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COUR SUPRÊME DU CANADA

 

Référence : R. c. Brunelle, 2022 CSC 5

 

 

Appel entendu : 15 mars 2022

Jugement rendu : 15 mars 2022

Dossier : 39701

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

Appelante

 

et

 

Daniel Brunelle

Intimé

 

 

Coram : Le juge en chef Wagner et les juges Moldaver, Karakatsanis, Côté, Brown, Rowe, Martin, Kasirer et Jamal

 

Jugement unanime lu par :

(par. 1 à 11)

 

Le juge en chef Wagner

Avocats :

 

Nicolas Abran et Alexandre Dubois, pour l’appelante.

Marie-Hélène Giroux, pour l’intimé.

 

 

 

 

 

 

Note : Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada.

 

 

 

 

 

Sa Majesté la Reine                                                                                       Appelante

c.

Daniel Brunelle                                                                                                    Intimé

Répertorié : R. c. Brunelle

2022 CSC 5

No du greffe : 39701.

2022 : 15 mars.

Présents : Le juge en chef Wagner et les juges Moldaver, Karakatsanis, Côté, Brown, Rowe, Martin, Kasirer et Jamal.

en appel de la cour d’appel du québec

                    Droit criminel — Appels — Verdict déraisonnable — Preuve — Conclusion de la juge du procès portant que l’accusé n’a pas agi en légitime défense lorsqu’il a poignardé le plaignant lors d’une échauffourée faisant suite à un accrochage entre leurs véhicules — Accusé déclaré coupable de voies de fait graves, de voies de fait armées et de possession d’une arme dans un dessein dangereux pour la paix publique — Verdicts de culpabilité annulés et nouveau procès ordonné par les juges majoritaires de la Cour d’appel au motif que la juge du procès a tiré une inférence inappropriée de la preuve lors de son analyse du deuxième critère de la légitime défense — Décision du juge dissident portant que la conclusion de la juge du procès trouve appui dans la preuve et est exempte d’erreur manifeste et déterminante — Déclarations de culpabilité rétablies.

Jurisprudence

                    Arrêts mentionnés : R. c. Khill, 2021 CSC 37; R. c. Beaudry, 2007 CSC 5, [2007] 1 R.C.S. 190; R. c. Sinclair, 2011 CSC 40, [2011] 3 R.C.S. 3; R. c. R.P., 2012 CSC 22, [2012] 1 R.C.S. 746; R. c. Burke, [1996] 1 R.C.S. 474; Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235; R. c. Gagnon, 2006 CSC 17, [2006] 1 R.C.S. 621.

Lois et règlements cités

Code criminel , L.R.C. 1985, c. C‑46, art. 34 .

                    POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Québec (les juges Bélanger, Baudouin et Bachand), 2021 QCCA 783, [2021] AZ‑51765162, [2021] J.Q. no 4921 (QL), 2021 CarswellQue 6132 (WL Can.), qui a annulé les déclarations de culpabilité pour voies de fait graves, voies de fait armées et possession d’une arme dans un dessein dangereux pour la paix publique prononcées contre l’accusé et ordonné un nouveau procès. Pourvoi accueilli.

                    Nicolas Abran et Alexandre Dubois, pour l’appelante.

                    Marie-Hélène Giroux, pour l’intimé.

                    Le jugement de la Cour a été rendu oralement par

[1]               Le juge en chef — Le ministère public se pourvoit de plein droit contre une décision de la Cour d’appel du Québec. Il soutient que les juges majoritaires ont outrepassé leur rôle en matière d’appel en réévaluant la preuve sans toutefois identifier d’erreur dans le raisonnement de la juge de première instance.

[2]               L’accusé prétend avoir agi en légitime défense conformément à l’art. 34  du Code criminel , L.R.C. 1985, c. C‑46 . Comme l’a rappelé récemment notre Cour dans R. c. Khill, 2021 CSC 37, trois composantes doivent être réunies afin que l’accusé puisse invoquer avec succès ce moyen de défense: (1) le catalyseur; (2) le mobile; et (3) la réaction (par. 51).

[3]               La juge de première instance rejette la thèse de la légitime défense. Elle est d’avis que le deuxième critère de ce moyen de défense n’est pas respecté. Elle ne croit pas que l’accusé a utilisé la force pour se défendre ou pour se protéger contre l’emploi ou la menace d’emploi de la force. Elle conclut, au contraire, à la lumière de son évaluation de la preuve, qu’il a agi par vengeance. Elle déclare donc l’accusé coupable de voies de fait graves, de voies de fait armées et de possession d’une arme dans un dessein dangereux pour la paix publique.

[4]               La majorité de la Cour d’appel a accueilli l’appel de l’accusé, cassé les verdicts de culpabilité et ordonné la tenue d’un nouveau procès au motif que l’analyse du deuxième critère de la légitime défense de la juge de première instance était erronée.

[5]               Le juge Bachand, dissident, aurait plutôt rejeté l’appel. Constatant que la conclusion de la juge du procès trouve appui dans la preuve, il conclut que sa conclusion est raisonnable et commande déférence.

[6]               Nous sommes tous d’avis que la majorité de la Cour d’appel a eu tort d’intervenir en l’espèce et nous partageons en partie les motifs du juge Bachand.

[7]               Lorsqu’un verdict est rendu par un juge qui siège seul, il existe deux fondements sur lesquels une cour d’appel peut être justifiée d’intervenir lorsque le verdict est déraisonnable, soit (1) lorsque le verdict ne peut s’appuyer sur la preuve; ou (2) lorsque le verdict est vicié en raison d’un raisonnement illogique ou irrationnel (R. c. Beaudry, 2007 CSC 5, [2007] 1 R.C.S. 190; R. c. Sinclair, 2011 CSC 40, [2011] 3 R.C.S. 3).

[8]               Bien que le verdict déraisonnable soit une question de droit, l’appréciation de la crédibilité, elle, constitue une question de faits (R. c. R.P., 2012 CSC 22, [2012] 1 R.C.S. 746, par. 10). L’appréciation de la crédibilité des témoins par la juge du procès ne peut être écartée que lorsqu’elle « ne peut pas s’appuyer sur quelque interprétation raisonnable que ce soit de la preuve » (R. c. Burke, [1996] 1 R.C.S. 474, par. 7). Comme le souligne à juste titre le juge Bachand, la question en l’espèce n’était donc pas de savoir « si la conclusion selon laquelle [l’accusé] a agi par vengeance est la seule que la juge pouvait raisonnablement tirer compte tenu de la preuve qui a été administrée », mais plutôt « de savoir si cette conclusion trouve suffisamment appui dans la preuve et si elle est exempte d’erreur manifeste et déterminante » (par. 58, citant Beaudry). Le juge Bachand complète son énoncé en soulignant que la juge de première instance pouvait conclure hors de tout doute raisonnable que l’intimé avait agi par vengeance et non dans le but de se défendre.

[9]               Nous sommes tous d’avis que la majorité de la Cour d’appel a omis de considérer la position privilégiée qu’a la juge du procès pour apprécier la preuve (voir Beaudry, par. 62). Elle lui reproche d’avoir omis de considérer certains éléments de preuve sans toutefois clairement identifier d’erreur manifeste et déterminante dans son analyse. Or, « [l]e simple fait que la juge de première instance n’a pas analysé en profondeur un point donné ou un élément de preuve particulier ne constitue pas un motif suffisant pour justifier l’intervention des tribunaux d’appel » (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, par. 72). La majorité ne pouvait simplement substituer son opinion à celle de la juge de première instance sur l’appréciation de la crédibilité des témoins (R. c. Gagnon, 2006 CSC 17, [2006] 1 R.C.S. 621, par. 23). En l’absence d’une erreur révisable, elle aurait dû faire preuve de retenue.

[10]             La majorité de la Cour d’appel ne pouvait pas non plus soutenir que la conclusion de la juge de première instance concernant le second critère de la légitime défense était « viciée par un raisonnement sous-jacent défaillant » (par. 54). Un verdict peut être qualifié de déraisonnable lorsqu’il est fondé sur un raisonnement illogique ou irrationnel, par exemple lorsque le juge de première instance tire une conclusion essentielle au verdict, mais qui est incompatible avec la preuve non contredite et non rejetée par le juge du procès (Beaudry, par. 98; Sinclair, par. 21). Ici, l’inférence que tire la juge du procès de la preuve n’est pas incompatible avec la preuve présentée. Son approche est, au contraire, cohérente et s’appuie sur la preuve non contredite et non rejetée. Il n’y avait pas matière à intervention.

[11]             Pour ces motifs, nous sommes tous d’avis d’accueillir l’appel, de rétablir les verdicts de culpabilité prononcés par la Cour du Québec et d’ordonner à l’intimé Daniel Brunelle de se livrer aux autorités carcérales dans les 72 heures du présent jugement.

                    Jugement en conséquence.

                    Procureur de l’appelante : Directeur des poursuites criminelles et pénales, Saint-Jérôme.

                    Procureurs de l’intimé : Marie-Hélène Giroux Avocats Inc., Montréal.

 

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