une étape préliminaire pour évaluer s’il y a eu manquement à l’obligation d’exercer les pouvoirs discrétionnaires de bonne foi (par. 69 : « … outre l’exigence d’exécution honnête… »). Cela constitue une interprétation erronée du droit établi et le dénature. Les deux doctrines sont et devraient demeurer distinctes; le fait de les relier de cette manière démontre une incompréhension de la façon dont la common law, comme il est indiqué dans l’arrêt Bhasin, établit une distinction entre elles, ou n’en tient pas compte. En effet, la description par l’arbitre de la conduite de Metro comme étant « malhonnête » était le résultat de la même erreur que celle de notre collègue, car elle découlait du défaut par l’arbitre de reconnaître que la malhonnêteté est distincte de la bonne foi, et que le principe directeur est distinct de ces deux doctrines. La réponse de notre collègue à cela aurait dû être de clarifier davantage chaque obligation; il a plutôt semé de la confusion relativement à cet aspect de la common law.

[138]                     Deuxièmement, notre collègue accepte l’invitation malencontreuse des parties d’aborder le résultat que l’on obtiendrait si on appliquait le Code civil du Québec. Il s’agit toutefois d’une affaire provenant de la Colombie‑Britannique. Le Code civil du Québec n’est d’aucune pertinence en l’espèce, et notre collègue crée (encore plus) de confusion pour aucune raison valable en procédant à une analyse du droit en vertu de celui‑ci. Cela est particulièrement non souhaitable car la common law de la Colombie‑Britannique, qui est le droit qui s’applique à l’accord, répond clairement aux questions de droit que soulève le présent pourvoi.

[139]                     De plus, même si le droit civil du Québec était un tant soit peu pertinent (ce qu’il n’est pas), Wastech ne s’est pas fondée sur des concepts civilistes pour élargir les règles de common law; elle a plutôt observé incidemment que l’approche relative à la bonne foi qu’elle a adoptée serait conforme à l’approche civiliste. En raison de la conclusion selon laquelle la compréhension de la common law par Wastech était erronée, il n’y a aucune raison de se pencher sur la façon dont son action serait traitée en droit civil. Et, quoi qu’il en soit, comme le souligne notre collègue, l’action intentée par Wastech ne serait pas traitée plus favorablement sous le régime du droit civil (par. 108). Cela nous amène à nous demander pourquoi il juge approprié d’aborder l’exigence de la bonne foi et la doctrine de l’abus de droit en droit civil québécois de façon exhaustive, voire qu’il le fasse tout court. Comme l’un d’entre nous l’a mentionné dans l’arrêt Callow, par. 170, la « digression inutile sur des concepts juridiques externes créera des difficultés pratiques sur le terrain en rendant la common law qui régit les relations contractuelles moins compréhensible, et donc moins accessible à ceux qui doivent la connaître, accroissant ainsi les coûts pour tous les intéressés ». Soit dit en tout respect, la longue remarque incidente de notre collègue en l’espèce, comme dans l’arrêt Callow, aura exactement cet effet.

[140]                     À notre avis, les digressions de notre collègue concernant l’exécution honnête et le droit civil québécois ne respectent pas la méthodologie devant être appliquée à la common law. Celle‑ci se construit graduellement, une brique à la fois —comme c’était le cas dans l’arrêt Bhasin — avec circonspection, en réponse aux questions qui se présentent, et non au moyen d’exposés sur des questions qui n’ont pas été soulevées. En toute déférence, nous estimons que notre collègue crée plutôt un édifice dont la stabilité est inconnue et n’a pas été testée. Cela est loin d’être sage.

VI.         Conclusion

[141]                     Nous sommes d’avis de rejeter le pourvoi avec dépens.

                    Pourvoi rejeté avec dépens.

                    Procureurs de l’appelante : Fasken Martineau DuMoulin, Vancouver.

                    Procureurs de l’intimée : Nathanson, Schachter & Thompson, Vancouver.

                    Procureur de l’intervenant le procureur général de la Colombie-Britannique : Procureur général de la Colombie‑Britannique, Victoria.

                    Procureurs de l’intervenante la Chambre de commerce du Canada : Torys, Toronto.



[1]  Article 7 du C.c.Q. : « Aucun droit ne peut être exercé en vue de nuire à autrui ou d’une manière excessive et déraisonnable, allant ainsi à l’encontre des exigences de la bonne foi. » Le juge Cromwell a également mentionné expressément les art. 6 et 1375 du C.c.Q. (Bhasin, par. 83).

[2]  Maintenant abrogé et remplacé par la disposition établissant le droit d’appel dans l’Arbitration Act, S.B.C. 2020, c. 2, art. 59.

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