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COUR SUPRÊME DU CANADA

 

Référence : Colombie-Britannique (Procureur général) c. Conseil des Canadiens avec déficiences, 2022 CSC 27

 

 

Appel entendu : 12 et 13 janvier 2022

Jugement rendu : 23 juin 2022

Dossier : 39430

 

Entre :

Procureur général de la Colombie-Britannique

Appelant/Intimé au pourvoi incident

 

et

 

Conseil des Canadiens avec déficiences

Intimé/Appelant au pourvoi incident

 

- et -

 

Procureur général du Canada, procureur général de l’Ontario, procureur général de la Saskatchewan, procureur général de l’Alberta, West Coast Prison Justice Society, Empowerment Council, Systemic Advocates in Addictions and Mental Health, Association canadienne des libertés civiles, Advocacy Centre for Tenants Ontario, ARCH Disability Law Centre, Association canadienne du droit de l’environnement, Chinese and Southeast Asian Legal Clinic, HIV & AIDS Legal Clinic Ontario, South Asian Legal Clinic Ontario, David Asper Centre for Constitutional Rights, Ecojustice Canada Society, Trial Lawyers Association of British Columbia, Conseil national des musulmans canadiens, Mental Health Legal Committee, British Columbia Civil Liberties Association, Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés, West Coast Legal Education and Action Fund, Centre for Free Expression, Federation of Asian Canadian Lawyers, Canadian Muslim Lawyers Association, Société John Howard du Canada, Queen’s Prison Law Clinic, Animal Justice, Association canadienne pour la santé mentale (nationale), Canada sans pauvreté, Aboriginal Council of Winnipeg Inc., End Homelessness Winnipeg Inc. et Canadian Constitution Foundation

Intervenants

 

Traduction française officielle

 

Coram : Le juge en chef Wagner et les juges Moldaver, Karakatsanis, Côté, Brown, Rowe, Martin, Kasirer et Jamal

 

Motifs de jugement :

(par. 1 à 124)

Le juge en chef Wagner (avec l’accord des juges Moldaver, Karakatsanis, Côté, Brown, Rowe, Martin, Kasirer et Jamal)

 

 

 

Note : Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada.

 

 

 

 


 

Procureur général de la Colombie-Britannique                           Appelant/Intimé au

pourvoi incident

c.

Conseil des Canadiens avec déficiences              Intimé/Appelant au pourvoi incident

et

Procureur général du Canada,

procureur général de l’Ontario,

procureur général de la Saskatchewan,

procureur général de l’Alberta,

West Coast Prison Justice Society,

Empowerment Council,

Systemic Advocates in Addictions and Mental Health,

Association canadienne des libertés civiles,

Advocacy Centre for Tenants Ontario,

ARCH Disability Law Centre,

Association canadienne du droit de l’environnement,

Chinese and Southeast Asian Legal Clinic,

HIV & AIDS Legal Clinic Ontario,

South Asian Legal Clinic Ontario,

David Asper Centre for Constitutional Rights,

Ecojustice Canada Society,

Trial Lawyers Association of British Columbia,

Conseil national des musulmans canadiens,

Mental Health Legal Committee,

British Columbia Civil Liberties Association,

Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés,

West Coast Legal Education and Action Fund,

Centre for Free Expression,

Federation of Asian Canadian Lawyers,

Canadian Muslim Lawyers Association,

Société John Howard du Canada,

Queen’s Prison Law Clinic,

Animal Justice,

Association canadienne pour la santé mentale (nationale),

Canada sans pauvreté,

Aboriginal Council of Winnipeg Inc.,

End Homelessness Winnipeg Inc. et

Canadian Constitution Foundation                                                           Intervenants

Répertorié : Colombie-Britannique (Procureur général) c. Conseil des Canadiens avec déficiences

2022 CSC 27

No du greffe : 39430.

2022 : 12, 13 janvier; 2022 : 23 juin.

Présents : Le juge en chef Wagner et les juges Moldaver, Karakatsanis, Côté, Brown, Rowe, Martin, Kasirer et Jamal.

en appel de la cour d’appel de la colombie‑britannique

                    Procédure civile — Parties — Qualité pour agir — Qualité pour agir dans l’intérêt public — Légalité — Accès à la justice — Contexte factuel suffisant pour la tenue d’un procès — Organisation travaillant au nom des personnes ayant une déficience à l’origine d’une contestation constitutionnelle de certaines dispositions de la législation d’une province sur la santé mentale — Requête en rejet de la demande présentée avec succès par le procureur général pour défaut de qualité pour agir — Renvoi de la question par la Cour d’appel pour réexamen de la qualité pour agir dans l’intérêt public compte tenu de ses conclusions selon lesquelles les principes de légalité et d’accès à la justice méritent une importance particulière dans l’analyse de la qualité pour agir et le juge de première instance a commis une erreur en concluant à la nécessité d’un contexte factuel propre à la cause d’un particulier — La légalité et l’accès à la justice méritent‑ils une importance particulière dans le cadre d’analyse applicable pour juger de la qualité pour agir dans l’intérêt public? — Est‑il nécessaire qu’il y ait un demandeur individuel pour avoir un contexte factuel suffisant au procès? — L’organisation devrait‑elle se voir reconnaître la qualité pour agir dans l’intérêt public?

                    Une organisation sans but lucratif œuvrant pour la défense des droits des personnes ayant une déficience au Canada ainsi que deux demandeurs individuels ont déposé une demande pour contester la constitutionnalité de certaines dispositions de la législation de la Colombie‑Britannique en matière de santé mentale. Dans cette demande, il est allégué que les dispositions contestées violent l’art. 7 et le par. 15(1)  de la Charte canadienne des droits et libertés  parce qu’elles permettent aux médecins d’administrer un traitement psychiatrique à des patients en placement non volontaire ayant une déficience mentale sans leur consentement ou celui d’un mandataire dans la prise de décision. Les deux demandeurs individuels, qui étaient des patients en placement non volontaire touchés par les dispositions contestées, se sont en fin de compte retirés du litige, de sorte que l’organisation est l’unique partie demanderesse restante. Peu de temps après, l’organisation a déposé une demande modifiée sollicitant notamment la qualité pour agir dans l’intérêt public afin de poursuivre l’action.

                    Le procureur général a présenté une requête en rejet de l’action au motif que l’organisation n’avait pas qualité pour agir. Le juge en chambre a accueilli la requête et rejeté l’action. À son avis, l’organisation n’a pas satisfait au test applicable pour juger de la qualité pour agir dans l’intérêt public énoncé dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Downtown Eastside Sex Workers United Against Violence Society, 2012 CSC 45, [2012] 2 R.C.S. 524. L’organisation a interjeté appel de cette décision. La Cour d’appel a conclu qu’il convient d’accorder aux principes de la légalité et de l’accès à la justice une importance particulière dans le cadre d’analyse établi par l’arrêt Downtown Eastside, et a statué que le juge en chambre avait commis une erreur en concluant que la demande ne reposait pas sur un contexte factuel propre à la cause d’un individu ou d’un demandeur individuel. La Cour d’appel a accueilli l’appel, annulé l’ordonnance rejetant l’action et renvoyé l’affaire devant le tribunal de première instance pour qu’il réexamine le dossier. Le procureur général interjette appel devant la Cour et l’organisation demande l’autorisation de présenter un pourvoi incident afin de se voir reconnaître la qualité pour agir dans l’intérêt public.

                    Arrêt : L’appel est rejeté, l’autorisation d’interjeter un appel incident est accordée, l’appel incident est accueilli et l’organisation se voit reconnaître la qualité pour agir dans l’intérêt public.

                    Les principes de la légalité et de l’accès à la justice ne méritent pas qu’on leur accorde une importance particulière dans l’analyse fondée sur l’arrêt Downtown Eastside. L’approche souple qui reconnaît le pouvoir discrétionnaire des juges quant à la question de la qualité pour agir dans l’intérêt public doit être guidée par tous les objectifs sous‑jacents à la reconnaissance de la qualité pour agir, et aucun objet, principe ou facteur particuliers n’a préséance dans l’analyse. Qui plus est, la présence d’un codemandeur directement touché n’est pas requise pour que le tribunal reconnaisse la qualité pour agir à une partie représentant l’intérêt public, tant que cette dernière peut établir un contexte factuel suffisamment concret et élaboré. Dans les circonstances de l’espèce, l’intérêt de la justice commande que la Cour se prononce sur la question de la qualité pour agir; renvoyer l’affaire pour réexamen ne ferait qu’occasionner d’autres délais. Après que tous les facteurs énoncés dans l’arrêt Downtown Eastside ont été soupesés de façon cumulative, souple et téléologique, l’organisation devrait se voir reconnaître la qualité pour agir dans l’intérêt public.

                    La décision de reconnaître ou non la qualité pour agir dans l’intérêt public relève du pouvoir discrétionnaire des tribunaux. Le cadre d’analyse énoncé dans l’arrêt Downtown Eastside exige que, lorsqu’il exerce ce pouvoir, un tribunal apprécie et soupèse trois facteurs : (i) L’affaire soulève‑t‑elle une question sérieuse et justiciable? (ii) La partie qui a intenté la poursuite a‑t‑elle un intérêt véritable dans l’affaire? (iii) La poursuite proposée constitue‑t‑elle une manière raisonnable et efficace de soumettre la question à la cour? Suivant ce cadre, les tribunaux soupèsent de manière souple et téléologique les facteurs à la lumière des circonstances particulières de l’affaire, et ils le font de façon libérale et souple. Chaque facteur doit être soupesé à la lumière des objectifs qui sous‑tendent les restrictions à la qualité pour agir, soit l’affectation efficace des ressources judiciaires limitées et la nécessité d’écarter les plaideurs trouble‑fête, l’assurance que les tribunaux entendront les principaux intéressés faire valoir contradictoirement leurs points de vue, et la sauvegarde du rôle propre aux tribunaux dans le cadre de notre système démocratique de gouvernement. Dans le cadre de leurs analyses, les tribunaux doivent également examiner les objectifs qui justifient la reconnaissance de la qualité pour agir, soit donner plein effet au principe de la légalité et assurer un accès à la justice. Dans chaque cas, le but est d’établir un véritable équilibre entre les objectifs qui militent pour la reconnaissance de la qualité pour agir et ceux qui militent pour restreindre cette reconnaissance.

                    La légalité et l’accès à la justice ont joué un rôle crucial dans l’élaboration de la notion de qualité pour agir dans l’intérêt public. Le principe de la légalité renvoie à l’idée que les actions de l’État doivent être conformes à la loi et qu’il doit exister des manières pratiques et efficaces d’en contester la légalité. Cette dernière tire son origine de la primauté du droit — si les gens n’étaient pas en mesure de contester en justice les mesures prises par l’État, ils ne pourraient pas obliger celui‑ci à rendre des comptes et l’État serait alors au‑dessus des lois ou perçu comme tel. L’accès à la justice est également essentiel à la primauté du droit. Il ne peut y avoir de primauté du droit sans accès aux tribunaux, autrement la primauté du droit serait remplacée par la primauté d’hommes et de femmes qui décident qui peut avoir accès à la justice. L’accès à la justice est en symbiose avec la qualité pour agir dans l’intérêt public : cette dernière procure une avenue pour contester la légalité de l’action gouvernementale, en dépit des obstacles sociaux, économiques ou psychologiques qui pourraient empêcher des individus de faire valoir leurs droits.

                    La légalité et l’accès à la justice sont examinés principalement en lien avec le troisième facteur de l’arrêt Downtown Eastside, qui pose la question de savoir si la poursuite proposée est une manière raisonnable et efficace de soumettre une question aux tribunaux. Pour répondre à la question, les tribunaux peuvent examiner la capacité du demandeur d’engager la poursuite, l’intérêt public de la cause, l’existence d’autres manières d’engager la poursuite, et l’incidence éventuelle de l’action sur d’autres personnes. Comme il est principalement question de la légalité et de l’accès à la justice en lien avec le troisième facteur, leur accorder une importance particulière aurait concrètement pour effet de convertir ce facteur en un facteur déterminant. Bien que les tribunaux soient encouragés à tenir compte de l’accès à la justice et de la légalité, ils doivent se garder de transformer ces considérations en une exigence inflexible ou un critère autonome sans aucun lien de dépendance avec les autres.

                    Selon le troisième facteur, les tribunaux sont également tenus d’examiner la capacité du demandeur d’engager une poursuite. Pour évaluer cette capacité, le tribunal devrait examiner les ressources du demandeur et son expertise ainsi que la question de savoir si l’objet du litige sera présenté dans un contexte factuel suffisamment concret et élaboré. Bien qu’un tribunal ne puisse trancher des questions constitutionnelles dans un vide factuel, un litige d’intérêt public peut être instruit sans qu’un demandeur directement touché y participe. L’existence même d’une loi, par exemple, ou la manière dont cette loi a été édictée peut être contestée sur la seule base de faits législatifs. Un contexte factuel suffisamment concret et élaboré peut aussi être établi en faisant entendre des témoins concernés, ou autrement bien informés, qui ne sont pas des demandeurs individuels. Exiger rigoureusement la présence d’un demandeur directement touché ferait obstacle à l’accès à la justice et minerait le principe de la légalité. Cette exigence dresserait aussi des barrières procédurales qui épuiseraient les ressources judiciaires. Par conséquent, la participation de demandeurs directement touchés n’est pas un fardeau de droit et de preuve distinct dans l’exercice discrétionnaire de mise en balance.

                    La question de savoir ce qui est suffisant pour démontrer qu’un contexte factuel suffisamment concret et élaboré sera présenté au procès dépend des circonstances. Ce qui pourrait satisfaire la cour à un stade préliminaire du litige pourrait se révéler insuffisant à ses yeux à un stade ultérieur. De même, l’importance de l’absence de preuve variera selon la nature de la poursuite et des actes de procédure. Certaines affaires pourraient ne pas être grandement tributaires de faits particuliers, mais dans le cas d’affaires qui reposent plus fortement sur les faits, un fondement probatoire pèsera davantage dans la balance. Pour évaluer si un contexte factuel suffisamment concret et élaboré sera produit au procès, le tribunal peut tenir compte du stade de l’instance, des actes de procédure, de la nature de la partie représentant l’intérêt public, des engagements donnés, et des éléments de preuve concrets présentés. Si la qualité pour agir est contestée à un stade préliminaire, le demandeur ne devrait pas être tenu de fournir des éléments de preuve devant être produits dans le cadre du procès; une telle exigence serait inéquitable sur le plan procédural, car cela permettrait au défendeur d’obtenir des éléments de preuve avant la communication préalable de la preuve. Toutefois, en général, un simple engagement ou une intention de produire des éléments de preuve ne seront pas suffisants pour convaincre un tribunal qu’un fondement probatoire sera présenté.

                    Les tribunaux conservent la faculté de réexaminer la question de la qualité pour agir, même s’ils l’ont reconnue à un stade préliminaire de l’instance. La faculté de réexaminer la qualité pour agir sert de filet de sécurité pour garantir que le demandeur ne se repose pas sur ses lauriers lorsqu’il s’est engagé à présenter un dossier factuel suffisant au procès. Un défendeur qui souhaite le réexamen de la qualité pour agir peut présenter une demande en ce sens s’il est survenu un changement important qui soulève un doute sérieux quant au fait qu’un contexte factuel suffisamment concret et élaboré sera présenté ultérieurement, et si les stratégies alternatives de gestion des litiges ne conviennent pas pour répondre à cette lacune. Un changement important de cette envergure est le plus susceptible de survenir lorsque les parties échangent leurs actes de procédure ou terminent la communication préalable de leur preuve. Il est rare qu’un changement important survienne à un autre stade. Puisque l’importance du contexte factuel augmente à chaque stade du processus judiciaire, l’absence d’un contexte factuel aura plus de poids à la fin de la communication préalable de la preuve qu’après l’échange des actes de procédure. Tout comme la première décision quant à la qualité pour agir, la décision de la réexaminer est tributaire des circonstances particulières de la cause.

                    Après l’application du cadre d’analyse établi par l’arrêt Downtown Eastside aux faits en l’espèce, l’organisation soulève une question sérieuse : la constitutionnalité de dispositions législatives qui visent des droits garantis par la Charte aux personnes ayant une déficience mentale. Même si la poursuite de l’organisation n’est encore qu’au stade des actes de procédure, la question est justiciable. Des faits importants sont allégués qui, s’ils sont avérés, pourraient appuyer une contestation constitutionnelle. L’organisation a un intérêt véritable à l’égard des questions en litige et des défis que doivent surmonter les personnes ayant une déficience mentale. La poursuite constitue, en outre, une manière raisonnable et efficace de soumettre la question à la cour. La présente affaire ne porte pas sur des faits relatifs à des individus en particulier, et il peut être inféré qu’un contexte factuel suffisamment concret et élaboré sera présenté. La poursuite de l’organisation soulève sans aucun doute des questions d’importance pour le public qui transcendent ses intérêts immédiats. Reconnaître la qualité pour agir dans l’intérêt public en l’espèce favorisera l’accès à la justice aux membres d’un groupe désavantagé qui, historiquement, a fait face à d’importants obstacles pour soumettre des litiges aux tribunaux.

Jurisprudence

                    Arrêts appliqués : Canada (Procureur général) c. Downtown Eastside Sex Workers United Against Violence Society, 2012 CSC 45, [2012] 2 R.C.S. 524; Carter c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 5, [2015] 1 R.C.S. 331; arrêts examinés : Thorson c. Procureur général du Canada, [1975] 1 R.C.S. 138; Nova Scotia Board of Censors c. McNeil, [1976] 2 R.C.S. 265; Finlay c. Canada (Ministre des Finances), [1986] 2 R.C.S. 607; Conseil canadien des Églises c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 R.C.S. 236; Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342; Ministre de la Justice du Canada c. Borowski, [1981] 2 R.C.S. 575; arrêts mentionnés : Trial Lawyers Association of British Columbia c. Colombie‑Britannique (Procureur général), 2014 CSC 59, [2014] 3 R.C.S. 31; B.C.G.E.U. c. Colombie‑Britannique (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 214; Hy and Zel’s Inc. c. Ontario (Procureur général), [1993] 3 R.C.S. 675; Highwood Congregation of Jehovah’s Witnesses (Judicial Committee) c. Wall, 2018 CSC 26, [2018] 1 R.C.S. 750; Danson c. Ontario (Procureur général), [1990] 2 R.C.S. 1086; Canada (Procureur général) c. Bedford, 2013 CSC 72, [2013] 3 R.C.S. 1101; Mackay c. Manitoba, [1989] 2 R.C.S. 357; Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores Ltd., [1987] 1 R.C.S. 110; Hryniak c. Mauldin, 2014 CSC 7, [2014] 1 R.C.S. 87; R. c. Morgentaler, [1988] 1 R.C.S. 30; Morgentaler c. New Brunswick, 2009 NBCA 26, 344 R.N.‑B. (2e) 39; Strickland c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 37, [2015] 2 R.C.S. 713; Saadati c. Moorhead, 2017 CSC 28, [2017] 1 R.C.S. 543.

Lois et règlements cités

Charte canadienne des droits et libertés , art. 7 , 15(1) .

Class Proceedings Act, R.S.B.C. 1996, c. 50.

Health Care (Consent) and Care Facility (Admission) Act, R.S.B.C. 1996, c. 181, art. 2(b), (c).

Mental Health Act, R.S.B.C. 1996, c. 288, art. 31(1).

Representation Agreement Act, R.S.B.C. 1996, c. 405, art. 11(1)(b), (c).

Doctrine et autres documents cités

Kennedy, Gerard J., and Lorne Sossin. « Justiciability, Access to Justice and the Development of Constitutional Law in Canada » (2017), 45 Fed. L. Rev. 707.

Law Society of British Columbia, Code of Professional Conduct for British Columbia (en ligne : https://www.lawsociety.bc.ca/Website/media/Shared/docs/publications/mm/BC-Code_2016-06.pdf; version archivée : https://www.scc-csc.ca/cso-dce/2022SCC-CSC27_1_eng.pdf).

                    POURVOI et pourvoi incident contre un arrêt de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique (les juges Frankel, Dickson et DeWitt‑Van Oosten), 2020 BCCA 241, 41 B.C.L.R. (6th) 47, 451 D.L.R. (4th) 225, 56 C.P.C. (8th) 231, [2020] B.C.J. No. 1326 (QL), 2020 CarswellBC 2078 (WL), qui a infirmé une décision du juge en chef Hinkson, 2018 BCSC 1753, [2018] B.C.J. No. 3387 (QL), 2018 CarswellBC 2723 (WL), et qui a renvoyé l’affaire pour réexamen. Pourvoi rejeté et pourvoi incident accueilli.

                    Mark Witten et Emily Lapper, pour l’appelant/intimé au pourvoi incident.

                    Michael A. Feder, c.r., Katherine Booth, Connor Bildfell et Kevin Love, pour l’intimé/appelant au pourvoi incident.

                    Christine Mohr, pour l’intervenant le procureur général du Canada.

                    Yashoda Ranganathan et David Tortell, pour l’intervenant le procureur général de l’Ontario.

                    Sharon H. Pratchler, c.r., et Jeffrey Crawford, pour l’intervenant le procureur général de la Saskatchewan.

                    Leah M. McDaniel, pour l’intervenant le procureur général de l’Alberta.

                    Greg J. Allen et Nojan Kamoosi, pour l’intervenante West Coast Prison Justice Society.

                    Sarah Rankin, Anita Szigeti, Ruby Dhand et Maya Kotob, pour l’intervenant Empowerment Council, Systemic Advocates in Addictions and Mental Health.

                    Andrew Bernstein et Alexandra Shelley, pour l’intervenante l’Association canadienne des libertés civiles.

                    Roberto Lattanzio et Gabriel Reznick, pour les intervenants Advocacy Centre for Tenants Ontario, ARCH Disability Law Centre, l’Association canadienne du droit de l’environnement, Chinese and Southeast Asian Legal Clinic, HIV & AIDS Legal Clinic Ontario et South Asian Legal Clinic Ontario.

                    Cheryl Milne, pour l’intervenant David Asper Centre for Constitutional Rights.

                    Daniel Cheater et Margot Venton, pour l’intervenante Ecojustice Canada Society.

                    Aubin Calvert, pour l’intervenante Trial Lawyers Association of British Columbia.

                    Sameha Omer, pour l’intervenant le Conseil national des musulmans canadiens.

                    Karen R. Spector, Kelley Bryan et C. Tess Sheldon, pour l’intervenant Mental Health Legal Committee.

                    Elin Sigurdson et Monique Pongracic‑Speier, c.r., pour l’intervenante British Columbia Civil Liberties Association.

                    Anthony Navaneelan et Naseem Mithoowani, pour l’intervenante l’Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés.

                    Jason Harman et Tim Dickson, pour l’intervenant West Coast Legal Education and Action Fund.

                    Faisal Bhabha et Madison Pearlman, pour l’intervenant Centre for Free Expression.

                    Fahad Siddiqui, pour les intervenantes Federation of Asian Canadian Lawyers et Canadian Muslim Lawyers Association.

                    Alison M. Latimer, c.r., pour les intervenantes la Société John Howard du Canada et Queen’s Prison Law Clinic.

                    Kaitlyn Mitchell et Scott Tinney, pour l’intervenante Animal Justice.

                    Joëlle Pastora Sala et Allison Fenske, pour les intervenants l’Association canadienne pour la santé mentale (nationale), Canada sans pauvreté, Aboriginal Council of Winnipeg Inc. et End Homelessness Winnipeg Inc.

                    Mark Sheeley et Lipi Mishra, pour l’intervenante Canadian Constitution Foundation.

 

       Version française du jugement de la Cour rendu par

 

                    Le juge en chef —

                                             TABLE DES MATIÈRES

 

Paragraphe

I.      Aperçu

1

II.    Faits

6

A.    Conseil des Canadiens avec déficiences

6

B.    Action sous‑jacente

8

C.    Retrait des demandeurs individuels et avis de poursuite civile modifié

10

D.    Avis de requête en rejet déposé par le procureur général de la Colombie-Britannique

11

E.    Recours collectif subséquent et action pour préjudice corporel

14

III.   Décisions des juridictions inférieures

16

A.   Cour suprême de la Colombie-Britannique, 2018 BCSC 1753 (le juge en chef Hinkson)

16

(1)      Question sérieuse et justiciable

17

(2)      Intérêt véritable

18

(3)      Manière raisonnable et efficace

19

B.    Cour d’appel de la Colombie-Britannique, 2020 BCCA 241, 41 B.C.L.R. (6th) 47 (les juges Frankel, Dickson et DeWitt-Van Oosten)

21

(1)      L’accès à la justice et le principe de la légalité

22

(2)      Question sérieuse et justiciable

24

(3)      Manière raisonnable et efficace

25

(4)      Perspective de dédoublement des actions

26

IV.   Questions en litige

27

V.    Analyse

28

A.   La légalité et l’accès à la justice sous-tendent les règles de droit relatives à la qualité pour agir dans l’intérêt public

28

(1)      Définition du principe de la légalité et de l’accès à la justice

33

(2)      Contribution de la légalité et de l’accès à la justice dans l’élaboration de la notion de qualité pour agir dans l’intérêt public

37

(3)      Prise en compte de la légalité et de l’accès à la justice dans le cadre d’analyse actuel

41

a)       Préoccupations traditionnelles quant aux règles de droit relatives à la qualité pour agir

44

b)       Question sérieuse et justiciable

48

c)       Intérêt véritable

51

d)       Manière raisonnable et efficace

52

(4)      Conclusion sur la légalité et l’accès à la justice dans les règles de droit relatives à la qualité pour agir dans l’intérêt public

56

B.    Contexte factuel suffisant pour la tenue d’un procès

60

(1)      Présence d’un codemandeur individuel non requise

63

(2)      La démonstration du respect de ce facteur est tributaire du contexte de l’affaire

68

(3)      Faculté de réexaminer la qualité pour agir

73

C.    Application aux faits

78

(1)      Erreurs commises par les cours de juridictions inférieures

81

a)       Juge en chambre

81

(i)       Erreurs en ce qui concerne le facteur de la question sérieuse et justiciable

82

(ii)      Erreurs en ce qui concerne le facteur de l’intérêt véritable

85

(iii)     Erreurs en ce qui concerne le facteur de la manière raisonnable et efficace

86

b)       Cour d’appel

95

(2)      Le cadre d’analyse établi par l’arrêt Downtown Eastside est favorable à la reconnaissance de la qualité pour agir en l’espèce

97

a)       Question sérieuse et justiciable

98

b)       Intérêt véritable

101

c)       Manière raisonnable et efficace

104

(i)       Capacité du demandeur d’engager la poursuite

105

(ii)      Question de savoir si la cause est d’intérêt public

110

(iii)     Autres manières réalistes

111

(iv)     Incidence éventuelle de l’action sur les droits d’autres personnes

117

(3)      Mise en balance cumulative

118

D.    Dépens spéciaux

119

VI.   Dispositif

124

I.               Aperçu

[1]                             L’accès à la justice est tributaire de l’utilisation efficace et responsable des ressources judiciaires. Les poursuites frivoles, les délais procéduraux sans fin et les appels inutiles augmentent la durée et le coût des litiges et gaspillent ces ressources. Pour préserver un véritable accès, les tribunaux doivent s’assurer que leurs ressources demeurent à la disposition des parties qui en ont le plus besoin — c’est‑à‑dire celles qui engagent des actions fondées et justiciables qui nécessitent l’attention des tribunaux.

[2]                              La qualité pour agir dans l’intérêt public — un aspect du droit relatif à la qualité pour agir — offre une avenue par laquelle les tribunaux peuvent favoriser l’accès à la justice tout en veillant à ce que les ressources judiciaires soient utilisées à bon escient (voir, p. ex., Canada (Procureur général) c. Downtown Eastside Sex Workers United Against Violence Society, 2012 CSC 45, [2012] 2 R.C.S. 524, par. 23). La qualité pour agir dans l’intérêt public permet aux individus ou aux organisations de soumettre des causes d’intérêt public aux tribunaux, même s’ils ne sont pas directement touchés par les questions en cause ou si leurs propres droits ne sont pas atteints. Elle peut donc jouer un rôle central dans les litiges portant sur la Charte canadienne des droits et libertés , où les questions soulevées peuvent avoir un effet considérable sur la société dans son ensemble plutôt qu’une incidence limitée sur un seul individu.

[3]                              Dans le présent pourvoi, le Conseil des Canadiens avec déficiences (« CCD ») demande de se faire reconnaître la qualité pour agir dans l’intérêt public afin de contester la constitutionnalité de certaines dispositions législatives de la Colombie‑Britannique en matière de santé mentale. Le CCD a initialement déposé sa demande conjointement avec des demandeurs individuels qui étaient directement touchés par les dispositions contestées. Ces demandeurs individuels se sont désistés de leur demande, de sorte que le CCD est l’unique demandeur. Ce dernier a demandé de se faire reconnaître la qualité pour agir dans l’intérêt public pour poursuivre l’action seul.

[4]                              Le procureur général de la Colombie‑Britannique (« PGCB ») a demandé le rejet de l’action du CCD dans le cadre d’un procès sommaire. Il a plaidé que l’absence d’un demandeur individuel portait un coup fatal à la demande du CCD visant à obtenir la qualité pour agir dans l’intérêt public parce que, en l’absence d’un tel demandeur, le CCD ne serait pas en mesure de faire la preuve d’un contexte factuel suffisant pour résoudre la question constitutionnelle. En réponse, le CCD a déposé un affidavit dans lequel il promettait de mettre en preuve suffisamment de faits au procès. La Cour suprême de la Colombie‑Britannique a accueilli la demande du PGCB, a refusé de reconnaître au CCD la qualité pour agir dans l’intérêt public et a rejeté la demande de ce dernier. La Cour d’appel a accueilli l’appel interjeté par le CCD et a renvoyé l’affaire devant la Cour suprême de la Colombie‑Britannique pour réexamen. Le PGCB se pourvoit maintenant devant notre Cour.

[5]                              Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis de rejeter le pourvoi, mais de reconnaître au CCD la qualité pour agir dans l’intérêt public, avec dépens spéciaux devant notre Cour et les juridictions inférieures.

II.            Faits

A.           Conseil des Canadiens avec déficiences

[6]                              Le CCD est une organisation nationale sans but lucratif créée [traduction] « pour veiller à ce que les voix des personnes ayant une déficience soient entendues et pour défendre les droits des Canadiens et des Canadiennes ayant une déficience » (d.a., p. 88). Durant l’instance sous‑jacente, il comptait 17 organisations membres nationales ou provinciales, qui regroupaient elles‑mêmes un total de quelques centaines de milliers de membres.

[7]                              La mission du CCD comporte trois volets : il promeut l’égalité, l’autonomie et les droits des personnes ayant une déficience physique ou mentale au Canada. Le CCD s’acquitte de cette mission pour le compte des personnes ayant une déficience par la défense de leurs droits, l’élaboration de politiques et la tenue d’activités d’avancement des droits (y compris des litiges).

B.            Action sous‑jacente

[8]                              Le 12 septembre 2016, le CCD et deux demandeurs individuels (Mary Louise MacLaren et D.C.) ont déposé un avis de poursuite civile dans lequel ils contestaient la constitutionnalité de la législation de la Colombie‑Britannique en matière de santé mentale. Dans cet avis, il était allégué que certaines dispositions contenues dans trois lois interreliées — le par. 31(1) de la Mental Health Act, R.S.B.C. 1996, c. 288, les al. 2(b) et (c) de la Health Care (Consent) and Care Facility (Admission) Act, R.S.B.C. 1996, c. 181, et les al. 11(1)(b) et (c) de la Representation Agreement Act, R.S.B.C. 1996, c. 405 — violent l’art. 7  et le par. 15(1)  de la Charte . Ensemble, ces dispositions permettent aux médecins d’administrer un traitement psychiatrique à des patients en placement non volontaire ayant une déficience mentale sans leur consentement ou celui d’un mandataire ou d’une personne qui les soutient dans la prise de décision dans certaines circonstances.

[9]                              Madame MacLaren et D.C. étaient des patients en placement non volontaire touchés par les dispositions contestées. Dans l’avis de poursuite civile, ces particuliers ont allégué avoir subi un préjudice par suite de traitements psychiatriques forcés dont la prise de médicaments psychotropes et l’administration d’électrochocs.

C.            Retrait des demandeurs individuels et avis de poursuite civile modifié

[10]                          Le 25 octobre 2017, Mme MacLaren et D.C. se sont désistés de leur demande et se sont retirés du litige, de sorte que le CCD est l’unique demandeur restant. Peu après, celui‑ci a déposé un avis de poursuite civile modifié. Dans ce document, il a remplacé toutes les allégations de fait liées à Mme MacLaren et à D.C. par des allégations semblables concernant la nature, l’administration et les répercussions en général d’un traitement psychiatrique forcé sur des patients en placement non volontaire. Il a également ajouté une section dans laquelle il soutenait qu’il devrait se faire reconnaître la qualité pour agir dans l’intérêt public.

D.           Avis de requête en rejet déposé par le procureur général de la Colombie-Britannique

[11]                          Le 31 janvier 2018, le PGCB a déposé une réponse modifiée dans laquelle il a fait valoir que le CCD n’avait pas répondu aux critères applicables pour se faire reconnaître la qualité pour agir dans l’intérêt public et ne pouvait intenter ses recours fondés sur la Charte  en l’absence d’un demandeur individuel. Environ six mois plus tard, le PGCB a déposé un avis de requête en rejet. Il y sollicitait une ordonnance rejetant l’action du CCD au motif que celui‑ci n’avait pas qualité pour poursuivre l’action.

[12]                          Le CCD a répondu en déposant un affidavit souscrit par Mme Melanie Benard, présidente du sous‑comité du CCD sur la santé mentale. Mme Benard a déclaré que :

1.      durant sa carrière à titre d’avocate spécialisée en droit de la santé mentale, elle a acquis une expérience directe auprès des personnes ayant ou ayant eu des incapacités liées à la santé mentale;

2.      le CCD est une organisation reconnue de défense des droits des personnes ayant une déficience, y compris une déficience mentale, et il a participé, à titre de demandeur ou d’intervenant, à plus de 35 poursuites judiciaires (dont 24 devant la Cour suprême du Canada) relatives aux droits des personnes ayant une déficience;

3.      les litiges fondés sur la Charte  sont complexes, souvent très longs, et stressants, et il n’est pas raisonnable de s’attendre à ce que des individus qui ont des déficiences mentales s’engagent dans une contestation constitutionnelle et la mènent à bien;

4.      le CCD [traduction] « a l’intention de faire comparaître des témoins de faits ainsi que des témoins experts, dont des individus ayant subi directement » les répercussions des dispositions contestées (d.a., p. 236).

[13]                         Madame Benard n’a pas été contre‑interrogée relativement à son affidavit.

E.            Recours collectif subséquent et action pour préjudice corporel

[14]                         En octobre 2019 — après que la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a entendu l’appel dans la présente affaire, mais avant qu’elle ait rendu sa décision —, trois parties privées ont engagé un recours collectif en vertu de la Class Proceedings Act, R.S.B.C. 1996, c. 50, par lequel elles contestent les mêmes dispositions législatives que celles qui sont en cause dans le présent pourvoi. Madame MacLaren et un autre demandeur ont engagé une action similaire par laquelle ils cherchaient à obtenir des réparations constitutionnelles et pour lésions corporelles, mais ils ont subséquemment retiré cette demande.

[15]                          Pour l’instant, le recours collectif envisagé n’a pas été autorisé, et le PGCB s’oppose à son autorisation. Le 30 octobre 2020, ce dernier a déposé une réponse dans laquelle il affirme que l’action ne satisfait pas aux critères d’autorisation.

III.         Décisions des juridictions inférieures

A.           Cour suprême de la Colombie‑Britannique, 2018 BCSC 1753 (le juge en chef Hinkson)

[16]                          Le juge en chambre a accueilli la requête en procès sommaire présentée par le PGCB, a refusé de reconnaître au CCD la qualité pour agir et a rejeté la demande de ce dernier. À son avis, le CCD n’a pas satisfait au test à trois critères applicable pour juger de la qualité pour agir dans l’intérêt public énoncé par la Cour dans l’arrêt Downtown Eastside : (i) Le demandeur a‑t‑il soulevé une question sérieuse et justiciable? (ii) Le demandeur a‑t‑il un intérêt véritable relativement à la question? (iii) Compte tenu de toutes les circonstances, la poursuite proposée est‑elle une manière raisonnable et efficace de saisir le tribunal de la question?

(1)            Question sérieuse et justiciable

[17]                          Le juge en chambre a conclu que le CCD n’a pas soulevé de question justiciable, car sa demande ne reposait pas sur [traduction] « le fondement factuel indispensable qui précise la nature de la demande et ouvre la voie à l’enquête et à la réparation demandée » (par. 38 (CanLII)). Il a fait remarquer que le [traduction] « problème fondamental » de la demande du CCD résidait dans « l’absence d’un contexte factuel propre à la cause d’un particulier » (par. 37).

(2)            Intérêt véritable

[18]                          Le juge en chambre a conclu que l’intérêt du CCD ne satisfaisait [traduction] « que faiblement » au critère de l’« intérêt véritable », parce que ses activités étaient « davantage axées sur la déficience (particulièrement la déficience physique) et beaucoup moins sur la santé mentale » (par. 44 et 53).

(3)            Manière raisonnable et efficace

[19]                          Le juge en chambre a conclu que le fait de reconnaître la qualité pour agir dans l’intérêt public au CCD ne constituerait pas une manière raisonnable et efficace de soumettre la question aux tribunaux. Il a convenu que le CCD possède l’expertise et les ressources pour engager l’action, mais il n’était toujours pas convaincu de sa capacité à satisfaire au facteur relatif à la « manière raisonnable et efficace », et ce, pour plusieurs raisons :

1.      l’engagement formulé par le CCD de produire un dossier solide au procès ne lui permettait pas de s’acquitter de son fardeau de démontrer qu’il détient la qualité pour agir dans l’intérêt public au stade du procès sommaire, et le juge en chambre doutait que le CCD puisse présenter un [traduction] « contexte factuel suffisamment concret et élaboré » pour trancher la question qu’il avait soulevée (par. 69);

2.      le CCD n’a pas convaincu le juge en chambre qu’il pourrait représenter équitablement les intérêts de toutes les personnes touchées par les dispositions contestées, encore moins de [traduction] « tous les résidents de la Colombie‑Britannique » auxquels le CCD a fait référence dans son avis de poursuite civile modifié (par. 76);

3.      au cours des 40 dernières années, les efforts déployés par le CCD pour défendre les droits des individus ayant une déficience n’en ont pas nécessairement fait un défenseur de ceux ayant des problèmes de santé en lien avec une déficience mentale, puisque ses activités en matière de défense des droits de ces individus, au contraire de celles visant les personnes ayant des problèmes de santé en lien avec une déficience physique, ont été limitées;

4.      dans son affidavit, Mme Benard n’a pas expliqué pourquoi il était irréaliste de s’attendre à ce que des particuliers ayant une déficience mentale et ayant vécu les répercussions des mesures législatives contestées engagent et mènent à bien une contestation judiciaire de ces mesures.

[20]                          Après avoir soupesé ces trois facteurs de façon cumulative, le juge en chambre a refusé d’exercer son pouvoir discrétionnaire de reconnaître au CCD la qualité pour agir dans l’intérêt public et il a rejeté l’action de ce dernier.

B.            Cour d’appel de la Colombie‑Britannique, 2020 BCCA 241, 41 B.C.L.R. (6th) 47 (les juges Frankel, Dickson et DeWitt‑Van Oosten)

[21]                          La Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a accueilli l’appel, a annulé l’ordonnance rejetant l’action et a renvoyé l’affaire devant la Cour suprême de la Colombie‑Britannique pour réexamen du dossier.

(1)            L’accès à la justice et le principe de la légalité

[22]                          Dans son analyse, la Cour d’appel a d’abord commenté deux principes présentés dans l’arrêt Downtown Eastside comme des caractéristiques importantes du droit relatif à la qualité pour agir : (i) l’importance pour les tribunaux de respecter le principe de la légalité — le concept selon lequel les actes de l’État doivent être conformes à la Constitution et ne pas être à l’abri d’un examen judiciaire — et (ii) les réalités pratiques lorsqu’il s’agit d’assurer l’accès à la justice pour les citoyens vulnérables et marginalisés qui sont grandement touchés par une loi dont la validité constitutionnelle est contestable.

[23]                          Selon la Cour d’appel, [traduction] « il convient d’accorder à ces principes une importance particulière dans l’exercice de mise en balance qu’un juge doit entreprendre lorsqu’il décide s’il doit reconnaître ou non la qualité pour agir dans l’intérêt public » (par. 79). Bien [traduction] « qu’il faille tenir compte » d’autres facteurs, la légalité et l’accès à la justice sont « les éléments clés de l’approche souple et téléologique prescrite par l’arrêt Downtown Eastside » (par. 79).

(2)            Question sérieuse et justiciable

[24]                          La Cour d’appel a conclu que le juge en chambre avait commis une erreur en exigeant la présence d’un [traduction] « contexte factuel propre à la cause d’un particulier » ou d’un demandeur individuel pour l’analyse du facteur de la question sérieuse et justiciable (par. 114). Elle a décrit la demande du CCD comme [traduction] « une contestation constitutionnelle globale et systémique de dispositions législatives spécifiques qui affectent directement tous les membres d’un groupe défini et identifiable d’une manière sérieuse, spécifique et générale, indépendamment des expériences ou attributs individuels de quelque membre particulier du groupe que ce soit » (par. 112). Pour ce motif, la Cour d’appel a conclu que le CCD pourrait étayer sa demande en produisant des éléments de preuve provenant d’individus ne participant pas au recours, mais qui sont directement touchés par les dispositions en question, ou de témoins experts, plutôt que d’un codemandeur individuel.

(3)            Manière raisonnable et efficace

[25]                          Compte tenu de sa conclusion concernant le facteur de la question sérieuse et justiciable, la Cour d’appel n’a pas examiné les autres facteurs énoncés dans l’arrêt Downtown Eastside. Cependant, elle a souligné que, dans son analyse du troisième facteur, le juge en chambre n’a pas adopté l’approche souple et téléologique quant à la question de la qualité pour agir exigée par l’arrêt Downtown Eastside. Plus particulièrement, elle était en désaccord avec la suggestion du juge en chambre selon laquelle, [traduction] « si possible, il est toujours préférable qu’une organisation d’intérêt public aide un individu en demeurant en arrière‑plan, plutôt qu’elle demande la qualité pour agir dans l’intérêt public » (motifs de la C.A., par. 115 (soulignement omis)).

(4)            Perspective de dédoublement des actions

[26]                          La Cour d’appel a également formulé des remarques sur le recours collectif envisagé. Elle a reconnu que la perspective du dédoublement de contestations fondées sur la Charte  est pertinente — mais pas déterminante — quand il est question de reconnaître ou non la qualité pour agir dans l’intérêt public. Elle a conclu que la Cour suprême de la Colombie‑Britannique serait mieux placée pour évaluer la demande du CCD visant à se faire reconnaître la qualité pour agir dans l’intérêt public après l’examen d’un dossier révisé à la lumière de cette nouvelle information.

IV.         Questions en litige

[27]                          Le présent pourvoi soulève trois questions :

1.      Quel rôle les principes de l’accès à la justice et de la légalité jouent‑ils dans le test applicable pour juger de la qualité pour agir dans l’intérêt public, et convient‑il de leur accorder une « importance particulière » dans l’exercice de mise en balance que les juges doivent entreprendre pour reconnaître la qualité pour agir dans l’intérêt public?

2.      En l’absence d’un codemandeur individuel, comment une partie qui sollicite la qualité pour agir dans l’intérêt public peut‑elle démontrer que sa demande sera présentée dans un « contexte factuel suffisamment concret et élaboré »? Si le réexamen de la question de la qualité pour agir à un stade ultérieur d’une instance est nécessaire pour garantir l’existence d’un tel contexte, sous quelles conditions les parties devraient-elles être autorisées à le demander?

3.      En appliquant ces principes, le CCD devrait‑il se faire reconnaître la qualité pour agir dans l’intérêt public?

V.           Analyse

A.           La légalité et l’accès à la justice sous‑tendent les règles de droit relatives à la qualité pour agir dans l’intérêt public

[28]                          La décision de reconnaître ou non la qualité pour agir dans l’intérêt public relève du pouvoir discrétionnaire des tribunaux (Downtown Eastside, par. 20). Lorsqu’il exerce ce pouvoir, un tribunal doit apprécier et soupeser de façon cumulative trois facteurs en adoptant une approche téléologique et en tenant compte des circonstances. Ces facteurs sont les suivants : (i) L’affaire soulève‑t‑elle une question sérieuse et justiciable? (ii) La partie qui a intenté la poursuite a‑t‑elle un intérêt véritable dans l’affaire? (iii) La poursuite proposée constitue‑t‑elle une manière raisonnable et efficace de soumettre la cause à la cour? (par. 2)

[29]                          Dans l’arrêt Downtown Eastside, notre Cour a expliqué que chaque facteur doit être « soupes[é] à la lumière des objectifs qui sous‑tendent les restrictions à la qualité pour agir et appliqu[é] d’une manière souple et libérale de façon à favoriser la mise en œuvre de ces objectifs sous‑jacents » (par. 20). Ces objectifs sont de trois ordres : (i) l’affectation efficace des ressources judiciaires limitées et la nécessité d’écarter les plaideurs « trouble‑fête », (ii) l’assurance que les tribunaux entendront les principaux intéressés faire valoir contradictoirement leurs points de vue, et (iii) la sauvegarde du rôle propre aux tribunaux dans le cadre de notre système démocratique de gouvernement (par. 1).

[30]                          Dans le cadre de leurs analyses, les tribunaux doivent également examiner les objectifs qui justifient la reconnaissance de la qualité pour agir (Downtown Eastside, par. 20, 23, 36, 39‑43, 49‑50 et 76). Ces objectifs sont de deux ordres : (i) donner plein effet au principe de la légalité et (ii) assurer un accès aux tribunaux ou, plus largement, un accès à la justice (par. 20, 39‑43 et 49). Dans chaque cas, le but est d’établir un véritable équilibre entre les objectifs qui militent pour la reconnaissance de la qualité pour agir et ceux qui militent pour la restreindre (par. 23).

[31]                          L’arrêt Downtown Eastside demeure l’autorité en la matière. Les tribunaux devraient s’efforcer d’établir un équilibre entre tous les objectifs à la lumière des circonstances et dans l’« exercice judicieux du pouvoir judiciaire discrétionnaire » qui leur est conféré (par. 21). Par conséquent, ils ne devraient pas, en règle générale, accorder une « importance particulière » à l’un ou l’autre des objectifs, y compris au principe de la légalité et à l’accès à la justice. Ces principes sont importants — et ont d’ailleurs joué un rôle crucial dans l’élaboration de la notion de qualité pour agir dans l’intérêt public —, mais ce ne sont que deux considérations parmi de nombreuses autres qui guident l’analyse prescrite par l’arrêt Downtown Eastside.

[32]                          Pour démontrer ce point, je définirai la légalité et l’accès à la justice, j’examinerai leur rôle dans l’élaboration de la notion de qualité pour agir dans l’intérêt public, puis je cernerai leur place au sein du cadre d’analyse énoncé dans l’arrêt Downtown Eastside. Cet exercice me permettra de conclure que la Cour d’appel a eu tort d’accorder une « importance particulière » à ces principes dans son analyse.

(1)           Définition du principe de la légalité et de l’accès à la justice

[33]                          Le principe de la légalité renvoie à deux idées : (i) le fait que les actes de l’État doivent être conformes à la loi et (ii) le fait qu’il doit exister des manières pratiques et efficaces de contester la légalité des actions de l’État (Downtown Eastside, par. 31). La légalité tire son origine de la primauté du droit : « [s]i les gens [n’étaient] pas en mesure de contester en justice les mesures prises par l’État, ils ne [pourraient] obliger celui‑ci à rendre des comptes — l’État serait alors au‑dessus des lois ou perçu comme tel » (Trial Lawyers Association of British Columbia c. Colombie‑Britannique (Procureur général), 2014 CSC 59, [2014] 3 R.C.S. 31, par. 40).

[34]                          L’accès à la justice, à l’instar de la légalité, est « essentiel à la primauté du droit » (Trial Lawyers, par. 39). Comme l’a affirmé le juge en chef Dickson, « [i]l ne peut y avoir de primauté du droit sans accès aux tribunaux, autrement la primauté du droit sera remplacée par la primauté d’hommes et de femmes qui décident qui peut avoir accès à la justice » (B.C.G.E.U. c. Colombie‑Britannique (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 214, p. 230).

[35]                         L’accès à la justice a de nombreuses dimensions, comme la connaissance de ses droits et du fonctionnement de notre système de justice, la capacité d’obtenir l’assistance d’un avocat et d’accéder aux voies de recours judiciaires ainsi que l’élimination des obstacles qui empêchent souvent des parties éventuelles de s’assurer du respect de leurs droits. Toutefois, pour les fins du présent pourvoi, par accès à la justice, j’entends « accès aux tribunaux » au sens large (voir, p. ex., G. J. Kennedy et L. Sossin, « Justiciability, Access to Justice and the Development of Constitutional Law in Canada » (2017), 45 Fed. L. Rev. 707, p. 710).

[36]                         Dans l’arrêt Downtown Eastside, la Cour a reconnu que l’accès à la justice est en symbiose avec la qualité pour agir dans l’intérêt public : le pouvoir discrétionnaire des tribunaux d’accorder ou de refuser la qualité pour agir intervient comme rempart qui a une incidence directe sur l’accès (par. 51). La qualité pour agir dans l’intérêt public procure une avenue pour contester la légalité de l’action gouvernementale, en dépit des obstacles sociaux, économiques ou psychologiques à l’accès qui pourraient empêcher des individus de faire valoir leurs droits.

(2)            Contribution de la légalité et de l’accès à la justice dans l’élaboration de la notion de qualité pour agir dans l’intérêt public

[37]                         La légalité et l’accès à la justice font partie intégrante de l’histoire de la qualité pour agir dans l’intérêt public. Dans l’arrêt Thorson c. Procureur général du Canada, [1975] 1 R.C.S. 138, par exemple, la Cour s’est fondée principalement sur le principe de la légalité pour admettre l’existence du pouvoir discrétionnaire de reconnaître la qualité pour agir dans l’intérêt public (p. 163). Dans cette affaire, la Cour a accordé à un plaideur la qualité pour contester une loi qui ne le touchait pas directement, estimant qu’une question constitutionnelle ne « devrait [pas] être mise à l’abri d’un examen judiciaire en niant qualité pour agir à quiconque tente d’attaquer la loi contestée » (p. 145).

[38]                         Il a de nouveau été question de légalité dans l’arrêt Nova Scotia Board of Censors c. McNeil, [1976] 2 R.C.S. 265, une cause dans laquelle la Cour a accordé la qualité pour agir même si une personne plus directement touchée par la loi avait pu intenter une poursuite privée. Dans cette affaire, notre Cour a autorisé le rédacteur en chef d’un journal — un membre du public — à contester les pouvoirs de censure conférés à un organisme administratif. Les propriétaires et les gestionnaires de théâtres étaient plus directement touchés par la loi que le public en général, mais la Cour a jugé qu’il était improbable que ceux‑ci présentent des contestations. Comme il n’y avait « pratiquement aucun autre moyen de soumettre la loi contestée à l’examen judiciaire », la Cour a reconnu à un membre du public la qualité pour agir afin de solliciter un jugement déclaratoire portant que la loi était inconstitutionnelle (p. 271).

[39]                          Il a été question d’accès à la justice de même que du principe de la légalité dans l’arrêt Finlay c. Canada (Ministre des Finances), [1986] 2 R.C.S. 607, le premier jugement rendu par la Cour après l’adoption de la Charte  portant sur la qualité pour agir dans l’intérêt public. Dans cet arrêt, la Cour a reconnu la qualité pour agir et a souligné « l’importance dans un État fédéral de pouvoir s’adresser aux tribunaux pour contester la constitutionnalité d’une loi » (p. 627). Elle a aussi fait observer que le principe sous‑jacent à l’exercice du pouvoir discrétionnaire à l’égard de la qualité pour agir était l’intérêt public à assurer le respect des « limites d’un pouvoir conféré par la loi » (p. 631‑632).

[40]                          Enfin, dans l’arrêt Conseil canadien des Églises c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 R.C.S. 236, notre Cour s’est fondée sur la légalité pour refuser de reconnaître la qualité pour agir. La Cour a souligné « le droit fondamental du public d’être gouverné conformément aux règles de droit » et reconnu que la qualité pour agir dans l’intérêt public a « pour objet d’empêcher que la loi ou les actes publics soient à l’abri des contestations » (p. 250 et 252). Comme la mesure avait déjà été « contest[ée] » par des particuliers plaideurs, il n’était « pas nécessaire » de reconnaître la qualité pour agir dans l’intérêt public (p. 252‑253).

(3)            Prise en compte de la légalité et de l’accès à la justice dans le cadre d’analyse actuel

[41]                          Le cadre actuel applicable pour juger de la qualité pour agir dans l’intérêt public découle de l’arrêt Downtown Eastside. Suivant ce cadre, les tribunaux soupèsent de manière souple et téléologique les trois facteurs énoncés dans l’arrêt Downtown Eastside à la lumière des « circonstances particulières » de l’affaire, et ils le font « de façon “libérale et souple” » (par. 2, citant Conseil canadien des Églises, p. 253).

[42]                          La cadre d’analyse prescrit par l’arrêt Downtown Eastside répond à un grand nombre de préoccupations qui sous‑tendent les règles de droit relatives à la qualité pour agir. La légalité et l’accès à la justice sont deux de ces préoccupations. Ce cadre tient toutefois également compte de préoccupations traditionnelles relatives à l’expansion de la notion de qualité pour agir dans l’intérêt public, y compris la façon dont sont réparties les ressources judiciaires limitées et la nécessité d’écarter les « trouble‑fête », l’importance de garantir que les tribunaux disposent des points de vue divergents de ceux qui sont le plus directement touchés par les questions et celle d’assurer que les tribunaux puissent jouer leur rôle au sein de notre démocratie constitutionnelle.

[43]                          Il sera utile de cerner brièvement chacune de ces préoccupations ainsi que leur place dans le cadre d’analyse de l’arrêt Downtown Eastside. Bien que la légalité et l’accès à la justice sont examinés principalement en lien avec le troisième facteur, il est toutefois utile de revoir les trois facteurs.

a)               Préoccupations traditionnelles quant aux règles de droit relatives à la qualité pour agir

[44]                          La nécessité de bien répartir les ressources judiciaires limitées concerne la question du fonctionnement efficace du système judiciaire dans son ensemble. Comme notre Cour l’a conclu dans l’arrêt Conseil canadien des Églises, « [c]e serait désastreux si les tribunaux devenaient complètement submergés en raison d’une prolifération inutile de poursuites insignifiantes ou redondantes intentées par des organismes bien intentionnés dans le cadre de la réalisation de leurs objectifs » (p. 252). Cette préoccupation est également liée à une possible multiplicité de poursuites présentées par de « [simples] trouble‑fête », c’est‑à‑dire, des demandeurs qui cherchent à utiliser les tribunaux pour faire progresser des intérêts personnels et qui pourraient miner d’autres contestations présentées par des demandeurs ayant un intérêt réel dans l’affaire (Finlay, p. 631).

[45]                          Dans l’arrêt Downtown Eastside, la Cour a noté que la préoccupation quant aux « trouble‑fête » pouvait être exagérée : « [a]près tout, bien peu de gens saisiront les tribunaux d’une affaire dans laquelle ils n’ont aucun intérêt et qui, en soi, ne laisse entrevoir aucune fin légitime » (par. 28). Le refus de reconnaître la qualité pour agir « n’est pas la seule manière, ni nécessairement la plus appropriée, pour se prémunir contre ces périls » : les tribunaux peuvent aussi vérifier le bien‑fondé des demandes à un stade préliminaire de l’instance, intervenir afin de prévenir les abus et adjuger des dépens, toutes des avenues qui permettent d’éviter la multiplication des poursuites par ces « trouble‑fête » (par. 28).

[46]                          Le fait d’entendre les points de vue divergents de ceux qui sont le plus touchés par les questions soulevées dans le recours permet aux tribunaux d’effectuer leur travail : en effet, ces derniers « dépendent des parties quant à la présentation complète et adroite des éléments de preuve et des arguments » (Downtown Eastside, par. 29). L’absence de faits et d’arguments propres aux parties touchées « compromet la capacité de la Cour de s’assurer qu’elle entend ceux qui sont le plus directement touchés et que les questions relatives à la Charte  sont tranchées dans un contexte factuel approprié » (Hy and Zel’s Inc. c. Ontario (Procureur général), [1993] 3 R.C.S. 675, p. 694).

[47]                          Conformément au rôle propre aux tribunaux et à leur relation constitutionnelle avec les autres branches de l’État, les parties à un litige doivent soulever une question dont les tribunaux peuvent être saisis — c’est‑à‑dire une question justiciable. À titre d’exemple, un tribunal pourrait, « faute de légitimité, n’être d’aucun secours pour régler un différend portant sur l’identité du meilleur joueur de hockey de tous les temps, sur un joueur de bridge que l’on écarte de son habituelle soirée de jeu hebdomadaire ou sur une cousine convaincue qu’elle aurait dû être invitée à un mariage » (Highwood Congregation of Jehovah’s Witnesses (Judicial Committee) c. Wall, 2018 CSC 26, [2018] 1 R.C.S. 750, par. 35).

b)              Question sérieuse et justiciable

[48]                          Le premier des facteurs établis par l’arrêt Downtown Eastside, à savoir si l’affaire soulève une question sérieuse et justiciable, est lié à deux des préoccupations traditionnelles. La justiciabilité a trait à la préoccupation relative au rôle propre aux tribunaux et à la relation constitutionnelle qu’ils doivent entretenir avec les autres branches de l’État. En insistant sur l’existence d’une question justiciable, les tribunaux s’assurent d’exercer leur pouvoir discrétionnaire de reconnaître ou non la qualité pour agir d’une façon qui est cohérente avec le rôle constitutionnel qui leur est propre. Le « caractère sérieux », en revanche, se rapporte à la préoccupation relative à l’allocation des ressources judiciaires limitées et à la nécessité d’écarter les « [simples] trouble‑fête ». Ce facteur favorise aussi largement l’accès à la justice, puisque les tribunaux doivent s’assurer que leurs ressources demeurent à la disposition de ceux qui en ont le plus besoin (voir, p. ex., Trial Lawyers, par. 47).

[49]                          Une question soulevée est sérieuse lorsqu’elle est « loin d’être futil[e] » (Downtown Eastside, par. 42, citant Finlay, p. 633). Les tribunaux doivent évaluer une demande de « façon préliminaire » pour décider si « certains aspects de la déclaration soulèv[ent] une question sérieuse quant à la validité de la loi » (Downtown Eastside, par. 42, citant Conseil canadien des Églises, p. 254). Dès qu’il devient évident que la déclaration fait état d’au moins une question sérieuse, il ne sera généralement pas nécessaire d’examiner minutieusement chacun des arguments plaidés pour trancher la question de la qualité pour agir (Downtown Eastside, par. 42).

[50]                          Pour qu’une question soit jugée justiciable, il doit convenir de la faire trancher par un tribunal, c’est‑à‑dire que le tribunal doit disposer des attributions institutionnelles et de la légitimité requises pour la trancher (Highwood Congregation, par. 32‑34). La qualité pour agir dans l’intérêt public repose sur l’existence d’une question justiciable (Downtown Eastside, par. 30). À moins qu’une question soit justiciable, en ce sens qu’elle se prête à une décision judiciaire, elle ne sera ni entendue ni tranchée, quelles que soient les parties (Highwood Congregation, par. 33, citant L. M. Sossin, Boundaries of Judicial Review : The Law of Justiciability in Canada (2e éd. 2012), p. 7).

c)               Intérêt véritable

[51]                          Le deuxième facteur, à savoir si le demandeur a un intérêt véritable dans les questions, traduit aussi la préoccupation de conserver les ressources judiciaires limitées et la nécessité d’écarter les simples trouble‑fête. Il s’agit de répondre à « la question de savoir si le demandeur a un intérêt réel dans les procédures ou est engagé quant aux questions qu’elles soulèvent » (Downtown Eastside, par. 43). Pour juger de l’existence d’un intérêt véritable, le tribunal peut faire référence, notamment, à la réputation du demandeur ainsi qu’à la question de savoir s’il a un intérêt constant dans l’action et un lien continu avec elle (voir, p. ex., Conseil canadien des Églises, p. 254).

d)              Manière raisonnable et efficace

[52]                          Le troisième facteur, soit celui relatif à une manière raisonnable et efficace, concerne tant la légalité que l’accès à la justice. Il est « étroitement lié » au principe de la légalité, étant donné qu’il s’agit de savoir s’il est souhaitable de reconnaître la qualité pour agir afin d’assurer la légalité des mesures prises par les acteurs gouvernementaux (Downtown Eastside, par. 49). Il enjoint aussi aux tribunaux d’examiner si la reconnaissance de la qualité pour agir favorise l’accès à la justice des « personnes défavorisées de la société dont les droits reconnus par la loi sont touchés » par la loi ou les actes contestés (par. 51).

[53]                          Ce facteur est également lié à la préoccupation de ne pas surcharger inutilement le système judiciaire, car « [s]’il existe d’autres manières de soumettre la question aux tribunaux, les ressources judiciaires limitées peuvent être mieux utilisées » (Hy and Zel’s, p. 692). Il répond par ailleurs à la préoccupation que les tribunaux doivent pouvoir entendre les personnes le plus directement touchées par les questions faire valoir contradictoirement leurs points de vue (Finlay, p. 633).

[54]                         Pour déterminer si, compte tenu de toutes les circonstances, la poursuite proposée est une manière raisonnable et efficace de soumettre une question aux tribunaux, ceux‑ci doivent se demander si l’action envisagée constitue une utilisation efficiente des ressources judiciaires, si les questions sont justiciables dans un contexte accusatoire, et si le fait d’autoriser la poursuite de l’action envisagée favorise le respect du principe de la légalité (Downtown Eastside, par. 50). Comme les autres facteurs, celui‑ci doit être appliqué de manière téléologique et considéré « d’un point de vue pratique et pragmatique » (par. 47).

[55]                         La liste non exhaustive suivante fait état de certaines « questions interdépendantes » qu’un tribunal pourrait trouver utile de considérer lorsqu’il se penche sur le troisième facteur (Downtown Eastside, par. 51) :

1.      La capacité du demandeur d’engager la poursuite : Quelles ressources et quelle expertise le demandeur peut‑il offrir? L’objet du litige sera‑t‑il présenté dans un contexte factuel suffisamment concret et élaboré?

2.      L’intérêt public de la cause : La cause transcende‑t‑elle les intérêts des parties qui sont le plus directement touchées par les dispositions législatives ou par les mesures contestées? Les tribunaux doivent tenir compte du fait qu’une des idées associées aux poursuites d’intérêt public est que ces poursuites peuvent assurer un accès à la justice aux personnes défavorisées et marginalisées de la société dont les droits sont touchés.

3.      L’existence d’autres manières de trancher la question : Y a‑t‑il d’autres manières réalistes qui favoriseraient une utilisation plus efficace et efficiente des ressources judiciaires et qui offriraient un contexte plus favorable à ce qu’une décision soit rendue dans le cadre du système contradictoire? Si d’autres actions ont été engagées relativement à la question, quels sont les avantages, d’un point de vue pratique, d’avoir des recours parallèles? Les autres actions résoudront‑elles les questions de manière aussi ou plus raisonnable et efficace? Le demandeur apporte‑t‑il une perspective particulièrement utile ou distincte en vue de trancher ces questions?

4.      L’incidence éventuelle de l’action sur d’autres personnes : Quelle incidence, le cas échéant, l’action aura‑t‑elle sur les droits d’autres personnes dont les intérêts sont aussi, sinon plus touchés? L’« échec d’une contestation trop diffuse » pourrait‑elle faire obstacle à des contestations ultérieures par des parties qui auraient des plaintes précises fondées sur des faits? (par. 51, citant Danson c. Ontario (Procureur général), [1990] 2 R.C.S. 1086, p. 1093.)

(4)            Conclusion sur la légalité et l’accès à la justice dans les règles de droit relatives à la qualité pour agir dans l’intérêt public

[56]                         La Cour d’appel a eu tort de conclure que les principes de la légalité et de l’accès à la justice méritent une « importance particulière » dans l’analyse fondée sur l’arrêt Downtown Eastside. La jurisprudence de notre Cour, et en particulier le cadre existant énoncé dans l’arrêt Downtown Eastside, répond déjà à ces facteurs, tant implicitement qu’explicitement. Il ne leur accorde toutefois pas une importance primordiale dans l’analyse.

[57]                         La légalité, par exemple, est prise en compte dans le contexte du facteur relatif aux « manières raisonnables et efficaces » (Downtown Eastside, par. 49), et peut aussi être examinée au regard des « questions interdépendantes » que le tribunal peut considérer dans l’appréciation de ce facteur (par. 51). L’accès à la justice est aussi pris en considération lorsqu’il s’agit d’examiner si la poursuite est une manière raisonnable et efficace de soumettre une question aux tribunaux. Il est également pris en compte dans le contexte de l’appréciation du facteur relatif à la « question sérieuse et justiciable », qui permet aux tribunaux d’écarter les demandes non fondées et de veiller à ce que les ressources judiciaires demeurent à la disposition des personnes qui en ont le plus besoin.

[58]                         Comme il est principalement question de la légalité et de l’accès à la justice en lien avec le troisième facteur, leur accorder une « importance particulière » aurait concrètement pour effet de convertir le facteur relatif aux « manières raisonnables et efficaces » en un facteur déterminant. Or, notre Cour a expressément mis en garde contre cette issue dans l’arrêt Downtown Eastside. Elle a encouragé les tribunaux à tenir compte des principes de l’accès à la justice et de la légalité, mais a précisé que « [c]eci ne devrait [. . .] pas être assimilé à une permission de reconnaître la qualité pour agir à quiconque décide de s’afficher comme le représentant des personnes pauvres et marginalisées » (par. 51).

[59]                         Dans l’arrêt Downtown Eastside, la Cour a adopté une approche souple qui reconnaît le pouvoir discrétionnaire des juges quant à la question de la qualité pour agir dans l’intérêt public. Cette approche doit être guidée par tous les objectifs sous‑jacents aux limites à la reconnaissance de la qualité pour agir, de même que par les principes de la légalité et de l’accès à la justice. S’il est vrai que l’accès à la justice et, plus spécialement, la légalité ont été essentiels à l’élaboration des règles de droit en matière de qualité pour agir dans l’intérêt public et qu’il s’agit de considérations importantes, ce ne sont pas les seules à prendre en compte. Autrement dit, aucun objet, principe ou facteur particuliers n’a préséance dans l’analyse.

B.            Contexte factuel suffisant pour la tenue d’un procès

[60]                         Selon le troisième facteur énoncé dans l’arrêt Downtown Eastside, les tribunaux sont tenus de chercher à savoir si, compte tenu de toutes les circonstances, une poursuite proposée constitue une manière raisonnable et efficace de soumettre une question aux tribunaux. L’une des nombreuses questions que doit examiner un tribunal au moment de se pencher sur ce facteur est « la capacité du demandeur d’engager une poursuite » (par. 51). Pour évaluer cette capacité, le tribunal doit « examiner notamment [l]es ressources [du demandeur] et son expertise ainsi que la question de savoir si l’objet du litige sera présenté dans un contexte factuel suffisamment concret et élaboré » (par. 51).

[61]                         En l’espèce, le litige tourne autour de cette dernière question, soit celle « de savoir si l’objet du litige sera présenté dans un contexte factuel suffisamment concret et élaboré ». Le PGCB fait valoir que le CCD n’a pas présenté — et ne peut pas présenter — un contexte factuel suffisant parce qu’aucun individu n’est codemandeur dans la cause et qu’il faut en conséquence refuser de lui reconnaître la qualité pour agir.

[62]                         L’argument du PGCB invite la Cour à examiner comment les plaideurs qui sollicitent la qualité pour agir dans l’intérêt public peuvent convaincre une cour qu’un contexte factuel suffisant sera présenté au procès. Est‑il nécessaire qu’il y ait un demandeur individuel dans des circonstances comme celles en appel? Dans la négative, comment un demandeur peut‑il convaincre la cour qu’un tel contexte sera présenté alors que, comme en l’espèce, la qualité pour agir est contestée à un stade préliminaire de l’instance? Et, s’il devient nécessaire de remettre en question la qualité pour agir pour s’assurer que ce contexte factuel existe, dans quelles circonstances une partie devrait-elle être autorisée à le faire?

(1)            Présence d’un codemandeur individuel non requise

[63]                         Dès le départ, les deux parties ont reconnu à juste titre que, dans certains cas, un litige d’intérêt public peut être instruit sans qu’un demandeur directement touché y participe (voir, p. ex., m.a., par. 59). L’existence même d’une loi, par exemple, ou la manière dont cette loi a été édictée peut être contestée sur la seule base de faits législatifs (voir, p. ex., Danson, p. 1100‑1101).

[64]                         Toutefois, le PGCB soutient que, lorsque les répercussions d’une loi sont en cause, la présentation d’une preuve provenant d’un demandeur directement touché est essentielle pour [traduction] « garantir la présence d’un contexte factuel propice à la réalisation d’un examen judiciaire » pour déterminer si la qualité pour agir doit être reconnue (m.a., par. 60). Selon le PGCB, dans un tel cas, la partie qui sollicite la qualité pour agir dans l’intérêt public devrait être tenue (i) de justifier l’absence d’un demandeur individuel, (ii) de démontrer en quoi elle est une représentante adéquate pour les droits et intérêts des demandeurs directement touchés et (iii) de démontrer [traduction] « de manière assez précise » la façon dont elle s’y prendra pour présenter un contexte factuel bien élaboré qui compensera l’absence d’un demandeur directement touché (par. 40 et 66).

[65]                         Je n’imposerais pas des exigences aussi rigides, et ce, pour deux raisons.

[66]                         Premièrement, la présence d’un demandeur directement touché n’est pas essentielle pour établir « un contexte factuel suffisamment concret et élaboré ». Les parties représentant l’intérêt public peuvent établir un tel contexte en faisant entendre des témoins concernés (ou autrement bien informés) qui ne sont pas des demandeurs individuels (voir, p. ex., Carter c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 5, [2015] 1 R.C.S. 331, par. 14‑16, 22 et 110; Canada (Procureur général) c. Bedford, 2013 CSC 72, [2013] 3 R.C.S. 1101, par. 15 et 54; Downtown Eastside, par. 74). Tant qu’un tel contexte existe, il n’est pas nécessaire qu’il y ait un codemandeur directement touché ou un représentant adéquat pour que le tribunal reconnaisse la qualité pour agir à une partie représentant l’intérêt public. Si la présence d’un codemandeur directement touché n’est pas requise, les parties représentant l’intérêt public ne devraient pas avoir à justifier l’absence d’un tel individu ni à y remédier.

[67]                         Deuxièmement, les exigences proposées par le PGCB contrecarreraient bon nombre des objectifs traditionnels qui sous‑tendent les règles de droit relatives à la qualité pour agir. Exiger rigoureusement la présence d’un codemandeur directement touché ferait obstacle à l’accès à la justice et minerait le principe de la légalité. Les litiges constitutionnels comportent déjà de nombreux obstacles majeurs pour les parties. Les exigences proposées dresseraient aussi des barrières procédurales superflues qui épuiseraient inutilement les ressources judiciaires. Compte tenu de ces préoccupations, la Cour a eu raison dans l’arrêt Downtown Eastside de retenir la présence de demandeurs directement touchés comme un facteur — plutôt que comme un fardeau de droit et de preuve distinct — à soupeser au cas par cas dans l’exercice discrétionnaire de mise en balance. Je ne vois pas de raison de modifier cette conclusion en l’espèce.

(2)            La démonstration du respect de ce facteur est tributaire du contexte de l’affaire

[68]                         La question demeure : en l’absence d’un codemandeur directement touché, comment la partie cherchant à se faire reconnaître la qualité pour agir dans l’intérêt public pourrait‑elle démontrer que l’objet du litige « sera présenté dans un contexte factuel suffisamment concret et élaboré » (Downtown Eastside, par. 51 (je souligne))? Et, en particulier, comment une telle partie pourrait‑elle le faire si (comme en l’espèce) la qualité pour agir est contestée à un stade préliminaire de l’instance?

[69]                         D’abord, quelques précisions s’imposent. Comme la Cour l’a expliqué dans Downtown Eastside, aucun des facteurs qu’elle y a énumérés n’est une « exigenc[e] inflexibl[e] » ou un « critèr[e] autonom[e] sans aucun lien de dépendance [. . .] avec les autres » (Downtown Eastside, par. 20). Ils doivent plutôt être appréciés et soupesés de façon cumulative, à la lumière de toutes les circonstances. Ainsi, lorsque la qualité pour agir est contestée à un stade préliminaire, démontrer qu’un « contexte factuel suffisamment concret et élaboré » sera présenté au procès n’est pas nécessairement déterminant. Le juge du procès conserve le pouvoir discrétionnaire de déterminer l’importance de cette considération à un stade préliminaire de l’instance en tenant compte des circonstances pertinentes.

[70]                         Cela dit, l’absence d’un tel contexte sera, en principe, déterminante au procès. Un tribunal ne peut pas trancher des questions constitutionnelles dans un vide factuel (Mackay c. Manitoba, [1989] 2 R.C.S. 357, p. 361‑362). La preuve est clé dans les litiges constitutionnels à moins que, dans des circonstances exceptionnelles, il puisse être prouvé à la face même des dispositions législatives en cause que la question en est une exclusivement de droit (voir, p. ex., Danson, p. 1100‑1101, citant Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores Ltd., [1987] 1 R.C.S. 110, p. 133). La qualité pour agir peut donc être remise en question lorsqu’il appert, après le stade de la communication préalable de la preuve, que le demandeur n’a pas présenté suffisamment de faits pour que la demande puisse être tranchée. Toutefois, comme je l’expliquerai, les parties devraient envisager d’autres stratégies en matière de gestion des litiges avant de demander le réexamen de la question de la qualité pour agir, puisque de telles stratégies pourraient constituer des avenues plus appropriées pour répondre aux préoccupations traditionnelles sous‑jacentes aux règles de droit relatives à la qualité pour agir (Downtown Eastside, par. 64). Le défendeur pourrait, par exemple, demander le rejet sommaire de la demande si aucun élément de preuve ne soutient un élément de la demande (comme dans Hryniak c. Mauldin, 2014 CSC 7, [2014] 1 R.C.S. 87, par. 93).

[71]                         Avec ces précisions à l’esprit, je reviens à la question dont nous sommes saisis, soit celle de savoir ce qui est suffisant pour démontrer qu’un contexte factuel suffisamment concret et élaboré sera présenté au procès. La réponse à cette question dépend nécessairement des circonstances, y compris (i) du stade du litige auquel la qualité pour agir est contestée et (ii) de la nature de la cause et des questions dont la cour est saisie. Quant au premier élément, ce qui pourrait, par exemple, satisfaire la cour à un stade préliminaire pourrait se révéler insuffisant à ses yeux à un stade ultérieur. De même, l’importance de l’absence de preuve variera selon la nature de la poursuite et des actes de procédure. Certaines affaires pourraient ne pas être grandement tributaires de faits particuliers — celles, par exemple, où les questions peuvent être, dans une large mesure, débattues au regard de la seule loi. Dans de tels cas, l’absence de preuve concrète au stade des actes de procédure peut ne pas porter un coup fatal à une demande visant la reconnaissance de la qualité pour agir. Toutefois, lorsqu’une cause repose plus fortement sur des faits particuliers, le fondement probatoire pèsera davantage dans la balance, même à un stade préliminaire de l’instance.

[72]                         Lorsque la qualité pour agir est contestée à un stade préliminaire, le demandeur ne devrait pas être tenu de fournir des éléments de preuve devant être produits dans le cadre du procès. Une telle exigence serait inéquitable sur le plan procédural, car elle permettrait au défendeur d’obtenir des éléments de preuve avant la communication préalable. Toutefois, en général, un simple engagement ou une intention de produire des éléments de preuve ne seront pas suffisants pour convaincre un tribunal qu’un fondement probatoire sera présenté. Il peut être utile de donner quelques exemples de considérations qu’une cour pourra juger pertinentes pour évaluer si un contexte factuel suffisamment concret et élaboré sera produit au procès. Comme c’était le cas dans l’arrêt Downtown Eastside, pour les fins de son évaluation du facteur de la « manière raisonnable et efficace », cette liste n’est pas exhaustive, mais illustrative.

1.      Le stade de l’instance : Le tribunal devrait tenir compte du stade où en est l’instance lorsque la qualité pour agir est contestée. À un stade préliminaire, il peut ne pas être crucial de disposer d’un fondement factuel concret selon le cadre établi par l’arrêt Downtown Eastside — le poids spécifique à accorder à cette considération dépendra des circonstances, et relève ultimement du pouvoir discrétionnaire du juge du procès. Toutefois, au procès, l’absence d’un fondement factuel devrait généralement être un obstacle à la reconnaissance de la qualité pour agir dans l’intérêt public.

2.      Les actes de procédure : Le tribunal devrait tenir compte de la nature des actes de procédure et des faits pertinents qui sont plaidés. Existe‑t‑il des faits concrets sur la manière dont la loi a été appliquée qui peuvent être prouvés au procès? Ou existe‑t‑il au contraire simplement des faits hypothétiques sur la façon dont la loi pourrait être interprétée ou appliquée? Ressort‑il des actes de procédure que la cause peut être, dans une large mesure, débattue seulement au regard de la loi, de sorte que la présentation de faits particuliers n’est pas nécessairement cruciale? L’affaire est‑elle au contraire plus tributaire de faits particuliers?

3.      La nature de la partie représentant l’intérêt public : Le tribunal pourrait aussi tenir compte du fait que la partie — s’il s’agit d’une organisation — est composée de personnes touchées par les mesures législatives contestées ou travaille directement avec de telles personnes. Si c’est le cas, il serait raisonnable d’inférer qu’elle a la capacité de produire des éléments de preuve provenant de personnes directement touchées.

4.      Les engagements : Les tribunaux veillent rigoureusement au respect des engagements, lesquels doivent être [traduction] « scrupuleusement observé[s] » (voir, p. ex., Law Society of British Columbia, Code of Professional Conduct for British Columbia (en ligne), règle 5.1‑6). L’engagement d’un avocat à fournir une preuve pourrait contribuer à convaincre un tribunal qu’un contexte factuel suffisant sera présenté au procès. Cependant, à lui seul, un engagement sera rarement suffisant.

5.      Des éléments de preuve concrets : Bien qu’une partie n’y soit pas tenue, fournir des éléments de preuve concrets — ou une liste de témoins éventuels et de la preuve qu’elle entend présenter — constitue une façon claire et convaincante de répondre à une contestation de la qualité pour agir présentée à un stade préliminaire de l’instance. Comme je l’ai expliqué, le poids à donner à l’insuffisance de preuve dépendra du stade du litige, de la nature ainsi que du contexte de l’affaire et des actes de procédure.

(3)            Faculté de réexaminer la qualité pour agir

[73]                         Dans l’arrêt Downtown Eastside, la Cour a mis en garde contre le recours à la « mesure radicale qui consiste à ne pas reconnaître la qualité pour agir » lorsque d’autres stratégies bien reconnues en matière de gestion des litiges pourraient assurer l’utilisation efficiente et efficace des ressources judiciaires (par. 64). Par exemple, les tribunaux peuvent vérifier le bien‑fondé des demandes dès le stade préliminaire de l’instance en intervenant afin de prévenir les abus, et ils disposent du pouvoir d’adjuger les dépens. Un tribunal saisi d’une contestation de la qualité pour agir à un stade préliminaire de l’instance peut aussi reporter l’examen de la question au procès (Finlay, p. 616‑617). N’importe lequel de ces outils peut constituer une avenue plus appropriée que le refus de la reconnaissance de la qualité pour agir afin de répondre aux préoccupations traditionnelles qui sous‑tendent les règles de droit relatives à la question de la qualité pour agir, et les tribunaux devraient en tenir compte lorsqu’ils exercent leur pouvoir discrétionnaire de reconnaître ou non cette qualité (Downtown Eastside, par. 64). De même, les parties devraient généralement recourir aux stratégies alternatives de gestion des litiges avant de demander le réexamen de la question de la qualité pour agir.

[74]                         Les tribunaux conservent tout de même la faculté de réexaminer la question de la qualité pour agir, même s’ils l’ont reconnue à un stade préliminaire de l’instance (Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342). Cette faculté dépend des efforts continus d’un demandeur pour démontrer qu’il présentera un contexte factuel suffisamment concret et élaboré au procès. En ce sens, la faculté de réexaminer la qualité pour agir sert de filet de sécurité pour garantir que le demandeur ne se repose pas sur ses lauriers.

[75]                         En clair, la faculté des tribunaux de réexaminer la question de la qualité pour agir n’est pas une invitation générale aux défendeurs à remettre la qualité pour agir en question à chaque occasion qui s’offre à eux. Les parties ne doivent ni gaspiller les ressources judiciaires ni entraver indûment le processus judiciaire. C’est pourquoi un défendeur qui souhaite ce réexamen peut présenter une demande en ce sens seulement s’il est survenu un changement important qui soulève un doute sérieux quant à la capacité de la partie représentant l’intérêt public de présenter un contexte factuel suffisamment concret et élaboré, et que les stratégies alternatives de gestion des litiges ne conviennent pas pour répondre à cette lacune. Un exemple d’un tel changement important consisterait en une situation où le demandeur s’est engagé à fournir des éléments de preuve en réponse à une contestation antérieure de sa qualité pour agir, mais il ne l’a pas fait. En revanche, le passage d’un stade de l’instance à un autre ne constitue pas, en soi, un changement important qui justifierait de réexaminer la qualité pour agir.

[76]                         Un changement important qui soulève un doute sérieux quant à la capacité du demandeur de fournir un contexte factuel suffisamment concret et élaboré est le plus susceptible de survenir lorsque les parties échangent leurs actes de procédure ou terminent la communication préalable de leur preuve. Ce sont les stades du processus judiciaire durant lesquelles le contexte factuel est le plus susceptible d’émerger. Comme on peut s’y attendre, l’importance du contexte factuel augmente à chaque stade du processus judiciaire. Cela signifie que l’incapacité du demandeur de démontrer qu’il présentera un contexte factuel suffisamment concret et élaboré aura plus de poids à la fin de la communication préalable qu’après l’échange des actes de procédure, stade auquel l’absence de preuve concrète est moins importante. Tout comme la première décision quant à la qualité pour agir, la décision de réexaminer la question de la qualité pour agir est tributaire des circonstances particulières de la cause (Downtown Eastside, par. 2).

[77]                         Bien que je n’écarte pas la possibilité qu’un changement important survienne à un autre stade qu’à ceux de l’échange des actes de procédure et de la communication préalable, cela serait rare. Un cas où cela surviendrait est, par exemple, celui où le fondement initial de la qualité pour agir du demandeur a été remis en question ou devient théorique. C’est ce dernier scénario qui s’est produit dans la saga Borowski. En 1981, la Cour a reconnu à M. Borowski la qualité pour agir dans l’intérêt public pour contester l’interdiction de l’avortement dans le Code criminel, L.R.C. 1970, c. C‑34 (voir Ministre de la Justice du Canada c. Borowski, [1981] 2 R.C.S. 575). Or, les dispositions contestées ont ensuite été invalidées par l’arrêt R. c. Morgentaler, [1988] 1 R.C.S. 30. En 1989, la Cour a conclu que M. Borowski n’avait pas la qualité pour agir pour continuer la cause, parce qu’il demandait alors à la Cour de se prononcer sur « une question totalement abstraite » quant aux droits d’un fœtus, de sorte que sa contestation équivalait dès lors à un « renvoi d’initiative privée » (Borowski (1989), p. 365‑368).

C.            Application aux faits

[78]                         Lors de l’audience, le CCD a demandé l’autorisation d’interjeter un appel incident de l’ordonnance de la Cour d’appel et a invité notre Cour à trancher la question de la qualité pour agir. Il a plaidé que de renvoyer l’affaire pour un réexamen ne ferait qu’occasionner d’autres délais. Je suis du même avis. Selon moi, il est dans l’intérêt de la justice d’autoriser l’appel incident dans les circonstances, et de traiter de la question de la qualité pour agir. Les tribunaux peuvent reconnaître la qualité pour agir dans l’intérêt public dans l’exercice de leur compétence inhérente chaque fois qu’il est juste de le faire (Morgentaler c. Nouveau‑Brunswick, 2009 NBCA 26, 344 R.N.‑B. (2e) 39, par. 51).

[79]                         Je souligne que les décisions sur la qualité pour agir relèvent du pouvoir discrétionnaire des juges et, à ce titre, elles « commandent la déférence en appel » (Strickland c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 37, [2015] 2 R.C.S. 713, par. 39). Toutefois, en l’espèce, les décisions des cours de juridictions inférieures sont entachées d’erreurs qui justifient que nous intervenions.

[80]                         Mon analyse à cet égard se fera en deux étapes. Premièrement, je relèverai les erreurs commises par les cours de juridictions inférieures. Deuxièmement, j’appliquerai et j’évaluerai chacun des facteurs énoncés dans l’arrêt Downtown Eastside avant de conclure que, considérés de façon cumulative, dans les circonstances de la présente affaire, ils militent en faveur de la reconnaissance de la qualité pour agir dans l’intérêt public.

(1)            Erreurs commises par les cours de juridictions inférieures

a)                Juge en chambre

[81]                          Le juge en chambre a commis un certain nombre d’erreurs dans son interprétation et son application des facteurs énoncés dans l’arrêt Downtown Eastside.

(i)           Erreurs en ce qui concerne le facteur de la question sérieuse et justiciable

[82]                          Le juge en chambre a conclu que le CCD n’a pas soulevé une question justiciable, mais son analyse à cet égard était insuffisante. À l’instar de la Cour d’appel, il a réduit l’examen à la question de savoir s’il est nécessaire que le demandeur allègue des faits se rapportant à des individus en particulier. Il a répondu à cette question par l’affirmative, alors que la Cour d’appel a conclu par la négative.

[83]                          Cette approche passe à côté de l’objet de la question de la « justiciabilité », laquelle vise à maintenir une ligne de démarcation juste entre les « renvois d’initiative privée » qui sont interdits et la reconnaissance légitime de la qualité pour agir dans l’intérêt public (voir, p. ex., Borowski (1989), p. 367). La question de savoir si des faits se rapportant à des individus en particulier sont ou ne sont pas allégués peut être un facteur pertinent, mais elle ne constitue pas, en soi, le point qui doit être tranché, et n’est pas non plus déterminante.

[84]                          Comme je l’expliquerai, s’il est vrai que des poursuites purement hypothétiques ne sont pas justiciables, en l’espèce, la cause d’action n’est pas contestée. Le CCD a allégué des faits qui, s’ils sont avérés, pourraient appuyer une contestation constitutionnelle.

(ii)        Erreurs en ce qui concerne le facteur de l’intérêt véritable

[85]                          Le juge en chambre a également commis une erreur dans son évaluation de l’existence d’un intérêt véritable. Il a conclu que l’intérêt du CCD n’avait que [traduction] « faiblement » satisfait au critère de l’intérêt véritable, car les activités de l’organisation sont principalement axées sur les « déficiences », et non sur les « déficiences mentales ». En toute déférence, j’estime que cette distinction entre les « déficiences mentales » et les « déficiences » n’est d’aucune utilité, en plus de ne pas être fondée. Les déficiences mentales sont des déficiences (Saadati c. Moorhead, 2017 CSC 28, [2017] 1 R.C.S. 543, par. 2 et 35).

(iii)      Erreurs en ce qui concerne le facteur de la manière raisonnable et efficace

[86]                          Le juge en chambre a conclu que le CCD n’a pas démontré que sa poursuite était une manière raisonnable et efficace de soulever les questions en litige, et a exprimé quatre préoccupations à cet égard :

1.      le CCD n’a pas présenté une preuve adéquate d’un [traduction] « contexte factuel suffisamment concret et élaboré » sur la base duquel l’action pourrait être instruite (par. 69);

2.      le CCD n’a pas convaincu le juge en chambre qu’il pouvait équitablement représenter les intérêts de toutes les personnes touchées par les dispositions contestées (par. 76);

3.      le CCD a déployé [traduction] « peu d’efforts pour défendre la santé mentale » par rapport à ceux qu’il a consacrés à la déficience physique (par. 74);

4.      le CCD n’a pas expliqué pourquoi il était irréaliste que les individus touchés par les dispositions contestées engagent et mènent à bien eux-mêmes une procédure de contestation (par. 77‑95).

[87]                          Le juge en chambre ne pouvait pas accorder à ces préoccupations le poids décisif qu’il leur a donné. J’analyserai tour à tour chacune de ces préoccupations.

[88]                          La première préoccupation a trait au contexte factuel concret nécessaire pour trancher des contestations constitutionnelles. Je le répète, cette considération est l’un des nombreux éléments dont un tribunal doit tenir compte pour décider si une poursuite constitue une manière raisonnable et efficace de soumettre la question au tribunal. Or, à plusieurs endroits dans ses motifs, le juge en chambre a accordé un poids déterminant à l’absence alléguée d’un contexte factuel solide (par. 37‑39, 61, 67 et 69).

[89]                          L’approche du juge en chambre va à l’encontre de l’arrêt Downtown Eastside, dans lequel notre Cour a déclaré qu’aucun des facteurs n’est une « exigenc[e] inflexibl[e] » ou un « critèr[e] autonom[e] sans aucun lien de dépendance » avec les autres facteurs (par. 20). Ces facteurs sont plutôt évalués et soupesés de façon cumulative. Il s’ensuit que, à ce stade préliminaire, où il s’agit simplement de savoir s’il y aura un contexte factuel suffisant — cette considération n’est pas en soi déterminante.

[90]                          La deuxième préoccupation concerne les intérêts d’autres individus touchés par les dispositions contestées. Le juge en chambre a supposé que le CCD n’était pas en mesure de [traduction] « représenter équitablement » les intérêts de tous. Or, pour reconnaître la qualité pour agir dans l’intérêt public, il n’a jamais été nécessaire que le demandeur représente les intérêts de tous les individus directement touchés, ni même d’une majorité d’entre eux. Ce qui importe, c’est de savoir s’il existe une question sérieuse et justiciable, si le demandeur a un intérêt véritable, et si la poursuite constitue une manière raisonnable et efficace de soumettre la cause aux tribunaux.

[91]                          La troisième préoccupation exprimée par le juge en chambre concerne le statut du CCD à titre de défenseur des personnes ayant une déficience mentale. Le juge s’est demandé si les efforts déployés par le CCD en [traduction] « fai[saient] [. . .] un défenseur des personnes ayant une déficience mentale », et il a mentionné que l’argument de celui‑ci semblait axé sur « la mesure dans laquelle les troubles de santé mentale devraient être considérés comme une déficience » (par. 74). Cette préoccupation repose sur la distinction non fondée que j’ai évoquée précédemment entre la déficience mentale et la déficience physique.

[92]                          La quatrième préoccupation concerne la possibilité que d’autres individus qui pourraient avoir la qualité directe pour agir engagent la poursuite. Le juge en chambre a estimé que certains individus touchés par les dispositions contestées pourraient être disposés ou aptes à participer à la contestation constitutionnelle du CCD [traduction] « s’ils étaient financés et soutenus par [celui‑ci] » et que, par conséquent, il y avait « d’autres manières raisonnables et efficaces de soumettre la question à la cour » (par. 95 et 97).

[93]                          Cette dernière préoccupation pose problème à deux égards. Premièrement, l’arrêt Downtown Eastside prescrit que les tribunaux doivent adopter une approche « pratique et pragmatique » quant à l’existence de demandeurs potentiels. Les « chances en pratique » que de tels demandeurs soumettent la question à un tribunal « devraient être prises en compte en fonction des réalités pratiques et non des possibilités théoriques » (par. 51). Les motifs du juge en chambre ne contenaient aucune analyse à cet égard. Bien que d’autres demandeurs aient intenté des contestations constitutionnelles visant les mêmes dispositions, aucun n’a pu les mener à bien.

[94]                          Deuxièmement, la quatrième préoccupation du juge en chambre accorde trop de poids à l’importance de la présence d’un demandeur individuel. Or, comme je l’ai expliqué, l’arrêt Downtown Eastside n’énonce aucune obligation à cet égard. Il invite plutôt les tribunaux à examiner la question de savoir si la poursuite engagée par le demandeur constitue une manière raisonnable et efficace de soumettre la question à la cour, même s’il existe d’autres manières raisonnables et efficaces de le faire (par. 44).

b)               Cour d’appel

[95]                         La Cour d’appel a limité son analyse à un examen de la conclusion du juge en chambre quant à la question de savoir si l’action du CCD soulevait une question sérieuse et justiciable. Elle n’a pas appliqué l’arrêt Downtown Eastside pour décider si, compte tenu de toutes les circonstances, la décision du juge en chambre de refuser de reconnaître la qualité pour agir était justifiée. Elle a plutôt relevé une erreur quant à un des facteurs et a renvoyé l’affaire devant la Cour suprême de la Colombie‑Britannique pour réexamen du dossier.

[96]                         Cela, en soi, était une erreur. La Cour d’appel a traité le premier facteur établi par l’arrêt Downtown Eastside individuellement, mais elle ne l’a pas examiné conjointement avec les deux autres facteurs. Cette approche ne concorde pas avec l’arrêt Downtown Eastside, qui oblige le tribunal à soupeser les trois facteurs de façon cumulative. En résumé, la Cour d’appel a conclu que le juge du procès avait commis une erreur manifeste, mais elle n’a pas poursuivi l’analyse cumulative des trois facteurs pour déterminer si cette erreur était dominante.

(2)            Le cadre d’analyse établi par l’arrêt Downtown Eastside est favorable à la reconnaissance de la qualité pour agir en l’espèce

[97]                         Ces erreurs commandent que notre Cour fasse ce que la Cour d’appel n’a pas fait : soupeser tous les facteurs énoncés dans l’arrêt Downtown Eastside de façon cumulative, souple et téléologique.

a)                Question sérieuse et justiciable

[98]                         Les actes de procédure du CCD sont bien rédigés et soulèvent une question sérieuse : la constitutionnalité de dispositions législatives qui visent — et violeraient — les droits garantis par la Charte  aux personnes ayant une déficience mentale. Cette question est « loin d’être futil[e] » et elle est « importante » (Downtown Eastside, par. 42, citant Finlay, p. 633, Borowski (1981), p. 589, et McNeil, p. 268).

[99]                         Gardant à l’esprit que la poursuite du CCD n’est encore qu’au stade des actes de procédure, je conclus aussi que la question est justiciable. L’avis de poursuite civile modifié expose des faits importants qui cernent l’essentiel de la cause, dont les suivants :

1.      les dispositions contestées permettent au personnel soignant d’administrer de force des médicaments psychotropes aux patients en placement non volontaire, de leur donner des électrochocs et d’effectuer sur eux des psychochirurgies, en dépit du fait que ces traitements comportent un grand nombre de risques sérieux et d’effets secondaires potentiellement fatals;

2.      le personnel soignant administre ces traitements, notamment en demandant la coopération des patients, en utilisant la force physique et en menaçant les patients de recourir à des moyens de contention ou à la détention quand ils ne coopèrent pas ou refusent de donner leur consentement, même lorsque ces patients ont la capacité de prendre des décisions au sujet de traitements psychiatriques;

3.      le recours et la menace de recourir à un traitement psychiatrique forcé peuvent causer un préjudice physique et entraîner de grandes souffrances psychologiques et du stress.

[100]                     Ces allégations du CCD révèlent une cause d’action que nul ne conteste. Le CCD allègue des faits qui, s’ils sont avérés, pourraient appuyer une contestation constitutionnelle : « Lorsqu’il est évident que certains aspects de l’action soulèvent des questions justiciables sérieuses, il est préférable dans le cadre de l’analyse de la question de la qualité pour agir de ne pas se livrer à un examen en profondeur du bien‑fondé des aspects distincts et particuliers de l’action » (Downtown Eastside, par. 56).

b)               Intérêt véritable

[101]                     Sur la foi de l’affidavit incontesté de Mme Benard, il m’apparaît clairement que le CCD a un intérêt véritable à l’égard des questions en litige et des défis que doivent surmonter les personnes ayant une déficience mentale :

1.      Les activités du CCD sont dirigées à la fois [traduction] « par » des personnes ayant une déficience — y compris une déficience mentale — et « pour » elles.

2.      Le CCD soutient depuis fort longtemps des initiatives de réforme en matière sociale, juridique et politique visant à lutter contre les stéréotypes et la discrimination et à promouvoir l’égalité et les droits fondamentaux des personnes ayant une déficience. Par exemple, il agit comme consultant pour le gouvernement du Canada sur des questions liées à la déficience.

3.      Le CCD a été reconnu à plusieurs reprises par des organismes internationaux, des gouvernements et des tribunaux comme voix officielle et respectée quant aux droits, à l’autonomie et à l’égalité des personnes ayant une déficience, y compris une déficience mentale.

4.      Le conseil d’administration du CCD effectue la majeure partie de son travail par l’intermédiaire de comités ayant des mandats spéciaux, y compris le sous‑comité sur la santé mentale dont les membres ont une expertise spécifique en santé mentale et qui est responsable du litige en cause en l’espèce.

5.      Le CCD a participé à titre de demandeur ou d’intervenant dans d’autres causes en matière de droits de la personne et portant sur des questions d’égalité liées à la Charte  qui concernaient toutes les droits de personnes ayant une déficience.

[102]                     Le PGCB fait valoir que les activités du CCD ne se limitent pas aux personnes ayant une « déficience mentale » (m.a., par. 4, 92 et 98). Cet argument n’est pas pertinent : les demandeurs qui sollicitent la reconnaissance de la qualité pour agir n’ont jamais été tenus de démontrer que leurs intérêts sont effectivement aussi étroits que l’action qu’ils cherchent à intenter. Ils doivent plutôt démontrer un « lien avec l’action » et un « intérêt [. . .] quant aux questions » (Downtown Eastside, par. 43 (je souligne)).

[103]                     Par conséquent, je suis d’avis que le CCD a « un intérêt réel dans les procédures », « est engagé quant aux questions » et n’est pas un « simpl[e] trouble‑fête » (Downtown Eastside, par. 43).

c)                Manière raisonnable et efficace

[104]                     L’arrêt Downtown Eastside invite les tribunaux à examiner une série de « questions interdépendantes » lorsqu’ils examinent le facteur relatif à la manière raisonnable et efficace, notamment (i) la capacité du demandeur d’engager la poursuite, (ii) la question de savoir si la cause est d’intérêt public et de savoir quelle incidence elle aura sur l’accès à la justice, (iii) la question de savoir s’il y a d’autres manières d’engager la poursuite, y compris des recours parallèles, et (iv) l’incidence éventuelle de l’action sur les droits d’autres personnes.

(i)            Capacité du demandeur d’engager la poursuite

[105]                      Le CCD possède des ressources et une expertise impressionnantes. Il s’agit d’une organisation d’intérêt public importante et très réputée représentée par d’excellents avocats bénévoles et appuyée par un cabinet d’avocats qui a déjà consacré des ressources importantes au litige. Il ne fait aucun doute que le CCD dispose des ressources et de l’expertise nécessaires pour engager la poursuite.

[106]                      De plus, je suis convaincu qu’un « contexte factuel suffisamment concret et élaboré » sera présenté. Les activités du CCD sont dirigées à la fois « par » des personnes ayant une déficience — y compris une déficience mentale — et « pour » elles. Il est donc raisonnable d’inférer que le CCD a la capacité de présenter des éléments de preuve provenant de personnes directement touchées. De plus, il ressort des actes de procédure que la présente affaire ne porte pas sur des faits relatifs à des individus en particulier. La présente affaire peut, dans une large mesure, reposer sur les arguments relatifs à l’inconstitutionnalité à première vue des mesures législatives, parce qu’elles autorisent, dans certaines circonstances, les traitements psychiatriques forcés sans le consentement du patient ou d’un mandataire. La preuve d’expert concernant la façon dont le personnel soignant traite les patients en placement non volontaire et la preuve relative à des patients en particulier peuvent donner un aperçu utile de la façon dont les dispositions législatives sont appliquées. Toutefois, à ce stade préliminaire de l’instance, des renseignements sur des demandeurs individuels n’apporteraient pas grand‑chose.

[107]                      Les observations des avocats et la déclaration sous serment de Mme Benard selon lesquelles le CCD présentera des éléments de preuve, bien qu’insuffisantes à elles seules, aident en outre à convaincre notre Cour que les questions seront tranchées dans un contexte factuel suffisant. D’ailleurs, l’avocat du CCD s’est engagé à l’audience à fournir des éléments de preuve de la situation concrète de patients en particulier. Cet engagement permet de dissiper toute préoccupation qui persiste quant au fait qu’un contexte factuel suffisant sera présenté ultérieurement.

[108]                      Enfin, je fais remarquer qu’il sera toujours loisible au PGCB et aux tribunaux de contester la qualité pour agir du CCD si ce dernier ne présente pas le contexte factuel qu’il s’est engagé à présenter. Il serait logique en l’espèce de limiter la possibilité de présenter une telle contestation au stade postérieur à la communication préalable de la preuve.

[109]                     J’aimerais souligner au passage que la qualité pour agir dépend des faits et du contexte. La reconnaissance de cette qualité est appropriée en l’espèce, mais ne le sera pas nécessairement dans d’autres cas. Plutôt que d’utiliser la « mesure radicale » consistant à ne pas reconnaître la qualité pour agir, il convient, en l’espèce, de recourir aux divers outils de gestion du litige — comme la faculté de réexaminer la qualité pour agir — pour s’assurer que la preuve en question soit effectivement présentée avec diligence.

(ii)         Question de savoir si la cause est d’intérêt public

[110]                     La poursuite du CCD soulève sans aucun doute des questions d’importance pour le public qui transcendent ses intérêts immédiats (voir, p. ex., Downtown Eastside, par. 73). Le litige est susceptible de toucher un grand groupe de personnes, c’est‑à‑dire les personnes ayant une déficience mentale. De plus, reconnaître la qualité pour agir dans l’intérêt public en l’espèce favorisera l’accès à la justice aux membres d’un groupe désavantagé qui, historiquement, a fait face à d’importants obstacles pour soumettre un tel litige aux tribunaux.

(iii)       Autres manières réalistes

[111]                     Je dois également examiner s’il existe d’autres manières réalistes de trancher la question qui favoriseraient une utilisation plus efficace et efficiente des ressources judiciaires et qui offriraient un contexte plus favorable à ce qu’une décision soit rendue dans le cadre du système contradictoire (Downtown Eastside, par. 51). À cet égard, la Cour d’appel a pris note de l’existence d’un recours qui avait été intenté sous le régime de la Class Proceedings Act pour contester les mêmes dispositions législatives que celles qui sont en cause dans le présent appel. À ce jour, ce recours collectif n’a pas été autorisé.

[112]                     Le PGCB estime que le recours collectif est un meilleur moyen de soumettre ces questions à la cour. Or, dans le cadre du recours collectif lui‑même, il plaide que celui‑ci est prescrit et qu’il ne devrait donc pas être autorisé.

[113]                     Même si l’existence du recours collectif est pertinente, elle n’est pas déterminante (Downtown Eastside, par. 67). À mon sens, le CCD fait valoir deux motifs impérieux pour étayer son argument selon lequel sa poursuite constitue une manière raisonnable et efficace de soumettre la question à la cour malgré l’existence de ce recours parallèle.

[114]                     Premièrement, le recours collectif regorge d’inconnus. Le dossier ne confirme pas que le recours collectif a été autorisé. Même s’il l’est, il se pourrait que les questions communes autorisées ne portent pas sur la constitutionnalité des dispositions contestées. La Cour ne dispose d’aucun renseignement au sujet de la preuve qui sera produite dans le cadre du recours collectif envisagé. Quoi qu’il en soit, ce type de recours est principalement axé sur l’obtention de dommages‑intérêts, ce qui mène souvent à des règlements plutôt qu’à des décisions sur les violations alléguées de la Charte . Pour ce motif, je ne peux conclure que le recours collectif constitue une manière plus efficace et efficiente de trancher les questions relatives à la Charte  soulevées par le CCD.

[115]                     Deuxièmement, la preuve non contestée figurant dans l’affidavit de Mme Benard démontre qu’il est très difficile pour les personnes directement touchées par les dispositions contestées d’intenter et de mener à bien une poursuite en matière constitutionnelle. En l’espèce, les individus directement touchés ont des déficiences mentales qui pourraient compromettre leur capacité à intenter et à mener à bien une poursuite longue et complexe. Certains peuvent craindre des représailles de la part du personnel soignant qui, selon les dispositions législatives en cause, contrôle leur traitement psychiatrique. Ils pourraient aussi hésiter à s’exposer publiquement à la stigmatisation malheureuse qui peut découler de la divulgation de renseignements privés sur leur santé. Le fait que le CCD assume le rôle de demandeur dans cette poursuite atténue ces obstacles significatifs.

[116]                     Bien qu’elles soient parfaitement capables d’engager une poursuite, les personnes ayant une déficience mentale doivent surmonter des obstacles personnels et institutionnels importants pour ce faire. Gardant cela à l’esprit en soupesant les différents facteurs, je n’accorderais pas un poids déterminant à l’existence d’un recours parallèle.

(iv)        Incidence éventuelle de l’action sur les droits d’autres personnes

[117]                     Le PGCB fait valoir que l’action du CCD peut porter préjudice aux personnes qui appuient les dispositions contestées. J’accorderais peu de poids à cette préoccupation. Le fait que des personnes appuient des dispositions législatives ne devrait pas mettre celles‑ci à l’abri d’une contestation constitutionnelle. Si ces dispositions sont inconstitutionnelles, elles devraient être invalidées.

(3)            Mise en balance cumulative

[118]                     Après avoir soupesé de façon cumulative chacun des facteurs énoncés dans l’arrêt Downtown Eastside, je suis d’avis d’exercer mon pouvoir discrétionnaire pour reconnaître au CCD la qualité pour agir dans l’intérêt public. Si le CCD ne présente pas avec diligence le contexte factuel promis, le PGCB pourra demander le réexamen de la question de la qualité pour agir à la conclusion du stade de la communication préalable de la preuve. Je souligne encore une fois que, bien que ce résultat soit approprié dans le contexte précis de la présente espèce, il pourrait ne pas l’être dans d’autres causes.

D.           Dépens spéciaux

[119]                     Le CCD sollicite des dépens spéciaux sur la base de l’indemnisation intégrale devant toutes les cours. Les dépens spéciaux sont exceptionnels et relèvent du pouvoir discrétionnaire des juges (Carter, par. 137 et 140). Pour que des dépens spéciaux puissent être accordés, deux conditions doivent être réunies :

1.      l’affaire doit porter sur des questions d’intérêt public qui ont une « incidence importante et généralisée sur la société » et qui sont « véritablement exceptionnelles » (Carter, par. 140);

2.      le demandeur doit démontrer qu’il n’a aucun intérêt personnel, propriétal ou pécuniaire qui justifierait l’instance pour des raisons d’ordre économique, et qu’il n’aurait pas été possible de poursuivre l’instance en question avec une aide financière privée (Carter, par. 140).

[120]                     La poursuite du CCD respecte ces deux conditions. En ce qui concerne la première condition, la portée de la qualité pour agir dans l’intérêt public et les circonstances dans lesquelles les organisations peuvent engager une poursuite d’intérêt public sans la présence d’un demandeur individuel est une question d’intérêt public ayant une incidence importante et généralisée sur la société. La participation de plus de 20 intervenants provenant de partout au pays et représentant un large éventail d’intérêts et de perspectives concernant le présent pourvoi témoigne de ce fait.

[121]                     Quant à la deuxième condition, le CCD est une organisation sans but lucratif dont le mandat est de promouvoir l’égalité, l’autonomie et les droits des personnes ayant une déficience. Il n’a aucun intérêt personnel, propriétal ou pécuniaire dans le litige. De plus, le CCD n’aurait pas pu poursuivre efficacement l’instance en question avec une aide financière privée; il s’est appuyé sur les services d’avocats bénévoles pour faire valoir ses arguments.

[122]                     Le CCD cherche à faire progresser l’instance depuis près de six ans. Les questions de fond n’ont pas encore été examinées. En pareilles circonstances, compte tenu du critère rigoureux d’octroi des dépens spéciaux, il serait « contraire à l’intérêt de la justice de demander [au CCD et à ses avocats bénévoles] de supporter la majeure partie du fardeau financier associé à la poursuite de la demande » (Carter, par. 140).

[123]                     Dans ces circonstances exceptionnelles, et en exerçant mon pouvoir discrétionnaire, je suis d’avis d’adjuger des dépens spéciaux devant notre Cour et devant les cours de juridictions inférieures pour remettre le CCD — dans la mesure où il est possible de le faire financièrement — dans la situation où il se trouvait lorsque le PGCB a remis en doute sa qualité pour agir.

VI.         Dispositif

[124]                     Pour ces motifs, je suis d’avis de rejeter l’appel du PGCB. Je suis d’avis d’autoriser l’appel incident du CCD, de faire droit à son appel incident, d’annuler l’ordonnance de la Cour d’appel renvoyant la question de la qualité pour agir dans l’intérêt public du CCD à la Cour suprême de la Colombie‑Britannique, et de reconnaître au CCD la qualité pour agir dans l’intérêt public. Des dépens spéciaux sur la base de l’indemnisation intégrale sont adjugés au CCD devant toutes les cours.

 

                    Pourvoi rejeté et pourvoi incident accueilli.

                    Procureur de l’appelant/intimé au pourvoi incident : Procureur général de la Colombie‑Britannique, Vancouver.

                    Procureurs de l’intimé/appelant au pourvoi incident : McCarthy Tétrault, Vancouver.

                    Procureur de l’intervenant le procureur général du Canada : Procureur général du Canada, Toronto.

                    Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Ontario : Procureur général de l’Ontario, Toronto.

                    Procureur de l’intervenant le procureur général de la Saskatchewan : Procureur général de la Saskatchewan, Regina.

                    Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Alberta : Justice and Solicitor General, Appeals, Education & Prosecution Policy Branch, Edmonton.

                    Procureurs de l’intervenante West Coast Prison Justice Society : Allen/McMillan Litigation Counsel, Vancouver.

                    Procureurs de l’intervenant Empowerment Council, Systemic Advocates in Addictions and Mental Health : McKay Ferg, Calgary; Anita Szigeti Advocates, Toronto; Thompson Rivers University — Law Faculty, Kamloops.

                    Procureurs de l’intervenante l’Association canadienne des libertés civiles : Torys, Toronto.

                    Procureurs des intervenants Advocacy Centre for Tenants Ontario, ARCH Disability Law Centre, l’Association canadienne du droit de l’environnement, Chinese and Southeast Asian Legal Clinic, HIV & AIDS Legal Clinic Ontario et South Asian Legal Clinic Ontario : ARCH Disability Law Centre, Toronto.

                    Procureur de l’intervenant David Asper Centre for Constitutional Rights : David Asper Centre for Constitutional Rights, Toronto.

                    Procureur de l’intervenante Ecojustice Canada Society : Ecojustice Canada Society, Vancouver.

                    Procureurs de l’intervenante Trial Lawyers Association of British Columbia : Hunter Litigation Chambers, Vancouver.

                    Procureur de l’intervenante le Conseil national des musulmans canadiens : Conseil national des musulmans canadiens, Ottawa.

                    Procureurs de l’intervenant Mental Health Legal Committee : Karen R. Spector, Barrister & Solicitor, Toronto; Perez Bryan Procope, Toronto; University of Windsor — Faculty of Law, Windsor.

                    Procureurs de l’intervenante British Columbia Civil Liberties Association : Mandell Pinder, Vancouver; Ethos Law Group, Vancouver.

                    Procureur de l’intervenante l’Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés : Legal Aid Ontario — Refugee Law Office, Toronto; Mithoowani Waldman Immigration Law Group, Toronto.

                    Procureurs de l’intervenant West Coast Legal Education and Action Fund : JFK Law Corporation, Vancouver.

                    Procureurs de l’intervenant Centre for Free Expression : PooranLaw Professional Corporation, Toronto.

                    Procureurs des intervenantes Federation of Asian Canadian Lawyers et Canadian Muslim Lawyers Association : Norton Rose Fulbright Canada, Toronto.

                    Procureure des intervenantes la Société John Howard du Canada et Queen’s Prison Law Clinic : Alison M. Latimer, c.r., Vancouver.

                    Procureur de l’intervenante Animal Justice : Animal Justice, Toronto.

                    Procureur des intervenants l’Association canadienne pour la santé mentale (nationale), Canada sans pauvreté, Aboriginal Council of Winnipeg Inc. et End Homelessness Winnipeg Inc. : Public Interest Law Centre, Winnipeg.

                    Procureurs de l’intervenante Canadian Constitution Foundation : Osler, Hoskin & Harcourt, Toronto.

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