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COUR SUPRÊME DU CANADA

 

Référence : R. c. Metzger, 2023 CSC 5

 

 

Appel entendu et jugement rendu : 14 février 2023

Motifs de jugement : 3 mars 2023

Dossier : 40285

 

Entre :

 

Shawn Metzger

Appelant

 

et

 

Sa Majesté le Roi

Intimé

 

Traduction française officielle

 

Coram : Les juges Côté, Rowe, Martin, Kasirer et O’Bonsawin

 

Motifs de jugement :

(par. 1 à 9)

Le juge Rowe (avec l’accord des juges Martin et Kasirer)

 

 

Motifs dissidents :

(par. 10 à 16)

La juge Côté (avec l’accord de la juge O’Bonsawin)

 

 

 

Note : Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada.

 

 

 

 


 

Shawn Metzger                                                                                                Appelant

c.

Sa Majesté le Roi                                                                                                 Intimé

Répertorié : R. c. Metzger

2023 CSC 5

No du greffe : 40285.

Audition et jugement : 14 février 2023.

Motifs déposés : 3 mars 2023.

Présents : Les juges Côté, Rowe, Martin, Kasirer et O’Bonsawin.

en appel de la cour d’appel de l’alberta

                    Droit criminel — Appels — Verdict déraisonnable — Preuve — Preuve circonstancielle — Accusé déclaré coupable d’infractions découlant d’une invasion de domicile sur le fondement d’éléments de preuve circonstancielle quant à l’identité — Déclarations de culpabilité confirmées par les juges majoritaires de la Cour d’appel — Verdicts considérés déraisonnables par la juge dissidente — Les verdicts sont-ils déraisonnables?

                    L’accusé a été déclaré coupable au procès d’un certain nombre d’infractions découlant d’une invasion de domicile avec vol qualifié. Ni l’une ni l’autre des deux victimes du vol qualifié n’a vu clairement les auteurs des infractions, étant donné qu’ils étaient masqués. Pour identifier l’accusé comme participant au vol qualifié, la Couronne s’est fondée exclusivement sur deux éléments de preuve circonstancielle : (1) l’ADN de l’accusé trouvé sur un mégot de cigarette découvert dans le véhicule d’une des deux victimes, qui avait été volé sur la scène du crime et retrouvé abandonné après le vol qualifié; et (2) le témoignage de la même victime selon lequel elle a possiblement entendu pendant le vol qualifié un des auteurs des infractions prononcer le nom de famille de l’accusé. Les juges majoritaires de la Cour d’appel ont rejeté l’appel par l’accusé de ses déclarations de culpabilité. La juge dissidente aurait accueilli l’appel et substitué des acquittements aux déclarations de culpabilité sur le fondement du caractère déraisonnable des verdicts.

                    Arrêt (les juges Côté et O’Bonsawin sont dissidentes) : L’appel est accueilli.

                    Les juges Rowe, Martin et Kasirer : Les déclarations de culpabilité devraient être annulées et des verdicts d’acquittement y être substitués. Les verdicts étaient déraisonnables et ne peuvent être étayés par la preuve.

                    La preuve d’ADN, prise isolément, ne suffisait pas pour établir la culpabilité hors de tout doute raisonnable. Elle permettait, au mieux, d’inférer que l’accusé s’était trouvé dans le véhicule à un certain moment avant que celui‑ci soit récupéré par la police, mais aucun élément de preuve n’indiquait quand et pourquoi il a pu se trouver dans le véhicule.

                    Le témoignage de la victime selon lequel il avait entendu le nom de famille de l’accusé durant le vol qualifié était entaché de nombreuses faiblesses. L’acceptation par le juge du procès de la fiabilité du témoignage de la victime ne peut être étayée par aucune interprétation raisonnable de la preuve. Le juge du procès a mal interprété un aspect du témoignage de la victime, et il n’a pas traité de manière significative des nombreuses préoccupations entourant l’état mental et physique de la victime.

                    Compte tenu de l’ensemble de la preuve, aucun juge des faits, agissant d’une manière judiciaire, ne pouvait raisonnablement conclure que la culpabilité de l’accusé était la seule conclusion raisonnable. À la lumière des faiblesses de la preuve, il ne s’agit pas d’une situation où la décision de l’accusé de ne pas témoigner peut être soulevée contre lui.

                    Les juges Côté et O’Bonsawin (dissidentes) : L’appel devrait être rejeté et les déclarations de culpabilité de l’accusé confirmées. Le juge du procès pouvait être raisonnablement convaincu que la culpabilité de l’accusé était la seule conclusion raisonnable compte tenu de l’ensemble de la preuve.

                    Premièrement, il était loisible au juge du procès de prendre en considération l’absence totale de toute explication raisonnable pour justifier la présence de l’ADN de l’accusé dans le véhicule volé. Le juge du procès n’a pas examiné la preuve d’ADN isolément. Il s’est plutôt fondé sur d’autres éléments de preuve pour éliminer la possibilité que le mégot de cigarette ait pu se retrouver dans le véhicule volé avant le vol qualifié ou à une autre occasion. Ces éléments de preuve exigeaient une explication que seul le témoignage de l’accusé aurait pu fournir, de sorte qu’il doit accepter les conséquences de son choix d’avoir gardé le silence.

                    Deuxièmement, le juge du procès occupait une position privilégiée pour apprécier la preuve d’identification. Il faut faire preuve de déférence à l’égard de ses conclusions selon lesquelles le témoignage de la victime était crédible et fiable. La question de savoir si un autre juge des faits aurait tiré une conclusion différente ne justifie pas d’intervenir en appel. C’est l’effet combiné de la preuve d’identification et de la solide preuve d’ADN, considérées logiquement et à la lumière de l’expérience humaine, qui a permis au juge d’inférer la culpabilité quant au vol qualifié sous‑jacent.

Jurisprudence

Citée par le juge Rowe

                    Arrêts mentionnés : R. c. Brunelle, 2022 CSC 5; R. c. Burke, [1996] 1 R.C.S. 474; R. c. Villaroman, 2016 CSC 33, [2016] 1 R.C.S. 1000; R. c. Phillips, 2018 ONCA 651, 364 C.C.C. (3d) 220.

Citée par la juge Côté (dissidente)

                    R. c. Villaroman, 2016 CSC 33, [2016] 1 R.C.S. 1000; R. c. Phillips, 2018 ONCA 651, 364 C.C.C. (3d) 220; R. c. George-Nurse, 2019 CSC 12, [2019] 1 R.C.S. 570; R. c. Kowlyk, [1988] 2 R.C.S. 59; R. c. Noble, [1997] 1 R.C.S. 874; R. c. Brunelle, 2022 CSC 5; R. c. Beaudry, 2007 CSC 5, [2007] 1 R.C.S. 190; R. c. Mars (2006), 206 O.A.C. 387; R. c. Nicholl (2004), 190 C.C.C. (3d) 549; R. c. Grayston, 2016 ONCA 784; R. c. Ahmed, 2015 ONCA 848; R. c. Stjepanovic, 2006 BCCA 169, 223 B.C.A.C. 226; R. c. O’Brien, 2011 CSC 29, [2011] 2 R.C.S. 485.

                    POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Alberta (les juges Veldhuis, Schutz et Crighton), 2022 ABCA 16, [2022] A.J. No. 79 (QL), 2022 CarswellAlta 187 (WL), qui a confirmé les déclarations de culpabilité prononcées contre l’accusé. Pourvoi accueilli, les juges Côté et O’Bonsawin sont dissidentes.

                    Jennifer Ruttan et Danielle Gregoire, pour l’appelant.

                    Tom Spark, pour l’intimé.

Version française des motifs de jugement des juges Rowe, Martin et Kasirer rendus par

 

                    Le juge Rowe —

[1]                              L’appelant, Shawn Metzger, interjette appel de plein droit d’une décision de la Cour d’appel de l’Alberta qui a rejeté son appel des déclarations de culpabilité prononcées par un juge siégeant seul relativement à un certain nombre d’infractions découlant d’une invasion de domicile avec vol qualifié : 2022 ABCA 16. La seule question au procès était celle de l’identité. Ni l’une ni l’autre des deux victimes du vol qualifié n’a vu clairement les auteurs des infractions, lesquels étaient au nombre de trois ou quatre, étant donné qu’ils étaient masqués. Pour identifier l’appelant comme participant au vol qualifié, la Couronne s’est fondée exclusivement sur deux éléments de preuve circonstancielle : (1) l’ADN de l’appelant trouvé sur un mégot de cigarette découvert dans le véhicule d’une des deux victimes, M. Iten, qui avait été volé sur la scène du crime et retrouvé abandonné environ 11 heures après le vol qualifié; et (2) le témoignage de M. Iten selon lequel il a possiblement entendu pendant l’infraction un des intrus prononcer le nom « Metzger ». Sur la base de ces éléments de preuve, le juge du procès s’est dit convaincu hors de tout doute raisonnable que l’appelant avait participé au vol qualifié. Les juges majoritaires de la Cour d’appel ont rejeté l’appel par l’appelant de ses déclarations de culpabilité. La juge Veldhuis, dissidente, aurait accueilli l’appel et substitué des acquittements aux déclarations de culpabilité prononcées puisque, selon elle, ces verdicts étaient déraisonnables.

[2]                             Je suis d’avis que les verdicts étaient déraisonnables et que le pourvoi devrait être accueilli. Même en tenant compte de la position privilégiée du juge du procès, je suis convaincu que les verdicts de culpabilité ne peuvent être étayés par la preuve : R. c. Brunelle, 2022 CSC 5, par. 7.

[3]                             Le juge du procès a reconnu que la preuve d’ADN, prise isolément, ne suffirait pas pour établir la culpabilité hors de tout doute raisonnable. Je suis d’accord. La preuve d’ADN permettait, au mieux, d’inférer que l’appelant s’était trouvé dans le véhicule à un certain moment avant que celui‑ci soit récupéré par la police. Par contre, aucun élément de preuve n’indiquait quand et pourquoi l’appelant a pu se trouver dans le véhicule, dont on avait perdu la trace durant les 11 heures qui se sont écoulées entre le vol qualifié et le moment où les policiers l’ont retrouvé. De plus, avant le vol qualifié, M. Iten avait l’habitude de laisser les clés dans le véhicule. Comme l’a noté la juge dissidente de la Cour d’appel, des vêtements ainsi que d’autres objets se trouvaient aussi dans le véhicule; ceux‑ci n’ont pas été expédiés pour des analyses d’ADN, comme l’a reconnu l’agent chargé de l’identification judiciaire. Dans les circonstances, la preuve d’ADN à elle seule ne pouvait pas constituer une preuve complète de la participation au vol qualifié.

[4]                              L’autre élément de preuve circonstancielle qui appuyait la preuve d’ADN était le témoignage de M. Iten selon lequel il avait entendu le nom « Metzger » durant l’infraction. Or, ce témoignage était entaché de nombreuses faiblesses. Monsieur Iten avait été frappé à la tête avec un bâton de baseball au début du vol qualifié et il avait perdu et repris connaissance à plusieurs reprises par la suite. D’ailleurs, durant son témoignage, il a lui‑même activement remis en question ses propres souvenirs de ce qu’il avait entendu. Il n’a pas fait état de ce souvenir dans ses premiers entretiens avec la police; c’est plutôt un enquêteur qui a mentionné le nom « Metzger » à M. Iten durant une conversation téléphonique, des mois ou possiblement des années après le vol qualifié. Pendant le procès, lorsqu’on lui a demandé s’il se souvenait d’avoir entendu le nom avant cette conversation téléphonique, M. Iten a répondu par l’affirmative; il a indiqué que sa réponse se fondait sur des discussions entretenues après le vol qualifié avec la deuxième victime, M. Rivard, qui, selon lui, partageait le même souvenir. Or, cela n’a pas été corroboré par ce dernier dans son témoignage. Monsieur Iten a aussi envisagé que son souvenir d’avoir entendu le nom ait pu constituer un faux souvenir causé par un traumatisme datant de son enfance découlant de l’association qu’il fait avec le terme « metzger » en allemand, qui signifie « boucher », qui est la vocation de toute une vie pour M. Iten.

[5]                              Même si l’honnêteté de M. Iten n’a pas été remise en question, selon moi, il s’agit d’un des rares cas où l’acceptation par le juge du procès de la fiabilité du témoignage de M. Iten ne peut être étayée par aucune interprétation raisonnable de la preuve : R. c. Burke, [1996] 1 R.C.S. 474, par. 7; Brunelle, par. 8. Le juge du procès a conclu à tort que l’incohérence entre les témoignages de M. Iten et M. Rivard [traduction] « [n]’avait aucune incidence », parce qu’ils se trouvaient dans deux pièces différentes et ont pu ne pas entendre la même chose. Le juge du procès a mal interprété le fait que M. Iten a témoigné qu’ils avaient le même souvenir. De plus, le juge du procès n’a pas traité de manière significative des nombreuses préoccupations entourant l’état mental et physique de M. Iten durant et après le vol qualifié.

[6]                              Compte tenu de l’ensemble de la preuve — y compris les faiblesses du témoignage de M. Iten et l’absence de quelque autre élément de preuve inculpatoire hormis la présence de l’ADN de l’appelant sur le mégot de cigarette —, je suis convaincu qu’aucun « juge des faits, agissant d’une manière judiciaire, [ne] pouvait raisonnablement conclure que la culpabilité de l’accusé était la seule conclusion raisonnable » : R. c. Villaroman, 2016 CSC 33, [2016] 1 R.C.S. 1000, par. 55. Les verdicts étaient donc déraisonnables.

[7]                             À la lumière des faiblesses à la fois de la preuve d’ADN et du souvenir de M. Iten, je suis avec égards en désaccord avec l’opinion selon laquelle il s’agit d’une situation où la décision de l’appelant de ne pas témoigner peut être soulevée contre lui. Comme l’a noté la juge dissidente, en citant la décision R. c. Phillips, 2018 ONCA 651, 364 C.C.C. (3d) 220, par. 69,

                    [traduction] il ne s’agissait pas d’un cas où les éléments de preuve exigeaient une explication que seul le témoignage de l’appelant aurait pu fournir, de sorte qu’il doit accepter les conséquences de son choix d’avoir gardé le silence. La preuve de la Couronne était très faible et reposait sur l’identification. La décision de l’accusé de ne pas témoigner ne mine en rien son argument que le verdict était déraisonnable.

                    (motifs de la C.A., par. 87 (CanLII))

[8]                             Il n’est pas nécessaire de traiter des arguments supplémentaires de l’appelant relatifs à la doctrine de la possession récente.

[9]                             Je suis d’avis d’accueillir le pourvoi, d’annuler les déclarations de culpabilité et d’y substituer des verdicts d’acquittement.

Version française des motifs des juges Côté et O’Bonsawin rendus par

 

                    La juge Côté —

[10]                         L’appelant, Shawn Metzger, interjette appel de plein droit de ses déclarations de culpabilité pour vol qualifié et entrée par effraction découlant d’une invasion de domicile survenu le 24 juin 2017. La seule question en litige au procès était celle de l’identité. Aucune des victimes n’a été en mesure de voir les trois ou quatre intrus, qui étaient masqués. Après avoir commis le vol qualifié, ces derniers se sont enfuis à bord d’un camion appartenant à un des occupants, M. Valentin Iten. Le camion a été retrouvé abandonné et verrouillé environ 11 heures plus tard. Un mégot de cigarette a été retrouvé sous le siège du conducteur et envoyé pour un test d’ADN, qui a décelé un seul profil génétique correspondant à celui de l’appelant.

[11]                         La question principale que pose le présent pourvoi est celle de savoir si le juge du procès a rendu un verdict déraisonnable en déclarant l’appelant coupable sur la foi (1) de la présence de son ADN dans le camion volé; et (2) du témoignage de M. Iten selon lequel il a entendu quelqu’un prononcer le nom de famille de l’appelant, « Metzger », durant le vol qualifié. Les juges majoritaires de la Cour d’appel ont rejeté l’appel de l’appelant, concluant que les verdicts n’étaient pas déraisonnables (2022 ABCA 16). Je suis d’accord. Selon moi, le juge du procès pouvait être raisonnablement convaincu que la culpabilité de l’appelant était la seule conclusion raisonnable compte tenu de l’ensemble de la preuve (R. c. Villaroman, 2016 CSC 33, [2016] 1 R.C.S. 1000, par. 55).

[12]                         Dans les circonstances, aucune explication raisonnable ne pouvait justifier la présence de l’ADN de l’appelant sur un mégot de cigarette retrouvé sous le siège du conducteur du camion volé, outre celle de sa participation au vol qualifié moins de 12 heures plus tôt. Le juge du procès n’a pas examiné la preuve d’ADN isolément. Il s’est plutôt fondé sur d’autres éléments de preuve pour éliminer la possibilité que le mégot de cigarette ait pu se retrouver dans le camion volé avant le vol qualifié ou à une autre occasion. Il est admis que M. Iten ne connaissait pas l’appelant. Il importe de souligner que [traduction] « [p]ersonne d’autre n’a utilisé le camion » à l’époque du vol qualifié (motifs de première instance, reproduits dans le d.a., p. 21). Monsieur Iten et son colocataire ont tous les deux entendu le camion démarrer à la fin du vol qualifié. Le camion a été retrouvé verrouillé et ne portait aucun signe d’effraction. Le mégot a été retrouvé sous le siège du conducteur et l’ADN ne correspondait qu’au profil de l’appelant. Considérés dans leur ensemble, ces éléments de preuve [traduction] « exigeaient une explication que seul le témoignage de l’appelant aurait pu fournir, de sorte qu’il doit accepter les conséquences de son choix d’avoir gardé le silence » (R. c. Phillips, 2018 ONCA 651, 364 C.C.C. (3d) 220, par. 69; voir aussi R. c. George‑Nurse, 2019 CSC 12, [2019] 1 R.C.S. 570, par. 1). Il était loisible au juge de prendre en considération « l’absence totale de toute explication raisonnable » (R. c. Kowlyk, [1988] 2 R.C.S. 59, p. 73; voir aussi R. c. Noble, [1997] 1 R.C.S. 874, par. 103) pour justifier la présence de l’ADN de l’appelant dans le camion volé, et ce, à peine quelques heures après le vol qualifié et à une courte distance de la résidence des victimes.

[13]                         Certes, certains pourraient juger que la preuve d’identification relative à « Metzger » était faible, mais le juge du procès occupait une position privilégiée pour apprécier la preuve (R. c. Brunelle, 2022 CSC 5, par. 9, citant R. c. Beaudry, 2007 CSC 5, [2007] 1 R.C.S. 190, par. 62). La question est celle de savoir si les conclusions du juge trouvaient « suffisamment appui dans la preuve et si elle[s] [sont] exempte[s] d’erreur manifeste et déterminante » (Brunelle, par. 8). À l’instar des juges majoritaires de la Cour d’appel, j’estime qu’il faut faire preuve de déférence à l’égard des conclusions du juge du procès selon lesquelles le témoignage de M. Iten était crédible et fiable. La question de savoir si un autre juge des faits aurait tiré une conclusion différente ne justifie pas d’intervenir en appel (motifs de la C.A., par. 26 et 34 (CanLII)). Quoi qu’il en soit, c’est l’effet combiné de la preuve d’identification et de la solide preuve d’ADN qui a permis au juge d’inférer la culpabilité quant au vol qualifié sous‑jacent.

[14]                         La jurisprudence invoquée par l’appelant, dans laquelle la preuve d’ADN ou d’empreintes digitales a été jugée insuffisante pour en déduire la culpabilité pour le vol ou le vol qualifié sous‑jacent, peut être distinguée de la présente cause. Dans la décision R. c. Mars (2006), 206 O.A.C. 387, aucun élément de preuve ne permettait de déterminer quand l’empreinte digitale de l’accusé avait été laissée sur la boîte de pizza qui a servi pour commettre le vol qualifié (par. 21). De plus, selon le témoignage d’un voisin, les trois voleurs étaient noirs, [traduction] « ce qui, dans les faits, excluait l’appelant qui [. . .] était blanc » (le juge Doherty, par. 27). De même, dans les décisions R. c. Nicholl (2004), 190 C.C.C. (3d) 549 (C.A. Ont.) — où la présence d’une cannette de boisson gazeuse portant l’empreinte du pouce de l’accusé a été trouvée dans le véhicule deux semaines après que celui‑ci a été volé — et R. c. Grayston, 2016 ONCA 784 — où une cagoule sur laquelle se trouvait l’ADN de l’accusé et d’autres individus a été retrouvée dans le véhicule volé —, la preuve a été jugée compatible avec des explications autres que la culpabilité. Dans la décision R. c. Ahmed, 2015 ONCA 848, l’ADN de l’accusé a été retrouvé — tout comme trois autres correspondances d’ADN — sur un sac d’épicerie en plastique utilisé durant un vol qualifié. Or, les sacs de ce type sont [traduction] « courants, portables, jetables et réutilisables » (par. 7 (CanLII)). Compte tenu que les descriptions fournies par les témoins oculaires de la Couronne étaient génériques, la preuve n’était pas suffisante pour étayer l’inférence selon laquelle l’ADN de l’accusé avait été déposé sur le sac durant l’infraction.

[15]                         En revanche, en l’espèce, la présence d’éléments de preuve supplémentaires permettait au juge du procès de déterminer quand la cigarette de l’appelant avait été laissée dans le camion volé. Je note en outre qu’une preuve d’ADN, considérée seule ou en combinaison avec une preuve d’identification [traduction] « moins que solide », a servi à fonder des verdicts de culpabilité dans des causes similaires (R. c. Stjepanovic, 2006 BCCA 169, 223 B.C.A.C. 226, par. 10‑11; voir aussi R. c. O’Brien, 2011 CSC 29, [2011] 2 R.C.S. 485, par. 2 et 13‑16).

[16]                         Il ne s’agit pas d’une cause où le verdict du juge « ne peut s’appuyer sur la preuve » (Brunelle, par. 7). Au contraire, il s’agit d’un verdict qu’un juge des faits ayant reçu des directives appropriées aurait pu raisonnablement rendre (Villaroman, par. 55). Le juge pouvait conclure que « la preuve circonstancielle, considérée logiquement et à la lumière de l’expérience humaine », ne pouvait raisonnablement fonder une inférence autre que celle de la culpabilité de l’appelant (Villaroman, par. 38). Je suis d’avis de rejeter le pourvoi et de confirmer les déclarations de culpabilité de l’appelant.

                    Pourvoi accueilli, les juges Côté et O’Bonsawin sont dissidentes.

                    Procureurs de l’appelant : Ruttan Bates, Calgary.

                    Procureur de l’intimé : Alberta Crown Prosecution Service — Appeals and Specialized Prosecutions Office, Calgary.

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