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COUR SUPRÊME DU CANADA

 

Référence : Peace River Hydro Partners c. Petrowest Corp., 2022 CSC 41

 

 

Appel entendu : 19 janvier 2022

Jugement rendu : 10 novembre 2022

Dossier : 39547

 

Entre :

 

Peace River Hydro Partners, Acciona Infrastructure Canada Inc., Samsung C&T Canada Ltd., Acciona Infraestructuras S.A. et Samsung C&T Corporation

Appelantes

 

et

 

Petrowest Corporation, Petrowest Civil Services LP représentée par sa commanditée, Petrowest GP Ltd., faisant affaire sous le nom de RBEE Crushing, Petrowest Construction LP représentée par sa commanditée Petrowest GP Ltd., faisant affaire sous le nom de Quigley Contracting, Petrowest Services Rentals LP représentée par sa commanditée Petrowest GP Ltd., faisant affaire sous le nom de Nu-Northern Tractor Rentals, Petrowest GP Ltd., en sa qualité de commanditée de Petrowest Civil Services LP, Petrowest Construction LP et Petrowest Services Rentals LP, Trans Carrier Ltd. et Ernst & Young Inc. en sa qualité de séquestre et d’administratrice nommée par le tribunal de Petrowest Corporation, Petrowest Civil Services LP, Petrowest Construction LP, Petrowest Services Rentals LP, Petrowest GP Ltd. et Trans Carrier Ltd.

Intimées

 

- et -

 

Centre canadien d’arbitrage commercial, Arbitration Place, Chartered Institute of Arbitrators (Canada) Inc., Insolvency Institute of Canada et Fédération canadienne de l’entreprise indépendante

Intervenants

 

Traduction française officielle

 

Coram : Le juge en chef Wagner et les juges Moldaver, Karakatsanis, Côté, Brown, Rowe, Martin, Kasirer et Jamal

 

Motifs de jugement :

(par. 1 à 189)

La juge Côté (avec l’accord du juge en chef Wagner et des juges Moldaver, Rowe et Kasirer)

 

 

Motifs concordants :

(par. 190 à 199)

Le juge Jamal (avec l’accord des juges Karakatsanis, Brown et Martin)

 

 

 

Note : Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada.

 

 

 

 


 

Peace River Hydro Partners,

Acciona Infrastructure Canada Inc.,

Samsung C&T Canada Ltd.,

Acciona Infraestructuras S.A. et

Samsung C&T Corporation                                                                        Appelantes

c.

Petrowest Corporation,

Petrowest Civil Services LP représentée par sa commanditée, Petrowest GP Ltd., faisant affaire sous le nom de RBEE Crushing,

Petrowest Construction LP représentée par sa commanditée Petrowest GP Ltd., faisant affaire sous le nom de Quigley Contracting,

Petrowest Services Rentals LP représentée par sa commanditée Petrowest GP Ltd., faisant affaire sous le nom de Nu-Northern Tractor Rentals,

Petrowest GP Ltd., en sa qualité de commanditée de Petrowest Civil Services LP, Petrowest Construction LP et Petrowest Services Rentals LP,

Trans Carrier Ltd. et

Ernst & Young Inc. en sa qualité de séquestre et d’administratrice nommée par le tribunal de Petrowest Corporation, Petrowest Civil Services LP, Petrowest Construction LP, Petrowest Services Rentals LP, Petrowest GP Ltd. et

Trans Carrier Ltd.                                                                                           Intimées

et

Centre canadien d’arbitrage commercial,

Arbitration Place,

Chartered Institute of Arbitrators (Canada) Inc.,

Insolvency Institute of Canada et

Fédération canadienne de l’entreprise indépendante                            Intervenants

Répertorié : Peace River Hydro Partners c. Petrowest Corp.

2022 CSC 41

No du greffe : 39547.

2022 : 19 janvier; 2022 : 10 novembre.

Présents : Le juge en chef Wagner et les juges Moldaver, Karakatsanis, Côté, Brown, Rowe, Martin, Kasirer et Jamal.

en appel de la cour d’appel de la colombie‑britannique

                    Faillite et insolvabilité — Mise sous séquestre ordonnée par le tribunal — Caractère exécutoire d’une convention d’arbitrage — Action civile intentée par le séquestre à l’égard du paiement de sommes qui auraient été dues aux débitrices en vertu de conventions comportant des clauses d’arbitrage obligatoires — Défenderesses sollicitant, en vertu de la loi provinciale sur l’arbitrage, la suspension de l’action du séquestre au motif que les clauses d’arbitrage régissent le différend — Opposition à cette demande par le séquestre et argument invoqué par celui‑ci selon lequel le tribunal est autorisé à exercer un contrôle judiciaire centralisé sur l’affaire en vertu de la loi fédérale sur la faillite et l’insolvabilité — Y a‑t‑il lieu de suspendre l’action du séquestre? — Loi sur la faillite et l’insolvabilité, L.R.C. 1985, c. B‑3, art. 183(1) , 243(1)  — Arbitration Act, R.S.B.C. 1996, c. 55, art. 15.

                    Peace River est une société de personnes qui a été constituée en vue de la construction d’un barrage hydroélectrique dans le Nord‑Est de la Colombie‑Britannique. Peace River a sous‑traité des travaux à Petrowest, une entreprise de construction basée en Alberta, et à ses sociétés affiliées. Les parties ont prévu plusieurs clauses stipulant que les différends découlant de leur relation seraient réglés par voie d’arbitrage (« Conventions d’arbitrage »). Lorsque Petrowest a rencontré des difficultés financières, la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta a prononcé une ordonnance (« Ordonnance de mise sous séquestre ») en vertu du par. 243(1)  de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité  (« LFI  »), nommant un séquestre (« Séquestre ») afin qu’il gère les actifs et les biens de Petrowest et de ses sociétés affiliées. Le Séquestre a, par la suite, intenté une poursuite civile contre Peace River tentant de recouvrer des fonds qu’il estimait être dus à Petrowest et à ses sociétés affiliées pour des travaux en sous‑traitance. Peace River a présenté une demande de suspension de l’instance en vertu de l’art. 15 de l’Arbitration Act de la Colombie‑Britannique au motif que les Conventions d’arbitrage régissaient le différend. La juge en chambre a rejeté la demande de suspension d’instance et la Cour d’appel a rejeté l’appel de Peace River.

                    Arrêt : Le pourvoi est rejeté.

                    Le juge en chef Wagner et les juges Moldaver, Côté, Rowe et Kasirer : La poursuite civile intentée par le Séquestre devrait pouvoir suivre son cours. L’article 15 de l’Arbitration Act n’exige pas, dans tous les cas, que le tribunal suspende une poursuite civile intentée par un séquestre nommé par le tribunal lorsque la réclamation est visée par une convention d’arbitrage valide. Le tribunal peut refuser d’accorder une suspension d’instance lorsque la convention d’arbitrage en cause est « nulle, inopérante ou non susceptible d’être exécutée » au sens du par. 15(2). Une convention d’arbitrage par ailleurs valide peut, dans certaines circonstances, être inopérante ou non susceptible d’être exécutée si le fait de l’exécuter compromettrait l’intégrité d’une procédure de mise sous séquestre ordonnée par le tribunal. Dans les circonstances particulières de l’espèce, la nature chaotique de la procédure arbitrale négociée par les parties compromettrait le règlement ordonné et efficace de la mise sous séquestre, au détriment des créanciers touchés et contrairement aux objectifs visés par la LFI . La juge en chambre pouvait donc refuser de suspendre l’instance.

                    Le principe de compétence‑compétence donne préséance au processus arbitral. De façon générale, l’arbitre devrait pouvoir se prononcer en premier lieu sur sa propre compétence. Le principe n’est toutefois pas absolu. Un tribunal peut trancher une contestation de la compétence d’un arbitre si la contestation repose uniquement sur des questions de droit ou, comme en l’espèce, repose sur des questions mixtes de fait et de droit qui ne requièrent qu’un examen superficiel de la preuve documentaire.

                    Dans un différend régi par une convention d’arbitrage avec une partie cocontractante insolvable ou en faillite, il existe une tension entre le droit de l’arbitrage et le droit de l’insolvabilité quant à l’instance devant laquelle lequel le différend doit être réglé. Selon la conception moderne exprimée dans la législation canadienne en matière d’arbitrage, les parties sont tenues de respecter leurs conventions d’arbitrage, conformément aux principes de l’autonomie des parties et de la liberté contractuelle. De façon générale, l’intervention des tribunaux dans les différends commerciaux régis par une clause d’arbitrage valide devrait être l’exception, et non la règle. Par ailleurs, les procédures d’insolvabilité sont d’origine législative et soumises à une surveillance judiciaire étroite. Le rôle que jouent les tribunaux dans le règlement équitable et ordonné des différends en matière d’insolvabilité se reflète dans le modèle de la procédure unique, lequel favorise la protection des droits des parties prenantes dans le cadre d’un processus judiciaire centralisé. Le paragraphe 183(1)  de la LFI  confère une vaste compétence aux cours supérieures pour trancher la plupart des litiges en matière de faillite. La mise sous séquestre ordonnée par le tribunal en vertu de l’art. 243  de la LFI  est l’un des outils disponibles pour accroître la surveillance et la souplesse judiciaires qui sous‑tendent le droit de l’insolvabilité au Canada, au moyen duquel le séquestre peut prendre diverses mesures pour protéger l’actif du débiteur au profit de tous les créanciers. Bien qu’une ordonnance judiciaire fondée sur l’art. 243  de la LFI  confère au séquestre de vastes pouvoirs, celui‑ci a néanmoins une obligation fiduciaire d’agir avec intégrité et aux mieux des intérêts de toutes les parties intéressées.

                    Malgré ces différences, le droit de l’arbitrage et le droit de l’insolvabilité ont plusieurs points en commun. Ils priorisent tous deux l’efficacité et la célérité; la souplesse procédurale est une de leur caractéristique commune; et tous deux comptent souvent sur des décideurs spécialisés pour atteindre leurs objectifs respectifs. Bien souvent, ces intérêts communs convergeront grâce à l’arbitrage, et les parties devraient être tenues de respecter leur convention d’arbitrage, malgré une procédure d’insolvabilité en cours. Les conventions d’arbitrage valides doivent généralement être respectées. La présomption en faveur de la compétence arbitrale trouve appui dans la jurisprudence de longue date de la Cour, la position favorable à l’arbitrage adoptée dans les lois provinciales et territoriales partout au pays ainsi que le principe fondamental selon lequel les parties contractantes sont libres de structurer leurs affaires comme bon leur semble. Cependant, dans certaines affaires d’insolvabilité, il peut s’avérer nécessaire d’écarter l’arbitrage en faveur d’un processus judiciaire centralisé, lorsque l’arbitrage compromettrait le déroulement ordonné et efficace d’une mise sous séquestre ordonnée par le tribunal. Dans un tel cas, le tribunal peut exercer un contrôle sur la procédure, tant pour veiller au règlement rapide du différend entre les parties que pour protéger la restructuration ou la liquidation ordonnées du débiteur et le traitement égal de ses créanciers.

                    L’exercice requis afin de déterminer si une suspension d’instance en faveur de l’arbitrage devrait être accordée est hautement factuel. Il oblige le tribunal à examiner les régimes législatifs et les conventions d’arbitrage en cause en tenant compte des principes de l’autonomie des parties et de la liberté contractuelle ainsi que des choix de politique générale sous‑tendant le droit de la faillite et de l’insolvabilité. Pour guider cet exercice, un cadre d’analyse en deux volets, implicite dans les lois provinciales en matière d’arbitrage partout au pays et se reflétant dans les par. 15(1) et (2) de l’Arbitration Act, s’applique. Les deux volets généraux de ce cadre d’analyse sont : (1) les conditions préliminaires à la suspension obligatoire d’une instance judiciaire; et (2) les exceptions statutaires à la suspension obligatoire d’une instance judiciaire. Ces volets doivent demeurer distincts sur le plan analytique, car il y a inversion du fardeau de la preuve entre les deux. La partie qui requiert la suspension d’une instance en faveur de l’arbitrage doit établir que les conditions préliminaires sont remplies. Si le requérant s’acquitte de ce fardeau, la partie qui cherche à se soustraire à l’arbitrage doit, sous le second volet, démontrer qu’une exception prévue par la loi s’applique.

                    Le premier volet, soit les conditions préliminaires, porte sur la question de savoir si la convention d’arbitrage en cause fait intervenir la disposition relative à la suspension obligatoire figurant dans la loi provinciale applicable en matière d’arbitrage. À cette étape, les considérations peuvent différer selon la loi provinciale et la nature de l’arbitrage, c.‑à‑d. selon qu’elle porte sur l’arbitrage national ou international. En règle générale, il y a quatre conditions préliminaires : l’existence d’une convention d’arbitrage; une partie à la convention d’arbitrage a intenté une procédure judiciaire; l’instance porte sur une question que les parties ont convenu de soumettre à l’arbitrage; et la partie qui demande une suspension d’instance le fait avant d’agir dans l’instance. Le demandeur doit uniquement établir sur le fondement d’une cause défendable que ces conditions préliminaires sont remplies.

                    Pour ce qui est des conditions préliminaires énoncées au par. 15(1) de l’Arbitration Act, le séquestre nommé par le tribunal peut, par l’effet du droit commun des contrats, être une partie à la convention d’arbitrage conclue par le débiteur avant la mise sous séquestre. Premièrement, il est bien établi qu’une entité ayant des liens avec une partie signataire d’un contrat peut devenir liée en tant que partie par l’effet de la loi; ces entités peuvent être, par exemple, des filiales, des cessionnaires, des syndics et d’autres entités qui font une réclamation par l’entremise ou au nom de la partie nommée. Il n’y a aucune raison de principe pour laquelle cela ne devrait pas s’appliquer au séquestre nommé par le tribunal qui fait une réclamation par l’entremise du débiteur en vertu d’un contrat comportant une convention d’arbitrage. Il serait contraire aux principes fondamentaux du droit des contrats de permettre au séquestre d’exécuter un contrat au nom du débiteur tout en évitant les obligations qui en découlent, notamment celles de soumettre les différends contractuels à l’arbitrage. La fonction d’officier de justice qu’occupe le séquestre ne l’empêche pas non plus d’être considéré comme une partie à une convention d’arbitrage au sens du par. 15(1). Au contraire, le séquestre a une obligation fiduciaire envers toutes les parties intéressées à l’égard des actifs, des biens et de l’entreprise du débiteur, et il ne peut pas rompre arbitrairement des contrats conclus par le débiteur avec des tiers avant la mise sous séquestre. Deuxièmement, le par. 15(1) n’empêche pas expressément les non‑signataires comme les séquestres d’être considérés comme des parties. Lorsqu’une loi ne traite pas entièrement d’une question, les tribunaux peuvent se tourner vers la common law pour interpréter son contenu. Selon un principe fondamental en matière contractuelle, tous les non‑signataires d’un contrat peuvent faire une réclamation uniquement par l’entremise ou au nom d’un signataire lorsqu’ils succèdent au débiteur sur le plan contractuel. Rien dans le dossier législatif ou le texte de l’Arbitration Act n’indique que le législateur a voulu modifier ou écarter la common law. Troisièmement, le fait d’empêcher l’arbitrage aussitôt que l’une des parties contractantes est mise sous séquestre ébranlerait les pierres angulaires de l’arbitrage que sont l’autonomie des parties, l’intervention limitée des tribunaux et le principe de compétence‑compétence.

                    Pour déterminer si la partie qui demande une suspension de l’instance a agi dans celle‑ci, il faut adopter une approche objective. Le tribunal doit se demander si, eu égard aux faits, la partie devrait être considérée comme ayant implicitement confirmé le bien‑fondé de l’instance et sa volonté d’accepter le jugement d’une cour de justice plutôt que celui d’un arbitre. Le fait de s’être engagé à produire une défense ne revient pas à avoir agi dans l’instance; il en va de même pour la demande de prorogation de délai pour produire une défense. Dans le contexte du par. 15(1), l’objectif même d’une telle demande est de décider s’il convient ou non d’agir; il n’y a pas de choix en vue de poursuivre l’action.

                    Sous le second volet de l’analyse, la question clé est de savoir si, suivant la prépondérance des probabilités, une ou plusieurs des exceptions prévues par la loi provinciale applicable en matière d’arbitrage s’appliquent. Dans la négative, le tribunal doit suspendre l’instance. Celui‑ci ne devrait rejeter une demande de suspension d’instance sur le fondement d’une exception prévue par la loi que dans un cas manifeste. Un de ces exceptions, énoncée au par. 15(2) de l’Arbitration Act, est le cas où la clause d’arbitrage est « nulle, inopérante ou non susceptible d’être exécutée ». Le séquestre nommé par le tribunal ne peut pas renoncer unilatéralement à une convention d’arbitrage, la rendant ainsi nulle, inopérante ou non susceptible d’être exécutée. Le paragraphe 15(2) devrait être interprété de façon restrictive pour empêcher les parties d’éviter l’arbitrage en faveur de ce qu’elles considèrent comme une meilleure procédure. Permettre à un séquestre d’éviter l’arbitrage en renonçant unilatéralement à la convention d’arbitrage préexistante du débiteur est incompatible avec le libellé et l’objet de l’art. 15. Qui plus est, un tel résultat aurait pour effet de diminuer le caractère exécutoire présumé et la prévisibilité des conventions d’arbitrage. Comme l’indique clairement le par. 15(2), une partie ne peut intenter une poursuite en vue de faire exécuter un contrat et échapper à l’obligation d’arbitrage que si un tribunal conclut que la convention d’arbitrage est nulle, inopérante ou non susceptible d’être exécutée. Il serait préférable que les séquestres nommés par le tribunal sollicitent une telle décision judiciaire en présentant une requête pour directives devant le tribunal de surveillance. Cependant, lorsque le séquestre intente une action sans autorisation judiciaire préalable, le tribunal doit décider s’il doit refuser d’exécuter la convention en application de l’art. 15 de l’Arbitration Act.

                    Le paragraphe 15(2) confère au tribunal le pouvoir de refuser la suspension d’instance en concluant que la convention d’arbitrage est devenue inopérante ou non susceptible d’être exécutée en raison d’une procédure de mise sous séquestre ordonnée par le tribunal lorsque l’arbitrage compromettrait le règlement ordonné et efficace de la mise sous séquestre. Il n’existe aucun conflit entre l’Arbitration Act provinciale et la LFI  fédérale soulevant des questions de prépondérance fédérale. En règle générale, les objectifs de l’Arbitration Act seront servis en obligeant les parties à respecter leur convention d’arbitrage au moyen d’une interprétation restrictive des termes « nulle », « inopérante » et « non susceptible d’être exécutée ». Une convention d’arbitrage ne sera considérée « nulle » que dans les rares circonstances où elle est intrinsèquement défectueuse conformément aux règles habituelles du droit des contrats, notamment lorsqu’elle est minée par la fraude, l’abus d’influence, l’iniquité, la contrainte, l’erreur ou la fausse représentation. Le terme « inopérante » n’a aucune définition universelle en common law. Parmi les raisons permettant de conclure qu’une convention d’arbitrage est inopérante figurent l’inexécutabilité, la rupture pour cause d’inexécution, la renonciation ou une entente ultérieure entre les parties. La partie qui cherche à échapper à l’arbitrage porte le lourd fardeau de démontrer que l’exception relative à une convention d’arbitrage inopérante s’applique. On peut conclure qu’une convention d’arbitrage est inopérante au motif qu’une ordonnance de mise en liquidation ou de mise sous séquestre a été rendue. Cependant, il se peut que le terme inopérante ne vise pas toujours les cas où un représentant des créanciers nommé par le tribunal introduit une procédure judiciaire au nom d’un débiteur. Il en est ainsi parce que, généralement, en droit de l’insolvabilité, les réclamations en justice présentées contre un débiteur sont suspendues, alors que les réclamations présentées en son nom peuvent se poursuivre. Une convention d’arbitrage est « non susceptible d’être exécutée » lorsque le processus arbitral ne peut être efficacement mis en œuvre en raison d’un obstacle physique ou juridique indépendant de la volonté des parties. Les obstacles physiques peuvent inclure des incohérences, des contradictions inhérentes ou des imprécisions dans la convention d’arbitrage auxquelles l’interprétation ou d’autres techniques contractuelles ne peuvent remédier; la non‑disponibilité de l’arbitre désigné dans la convention; la dissolution ou l’inexistence de l’institution d’arbitrage choisie; ou des circonstances politiques ou autres au siège de l’arbitrage qui rendent l’arbitrage impossible. Les obstacles juridiques comprennent des dérogations législatives expresses à la convention d’arbitrage des parties.

                    Le paragraphe 183(1) et l’al. 243(1) c) de la LFI  confèrent au tribunal le pouvoir de déclarer inopérante une convention d’arbitrage dans le contexte d’une mise sous séquestre. Il n’est donc pas nécessaire pour le tribunal d’examiner la compétence inhérente dont il est investi, laquelle ne doit être envisagée qu’après avoir déterminé que les pouvoirs conférés par la loi ne peuvent être invoqués. La LFI  est une loi réparatrice qui vise, en partie, à assurer la distribution ordonnée et efficace des actifs du failli aux divers créanciers. Ainsi, il faut l’interpréter de façon libérale pour favoriser l’atteinte de ses objectifs. Le paragraphe 183(1)  de la LFI  confirme que les cours supérieures ont juridiction en matière de faillite et d’insolvabilité et que cette juridiction peut être exercée de manière concurrente à celle qu’elles possèdent en matière civile ordinaire. De plus, en vertu de l’al. 243(1) c) de la LFI , le tribunal peut, s’il est convaincu que cela est juste ou opportun, nommer un séquestre qu’il habilite, entre autres, à prendre toute mesure qu’il estime indiquée. Ce libellé très large a été interprété comme conférant aux juges le mandat le plus vaste possible dans le cadre des procédures d’insolvabilité afin de leur permettre de réagir à toute circonstance susceptible de se produire dans le contexte de mises sous séquestre ordonnées par le tribunal. L’alinéa 243(1)c) permet donc au tribunal de faire non seulement ce que la justice commande, mais également ce que les considérations pratiques exigent. De telles considérations exigent que, dans certaines circonstances particulières, le tribunal ait la capacité de refuser l’exécution d’une convention d’arbitrage dans le contexte d’une insolvabilité commerciale. Les facteurs susceptibles d’être pertinents lorsqu’il s’agit de déterminer si une convention d’arbitrage est inopérante aux termes du par. 15(2) comprennent : a) l’effet de l’arbitrage sur l’intégrité de la procédure d’insolvabilité; b) le préjudice relatif pour les parties à la convention d’arbitrage et les parties prenantes du débiteur; c) l’urgence de régler le différend; d) l’effet d’une suspension d’instance découlant de la procédure de faillite ou d’insolvabilité; et e) tout autre facteur que le tribunal estime significatif dans les circonstances. Chacun de ces facteurs peut avoir plus ou moins de poids selon les circonstances de l’affaire.

                    En l’espèce, les conditions préliminaires énoncées au par. 15(1) de l’Arbitration Act sont remplies. L’instance civile contestée porte sur un différend contractuel visé par des conventions d’arbitrage valides. En outre, Peace River a établi sur le fondement d’une cause défendable que le Séquestre est une partie aux Conventions d’arbitrage et que Peace River n’a pas agi dans l’instance. Comme l’art. 15 entre en jeu, il faut suspendre l’instance en faveur de l’arbitrage sauf s’il est conclu que les Conventions d’arbitrage sont nulles, inopérantes ou non susceptibles d’être exécutées aux termes du par. 15(2). Le Séquestre a établi que les Conventions d’arbitrage sont inopérantes. Les nombreux processus arbitraux prévus dans les Conventions d’arbitrage compromettraient le règlement ordonné et efficace de la mise sous séquestre, contrairement aux objectifs visés par la LFI . Bien que l’importance de l’autonomie des parties et de la liberté contractuelle soit reconnue, un renvoi à l’arbitrage dans les circonstances particulières de l’espèce mettrait en péril la capacité du Séquestre de maximiser le recouvrement au profit des créanciers et de permettre à Petrowest et à ses sociétés affiliées de poursuivre leurs activités avec certitude.

                    Les juges Karakatsanis, Brown, Martin et Jamal : Il y a accord sur le fait que le pourvoi devrait être rejeté au motif que les Conventions d’arbitrage sont inopérantes en vertu du par. 15(2) de l’Arbitration Act. Cependant, il y a désaccord quant au fondement principal de la conclusion selon laquelle les Conventions d’arbitrage sont inopérantes. L’analyse devrait partir des conditions de l’Ordonnance de mise sous séquestre elle‑même. En intentant une poursuite en justice comme le lui permettait l’Ordonnance de mise sous séquestre, le Séquestre a renoncé aux Conventions d’arbitrage, lesquelles ont ainsi été rendues inopérantes.

                    L’Ordonnance de mise sous séquestre habilitait le Séquestre à recevoir et à recouvrer toute somme et créance dues à Petrowest; à exercer tous les recours dont dispose Petrowest pour recouvrer ces sommes; à intenter, à poursuivre et à continuer toute procédure en ce qui a trait aux biens, actifs et entreprises de Petrowest, y compris tout leur produit; et à cesser d’exécuter tout contrat de Petrowest. Une convention d’arbitrage est un droit contractuel dont dispose une partie de voir une réclamation renvoyée à l’arbitrage, et non devant les tribunaux; il était donc possible d’y renoncer en vertu de l’Ordonnance de mise sous séquestre. L’effet combiné de ces conditions autorisait le Séquestre à renoncer aux Conventions d’arbitrage et à engager une poursuite en justice à l’égard des sommes dues à Petrowest. Suivant les conditions de l’Ordonnance de mise sous séquestre, le Séquestre pouvait, à son choix, intenter une procédure, soit devant les tribunaux soit devant un arbitre, en se fondant sur ce qui favoriserait le mieux le règlement ordonné et efficace de la mise sous séquestre sous le régime de la LFI . La procédure intentée par le Séquestre devant les tribunaux, et non devant un arbitre, a sans aucun doute eu pour effet juridique d’entraîner une renonciation à se fonder sur les Conventions d’arbitrage.

                    Il y a accord avec les juges majoritaires pour dire que, dans la mesure où l’Ordonnance de mise sous séquestre n’autorisait pas le Séquestre à intenter une poursuite en justice, la LFI a fourni un fondement législatif qui permettait à la juge en chambre de déclarer inopérantes les Conventions d’arbitrage et de rejeter la demande de suspension d’instance. Le fait d’exiger que la mesure de recouvrement prise par le Séquestre soit soumise à l’arbitrage compromettrait le règlement ordonné et efficace de la mise sous séquestre.

Jurisprudence

Citée par la juge Côté

                    Arrêts mentionnés : Commonwealth Insurance Co. c. Larc Developments Ltd., 2010 BCCA 18, 315 D.L.R. (4th) 242; Ontario c. Criminal Lawyers’ Association of Ontario, 2013 CSC 43, [2013] 3 R.C.S. 3; Residential Warranty Co. of Canada Inc. (Re), 2006 ABCA 293, 275 D.L.R. (4th) 498; United Used Auto & Truck Parts Ltd., Re, 2000 BCCA 146, 16 C.B.R. (4th) 141; Harbour Assurance Co. (U.K.) Ltd. c. Kansa General International Insurance Co. Ltd., [1993] 3 W.L.R. 42; Uber Technologies Inc. c. Heller, 2020 CSC 16; Dell Computer Corp. c. Union des consommateurs, 2007 CSC 34, [2007] 2 R.C.S. 801; TELUS Communications Inc. c. Wellman, 2019 CSC 19, [2019] 2 R.C.S. 144; Seidel c. TELUS Communications Inc., 2011 CSC 15, [2011] 1 R.C.S. 531; Rogers Sans‑fil inc. c. Muroff, 2007 CSC 35, [2007] 2 R.C.S. 921; In re U.S. Lines, Inc., 197 F.3d 631 (1999); Societe Nationale Algerienne c. Distrigas Corp., 80 B.R. 606 (1987); Astoria Medical Group c. Health Insurance Plan of Greater New York, 182 N.E.2d 85 (1962); Hofer c. Hofer, [1970] R.C.S. 958; Century Services Inc. c. Canada (Procureur général), 2010 CSC 60, [2010] 3 R.C.S. 379; Sam Lévy & Associés Inc. c. Azco Mining Inc., 2001 CSC 92, [2001] 3 R.C.S. 978; Stewart c. LePage (1916), 53 R.C.S. 337; Ostrander c. Niagara Helicopters Ltd. (1973), 1 O.R. (2d) 281; Parsons c. Sovereign Bank of Canada, [1913] A.C. 160; Hayes Forest Services Ltd. c. Weyerhaeuser Co., 2008 BCCA 31, 289 D.L.R. (4th) 230; Rosenberg c. Minster, 2014 ONSC 845, 119 O.R. (3d) 27; Alberta (Procureur général) c. Moloney, 2015 CSC 51, [2015] 3 R.C.S. 327; Husky Oil Operations Ltd. c. Ministre du Revenu national, [1995] 3 R.C.S. 453; 3GS Inc. c. Altus Group Ltd., 2011 ONSC 5755, 96 B.L.R. (4th) 268; Hosting Metro Inc. c. Poornam Info Vision Pvt, Ltd., 2016 BCSC 2371; Sum Trade Corp. c. Agricom International Inc., 2018 BCCA 379, 18 B.C.L.R. (6th) 322; Gulf Canada Resources Ltd. c. Arochem International Ltd. (1992), 66 B.C.L.R. (2d) 113; Clayworth c. Octaform Systems Inc., 2020 BCCA 117, 446 D.L.R. (4th) 626; Dalimpex Ltd. c. Janicki (2000), 137 O.A.C. 390, conf. par (2003), 228 D.L.R. (4th) 179; Ives & Barker c. Willans, [1894] 2 Ch. 478; Central Investments & Development Corp. c. Miller (1982), 133 D.L.R. (3d) 440; ABN Amro Bank Canada c. Krupp Mak Maschinenbau GmbH (1996), 135 D.L.R. (4th) 130; Petro‑Canada c. 366084 Ontario Ltd. (1995), 25 B.L.R. (2d) 19; Therrien (Re), 2001 CSC 35, [2001] 2 R.C.S. 3; Canada (Attorney General) c. Reliance Insurance Co. (2007), 87 O.R. (3d) 42; Heyman c. Darwins, Ld., [1942] A.C. 356; Kaverit Steel and Crane Ltd. c. Kone Corp. (1992), 87 D.L.R. (4th) 129; James c. Thow, 2005 BCSC 809, 5 B.L.R. (4th) 315; Prince George (City) c. McElhanney Engineering Services Ltd. (1995), 9 B.C.L.R. (3d) 368; MacKinnon c. National Money Mart Co., 2004 BCCA 473, 50 B.L.R. (3d) 291; Third Eye Capital Corporation c. Ressources Dianor Inc., 2019 ONCA 508, 435 D.L.R. (4th) 416; Cantore c. Nemaska Lithium Inc., 2020 QCCA 1333; DGDP-BC Holdings Ltd. c. Third Eye Capital Corporation, 2021 ABCA 226, 459 D.L.R. (4th) 538; Canada (Minister of Indian Affairs and Northern Development) c. Curragh Inc. (1994), 114 D.L.R. (4th) 176; Société de crédit commercial GMAC — Canada c. T.C.T. Logistics Inc., 2006 CSC 35, [2006] 2 R.C.S. 123; Orphan Well Association c. Grant Thornton Ltd., 2019 CSC 5, [2019] 1 R.C.S. 150; Endean c. Colombie‑Britannique, 2016 CSC 42, [2016] 2 R.C.S. 162.

Citée par le juge Jamal

                    Arrêts mentionnés : Dell Computer Corp. c. Union des consommateurs, 2007 CSC 34, [2007] 2 R.C.S. 801; Seidel c. TELUS Communications Inc., 2011 CSC 15, [2011] 1 R.C.S. 531; Uber Technologies Inc. c. Heller, 2020 CSC 16.

Lois et règlements cités

Arbitration Act, R.S.B.C. 1996, c. 55, art. 1 « arbitration agreement », 15, 22.

Arbitration Act, S.B.C. 2020, c. 2, art. 4(a).

International Commercial Arbitration Act, R.S.B.C. 1996, c. 233, art. 2(1) « party ».

Loi de 1991 sur l’arbitrage, L.O. 1991, c. 17, art. 7(2), 17(2).

Loi sur la faillite et l’insolvabilité , L.R.C. 1985, c. B‑3, art. 71 , 72(1) , 183 , 243 .

Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies , L.R.C. 1985, c. C‑36 .

Traités et autres instruments internationaux

Convention pour la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères, R.T. Can. 1986 no 43, art. II(3).

Nations Unies. Commission des Nations Unies pour le droit commercial international. Loi type de la CNUDCI sur l’arbitrage commercial international, Doc. N.U. A/40/17, ann. I, 21 juin 1985, art. 8(1), 16.

Doctrine et autres documents cités

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Wood, Roderick J. Bankruptcy and Insolvency Law, 2nd ed., Toronto, Irwin Law, 2015.

                    POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique (les juges Bennett, Dickson et Grauer), 2020 BCCA 339, 43 B.C.L.R. (6th) 8, 452 D.L.R. (4th) 535, 5 C.L.R. (5th) 31, 84 C.B.R. (6th) 174, 9 B.L.R. (6th) 163, [2021] 7 W.W.R. 195, [2020] B.C.J. No. 1940 (QL), 2020 CarswellBC 3008 (WL), qui a confirmé une décision de la juge Iyer, 2019 BCSC 2221, 5 C.L.R. (5th) 14, 74 C.B.R. (6th) 53, 100 B.L.R. (5th) 128, [2019] B.C.J. No. 2489 (QL), 2019 CarswellBC 3819 (WL). Pourvoi rejeté.

                    David de Groot, Joanne Luu, Robert Martz et Alison Scott, pour les appelantes.

                    Kelsey Meyer, Ciara Mackey, Stephanie Clark et Paul Romaniuk, pour les intimées.

                    Laurent Debrun et Charles Côté‑De Lagrave, pour l’intervenant le Centre canadien d’arbitrage commercial.

                    Lisa C. Munro et Cynthia B. Kuehl, pour l’intervenante Arbitration Place.

                    Christina Doria, Michael Nowina et Brendan O’Grady, pour l’intervenante Chartered Institute of Arbitrators (Canada) Inc.

                    Kibben Jackson, Tom Posyniak et Glen Nesbitt, pour l’intervenante Insolvency Institute of Canada.

                    Anthony Daimsis, pour l’intervenante la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante.

 

Version française du jugement du juge en chef Wagner et des juges Moldaver, Côté, Rowe et Kasirer rendu par

 

                    La juge Côté —

                                             TABLE DES MATIÈRES

 

 

Paragraphe

 

I.      Aperçu

1

 

II.    Contexte

11

 

III.   Dispositions statutaires

18

 

IV.   Décisions des tribunaux d’instance inférieure

19

 

A.    Cour suprême de la Colombie‑Britannique, 2019 BCSC 2221, 100 B.L.R. (5th) 128         (la juge Iyer)

19

 

B.    Cour d’appel de la Colombie‑Britannique, 2020 BCCA 339, 452 D.L.R. (4th) 535         (les juges Bennett, Dickson et Grauer)

28

 

V.    Questions en litige

32

 

VI.   Analyse

37

 

A.    Principe de compétence‑compétence

38

 

(1)      Principe général

39

 

(2)      Exceptions au principe de compétence‑compétence

42

 

(3)       Application du principe en l’espèce

43

 

B.    Lien entre le droit de l’arbitrage et le droit de l’insolvabilité

44

 

(1)      Règlement des différends par voie d’arbitrage

49

 

(2)      Règlement des différends en cas d’insolvabilité

51

 

(3)      Points communs entre le droit de l’arbitrage et le droit de l’insolvabilité

59

 

C.    Cadre d’analyse en deux volets applicable aux suspensions d’instance en faveur de         l’arbitrage

76

 

(1)      Conditions préliminaires

81

 

(2)      Exceptions prévues par la loi

87

 

D.    Article 15 de l’Arbitration Act

91

 

(1)      Libellé de l’art. 15

92

 

(2)      Interprétation appropriée de l’art. 15

93

 

E.     Application de l’art. 15 de l’Arbitration Act

159

 

(1)      Conditions préliminaires : l’art. 15 entre en jeu

159

 

(2)      Exceptions prévues par la loi : les Conventions d’arbitrage sont          « inopérantes » aux termes du par. 15(2)

172

 

(3)      Conclusion sur l’art. 15

186

 

VII.   Dispositif

189

 

Annexe — Conventions d’arbitrage

 

 

 

 

 

I.               Aperçu

[1]                             Le présent pourvoi requiert notre Cour de déterminer si, et dans quelles circonstances, une convention d’arbitrage régie par l’Arbitration Act, R.S.B.C. 1996, c. 55 (« Arbitration Act »), devrait céder le pas à l’intérêt public à l’égard du règlement ordonné et efficace d’une mise sous séquestre ordonnée par le tribunal en vertu de l’art. 243  de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité , L.R.C. 1985, c. B‑3  (« LFI  »).

[2]                             Ce pourvoi découle d’un différend relatif au domaine de la construction. L’appelante Peace River Hydro Partners est une société de personnes qui a été constituée en vue de la construction d’un barrage hydroélectrique dans le Nord‑Est de la Colombie‑Britannique. Deux membres de cette société de personnes, et leur société mère, sont aussi appelantes devant notre Cour (collectivement, « Peace River »). L’intimée Petrowest Corporation (« Petrowest ») est une entreprise de construction basée en Alberta. En décembre 2015, Peace River a accepté de sous‑traiter certains travaux à Petrowest et à ses sociétés affiliées (« Sociétés affiliées »), lesquelles sont aussi intimées dans le présent pourvoi. Les parties ont prévu plusieurs clauses stipulant que les différends découlant de leur relation seraient réglés par voie d’arbitrage (« Conventions d’arbitrage »).

[3]                             Cependant, Petrowest s’est rapidement retrouvée dans une situation financière précaire. La Cour du Banc de la Reine de l’Alberta a ordonné la mise sous séquestre de Petrowest et des Sociétés affiliées en vertu de l’art. 243  de la LFI . L’intimée Ernst & Young Inc. agit comme leur séquestre et administratice nommée par le tribunal (« Séquestre »). Le Séquestre a intenté une poursuite civile devant la Cour suprême de la Colombie‑Britannique en vue de recouvrer des créances qu’il estimait être dues à Petrowest et aux Sociétés affiliées par Peace River. Cette dernière a demandé la suspension de l’instance civile en vertu de l’art. 15 de l’Arbitration Act au motif que le différend était régi par les Conventions d’arbitrage. Le Séquestre, au nom de Petrowest et des Sociétés affiliées, s’est opposé à cette demande, faisant valoir que la LFI  autorisait le tribunal à exercer un contrôle judiciaire centralisé sur l’affaire au lieu de référer le Séquestre devant de nombreux tribunaux arbitraux.

[4]                             La juge en chambre s’est dite d’accord avec le Séquestre et a rejeté la demande de suspension d’instance. La Cour d’appel a confirmé la décision de la juge en chambre au motif que le Séquestre n’était pas une [traduction] « partie » aux Conventions d’arbitrage au sens du par. 15(1) de l’Arbitration Act. Elle a conclu que la doctrine de la séparabilité permettait au Séquestre de renoncer aux Conventions d’arbitrage et d’intenter une poursuite fondée sur les contrats sous‑jacents pour recouvrer le paiement pour une prestation antérieure. Peace River demande maintenant à notre Cour d’annuler ces deux décisions et de suspendre l’instance civile en faveur de l’arbitrage.

[5]                             Je suis d’avis de rejeter le pourvoi et de confirmer le rejet de la demande de suspension d’instance par les tribunaux inférieurs. La poursuite civile intentée par le Séquestre au nom de Petrowest et des Sociétés affiliées peut suivre son cours. Cette conclusion découle de l’analyse en deux volets qu’exige l’art. 15 de l’Arbitration Act et qui sera abordée en détail plus loin dans les présents motifs.

[6]                             Premièrement, la Cour d’appel a commis une erreur en concluant que l’art. 15 n’entrait pas en jeu parce que le Séquestre n’était pas une « partie » aux Conventions d’arbitrage. Permettre au séquestre nommé par le tribunal d’éviter l’arbitrage au motif qu’il n’est pas une partie à la convention d’arbitrage préexistante du débiteur est incompatible avec une interprétation adéquate de l’art. 15, les principes ordinaires du droit des contrats, l’autonomie des parties ainsi que la jurisprudence de longue date de notre Cour en matière d’arbitrage. La renonciation ou la doctrine de la séparabilité ne permettent pas non plus aux séquestres d’unilatéralement rendre des conventions d’arbitrage par ailleurs valides [traduction] « inopérante[s] » ou « non susceptible[s] d’être exécutée[s] » au sens de l’art. 15. Seul un tribunal peut conclure qu’une convention d’arbitrage est inopérante ou non susceptible d’être exécutée.

[7]                             Deuxièmement, bien que l’art. 15 soit en jeu, la juge en chambre pouvait refuser de suspendre l’instance en vertu du par. 15(2). Une convention d’arbitrage par ailleurs valide peut, dans certaines circonstances, être inopérante ou non susceptible d’être exécutée. Par exemple, une convention d’arbitrage peut être inopérante si le fait de l’exécuter compromettrait une procédure de mise sous séquestre ordonnée par le tribunal en vertu de l’art. 243  de la LFI . Cela peut se produire lorsque l’arbitrage convenu par les parties empêcherait le règlement ordonné et efficace de la mise sous séquestre, contrairement aux objectifs visés par la LFI .

[8]                             Pour être claire, le fait qu’une partie fasse l’objet d’une ordonnance de mise sous séquestre ou d’une procédure d’insolvabilité, ou qu’elle éprouve des difficultés financières, ne constitue pas, en soi, un motif suffisant pour qu’un tribunal puisse conclure à l’inopérabilité d’une convention d’arbitrage. La partie qui cherche à éviter l’arbitrage doit établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’une suspension d’instance en faveur de l’arbitrage compromettrait l’intégrité de la procédure d’insolvabilité parallèle. La liste suivante, que j’examinerai davantage plus loin, comporte des facteurs pouvant éclairer le tribunal dans l’analyse : a) l’effet de l’arbitrage sur l’intégrité de la procédure d’insolvabilité, laquelle vise à minimiser le préjudice économique que peuvent subir les créanciers; b) le préjudice relatif pour les parties à la convention d’arbitrage et les parties prenantes du débiteur; c) l’urgence de régler le différend; d) l’effet d’une suspension d’instance découlant de la procédure de faillite ou d’insolvabilité, s’il y a lieu; et e) tout autre facteur que le tribunal estime significatif dans les circonstances.

[9]                             Appliquant les facteurs énoncés ci‑dessus, je conclus que la juge en chambre a à bon droit rejeté la demande de suspension d’instance. Les Conventions d’arbitrage sont inopérantes au sens du par. 15(2) de l’Arbitration Act. Les articles 243  et 183  de la LFI  autorisent les tribunaux à répondre aux considérations pratiques qui surviennent dans le contexte d’une mise sous séquestre. En l’espèce, ces considérations exigent que les Conventions d’arbitrage ne soient pas exécutées, et ce, afin de favoriser le règlement ordonné et efficace de la mise sous séquestre. En bref, la nature chaotique de la procédure arbitrale négociée par les parties compromettrait l’intégrité de la mise sous séquestre, au détriment des créanciers touchés et contrairement aux objectifs visés par la LFI .

[10]                         Je souligne que ce résultat est tributaire du contexte. Les faits particuliers de la présente affaire, qui opposent les objectifs de politique publique sous‑tendant la LFI , d’une part, et la liberté contractuelle et l’autonomie des parties, d’autre part, justifient de s’écarter de la préférence législative et judiciaire qui consiste à obliger les parties à respecter leurs conventions d’arbitrage. Cependant, contrairement à ce que l’on peut penser à première vue, le droit de l’arbitrage et le droit de l’insolvabilité ne se situent pas toujours nécessairement à « des pôles extrêmes ». Ils présentent beaucoup de points communs, par exemple l’accent mis sur l’efficacité et la célérité, la souplesse procédurale et la prise de décision par des experts. Ces intérêts communs convergent souvent grâce à l’arbitrage, de sorte que l’octroi d’une suspension d’instance en faveur de l’arbitrage favorisera l’atteinte des objectifs à la fois de la loi provinciale en matière d’arbitrage et de la loi fédérale en matière d’insolvabilité. C’est pour cette raison que les tribunaux devraient habituellement obliger les parties à respecter leurs conventions d’arbitrage, même si l’une d’entre elles est devenue insolvable. Conclure autrement non seulement menacerait la politique publique importante que sert l’exécution des conventions d’arbitrage, mais également mettrait en péril l’intérêt public dans la gestion expéditive, efficace et économique des conséquences d’un effondrement financier, et, partant, la position du Canada en tant que chef de file en matière d’arbitrage commercial.

II.            Contexte

[11]                         La société de personnes Peace River a été constituée en vue de la conception et de la construction d’installations pour le projet du site C, un barrage et une centrale hydroélectrique de grande envergure sur la rivière de la Paix dans le Nord‑Est de la Colombie‑Britannique. Elle comprend les appelantes Acciona Infrastructure Canada Inc. et Samsung C&T Canada Ltd., soit les filiales canadiennes des appelantes Acciona Infraestructuras S.A. et Samsung C&T Corporation.

[12]                         Petrowest est la troisième membre de cette société. Les ententes suivantes entre les parties sont pertinentes en l’espèce (collectivement, « Ententes principales ») :

                       un contrat d’association, daté du 17 décembre 2015, entre Acciona Infrastructure Canada Inc., Samsung C&T Canada Ltd. et Petrowest, créant Peace River (« Contrat de société »);

                       une entente de garantie et d’indemnisation réciproque, datée du 17 décembre 2015, entre Acciona Infraestructuras S.A., Samsung C&T Corporation et Petrowest, garantissant les obligations des filiales associées envers le Contrat de société (« Garantie »);

                       des bons de commande en vertu desquels Peace River a sous‑traité certains travaux à Petrowest et aux Sociétés affiliées (« Bons de commande »); et

                       un contrat de sous‑traitance, daté du 1er juin 2016, entre une société affiliée à Petrowest et Peace River, attribuant d’autres travaux en sous‑traitance.

[13]                         Les Ententes principales comportent les Conventions d’arbitrage pour les lesquelles les parties s’engagent à soumettre leurs différends à l’arbitrage. Il convient cependant de noter que le libellé des Conventions d’arbitrage diffère d’une entente à l’autre[1]. Chacune d’elles s’applique à un ensemble différent de conflits éventuels et prévoit des procédures arbitrales différentes. De plus, certains des Bons de commande ne contiennent pas de clause d’arbitrage.

[14]                         Moins de deux ans après son entrée dans le contrat d’association, Petrowest a rencontré des difficultés financières. Elle a été mise sous séquestre le 15 août 2017. La Cour du Banc de la Reine de l’Alberta a prononcé une ordonnance de mise sous séquestre en vertu du par. 243(1)  de la LFI  (« Ordonnance de mise sous séquestre »). L’Ordonnance de mise sous séquestre a nommé le Séquestre afin qu’il gère les actifs et les biens des débitrices, soit Petrowest et les Sociétés affiliées. Elle autorisait notamment le Séquestre : a) à abandonner l’intérêt des débitrices dans un bien ou à y renoncer; b) à intenter [traduction] « toute procédure » relativement aux débitrices et à leurs biens; c) à céder les biens des débitrices au profit des créanciers, à devenir leur syndic de faillite et à prendre toutes les mesures raisonnablement requises pour s’acquitter de son rôle de syndic de faillite; d) à « cesser d’exécuter tout contrat des débitrices »; et e) à « recevoir et recouvrer toute somme et créance » dues aux débitrices (d.a., vol. XI, p. 2900‑2903).

[15]                         Le 3 avril 2018, le Séquestre a cédé les biens des Sociétés affiliées au profit des créanciers et est devenu leur syndic de faillite. Il importe de souligner que Petrowest n’est pas elle‑même en faillite.

[16]                         Le 29 août 2018, le Séquestre a, au nom de Petrowest et des Sociétés affiliées, intenté une poursuite civile contre Peace River devant la Cour suprême de la Colombie‑Britannique. Le Séquestre a tenté de recouvrer des fonds qu’il estimait être dus à Petrowest et aux Sociétés affiliées pour des travaux exécutés en sous‑traitance en vertu des Ententes principales.

[17]                         Le 30 août 2018, Peace River a reçu signification de l’avis de poursuite civile. Dans une lettre datée du 28 septembre 2018, l’avocat de Peace River s’est engagé à produire une défense. Au lieu de cela, Peace River a présenté une demande de suspension de l’instance en vertu de l’art. 15 de l’Arbitration Act au motif que les Conventions d’arbitrage régissaient le différend. Le Séquestre s’est opposé à la demande, au nom de Petrowest et des Sociétés affiliées.

III.         Dispositions statutaires

[18]                         Le présent pourvoi porte sur l’interaction entre deux lois : l’Arbitration Act et la LFI . Les dispositions clés de ces deux lois sont reproduites ci‑après.

      Arbitration Act

      [traduction]

      Définitions

     1 Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi :

      . . .

« convention d’arbitrage » Condition écrite ou orale d’une entente conclue entre deux ou plusieurs personnes visant à soumettre à l’arbitrage un différend né ou à naître, qu’un arbitre soit désigné ou non, à l’exclusion d’une entente à laquelle l’International Commercial Arbitration Act s’applique;

     . . .

      Suspension d’instance

      15 (1)   Si une partie à une convention d’arbitrage intente contre une autre partie à la convention une action relative à une question qui, suivant cette convention, devait être soumise à l’arbitrage, une partie à l’instance peut, avant d’avoir déposé une réponse à la poursuite civile ou à la poursuite en droit familial ou d’avoir autrement agi dans l’instance, demander au tribunal de suspendre l’instance.

(2)  Le tribunal saisi de la demande visée au paragraphe (1) suspend l’instance à moins qu’il ne constate que la convention d’arbitrage est nulle, inopérante ou non susceptible d’être exécutée.

     LFI 

      Dispositions générales

      Application d’autres lois positives

72 (1) La présente loi n’a pas pour effet d’abroger ou de remplacer les dispositions de droit substantif d’une autre loi ou règle de droit concernant la propriété et les droits civils, non incompatibles avec la présente loi, et le syndic est autorisé à se prévaloir de tous les droits et recours prévus par cette autre loi ou règle de droit, qui sont supplémentaires et additionnels aux droits et recours prévus par la présente loi.

      . . .

      Compétence des tribunaux

      Tribunaux compétents

183 (1) Les tribunaux suivants possèdent la compétence en droit et en equity qui doit leur permettre d’exercer la juridiction de première instance, auxiliaire et subordonnée en matière de faillite et en d’autres procédures autorisées par la présente loi durant leurs termes respectifs, tels que ces termes sont maintenant ou peuvent par la suite être tenus, pendant une vacance judiciaire et en chambre :

      . . .

      c) dans les provinces de la Nouvelle‑Écosse et de la Colombie‑Britannique, la Cour suprême;

      . . .

      Créanciers garantis et séquestres

      Nomination d’un séquestre

243 (1) Sous réserve du paragraphe (1.1), sur demande d’un créancier garanti, le tribunal peut, s’il est convaincu que cela est juste ou opportun, nommer un séquestre qu’il habilite :

    a) à prendre possession de la totalité ou de la quasi‑totalité des biens — notamment des stocks et comptes à recevoir — qu’une personne insolvable ou un failli a acquis ou utilisés dans le cadre de ses affaires;

     b) à exercer sur ces biens ainsi que sur les affaires de la personne insolvable ou du failli le degré de prise en charge qu’il estime indiqué;

     c) à prendre toute autre mesure qu’il estime indiquée.

IV.    Décisions des tribunaux d’instance inférieure

A.           Cour suprême de la Colombie‑Britannique, 2019 BCSC 2221, 100 B.L.R. (5th) 128 (la juge Iyer)

[19]                         La première question que devait trancher la juge en chambre était de savoir si l’art. 15 de l’Arbitration Act était en jeu. Dans l’affirmative, la deuxième question était de savoir si le tribunal avait compétence pour refuser une suspension d’instance malgré l’application du par. 15(1) de l’Arbitration Act. Selon le par. 15(2), le tribunal est tenu de suspendre l’instance en faveur de l’arbitrage, à moins de conclure que les Conventions d’arbitrage sont « nulle[s], inopérante[s] ou non susceptible[s] d’être exécutée[s] ».

[20]                         En ce qui a trait à la première question, la juge en chambre a conclu que l’art. 15 était en jeu. Elle a analysé les quatre conditions de la suspension d’instance obligatoire prévue à l’art. 15.

[21]                         Premièrement, la juge en chambre a statué que le Séquestre était une « partie à une convention d’arbitrage » au sens du par. 15(1). Elle a déclaré qu’il était [traduction] « le syndic de faillite de Petrowest et des Sociétés affiliées », de sorte qu’il avait acquis leurs droits contractuels d’intenter une poursuite fondée sur les Ententes principales en application de l’art. 71  de la LFI  (par. 16‑17). Elle a conclu qu’en intentant une poursuite fondée sur les Ententes principales [traduction] « en son propre nom à titre de syndic », le Séquestre était devenu une partie aux Conventions d’arbitrage au sens du par. 15(1) (par. 19).

[22]                         Deuxièmement, la juge en chambre a rejeté l’argument selon lequel Peace River avait « agi dans l’instance » avant de présenter sa demande de suspension d’instance. Elle a conclu que le fait de s’être engagée à produire une défense sans invoquer les règles de procédure de la cour ne revenait pas à avoir agi dans l’instance (Commonwealth Insurance Co. c. Larc Developments Ltd., 2010 BCCA 18, 315 D.L.R. (4th) 242).

[23]                         Troisièmement, la juge en chambre a statué que certaines des réclamations contractuelles présentées par le Séquestre étaient visées par le large libellé des Conventions d’arbitrage.

[24]                         Enfin, la juge en chambre était [traduction] « disposée à supposer » qu’au moins certaines des conventions d’arbitrage en cause n’étaient pas nulles, inopérantes ou non susceptibles d’être exécutées au sens du par. 15(2) (par. 33).

[25]                         Quant à la deuxième question dont elle était saisie, la juge en chambre a conclu que le tribunal avait une [traduction] « compétence inhérente », découlant de l’art. 183  de la LFI , pour écarter des conventions d’arbitrage régies par l’art. 15 de l’Arbitration Act. Elle a fait remarquer que l’exercice de ce pouvoir pouvait s’opérer de deux manières : a) il pouvait rendre une clause d’arbitrage non susceptible d’être exécutée ou inopérante au sens du par. 15(2); ou b) si le par. 15(2) ne permettait pas cette interprétation, l’art. 183  de la LFI  pouvait l’emporter sur l’art. 15 de l’Arbitration Act en raison du principe de la prépondérance. La juge en chambre n’a pas statué sur cette question, celle‑ci n’ayant pas été débattue devant elle (par. 42).

[26]                         La juge en chambre a ensuite rejeté la demande de suspension d’instance en exerçant sa [traduction] « compétence inhérente ». Elle a conclu que l’art. 183  de la LFI  habilite les cours supérieures à intervenir dans l’exercice de droits contractuels privés lorsqu’il est nécessaire de le faire pour assurer l’équité dans le processus de faillite ou d’insolvabilité et pour promouvoir les objectifs sous‑tendant la LFI , tels que l’administration et la protection adéquates de l’actif du failli.

[27]                         La juge en chambre a noté que l’exécution des Conventions d’arbitrage entraînerait de nombreuses procédures arbitrales se chevauchant et des litiges éventuels, ce qui donnerait lieu à [traduction] « [d]es coûts et [d]es délais importants » comparativement aux coûts et aux délais d’une seule et unique procédure judiciaire (par. 60). Elle a souligné que les parties ont convenu que le fait d’écarter les Conventions d’arbitrage [traduction] « favoriserait le règlement efficace et peu coûteux de leur différend » (par. 56). Sur cette base, la juge a conclu que suspendre l’instance [traduction] « compromettrait grandement l’atteinte des objectifs de la LFI  » (par. 61). Elle a rejeté la demande de suspension d’instance de Peace River afin de permettre à la poursuite civile de suivre son cours.

B.            Cour d’appel de la Colombie‑Britannique, 2020 BCCA 339, 452 D.L.R. (4th) 535 (les juges Bennett, Dickson et Grauer)

[28]                         Peace River a interjeté appel de la décision de la juge en chambre, principalement au motif que les tribunaux ne disposent pas, en vertu de l’art. 183  de la LFI , d’une compétence inhérente leur permettant de refuser la suspension d’instance prévue à l’art. 15 de l’Arbitration Act.

[29]                         La Cour d’appel a rejeté l’appel, mais n’a pas souscrit au raisonnement de la juge en chambre. Elle a fait la mise en garde portant que la compétence inhérente ne devrait que rarement être invoquée et qu’elle ne peut servir pour passer outre à la volonté clairement exprimée du législateur (Ontario c. Criminal Lawyers’ Association of Ontario, 2013 CSC 43, [2013] 3 R.C.S. 3; Residential Warranty Co. of Canada Inc. (Re), 2006 ABCA 293, 275 D.L.R. (4th) 498; United Used Auto & Truck Parts Ltd., Re, 2000 BCCA 146, 16 C.B.R. (4th) 141). Cependant, la Cour d’appel n’a pas jugé nécessaire de statuer sur la question de savoir si la juge en chambre disposait du pouvoir discrétionnaire, en vertu de la LFI , de refuser de suspendre l’instance malgré l’application de l’art. 15 de l’Arbitration Act.

[30]                         La Cour d’appel s’est fondée sur la doctrine de la séparabilité en droit de l’arbitrage, selon laquelle une clause d’arbitrage est un [traduction] « contrat indépendant collatéral au contrat dans lequel elle figure » (Harbour Assurance Co. (U.K.) Ltd. c. Kansa General International Insurance Co. Ltd., [1993] 3 W.L.R. 42 (C.A.), p. 49; voir aussi Uber Technologies Inc. c. Heller, 2020 CSC 16, par. 221‑225, la juge Côté, dissidente, mais non sur ce point). Selon la Cour d’appel, la séparabilité permet à un séquestre, à titre de fiduciaire nommé par le tribunal, de renoncer à une convention d’arbitrage par ailleurs valide, malgré le fait qu’il ait ratifié le contrat dans lequel elle figure afin d’intenter une poursuite sur la base de celui‑ci (par. 55).

[31]                         Appliquant la doctrine de la séparabilité, la Cour d’appel a conclu que le Séquestre avait renoncé aux Conventions d’arbitrage en intentant la poursuite civile au nom de Petrowest et des Sociétés affiliées. Ainsi, le Séquestre n’était pas une partie à ces ententes et l’art. 15 de l’Arbitration Act ne s’appliquait pas. À tout événement, si le Séquestre était partie aux ententes, sa renonciation a rendu les Conventions d’arbitrage inopérantes ou non susceptibles d’être exécutées au sens du par. 15(2) (par. 56). Par conséquent, la Cour d’appel a rejeté l’appel et a confirmé la décision de la juge en chambre de refuser de suspendre l’instance en faveur de l’arbitrage.

V.           Questions en litige

[32]                         Le présent pourvoi soulève la question suivante :

                       Dans quelles circonstances une convention d’arbitrage par ailleurs valide est‑elle inexécutoire en vertu du par. 15(2) de l’Arbitration Act dans le contexte d’une mise sous séquestre ordonnée par le tribunal en vertu de la LFI ?

[33]                         Cette question soulève les sous‑questions suivantes :

a)                     La Cour d’appel a‑t‑elle commis une erreur en concluant que l’art. 15 de l’Arbitration Act n’est pas en jeu?

b)                    Si l’art. 15 est en jeu, la juge en chambre a‑t‑elle commis une erreur en statuant que le tribunal a néanmoins compétence pour refuser une suspension d’instance dans le contexte d’une mise sous séquestre ordonnée par le tribunal en vertu de la LFI ?

c)                     Si le tribunal a compétence pour refuser d’accorder une suspension d’instance dans le contexte d’une mise sous séquestre ordonnée par le tribunal, comment cette compétence devrait‑elle être exercée en l’espèce?

[34]                         En bref, je conclus que l’art. 15 de l’Arbitration Act n’exige pas, dans tous les cas, que le tribunal suspende une poursuite civile intentée par un séquestre nommé par le tribunal lorsque la réclamation est visée par une convention d’arbitrage valide. Le tribunal peut refuser d’accorder une suspension d’instance lorsque la partie qui cherche à éviter l’arbitrage démontre que la convention d’arbitrage en cause est « nulle, inopérante ou non susceptible d’être exécutée » au sens du par. 15(2). Dans le contexte d’une mise sous séquestre ordonnée par le tribunal, une convention d’arbitrage peut être inopérante si le fait de l’exécuter compromettrait le règlement ordonné et efficace de la mise sous séquestre. L’analyse dépend nécessairement du contexte factuel présenté au tribunal.

[35]                         Appliquant ce qui précède au présent pourvoi, je conclus que le Séquestre, au nom de Petrowest et des Sociétés affiliées, a démontré que les Conventions d’arbitrage sont inopérantes. Je ne vois aucune raison de modifier la conclusion de la juge en chambre selon laquelle une seule et unique procédure judiciaire [traduction] « sera plus rapide et moins coûteuse » que les nombreuses procédures arbitrales se chevauchant résultant des Conventions d’arbitrage (par. 56). Les parties ont convenu devant la juge en chambre que le fait de procéder par voie judiciaire, plutôt que par voie d’arbitrage, [traduction] « favoriserait le règlement efficace et peu coûteux de leur différend » (par. 56). Pour cette raison, je conclus que l’arbitrage compromettrait le règlement ordonné et efficace de la mise sous séquestre, contrairement aux objectifs visés par la LFI .

[36]                         Par conséquent, la juge en chambre pouvait, en vertu du par. 15(2) de l’Arbitration Act, refuser la demande de suspension d’instance en faveur de l’arbitrage présentée par Peace River. Je rejetterais donc le pourvoi.

VI.    Analyse

[37]                         Mon analyse procède comme suit. Premièrement, j’explique et j’applique le principe de « compétence‑compétence ». Deuxièmement, j’analyse le lien entre le droit de l’arbitrage et le droit de l’insolvabilité, notamment les principaux points communs qui unissent ces deux ensembles de règles de droit. Troisièmement, je décris le cadre d’analyse général en deux volets applicable aux demandes de suspension d’instance présentées en vertu de dispositions législatives sur l’arbitrage interne au Canada. Quatrièmement, j’interprète l’art. 15 de l’Arbitration Act et je tranche les quatre questions d’interprétation soulevées. Enfin, j’applique le cadre d’analyse en deux volets prescrit par l’art. 15 au présent pourvoi.

A.           Principe de compétence‑compétence

[38]                         J’analyse d’abord le principe de compétence‑compétence en droit canadien de l’arbitrage, car il est pertinent à l’égard des questions soulevées dans le présent pourvoi.

(1)          Principe général

[39]                         Le principe de compétence‑compétence donne préséance au processus arbitral. De façon générale, ce principe « favorise l’exercice par l’arbitre de son pouvoir de se prononcer en premier lieu sur sa propre compétence » (Dell Computer Corp. c. Union des consommateurs, 2007 CSC 34, [2007] 2 R.C.S. 801, par. 70). Cette préférence pour l’arbitrage s’écarte de l’approche traditionnelle au Canada, laquelle favorisait un rôle judiciaire interventionniste (Dell, par. 69). Dans le passé, les juges voyaient d’un mauvais œil l’arbitrage, « qu’ils considéraient comme “un mécanisme de résolution des différends de deuxième ordre” » (TELUS Communications Inc. c. Wellman, 2019 CSC 19, [2019] 2 R.C.S. 144, par. 48; Seidel c. TELUS Communications Inc., 2011 CSC 15, [2011] 1 R.C.S. 531, par. 96).

[40]                         Cependant, en 1986, le Canada a adhéré à la convention des Nations Unies intitulée Convention pour la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères, R.T. Can. 1986 no 43 (« Convention de New York »), laquelle a établi un seul ensemble de règles uniformes relatives à l’arbitrage commercial international qui s’appliquaient à l’échelle mondiale. Le Canada a également adopté la Loi type de la CNUDCI sur l’arbitrage commercial international, Doc. N.U. A/40/17, ann. I, 21 juin 1985 (« Loi type »), préparée par la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international. La Loi type visait à guider l’évolution en matière législative dans les pays cherchant à établir un cadre législatif moderne afin d’encourager l’arbitrage commercial (J. K. McEwan et L. B. Herbst, Commercial Arbitration in Canada : A Guide to Domestic and International Arbitrations (feuilles mobiles), § 1:4). L’article 16 de la Loi type reconnaît clairement le principe de compétence‑compétence. La Colombie‑Britannique a adopté le principe, tel qu’il est énoncé dans la Loi type, au moyen de l’art. 22 de l’Arbitration Act (Seidel, par. 28).

[41]                         Compte tenu de ce qui précède, il est bien établi qu’au Canada, la règle générale veut que toute contestation de la compétence d’un arbitre doive d’abord être tranchée par ce dernier (voir Uber, par. 31‑34; Seidel; Dell; Rogers Sans‑fil inc. c. Muroff, 2007 CSC 35, [2007] 2 R.C.S. 921). Cette règle repose sur la présomption voulant que les arbitres possèdent une expertise en matière d’appréciation des faits comparable à celle des tribunaux, et que les parties entendaient qu’un arbitre détermine la validité et la portée de leur entente (McEwan et Herbst, § 5:10).

(2)          Exceptions au principe de compétence‑compétence

[42]                         Le principe de compétence‑compétence n’est toutefois pas absolu. Un tribunal peut trancher une contestation de la compétence d’un arbitre si la contestation repose uniquement sur des questions de droit, ou repose sur des questions mixtes de fait et de droit qui ne requièrent qu’un examen superficiel de la preuve documentaire (Uber, par. 32; Dell, par. 84‑85). Cette exception découle de l’expertise particulière dont jouissent les tribunaux sur de telles questions. De plus, elle permet qu’un argument de droit relatif à la compétence de l’arbitre soit « tranché une fois pour toutes, évitant aux parties le dédoublement d’un débat strictement juridique » (Dell, par. 84).

(3)          Application du principe en l’espèce

[43]                         Les questions soulevées dans le présent pourvoi sont des questions mixtes de fait et de droit. Dans les circonstances de l’espèce, il suffit d’interpréter des dispositions législatives en matière d’arbitrage et d’insolvabilité et de procéder à un examen superficiel de la preuve documentaire. Par conséquent, le tribunal peut trancher la question portant sur la compétence arbitrale sans contrevenir au principe de compétence‑compétence.

B.            Lien entre le droit de l’arbitrage et le droit de l’insolvabilité

[44]                         Pour trancher le présent pourvoi, je dois déterminer l’effet, s’il en est, qu’a la mise sous séquestre, en vertu de la LFI  fédérale, de Petrowest et des Sociétés affiliées sur les Conventions d’arbitrage, qui sont régies par l’Arbitration Act de la Colombie‑Britannique. Avant de poursuivre, il est utile d’expliquer l’interaction entre le droit de l’arbitrage et le droit de l’insolvabilité de manière générale.

[45]                         Le droit de l’arbitrage et le droit de l’insolvabilité sont depuis longtemps considérés comme englobant des [traduction] « intérêts opposés » (voir, p. ex., W. Kühn, « Arbitration and Insolvency » (2011), 5 Disp. Res. Int’l 203, p. 203; M. A. Salzberg et G. M. Zinkgraf, « When Worlds Collide : The Enforceability of Arbitration Agreements in Bankruptcy » (2007), 27 Franchise L.J. 37; P. F. Kirgis, « Arbitration, Bankruptcy, and Public Policy : A Contractarian Analysis » (2009), 17 Am. Bankr. Inst. L. Rev. 503; D. Chan et S. Rajagopal, « To Stay or Not to Stay? A Clash of Arbitration and Insolvency Regimes » (2021), 38 J. Int’l Arb. 457). Dans un passage souvent cité, la Cour d’appel des États‑Unis pour le deuxième circuit a décrit l’interaction entre le droit de l’arbitrage et le droit de l’insolvabilité comme [traduction] « un conflit entre deux pôles extrêmes : la politique sur la faillite milite inexorablement en faveur d’une centralisation, alors que la politique sur l’arbitrage prône une approche décentralisée à l’égard du règlement des différends » (In re U.S. Lines, Inc., 197 F.3d 631 (1999), p. 640; voir aussi Societe Nationale Algerienne c. Distrigas Corp., 80 B.R. 606 (D. Mass. 1987), p. 610).

[46]                         Récemment, deux tendances ont mis clairement cette tension en évidence. Premièrement, l’arbitrage est devenu un mécanisme de règlement des différends commerciaux de plus en plus populaire, et ce, tant au Canada qu’à l’étranger (Wellman, par. 54; Seidel, par. 23). De nos jours, les parties comme les avocats reconnaissent les avantages stratégiques et tactiques qu’offre l’arbitrage comparativement au litige traditionnel. Ces avantages peuvent comprendre le respect de la vie privée et la confidentialité, l’efficacité et la rapidité, la souplesse des règles de preuve, la liberté de déterminer les règles de procédure et de choisir les décideurs possédant une expertise pertinente, ainsi que le caractère exécutoire transfrontalier des sentences (J. B. Casey, Arbitration Law of Canada : Practice and Procedure (3e éd. 2017), c. 1.6).

[47]                         Deuxièmement, les chocs économiques, dont la crise financière de 2008 et les perturbations résultant de la pandémie de COVID‑19, ont imposé des exigences accrues sur nos lois en matière d’insolvabilité (L. W. Houlden, G. B. Morawetz et J. Sarra, Bankruptcy and Insolvency Law of Canada (4e éd. rév. (feuilles mobiles)), § 1:6; H. Esslinger, « Creditors Over Contract : A Case Comment on Chandos », dans J. Corraini et D. B. Nixon, dir., Annual Review of Insolvency Law 2021 (2022), 747; V. W. DaRe et T. Prpa, « Imagine One Restructuring Act in Canada » (2021), 36 B.F.L.R. 363, p. 364).

[48]                         Il n’est donc plus inhabituel qu’une partie commerciale se trouve impliquée dans un différend régi par une convention d’arbitrage avec une partie cocontractante insolvable ou en faillite. Dans cette hypothèse, il existe une tension entre le droit de l’arbitrage et le droit de l’insolvabilité quant à l’instance devant laquelle le différend doit être réglé. Pour comprendre cette tension, il est nécessaire de décrire brièvement les caractéristiques des procédures d’arbitrage et d’insolvabilité. Malgré des différences évidentes, ces deux ensembles de règles de droit ont beaucoup en commun. Par conséquent, comme je l’explique, les tribunaux doivent évaluer au cas par cas le caractère exécutoire de conventions d’arbitrage en présence de procédures d’insolvabilité parallèles. J’offre ci‑après des directives à cet égard.

(1)          Règlement des différends par voie d’arbitrage

[49]                         Selon la conception moderne exprimée dans la législation canadienne en matière d’arbitrage, les parties sont tenues de respecter leurs conventions d’arbitrage. Cela donne effet au concept de l’« autonomie des parties », selon lequel les parties sont libres de [traduction] « charge[r] [. . .] un tribunal privé » de régler leurs différends (Wellman, par. 52, citant Astoria Medical Group c. Health Insurance Plan of Greater New York, 182 N.E.2d 85 (N.Y. 1962), p. 87; M. Pavlović et A. Daimsis, « Arbitration », dans J. C. Kleefeld et autres, dir., Dispute Resolution : Readings and Case Studies (4e éd. 2016), 483, p. 485). L’autonomie des parties est étroitement liée à la liberté contractuelle (Hofer c. Hofer, [1970] R.C.S. 958, p. 963). La législation moderne en matière d’arbitrage est fondée sur ces principes, lesquels sous‑tendent les choix de politique enchâssés dans les lois provinciales sur l’arbitrage comme l’Arbitration Act (Wellman, par. 52).

[50]                         L’autonomie des parties et la liberté contractuelle vont de pair avec le principe de l’intervention limitée des tribunaux dans les procédures arbitrales. Ce principe est « fondamental » au droit moderne de l’arbitrage et « est exprimé à maintes reprises dans la législation canadienne moderne en matière d’arbitrage » (Wellman, par. 52‑55; McEwan et Herbst, § 10:2; Casey, c. 7.1). Par exemple, l’al. 4(a) du nouveau Arbitration Act, S.B.C. 2020, c. 2, de la Colombie‑Britannique indique que [traduction] « [p]our toutes les questions régies par la présente loi, le tribunal ne peut intervenir que dans les cas où celle‑ci le prévoit ». Des énoncés de principe semblables se retrouvent dans les lois provinciales en matière d’arbitrage partout au pays. Il s’ensuit que, de façon générale, l’intervention des tribunaux dans les différends commerciaux régis par une clause d’arbitrage valide devrait être l’exception, et non la règle.

(2)          Règlement des différends en cas d’insolvabilité

[51]                         Par ailleurs, les procédures d’insolvabilité sont d’origine législative et soumises à une surveillance judiciaire étroite.

[52]                         L’insolvabilité met en cause de larges intérêts publics. Elle [traduction] « touche toutes les parties prenantes de l’entreprise commerciale insolvable », y compris les créanciers, les employés, les locateurs, les fournisseurs, les actionnaires et les clients (K. P. McElcheran, Commercial Insolvency in Canada (4e éd. 2019), ¶1.1). Dans le cas de très grandes entreprises, une situation d’insolvabilité peut même [traduction] « menacer l’existence de communautés entières » (¶1.1). La législation canadienne offre donc aux parties prenantes un vaste éventail de procédures judiciaires pour régler les problèmes qui interviennent en raison de l’insolvabilité (¶1.1‑1.12).

[53]                         Cette souplesse procédurale a permis aux tribunaux canadiens de jouer un rôle important a) en offrant une instance où régler de manière ordonnée les questions relatives aux droits et objectifs concurrents de chacune des parties prenantes d’entreprises commerciales insolvables, et b) en créant des mécanismes permettant de préserver la valeur de l’entreprise insolvable ou de ses actifs au profit de toutes les parties prenantes (Century Services Inc. c. Canada (Procureur général), 2010 CSC 60, [2010] 3 R.C.S. 379, par. 2 et 22; McElcheran, ¶1.1‑1.14). J’examine ces deux points ci‑après.

a)             Modèle de la procédure unique

[54]                         Le rôle central que jouent les tribunaux dans le règlement équitable et ordonné des différends en matière d’insolvabilité se reflète dans le « modèle de la procédure unique ».

[55]                         Ce modèle favorise la protection des droits des parties prenantes dans le cadre d’un processus judiciaire centralisé. La politique législative favorable au « contrôle unique » se reflète dans la législation canadienne en matière de faillite, d’insolvabilité et de liquidation (Century Services, par. 22‑23). Le modèle de la procédure unique vise à atténuer l’inefficacité et le chaos qu’il y aurait si chaque partie prenante dans un cas d’insolvabilité présentait une réclamation distincte pour faire valoir ses droits. Autrement dit, ce modèle protège l’« intérêt public [manifeste] à la gestion expéditive, efficace et économique des retombées d’un effondrement financier » (Sam Lévy & Associés Inc. c. Azco Mining Inc., 2001 CSC 92, [2001] 3 R.C.S. 978, par. 27, citant Stewart c. LePage (1916), 53 R.C.S. 337). Notre Cour a conclu que le par. 183(1)  de la LFI  confère une « vaste compétence » aux cours supérieures pour trancher la plupart des litiges en matière de faillite, car toute compétence moindre « compliquerait et entraverait inutilement la liquidation économique et expéditive de l’actif du failli » (Sam Lévy, par. 38).

b)             Mise sous séquestre ordonnée par le tribunal en vertu de la LFI 

[56]                         La mise sous séquestre ordonnée par le tribunal en vertu de l’art. 243  de la LFI , comme la mise sous séquestre en l’espèce, est l’un des outils disponibles pour accroître la surveillance et la souplesse judiciaires qui sous‑tendent le droit de l’insolvabilité au Canada. Le paragraphe 243(1)  de la LFI  confère au tribunal un vaste pouvoir de nommer un séquestre si le tribunal « est convaincu que cela est juste ou opportun ». En vertu du par. 243(1) , le tribunal peut, dans le but de favoriser et de faciliter la protection et la réalisation de l’actif du débiteur au profit de tous les créanciers, nommer un séquestre qu’il habilite : a) à prendre possession de la totalité ou de la quasi‑totalité des biens — notamment des stocks et comptes à recevoir — que le débiteur a acquis ou utilisés dans le cadre de ses affaires; b) à exercer sur ces biens ainsi que sur les affaires du débiteur le degré de prise en charge qu’il estime indiqué; c) à prendre « toute autre mesure qu’il estime indiquée » (R. J. Wood, Bankruptcy and Insolvency Law (2e éd. 2015), p. 553‑554).

[57]                         Vu l’étendue de ses pouvoirs, le séquestre nommé par le tribunal fait nécessairement l’objet d’une surveillance judiciaire étroite. Il ne représente ni un détenteur de garantie ni le débiteur; il est un officier de justice dont [traduction] « le pouvoir exclusif provient de [sa] nomination par la Cour et des directives que celle‑ci lui donne » (Ostrander c. Niagara Helicopters Ltd. (1973), 1 O.R. (2d) 281 (H.C.), p. 286). Dans la plupart des cas, y compris en l’espèce, une ordonnance judiciaire fondée sur l’art. 243  de la LFI  confère au séquestre de vastes pouvoirs.

[58]                         Malgré cette souplesse, le séquestre nommé par le tribunal a une obligation fiduciaire d’agir avec intégrité et aux mieux des intérêts de toutes les parties intéressées. Par exemple, il n’est généralement pas autorisé à mettre fin à des contrats existants entre des tiers et le débiteur. Pour ce faire, il doit demander au tribunal la décharge de contrats à titre onéreux, tels que ceux dont l’exécution serait trop coûteuse (F. Bennett, Bennett on Receiverships (3e éd. 2011), p. 42; Parsons c. Sovereign Bank of Canada, [1913] A.C. 160 (C.P.), le vicomte Haldane, lord chancelier). Ceci démontre le rôle de surveillance essentiel que jouent les tribunaux dans le cadre des procédures de mise sous séquestre.

(3)     Points communs entre le droit de l’arbitrage et le droit de l’insolvabilité

[59]                         Malgré les différences décrites ci‑haut, le droit de l’arbitrage et le droit de l’insolvabilité ont plusieurs points en commun. J’examine ci‑après trois points communs qui sont particulièrement pertinents en l’espèce.

a)             Efficacité et célérité

[60]                         D’abord et avant tout, le droit de l’arbitrage et le droit de l’insolvabilité priorisent tous deux l’efficacité et la célérité.

[61]                         L’arbitrage commercial est un [traduction] « processus conçu pour permettre aux parties de régler leurs différends de manière efficace et économique » (McEwan et Herbst, § 2:1, citant Hayes Forest Services Ltd. c. Weyerhaeuser Co., 2008 BCCA 31, 289 D.L.R. (4th) 230, par. 1). Ainsi, il est [traduction] « moins formel, plus expéditif et donc plus rapide qu’un règlement judiciaire des questions en litige » (Rosenberg c. Minster, 2014 ONSC 845, 119 O.R. (3d) 27, par. 58).

[62]                         De même, la raison d’être du modèle de la procédure unique en droit canadien de l’insolvabilité est la « gestion expéditive, efficace et économique des retombées d’un effondrement financier ». Pour maximiser le recouvrement global au profit des créanciers, ce modèle fait échec « à l’inefficacité et au chaos » en « favoris[ant] un processus collectif ordonné » (Alberta (Procureur général) c. Moloney, 2015 CSC 51, [2015] 3 R.C.S. 327, par. 33; Husky Oil Operations Ltd. c. Ministre du Revenu national, [1995] 3 R.C.S. 453, par. 7).

[63]                         Comme je l’ai déjà mentionné, le modèle de la procédure unique s’applique aux procédures intentées sous le régime de la LFI , de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies , L.R.C. 1985, c. C‑36  (« LACC  »), et d’autres lois en matière d’insolvabilité. Par exemple, l’art. 243  de la LFI  autorise le tribunal à nommer un séquestre pouvant agir dans l’ensemble du pays, ce qui favorise l’efficacité [traduction] « puisque l’on supprime la nécessité de nommer un séquestre dans chacun des ressorts où se trouvent les biens du débiteur » (Houlden, Morawetz et Sarra, § 12:3).

b)             Souplesse procédurale

[64]                         De plus, la souplesse procédurale est une caractéristique commune au droit de l’arbitrage et au droit de l’insolvabilité.

[65]                         Parmi les avantages reconnus de l’arbitrage figure, au premier chef, la liberté qu’ont les parties de choisir leurs propres règles de procédure plutôt que d’être liées par celles du tribunal (Seidel, par. 22; Wellman, par. 48‑56; L. Y. Fortier, « Delimiting the Spheres of Judicial and Arbitral Power : “Beware, My Lord, of Jealousy” » (2001), 80 R. du B. can. 143). Cela accroît la célérité et la rentabilité des procédures arbitrales, où les procédures de communication préalable peuvent être simplifiées, où l’on peut utiliser des observations écrites plutôt que des témoignages et où des règles de preuve strictes peuvent être assouplies (McEwan et Herbst, § 2:1 et 7:12).

[66]                         La souplesse est également une caractéristique du droit canadien de l’insolvabilité. Cependant, dans le contexte de l’insolvabilité, le tribunal et les parties peuvent adapter la procédure judiciaire à un cas donné. En effet, la LFI et la LACC confèrent aux tribunaux un vaste pouvoir discrétionnaire leur permettant entre autres d’autoriser la cession de contrats, la renonciation à des contrats et la vente d’actifs, d’imposer ou de lever la suspension d’une instance, d’accorder des prorogations de délai, de mettre fin à une instance, et d’approuver des propositions de créanciers (Wood, p. 432‑433). À l’instar de ce que le droit de l’arbitrage permet aux parties à un arbitrage de faire, le droit canadien de l’insolvabilité permet donc aux débiteurs, aux créanciers et aux tribunaux [traduction] « de concevoir un processus et un résultat [. . .] qui convient à chaque affaire » (McElcheran, ¶5.11‑5.12).

c)              Décideurs possédant une expertise spécialisée

[67]                         Enfin, le droit de l’arbitrage et le droit de l’insolvabilité comptent souvent sur des décideurs spécialisés pour atteindre leurs objectifs respectifs.

[68]                         L’un des [traduction] « grands avantages » de l’arbitrage est que les parties peuvent choisir un décideur possédant « une expertise particulière dans le domaine de leur différend » (3GS Inc. c. Altus Group Ltd., 2011 ONSC 5755, 96 B.L.R. (4th) 268, par. 19; McEwan et Herbst, § 4:1).

[69]                         De même, posséder une expertise judiciaire spécialisée est essentiel pour relever les défis liés aux procédures complexes de restructuration et d’insolvabilité, souvent appelées le [traduction] « foyer du contentieux en temps réel » (Century Services, par. 58, citant R. B. Jones, « The Evolution of Canadian Restructuring : Challenges for the Rule of Law », dans J. P. Sarra, dir., Annual Review of Insolvency Law 2005 (2006), 481, p. 484).

[70]                         Les intérêts relatifs à la célérité et à la souplesse procédurale sont à la base de la nécessité de la spécialisation judiciaire dans le domaine de la faillite et de l’insolvabilité. En effet, dans de nombreuses provinces, des juges spécialisés se chargent des procédures de restructuration et de toutes les questions connexes. Leur expertise et leur [traduction] « connaissance du dossier » leur permettent d’atteindre un bon équilibre entre le maintien de la formalité procédurale et la nécessité de régler rapidement les différends dans le cadre du processus global de restructuration (McElcheran, ¶5.85).

[71]                         En résumé, le fait de recourir à un décideur possédant une expertise dans le domaine pertinent constitue une caractéristique essentielle tant du droit de l’arbitrage que du droit de l’insolvabilité, et ce, pour une bonne raison. Une expertise spécialisée peut aider à tirer profit d’autres attributs qui sont aussi communs aux deux ensembles de règles de droit, telles la célérité et la souplesse procédurale.

d)             Conclusion sur l’interaction entre le droit de l’arbitrage et le droit de l’insolvabilité

[72]                         Bien souvent, les intérêts communs de célérité, de souplesse procédurale et d’expertise spécialisée convergeront grâce à l’arbitrage. Dans un tel cas, les parties devraient être tenues de respecter leur convention d’arbitrage, malgré une procédure d’insolvabilité en cours. Autrement dit, le tribunal devrait suspendre l’instance en faveur de l’arbitrage, et tout différend concernant la portée de la convention d’arbitrage ou la compétence de l’arbitre devrait être réglé par l’arbitre. Comme il ressort de ce qui précède, les conventions d’arbitrage valides doivent généralement être respectées. Cette présomption en faveur de la compétence arbitrale trouve appui dans la jurisprudence de longue date de notre Cour, la position favorable à l’arbitrage adoptée dans les lois provinciales et territoriales partout au pays ainsi que le principe fondamental selon lequel les parties contractantes sont libres de structurer leurs affaires comme bon leur semble.

[73]                         Cependant, dans certaines affaires d’insolvabilité, il peut s’avérer nécessaire d’écarter l’arbitrage en faveur d’un processus judiciaire centralisé. Cela peut se produire lorsque l’arbitrage compromettrait le déroulement ordonné et efficace d’une mise sous séquestre ordonnée par le tribunal. Dans un tel cas, le tribunal peut exercer un contrôle sur la procédure, tant pour veiller au règlement rapide du différend entre les parties que pour protéger l’intérêt public dans la restructuration ou la liquidation ordonnées du débiteur et le traitement égal de ses créanciers. Ce pouvoir découle de la compétence que les par. 243(1)  et 183(1)  de la LFI  confèrent aux cours supérieures.

[74]                         Cet exercice est nécessairement hautement factuel. Il oblige le tribunal à examiner attentivement les régimes législatifs et les conventions d’arbitrage en cause en tenant compte des principes de l’autonomie des parties et de la liberté contractuelle ainsi que des choix de politique générale sous‑tendant le droit de la faillite et de l’insolvabilité.

[75]                         Pour guider cet exercice, je résume brièvement le cadre d’analyse en deux volets applicable aux suspensions d’instance qui est implicite dans les lois provinciales en matière d’arbitrage comme l’Arbitration Act.

C.            Cadre d’analyse en deux volets applicable aux suspensions d’instance en faveur de l’arbitrage

[76]                         Les dispositions relatives à la suspension d’instance dans les lois provinciales en matière d’arbitrage partout au pays comportent deux volets généraux. Comme le cadre d’analyse est semblable d’une province à l’autre, il est utile de présenter un aperçu général avant de s’attarder à l’interprétation de l’art. 15 de l’Arbitration Act. Les deux volets sont :

a)          les conditions préliminaires à la suspension obligatoire d’une instance judiciaire; et

b)                    les exceptions statutaires à la suspension obligatoire d’une instance judiciaire.

[77]                         Bien qu’ils soient interreliés, ces deux volets doivent demeurer distincts sur le plan analytique. Cette distinction est nécessaire, car il y a inversion du fardeau de la preuve entre le premier et le second volet.

[78]                         Sous le premier volet, la partie qui requiert la suspension d’une instance en faveur de l’arbitrage doit établir que les conditions préliminaires sont remplies selon la norme de preuve applicable (McEwan et Herbst, § 3:43; Hosting Metro Inc. c. Poornam Info Vision Pvt, Ltd., 2016 BCSC 2371, par. 29‑30 (CanLII)).

[79]                         Si le requérant s’acquitte de ce fardeau, la partie qui cherche à se soustraire à l’arbitrage doit, sous le second volet, démontrer que l’une des exceptions prévues par la loi s’applique, de sorte que la suspension devrait être refusée (McEwan et Herbst, § 3:43; Casey, c. 3.4). Sinon, le tribunal doit suspendre l’instance et laisser la procédure d’arbitrage suivre son cours.

[80]                         J’examine brièvement chaque volet et la norme de preuve applicable à chacun d’eux.

(1)          Conditions préliminaires

[81]                         Le premier volet porte sur la question de savoir si la partie qui demande la suspension d’instance a établi que la convention d’arbitrage en cause fait intervenir la disposition relative à la suspension obligatoire figurant dans la loi provinciale applicable en matière d’arbitrage.

[82]                         À cette étape, les considérations peuvent différer selon la loi provinciale et la nature de l’arbitrage (c.‑à‑d., selon qu’elle porte sur l’arbitrage national ou international). Toutefois, de façon générale, cet examen préliminaire exige que le tribunal détermine si la partie qui cherche à invoquer la convention d’arbitrage a établi les conditions préliminaires à une suspension d’instance en faveur de l’arbitrage.

[83]                         En règle générale, quatre conditions préliminaires sont pertinentes à cette étape :

a)                     l’existence d’une convention d’arbitrage;

b)                    une « partie » à la convention d’arbitrage a intenté une procédure judiciaire;

c)                     l’instance porte sur une question que les parties ont convenu de soumettre à l’arbitrage; et

d)                    la partie qui demande une suspension d’instance en faveur de l’arbitrage le fait avant « d’agi[r] » dans l’instance.

Si toutes les conditions préliminaires sont remplies, la disposition relative à la suspension obligatoire entre en jeu et le tribunal passe au second volet de l’analyse.

[84]                         Il importe de souligner que la norme de preuve applicable à la première étape est moins exigeante que la norme habituellement applicable en matière civile. Pour satisfaire au premier volet, le demandeur doit uniquement établir sur le fondement d’une [traduction] « cause défendable » que les conditions préliminaires sont remplies (McEwan et Herbst, § 3:47; Sum Trade Corp. c. Agricom International Inc., 2018 BCCA 379, 18 B.C.L.R. (6th) 322, par. 26 et 32, citant Gulf Canada Resources Ltd. c. Arochem International Ltd. (1992), 66 B.C.L.R. (2d) 113 (C.A.), par. 39‑40).

[85]                         Je reconnais que, dans l’arrêt Dell, notre Cour a qualifié la norme de preuve applicable de norme de preuve fondée sur une « analyse sommaire » (appelée aussi analyse prima facie) (par. 82). Cependant, comme l’a fait remarquer la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique, il n’existe pas de différence substantielle entre le test de la cause défendable dans l’arrêt Gulf Canada Resources et le test de l’analyse sommaire dans l’arrêt Dell :

      [traduction] Le fait qu’il existe deux normes signifie que le juge peut rejeter une demande de suspension d’instance lorsqu’il n’existe aucun lien entre les réclamations et les matières réservées à l’arbitrage, tout en renvoyant à l’arbitre toute question légitime relevant de la compétence arbitrale. Ainsi, il n’y a aucun chevauchement et le principe de compétence‑compétence est respecté.

      (Clayworth c. Octaform Systems Inc., 2020 BCCA 117, 446 D.L.R. (4th) 626, par. 30)

[86]                         Malgré cette norme de preuve moins exigeante, une instance judiciaire n’est pas automatiquement suspendue en faveur d’un arbitrage lorsque les conditions préliminaires sont remplies. Le tribunal doit plutôt passer au second volet de l’analyse qui consiste à déterminer si l’une des exceptions prévues par la loi s’applique (Dell, par. 87; Clayworth, par. 31‑32).

(2)          Exceptions prévues par la loi

[87]                         Certaines exceptions, incluant celle qui consiste à établir si la clause d’arbitrage est « nulle, inopérante ou non susceptible d’être exécutée », découlent de la Loi type et de la Convention de New York et figurent dans plusieurs lois provinciales en matière d’arbitrage, dont l’Arbitration Act. J’analyse ces exceptions particulières dans le contexte du présent pourvoi plus détail ci‑dessous. D’autres exceptions prévues par la loi peuvent également être pertinentes, selon la loi provinciale en cause (voir, p. ex., la Loi de 1991 sur l’arbitrage, L.O. 1991, c. 17, par. 7(2)).

[88]                         Sous le second volet, la question clé est de savoir si, bien que les conditions préliminaires à une suspension d’instance soient remplies, la partie qui cherche à éviter l’arbitrage a démontré suivant la prépondérance des probabilités qu’une ou plusieurs des exceptions prévues par la loi s’appliquent. Dans la négative, le tribunal doit suspendre l’instance. Le caractère obligatoire des dispositions relatives à la suspension d’instance dans l’ensemble des provinces et territoires au Canada reflète la présomption de validité des clauses d’arbitrage ainsi que le principe de l’autonomie des parties.

[89]                         Il s’ensuit que le tribunal ne devrait rejeter une demande de suspension d’instance sur le fondement d’une exception prévue par la loi que dans un cas [traduction] « manifeste » (McEwan et Herbst, § 3:55; A. J. van den Berg, The New York Arbitration Convention of 1958 : Towards a Uniform Judicial Interpretation (1981), p. 155). Un cas manifeste est, par exemple, un cas où la partie qui cherche à éviter l’arbitrage a établi selon la prépondérance des probabilités que la convention d’arbitrage est nulle, inopérante ou non susceptible d’être exécutée. Lorsque l’invalidité ou le caractère inexécutoire de la convention d’arbitrage n’est pas manifeste (mais seulement défendable), la question doit être tranchée par l’arbitre. Une telle approche fait preuve de déférence à l’égard de la compétence arbitrale, compte tenu du principe de compétence‑compétence et de l’intention des parties de soumettre leurs différends à l’arbitrage (McEwan et Herbst, § 3:55; Dalimpex Ltd. c. Janicki (2000), 137 O.A.C. 390 (C.S.J.), par. 3‑5, conf. par (2003), 228 D.L.R. (4th) 179 (C.A.)).

[90]                         Comme je l’ai mentionné, l’application du cadre d’analyse en deux volets décrit précédemment à un cas donné doit commencer par une interprétation appropriée de la disposition applicable relative à la suspension d’instance. J’en viens maintenant au cœur du présent pourvoi : l’art. 15 de l’Arbitration Act.

D.           Article 15 de l’Arbitration Act

[91]                         Selon la méthode moderne d’interprétation législative, il faut lire les termes de l’art. 15 dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’économie de l’Arbitration Act, son objet et l’intention du législateur.

(1)          Libellé de l’art. 15

[92]                         Le libellé des par. 15(1) et (2) de l’Arbitration Act reflète le cadre d’analyse en deux volets décrit précédemment. Les dispositions sont rédigées en ces termes :

      15 (1) Si une partie à une convention d’arbitrage intente contre une autre partie à la convention une action relative à une question qui, suivant cette convention, devait être soumise à l’arbitrage, une partie à l’instance peut, avant d’avoir déposé une réponse à la poursuite civile ou à la poursuite en droit familial ou d’avoir autrement agi dans l’instance, demander au tribunal de suspendre l’instance [les conditions préliminaires].

           (2)  Le tribunal saisi de la demande visée au paragraphe (1) suspend l’instance à moins qu’il ne constate que la convention d’arbitrage est nulle, inopérante ou non susceptible d’être exécutée [les exceptions prévues par la loi].

(2)     Interprétation appropriée de l’art. 15

[93]                         Les parties ne s’entendent pas sur quatre questions d’interprétation législative ayant trait à l’art. 15 de l’Arbitration Act. Deux d’entre elles concernent les conditions préliminaires énoncées au par. 15(1) :

a)                      Le fait de s’être engagé à produire une défense revient‑il à avoir « agi dans l’instance »?

b)                    Le séquestre nommé par le tribunal peut‑il être considéré comme une « partie » à la convention d’arbitrage du débiteur?

[94]                         Les deux autres concernent les exceptions prévues au par. 15(2) :

c)                     La prétendue renonciation à une convention d’arbitrage par un séquestre rend‑elle cette convention « nulle, inopérante ou non susceptible d’être exécutée »?

d)                    L’Arbitration Act permet‑elle au tribunal de conclure qu’une convention d’arbitrage est « inopérante » ou « non susceptible d’être exécutée » en raison d’une mise sous séquestre?

[95]                         Il faut trancher les quatre questions d’interprétation avant d’appliquer l’art. 15 à la présente affaire.

a)              Paragraphe 15(1) — Le fait de s’être engagé à produire une défense ne revient pas à avoir « agi dans l’instance »

[96]                         Tout d’abord, le Séquestre ravive l’argument qu’il a fait valoir devant la juge en chambre selon lequel le fait de s’être engagé à produire une défense peut revenir à avoir « agi dans l’instance » au sens du par. 15(1). Cette interprétation a été explicitement rejetée par la juge en chambre et n’a pas été avancée devant la Cour d’appel.

[97]                         Pour déterminer si une partie a agi dans l’instance, il faut adopter une approche objective. Le tribunal doit se demander si, eu égard aux faits, la partie devrait être considérée comme ayant implicitement confirmé le bien‑fondé de l’instance et sa volonté d’accepter le jugement d’une cour de justice plutôt que celui d’un arbitre (McEwan et Herbst, § 3:27). Agir dans l’instance signifie [traduction] « faire quelque chose de la nature d’une demande à la Cour, et non pas de simples discussions entre avocats [. . .] ni rédiger des lettres » (Larc Developments, par. 15, citant Ives & Barker c. Willans, [1894] 2 Ch. 478 (C.A.), p. 484).

[98]                         Je reconnais que le Séquestre soutient maintenant pour la première fois devant notre Cour que le fait de demander à l’autre partie de consentir à une prorogation du délai pour produire une défense revient à agir dans l’instance. À supposer, sans en décider, que notre Cour soit dûment saisie de cet argument, je le rejette. À mon avis, solliciter une prorogation de délai ne saurait être considéré comme tel. Dans le contexte du par. 15(1), l’objectif même d’une telle demande est de décider s’il convient ou non d’agir; il n’y a pas de choix en vue de poursuivre l’action (McEwan et Herbst, § 3:31). En effet, le résultat d’une prorogation de délai [traduction] « pourrait fort bien être le contraire et avoir pour effet de dessaisir entièrement la Cour de [l’action] » (Central Investments & Development Corp. c. Miller (1982), 133 D.L.R. (3d) 440 (C.S. Î.‑P.‑É.), p. 442).

[99]                         En résumé, j’estime que l’interprétation proposée par le Séquestre des termes « agi dans l’instance » est non fondée.

b)       Paragraphe 15(1) — Un séquestre nommé par le tribunal peut être une « partie » à une convention d’arbitrage

[100]                     La deuxième question d’interprétation porte sur le terme « partie » figurant au par. 15(1) de l’Arbitration Act. Le séquestre nommé par le tribunal peut‑il être considéré comme une partie à la convention d’arbitrage du débiteur à laquelle il n’est pas signataire?

[101]                     Le Séquestre soutient que non. À l’instar de la Cour d’appel, il estime que le séquestre nommé par le tribunal ne peut être une partie, car il est une entité juridique distincte du débiteur et a une obligation fiduciaire envers le tribunal qui l’a nommé.

[102]                     Peace River n’est pas de cet avis. Elle affirme que tout comme d’autres non‑signataires, le séquestre nommé par le tribunal peut, par l’effet du droit commun des contrats, être une partie à la convention d’arbitrage conclue par le débiteur avant la mise sous séquestre.

[103]                     Je suis d’accord avec Peace River, et ce, pour trois raisons.

(i)            Selon les principes ordinaires en matière contractuelle, un séquestre peut être une « partie » à une convention d’arbitrage

[104]                     Premièrement, l’interprétation restrictive que propose le Séquestre quant au terme « partie » va à l’encontre des principes fondamentaux du droit des contrats. À son avis, un séquestre ne peut présenter de réclamations que par l’entremise du débiteur dans l’exercice de son pouvoir d’intenter une procédure au profit de toutes les parties prenantes d’une compagnie insolvable. Il ajoute qu’il faut interpréter le par. 15(1) de l’Arbitration Act en tenant compte du fait qu’en 1986, la référence à une personne qui fait une réclamation [traduction] « par l’entremise » d’une partie à une convention d’arbitrage a été supprimée de la disposition relative à la suspension d’instance figurant dans la loi provinciale sur l’arbitrage interne. La disposition — maintenant le par. 15(1) de l’Arbitration Act — diffère donc du par. 2(1) de l’International Commercial Arbitration Act, R.S.B.C. 1996, c. 233 (« ICAA »), de la province, dans lequel le terme [traduction] « partie » est défini de manière à inclure « une personne qui fait une réclamation par l’entremise ou au nom d’une partie » à une convention d’arbitrage. Le Séquestre demande à notre Cour de s’en tenir au [traduction] « libellé plus restrictif » de l’Arbitration Act et de reconnaître l’« importante distinction textuelle » entre l’Arbitration Act et l’ICAA (m.i., par. 89‑90).

[105]                     Je ne suis pas d’accord. L’interprétation du terme « partie » dans la législation en matière d’arbitrage doit être [traduction] « déterminée conformément aux principes ordinaires d’interprétation contractuelle » (McEwan et Herbst, § 2:28; Casey, c. 3.5.1). Il est bien établi qu’une entité ayant des liens avec une partie signataire d’un contrat comportant une convention d’arbitrage peut devenir liée en tant que « partie » par l’effet de la loi. De telles entités associées peuvent notamment être [traduction] « des filiales, des cessionnaires, des syndics et d’autres entités qui font une réclamation par l’entremise ou au nom de la partie nommée à la convention d’arbitrage » (McEwan et Herbst, § 2:37 (je souligne)). Ces entités, bien qu’elles ne soient pas signataires, « peuvent, par l’effet de la loi, avoir l’ensemble des droits et des obligations prévus dans la convention d’arbitrage » (Casey, c. 3.5.1).

[106]                     Deux exemples sont instructifs ici. Le premier est la cession. Selon un [traduction] « principe juridique commercial universel » et « fondamental », le cédant ne peut pas céder des droits contractuels de manière à « transférer les avantages et à se soustraire à ses obligations ». Autrement dit, la partie qui cherche à faire valoir les droits qui lui sont cédés par une entente [traduction] « ne peut le faire que sous réserve des conditions prévues à l’entente », dont celle que les différends soient réglés par voie d’arbitrage (ABN Amro Bank Canada c. Krupp Mak Maschinenbau GmbH (1996), 135 D.L.R. (4th) 130 (C.J. Ont. (Div. gén.)); voir aussi Casey, c. 3.5.1; Petro‑Canada c. 366084 Ontario Ltd. (1995), 25 B.L.R. (2d) 19 (C.J. Ont. (Div. gén.)), par. 55).

[107]                     Le deuxième exemple est l’administration d’une faillite par un syndic. Lorsqu’un syndic de faillite adopte un contrat comportant une clause d’arbitrage et qu’un différend survient ultérieurement, [traduction] « la convention d’arbitrage est exécutoire par ou contre le syndic de la même manière que tout autre contrat commercial adopté par le syndic » (Casey, c. 3.8.2).

[108]                     Dans ces deux hypothèses, une partie non signataire [traduction] « succède à la partie contractante d’origine » et devient ainsi « liée par les conditions du contrat auquel elle a succédé en tant que syndic de faillite [. . .] ou cessionnaire » (A. Swan, J. Adamski et A. Y. Na, Canadian Contract Law (4e éd. 2018), §3.10).

[109]                     Je ne vois aucune raison de principe pour laquelle ce qui précède ne devrait pas s’appliquer mutatis mutandis au séquestre nommé par le tribunal qui fait une réclamation par l’entremise du débiteur en vertu d’un contrat comportant une convention d’arbitrage. Je conviens avec le Séquestre que ce dernier [traduction] « présente des réclamations par l’entremise [de Petrowest et] des [Sociétés affiliées] » (m.i., par. 59 (je souligne)). En effet, le séquestre nommé par le tribunal, en intentant une procédure judiciaire au nom du débiteur, [traduction] « succède » au débiteur en tant que partie contractante d’origine, tout comme le fait le cessionnaire ou le syndic de faillite. Bien que le séquestre nommé par le tribunal puisse avoir le pouvoir d’intenter une poursuite au nom du débiteur, [traduction] « le séquestre n’acquiert aucune cause d’action en son propre nom » et, partant, « doit [. . .] poursuivre au nom du débiteur pour recouvrer des créances » (Bennett, p. 257). En bref, le séquestre nommé par le tribunal n’a pas de cause d’action indépendante à faire valoir. Il ne peut s’appuyer que sur les droits du débiteur pour recouvrer, par exemple, des créances dues par un tiers. Il serait contraire aux principes fondamentaux du droit des contrats de permettre au séquestre d’exécuter un contrat au nom du débiteur tout en évitant les obligations incombant à ce dernier, notamment celle de soumettre les différends contractuels à l’arbitrage.

[110]                     Je ne suis pas non plus convaincue que la fonction d’officier de justice qu’occupe le séquestre l’empêche d’être considéré comme une partie à une convention d’arbitrage au sens du par. 15(1) de l’Arbitration Act. Au contraire, le séquestre nommé par le tribunal a une obligation fiduciaire envers [traduction] « toutes les parties intéressées à l’égard des actifs, des biens et de l’entreprise du débiteur » (Bennett, p. 38 (je souligne)). Pour cette raison, le séquestre ne peut pas rompre [traduction] « arbitrairement » des contrats conclus par le débiteur avec des tiers avant la mise sous séquestre. Il doit plutôt exercer [traduction] « un pouvoir discrétionnaire approprié lorsqu’il le fait », notamment en demandant « l’autorisation du tribunal » pour résilier de tels contrats (Bennett, p. 434). Cela appuie ma conclusion selon laquelle le rôle du séquestre nommé par le tribunal ne peut l’empêcher d’être considéré comme une partie au sens du par. 15(1) eu égard aux principes contractuels exposés ci‑haut.

(ii)     Les principes d’interprétation confirment qu’un séquestre peut être une « partie » à une convention d’arbitrage

[111]                     Deuxièmement, je rejette l’argument du Séquestre selon lequel le législateur entendait, en retirant la mention au par. 15(1) de l’Arbitration Act d’une personne qui fait une réclamation par l’entremise ou au nom d’une partie à une convention d’arbitrage, empêcher les non‑signataires comme les séquestres d’être considérés comme des parties au sens de cette disposition. Cette interprétation est incompatible avec deux principes applicables en matière d’interprétation législative.

[112]                     Selon le premier principe, lorsqu’une loi ne traite pas entièrement d’une question relative à son objet, les tribunaux peuvent se tourner vers la common law pour interpréter son contenu (R. Sullivan, The Construction of Statutes (7e éd. 2022), §17.02). Dans un tel cas, la common law est présumée s’appliquer, en l’absence d’une preuve convaincante démontrant que le législateur a voulu modifier ou écarter celle‑ci en adoptant la loi en question (Sullivan, §17.02).

[113]                     L’Arbitration Act ne définit pas le terme « partie ». Je reconnais que la mention d’une personne faisant une réclamation par l’entremise d’une partie à une convention d’arbitrage a été supprimée de la disposition relative à la suspension d’instance dans la loi sur l’arbitrage interne. Cependant, si notre Cour souscrivait à l’interprétation proposée par le Séquestre, aucun non‑signataire ne serait considéré comme étant partie à une convention d’arbitrage en vertu de l’Arbitration Act. Il en est ainsi parce que tous les non‑signataires, qu’ils soient mandataires, syndics de faillite, séquestres ou cessionnaires, peuvent faire une réclamation uniquement par l’entremise ou au nom d’un signataire lorsqu’ils succèdent au débiteur sur le plan contractuel. Une telle interprétation contredit manifestement ces principes fondamentaux en matière contractuelle. Je ne vois rien dans le dossier législatif ou le texte de l’Arbitration Act qui indique que le législateur a voulu modifier ou écarter la common law de manière aussi radicale.

[114]                     Suivant le deuxième principe, des lois telles que l’Arbitration Act et l’ICAA doivent être interprétées de façon harmonieuse. Comme l’a affirmé le juge Gonthier dans l’arrêt Therrien (Re), 2001 CSC 35, [2001] 2 R.C.S. 3, « [l]’interprète des lois doit en effet favoriser l’harmonie des divers textes législatifs qui émanent d’une même autorité. Cette présomption se trouve renforcée lorsqu’on est en présence de lois qui portent sur la même matière » (par. 121; voir aussi Sullivan, §13.04).

[115]                     Cette présomption vient miner davantage l’interprétation proposée par le Séquestre du terme « partie ». Je n’accepte pas que le fait que la mention d’une personne faisant une réclamation par l’entremise d’une partie à une convention d’arbitrage ait été supprimée de la disposition relative à la suspension d’instance dans la loi sur l’arbitrage interne reflète l’intention législative d’exclure toutes les entités qui font une réclamation par l’entremise ou au nom d’une partie. L’ICAA a été adoptée en même temps que l’Arbitration Act par la même législature afin de traiter de la même matière. Elle fournit donc des indices interprétatifs utiles pour déterminer la portée du terme « partie » dans l’Arbitration Act. Ce mot devrait être interprété de façon harmonieuse dans les deux lois. Autrement dit, une « partie » au sens du par. 15(1) de l’Arbitration Act inclut « une personne qui fait une réclamation par l’entremise ou au nom d’une partie », conformément à la définition prévue au par. 2(1) de l’ICAA. Comme je l’ai déjà expliqué, cela comprend un séquestre nommé par le tribunal qui fait une réclamation par l’entremise ou au nom d’un débiteur.

(iii)    Interpréter le terme « partie » de manière à inclure le séquestre nommé par le tribunal qui fait une réclamation par l’entremise ou au nom du débiteur est compatible avec l’objectif principal de l’Arbitration Act

[116]                     Troisièmement, retenir l’interprétation du Séquestre est incompatible avec l’objectif principal de l’Arbitration Act : veiller à ce que les parties respectent les conventions d’arbitrage valides.

[117]                     En fait, l’interprétation que le Séquestre nous demande d’adopter serait susceptible d’empêcher l’arbitrage de tout différend aussitôt que l’une des parties contractantes est mise sous séquestre. Cela ébranlerait les pierres angulaires de l’arbitrage que sont l’autonomie des parties, l’intervention limitée des tribunaux et le principe de compétence‑compétence. Plus particulièrement, les parties commerciales cherchant à atténuer les risques au moyen de conventions d’arbitrage seraient privées du mécanisme de règlement des différends qu’elles ont négocié au moment où elles en ont sans doute le plus besoin, c’est‑à‑dire lorsqu’un cocontractant ne peut honorer ses obligations pour cause d’insolvabilité. Je refuse de tirer une conclusion d’une portée aussi large.

[118]                     Par conséquent, je conclus que le séquestre nommé par le tribunal peut être considéré comme une partie au sens du par. 15(1) de l’Arbitration Act lorsqu’il fait une réclamation par l’entremise ou au nom d’une partie à une convention d’arbitrage valide. En somme, conformément aux principes ordinaires du droit des contrats, un séquestre, tout comme d’autres non‑signataires, peut se voir lié par une convention d’arbitrage.

c)       Paragraphe 15(2) — La renonciation ne peut rendre une convention d’arbitrage « nulle, inopérante ou non susceptible d’être exécutée »

[119]                     La troisième question d’interprétation découle de la deuxième. Si le séquestre nommé par le tribunal peut être considéré comme étant partie à la convention d’arbitrage du débiteur, peut‑il néanmoins échapper à l’obligation d’arbitrage en intentant une procédure judiciaire fondée sur le contrat principal? Autrement dit, un séquestre peut‑il renoncer unilatéralement à une convention d’arbitrage, la rendant ainsi « nulle, inopérante ou non susceptible d’être exécutée » au sens du par. 15(2) de l’Arbitration Act?

[120]                     La Cour d’appel semble avoir répondu à cette question par l’affirmative. Elle a conclu que, même si le séquestre nommé par le tribunal pouvait être considéré comme étant partie à la convention d’arbitrage du débiteur, il aurait le pouvoir de renoncer à cette convention en intentant une procédure judiciaire, rendant ainsi nulle, inopérante ou non susceptible d’être exécutée au sens du par. 15(2) une convention d’arbitrage par ailleurs valide. Le Séquestre souscrit au raisonnement de la Cour d’appel.

[121]                     À mon humble avis, la Cour d’appel a commis une erreur dans son interprétation du par. 15(2), et ce, pour deux raisons.

[122]                     Premièrement, la conclusion de la Cour d’appel repose sur une erreur manifeste et déterminante. Le Séquestre a concédé devant la Cour d’appel, comme il le fait devant notre Cour, qu’il [traduction] « n’a pas expressément renoncé » aux Conventions d’arbitrage (m.i., par. 102; m.a., annexe B, par. 3 et 13). Pendant l’audience tenue devant notre Cour, l’avocate du Séquestre a réitéré cette concession. Le Séquestre n’a donc pas renoncé aux Conventions d’arbitrage en introduisant une procédure judiciaire. Par conséquent, l’interprétation donnée par la Cour d’appel au par. 15(2) ne peut être retenue.

[123]                     Deuxièmement, et même en mettant de côté l’erreur factuelle commise par la Cour d’appel, je conviens avec Peace River que la renonciation unilatérale par un séquestre ne peut rendre une convention d’arbitrage nulle, inopérante ou non susceptible d’être exécutée. Dans l’arrêt Seidel, les juges LeBel et Deschamps (dissidents, mais non sur ce point) ont conclu que les termes « nulle », « inopérante » et « non susceptible d’être exécutée » figurant au par. 15(2) devraient être interprétés « de façon restrictive » pour empêcher les parties d’éviter l’arbitrage en faveur de ce qu’elles considèrent comme une [traduction] « meilleure procédure » (par. 117‑118). Je conviens avec la Chartered Institute of Arbitrators (Canada) Inc. que permettre à un séquestre d’éviter l’arbitrage en renonçant unilatéralement à la convention d’arbitrage préexistante du débiteur est incompatible avec le libellé et l’objet de l’art. 15. Qui plus est, un tel résultat aurait pour effet de [traduction] « diminue[r] le caractère exécutoire présumé et la prévisibilité globale des conventions d’arbitrage, ce qui était l’objectif du Canada en ratifiant la Convention de New York et de la Colombie‑Britannique en adoptant la Loi type » (m. interv., par. 9).

[124]                     Comme l’indique clairement le par. 15(2), une partie ne peut intenter une poursuite en vue de faire exécuter un contrat et échapper à l’obligation d’arbitrage que si un tribunal conclut que la convention d’arbitrage est nulle, inopérante ou non susceptible d’être exécutée. Il serait préférable que les séquestres nommés par le tribunal sollicitent une telle décision judiciaire en présentant une requête pour directives devant le tribunal de surveillance (voir, p. ex., Canada (Attorney General) c. Reliance Insurance Co. (2007), 87 O.R. (3d) 42 (C.S.J.), par. 7, 9 et 21). Je souligne que le Séquestre n’a pas présenté pareille requête devant la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta, le tribunal de surveillance chargé de la présente affaire. Il a plutôt déposé une poursuite civile devant la Cour suprême de la Colombie‑Britannique. Contrairement à la Cour d’appel, je n’accepte pas que le simple fait de déposer une poursuite devant un tribunal qui est peu familier avec les procédures d’insolvabilité constitue un motif suffisant pour conclure qu’une convention d’arbitrage est inexécutoire en vertu du par. 15(2). Compte tenu du choix législatif clairement favorable à la compétence arbitrale qui est consacré par l’Arbitration Act, le caractère exécutoire d’une convention d’arbitrage par ailleurs valide ne devrait pas être sujet aux caprices d’une partie, pas même à ceux d’un séquestre nommé par le tribunal.

[125]                     Lorsque le séquestre nommé par le tribunal cherche à intenter une action sans autorisation judiciaire préalable dans un différend visé par une convention d’arbitrage valide, le tribunal doit plutôt décider s’il doit exercer sa compétence découlant de la LFI de refuser d’exécuter la convention d’arbitrage en application de l’art. 15 de l’Arbitration Act. Il faut alors bien interpréter les mots « nulle, inopérante ou non susceptible d’être exécutée » conformément à la méthode moderne d’interprétation législative et à la lumière des principes pertinents en matière d’insolvabilité. La Cour d’appel n’a pas exposé son raisonnement à cet égard. J’entreprends donc maintenant cet exercice d’interprétation.

d)      Paragraphe 15(2) — Le tribunal peut conclure qu’une convention d’arbitrage est « inopérante » en raison d’une mise sous séquestre

[126]                     La dernière question d’interprétation est au cœur du présent pourvoi. Elle se résume ainsi : lorsque les conditions préliminaires énoncées au par. 15(1) de l’Arbitration Act sont remplies, le par. 15(2) confère‑t‑il au tribunal le pouvoir de refuser la suspension d’instance prévue au par. 15(2) en concluant que la convention d’arbitrage est devenue « inopérante » ou « non susceptible d’être exécutée » en raison d’une procédure de mise sous séquestre ordonnée par le tribunal?

[127]                     Selon Peace River, la réponse est non. Elle reconnaît que le par. 15(2) exige que le tribunal évalue si la convention d’arbitrage est « nulle, inopérante ou non susceptible d’être exécutée ». Cependant, elle soutient que ces termes doivent être interprétés de façon restrictive et que les tribunaux n’ont pas le pouvoir de [traduction] « simplement rendre » inopérantes ou non susceptible d’être exécutées des conventions d’arbitrage par ailleurs valides, que ce soit dans l’exercice de leur compétence en matière de mise sous séquestre conférée par l’art. 243  de la LFI  ou dans l’exercice de la compétence inhérente de surveiller les procédures de faillite et d’insolvabilité énoncée à l’art. 183  de la LFI . Peace River affirme que, même si un tel pouvoir existait sous le régime de la LFI , celui‑ci serait incompatible avec l’art. 15 de l’Arbitration Act, ce qui entraînerait un conflit entre une loi fédérale et une loi provinciale au sens de la doctrine de la prépondérance fédérale. Cette question n’a pas été abordée par le Séquestre.

[128]                     Le Séquestre adopte une position plus nuancée. Il convient avec Peace River qu’il n’était pas nécessaire pour la juge en chambre de s’appuyer sur la compétence inhérente du tribunal. Il soutient plutôt que le par. 15(2) de l’Arbitration Act confère au tribunal le pouvoir, dans certaines circonstances, de conclure qu’une clause d’arbitrage par ailleurs valide est inopérante ou non susceptible d’être exécutée dans le contexte d’une procédure de faillite ou d’insolvabilité. Il affirme que ce pouvoir [traduction] « découle également » de la compétence du tribunal prévue au par. 183(1) et à l’art. 243  de la LFI  (m.i., par. 118). Comme l’art. 15 autorise expressément le tribunal à refuser de suspendre l’instance en faveur de l’arbitrage au motif que la convention d’arbitrage est inopérante ou non susceptible d’être exécutée, il n’existe aucun conflit entre une loi fédérale et une loi provinciale au sens de la doctrine de la prépondérance fédérale. Plusieurs intervenants dans le présent pourvoi, notamment la Chartered Institute of Arbitrators et l’Insolvency Institute of Canada, partagent cet avis.

[129]                     Je suis d’accord avec le Séquestre et les intervenants nommés ci‑haut. Le tribunal peut conclure qu’une convention d’arbitrage est inopérante lorsque l’arbitrage compromettrait le règlement ordonné et efficace de la mise sous séquestre. Par conséquent, il n’existe aucun conflit entre l’Arbitration Act provinciale et la LFI  fédérale soulevant des questions de prépondérance fédérale.

[130]                     Comme je l’expliquerai plus loin, cette interprétation s’appuie sur a) le texte, l’économie et les objectifs de l’Arbitration Act; b) le traitement par les tribunaux et la doctrine du terme « inopérante »; et c) les vastes pouvoirs conférés par la loi aux cours supérieures dans les procédures de faillite et d’insolvabilité, incluant les mises sous séquestre ordonnées par le tribunal en vertu de l’art. 243  de la LFI . Je conclurai ensuite en exposant plusieurs facteurs non exhaustifs devant guider les tribunaux lorsqu’ils sont appelés à décider si une convention d’arbitrage est inopérante en raison d’une procédure de faillite ou d’insolvabilité parallèle.

(i)            Le texte, l’économie et les objectifs de l’Arbitration Act permettent aux tribunaux de conclure que des conventions d’arbitrage sont « inopérantes » dans le contexte d’une insolvabilité

[131]                     En appliquant la méthode moderne d’interprétation législative, il est clair que les tribunaux ont le pouvoir de refuser une suspension d’instance en faveur de l’arbitrage en vertu du par. 15(2) de l’Arbitration Act, même lorsque toutes les conditions préliminaires prévues au par. 15(1) sont remplies.

[132]                     Peace River et le Séquestre sont tous deux d’accord pour dire que le libellé du par. 15(2) exige que le tribunal évalue si la convention d’arbitrage est « nulle, inopérante ou non susceptible d’être exécutée » avant de suspendre l’instance en faveur de l’arbitrage. Le libellé du par. 15(2) est tiré de l’art. 8(1) de la Loi type, qui prévoit que le tribunal « renverra » (« shall refer » dans la version anglaise) les parties à l’arbitrage à moins de constater que la convention d’arbitrage est « caduque, inopérante ou non susceptible d’être exécutée ». Un libellé semblable se trouve à l’art. II(3) de la Convention de New York. Le libellé en question est généralement interprété de manière à exiger que le tribunal se prononce sur la validité et le caractère exécutoire de la convention d’arbitrage avant de renvoyer le différend à l’arbitre (McEwan et Herbst, § 3:55, citant Heyman c. Darwins, Ld., [1942] A.C. 356 (H.L.); Kaverit Steel and Crane Ltd. c. Kone Corp. (1992), 87 D.L.R. (4th) 129 (C.A. Alb.)).

[133]                     Cela dit, les tribunaux doivent prendre garde de ne pas outrepasser leur rôle dans le cadre d’une demande de suspension d’instance fondée sur l’art. 15. Ils ne doivent pas perdre de vue le principe de compétence‑compétence, l’intention des parties de soumettre leurs différends à l’arbitrage et les objectifs législatifs qui sous‑tendent l’Arbitration Act. Comme je l’ai souligné, le texte et l’économie de l’art. 15 obligent le tribunal à faire montre de déférence à l’endroit de la compétence arbitrale lorsque les conditions préliminaires du par. 15(1) sont remplies, sous réserve uniquement des exceptions restreintes prévues au par. 15(2). Cette approche empreinte de déférence s’accorde avec les objectifs visés par l’Arbitration Act, lesquels ont ainsi été décrits par la législature qui l’a édictée : a) fournir un [traduction] « processus plus simple, plus rapide, moins coûteux et moins formel » pour régler les différends, ce qui permet de réduire les procédures judiciaires coûteuses et longues; et b) limiter le contrôle judiciaire à l’égard des différends que les parties ont convenu de régler par voie d’arbitrage (Colombie‑Britannique, Official Report of Debates of the Legislative Assembly (Hansard), vol. 16, no 7, 4e sess., 33e lég., 21 avril 1986, p. 7865 (l’hon. Brian Smith, procureur général)).

[134]                     En règle générale, les deux objectifs législatifs seront servis en obligeant les parties à respecter leur convention d’arbitrage. En effet, une interprétation restrictive des termes « nulle, inopérante ou non susceptible d’être exécutée » favorise l’exécution des conventions d’arbitrage, ce qui mène généralement à la résolution simplifiée des différends avec une intervention judiciaire minimale (voir Seidel, par. 117; S. Kröll, « The “Incapable of Being Performed” Exception in Article II(3) of the New York Convention », dans E. Gaillard, D. Di Pietro et N. Leleu‑Knobil, dir., Enforcement of Arbitration Agreements and International Arbitral Awards : The New York Convention in Practice (2008), 323, p. 324).

[135]                     Mais dans quels cas ces exceptions statutaires restreintes s’appliquent‑elles? Les mots « nulle », « inopérante » et « non susceptible d’être exécutée » ne sont pas définis dans l’Arbitration Act, ni dans la Loi type ou dans la Convention de New York d’où ils émanent. Il est donc nécessaire de définir brièvement chacun de ces termes.

1.       « Nulle »

[136]                     Le sens du terme « nulle » est relativement établi. Une convention d’arbitrage ne sera considérée nulle que dans les rares circonstances où elle est [traduction] « intrinsèquement défectueuse » (et donc nulle ab initio) conformément aux règles habituelles du droit des contrats, notamment lorsqu’elle est minée par la fraude, l’abus d’influence, l’iniquité, la contrainte, l’erreur ou la fausse représentation (C. B. Lamm et J. K. Sharpe, « Inoperative Arbitration Agreements Under the New York Convention », dans E. Gaillard, D. Di Pietro et N. Leleu‑Knobil, dir., Enforcement of Arbitration Agreements and International Arbitral Awards : The New York Convention in Practice (2008), 297, p. 300; McEwan et Herbst, § 3:56; Casey, c. 3.7.1). La Cour suprême de la Colombie‑Britannique a confirmé que le mot « nulle » figurant au par. 15(2) de l’Arbitration Act confère au tribunal un pouvoir discrétionnaire limité qui lui permet de refuser une suspension d’instance quand il [traduction] « dispose de suffisamment de preuve pour rendre un jugement sommaire selon lequel la convention d’arbitrage est en soi nulle » pour un ou plusieurs des motifs reconnus (James c. Thow, 2005 BCSC 809, 5 B.L.R. (4th) 315, par. 99). Nul ne conteste que les Conventions d’arbitrage en l’espèce ne sont pas nulles au sens du par. 15(2).

2.       « Inopérante »

[137]                     Ce qui est moins évident — et ce qui est plus important en l’espèce — se rapporte à l’interprétation qu’il convient de donner aux termes « inopérante » et « non susceptible d’être exécutée », en particulier dans le contexte d’une faillite ou d’une insolvabilité. Je me penche d’abord sur le sens à donner au mot « inopérante ».

[138]                     Le terme « inopérante » n’a aucune définition universelle en common law (Prince George (City) c. McElhanney Engineering Services Ltd. (1995), 9 B.C.L.R. (3d) 368 (C.A.), par. 33, citant M. J. Mustill et S. C. Boyd, The Law and Practice of Commercial Arbitration in England (2e éd. 1989), p. 464‑465). Cependant, en droit de l’arbitrage, le terme est employé pour décrire les conventions d’arbitrage qui, bien qu’elles ne soient pas nulles ab initio, [traduction] « ont cessé, pour une raison quelconque, de produire leurs effets dans le futur » ou « sont devenues inapplicables aux parties et à leur différend » (McEwan et Herbst, § 3:57; Lamm et Sharpe, p. 301; voir aussi Casey, c. 3.7.2).

[139]                     Parmi les raisons permettant de conclure qu’une convention d’arbitrage est inopérante, mentionnons l’inexécutabilité, la rupture pour cause d’inexécution, la renonciation ou une entente ultérieure entre les parties. Il ressort clairement de la jurisprudence portant sur l’interprétation du par. 15(2) de l’Arbitration Act que les éléments tels que les inconvénients, la multiplicité des parties, l’entrelacement de questions avec des différends non arbitrables, la possibilité de coûts plus élevés et les délais possibles ne constitueront généralement pas, à eux seuls, des motifs permettant de conclure qu’une convention d’arbitrage est inopérante (Prince George, par. 37; MacKinnon c. National Money Mart Co., 2004 BCCA 473, 50 B.L.R. (3d) 291, par. 34). En effet, comme toutes les exceptions prévues par la loi, l’exception relative à une convention d’arbitrage inopérante doit être interprétée de façon restrictive et la partie qui cherche à échapper à l’arbitrage porte le lourd fardeau de démontrer qu’elle s’applique. Cela favorise [traduction] « l’intérêt de la liberté contractuelle, de la courtoisie internationale, et de l’efficacité et des économies attendues » de l’exécution de conventions d’arbitrage par ailleurs valides (McEwan et Herbst, § 3:57; MacKinnon, par. 36).

[140]                     L’application de cette exception est peu controversée lorsque le défendeur dans une poursuite bénéficie de la protection en matière de faillite ou d’insolvabilité. Par exemple, le tribunal peut conclure qu’une convention d’arbitrage est inopérante au motif qu’une ordonnance de mise en liquidation ou de mise sous séquestre a été rendue (Casey, c. 7.18.2; McEwan et Herbst, § 3:57). En effet, dans l’une ou l’autre de ces hypothèses, toutes les procédures engagées contre le débiteur sont suspendues en vertu des dispositions législatives applicables en matière de faillite ou d’insolvabilité. Par conséquent, la convention d’arbitrage cesse, dans la plupart des cas, de produire ses effets pour l’avenir et ne peut être invoquée. Elle est inopérante et la question doit être tranchée dans le cadre de la procédure de faillite ou d’insolvabilité.

[141]                     Cela ne signifie pas pour autant que le tribunal doit, dans ces circonstances, refuser de suspendre l’instance en faveur de l’arbitrage en raison du caractère inopérant de la convention d’arbitrage. Comme le fait remarquer Casey, il [traduction] « se peut fort bien que le juge de faillite renvoie l’affaire à l’arbitrage, car il s’agit de la manière la plus rapide de prouver la réclamation du créancier » (c. 7.18.2). Comme je l’expliquerai plus en détail ci‑après, le tribunal doit évaluer, à la lumière de toutes les circonstances, s’il convient de renvoyer l’affaire à l’arbitrage ou de maintenir une surveillance judiciaire centralisée.

[142]                     Il faut souligner, cependant, qu’il se peut que le terme « inopérante » ne vise pas toujours les cas où un représentant des créanciers nommé par le tribunal, comme un séquestre, introduit une procédure judiciaire au nom d’un débiteur. Il en est ainsi parce que, généralement, en droit de l’insolvabilité, les réclamations en justice présentées contre un débiteur sous la protection du tribunal sont suspendues, alors que les réclamations présentées en son nom peuvent se poursuivre, et ce, dans le but de maximiser le recouvrement au profit des créanciers et de préserver l’entreprise en continuité d’exploitation. Encore une fois, dans ces circonstances, le tribunal doit se demander s’il y a lieu de permettre au séquestre de traiter la réclamation du débiteur devant les tribunaux plutôt qu’au moyen du processus arbitral négocié par les parties.

[143]                     La décision Reliance offre un exemple utile du caractère inopérant de conventions d’arbitrage dans le contexte de l’insolvabilité. Dans cette affaire, un liquidateur nommé en vertu de la Loi sur les liquidations et les restructurations , L.R.C. 1985, c. W‑11  (« LLR  »), a intenté une procédure judiciaire pour recouvrer des sommes que des tiers devaient, selon lui, à la débitrice. Les tiers ont invoqué leur convention d’arbitrage avec la débitrice et ont demandé au tribunal de renvoyer le différend à l’arbitrage. La juge Pepall (maintenant juge à la Cour d’appel de l’Ontario) a conclu que, dans ces circonstances, les conventions d’arbitrage cessaient de produire leurs effets pour l’avenir et étaient inopérantes au sens des dispositions législatives applicables en matière d’arbitrage. Conclure autrement aurait compromis le règlement [traduction] « rapide et peu coûteux » des procédures d’insolvabilité, en contravention de la LLR  (par. 34). La juge Pepall a fait remarquer qu’un renvoi à l’arbitrage entraînerait un retard indu en raison des [traduction] « trois sentences distinctes » qui seraient requises en vertu des conventions d’arbitrage, et a également souligné le « danger connexe de décisions contradictoires » (par. 34).

3.       « Non susceptible d’être exécutée »

[144]                     Une convention d’arbitrage est considérée comme « non susceptible d’être exécutée » lorsque [traduction] « le processus arbitral ne peut être efficacement mis en œuvre » en raison d’un obstacle physique ou juridique indépendant de la volonté des parties (McEwan et Herbst, § 3:58; Casey, c. 3.7.3; Prince George, par. 35; Lamm et Sharpe, p. 300; Kröll, p. 326; van den Berg, p. 159; D. Schramm, E. Geisinger et P. Pinsolle, « Article II », dans H. Kronke et autres, dir., Recognition and Enforcement of Foreign Arbitral Awards : A Global Commentary on the New York Convention (2010), 37, p. 108).

[145]                     Les obstacles physiques qui rendent une convention d’arbitrage non susceptible d’être exécutée peuvent inclure : a) des incohérences, des contradictions inhérentes ou des imprécisions dans la convention d’arbitrage auxquelles l’interprétation ou d’autres techniques contractuelles ne peuvent remédier; b) la non‑disponibilité de l’arbitre désigné dans la convention; c) la dissolution ou l’inexistence de l’institution d’arbitrage choisie; ou d) des circonstances politiques ou autres au siège de l’arbitrage qui rendent l’arbitrage impossible (McEwan et Herbst, § 3:58; Casey, c. 3.7.3; van den Berg, p. 159; Kröll, p. 330‑342). Dans tous ces cas, la convention d’arbitrage est non susceptible d’être exécutée parce qu’il est impossible pour les parties de mettre en œuvre les procédures arbitrales qu’elles ont négociées. Fait important, le manque de ressources financières, à lui seul, ne rend pas une convention d’arbitrage non susceptible d’être exécutée (D. St. John Sutton, J. Gill et M. Gearing, Russell on Arbitration (24e éd. 2015), p. 379; Casey, c. 3.5.1; D. Joseph, Jurisdiction and Arbitration Agreements and Their Enforcement (2e éd. 2010), p. 355). Des obstacles juridiques peuvent également faire en sorte qu’il est impossible d’exécuter une convention d’arbitrage. Par exemple, une convention d’arbitrage peut être non susceptible d’être exécutée parce que l’objet du différend est visé par une dérogation législative expresse au droit des parties de recourir à l’arbitrage (voir Seidel, par. 40).

(ii)     La LFI  confère la compétence pour conclure qu’une convention d’arbitrage est « inopérante »

[146]                     Les pouvoirs vastes et souples conférés par la LFI  aux cours supérieures, en particulier dans le contexte d’une mise sous séquestre, renforcent davantage l’interprétation du par. 15(2) de l’Arbitration Act exposée ci‑haut. L’Arbitration Act et la LFI  ne sont pas incompatibles, de sorte qu’aucune question de prépondérance ne se pose.

[147]                     La LFI  est une loi réparatrice qui vise, en partie, à assurer la distribution ordonnée et efficace des actifs du failli aux divers créanciers. Ainsi, il faut l’interpréter de façon libérale pour favoriser l’atteinte de ses objectifs (Century Services, par. 15; Third Eye Capital Corporation c. Ressources Dianor Inc., 2019 ONCA 508, 435 D.L.R. (4th) 416, par. 43). Le paragraphe 183(1)  de la LFI  confirme que les cours supérieures ont juridiction en matière de faillite et d’insolvabilité et que cette juridiction peut être exercée de manière concurrente à celle qu’elles possèdent en matière civile ordinaire (Houlden, Morawetz et Sarra, § 8:2; Cantore c. Nemaska Lithium Inc., 2020 QCCA 1333, par. 8 (CanLII)).

[148]                     De plus, en vertu de l’al. 243(1) c) de la LFI , le tribunal peut, s’il est convaincu que « cela est juste ou opportun », nommer un séquestre qu’il habilite, entre autres, « à prendre toute [. . .] mesure qu’il estime indiquée ». Ce libellé très large a été interprété comme conférant aux juges le [traduction] « mandat le plus vaste possible dans le cadre des procédures d’insolvabilité afin de leur permettre de réagir à toute circonstance susceptible de se produire » dans le contexte de mises sous séquestre ordonnées par le tribunal (DGDP‑BC Holdings Ltd. c. Third Eye Capital Corporation, 2021 ABCA 226, 459 D.L.R. (4th) 538, par. 20; voir aussi Houlden, Morawetz et Sarra, § 12:18; Dianor, par. 57‑58). L’alinéa 243(1)c) permet donc au tribunal de faire non seulement ce que la [traduction] « justice commande », mais également ce que les « considérations pratiques exigent » (Dianor, par. 57; Canada (Minister of Indian Affairs and Northern Development) c. Curragh Inc. (1994), 114 D.L.R. (4th) 176 (C.J. Ont. (Div. gén.)), p. 185).

[149]                     À mon avis, des considérations pratiques exigent que, dans certaines circonstances particulières, le tribunal ait la capacité de refuser l’exécution d’une convention d’arbitrage dans le contexte d’une insolvabilité commerciale. Autrement dit, l’al. 243(1)c) et le par. 183(1) fournissent un fondement législatif permettant au tribunal, dans certaines circonstances, de conclure qu’une convention d’arbitrage est inopérante au sens du par. 15(2) de l’Arbitration Act.

[150]                     Peace River s’oppose à cette interprétation en s’appuyant sur le par. 72(1)  de la LFI  tel que notre Cour l’a interprété dans Société de crédit commercial GMAC Canada c. T.C.T. Logistics Inc., 2006 CSC 35, [2006] 2 R.C.S. 123. En bref, elle soutient que l’al. 243(1) c) de la LFI  ne peut permettre à un tribunal de déclarer qu’une convention d’arbitrage est inexécutoire, car cela reviendrait à « abroger » le droit substantif à une suspension d’instance en faveur de l’arbitrage que confère l’art. 15 de l’Arbitration Act à la partie contractante. Selon Peace River, cela irait à l’encontre du par. 72(1)  de la LFI .

[151]                     Je ne suis pas d’accord. Le paragraphe 72(1) ne fait que confirmer le principe constitutionnel de la prépondérance fédérale en précisant que la LFI  prévaut en cas « d’incompatibilité véritable » entre les lois provinciales concernant la propriété et les droits civils et la LFI  (Moloney, par. 40). Il est bien établi que les tribunaux doivent donner aux lois provinciale et fédérale une interprétation harmonieuse plutôt qu’une interprétation qui mène à une incompatibilité (Orphan Well Association c. Grant Thornton Ltd., 2019 CSC 5, [2019] 1 R.C.S. 150, par. 64 et 66). L’interprétation du par. 72(1)  de la LFI  que propose Peace River ne tient pas compte du fait que le « droit » d’une partie à ce que son différend soit soumis à l’arbitrage en vertu de l’art. 15 de l’Arbitration Act ne prend naissance que lorsque le tribunal conclut que la convention d’arbitrage en cause n’est pas nulle, inopérante ou non susceptible d’être exécutée. J’ai déjà expliqué que l’exception prévue par la loi en ce qui a trait au caractère inopérant de la convention d’arbitrage peut s’appliquer dans certains cas d’insolvabilité. Autrement dit, il n’existe aucune « incompatibilité véritable » entre l’Arbitration Act et la LFI . Je suis donc d’accord avec Peace River et le Séquestre pour dire que la doctrine de la prépondérance n’entre pas en jeu.

[152]                     Par conséquent, je conclus que le par. 183(1) et l’al. 243(1) c) de la LFI  confèrent au tribunal le pouvoir de déclarer inopérante une convention d’arbitrage dans le contexte d’une mise sous séquestre. Il n’est donc pas nécessaire, en l’espèce, d’examiner la compétence inhérente du tribunal, laquelle ne doit être envisagée qu’après avoir déterminé que les pouvoirs conférés par la loi ne peuvent être invoqués (Endean c. Colombie‑Britannique, 2016 CSC 42, [2016] 2 R.C.S. 162, par. 24; G. R. Jackson et J. Sarra, « Selecting the Judicial Tool to get the Job Done : An Examination of Statutory Interpretation, Discretionary Power and Inherent Jurisdiction in Insolvency Matters », dans J. P. Sarra, dir., Annual Review of Insolvency Law 2007 (2008), 41).

[153]                      En résumé, l’interprétation du par. 15(2) de l’Arbitration Act exposée ci‑dessus reconnaît que la préférence législative et judiciaire en faveur de l’exécution des conventions d’arbitrage n’est pas immuable. Au contraire, la LFI  confère aux tribunaux, dans des circonstances particulières, le pouvoir de conclure au caractère inopérant d’une convention d’arbitrage eu égard à l’existence d’une procédure d’insolvabilité parallèle.

[154]                     Examinons maintenant comment déterminer si une convention d’arbitrage par ailleurs valide est inopérante dans le contexte d’une procédure d’insolvabilité. Jusqu’à présent, notre Cour ne s’est pas penchée explicitement sur cette question. Je vais donc exposer brièvement un ensemble de facteurs tirés de la jurisprudence examinée ci-haut qui peuvent être pertinents dans le cadre de cette analyse.

(iii)    Facteurs pour évaluer si une convention d’arbitrage est « inopérante » au sens du par. 15(2) de l’Arbitration Act en raison d’une procédure d’insolvabilité

[155]                     Comme je l’ai expliqué, le tribunal peut conclure qu’une convention d’arbitrage est « inopérante » au sens du par. 15(2) de l’Arbitration Act lorsque le fait de l’exécuter compromettrait le règlement ordonné et efficace d’une procédure d’insolvabilité, y compris une mise sous séquestre ordonnée par le tribunal en vertu de l’art. 243  de la LFI . La liste non exhaustive suivante de facteurs peut être pertinente lorsqu’il s’agit de déterminer si une convention d’arbitrage donnée est inopérante dans ce contexte :

a)                     L’effet de l’arbitrage sur l’intégrité de la procédure d’insolvabilité. L’autonomie des parties et la liberté contractuelle doivent être mises en balance avec la nécessité de distribuer de façon ordonnée et équitable les actifs du débiteur aux créanciers. Une convention d’arbitrage peut donc être inopérante si elle mène à un processus arbitral qui compromettrait l’objectif de la procédure d’insolvabilité, à savoir l’administration ordonnée et expéditive des actifs du débiteur. Le tribunal devrait tenir compte du rôle et de l’expertise du représentant des créanciers nommé par le tribunal, s’il y en a un, dans la gestion de la procédure d’insolvabilité.

b)                    Le préjudice relatif causé aux parties en raison du renvoi du différend à l’arbitrage. Le tribunal ne devrait passer outre à la convention des parties de soumettre leur différend à l’arbitrage que lorsque l’avantage de procéder ainsi l’emporte sur le préjudice qu’elles subissent.

c)                     L’urgence de régler le différend. Le tribunal devrait généralement privilégier la procédure la plus rapide. Si l’effet d’une suspension d’instance en faveur de l’arbitrage est de retarder le règlement du différend et d’entraver la procédure d’insolvabilité, cela milite en faveur d’une conclusion selon laquelle la convention d’arbitrage est inopérante.

d)                    L’applicabilité d’une suspension d’instance en droit de la faillite ou de l’insolvabilité. Une loi en matière de faillite ou d’insolvabilité peut imposer une suspension d’instance qui fait obstacle à toute procédure, y compris une procédure arbitrale, contre le débiteur. Si une telle suspension s’applique, le débiteur ne peut invoquer une convention d’arbitrage pour éviter la faillite ou l’insolvabilité; cette convention devient inopérante.

e)                     Tout autre facteur que le tribunal estime significatif dans les circonstances.

[156]                     Chacun des facteurs qui précèdent peut avoir plus ou moins de poids selon les circonstances de l’affaire. Cependant, il convient de répéter que la partie qui cherche à éviter l’arbitrage porte le lourd fardeau d’établir que la convention d’arbitrage contestée est clairement inopérante ou non susceptible d’être exécutée. Pour s’acquitter de ce fardeau, elle doit prouver suivant la prépondérance des probabilités qu’une ou plusieurs des exceptions énoncées au par. 15(2) de l’Arbitration Act s’appliquent. Sinon, le tribunal doit suspendre l’instance en faveur de l’arbitrage.

e)       Conclusion sur l’art. 15

[157]                     En résumé, une interprétation appropriée de l’art. 15 de l’Arbitration Act mène aux conclusions suivantes :

                       La juge en chambre avait raison d’affirmer que le fait de s’engager à produire une défense sans invoquer les règles de procédure du tribunal ne revient pas à « agi[r] dans l’instance » au sens du par. 15(1);

                       La juge en chambre avait raison de déclarer que le séquestre nommé par le tribunal peut être considéré comme une « partie » à la convention d’arbitrage préexistante du débiteur au sens du par. 15(1);

                       La Cour d’appel a commis une erreur en statuant que le séquestre nommé par le tribunal peut renoncer à une convention d’arbitrage et ainsi la rendre « nulle, inopérante ou non susceptible d’être exécutée » au sens du par. 15(2); et

                       La juge en chambre avait raison d’affirmer qu’elle avait le pouvoir de conclure qu’une convention d’arbitrage est inopérante en raison d’une procédure de faillite et d’insolvabilité. Ce pouvoir découle des vastes pouvoirs conférés par les art. 183  et 243  de la LFI  aux cours supérieures dans les affaires de faillite et d’insolvabilité. Le tribunal peut statuer qu’une convention d’arbitrage est inopérante lorsque la procédure arbitrale négociée par les parties compromettrait le règlement ordonné et efficace d’une mise sous séquestre.

[158]                     À la lumière de ces conclusions en matière d’interprétation, j’applique maintenant aux faits de l’espèce l’analyse en deux volets applicable aux suspensions d’instance que prescrit l’art. 15 de l’Arbitration Act.

E.            Application de l’art. 15 de l’Arbitration Act

(1)          Conditions préliminaires : l’art. 15 entre en jeu

[159]                     Au premier volet de l’analyse applicable aux suspensions d’instance, la partie qui cherche à invoquer la convention d’arbitrage doit établir une cause défendable selon laquelle toutes les conditions préliminaires prévues au par. 15(1) sont remplies.

[160]                     Nul ne conteste que deux des conditions préliminaires sont remplies en l’espèce : les Conventions d’arbitrage existent et l’instance civile contestée porte sur un différend contractuel visé par celles‑ci.

[161]                     Je conclus que Peace River a également établi une cause défendable selon laquelle les autres conditions préliminaires sont remplies : a) le Séquestre est une « partie » aux Conventions d’arbitrage, contrairement à ce que la Cour d’appel a conclu; et b) Peace River n’a pas « agi dans l’instance ».

a)              Le Séquestre est une « partie » aux Conventions d’arbitrage

[162]                     Pour les raisons qui suivent, il est à tout le moins possible de soutenir que le Séquestre est une partie aux Conventions d’arbitrage.

[163]                     Premièrement, le Séquestre n’aurait aucune cause d’action à faire valoir sans Petrowest ou les Sociétés affiliées. La Cour d’appel a reconnu que [traduction] « théoriquement, les réclamations demeurent celles de Petrowest et de ses sociétés affiliées » (par. 43). Autrement dit, le Séquestre leur a succédé en intentant une poursuite civile en leur nom. On peut soutenir qu’à l’instar d’un cessionnaire ou d’un syndic de faillite, le Séquestre est devenu lié par l’effet de la loi en faisant une réclamation par l’entremise ou au nom de Petrowest et des Sociétés affiliées. Comme je l’ai expliqué précédemment, un séquestre ne peut solliciter les avantages d’un contrat au nom du débiteur tout en évitant les obligations qui en découlent.

[164]                     Deuxièmement, contrairement à ce que soutiennent Peace River et le Séquestre, la distinction entre un syndic de faillite et un séquestre est sans importance en l’espèce. Selon le par. 3(j) de l’Ordonnance de mise sous séquestre, le Séquestre est autorisé à intenter une poursuite civile au nom de Petrowest et des Sociétés affiliées en se fondant sur les Ententes principales. Il est possible de soutenir que le faire est suffisant pour lier le Séquestre, un non‑signataire, à titre de partie aux Conventions d’arbitrage par l’effet de la loi. Je ne vois aucune raison d’examiner davantage la distinction entre les syndics et les séquestres.

[165]                     Troisièmement, contrairement à ce qu’il prétend, le Séquestre n’avait pas besoin [traduction] « d’adopter » ou « d’exécuter » les contrats pour devenir une partie. L’obligation d’un séquestre de ratifier un contrat ou d’y renoncer ne prend naissance qu’à l’égard de contrats exécutoires. En l’espèce, les parties conviennent que le Séquestre n’a plus aucune obligation à exécuter. Un examen plus approfondi de la ratification ou de l’exécution non seulement est inutile, mais serait clairement incompatible avec la norme de preuve qu’est la cause défendable et le principe de compétence‑compétence, qui, ensemble, limitent le tribunal saisi d’une demande fondée sur l’art. 15 de l’Arbitration Act à un examen superficiel du dossier.

[166]                     Quatrièmement, contrairement à ce qu’a conclu la Cour d’appel, la renonciation et la séparabilité n’ont aucune incidence sur le statut du Séquestre en tant que partie aux Conventions d’arbitrage. Comme nous l’avons vu, le Séquestre concède qu’il n’a jamais renoncé aux Ententes principales ni aux Conventions d’arbitrage.

[167]                     Même en mettant cette concession de côté, j’estime que la Cour d’appel a mal appliqué la doctrine de la séparabilité, laquelle ne s’applique pas en l’absence d’une contestation de la validité du contrat principal ou de la convention d’arbitrage elle‑même (Uber, par. 224, la juge Côté, dissidente, mais non sur ce point). En l’espèce, nul ne conteste la validité des Ententes principales ou des Conventions d’arbitrage. D’ailleurs, devant la Cour d’appel, le Séquestre a soutenu que la séparabilité n’était [traduction] « pas pertinente » dans la présente affaire (motifs de la C.A., par. 48). Il concède maintenant que notre Cour n’a pas besoin d’examiner la séparabilité pour trancher le présent pourvoi. J’accepte cette concession.

[168]                     J’ajouterais que l’approche adoptée par la Cour d’appel à l’égard de la séparabilité minerait l’objectif principal de l’Arbitration Act. Essentiellement, la Cour d’appel a conclu que les séquestres peuvent révoquer unilatéralement des conventions d’arbitrage sans que les tribunaux n’examinent leur validité ou leur caractère exécutoire. Cependant, la séparabilité vise à protéger les conventions d’arbitrage, et non à les compromettre (voir, p. ex., T. Meshel, « Petrowest v. Peace River Hydro : The Revocability and Separability of Commercial Arbitration Agreements » (2022), 65 Rev. can. dr. comm. 329). Comme je l’ai expliqué, il appartient au tribunal — et non au séquestre — de déterminer si une convention d’arbitrage est valide et exécutoire selon les exceptions restreintes prévues au par. 15(2).

[169]                     Enfin, j’insiste sur le seuil peu élevé de la cause défendable qui s’applique à la première étape de l’analyse prescrite à l’art. 15. Je reconnais qu’une mise sous séquestre est un recours souple qui peut exiger une interférence avec les droits contractuels de tiers dans certaines circonstances. Cependant, accepter la position du Séquestre à cette étape de l’analyse requise par l’art. 15 permettrait à tous les séquestres nommés par le tribunal d’éviter les conventions d’arbitrage préexistantes en toute impunité. Je ne crois pas que cela soit un résultat acceptable eu égard à la préférence législative et judiciaire manifeste de favoriser l’autonomie des parties et la compétence arbitrale.

b)       Peace River n’a pas « agi dans l’instance »

[170]                     Le Séquestre n’a relevé aucune erreur susceptible de contrôle dans la conclusion de la juge en chambre selon laquelle Peace River n’a pas agi dans l’instance. Cette conclusion n’a pas été contestée devant la Cour d’appel. Notre Cour n’en est donc pas dûment saisie. Même si elle en était saisie, je ne vois aucune raison de remettre en question le raisonnement de la juge en chambre. Cette dernière a conclu, à juste titre, que le fait de s’engager à produire une défense sans invoquer les règles de procédure du tribunal ne revient pas à agir dans l’instance. Il en va de même pour la demande de prorogation de délai, comme je l’ai expliqué précédemment. Peace River n’a pas agi dans l’instance au sens du par. 15(1) de l’Arbitration Act.

[171]                     Par conséquent, l’art. 15 de l’Arbitration Act entre en jeu. Je dois donc suspendre l’instance en faveur de l’arbitrage sauf si je conclus que les Conventions d’arbitrage sont « nulle[s], inopérante[s] ou non susceptible[s] d’être exécutée[s] » aux termes du par. 15(2).

(2)          Exceptions prévues par la loi : les Conventions d’arbitrage sont « inopérantes » aux termes du par. 15(2)

[172]                     À la deuxième étape du cadre d’analyse prescrit par l’art. 15, le fardeau de la preuve est inversé et il incombe à la partie qui cherche à éviter l’arbitrage d’établir selon la prépondérance des probabilités que la convention d’arbitrage en cause est nulle, inopérante ou non susceptible d’être exécutée au sens du par. 15(2), comme mentionné ci‑haut.

[173]                     Je conclus que le Séquestre a établi que les Conventions d’arbitrage sont inopérantes. Autrement dit, les processus arbitraux prévus dans les Conventions d’arbitrage compromettraient le règlement ordonné et efficace de la mise sous séquestre, contrairement aux objectifs visés par la LFI . De plus, bien que je reconnaisse l’importance de l’autonomie des parties et de la liberté contractuelle, j’estime qu’un renvoi à l’arbitrage dans les circonstances particulières de l’espèce mettrait en péril la capacité du Séquestre de maximiser le recouvrement au profit des créanciers et de permettre à Petrowest et aux Sociétés affiliées de poursuivre leurs activités avec certitude. Cette conclusion est fondée sur les facteurs suivants.

a)               Effet de l’arbitrage sur l’intégrité de la procédure d’insolvabilité

[174]                     L’inefficacité qui résulterait des nombreuses procédures arbitrales se chevauchant et qui sont prévues par les Conventions d’arbitrage, comparativement à une seule et unique procédure judiciaire, est le facteur déterminant en l’espèce. Dans ces circonstances, je conclus que le fait d’exécuter les Conventions d’arbitrage compromettrait le règlement ordonné et efficace de la procédure de mise sous séquestre.

[175]                     Dans sa preuve par affidavit, le Séquestre décrit les processus arbitraux chaotiques qui résulteraient d’une décision de notre Cour de suspendre l’instance en vertu de l’art. 15 de l’Arbitration Act. Premièrement, le Séquestre devrait prendre part à au moins quatre arbitrages différents mettant en cause [traduction] « sept groupes différents de parties contractantes » et financer ceux‑ci (d.a., vol. XI, p. 2895). Le financement de ces procédures proviendrait nécessairement des actifs de Petrowest et des Sociétés affiliées, au détriment de leurs créanciers. Deuxièmement, certaines des réclamations des intimées concernent des entités qui ne sont visées par aucune des Conventions d’arbitrage. Comme la juge en chambre l’a reconnu à juste titre, ces réclamations pourraient devoir être tranchées par un tribunal, parallèlement aux procédures arbitrales décrites ci‑haut. Enfin, dans l’hypothèse que je viens de décrire, je suis d’accord avec le Séquestre pour dire que [traduction] « [l]es faits et les arguments seraient répétés devant différentes instances, devant différents décideurs, ce qui entraînerait des décisions ponctuelles et un risque sérieux de résultats contradictoires » (m.i., par. 6).

[176]                     L’inefficacité et la longueur des processus arbitraux envisagés compromettraient manifestement l’intégrité de la procédure de mise sous séquestre. Je prends note de la conclusion tirée par la juge en chambre selon laquelle l’arbitrage ne [traduction] « torpillerait » pas la procédure d’insolvabilité (par. 51). Cependant, cette conclusion doit être lue conjointement avec sa conclusion que [traduction] « les coûts et les délais importants inhérents aux multiples procédures [arbitrales] qui seraient engagées en l’espèce, comparativement aux coûts et aux délais d’une décision judiciaire, sont injustes pour les créanciers et contraires aux objets de la LFI  » (par. 60). Je suis d’accord.

[177]                     À la lumière de ce qui précède, je ne vois aucune raison de modifier les conclusions de fait suivantes tirées par la juge en chambre :

                       les parties ont convenu que le fait de refuser la suspension d’instance demandée [traduction] « favoriserait le règlement efficace et peu coûteux de leur différend », et nul n’a suggéré que les questions n’étaient « pas des questions dont les tribunaux pouvaient être saisis » (par. 56);

                       il n’existait [traduction] « aucune preuve » d’une quelconque « probabilité » que les parties acceptent de simplifier les procédures arbitrales en les réunissant, malgré leur capacité à le faire (par. 57); et

                       une seule et unique procédure judiciaire serait [traduction] « plus rapide et moins coûteuse que quatre arbitrages et une possible poursuite en justice » (par. 56).

[178]                     Par conséquent, les questions de célérité et d’efficacité militent fortement en faveur de la conclusion que l’exécution des Conventions d’arbitrage compromettrait les objets de la LFI et que ces conventions sont donc inopérantes en vertu du par. 15(2) de l’Arbitration Act.

b)       Préjudice relatif causé aux parties en raison du renvoi du différend à l’arbitrage

[179]                      Je conviens avec la juge en chambre que Peace River n’a pas réussi à démontrer qu’elle subirait un quelconque préjudice si les Conventions d’arbitrage n’étaient pas exécutées (par. 58). Au contraire, comme je l’ai déjà mentionné, elle a concédé qu’une seule et unique procédure judiciaire constituerait la voie la plus efficace et économique. Cela soutient ma conclusion selon laquelle le fait d’exécuter les Conventions d’arbitrage compromettrait la procédure de mise sous séquestre.

c)       Urgence de régler le différend

[180]                     Comme je l’ai souligné, les parties conviennent que procéder par voie judiciaire constitue l’option la plus expéditive. Je ne vois aucune raison de modifier la conclusion de la juge en chambre selon laquelle [traduction] « [i]l ne sera pas possible de distribuer le produit » des actifs de Petrowest et des Sociétés affiliées à leurs créanciers « jusqu’à ce que ces différends soient réglés » (par. 60). Cette urgence milite également en faveur de la conclusion que les Conventions d’arbitrage sont inopérantes.

d)               Applicabilité d’une suspension d’instance en droit de la faillite ou de l’insolvabilité

[181]                     À la lumière de ce qui précède, il n’est pas nécessaire d’examiner l’effet qu’a sur le caractère exécutoire des Conventions d’arbitrage le fait de suspendre une procédure intentée sous le régime de l’Ordonnance de mise sous séquestre.

[182]                     Enfin, j’ai pris connaissance des motifs de mon collègue. Son point de vue selon lequel l’analyse devrait partir des conditions de l’Ordonnance de mise sous séquestre est raisonnable. De plus, on ne saurait affirmer que son interprétation des termes de l’Ordonnance de mise sous séquestre est sans fondement. Cependant, dans les circonstances particulières de l’espèce, je refuse de trancher le pourvoi sur cette base, et ce, pour deux raisons.

[183]                     Premièrement, l’argument portant que l’effet combiné des par. 3(c), 3(f) et 3(j) autorise le Séquestre à procéder devant le tribunal en dépit des Conventions d’arbitrage n’a pas directement été soumis à la Cour. Bien que les parties aient formulé certaines observations quant à l’interprétation des termes de l’Ordonnance de mise sous séquestre, par exemple en ce qui a trait à l’étendue du pouvoir que confère le par. 3(c) au Séquestre de cesser d’exécuter les contrats des débitrices, aucune d’entre elles n’a suggéré que c’était l’effet combiné des par. 3(c), 3(f) et 3(j) qui permettait au Séquestre d’agir de façon à rendre les Conventions d’arbitrage inopérantes. Par conséquent, la Cour n’a bénéficié ni des observations des parties, ni de celles des intervenants sur cette question précise d’interprétation. Nous ne disposons pas non plus d’une analyse des tribunaux inférieurs sur ce point. À mon avis, cela est important parce que plus d’une interprétation de l’Ordonnance demeure plausible. Il n’est pas clair, par exemple, que les conditions autorisent expressément ou implicitement le Séquestre à tirer profit des ententes tout en évitant les obligations qu’elles imposent sur le plan procédural, comme celle découlant de leur clause d’arbitrage. Il n’est pas clair non plus que les pouvoirs du Séquestre d’intenter une [traduction] « procédure » et d’exercer des « recours » rendent les Conventions d’arbitrage inopérantes en l’espèce. Il est plausible de considérer que le libellé de l’Ordonnance de mise sous séquestre est compatible avec le fait de « procéder », et de présenter des « recours », par voie d’arbitrage plutôt que par voie judiciaire.

[184]                     Deuxièmement, trancher la question de l’interprétation qu’il convient de donner aux conditions de l’Ordonnance de mise sous séquestre n’aurait aucune incidence sur l’issue du pourvoi. Mon collègue et moi nous entendons pour dire que la doctrine de la séparabilité, sur laquelle se fonde la Cour d’appel, ne s’applique pas en l’espèce. Nous sommes également tous deux d’avis que les Conventions d’arbitrage sont inopérantes. En fin de compte, qu’elles soient inopérantes parce que l’Ordonnance de mise de sous séquestre autorise le Séquestre à agir d’une certaine manière ou parce qu’une suspension d’instance en faveur de l’arbitrage compromettrait le règlement ordonné et efficace de la mise sous séquestre, le résultat auquel nous arrivons est le même.

[185]                     Puisque la question relative à l’interprétation des termes de l’Ordonnance de mise sous séquestre n’a pas été pleinement débattue par les parties et qu’il est possible de trancher le pourvoi sans examiner cette question, il est prudent de remettre cet examen à une autre occasion.

(3)     Conclusion sur l’art. 15

[186]                     Je suis d’accord avec les tribunaux d’instance inférieure pour dire que la demande présentée par Peace River en vue de faire suspendre l’instance en vertu l’art. 15 de l’Arbitration Act doit être rejetée.

[187]                     Les conditions préalables à la suspension d’instance obligatoire prévue au par. 15(1) sont remplies. Cependant, exécuter les Conventions d’arbitrage compromettrait le règlement ordonné et efficace de la mise sous séquestre, contrairement aux objectifs visés par la LFI .

[188]                     Par conséquent, les Conventions d’arbitrage sont inopérantes au sens du par. 15(2).

VII.     Dispositif

[189]                     Pour les motifs qui précèdent, je rejetterais le pourvoi avec dépens devant toutes les cours. Par conséquent, la poursuite civile de Petrowest et des Sociétés affiliées peut procéder devant la Cour suprême de la Colombie‑Britannique.

 

Version française des motifs des juges Karakatsanis, Brown, Martin et Jamal rendus par

 

                    Le juge Jamal —

[190]                     J’ai pris connaissance des motifs de ma collègue la juge Côté. Je conviens avec elle que la demande de suspension d’instance que Peace River a présentée en application de l’art. 15 de l’Arbitration Act, R.S.B.C. 1996, c. 55, devrait être rejetée, de sorte que le pourvoi devrait l’être aussi, parce que les Conventions d’arbitrage sont inopérantes en vertu du par. 15(2) de l’Arbitration Act.

[191]                      Le point sur lequel réside mon désaccord avec ma collègue a trait au fondement principal de la conclusion selon laquelle les Conventions d’arbitrage sont inopérantes. À mon avis, en intentant une poursuite en justice pour recouvrer les créances qu’il estimait être dues, comme le lui permettait l’Ordonnance de mise sous séquestre, le Séquestre a renoncé aux Conventions d’arbitrage. Ces dernières ont ainsi été rendues inopérantes. L’analyse devrait partir des conditions de l’Ordonnance de mise sous séquestre elle‑même.

[192]                     Plusieurs dispositions de l’Ordonnance de mise sous séquestre habilitaient le Séquestre à intenter une poursuite en justice pour recouvrer les créances qu’il estimait être dues et à renoncer aux Conventions d’arbitrage, rendant donc celles‑ci dans les faits inopérantes :

                       L’Ordonnance de mise sous séquestre habilitait le Séquestre à intenter une poursuite pour recouvrer les créances que Peace River devait, selon lui, à Petrowest. Le paragraphe 3(f) de l’Ordonnance l’autorisait [traduction] « à recevoir et recouvrer toute somme et créance maintenant ou ultérieurement dues aux débitrices [c.‑à‑d. Petrowest], et à exercer tous les recours dont disposent les débitrices pour recouvrer ces sommes ». De même, le par. 3(j) de l’Ordonnance l’habilitait [traduction] « à intenter, à poursuivre et à continuer toute procédure » en ce qui a trait aux « biens », définis largement au par. 2 de l’Ordonnance de manière à inclure « l’ensemble des actifs, entreprises et biens actuels et futurs — de quelque nature et sorte que ce soit, peu importe où ils sont situés, y compris tout leur produit — des débitrices ».

                       L’Ordonnance de mise sous séquestre autorisait le Séquestre à renoncer aux Conventions d’arbitrage. Aux termes du par. 3(c) de l’Ordonnance, celui‑ci pouvait [traduction] « cesser d’exécuter tout contrat des débitrices ». Une convention d’arbitrage est un droit contractuel dont dispose une partie de voir une réclamation renvoyée à l’arbitrage, et non devant les tribunaux (voir Dell Computer Corp. c. Union des consommateurs, 2007 CSC 34, [2007] 2 R.C.S. 801, par. 160; Seidel c. TELUS Communications Inc., 2011 CSC 15, [2011] 1 R.C.S. 531, par. 137‑138), et relevait donc du champ d’application du par. 3(c) de l’Ordonnance, même si toutes les autres obligations contractuelles avaient été exécutées.

[193]                     À mon avis, l’effet combiné des par. 3(c), 3(f) et 3(j) de l’Ordonnance de mise sous séquestre est d’autoriser le Séquestre à renoncer aux Conventions d’arbitrage et à engager une poursuite en justice à l’égard des sommes dues aux débitrices. Suivant ces dispositions, le Séquestre peut, à son choix, intenter une procédure, soit devant les tribunaux soit devant un arbitre, en se fondant sur ce qui favorisera le mieux le règlement ordonné et efficace de la mise sous séquestre sous le régime de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité , L.R.C. 1985, c. B‑3 .

[194]                     Cette interprétation de l’Ordonnance de mise sous séquestre ne s’appuie pas sur la doctrine arbitrale de la séparabilité. Cette doctrine est reconnue, par exemple, au par. 17(2) de la Loi de 1991 sur l’arbitrage, L.O. 1991, c. 17, de l’Ontario et veut qu’aux fins d’une décision sur la compétence arbitrale, une convention d’arbitrage soit « considérée [. . .] comme une convention distincte pouvant subsister même si la convention principale est déclarée nulle » (voir aussi Uber Technologies Inc. c. Heller, 2020 CSC 16, par. 96, les juges Abella et Rowe). Comme la professeure Tamar Meshel le souligne dans son article utile sur l’arrêt de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique à l’origine du présent pourvoi, la doctrine de la séparabilité prévoit [traduction] « [qu’]une clause d’arbitrage ne devient pas nécessairement invalide du simple fait que l’entente sous‑jacente est jugée invalide et vice versa » (« Petrowest v. Peace River Hydro : The Revocability and Separability of Commercial Arbitration Agreements » (2022), 65 Rev. can. dr. comm. 329, p. 345 (note en bas de page omise)). Sans la doctrine de la séparabilité, [traduction] « une partie contractante pourrait éviter l’arbitrage simplement en alléguant que l’entente sous‑jacente était nulle ou invalide » (Meshel, p. 345 (note en bas de page omise)). Je partage l’opinion de la professeure Meshel selon laquelle comme [traduction] « les parties n’ont ni l’une ni l’autre contesté la validité des ententes où figuraient les clauses d’arbitrage, mais ont plutôt uniquement contesté les clauses d’arbitrage elles‑mêmes », il en résulte que « la doctrine de la séparabilité, qui a seulement pour effet de séparer l’analyse de la validité d’une clause d’arbitrage de l’analyse de celle de l’entente sous‑jacente, [n’est] pas pertinente pour [la présente] affaire » (Meshel, p. 346 (note en bas de page omise)). Je ne me fonde pas sur la doctrine de la séparabilité. J’interprète simplement l’Ordonnance de mise sous séquestre en cause en l’espèce.

[195]                     De plus, je ne souscris pas à l’avis de ma collègue que la position qu’ont fait valoir Petrowest et le Séquestre devant la Cour d’appel et notre Cour selon laquelle le Séquestre [traduction] « n’a pas expressément renoncé » aux Conventions d’arbitrage empêche de se fonder sur les conditions de l’Ordonnance de mise sous séquestre (par. 122, citant m.i., par. 102, et m.a., annexe B, par. 3 et 13). À mon avis, la procédure intentée par le Séquestre devant les tribunaux, et non devant un arbitre, pour recouvrer les créances a sans aucun doute eu pour effet juridique d’entraîner une renonciation à se fonder sur les Conventions d’arbitrage — conduite qui, je le répète, était autorisée par l’Ordonnance de mise sous séquestre elle‑même. En effet, bien que, devant notre Cour, l’avocate du Séquestre ait invoqué à tort la doctrine de la séparabilité, sa position était que [traduction] « par sa conduite, le Séquestre a renoncé [aux] Conventions d’arbitrage » (transcription, p. 110).

[196]                     Je ne souscris pas non plus à la prétention de ma collègue selon laquelle notre Cour ne devrait pas interpréter l’Ordonnance de mise sous séquestre parce que cette question « n’a pas directement été soumis[e] à la Cour » et « n’a pas été pleinement débattue par les parties » (motifs de la juge Côté, par. 183 et 185). L’interprétation de l’Ordonnance de mise sous séquestre a été amplement débattue devant la Cour, tant dans l’argumentation écrite qu’à l’audience. Dans son mémoire, le Séquestre a fait valoir, par exemple, que [traduction] « [l]e séquestre nommé par le tribunal qui est autorisé par ordonnance judiciaire à renoncer à tout contrat du débiteur peut cesser d’exécuter des conventions d’arbitrage » (m.i., par. 101, citant le par. 3(c) de l’Ordonnance de mise sous séquestre). Le Séquestre a soutenu que [traduction] « le Séquestre nommé a été autorisé par ordonnance judiciaire à cesser d’exécuter tout contrat des intimées Petrowest » (m.i., par. 104, citant le par. 3(c) de l’Ordonnance de mise sous séquestre). L’interprétation qu’il convient de donner à l’Ordonnance de mise sous séquestre a également occupé une partie importante de l’audience (voir transcription, p. 9‑12, 15‑17, 41‑42, 81‑87, 97 et 105). Notre Cour peut et devrait interpréter un tel modèle d’ordonnance judiciaire. Comme je l’ai déjà souligné, les tribunaux doivent partir des conditions de l’ordonnance de mise sous séquestre pertinente. Refuser de se prononcer sur cette question laisse les barreaux spécialisés en matière d’insolvabilité et d’arbitrage dans une incertitude regrettable.

[197]                      En clair, je ne suggère pas qu’un séquestre peut unilatéralement « révoquer » une convention d’arbitrage par ailleurs valide. Je conviens avec ma collègue que « [s]eul un tribunal peut conclure qu’une convention d’arbitrage est inopérante ou non susceptible d’être exécutée » (par. 6). Cependant, le pouvoir exclusif des tribunaux de déclarer une convention d’arbitrage inopérante est une question distincte de celle de savoir si une ordonnance de mise sous séquestre autorise un séquestre à agir d’une certaine manière dans le cadre d’une mise sous séquestre ordonnée par le tribunal. Lorsqu’une mesure prise par le séquestre est contestée, comme c’est le cas en l’espèce, c’est le tribunal qui décidera ultimement si le séquestre a agi en vertu de l’ordonnance de mise sous séquestre, et, partant, si la convention d’arbitrage est inopérante ou non susceptible d’être exécutée.

[198]                      Dans la mesure où l’Ordonnance de mise sous séquestre n’autorisait pas le Séquestre à intenter une poursuite en justice, je souscris par ailleurs aux motifs pour lesquels ma collègue conclut que les art. 183  et 243  de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité  ont fourni un fondement législatif qui permettait à la juge en chambre de déclarer inopérantes les Conventions d’arbitrage et de rejeter la demande de suspension d’instance. Comme l’explique ma collègue, en l’espèce, le fait d’exiger que la mesure de recouvrement soit soumise à l’arbitrage compromettrait le règlement ordonné et efficace de la mise sous séquestre.

[199]                      Je rejetterais le pourvoi avec dépens devant toutes les cours.

 


 

ANNEXE

Conventions d’arbitrage

      [traduction]

      Contrat de société

      32. RÈGLEMENT DES DIFFÉRENDS DE LA SOCIÉTÉ DE PERSONNES

      . . .

      32.6 Si le comité de gestion ne choisit pas de procéder à la médiation, ou s’il ne peut souscrire à la décision du médiateur, le différend sera réglé, de manière définitive et exclusive, par voie d’arbitrage conformément aux règles d’arbitrage de la Chambre de commerce internationale (« CCI »). La procédure arbitrale se déroulera à Vancouver, en Colombie‑Britannique. Les décisions de l’arbitre seront définitives et non susceptibles d’appel. Elles lieront les associés et la société de personnes, et ceux‑ci devront s’y conformer. Les associés conviennent que la sentence arbitrale peut être exécutée par un tribunal compétent . . .

      Garantie

      12. La présente garantie est régie par les lois de la province de la Colombie‑Britannique et les lois fédérales du Canada applicables. Tout différend découlant de cette garantie ou s’y rapportant sera réglé, de manière définitive et exclusive, par voie d’arbitrage conformément aux règles d’arbitrage de la Chambre de commerce internationale (« CCI »). Le siège de l’arbitrage, ou son lieu juridique, sera Vancouver, en Colombie‑Britannique. Les décisions de l’arbitre seront définitives et non susceptibles d’appel. Elles lieront les associés et les garants, et ceux‑ci devront s’y conformer. Les associés et les garants conviennent que la sentence arbitrale peut être exécutée par un tribunal compétent . . .

Bon de commande

      CLAUSE 19 — RÈGLEMENT DES DIFFÉRENDS

      . . . Si les parties ne parviennent pas à régler un différend dans un délai de 7 jours, l’une ou l’autre des parties peut exiger que le différend soit soumis à l’arbitrage contraignant pour être définitivement tranché. Si un différend est soumis à l’arbitrage, cet arbitrage sera mené conformément aux dispositions relatives à l’arbitrage contenues à l’annexe D (Conditions supplémentaires).

      Contrat de sous‑traitance pour les menus ouvrages/services

      16. RÈGLEMENT DES DIFFÉRENDS

      . . .

16.2 Règlement des différends — Contrat de sous traitance

      . . .

      (e) Arbitrage : Si (1) les parties ne conviennent pas que le différend devrait être soumis à la médiation dans les 10 jours suivant la date limite de règlement du différend, ou si (2) le différend n’est pas entièrement réglé par entente entre les parties dans les 14 jours suivant la nomination d’un médiateur ou dans les 5 jours suivant la conclusion de la médiation, le différend sera soumis à l’arbitrage, et cet arbitrage sera mené conformément à l’article 10 (Règlement des différends) de l’annexe F (Dispositions connexes au contrat principal).

 

                    Pourvoi rejeté avec dépens devant toutes les cours.

                    Procureurs des appelantes : Burnet, Duckworth & Palmer, Calgary.

                    Procureurs des intimées : Bennett Jones, Calgary.

                    Procureurs de l’intervenant le Centre canadien d’arbitrage commercial : Spiegel Sohmer inc., Montréal.

                    Procureurs de l’intervenante Arbitration Place : Lerners, Toronto.

                    Procureurs de l’intervenante Chartered Institute of Arbitrators (Canada) Inc. : Baker & McKenzie, Toronto.

                    Procureurs de l’intervenante Insolvency Institute of Canada : Fasken Martineau DuMoulin, Vancouver.

                    Procureur de l’intervenante la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante : Fédération canadienne de l’entreprise indépendante, Ottawa.



[1] Les Conventions d’arbitrage sont reproduites en annexe des présents motifs.

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