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COUR SUPRÊME DU CANADA

 

Référence : Canada (Procureur général) c. Collins Family Trust, 2022 CSC 26

 

 

Appel entendu : 11 janvier 2022

Jugement rendu : 17 juin 2022

Dossier : 39383

 

Entre :

 

Procureur général du Canada

Appelant

 

et

 

Collins Family Trust

Intimée

 

Et entre :

 

Procureur général du Canada

Appelant

 

et

 

Cochran Family Trust

Intimée

 

Traduction française officielle

 

Coram : Le juge en chef Wagner et les juges Moldaver, Karakatsanis, Côté, Brown, Rowe, Martin, Kasirer et Jamal

 

Motifs de jugement :

(par. 1 à 28)

Le juge Brown (avec l’accord du juge en chef Wagner et des juges Moldaver, Karakatsanis, Rowe, Martin, Kasirer et Jamal)

 

 

Motifs dissidents :

(par. 29 à 100)

La juge Côté

 

 

Note : Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada.

 

 

 

 


 

Procureur général du Canada                                                                         Appelant

c.

Collins Family Trust                                                                                           Intimée

‐ et ‐

Procureur général du Canada                                                                         Appelant

c.

Cochran Family Trust                                                                                        Intimée

Répertorié : Canada (Procureur général) c. Collins Family Trust

2022 CSC 26

No du greffe : 39383.

2022 : 11 janvier; 2022 : 17 juin.

Présents : Le juge en chef Wagner et les juges Moldaver, Karakatsanis, Côté, Brown, Rowe, Martin, Kasirer et Jamal.

en appel de la cour d’appel de la colombie‐britannique

                    Droit fiscal — Impôt sur le revenu — Equity — Recours — Annulation — Erreur commise par des contribuables quant aux conséquences fiscales d’opérations librement convenues — Requêtes présentées par les contribuables pour obtenir l’annulation des opérations — Est‐il possible d’obtenir l’annulation, une réparation en equity?

                    Deux sociétés ont mis en œuvre un plan visant à protéger leur actif contre les créanciers sans qu’il n’y ait d’impôt sur le revenu à payer. Le plan reposait en partie sur des interprétations publiées par l’Agence du revenu du Canada (« ARC ») en ce qui a trait aux règles d’attribution énoncées au par. 75(2) et à la possibilité de déduction de dividendes entre sociétés que prévoit le par. 112(1)  de la Loi   de l’impôt sur le revenu . Il impliquait la création de fiducies familiales, auxquelles des dividendes ont été payés. Après la mise en œuvre des plans, la Cour canadienne de l’impôt, dans une autre affaire, a interprété le par. 75(2) de manière différente de ce qui était communément accepté par les fiscalistes et l’ARC. L’ARC a réévalué les déclarations de revenus relatives aux fiducies et a imposé une obligation fiscale imprévue. Les fiducies ont demandé par voie de requêtes une réparation en equity, soit l’annulation des opérations ayant mené au paiement de dividendes et l’annulation du paiement lui‐même. Le juge en cabinet s’est considéré lié par l’arrêt Re Pallen Trust, 2015 BCCA 222, 385 D.L.R. (4th) 499, de la Cour d’appel de la Colombie‐Britannique, dans lequel le test relatif à l’annulation en equity énoncé dans Pitt c. Holt, [2013] UKSC 26, [2013] 2 A.C. 108, avait été appliqué à des opérations semblables, et il a accueilli les requêtes. La Cour d’appel a rejeté les appels interjetés par le procureur général.

                    Arrêt (la juge Côté est dissidente) : Le pourvoi est accueilli, les jugements de la Cour d’appel et du juge en cabinet sont infirmés et les requêtes sont rejetées.

                    Le juge en chef Wagner et les juges Moldaver, Karakatsanis, Brown, Rowe, Martin, Kasirer et Jamal : Les contribuables devraient être imposés en fonction de ce qu’ils ont vraiment convenu de faire et fait, et non pas de ce qu’ils auraient pu faire ou de ce qu’ils ont plus tard souhaité avoir fait. Un principe limitatif d’equity, ainsi que les principes de droit fiscal formulés dans les arrêts Canada (Procureur général) c. Hôtels Fairmont Inc., 2016 CSC 56, [2016] 2 R.C.S. 720, et Groupe Jean Coutu (PJC) inc. c. Canada (Procureur général), 2016 CSC 55, [2016] 2 R.C.S. 670, font obstacle à une conclusion selon laquelle l’equity peut remédier à une erreur fiscale. En conséquence, les fiducies ne peuvent obtenir l’annulation des opérations.

                    Le tribunal d’equity peut accorder une réparation quand il serait inique ou inéquitable de permettre que la common law s’applique en faveur de la partie qui sollicite l’exécution de la transaction. Toutefois, il est un principe limitatif et une prémisse fondamentale d’equity que l’equity a été établie pour atténuer les résultats découlant de la common law qui commandent une réparation comme question de conscience et de plus grande équité. Les opérations qui ne commandent pas une réparation comme question de conscience ou d’équité sont à bon droit étrangères au domaine de l’equity. Il n’y a rien d’inique ou d’inéquitable dans l’application ordinaire de lois fiscales à des opérations librement convenues. S’il doit y avoir une réparation, c’est au Parlement, et non à un tribunal d’equity, de l’accorder.

                    De plus, les principes de droit fiscal et l’interdiction d’une planification fiscale rétroactive énoncés dans Hôtels Fairmont et Jean Coutu empêchent l’octroi de toute réparation en equity. Sauf disposition contraire de la loi, les contribuables doivent être imposés conformément à l’application ordinaire de la loi fiscale applicable. Les contribuables peuvent structurer leurs affaires afin de réduire leur impôt à payer, mais ils peuvent également être considérés comme ayant organisé leurs affaires de manière à augmenter cet impôt. Les conséquences fiscales ne découlent pas des motivations ou des objectifs des parties. Elles découlent plutôt de leurs rapports juridiques librement choisis, tels qu’établis par leurs transactions. Les contribuables ne devraient ni se voir refuser ni se voir conférer par les tribunaux un avantage uniquement sur la base de ce qu’ils auraient fait s’ils avaient su. La question qui se pose est de savoir ce que le contribuable a convenu de faire et non pas s’il y a gain fortuit du trésor public ou du contribuable. Le tribunal ne peut modifier un instrument simplement parce qu’une partie a découvert que son exécution fait naître une obligation fiscale préjudiciable et imprévue. Ces principes sont d’application générale et leur application ne se limite pas aux cas où une rectification est sollicitée. Hôtels Fairmont et Jean Coutu ne peuvent faire l’objet d’une distinction sur le fondement de la réparation particulière demandée. Il est interdit aux contribuables de recourir à l’equity pour faire annuler, changer ou de quelque façon que soit modifier une opération conclue ou sa consignation par écrit afin d’éviter une obligation fiscale découlant de l’application ordinaire d’une loi fiscale.

                    Les principes formulés dans les arrêts Hôtels Fairmont et Jean Coutu sont inconciliables avec la conclusion tirée dans Pitt c. Holt selon laquelle l’equity peut remédier à une erreur fiscale. Cette conclusion contredit ces principes en préconisant la pertinence des conséquences fiscales lorsqu’il s’agit de décider si une partie à une disposition volontaire peut satisfaire au test relatif à l’annulation. En conséquence, les juridictions inférieures ont commis une erreur en se fondant sur l’arrêt Pitt c. Holt. Par ailleurs, le fait que le Parlement contraigne le ministre à établir une cotisation à l’égard d’un contribuable conformément aux faits et à la loi obligeait l’ARC à établir de nouvelles cotisations à l’égard des fiducies à la lumière de la décision rendue par la Cour de l’impôt. Le ministre était tenu d’appliquer la directive énoncée par le Parlement dans la Loi de l’impôt sur le revenu , suivant l’interprétation que lui avait donnée une cour de justice, tant et aussi longtemps que cette interprétation n’était pas jugée incorrecte par une juridiction supérieure. Il n’y a rien d’inéquitable dans le fait d’obliger les fiducies à s’acquitter de leurs obligations fiscales qui résultent de l’application ordinaire de la Loi de l’impôt sur le revenu  en ce qui a trait à des opérations librement entreprises.

                    La juge Côté (dissidente) : L’appel devrait être rejeté. L’annulation est, dans des circonstances très limitées, une réparation possible. On peut l’utiliser pour défaire des opérations ayant été entreprises sur le fondement d’une hypothèse erronée, et ce, même si, au final, le fait de la permettre dispenserait le contribuable du paiement d’impôts imprévus. Il y a désaccord avec les juges majoritaires qui estiment que les arrêts Hôtels Fairmont et Jean Coutu permettent de trancher la présente affaire. Bien qu’ils aient confirmé certains principes de droit fiscal, notamment le principe selon lequel les contribuables devraient être imposés en fonction de ce qu’ils ont fait, et non pas de ce qu’ils auraient souhaité faire, ainsi que le principe de l’inadmissibilité d’une planification fiscale rétroactive, ces arrêts ne sont pas déterminants en ce qui a trait à la possibilité d’une annulation dans le contexte fiscal. Ni l’arrêt Hôtels Fairmont ni l’arrêt Jean Coutu n’écarte, en principe, la possibilité d’accorder des réparations en equity dans un contexte fiscal. Ils ont tous deux clarifié le test de la rectification. Les arrêts Hôtels Fairmont et Jean Coutu permettent d’énoncer les principes suivants : si le contribuable ne satisfait pas au test de la réparation en equity, le tribunal n’a aucun pouvoir discrétionnaire pour accorder celle‐ci, même s’il se peut que le contribuable ait à payer des impôts alors que rien ne le laissait prévoir; si, cependant, le contribuable satisfait au test de la réparation en equity, le tribunal peut l’accorder, même si, en ce faisant, il dispenserait, dans les faits, le contribuable du paiement d’impôts imprévus; et une intention commune de limiter ou d’éviter une obligation fiscale n’est pas suffisamment précise pour écarter une entente antérieure existante dont les modalités sont déterminées et déterminables.

                    L’annulation et la rectification constituent des réparations différentes ayant toutes deux des objectifs différents, et, selon la nature de l’affaire, l’une peut justifier une réparation alors que l’autre ne le peut pas. La rectification exige une décision antérieure valide ayant été mal transcrite sur papier, et elle fait en sorte que l’instrument écrit reflète correctement l’entente des parties. L’annulation requiert une opération conclue sur le fondement d’une hypothèse erronée quant aux faits ou au droit. Elle permet au tribunal d’annuler rétroactivement l’opération, replaçant ainsi les parties dans la situation dans laquelle elles se trouvaient à l’origine.

                    L’annulation pour cause d’erreur est possible dans un contexte fiscal, mais ne devrait être accordée qu’en de rares circonstances. Le test établi dans Pitt c. Holt, l’arrêt de principe sur l’annulation en equity d’opérations unilatérales pour cause d’erreur, est compatible avec le droit canadien et devrait être adopté. Le tribunal peut annuler une disposition volontaire lorsqu’il y a une erreur causale manifeste et suffisamment grave qui exige une intervention en equity. Seule une erreur, et non pas la simple ignorance ou une prédiction inexacte, peut justifier l’annulation. Le test pour l’annulation est un test où les faits propres à chaque affaire sont évalués objectivement. Néanmoins, certains types d’erreur ne devraient pas donner ouverture à une réparation, par exemple lorsque le contribuable a accepté le risque qu’un plan se révèle inefficace ou lorsqu’il serait contraire à l’ordre public d’accorder la réparation. L’equity n’interviendra pas pour soustraire un contribuable aux conséquences d’un risque qui a été accepté sciemment ou par insouciance. En outre, le fait qu’une opération aurait constitué de l’évitement fiscal abusif, n’eût été l’erreur, pourrait empêcher l’annulation parce que lorsqu’un plan fiscal est agressif, le contribuable accepte le risque que le plan ne se réalise pas de la manière prévue. Toutefois, la prétendue moralité d’un plan demeure non pertinente et ce que constitue un plan fiscal agressif qui s’apparente à de l’évitement fiscal abusif devrait être interprété restrictivement. Les contribuables ne devraient pas se lancer dans des planifications fiscales audacieuses en se disant qu’il sera possible d’annuler leurs opérations en cas d’échec de ces planifications.

                    L’annulation est une réparation discrétionnaire. L’intervention d’une cour d’appel n’est justifiée que si la décision d’accorder l’annulation est manifestement injuste. Rien ne justifie une intervention en l’espèce. La croyance erronée des contribuables à l’égard du par. 75(2) était une erreur de droit, et non une prédiction inexacte quant à une modification du droit. L’annulation remédie à des erreurs relatives à la situation qui existait à l’époque de l’opération. L’injustice découlait du changement de position de l’ARC relativement à l’interprétation du par. 75(2) après le prononcé de la décision de la Cour de l’impôt, mais au moment où elle plaidait toujours devant la Cour d’appel fédérale que la Cour de l’impôt avait commis une erreur de droit. La décision discrétionnaire de l’ARC d’établir de nouvelles cotisations à l’égard des fiducies dans ces circonstances fait entrer la présente affaire dans la sphère de l’iniquité qui permet de faire intervenir l’equity; ni des raisons de principe ni l’acceptation du risque n’empêchent l’annulation en l’espèce.

                    Le plan des contribuables ne constituait pas de l’évitement fiscal abusif. Le plan n’avait pas pour but premier d’éviter le paiement de tout impôt. L’objectif du plan était de protéger l’actif contre les créanciers et de le faire d’une manière qui n’entraînait pas d’obligation fiscale, les deux aspects étant d’importance égale. De plus, le plan n’était pas agressif au moment où il a été entrepris puisque l’ARC n’aurait probablement pas contesté la position des contribuables avant la décision de la Cour de l’impôt. Il faut aussi faire preuve de déférence à l’égard de la conclusion du premier juge portant que les fiducies n’ont jamais accepté le risque que l’ARC revienne sur son interprétation des règles d’attribution. Le seul risque qu’elles ont accepté était l’application possible de la règle générale anti‐évitement.

                    Comme l’annulation est une réparation de dernier recours, elle ne peut être accordée que si aucune autre réparation ne peut l’être. Il ne suffit pas simplement qu’une autre réparation existe, cette dernière doit être pratique et appropriée. Aucun autre remède n’empêche l’annulation en l’espèce. Une demande de remise d’impôt au ministre vise l’obtention d’une réparation extraordinaire qui est accordée en de rares circonstances. Il est fort peu probable que le ministre recommande une telle remise en l’espèce. Une action intentée par les fiducies contre leurs conseillers fiscaux ne constituerait pas non plus un recours approprié, car l’avis fiscal était bon au moment où il a été donné et il est donc peu probable qu’une action pour négligence ait la moindre chance de succès.

Jurisprudence

Citée par le juge Brown

                    Arrêts appliqués : Canada (Procureur général) c. Hôtels Fairmont Inc., 2016 CSC 56, [2016] 2 R.C.S. 720; Groupe Jean Coutu (PJC) inc. c. Canada (Procureur général), 2016 CSC 55, [2016] 2 R.C.S. 670; Canada Life Insurance Co. of Canada c. Canada (Attorney General), 2018 ONCA 562, 141 O.R. (3d) 321; arrêts non suivis : Re Pallen Trust, 2015 BCCA 222, 385 D.L.R. (4th) 499; Pitt c. Holt, [2013] UKSC 26, [2013] 2 A.C. 108; arrêts examinés : Shell Canada Ltée c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 622; Sommerer c. La Reine, 2011 CCI 212, conf. par 2012 CAF 207, [2014] 1 R.C.F. 379; Harvest Operations Corp. c. Attorney General of Canada, 2017 ABCA 393, 61 Alta. L.R. (6th) 1; 771225 Ontario Inc. c. Bramco Holdings Co. (1995), 21 O.R. (3d) 739; arrêts mentionnés : Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601; Commissioners of Inland Revenue c. Duke of Westminster, [1936] A.C. 1; Canada c. Alta Energy Luxembourg S.A.R.L., 2021 CSC 49; Duha Printers (Western) Ltd. c. Canada, [1998] 1 R.C.S. 795; Neuman c. M.R.N., [1998] 1 R.C.S. 770; Re Slocock’s Will Trusts, [1979] 1 All E.R. 358; Harris c. Canada, [2000] 4 C.F. 37; Ludmer c. Canada, [1995] 2 C.F. 3; Longley c. Minister of National Revenue (1992), 66 B.C.L.R. (2d) 238; CIBC World Markets Inc. c. La Reine, 2012 CAF 3; Galway c. Ministre du Revenu national, [1974] 1 C.F. 600; Canada c. 984274 Alberta Inc., 2020 CAF 125, [2020] 4 R.C.F. 384.

Citée par la juge Côté (dissidente)

                    Canada (Procureur général) c. Hôtels Fairmont Inc., 2016 CSC 56, [2016] 2 R.C.S. 720; Groupe Jean Coutu (PJC) inc. c. Canada (Procureur général), 2016 CSC 55, [2016] 2 R.C.S. 670; Pitt c. Holt, [2013] UKSC 26, [2013] 2 A.C. 108; Canada (Attorney General) c. Juliar (2000), 50 O.R. (3d) 728; Re Slocock’s Will Trusts, [1979] 1 All E.R. 358; Guarantee Co. of North America c. Gordon Capital Corp., [1999] 3 R.C.S. 423; Abram Steamship Co. c. Westville Shipping Co., [1923] A.C. 773; Neville c. National Foundation for Christian Leadership, 2013 BCSC 183, conf. par 2014 BCCA 38, 350 B.C.A.C. 7; Canada c. Alta Energy Luxembourg S.A.R.L., 2021 CSC 49; Québec (Agence du revenu) c. Services Environnementaux AES inc., 2013 CSC 65, [2013] 3 R.C.S. 838; Shell Canada Ltée c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 622; Canada Life Insurance Co. of Canada c. Canada (Attorney General), 2018 ONCA 562, 141 O.R. (3d) 321; 5551928 Manitoba Ltd. c. Canada (Attorney General), 2019 BCCA 376, 439 D.L.R. (4th) 483, conf. 2018 BCSC 1482, [2018] 6 C.T.C. 186; Wilson c. Alharayeri, 2017 CSC 39, [2017] 1 R.C.S. 1037; Canada (Procureur général) c. Fontaine, 2017 CSC 47, [2017] 2 R.C.S. 205; Sommerer c. La Reine, 2011 CCI 212; Sommerer c. Canada, 2012 CAF 207, [2014] 1 R.C.F. 379; Re Pallen Trust, 2015 BCCA 222, 385 D.L.R. (4th) 499; 771225 Ontario Inc. c. Bramco Holdings Co. (1995), 21 O.R. (3d) 739; Mattabi Mines Ltd. c. Ontario (Ministre du Revenu), [1988] 2 R.C.S. 175; Fiducie financière Satoma c. La Reine, 2018 CAF 74, 2018 D.T.C. 5049; Fiducie financière Satoma c. La Reine, 2017 CCI 84, 2018 D.T.C. 1056; Re Pallen Trust, 2014 BCSC 305, [2014] 4 C.T.C. 129; Fink c. Canada (Procureur général), 2019 CAF 276; Escape Trailer Industries Inc. c. Canada (Procureur général), 2020 CAF 54; Meleca c. Canada (Procureur général), 2020 CF 1159.

Lois et règlements cités

Loi de l’impôt sur le revenu , L.R.C. 1985, c. 1 (5 e  suppl .), art. 12(1) j), 75(2) , 112(1) , 220(1) .

Loi sur la gestion des finances publiques , L.R.C. 1985, c. F‐11, art. 23 .

Doctrine et autres documents cités

Agence du revenu du Canada. Bulletin d’interprétation IT‐369R(CS), « Attribution du revenu provenant d’une fiducie à un auteur ou disposant », 24 juin 1994.

Agence du revenu du Canada. Guide de l’ARC sur les remises — Guide concernant les remises d’impôt sur le revenu, de TPS/TVH, de taxe d’accise, de droits d’accise et de TVF en vertu de la Loi sur la gestion des finances publiques, octobre 2014 (en ligne : https://v3.taxnetpro.com/).

Agioritis, T. John. « Is Rectification Still a Remedy? A Practical Overview », in Fondation canadienne de fiscalité, 2017 Prairie Provinces Tax Conference & Live Webcast, Toronto, Fondation canadienne de fiscalité, 2017.

Berryman, Jeffrey. The Law of Equitable Remedies, 2nd ed., Toronto, Irwin Law, 2013.

Davies, Paul S., and Simon Douglas. « Tax Mistakes Post‐Pitt v Holt » (2018), 32 T.L.I. 3.

Fitzsimmons, Timothy, and Elie S. Roth. « Rectification, Rescission, and Other Equitable Remedies After Fairmont Hotels Inc. », in Fondation canadienne de fiscalité, Report of Proceedings of the Sixty‐Ninth Tax Conference, Toronto, Fondation canadienne de fiscalité, 2018, 30:1.

Fridman, G. H. L. The Law of Contract in Canada, 6th ed., Toronto, Carswell, 2011.

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Pandher, Rami, and Britta Graversen. « Does Fairmont Hotels Eliminate All Equitable Remedies in the Tax Context? » (2018), 66 Rev. fisc. can. 931.

Seah, Weeliem. « Mispredictions, Mistakes and the Law of Unjust Enrichment » (2007), 15 R.L.R. 93.

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Swan, Angela, Jakub Adamski and Annie Y. Na. Canadian Contract Law, 4th ed., Toronto, LexisNexis, 2018.

Templeton, Saul. « A Defence of the Principled Approach to Tax Settlements » (2015), 38 Dal. L.J. 29.

                    POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de la Colombie‐Britannique (les juges Fisher, Griffin et DeWitt-Van Oosten), 2020 BCCA 196, [2021] 1 C.T.C. 153, 6 B.L.R. (6th) 170, 2020 D.T.C. 5062, 59 E.T.R. (4th) 1, 38 B.C.L.R. (6th) 1, 450 D.L.R. (4th) 447, [2021] 3 W.W.R. 377, [2020] B.C.J. No. 1110 (QL), 2020 CarswellBC 1700 (WL), qui a confirmé une décision du juge Giaschi, 2019 BCSC 1030, [2020] 1 C.T.C. 26, 94 B.L.R. (5th) 303, 2019 D.T.C. 5085, 48 E.T.R. (4th) 101, [2019] B.C.J. No. 1185 (QL), 2019 CarswellBC 1826 (WL). Pourvoi accueilli.

                    Michael Taylor et Dayna Anderson, pour l’appelant.

                    Joel A. Nitikman, c.r., et Jessica Fabbro, pour les intimées.

                   Version française du jugement du juge en chef Wagner et des juges Moldaver, Karakatsanis, Brown, Rowe, Martin, Kasirer et Jamal rendu par

 

                    Le juge Brown —

I.              Introduction et contexte

[1]                              Notre Cour a interdit l’accès à la rectification lorsqu’on cherche à réaliser une planification fiscale rétroactive (Canada (Procureur général) c. Hôtels Fairmont Inc., 2016 CSC 56, [2016] 2 R.C.S. 720, par. 3). Les contribuables devraient être imposés en fonction de ce qu’ils ont vraiment convenu de faire et fait, et non pas de ce qu’ils auraient pu faire ou de ce qu’ils ont plus tard souhaité avoir fait (Hôtels Fairmont, par. 23‐24, citant Shell Canada Ltée c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 622, par. 45). Le présent pourvoi soulève la question de savoir s’il est également interdit aux contribuables d’obtenir une autre réparation en equity ⸺ en l’espèce, l’annulation d’une série d’opérations ⸺ visant à éviter les conséquences fiscales négatives imprévues découlant de l’application ordinaire de la Loi de l’impôt sur le revenu , L.R.C. 1985, c. 1 (5 e  suppl .), à celles‐ci. Comme je l’explique plus loin, c’est le cas.

[2]                             En 2008, Todd Collins, un dirigeant de Rite‐Way Metals Ltd., et Floyd Cochran, un dirigeant de Harvard Industries Ltd., ont tous deux retenu les services de la même société de conseil fiscal pour que celle‐ci leur propose un plan visant à protéger l’actif de leur société contre les créanciers sans qu’il n’y ait d’impôt sur le revenu à payer. Les plans qui en ont résulté ont tiré avantage des règles d’attribution énoncées au par. 75(2) et de la possibilité de déduction de dividendes entre sociétés que prévoit le par. 112(1) de la Loi. Dans chaque cas, une société de portefeuille a été constituée pour l’achat d’actions d’une société d’exploitation, une fiducie familiale nommant la société de portefeuille à titre de bénéficiaire a été créée, et des fonds ont été prêtés à la fiducie pour l’achat d’actions de la société d’exploitation. Les sociétés d’exploitation ont payé des dividendes aux fiducies, lesquels ont été attribués aux sociétés de portefeuille en application du par. 75(2). Ces dernières ont pour leur part demandé, en vertu du par. 112(1) , une déduction à l’égard de ces dividendes. Cela a eu pour effet de transférer 510 000 $ de la société Rite‐Way à la fiducie familiale Collins, et 2 085 000 $ de la société Harvard à la fiducie familiale Cochran, et ce, sans que soit payé d’impôt sur le revenu.

[3]                             Les propositions reposaient en partie sur l’interprétation des dispositions publiée à l’époque par l’Agence du revenu du Canada (« ARC »).

[4]                             Cependant, en 2011, dans Sommerer c. La Reine, 2011 CCI 212, conf. par 2012 CAF 207, [2014] 1 R.C.F. 379, la Cour canadienne de l’impôt a conclu que les règles d’attribution prévues au par. 75(2) sont inapplicables lorsque les biens en question ont été vendus à une fiducie, plutôt que donnés ou affectés à celle‐ci. Par la suite, l’ARC a réévalué les déclarations de revenus des intimées, ce qui a mené à l’établissement d’avis de nouvelles cotisations imposant aux intimées une obligation fiscale à l’égard des dividendes. Les intimées s’y sont opposées, n’ont pas eu gain de cause, et ont ensuite intenté une poursuite pour annulation des opérations ayant mené au paiement de dividendes et pour annulation du paiement lui‐même.

[5]                              Le juge en cabinet a accordé l’annulation en se fondant sur l’arrêt Re Pallen Trust, 2015 BCCA 222, 385 D.L.R. (4th) 499, où la Cour d’appel de la Colombie‐Britannique, appliquant le test anglais relatif à l’annulation en equity énoncé dans Pitt c. Holt, [2013] UKSC 26, [2013] 2 A.C. 108, a confirmé une ordonnance annulant les mêmes types d’opérations sur le fondement d’une erreur quant à leurs conséquences fiscales (2019 BCSC 1030, [2020] 1 C.T.C. 26). Bien qu’il se soit dit préoccupé par le fait que les arrêts rendus par notre Cour dans Hôtels Fairmont et dans l’affaire connexe, Groupe Jean Coutu (PJC) inc. c. Canada (Procureur général), 2016 CSC 55, [2016] 2 R.C.S. 670, aient grandement miné l’arrêt Re Pallen Trust, le juge en cabinet s’est considéré lié par ce dernier. La Cour d’appel a confirmé sa décision, statuant qu’il n’avait pas commis d’erreur en appliquant Re Pallen Trust ou en exerçant le pouvoir discrétionnaire que lui confère l’equity (2020 BCCA 196, [2021] 1 C.T.C. 153). Les arrêts Hôtels Fairmont et Jean Coutu, a‐t‐elle affirmé, s’appliquent restrictivement afin d’empêcher la rectification; ni l’un ni l’autre ne permet d’empêcher largement l’octroi de toute réparation en equity dans les circonstances de l’espèce, ni ne mine la valeur jurisprudentielle de l’arrêt Pitt c. Holt.

[6]                             Le procureur général du Canada soulève les deux principaux moyens d’appel suivants : premièrement, les juridictions inférieures ont commis une erreur en adoptant le test de l’annulation en equity énoncé dans Pitt c. Holt, et, deuxièmement (et subsidiairement), si cet arrêt s’applique, elles ont commis une erreur dans son application.

[7]                              Il suffit en l’espèce d’accueillir le pourvoi sur le fondement du premier moyen invoqué. Pour les motifs qui suivent, un principe limitatif d’equity et, dans le même ordre d’idées, les principes de droit fiscal formulés dans les arrêts Hôtels Fairmont et Jean Coutu sont inconciliables avec la conclusion tirée dans Pitt c. Holt. L’equity n’a pas sa place en l’espèce, car il n’y a rien d’inique ou de par ailleurs inéquitable dans l’application d’une loi fiscale à des opérations librement entreprises. Il s’ensuit que l’interdiction d’une planification fiscale rétroactive, énoncée dans Hôtels Fairmont et Jean Coutu, devrait être interprétée largement et empêcher l’octroi de toute réparation en equity par laquelle une telle planification pourrait être réalisée, y compris une annulation.

II.           Analyse

A.           Annulation

[8]                              À mon humble avis, la Cour d’appel a commis une erreur en important le raisonnement suivi dans l’arrêt Pitt c. Holt. Sa conclusion selon laquelle l’equity peut remédier à une erreur fiscale est incompatible avec le droit interne; un principe limitatif d’equity et les principes de droit fiscal y font obstacle.

[9]                              Je vais d’abord me pencher sur un principe limitatif d’equity ⸺ en fait, la prémisse la plus fondamentale de ce domaine, qui se trouve dans ses origines. L’equity a été établie pour atténuer les résultats découlant [traduction] « [d’]une common law inflexible » qui commandaient la réparation comme question de « conscience » et de « plus grande équité » (J. Berryman, The Law of Equitable Remedies (2e éd. 2013), p. 2). Les principes d’equity [traduction] « ont avant tout une qualité morale distinctive, car ils reflètent la prévention d’une conduite inique » (I. C. F. Spry, The Principles of Equitable Remedies : Specific Performance, Injunctions, Rectification and Equitable Damages (9e éd. 2014), p. 1).

[10]                          Cette grande latitude dont disposent les tribunaux d’equity pour accorder une réparation définit également ses propres limites (d’où son appellation de principe « limitatif ») : les opérations qui ne commandent pas une réparation comme question de conscience ou d’équité sont à bon droit étrangères au domaine de l’equity. C’est ce qui ressort de certaines maximes d’equity, notamment celle portant que la personne qui invoque l’equity doit être [traduction] « sans reproche » et que « la personne qui sollicite l’equity doit agir selon les principes de l’equity » (Spry, p. 5‐6; Berryman, p. 16 et 18; Snell’s Equity (34e éd. 2020), par J. McGhee et S. Elliott, par. 5‐009 à 5‐010).

[11]                          La compétence en equity d’accorder une protection contre la fraude, l’influence indue et les opérations iniques est bien établie (McGhee et Elliott, par. 8‐001; voir aussi G. H. L. Fridman, The Law of Contract in Canada (6e éd. 2011), p. 762; M. McInnes, The Canadian Law of Unjust Enrichment and Restitution (2014), p. 1402). En général, le tribunal d’equity peut accorder une réparation quand il serait inique ou inéquitable de permettre que la common law s’applique en faveur de la partie qui sollicite l’exécution de la transaction. Cependant, il n’y a rien d’inique ou d’inéquitable dans l’application ordinaire de lois fiscales à des opérations librement convenues. Comme la Cour d’appel de l’Ontario l’a reconnu dans Canada Life Insurance Co. of Canada c. Canada (Attorney General), 2018 ONCA 562, 141 O.R. (3d) 321, par. 93, [traduction] « [i]l n’y a rien de contraire aux principes de l’equity dans le fait que [Canada‐Vie] soit imposée sur “ce qu’elle a fait” plutôt que sur ce qu’elle envisageait réaliser. » S’il doit y avoir une réparation, c’est au Parlement, et non à un tribunal d’equity, de l’accorder. Pour ce seul motif, on ne peut, à mon avis, considérer que les arrêts Pitt c. Holt et Re Pallen Trust énoncent le droit applicable en Colombie‐Britannique.

[12]                          Pour ce qui est des principes de droit fiscal, le régime fiscal canadien repose sur le principe énoncé dans l’arrêt Duke of Westminster selon lequel « le contribuable a le droit d’organiser ses affaires de façon à réduire au maximum l’impôt qu’il doit payer » (Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601, para. 11, citant Commissioners of Inland Revenue c. Duke of Westminster, [1936] A.C. 1 (H.L.), cité dans Canada c. Alta Energy Luxembourg S.A.R.L., 2021 CSC 49, par. 29; voir aussi Shell Canada, par. 46). Dans Shell Canada, la juge McLachlin (plus tard juge en chef) a expliqué que le rôle du tribunal consiste à « appliquer une disposition non équivoque de la Loi à une opération du contribuable » et non pas à procéder à « une nouvelle qualification des rapports juridiques véritables établis par le contribuable » (par. 39‐40). Les tribunaux « n’ont ni la légitimité constitutionnelle ni les ressources nécessaires pour établir de[s] politiques [fiscales] » (Alta Energy Luxembourg, para. 96, citant Trustco Canada, par. 41). Ainsi, sauf disposition contraire de la loi, les contribuables doivent être imposés conformément à l’application ordinaire de la loi fiscale applicable, en fonction de ce qu’ils ont vraiment convenu de faire, et non pas de ce qu’ils auraient pu faire (Shell Canada, par. 45, citant Duha Printers (Western) Ltd. c. Canada, [1998] 1 R.C.S. 795, par. 88; Neuman c. M.R.N., [1998] 1 R.C.S. 770, par. 63).

[13]                          Dans l’arrêt Shell Canada, ce principe s’est appliqué en faveur de la contribuable, en permettant à celle‐ci de déduire de son revenu imposable l’intérêt qu’elle avait effectivement payé pour avoir emprunté des dollars néo‐zélandais au titre de contrats d’achat de débentures, plutôt que celui au taux moins élevé qu’elle aurait payé si elle avait plutôt emprunté des dollars américains. En l’absence d’une opération constituant un « trompe‐l’œil », « les rapports juridiques établis par le contribuable doivent être respectés en matière fiscale » (Shell Canada, par. 39). Cependant, le principe s’applique également dans l’autre sens. La Cour a donc appliqué le principe de Shell Canada dans les arrêts Hôtels Fairmont et Jean Coutu en concluant que les instruments en cause dans ces affaires ne pouvaient pas être rectifiés (dans Hôtels Fairmont) ou encore interprétés ou rétroactivement modifiés (dans Jean Coutu) afin d’éviter une conséquence fiscale négative imprévue. Encore une fois, les rapports juridiques devaient être respectés même s’ils semblaient inconsidérés avec le recul. Si, après tout, les contribuables peuvent structurer leurs affaires afin de réduire leur impôt à payer, ils peuvent également être considérés comme ayant organisé leurs affaires de manière à augmenter cet impôt.

[14]                          C’est précisément ce qu’a fait remarquer la Cour dans l’arrêt Hôtels Fairmont. « Les conséquences fiscales », a‐t‐elle affirmé, « découlent directement d’ententes juridiques librement choisies, et non des effets recherchés ou non recherchés de ces ententes, peu importe que ce soit le contribuable ou le trésor public qui les subissent » (par. 24). Il s’agit de savoir, a‐t‐elle ajouté, ce que le contribuable a convenu de faire, et non pas si le contribuable ou l’ARC a tiré un « gain fortuit ».

[15]                          Cette remarque a été formulée avec encore plus de force dans l’arrêt Jean Coutu. Bien que ce pourvoi ait été tranché sur le fondement de l’art. 1425 du Code civil du Québec, les motifs de la décision ont été exprimés en termes généraux, énonçant les principes de droit fiscal généralement applicables qui militent contre la modification rétroactive d’ententes lorsqu’il en résulte des conséquences fiscales imprévues :

     Premièrement, en retenant la thèse de PJC Canada, la Cour se trouverait à ignorer le rapport juridique que cette dernière et PJC USA ont initialement convenu d’établir, et ont de fait établi, au profit des conséquences fiscales qu’elles cherchaient à produire. Or, cela aurait pour effet de compromettre l’un des principes fondamentaux de notre régime fiscal : soit que les conséquences fiscales découlent des rapports juridiques établis par les contribuables ou des transactions juridiques dont ils ont convenu. [. . .] À titre d’exemple, au par. 45 de l’arrêt Shell Canada, la Cour à l’unanimité a affirmé ce qui suit :

      Sauf disposition contraire de la Loi, le contribuable a le droit d’être imposé en fonction de ce qu’il a fait, et non de ce qu’il aurait pu faire et encore moins de ce qu’un contribuable moins habile aurait fait. [Souligné dans les motifs du juge Wagner.]

      De même, si les contribuables concluent et exécutent une entente qui entraîne des conséquences fiscales non souhaitées, ils doivent néanmoins être imposés en fonction de cette entente et non en fonction de ce qu’ils « auraient pu faire » pour produire les conséquences voulues s’ils avaient été mieux informés. Les conséquences fiscales ne découlent pas des motivations ou des objectifs fiscaux des parties contractantes.

     Deuxièmement, j’estime que permettre la modification des documents écrits dans le présent pourvoi reviendrait à consacrer une planification fiscale rétroactive. [Je souligne; par. 41‐42.]

[16]                          Des arrêts Hôtels Fairmont et Jean Coutu, pris ensemble, je dégage les principes interreliés suivants, lesquels sont pertinents pour permettre de trancher le présent pourvoi :

a)      Les conséquences fiscales ne découlent pas des motivations ou des objectifs des parties contractantes. Elles découlent plutôt des rapports juridiques librement choisis, tels qu’établis par leurs transactions (Jean Coutu, par. 41; Hôtels Fairmont, par. 24).

b)      Les contribuables ne devraient certes pas se voir refuser un objectif fiscal visé qu’ils devraient atteindre par l’application ordinaire d’une loi fiscale, mais cette proposition joue également dans l’autre sens : les contribuables ne devraient pas se voir conférer par les tribunaux un avantage que la même application ordinaire d’une loi leur refuse, uniquement sur la base de ce qu’ils auraient fait s’ils avaient su (Hôtels Fairmont, par. 23, citant Shell Canada, par. 45; Jean Coutu, par. 41).

c)      La question qui se pose ne concerne pas plus le « gain fortuit » du trésor public lorsqu’un contribuable perd un avantage qu’elle ne concerne le « gain fortuit » du contribuable lorsqu’il obtient un avantage. Il s’agit plutôt de savoir ce que le contribuable a convenu de faire (Hôtels Fairmont, par. 24).

d)      Le tribunal ne peut modifier un instrument simplement parce qu’une partie a découvert que son exécution fait naître une obligation fiscale préjudiciable et imprévue (Hôtels Fairmont, par. 3; Jean Coutu, par. 41).

[17]                          Il s’agit en l’espèce de savoir si ces principes sont d’application générale ou s’ils s’appliquent uniquement au rejet de demandes de rectification. Bien que la Cour d’appel ait limité leur application aux cas où une rectification était sollicitée, des arrêts rendus en Ontario et en Alberta ont considéré qu’ils étaient plus largement applicables.

[18]                          Dans l’affaire Canada Life, l’intimée Canada‐Vie et ses sociétés affiliées ont entrepris une série d’opérations en vue de réaliser une perte fiscale, de manière à compenser les gains de change non réalisés accumulés dans la même année. L’ARC a refusé la perte demandée et Canada‐Vie a sollicité une rectification (ou, subsidiairement, un exercice du [traduction] « pouvoir inhérent de soustraire rétroactivement les parties aux conséquences de leurs erreurs ») afin que soient annulées les opérations (par. 16). Le juge de première instance a accordé la rectification. En appel, les parties ont convenu que l’ordonnance ne pouvait être maintenue à la suite de l’arrêt Hôtels Fairmont, qui a été rendu après la décision du juge de première instance. Canada‐Vie a interjeté un appel incident pour demander une annulation, se fondant sur les arrêts Pitt c. Holt et Re Pallen Trust comme faisant [traduction] « autorité sur le fait que la réparation qu’est l’annulation en equity de dispositions volontaires est possible, même si l’objectif consiste à éviter des conséquences fiscales négatives non recherchées » (par. 36).

[19]                          [traduction] « Ce que [Canada‐Vie] sollicite », a affirmé la Cour d’appel en accueillant l’appel et en rejetant l’appel incident, « est le même type d’intervention, sous un nom différent, que la Cour suprême a examiné dans les arrêts Hôtels Fairmont et Jean Coutu » (par. 43), et a rejeté (par. 7). L’arrêt Hôtels Fairmont, a‐t‐elle déclaré, [traduction] « portait non seulement sur la possibilité d’une rectification », mais aussi sur « une planification fiscale rétroactive inadmissible » (par. 67) sous la forme d’une « “réécriture de l’histoire” [. . .] afin de corriger une erreur menant à une obligation fiscale imprévue » (par. 75). En conséquence, rien ne tourne autour de la question de savoir si la réparation sollicitée impliquait la modification des ententes elles‐mêmes, ou encore l’annulation d’une [traduction] « “erreur” [. . .] dans la structure de l’opération » (Canada Life, par. 74‐75).

[20]                          L’arrêt Canada Life s’est fondé à cet égard sur deux jugements de juridictions d’appel, le premier étant celui rendu par la Cour d’appel de l’Alberta dans Harvest Operations Corp. c. Attorney General of Canada, 2017 ABCA 393, 61 Alta. L.R. (6th) 1 (par. 80‐82). Dans cette affaire, la Cour d’appel, citant l’arrêt Hôtels Fairmont, a tout d’abord confirmé la décision de la juge de première instance de refuser la rectification de documents constatant des opérations d’acquisition d’actions et de réorganisation qui avaient mené à une obligation fiscale imprévue. L’appelante avait aussi fait valoir subsidiairement que [traduction] « les cours supérieures ont compétence en equity pour soustraire des personnes à l’incidence de leurs erreurs » (par. 73). La Cour d’appel a rejeté cet argument au motif qu’il tombait également sous le coup du précédent que constitue l’arrêt Hôtels Fairmont (par. 74‐75).

[21]                          L’arrêt Canada Life s’est appuyé également sur 771225 Ontario Inc. c. Bramco Holdings Co. (1995), 21 O.R. (3d) 739, où la Cour d’appel de l’Ontario a refusé de relever une contribuable d’une erreur de sorte que sa société a été tenue de verser des droits de cession immobilière, et où elle a affirmé ce qui suit : [traduction] « . . . les tribunaux ne voient pas d’un bon œil les tentatives de réécrire l’histoire afin d’obtenir un traitement fiscal plus favorable » (p. 742). Cette conclusion découlait du principe selon lequel l’impôt à payer repose sur ce qui a été vraiment convenu et fait, et non pas sur ce que, si l’on analyse la situation rétrospectivement, le contribuable aurait dû faire ou aurait souhaité avoir fait.

[22]                          Je souscris à la conclusion tirée dans l’arrêt Canada Life selon laquelle les arrêts Hôtels Fairmont et Jean Coutu empêchent les contribuables de recourir à l’equity pour faire annuler, changer ou de quelque façon que soit modifier une opération conclue ou sa consignation par écrit afin d’éviter une obligation fiscale découlant de l’application ordinaire d’une loi fiscale. Les énoncés de principe dans ces arrêts ⸺ à savoir que les conséquences fiscales découlent de rapports juridiques, que les obligations des contribuables devraient être régies par l’application ordinaire des lois fiscales et eu égard à ce que les contribuables ont convenu de faire, et que les instruments juridiques ne peuvent être modifiés simplement parce qu’ils ont entraîné une obligation fiscale préjudiciable ⸺ sont catégoriques et ne s’appliquent pas que dans les cas où une rectification est demandée. En clair, ces énoncés sont d’application générale et empêchent complètement l’octroi d’une réparation en equity quand une telle réparation est sollicitée pour éviter une obligation fiscale non recherchée qui découle de l’application ordinaire de lois fiscales à des opérations librement convenues. Hôtels Fairmont et Jean Coutu ne peuvent faire l’objet d’une distinction sur le fondement de la réparation particulière demandée. Bien qu’il puisse dans les cas qui s’y prêtent exercer sa compétence en equity pour accorder une réparation à l’égard d’erreurs, le tribunal ne peut tout simplement pas le faire pour atteindre l’objectif d’éviter une obligation fiscale non voulue.

[23]                          Ce qui précède ⸺ et, en particulier, l’affirmation selon laquelle les instruments juridiques ne peuvent être annulés ou autrement modifiés afin d’éviter une obligation fiscale découlant de l’application ordinaire d’une loi fiscale ⸺ répond à l’objection formulée par ma collègue la juge Côté aux par. 35‐39 de ses motifs. Elle affirme que le fait que l’arrêt Hôtels Fairmont ait entériné le résultat dans Re Slocock’s Will Trusts, [1979] 1 All E.R. 358 (Ch. D.), confirme, « en principe, la possibilité d’accorder des réparations en equity dans un contexte fiscal » (par. 39). Cependant, comme l’a expliqué notre Cour dans Hôtels Fairmont, la rectification dans Re Slocock’s Will Trusts a été accordée non pas pour éviter une obligation fiscale, mais parce que « l’acte tel que rédigé [. . .] ne consignait [. . .] pas entièrement les modalités de l’entente initiale entre les parties » (par. 21). En conséquence, la demanderesse dans Re Slocock’s Will Trusts a été imposée en fonction de ce qu’elle avait librement convenu de faire ⸺ exactement le même fondement que celui sur lequel j’affirme que les intimées devraient également être imposées.

B.            Pitt c. Holt

[24]                          Il découle de ce qui précède que la Cour d’appel a commis une erreur en se fondant sur la conclusion tirée dans l’arrêt Pitt c. Holt selon laquelle l’equity peut remédier à une erreur fiscale. Cela contredit les principes susmentionnés, en préconisant la pertinence des conséquences fiscales lorsqu’il s’agit de décider si une partie à une disposition volontaire peut satisfaire au test relatif à l’annulation ⸺ qui, pour sa part, exige [traduction] « une erreur causale suffisamment grave [. . .] soit en ce qui a trait à au caractère ou à la nature juridique d’une opération, soit en ce qui a trait à une question de fait ou de droit qui est fondamentale à l’opération » (par. 122; voir aussi par. 132). Cette divergence n’est pas surprenante, étant donné que le droit anglais ne comporte pas l’interdiction d’une planification fiscale rétroactive énoncée dans les arrêts Hôtels Fairmont et Jean Coutu, et s’applique dans un cadre législatif différent.

[25]                          La conclusion de l’arrêt Pitt c. Holt sur ce point ne tient pas compte non plus de notre droit qui, dans la présente affaire, obligeait le ministre du Revenu national à appliquer la Loi aux opérations. Par le par. 220(1) de la Loi, le Parlement a imposé au ministre l’obligation d’assurer (« [l]e ministre assure ») « l’application et l’exécution » de la Loi. Aucun pouvoir discrétionnaire n’est conféré au ministre ou à ses mandataires : « Ils sont tenus de [. . .] suivre [la Loi] d’une manière absolue comme d’ailleurs les contribuables sont obligés d’y obéir telle qu’elle est » (Harris c. Canada (C.A.), [2000] 4 C.F. 37 (C.A.), par. 36, citant Ludmer c. Canada, [1995] 2 C.F. 3 (C.A.); voir aussi Longley c. Minister of National Revenue (1992), 66 B.C.L.R. (2d) 238, par. 19). Indépendamment du fait qu’ils minent la directive donnée par le Parlement, des exercices incompatibles du pouvoir discrétionnaire par le ministre ou ses mandataires ont pour effet de créer une iniquité chez les contribuables (S. Templeton, « A Defence of the Principled Approach to Tax Settlements » (2015), 38 Dal. L.J. 29, p. 32). Dans un régime fiscal d’autocotisation comme celui que prévoit la Loi, les contribuables devraient être assurés que le ministre applique et exécute les mêmes règles de droit fiscal de la même façon pour tout le monde (p. 33‐34 et 68).

[26]                          En pratique, cela contraint le ministre à établir une cotisation à l’égard du contribuable conformément aux faits de l’affaire ⸺ en l’espèce, les opérations ⸺ et à la loi (CIBC World Markets Inc. c. La Reine, 2012 CAF 3, par. 16 et 20‐21 (CanLII), le juge Stratas; Galway c. Ministre du Revenu national, [1974] 1 C.F. 600 (C.A.), p. 602; Canada c. 984274 Alberta Inc., 2020 CAF 125, [2020] 4 R.C.F. 384, par. 52). Cela touche à l’observation des intimées et à la conclusion de ma collègue selon lesquelles ce qui a fait entrer la présente affaire dans la [traduction] « sphère de l’iniquité » est le fait que l’ARC, à la lumière de la décision rendue par la Cour de l’impôt dans Sommerer, a modifié son interprétation des dispositions et a établi de nouvelles cotisations, applicables rétroactivement, à l’égard des intimées (transcription, p. 59; voir aussi Re Pallen Trust, par. 9 et 56; motifs de la C.A., par. 30; motifs de la juge Côté, par. 80). Ma collègue met cela en doute en tant que mesure « discrétionnaire » de la part de l’ARC, et conclut qu’il y a une « iniquité » dans le fait que l’ARC ait, à la lumière de la décision rendue par la Cour de l’impôt, décidé d’établir de nouvelles cotisations à l’égard des intimées tout en faisant valoir simultanément devant la Cour d’appel fédérale que cette décision est erronée. Cependant, soit dit respectueusement, cela ne tient aucun compte du fait que le ministre était tenu d’appliquer la directive énoncée par le Parlement dans la Loi, suivant l’interprétation que lui avait donnée une cour de justice, tant et aussi longtemps que cette interprétation n’était pas jugée incorrecte par une juridiction supérieure. À moins qu’une loi ne lui confère le pouvoir de le faire, le ministre ne peut s’écarter de cette directive; un tribunal ne peut pas non plus miner celle‐ci en recourant à l’equity, car il n’y a rien d’inique ou d’inéquitable dans le fait que le ministre applique la Loi comme l’exige le Parlement. L’equity est la conscience de la common law, et non pas celle du Parlement.

[27]                          En bref, « l’iniquité » dont se plaignent les intimées résultait directement de l’application ordinaire de la Loi en ce qui a trait à des opérations librement entreprises. De plus, comme nous l’avons déjà vu, il n’y a rien d’inéquitable dans le fait d’obliger les intimées à s’acquitter de leurs obligations fiscales qui en résultent.

III.        Conclusion

[28]                          Je suis d’avis d’accueillir le pourvoi avec dépens en faveur du procureur général devant notre Cour et devant les juridictions inférieures. Les jugements de la Cour d’appel et du juge en cabinet sont infirmés et les requêtes des intimées sont rejetées.

                   Version française des motifs rendus par

 

                    La juge Côté —

I.               Aperçu

[29]                         J’ai pris connaissance des motifs de mon collègue le juge Brown. Je conviens avec lui que les arrêts Canada (Procureur général) c. Hôtels Fairmont Inc., 2016 CSC 56, [2016] 2 R.C.S. 720, et Groupe Jean Coutu (PJC) inc. c. Canada (Procureur général), 2016 CSC 55, [2016] 2 R.C.S. 670, confirment tous les deux certains principes directeurs de droit fiscal, notamment le principe selon lequel les contribuables devraient être imposés en fonction de ce qu’ils ont fait, et non pas de ce qu’ils auraient souhaité faire, ainsi que le principe de l’inadmissibilité d’une planification fiscale rétroactive.

[30]                         Cependant, contrairement à mon collègue, j’estime que les arrêts Fairmont et Jean Coutu ne permettent pas de trancher la présente affaire. Ces arrêts ne sont pas déterminants en ce qui a trait à la possibilité d’une annulation dans le contexte fiscal. Comme je l’explique ci‐après, l’annulation est, dans des circonstances très limitées, une réparation possible en droit canadien. On peut l’utiliser pour défaire des opérations ayant été entreprises sur le fondement d’une hypothèse erronée, et ce, même si, au final, le fait de la permettre dispenserait le contribuable du paiement d’impôts imprévus.

II.            Analyse

[31]                         J’examinerai d’abord les principes directeurs qui découlent des arrêts Fairmont et Jean Coutu et j’expliquerai pourquoi, à mon avis, ceux‐ci n’empêchent pas l’annulation dans le contexte fiscal. Ces principes et la possibilité d’accorder la réparation d’annulation peuvent coexister. Je me pencherai ensuite sur le test relatif à l’annulation et j’expliquerai comment le test établi dans l’arrêt Pitt c. Holt, [2013] UKSC 26, [2013] 2 A.C. 108, devrait être appliqué en droit canadien. Enfin, avant d’appliquer le cadre juridique aux faits de l’espèce, je commenterai brièvement trois sujets qui nécessitent d’être clarifiés.

A.           En droit fiscal canadien, les arrêts Fairmont et Jean Coutu n’empêchent pas l’annulation en vue de défaire des opérations librement et volontairement conclues

[32]                          En 2016, notre Cour a rendu des décisions dans deux affaires connexes de droit fiscal, Fairmont et Jean Coutu. Mon collègue, au nom des juges majoritaires dans le présent dossier, convient avec l’appelant que ces arrêts écartent la possibilité d’accorder des réparations en equity dans le contexte fiscal et qu’ils permettent donc de trancher le présent pourvoi. Avec égards et à mon avis, ni Fairmont ni Jean Coutu n’écarte, en principe, la possibilité d’accorder une réparation en equity dans le contexte fiscal, que ce soit l’annulation ou la rectification. Ces arrêts établissent plutôt des principes d’application générale qui sont compatibles avec la possibilité d’accorder la réparation d’annulation dans le contexte fiscal.

[33]                         Dans Fairmont, notre Cour a infirmé l’arrêt Canada (Attorney General) c. Juliar (2000), 50 O.R. (3d) 728, de la Cour d’appel de l’Ontario, au motif qu’il avait à tort « autorisé une planification fiscale rétroactive inadmissible » (par. 24). Dans Juliar, la Cour d’appel avait autorisé les parties à rectifier une entente librement conclue parce qu’elle avait entraîné des conséquences fiscales non souhaitées (Fairmont, par. 19); ce résultat représentait une rupture avec la jurisprudence de notre Cour et les principes fondamentaux régissant la rectification.

[34]                         Comme il a été expliqué dans les arrêts Fairmont et Jean Coutu, le tribunal ne peut rectifier un instrument simplement parce qu’avec le recul, on considère que l’instrument a fait naître une obligation fiscale préjudiciable et imprévue. Au contraire, la rectification n’est possible que si les conditions suivantes sont remplies : (i) il y avait une entente antérieure dont les modalités sont déterminées et déterminables; (ii) l’entente était en vigueur lors de la signature de l’instrument; (iii) l’instrument ne consigne pas correctement l’entente; (iv) l’instrument, s’il est rectifié, donnerait dûment effet à l’entente antérieure des parties (Fairmont, par. 38).

[35]                         Cependant, les juges majoritaires dans Fairmont n’ont pas dit que les réparations en equity — et la rectification plus précisément — ne pouvaient jamais être accordées dans un contexte fiscal. Ils ont plutôt simplement clarifié le test relatif à la rectification, soulignant qu’il « doit être appliqué dans un contexte fiscal exactement de la même manière que dans un contexte non fiscal » (Fairmont, par. 25). Cet arrêt n’a pas écarté l’application des réparations en equity dans un contexte fiscal. Comme l’ont fait remarquer A. Swan, J. Adamski et A. Y. Na, [traduction] « [l]’arrêt Hôtels Fairmont a eu pour effet de ramener ou de limiter la réparation que constitue la rectification à sa portée usuelle et adéquate » (Canadian Contract Law (4e éd. 2018), §8.404).

[36]                         L’arrêt Jean Coutu portait lui aussi sur la question de la rectification de documents qui avaient donné lieu à des conséquences fiscales non souhaitées, mais en application du Code civil du Québec. Dans cette affaire, Groupe Jean Coutu (PJC) inc., invoquant l’art. 1425 C.c.Q., cherchait à modifier des documents constatant une série d’opérations commerciales, dont l’objectif était la neutralité fiscale. Cependant, le plan, tel que mis en œuvre, n’a pas permis à Jean Coutu d’éviter une obligation fiscale. Les juges majoritaires ont refusé d’accorder la rectification demandée au motif que reconnaître qu’une intention générale de neutralité fiscale puisse justifier la modification avec effet rétroactif d’un contrat équivaudrait, dans les faits, à « une assurance générale [. . .] protégeant [. . .] des inattentions ou erreurs [. . .] dans la planification des transactions » (par. 42).

[37]                         Avec beaucoup d’égards, je suis d’avis que mon collègue élargit indûment la portée de ces arrêts. Ces deux décisions appuient le principe bien établi selon lequel les contribuables doivent être imposés en fonction de ce qu’ils ont convenu de faire, et non de ce qu’ils auraient dû faire. Tout comme la Cour d’appel, je suis d’avis que les principes découlant de ces arrêts ne sont pas nouveaux, mais

      [traduction] sont conformes à l’orientation donnée dans l’arrêt Shell Canada et à la jurisprudence antérieure, par exemple Re Slocock’s Will Trusts, [1979] 1 All E.R. 358 (Ch. D. Angl.) [. . .] Cette jurisprudence antérieure a confirmé que dans une demande de rectification, que ce soit dans le contexte fiscal ou non fiscal, l’examen est axé sur la question de savoir si l’entente ou le mécanisme antérieur, dont les modalités sont déterminées et déterminables, a été adéquatement consigné.

      (2020 BCCA 196, [2021] 1 C.T.C. 153, par. 50)

[38]                         Que l’on ne se méprenne pas, les juges majoritaires dans l’arrêt Fairmont ont en fait affirmé que des réparations en equity — même la rectification — sont possibles dans un contexte fiscal s’il est satisfait au test prescrit en equity. S’appuyant sur l’arrêt Re Slocock’s Will Trusts, et le citant avec approbation, ils ont fait observer que la possibilité d’accorder la rectification dans cette affaire avait « simplement confirmé que, pourvu que le mécanisme sous‐jacent au moyen duquel les parties avaient convenu de produire un résultat fiscal en particulier ait été omis ou consigné incorrectement, et pourvu que toutes les autres conditions d’octroi d’une rectification soient réunies, le tribunal conserve le pouvoir discrétionnaire d’accorder la rectification » (par. 21). En conséquence, le tribunal peut ordonner la rectification lorsque les conditions qui permettent d’accorder cette réparation sont remplies, et ce, même s’il en résulte des économies pour le contribuable. C’est d’ailleurs ce qui s’était produit dans Re Slocock’s Will Trusts, décision que les juges majoritaires dans Fairmont ont décrite avec approbation comme une affaire où le juge « a appliqué la doctrine de la rectification dans son sens ordinaire pour corriger une omission dans l’instrument consignant l’entente antérieure » (Fairmont, par. 21).

[39]                         Par conséquent, ni l’arrêt Fairmont ni l’arrêt Jean Coutu n’écarte, en principe, la possibilité d’accorder des réparations en equity dans un contexte fiscal. Ces deux arrêts ont clarifié le test de la rectification. Dans Fairmont, les juges majoritaires ont souligné que « la rectification se fait uniquement dans les cas où un instrument écrit a consigné incorrectement l’entente antérieure entre les parties » (par. 13) et que, à la lumière des faits de cette affaire, la partie qui demandait la rectification « n’[avait] pu démontrer qu’ell[e] avai[t] conclu une entente antérieure dont les modalités étaient déterminées et déterminables » (par. 39). De même, dans Jean Coutu, rendu dans un contexte de droit civil, les juges majoritaires ont statué qu’en application de l’art. 1425 C.c.Q., une intention générale de neutralité fiscale, non liée à des obligations aux objets déterminés ou déterminables, ne peut, à elle seule, donner lieu à une intention commune qui serait partie intégrante du contrat original, et ainsi permettre les modifications demandées.

[40]                         De plus, bien que les arrêts Fairmont et Jean Coutu aient clarifié les circonstances dans lesquelles la réparation de rectification peut être accordée, ni l’un ni l’autre ne porte particulièrement sur la possibilité de l’annulation. C’est le consensus chez les auteurs de doctrine également. Par exemple, T. Fitzsimmons et E. S. Roth expliquent que

      [traduction] [l]es juges majoritaires de la Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Fairmont, n’ont pas fait mention de l’annulation et n’ont pas déterminé (ni même commenté) les circonstances dans lesquelles cette réparation peut ou devrait être accordée. Bien que la rectification et l’annulation se chevauchent sur le plan théorique — et possèdent des assises communes sur le plan de la preuve —, il s’agit de réparations en equity autonomes et distinctes. À la lumière des motifs de la cour, la possibilité d’accorder l’annulation en tant que réparation en equity ne paraît pas avoir été affectée par l’arrêt Fairmont.

      (« Rectification, Rescission, and Other Equitable Remedies After Fairmont Hotels Inc. », dans Fondation canadienne de fiscalité, Report of Proceedings of the Sixty‐Ninth Tax Conference (2018), 30:1, p. 30:34; voir aussi T. J. Agioritis, « Is Rectification Still a Remedy? A Practical Overview », dans Fondation canadienne de fiscalité, 2017 Prairie Provinces Tax Conference & Live Webcast (2017); R. Pandher et B. Graversen, « Does Fairmont Hotels Eliminate All Equitable Remedies in the Tax Context? » (2018), 66 Rev. fisc. can. 931, p. 940.)

[41]                         Annulation et rectification ne doivent pas être confondues. Comme l’écrivent Pandher et Graversen, [traduction] « [d]ans le contexte fiscal, les réparations en equity ne peuvent pas être toutes mises dans le même panier » (p. 940). L’annulation et la rectification constituent deux réparations différentes ayant toutes deux des objectifs différents. Elles [traduction] « ne sont pas simplement deux routes menant au même endroit » (m.i., par. 40). Par conséquent, selon la nature de l’affaire, l’une peut justifier une réparation alors que l’autre ne le peut pas.

[42]                         La rectification exige qu’il y ait eu une décision antérieure valide en vue d’exécuter une opération en particulier, laquelle a été mal transcrite sur papier. Cette réparation repose sur la prémisse selon laquelle il serait inéquitable de considérer une personne liée par une opération à laquelle elle n’a jamais donné son accord (Swan, Adamski et Na, §8.406). L’annulation, pour sa part, remédie à une erreur. Elle présuppose que l’opération a été transcrite correctement, mais qu’elle a été conclue sur le fondement d’une hypothèse erronée quant aux faits ou au droit. Si elle est accordée, l’annulation [traduction] « ramène les parties au statu quo antérieur et les remet dans la situation où elles se trouvaient avant la conclusion du contrat » (Guarantee Co. of North America c. Gordon Capital Corp., [1999] 3 R.C.S. 423, par. 39 (je souligne), citant Abram Steamship Co. c. Westville Shipping Co., [1923] A.C. 773 (H.L.), p. 781; voir aussi Snell’s Equity (34e éd. 2020), par J. McGhee et S. Elliott, par. 15‐001). Autrement dit, la rectification vise à s’assurer que l’instrument écrit reflète correctement l’entente antérieure des parties, alors que l’annulation permet au tribunal d’annuler rétroactivement une opération conclue par erreur, replaçant ainsi les parties dans la situation dans laquelle elles se trouvaient à l’origine.

[43]                         En somme, les arrêts Fairmont et Jean Coutu permettent d’énoncer les principes suivants :

a)   Si le contribuable ne satisfait pas au test de la réparation en equity, le tribunal n’a aucun pouvoir discrétionnaire pour accorder celle‐ci, même s’il se peut que le contribuable ait à payer des impôts alors que rien ne le laissait prévoir, sans qu’il y soit pour quelque chose (Fairmont, par. 13 et 39; Jean Coutu, par. 23).

b)   Si le contribuable satisfait au test de la réparation en equity, le tribunal peut l’accorder, même si, en ce faisant, il dispenserait, dans les faits, le contribuable du paiement d’impôts imprévus (Fairmont, par. 21‐22; Jean Coutu, par. 24).

c)   Une intention commune de limiter ou d’éviter une obligation fiscale n’est pas suffisamment précise pour écarter une entente antérieure existante dont les modalités sont déterminées et déterminables (Fairmont, par. 39‐40; Jean Coutu, par. 23 et 50).

Contrairement à ce qu’a conclu mon collègue, les arrêts Fairmont et Jean Coutu ne sauraient être interprétés comme écartant possiblement l’application de toute réparation en equity dans un contexte de droit fiscal.

B.            Annulation pour cause d’erreur en cas de disposition volontaire de biens

[44]                         Pitt c. Holt, une décision rendue en 2013 par la Cour suprême du Royaume‐Uni, constitue l’arrêt de principe sur l’annulation en equity d’opérations unilatérales pour cause d’erreur. Mon collègue affirme que le test de l’annulation en equity énoncé dans l’arrêt Pitt c. Holt ne peut être adopté au Canada étant donné qu’il a pour effet de considérer que les conséquences fiscales sont pertinentes lorsqu’il s’agit de décider si une partie à une disposition volontaire de biens peut satisfaire au test de l’annulation (par. 24). Avec égards, je ne suis pas d’accord.

[45]                         Conformément aux principes énoncés précédemment, si le contribuable ne satisfait pas au test de la réparation en equity, le tribunal n’a aucun pouvoir discrétionnaire pour accorder celle‐ci, même s’il se peut que le contribuable ait à payer des impôts alors que rien ne le laissait prévoir, sans qu’il y soit pour quelque chose. Cependant, si le contribuable satisfait au test de la réparation en equity, le tribunal peut l’accorder, même si, en ce faisant, il dispenserait, dans les faits, le contribuable du paiement d’impôts imprévus (m.i., par. 8). En conséquence, le test établi par lord Walker dans l’arrêt Pitt c. Holt est compatible avec le droit canadien et devrait être adopté par notre Cour.

(1)           Le test de l’annulation pour cause d’erreur en cas de disposition volontaire de biens

[46]                         Le tribunal peut annuler une disposition volontaire lorsqu’il y a [traduction] « une erreur causale manifeste et suffisamment grave qui exig[e] une intervention en equity » (A. H. Oosterhoff, « Causative Mistake of Sufficient Gravity, or Retroactive Tax Planning? A Comment on Re Pallen Trust » (2016), 35 E.T.P.J. 135, p. 144). De plus, [traduction] « le test ne sera normalement respecté que s’il y a erreur soit en ce qui a trait au caractère ou à la nature juridique d’une opération, soit en ce qui a trait à une question de fait ou de droit qui est fondamentale à l’opération » (Pitt c. Holt, par. 122).

[47]                         Le test pour l’annulation ne comporte pas un ensemble strict de règles. Il s’agit plutôt d’une approche où les faits propres à chaque affaire sont évalués objectivement de manière holistique, comme il est expliqué dans l’arrêt Pitt c. Holt :

     [traduction] L’évaluation de ce qui est ou de ce qui serait inique doit être objective . . .

     La gravité de l’erreur doit être appréciée en fonction d’un examen attentif des faits, qu’ils soient ou non vérifiés en contre‐interrogatoire, y compris les circonstances de l’erreur et ses conséquences sur l’auteur de la disposition viciée. Il faudra peut‐être aussi tirer d’autres conclusions de fait en lien avec le changement de position ou d’autres questions ayant trait à l’exercice du pouvoir discrétionnaire du tribunal . . .

      . . .

      Le caractère injuste (ou encore inéquitable ou inique) de laisser non corrigée une disposition faite par erreur doit être évalué objectivement, mais en portant une attention particulière [. . .] aux faits de l’espèce . . .

      . . .

     . . . Le tribunal ne peut trancher la question de savoir ce qui est inique au moyen d’un ensemble détaillé de règles. Il doit examiner de manière holistique l’existence d’une erreur précise (par opposition à l’ignorance totale ou à des attentes déçues), son degré d’importance quant à l’opération en question et la gravité de ses conséquences. Il doit rendre un jugement évaluatif sur la question de savoir s’il serait inique, ou injuste, de laisser l’erreur non corrigée. Le tribunal peut, et doit, juger de la justice de l’affaire. [par. 125‐126 et 128]

[48]                         Néanmoins, dans l’arrêt Pitt c. Holt, lord Walker a affirmé, et je suis d’accord avec lui, qu’il [traduction] « existe certains types d’erreur en matière fiscale qui ne devraient pas donner ouverture à une réparation » (par. 132). L’annulation pour cause d’erreur ne devrait pas être accordée lorsque le contribuable a accepté le risque que le plan se révèle inefficace ou lorsqu’il serait contraire à l’ordre public d’accorder la réparation.

[49]                         Je prends le temps de souligner que seule une erreur, et non pas la simple ignorance ou une [traduction] « prédiction inexacte », peut justifier l’annulation (Pitt c. Holt, par. 104). Comme l’a expliqué lord Walker, [traduction] « [l]a prédiction inexacte se rapporte à une éventualité, alors que l’erreur importante sur le plan juridique se rapporte normalement à une question de fait ou de droit passée ou actuelle » (par. 109). Autrement dit, la prédiction inexacte est une croyance qui se révèle fausse par la suite, alors que l’erreur est une croyance qui est fausse au moment de l’opération (W. Seah, « Mispredictions, Mistakes and the Law of Unjust Enrichment » (2007), 15 R.L.R. 93, p. 100). De même, on ne saurait qualifier d’erreur l’ignorance ou le manque d’attention d’un contribuable, car cela serait incompatible avec la nature de notre régime fiscal, caractérisée par l’autodéclaration et l’autocotisation.

[50]                         En fin de compte, l’equity n’interviendra pas pour soustraire un contribuable aux conséquences d’un risque qui a été accepté sciemment ou par insouciance. Le contribuable qui est pleinement conscient des issues fiscales liées à une opération qui sont susceptibles de se poser, ou qui donne suite à un plan fiscal de manière insouciante ou ignorante, accepte généralement le risque de se tromper et d’avoir à payer de l’impôt.

[51]                         Par exemple, dans Neville c. National Foundation for Christian Leadership, 2013 BCSC 183, conf. par 2014 BCCA 38, 350 B.C.A.C. 7, M. Neville avait fait un don à une fondation, étant entendu que la fondation « pourrait » utiliser l’argent, en totalité ou en partie, pour verser une bourse à sa fille. Avant que M. Neville fasse le don, la fondation l’avait averti de la possibilité que l’Agence du revenu du Canada (« ARC ») n’accepte pas le reçu officiel comme faisant preuve d’un don valide et que le plan était « risqué ». Cette affaire est un exemple patent d’acceptation du risque. Monsieur Neville était conscient du risque que l’ARC refuse le crédit l’impôt qu’il réclamait et acceptait celui‐ci; il n’y avait eu aucune erreur et il ne lui était pas possible d’obtenir l’annulation.

[52]                         En outre, une opération qui aurait constitué de l’évitement fiscal abusif n’eût été l’erreur pourrait être une considération à prendre en compte dans l’analyse holistique et empêcher l’annulation. Il s’agirait d’un élément important dans l’analyse globale, car cela mettrait en évidence le risque que le contribuable a accepté et aiderait à déterminer s’il y a lieu de faire intervenir l’equity. Lorsqu’un plan fiscal est « agressif », le contribuable accepte le risque que le plan ne se réalise pas de la manière prévue. Cela milite contre la possibilité de l’annulation.

[53]                         Toutefois, la prétendue moralité d’un plan demeure non pertinente. Comme notre Cour l’a réaffirmé récemment dans Canada c. Alta Energy Luxembourg S.A.R.L., 2021 CSC 49, il importe d’établir une distinction entre ce qui est immoral et ce qui est abusif : « Le contribuable a le droit de réduire son obligation fiscale dans les limites permises par la loi et de se montrer “ingénieux” dans la planification d’un évitement fiscal, dans la mesure où l’opération ne constitue pas un abus au sens de la [règle générale anti‐évitement (« RGAÉ »)] » (par. 48). Par conséquent, plutôt que d’insister sur la prétendue moralité du contribuable qui organise ses affaires à l’intérieur des limites acceptables de la loi, il faudrait mettre l’accent sur le risque que ce dernier a accepté.

[54]                         Il peut être difficile d’établir ce que constitue un plan fiscal « agressif » qui s’apparente à de l’évitement fiscal abusif. En conséquence, ce concept devrait être interprété restrictivement :

      [traduction] Bien que le tribunal puisse être réticent à accorder au contribuable l’annulation en guise de réparation à l’égard de sa propre planification fiscale « agressive », cette limitation devrait être interprétée de façon restrictive. On peut s’attendre à ce que les tribunaux reconnaissent le principe de longue date selon lequel les contribuables peuvent structurer leurs affaires de façon à atténuer leur fardeau fiscal, mais une structuration qui est inadmissible peut être l’objet de la RGAÉ. [. . .] Il y aura souvent un certain degré d’incertitude en ce qui concerne les résultats d’une structuration fiscale, et il ne serait pas raisonnable que le juge évoque un spectre théorique de comportements inappropriés, mais légaux, servant à évaluer la question de savoir s’il y a lieu d’accorder une réparation en equity, à moins que l’opération n’ait été attaquée par l’entremise de la RGAÉ comme raison principale à la cotisation.

      (J. Sorensen et A. Yuk, « Equitable Rescission for Tax Mistakes : It’s Not Over (Until it’s Over) » (2020), 68 Rev. fisc. can. 1149, p. 1156).

[55]                         En résumé, pour que l’annulation puisse être accordée, il faut que l’erreur soit suffisamment grave. L’annulation pourra être accordée dans tous les cas où ne pas le faire entraînerait une iniquité ou une injustice (P. S. Davies et S. Douglas, « Tax Mistakes Post‐Pitt v Holt » (2018), 32 T.L.I. 3).

[56]                         Conformément à l’approche adoptée par notre Cour dans les arrêts Fairmont et Jean Coutu, l’annulation pour cause d’erreur est une réparation possible dans un contexte fiscal, tout comme elle l’est dans un contexte non fiscal. Cela étant dit, l’annulation fondée sur une erreur qui se rapporte uniquement aux conséquences fiscales d’une opération ne devrait être accordée qu’en de rares circonstances. Il en est ainsi parce que, comme l’a affirmé le juge LeBel dans Québec (Agence du revenu) c. Services Environnementaux AES inc., 2013 CSC 65, [2013] 3 R.C.S. 838, « les contribuables ne devraient pas interpréter cette reconnaissance [. . .] comme une invitation à se lancer dans des planifications fiscales audacieuses, en se disant qu’il leur sera toujours possible [d’annuler] leurs [opérations] rétroactivement en cas d’échec de ces planifications » (par. 54; Fairmont, par. 82; Jean Coutu, par. 21).

[57]                         De même, dans Shell Canada Ltée c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 622, par. 45, notre Cour a affirmé que le contribuable devait s’attendre à être imposé « en fonction de ce qu’il a fait, et non de ce qu’il aurait pu faire ». Comme les juges majoritaires de la Cour l’ont expliqué dans l’arrêt Fairmont, tout comme les contribuables ne devraient pas se voir privés d’un avantage parce que d’autres ne se sont pas prévalus du même avantage, « les contribuables ne devraient pas se voir accorder un avantage par les tribunaux uniquement sur la base de ce qu’ils auraient fait s’ils avaient su » (par. 23). Bien que ce principe n’écarte pas la possibilité de l’annulation dans un contexte fiscal, l’arrêt Shell souligne également le fait que l’annulation est une réparation qui ne peut être accordée qu’en de rares circonstances, soit lorsque l’equity l’exige.

(2)      Autres réparations

[58]                         Enfin, l’annulation est une réparation « de dernier recours ». Elle ne peut être accordée que si aucune autre réparation ne peut l’être, même si une partie satisfait au test.

[59]                         Il existe deux approches divergentes en ce qui concerne l’appréciation de la possibilité d’accorder d’autres réparations. Dans Canada Life Insurance Co. of Canada c. Canada (Attorney General), 2018 ONCA 562, 141 O.R. (3d) 321, la Cour d’appel de l’Ontario a statué que la simple existence en droit d’une réparation justifie de refuser la réparation en equity. La cour a formulé la question comme étant celle de savoir non pas si une autre réparation pourrait être accordée, mais simplement s’il existe une réparation en droit. De son côté, la Cour d’appel de la Colombie‐Britannique a exprimé le point de vue contraire dans 5551928 Manitoba Ltd. c. Canada (Attorney General), 2019 BCCA 376, 439 D.L.R. (4th) 483 : elle a statué que lorsque le tribunal doit décider s’il y a lieu d’accorder une réparation en equity, il ne suffit pas simplement qu’une autre réparation existe. Le tribunal doit, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, se demander si l’autre réparation est pratique ou appropriée.

[60]                         La seconde approche devrait être adoptée. La simple possibilité théorique d’une autre réparation, alors qu’il n’y a aucune preuve quant à la façon dont elle pourrait s’appliquer en pratique, est insuffisante pour écarter la compétence judiciaire en equity d’accorder l’annulation. L’autre réparation doit être en mesure de remplacer celle demandée. Dans 5551928 Manitoba Ltd., une affaire portant sur la rectification, la juge Newbury a cité, à bon droit, un commentaire de Snell’s Equity selon lequel [traduction] « la rectification ne sera pas ordonnée si le résultat souhaité peut être commodément obtenu par d’autres moyens » (par. 40‐41 (souligné dans l’original), citant Snell’s Equity (31e éd. 2005), par. 43‐04). Elle a poursuivi en affirmant [traduction] « doute[r] que l’equity impose à une partie [. . .] une “autre solution” qui n’est ni pratique ni certaine » (par. 41).

C.            Observations additionnelles

[61]                         Avant d’appliquer le test de l’annulation aux faits en l’espèce, je tiens à commenter trois éléments que soulève le présent pourvoi.

(1)           Norme de contrôle

[62]                         L’annulation est une réparation en equity qui peut être accordée à titre discrétionnaire. Il est de jurisprudence constante que les décisions discrétionnaires appellent généralement la déférence. Si n’y a pas d’erreur manifeste et déterminante, il faut faire preuve de déférence envers les conclusions de fait. En l’absence d’une erreur de droit, de principes erronés ou de considérations non pertinentes, l’exercice du pouvoir discrétionnaire par le juge de première instance commande la déférence (Wilson c. Alharayeri, 2017 CSC 39, [2017] 1 R.C.S. 1037, par. 59). Par conséquent, si le juge de première instance « a accordé suffisamment d’importance à toutes les considérations pertinentes et que l’exercice de son pouvoir discrétionnaire n’est pas fondé sur un principe erroné, les tribunaux chargés du contrôle en appel doivent en général faire preuve de déférence » (Canada (Procureur général) c. Fontaine, 2017 CSC 47, [2017] 2 R.C.S. 205, par. 36). En l’absence d’une telle erreur, l’intervention d’une cour d’appel n’est justifiée que si la décision est manifestement injuste.

(2)      Sommerer c. La Reine

[63]                         En 2012, la Cour d’appel fédérale a confirmé la décision Sommerer c. La Reine, 2011 CCI 212, dans laquelle la Cour canadienne de l’impôt avait interprété de façon restrictive le par. 75(2)  de la Loi de l’impôt sur le revenu , L.R.C. 1985, c. 1 (5 e  suppl .) (« LIR  ») (Sommerer c. Canada, 2012 CAF 207, [2014] 1 R.C.F. 379).

[64]                         Le paragraphe 75(2)  de la LIR  énonce ce qui suit :

      75 (2) Si une fiducie résidant au Canada, qui a été créée de quelque façon que ce soit depuis 1934, détient des biens à condition :

a) soit que ces derniers ou des biens qui leur sont substitués puissent :

(i) ou bien revenir à la personne dont les biens ou les biens qui leur sont substitués ont été reçus directement ou indirectement (appelée « la personne » au présent paragraphe),

      (ii) ou bien être transportés à des personnes devant être désignées par la personne après la création de la fiducie;

b) soit que, pendant l’existence de la personne, il ne soit disposé des biens qu’avec son consentement ou suivant ses instructions,

      tout revenu ou toute perte résultant des biens ou de biens y substitués, ou tout gain en capital imposable ou toute perte en capital déductible provenant de la disposition des biens ou de biens y substitués, est réputé, durant l’existence de la personne et pendant qu’elle réside au Canada, être un revenu ou une perte, selon le cas, ou un gain en capital imposable ou une perte en capital déductible, selon le cas, de la personne.

[65]                         Avant Sommerer, il était généralement compris dans le milieu fiscal —l’ARC partageant ce point de vue également — que le par. 75(2)  s’appliquait tant à une vente d’actions qu’à un don d’actions. Dans l’affaire Sommerer, l’ARC, invoquant son Bulletin d’interprétation IT‐369R(CS), « Attribution du revenu provenant d’une fiducie à un auteur ou disposant » (24 juin 1994), soutenait que le par. 75(2)  s’appliquait à la fois aux actions vendues et aux actions données : une personne autre que le disposant pouvait transférer des biens à une fiducie et devenir assujettie aux règles d’attribution. L’ARC a soutenu cette thèse dans ses observations devant la Cour de l’impôt et devant la Cour d’appel fédérale. À la Cour de l’impôt, le juge Miller a statué que l’interprétation de l’ARC était erronée. Il a conclu que la « personne » visée au par. 75(2)  devait être le disposant de la fiducie. Par conséquent, une personne autre que le disposant ne pouvait transférer des biens à une fiducie et devenir assujettie aux règles d’attribution prévues au par. 75(2) . L’ARC a porté en appel cette décision et a maintenu sa position devant la Cour d’appel fédérale, faisant valoir que le juge de première instance avait commis une erreur dans son interprétation du par. 75(2)  : une interprétation textuelle, contextuelle et téléologique de la disposition appuyait la thèse selon laquelle la disposition s’appliquait tant aux actions vendues qu’aux actions données.

[66]                         Cependant, la Cour d’appel fédérale a confirmé la décision du juge Miller, concluant que la « personne » définie au sous‐al. 75(2)a)(i) de la LIR  devait être le disposant de la fiducie, et que les règles d’attribution ne s’appliquaient donc pas lorsque les biens en question étaient vendus à une fiducie, plutôt que donnés à la fiducie ou affectés à celle‐ci. La cour s’est dite en désaccord avec le point de vue préconisé de longue date par l’ARC, soit qu’une personne autre que le disposant pouvait transférer des biens à une fiducie et devenir assujettie aux règles d’attribution prévues au par. 75(2) .

(3)           Re Pallen Trust

[67]                         En 2015, la Cour d’appel de la Colombie‐Britannique a rendu l’arrêt Re Pallen Trust, 2015 BCCA 222, 385 D.L.R. (4th) 499. Les faits de l’affaire Pallen et ceux du présent cas sont presque identiques. En effet, comme l’a souligné la Cour suprême de la Colombie‐Britannique dans ses motifs en l’espèce, [traduction] « à l’exception des noms, les sections du plan [de réorganisation] citées dans les jugements du juge de première instance et de la Cour d’appel dans Pallen sont identiques aux propositions [. . .] en ce qui concerne les fiducies familiales Collins et Cochran » (2019 BCSC 1030, [2020] 1 C.T.C. 26, par. 38).

[68]                          Dans Pallen, la Cour d’appel a examiné des précédents — tels que l’arrêt 771225 Ontario Inc. c. Bramco Holdings Co. (1995), 21 O.R. (3d) 739, auquel mon collègue fait référence — qui font état d’un principe d’ordre public selon lequel [traduction] « il ne faut pas encourager les contribuables à se livrer à de la planification agressive et, lorsque celle‐ci s’avère infructueuse, à invoquer l’“erreur” pour obtenir l’annulation en equity » (Pallen, par. 52). L’annulation a néanmoins été accordée eu égard aux faits particuliers de l’affaire.

[69]                          À la lumière des motifs exposés ci‐dessus, un fait demeure : les arrêts Fairmont et Jean Coutu n’ont pas rendu le résultat dans Pallen erroné. Non seulement je souscris à la conclusion de la Cour d’appel en l’espèce selon laquelle Pallen est demeuré applicable en Colombie‐Britannique à la suite de Fairmont et Jean Coutu, mais je conclus en outre que cet arrêt a été décidé correctement. L’annulation [traduction] « pourra être accordée si toutes les conditions qui [la] permettent [. . .] sont remplies, même s’il en résulte un avantage fiscal » (motifs de la C.A., par. 55). J’examinerai l’arrêt Pallen de façon plus détaillée dans l’application du droit aux faits, tâche que j’aborde maintenant.

III.         Application

[70]                          Comme je l’explique, le juge de première instance en l’espèce n’a pas commis d’erreur en accordant l’annulation et la Cour d’appel a eu raison de confirmer sa décision. En effet, je suis d’avis que rien ne justifie l’intervention d’une cour d’appel à l’égard de l’exercice du pouvoir discrétionnaire du juge de première instance.

A.           Les intimées ont fait une erreur, et non pas une prédiction inexacte

[71]                          Comme je l’ai expliqué, l’annulation répare uniquement une erreur de droit et non pas la simple ignorance ou une prédiction inexacte. Par conséquent, la première question à trancher est de savoir si les intimées ont fait une erreur plutôt qu’une prédiction inexacte. Si l’interprétation du par. 75(2)  dans Sommerer était réputée avoir modifié le droit, la croyance des intimées aurait constitué une prédiction inexacte, parce qu’elles n’auraient pas prévu que le droit puisse être modifié par une décision judiciaire subséquente. Je conclus que la croyance erronée des intimées à l’égard du par. 75(2)  de la LIR  était une erreur de droit, et non une prédiction inexacte quant à une modification du droit.

[72]                          Étant donné que le par. 75(2)  n’avait jamais été analysé par un tribunal au moment où la Cour canadienne de l’impôt a rendu jugement dans Sommerer, cette décision n’a pas modifié le droit. Elle a affirmé ce que le droit avait toujours été, bien qu’il ait mal été interprété par l’ARC et les fiscalistes. De fait, les bulletins d’interprétation de l’ARC ne sont pas des sources de droit faisant autorité (Mattabi Mines Ltd. c. Ontario (Ministre du Revenu), [1988] 2 R.C.S. 175, p. 195‐197). L’argument selon lequel Sommerer a modifié le droit ne peut donc être retenu. La croyance des intimées que le par. 75(2)  s’appliquait était conforme à l’interprétation de l’ARC à l’époque des opérations en 2008 et 2009. Cette croyance s’est révélée fausse, comme le montre clairement la décision Sommerer.

[73]                          Comme je l’ai expliqué en analysant l’arrêt Pitt c. Holt, l’annulation remédie uniquement à des erreurs relatives à la situation qui existait à l’époque de l’opération. C’est une telle erreur qui a été commise en l’espèce. L’annulation est donc possible afin de réparer l’erreur des intimées quant au droit. Il faut maintenant décider si, sur le fondement de l’approche holistique, l’annulation aurait dû être accordée par le juge de première instance.

B.            Les intimées satisfont au test de l’annulation établi dans Pitt c. Holt

[74]                          L’annulation implique une analyse axée sur les faits propres à l’affaire. Tout fait, aussi mineur soit‐il, peut avoir une influence sur le résultat. La décision comporte un caractère hautement discrétionnaire. Le juge de première instance, se fondant sur les motifs de la juge Newbury dans l’arrêt Pallen, a appliqué le bon critère et a évalué tous les facteurs pertinents.

[75]                          Le juge de première instance a souligné que, dans l’affaire Pallen, les faits dont était saisie la Cour d’appel quand elle a confirmé l’ordonnance d’annulation étaient essentiellement analogues aux faits de l’espère. Dans Pallen, la Cour d’appel avait statué que [traduction] « l’existence [d’une] “compréhension générale commune” relativement à l’application du par. 75(2)  » faisait entrer l’affaire « dans la sphère de l’iniquité » (par. 56). En l’espèce, le juge a statué que l’arrêt Pallen était analogue et contraignant, tirant les conclusions de fait suivantes au par. 56 :

[traduction]

a)     Les plans visaient essentiellement les mêmes objectifs;

b)    Les étapes importantes des divers plans étaient pratiquement identiques;

c)     Les plans ont été conçus par le même cabinet comptable à environ dix mois d’intervalle;

d)    Il y avait un risque que la RGAÉ s’applique à tous les plans et le cabinet comptable MNP a fait part de ce risque;

e)     Toutes les affaires concernent l’année d’imposition 2008 (bien que les affaires [en l’espèce] concernent également l’année d’imposition 2009);

f)     Le climat fiscal était le même (c.‐à‐d. qu’il y avait une compréhension générale, compréhension qui était partagée par notamment l’ARC, que le par. 75(2)  de la LIR  s’appliquait à la vente d’actions à une fiducie à la juste valeur marchande);

g)    L’efficacité des plans dépendait de l’application du par. 75(2)  de la LIR  pour que le revenu de dividendes soit réputé reçu par la société de portefeuille;

h)    La décision Sommerer a contrecarré tous les plans;

i)     Toutes les fiducies ont fait l’objet de nouvelles cotisations après la décision Sommerer, et ce, par le même vérificateur;

j)     Le motif des nouvelles cotisations était la décision Sommerer.

[76]                          Dans Pallen et en l’espèce, les juges des juridictions inférieures ont conclu que l’injustice découlait du changement de position de l’ARC relativement à l’interprétation du par. 75(2)  après le prononcé de Sommerer. Je suis d’accord avec leur raisonnement. À l’instar de Pallen, ce qui fait entrer la présente affaire dans la sphère de l’iniquité est l’application rétroactive du par. 75(2)  par l’ARC. Au moment de l’opération, la compréhension du contribuable était que les règles d’attribution au par. 75(2)  s’appliquaient tant que la fiducie détenait le bien. Ce point de vue était également partagé par l’ARC et les fiscalistes.

[77]                          Ce n’est qu’après que la Cour de l’impôt a rendu son jugement dans Sommerer en avril 2011, mais avant que la Cour d’appel fédérale confirme la décision, que l’ARC a informé, pour la première fois, les intimées que leurs déclarations de revenus de 2008 à 2010 faisaient l’objet d’un examen. Et c’était alors qu’elle plaidait devant la Cour d’appel fédérale dans Sommerer que le juge de première instance avait commis une erreur de droit que l’ARC a proposé, pour la première fois, d’établir de nouvelles cotisations à l’égard des fiducies en cause en l’espèce et d’inclure les dividendes comme revenu. La position de l’ARC était la suivante : premièrement, l’application du par. 75(2)  n’empêchait pas une inclusion équivalente des dividendes dans le revenu des fiducies par l’application de l’al. 12(1)j); deuxièmement, si la position de l’ARC à propos du par. 75(2)  était erronée et si la décision Sommerer était confirmée, le par. 75(2)  ne s’appliquerait pas; troisièmement, à titre subsidiaire, la RGAÉ devrait s’appliquer (motifs de la C.A., par. 14; voir aussi d.a., vol. I, p. 176‐177).

[78]                          En décembre 2012, après que la Cour d’appel fédérale eut confirmé la décision de la Cour de l’impôt dans Sommerer, l’ARC a informé les intimées qu’à la lumière de cet arrêt, les dividendes devaient être inclus dans leur revenu. L’ARC a terminé sa vérification en janvier 2016 et a établi des avis de nouvelle cotisation en mars 2016.

[79]                          Avec égards, mon collègue se méprend sur ce qui fait entrer la présente affaire dans la sphère de l’iniquité. Il explique que le ministre était tenu d’appliquer la directive énoncée par le Parlement dans la LIR  suivant l’interprétation donnée par une cour de justice (par. 26). En conséquence, cela fait échec, dit‐il, aux observations des intimées en ce qui concerne l’iniquité. Bien que je partage l’opinion selon laquelle le par. 220(1)  de la LIR  impose au ministre l’obligation d’assurer « l’application et l’exécution » de la LIR , je ne peux convenir que le par. 220(1)  de la LIR  permet de trancher la question de l’iniquité.

[80]                          À mon avis, ce qui fait entrer la présente affaire dans la sphère de l’iniquité n’est pas l’application de la loi, mais plutôt la décision discrétionnaire de l’ARC d’établir de nouvelles cotisations pour les contribuables sur le fondement d’une approche rétroactive relativement au par. 75(2) . Il y a iniquité quand l’ARC revient sur une interprétation de longue date, puis cherche à établir rétroactivement une nouvelle cotisation à l’égard d’un contribuable. Par souci de clarté, je tiens à souligner qu’au moment où elle plaidait devant la Cour d’appel fédérale que le juge de première instance dans Sommerer avait commis une erreur de droit dans son interprétation du par. 75(2) , l’ARC cherchait à établir de nouvelles cotisations à l’égard des contribuables en l’espèce en appliquant la même interprétation juridique que celle qu’elle prétendait simultanément être erronée. Cette iniquité permet de faire intervenir l’equity.

(1)            Ni des raisons de principe ni l’acceptation du risque n’empêchent l’annulation en l’espèce

a)        Le plan des intimées ne constituait pas un plan d’évitement fiscal abusif

[81]                          L’appelant prétend que le juge de première instance a commis une erreur dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en ne prenant pas en considération le fait que les opérations en cause auraient constitué de l’évitement fiscal abusif n’eût été l’erreur. Il invoque l’arrêt Fiducie financière Satoma c. La Reine, 2018 CAF 74, 2018 D.T.C. 5049, dans lequel la Cour d’appel fédérale a jugé qu’un plan semblable constituait de l’évitement fiscal abusif. Dans Satoma, la Cour d’appel fédérale a conclu qu’un plan impliquant l’utilisation combinée des par. 75(2)  et 112(1)  de la LIR  (comme c’est le cas en l’espèce) constituait de l’évitement fiscal abusif au regard de la RGAÉ. Dans le plan en question, de l’argent avait été donné à une fiducie et utilisé par celle‐ci pour acheter des actions. Puis, les dividendes qui s’y rapportaient avaient été attribués à la société donatrice en application du par. 75(2) . La société donatrice s’était servie des fonds attribués pour donner les surplus d’apport à la société payant des dividendes, avait déclaré le revenu de dividendes et avait demandé une déduction de dividendes intersociétés pour le même montant en application du par. 112(1) , de sorte qu’aucun impôt n’avait été payé sur les dividendes distribués. Le plan était conforme à la LIR  parce que les actions étaient des biens substitués aux biens donnés, mais le ministre a considéré le résultat obtenu abusif. Le plan visait le double objectif de (1) transférer les fonds détenus par la société à la fiducie pour financer les activités de sociétés affiliées et de (2) mettre les fonds en question à l’abri des risques de poursuites intentées contre ces sociétés affiliées.

[82]                          Je comprends que, selon l’appelant, la conclusion tirée dans Satoma aurait également dû être tirée dans la présente affaire. Autrement dit, le plan en l’espèce aurait dû être considéré comme de l’évitement fiscal abusif, ce qui constituerait un facteur important de l’analyse holistique.

[83]                          Bien que le présent dossier et l’affaire Satoma présentent certaines similitudes, les juridictions inférieures les ont à bon droit distinguées. Le juge de première instance a affirmé qu’il y avait deux distinctions importantes entre Satoma et le cas d’espèce : (1) dans Satoma, les nouvelles cotisations établies à l’égard de la contribuable reposaient uniquement sur la RGAÉ, et (2) les objectifs des opérations sont différents. Je ne décèle aucune erreur sous ce rapport dans les motifs du premier juge.

[84]                         Dans Satoma, la juge en chef adjointe de la Cour de l’impôt avait conclu que l’opération avait pour objectif premier d’éviter le paiement de tout impôt (motifs du juge de première instance, par. 66 et 70). En outre, la contribuable avait concédé « qu’il y a eu une série d’opérations effectuées dans le but d’obtenir un avantage fiscal » et qu’il s’agissait donc « d’une opération d’évitement au sens du paragraphe 245(3)  de la LIR  » (Fiducie financière Satoma c. La Reine, 2017 CCI 84, 2017 D.T.C. 1056, par. 76). Les intimées en l’espèce ne font aucune concession de la sorte. Au contraire, le juge de première instance dans la présente affaire a conclu que [traduction] « la preuve dont [il] dispose n’établit pas que les requérantes avaient pour but premier d’éviter le paiement de tout impôt. La preuve établit plutôt que l’objectif était de protéger l’actif contre les créanciers et de le faire d’une manière qui n’entraînait pas d’obligation fiscale, les deux aspects étant d’importance égale » (par. 71 (je souligne)). Cette conclusion, fondée sur l’exposé conjoint des faits des parties, est inattaquable (d.a., vol. I, p. 98).

[85]                          L’appelant prétend que l’objectif de protection de l’actif aurait pu être atteint uniquement au moyen d’une société de portefeuille et qu’il n’était pas nécessaire de créer les fiducies pour protéger l’actif; il ajoute que [traduction] « [s]i le juge de première instance avait examiné chaque opération du [p]lan isolément, il aurait conclu que les opérations qui ont suivi avaient pour seul objectif l’évitement fiscal et ne visaient aucun objectif de protection de l’actif » (m.a., par. 121 (italique omis)). Cependant, « [l]’objet de l’opération sert essentiellement à qualifier celle‐ci d’opération d’évitement ou d’opération véritable et, plus précisément, à évaluer la nature abusive de l’opération » (Alta Energy Luxembourg, par. 47). Le juge de première instance a conclu que chacune des opérations avait un objet véritable, à savoir la protection de l’actif. Cela faisait partie de l’analyse des faits et commande une grande déférence de la part de la cour d’appel.

[86]                          À l’instar de Pallen, les faits en l’espèce sont inhabituels et, à mon avis, n’impliquaient pas de planification fiscale agressive. Eu égard à toutes les autres considérations, le plan de réorganisation n’était pas « agressif » au moment où il a été entrepris puisque l’ARC n’aurait probablement pas contesté la position des intimées avant la décision Sommerer.

(b)           Acceptation des risques

[87]                          Bien qu’il puisse être risqué de concevoir un plan fiscal en entier en se fondant sur une disposition qui n’a pas encore été interprétée par les tribunaux, le juge de première instance a statué que les intimées n’avaient jamais accepté le risque que l’ARC « revienne » sur son interprétation du par. 75(2)  (par. 47‐48). Il faut faire preuve de déférence à l’égard de la conclusion du premier juge sur ce point.

[88]                          Je partage l’avis de l’appelant selon lequel les contribuables et leurs conseillers négocient la répartition des risques d’erreurs. Cependant, je ne suis pas d’accord pour dire qu’un contribuable qui engage un conseiller est manifestement conscient du risque fiscal d’une opération et devrait donc assumer toutes les conséquences — aussi éloignées et imprévisibles soient‐elles — qui s’ensuivent. Cela mettrait le contribuable insouciant n’ayant pas retenu les services d’un conseiller professionnel dans une meilleure position que celle d’un contribuable qui l’a fait. Dans l’arrêt Pitt c. Holt, lord Walker a exprimé le point de vue contraire selon lequel si le contribuable entreprend un plan sans conseil fiscal, le tribunal est susceptible de conclure qu’il a accepté le risque que le plan soit erroné et qu’il ne peut donc pas plaider l’erreur.

[89]                          L’appelant soutient en outre que les intimées ont accepté les risques en ne demandant pas de décision anticipée en matière d’impôt sur le revenu. À mon avis, la question d’une décision anticipée est une diversion. La raison la plus probable pour laquelle la société MNP LLP (« MNP »), la conseillère des intimées, n’a pas demandé une telle décision est que la position de l’ARC à propos du par. 75(2)  était plus qu’évidente. L’interprétation du par. 75(2)  par l’ARC était constante et non contestée. Il est inutile d’obtenir une décision anticipée lorsque l’objet du plan dépend [traduction] « [d’]une interprétation précise et largement acceptée » (motifs du juge de première instance, par. 2, 46 et 55; Pallen, par. 55). Toutefois, même si les intimées avaient demandé une décision anticipée, les décisions anticipées de l’ARC ne constituent pas des règles de droit et ne lient pas les tribunaux.

[90]                          À mon avis, le seul risque que les intimées ont accepté était l’application éventuelle de la RGAÉ. Les risques communiqués par MNP dans les propositions du plan se lisent ainsi :

     [traduction] La présente proposition s’appuie sur notre compréhension et notre interprétation des dispositions actuelles de la LIR  et du RIR [le Règlement de l’impôt sur le revenu] ainsi que des pratiques administratives actuelles de l’ARC.

      . . .

     Les avis exprimés dans la présente proposition représentent nos opinions en tant que comptables agréés ayant de l’expérience en matière d’impôt sur le revenu. Ces avis ne constituent pas des avis juridiques et ne devraient pas non plus être interprétés comme tels.

     Il convient de souligner qu’aucune demande n’a été faite pour obtenir une décision anticipée en matière d’impôt sur le revenu relativement à la présente proposition et nous n’entendons d’ailleurs présenter aucune demande en ce sens. Par conséquent, nous ne pouvons pas garantir que les considérations fiscales (ou d’évaluation) analysées dans la présente proposition ne différeront pas de l’interprétation de l’ARC.

      . . .

     En préparant la présente proposition, nous avons, bien entendu, proposé des opérations conçues pour répondre aux objectifs de planification de votre cliente tout en minimisant en même temps les incidences fiscales, notamment en matière d’impôt sur le revenu, liées à ces objectifs.

     Pour ce qui est des opérations conclues après le 12 septembre 1988, une RGAÉ large peut être utilisée pour éliminer toute forme d’avantage fiscal résultant d’une opération ou d’une série d’opérations . . .

      . . .

     On peut soutenir que les opérations prévues dans la présente proposition ne comprennent aucune opération d’évitement, puisqu’elles ont toutes des objets véritables qui sont la protection de l’actif (autres que l’obtention de l’avantage fiscal perçu). De plus, même s’il est jugé que l’objectif premier d’une ou plusieurs opérations était d’obtenir un avantage fiscal, les conséquences fiscales liées à chacune des opérations que nous avons proposées découlent d’articles précis de la LIR , lesquels prévoient ces résultats. Par conséquent, vous avez le droit de faire valoir que les opérations que nous avons proposées ne devraient pas raisonnablement être considérées comme constituant, directement ou indirectement, une utilisation erronée de la LIR  lue dans son ensemble ou un abus de celle‐ci. Malgré ce qui précède, nous tenons à souligner, cependant, qu’un avis professionnel ne peut éliminer tout risque inhérent que pose cette règle très subjective et nous voulons nous assurer que vous êtes conscient de ce risque avant d’aller de l’avant. [Texte entre crochets dans l’original.]

      (motifs du juge de première instance, par. 17‐18)

[91]                          La société MNP a précisé que la proposition était [traduction] « fondée sur l’environnement fiscal actuel » (d.a., vol. I, p. 124). Bien qu’elle ait bien dit qu’il y avait un certain risque que la RGAÉ s’applique, elle n’a pas averti les intimées de quelque risque que ce soit à l’égard du par. 75(2) , et ce, en raison de l’interprétation de longue date et bien connue de cette disposition par l’ARC. Les intimées n’ont pas été mises au fait, et celles‐ci n’ont accepté aucun risque, que cette interprétation puisse être infirmée et qu’une nouvelle interprétation puisse être appliquée rétroactivement.

[92]                         Le premier juge a finalement souscrit à l’opinion du juge de première instance dans Re Pallen Trust, 2014 BCSC 305, [2014] 4 C.T.C. 129, par. 57, et il s’est appuyé sur sa conclusion :

      [traduction] Un facteur déterminant en l’espèce est la compréhension générale commune par les fiscalistes et l’ARC relativement à l’application du par. 75(2)  ainsi que ma conclusion selon laquelle l’ARC n’aurait pas cherché à établir de nouvelles cotisations pour la fiducie avant Sommerer. À mon avis, c’est cet aspect de l’affaire qui fait entrer celle‐ci dans la sphère de l’iniquité. Le Plan comportait certes un élément de risque, mais, eu égard à la compréhension commune relativement à l’application du par. 75(2) , je ne vois pas l’acceptation du risque en l’espèce comme un facteur suffisant pour refuser la réparation demandée. Si la compréhension avait été moins certaine, l’acceptation du risque aurait eu une incidence négative sur la question de l’équité. [Je souligne; par. 48.]

[93]                          Je suis d’accord avec le juge de première instance. À mon avis, les intimées n’ont pas accepté le risque que l’ARC applique rétroactivement une décision qui jugeait erronés ses bulletins d’interprétation. De fait, comme je l’ai expliqué ci‐dessus, c’est précisément la certitude de la compréhension à l’égard du par. 75(2)  qui fait entrer la présente affaire dans la sphère de l’iniquité.

(2)      Autres remèdes

[94]                         Enfin, il n’existe aucun autre remède qui pourrait empêcher l’annulation en l’espèce. L’appelant prétend qu’il y en a deux qui pourraient être utilisés pour réparer les conséquences fiscales négatives résultant de l’erreur : (1) demander au ministre une remise d’impôt en application de l’art. 23  de la Loi sur la gestion des finances publiques , L.R.C. 1985, c. F‐11 , et (2) intenter une action en justice contre la conseillère professionnelle des intimées, MNP. Cependant, ces recours proposés ne sont ni pratiques ni appropriés; les deux ont très peu de chances de succès. L’appelant le concède d’ailleurs, soulignant qu’ils [traduction] « sont peu susceptibles d’aider un contribuable qui fait une erreur de planification fiscale comme l’erreur en l’espèce » (m.a., par. 134). Pourtant, il soutient que cela n’est pas pertinent pour l’issue du pourvoi. Je ne suis pas d’accord.

[95]                         Premièrement, un décret de remise en application de l’art. 23  de la Loi sur la gestion des finances publiques  est une réparation extraordinaire que le gouverneur en conseil accorde en de rares circonstances sur recommandation du ministre compétent (Fink c. Canada (Procureur général), 2019 CAF 276, par. 1 (CanLII)). De plus, [traduction] « [l]a faculté de demander une remise par décret est restreinte, incertaine, complexe et lente » (5551928 Manitoba Ltd. (Re), 2018 BCSC 1482, [2018] 6 C.T.C. 186, par. 47, conf. par 2019 BCCA 376, 439 D.L.R. (4th) 483, par. 41).

[96]                         Un contribuable peut atténuer son risque en demandant une décision anticipée en matière d’impôt sur le revenu. Dans son Guide sur les remises, l’ARC explique que des conseils erronés de sa part peuvent militer en faveur d’une recommandation de remise (Guide de l’ARC sur les remises — Guide concernant les remises d’impôt sur le revenu, de TPS/TVH, de taxe d’accise, de droits d’accise et de TVF en vertu de la Loi sur la gestion des finances publiques, octobre 2014 (en ligne); voir Escape Trailer Industries Inc. c. Canada (Procureur général), 2020 CAF 54, par. 3‐4 (CanLII); Meleca c. Canada (Procureur général), 2020 CF 1159, par. 26 (CanLII)). Comme les intimées n’ont pas demandé de décision anticipée, et eu égard à la position de l’ARC sur les fiducies, il est fort peu probable que le ministre recommande une remise d’impôt. Le juge de première instance a imposé à l’appelant le fardeau d’établir qu’une demande de remise au gouvernement était une autre solution pratique, un fardeau dont l’appelant ne s’est pas acquitté (motifs de la C.A., par. 86).

[97]                          Je ne décèle aucune erreur dans le raisonnement du juge de première instance portant qu’il n’y avait [traduction] « absolument aucune preuve sur la procédure ou les conditions applicables à un tel recours ou sur la position que l’ARC serait susceptible d’adopter si pareil recours était exercé », et qu’il était donc « tout à fait incapable de déterminer s’il s’agit d’un autre recours réaliste » (par. 105). Par conséquent, la possibilité de demander un décret de remise en application de l’art. 23  n’empêche pas l’annulation.

[98]                         Deuxièmement, une action intentée contre MNP ne constituerait pas un recours approprié. Dans l’arrêt Jean Coutu, les juges majoritaires de notre Cour ont expliqué que

      lorsque des contribuables conviennent de certaines transactions et prétendent ensuite que leurs conseillers ont commis l’erreur de ne pas les avoir prévenus que les transactions en cause produiraient des conséquences fiscales indésirables, ce n’est pas en modifiant leur entente avec effet rétroactif qu’ils pourront recouvrer leurs pertes. En effet, si l’erreur commise est de nature à le justifier, les contribuables pourront plutôt poursuivre leurs conseillers — qui possèdent habituellement une assurance responsabilité professionnelle — et tenter de prouver le bien‐fondé de leurs allégations devant les tribunaux. [par. 43]

[99]                          MNP a dûment informé les intimées à propos de leur plan. Comme l’a conclu la juge Fisher, l’avis de MNP était bon au moment où il a été donné. Il est donc peu probable qu’une action pour négligence contre MNP ait la moindre chance de succès. [traduction] « Bien qu’un recours approprié ne signifie pas qu’il serait nécessairement couronné de succès, je ne considère pas, eu égard aux faits particuliers en l’espèce, qu’une action contre MNP est pratique ou appropriée » (motifs de la C.A., par. 90).

IV.         Dispositif

[100]                      Pour les motifs qui précèdent, je rejetterais le pourvoi.

 

                    Pourvoi accueilli avec dépens devant toutes les cours.

                    Procureur de l’appelant : Procureur général du Canada, Vancouver.

                    Procureurs des intimées : Dentons Canada, Vancouver.

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