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COUR SUPRÊME DU CANADA

 

Référence : R. c. Gerrard, 2022 CSC 13

 

 

Appel entendu : 19 avril 2022

Jugement rendu : 19 avril 2022

Dossier : 39874

 

Entre :

 

Andre Aaron Gerrard

Appelant

 

et

 

Sa Majesté la Reine

Intimée

 

 

Traduction française officielle

 

Coram : Les juges Moldaver, Karakatsanis, Rowe, Kasirer et Jamal

 

Jugement unanime lu par :

(par. 1 à 6)

 

Le juge Moldaver

 

Note : Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada.

 

 

 

 

Andre Aaron Gerrard                                                                                     Appelant

c.

Sa Majesté la Reine                                                                                            Intimée

Répertorié : R. c. Gerrard

2022 CSC 13

No du greffe : 39874.

2022 : 19 avril.

Présents : Les juges Moldaver, Karakatsanis, Rowe, Kasirer et Jamal.

en appel de la cour d’appel de la nouvelle‑écosse

                    Droit criminel — Preuve — Appréciation — Crédibilité — Absence de preuve d’une raison de mentir — Absence d’amplification — Accusé déclaré coupable de nombreuses accusations de voies de fait et de menaces à l’endroit de son ancienne conjointe de fait, ainsi que de dommages aux biens de cette dernière — Appel formé par l’accusé à l’encontre des déclarations de culpabilité pour cause d’erreur par la juge du procès dans l’application des principes énoncés dans l’arrêt W.(D.) et dans l’appréciation de la crédibilité de la plaignante — Décision des juges majoritaires de la Cour d’appel portant que la juge du procès n’a pas mal appliqué l’arrêt W.(D.), qu’elle a traité adéquatement la preuve relative à la question de savoir si la plaignante avait une raison de mentir et qu’elle n’a pas considéré l’absence d’amplification par la plaignante comme un élément en faveur de la crédibilité de cette dernière — Déclarations de culpabilité confirmées.

Jurisprudence

                    Arrêts mentionnés : R. c. W.(D.), [1991] 1 R.C.S. 742; R. c. Vuradin, 2013 CSC 38, [2013] 2 R.C.S. 639; R. c. G.F., 2021 CSC 20; R. c. Stirling, 2008 CSC 10, [2008] 1 R.C.S. 272; R. c. Ignacio, 2021 ONCA 69, 400 C.C.C. (3d) 343; R. c. Swain, 2021 BCCA 207, 406 C.C.C. (3d) 39.

                    POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de la Nouvelle‑Écosse (les juges Bryson, Hamilton et Bourgeois), 2021 NSCA 59, 468 D.L.R. (4th) 393, [2021] N.S.J. No. 313 (QL), 2021 CarswellNS 533 (WL), qui a confirmé les déclarations de culpabilité prononcées contre l’accusé. Pourvoi rejeté.

                    Jonathan T. Hughes, pour l’appelant.

                    Jennifer A. MacLellan, c.r., et Mark Scott, c.r., pour l’intimée.

                    Version française du jugement de la Cour rendu oralement par

[1]               Le juge MoldaverMonsieur Gerrard fait appel de plein droit devant notre Cour des 13 déclarations de culpabilité liées à la violence conjugale prononcées contre lui, sur la base de l’opinion dissidente exposée en Cour d’appel de la Nouvelle‑Écosse. Les juges majoritaires de la Cour d’appel ont rejeté ses arguments selon lesquels la juge du procès a fait erreur tant dans l’application de l’arrêt R. c. W.(D.), [1991] 1 R.C.S. 742, que dans l’appréciation de la crédibilité de la plaignante.

[2]               Nous sommes d’avis de rejeter le pourvoi. En ce qui a trait à la première question en litige, la juge du procès s’est rappelé correctement l’analyse énoncée dans l’arrêt W.(D.) ainsi que son application. Il est sans importance que la juge du procès ait apprécié la crédibilité de la plaignante avant celle de l’accusé; cela ne démontre pas automatiquement qu’elle a renversé le fardeau de la preuve (R. c. Vuradin, 2013 CSC 38, [2013] 2 R.C.S. 639, par. 21). Au contraire, les motifs de la juge du procès démontrent qu’elle n’a pas évalué le témoignage de la plaignante isolément, mais qu’elle l’a adéquatement soupesé en regard de celui d’autres témoins — y compris l’accusé — et qu’elle a fourni des raisons convaincantes au soutien de sa conclusion que le témoignage de la plaignante était crédible, sans marginaliser indûment celui de M. Gerrard ou de quelque autre témoin. Les motifs exposés par les juges qui président les procès doivent être interprétés généreusement, dans leur ensemble, et conformément à la présomption selon laquelle les juges connaissent le droit (R. c. G.F., 2021 CSC 20, par. 69 et 74). Nous ne voyons aucune raison d’intervenir à l’égard de son analyse.

[3]               En ce qui a trait à la seconde question en litige, nous n’acceptons pas l’argument de M. Gerrard voulant que la juge du procès ait tiré des conclusions erronées quant à la crédibilité de la plaignante relativement à l’absence de raison de mentir, à l’absence d’amplification et à la réticence à effectuer des signalements à la police et à témoigner. La juge du procès a, dans le cadre de son appréciation de la crédibilité de la plaignante, considéré de manière adéquate chacun de ces facteurs directement par suite du moyen de défense avancé par M. Gerrard au procès, à savoir que la plaignante menaçait depuis longtemps de le dénoncer à la police et avait finalement mis sa menace à exécution en fabriquant des allégations parce qu’il avait fait un commentaire désobligeant la concernant à sa fille. Autrement dit, il alléguait qu’elle avait une raison de mentir et que, dans les faits, elle mentait. Les conclusions sur la crédibilité commandent une grande déférence en appel (G.F., par. 81). Les motifs de la juge du procès répondaient à des questions litigieuses au procès — soulevées par M. Gerrard —, et ils ne révèlent aucune erreur justifiant une intervention.

[4]               Deux de ces facteurs appellent quelques commentaires additionnels. L’absence de preuve qu’un plaignant a des raisons de mentir peut être pertinente dans l’appréciation de la crédibilité, particulièrement lorsque la défense suggère qu’il en a (R. c. Stirling, 2008 CSC 10, [2008] 1 R.C.S. 272, par. 10‑11; R. c. Ignacio, 2021 ONCA 69, 400 C.C.C. (3d) 343, par. 38 et 52). L’absence de preuve d’une raison de mentir ou l’existence de preuve réfutant une raison particulière de mentir constitue un facteur empreint de bon sens qui tend à indiquer qu’un témoin pourrait être davantage susceptible de dire la vérité parce qu’il n’a pas de raison de mentir. Cela dit, lorsque le juge qui préside un procès prend ce facteur en considération, il doit avoir deux risques à l’esprit : (1) l’absence de preuve qu’un plaignant a des raisons de mentir (c.‑à‑d. l’absence de preuve dans un sens ou dans l’autre) ne peut être assimilée à une preuve réfutant l’existence d’une raison particulière de mentir (c.‑à‑d. une preuve établissant que la raison n’existe pas), car la seconde situation requiert qu’on en fasse la preuve et constitue donc une indication plus solide de crédibilité — aucune de ces situations n’est concluante dans l’analyse sur la crédibilité; et (2) on ne peut renverser le fardeau de la preuve en exigeant que l’accusé démontre que le plaignant a une raison de mentir ou qu’il explique pourquoi le plaignant a formulé des allégations (R. c. Swain, 2021 BCCA 207, 406 C.C.C. (3d) 39, par. 31‑33).

[5]               L’absence d’amplification peut elle aussi être pertinente dans l’appréciation de la crédibilité d’un plaignant et elle se soulève souvent par suite de suggestions portant que le plaignant a des raisons de mentir. Cependant, contrairement à l’absence de preuve d’une raison de mentir ou à l’existence de preuve réfutant une raison particulière de mentir, l’absence d’amplification n’est pas un indice qu’un témoin est davantage susceptible de dire la vérité, car tant une déposition véridique qu’une déposition malhonnête peut ne contenir aucune exagération ou amplification. L’absence d’amplification ne peut pas être invoquée pour renforcer la crédibilité du plaignant — elle a tout simplement pour effet de ne pas nuire à la crédibilité. Elle peut toutefois constituer un facteur à prendre en considération dans l’examen de la question de savoir si un témoin avait ou non une raison de mentir.

[6]               Pour les motifs qui précèdent, nous sommes d’avis de rejeter le pourvoi.

                    Jugement en conséquence.

                    Procureurs de l’appelant : JTH Law, Halifax.

                    Procureur de l’intimée : Nova Scotia Public Prosecution Service, Halifax.

 

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