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COUR SUPRÊME DU CANADA

 

 

Référence : Office régional de la santé du Nord c. Horrocks, 2021 CSC 42

 

 

Appel entendu : 15 avril 2021

Jugement rendu : 22 octobre 2021

Dossier : 37878

 

Entre :

Office régional de la santé du Nord

Appelant

 

et

 

Linda Horrocks et Commission des droits de la personne du Manitoba

Intimées

 

- et -

 

Procureur général de la Colombie-Britannique, Don Valley Community Legal Services, Association canadienne des avocats d’employeurs, Commission canadienne des droits de la personne, British Columbia Council of Administrative Tribunals et Empowerment Council, Systemic Advocates in Addictions and Mental Health

Intervenants

 

Traduction française officielle

 

Coram : Le juge en chef Wagner et les juges Abella, Karakatsanis, Côté, Brown, Rowe et Kasirer

 

 

Motifs de jugement :

(par. 1 à 61)

Le juge Brown (avec l’accord du juge en chef Wagner et des juges Abella, Côté, Rowe et Kasirer)

 

 

 

 

Motifs dissidents :

(par. 62 à 131)

La juge Karakatsanis

 

 

 

 

 

 

Note : Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada.

 

 

 

 


 

Office régional de la santé du Nord                                                               Appelant

c.

Linda Horrocks et

Commission des droits de la personne du Manitoba                                    Intimées

et

Procureur général de la Colombie-Britannique,

Don Valley Community Legal Services,

Association canadienne des avocats d’employeurs,

Commission canadienne des droits de la personne,

British Columbia Council of Administrative Tribunals et

Empowerment Council, Systemic Advocates in

Addictions and Mental Health                                                                  Intervenants

Répertorié : Office régional de la santé du Nord c. Horrocks

2021 CSC 42

No du greffe : 37878.

2021 : 15 avril; 2021 : 22 octobre.

Présents : Le juge en chef Wagner et les juges Abella, Karakatsanis, Côté, Brown, Rowe et Kasirer.

en appel de la cour d’appel du manitoba

                    Relations de travail — Compétence de l’arbitre — Différend relatif aux droits de la personne découlant d’une convention collective — Employée syndiquée suspendue après s’être présentée au travail en état d’ébriété et congédiée par la suite pour avoir violé une entente d’abstinence — Dépôt par l’employée d’une plainte concernant les droits de la personne dans laquelle elle allègue que l’employeur n’a pas pris les mesures adéquates pour composer avec son incapacité — La compétence exclusive d’un arbitre du travail nommé en vertu d’une convention collective et habilité par les lois provinciales sur le travail lui permet‑elle de trancher les différends relatifs aux droits de la personne découlant d’une convention collective? — Loi sur les relations du travail, C.P.L.M., c. L10, art. 78 — Code des droits de la personne, C.P.L.M., c. H175, art. 22, 26 et 29(3).

                    H a été suspendue parce qu’elle s’est présentée au travail en état d’ébriété. Après que H eut révélé son alcoolisme et refusé de conclure une entente exigeant qu’elle s’abstienne de consommer de l’alcool et qu’elle suive un traitement pour sa dépendance, elle a été congédiée. Le syndicat de H a déposé un grief et elle a été réintégrée dans son emploi selon essentiellement les mêmes conditions que l’entente qu’elle avait refusé de signer. Peu de temps après, H a été congédiée en raison d’une violation alléguée de ces conditions. H a déposé une plainte de discrimination auprès de la Commission des droits de la personne du Manitoba, qui a été instruite par une arbitre nommée en vertu du Code des droits de la personne. L’employeur a contesté la compétence de cette arbitre, soutenant que l’arrêt Weber c. Ontario Hydro, [1995] 2 R.C.S. 929, reconnaît la compétence exclusive d’un arbitre nommé en vertu d’une convention collective et que cette compétence s’étend aux plaintes en matière de droits de la personne survenant dans un milieu de travail syndiqué. L’arbitre n’était pas de cet avis; elle estimait plutôt qu’elle avait compétence parce que le caractère essentiel du différend était une prétendue violation des droits de la personne. Elle s’est ensuite penchée sur le fond de la plainte et a conclu que l’employeur avait fait preuve de discrimination envers H.

                    Lors du contrôle judiciaire, le juge chargé de la révision a conclu que la qualification du caractère essentiel du différend par l’arbitre des droits de la personne était erronée, et a annulé sa décision sur la question de la compétence. La Cour d’appel a accueilli l’appel de H. Elle a reconnu que les différends concernant le congédiement d’un travailleur syndiqué relèvent de la compétence exclusive d’un arbitre du travail, y compris lorsque des violations des droits de la personne sont alléguées dans le cadre du différend. Elle a néanmoins conclu que l’arbitre des droits de la personne avait compétence en l’espèce et a renvoyé l’affaire au juge chargé de la révision afin qu’il établisse si la décision de l’arbitre des droits de la personne sur le fond de la plainte de discrimination était raisonnable.

                    Arrêt (la juge Karakatsanis est dissidente) : Le pourvoi est accueilli et l’ordonnance du juge chargé de la révision est rétablie en partie.

                    Le juge en chef Wagner et les juges Abella, Côté, Brown, Rowe et Kasirer : L’arbitre des droits de la personne n’avait pas compétence à l’égard de la plainte de H. Lorsqu’une loi sur les relations de travail comprend une disposition qui prévoit le règlement définitif des différends résultant d’une convention collective, la compétence du décideur nommé en vertu de cette loi — généralement, un arbitre du travail — est exclusive. Les tribunaux concurrents d’origine législative peuvent empiéter sur cette sphère d’exclusivité, mais seulement lorsqu’une telle intention du législateur est clairement exprimée. En l’espèce, le caractère essentiel de la plainte de H relève clairement du mandat de l’arbitre du travail, et il n’y a aucune intention claire et expresse du législateur de conférer une compétence concurrente à l’arbitre des droits de la personne à l’égard de ces différends. L’ordonnance du juge chargé de la révision annulant la décision de l’arbitre des droits de la personne devrait être rétablie.

                    La compétence arbitrale exclusive, comme l’a expliqué la Cour dans l’arrêt Weber, vise les différends qui se rapportent sur le plan factuel aux droits et obligations au titre de la convention collective, même lorsque ces mêmes faits donnent lieu à d’autres demandes en justice fondées sur une loi ou la common law. Dans chaque cas, il s’agit de déterminer si le différend, considéré dans son essence, résulte de la convention collective. Toutefois, toutes les actions en justice mettant en cause un employeur et un employé syndiqué ne sont pas écartées, parce que la compétence exclusive d’un arbitre du travail ne s’applique qu’aux différends qui résultent expressément ou implicitement de la convention collective, et tous les litiges en milieu de travail ne relèveront pas de ce champ d’application. De plus, la compétence exclusive d’un arbitre du travail est assujettie à la compétence judiciaire résiduelle d’accorder des réparations qui ne relèvent pas du pouvoir de réparation de cet arbitre.

                    Lorsqu’elle s’est penchée sur le lien entre les sphères de compétence des arbitres du travail et celles des tribunaux d’origine législative, la Cour a confirmé que le modèle de la compétence exclusive établi dans l’arrêt Weber s’applique — lorsque les affaires résultent de l’interprétation, de l’application, de l’administration ou de la violation de la convention collective, le demandeur doit avoir recours à l’arbitrage et aucune autre juridiction n’a le pouvoir d’entendre une action relativement à ce différend. Dans l’arrêt Weber, il n’a pas été dit que la compétence de l’arbitre en droit du travail à l’égard d’un conflit de travail est toujours exclusive; en fait, selon la loi applicable et la nature du litige, il pourra y avoir chevauchement, concurrence ou exclusivité.

                    Toutefois, la compétence arbitrale exclusive n’est pas une simple préférence dont on ne devrait pas tenir compte lorsqu’il existe un régime législatif concurrent, mais une interprétation du mandat que la loi confère aux arbitres du travail. La conclusion devant inévitablement être tirée de la jurisprudence de la Cour est que les clauses de règlement obligatoire des différends signalent l’intention du législateur de conférer une compétence exclusive aux arbitres du travail ou à toute autre instance de règlement des différends prévue dans la convention collective. Le texte et l’objet d’une clause de règlement obligatoire des différends demeurent inchangés, peu importe l’existence de régimes concurrents ou la nature de ceux‑ci, et son interprétation doit donc être la même. Le fait de subordonner l’effet d’une disposition prévoyant le règlement obligatoire des différends à la nature du tribunal concurrent créerait une confusion persistente en ce qui concerne la juridiction compétente, plongeant les membres du public dans l’incertitude quant à savoir à qui s’adresser en vue de régler un litige.

                    Il demeure donc nécessaire de se demander si un régime législatif concurrent indique une intention d’écarter la compétence exclusive de l’arbitre du travail. Dans certains cas, le régime peut prévoir un code exhaustif qui confère à un tribunal concurrent la compétence exclusive sur certains types de différends; dans d’autres cas, la loi peut doter un tribunal concurrent d’une compétence partagée à l’égard des différends qui autrement relèveraient uniquement de l’arbitre du travail. Toutefois, la simple existence d’un tribunal concurrent ne suffit pas pour écarter l’arbitrage en droit du travail en tant que seule juridiction pour les différends résultant d’une convention collective; il est nécessaire que le législateur exprime concrètement sa volonté de produire cet effet. Lorsque le législateur souhaite qu’il y ait compétence concurrente, il l’indiquera expressément dans la loi constitutive du tribunal administratif. Toutefois, même sans indication expresse en ce sens, cette intention peut ressortir du régime législatif : dans certaines lois, des dispositions impliquent nécessairement que le tribunal administratif a une compétence concurrente sur les différends qui sont également soumis à la procédure de règlement des griefs, ou l’historique législatif montrera que le législateur envisageait une compétence concurrente. En pareil cas, l’application d’un modèle de compétence arbitrale exclusive ferait échec à l’intention du législateur, et ne permettrait pas de concrétiser cette intention.

                    Par conséquent, la résolution des conflits de compétence entre les arbitres du travail et les tribunaux d’origine législative concurrents comporte une analyse en deux étapes. D’abord, il faut examiner la loi applicable afin d’établir si elle confère une compétence exclusive à l’arbitre du travail et, dans l’affirmative, sur quelles questions porte cette compétence. Lorsque la loi comprend une disposition prévoyant le règlement obligatoire des différends, l’arbitre du travail nommé en vertu de cette disposition a compétence exclusive pour trancher tous les différends résultant de la convention collective, sous réserve d’une intention législative clairement exprimée à l’effet contraire. Ensuite, s’il est établi que l’arbitre du travail a une compétence exclusive, l’étape suivante consiste à établir si le différend relève de cette compétence. La portée de la compétence exclusive d’un arbitre du travail dépendra du libellé précis de la loi, mais englobe, en règle générale, tous les différends dont le caractère essentiel découle de l’interprétation, de l’application ou de la prétendue violation de la convention collective. Il faut analyser le champ d’application de la convention collective et prendre en compte les circonstances factuelles qui sous‑tendent le conflit. L’analyse pertinente porte sur les faits allégués, et non sur la qualification juridique de la question.

                    En l’espèce, deux lois sont applicables. D’abord, la Loi sur les relations du travail contient, à l’art. 78, une disposition prévoyant le règlement obligatoire des différends qui révèle l’intention du législateur de conférer une compétence exclusive à l’arbitre du travail à l’égard de tous les conflits résultant de la convention collective. Ensuite, le par. 22(1) du Code des droits de la personne prévoit qu’une plainte peut être déposée par une personne qui déclare qu’une autre personne a contrevenu aux dispositions du Code, et l’art. 26 et le par. 29(3) chargent la Commission de procéder à l’examen de ces plaintes et, au besoin, de demander la désignation d’un arbitre des droits de la personne afin qu’il statue sur la plainte. Bien que ces dispositions confèrent un vaste pouvoir discrétionnaire à la Commission à l’égard des violations du Code, elles sont — sauf si la compétence exclusive d’un arbitre du travail a été expressément écartée — insuffisantes pour conclure que la Commission a une compétence concurrente. Par conséquent, la compétence de l’arbitre au titre de la Loi sur les relations du travail à l’égard des demandes dont le caractère essentiel découle de l’interprétation, de l’application ou d’une prétendue violation de la convention collective est exclusive et, plus particulièrement, elle exclut la Commission. Le caractère essentiel de la plainte déposée par H, qui découle de l’exercice par l’employeur de ses droits au titre de la convention collective et de la prétendue violation de celle‑ci, représente un tel différend. Par conséquent, seul un arbitre du travail peut trancher la demande. Bien que H invoque une violation des droits de la personne, cela ne suffit pas pour écarter la compétence exclusive de l’arbitre du travail.

                    La juge Karakatsanis (dissidente) : L’appel devrait être rejeté. Les régimes législatifs de la Loi sur les relations du travail et du Code des droits de la personne permettent de conclure à l’existence d’une compétence concurrente. Même s’il est fort possible que l’arbitrage eût été la procédure la plus appropriée, l’arbitre des droits de la personne n’a pas eu tort de conclure qu’elle avait compétence, et n’a pas non plus eu tort de statuer sur le fond de la plainte.

                    Trancher les questions de compétence entre deux tribunaux comporte une analyse en deux étapes. La première étape consiste à examiner les deux régimes législatifs afin de déterminer si le législateur avait l’intention de conférer une compétence exclusive ou concurrente. Il convient de donner à la loi une interprétation libérale de façon à ce que l’attribution de compétence à une instance que n’avait pas envisagée le législateur, ou l’exclusion de la compétence d’une instance envisagée par le législateur, ne porte pas atteinte au régime. La deuxième étape consiste à examiner le caractère essentiel du différend pour déterminer s’il relève de la compétence de l’un de ces régimes législatifs ou des deux. L’analyse porte sur les faits entourant le litige plutôt que sur la qualification juridique de la question.

                    Hormis le fait qu’elle énonce ce cadre d’analyse, la jurisprudence de la Cour ne renferme pas de règle suivant laquelle, à défaut d’intention à l’effet contraire clairement exprimée par le législateur, l’arbitre du travail a compétence exclusive sur les différends qui relèvent du champ d’application d’une convention collective, ni de règle réfutable selon laquelle le modèle de la compétence exclusive, suivi dans l’arrêt Weber, s’applique dans tous les cas impliquant deux tribunaux administratifs d’origine législative. Généralement, lorsqu’un tribunal administratif est créé, les cours devraient s’effacer devant l’attribution spéciale de compétence à ce tribunal pour ne pas compromettre les avantages voulus par le législateur, notamment de faciliter le règlement rapide et économique des différends. Toutefois, ce raisonnement tiré de l’arrêt Weber, qui favorise l’arbitrage exclusif des conflits de travail plutôt que les actions en justice, ne s’applique pas d’emblée aux questions de délimitation des compétences entre différents tribunaux administratifs d’origine législative. Lorsque deux tribunaux administratifs sont assortis dès leur création de mandats et de champs d’expertise qui se chevauchent, les régimes législatifs doivent être considérés comme un tout. Le législateur peut fort bien avoir attribué les mêmes tâches aux deux tribunaux et avoir voulu que plus d’un organisme décisionnel ait compétence sur un différend.

                    Pour ce qui est de la première étape de l’analyse dans le présent cas, la Loi sur les relations du travail confère une vaste compétence aux arbitres du travail pour statuer sur des questions relatives à une convention collective. Cependant, la Loi n’écarte pas expressément la compétence que confère le Code des droits de la personne à la Commission, et aucune des dispositions du Code n’écarte la compétence de la Commission sur les salariés syndiqués, ni la compétence conférée à l’arbitre du travail en vertu de la Loi. Rien dans l’un ou l’autre de ces régimes législatifs ne permet de penser que le législateur souhaitait que l’un ait préséance sur l’autre. Il ne fait aucun doute que le régime régissant les relations de travail est conçu pour s’appuyer fortement sur l’arbitrage en ce qui a trait aux questions relevant du champ d’application d’une convention collective, mais c’est également le cas du régime régissant les droits de la personne qui compte fortement sur la Commission pour statuer sur les plaintes de discrimination. Dans la jurisprudence, la compétence des tribunaux des droits de la personne n’a été écartée que lorsque le texte de loi de l’autre tribunal administratif excluait expressément tous les autres organismes décisionnels, indiquant ainsi que la compétence se voulait exclusive. Il n’y a pas de libellé aussi catégorique ou explicite dans la Loi sur les relations du travail. La Loi ne confère pas clairement une compétence exclusive aux arbitres du travail, et le Code des droits de la personne ne soustrait pas à la compétence de la Commission les plaintes relatives aux droits de la personne qui sont déposées par des employés syndiqués.

                    Lors de la deuxième étape de l’analyse, la Cour doit examiner la nature essentielle de la plainte de H pour déterminer si elle relève de la compétence de l’arbitre du travail ou de celle de la Commission, ou des deux. La plainte porte sur la question de savoir si H a été victime de discrimination de la part de son employeur en raison d’une incapacité physique ou mentale — et si son employeur a de ce fait violé la convention collective et le Code des droits de la personne — lorsqu’il l’a congédiée au motif qu’elle n’aurait pas respecté son engagement de s’abstenir de consommer de l’alcool. Ce différend relève du champ d’application de la convention collective, qui interdit expressément à l’employeur de faire preuve de discrimination fondée sur une incapacité et prévoit une procédure de griefs et d’arbitrage pour tout différend résultant de l’interprétation, de l’application ou de la prétendue violation de la convention collective. Dans ces conditions, la plainte de discrimination de H peut facilement être considérée comme résultant de la prétendue violation de la convention collective. Un arbitre du travail a donc compétence sur cette plainte. Toutefois, le litige relève également de la compétence de la Commission et du mandat du Code, tout comme l’instruction de la plainte de H. Il n’y a pas d’exception pour une plainte déposée par un employé syndiqué qui peut être assujetti à une convention collective. La plainte de H relève donc à la fois du mandat de l’arbitre du travail en vertu de la Loi sur les relations de travail et du mandat de la Commission en vertu du Code des droits de la personne.

                    Il y a accord avec les juges majoritaires pour dire que lorsque deux tribunaux administratifs ont une compétence concurrente à l’égard d’un différend, le décideur doit évaluer s’il est opportun d’exercer sa compétence eu égard aux circonstances de l’espèce. Dans le cas où elle a une compétence partagée avec un arbitre du travail sur un différend relatif aux droits de la personne, la Commission peut tenir compte d’un certain nombre de facteurs lorsqu’elle décide, en vertu de son pouvoir discrétionnaire, si elle instruira ou non la plainte d’un employé syndiqué, notamment les suivants : si la plainte porte sur la convention collective elle‑même plutôt que sur une violation de celle‑ci; si l’intérêt du syndicat est opposé à celui des plaignants, de sorte qu’ils risquent de se retrouver sans autre recours; si un arbitre du travail n’a pas compétence à l’égard de toutes les parties pouvant être visées par le litige; et si la Commission présentait une plus grande adéquation.

                    Ces facteurs ont différentes répercussions pour l’exercice du pouvoir discrétionnaire. Si l’intérêt du syndicat est opposé à celui du plaignant ou si le syndicat ne veut pas donner suite au grief, les employés syndiqués devraient tout de même avoir un recours en justice afin que leur plainte en matière de droits de la personne soit instruite par la Commission. Inversement, si la plainte porte sur la violation de la convention collective, si le syndicat appuie l’employé et si l’arbitre du travail a compétence sur les parties concernées, il s’agira d’un cas où le tribunal des droits de la personne sera tout à fait justifié de décliner compétence en faveur de l’arbitre nommé dans le cadre du régime d’arbitrage du travail. De plus, la question de savoir quelle juridiction présente une plus grande adéquation permet d’accorder une grande importance aux circonstances de la plainte. La réparation demandée par la personne qui dépose une plainte peut être un facteur très pertinent. Si la personne réclame un jugement déclaratoire, des dommages‑intérêts ou des changements systémiques, un tribunal des droits de la personne pourrait présenter une meilleure adéquation. Par ailleurs, si la personne demande d’être réintégrée dans son emploi, il est tout à fait justifié qu’il revienne en premier lieu aux arbitres du travail de statuer sur ces plaintes. Enfin, l’accès à la justice et la résolution efficace des conflits militent en faveur de l’arbitrage en droit du travail. En règle générale, la Commission devrait décliner compétence, à moins que l’arbitrage en droit du travail ne soit pas une option réaliste.

                    Dans la présente affaire, l’arbitre des droits de la personne ne s’est vu présenter aucune preuve démontrant de façon évidente que le syndicat n’aiderait ou ne soutiendrait pas H. Et il existe de bonnes raisons de penser que la Commission ou l’arbitre des droits de la personne aurait pu exercer son pouvoir discrétionnaire pour décliner compétence au profit de l’arbitre nommé dans le cadre du régime d’arbitrage du travail : le différend portait sur la discrimination résultant de la convention collective et la réparation demandée, soit la réintégration, relevait directement des pouvoirs d’un arbitre du travail. Toutefois, étant donné que l’arbitre des droits de la personne avait clairement compétence pour statuer sur l’affaire, on ne peut conclure qu’elle a eu tort d’instruire la plainte. En tout état de cause, il ne conviendrait pas, près d’une dizaine d’années après les faits à l’origine de la plainte et plus de six ans après la décision rendue sur le fond par l’arbitre des droits de la personne, d’annuler sa décision concernant la compétence. Les réparations pouvant être accordées lors d’un contrôle judiciaire sont de nature discrétionnaire et reflètent un intérêt public pour une administration ordonnée des affaires, notamment la nécessité d’assurer le caractère définitif et la certitude des décisions.

Jurisprudence

Citée par le juge Brown

                    Arrêts appliqués : Weber c. Ontario Hydro, [1995] 2 R.C.S. 929; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65; Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559; arrêts examinés : St. Anne Nackawic Pulp & Paper Co. c. Syndicat canadien des travailleurs du papier (Section locale 219), [1986] 1 R.C.S. 704; Regina Police Assn. Inc. c. Regina (Ville) Board of Police Commissioners, 2000 CSC 14, [2000] 1 R.C.S. 360; Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Québec (Procureur général), 2004 CSC 39, [2004] 2 R.C.S. 185; Québec (Procureur général) c. Québec (Tribunal des droits de la personne), 2004 CSC 40, [2004] 2 R.C.S. 223; Canada (Chambre des communes) c. Vaid, 2005 CSC 30, [2005] 1 R.C.S. 667; arrêts mentionnés : Stene c. Telus Communications Company, 2019 BCCA 215, 24 B.C.L.R. (6th) 74; Bruce c. Cohon, 2017 BCCA 186, 97 B.C.L.R. (5th) 296; Cherubini Metal Works Ltd. c. Nova Scotia (Attorney General), 2007 NSCA 38, 253 N.S.R. (2d) 144; Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235; Syncrude Canada Ltd. c. Canada (Procureur général), 2016 CAF 160; Nouveau‑Brunswick c. O’Leary, [1995] 2 R.C.S. 967; Allen c. Alberta, 2003 CSC 13, [2003] 1 R.C.S. 128; Goudie c. Ottawa (Ville), 2003 CSC 14, [2003] 1 R.C.S. 141; Bisaillon c. Université Concordia, 2006 CSC 19, [2006] 1 R.C.S. 666; Parry Sound (district), Conseil d’administration des services sociaux c. S.E.E.F.P.O., section locale 324, 2003 CSC 42, [2003] 2 R.C.S. 157; Wainwright c. Vancouver Shipyards Co. (1987), 14 B.C.L.R. (2d) 247; Johnston c. Dresser Industries Canada Ltd. (1990), 75 O.R. (2d) 609; Côté c. Saiano, [1998] R.J.Q. 1965; Fraternité des préposés à l’entretien des voies — Fédération du réseau Canadien Pacifique c. Canadien Pacifique Ltée, [1996] 2 R.C.S. 495; A.T.U., Local 583 c. Calgary (City), 2007 ABCA 121, 75 Alta. L.R. (4th) 75; Calgary Health Region c. Alberta (Human Rights & Citizenship Commission), 2007 ABCA 120, 74 Alta. L.R. (4th) 23; Human Rights Commission (N.S.) c. Halifax (Regional Municipality), 2008 NSCA 21, 264 N.S.R. (2d) 61; Canpar Industries c. I.U.O.E., Local 115, 2003 BCCA 609, 20 B.C.L.R. (4th) 301; Insurance Corp. of British Columbia c. Heerspink, [1982] 2 R.C.S. 145; Cadillac Fairview Corp. c. Human Rights Commission (Sask.) (1999), 177 Sask. R. 126; Ford Motor Co. of Canada Ltd. c. Ontario (Human Rights Commission) (2001), 209 D.L.R. (4th) 465; Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud, [1992] 2 R.C.S. 970; Noël c. Société d’énergie de la Baie James, 2001 CSC 39, [2001] 2 R.C.S. 207; McLeod c. Egan, [1975] 1 R.C.S. 517.

Citée par la juge Karakatsanis (dissidente)

                    Weber c. Ontario Hydro, [1995] 2 R.C.S. 929; Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Québec (Procureur général), 2004 CSC 39, [2004] 2 R.C.S. 185; Regina Police Assn. Inc. c. Regina (Ville) Board of Police Commissioners, 2000 CSC 14, [2000] 1 R.C.S. 360; Parry Sound (district) Conseil d’administration des services sociaux c. S.E.E.F.P.O., section locale 324, 2003 CSC 42, [2003] 2 R.C.S. 157; Québec (Procureur général) c. Québec (Tribunal des droits de la personne), 2004 CSC 40, [2004] 2 R.C.S. 223; Bisaillon c. Université Concordia, 2006 CSC 19, [2006] 1 R.C.S. 666; St. Anne Nackawic Pulp & Paper Co. c. Syndicat canadien des travailleurs du papier (Section locale 219), [1986] 1 R.C.S. 704; Ford Motor Co. of Canada Ltd. c. Ontario (Human Rights Commission) (2001), 209 D.L.R. (4th) 465; Greater Essex District School Board and OSSTF (OMERS Pension Plan), Re (2015), 256 L.A.C. (4th) 1; Human Rights Commission (N.S.) c. Halifax (Regional Municipality), 2008 NSCA 21, 264 N.S.R. (2d) 61; Calgary Health Region c. Alberta (Human Rights & Citizenship Commission), 2007 ABCA 120, 74 Alta. L.R. (4th) 23; Université de Sherbrooke c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, 2015 QCCA 1397; Gendron c. Syndicat des approvisionnements et services de l’Alliance de la Fonction publique du Canada, section locale 50057, [1990] 1 R.C.S. 1298; Mason c. Gen‑Auto Shippers and Teamsters Local Union 938, [1999] OLRB Rep. 242; Creed c. International Brotherhood of Electrical Workers, Local Union 339, [1999] O.L.R.D. No. 3422 (QL); Tranchemontagne c. Ontario (Directeur du Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées), 2006 CSC 14, [2006] 1 R.C.S. 513; Canada (Chambre des communes) c. Vaid, 2005 CSC 30, [2005] 1 R.C.S. 667; Haaretz.com c. Goldhar, 2018 CSC 28, [2018] 2 R.C.S. 3; Halifax (Regional Municipality) c. Nouvelle‑Écosse (Human Rights Commission), 2012 CSC 10, [2012] 1 R.C.S. 364; Blatz c. 4L Communications Inc., 2012 CanLII 42311; Qumsieh c. Brandon School Division, 2019 MBHR 3; Colombie‑Britannique (Workers’ Compensation Board) c. Figliola, 2011 CSC 52, [2011] 3 R.C.S. 422; Zulkoskey c. Canada (Ministre de l’Emploi et du Développement social), 2016 CAF 268; Dick c. Pepsi Bottling Group (Canada), Co., 2014 CanLII 16055; A.T.U., Local 583 c. Calgary (City), 2007 ABCA 121, 75 Alta. L.R. (4th) 75; Strickland c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 37, [2015] 2 R.C.S. 713; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339; Fingland c. Ontario (Ministry of Transportation), 2008 ONCA 812, 93 O.R. (3d) 268; Chippewas of Sarnia Band c. Canada (Attorney General) (2000), 51 O.R. (3d) 641.

Lois et règlements cités

Code canadien du travail, L.R.C. 1985, c. L‑2, art. 16 (l.1), 57(1) , 98(3) .

Code des droits de la personne, C.P.L.M., c. H175, préambule, art. 4, 7(2)(a), 14, 22(1), 26, 29(3), 34, 42, 43(2), 58.

Code des droits de la personne, L.R.O. 1990, c. H.19, art. 45.1.

Code du travail, RLRQ, c. C‑27, art. 100.

Human Rights Code, R.S.B.C. 1996, c. 210, art. 25.

Labour Act, R.S.P.E.I. 1988, c. L‑1, art. 37.

Labour Relations Act, R.S.N.L. 1990, c. L‑1, art. 86.

Labour Relations Code, R.S.A. 2000, c. L‑1, art. 135, 136.

Labour Relations Code, R.S.B.C. 1996, c. 244, art. 84(2), (3).

Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, c. H‑6, art. 41 , 42 .

Loi de 1995 sur les relations de travail, L.O. 1995, c. 1, ann. A, art. 48.

Loi sur la location à usage d’habitation, C.P.L.M., c. R119, art. 152(1), 158(1).

Loi sur la Société d’assurance publique du Manitoba, C.P.L.M., c. P215, art. 65(13).

Loi sur les accidents du travail, C.P.L.M., c. W200, art. 60(1), 60.8(1).

Loi sur les relations de travail, L.R.O. 1990, c. L.2, art. 45(1).

Loi sur les relations du travail, C.P.L.M., c. L10, art. 7, 20, 78, 121(2).

Loi sur les relations industrielles, L.R.N.-B. 1973, c. I‑4, art. 55.

Loi sur l’Hydro‑Manitoba, C.P.L.M., c. H190, art. 22.

Trade Union Act, R.S.N.S. 1989, c. 475, art. 42.

Trade Union Act, R.S.S. 1978, c. T‑17, art. 26.

Doctrine et autres documents cités

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Etherington, Brian. « Weber, and Almost Everything After, Twenty Years Later : Its Impact on Individual Charter, Common Law, and Statutory Rights Claims », in Elizabeth Shilton and Karen Schucher, eds., One Law for All? Weber v Ontario Hydro and Canadian Labour Law : Essays in Memory of Bernie Adell, Toronto, Irwin Law, 2017, 25.

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Mummé, Claire. « Questions, Questions : Has Weber Had an Impact on Unions’ Representational Responsibilities in Workplace Human Rights Disputes? », in Elizabeth Shilton and Karen Schucher, eds., One Law for All? Weber v Ontario Hydro and Canadian Labour Law : Essays in Memory of Bernie Adell, Toronto, Irwin Law, 2017, 229.

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Shilton, Elizabeth. « “Everybody’s Business” : Human Rights Enforcement and the Union’s Duty To Accommodate » (2014), 18 C.L.E.L.J. 209.

Shilton, Elizabeth. « Labour Arbitration and Public Rights Claims : Forcing Square Pegs into Round Holes » (2016), 41 Queen’s L.J. 275.

                    POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Manitoba (les juges Monnin, Mainella et Pfuetzner), 2017 MBCA 98, [2018] 1 W.W.R. 77, 27 Admin. L.R. (6th) 95, 416 D.L.R. (4th) 385, 43 C.C.E.L. (4th) 16, 88 C.H.R.R. D/1, 2018 CLLC 230‑009, [2017] M.J. No. 274 (QL), 2017 CarswellMan 458 (WL Can.), qui a infirmé une décision du juge Edmond, 2016 MBQB 89, 327 Man. R. (2d) 284, [2016] 11 W.W.R. 297, 33 C.C.E.L. (4th) 323, 84 C.H.R.R. D/67, [2016] CLLC 230‑031, [2016] M.J. No. 127 (QL), 2016 CarswellMan 155 (WL Can.). Pourvoi accueilli, la juge Karakatsanis est dissidente.

                    Robert Watchman et Todd C. Andres, pour l’appelant.

                    Paul Champ et Bijon Roy, pour l’intimée Linda Horrocks.

                    Thor J. Hansell et Shea Garber, pour l’intimée la Commission des droits de la personne du Manitoba.

                    Robert Danay, pour l’intervenant le procureur général de la Colombie-Britannique.

                    Busayo A. Faderin, pour l’intervenant Don Valley Community Legal Services.

                    Craig W. Neuman, c.r., pour l’intervenante l’Association canadienne des avocats d’employeurs.

                    Brian Smith, pour l’intervenante la Commission canadienne des droits de la personne.

                    Oliver Pulleyblank, pour l’intervenant British Columbia Council of Administrative Tribunals.

                    Karen R. Spector, pour l’intervenant Empowerment Council, Systemic Advocates in Addictions and Mental Health.

 

Version française du jugement du juge en chef Wagner et des juges Abella, Côté, Brown, Rowe et Kasirer rendu par

 

                    Le juge Brown —

I.               Introduction

[1]                              Partout au Canada, les lois sur les relations de travail exigent que toute convention collective comprenne une disposition prévoyant le règlement définitif, par voie d’arbitrage ou autrement, de tous les différends concernant l’interprétation, l’application ou la prétendue violation de la convention collective. Selon la jurisprudence de la Cour, la compétence conférée au décideur nommé en vertu de la convention collective est exclusive. En l’espèce, la question en litige est principalement de savoir si cette compétence exclusive des arbitres du travail au Manitoba leur permet de trancher des allégations de discrimination qui, même si elles relèvent du champ d’application de la convention collective, pourraient aussi donner ouverture à une plainte en matière de droits de la personne.

[2]                              L’intimée Linda Horrocks affirme que son employeur, l’appelant, l’Office régional de la santé du Nord (« ORSN »), n’a pas pris les mesures adéquates pour composer avec son incapacité. En 2011, elle a été suspendue parce qu’elle s’est présentée au travail en état d’ébriété. Après qu’elle eut révélé son alcoolisme et refusé de conclure une « entente de la dernière chance », laquelle exigeait qu’elle s’abstienne de consommer de l’alcool et qu’elle suive un traitement pour sa dépendance, l’ORSN l’a congédiée. Le syndicat de Mme Horrocks a déposé une plainte, qui a été réglée au moyen d’une entente prévoyant la réintégration de Mme Horrocks dans son emploi selon essentiellement les mêmes conditions que l’entente de la dernière chance. Peu de temps après, l’ORSN l’a congédiée en raison d’une violation alléguée de ces conditions.

[3]                              Madame Horrocks a déposé une plainte auprès de l’intimée, la Commission des droits de la personne du Manitoba, qui a été instruite par une arbitre nommée en vertu du Code des droits de la personne, C.P.L.M., c. H175 (« arbitre des droits de la personne[1] »). L’ORSN a contesté la compétence de cette arbitre pour instruire la plainte, soutenant que le jugement de la Cour dans l’arrêt Weber c. Ontario Hydro, [1995] 2 R.C.S. 929, reconnaît la compétence exclusive d’un arbitre nommé en vertu d’une convention collective (« arbitre du travail[2] ») et que cette compétence s’étend aux plaintes en matière de droits de la personne survenant dans un milieu de travail syndiqué. L’arbitre en chef Walsh n’était pas de cet avis; elle estimait plutôt qu’elle avait compétence. Bien que l’arrêt Weber reconnaisse la compétence exclusive des arbitres du travail à l’égard de différends qui résultent de l’interprétation, de l’application, de l’administration ou de la violation d’une convention collective, le caractère essentiel du présent différend, a‑t‑elle statué, était une prétendue violation des droits de la personne (2015 MBHR 3, 83 C.H.R.R. D/45). L’arbitre en chef Walsh s’est ensuite penchée sur le fond de la plainte et a conclu que l’ORSN avait fait preuve de discrimination envers Mme Horrocks.

[4]                              Lors du contrôle judiciaire, le juge Edmond a conclu que la qualification du caractère essentiel du différend par l’arbitre des droits de la personne était erronée, et a annulé la décision de celle‑ci sur la question de la compétence. À son avis, le caractère essentiel du différend était la question de savoir si l’ORSN avait un motif valable de congédier Mme Horrocks (2016 MBQB 89, 327 Man. R. (2d) 284). [traduction] « [D]e tels différends », a‑t‑il affirmé (au par. 57), « y compris toute violation des droits de la personne associée au congédiement, relève exclusivement de l’arbitrage en droit du travail ». Ainsi, le juge Edmond a jugé inutile de décider si la décision de l’arbitre des droits de la personne sur le fond de la plainte était raisonnable. La Cour d’appel a souscrit à la conclusion du juge Edmond portant que les différends concernant le congédiement d’un travailleur syndiqué relèvent de la compétence exclusive d’un arbitre du travail, y compris lorsque des violations des droits de la personne sont alléguées dans le cadre du différend (2017 MBCA 98, 416 D.L.R. (4th) 385). Elle a néanmoins conclu que l’arbitre des droits de la personne avait compétence pour plusieurs raisons :

a)                  Madame Horrocks a [traduction] « choisi de retrancher » les aspects relatifs à l’emploi et ceux relatifs aux droits de la personne de sa demande en ne portant pas plainte à l’égard de son deuxième congédiement (par. 80);

b)                  L’allégation de discrimination soulevait des questions qui [traduction] « transcend[aient] » le contexte particulier de l’emploi, car la question des mesures prises par un employeur pour composer avec l’alcoolisme d’un employé est « plus large que ce qui s’est précisément passé dans la relation d’emploi » (par. 85); et

c)                  Le syndicat ne voulait pas aller en arbitrage, ce qui empêchait Mme Horrocks de porter sa demande devant une autre juridiction si un arbitre du travail devait avoir compétence exclusive (par. 87).

Par conséquent, la Cour d’appel a accueilli l’appel et renvoyé l’affaire à la Cour du Banc de la Reine afin que celle‑ci établisse si la décision de l’arbitre des droits de la personne sur le fond de la plainte de discrimination était raisonnable.

[5]                              Soit dit en tout respect, je suis en désaccord avec l’arbitre des droits de la personne et la Cour d’appel pour les motifs qui suivent. Bien interprétée, la jurisprudence de notre Cour a toujours confirmé que, lorsqu’une loi sur les relations de travail comprend une disposition qui prévoit le règlement définitif des différends résultant d’une convention collective, la compétence du décideur nommé en vertu de cette loi — généralement, un arbitre du travail — est exclusive. Les tribunaux concurrents d’origine législative peuvent empiéter sur cette sphère d’exclusivité, mais seulement lorsque l’intention du législateur est clairement exprimée. En l’espèce, la convention collective et la Loi sur les relations du travail, C.P.L.M., c. L10 ont pour effet combiné de rendre l’arbitrage obligatoire pour « tous les conflits » relatifs « à [l’]interprétation, à [l’]application ou à [la] prétendue violation » de la convention collective (par. 78(1)). Le caractère essentiel de la plainte de Mme Horrocks est une prétendue violation de la convention collective, et la plainte relève donc clairement du mandat de l’arbitre du travail. Le Code des droits de la personne n’indique aucune intention claire du législateur de conférer une compétence concurrente à l’arbitre des droits de la personne à l’égard de ces différends. Par conséquent, l’arbitre des droits de la personne n’avait pas compétence à l’égard de la plainte, et le pourvoi devrait être accueilli.

II.            Questions en litige

[6]                              Comme je l’ai indiqué, la principale question en l’espèce est de savoir si la compétence exclusive d’un arbitre du travail nommé en vertu d’une convention collective s’étend aux différends en matière de droits de la personne résultant de celle‑ci. Toutefois, les parties nous ont également soumis deux questions préliminaires : d’abord, la norme de contrôle applicable à une décision administrative concernant la délimitation des compétences entre deux tribunaux; et ensuite, la norme de contrôle applicable lors d’un appel visant un contrôle judiciaire d’une décision administrative.

III.         Analyse

A.           Norme de contrôle

(1)          Norme de contrôle des décisions administratives

[7]                              Les décisions portant sur la délimitation des compétences respectives d’organismes administratifs sont assujetties à la norme de la décision correcte (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, par. 53). Cette norme garantit la primauté du droit, qui « commande l’intervention des cours de justice lorsqu’un organisme administratif interprète l’étendue de ses pouvoirs d’une manière qui est incompatible avec la compétence d’un autre organisme administratif » (par. 64). Elle favorise aussi la prévisibilité, la certitude et le caractère définitif en droit (ibid.).

[8]                              En l’espèce, le juge de révision et la Cour d’appel ont appliqué la norme de la décision correcte à la décision de l’arbitre des droits de la personne. La Commission reconnaît que l’application de cette norme est fidèle à l’arrêt Vavilov, mais soutient que le fait de délimiter les compétences comporte un examen des faits propres à l’espèce concernant le [traduction] « caractère essentiel » d’un différend, qui doit commander la déférence (m.i., par. 75‑84). Elle invite donc la Cour à réexaminer la norme établie.

[9]                             Je ne suis pas convaincu qu’un tel réexamen soit nécessaire ou souhaitable. Comme je l’explique plus loin, pour bien délimiter les compétences entre deux organismes administratifs, le décideur doit cerner correctement le caractère essentiel du différend. L’application de la norme de la décision raisonnable à cet élément de l’analyse minerait l’objectif consistant à faire en sorte qu’un organisme décisionnel n’empiète pas sur la compétence de l’autre. Je note aussi que dans la jurisprudence des cours d’appel concernant la délimitation des compétences entre les cours et les tribunaux administratifs, il est généralement statué que c’est la norme de la décision correcte qui s’applique à la conclusion tirée au sujet du caractère essentiel du différend (Stene c. Telus Communications Company, 2019 BCCA 215, 24 B.C.L.R. (6th) 74, par. 38; Bruce c. Cohon, 2017 BCCA 186, 97 B.C.L.R. (5th) 296, par. 80; Cherubini Metal Works Ltd. c. Nova Scotia (Attorney General), 2007 NSCA 38, 253 N.S.R. (2d) 144, par. 12). Selon ces décisions, il en est ainsi malgré la nature factuelle de l’analyse relative au caractère essentiel, parce qu’elle constitue le fondement d’une attribution de compétence.

(2)          Norme de contrôle en appel

[10]                          La sélection et l’application d’une norme de contrôle par le juge de révision sont assujetties à la norme de la décision correcte. Cette norme tire son origine de l’arrêt Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559, où le juge LeBel a expliqué ce qui suit :

     L’approche à adopter à l’égard de cette question a été énoncée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canada (Agence du revenu) c. Telfer, 2009 CAF 23 (CanLII), par. 18 :

     Bien qu’il y ait eu confusion dans le passé, la jurisprudence actuelle permet d’affirmer que lorsqu’une décision en matière de contrôle judiciaire est portée en appel, le rôle de la juridiction d’appel consiste simplement à décider si la juridiction inférieure a employé la norme de contrôle appropriée et si elle l’a appliquée correctement. Le rôle de la juridiction d’appel ne se limite pas à se demander si la juridiction inférieure a commis une erreur manifeste et dominante en appliquant la norme de contrôle appropriée.

     Dans Merck Frosst Canada Ltée c. Canada (Santé), 2012 CSC 3, [2012] 1 R.C.S. 23, par. 247, la juge Deschamps a rappelé avec justesse, au sujet de cette démarche, qu’en se « “met[tant] à la place” du tribunal d’instance inférieure la cour d’appel se concentre effectivement sur la décision administrative » (italiques omis).

     La question que nous devons examiner peut donc être résumée comme suit : le juge de première instance a‑t‑il choisi la norme de contrôle appropriée et l’a‑t‑il appliquée correctement? [Texte entre crochets dans l’original; par. 45‑47.]

Cette approche n’accorde aucune déférence à l’application de la norme de contrôle par le juge de révision. La cour d’appel procède plutôt à un examen de novo de la décision administrative (D. J. M. Brown, assisté de D. Fairlie, Civil Appeals (feuilles mobiles), §14:45).

[11]                          L’approche relative à l’examen en appel prescrite dans l’arrêt Agraira est différente de celle énoncée dans l’arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235. Lorsque l’arrêt Housen s’applique, le degré de déférence dont il convient de faire preuve envers le décideur initial dépend du type d’erreur en cause : les erreurs de droit sont assujetties à la norme de la décision correcte, alors que les erreurs de fait et les erreurs mixtes de fait et de droit sont assujetties à la norme de l’erreur manifeste et déterminante. L’ORSN invite la Cour à réexaminer l’arrêt Agraira, et affirme qu’un examen de novo des décisions administratives fait en sorte que le premier niveau d’examen est [traduction] « une étape nécessaire mais inefficace du contrôle judiciaire d’une décision administrative » (m.a., par. 6). Selon l’observation qu’il formule, aucune raison logique n’empêche l’application des normes de contrôle énoncées dans l’arrêt Housen à un appel d’un contrôle judiciaire.

[12]                          Je ne ferai pas droit à la demande relative au réexamen de l’arrêt Agraira, qui est une décision récente de la Cour et qui est toujours valable. Évidemment, il peut y avoir de bonnes raisons d’appliquer la norme établie dans l’arrêt Housen lorsqu’un juge de révision agit comme décideur de première instance (l’hon. J. M. Evans, « The Role of Appellate Courts in Administrative Law » (2007), 20 R.C.D.A.P. 1, p. 30‑34; Brown, §14:46; Syncrude Canada Ltd. c. Canada (Procureur général), 2016 CAF 160, par. 29 (CanLII)), mais cela ne constitue pas une raison justifiant l’application de l’arrêt Housen à la sélection et à l’application de la norme de contrôle. Quoi qu’il en soit, toutefois, ce point ne change rien au pourvoi formé par l’ORSN. Comme il est indiqué, la conclusion de l’arbitre des droits de la personne portant qu’elle avait compétence est assujettie à la norme de la décision correcte. Et si l’arbitre des droits de la personne était tenue d’établir correctement sa propre compétence, il s’ensuit que le juge de révision était également tenu d’appliquer la même norme lors de l’examen de la décision de celle-ci. Conclure autrement permettrait qu’une délimitation incorrecte des compétences soit maintenue, ce qui minerait les valeurs de la certitude et de la prévisibilité qui justifiaient l’application de la norme de la décision correcte en première instance. Même selon l’arrêt Housen, aucune déférence ne s’imposait à l’égard de l’analyse du juge de révision.

B.            La compétence de l’arbitre des droits de la personne

[13]                          Il est bien établi en droit que la portée de la compétence d’un arbitre du travail empêche qu’il y ait recours judiciaire dans les différends résultant d’une convention collective, même lorsque de tels différends donnent aussi lieu à des recours en common law ou prévus par la loi (St. Anne Nackawic Pulp & Paper Co. c. Syndicat canadien des travailleurs du papier (Section locale 219), [1986] 1 R.C.S. 704, p. 721; Weber, par. 54; Nouveau‑Brunswick c. O’Leary, [1995] 2 R.C.S. 967; Allen c. Alberta, 2003 CSC 13, [2003] 1 R.C.S. 128, par. 12‑17; Goudie c. Ottawa (Ville), 2003 CSC 14, [2003] 1 R.C.S. 141, par. 22‑23; Bisaillon c. Université Concordia, 2006 CSC 19, [2006] 1 R.C.S. 666, par. 30). De même, il n’est pas contesté que les arbitres du travail peuvent appliquer les lois sur les droits de la personne aux différends résultant d’une convention collective (Parry Sound (district), Conseil d’administration des services sociaux c. S.E.E.F.P.O., section locale 324, 2003 CSC 42, [2003] 2 R.C.S. 157, par. 1 et 28‑29; Weber, par. 56). De fait, il a été observé que l’arbitrage en droit du travail est la principale juridiction utilisée pour faire respecter les droits de la personne dans les milieux de travail syndiqués (E. Shilton, « “Everybody’s Business” : Human Rights Enforcement and the Union’s Duty To Accommodate » (2014), 18 C.L.E.L.J. 209, p. 235; P. A. Gall, A. L. Zwack et K. Bayne, « Determining Human Rights Issues in the Unionized Workplace : The Case for Exclusive Arbitral Jurisdiction » (2005), 12 C.L.E.L.J. 381, p. 397).

[14]                          Toutefois, autant dans le présent pourvoi que de façon plus générale, l’enjeu est de savoir si cette observation réduit l’importance de l’affaire : l’arbitrage en droit du travail est‑il seulement la juridiction principale, par opposition à la juridiction exclusive, pour l’instruction d’affaires relatives aux droits de la personne résultant de la convention collective? Madame Horrocks et la Commission soutiennent que la compétence d’un arbitre du travail pour appliquer les lois sur les droits de la personne à de tels différends n’est pas exclusive. À leur avis, l’exclusivité arbitrale ne s’applique que pour trancher les conflits de compétence entre les arbitres du travail et les cours. Elles affirment que lorsque l’autre juridiction ayant compétence est un tribunal d’origine législative, la compétence de l’arbitre du travail est concurrente, à moins que la loi ne prévoie expressément l’exclusivité. Cela s’applique tout particulièrement aux régimes d’arbitrage en matière de droits de la personne, compte tenu de la nature quasi constitutionnelle de leur loi habilitante. Selon elles, conclure autrement mettrait en péril l’accès à la justice dans les milieux de travail syndiqués.

[15]                          Cet argument ne peut être soutenu à la lumière de la jurisprudence de la Cour. Il ressort des décisions rendues, interprétées correctement, que lorsque les lois sur les relations de travail comportent une disposition qui prévoit le règlement définitif des différends résultant d’une convention collective, la compétence conférée à l’arbitre du travail ou à tout autre décideur nommé en vertu de cette loi est exclusive. Cela s’applique peu importe la nature de l’autre juridiction ayant compétence, mais toujours sous réserve d’une intention législative clairement exprimée à l’effet contraire.

(1)          Compétence arbitrale exclusive

[16]                         Les lois sur les relations de travail au Canada exigent généralement que les conventions collectives contiennent une clause prévoyant le règlement définitif des différends concernant l’interprétation, l’application et la prétendue violation de la convention. Certaines lois exigent expressément l’arbitrage de ces différends, alors que d’autres permettent aux parties de choisir un autre mode de règlement. La convention collective qui ne prévoit pas de procédure de règlement des différends conforme à la loi est réputée comporter une clause d’arbitrage aux conditions fixées par la loi. Voir G. W. Adams, Canadian Labour Law (2e éd. (feuilles mobiles)), p. 12‑51 à 12‑55; Loi sur les relations du travail, art. 78; Labour Relations Code, R.S.B.C. 1996, c. 244, par. 84(2) et (3); Labour Relations Code, R.S.A. 2000, c. L‑1, art. 135 et 136; The Trade Union Act, R.S.S. 1978, c. T‑17, art. 26; Loi de 1995 sur les relations de travail, L.O. 1995, c. 1, ann. A, art. 48; Code du travail, RLRQ c. C‑27, art. 100; Trade Union Act, R.S.N.S. 1989, c. 475, art. 42; Loi sur les relations industrielles, L.R.N.‑B. 1973, c. I‑4, art. 55; Labour Relations Act, R.S.N.L. 1990, c. L‑1, art. 86; Labour Act, R.S.P.E.I. 1988, c. L‑1, art. 37 ; Code canadien du travail, L.R.C. 1985, c. L‑2, par. 57(1) .

[17]                         Selon l’interprétation de la Cour, de telles dispositions obligatoires en matière de règlement des différends confèrent une compétence exclusive au décideur nommé en vertu de ces dispositions — habituellement, un arbitre du travail. Cette interprétation provient de l’arrêt St. Anne Nackawic, qui portait sur une poursuite civile intentée par un employeur contre un syndicat en vue de l’obtention de dommages‑intérêts en raison d’une grève illégale. Le syndicat a soulevé une objection préliminaire concernant la compétence de la cour, soutenant que selon le par. 55(1) de la Loi sur les relations industrielles du Nouveau‑Brunswick, seul un arbitre du travail pouvait trancher les différends découlant de la convention collective. Ce paragraphe est le suivant :

                    55(1) Toute convention collective doit prévoir des dispositions pour le règlement définitif et obligatoire, par voie d’arbitrage ou autrement et sans arrêt de travail, de tous conflits entre les parties à la convention ou entre les personnes liées par elle, ou au nom desquelles elle a été conclue, relativement à son interprétation, à son application, à son exécution ou à une violation alléguée de la convention, y compris le fait de savoir si une question est arbitrable.

[18]                         La Cour a conclu que cette disposition ne laissait place à aucune compétence judiciaire sur la réclamation. Permettre aux parties d’exercer un tel recours pour l’application de la convention collective minerait, selon le juge, l’intégrité du régime d’arbitrage en droit du travail et du système des relations de travail dans son ensemble :

     La convention collective établit les grands paramètres du rapport qui existe entre l’employeur et ses employés. Ce rapport est ajusté d’une manière appropriée par l’arbitrage et, en général, ce serait bouleverser et le rapport et le régime législatif dont il découle que de conclure que les questions visées et régies par la convention collective peuvent néanmoins faire l’objet d’actions devant les tribunaux en common law. [. . .] L’attitude plus moderne consiste à considérer que les lois en matière de relations de travail prévoient un code régissant tous les aspects des relations de travail et que l’on porterait atteinte à l’économie de la loi en permettant aux parties à une convention collective ou aux employés pour le compte desquels elle a été négociée, d’avoir recours aux tribunaux ordinaires qui sont dans les circonstances une juridiction faisant double emploi à laquelle la législature n’a pas attribué ces tâches.

         . . .

     . . . si les parties ont accès aux tribunaux comme autres juridictions, on porte atteinte à un régime législatif complet destiné à régir tous les aspects du rapport entre les parties dans le cadre des relations de travail. L’arbitrage, lorsqu’il est adopté par les parties, comme c’est le cas dans la présente convention collective, constitue une partie intégrante de ce régime et est clairement la juridiction que la législature préfère pour le règlement des litiges qui résultent des conventions collectives. D’après la jurisprudence citée, on pourrait donc dire que le droit a évolué de telle manière qu’il est juste de conclure que les griefs et les procédures d’arbitrage prévus par la Loi et consacrés par une prescription législative dans les termes d’une convention collective constituent le recours exclusif dont disposent les parties à une convention collective pour son application. [Je souligne; p. 718‑719 et 721.]

[19]                         Dans l’arrêt Weber, la Cour a précisé la portée de la compétence arbitrale exclusive cernée dans l’arrêt St. Anne Nackawic, concluant qu’elle excluait également la compétence judiciaire à l’égard des demandes fondées sur la responsabilité délictuelle et sur la Charte qui résultent d’une convention collective. Dans cette affaire, l’employeur avait embauché des détectives privés pour qu’ils établissent si un employé abusait de ses congés de maladie. Les détectives ont réussi à entrer chez l’employé en prenant une fausse identité, et ils ont obtenu des renseignements ayant mené au congédiement de l’employé. Celui‑ci a déposé un grief afin d’obtenir des dommages‑intérêts pour l’angoisse causée par la surveillance, et cette plainte a fait l’objet d’un règlement. De plus, il a intenté une poursuite civile dans laquelle il invoquait les délits d’intrusion, de nuisance, de dol, d’atteinte à sa vie privée et de violation de ses droits garantis par la Charte. L’employeur s’y est opposé, soutenant que le différend se rapportait aux dispositions sur les congés de maladie prévues dans la convention collective et qu’il devait donc être tranché exclusivement par un arbitre du travail.

[20]                         La Cour a reconnu que l’affaire relevait de la compétence arbitrale exclusive. Selon elle, cette compétence visait les différends qui se rapportaient sur le plan factuel aux droits et obligations au titre de la convention collective, même lorsque ces mêmes faits donnaient lieu à d’autres demandes en justice fondées sur une loi ou la common law :

      Il ne s’agit pas de savoir si l’action, définie en termes juridiques, est indépendante de la convention collective, mais plutôt si le litige « résulte [de la] convention collective ». Si, peu importe ce dont il peut être qualifié sur le plan juridique, le litige résulte de la convention collective, seul le tribunal du travail peut l’entendre, à l’exclusion des cours de justice. [Souligné dans l’original; texte entre crochets dans l’original; par. 43.]

[21]                          Cette analyse reflétait le libellé de la loi sur les relations de travail applicable en cause dans l’arrêt Weber, qui exigeait l’arbitrage de « tous les différends entre les parties que soulèvent l’interprétation, l’application, l’administration ou une prétendue inexécution de la convention collective » (Loi sur les relations de travail, L.R.O. 1990, c. L.2, par. 45(1)). Comme l’a expliqué la Cour, le mot « différends » révélait le souci du législateur non pas quant à la forme des actions en justice pouvant être intentées, mais quant au litige opposant les parties (par. 45). Un tel souci était logique et cadrait avec les objectifs de la loi, notamment le règlement des différends « rapidement et économiquement, avec un minimum de perturbations pour les parties et pour l’économie » — objectif « au cœur de toutes les lois canadiennes sur les relations du travail » (par. 46 (je souligne)). En bref, et comme l’a résumé la Cour (au par. 67 (je souligne)), « [d]ans chaque cas, il s’agit de déterminer si le litige, considéré dans son essence, résulte de la convention collective. »

[22]                          Il convient de formuler ici un avertissement. La Cour a pris soin de souligner que « [c]e modèle ne ferme pas la porte à toutes les actions en justice mettant en cause l’employeur et l’employé [syndiqué] » (par. 54 (je souligne)). Il en est ainsi parce que la compétence exclusive d’un arbitre du travail ne s’applique qu’aux « litiges qui résultent expressément ou implicitement de la convention collective » (ibid.; voir aussi Bisaillon, par. 30‑33). Tous les litiges en milieu de travail ne relèveront pas de ce champ d’application. Par exemple, dans l’arrêt Goudie, les employés réclamaient des dommages‑intérêts en application d’un contrat de préemploi. La Cour a conclu que cette demande résultait du contrat de préemploi, et non de la convention collective (au par. 4), et qu’elle ne relevait donc pas de la compétence exclusive de l’arbitre du travail. (Voir, au même effet, Wainwright c. Vancouver Shipyards Co. (1987), 14 B.C.L.R. (2d) 247 (C.A.); Johnston c. Dresser Industries Canada Ltd. (1990), 75 O.R. (2d) 609 (C.A.); Côté c. Saiano, [1998] R.J.Q. 1965 (C.A.).)

[23]                          Je formulerais une autre réserve : la compétence exclusive d’un arbitre du travail est assujettie à la compétence judiciaire résiduelle d’accorder des réparations qui ne relèvent pas du pouvoir de réparation de cet arbitre, notamment les injonctions interlocutoires (Weber, par. 67; voir aussi Fraternité des préposés à l’entretien des voies — Fédération du réseau Canadien Pacifique c. Canadien Pacifique Ltée, [1996] 2 R.C.S. 495; Bisaillon, par. 42). Cela fait en sorte qu’il n’y a pas « privation réelle du recours ultime » (Weber, par. 57, citant St. Anne Nackawic, p. 723).

a)              Compétence arbitrale exclusive et tribunaux d’origine législative

[24]                          La Cour s’est penchée à deux reprises sur le lien entre les sphères de compétence des arbitres du travail et celles des tribunaux d’origine législative. Dans chaque cas, elle a confirmé l’exclusivité de la compétence arbitrale reconnue dans les arrêts St. Anne Nackawic et Weber.

[25]                          Dans l’affaire Regina Police Assn. Inc. c. Regina (Ville) Board of Police Commissioners, 2000 CSC 14, [2000] 1 R.C.S. 360, la question était de savoir si un arbitre pouvait instruire le grief d’un policier qui avait démissionné après avoir été informé que son employeur, le corps de police, l’accuserait d’avoir eu une conduite déshonorante, et qu’il pouvait faire l’objet d’une procédure de renvoi aux termes de The Police Act, 1990, S.S. 1990‑91, c. P‑15.01. La Cour a conclu que The Police Act attribuait aux commissions de police la responsabilité exclusive de régler les affaires disciplinaires. Étant donné que le caractère essentiel du différend concernait la discipline des policiers, il relevait exclusivement de la commission, et non de l’arbitre. Le fait le plus important, toutefois, est que la Cour a affirmé que, pour ce qui est des affaires résultant effectivement « de l’interprétation, de l’application, de l’administration ou de l’inexécution de [la] convention collective », le « modèle de la compétence exclusive » établi dans l’arrêt Weber s’applique — c’est‑à‑dire que « le demandeur doit avoir recours à l’arbitrage [et] [a]ucun autre tribunal n’a le pouvoir d’entendre une action relativement à ce litige » (par. 22 (je souligne)).

[26]                         La Cour a invariablement maintenu cette opinion dans l’arrêt Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Québec (Procureur général), 2004 CSC 39, [2004] 2 R.C.S. 185 (« Morin »). Cette affaire portait sur une clause de la convention collective conclue entre les syndicats des enseignants et la province, qui prévoyait que l’expérience acquise lors de l’année scolaire 1996‑1997 ne serait pas prise en compte pour calculer l’ancienneté et les augmentations de traitement. Cette clause touchait particulièrement les jeunes enseignants, dont certains ont déposé une plainte auprès de la commission provinciale des droits de la personne dans laquelle ils alléguaient être victimes de discrimination en raison de leur âge, ce qui est contraire à la Charte des droits et libertés de la personne du Québec, L.R.Q., c. C‑12; la commission a ensuite porté l’affaire devant le Tribunal des droits de la personne du Québec. Le procureur général du Québec a contesté la compétence du tribunal à l’égard de l’affaire, soutenant qu’elle relevait plutôt de la compétence exclusive d’un arbitre du travail.

[27]                         La Cour a expliqué qu’il est nécessaire d’examiner la loi applicable afin d’établir si elle confère une compétence exclusive à l’arbitre du travail et, dans l’affirmative, si le caractère essentiel du différend relève de la portée de cette compétence. Selon elle, dans l’arrêt Weber (par. 11), il n’a pas été dit que « la compétence de l’arbitre en droit du travail à l’égard d’un conflit de travail est toujours exclusive. Selon la loi applicable et la nature du litige, il pourra y avoir chevauchement, concurrence ou exclusivité ». Dans l’affaire dont elle était saisie, la Cour a reconnu que la disposition du Code du travail du Québec prévoyant le règlement obligatoire des différends accordait dans les faits une compétence exclusive à l’arbitre du travail à l’égard des litiges découlant de la mise en œuvre de la convention collective (au par. 16 et 20‑24), mais a aussi établi que le litige dans l’affaire Morin ne relevait pas de cette compétence; il ne découlait pas de la mise en œuvre de la convention collective, mais plutôt de sa négociation (par. 24 et 26). La juge en chef McLachlin a expliqué, au nom des juges majoritaires :

      Toutes les parties s’entendent sur la façon dont la convention, si elle est valide, doit être interprétée et appliquée. La seule question qui se pose est de savoir si le processus ayant mené à l’adoption de la clause tenue pour discriminatoire et l’insertion de celle‑ci dans la convention collective contreviennent à la Charte québécoise, rendant de ce fait la clause inapplicable. [par. 24]

Par conséquent, bien qu’un arbitre du travail puisse avoir eu une compétence concurrente à l’égard du litige s’il était survenu « accessoirement [à] la question dans le cadre d’un autre litige relevant de la convention collective », le litige dans l’affaire Morin ne relevait néanmoins pas de la compétence exclusive de celui‑ci (par. 27). En revanche, il relevait clairement du mandat du tribunal des droits de la personne, qui a une compétence large (mais non exclusive) à l’égard des violations des droits de la personne.

[28]                          Pour que tout soit bien clair, précisons que l’arrêt Morin a été tranché selon le cadre d’analyse établi dans l’arrêt Weber, qui a mené à la conclusion que le litige en question ne relevait pas de la portée de la compétence exclusive de l’arbitre du travail. Fait à noter, l’arrêt Morin n’a pas été tranché en fonction du fait que la loi conférait une compétence concurrente au tribunal des droits de la personne à l’égard de tous les différends relatifs aux droits de la personne dans les milieux de travail syndiqués. Une telle conclusion serait contraire au fait que la Cour a reconnu que le Code du travail conférait une compétence exclusive aux arbitres du travail à l’égard des différends résultant de l’application des conventions collectives. Elle serait aussi contraire à la directive donnée par la Cour portant que le caractère essentiel du différend doit être cerné afin d’établir si la compétence à l’égard de sa résolution relève exclusivement de l’arbitre du travail (E. Shilton, « Choice, but No Choice : Adjudicating Human Rights Claims in Unionized Workplaces in Canada » (2013), 38 Queen’s L.J. 461, p. 480).

[29]                          Je suis conscient que plusieurs cours d’appel n’ont pas voulu reconnaître l’exclusivité de la compétence de l’arbitre du travail dans les différends concernant les droits de la personne, au motif que le modèle d’exclusivité élaboré dans l’arrêt Weber ne s’applique pas lorsque le tribunal ayant compétence concurrente est d’origine législative. Dans l’arrêt A.T.U., Local 583 c. Calgary (City), 2007 ABCA 121, 75 Alta. L.R. (4th) 75, par exemple, la Cour d’appel de l’Alberta a eu le raisonnement suivant :

      [traduction] L’intention du législateur lors de l’adoption de régimes de relations de travail et de la création de procédures d’arbitrage doit être respectée. À mon avis, toutefois, il est mal avisé d’incorporer simplement les principes élaborés dans des décisions où il y a concurrence entre les tribunaux et l’arbitrage, notamment la préférence inhérente pour la compétence exclusive des arbitres souvent apparente dans de telles affaires, à une situation où le tribunal doit examiner deux régimes législatifs. Dans ce dernier cas, il y a deux intentions législatives à prendre en considération, et non seulement une. Si nous devions accepter d’emblée la compétence exclusive, nous courrions le risque de donner un avantage sur le plan de la compétence à un tribunal d’origine législative par rapport à un autre, ce qui réduirait l’efficacité du second régime législatif. [par. 23]

(Voir aussi Calgary Health Region c. Alberta (Human Rights & Citizenship Commission), 2007 ABCA 120, 74 Alta. L.R. (4th) 23, par. 25‑30; Human Rights Commission (N.S.) c. Halifax (Regional Municipality), 2008 NSCA 21, 264 N.S.R. (2d) 61, par. 45‑46.)

[30]                          Dans la mesure où cet extrait de l’arrêt A.T.U. laisse entendre que la compétence arbitrale exclusive est une simple « préférence » dont on ne devrait pas tenir compte lorsqu’il existe un régime législatif concurrent, je ne vois pas les choses de la même façon. Selon mon interprétation de la jurisprudence de la Cour, la conclusion devant inévitablement être tirée est que les clauses de règlement obligatoire des différends, comme celles en question dans les arrêts St. Anne Nackawic, Weber et Morin, signalent l’intention du législateur de conférer une compétence exclusive aux arbitres du travail (ou à toute autre instance de règlement des différends prévue dans la convention collective). Il ne s’agit pas d’une préférence judiciaire, mais d’une interprétation du mandat que la loi confère aux arbitres. Le texte et l’objet d’une clause de règlement obligatoire des différends demeurent inchangés, peu importe l’existence de régimes concurrents ou la nature de ceux‑ci, et son interprétation doit donc être la même.

[31]                          Cette conclusion cadre avec le souci exprimé dans l’arrêt Vavilov au sujet de la prévisibilité, de la certitude et du caractère définitif en ce qui a trait à la délimitation des compétences respectives de tribunaux administratifs concurrents. Le fait de subordonner l’effet d’une disposition prévoyant le règlement obligatoire des différends à la nature du tribunal concurrent créerait une confusion persistente en ce qui concerne la juridiction compétente, plongeant les membres du public dans l’incertitude quant à « savoir à qui s’adresser en vue de régler un litige » (par. 64). Le fait de confirmer que les mêmes principes s’appliquent dans tous les contextes permet d’éviter cette situation.

[32]                          Cela dit, il demeure nécessaire de se demander si le régime législatif concurrent indique une intention d’écarter la compétence exclusive de l’arbitre du travail. Dans certains cas, le régime peut prévoir un « code exhaustif » qui confère à un tribunal concurrent la compétence exclusive sur certains types de différends, comme c’était le cas dans l’affaire Regina Police (voir aussi J.‑A. Pickel, « Statutory Tribunals and the Challenges of Managing Parallel Claims », dans E. Shilton et K. Schucher, dir., One Law for All? Weber v Ontario Hydro and Canadian Labour Law : Essays in Memory of Bernie Adell (2017), 175, p. 184‑187). Dans d’autres cas, la loi peut doter un tribunal concurrent d’une compétence partagée à l’égard des différends qui autrement relèveraient uniquement de l’arbitre du travail. Et lorsque le législateur prévoit une telle compétence, les tribunaux doivent respecter cette intention.

[33]                          Toutefois, ce qu’indique l’arrêt Morin, c’est que la simple existence d’un tribunal concurrent ne suffit pas pour écarter l’arbitrage en droit du travail en tant que seule juridiction pour les différends résultant d’une convention collective. Par conséquent, il est nécessaire que le législateur exprime concrètement sa volonté de produire cet effet. Idéalement, lorsque le législateur souhaite qu’il y ait compétence concurrente, il l’indiquera expressément dans la loi constitutive du tribunal administratif. Toutefois, même sans indication expresse en ce sens, cette intention peut ressortir du régime législatif. Par exemple, certaines lois habilitent expressément le décideur à refuser d’instruire la plainte au motif que celle-ci pourrait être instruite selon la procédure de règlement des griefs (voir, p. ex., Human Rights Code, R.S.B.C. 1996, c. 210, art. 25; Code canadien du travail, al. 16 (l.1) et par. 98(3) ; Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, c. H‑6, art. 41  et 42 ). Ces dispositions impliquent nécessairement que le tribunal administratif a une compétence concurrente sur les différends qui sont également soumis à la procédure de règlement des griefs. Dans d’autres cas, les dispositions d’une loi peuvent être plus ambiguës, mais l’historique législatif montrera clairement que le législateur envisageait une compétence concurrente (voir, p. ex., Canpar Industries c. I.U.O.E., Local 115, 2003 BCCA 609, 20 B.C.L.R. (4th) 301). En pareil cas, l’application d’un modèle de compétence arbitrale exclusive ferait échec à l’intention du législateur, et ne permettrait pas de concrétiser cette intention.

[34]                          En disant cela, je reconnais que, à moins que le législateur ne se soit exprimé autrement « en termes clairs et exprès », les lois sur les droits de la personne ont préséance sur toutes les autres lois en cas de conflit (Insurance Corp. of British Columbia c. Heerspink, [1982] 2 R.C.S. 145, p. 158). Dans certains cas, les cours d’appel ont conclu qu’en raison de cette primauté, il est nécessaire que le législateur s’exprime en des termes explicites pour exclure la compétence d’un tribunal des droits de la personne (Halifax, par. 63‑73; Cadillac Fairview Corp. c. Human Rights Commission (Sask.) (1999), 177 Sask. R. 126 (C.A.); Ford Motor Co. of Canada Ltd. c. Ontario (Human Rights Commission) (2001), 209 D.L.R. (4th) 465 (C.A. Ont.) (« Naraine »), par. 47). Je n’ai pas à trancher si tel est le cas en l’espèce. Toutefois, compte tenu de la jurisprudence de la Cour que j’ai recensée, j’estime que l’inclusion d’une disposition prévoyant le règlement obligatoire des différends dans une loi sur les relations de travail doit être considérée comme une indication explicite de l’intention du législateur d’écarter l’application des lois sur les droits de la personne.

[35]                          Même s’il en était autrement, la loi sur les droits de la personne qui s’applique en l’espèce prévoit simplement que « les droits et obligations fondamentaux du présent code priment sur ceux de toute autre loi de la Législature » (Code des droits de la personne, art. 58). Ce passage indique que les obligations « priment », tandis que les procédures établies dans le Code des droits de la personne pour faire respecter ces obligations ne « priment » pas. Cela est en parfaite adéquation avec la compétence arbitrale exclusive.

b)             Droits individuels, représentation collective et accès à la justice

[36]                          Les intimés font valoir qu’interpréter la compétence de l’arbitre du travail comme étant exclusive à l’égard des questions liées aux droits de la personne soulève des préoccupations concernant l’accès à la justice, car le syndicat contrôle l’accès des employés à l’arbitrage. Si le syndicat refuse de soumettre un grief à l’arbitrage, l’employé n’a aucun autre recours (Naraine, par. 62; A.T.U., par. 66‑67), ce qui est particulièrement non souhaitable, car les droits de la personne sont [traduction] « des droits essentiellement individuels, et leur respect devrait relever du contrôle du titulaire des droits » (Shilton, « Choice, but No Choice », p. 502). La réponse à cette préoccupation est toutefois régie par l’arrêt Weber, en ce sens que la Cour a placé le contrôle de la capacité des travailleurs syndiqués à présenter des demandes fondées sur la Charte liées au milieu de travail — dont la plupart se rapportent tout de même à des « droits essentiellement individuels » — entre les mains des syndicats.

[37]                          En outre, cette préoccupation est atténuée par le devoir de juste représentation du syndicat — codifié au Manitoba à l’art. 20 de la Loi sur les relations du travail — qui [traduction] « sert de contrepoids au principe de l’exclusivité » (C. Mummé, « Questions, Questions : Has Weber Had an Impact on Unions’ Representational Responsibilities in Workplace Human Rights Disputes? », dans Shilton et Schucher, One Law for All?, 229, p. 237). Les syndicats eux‑mêmes sont également assujettis à des obligations en matière de droits de la personne, et peuvent être tenus directement responsables au titre des lois sur les droits de la personne pour avoir eu une conduite discriminatoire, ce qui comprend la conclusion d’un accord discriminatoire (Code des droits de la personne, art. 14; Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud, [1992] 2 R.C.S. 970, p. 989‑994).

[38]                          Évidemment, il y aura des cas où le syndicat refusera de soumettre un grief à l’arbitrage, sans manquer à son devoir de juste représentation ou sans faire preuve de discrimination. Dans de tels cas, l’employé se retrouvera effectivement sans juridiction pouvant régler son grief. Toutefois, cette situation — qui, rappelons‑le, peut être renversée par une intention législative clairement exprimée à l’effet contraire — résulte du monopole de représentation que confère la loi au syndicat (Bisaillon, par. 24‑28; Noël c. Société d’énergie de la Baie James, 2001 CSC 39, [2001] 2 R.C.S. 207, par. 41). Autrement dit, elle découle d’un choix du législateur, auquel nous sommes tenus de donner effet.

c)              Résumé

[39]                          Pour résumer, la résolution des conflits de compétence entre les arbitres du travail et les tribunaux d’origine législative concurrents comporte une analyse en deux étapes. D’abord, il faut examiner la loi applicable afin d’établir si elle confère une compétence exclusive à l’arbitre et, dans l’affirmative, sur quelles questions porte cette compétence (Morin, par. 15). Lorsque la loi comprend une disposition prévoyant le règlement obligatoire des différends, l’arbitre nommé en vertu de cette disposition a compétence exclusive pour trancher tous les différends résultant de la convention collective, sous réserve d’une intention législative clairement exprimée à l’effet contraire.

[40]                          Si, à la première étape, il est établi que la loi confère une compétence exclusive à l’arbitre du travail, l’étape suivante consiste à établir si le différend relève de cette compétence (Morin, par. 15 et 20; Regina Police, par. 27). La portée de la compétence exclusive d’un arbitre dépendra du libellé précis de la loi, mais englobe, en règle générale, tous les différends dont le caractère essentiel découle de l’interprétation, de l’application ou de la prétendue violation de la convention collective. Il faut analyser le champ d’application de la convention collective et prendre en compte les circonstances factuelles qui sous‑tendent le conflit (Weber, par. 51). L’analyse pertinente porte sur les faits allégués, et non sur la qualification juridique de la question (Weber, par. 43; Regina Police, par. 25; Québec (Procureur général) c. Québec (Tribunal des droits de la personne), 2004 CSC 40, [2004] 2 R.C.S. 223 (« Charette »), par. 23).

[41]                          Lorsque deux tribunaux administratifs ont une compétence concurrente à l’égard d’un différend, le décideur doit évaluer s’il est opportun d’exercer sa compétence eu égard aux circonstances de l’espèce. Pour les motifs exposés plus loin, il n’y a pas de compétence concurrente en l’espèce. Je n’apporterai donc pas de précisions ici concernant les facteurs qui devraient guider la détermination de la juridiction appropriée.

[42]                          À la lumière de ces principes généraux, je me penche maintenant sur les faits de la présente affaire.

(2)          Application

a)              Le régime législatif

[43]                         Deux lois sont applicables en l’espèce. D’abord, comme il a déjà été noté, la Loi sur les relations du travail contient une disposition prévoyant le règlement obligatoire des différends, dont le libellé est le suivant :

78(1)        La convention collective contient une clause prévoyant le règlement définitif, sans arrêt de travail, par voie d’arbitrage ou autrement, de tous les conflits entre les parties à la convention ou les personnes liées par elle ou au nom desquelles la convention a été conclue, relativement à son interprétation, à son application ou à une prétendue violation d’une de ses dispositions.

En l’espèce, les parties ont choisi l’arbitrage de grief comme seul mécanisme de règlement des différends (« Collective Agreement between : Canadian Union of Public Employees, Local 8600 and Nor‑Man Regional Health Authority Inc. », 1er avril 2008 au 31 mars 2012, art. 10 et 11, reproduite dans d.a., vol. II, p. 19‑22). Ce mode de règlement lie les parties (par. 78(4)).

[44]                          Tout comme les dispositions prévoyant le règlement obligatoire des différends dont il était question dans les arrêts St. Anne Nackawic, Weber, Regina Police et Morin, l’objet de l’art. 78 est de diriger tous les différends résultant de la convention collective vers une seule juridiction en vue de leur règlement. À l’instar de ces dispositions, il révèle l’intention du législateur de conférer une compétence exclusive à l’arbitre du travail (ou à un autre décideur choisi par les parties) à l’égard de tous les conflits résultant de la convention collective.

[45]                          La deuxième loi applicable en l’espèce, le Code des droits de la personne, prévoit qu’« [u]ne plainte peut être déposée [. . .] par une personne qui déclare qu’une autre personne a contrevenu aux dispositions du présent code » (par. 22(1)), et charge la Commission de procéder à l’examen de ces plaintes (art. 26). Lorsqu’un tel examen amène la Commission à conclure que « des procédures additionnelles quant à la plainte serviraient les buts du présent code ou faciliteraient l’exercice des fonctions de la Commission en vertu du présent code », celle‑ci doit demander la désignation d’un arbitre des droits de la personne afin qu’il statue sur la plainte ou recommander au ministre d’introduire une poursuite relativement à une contravention qui aurait été commise au Code (par. 29(3)). Bien que ces dispositions confèrent un vaste pouvoir discrétionnaire à la Commission à l’égard des violations du Code, elles sont — sauf si la compétence exclusive d’un arbitre du travail établie par une clause d’arbitrage obligatoire a été expressément écartée — insuffisantes pour conclure que la Commission a une compétence concurrente en l’espèce.

[46]                          Je conclurais donc que la compétence de l’arbitre au titre de la Loi sur les relations du travail à l’égard des demandes dont le caractère essentiel découle de l’interprétation, de l’application ou d’une prétendue violation de la convention collective est exclusive et, plus particulièrement, qu’elle exclut la Commission.

b)             Le caractère essentiel du litige

[47]                          Après avoir reconnu la compétence exclusive de l’arbitre du travail à l’égard de différends dont le caractère essentiel découle de l’interprétation, de l’application ou d’une prétendue violation de la convention collective conclue entre l’ORSN et le syndicat de Mme Horrocks, il me reste à décider si le caractère essentiel de la plainte déposée par Mme Horrocks à la Commission représente un tel différend. À mon avis, tel est le cas.

[48]                          Le différend porte sur la réponse de l’ORSN à la présence au travail de Mme Horrocks alors qu’elle était en état d’ébriété, réponse qui comprenait notamment la signature exigée d’une entente d’abstinence et, à la suite du non-respect de l’entente, le congédiement de Mme Horrocks. L’ORSN soutient que ces mesures étaient nécessaires pour protéger ses patients. Madame Horrocks affirme que d’autres options étaient possibles pour réaliser l’objectif de l’ORSN.

[49]                          La convention collective comprend une clause des droits de la direction, qui autorise l’employeur à maintenir des soins de qualité aux patients; à sanctionner, suspendre ou renvoyer les employés pour un motif valable; et à édicter, modifier et appliquer des règles et règlements d’une manière qui est juste et conforme aux modalités de la convention collective (art. 301). Ces droits sont expressément limités par l’interdiction de discrimination énoncée à l’art. 6 de la convention collective. Ils sont aussi implicitement limités par les dispositions des lois ayant trait à l’emploi (Parry Sound, par. 26; McLeod c. Egan, [1975] 1 R.C.S. 517, p. 523), notamment l’interdiction de discrimination prévue à l’art. 7 de la Loi sur les relations du travail.

[50]                          De par son caractère essentiel, donc, la plainte de Mme Horrocks est que son employeur a exercé ses droits de la direction d’une manière incompatible avec les limites expresses et implicites auxquelles ces droits étaient subordonnés. Cette plainte découle carrément de l’exercice par l’ORSN de ses droits au titre de la convention collective et de la prétendue violation de celle‑ci. Bien que Mme Horrocks invoque dans sa plainte des droits que la loi lui reconnaît, ceux‑ci sont [traduction] « trop étroitement liés aux droits faisant l’objet de négociations collectives pour en être raisonnablement dissociés » et ne peuvent être « jugés de façon significative [. . .] que dans le cadre d’un mécanisme public/privé dont seul un arbitre du travail peut être en charge » (E. Shilton, « Labour Arbitration and Public Rights Claims : Forcing Square Pegs into Round Holes » (2016), 41 Queen’s L.J. 275, p. 309). Selon les précédents établis par la Cour, la conclusion inéluctable est donc que seul l’arbitre du travail peut trancher la demande de Mme Horrocks.

[51]                          Je constate que l’arbitre des droits de la personne a tenté d’échapper à la conclusion inéluctable en expliquant que le caractère essentiel du litige [traduction] « résulte de la prétendue violation des droits de la personne de la plaignante, et non de “l’interprétation, de l’application, de l’administration ou de la violation de la convention collective” » (motifs de la CDPM, par. 110; voir aussi Weber, par. 52). Soit dit en tout respect, l’erreur de l’arbitre des droits de la personne dans la présente affaire a été de faire ce que l’arrêt Weber commande de ne pas faire, c’est‑à‑dire de se concentrer sur la qualification juridique de la demande de Mme Horrocks plutôt que sur la question « de savoir si les faits entourant le litige sont visés par la convention collective » (par. 44). Certes, il est vrai que Mme Horrocks invoque une violation des droits de la personne. Toutefois, si cela était suffisant pour écarter la compétence exclusive de l’arbitre du travail, celle-ci serait considérablement minée parce que toute plainte en matière de droits de la personne relèverait automatiquement de la compétence du système décisionnel des droits de la personne. Encore une fois, ce qui importe, ce sont les faits de la plainte, et non la forme juridique que prend la plainte formulée.

[52]                          De plus, il ressort clairement de notre jurisprudence que la simple allégation de violation des droits de la personne ne fait pas en sorte que le différend relève de la compétence du tribunal des droits de la personne. Dans l’affaire Charette, par exemple, la plaignante, qui s’était vu refuser des prestations d’aide sociale pendant son congé de maternité, soutenait que le régime de prestations était discriminatoire à son égard sur le fondement de sa grossesse. En vertu de la loi applicable, la Commission des affaires sociales (« CAS ») détenait la compétence exclusive pour appliquer et interpréter le régime de prestations. La Cour a conclu que, malgré l’allégation de discrimination, le caractère essentiel du conflit était le droit de Mme Charette aux prestations, qui relevait de la compétence exclusive de la CAS. Dans des motifs concordants, le juge Binnie a cité l’arrêt Weber, avertissant qu’il « faut s’attacher non pas à la qualité juridique du tort, mais aux faits qui donnent naissance au litige » (par. 37, citant Weber, par. 49). Dans le contexte de l’affaire, il a conclu que le « tort » pouvait être qualifié en droit « d’atteinte à l’origine d’une plainte fondée sur la Charte », alors que les « faits qui donnent naissance au litige » étaient « la décision du ministre de ne plus verser de prestations de sécurité du revenu et le recours de Mme Charette, pour toucher de nouveau ces prestations, à un appel administratif qui, selon l’intention manifeste du législateur, devait être interjeté directement à la CAS » (par. 37).

[53]                          De même, dans l’arrêt Canada (Chambre des communes) c. Vaid, 2005 CSC 30, [2005] 1 R.C.S. 667, un employé de la Chambre des communes a fait valoir qu’il avait été congédié indirectement en raison d’actes discriminatoires et de harcèlement en milieu de travail à son égard. La Cour a conclu que l’allégation de violation des droits de la personne ne fait pas en sorte que la « cause est nécessairement du ressort de la Commission canadienne des droits de la personne » (par. 93). Lors de l’examen des faits à la base de la plainte, la Cour n’a rien trouvé qui « justifie que les plaintes de M. Vaid soient considérées dans un autre contexte que leur contexte de relations de travail » (par. 94). Elle a confirmé : « Le grief qui soulève une question relative aux droits de la personne demeure un grief en matière d’emploi ou de relations de travail . . . » (par. 95).

[54]                          À mon humble avis, la Cour d’appel a, de la même façon, commis une erreur en décrivant le caractère essentiel du différend. Selon elle, Mme Horrocks a [traduction] « retranch[é] » sa demande relative aux mesures disciplinaires et s’est libérée de celle relative à la discrimination :

      [traduction] Le caractère essentiel du différend soulevé dans la plainte soumise à la Commission doit être examiné à la lumière du contexte factuel, particulièrement l’absence de grief à l’égard du second congédiement. Il ne s’agissait pas d’un cas de recherche de tribunal favorable. Plutôt que de se couvrir, en ne portant pas plainte à l’égard de son second congédiement, la plaignante a fait le choix de retrancher ses demandes relatives aux mesures disciplinaires et de se libérer de sa demande relative à la discrimination fondée sur son alcoolisme. Ce faisant, elle a abandonné ses droits au titre de la convention collective à la protection pour motif valable, à la procédure de grief et à la représentation syndicale (voir Paterno c. Salvation Army, Centre of Hope, 2011 HRTO 2298 (Trib. droits pers. Ont.), par. 33). Elle a aussi renoncé à tout droit de contester le second congédiement en ce qui a trait aux mesures disciplinaires qui lui ont été imposées et à son renvoi, étant donné qu’au Manitoba, seul un arbitre du travail peut trancher la question de savoir s’il y avait un motif valable de congédier un employé qui était visé par une convention collective. [par. 80]

Ce passage révèle une mauvaise compréhension de ce qui constitue le « contexte factuel » d’une plainte. Les faits pertinents sont seulement ceux qui sont à l’origine du différend. Les procédures choisies par le demandeur pour régler le différend n’ont aucune pertinence. Tout comme l’analyse de l’arbitre des droits de la personne, la compréhension de la Cour d’appel permettrait à un demandeur de contourner la compétence exclusive de l’arbitre du travail en choisissant de procéder devant une autre juridiction.

[55]                          La Cour d’appel a aussi conclu que la plainte de Mme Horrocks [traduction] « transcende » la convention collective et, par conséquent, qu’elle « ne relève pas de la compétence exclusive d’un arbitre du travail » (par. 85). Elle a expliqué :

      [traduction] . . . les normes attendues en ce qui a trait aux mesures d’adaptation à l’alcoolisme ou à la toxicomanie des travailleurs ne devraient pas dépendre de la nature d’une convention collective précise ou de la prudence d’un employeur précis lorsqu’un milieu de travail n’est pas assujetti à une convention collective. Il est dans l’intérêt public général d’assurer une certaine cohérence dans la méthodologie lors de la prise de mesures individualisées pour les travailleurs ayant une incapacité. Ce sont là des questions que la Commission contribue à bon droit à définir. [par. 85]

Encore une fois, cette interprétation est contraire à l’arrêt Weber. Dans cette affaire, la Cour (au par. 60) a rejeté la proposition selon laquelle les demandes comportant d’importantes questions de principe ne relèvent pas de la compétence exclusive de l’arbitre du travail, affirmant que, même lorsqu’une demande fondée sur la Charte peut soulever « des préoccupations de principe globales », elle « n’en est pas moins un élément du conflit de travail et, partant, elle relève de la compétence de l’arbitre. » Ensuite, la Cour n’a laissé aucune place au doute sur ce point : « L’existence de préoccupations de principe globales concernant une question donnée ne peut empêcher l’arbitre de résoudre tous les aspects du conflit de travail » (ibid.). En résumé, de telles préoccupations ne « transcendent » pas la convention collective; elles font plutôt partie du domaine de compétence de l’arbitre du travail lorsqu’il tranche les différends en résultant.

IV.         Possibilité que la Commission décline compétence

[56]                          Ma collègue avance l’idée qu’« [e]n règle générale, la Commission devrait décliner compétence, à moins que l’arbitrage ne soit pas une option réaliste » (motifs de la juge Karakatsanis, par. 128). L’expérience nous enseigne qu’un tel énoncé représenterait davantage un idéal qu’une directive. [traduction] « [M]algré les décisions rendues dans la foulée de l’arrêt Weber et malgré le pouvoir des arbitres [du travail] d’appliquer les lois sur les droits de la personne » (Pickel, p. 199), les tribunaux des droits de la personne ont non seulement régulièrement statué qu’ils avaient une compétence concurrente, mais l’ont effectivement exercée, même lorsqu’il existait ou avait existé une procédure parallèle d’arbitrage en droit du travail permettant de statuer sur le fond de la plainte (p. 187‑200).

[57]                          Cette position ressort à l’évidence des observations qui nous ont été présentées par l’avocat de la Commission, qui a répondu ce qui suit lorsqu’on lui a demandé à l’audience si la Commission estimait que [traduction] « sa décision d’exercer sa compétence ou de la décliner dépend de la question de savoir si la plainte a été instruite “entièrement et équitablement” [. . .] au moyen de la procédure de règlement des griefs » (transcription, p. 85) :

     [traduction] Non, Monsieur le Juge, et je ne pense pas que la Commission laisserait entendre un seul instant que c’est là son rôle.

     Ce que je voulais dire, c’est qu’il est également loisible au directeur général, en vertu de l’article 26, et à la Commission elle‑même, en vertu de l’article 29, de vérifier si une plainte donnée –– et peut‑être qu’il aurait mieux convenu d’employer une formulation comme « qui a été tranchée », « qui a été tranchée de façon convenable » ou « qui a été tranchée de façon impartiale », entre en ligne de compte. Je veux dire qu’en cas d’abus, j’estime effectivement que la Commission aurait la possibilité d’envisager une telle mesure. [p. 85‑86]

[58]                          Permettre à la Commission d’exercer sa compétence lorsqu’elle considère subjectivement que l’arbitrage du conflit de travail n’est pas une option « réaliste » (motifs de la juge Karakatsanis, par. 128), ajouté au fait que celle‑ci estime qu’elle a le pouvoir de vérifier si le processus parallèle est « convenable » ou « impartial », nuira inévitablement au caractère définitif des décisions et à l’économie des ressources judiciaires. En outre, et comme je l’ai expliqué, il s’agit d’une option exclue par la jurisprudence de la Cour, selon l’interprétation que j’en fais.

V.           Conclusion

[59]                          Je suis d’avis d’accueillir le pourvoi, d’annuler le jugement de la Cour d’appel et, sous réserve de la mise en garde que j’ajoute ci‑après, de rétablir l’ordonnance du juge Edmond annulant la décision de l’arbitre des droits de la personne. Comme Mme Horrocks n’a pas participé au contrôle judiciaire ou aux procédures d’appel devant les juridictions inférieures ni contesté la demande d’autorisation d’appel de l’ORSN à la Cour, je ne la condamnerais pas aux dépens. L’ORSN obtiendra ses dépens de la Commission devant la Cour et les juridictions inférieures.

[60]                          La mise en garde découle du par. 2 de l’ordonnance du juge Edmond, qui indique que Mme Horrocks [traduction] « aura le droit de déposer un grief [. . .] et, si ce grief n’est pas réglé, de procéder à l’arbitrage » (d.a., vol. I, p. 76). Cette ordonnance semble refléter la conclusion du juge selon laquelle l’ORSN n’a pas le droit de s’opposer au grief de Mme Horrocks pour cause de non-respect des délais parce qu’il avait indiqué au tribunal qu’il ne le ferait pas (voir les motifs de la CDPM, par. 62 et 65(8)). Je note que l’avocat de l’ORSN a formulé des observations semblables devant notre Cour.

[61]                          À mon avis, la Cour du Banc de la Reine n’était pas appelée à se prononcer, lors du contrôle judiciaire, sur le droit de Mme Horrocks de déposer un grief et de procéder à l’arbitrage, pas plus que sur la possibilité pour l’ORSN de s’opposer à son grief pour cause de non‑respect des délais. Ces deux questions concernent l’interprétation et l’application de la convention collective et doivent donc d’abord être tranchées par l’arbitre du travail. Je ne rétablirais pas le par. 2 de l’ordonnance du juge Edmond.

 

Version française des motifs rendus par

 

                    La juge Karakatsanis —

I.               Aperçu

[62]                         Quelle juridiction est compétente au Manitoba pour statuer sur la plainte relative aux droits de la personne en milieu de travail présentée par une employée syndiquée? L’arbitre nommé en vertu de la Loi sur les relations du travail, C.P.L.M., c. L10 (« arbitre du travail[3] »), a‑t‑il compétence exclusive? Ou a‑t‑il une compétence concurrente à celle d’un arbitre nommé en vertu du Code des droits de la personne, C.P.L.M., c. H175 (« arbitre des droits de la personne[4] »)? Voilà la question en cause dans le présent pourvoi.

[63]                         Mon collègue le juge Brown conclut qu’un arbitre du travail a compétence exclusive sur la plainte de discrimination de Mme Horrocks. Selon l’interprétation qu’il en fait, la jurisprudence de la Cour établit une règle selon laquelle « lorsqu’une loi sur les relations de travail comprend une disposition qui prévoit le règlement définitif des différends résultant d’une convention collective, la compétence du décideur nommé en vertu de cette loi — généralement, un arbitre du travail — est exclusive » (par. 5). En raison de cette règle, « [l]es tribunaux concurrents d’origine législative peuvent empiéter sur cette sphère d’exclusivité, mais seulement lorsque l’intention du législateur est clairement exprimée » (ibid.). Mon collègue conclut que la compétence de la Commission des droits de la personne du Manitoba (Commission) est écartée en faveur de l’arbitrage exclusif en droit du travail parce qu’il estime que (i) le législateur n’a pas expressément indiqué son intention de conférer une compétence concurrente à la Commission (par. 45‑46), et (ii) la nature essentielle de la plainte de Mme Horrocks résulte de la convention collective (par. 47).

[64]                         Bien que je convienne que la plainte de discrimination de Mme Horrocks résulte de la convention collective et qu’un arbitre du travail a donc compétence pour statuer sur celle‑ci, je ne suis pas pour autant d’accord pour dire que la compétence de la Commission est de ce fait écartée. Il n’existe aucune règle qui prévoit que le modèle de la compétence exclusive établi dans l’arrêt Weber c. Ontario Hydro, [1995] 2 R.C.S. 929, s’applique dans tous les cas comportant une question de délimitation des compétences entre un arbitre du travail et un tribunal administratif d’origine législative. Une telle règle a carrément été rejetée par les juges majoritaires dans l’arrêt Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Québec (Procureur général), 2004 CSC 39, [2004] 2 R.C.S. 185 (Morin), où la juge en chef McLachlin a reconnu qu’il ne peut y avoir de présomption jurisprudentielle quant à l’intention du législateur. Même lorsque le différend résulte d’une convention collective, le tribunal des droits de la personne peut néanmoins avoir une compétence concurrente sur ce différend, selon la loi applicable.

[65]                         Mon analyse se décline en trois volets. Je vais tout d’abord expliquer mon point de vue sur la jurisprudence de la Cour. Ensuite, je vais expliquer pourquoi les régimes législatifs en cause permettent de conclure à l’existence d’une compétence concurrente en l’espèce. Enfin, je vais exposer les facteurs dont la Commission ou l’arbitre des droits de la personne en l’espèce auraient pu tenir compte afin de décider si elles exerçaient leur pouvoir discrétionnaire pour s’en remettre à l’arbitrage en droit du travail. Même s’il est fort possible que l’arbitrage du travail eût été la procédure la plus appropriée pour l’instruction de la plainte de Mme Horrocks, je n’estime pas que l’arbitre des droits de la personne a eu tort de conclure qu’elle avait compétence et de statuer sur le fond de la plainte (2015 MBHR 3, 83 C.H.R.R. D/45). Dans ces conditions, je suis d’avis de ne pas confier l’examen du fond de la plainte de discrimination à un arbitre du travail près d’une dizaine d’années après les faits à l’origine de la plainte et plus de six ans après la décision rendue sur le fond par l’arbitre des droits de la personne. Par conséquent, je rejetterais le pourvoi.

II.            Analyse

A.           Jurisprudence de la Cour

[66]                         Selon l’interprétation qu’il en fait, mon collègue estime que les arrêts Weber, Regina Police Assn. Inc. c. Regina (Ville) Board of Police Commissioners, 2000 CSC 14, [2000] 1 R.C.S. 360, Parry Sound (district), Conseil d’administration des services sociaux c. S.E.E.F.P.O., section locale 324, 2003 CSC 42, [2003] 2 R.C.S. 157, et Morin tranchent le présent pourvoi. Il écrit qu’« [i]l ressort des décisions rendues [. . .] que lorsque les lois sur les relations de travail comportent une disposition qui prévoit le règlement définitif des différends résultant d’une convention collective, la compétence conférée à l’arbitre du travail ou à tout autre décideur nommé en vertu de cette loi est exclusive. Cela s’applique peu importe la nature de l’autre juridiction ayant compétence, mais toujours sous réserve d’une intention législative clairement exprimée à l’effet contraire » (par. 15).

[67]                         Je ne suis pas de cet avis. J’expliquerai plus loin pourquoi ces arrêts n’énoncent pas une règle suivant laquelle, à défaut d’intention à l’effet contraire clairement exprimée par le législateur, l’arbitre du travail a compétence exclusive sur les différends qui relèvent du champ d’application de la convention collective.

[68]                         Dans l’affaire Weber, la Cour s’est penchée sur la ligne de démarcation entre la compétence de l’arbitre du travail et celle de la cour supérieure. Elle a jugé que la Loi sur les relations de travail de l’Ontario, L.R.O. 1990, c. L.2, écartait la compétence d’une cour supérieure à l’égard des actions fondées sur la responsabilité civile délictuelle et sur la violation de droits garantis par la Constitution présentées par le demandeur, concluant ainsi que, entre l’arbitre du travail et les tribunaux, seul l’arbitre du travail avait compétence pour statuer sur les différends résultant de la convention collective. Dans l’arrêt Weber, la Cour a défini un cadre pour la résolution des questions relatives à la compétence qui se posent entre les arbitres du travail et les cours de justice, cadre qui a été précisé dans les arrêts Regina Police Assn., Québec (Procureur général) c. Québec (Tribunal des droits de la personne), 2004 CSC 40, [2004] 2 R.C.S. 223 (Charette) et Morin en vue de son application à des questions relatives à la délimitation des compétences de deux tribunaux administratifs d’origine législative.

[69]                         Ces arrêts établissent la démarche à suivre pour procéder à l’analyse. La première étape consiste à examiner les deux régimes législatifs afin de déterminer si le législateur avait l’intention de conférer une compétence exclusive ou concurrente à l’égard de certains domaines : « Les questions de compétence doivent être tranchées conformément au régime législatif régissant les parties » (Charette, par. 33; voir aussi Weber, par. 38‑58, et Morin, par. 15). Dans le cadre de cette analyse, « il convient de donner à la loi une interprétation libérale de façon à ce que l’attribution de compétence à une instance que n’avait pas envisagée le législateur », ou l’exclusion de la compétence d’une instance envisagée par le législateur, « ne porte pas atteinte au régime » (Regina Police Assn., par. 39).

[70]                         La deuxième étape consiste à examiner le caractère essentiel du différend pour déterminer s’il relève de la compétence de l’un de ces régimes législatifs ou des deux (Morin, par. 15 et 20; Regina Police Assn., par. 27). Comme l’a déclaré la juge en chef McLachlin dans l’arrêt Morin, au par. 15 : « La seconde [étape] s’impose logiquement puisqu’il faut déterminer si le litige relève du mandat conféré par la loi. . . ». Cette analyse porte sur les faits entourant le litige plutôt que sur la qualification juridique de la question (Weber, par. 43‑45). L’analyse « doit [. . .] porter sur l’ensemble des faits entourant le litige qui oppose les parties » (Bisaillon c. Université Concordia, 2006 CSC 19, [2006] 1 R.C.S. 666, par. 31; voir aussi Regina Police Assn., par. 25). Lorsque le régime législatif prévoit une compétence concurrente, il est possible que le caractère essentiel du différend relève de la compétence des deux juridictions.

[71]                         J’abonde dans le sens de mon collègue lorsqu’il affirme, au par. 41, que « [l]orsque deux tribunaux administratifs ont une compétence concurrente à l’égard d’un différend, le décideur doit évaluer s’il est opportun d’exercer sa compétence eu égard aux circonstances de l’espèce. » En d’autres termes, le décideur doit se demander quel tribunal présente une « plus grande adéquation » avec le litige (Morin, par. 30). Comme j’estime qu’il y a compétence concurrente en l’espèce, j’exposerai dans le détail plus loin les facteurs qui devraient aider à déterminer quelle juridiction est la plus appropriée.

[72]                         Hormis le fait qu’elle énonce le cadre d’analyse applicable, la jurisprudence ne renferme pas de règle réfutable selon laquelle le modèle de la compétence exclusive, suivi dans l’arrêt Weber, s’applique dans tous les cas impliquant deux tribunaux administratifs d’origine législative. Dans l’affaire Weber, le modèle de la compétence exclusive respectait l’intention du législateur de créer un tribunal spécialisé pour certains différends : « . . . l’on porterait atteinte à l’économie de la loi en permettant aux parties à une convention collective ou aux employés pour le compte desquels elle a été négociée, d’avoir recours aux tribunaux ordinaires qui sont dans les circonstances une juridiction faisant double emploi à laquelle la législature n’a pas attribué ces tâches » (Weber, par. 41, citant St. Anne Nackawic Pulp & Paper Co. c. Syndicat canadien des travailleurs du papier (Section locale 219), [1986] 1 R.C.S. 704, p. 718‑719 (je souligne)). La compétence exclusive favorisait également l’efficacité — c.‑à‑d. permettre les actions en justice chaque fois que le fait de qualifier une cause d’action d’indépendante de la convention collective irait à l’encontre de l’objectif de la résolution rapide et peu coûteuse des différends (Weber, par. 46).

[73]                         Les tribunaux administratifs d’origine législative sont créés par le législateur pour remplir certains mandats qui leur sont confiés par la loi. Ils se voient conférer une compétence spécialisée et « attribu[er] [des] tâches » pour des raisons notamment d’efficacité et d’accès aux tribunaux (St. Anne Nackawic, p. 719; voir aussi J.‑A. Pickel, « Statutory Tribunals and the Challenges of Managing Parallel Claims », dans E. Shilton et K. Schucher, dir., One Law for All? Weber v Ontario Hydro and Canadian Labour Law : Essays in Memory of Bernie Adell (2017), 175, p. 178). Lorsqu’un tribunal administratif est créé, les tribunaux judiciaires devraient s’effacer devant cette attribution spéciale de compétence pour ne pas compromettre les avantages voulus par le législateur — un de ceux‑ci est de faciliter le règlement rapide et économique des différends « avec un minimum de perturbations pour les parties et pour l’économie » (Weber, par. 46). Bien que les tribunaux judiciaires conservent évidemment leur compétence résiduelle pour instruire les questions n’ayant pas fait l’objet d’une attribution de compétence à un autre organisme (Regina Police Assn., par. 26), les tribunaux administratifs d’origine législative ont besoin de cet espace juridictionnel, pour ainsi dire, afin de s’acquitter de leurs fonctions.

[74]                         Ce raisonnement tiré de l’arrêt Weber, qui favorise l’arbitrage exclusif des conflits de travail plutôt que les actions en justice, ne s’applique pas d’emblée aux questions de délimitation des compétences entre différents tribunaux administratifs d’origine législative. Ces derniers sont [traduction] « créés à différents moments, dans le cadre d’initiatives stratégiques différentes qui se chevauchent elles‑mêmes » (A. K. Lokan et M. Yachnin, « From Weber to Parry Sound : The Expanded Scope of Arbitration » (2004), 11 C.L.E.L.J. 1, p. 27). Lorsque deux tribunaux administratifs sont assortis dès leur création de mandats et de champs d’expertise qui se chevauchent, les régimes législatifs doivent être considérés comme un tout. Le législateur peut fort bien avoir « attribué » les mêmes « tâches » aux deux tribunaux. Même si « le modèle de la compétence exclusive a été adopté afin de garantir que l’attribution de compétence à une instance décisionnelle que n’avait pas envisagée le législateur ne porte pas atteinte au régime législatif en cause » (Regina Police Assn., par. 26 (je souligne)), il est possible que le législateur ait voulu que plus d’un organisme décisionnel ait compétence sur un différend.

[75]                         Il arrive d’ailleurs parfois que le législateur reconnaisse expressément que des tribunaux administratifs d’origine législative ont des compétences qui se chevauchent. Les lois relatives aux droits de la personne qui existent en Ontario et dans certains autres ressorts, par exemple, permettent explicitement aux organismes compétents créés par la loi de refuser de statuer sur une plainte dans certaines circonstances, notamment lorsque la plainte pourrait avantageusement être instruite par une autre instance (voir Code des droits de la personne, L.R.O. 1990, c. H.19, art. 45.1; B. Etherington, « Weber, and Almost Everything After, Twenty Years Later : Its Impact on Individual Charter, Common Law, and Statutory Rights Claims », dans Shilton et Schucher, One Law for All?, 25, p. 77; Human Rights Code, R.S.B.C. 1996, c. 210, art. 25; Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, c. H‑6  (LCDP ), art. 41 ).

[76]                         Dans l’affaire Regina Police Assn., la Cour a examiné une question portant sur la délimitation des compétences entre deux régimes législatifs : l’arbitrage en droit du travail et les commissions de police créées sous le régime de The Police Act, 1990, S.S. 1990‑91, c. P‑15.01. Interprétant The Police Act « de façon libérale » (par. 36), la Cour a conclu que cette loi établissait un code complet relativement aux affaires disciplinaires mettant en cause des membres du corps policier et que le caractère essentiel du différend dans cette affaire relevait de son régime législatif. En revanche, la convention collective prévoyait expressément que les questions visées par la loi et le règlement n’étaient pas arbitrables (par. 27). Il ressortait à l’évidence de l’économie de la loi que celle‑ci n’envisageait pas une compétence concurrente : « Il faut donc se demander si le législateur a voulu que le présent litige soit régi par la convention collective ou par The Police Act et le Règlement » (par. 26 (je souligne)).

[77]                         Ainsi, dans la mesure où la Cour a, dans l’arrêt Regina Police Assn., expliqué que « le modèle décrit dans Weber s’applique quand il faut déterminer lequel de deux régimes législatifs concurrents devrait régir le litige » (par. 26), elle le faisait en parlant de compétences exclusives, et non de compétences partagées. Dès lors, il était nécessaire de déterminer de quelle compétence exclusive relevait la nature essentielle du différend. Je ne souscris donc pas à l’interprétation que mon collègue propose de l’arrêt Regina Police Assn., qui laisse entendre que la Cour a affirmé que les questions relevant du champ d’application d’une convention collective ressortaient exclusivement à un arbitre du travail.

[78]                         De même, l’arrêt Morin n’énonce pas de règle suivant laquelle tous les différends résultant d’une convention collective relèvent exclusivement de la compétence d’un arbitre du travail même lorsqu’un autre tribunal administratif d’origine législative est en jeu. L’affaire Morin portait sur une convention collective visant des enseignants québécois. Un groupe de jeunes enseignants contestait les modifications apportées au régime d’ancienneté de la convention collective au motif qu’il était discriminatoire à leur égard en raison de leur âge, en violation de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec, L.R.Q., c. C‑12. Il s’agissait de savoir si la plainte de discrimination qu’ils avaient portée devant la Commission des droits de la personne du Québec, et qui avait par la suite été soumise au Tribunal des droits de la personne du Québec, relevait plutôt de la compétence exclusive d’un arbitre du travail.

[79]                         La juge en chef McLachlin a précisé que, pour trancher la question, la première étape consiste à examiner le régime législatif concernant l’arbitrage en droit du travail et l’autre tribunal administratif créé par la loi pour établir si le législateur entendait accorder à l’un ou l’autre une compétence exclusive sur certaines questions (par. 16‑19).

[80]                         En ce qui concerne la première étape, l’art. 100 du Code du travail, L.R.Q., c. C‑27, prévoyait que « [t]out grief doit être soumis à l’arbitrage en la manière prévue dans la convention collective si elle y pourvoit et si l’association accréditée et l’employeur y donnent suite. » On pouvait en conclure que l’arbitre du travail avait compétence pour régler tout grief régi par la convention collective (Morin, par. 16). L’article 111 de la Charte québécoise investissait le Tribunal des droits de la personne d’une vaste compétence au chapitre des droits de la personne au Québec. Cette compétence n’était pas exclusive, parce que des dispositions de la Charte québécoise excluaient la compétence du Tribunal des droits de la personne dans certains cas ou autorisaient la Commission à cesser d’agir en faveur du plaignant (par. 18‑19).

[81]                         Tout en faisant observer que l’art. 100 du Code du travail était semblable à la disposition examinée dans l’arrêt Weber et que, dans cet arrêt, la Cour avait conclu que l’arbitre du travail avait compétence exclusive sur les différends résultant de la convention collective, la juge en chef McLachlin a signalé que le libellé de la loi québécoise était moins catégorique (par. 21). En fin de compte, cependant, elle n’a pas tranché définitivement la question de savoir si l’art. 100 conférait une compétence exclusive à un arbitre du travail en ce qui a trait aux différends résultant de la convention collective parce que, de toute façon, il était impossible de rattacher la nature du différend à une question pouvant faire l’objet d’une compétence exclusive : « On peut certes prétendre que cette disposition [en cause dans l’arrêt Weber] est rédigée de manière plus catégorique que celle qui, en l’espèce, attribue compétence à l’arbitre, mais la différence essentielle entre Weber et la présente affaire tient aux faits ayant donné naissance au litige » (par. 21). En d’autres termes, l’arrêt Morin portait sur le second volet du critère : la nature du litige était telle que celui‑ci ne pouvait relever de la compétence exclusive d’un arbitre du travail même si le régime applicable prévoyait une compétence exclusive.

[82]                         Je suis donc d’accord avec le juge Brown pour dire qu’en fin de compte, la juge en chef McLachlin a conclu dans l’arrêt Morin que l’arbitre du travail n’avait pas compétence exclusive sur le différend des jeunes enseignants en raison de la nature de celui‑ci : le litige portait davantage sur « le processus de négociation et l’insertion de la clause [contestée] dans la convention collective » que sur une violation de la convention collective (par. 23; voir aussi par. 24). Il y avait consensus entre les parties sur la façon dont les dispositions, si elles étaient valides, s’appliqueraient, et le différend soulevé par les jeunes enseignants « ne découl[ait] pas tant de la mise en œuvre de la convention collective que de la négociation ayant précédé sa signature » (par. 24).

[83]                         Toutefois, je ne suis pas d’avis que, dans l’arrêt Morin, la Cour a décidé que la compétence de l’arbitre du travail aurait été exclusive si la nature de la plainte des jeunes enseignants avait relevé du champ d’application de la convention collective. Il s’agit précisément là de la question que la juge en chef McLachlin a laissée sans réponse.

[84]                         En outre, l’analyse de la juge en chef McLachlin dans l’arrêt Morin étaye la proposition portant que le fait que le litige relève de la compétence d’un arbitre du travail ne suffit pas pour fonder l’exclusivité de la compétence arbitrale dans tous les cas. La juge en chef McLachlin a ensuite donné quatre raisons distinctes réfutant l’argument suivant lequel le Tribunal « aurait dû décliner compétence » sur le litige : (1) la plainte portait sur la convention collective elle‑même plutôt que sur une violation de celle‑ci; (2) l’intérêt du syndicat était opposé à celui des plaignants, de sorte qu’ils risquaient de se retrouver sans autre recours; (3) l’arbitre du travail n’aurait pas eu compétence à l’égard de toutes les parties pouvant être visées par le litige; et (4) le Tribunal présentait une « plus grande adéquation » avec le litige dans le cas d’une contestation de la convention collective (Morin, par. 27 (je souligne); voir aussi par. 28‑30, citant Ford Motor Co. of Canada Ltd. c. Ontario (Human Rights Commission) (2001), 209 D.L.R. (4th) 465 (C.A. Ont.) (Naraine); Etherington, p. 74).

[85]                         Comme je l’explique plus loin, ces facteurs fournissent des balises utiles aux tribunaux des droits de la personne concernant les situations où il convient d’exercer leur compétence ou de la décliner en faveur de celle d’un arbitre du travail.

[86]                         Pour ces motifs, je ne peux accepter que l’arrêt Morin dicte un résultat précis dans le présent pourvoi. L’analyse de la juge en chef McLachlin dans cet arrêt portait uniquement sur la question de savoir si la compétence arbitrale n’était pas exclusive eu égard aux circonstances de l’affaire. Elle n’a pas tranché la question de savoir si cette compétence était exclusive dans le cas où le différend aurait résulté de la convention collective. On pourrait également penser que ses motifs laissent entendre qu’un arbitre du travail aurait pu avoir compétence sur un différend semblable (voir par. 25).

[87]                          Fait important à signaler, la jurisprudence de la Cour n’établit pas de présomption jurisprudentielle en ce qui concerne l’interprétation de dispositions législatives prévoyant le recours à l’arbitrage. Dans l’arrêt Morin, la juge en chef McLachlin s’est gardée d’énoncer des règles concrètes, soulignant à quel point chaque cas dépend du régime législatif. Elle a aussi expressément rejeté la suggestion figurant dans les motifs dissidents portant que le point de départ est l’exclusivité de la compétence arbitrale (par. 11 et 14) :

     L’arrêt Weber pose le principe que le choix du modèle dépend des dispositions législatives en cause, compte tenu de leur application au différend considéré dans son contexte factuel. [. . .] Elle n’a pas dit pour autant que la compétence de l’arbitre en droit du travail à l’égard d’un conflit de travail est toujours exclusive. Selon la loi applicable et la nature du litige, il pourra y avoir chevauchement, concurrence ou exclusivité . . .

      . . .

     La question déterminante en l’espèce est donc de savoir si la loi confère à l’arbitre une compétence exclusive relativement au litige. C’est sur ce point que, en toute déférence, je diverge d’opinion avec mon collège le juge Bastarache, qui postule que l’exclusivité de la compétence arbitrale est un « principe bien établi » au Québec. Voici, selon lui, la principale question que notre Cour doit trancher (par. 32) : « le principe bien établi au Québec de l’exclusivité arbitrale doit‑il être abandonné pour faire place à la compétence du Tribunal des droits de la personne lorsque le litige opposant des travailleurs syndiqués et un employeur soulève une question touchant aux droits de la personne? » Formulée ainsi, la question présuppose l’exclusivité. Or, comme nous l’avons vu, il n’existe pas in abstracto de présomption légale d’exclusivité.

[88]                         La juge en chef McLachlin a reconnu que les lois sont différentes d’un ressort à l’autre et que la Cour ne peut présumer, sur le fondement de décisions antérieures rendues dans des contextes différents comme l’arrêt Regina Police Assn., que le législateur s’exprimera en des termes explicites pour conférer une compétence concurrente. En fait, même si l’affaire Regina Police Assn. ne concernait pas une plainte liée aux droits de la personne, la Cour a interprété The Police Act « de façon libérale » lorsque l’arbitrage en droit du travail était la juridiction concurrente. La proposition de mon collègue suivant laquelle on devrait présumer que les clauses d’arbitrage obligatoire confèrent une compétence exclusive aura des répercussions problématiques dans d’autres contextes où l’arbitre du travail a une compétence qui chevauche celle d’autres organismes créés par la loi ou une compétence concurrente avec ces derniers (voir, p. ex., Greater Essex District School Board and OSSTF (OMERS Pension Plan), Re (2015), 256 L.A.C. (4th) 1 (Ont.)).

[89]                         Pour les mêmes raisons, la conclusion tirée par la Cour dans l’arrêt Parry Sound — suivant laquelle les codes des droits de la personne sont substantiellement incorporés dans toutes les conventions collectives — ne permet pas non plus de trancher la question de la compétence dans le présent pourvoi (voir aussi Lokan et Yachnin, p. 27). Même si elle relève du champ d’application de la convention collective, une plainte relative aux droits de la personne déposée par un employé syndiqué n’entraîne pas automatiquement la compétence arbitrale exclusive. D’ailleurs, [traduction] « dans les années qui ont suivi l’arrêt Morin, le modèle de la compétence concurrente a clairement été accepté partout au Canada comme la démarche générale à suivre pour trancher les questions de droits de la personne » (Etherington, p. 76; voir aussi C. Mummé, « Questions, Questions : Has Weber Had an Impact on Unions’ Representational Responsibilities in Workplace Human Rights Disputes? », dans Shilton et Schucher, One Law for All?, 229, p. 235). La plupart des tribunaux canadiens ont donc interprété l’arrêt Morin conformément à l’analyse proposée dans ces motifs (Pickel, p. 176). En règle générale, les cours d’appel se sont prononcées en faveur d’une compétence concurrente entre l’arbitre et un autre tribunal administratif d’origine législative (voir Human Rights Commission (N.S.) c. Halifax (Regional Municipality), 2008 NSCA 21, 264 N.S.R. (2d) 61, par. 44; Naraine; Calgary Health Region c. Alberta (Human Rights & Citizenship Commission), 2007 ABCA 120, 74 Alta. L.R. (4th) 23, par. 25 et 34; J. D. Gagnon, « Les droits de la personne dans un contexte de rapports collectifs de travail. Compétence de l’arbitre et d’autres tribunaux. Quand l’incertitude devient la règle » (2006), 66 R. du B. 1, p. 31; contra, Université de Sherbrooke c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, 2015 QCCA 1397, par. 27 (CanLII)).

[90]                         En conclusion, la jurisprudence ne prévoit pas de règle d’exclusivité de la compétence arbitrale lorsqu’un autre régime législatif est en cause. Il n’y a pas de présomption d’exclusivité lorsque le législateur prévoit une clause d’arbitrage obligatoire, de sorte qu’on ne peut conclure à l’existence d’une compétence concurrente que s’il existe une disposition expresse en ce sens. Je me penche maintenant sur les régimes législatifs en cause en l’espèce.

B.            Les régimes législatifs

[91]                         Comme la compétence de deux tribunaux spécialisés est en cause, je vais examiner le régime législatif de la Loi sur les relations du travail du Manitoba et celui du Code des droits de la personne du Manitoba : [traduction] « . . . il y a non pas un, mais deux mandats législatifs à respecter » (Calgary Health Region, par. 25; voir aussi Regina Police Assn., par. 23).

[92]                         Tout d’abord, la Loi sur les relations du travail du Manitoba dispose que toute convention collective doit prévoir un mécanisme de règlement de tous les conflits entre les parties (le syndicat et l’employeur) relativement à l’interprétation, à l’application ou à une prétendue violation de la convention collective :

      78(1) La convention collective contient une clause prévoyant le règlement définitif, sans arrêt de travail, par voie d’arbitrage ou autrement, de tous les conflits entre les parties à la convention ou les personnes liées par elle ou au nom desquelles la convention a été conclue, relativement à son interprétation, à son application ou à une prétendue violation d’une de ses dispositions.

[93]                         Si les parties n’ont pas inclus une disposition comme l’exige le par. 78(1), la convention collective est réputée contenir une disposition prévoyant le recours à l’arbitrage une fois épuisée la procédure de règlement des griefs établie par la convention collective (par. 78(2)).

[94]                         La Loi confère également de vastes pouvoirs de réparation aux arbitres du travail. Ceux‑ci peuvent condamner une personne à payer des dommages‑intérêts par suite d’une contravention à la convention collective (al. 121(2)a) et b)), ordonner la réintégration de l’employé congédié (al. 121(2)c)), ordonner à l’employeur d’annuler ou de corriger une mesure disciplinaire prise contre un employé (al. 121(2)d)), « exonérer, selon des modalités justes et équitables, des violations de délais ou d’autres exigences procédurales mentionnées dans la convention collective » (al. 121(2)e)) ou prendre au moins deux de ces mesures (al. 121(2)f)). La décision de l’arbitre est aussi décrite comme « r[é]gl[ant] de façon définitive et péremptoire la question soumise à l’arbitrage » (par. 121(2)).

[95]                         Par conséquent, l’arbitre du travail dispose de vastes pouvoirs pour statuer sur des questions relatives à la convention collective. Cependant, la Loi sur les relations du travail n’écarte pas expressément la compétence que confère le Code des droits de la personne à la Commission.

[96]                         Pour ce qui est du Code, son préambule dispose que « les Manitobains reconnaissent la valeur et la dignité individuelles de tous les membres de la famille humaine » et que la protection des droits de la personne consacrés par le Code « est d’une importance telle qu’elle devrait primer sur les autres lois de la province ». L’article 4 confère à la Commission plusieurs fonctions importantes, dont les suivantes :

      a) défendre le principe selon lequel les membres de la famille humaine sont libres et égaux en dignité et en droit et doivent être traités en fonction de leurs mérites individuels, sans qu’il soit tenu compte de leur association actuelle ou présumée avec un groupe quelconque;

      b) favoriser le principe de l’égalité des chances et de l’égalité dans l’exercice des droits civils et juridiques ainsi que son application à l’égard de tous;

         . . .

      e) favoriser la compréhension, l’acceptation et l’observation du présent code et des règlements.

[97]                         Le paragraphe 22(1) prévoit qu’« [u]ne plainte peut être déposée à un bureau de la Commission par une personne qui déclare qu’une autre personne a contrevenu aux dispositions du présent code. » Selon l’art. 26, après qu’une plainte a été déposée, « [l]e directeur général procède à l’examen [de la] plainte, aussitôt qu’il est raisonnablement possible de le faire [. . .], dans la mesure jugée satisfaisante par la Commission pour qu’il soit statué sur la plainte de manière impartiale et convenable ».

[98]                         L’article 34 du Code indique quelles sont les parties à une plainte renvoyée à l’arbitrage : la Commission en est une, et elle « est responsable de la conduite des procédures relatives à la plainte ». Le paragraphe 29(3) exige que la Commission demande qu’un arbitre soit désigné pour statuer sur la plainte si elle est convaincue que des procédures additionnelles serviraient les buts du Code ou faciliteraient l’exercice de ses fonctions.

[99]                         En cas de violations du Code, l’arbitre des droits de la personne dispose de vastes pouvoirs de réparation. Il peut ordonner à une partie de faire ou de s’abstenir de faire une chose afin que l’observation du Code soit assurée, accorder une indemnité ou des dommages‑intérêts ou adopter et mettre à exécution un programme de promotion sociale (voir par. 43(2)). Enfin, l’art. 42  prévoit que l’arbitre des droits de la personne a compétence exclusive pour statuer sur des questions « qui doivent être tranchées lorsqu’il complète son arbitrage et qu’il rend une décision finale quant à la plainte », et l’art. 58 prévoit que les droits et obligations fondamentaux du Code des droits de la personne « priment » sur ceux de toute autre loi.

[100]                     Aucune des dispositions du Code des droits de la personne n’écarte la compétence de la Commission sur les salariés syndiqués ou la compétence conférée à l’arbitre du travail en vertu de la Loi sur les relations du travail.

[101]                     Je passe maintenant à l’examen de la nature essentielle de la plainte de Mme Horrocks pour déterminer si elle relève de la compétence de l’une de ces juridictions, ou des deux. La plainte de Mme Horrocks porte sur la question de savoir si elle a été victime de discrimination de la part de son employeur en raison d’une incapacité physique ou mentale — et si son employeur a de ce fait violé la convention collective et le Code des droits de la personne — lorsqu’il l’a congédiée au motif qu’elle n’aurait pas respecté son engagement de s’abstenir totalement de consommer de l’alcool. Elle demande à être réintégrée dans son emploi.

[102]                     Je suis d’accord avec le juge Brown pour dire que la nature essentielle de la plainte de Mme Horrocks relève du champ d’application de la convention collective. En l’espèce, la convention collective interdit expressément à l’employeur de faire preuve de discrimination fondée sur une incapacité physique ou mentale (« Collective Agreement between : Canadian Union of Public Employees, Local 8600 and Nor‑Man Regional Health Authority Inc. », 1er avril 2008 au 31 mars 2012, art. 6, reproduite dans d.a., vol. II, p. 12). Dans l’arrêt Parry Sound, la Cour a confirmé que les droits et obligations substantiels prévus par les codes des droits de la personne sont incorporés dans toute convention collective à l’égard de laquelle un arbitre du travail a compétence. La convention collective dans le cas qui nous occupe prévoit également une procédure de griefs et d’arbitrage pour tout différend résultant de l’interprétation, de l’application ou de la prétendue violation de la convention collective (art. 10 et 11). Dans ces conditions, on peut aisément considérer que la plainte de discrimination de Mme Horrocks résulte de la prétendue violation de la convention collective. Un arbitre du travail a donc compétence sur cette plainte.

[103]                     À mon avis, toutefois, le litige relève également de la compétence de la Commission, même si Mme Horrocks est une employée syndiquée. Sa plainte de discrimination relève directement du mandat du Code. Le paragraphe 22(1) prévoit expressément qu’« une personne » peut déposer une plainte auprès de la Commission. L’instruction de sa plainte relève aussi du mandat de la Commission selon l’art. 4, l’al. 7(2)a), le par. 29(3) et l’art. 34 du Code. Une fois qu’une plainte est déposée auprès de la Commission, elle doit être instruite conformément au Code. Il n’y a pas d’exception pour une plainte déposée par un employé syndiqué qui peut être assujetti à une convention collective.

[104]                     Même si elle a conclu en l’espèce que l’arbitre des droits de la personne avait compétence sur la demande de Mme Horrocks, la Cour d’appel a également conclu que l’arbitre des droits de la personne n’avait pas compétence pour statuer sur [traduction] « des questions relatives à la discipline ou au congédiement ou pour accorder toute réparation connexe » (2017 MBCA 98, 416 D.L.R. (4th) 385, par. 92). Je ne puis souscrire à cette conclusion à deux volets. Le paragraphe 43(2) du Code confère aux arbitres des droits de la personne de larges pouvoirs pour remédier aux violations des droits de la personne, y compris celui d’ordonner à un employeur de « faire ou s’abstenir de faire une chose afin que l’observation du présent code soit assurée, réparer un état de choses découlant de la contravention ou compenser équitablement un dommage causé par la contravention au présent code ». Si le litige relève de la compétence de l’arbitre des droits de la personne, les pouvoirs de réparation de ce dernier sont alors précisés dans le Code.

[105]                     Compte tenu du mandat et des dispositions du Code, notamment de l’expression « une personne » employée au par. 22(1), j’estime inacceptable que certains employés syndiqués se retrouvent sans recours en justice lorsque leur syndicat refuse de déposer un grief à la suite d’une plainte de discrimination, sans manquer à son devoir de juste représentation. Rien dans le Code ne permet de penser qu’un tel résultat était voulu; au contraire, un tel résultat pourrait constituer un manquement aux fonctions de la Commission prévues à l’art. 4.

[106]                     Même s’il est vrai que le devoir de juste représentation [traduction] « sert de contrepoids au principe de l’exclusivité », ce n’est pas un contrepoids suffisant compte tenu de l’importance des droits de la personne en jeu (Mummé, p. 237). Malgré la tendance des arbitres du travail à interpréter cette obligation de façon large lorsqu’il est question de discrimination, la nature de celle‑ci n’a pas évolué depuis l’arrêt rendu par la Cour dans l’affaire Gendron c. Syndicat des approvisionnements et services de l’Alliance de la Fonction publique du Canada, section locale 50057, [1990] 1 R.C.S. 1298, qui était antérieur à l’arrêt Parry Sound :

      Lorsque les employés ont des intérêts opposés, le syndicat peut choisir de défendre un ensemble d’intérêts au détriment d’un autre pourvu que sa décision ne découle pas des motifs irréguliers [. . .] et pourvu qu’il examine tous les facteurs pertinents. [. . .] Ce sont plutôt les motifs sous-jacents et la méthode utilisée pour effectuer ce choix qui peuvent faire l’objet d’une objection. [p. 1329]

Ainsi, dans les affaires où il est question de discrimination à l’égard d’un employé syndiqué, les syndicats peuvent décider de ne pas déposer de grief sans manquer à leur devoir de représentation équitable, [traduction] « dès lors que leur décision est motivée et qu’elle n’est pas arbitraire ou entachée de mauvaise foi ou de discrimination » (Mummé, p. 238; voir aussi Mason c. Gen‑Auto Shippers and Teamsters, Local Union 938, [1999] OLRB Rep. 242, par. 17 et 20; Creed c. International Brotherhood of Electrical Workers, Local Union 339, [1999] O.L.R.D. No. 3422 (QL)). Les syndicats ont le droit de commettre des erreurs et ils doivent aussi, parfois, mettre en balance des intérêts opposés.

[107]                     En conclusion, j’estime que l’arbitre du travail, en vertu de la Loi sur les relations du travail, et la Commission, en vertu du Code des droits de la personne, ont les deux compétence, au vu des dispositions législatives applicables, sur la plainte de discrimination déposée par Mme Horrocks contre son employeur. Rien dans l’un ou l’autre de ces régimes législatifs ne permet de penser que le législateur souhaitait que l’un ou l’autre ait préséance. Il ne fait aucun doute que le régime régissant les relations de travail est conçu pour s’appuyer fortement sur l’arbitrage en ce qui a trait aux questions relevant du champ d’application de la convention collective, mais c’est également le cas du régime régissant les droits de la personne, qui compte fortement sur la Commission et les arbitres des droits de la personne pour statuer sur les plaintes de discrimination, compte tenu de l’importance primordiale et fondamentale des lois relatives aux droits de la personne (Tranchemontagne c. Ontario (Directeur du Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées), 2006 CSC 14, [2006] 1 R.C.S. 513, par. 33).

[108]                     La Cour n’a écarté la compétence des tribunaux des droits de la personne que lorsque le texte de loi de l’autre tribunal administratif excluait expressément tous les autres organismes décisionnels, indiquant ainsi que la compétence se voulait exclusive. Dans l’affaire Charette, la Cour s’est penchée sur une question de compétence entre le Tribunal des droits de la personne du Québec et la Commission des affaires sociales (CAS), la commission de révision de l’aide sociale du Québec. La plaignante était inscrite à un programme qui prévoyait le versement de prestations d’aide sociale aux familles à faible revenu ayant des enfants à charge. Le programme exigeait qu’au moins un adulte touche un revenu d’emploi. Lorsqu’elle est partie en congé de maternité, la plaignante ne pouvait plus bénéficier du programme parce que les prestations de maternité n’étaient pas considérées comme un revenu d’emploi. Elle a porté plainte devant le Tribunal des droits de la personne du Québec, alléguant avoir fait l’objet de discrimination fondée sur le sexe et sur la grossesse en contravention de la Charte québécoise. Le gouvernement du Québec a contesté la compétence du Tribunal, en faisant valoir que la CAS avait compétence exclusive.

[109]                     La Cour a conclu à la majorité que la CAS avait compétence exclusive pour instruire l’affaire. L’article 23 de la Loi sur la Commission des affaires sociales, L.R.Q., c. C‑34, donnait à la CAS le pouvoir d’interpréter et d’appliquer la Charte québécoise. L’article 21 disposait que la voie d’appel administratif prévue à l’intention des demandeurs insatisfaits ne faisait pas double emploi avec la compétence des tribunaux judiciaires ou administratifs, car la compétence de la CAS était exclusive :

      La [CAS] a pour fonction d’entendre, exclusivement à toute autre commission, tribunal, régie ou organisme, à l’exception des requêtes visées dans le paragraphe d du présent article :

     a) les appels interjetés en vertu de l’article 78 ou de l’article 81 de la Loi sur la sécurité du revenu. . . 

[110]                     De même, dans l’affaire Canada (Chambre des communes) c. Vaid, 2005 CSC 30, [2005] 1 R.C.S. 667, la Cour s’est de nouveau penchée sur un conflit de compétence entre un tribunal des droits de la personne et un arbitre du travail. Monsieur Vaid travaillait à la Chambre des communes et alléguait avoir fait l’objet d’un congédiement déguisé. Il a déposé une plainte devant le Tribunal canadien des droits de la personne, alléguant avoir fait l’objet de discrimination raciale en contravention de la LCDP . L’emploi de M. Vaid, en tant qu’employé fédéral, était régi par la Loi sur les relations de travail au Parlement, L.R.C. 1985, c. 33 (2e suppl .) (LRTP ), qui prévoyait un régime d’arbitrage du travail. L’une des questions était de savoir si la plainte de M. Vaid relevait exclusivement du régime d’arbitrage du travail de la LRTP  ou si le Tribunal avait une compétence concurrente sur celle‑ci.

[111]                     La Cour a jugé à l’unanimité que la plainte de M. Vaid relevait exclusivement du régime d’arbitrage du travail de la LRTP . Le paragraphe 5(1) de cette loi prévoyait que l’un de ses objets était « d’assurer à certaines personnes affectées aux services parlementaires certains droits, dont celui de négociation collective, dans le cadre de leur emploi ». Le sous‑alinéa 62(1)a)(i) donnait à l’employé qui s’estimait lésé par l’interprétation ou l’application à son égard « d’une disposition législative » le droit de présenter un grief. Enfin, l’art. 2  de la LRTP  précisait que celle‑ci avait préséance sur « les autres lois fédérales qui réglementent des questions semblables à celles que règlement[e] la [LRTP ] » :

      . . . sauf disposition expresse de la présente loi, les autres lois fédérales qui réglementent des questions semblables à celles que règlement[e] la présente loi [. . .] n’ont aucun effet. . . . 

[112]                     Ainsi, dans les affaires Charette et Vaid, la loi conférait clairement une compétence exclusive à un organisme qui n’était pas le tribunal des droits de la personne. Si le différend relevait de la compétence de cet autre organisme (la CAS et le régime d’arbitrage prévu par la LRTP , respectivement), l’intention du législateur était d’écarter la compétence du tribunal des droits de la personne.

[113]                     Il n’y a pas de libellé aussi catégorique et explicite dans la Loi sur les relations du travail du Manitoba. Le paragraphe 78(1) dispose que « [l]a convention collective contient une clause prévoyant le règlement définitif, sans arrêt de travail, par voie d’arbitrage ou autrement ». Lorsqu’il entend écarter la compétence d’autres tribunaux administratifs, le législateur manitobain emploie les mots « compétence exclusive » (voir, p. ex., Loi sur la Société d’assurance publique du Manitoba, C.P.L.M., c. P215, par. 65(13); Loi sur les accidents du travail, C.P.L.M., c. W200, par. 60(1) et 60.8(1); Loi sur l’Hydro‑Manitoba, C.P.L.M., c. H190, art. 22; et voir « pouvoir exclusif » dans la Loi sur la location à usage d’habitation, C.P.L.M., c. R119, par. 152(1) et 158(1)). Or, au lieu d’employer cette expression, le par. 78(1) de la Loi prévoit même la possibilité que les parties désignent une autre juridiction — « ou autrement ». Bien que les mots « ou autrement » au par. 78(1) n’indiquent pas nécessairement que la Loi sur les relations du travail prévoit une compétence concurrente à celle de la Commission, ils indiquent certainement que le législateur ne voit pas d’inconvénient à ce que les parties s’entendent pour que d’autres juridictions qu’un arbitre du travail aient compétence à l’égard des différends résultant de la convention collective.

[114]                     On peut en conclure que, lorsque le législateur manitobain entend conférer une compétence exclusive, il emploie des termes clairs en ce sens. La Loi sur les relations du travail ne confère pas clairement une compétence exclusive aux arbitres du travail, et le Code des droits de la personne ne soustrait pas à la compétence de la Commission les plaintes relatives aux droits de la personne qui sont déposées par des employés syndiqués. Aucune de ces lois n’exclut la compétence de l’autre, et la plainte de Mme Horrocks relève à la fois du mandat de l’arbitre du travail en vertu de la Loi sur les relations du travail et du mandat de la Commission en vertu du Code des droits de la personne. Dans ces conditions, j’abonde dans le sens des auteurs Lokan et Yachnin, lorsqu’ils font observer, à la p. 27 de leur article :

      [traduction] . . . il est difficile de soutenir de façon crédible que le législateur voulait que l’arbitrage supplante complètement les autres tribunaux dans le cas des travailleurs syndiqués. [. . .] Au lieu de chercher une réponse claire qui n’existe pas en ce qui concerne la délimitation des compétences respectives, il serait sans doute plus utile que les tribunaux administratifs et judiciaires élaborent des principes pragmatiques sur la façon de traiter leurs procédures et décisions respectives.

[115]                     Je passe maintenant à la dernière question, soit celle de savoir si la Commission ou l’arbitre des droits de la personne aurait dû exercer sa compétence pour instruire la plainte en l’espèce.

C.            Quelle est la juridiction qui convient le mieux?

[116]                     Ma conclusion portant qu’un arbitre des droits de la personne et un arbitre du travail ont les deux compétence sur la plainte de Mme Horrocks ne répond pas à la question de savoir si la Commission ou l’arbitre des droits de la personne aurait dû décliner compétence en faveur d’une autre juridiction. L’analyse de la question de savoir si une juridiction a compétence est distincte de celle visant à savoir si cette même juridiction devrait exercer cette compétence. Traitant à la fois de la compétence et de la doctrine du forum non conveniens dans le contexte du droit international privé, la juge Côté a expliqué : « Il importe de maintenir cette distinction en raison des préoccupations distinctes qui sous‑tendent chaque analyse et de la nature des facteurs pertinents à chaque étape » (Haaretz.com c. Goldhar, 2018 CSC 28, [2018] 2 R.C.S. 3, par. 28).

(1)          Pouvoir discrétionnaire pour décliner compétence

[117]                     Dans leurs observations, Mme Horrocks et la Commission avancent l’une et l’autre l’idée que la Commission n’a peut‑être pas le pouvoir discrétionnaire en vertu du Code des droits de la personne pour refuser de statuer sur la plainte si celle‑ci relève de sa compétence (transcription, p. 75). Comme Mme Horrocks le souligne dans son mémoire, toutefois, il pourrait être [traduction] « raisonnable de supposer que la Commission des droits de la personne du Manitoba ne serait pas “convaincue” de devoir exercer sa compétence lorsqu’un plaignant a un grief ou pourrait en présenter un », permettant ainsi à la Commission de décliner sa compétence (m.i. Linda Horrocks, par. 92). L’employeur a fait valoir que, dans l’éventualité où la Cour jugerait qu’il existe une compétence concurrente, elle devrait décider que l’arbitrage est le mode de règlement qui convient le mieux. L’absence de balises appropriées inciterait les plaignants à se mettre à la recherche de la juridiction la plus favorable et à se livrer à des contestations indirectes, ce qui aurait finalement pour effet de compromettre la primauté du droit.

[118]                     Selon l’art. 29 du Code, la Commission joue un rôle de gardien en ce qui concerne l’examen préalable des plaintes :

      29(3) Si une plainte n’est pas réglée ou rejetée ou s’il n’est pas mis fin aux procédures s’y rapportant et si la Commission est convaincue que des procédures additionnelles quant à la plainte serviraient les buts du présent code ou faciliteraient l’exercice des fonctions de la Commission en vertu du présent code, celle‑ci doit, selon le cas :

a)               demander à l’arbitre en chef de désigner un membre du tribunal d’arbitrage afin qu’il statue sur la plainte;

b)               recommander au ministre d’introduire une poursuite relativement à une contravention qui aurait été commise au présent code.

      (Voir aussi Halifax (Regional Municipality) c. Nouvelle‑Écosse (Human Rights Commission), 2012 CSC 10, [2012] 1 R.C.S. 364, par. 21.)

[119]                     Bien que le par. 29(3) soit moins explicite que les dispositions permettant de refuser de statuer sur une plainte que l’on trouve en Ontario, en Colombie‑Britannique et dans la LCDP  (voir Code des droits de la personne de l’Ontario, art. 45.1; Human Rights Code de la Colombie‑Britannique, par. 25(1) et (2); LCDP, par. 41(1) ), cette disposition n’oblige la Commission à déférer l’affaire à un arbitre des droits de la personne que si elle est convaincue que cette mesure favoriserait les buts du Code. L’existence d’une juridiction plus appropriée, plus efficace et plus rapide, qui est compétente pour se pencher sur les situations de discrimination en milieu de travail, pourrait bien convaincre la Commission que des procédures additionnelles devant un arbitre des droits de la personne ne faciliteraient pas l’exercice des fonctions de la Commission. De plus, la Commission peut choisir de suspendre le prononcé de toute décision à cet égard, en attendant l’issue d’un recours devant une autre juridiction concernant la plainte de discrimination.

[120]                     D’ailleurs, cette interprétation du Code s’accorde avec la pratique de la Commission de décliner compétence sur les plaintes en faveur d’autres juridictions. Par exemple, dans un énoncé de politique, la Commission explique que lorsqu’un différend relève de la compétence concurrente d’un autre organisme qui examine l’affaire, la Commission peut demander le consentement des parties « pour suspendre la plainte » ou la suspendre de sa propre initiative (Politique no P‑3 : Compétence — Compétence concurrente, mise à jour le 8 octobre 2014 (en ligne), p. 2).

[121]                     De même, le Tribunal des droits de la personne du Manitoba a conclu qu’il peut refuser de statuer sur une plainte lorsque les circonstances s’y prêtent, notamment lorsque le différend peut être tranché par un arbitre du travail (Blatz c. 4L Communications Inc., 2012 CanLII 42311, par. 11‑12; Qumsieh c. Brandon School Division, 2019 MBHR 3, par. 10‑11 (CanLII)).

[122]                     Divers facteurs peuvent s’appliquer, et la plainte peut être rejetée lorsqu’on craint un dédoublement d’instances (voir Code, al. 29(1)a) et art. 42; Colombie‑Britannique (Workers’ Compensation Board) c. Figliola, 2011 CSC 52, [2011] 3 R.C.S. 422, par. 25‑34; Zulkoskey c. Canada (Ministre de l’Emploi et du Développement social), 2016 CAF 268, par. 23‑24 (CanLII); Dick c. Pepsi Bottling Group (Canada), Co., 2014 CanLII 16055 (D.P. Man.)).

(2)          Facteurs encadrant l’exercice du pouvoir discrétionnaire

[123]                     Dans le cas où elle a une compétence partagée avec un arbitre du travail sur un différend relatif aux droits de la personne, la Commission peut tenir compte d’un certain nombre de facteurs lorsqu’elle décide, en vertu de son pouvoir discrétionnaire, si elle instruira ou non la plainte d’un employé syndiqué.

[124]                      Comme je l’ai déjà mentionné, la juge en chef McLachlin a, dans l’arrêt Morin, énoncé quatre facteurs qui favorisaient dans cette affaire l’exercice, par le tribunal des droits de la personne, de sa compétence : (1) la plainte portait sur la convention collective elle‑même plutôt que sur une violation de celle‑ci; (2) l’intérêt du syndicat était opposé à celui des plaignants, de sorte qu’ils risquaient de se retrouver sans autre recours; (3) l’arbitre du travail n’aurait pas eu compétence à l’égard de toutes les parties pouvant être visées par le litige; et (4) le Tribunal présentait une « plus grande adéquation » avec le litige pour la contestation de la convention collective (par. 27‑30).

[125]                      Si l’intérêt du syndicat est opposé à celui du plaignant ou si le syndicat ne veut pas donner suite au grief, cela milite fortement en faveur de l’accès à la justice pour toute personne ayant une plainte en matière de droits de la personne (Morin, par. 28; Naraine, par. 60‑61; A.T.U., Local 583 c. Calgary (City), 2007 ABCA 121, 75 Alta. L.R. (4th) 75, par. 64‑66). Lorsqu’un syndicat refuse de donner suite à la plainte d’un travailleur syndiqué concernant les droits de la personne, ce dernier devrait avoir un recours en justice afin que sa plainte en matière de droits de la personne soit instruite.

[126]                      Inversement, si la plainte porte sur la violation de la convention collective, que le syndicat appuie l’employé, que l’arbitre du travail a compétence sur les parties concernées et que la réparation demandée est la réintégration de l’employé dans ses fonctions, il s’agira d’un cas où le tribunal des droits de la personne sera tout à fait justifié de décliner compétence en faveur de l’arbitre nommé dans le cadre du régime d’arbitrage du travail.

[127]                     Enfin, le fait de déterminer quelle juridiction présente une « plus grande adéquation » permet d’accorder une grande importance aux circonstances de la plainte. Il me semble que la réparation demandée par la personne qui dépose une plainte peut être un facteur très pertinent pour ce qui est de l’analyse de cette question. Par exemple, si la personne demande d’être réintégrée dans son emploi, le recours à l’arbitrage par le biais d’un représentant syndical peut présenter une meilleure adéquation. Par contre, si la personne réclame un jugement déclaratoire, des dommages‑intérêts ou des changements systémiques — plutôt que la réintégration dans ses fonctions — un tribunal des droits de la personne pourrait présenter une meilleure adéquation.

[128]                     Il est donc tout à fait justifié qu’il revienne en premier lieu aux arbitres du travail de statuer sur les plaintes relatives aux droits de la personne présentées par des employés syndiqués, surtout si la réparation demandée est la réintégration. L’accès à la justice et la résolution efficace des conflits dans le cadre d’une relation à long terme militent en faveur de l’arbitrage en droit du travail. En règle générale, la Commission devrait décliner compétence, à moins que l’arbitrage en droit du travail ne soit pas une option réaliste.

[129]                     En l’espèce, l’arbitre des droits de la personne ne s’est vu présenter aucune preuve indiquant que d’autres procédures avaient été engagées ou pourraient l’être; les quelques éléments de preuve dont elle disposait indiquaient que Mme Horrocks n’avait pas le sentiment que le syndicat la soutiendrait (par. 87). Il n’y avait cependant pas de preuve démontrant de façon évidente que le syndicat ne l’aiderait pas. Et il existe de bonnes raisons de penser que la Commission ou l’arbitre des droits de la personne aurait pu exercer son pouvoir discrétionnaire pour décliner compétence au profit de l’arbitre nommé dans le cadre du régime d’arbitrage du travail. Le différend portait sur la discrimination résultant de la convention collective et la réparation demandée, soit la réintégration, relevait clairement des pouvoirs d’un arbitre du travail et concernait le rétablissement de la relation de travail.

[130]                     Cela dit, il est de jurisprudence constante que les réparations pouvant être accordées lors d’un contrôle judiciaire sont de nature discrétionnaire, de sorte que « même si le demandeur établit le bien‑fondé de sa demande de contrôle judiciaire, la cour de révision dispose du pouvoir discrétionnaire prépondérant de refuser d’accorder la réparation » (Strickland c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 37, [2015] 2 R.C.S. 713, par. 37; voir aussi Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, par. 36). Le caractère discrétionnaire de ce type de réparations possibles dans le cadre d’un contrôle judiciaire reflète une orientation non seulement vers les droits individuels, mais aussi vers l’intérêt public pour une administration ordonnée des affaires, notamment la nécessité d’assurer le caractère définitif et la certitude des décisions (Fingland c. Ontario (Ministry of Transportation), 2008 ONCA 812, 93 O.R. (3d) 268, par. 30, citant Chippewas of Sarnia Band c. Canada (Attorney General) (2000), 51 O.R. (3d) 641 (C.A.), par. 258; D. J. M. Brown et J. M. Evans, assistés de D. Fairlie, Judicial Review of Administrative Action in Canada (feuilles mobiles), §3:1). L’arbitre des droits de la personne en l’espèce a été appelée à décider si elle avait ou non compétence, ce à quoi elle a répondu par l’affirmative. Étant donné qu’elle avait clairement compétence pour statuer sur l’affaire, je ne puis conclure qu’elle a eu tort en l’espèce d’instruire la plainte. En tout état de cause, il ne conviendrait pas, près d’une dizaine d’années après les faits à l’origine de la plainte et plus de six ans après la décision rendue sur le fond par l’arbitre des droits de la personne, d’annuler sa décision.

III.         Dispositif

[131]                     À mon avis, la Cour d’appel a eu raison de décider que l’arbitre des droits de la personne en l’espèce avait compétence pour instruire le litige. Par conséquent, je suis d’avis de rejeter le pourvoi.

 

                    Pourvoi accueilli, la juge Karakatsanis est dissidente.

                    Procureurs de l’appelant : Pitblado, Winnipeg.

                    Procureurs de l’intimée Linda Horrocks : Champ & Associates, Ottawa.

                    Procureurs de l’intimée la Commission des droits de la personne du Manitoba : MLT Aikins, Winnipeg.

                    Procureur de l’intervenant le procureur général de la Colombie-Britannique : Procureur général de la Colombie‑Britannique, Vancouver.

                    Procureurs de l’intervenant Don Valley Community Legal Services : Monkhouse Law, Toronto.

                    Procureurs de l’intervenante l’Association canadienne des avocats d’employeurs : Neuman Thompson, Edmonton.

                    Procureure de l’intervenante la Commission canadienne des droits de la personne : Commission canadienne des droits de la personne, Ottawa.

                    Procureurs de l’intervenant British Columbia Council of Administrative Tribunals : Pulleyblank Law Corporation, Vancouver.

                    Procureure de l’intervenant Empowerment Council, Systemic Advocates in Addictions and Mental Health : Karen R. Spector, Toronto.



[1]  Afin de distinguer le terme « arbitre » employé comme équivalent du terme « adjudicator » dans la version anglaise du Code des droits de la personne du Manitoba et le terme « arbitre » employé comme équivalent du terme « arbitrator » dans la version anglaise de la Loi sur les relations du travail du Manitoba, j’utiliserai les termes « arbitre des droits de la personne » et « arbitre du travail », respectivement.

[2]  Ibid.

[3]  Afin de distinguer le terme « arbitre » employé comme équivalent du terme « adjudicator » dans la version anglaise du Code des droits de la personne du Manitoba et le terme « arbitre » employé comme équivalent du terme « arbitrator » dans la version anglaise de la Loi sur les relations du travail du Manitoba, j’utiliserai les termes « arbitre des droits de la personne » et « arbitre du travail », respectivement.

[4]  Ibid.

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