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COUR SUPRÊME DU CANADA

 

Référence : R. c. White, 2022 CSC 7

 

 

Appel entendu : 18 mars 2022

Jugement rendu : 18 mars 2022

Dossier : 39785

 

Entre :

Sa Majesté la Reine

Appelante

 

et

 

Trent White

Intimé

 

Traduction française officielle

 

Coram : Les juges Karakatsanis, Rowe, Martin, Kasirer et Jamal

 

Jugement unanime lu par :

(par. 1 à 11)

La juge Karakatsanis

 

 

Note : Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada.

 

 

 


Sa Majesté la Reine                                                                                       Appelante

c.

Trent White                                                                                                          Intimé

Répertorié : R. c. White

2022 CSC 7

No du greffe : 39785.

2022 : 18 mars.

Présents : Les juges Karakatsanis, Rowe, Martin, Kasirer et Jamal.

en appel de la cour d’appel de terre‑neuve‑et‑labrador

                    Droit criminel — Procès — Assistance ineffective de l’avocat — Choix du mode de procès — Accusé déclaré coupable de plusieurs infractions à son procès devant un juge de la Cour provinciale — Appel formé par l’accusé contre les déclarations de culpabilité au motif que son avocat au procès l’aurait représenté de manière ineffective en omettant d’obtenir de sa part des instructions éclairées quant au choix du mode de procès — Conclusion des juges majoritaires de la Cour d’appel portant que l’omission de l’avocat au procès d’obtenir des instructions éclairées sur le choix du mode de procès a compromis l’équité de celui‑ci et a entraîné une erreur judiciaire — Annulation par la Cour d’appel des déclarations de culpabilité et nouveau procès ordonné par cette dernière — Aucune erreur judiciaire.

Jurisprudence

                    Arrêts mentionnés : R. c. Stark, 2017 ONCA 148, 347 C.C.C. (3d) 73; R. c. G.D.B., 2000 CSC 22, [2000] 1 R.C.S. 520; R. c. Wong, 2018 CSC 25, [2018] 1 R.C.S. 696; R. c. Davey, 2012 CSC 75, [2012] 3 R.C.S. 828; R. c. Wolkins, 2005 NSCA 2, 229 N.S.R. (2d) 222; R. c. Esseghaier, 2021 CSC 9.

Lois et règlements cités

Code criminel , L.R.C. 1985, c. C‑46, art. 536(2) , 686(1) b)(iv).

                    POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de Terre‑Neuve‑et‑Labrador (les juges Welsh, White et Hoegg), 2021 NLCA 39, 467 D.L.R. (4th) 29, [2021] N.J. No. 188 (QL), 2021 CarswellNfld 221 (WL), qui a annulé les déclarations de culpabilité prononcées par le juge Gorman de la Cour provinciale, 2018 CanLII 105266, [2018] N.J. No. 335 (QL), 2018 CarswellNfld 415 (WL), et ordonné un nouveau procès. Pourvoi accueilli.

                    Dana E. Sullivan, pour l’appelante.

                    Jason Edwards, pour l’intimé.

                    Version française du jugement de la Cour rendu oralement par

[1]               La juge Karakatsanis — Nous sommes saisis du présent appel de plein droit fondé sur la dissidence de la juge Hoegg de la Cour d’appel de Terre-Neuve-et-Labrador. Pour les motifs qui suivent, nous sommes toutes et tous d’avis d’accueillir l’appel.

[2]               L’intimé, Trent White, a été accusé de plusieurs infractions à la suite d’un incident survenu sur un navire de pêche au large des côtes du Labrador en 2017. Monsieur White a été notamment inculpé de voies de fait graves, une infraction pour laquelle il avait le droit de choisir entre un procès à la Cour provinciale, un procès à la Cour suprême devant un juge seul et un procès à la Cour suprême devant juge et jury (Code criminel , L.R.C. 1985, c. C‑46, par. 536(2) ). L’avocat qui le représentait au procès a informé le tribunal que M. White avait opté pour un procès à la Cour provinciale. Ce dernier a par la suite été déclaré coupable de voies de fait, de voies de fait graves et de méfait.

[3]               Monsieur White a interjeté appel, sollicitant un nouveau procès en raison de l’assistance ineffective reçue de son avocat. Selon ses dires, celui‑ci ne l’a pas avisé des choix qui s’offraient à lui et a opté en son nom pour un procès à la Cour provinciale sans en avoir discuté avec lui ou avoir obtenu des instructions à cet égard. Toutefois, M. White n’a pas indiqué qu’il aurait envisagé un choix différent, ou qu’il souhaiterait être jugé différemment en cas de nouveau procès.

[4]               Les juges majoritaires de la Cour d’appel de Terre‑Neuve‑et‑Labrador ont accepté le témoignage non contredit de M. White, accueilli son appel et ordonné la tenue d’un nouveau procès. Estimant que la faculté de choisir son mode de procès est l’un des droits importants dont jouit l’accusé, les juges majoritaires ont conclu que l’omission de l’avocat de M. White de conseiller son client ou de lui demander ses instructions quant au choix du mode de procès a compromis l’équité du procès et a entraîné une erreur judiciaire, ce qui satisfait au critère relatif à l’assistance ineffective de l’avocat (par. 23 (CanLII)). Citant la décision rendue par la Cour d’appel de l’Ontario dans R. c. Stark, 2017 ONCA 148, 347 C.C.C. (3d) 73, ils ont expliqué que M. White n’était [traduction] « pas tenu d’établir de préjudice additionnel » (par. 12).

[5]               Nous convenons que le droit de choisir le mode de procès est un droit important qui devrait être exercé par l’accusé. Cependant, nous ne sommes pas d’avis que M. White a démontré que les circonstances de l’espèce ont entraîné une erreur judiciaire.

[6]               Au contraire, à l’instar de la juge Hoegg, dissidente, nous sommes plutôt d’avis que l’assistance ineffective de l’avocat n’a pas été établie. L’assistance ineffective comporte un « volet examen du travail de l’avocat » et un « volet appréciation du préjudice » : pour qu’un tel argument soit retenu, l’appelant doit établir que (1) les actes ou les omissions de l’avocat relevaient de l’incompétence; et (2) qu’une erreur judiciaire en a résulté (R. c. G.D.B., 2000 CSC 22, [2000] 1 R.C.S. 520, par. 26). En l’espèce, M. White n’a pas affirmé qu’il aurait fait un choix différent si l’avocat l’avait informé de son droit de choisir son mode de procès. Même si l’on acceptait le témoignage de M. White selon lequel il n’y a pas eu de discussion ou de consultation au sujet de son droit de choisir son mode de procès, cela n’a pas entraîné une erreur judiciaire en l’espèce.

[7]               Dans l’arrêt G.D.B., la Cour a expliqué que, « [d]ans certaines circonstances, » l’omission de l’avocat de discuter avec l’accusé de décisions fondamentales relativement à sa défense et d’obtenir des instructions de celui‑ci au sujet de ces décisions « peut soulever des questions d’équité procédurale et de fiabilité de l’issue du procès susceptibles d’entraîner une erreur judiciaire » (par. 34). L’arrêt Stark lui‑même reconnaît ce point, au par. 32. Toutefois, notre Cour n’a jamais précisé que la perte de la faculté de prendre ces décisions justifie à elle seule la tenue d’un nouveau procès pour cause d’assistance ineffective. Dans la mesure où l’arrêt Stark suggère le contraire, il est inexact. L’accusé doit, dans la plupart des cas, démontrer davantage que la perte de la faculté de choisir.

[8]               Bien qu’elle n’ait pas traité de l’assistance ineffective de l’avocat, la Cour a expliqué, dans R. c. Wong, 2018 CSC 25, [2018] 1 R.C.S. 696, que pour qu’un plaidoyer de culpabilité puisse être retiré au motif que l’accusé n’était pas au courant de conséquences juridiquement pertinentes, l’accusé doit démontrer l’existence d’un préjudice subjectif. Un tel préjudice requiert que l’accusé démontre « l’existence d’une possibilité raisonnable » qu’il aurait agi différemment (par. 6). La Cour a jugé à l’unanimité que la simple omission d’exercer un choix éclairé était insuffisante. À notre avis, ces principes s’appliquent également au choix par l’accusé du mode de procès.

[9]               En outre, la demande de nouveau procès présentée par M. White ne saurait être accueillie pour cause d’apparence d’iniquité. La norme à laquelle il faut satisfaire pour établir une erreur judiciaire pour ce motif est élevée; le vice doit être « grave au point d’ébranler la confiance de la population dans l’administration de la justice » (R. c. Davey, 2012 CSC 75, [2012] 3 R.C.S. 828, par. 51, citant R. c. Wolkins, 2005 NSCA 2, 229 N.S.R. (2d) 222, par. 89). Bien que la perte par M. White de son droit de choisir son mode de procès ait été grave, les faits de l’espèce ne satisfont pas à cette norme. D’ailleurs, si les déclarations de culpabilité de M. White étaient annulées et qu’il choisissait le même mode de procès en vue d’un nouveau procès, cela risquerait de miner la confiance de la population dans l’administration de la justice.

[10]             Enfin, même si la perte par M. White de sa faculté de choisir a représenté une erreur procédurale dans l’application du par. 536(2)  du Code criminel , la Cour provinciale demeurait compétente pour juger M. White, puisqu’elle avait compétence « à l’égard de la catégorie d’infractions » aux termes du sous‑al. 686(1)b)(iv) du Code criminel  (R. c. Esseghaier, 2021 CSC 9, par. 48, note 2).

[11]             Pour ces motifs, nous sommes d’avis d’accueillir l’appel et de renvoyer l’affaire à la Cour d’appel pour qu’elle se penche sur les autres moyens d’appel de M. White, qui n’ont pas été examinés par celle‑ci.

                    Jugement en conséquence.

                    Procureur de l’appelante : Special Prosecutions Office, St. John’s.

                    Procureur de l’intimé : Newfoundland and Labrador Legal Aid Commission, St. John’s.

 

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