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COUR SUPRÊME DU CANADA

 

Référence : Mason c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CSC 21

 

 

Appel entendu : 29 novembre 2022

Jugement rendu : 27 septembre 2023

Dossier : 39855

 

Entre :

 

Earl Mason

Appelant

 

et

 

Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration

Intimé

 

Et entre :

 

Seifeslam Dleiow

Appelant

 

et

 

Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration

Intimé

 

- et -

 

Procureur général de l’Ontario, procureur général de la Saskatchewan, Conseil canadien pour les réfugiés, Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés, Social Planning Council of Winnipeg, Association canadienne des avocats musulmans, Agence des Nations Unies pour les réfugiés, Amnesty International Canadian Section (English Speaking), Community & Legal Aid Services Program, Association québécoise des avocats et avocates en droit de l’immigration et Criminal Lawyers’ Association (Ontario)

Intervenants

 

Traduction française officielle

 

Coram : Le juge en chef Wagner et les juges Karakatsanis, Côté, Brown*, Rowe, Martin, Kasirer, Jamal et O’Bonsawin

 

Motifs de jugement :

(par. 1 à 123)

Le juge Jamal (avec l’accord du juge en chef Wagner et des juges Karakatsanis, Rowe, Martin, Kasirer et O’Bonsawin)

 

 

Motifs concordants :

(par. 124 à 189)

La juge Côté

 

 

Note : Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada.

 

 

* Le juge Brown n’a pas participé au dispositif final du jugement.

 

 

 

 

 

 


 

Earl Mason                                                                                                       Appelant

c.

Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration                                               Intimé

- et -

Seifeslam Dleiow                                                                                              Appelant

c.

Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration                                               Intimé

et

Procureur général de l’Ontario,

procureur général de la Saskatchewan,

Conseil canadien pour les réfugiés,

Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés,

Social Planning Council of Winnipeg,

Association canadienne des avocats musulmans,

Agence des Nations Unies pour les réfugiés,

Amnesty International Canadian Section (English Speaking),

Community & Legal Aid Services Program,

Association québécoise des avocats et avocates en droit de l’immigration et

Criminal Lawyers’ Association (Ontario)                                               Intervenants

Répertorié : Mason c. Canada (Citoyenneté et Immigration)

2023 CSC 21

No du greffe : 39855.

2022 : 29 novembre; 2023 : 27 septembre.

Présents : Le juge en chef Wagner et les juges Karakatsanis, Côté, Brown*, Rowe, Martin, Kasirer, Jamal et O’Bonsawin.

en appel de la cour d’appel fédérale

                    Droit administratif — Contrôle judiciaire — Norme de contrôle — Application du cadre d’analyse établi dans Vavilov au contrôle judiciaire de décisions administratives portant sur une question d’interprétation législative dans le contexte de l’immigration — Norme de contrôle applicable lorsqu’une question grave de portée générale est certifiée par la Cour fédérale en vue d’un appel.

                    Immigration — Contrôle judiciaire — Interdiction de territoire et renvoi — Étrangers interdits de territoire pour raison de sécurité par un tribunal administratif en tant qu’auteurs d’actes de violence susceptibles de mettre en danger la vie ou la sécurité d’autrui au Canada — Tribunal administratif considérant que la disposition législative en cause n’exige pas la preuve d’un lien entre la conduite et la sécurité nationale ou la sécurité du Canada — Demandes de contrôle judiciaire accueillies par la Cour fédérale, mais décision de la Cour d’appel fédérale portant que l’interprétation du tribunal administratif était raisonnable — La norme de contrôle a‑t‑elle été appliquée correctement par les cours de révision? — Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27, art. 34(1) e).

                    M et D sont tous deux des étrangers se trouvant au Canada. En 2012, M a été inculpé de deux chefs de tentative de meurtre et de deux chefs d’accusation lui reprochant d’avoir déchargé une arme à feu après une dispute avec un homme dans un bar durant laquelle M a tiré des coups de feu. Éventuellement, un arrêt des procédures a été ordonné pour cause de délai. Dans le contexte d’événements distincts, il a été allégué que D a été l’auteur d’actes de violence contre des partenaires intimes et d’autres personnes. Certaines des accusations criminelles découlant de ces incidents ont été suspendues, et il a plaidé coupable à trois accusations et a obtenu une absolution conditionnelle.

                    À la suite de ces incidents, des rapports d’interdiction de territoire ont été préparés qui alléguaient que tant M que D étaient interdits de territoire au Canada pour « raison de sécurité » en application de l’al. 34(1) e) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés  (« LIPR  »), selon lequel emporte interdiction de territoire pour un résident permanent ou un étranger le fait d’« être l’auteur de tout acte de violence susceptible de mettre en danger la vie ou la sécurité d’autrui au Canada ». Les rapports ont été transmis à la Section de l’immigration (« SI ») pour enquête. Il n’était pas allégué que M ou D avaient été les auteurs d’actes de violence liés à la sécurité nationale ou à la sécurité du Canada. Dans la cause de M, la SI a statué que l’expression « raison de sécurité » au par. 34(1) visait des menaces à la sécurité du Canada ou d’un autre pays, et qu’il devait exister un certain lien entre les actes de violence en cause et une menace à la sécurité du Canada. Comme les actes reprochés à M étaient dépourvus de tout élément les rendant plus sérieux de manière à engager la raison de sécurité, l’al. 34(1)e) ne pouvait pas s’appliquer. La Section d’appel de l’immigration (« SAI ») a toutefois fait droit à l’appel du ministre et a jugé que l’interdiction de territoire au titre de l’al. 34(1)e) vise la sécurité dans un sens plus large, en l’occurrence s’assurer que les Canadiens sont à l’abri d’actes de violence susceptibles de mettre leur vie ou leur sécurité en danger. Dans la cause de D, la SI a suivi l’interprétation que la SAI avait donnée de l’al. 34(1)e) dans la cause de M, elle a conclu que D était interdit de territoire et elle a pris une mesure d’expulsion contre lui.

                    La Cour fédérale a fait droit aux demandes de contrôle judiciaire présentées par M et D, statuant qu’il était déraisonnable d’interpréter l’al. 34(1)e) comme s’appliquant à des actes de violence en l’absence de lien entre ceux-ci et la sécurité nationale. Dans les deux affaires, la Cour fédérale a certifié, en application de l’al. 74d)  de la LIPR , la question grave de portée générale suivante en prévision d’un appel à la Cour d’appel fédérale : est‑il raisonnable d’interpréter l’al. 34(1) e) de la LIPR  d’une manière qui n’exige pas la preuve d’une conduite liée à la « sécurité nationale » ou à la « sécurité du Canada »? La Cour d’appel fédérale a accueilli les appels du ministre, jugeant que la SAI dans la cause de M et la SI dans la cause de D avaient raisonnablement interprété l’al. 34(1)e) en estimant qu’il n’exigeait pas de lien entre les actes de violence en cause et la sécurité nationale ou la sécurité du Canada.

                    Arrêt : Les pourvois sont accueillis. Dans l’appel de M, la décision rendue par la SAI est annulée. Dans l’appel de D, la décision rendue par la SI et la mesure d’expulsion sont annulées.

                    Le juge en chef Wagner et les juges Karakatsanis, Rowe, Martin, Kasirer, Jamal et O’Bonsawin : Appliquant le cadre d’analyse prescrit par l’arrêt Vavilov aux présents pourvois, la norme de contrôle applicable aux décisions administratives est celle de la décision raisonnable. Aucune exception reconnue à la présomption d’application de la norme de la décision raisonnable ne s’applique, et aucune nouvelle exception ne devrait être créée au motif que les pourvois portent sur des questions graves de portée générale certifiées aux fins d’appel à la Cour d’appel fédérale. Dans les présentes causes, les deux décisions administratives étaient déraisonnables. Les contraintes juridiques applicables mènent irrésistiblement à une seule interprétation raisonnable de l’al. 34(1)e) : une personne ne peut être interdite de territoire en application de l’al. 34(1)e) que si elle est l’auteur d’actes de violence qui ont un lien avec la sécurité nationale ou la sécurité du Canada.

                    Dans l’arrêt Vavilov, la Cour a instauré une présomption selon laquelle la norme de la décision raisonnable est celle qui s’applique lorsqu’une cour de justice contrôle une décision administrative sur le fond. Cette présomption est réfutée dans deux types de situations — lorsque le législateur a indiqué qu’il souhaitait l’application d’une norme différente ou d’un ensemble de normes différentes ou lorsque la primauté du droit commande l’application de la norme de la décision correcte — qui, ensemble, correspondent à six catégories de questions à l’égard desquelles le contrôle est effectué selon la norme de la décision correcte. La première situation comporte deux catégories de questions à l’égard desquelles le contrôle s’effectue selon la norme de la décision correcte, à savoir lorsque le législateur a prescrit expressément la norme de contrôle applicable ou lorsqu’il a prévu un mécanisme d’appel des décisions administratives devant les cours de justice. En ce qui concerne la deuxième situation, l’arrêt Vavilov prévoit trois catégories de questions pour lesquelles la primauté du droit commande l’application de la norme de la décision correcte : les questions constitutionnelles, les questions de droit générales d’importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et les questions liées aux délimitations des compétences respectives d’organismes administratifs. Une sixième catégorie de questions appelant la norme de la décision correcte a été reconnue par la Cour dans l’arrêt Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Entertainment Software Association, 2022 CSC 30 : lorsque les cours de justice et les organismes administratifs ont compétence concurrente en première instance sur une question de droit dans une loi.

                    Aucune des exceptions reconnues à la présomption d’application de la norme de la décision raisonnable ne s’applique dans les présentes causes : le législateur n’a pas expressément prescrit la norme de contrôle applicable et il n’a pas non plus prévu par voie législative un mécanisme d’appel des décisions administratives devant une cour de justice; il ne s’agit en outre pas d’un cas dans lequel la primauté du droit commande l’application de la norme de la décision correcte. L’interprétation appropriée de l’al. 34(1) e) de la LIPR  n’est pas une question de droit générale d’une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble. Bien que l’interprétation à donner soit importante pour les personnes concernées et pour l’application appropriée de la LIPR , elle n’a pas d’incidence sur le système juridique ou sur l’administration de la justice dans son ensemble et elle n’a pas non plus de conséquence sur une vaste gamme d’autres lois ou sur d’autres institutions gouvernementales. Les questions soulevées concernent plutôt spécifiquement l’interprétation des conditions à respecter pour prononcer une interdiction de territoire en application de l’al. 34(1)e). De plus, l’interprétation à donner à cette disposition n’est ni une question constitutionnelle ni une question ayant trait aux délimitations des compétences respectives d’organismes administratifs. Enfin, elle n’entre pas dans la catégorie des questions appelant la norme de la décision correcte qui a été reconnue dans l’arrêt Société canadienne des auteurs.

                    Le régime des questions certifiées établi par l’al. 74d)  de la LIPR  ne réfute pas la présomption d’application de la norme de la décision raisonnable et ne justifie pas la reconnaissance d’une nouvelle catégorie de questions assujetties à la norme de la décision correcte. La certification par la Cour fédérale d’une question pour appel à la Cour d’appel fédérale pourvoit législativement à un appel de la décision de la Cour fédérale à la Cour d’appel fédérale, mais il ne change pas la norme de contrôle que l’une ou l’autre cour doit appliquer. Premièrement, la décision de la Cour fédérale de certifier une question grave de portée générale au sens où il faut l’entendre pour l’application de l’al. 74d)  n’a aucune incidence sur la norme de contrôle que doit appliquer la Cour fédérale elle‑même lorsqu’elle est saisie d’une demande de contrôle judiciaire. La procédure de certification sert de mécanisme de contrôle en exigeant que la question ait une portée minimale suffisante pour justifier un appel devant la Cour d’appel fédérale. La certification d’une question de portée générale peut justifier l’appel, mais c’est toujours le jugement lui‑même, et non seulement la question certifiée, qui est l’objet de l’appel. Le régime des questions certifiées n’équivaut donc pas à des circonstances rares et exceptionnelles où l’application par la Cour fédérale de la norme de la décision raisonnable dénaturerait l’intention du législateur ou ébranlerait la primauté du droit d’une façon analogue aux catégories de questions déjà reconnues appelant la norme de la décision correcte.

                    Deuxièmement, la certification d’une question grave de portée générale n’exige pas que la Cour d’appel fédérale ou la Cour suprême procède au contrôle judiciaire selon la norme de la décision correcte. Selon la jurisprudence de la Cour, dans le contexte de l’immigration, malgré la présence d’une question certifiée, la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable. L’arrêt Vavilov n’exige pas que l’on revienne sur cette conclusion. La certification d’une question n’indique pas que le législateur voulait que les juridictions d’appel appliquent la norme de contrôle de la décision correcte. La tâche de la Cour d’appel fédérale lorsqu’elle est saisie de l’appel d’une décision de la Cour fédérale dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire est de déterminer si la Cour fédérale a choisi la norme de contrôle appropriée, puis si elle a correctement appliqué cette norme. Le régime des questions certifiées ne réfute pas la présomption d’application de la norme de contrôle de la décision raisonnable et ne modifie en rien la tâche qui incombe à la Cour d’appel lorsqu’elle est saisie d’un appel d’une décision de première instance rendue à l’issue d’un contrôle judiciaire. En outre, reconnaître en l’espèce l’existence d’une nouvelle catégorie de questions assujetties à la norme de la décision correcte entrerait en conflit avec l’objectif de l’arrêt Vavilov de simplifier et de rendre davantage prévisible le cadre d’analyse de la norme de contrôle en ne prévoyant que quelques exceptions limitées au principe du contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable.

                    L’arrêt Vavilov fournit des orientations détaillées sur l’exercice du contrôle judiciaire des décisions administratives selon la norme de la décision raisonnable. Même si l’arrêt Vavilov n’avait pas encore été rendu lorsque la Cour fédérale était saisie de la cause de M, il l’avait été lorsque la Cour d’appel fédérale en était saisie, et elle s’est tout de même écartée de la méthode de contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable énoncée dans cet arrêt. Elle a greffé à la méthode consacrée par Vavilov une étape supplémentaire consistant à procéder à une analyse préliminaire du texte, du contexte et de l’objet de la loi, simplement pour comprendre l’état de la situation, avant d’examiner les décisions administratives. Cette étape préliminaire est incompatible avec l’arrêt Vavilov qui indique clairement que la cour de révision doit commencer son analyse à partir des motifs du décideur administratif. Prendre comme point de départ sa propre perception du fond de l’affaire risque d’amener la cour de révision à glisser vers un contrôle selon la norme de la décision correcte.

                    Dans les décisions administratives faisant l’objet du contrôle, les décideurs ont interprété de façon déraisonnable l’al. 34(1) e) de la LIPR  en jugeant qu’il n’exigeait pas de lien entre les actes de violence en cause et la sécurité nationale ou la sécurité du Canada. L’arrêt Vavilov a donné la consigne que la cour de révision doit procéder au contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable en tenant compte des incidences de la décision sur l’individu concerné. Selon le principe de la justification adaptée aux questions et préoccupations soulevées, lorsque la décision a des répercussions sévères sur les droits et intérêts de l’individu visé, les motifs fournis à ce dernier doivent refléter ces enjeux. Dans les présentes causes, l’interprétation de l’al. 34(1)e) aura des incidences sur deux personnes qui risquent d’être expulsées du Canada. Les motifs de la SAI devaient refléter ces enjeux. Or, dans ses motifs de décision dans la cause de M, la SAI a omis d’aborder des éléments essentiels du contexte législatif et de tenir compte des conséquences importantes de son interprétation de l’al. 34(1)e), des éléments qui avaient été soulevés par M. Ces omissions étaient importantes et témoignent du non‑respect de l’obligation de justification adaptée aux questions et préoccupations soulevées; cumulativement, ces omissions ont rendu la décision de la SAI déraisonnable. La SAI a également omis d’interpréter et d’appliquer l’al. 34(1)e) conformément à l’obligation de non‑refoulement imposée au Canada en application de l’article 33(1) de la Convention relative au Statut des Réfugiés de 1951, contrairement à la directive expresse de l’al. 3( 3) f) de la LIPR  qui l’oblige à le faire. La décision de la SI dans la cause de D, qui a simplement suivi l’interprétation de l’al. 34(1) e) de la LIPR  donnée par la SAI dans la cause de M, était déraisonnable pour les mêmes raisons.

                    Cumulativement, les contraintes juridiques pertinentes mènent inéluctablement à une seule interprétation raisonnable de l’al. 34(1)e) : la disposition requiert un lien entre les actes de violence en cause et la sécurité nationale ou la sécurité du Canada. L’alinéa 34(1)e) ne peut être invoqué pour interdire de territoire une personne que si « les actes de violence dont elle est l’auteur et qui sont susceptibles de mettre en danger la vie ou la sécurité d’autrui au Canada » ont un lien avec la sécurité nationale ou la sécurité du Canada. Puisque le ministre n’a pas fait valoir que M ou D ont commis des actes de violence en lien avec la sécurité nationale ou la sécurité du Canada, l’al. 34(1) e) de la LIPR  ne peut constituer un fondement légal pour les interdire de territoire.

                    La juge Côté : Il y a accord avec le dispositif des juges majoritaires dans les pourvois, soit leur conclusion que l’interprétation donnée à l’al. 34(1)e) par la SAI était déraisonnable et leur décision que l’interdiction de territoire prévue à l’al. 34(1) e) de la LIPR  requiert l’existence d’un lien entre les actes de violence en cause et la sécurité nationale ou la sécurité du Canada. Cependant, l’interprétation de l’al. 34(1)e) donnée par la SAI devrait être contrôlée selon la norme de la décision correcte.

                    L’alinéa 74d)  de la LIPR  prévoit un appel exceptionnel à la Cour d’appel fédérale pour les questions de droit certifiées en tant que questions graves de portée générale. Cela indique que le législateur souhaitait faire intervenir les cours de justice et assujettir ces questions en particulier — qui se distinguent de toutes les autres sous le régime de la LIPR de façon générale — aux normes de contrôle applicables en appel. Les questions certifiées en application de l’al. 74d) entraînent, par définition, des répercussions qui vont au-delà des parties au litige et soulèvent des enjeux ayant des conséquences importantes sur le régime canadien d’immigration et de protection des réfugiés.

                    Dans Vavilov, la Cour a conclu que les catégories qui appellent le contrôle selon la norme de la décision correcte ne constituaient pas un ensemble fermé, mais que les cours de révision devraient déroger à la présomption d’application de la norme de la décision raisonnable uniquement dans les cas où l’exige une indication claire de l’intention du législateur (normes de contrôle fixées par la loi et mécanismes d’appel) ou la primauté du droit (questions constitutionnelles, questions de droit générales d’importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et questions liées aux délimitations des compétences respectives d’organismes administratifs). La présomption d’application de la norme de la décision raisonnable établie par Vavilov ne s’applique pas lorsque le législateur fait expressément intervenir les cours de justice dans le régime administratif. Dire que l’arrêt Vavilov règle définitivement la question et que la norme de contrôle applicable aux questions certifiées est celle de la décision raisonnable irait à l’encontre même du cadre établi dans cet arrêt.

                    Dans un souci de cohérence avec les principes et le cadre établis dans Vavilov, une nouvelle catégorie de questions assujettie à la norme de la décision correcte doit être reconnue : lorsqu’une cour d’appel révise une question grave de portée générale certifiée comme le prévoit l’al. 74d)  de la LIPR . Pour accorder au régime des questions certifiées la portée explicitement formulée dans la loi, les cours d’appel doivent être en mesure d’y répondre correctement. Appliquer la norme de la décision raisonnable aux questions certifiées sous le régime de la LIPR  est contraire tant à l’intention du législateur qu’à la primauté du droit. Cette dernière exige — et le Parlement a voulu que les cours d’appel fournissent — une réponse unique, décisive et définitive à une question certifiée comme étant grave et de portée générale sous le régime de la LIPR . Même un cadre rigoureux d’application de la norme de la décision raisonnable pourrait être insuffisant pour éviter le risque d’arbitraire et les conséquences qui en découleraient. Par définition, les questions certifiées transcendent les intérêts des parties au litige et soulèvent des enjeux ayant des conséquences importantes et de portée générale dans le contexte du régime canadien d’immigration et de protection des réfugiés. Il s’agit exactement du type de questions à l’égard desquelles la primauté du droit exige des réponses cohérentes et décisives — et pour lesquelles le risque d’arbitraire est inacceptable. En ce qui concerne les questions graves de portée générale qui se posent sous le régime de la LIPR , le Parlement n’a pas voulu que les cours de justice soient contraintes de déférer à des interprétations de décideurs administratifs qui, bien que pouvant être raisonnables, sont néanmoins erronées en droit. La seule façon d’accorder à l’al. 74d) de la LIPR la portée explicitement formulée dans la loi est de permettre aux cours d’appel de substituer leurs propres réponses aux questions graves de portée générale. Le régime des questions certifiées serait incohérent si la norme de contrôle applicable était autre chose que celle de la décision correcte.

                    L’interprétation donnée à l’al. 34(1)e) par la SAI était déraisonnable et l’interdiction de territoire en application l’al. 34(1)e) requiert l’existence d’un lien entre les actes de violence en cause et la sécurité nationale ou la sécurité du Canada. L’interprétation donnée par la SAI élargirait considérablement les critères en fonction desquels des étrangers ou des résidents permanents pourraient être expulsés du Canada. Des étrangers pourraient être renvoyés dans des pays où ils risquent la persécution, ce qui irait à l’encontre des obligations du Canada aux termes de la Convention relative au Statut des Réfugiés. Le Parlement n’a pas voulu que les cours d’appel s’en remettent à de telles interprétations raisonnables de cette question ou d’autres questions certifiées, mais néanmoins erronées en droit. Ce sont toutefois les décideurs administratifs habilités sous le régime de la LIPR  qui auront la tâche d’appliquer cette interprétation de l’al. 34(1)e) à l’avenir, notamment pour ce qui est de déterminer quels actes de violence peuvent être qualifiés de menace pour la sécurité nationale ou la sécurité du Canada.

Jurisprudence

Citée par le juge Jamal

                    Arrêt appliqué : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 R.C.S. 653; arrêts examinés : Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Entertainment Software Association, 2022 CSC 30; Németh c. Canada (Justice), 2010 CSC 56, [2010] 3 R.C.S. 281; arrêts mentionnés : Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Office régional de la santé du Nord c. Horrocks, 2021 CSC 42; Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559; Merck Frosst Canada Ltée c. Canada (Santé), 2012 CSC 3, [2012] 1 R.C.S. 23; Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982; Lunyamila c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CAF 22, [2018] 3 R.C.F. 674; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Laing, 2021 CAF 194; Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. XY, 2022 CAF 113; Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 3, [2002] 1 R.C.S. 84; Société canadienne des postes c. Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67, [2019] 4 R.C.S. 900; Kanthasamy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, [2015] 3 R.C.S. 909; Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Galindo Camayo, 2022 CAF 50; Wilson c. Énergie Atomique du Canada Ltée, 2016 CSC 29, [2016] 1 R.C.S. 770; Delios c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 117; Nova Tube Inc./Nova Steel Inc. c. Conares Metal Supply Ltd., 2019 CAF 52; R. c. Wong, 2018 CSC 25, [2018] 1 R.C.S. 696; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27; X (Re), 2017 CanLII 146735; El Werfalli c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CF 612, [2014] 4 R.C.F. 673; Fuentes c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 379, [2003] 4 C.F. 249; B010 c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 58, [2015] 3 R.C.S. 704; de Guzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 436, [2006] 3 R.C.F. 655; Febles c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CSC 68, [2014] 3 R.C.S. 431; Procureur c. Germain Katanga, ICC-01/04-01/07, 1er octobre 2013; Zaoui c. Attorney-General (No. 2), [2005] 1 N.Z.L.R. 690; Conseil canadien pour les réfugiés c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CSC 17; G. c. G., [2021] UKSC 9, [2022] A.C. 544.

Citée par la juge Côté

                    Arrêts appliqués : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 R.C.S. 653; Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982; Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Entertainment Software Association, 2022 CSC 30; arrêts examinés : Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817; Kanthasamy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, [2015] 3 R.C.S. 909; Tran c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CSC 50, [2017] 2 R.C.S. 289; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Galindo Camayo, 2022 CAF 50; X (Re), 2017 CanLII 146735; arrêts mentionnés : Lunyamila c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CAF 22, [2018] 3 R.C.F. 674; Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559; Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 3, [2002] 1 R.C.S. 84; Hilewitz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 57, [2005] 2 R.C.S. 706; Ezokola c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CSC 40, [2013] 2 R.C.S. 678; Febles c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CSC 68, [2014] 3 R.C.S. 431; B010 c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 58, [2015] 3 R.C.S. 704; Vavilov c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CAF 132, [2018] 3 R.C.F. 75; Kanthasamy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CAF 113, [2015] 1 R.C.F. 335; Huruglica c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 93, [2016] 4 R.C.F. 157; Seneca College of Applied Arts and Technology c. Bhadauria, [1981] 2 R.C.S. 181; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Laing, 2021 CAF 194; Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. XY, 2022 CAF 113; Mudrak c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 178; Domtar Inc. c. Québec (Commission d’appel en matière de lésions professionnelles), [1993] 2 R.C.S. 756; Ellis‑Don Ltd. c. Ontario (Commission des relations de travail), 2001 CSC 4, [2001] 1 R.C.S. 221; R. c. Wong, 2018 CSC 25, [2018] 1 R.C.S. 696; Moumdjian c. Canada (Comité de surveillance des activités du renseignement de sécurité), [1999] 4 C.F. 624; Al Yamani c. Canada (Solliciteur général), [1996] 1 C.F. 174.

Lois et règlements cités

Loi sur la citoyenneté , L.R.C. 1985, c. C‑29, art. 10.5(1) .

Loi sur le casier judiciaire , L.R.C. 1985, c. C‑47 .

Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents , L.C. 2002, c. 1 .

Loi sur les jeunes contrevenants , L.R.C. 1985, c. Y‑1 .

Loi sur l’immigration, L.R.C. 1985, c. I‑2, art. 19(1)g).

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés , L.C. 2001, c. 27, art. 2(1)  « étranger », 3(2)b), (3)f), partie 1, 25(1), section 4, 33, 34 à 42, 42.1(1), 64(1), 72(1), 74d), 96, 97, 112, 113d)(i), (ii), 114(1), 115.

Traités et autres instruments internationaux

Convention relative au Statut des Réfugiés, R.T. Can. 1969 no 6, articles 1, 33, 42.

Protocole relatif au Statut des Réfugiés, R.T. Can. 1969 no 29, article 1.

Doctrine et autres documents cités

Canada. Citoyenneté et Immigration Canada. Projet de loi C‑11 : Analyse article par article, Ottawa, septembre 2001.

Daly, Paul. Certified Questions, References and Reasonableness : Canada (Citizenship and Immigration) v. Galindo Camayo, 2022 FCA 50, April 8, 2022 (en ligne : https://www.administrativelawmatters.com/blog/2022/04/08/certified-questions-references-and-reasonableness-canada-citizenship-and-immigration-v-galindo-camayo-2022-fca-50/; version archivée : https://scc-csc.ca/cso-dce/2023SCC-CSC21_1_eng.pdf).

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Lambert, Hélène. « Customary Refugee Law », in Cathryn Costello, Michelle Foster and Jane McAdam, eds., The Oxford Handbook of International Refugee Law, New York, Oxford University Press, 2021, 240.

Lauterpacht, Sir Elihu, and Daniel Bethlehem. « The scope and content of the principle of non‑refoulement : Opinion », in Erika Feller, Volker Türk and Frances Nicholson, eds., Refugee Protection in International Law : UNHCR’s Global Consultations on International Protection, New York, Cambridge University Press, 2003, 87.

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Mullan, David. « Reasonableness Review Post-Vavilov : An “Encomium for Correctness” or Deference As Usual? » (2021), 23 C.L.E.L.J. 189.

Popescu, Monica. « L’arrêt Vavilov : à la recherche de l’équilibre perdu entre la primauté du droit et la suprématie législative » (2021), 62 C. de D. 567.

                    POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel fédérale (les juges Stratas, Rennie et Mactavish), 2021 CAF 156, [2022] 1 R.C.F. 3, 84 Imm. L.R. (4th) 49, [2021] F.C.J. No. 811 (QL), 2021 CarswellNat 9199 (WL), qui a infirmé une décision du juge Grammond, 2019 CF 1251, [2020] 2 R.C.F. 3, 71 Imm. L.R. (4th) 292, [2019] A.C.F. no 1127 (QL), 2019 CarswellNat 6081 (WL), qui avait accueilli une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (Section d’appel de l’immigration), [2019] D.S.A.I. no 329 (QL), 2019 CarswellNat 2866 (WL). Pourvoi accueilli.

                    POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel fédérale (les juges Stratas, Rennie et Mactavish), 2021 CAF 156, [2022] 1 R.C.F. 3, 84 Imm. L.R. (4th) 49, [2021] F.C.J. No. 811 (QL), 2021 CarswellNat 9199 (WL), qui a infirmé une décision du juge Barnes, 2020 CF 59, [2020] A.C.F. no 40 (QL), 2020 CarswellNat 398 (WL), qui avait accueilli une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (Section de l’immigration), [2019] D.S.I. no 23 (QL), 2019 CarswellNat 9933 (WL). Pourvoi accueilli.

                    Erica J. Olmstead, Molly Joeck et Aidan C. Campbell, pour l’appelant Earl Mason.

                    Robert J. Kincaid, pour l’appelant Seifeslam Dleiow.

                    Michael H. Morris et BJ Wray, pour l’intimé.

                    Judie Im et Susan Keenan, pour l’intervenant le procureur général de l’Ontario.

                    Johnna Van Parys et Laura Mazenc, pour l’intervenant le procureur général de la Saskatchewan.

                    Prasanna Balasundaram, Barbara Jackman et Asiya Hirji, pour l’intervenant le Conseil canadien pour les réfugiés.

                    Jacqueline Swaisland, Paul Daly, Anthony Navaneelan et Jonathan Porter, pour l’intervenante l’Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés.

                    Brandon Barnes Trickett et David Thiessen, pour l’intervenant Social Planning Council of Winnipeg.

                    Naseem Mithoowani et Hanaa Al Sharief, pour l’intervenante l’Association canadienne des avocats musulmans.

                    Aviva Basman et Alyssa Manning, pour l’intervenante l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés.

                    Dahlia Shuhaibar, pour l’intervenante Amnesty International Canadian Section (English Speaking).

                    Subodh Bharati, Amy Mayor et Scarlet Smith, pour l’intervenant Community & Legal Aid Services Program.

                    Guillaume Cliche-Rivard, pour l’intervenante l’Association québécoise des avocats et avocates en droit de l’immigration.

                    Kevin Westell et Frances Mahon, pour l’intervenante Criminal Lawyers’ Association (Ontario).

Version française du jugement du juge en chef Wagner et des juges Karakatsanis, Rowe, Martin, Kasirer, Jamal et O’Bonsawin rendu par

 

                   Le juge Jamal —

I.               Aperçu

[1]                             Dans les présents pourvois, la Cour est appelée à appliquer le cadre du contrôle judiciaire élaboré dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 R.C.S. 653, à deux décisions administratives portant sur une question d’interprétation législative dans le contexte de l’immigration.

[2]                             La disposition législative en cause, l’al. 34(1) e) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés , L.C. 2001, c. 27  (« LIPR  »), prévoit qu’emporte interdiction de territoire pour « raison de sécurité » le fait pour un résident permanent ou un étranger « d’être l’auteur de tout acte de violence susceptible de mettre en danger la vie ou la sécurité d’autrui au Canada ». Le principal point de désaccord entre les décideurs administratifs et les cours inférieures avait trait à la question de savoir s’il doit exister un lien entre les « acte[s] de violence » visés à l’al. 34(1)e) qui emportent interdiction de territoire pour « raison de sécurité » et la sécurité nationale ou la sécurité du Canada, ou si l’al. 34(1)e) s’applique plus largement aux actes de violence, même sans ce lien.

[3]                             Les deux décisions administratives qui font l’objet du contrôle ont considéré que l’al. 34(1)e) n’exigeait pas l’existence d’un lien entre les actes de violence et la sécurité nationale ou la sécurité du Canada. Dans la première décision administrative, la Section d’appel de l’immigration (« SAI ») de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (« CISR ») a statué que M. Earl Mason, un étranger, pouvait être interdit de territoire en application de l’al. 34(1)e) si les actes de violence qui lui étaient imputés étaient prouvés. Monsieur Mason aurait tiré des coups de feu et blessé deux personnes après avoir été agressé lors d’une bagarre dans un bar. Les accusations portées contre lui ont été suspendues et il n’a donc été reconnu coupable d’aucune infraction criminelle. Dans la seconde décision administrative, la Section de l’immigration (« SI ») de la CISR a suivi l’interprétation de l’al. 34(1)e) retenue par la SAI dans la cause de M. Mason et elle a interdit de territoire M. Seifeslam Dleiow, un étranger, en application de l’al. 34(1)e), au motif qu’il était l’auteur d’actes de violence contre deux partenaires intimes. Il n’était pas allégué que M. Mason ou M. Dleiow avaient commis des actes de violence liés à la sécurité nationale ou à la sécurité du Canada.

[4]                             La Cour fédérale a fait droit aux demandes de contrôle judiciaire présentées par MM. Mason et Dleiow. Dans la cause de M. Mason, dans une décision qui a été rendue avant l’arrêt Vavilov de notre Cour, la Cour fédérale a estimé qu’il était déraisonnable d’interpréter l’al. 34(1)e) comme s’appliquant à des actes de violence sans lien avec la sécurité nationale. La Cour fédérale a repris le même raisonnement dans la cause de M. Dleiow. Par conséquent, ni M. Mason ni M. Dleiow n’ont été interdits de territoire. Dans les deux affaires, la Cour fédérale a également certifié des questions graves de portée générale, permettant ainsi à la Cour d’appel fédérale de déterminer si l’on pouvait raisonnablement interpréter l’al. 34(1)e) comme n’exigeant pas la preuve d’un acte ayant un lien avec la sécurité nationale ou la sécurité du Canada.

[5]                             La Cour d’appel fédérale a accueilli les deux appels. Dans des motifs portant sur les deux affaires — et publiés après l’arrêt rendu par notre Cour dans l’affaire Vavilov —, la Cour d’appel a jugé que la SAI et la SI avaient raisonnablement interprété l’al. 34(1) e) de la LIPR  en estimant qu’il n’exigeait pas de lien entre les actes de violence en cause et la sécurité nationale ou la sécurité du Canada.

[6]                             Messieurs Mason et Dleiow se pourvoient maintenant devant notre Cour. En l’espèce, deux questions se posent. Tout d’abord, quelle norme de contrôle les cours de révision auraient‑elles dû appliquer lorsqu’elles ont examiné la décision rendue par la SAI dans la cause de M. Mason et par la SI dans celle de M. Dleiow? Ensuite, comment cette norme de contrôle aurait‑elle dû être appliquée aux circonstances en l’espèce?

[7]                             Dans l’arrêt Vavilov, notre Cour a révisé le cadre d’analyse permettant de déterminer la norme de contrôle applicable. La Cour a institué une présomption selon laquelle la norme de contrôle sur le fond des décisions administratives est celle de la décision raisonnable, sous réserve de quelques exceptions fondées sur l’intention du législateur ou lorsque la primauté du droit l’exige (par. 10 et 17). Le cadre d’analyse révisé vise à préserver le principe de la primauté du droit tout en respectant la volonté du législateur de confier certaines décisions à des décideurs administratifs plutôt qu’aux tribunaux judiciaires (par. 2 et 14). Il a aussi pour objectif d’assurer la simplicité, la cohérence et la prévisibilité du droit en matière de normes de contrôle et à éliminer l’exercice compliqué consistant à déterminer la norme de contrôle en fonction de facteurs contextuels, comme l’exigeait la jurisprudence de notre Cour depuis l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 (Vavilov, par. 7 et 10).

[8]                             Dans l’arrêt Vavilov, notre Cour a également expliqué comment un tribunal doit procéder à un contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable. Elle a souligné que ce type de contrôle et le contrôle selon la norme de la décision correcte étaient distincts sur le plan méthodologique (par. 12). Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable a pour point de départ la retenue judiciaire et doit être centré sur « la décision même qu’a rendue le décideur administratif, notamment sur sa justification, et non sur la conclusion à laquelle [la cour de révision] serait parvenue à la place du décideur administratif » (par. 15 et 24). Lorsque ce dernier est tenu de motiver sa décision, le contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable exige une évaluation « sensible et respectueuse, mais aussi rigoureuse » des motifs énoncés par le décideur (par. 12). La cour de révision doit « s’intéresse[r] avant tout aux motifs de la décision » du décideur administratif afin d’évaluer la justification de sa décision (par. 84). Est raisonnable la décision administrative qui est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et [qui] est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (par. 85). Notre Cour a également insisté sur « la nécessité de développer et de renforcer une culture de la justification au sein du processus décisionnel administratif » (par. 2).

[9]                             Appliquant le cadre d’analyse prescrit par l’arrêt Vavilov aux présents pourvois, je conclus que la norme de contrôle applicable aux décisions administratives en cause est celle de la décision raisonnable. Aucune exception reconnue à la présomption d’application de la norme de la décision raisonnable ne s’applique, et aucune nouvelle exception ne devrait être créée au motif que les pourvois portent sur des questions graves de portée générale certifiées aux fins d’appel à la Cour d’appel fédérale au titre de l’al. 74d)  de la LIPR . Le régime des questions certifiées est un mécanisme prévu par la loi suivant lequel la Cour fédérale peut pourvoir à un appel à l’égard d’une décision rendue en contrôle judiciaire dans certaines circonstances.

[10]                         Les deux décisions administratives étaient déraisonnables. En particulier, dans la cause de M. Mason, la SAI, dont l’interprétation de l’al. 34(1)e) a été adoptée dans la cause de M. Dleiow, a négligé trois importantes contraintes juridiques auxquelles elle était assujettie. Premièrement, elle n’a pas tenu compte de certains éléments essentiels du contexte législatif que M. Mason avait soulevés devant elle dans ses observations. Deuxièmement, la SAI n’a pas tenu compte des conséquences potentiellement importantes de son interprétation, une question que M. Mason avait également soulevée dans ses observations. Ces omissions impliquaient, sur le plan de la « justification adaptée aux questions et préoccupations soulevées », de graves lacunes de nature à amener une cour de révision à perdre confiance dans la décision de la SAI. Troisièmement, la SAI n’a pas interprété et appliqué l’al. 34(1)e) conformément aux instruments internationaux portant sur les droits de la personne dont le Canada est signataire — plus précisément, l’obligation de non‑refoulement énoncée au par. 33(1) de la Convention relative au Statut des Réfugiés, R.T. Can. 1969 no 6, de 1951 (« Convention relative aux réfugiés ») — contrairement à la directive expresse de l’al. 3( 3) f) de la LIPR  qui l’oblige à le faire. L’omission de la SAI de tenir compte de ces trois contraintes juridiques a fait en sorte que la décision qu’elle a rendue était déraisonnable.

[11]                         Dans les présents pourvois, les contraintes juridiques applicables mènent irrésistiblement à une seule interprétation raisonnable de l’al. 34(1)e) : une personne ne peut être interdite de territoire en application de l’al. 34(1)e) que si elle est l’auteur d’actes de violence qui ont un lien avec la sécurité nationale ou la sécurité du Canada.

[12]                         Par conséquent, j’accueillerais les deux pourvois, j’annulerais les jugements de la Cour d’appel fédérale, je ferais droit aux demandes de contrôle judiciaire et j’annulerais les décisions administratives.

II.            Les faits

A.           Monsieur Earl Mason

[13]                         Monsieur Earl Mason est un citoyen de Sainte‑Lucie et un « étranger » se trouvant au Canada, en ce sens qu’il est une personne autre qu’un citoyen canadien ou un résident permanent (LIPR , par. 2(1) , « étranger »). Il a épousé une citoyenne canadienne et a deux filles au Canada. Arrivé au Canada en juin 2010, il s’y trouve depuis à titre d’étranger. Il y a demandé l’asile dès son arrivée au pays, mais il a par la suite retiré sa demande lorsqu’il a sollicité la résidence permanente avec le parrainage de son épouse.

[14]                         Monsieur Mason a fait l’objet des allégations suivantes dans la procédure d’interdiction de territoire à l’examen. En mai 2012, il s’est disputé avec un individu lors d’un concert dans un bar à Surrey, en Colombie‑Britannique. L’individu en question a fracassé une bouteille de bière sur la tête de M. Mason, qui a répliqué en dégainant une arme à feu et en faisant feu à huit reprises, blessant son agresseur et un autre homme. En mai 2014, M. Mason a été inculpé de deux chefs de tentative de meurtre et de deux chefs d’accusation lui reprochant d’avoir déchargé une arme à feu dans l’intention de blesser ou de défigurer une personne. Les coups de feu n’étaient pas liés au terrorisme ou à la criminalité organisée. En 2015, un arrêt des procédures a été ordonné pour cause de délai. Monsieur Mason n’a donc été reconnu coupable d’aucune infraction criminelle.

[15]                         La LIPR  énumère plusieurs raisons pour lesquelles un résident permanent ou un étranger peut être déclaré interdit de territoire et se voir donc refuser l’entrée au Canada ou être forcé d’en quitter le territoire (art. 34 à 42). En avril 2016, un agent de l’Agence des services frontaliers du Canada (« ASFC ») a rédigé un rapport alléguant que M. Mason était interdit de territoire pour « raison de sécurité » en application de l’al. 34(1) e) de la LIPR , selon lequel emporte interdiction de territoire le fait d’« être l’auteur de tout acte de violence susceptible de mettre en danger la vie ou la sécurité d’autrui au Canada ». Le paragraphe 34(1) est ainsi libellé :

                        Sécurité

                        34 (1) Emportent interdiction de territoire pour raison de sécurité les faits suivants :

a)    être l’auteur de tout acte d’espionnage dirigé contre le Canada ou contraire aux intérêts du Canada;

b)   être l’instigateur ou l’auteur d’actes visant au renversement d’un gouvernement par la force;

                               b.1) se livrer à la subversion contre toute institution démocratique, au sens où cette expression s’entend au Canada;

                               c) se livrer au terrorisme;

                               d) constituer un danger pour la sécurité du Canada;

                               e) être l’auteur de tout acte de violence susceptible de mettre en danger la vie ou la sécurité d’autrui au Canada;

                               f) être membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle est, a été ou sera l’auteur d’un acte visé aux alinéas a), b), b.1) ou c).

[16]                         En mai 2016, un délégué du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile a transmis le rapport d’interdiction de territoire de l’ASFC à la SI pour enquête.

B.            Monsieur Seifeslam Dleiow

[17]                         Monsieur Seifeslam Dleiow est un citoyen libyen et un étranger se trouvant au Canada. Il y est arrivé en juin 2012 muni d’un visa étudiant qui a expiré en 2014. En 2015, il a présenté une demande d’asile. En octobre 2017, la Section de la protection des réfugiés de la CISR a rejeté sa demande et, en octobre 2018, la Section d’appel des réfugiés l’a débouté de son appel.

[18]                         En septembre 2018, un agent de l’ASFC a rédigé un rapport selon lequel M. Dleiow était interdit de territoire pour raison de sécurité en application de l’al. 34(1)e). Le rapport alléguait que, depuis son arrivée au Canada, M. Dleiow avait été l’auteur d’actes de violence contre des partenaires intimes et d’autres personnes. Les accusations criminelles découlant de ces incidents avaient été suspendues, à l’exception des 3 chefs d’accusation suivants : présence illégale dans une maison d’habitation dans l’intention de commettre un acte criminel, méfait de moins de 5 000 $ et menaces de causer la mort ou des lésions corporelles. Monsieur Dleiow a plaidé coupable à ces accusations et a obtenu une absolution conditionnelle. Un délégué du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile a ensuite transmis le rapport d’interdiction de territoire de l’ASFC à la SI pour enquête.

III.         Décisions des juridictions inférieures

A.           Décision de la Section de l’immigration (M. Mason), 2018 CanLII 57522

[19]                         La SI a abordé la question de droit préliminaire de savoir si, en supposant qu’ils soient prouvés, les actes reprochés à M. Mason pourraient constituer un motif d’interdiction de territoire au sens de l’al. 34(1)e). La SI a statué que l’expression « raison de sécurité » au par. 34(1) visait des menaces à la sécurité du Canada ou d’un autre pays, et qu’il devait exister un certain lien entre les actes de violence en cause et une menace à la sécurité du Canada. De l’avis de la SI, dans le cas des actes reprochés à M. Mason, il s’agissait « simplement d’infractions criminelles » qui, « quoique très graves », étaient dépourvues de « tout élément les rendant plus sérieuses de manière à ce que la raison de sécurité puisse être invoquée », en conséquence de quoi l’al. 34(1)e) ne pouvait pas s’appliquer (par. 24).

B.            Décision de la Section d’appel de l’immigration (M. Mason), 2019 CanLII 55171

[20]                         Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile a interjeté appel à la SAI de la décision de la SI dans la cause de M. Mason. La SAI a fait droit à l’appel du ministre, a annulé la décision de la SI et a renvoyé l’affaire à cette dernière pour qu’elle tienne une audience en bonne et due forme sur le fond. La SAI a jugé que, pour conclure à l’interdiction de territoire au titre de l’al. 34(1)e), il n’était pas nécessaire que les actes allégués aient un lien avec la sécurité nationale ou la sécurité du Canada. Selon elle, la « sécurité » dont il est question à l’al. 34(1)e) s’entend de « la sécurité dans un sens plus large », en l’occurrence s’assurer « que les Canadiens sont à l’abri d’actes de violence susceptibles de mettre leur vie ou leur sécurité en danger » (par. 37).

C.            Décision de la Section de l’immigration (M. Dleiow), 2019 CanLII 129531

[21]                         Dans le cas de M. Dleiow, la SI a estimé qu’elle n’avait aucune raison de s’écarter de l’interprétation que la SAI avait donnée de l’al. 34(1)e) dans la cause de M. Mason, et elle a donc confirmé que cette disposition n’exigeait pas que les actes allégués aient un lien avec la sécurité nationale ou la sécurité du Canada. La SI a également admis des éléments de preuve et conclu que M. Dleiow était interdit de territoire parce qu’il avait été l’auteur d’actes de violence envers deux de ses partenaires intimes, et qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que ces actes de violence avaient mis en danger la sécurité de ces personnes. La SI a fondé cette conclusion sur le plaidoyer de culpabilité de M. Dleiow relativement aux actes qu’il avait commis contre une des deux partenaires intimes et sur des témoignages et des rapports de police concernant l’autre partenaire intime. La SI a donc conclu que M. Dleiow était interdit de territoire et elle a pris une mesure d’expulsion contre lui.

D.           Décision de la Cour fédérale (M. Mason), 2019 CF 1251, [2020] 2 R.C.F. 3 (le juge Grammond)

[22]                         La Cour fédérale a accueilli la demande de contrôle judiciaire présentée par M. Mason à l’égard de la décision de la SAI. La cour a conclu que l’interprétation de l’al. 34(1) e) de la LIPR  donnée par la SAI était déraisonnable parce qu’elle ne tenait pas compte de l’économie de la Loi et qu’elle vidait de leur sens les dispositions législatives concernant l’interdiction de territoire pour criminalité. De l’avis de la Cour fédérale, l’al. 34(1)e) exigeait que les actes de violence aient un lien avec la sécurité nationale.

[23]                         La Cour fédérale — dont les motifs ont été publiés avant que notre Cour ne rende l’arrêt Vavilov — a expliqué comment une cour de révision devait évaluer le caractère raisonnable d’une décision administrative portant sur l’interprétation d’une loi. Selon la Cour fédérale, la cour de révision doit s’assurer que le décideur administratif n’a pas écarté un argument très solide — un « argument massue », c’est‑à‑dire un argument intrinsèquement cohérent, qui résiste à un examen minutieux et qui ne peut pas être repoussé par un argument contraire de force semblable — ni opté pour une interprétation donnée alors que les « indices » convergeaient massivement dans la direction contraire.

[24]                         La Cour fédérale a jugé que l’interprétation de l’al. 34(1)e) retenue par la SAI était déraisonnable parce qu’elle entrait en contradiction avec l’économie générale de la LIPR , dénaturant ainsi l’intention du législateur. De l’avis de la cour, cet argument fondé sur l’économie de la Loi était un « argument massue ». Selon elle, la décision de la SAI bouleversait la structure soigneusement élaborée de la LIPR  en élargissant la portée de l’al. 34(1)e) de manière à l’étendre à un vaste éventail d’actes « susceptible[s] de mettre en danger la vie ou la sécurité d’autrui au Canada ». Cette interprétation irait à l’encontre de la volonté du législateur en faisant entrer, dans la catégorie des actes les plus graves emportant interdiction de territoire, des actes qui ne répondent pas aux critères applicables aux catégories d’actes moins graves emportant interdiction de territoire, en plus de faire l’impasse sur le choix fait par le législateur à l’art. 36  de la LIPR  d’exiger une déclaration de culpabilité pour les infractions commises au Canada. Les paragraphes 36(1)  et (2)  de la LIPR  prévoient que les faits suivants emportent interdiction de territoire pour « grande criminalité » et pour « criminalité » :

                    Grande criminalité

 (1) Emportent interdiction de territoire pour grande criminalité les faits suivants :

                        a) être déclaré coupable au Canada d’une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans ou d’une infraction à une loi fédérale pour laquelle un emprisonnement de plus de six mois est infligé;

                        b) être déclaré coupable, à l’extérieur du Canada, d’une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans;

                        c) commettre, à l’extérieur du Canada, une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans.

                    Criminalité

                    (2) Emportent, sauf pour le résident permanent, interdiction de territoire pour criminalité les faits suivants :

                        a) être déclaré coupable au Canada d’une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation ou de deux infractions à toute loi fédérale qui ne découlent pas des mêmes faits;

                        b) être déclaré coupable, à l’extérieur du Canada, d’une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation ou de deux infractions qui ne découlent pas des mêmes faits et qui, commises au Canada, constitueraient des infractions à des lois fédérales;

                      c) commettre, à l’extérieur du Canada, une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation;

                        d) commettre, à son entrée au Canada, une infraction qui constitue une infraction à une loi fédérale précisée par règlement.

[25]                         La Cour fédérale a jugé peu convaincants tous les arguments contraires qui lui avaient été soumis au sujet du contexte interprétatif et a conclu qu’il y avait une seule interprétation raisonnable. Elle a donc annulé la décision de la SAI et rétabli celle de la SI.

[26]                         La Cour fédérale a certifié la question grave de portée générale suivante en prévision d’un appel à la Cour d’appel fédérale : Est‑il raisonnable d’interpréter l’al. 34(1) e) de la LIPR  d’une manière qui n’exige pas la preuve d’une conduite liée à la « sécurité nationale » ou à la « sécurité du Canada »?

E.            Décision de la Cour fédérale (M. Dleiow), 2020 CF 59 (le juge Barnes)

[27]                         La Cour fédérale a accueilli la demande de contrôle judiciaire de la décision de la SI que lui avait présentée M. Dleiow. Elle a appliqué le raisonnement qu’elle avait suivi dans la cause de M. Mason pour des raisons de courtoisie judiciaire, elle a annulé la décision de la SI et elle a ordonné que l’affaire soit réexaminée sur le fond par un autre décideur. La cour a certifié la même question grave de portée générale que celle qui avait été certifiée dans la cause de M. Mason.

F.             Décision de la Cour d’appel fédérale (M. Mason et M. Dleiow), 2021 CAF 156, [2022] 1 R.C.F. 3 (le juge Stratas, avec l’accord des juges Rennie et Mactavish)

[28]                         La Cour d’appel fédérale a jugé en même temps les appels interjetés dans les causes de MM. Mason et Dleiow, après que notre Cour eut rendu l’arrêt Vavilov. Elle a conclu que les décisions administratives avaient raisonnablement interprété l’al. 34(1)e) en considérant qu’il n’exigeait pas l’existence d’un lien entre les actes de violence en cause et la sécurité nationale ou la sécurité du Canada.

[29]                         D’entrée de jeu, la Cour d’appel s’est demandé comment une cour devait procéder à l’examen selon la norme de la décision raisonnable. Elle a signalé que « [b]ien que l’arrêt Vavilov nous renseigne sur de nombreux aspects, certains restent flous » (par. 9). La cour a prévenu qu’une cour de révision ne devait pas établir son propre critère pour ensuite jauger ce qu’a fait le décideur administratif, mais qu’elle devait plutôt procéder à « une analyse préliminaire du texte, du contexte et de l’objet de la loi, simplement pour comprendre l’état de la situation, avant d’examiner les motifs du décideur administratif » (par. 17). La Cour d’appel a également critiqué la démarche suivie par la Cour fédérale dans la cause de M. Mason en ce qui concerne l’« argument massue », considérant que cette approche constituait une forme déguisée de contrôle selon la norme de la décision correcte.

[30]                         La Cour d’appel a conclu que la SAI avait bien tenu compte des éléments essentiels du texte, du contexte et de l’objet de l’al. 34(1)e) et elle a estimé que la SAI n’avait pas omis d’aspects qui amèneraient une cour de révision à perdre confiance dans le résultat auquel était arrivé la SAI. Elle a rejeté l’argument de M. Mason suivant lequel interpréter l’al. 34(1)e) sans y voir l’exigence d’un lien entre les actes de violence en cause et la sécurité nationale était incompatible avec l’économie générale de la LIPR . La cour a jugé raisonnable la conclusion de la SAI suivant laquelle les actes visés à l’al. 34(1)e), qui porte sur les actes susceptibles de mettre en danger « la vie ou la sécurité » d’autrui au Canada, ne représentaient qu’un sous‑ensemble de ce qui relèverait de la grande criminalité à l’art. 36  de la LIPR . Selon la Cour d’appel, les art. 34 et 36 portent sur deux choses distinctes, à savoir, respectivement, des actes et des déclarations de culpabilité (par. 55). L’article 36 a une portée beaucoup plus large et s’applique à beaucoup plus de comportements criminels non violents, tandis que l’al. 34(1)e) est une disposition à portée plus restreinte, et ne s’applique qu’aux actes de violence. La cour a noté que l’affirmation de la SAI selon laquelle l’al. 34(1)e) n’avait pas une portée absurdement vaste parce que les actes qui y étaient visés avaient « une portée restreinte » ne pouvait que signifier que la SAI avait interprété le terme « sécurité » à l’al. 34(1)e) comme « visant des actes assez graves pour être susceptibles de mettre en danger la vie, et pas seulement de causer des préjudices mineurs » (par. 57). La cour a affirmé que, malgré le fait que la SAI avait omis de mentionner certains éléments contextuels, cette omission ne constituait pas une lacune fondamentale et n’avait pas mené à une perte de confiance dans le résultat auquel était arrivée la SAI au point de rendre sa décision déraisonnable.

[31]                         Pour affirmer que l’al. 34(1)e) exigeait que les actes de violence en cause aient un lien avec la sécurité nationale ou la sécurité du Canada, M. Mason a également invoqué la Convention relative aux réfugiés et le Protocole relatif au Statut des Réfugiés, R.T. Can. 1969 no 29, de 1967 (« Protocole »). La Cour d’appel a refusé d’examiner cet argument, estimant qu’il s’agissait d’une question nouvelle qui aurait dû être plaidée devant la SAI et que « certains documents d’information et d’autres instruments nécessaires à la compréhension des obligations internationales » ne lui avaient pas été présentés en preuve (par. 74).

[32]                         La Cour d’appel a conclu que certains éléments du texte, du contexte et de l’objet de l’al. 34(1)e) étayaient la thèse de la nécessité de démontrer l’existence d’un lien entre l’acte allégué et la sécurité nationale ou la sécurité du Canada, mais que ce n’était pas le cas pour d’autres éléments. Elle a estimé que « la meilleure façon de décrire la question de l’interprétation du texte législatif est de parler d’une question où il y a matière à discussion » (par. 76).

[33]                         Par conséquent, la Cour d’appel a jugé qu’il était raisonnable d’interpréter l’al. 34(1) e) de la LIPR  d’une manière qui n’exigeait pas la preuve d’une conduite liée à la « sécurité nationale » ou à la « sécurité du Canada ». Elle a donc accueilli les appels, annulé les jugements de la Cour fédérale et rejeté les demandes de contrôle judiciaire.

IV.         Questions en litige

[34]                         Les présents pourvois soulèvent deux questions : (1) Quelle est la norme de contrôle applicable aux décisions administratives en cause? (2) Cette norme de contrôle a‑t‑elle été appliquée correctement dans les affaires en question?

V.           Analyse

[35]                         Dans les lignes qui suivent, j’aborde en premier lieu la question de la norme de contrôle applicable et j’explique pourquoi il s’agit de la norme de la décision raisonnable. Je résume ensuite les orientations données dans l’arrêt Vavilov sur la façon de procéder à un contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable et j’applique ces orientations aux présentes affaires. Je conclus que les motifs des décideurs administratifs comportaient des lacunes suffisamment graves sur le plan de la justification pour rendre leurs décisions déraisonnables.

A.           La norme de contrôle

[36]                         La première question concerne la norme de contrôle applicable. Comme notre Cour l’a fait remarquer, « [l]a sélection et l’application d’une norme de contrôle par le juge de révision sont assujetties à la norme de la décision correcte » (Office régional de la santé du Nord c. Horrocks, 2021 CSC 42, par. 10, citant Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559, par. 45‑47). La juridiction d’appel doit se « met[tre] à la place » de la juridiction d’instance inférieure et se concentrer sur la décision administrative qu’elle est appelée à examiner (Agraira, par. 46, citant Merck Frosst Canada Ltée c. Canada (Santé), 2012 CSC 3, [2012] 1 R.C.S. 23, par. 247, la juge Deschamps, dissidente). Selon cette approche, la juridiction d’appel « n’accorde aucune déférence à l’application de la norme de contrôle par le juge de révision », mais « procède plutôt à un examen de novo de la décision administrative » (Horrocks, par. 10, citant D. J .M. Brown, assisté de D. Fairlie, Civil Appeals (feuilles mobiles), § 14:45). Aucun de ces principes n’a été modifié par l’arrêt de notre Cour dans l’affaire Vavilov. La question que nous devons examiner est donc celle de savoir si la Cour fédérale a choisi la norme de contrôle appropriée et si elle l’a appliquée correctement (Agraira, par. 47).

[37]                         Devant notre Cour, l’appelant M. Mason et l’intervenante l’Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés soutiennent que la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte. Citant une jurisprudence antérieure à l’arrêt Vavilov, ils affirment que, puisque l’appel dont était saisie la Cour d’appel fédérale portait sur « question grave de portée générale » certifiée au titre de l’al. 74d)  de la LIPR , le choix d’une norme autre que celle de la décision correcte serait « incohérent » (m.a., par. 49, citant Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, par. 43). Le régime des questions certifiées au titre de l’al. 74d)  de la LIPR  constitue un mécanisme en vertu duquel la Cour fédérale peut, à l’issue d’un contrôle judiciaire, autoriser l’appel prévu par la loi en certifiant une question grave devant à la fois être déterminante quant à l’issue de l’appel, transcender l’intérêt des parties au litige et porter sur des enjeux ayant des conséquences importantes ou de portée générale (Lunyamila c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CAF 22, [2018] 3 R.C.F. 674, par. 46; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Laing, 2021 CAF 194, par. 11 (CanLII); voir aussi Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. XY, 2022 CAF 113, par. 7 (CanLII)). L’appelant M. Mason et l’intervenante l’Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés affirment que le régime des questions certifiées [traduction] « milite en faveur de la norme de la décision correcte » et « exprime […] la volonté spécifique que les questions de portée générale soient résolues de façon appropriée » (m.a., par. 49, citant Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 3, [2002] 1 R.C.S. 84, par. 23; voir aussi m.interv., par. 4‑10).

[38]                         Avec égards, je ne saurais souscrire à cet argument. À mon avis, la norme de contrôle applicable en ce qui concerne les décisions administratives est la norme de la décision raisonnable. Cette conclusion repose sur trois prémisses : (1) l’arrêt Vavilov a établi que la norme de contrôle qui est présumée s’appliquer à l’examen sur le fond d’une décision administrative est la norme de la décision raisonnable; (2) aucune exception reconnue à la présomption d’application de la norme de la décision raisonnable ne s’applique dans les espèces en cause ici; (3) le régime des questions certifiées établi par l’al. 74d)  de la LIPR  ne réfute pas la présomption d’application de la norme de la décision raisonnable et ne justifie pas la reconnaissance d’une nouvelle catégorie qui donnerait lieu à l’application de la norme de la décision correcte. Je vais aborder chaque point à tour de rôle.

(1)          La norme de la décision raisonnable est la norme de contrôle qui est présumée s’appliquer

[39]                         Dans l’arrêt Vavilov, notre Cour a instauré une présomption selon laquelle la norme de la décision raisonnable est celle qui s’applique lorsqu’une cour de justice contrôle une décision administrative sur le fond (par. 16; Société canadienne des postes c. Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67, [2019] 4 R.C.S. 900, par. 27). Cette présomption est réfutée dans deux types de situations qui, ensemble, correspondent à six catégories de questions à l’égard desquelles le contrôle est effectué selon la norme de la décision correcte (Vavilov, par. 17 et 69; Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Entertainment Software Association, 2022 CSC 30, par. 40). La première situation est celle où le législateur a indiqué qu’il souhaitait l’application d’une norme différente ou d’un ensemble de normes différentes, et la seconde est celle où la primauté du droit commande l’application de la norme de la décision correcte (Vavilov, par. 17). L’arrêt Vavilov établit donc une [traduction] « règle générale » de contrôle selon la norme de la décision raisonnable, « sous réserve d’exceptions limitées » (D. Mullan, « Reasonableness Review Post‑Vavilov : An “Encomium for Correctness” or Deference As Usual? » (2021), 23 C.L.E.L.J. 189, p. 200).

[40]                         La première situation, qui est fondée sur l’intention du législateur, comporte deux catégories de question à l’égard desquelles le contrôle s’effectue selon la norme de la décision correcte, à savoir lorsque le législateur a prescrit expressément la norme de contrôle applicable et lorsqu’il a prévu un mécanisme d’appel des décisions administratives devant les cours de justice, indiquant ainsi sa volonté d’assujettir ces décisions aux normes applicables en appel (Vavilov, par. 17; Société canadienne des postes, par. 27).

[41]                         En ce qui concerne la deuxième situation, l’arrêt Vavilov prévoit trois catégories de questions pour lesquelles la primauté du droit commande l’application de la norme de la décision correcte, en l’occurrence les questions constitutionnelles, les questions de droit générales d’importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et les questions liées aux délimitations des compétences respectives d’organismes administratifs (par. 17; Société canadienne des postes, par. 27).

[42]                         À l’époque où il a été rendu, l’arrêt Vavilov reconnaissait donc cinq catégories de questions qui commandaient la tenue du contrôle judiciaire selon la norme de la décision correcte : (1) les normes de contrôle fixées par la loi; (2) les mécanismes d’appel prévus par la loi; (3) les questions constitutionnelles; (4) les questions de droit générales d’importance capitale pour le système juridique dans son ensemble; et (5) les questions liées aux délimitations des compétences respectives d’organismes administratifs (par. 17 et 69).

[43]                         L’arrêt Vavilov n’a pas pour autant fermé définitivement la porte à la possibilité de reconnaître de nouvelles catégories de questions appelant la norme de la décision correcte « [d]ans des circonstances rares et exceptionnelles [. . .] lorsqu’appliquer la norme de la décision raisonnable dénaturerait l’intention du législateur ou ébranlerait la primauté du droit d’une façon analogue aux cinq catégories de questions » déjà reconnues (Société canadienne des auteurs, par. 27; Vavilov, par. 70). D’ailleurs, notre Cour a récemment reconnu une sixième catégorie de questions appelant la norme de la décision correcte dans l’arrêt Société canadienne des auteurs, qui portait sur les redevances exigibles au titre du droit d’auteur sur les œuvres mises à la disposition du public en ligne, à savoir (6) « lorsque les cours de justice et les organismes administratifs ont compétence concurrente en première instance sur une question de droit dans une loi » (par. 28). La Cour a signalé que la Commission du droit d’auteur et les cours de justice avaient compétence concurrente en première instance en ce qui concerne l’interprétation de la Loi sur le droit d’auteur , L.R.C. 1985, c. C‑42 , ce qui indique « l’intention du législateur de faire intervenir les cours de justice » (par. 31) et fait ressortir la nécessité d’interpréter la Loi sur le droit d’auteur  de façon cohérente et définitive pour assurer la primauté du droit (par. 33‑35).

[44]                         Conjuguée aux exceptions limitées à son application, la présomption d’application de la norme de la décision raisonnable met en place une méthode complète pour déterminer la norme de contrôle applicable. Ce cadre d’analyse assure la simplicité, la cohérence et la prévisibilité du droit en matière de normes de contrôle, puisque les tribunaux n’ont plus besoin de procéder à une analyse « contextuelle » compliquée pour déterminer la norme de contrôle applicable, comme ils devaient le faire avant l’arrêt Vavilov (Vavilov, par. 7 et 17).

(2)          Aucune exception reconnue à la présomption ne s’applique

[45]                         Aucune des exceptions reconnues à la présomption d’application de la norme de la décision raisonnable ne s’applique dans les présentes causes.

[46]                         Tout d’abord, le législateur n’a pas expressément prescrit la norme de contrôle applicable et il n’a pas non plus prévu par voie législative un mécanisme d’appel des décisions administratives devant une cour de justice. Les présentes affaires ont été portées devant la Cour fédérale dans le cadre de demandes de contrôle judiciaire présentées en application du par. 72(1)  de la LIPR , qui ne prescrit pas la norme de contrôle applicable.

[47]                         Ensuite, il ne s’agit pas d’un cas dans lequel la primauté du droit commande l’application de la norme de la décision correcte. L’interprétation appropriée de l’al. 34(1) e) de la LIPR  n’est pas une « question de droit générale d’une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble » au sens où l’entend l’arrêt Vavilov (par. 58‑62). Il est nécessaire de trancher de telles « questions de droit générales » de manière uniforme et cohérente en raison de leurs répercussions sur l’administration de la justice dans son ensemble ou sur d’autres institutions gouvernementales (par. 59). Ainsi, est considérée comme une question de droit générale celle qui est susceptible d’avoir des conséquences juridiques sur une vaste gamme d’autres lois ou sur le bon fonctionnement du système de justice dans son ensemble (par. 59‑61). Il ne suffit pas que la question « porte sur un enjeu important » ou qu’elle soulève une question « d’intérêt public général » (par. 61). Bien que l’interprétation à donner à l’al. 34(1)e) soit importante pour les personnes concernées et pour l’application appropriée de la LIPR , elle n’a pas d’incidence sur le système juridique ou sur l’administration de la justice dans son ensemble et elle n’a pas non plus de conséquence sur une vaste gamme d’autres lois ou sur d’autres institutions gouvernementales. Les questions soulevées concernent plutôt spécifiquement l’interprétation des conditions à respecter pour prononcer une interdiction de territoire en application de l’al. 34(1)e). De plus, l’interprétation à donner à cette disposition n’est ni une question constitutionnelle ni une question ayant trait aux délimitations des compétences respectives d’organismes administratifs, et elle n’entre pas dans la catégorie des questions appelant la norme de la décision correcte qui a été reconnue dans l’arrêt Société canadienne des auteurs. La primauté du droit ne contraint donc pas la Cour fédérale à appliquer la norme de la décision correcte pour procéder au contrôle judiciaire de l’interprétation, par un décideur administratif, de l’al. 34(1)e).

(3)          Le régime des questions certifiées établi par la LIPR  ne réfute pas la présomption

[48]                         Le régime des questions certifiées établi par l’al. 74d)  de la LIPR  ne réfute pas non plus la présomption d’application de la norme de la décision raisonnable et ne justifie pas la reconnaissance d’une nouvelle catégorie de questions assujetties à la norme de la décision correcte. Comme je vais l’expliquer, la certification par la Cour fédérale d’une question pour appel à la Cour d’appel fédérale pourvoit législativement à un appel de la décision de la Cour fédérale à la Cour d’appel fédérale, mais il ne change pas la norme de contrôle que l’une ou l’autre cour doit appliquer.

[49]                         Tout d’abord, il est évident que la décision de la Cour fédérale de certifier une question grave de portée générale au sens où il faut l’entendre pour l’application de l’al. 74d) n’a aucune incidence sur la norme de contrôle que doit appliquer la Cour fédérale elle‑même lorsqu’elle est saisie d’une demande de contrôle judiciaire en application du par. 72(1)  de la LIPR . La Cour fédérale ne certifie une question qu’après avoir rendu son jugement sur la demande de contrôle judiciaire. L’alinéa 74d) prévoit en effet que « le jugement consécutif au contrôle judiciaire n’est susceptible d’appel en Cour d’appel fédérale que si [la Cour fédérale] certifie que l’affaire soulève une question grave de portée générale et énonce celle‑ci ». De fait, la procédure de certification sert de mécanisme de contrôle en exigeant que la question ait une portée minimale suffisante pour justifier un appel devant la Cour d’appel fédérale. Comme l’a déclaré notre Cour, la certification d’une question de portée générale « peut “justifi[er]” l’appel », mais « [c]’est toujours le jugement lui‑même, et non seulement la question certifiée, qui est l’objet de l’appel » (Kanthasamy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, [2015] 3 R.C.S. 909, par. 44, citant Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, par. 12). Le régime des questions certifiées n’équivaut donc pas à des « circonstances rares et exceptionnelles » où l’application par la Cour fédérale de la norme de la décision raisonnable dénaturerait l’intention du législateur ou ébranlerait la primauté du droit d’une façon analogue aux catégories de questions déjà reconnues appelant la norme de la décision correcte (Société canadienne des auteurs, par. 27 et 41).

[50]                         Il s’agit donc de savoir si la certification d’une question grave de portée générale exige que la Cour d’appel fédérale ou notre Cour procède au contrôle judiciaire selon la norme de la décision correcte, soit à cause de l’intention du législateur que le contrôle s’effectue selon cette norme, soit parce que la primauté du droit le commande. À mon avis, la réponse à la question est négative.

[51]                         Selon la jurisprudence de notre Cour, dans le contexte de l’immigration, « [m]algré la présence d’une question certifiée, la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable » (Kanthasamy, par. 44; voir aussi Baker, par. 62). L’arrêt Vavilov n’exige pas que l’on revienne sur cette conclusion. La certification d’une question en application de l’al. 74d)  de la LIPR  n’indique pas que le législateur voulait que les juridictions d’appel appliquent la norme de contrôle de la décision correcte. Comme je l’ai déjà expliqué, la tâche de la Cour d’appel fédérale lorsqu’elle est saisie de l’appel d’une décision de la Cour fédérale dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire — y compris dans le cas d’un appel fondé sur une question certifiée — est de déterminer si la Cour fédérale a choisi la norme de contrôle appropriée, puis, si elle a correctement appliqué cette norme (Agraira, par. 45‑47; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Galindo Camayo, 2022 CAF 50, par. 38 (CanLII), citant Horrocks, par. 10). La Cour d’appel fédérale doit « se mett[re] à la place » de la Cour fédérale et appliquer la même norme de contrôle que celle que cette dernière aurait dû appliquer (Galindo Camayo, par. 38, citant Kanthasamy, par. 44). En l’espèce, la Cour fédérale devait procéder au contrôle judiciaire des décisions administratives en appliquant la norme de la décision raisonnable. La Cour d’appel fédérale devait faire de même lorsqu’elle a pris la place de la Cour fédérale pour statuer sur la question certifiée. Par conséquent, le régime des questions certifiées ne réfute pas la présomption d’application de la norme de contrôle de la décision raisonnable et ne modifie en rien la tâche qui incombe à la Cour d’appel lorsqu’elle est saisie d’un appel d’une décision de première instance rendue à l’issue d’un contrôle judiciaire.

[52]                         Qui plus est, on se souviendra que l’affaire Vavilov elle‑même concernait un appel qui avait été interjeté à la Cour d’appel fédérale sur une question de portée générale certifiée en vertu de l’al. 22.2d)  de la Loi sur la citoyenneté , L.R.C. 1985, c. C‑29 , qui prévoit — en des termes pratiquement identiques à ceux de l’al. 74d)  de la LIPR  — que « le jugement consécutif au contrôle judiciaire n’est susceptible d’appel à la Cour d’appel fédérale que si le juge certifie que l’affaire soulève une question grave de portée générale et énonce celle‑ci ». Dans l’arrêt Vavilov, notre Cour, qui procédait au contrôle judiciaire de la décision administrative en question en appliquant la norme de la décision raisonnable, a fait observer que « rien n’indique que le législateur voulait qu’une autre norme que celle de la décision raisonnable soit appliquée » (par. 170).

[53]                         Enfin, reconnaître en l’espèce l’existence d’une nouvelle catégorie de questions assujetties à la norme de la décision correcte entrerait en conflit avec l’objectif de l’arrêt Vavilov de simplifier et de rendre davantage prévisible le cadre d’analyse de la norme de contrôle en ne prévoyant que quelques exceptions limitées au principe du contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable (par. 47). Considérer que l’al. 74d) justifie un contrôle selon la norme de la décision correcte reviendrait en fait à rétablir une méthode « contextuelle » en matière de norme de contrôle et à considérer la certification d’une question grave de portée générale comme un facteur « contextuel » indiquant que la norme applicable est celle de la décision correcte, réinstaurant ainsi une approche qui a été écartée dans l’arrêt Vavilov parce qu’elle créait de l’« incertitude » et « compliqu[ait] l’analyse » (par. 7; voir aussi P. Daly, « Unresolved Issues after Vavilov » (2022), 85 Sask. L. Rev. 89, p. 91‑92 (Vavilov constitue [traduction] « un exercice de simplification et de clarification » ayant « éliminé » les « “facteurs contextuels incommodants” [. . .] de la démarche visant à déterminer la norme de contrôle applicable ».)).

(4)          Conclusion

[54]                         Je conclus qu’aucune des exceptions à la présomption d’application de la norme de la décision raisonnable ne s’applique en l’espèce. Par conséquent, la norme de contrôle des décisions de la SAI dans la cause de M. Mason et de la SI dans la cause de M. Dleiow est celle de la décision raisonnable.

B.            Contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable

[55]                         J’aborde maintenant la deuxième question en litige dans les présents pourvois : celle de savoir si les décisions administratives en cause étaient raisonnables. La présente section récapitule les orientations de l’arrêt Vavilov en ce qui concerne l’exercice du contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable et présente quelques brefs commentaires sur la méthode suivie par les cours inférieures pour procéder au contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable. Dans la section suivante, je procéderai au contrôle judiciaire des deux décisions administratives en cause en appliquant la norme de la décision raisonnable.

(1)          Orientations données dans l’arrêt Vavilov sur le contrôle des décisions administratives selon la norme de la décision raisonnable

[56]                         L’arrêt Vavilov fournit des orientations détaillées sur l’exercice du contrôle judiciaire des décisions administratives selon la norme de la décision raisonnable (par. 73‑142). Sans passer en revue tous les détails de ces orientations, on peut résumer de la façon suivante les principaux éléments du contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable.

a)              Le contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable vise à assurer la primauté du droit tout en faisant preuve de déférence

[57]                         L’arrêt Vavilov explique que le contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable « vise à donner effet à l’intention du législateur de confier certaines décisions à un organisme administratif, tout en exerçant la fonction constitutionnelle du contrôle judiciaire qui vise à s’assurer que l’exercice du pouvoir étatique est assujetti à la primauté du droit » (par. 82). Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable tire son origine du principe de la retenue judiciaire et témoigne d’un « respect envers le rôle distinct des décideurs administratifs » (par. 13), en raison du choix d’organisation institutionnelle qu’a fait le législateur en décidant de confier à des décideurs administratifs plutôt qu’à des tribunaux le pouvoir de trancher certaines questions (par. 24). Le contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable sert également à préserver « la primauté du droit » (par. 2) ainsi que « la légitimité, la rationalité et l’équité du processus administratif » (par. 13). Le contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable vise donc à assurer le respect de « la primauté du droit, tout en faisant preuve de déférence à l’égard de la décision du titulaire de pouvoirs délégués par la loi » (Société canadienne des postes, par. 29).

b)             Une méthode qui « s’intéresse avant tout aux motifs de la décision »

[58]                         Dans l’arrêt Vavilov, notre Cour a noté que, compte tenu de la déférence dont il convient de faire preuve à l’égard des décisions administratives, le contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable et celui selon la norme de la décision correcte sont « méthodologiquement distinct[s] » (par. 12). La Cour a expliqué que « [c]e qui distingue le contrôle selon la norme de la décision raisonnable du contrôle selon la norme de la décision correcte tient au fait que la cour de justice effectuant le premier type de contrôle doit centrer son attention sur la décision même qu’a rendue le décideur administratif, notamment sur sa justification, et non sur la conclusion à laquelle elle serait parvenue à la place du décideur administratif » (par. 15). Le contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable s’intéresse donc à la fois au raisonnement suivi par le décideur pour rendre sa décision et au résultat de la décision (par. 83 et 87; voir aussi Société canadienne des postes, par. 29).

[59]                         Lorsque le régime législatif ou le devoir d’équité procédurale exige des décideurs administratifs qu’ils motivent leurs décisions, les motifs « constituent le mécanisme principal par lequel les décideurs administratifs démontrent le caractère raisonnable de leurs décisions » (Vavilov, par. 81)[1]. L’objet des motifs est « d’établir “la justification de la décision [ainsi que] la transparence et [. . .] l’intelligibilité du processus décisionnel” » (par. 81). Les motifs exposés par le décideur administratif « servent à communiquer la justification de sa décision » (par. 84). Notre Cour a insisté sur le fait qu’« il ne suffit pas que la décision soit justifiable. Dans les cas où des motifs s’imposent, le décideur doit également, au moyen de ceux‑ci, justifier sa décision auprès des personnes auxquelles elle s’applique » (par. 86 (en italique dans l’original)).

[60]                         Est déraisonnable la décision dont les motifs « ne justifient pas [le résultat] de manière transparente et intelligible » (par. 136). La cour de révision doit par conséquent adopter une méthode qui « s’intéresse avant tout aux motifs de la décision » et qui évalue la justification, par le décideur administratif, de sa décision (par. 84). Elle doit « d’abord examiner les motifs donnés avec “une attention respectueuse”, et chercher à comprendre le fil du raisonnement suivi par le décideur pour en arriver à sa conclusion » (par. 84, citant D. Dyzenhaus, « The Politics of Deference : Judicial Review and Democracy », dans M. Taggart, dir., The Province of Administrative Law (1997), 279, p. 286). Comme l’a indiqué le professeur David Mullan, la méthode qui « s’intéresse avant tout aux motifs de la décision » [traduction] « marque un souci de déférence » et exige que les motifs soient « l’angle principal sous lequel s’effectue le contrôle selon la norme de la décision raisonnable » (p. 202). C’est pourquoi, explique‑t‑il, [traduction] « pour qu’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable soit véritablement empreint de déférence, son point de départ ou de mire doit être les motifs du décideur » (p. 215; voir aussi Daly (2022), p. 108‑110).

[61]                         Selon la méthode qui « s’intéresse avant tout aux motifs de la décision » de l’arrêt Vavilov, la cour de révision doit se rappeler que « les motifs écrits fournis par un organisme administratif ne doivent pas être jugés au regard d’une norme de perfection » et qu’il n’est pas nécessaire que les motifs citent « tous les arguments, dispositions législatives, précédents ou autres détails que le juge siégeant en révision aurait voulu y lire » (par. 91). Le juge chargé du contrôle doit interpréter les motifs du décideur administratif « de façon globale et contextuelle » (par. 97), « en fonction de l’historique et du contexte de l’instance dans laquelle ils ont été rendus », y compris « la preuve dont disposait le décideur, les observations des parties, les politiques ou lignes directrices accessibles au public dont a tenu compte le décideur et les décisions antérieures de l’organisme administratif en question » (par. 94). Les motifs doivent être interprétés « eu égard au dossier et en tenant dûment compte du régime administratif dans lequel ils sont donnés » (par. 103). La prise en compte de ces facteurs peut « expliquer un aspect du raisonnement du décideur qui ne ressort pas à l’évidence des motifs eux‑mêmes; [elle] peut aussi révéler que ce qui semble être une lacune des motifs ne constitue pas en définitive un manque de justification, d’intelligibilité ou de transparence » (par. 94).

[62]                         La cour de révision doit en outre éviter de procéder à un contrôle « déguisé selon la norme de la décision correcte » ou à un contrôle selon la norme de la décision correcte en prétextant vouloir appliquer la norme de la décision raisonnable (par. 294, les juges Abella et Karakatsanis souscrivant au résultat; voir aussi Wilson c. Énergie Atomique du Canada Ltée, 2016 CSC 29, [2016] 1 R.C.S. 770, par. 27, citant D. Mullan, « Unresolved Issues on Standard of Review in Canadian Judicial Review of Administrative Action — The Top Fifteen! » (2013), 42 Adv. Q. 1, p. 76‑81). Parce que « [l]e rôle des cours de justice consiste, en pareil cas, à réviser la décision », elles devraient en principe « s’abstenir de trancher elles‑mêmes la question en litige » (Vavilov, par. 83 (en italique dans l’original)). La cour de révision ne doit pas établir « son propre critère pour ensuite [s’en servir afin de] jauger ce qu’a fait l’administrateur » (par. 83, et Société canadienne des postes, par. 40, citant tous les deux Delios c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 117, par. 28 (CanLII)). La cour de révision ne doit pas non plus se demander « quelle décision elle aurait rendue à la place du décideur administratif », « tente[r] [. . .] de prendre en compte l’“éventail” des conclusions qu’aurait pu tirer le décideur », « se livre[r] [. . .] à une analyse de novo » ou « cherche[r] [. . .] à déterminer la solution “correcte” au problème » (Vavilov, par. 83; voir aussi Société canadienne des postes, par. 40). « La cour de révision n’est plutôt appelée qu’à décider du caractère raisonnable de la décision rendue par le décideur administratif — ce qui inclut à la fois le raisonnement suivi et le résultat obtenu » (Vavilov, par. 83).

[63]                         Enfin, dans l’arrêt Vavilov, notre Cour a tenu à préciser que la méthode qui « s’intéresse avant tout aux motifs de la décision » n’est pas « une “simple formalité” ni [. . .] un moyen visant à soustraire les décideurs administratifs à leur obligation de rendre des comptes » (par. 13). Il s’agit plutôt d’un « type de contrôle [. . .] rigoureux » (par. 13; voir aussi par. 12, 67 et 138), qui tient compte de « la nécessité de développer et de renforcer une culture de la justification au sein du processus décisionnel administratif » (par. 2).

c)              Indicateurs d’une décision déraisonnable

[64]                         L’arrêt Vavilov a identifié deux types de « lacunes fondamentales » indiquant qu’une décision administrative est déraisonnable : (1) le manque de logique interne du raisonnement; (2) le manque de justification compte tenu des contraintes factuelles et juridiques qui ont une incidence sur la décision (par. 101). Il n’est pas nécessaire que la cour de révision détermine si les problèmes qui rendent la décision déraisonnable appartiennent à l’une ou l’autre catégorie. Ces désignations offrent plutôt un moyen pratique d’analyser les types de questions qui peuvent révéler qu’une décision est déraisonnable (par. 101).

(i)            Manque de logique interne du raisonnement

[65]                         Un raisonnement manque de logique interne lorsque la décision n’est pas rationnelle ou logique (par. 102‑104). Une décision est déraisonnable lorsque, « lus dans leur ensemble », les motifs de la décision « ne font pas état d’une analyse rationnelle ou montrent que la décision est fondée sur une analyse irrationnelle » (par. 103). La cour de révision « doit être en mesure de suivre le raisonnement du décideur sans buter sur une faille décisive dans la logique globale » (par. 102). Elle doit « être convaincue que le raisonnement du décideur “se tient” » (par. 104).

(ii)         Manque de justification compte tenu des contraintes factuelles et juridiques

[66]                         Une décision manque de justification au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur elle lorsque qu’elle n’est pas « justifiée au regard de l’ensemble du droit et des faits pertinents » (par. 105). Les éléments du contexte juridique et factuel « constituent des contraintes qui ont une influence sur le décideur dans l’exercice des pouvoirs qui lui sont délégués » (par. 105). Le fardeau de justification varie selon les circonstances, suivant notamment le libellé des dispositions législatives pertinentes, la jurisprudence applicable, la preuve, les arguments des parties et l’incidence de la décision sur les personnes touchées. Plus les contraintes d’interprétation dans un cas donné sont importantes, plus le fardeau de justification qui pèse sur le décideur lorsqu’il s’écarte de ces contraintes est important (voir M. Popescu, « L’arrêt Vavilov : à la recherche de l’équilibre perdu entre la primauté du droit et la suprématie législative » (2021), 62 C. de D. 567, p. 603). Mentionnons, à titre d’exemples, les sept contraintes qui suivent. Comme il a été précisé dans Vavilov, « [c]es éléments ne doivent pas servir de liste de vérification pour l’exercice du contrôle selon la norme de la décision raisonnable et leur importance peut varier selon le contexte. L’objectif est simplement d’insister sur certains éléments du contexte pouvant amener la cour de révision à perdre confiance dans le résultat obtenu » (par. 106).

1.              Le régime législatif applicable

[67]                         La question de savoir si une interprétation du régime législatif applicable est justifiée « dépen[d] du contexte, notamment des mots choisis par le législateur pour décrire les limites et les contours du pouvoir du décideur » (par. 110). L’emploi de termes plus précis et plus restrictifs impose de plus grandes contraintes au décideur, tandis que le recours à « des termes généraux, non limitatifs ou nettement qualitatifs » lui accorde une plus grande souplesse (par. 110). Ce qui importe, c’est de déterminer si le décideur a « justifié convenablement son interprétation de la loi à la lumière du contexte » (par. 110).

2.              Les principes d’interprétation législative

[68]                         Comme je l’ai déjà indiqué, le tribunal qui est chargé d’évaluer le caractère raisonnable d’une décision administrative portant sur une question d’interprétation législative « ne procède pas à une analyse de novo de la question soulevée ni ne se demande “ce qu’aurait été la décision correcte” » (par. 116). Le tribunal « doit plutôt examiner la décision administrative dans son ensemble, y compris les motifs fournis par le décideur et le résultat obtenu » (par. 116).

[69]                         Bien que le décideur administratif ne soit pas tenu « dans tous les cas de procéder à une interprétation formaliste de la loi » (par. 119), sa décision doit être conforme au « principe moderne » d’interprétation législative, laquelle est axée sur le texte, le contexte et l’objet de la disposition législative. Il incombe au décideur de démontrer dans ses motifs qu’il était conscient de ces éléments essentiels (par. 120). L’omission du décideur de tenir compte d’un aspect mineur du texte, du contexte ou de l’objet de la disposition législative n’est vraisemblablement pas susceptible de compromettre sa décision dans son ensemble. De telles omissions ne justifient pas « à elles seules l’intervention judiciaire » (par. 122). Dans chaque cas, « il s’agit principalement de savoir si l’aspect omis de l’analyse amène la cour de révision à perdre confiance dans le résultat auquel est arrivé le décideur » (par. 122). Par exemple, l’interprétation par un décideur administratif pourrait être déraisonnable dans la mesure où elle ne tient pas compte de ses conséquences possiblement sévères à l’égard d’une vaste catégorie de personnes ou de la question de savoir, compte tenu de ces conséquences, si le législateur avait souhaité que la disposition s’applique de la sorte (par. 191‑192). Et même si le décideur n’a pas examiné expressément le sens d’une disposition pertinente, la cour de révision peut être en mesure de discerner l’interprétation adoptée à la lumière du dossier et se prononcer sur le caractère raisonnable de cette interprétation (par. 123).

[70]                         Pour interpréter une loi, le décideur administratif peut faire appel à son expertise spécialisée et à son expérience et s’en remettre à des considérations qu’une cour de justice n’aurait pas songé à évoquer, mais qui « enrichissent et rehaussent [. . .] [son] interprétation » (par. 93 et 119; Société canadienne des postes, par. 43). Ainsi que l’explique la professeure Audrey Macklin, les tribunaux devraient faire montre d’une [traduction] « réelle ouverture à l’égard de considérations qui ne font pas partie de l’éventail des techniques auxquelles ils recourent habituellement pour dégager le sens d’une disposition législative à la lumière de son texte, de son contexte ou de son objet. Ils peuvent ainsi tenir compte des répercussions concrètes de la disposition en cause, de sa compatibilité avec l’économie générale de la loi, etc. » (« Seven Out of Nine Legal Experts Agree : Expertise No Longer Matters (in the Same Way) After Vavilov! » (2021), 100 S.C.L.R. (2d) 249, p. 261). En se montrant réceptives à ces facteurs, les cours de justice reconnaissent que les décideurs administratifs ont un rôle à jouer dans l’élaboration du contenu des régimes qu’ils sont chargés d’appliquer (Vavilov, par. 108). Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable requiert à la fois que les décideurs administratifs démontrent leur expertise par leurs motifs et que les juges portent une « attention respectueuse » à la façon dont leurs motifs reflètent cette expertise (par. 93; P. Daly, « Vavilov and the Culture of Justification in Contemporary Administrative Law » (2021), 100 S.C.L.R. (2d) 279, p. 285‑286).

[71]                         Enfin, le tribunal qui procède au contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable peut conclure que « l’interaction du texte, du contexte et de l’objet ouvrent la porte à une seule interprétation raisonnable de la disposition législative en cause ou de l’aspect contesté de celle‑ci » (Vavilov, par. 124, citant Dunsmuir, par. 72‑76, et Nova Tube Inc./Nova Steel Inc. c. Conares Metal Supply Ltd., 2019 CAF 52). En pareil cas, même s’il devrait « généralement hésiter à se prononcer de manière définitive sur l’interprétation » d’une disposition législative, le tribunal peut conclure qu’il ne servirait à rien de renvoyer la question au décideur administratif (Vavilov, par. 124). Il convient d’insister sur le fait que la possibilité qu’une seule interprétation soit raisonnable ne saurait être le point de départ du contrôle selon la norme de la décision raisonnable, puisque cela serait contraire à la méthode qui « s’intéresse avant tout aux motifs de la décision ». Il s’agit plutôt d’une conclusion que la cour de révision peut tirer en tant que résultat au terme d’un contrôle effectué convenablement au regard de la norme de la décision raisonnable, lorsqu’elle examine la réparation à accorder.

3.              Règles législatives, règles de common law et droit international applicables

[72]                         La loi, la common law et le droit international peuvent imposer au décideur administratif certaines contraintes juridiques (par. 111 et 114). Une décision administrative sera déraisonnable si elle ne justifie pas une dérogation à un précédent contraignant (par. 112). Le droit international peut également représenter une contrainte importante, d’abord en raison du fait que la législation est réputée s’appliquer conformément aux obligations internationales du Canada et aux valeurs et principes du droit international coutumier et conventionnel, ensuite en raison du fait que le droit international peut s’avérer utile pour déterminer si une décision participe d’un exercice raisonnable du pouvoir administratif (par. 114).

4.              La preuve et les faits soumis au décideur

[73]                         À moins de circonstances exceptionnelles, la cour de révision fait preuve de retenue envers les conclusions de fait du décideur administratif (par. 125). Elle peut toutefois intervenir si la décision est déraisonnable, c’est‑à‑dire si cette dernière ne « se justifie [pas] au regard des faits » ou si « le décideur s’est fondamentalement mépris sur la preuve qui lui a été soumise ou n’en a pas tenu compte » (par. 126).

5.              Les observations des parties

[74]                         Les motifs du décideur administratif doivent « t[enir] valablement compte des questions et préoccupations centrales soulevées par les parties » (par. 127). Les motifs doivent être « adaptés » aux observations des parties, car ils sont le « principal mécanisme par lequel le décideur démontre qu’il [les] a effectivement écouté » (par. 127 (en italique dans l’original)). Même si le décideur administratif n’est pas tenu de « répond[re] à tous les arguments ou modes possibles d’analyse » avancés par les parties, le fait qu’il n’a « pas réussi à s’attaquer de façon significative aux questions clés ou aux arguments principaux formulés par les parties permet de se demander s’il était effectivement attentif et sensible à la question qui lui était soumise » (par. 128).

6.              Les pratiques et décisions antérieures du tribunal administratif

[75]                         Les décideurs administratifs devraient se soucier de l’uniformité générale de leurs décisions, même s’ils ne sont pas liés par leurs décisions antérieures au même titre que le sont les cours de justice suivant la règle du stare decisis (par. 129). Une décision sera déraisonnable si, dans ses motifs, le décideur ne s’est pas acquitté du « fardeau [qui lui incombait] d’expliquer » son choix de s’écarter « d’une pratique de longue date ou d’une jurisprudence interne constante » (par. 131).

7.              L’incidence potentielle de la décision sur l’individu visé

[76]                         L’arrêt Vavilov a également expliqué que « [l]orsque la décision a des répercussions sévères sur les droits et intérêts de l’individu visé, les motifs fournis à ce dernier doivent refléter ces enjeux » (par. 133). Le principe de la « justification adaptée aux questions et préoccupations soulevées » veut que « le décideur explique pourquoi sa décision reflète le mieux l’intention du législateur, malgré les conséquences particulièrement graves pour l’individu concerné » (par. 133). Une décision administrative peut fort bien s’avérer déraisonnable si elle ne traite pas des conséquences particulièrement graves ou sévères qu’elle est susceptible d’avoir sur l’individu touché (par. 134). Les décideurs administratifs doivent s’assurer que leurs motifs « démontrent qu’ils ont tenu compte des conséquences d’une décision et que ces conséquences sont justifiées au regard des faits et du droit » (par. 135).

[77]                         Ayant exposé les orientations données dans l’arrêt Vavilov en matière de contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable, je vais maintenant commenter brièvement la démarche suivie par les cours inférieures pour procéder au contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable.

(2)          Démarche suivie par les cours inférieures en matière de contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable

[78]                         Comme l’arrêt Vavilov n’avait pas encore été rendu lorsqu’elle était saisie de la cause de M. Mason, la Cour fédérale n’a pas appliqué la méthode qui « s’intéresse avant tout aux motifs de la décision » élaborée dans cet arrêt lors du contrôle judiciaire des décisions administratives en l’espèce. La Cour fédérale a essentiellement procédé à sa propre interprétation de l’al. 34(1)e) en se fondant sur le texte, le contexte et l’objet de la disposition (par. 38‑51), pour ensuite évaluer les décisions administratives en fonction de cette interprétation (par. 52‑62). Comme la Cour d’appel l’a fait remarquer, en procédant ainsi, la Cour fédérale a « établ[i] son propre critère pour jauger l’interprétation du décideur administratif et [l’a] modifi[ée] [parce que] l’écart entre les deux [critères était] trop grand » (par. 24). Cette méthode a été réprouvée dans l’arrêt Vavilov.

[79]                         La Cour d’appel fédérale s’est toutefois elle aussi écartée de la méthode de contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable énoncée dans l’arrêt Valivov. En effet, elle a greffé à la méthode de cet arrêt une étape supplémentaire consistant à « procéder à une analyse préliminaire du texte, du contexte et de l’objet de la loi, simplement pour comprendre l’état de la situation, avant d’examiner les motifs du décideur administratif » (par. 17). Devant notre Cour, toutes les parties ont affirmé que cette étape préliminaire était incompatible avec l’arrêt Vavilov. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration intimé — qui était par ailleurs d’accord avec la conclusion de la Cour d’appel — a fait valoir que l’approche de la Cour d’appel [traduction] « ne devrait pas être adoptée », et a insisté sur le fait que « [l]’analyse de la raisonnabilité doit, comme l’a demandé la Cour, continuer d’être axée sur les motifs du décideur et non sur un éventail de conclusions qu’une cour de révision pourrait, par hypothèse, tirer » (m.i., par. 54). Je suis du même avis. L’arrêt Vavilov indique clairement que la cour de révision doit commencer son analyse à partir des motifs du décideur administratif; prendre comme point de départ sa propre perception du fond de l’affaire risque d’amener la cour de révision à glisser vers un contrôle selon la norme de la décision correcte.

C.            Les décisions administratives étaient‑elles raisonnables?

[80]                         Je passe maintenant à la question de savoir si, dans les décisions administratives faisant l’objet du contrôle, les décideurs ont interprété de façon raisonnable l’al. 34(1) e) de la LIPR  en jugeant qu’il n’exigeait pas la preuve d’un lien entre les actes de violence en cause et la sécurité nationale ou la sécurité du Canada.

[81]                         Pour procéder au contrôle des motifs de la SAI, je garde à l’esprit la consigne donnée par notre Cour dans l’arrêt Vavilov selon laquelle la cour de révision doit procéder au contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable en tenant compte des incidences de la décision sur l’individu concerné. Le principe de la « justification adaptée aux questions et préoccupations soulevées » signifie que « [l]orsque la décision a des répercussions sévères sur les droits et intérêts de l’individu visé, les motifs fournis à ce dernier doivent refléter ces enjeux » (par. 133). En l’espèce, l’interprétation de l’al. 34(1)e) aura des incidences sur deux personnes qui risquent d’être expulsées du Canada et dont l’une n’a été reconnue coupable d’aucune infraction criminelle. Comme l’a fait observer la Cour, les individus qui sont passibles d’expulsion risquent de subir « plusieurs conséquences graves qui changeront leur vie », y compris une rupture des liens avec leur famille ou une séparation permanente d’avec celle‑ci (R. c. Wong, 2018 CSC 25, [2018] 1 R.C.S. 696, par. 72, le juge Wagner (maintenant juge en chef), dissident). Les motifs de la SAI doivent refléter ces enjeux.

[82]                         Je commencerai par résumer plus en détail l’interprétation de l’al. 34(1)e) dans les motifs de la SAI dans la cause de M. Mason, lesquels ont été suivis par la SI dans la cause de M. Dleiow. J’examinerai ensuite ce que les appelants considèrent être des lacunes des motifs de la SAI sur le plan de la justification.

(1)          Motifs de la SAI dans la cause de M. Mason

[83]                         Dans la cause de M. Mason, la SAI a conclu qu’une personne pouvait être interdite de territoire en application de l’al. 34(1) e) de la LIPR  même si elle n’est pas l’auteur d’actes de violence présentant un lien avec la sécurité nationale ou la sécurité du Canada. Elle a tranché l’appel en se fondant sur les observations écrites des parties, et elle a conclu que, dans l’esprit du législateur, l’al. 34(1)e) « [a] trait à la sécurité dans un sens plus large », qui suppose notamment de s’assurer que « les Canadiens sont à l’abri d’actes de violence susceptibles de mettre leur vie ou leur sécurité en danger » (par. 37). Voici le fil du raisonnement suivi par la SAI :

         On ne doit pas considérer l’al. 34(1)e) de façon isolée. Cette disposition doit être interprétée en appliquant l’approche moderne en matière d’interprétation des lois. Les termes employés à l’al. 34(1)e) doivent être examinés « dans leur contexte global et suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » (par. 17, citant Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, par. 21).

         Les autres alinéas du par. 34(1) sont tous liés à la sécurité nationale, ce qui peut être une indication de l’intention du législateur, sans toutefois être un facteur déterminant. Le contexte doit ressortir non seulement « du contexte immédiat, mais du régime global et de l’objet de la LIPR  » (par. 21). Les dispositions sur l’interdiction de territoire figurant à la section 4 de la partie 1 de la LIPR  s’avèrent « particulièrement pertinent[es] » (par. 21).

         Dans au moins une décision précédente, X (Re), 2017 CanLII 146735 C.I.S.R. (S. imm.) — dans laquelle un étranger aurait agressé ses ex‑petites amies au Canada, mais n’avait été reconnu coupable d’aucune infraction au Canada —, la SI avait conclu que les termes « sécurité » et « raison de sécurité » à l’al. 34(1)e) désignaient la « sécurité du Canada » ou la « sécurité nationale ». Or, pour la SAI, cette interprétation « ne concord[ait] pas avec la présomption d’uniformité des expressions » (motifs de la SAI, par. 23). Les termes « sécurité » ou « raison de sécurité » à l’art. 34 doivent avoir une signification différente des expressions « sécurité du Canada » et « sécurité nationale » qui sont employées ailleurs dans la LIPR , notamment dans la proposition « constitu[e] un danger pour la sécurité du Canada » à l’al. 34(1)d), qui sinon serait redondant.

         Le terme « sécurité » qu’un dictionnaire définit notamment comme [traduction] « état ou sentiment de sécurité », donne des indications utiles (par. 25). Il s’agit d’une « définition large » qui « n’intègre pas nécessairement le concept de sécurité nationale » (par. 25).

         Des remarques incidentes formulées dans des décisions antérieures tendent à appuyer la position du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile sur l’interprétation de l’al. 34(1)e) (par. 27 (je souligne), citant El Werfalli c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CF 612, [2014] 4 R.C.F. 673, par. 75, selon lequel « [l]’exigence de motifs raisonnables de croire qu’une organisation pourrait avoir dans le futur des activités terroristes vise à assurer la réalisation de l’objet du paragraphe 34(1) : le maintien de la sécurité nationale et de la sécurité publique »; par. 28 (je souligne), citant Fuentes c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 379, [2003] 4 C. F. 249, par. 62, dans lequel, en interprétant une disposition antérieure, l’art. 19 de la Loi sur l’immigration, L.R.C. 1985, c. I‑2, la cour avait conclu que cette disposition visait les « notions clés » de « subversion, terrorisme, crimes contre l’humanité, crimes de guerre et crimes de droit commun »).

         L’alinéa 36(1) a) de la LIPR  créée une catégorie d’interdiction de territoire fondée sur la perpétration d’une infraction criminelle au Canada, et exige une déclaration de culpabilité. À l’alinéa 34(1)e), le législateur a créé un motif distinct d’interdiction de territoire, fondée sur la conduite décrite en termes de « mise en danger de la vie et de la sécurité d’autrui au Canada » (par. 33). Les actes visés correspondent à « un sous‑ensemble de ce qui relèverait de la grande criminalité suivant l’article 36  de la LIPR  » et « [ils] se distingue[nt] [des actes] envisagé[s] par le droit pénal » (par. 33). Les articles 34 et 36 « se chevauchent, mais sont distincts » (par. 38). L’article 36 vise les infractions criminelles, tandis que l’art. 34 concerne le fait de mettre en danger la vie ou la sécurité d’autrui au Canada.

         Comme l’interdiction de territoire n’est pas une sanction pénale, le fait de conclure qu’une personne est interdite de territoire parce qu’elle est l’auteur d’actes de violence « sans doute de nature criminelle, mais n’ayant pas mené à une déclaration [de culpabilité] » (par. 35), n’est pas contraire aux valeurs canadiennes. Les actes visés à l’al. 34(1)e) « [ont] une portée restreinte et repose[nt] sur le danger qu’[ils] représente[nt] pour les Canadiens, et non le droit pénal » (par. 36).

(2)          Lacunes des motifs de la SAI sur le plan de la justification

[84]                         De toute évidence, dans ses motifs, la SAI a appliqué plusieurs techniques d’interprétation législative reconnues. Elle a fait référence à la méthode moderne d’interprétation législative; elle a tenté d’interpréter l’al. 34(1)e) en fonction du reste de l’art. 34 et du contexte plus large des motifs d’interdiction de territoire énumérés à la section 4  de la LIPR ; elle s’est appuyée sur une définition du dictionnaire du mot « sécurité »; elle a tenu compte de la présomption d’uniformité d’expression pour donner aux termes « sécurité » et « raison de sécurité » à l’al. 34(1)e) un sens distinct des expressions la « sécurité du Canada » et la « sécurité nationale » employées ailleurs dans la LIPR . En outre, elle a pris en considération la seule décision antérieure, une décision de la SI, qui avait interprété l’al. 34(1)e) et qui appuyait la thèse de M. Mason, ainsi que les remarques incidentes tirées de deux décisions de la Cour fédérale qui appuyaient à son avis la thèse du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile. Tout compte fait, la SAI a conclu que les arguments du ministre fondés sur l’interprétation devaient prévaloir sur ceux invoqués par M. Mason.

[85]                         Comme je vais le préciser, bien qu’elle ait pris en considération plusieurs des arguments de M. Mason, la SAI n’a pas tenu compte d’importantes contraintes juridiques que celui‑ci avait invoquées dans ses observations écrites, à savoir : (1) deux éléments relatifs au contexte législatif, et (2) les conséquences importantes de sa décision. Dans sa décision, la SAI n’a pas non plus pris en considération (3) les contraintes imposées par le droit international dont il faut tenir compte selon l’al. 3(3) f) de la LIPR  pour interpréter et appliquer la loi. Ces omissions démontrent que la décision de la SAI était déraisonnable.

a)              Omission de tenir compte de deux éléments importants du contexte législatif

[86]                         La SAI a omis de traiter de deux éléments importants du contexte législatif soulevés devant elle par M. Mason au soutien de son argument selon lequel l’al. 34(1)e) requiert qu’il y ait un lien entre les actes de violence en cause, d’une part, et la sécurité nationale ou la sécurité du Canada, d’autre part. Ensemble, ces omissions constituent un manquement à l’obligation de justification adaptée aux questions et préoccupations soulevées.

[87]                         Premièrement, M. Mason a soutenu devant la SAI que l’al. 34(1)e) requiert l’existence d’un lien entre les actes de violence en cause, d’une part, et la sécurité nationale ou la sécurité du Canada, d’autre part, notamment parce que les cas dans lesquels le ministre peut exempter quelqu’un de l’interdiction de territoire prévue à l’art. 34 (raison de sécurité) sont plus limités que ceux dans lesquels le ministre peut accorder cette exemption au titre de l’art. 36 (grande criminalité et criminalité). Selon lui, le fait que les cas dans lesquels on peut demander d’être exempté d’une interdiction de territoire sont plus limités à l’art. 34 tend à démontrer que ce dernier vise une forme [traduction] « grave » d’interdiction de territoire pour des raisons de « sécurité nationale » (d.a., vol. II, p. 30).

[88]                         Monsieur Mason a présenté sa thèse de la façon suivante. Les circonstances dans lesquelles l’étranger interdit de territoire pour des raisons de sécurité en application de l’art. 34 peut demander une exemption au ministre sont limitées : le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile peut déclarer que les faits visés à l’art. 34 « n’emportent pas interdiction de territoire à l’égard de l’étranger si celui‑ci le convainc que cela ne serait pas contraire à l’intérêt national » (LIPR , par. 42.1(1) ). En revanche, l’étranger interdit de territoire en application de l’art. 36 parce qu’il a été déclaré coupable au Canada d’une infraction criminelle a davantage de recours : il peut obtenir du ministre la levée de son interdiction de territoire lorsque des considérations d’ordre humanitaire le justifient (par. 25(1)), et il ne peut être interdit de territoire si son casier judiciaire pour l’infraction en cause est suspendu au titre de la Loi sur le casier judiciaire , L.R.C. 1985, c. C‑47  (LIPR , al. 36(3) b)).

[89]                         En l’espèce, par exemple, comme M. Mason n’a pas été déclaré coupable d’une infraction criminelle et que les actes qu’on lui reproche entraîneraient son interdiction de territoire selon l’interprétation de l’al. 34(1)e) retenue par la SAI, il ne pourrait obtenir une exemption que s’il convainquait le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile que cette mesure d’exception ne serait pas contraire à « l’intérêt national ». Cependant, si M. Mason avait été déclaré coupable d’une infraction criminelle pour les mêmes actes, il aurait pu demander au ministre de lever son interdiction de territoire pour des considérations d’ordre humanitaire et aurait échappé à toute interdiction de territoire dans l’hypothèse où, après sa déclaration de culpabilité, il aurait tiré avantage d’un pardon au titre de la Loi sur le casier judiciaire .

[90]                         Selon M. Mason, puisque les recours ouverts à une personne interdite de territoire pour raison de sécurité en application de l’art. 34 sont plus limités que les recours ouverts aux personnes interdites de territoire pour criminalité en application de l’art. 36, l’art. 34 fait partie des [traduction] « formes graves d’interdiction de territoire » et devrait « être interprété au regard de la sécurité nationale » (d.a., vol. II, p. 30).

[91]                         Lorsqu’on les considère en tenant compte du contexte et à la lumière du dossier, il appert que les motifs de la SAI ne traitent pas de cet argument contextuel important. Bien qu’il puisse ne pas être déterminant en soi, cet argument étayait la position de M. Mason et imposait une contrainte juridique importante à l’interprétation de l’al. 34(1)e).

[92]                         Deuxièmement, M. Mason a soutenu devant la SAI que l’al. 34(1)e) requiert l’existence d’un lien entre les actes de violence en cause et la sécurité nationale ou la sécurité du Canada notamment parce que le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration doit tenir compte de critères différents lorsqu’il effectue un [traduction] « exame[n] des risques avant renvoi » selon que l’étranger est interdit de territoire en application de l’art. 34 (raison de sécurité) ou de l’art. 36 (grande criminalité et criminalité) (d.a., vol. II, p. 30‑31). À son avis, dans le contexte d’un examen fondé sur l’art. 36, le ministre doit se demander si la personne constitue un danger pour le public au Canada. En revanche, dans le contexte d’un examen fondé sur l’art. 34, il doit se demander si cette personne constitue un danger pour la sécurité du Canada. Selon l’appelant, cette distinction étaye sa position selon laquelle les raisons de sécurité visées à l’art. 34 requièrent un lien entre les actes de violence en cause et la sécurité nationale ou la sécurité du Canada.

[93]                         L’examen des risques avant renvoi est un processus par lequel la LIPR  permet à la personne visée par une mesure de renvoi de demander la protection du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, laquelle a pour effet de lui conférer l’asile ou de surseoir à la mesure de renvoi dont elle fait l’objet (art. 112 et par. 114(1)). Lorsqu’il est saisi d’une demande d’examen des risques avant renvoi, le ministre doit, dans chaque cas, se demander si la personne risque d’être soumise à la torture ou de faire l’objet d’une menace à sa vie ou de traitements ou peines cruels et inusités (art. 97). Dans le cas d’une personne interdite de territoire en application du par. 36(1) pour grande criminalité, le ministre doit aussi examiner si elle « constitue un danger pour le public au Canada » (sous‑al. 113d)(i)). Par contre, dans le cas d’une personne interdite de territoire pour des raisons de sécurité en application de l’art. 34, le ministre doit, en plus de considérer les éléments énumérés à l’art. 97, se demander si « la demande devrait être rejetée en raison de la nature et de la gravité de ses actes passés ou du danger qu’il constitue pour la sécurité du Canada » (sous‑al. 113d)(ii)).

[94]                         Monsieur Mason a plaidé devant la SAI que le fait que le législateur a prévu ces facteurs différents pour l’examen des risques avant renvoi indique qu’il a estimé que les actes visés à l’art. 36 posaient un danger pour le public au Canada, tandis que ceux visés à l’art. 34 constituaient un danger pour la sécurité du Canada (d.a., vol. II, p. 30‑31). Monsieur Mason y voit un appui en faveur de sa thèse selon laquelle les raisons de sécurité dont il est question à l’art. 34 requièrent un lien entre les actes de violence en cause et la sécurité nationale ou la sécurité du Canada.

[95]                         Là encore, les motifs de la SAI ne traitent pas de cet argument contextuel important qui, sans être en soi déterminant, étayait la position de M. Mason et imposait une contrainte juridique importante à l’interprétation de l’al. 34(1)e).

[96]                         La Cour fédérale a admis que la SAI n’avait pas abordé ces deux arguments contextuels importants qui avaient été soulevés par M. Mason (par. 53). La Cour d’appel fédérale a au contraire estimé que la SAI avait tenu « implicitement » compte de ces deux arguments (par. 59). Selon elle, « [à] supposer que la [SAI] ait omis de mentionner certains éléments dans son analyse du texte, du contexte et de l’objet, il ne s’agit pas d’une lacune fondamentale » (par. 59). De l’avis de la Cour d’appel fédérale, « bien qu’on puisse lui reprocher de ne pas avoir mentionné dans ses motifs certains éléments du texte, du contexte et de l’objet », on peut conclure « d’après la qualité du raisonnement global de la [SAI], que celle‑ci a jugé que d’autres éléments l’emportaient sur ceux qui ont été omis » (par. 59).

[97]                         Avec égards, je ne puis souscrire à l’opinion de la Cour d’appel. Selon moi, rien ne permet de conclure que la SAI a tenu compte de ces deux éléments importants du contexte législatif, même implicitement. Monsieur Mason en a expressément fait des éléments essentiels de sa thèse. Le fait que la SAI n’en a pas traité, tandis qu’elle a examiné d’autres éléments, permet de se demander si elle s’est montrée attentive et sensible à ces questions (Vavilov, par. 127‑128). Les motifs sont le principal mécanisme par lequel la SAI pouvait démontrer qu’elle avait effectivement écouté M. Mason (par. 127). Selon moi, dans ses motifs, la SAI a négligé de tenir compte de deux arguments clés soulevés par M. Mason — et elle s’y est encore moins attaqué de manière sérieuse. Les motifs de la SAI ne satisfaisaient donc pas à la norme fixée par l’arrêt Vavilov en ce qui concerne la justification adaptée aux questions et préoccupations soulevées (par. 127).

b)             Omission de tenir compte de conséquences potentiellement importantes

[98]                         La SAI n’a pas non plus tenu compte de l’argument de M. Mason selon lequel interpréter l’al. 34(1)e) en considérant qu’il n’exige pas un lien entre les actes de violence en cause et la sécurité nationale ou la sécurité du Canada entraînerait deux conséquences importantes qui, selon lui, constitueraient une entorse au principe d’interprétation des lois selon lequel le législateur ne peut avoir voulu des conséquences absurdes (Rizzo, par. 27; Vavilov, par. 120). Le fait que la SAI n’a pas tenu compte de ces deux conséquences importantes constitue un autre manquement à son obligation de justification adaptée aux questions et préoccupations soulevées.

[99]                         Monsieur Mason a tout d’abord fait valoir qu’interpréter l’al. 34(1)e) sans y voir l’exigence d’un lien entre les actes de violence en cause et la sécurité nationale ou la sécurité du Canada signifierait que [traduction] « tout acte de violence commis contre une autre personne entraînerait vraisemblablement l’une des formes les plus graves d’interdiction de territoire » (d.a., vol. II, p. 31). Selon lui, les actes de violence visés par l’al. 34(1)e) engloberaient tant les [traduction] « querelles conjugales » que les « bagarres dans un bar ou dans une cour d’école » (p. 31). Je relève que, contrairement à la déclaration de culpabilité qui exige une preuve hors de tout doute raisonnable et qui emporte interdiction de territoire en application de l’art. 36, les faits donnant lieu à une interdiction de territoire en application de l’art. 34 sont assujettis à un critère beaucoup moins exigeant, à savoir l’existence de « faits [. . .] appréciés sur la base de motifs raisonnables de croire qu’ils sont survenus, surviennent ou peuvent survenir » (LIPR , art. 33 ). L’alinéa 34(1)e) s’appliquerait donc à tout « acte de violence » — passé, présent ou futur — « susceptible » de « mettre en danger la vie ou la sécurité » « d’autrui au Canada ». Monsieur Mason a soutenu qu’il serait absurde que de tels actes soient visés par l’al. 34(1)e).

[100]                     Contrairement à la Cour d’appel fédérale, je ne considère pas que la SAI a tenu compte de cet argument dans ses motifs. La Cour d’appel fédérale a estimé que, dans ses motifs, la SAI avait interprété le terme « sécurité » comme visant « des actes assez graves pour être susceptibles de mettre en danger la vie, et pas seulement de causer des préjudices mineurs » (par. 57). Elle a fondé sa conclusion sur le fait que la SAI avait fait observer que l’al. 34(1)e) a « une portée restreinte et repose sur le danger [que les actes qu’il vise] représente[nt] pour les Canadiens, et non le droit pénal ». Or, la SAI faisait cette affirmation pour expliquer que les conséquences en immigration au titre de la LIPR  n’étaient pas des sanctions pénales et qu’elles étaient assujetties à des normes de preuve différentes; elle n’a pas dit que l’al. 34(1)e) ne s’appliquait qu’à une catégorie restreinte d’actes de violence particulièrement graves au point d’être susceptibles de mettre en danger la vie. Comme l’a expliqué la SAI :

                    . . . les conséquences en immigration au titre de la LIPR  ne sont pas des sanctions pénales. Le droit pénal et la LIPR  ont des objets différents. La LIPR  suit un régime différent qui comprend, par exemple, une norme de preuve moins exigeante. Il est possible d’être interdit de territoire pour une conduite qui n’a pourtant pas donné lieu à une déclaration de culpabilité. La conduite décrite à l’alinéa 34(1)e) a une portée restreinte et repose sur le danger qu’elle représente pour les Canadiens, et non le droit pénal. [par. 36]

[101]                     Avec égards, la Cour d’appel a vu dans les motifs de la SAI une justification que la SAI n’avait pas elle‑même donnée, contrairement à la mise en garde de l’arrêt Vavilov selon laquelle « il n’est pas loisible à la cour de révision de faire abstraction du fondement erroné de la décision et d’y substituer sa propre justification du résultat » (par. 96). Notre Cour a averti qu’« [a]utoriser une cour de révision à agir ainsi reviendrait à permettre à un décideur de se dérober à son obligation de justifier, de manière transparente et intelligible pour la personne visée, le fondement pour lequel il est parvenu à une conclusion donnée » (par. 96).

[102]                     En ce qui a trait à la deuxième conséquence importante, M. Mason avait fait valoir devant la SAI que, si l’on interprétait l’al. 34(1)e) sans y voir l’exigence d’un lien entre les actes de violence en cause et la sécurité nationale ou la sécurité du Canada, on [traduction] « ferait fi des restrictions prévues à l’al. 36(3)e) relativement aux jeunes contrevenants » (d.a., vol. II, p. 31‑32). L’alinéa 36(3) e) de la LIPR  prévoit que le résident permanent ou l’étranger qui est déclaré coupable sous le régime de la Loi sur les jeunes contrevenants , L.R.C. 1985, c. Y‑1 , ou qui a reçu une peine spécifique en vertu de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents , L.C. 2002, c. 1 , ne peut être déclaré interdit de territoire en vertu du par. 36(1) (grande criminalité) ou du par. 36(2) (criminalité). De fait, à l’al. 36(3)e), le législateur a soustrait les adolescents de l’application des dispositions relatives à l’interdiction de territoire pour la plupart des infractions criminelles. Or, selon l’interprétation que la SAI a faite de l’al. 34(1)e), les adolescents pourraient être déclarés interdits de territoire pour tout acte de violence susceptible de mettre en danger la vie ou la sécurité d’autrui au Canada, même en l’absence de lien entre les actes de violence en cause et la sécurité nationale ou la sécurité du Canada, et ce, même s’ils n’ont fait l’objet d’aucune déclaration de culpabilité.

[103]                     Ni la SAI ni la Cour d’appel fédérale ne se sont penchées sur cette incompatibilité entre l’interprétation de l’al. 34(1)e) par la SAI et le régime d’interdiction de territoire de la LIPR  applicable aux adolescents. Cette omission n’était pas un aspect mineur du contexte interprétatif de l’al. 34(1)e) et la question aurait dû être abordée.

c)              Omission de tenir compte des contraintes imposées par le droit international

[104]                     Enfin, la SAI n’a pas tenu compte des contraintes juridiques qui lui étaient imposées par le droit international pour interpréter l’al. 34(1)e). Comme je vais l’expliquer, selon l’interprétation retenue par la SAI, il serait possible de renvoyer des étrangers dans des pays où ils risquent d’être persécutés, ce qui va à l’encontre de l’obligation de non‑refoulement imposée au Canada aux termes de l’article 33 de la Convention relative aux réfugiés. En revanche, interpréter l’al. 34(1)e) en y voyant l’exigence d’un lien entre les actes de violence en cause et la sécurité nationale ou la sécurité du Canada signifie qu’une mesure de renvoi ne contreviendrait pas à l’article 33. Bien que cet argument ne lui ait pas été soumis, la SAI était tenue, de par sa loi constitutive, d’interpréter et d’appliquer la LIPR  conformément aux obligations internationales du Canada en matière de droits de la personne, y compris l’obligation de non‑refoulement imposée au Canada au titre de l’article 33 de la Convention relative aux réfugiés.

[105]                     L’arrêt Vavilov a souligné que le droit international peut représenter une « contrainte importante pour un décideur administratif », notamment en raison de la présomption d’interprétation législative selon laquelle la « législation est réputée s’appliquer conformément aux obligations internationales du Canada » (par. 114). Or, celui‑ci a ratifié la Convention relative aux réfugiés de 1951 ainsi que le Protocole de 1967 (Németh c. Canada (Justice), 2010 CSC 56, [2010] 3 R.C.S. 281, par. 17). Ces instruments internationaux en matière de droits de la personne auxquels le Canada est partie font intervenir la présomption interprétative selon laquelle la loi est conforme au droit international.

[106]                     La présomption de conformité au droit international est d’autant plus forte lorsqu’il s’agit d’interpréter la LIPR , parce que le législateur y a inséré deux dispositions qui « rendent explicite [son] intention présumée [. . .] de se conformer aux obligations internationales du Canada » (B010 c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 58, [2015] 3 R.C.S. 704, par. 49). Tout d’abord, l’al. 3(2) b) de la LIPR  indique expressément que l’un des objectifs de cette dernière est « de remplir les obligations en droit international du Canada relatives aux réfugiés et aux personnes déplacées et d’affirmer la volonté du Canada de participer aux efforts de la communauté internationale pour venir en aide aux personnes qui doivent se réinstaller ». D’ailleurs, notre Cour a qualifié la LIPR de « principal instrument de mise en œuvre des obligations internationales du Canada à l’endroit des réfugiés » (Németh, par. 21). Ensuite, l’al. 3(3) f) de la LIPR  enjoint aux cours de justice et aux décideurs administratifs d’interpréter et d’appliquer la LIPR  d’une manière « conform[e] aux instruments internationaux portant sur les droits de l’homme dont le Canada est signataire » (B010, par. 49). Notre Cour a affirmé qu’« [i]l ne fait aucun doute que la Convention relative aux réfugiés est un instrument de cette nature, qui s’appuie sur le droit de toute personne de chercher asile et de bénéficier de l’asile en d’autres pays devant la persécution, comme l’indique l’art. 14 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, A.G. Rés. 217 A (III), Doc. N. U. A/810, p. 71 (1948) » (par. 49). Par conséquent, la Convention relative aux réfugiés est « est déterminant[e] quant à la façon d’interpréter et de mettre en œuvre la LIPR , en l’absence d’une intention législative contraire » (de Guzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 436, [2006] 3 R.C.F. 655, par. 87; B010, par. 49).

[107]                     Les dispositions de la Convention relative aux réfugiés traitant de « l’expulsion et du refoulement » forment le noyau de la protection accordée aux réfugiés (Németh, par. 18). L’article 33, qui a été expressément incorporé dans la LIPR  (art. 115 ), interdit d’expulser ou de refouler, de quelque manière que ce soit, un réfugié vers un pays où il risque la persécution, sauf s’il est considéré comme un danger pour la sécurité du pays d’accueil ou a été reconnu coupable d’un crime grave. L’article 33 de la Convention relative aux réfugiés est ainsi libellé :

                    Article 33

                    Défense d’expulsion et de refoulement

                    1.  Aucun des États Contractants n’expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques.

                    2.  Le bénéfice de la présente disposition ne pourra toutefois être invoqué par un réfugié qu’il y aura des raisons sérieuses de considérer comme un danger pour la sécurité du pays où il se trouve ou qui, ayant été l’objet d’une condamnation définitive pour un crime ou délit particulièrement grave, constitue une menace pour la communauté dudit pays.

[108]                     Le paragraphe 33(1) consacre le principe du non‑refoulement, qui a été qualifié de « pierre angulaire du régime international de protection des réfugiés » et qui, de façon générale, « interdit le renvoi direct ou indirect de réfugiés dans des territoires où ils risquent d’être victimes de violations des droits de la personne » (Németh, par. 18‑19). Le paragraphe 33(2), qui prévoit une exception bien précise au principe du non‑refoulement énoncé à l’article 33(1), permet le renvoi de ces personnes dans des circonstances exceptionnelles, notamment lorsqu’il y a des raisons sérieuses de considérer le réfugié comme un danger pour la sécurité du pays où il se trouve ou lorsque le réfugié a été l’objet d’une condamnation définitive pour un crime ou délit particulièrement grave et constitue une menace pour la communauté dudit pays (voir Febles c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CSC 68, [2014] 3 R.C.S. 431, par. 25). L’article 42 de la Convention relative aux réfugiés prévoit par ailleurs que les États ayant ratifié la Convention ne peuvent formuler de réserves au sujet de la protection contre le refoulement prévue à l’article 33 (Németh, par. 18). Le principe du non‑refoulement est généralement reconnu comme étant une norme de droit international coutumier (voir Procureur c. Germain Katanga, ICC‑01/04‑01/07, Décision relative à la demande de mise en liberté des témoins détenus, 1er octobre 2013 (Chambre de première instance II), par. 30; Zaoui c. Attorney‑General (No 2), [2005] 1 N.Z.L.R. 690 (C.A.), par. 34‑35; S. E. Lauterpacht et D. Bethlehem, « The scope and content of the principle of non‑refoulement : Opinion », dans E. Feller, V. Türk et F. Nicholson, dir., Refugee Protection in International Law : UNHCR’s Global Consultations on International Protection (2003), 87, par. 193‑253; H. Lambert, « Customary Refugee Law », dans C. Costello, M. Foster et J. McAdam, dir., The Oxford Handbook of International Refugee Law (2021), 240, p. 242‑249; et Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, Avis consultatif sur l’application extra‑territoriale des obligations de non‑refoulement en vertu de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés et de son Protocole de 1967 (2007), par. 14‑16).

[109]                     L’interprétation de la SAI permettrait de refouler un étranger qui a été déclaré interdit de territoire en application de l’al. 34(1)e), ce qui est contraire au par. 33(1) de la Convention relative aux réfugiés. En effet, selon l’interprétation de la SAI, un étranger pourrait être expulsé vers un pays où il risque d’être persécuté une fois qu’il a été déclaré interdit de territoire en application de l’al. 34(1)e), et ce, même s’il n’a pas été établi qu’il représente un danger pour la sécurité du Canada ou s’il n’a pas été reconnu coupable d’une infraction grave. Une telle personne pourrait invoquer le bénéfice du par. 33(1) de la Convention relative aux réfugiés, puisque les exceptions prévues au par. 33(2) ne s’appliqueraient pas. Selon la conception que la SAI se fait de l’interdiction de territoire prévue à l’al. 34(1)e), il ne serait pas nécessaire d’avoir des « raisons sérieuses » de considérer l’étranger comme un « danger pour la sécurité » du Canada ou qu’il ait « été l’objet d’une condamnation définitive pour un crime ou délit particulièrement grave ».

[110]                     La personne qui serait ainsi passible de renvoi ne pourrait bénéficier de la protection contre le refoulement que lui accorde le par. 33(1) par le truchement de l’examen des risques avant renvoi prévu par la LIPR . Bien qu’il fût loisible à cette personne de demander au ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration d’effectuer un examen des risques avant renvoi (LIPR , art. 112 ), les motifs énumérés au par. 33(1) de la Convention relative aux réfugiés ne font pas partie de ceux dont le ministre doit tenir compte pour déterminer le risque auquel serait exposée cette personne en cas de refus de surseoir à la mesure de renvoi la visant. Le ministre n’est pas appelé à déterminer si la personne a qualité de « réfugié au sens de la Convention », c’est‑à‑dire si elle craint avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques (art. 96). Le ministre doit plutôt seulement se demander : (1) si la demande de sursis à l’exécution de la mesure de renvoi doit être refusée en raison de la nature et de la gravité des actes passés de cette personne ou du danger qu’elle constitue pour la sécurité du Canada; et (2) si le renvoi de cette personne l’exposerait au risque d’être soumise à la torture ou à une menace à sa vie, ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités (par. 97(1) et sous‑al. 113d)(ii)). Par conséquent — comme l’a reconnu à juste titre le ministre intimé —, le ministre ne tient pas compte des formes de persécution prévues au par. 33(1) (m.i., par. 106). Aussi, malgré l’existence de plusieurs « soupapes de sécurité » sous le régime de la LIPR , lesquelles prévoient des exceptions discrétionnaires à l’application des règles générales d’irrecevabilité des demandes d’asile (voir Conseil canadien pour les réfugiés c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CSC 17, par. 43‑48), aucune de ces exceptions discrétionnaires ne répond à la préoccupation que l’interprétation de l’al. 34(1)e) par la SAI permettrait, de façon générale, la prise de mesures de renvoi sans protection contre le refoulement, en contravention du par. 33(1) de la Convention relative aux réfugiés.

[111]                     Par conséquent, interpréter l’al. 34(1) e) de la LIPR  en considérant qu’il n’exige pas un lien entre les actes de violence en cause et la sécurité nationale ou la sécurité du Canada — comme l’a fait la SAI — pourrait exposer des personnes au risque d’être refoulées, contrairement au par. 33(1) de la Convention relative aux réfugiés. En revanche, interpréter l’al. 34(1)e) en y voyant l’exigence d’un tel lien entraînerait l’application de l’exception prévue au par. 33(2) à la faculté de se prévaloir de la protection du par. 33(1) de la Convention relative aux réfugiés, de sorte que la mesure de renvoi prise dans de telles circonstances ne violerait pas l’obligation de non‑refoulement du Canada.

[112]                     Le ministre intimé affirme que les par. 115(1)  et (2)  de la LIPR  constituent une mesure de protection contre le refoulement et qu’ils [traduction] « satisf[ont] aux obligations internationales du Canada en veillant à ce que le réfugié au sens de la Convention ou la personne protégée ne perde le bénéfice du non‑refoulement et ne soit renvoyé du Canada que dans des situations exceptionnelles » (m.i., par. 125). Le paragraphe 115(1) interdit de renvoyer certaines personnes dans un pays où elles risquent la persécution, et le par. 115(2) prévoit quelques exceptions à cette interdiction :

                    Principe

                    115 (1) Ne peut être renvoyée dans un pays où elle risque la persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques, la torture ou des traitements ou peines cruels et inusités, la personne protégée ou la personne dont il est statué que la qualité de réfugié lui a été reconnue par un autre pays vers lequel elle peut être renvoyée.

                    Exclusion

                    (2) Le paragraphe (1) ne s’applique pas à l’interdit de territoire :

                         a) pour grande criminalité qui, selon le ministre, constitue un danger pour le public au Canada;

                         b) pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux ou criminalité organisée si, selon le ministre, il ne devrait pas être présent au Canada en raison soit de la nature et de la gravité de ses actes passés, soit du danger qu’il constitue pour la sécurité du Canada.

Selon le ministre, si une personne interdite de territoire en application de l’al. 34(1)e) fait l’objet d’une mesure de renvoi exécutoire, les par. 115(1) et (2) empêchent son refoulement, sauf dans des circonstances limitées, et il n’est donc pas nécessaire d’interpréter l’al. 34(1)e) en y voyant l’exigence d’un lien entre les actes de violence en cause et la sécurité nationale ou la sécurité du Canada.

[113]                     Je suis en désaccord avec l’argument du ministre pour deux raisons. Premièrement, bien que ce dernier ait raison de dire que les exceptions prévues au par. 115(2) s’appliquent dans des circonstances bien précises, il n’en demeure pas moins qu’elles permettent de refouler des personnes interdites de territoire en application de l’al. 34(1)e) dans des situations qui ne sont pas visées par les exceptions prévues au par. 33(2). Comme nous l’avons vu, le par. 33(2) prévoit des exceptions au principe du non‑refoulement dans le cas des personnes qu’il y a des raisons sérieuses de considérer comme un danger pour la sécurité du pays d’accueil ou qui, ayant été l’objet d’une condamnation définitive pour un crime ou délit particulièrement grave, constituent une menace pour la société. Le paragraphe 115(2) admet toutefois le refoulement dans d’autres circonstances. Il exige seulement que le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration soit d’avis que cette personne ne devrait pas être présente au Canada en raison : (1) soit de la nature et de la gravité de ses actes passés, (2) soit du danger qu’elle constitue pour la sécurité du Canada. Elle permet donc au ministre d’autoriser le refoulement en raison de « la nature et de la gravité » d’actes qui n’ont aucun lien avec « la sécurité du pays ».

[114]                     Deuxièmement, le par. 115(1) accorde une protection à une catégorie plus restreinte de personnes que celles qui sont protégées contre le refoulement par la Convention relative aux réfugiés. Le paragraphe 115(1) ne protège que « la personne protégée ou la personne dont il est statué que la qualité de réfugié lui a été reconnue par un autre pays vers lequel elle peut être renvoyée ». En revanche, l’article 33 protège « un réfugié », et n’exige donc pas que la qualité de réfugié lui ait déjà été reconnue (Convention relative aux réfugiés, art. 1; Protocole, article 1; G. c. G., [2021] UKSC 9, [2022] A.C. 544, par. 81 ([traduction] « L’obligation de ne pas refouler un individu s’impose en raison du fait que les circonstances dans lesquelles il se trouve correspondent à la définition de “réfugié”, et non parce qu’un État contractant reconnaît que les critères de la définition sont respectés »)). Par voie de conséquence, si l’al. 34(1)e) s’appliquait à des actes qui ne sont pas liés à la sécurité nationale ou à la sécurité du Canada, le par. 115(1) permettrait au ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration de refouler des demandeurs d’asile, ce qui serait contraire au par. 33(1) de la Convention relative aux réfugiés.

[115]                     Le fait que ni M. Mason ni M. Dleiow ne soient des demandeurs d’asile ne change rien à cette conclusion. La Convention relative aux réfugiés impose une contrainte juridique importante à l’interprétation de l’al. 34(1)e) en général, que l’étranger passible d’expulsion soit ou non un demandeur d’asile.

[116]                     La Cour d’appel fédérale a refusé d’examiner cet argument au motif qu’il n’avait pas été plaidé devant la SAI et que « certains documents d’information et d’autres instruments nécessaires à la compréhension des obligations internationales ne [lui avaient] pas été présentés en preuve » (par. 73‑74). La cour n’a pas précisé quels documents et instruments pouvaient manquer.

[117]                     Quoi qu’il en soit, le rôle que joue la Convention relative aux réfugiés pour encadrer l’interprétation de la LIPR  est une question de droit que le législateur a, aux termes de l’al. 3(3)f), expressément enjoint aux tribunaux judiciaires et aux décideurs administratifs de prendre en considération. Le défaut de la SAI de tenir compte de cette question ne constituait pas une omission portant sur un « aspect mineur du contexte interprétatif » (Vavilov, par. 122). Par cette omission, la SAI a plutôt fait fi du principe du non‑refoulement — la « pierre angulaire du régime international de protection des réfugiés » — et elle a fait abstraction d’une contrainte juridique essentielle imposée à l’interprétation de la LIPR , une contrainte dont le législateur a décrété qu’elle devait être prise en compte pour interpréter et appliquer la LIPR . Étant donné cette omission cruciale, la décision rendue par la SAI était déraisonnable.

D.           Conclusion et réparation

[118]                     Dans ses motifs de décision dans la cause de M. Mason, la SAI a omis d’aborder des éléments essentiels du contexte législatif et de tenir compte des conséquences importantes de son interprétation de l’al. 34(1) e) de la LIPR , des éléments sur lesquels M. Mason avait insisté dans les observations écrites qu’il a présentées devant elle. Ces omissions n’étaient pas mineures; elles étaient importantes. Elles témoignent du non‑respect, par la SAI, de son obligation de « justification adaptée aux questions et préoccupations soulevées ». La SAI a également omis d’interpréter et d’appliquer l’al. 34(1)e) conformément à l’obligation de non‑refoulement imposée au Canada en application de la Convention relative aux réfugiés, alors qu’il s’agissait là aussi d’une question dont le législateur lui enjoignait de tenir compte. Cumulativement, ces omissions ont rendu la décision de la SAI déraisonnable.

[119]                     La décision de la SI dans la cause de M. Dleoiw, qui a simplement suivi l’interprétation de l’al. 34(1) e) de la LIPR  donnée par la SAI dans la cause de M. Mason, était déraisonnable pour les mêmes raisons.

[120]                     L’arrêt Vavilov a précisé que, même si la cour qui procède au contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable n’est pas chargée de déterminer l’interprétation « correcte » d’une disposition législative contestée, il peut devenir évident aux yeux de la cour, lors du contrôle judiciaire, que les contraintes pertinentes auxquelles était assujetti le décideur militent « si fortement » en faveur d’une interprétation qu’elles n’ouvrent la porte qu’à une seule interprétation raisonnable de la disposition en cause (par. 124, citant et approuvant Nova Tube, par. 61 (CanLII), le juge Laskin). Notre Cour a fait observer que, compte tenu des contraintes applicables, il se peut qu’un résultat donné soit « inévitable » (Vavilov, par. 142). En pareil cas, même si « les cours de justice devraient généralement hésiter à se prononcer de manière définitive sur l’interprétation d’une disposition qui relève de la compétence d’un décideur administratif », il ne servirait à rien de renvoyer la question de l’interprétation au décideur initial (par. 124). Cette conclusion était non pas le point de départ de l’analyse de la Cour selon la norme de la décision raisonnable, mais bien le résultat auquel elle est arrivée au terme d’un examen approprié.

[121]                     C’est aussi le cas en l’espèce. Cumulativement, les contraintes juridiques pertinentes mènent inéluctablement à une seule interprétation raisonnable de l’al. 34(1)e) : la disposition requiert un lien avec la sécurité nationale ou la sécurité du Canada. Cette interprétation est confirmée par le fait que les actes visés à l’al. 34(1)e) font partie de ceux qui, selon l’art. 34, emportent interdiction de territoire pour « raison de sécurité » et qui présentent tous un lien avec la sécurité nationale ou la sécurité du Canada. Et bien que la SAI ait signalé que certaines contraintes d’interprétation convergeaient dans la direction contraire, les deux éléments essentiels du contexte législatif qu’elle n’a pas pris en considération, en particulier les contraintes juridiques imposées par le droit international, appuyaient fermement la conclusion contraire : l’al. 34(1)e) ne peut être invoqué pour interdire de territoire une personne que si les actes de violence dont elle est l’auteur et qui sont « susceptible[s] de mettre en danger la vie ou la sécurité d’autrui au Canada » ont un lien avec la sécurité nationale ou la sécurité du Canada.

[122]                     Par conséquent, la décision de la SAI dans la cause de M. Mason et celle de la SI dans la cause de M. Dleiow étaient déraisonnables et doivent être annulées. Puisque le ministre n’a pas fait valoir que MM. Mason ou Dleiow ont commis des actes de violence en lien avec la sécurité nationale ou la sécurité du Canada, l’al. 34(1) e) de la LIPR  ne peut constituer un fondement légal pour les interdire de territoire. Et puisque le ministre n’a invoqué aucun autre motif justifiant leur interdiction de territoire, il n’est pas nécessaire de renvoyer leur dossier à la SI ou la SAI pour nouvel examen.

VI.         Dispositif

[123]                     Je suis d’avis d’accueillir les pourvois, d’annuler les jugements de la Cour d’appel fédérale et de faire droit aux demandes de contrôle judiciaire. Dans l’appel de M. Mason, je suis d’avis d’annuler la décision rendue par la SAI, ce qui a pour effet de rétablir la décision de la SI. Dans l’appel de M. Dleiow, je suis d’avis d’annuler la décision de la SI ainsi que la mesure d’expulsion. Comme ni l’un ni l’autre des appelants n’a réclamé de dépens, je suis d’avis de ne pas en adjuger.

Version française des motifs rendus par

 

                   La juge Côté —

I.               Introduction

[124]                     Je souscris au dispositif de mon collègue dans les présents pourvois. L’interdiction de territoire prévue à l’al. 34(1) e) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés , L.C. 2001, c. 27  (« LIPR  »), requiert l’existence d’un lien entre les actes de violence en cause et la sécurité nationale ou la sécurité du Canada (voir les par. 11 et 121). Cependant, je contrôlerais l’interprétation de l’al. 34(1)e) donnée par la Section d’appel de l’immigration (« SAI ») selon la norme de la décision correcte, comme l’ont plaidé l’appelant M. Earl Mason et les intervenants l’Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés et le Conseil canadien pour les réfugiés.

[125]                      Dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 R.C.S. 653, notre Cour a conclu que les cours de révision devraient déroger à la présomption d’application de la norme de la décision raisonnable dans les cas où l’exige (1) une indication claire de l’intention du législateur ou (2) la primauté du droit (par. 10). À mon avis, la primauté du droit exige — et le Parlement a voulu que les cours d’appel fournissent — des réponses décisives et correctes aux questions de droit certifiées en application de l’al. 74d)  de la LIPR . Par définition, de telles questions transcendent les intérêts des parties au litige et soulèvent des enjeux ayant des conséquences importantes sur le régime canadien d’immigration et de protection des réfugiés (voir Lunyamila c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CAF 22, [2018] 3 R.C.F. 674, par. 46).

[126]                      Dans Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, notre Cour a fait remarquer que le régime des questions certifiées serait « incohérent » si la norme de contrôle applicable était autre chose que celle de la décision correcte (par. 43). C’est ce qui ressort des pourvois connexes dont nous sommes saisis en l’espèce. L’interprétation de l’al. 34(1)e) donnée par la SAI dans le cas de M. Mason, et appliquée subséquemment à M. Dleiow, élargirait considérablement les raisons pour lesquelles des étrangers ou des résidents permanents pourraient être expulsés du Canada. Dès lors, des étrangers pourraient être renvoyés dans des pays où ils risquent la persécution, ce qui irait à l’encontre des obligations du Canada aux termes de la Convention relative au Statut des Réfugiés, R.T. Can. 1969 no 6 (voir les motifs du juge Jamal, par. 104‑117). Le Parlement n’a pas voulu que les cours d’appel, comme l’a fait la Cour d’appel fédérale en l’espèce, s’en remettent à de telles interprétations qui, bien que pouvant être « raisonnables », sont néanmoins erronées en droit (voir Pushpanathan, par. 43).

[127]                      Dans un souci de cohérence avec les principes et le cadre établis dans l’arrêt Vavilov, je reconnaîtrais une nouvelle catégorie de questions assujettie à la norme de la décision correcte : lorsqu’une cour d’appel révise une « question grave de portée générale » certifiée comme le prévoit l’al. 74d)  de la LIPR .

II.            Analyse

A.           La norme de contrôle applicable aux questions certifiées sous le régime de la LIPR  demeure indéterminée depuis Vavilov

(1)          La jurisprudence antérieure à Vavilov

[128]                      Avant l’arrêt Vavilov, la Cour n’abordait pas les questions certifiées de manière uniforme. Dans Pushpanathan, les juges majoritaires de notre Cour ont conclu que le régime des questions certifiées en application du par. 83(1) de l’ancienne Loi sur l’immigration, L.R.C. 1985, c. I‑2 — disposition qui a précédé l’al. 74d)  de la LIPR  — serait « incohérent si la norme de contrôle était autre chose que celle de la décision correcte » (par. 43). Écrivant au nom des juges majoritaires, le juge Bastarache a indiqué que la seule façon de conférer au régime de certification la portée expressément formulée dans la disposition était de permettre aux cours de justice de substituer leurs propres réponses à celles de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié en ce qui a trait aux questions de portée générale.

[129]                      Suivant l’approche contextuelle qui prévalait avant Vavilov, il est arrivé à l’occasion que la Cour s’écarte de la démarche adoptée dans l’arrêt Pushpanathan, mais elle l’a suivie la plupart du temps. Dans Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, les juges majoritaires de notre Cour ont appliqué la norme de contrôle intermédiaire de la décision raisonnable simpliciter, distinguant du même coup l’affaire d’avec l’arrêt Pushpanathan en raison de la « nature hautement discrétionnaire et factuelle » de la décision par laquelle le ministre avait refusé dans cette dernière affaire d’accorder à l’appelante une exemption fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, laquelle aurait permis à celle‑ci d’éviter l’expulsion (Baker, par. 61‑62). Fait important, cependant, la Cour a donné une réponse décisive à la question certifiée dont elle était saisie :

                        Le juge Simpson a certifié la question suivante comme « question grave de portée générale » en vertu du par. 83(1) de la Loi sur l’immigration : « Vu que la Loi sur l’immigration n’incorpore pas expressément le langage des obligations internationales du Canada en ce qui concerne la Convention internationale relative aux droits de l’enfant, les autorités d’immigration fédérales doivent‑elles considérer l’intérêt supérieur de l’enfant né au Canada comme une considération primordiale dans l’examen du cas d’un requérant sous le régime du par. 114(2) de la Loi sur l’immigration? »

. . .

                        La question certifiée demande s’il faut considérer l’intérêt supérieur des enfants comme une considération primordiale dans l’examen du cas d’un demandeur sous le régime du par. 114(2) et du règlement. Les principes susmentionnés montrent que, pour que l’exercice du pouvoir discrétionnaire respecte la norme du caractère raisonnable, le décideur devrait considérer l’intérêt supérieur des enfants comme un facteur important, lui accorder un poids considérable, et être réceptif, attentif et sensible à cet intérêt. [Je souligne; soulignement dans l’original omis; par. 9 et 75.]

[130]                      La Cour a également appliqué la norme de la décision raisonnable dans Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559, au motif que la décision prise par le ministre en application de l’ancien par. 34(2)  de la LIPR  était discrétionnaire (par. 50). Selon les juges majoritaires de notre Cour dans Kanthasamy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, [2015] 3 R.C.S. 909, le fait que le juge de révision avait « estimé que la question avait une portée générale » était « pertinent, mais il n’[était] pas déterminant » quant à la norme de contrôle (par. 44). « Malgré la présence d’une question certifiée, la norme de contrôle applicable » dans cette affaire était celle de la décision raisonnable (ibid., citant Baker, par. 62).

[131]                      Cela dit, comme l’a mentionné dans son mémoire l’Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés, Agraira et Kanthasamy constituent des exceptions. La Cour a appliqué la norme de la décision correcte dans Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 3, [2002] 1 R.C.S. 84, par. 26, ainsi que dans Hilewitz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 57, [2005] 2 R.C.S. 706, par. 71. Dans d’autres arrêts, la Cour a donné des réponses décisives à des questions certifiées d’interprétation sans même aborder la question de la norme de contrôle applicable (voir Ezokola c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CSC 40, [2013] 2 R.C.S. 678, par. 6‑9; Febles c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CSC 68, [2014] 3 R.C.S. 431, par. 6 et 60), ou encore en décidant qu’il n’était pas nécessaire de régler la question (B010 c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 58, [2015] 3 R.C.S. 704, par. 26 et 76; Tran c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CSC 50, [2017] 2 R.C.S. 289, par. 23, 53 et 56).

[132]                      S’appuyant sur des décisions antérieures à Vavilov, mon collègue affirme que « [s]elon la jurisprudence de notre Cour, dans le contexte de l’immigration », la norme de contrôle applicable aux questions certifiées est celle de la décision raisonnable (par. 51, citant Kanthasamy et Baker). Avec égards, je suis en désaccord.

[133]                      Premièrement, notre Cour n’a pas avalisé ni même cité l’arrêt Kanthasamy dans Vavilov. Elle a invoqué l’arrêt Baker dans Vavilov, mais pour des motifs n’ayant rien à voir avec la détermination de la norme de contrôle applicable.

[134]                      Deuxièmement, avant Vavilov, notre Cour a régulièrement donné des réponses décisives aux questions certifiées d’interprétation statutaire (voir, p. ex., Pushpanathan, par. 75‑76; Baker, par. 75; Chieu, par. 90; Ezokola, par. 6‑9; Febles, par. 60; Hilewitz, par. 71; B010, par. 76; Tran, par. 56; voir aussi Vavilov c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CAF 132, [2018] 3 R.C.F. 75, par. 37; Kanthasamy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CAF 113, [2015] 1 R.C.F. 335, par. 33). C’est d’ailleurs ce qu’ont sans doute fait les juges majoritaires de notre Cour dans Kanthasamy. En effet, avant d’aborder la question de la norme de contrôle applicable, la juge Abella, dans ses motifs majoritaires, a effectué un examen approfondi concernant l’interprétation du par. 25(1)  de la LIPR  (voir les par. 10‑41). En dissidence, le juge Moldaver (avec l’accord du juge Wagner, maintenant juge en chef) a déploré que les juges majoritaires aient adopté une approche suivant laquelle la Cour pourrait se voir reprocher de « ne pas faire ce [qu’elle] préconis[e] » à l’égard du contrôle selon la norme de la décision raisonnable :

                        Plus particulièrement, je crains que ma collègue ne manifeste pas la déférence que commandent, selon maints arrêts de notre Cour, les motifs de l’agente. Elle décortique la décision afin d’y trouver des erreurs de droit, elle résout les ambiguïtés de manière défavorable à l’agente et elle soupèse de nouveau la preuve. Non seulement c’est s’exposer au risque de se voir reprocher de ne pas faire ce que nous préconisons lors d’un contrôle au regard de la norme de la raisonnabilité, mais c’est aussi méconnaître la mise en garde de la Cour dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses, à savoir que le tribunal siégeant en révision doit se garder de substituer sa propre opinion à celle du décideur sur la décision qui s’impose en qualifiant de fatales certaines lacunes relevées dans les motifs (par. 17). Comme n’importe quel tribunal siégeant en révision, la Cour ne peut conclure au caractère déraisonnable de la décision contestée pour le seul motif que l’issue l’indispose et qu’elle serait arrivée, elle, à un autre résultat. [Je souligne; par. 112.]

[135]                      Après Kanthasamy, la Cour a conclu à l’unanimité dans Tran que l’interprétation administrative donnée aux dispositions concernant la « grande criminalité » énoncées à l’al. 36(1) a) de la LIPR  ne pouvait résister à l’examen suivant l’une ou l’autre norme de contrôle (par. 23). La Cour n’a pas approuvé ou cité l’arrêt Kanthasamy, mais elle a donné, une fois de plus, des réponses décisives aux deux questions de portée générale que la Cour fédérale avait certifiées :

1.   Une peine d’emprisonnement avec sursis infligée dans le cadre du régime établi aux art. 742  à 742.7  du Code criminel  constitue‑t‑elle un « emprisonnement » au sens de l’al. 36(1) a) de la LIPR ?

―  Non.

2.   L’expression « punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans » employée à l’al. 36(1) a) de la LIPR  vise‑t‑elle l’emprisonnement maximal en vigueur au moment où la personne a été condamnée ou l’emprisonnement maximal selon la loi en vigueur au moment de l’enquête?

―  Elle vise l’emprisonnement maximal possible au moment de la commission de l’infraction. [par. 56]

[136]                      En somme, le poids de la jurisprudence indique qu’avant Vavilov, notre Cour a répondu maintes fois de façon décisive à des questions certifiées, et ce, sans déférence à l’endroit des décideurs administratifs. Je ne puis donc convenir que, « [s]elon la jurisprudence de notre Cour », la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (motifs du juge Jamal, par. 51).

[137]                      Quoi qu’il en soit, Vavilov a renversé la jurisprudence antérieure (par. 143; voir Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Entertainment Software Association, 2022 CSC 30, par. 25). Les décisions mentionnées plus haut doivent donc être examinées à la lumière des principes et du cadre établis dans Vavilov.

(2)          Vavilov

[138]                      Dans Vavilov, notre Cour a reconnu cinq catégories de questions assujetties au contrôle selon la norme de la décision correcte, eu égard à l’intention législative (mécanismes d’appel et normes de contrôle prévus par la loi) ou à la primauté du droit (questions constitutionnelles, questions de droit générales d’importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et questions liées aux délimitations des compétences respectives d’organismes administratifs) (par. 17 et 69). Toutefois, la Cour a expressément précisé dans Vavilov que les catégories qui appellent le contrôle selon la norme de la décision correcte ne constituaient pas un ensemble fermé (par. 70). Plus tard, dans l’arrêt Société canadienne des auteurs, la Cour a effectivement reconnu une nouvelle catégorie : « . . . lorsque les cours de justice et les organismes administratifs ont compétence concurrente en première instance sur une question de droit dans une loi. Appliquer la norme de la décision correcte à ces questions concorde avec l’intention du législateur et favorise la primauté du droit » (par. 28).

[139]                      La question en litige dans Vavilov avait été soumise à la Cour d’appel fédérale par voie de certification en application de l’al. 22.2d)  de la Loi sur la citoyenneté , L.R.C. 1985, c. C‑29 . La Cour d’appel fédérale y a donné une réponse décisive :

                        Voici quel devrait être le libellé de la question et la réponse que je propose :

                    Question : La mention « représentant à un autre titre ou au service au Canada d’un gouvernement étranger », qui figure à l’alinéa 3(2) a) de la Loi sur la citoyenneté , se limite‑t‑elle aux ressortissants étrangers [qui répondent à cette définition] qui bénéficient [également] de privilèges et d’immunités diplomatiques?

                    Réponse : Oui. [par. 90]

[140]                      Notre Cour a confirmé la décision de la Cour d’appel fédérale, qui avait annulé la décision de la greffière de la citoyenneté de révoquer la citoyenneté de M. Vavilov (par. 194). Une majorité de notre Cour a conclu que le statut de M. Vavilov était régi par l’al. 3(1) a) de la Loi sur la citoyenneté  et qu’il était citoyen canadien (par. 196).

[141]                      Même si je reconnais que notre Cour a appliqué la norme de la décision raisonnable aux conclusions tirées par la greffière de la citoyenneté dans le cas de M. Vavilov, je n’irais pas jusqu’à interpréter l’arrêt Vavilov comme étant déterminant pour les décisions ultérieures quant à la norme de contrôle applicable aux questions certifiées sous le régime de la LIPR . Je m’explique.

[142]                      Premièrement, notre Cour ne s’est pas penchée sur l’aspect des questions certifiées dans Vavilov. Comme il a été dit dans Société canadienne des auteurs, lorsque la Cour « a voulu exclure la possibilité d’établir une certaine catégorie de questions appelant la norme de la décision correcte, elle l’a fait expressément » (par. 42, citant Vavilov, par. 71‑72). Selon moi, la norme de contrôle applicable aux questions certifiées, particulièrement dans le contexte unique de la LIPR , demeure une question ouverte depuis l’arrêt Vavilov.

[143]                      Je ferais remarquer que la Cour d’appel fédérale ne considère pas l’arrêt Vavilov comme étant déterminant sur ce point. Au contraire, dans Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Galindo Camayo, 2022 CAF 50, elle a noté que le contrôle des questions certifiées selon la norme de la décision correcte « semble gagner en crédibilité maintenant que la Cour suprême a conclu que les normes établies par voie législative peuvent avoir une incidence sur la norme de contrôle » (par. 41 (CanLII) (je souligne)). Rédigeant les motifs au nom de la cour, la juge Mactavish a mentionné que, dans Vavilov, la Cour d’appel fédérale avait donné « une réponse précise » à la question certifiée dont elle était saisie, qui « s’apparentait à une réponse fournie en lien avec un contrôle selon la norme de la décision correcte », démarche que notre Cour a effectivement avalisée en rejetant l’appel (par. 43). Dans la décision Galindo Camayo, la Cour d’appel fédérale semble avoir appliqué la norme de la décision raisonnable en s’appuyant sur l’arrêt Kanthasamy, et non sur l’arrêt Vavilov (voir le par. 42).

[144]                     Deuxièmement, la question certifiée dans Vavilov émanait d’une loi différente, la Loi sur la citoyenneté . Dans le contexte distinct et unique de la LIPR , une multitude de ministres, ministères et agences, ainsi que le plus important tribunal administratif du Canada (la Commission de l’immigration et du statut de réfugié) sont chargés de voir à l’application du régime statutaire de façon indépendante. Dans bien des cas, ces décideurs distincts sont tenus d’interpréter les mêmes dispositions statutaires. Bien qu’il n’entre pas dans le cadre des présents pourvois de faire une description exhaustive du régime de la Loi sur la citoyenneté , le processus de certification statutaire sous le régime de la LIPR a été abondamment utilisé pour résoudre des divergences d’interprétation ou des désaccords sur des questions de droit d’importance générale (voir Huruglica c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 93, [2016] 4 R.C.F. 157, par. 28).

[145]                     Enfin, dire que l’arrêt Vavilov règle définitivement la question et que la norme de contrôle applicable aux questions certifiées est celle de la décision raisonnable irait à l’encontre même du cadre établi dans cet arrêt. Comme je l’explique ci‑après, appliquer la norme de la décision raisonnable aux questions certifiées sous le régime de la LIPR  est contraire à l’intention du législateur ainsi qu’à la primauté du droit.

B.            Les questions certifiées sous le régime de la LIPR  devraient former une nouvelle catégorie assujettie à la norme de la décision correcte

(1)          L’intention du législateur

[146]                      À l’alinéa 74d)  de la LIPR , le Parlement a prévu un appel « exceptionnel » (voir Pushpanathan, par. 43) à la Cour d’appel fédérale pour toute question de droit certifiée en tant que « question grave de portée générale ». Cette disposition indique que le législateur souhaitait faire intervenir les cours de justice et assujettir ces questions en particulier — qui se distinguent de toutes les autres sous le régime de la LIPR de façon générale — aux normes de contrôle applicables en appel (voir Société canadienne des auteurs, par. 30; Vavilov, par. 36). Les cours de justice devraient respecter le choix d’organisation institutionnelle du Parlement.

[147]                      Je ne remets pas en question le fait que l’al. 74d) prévoit un appel statutaire suite à un contrôle judiciaire. Si le Parlement avait édicté un appel statutaire visant directement les décisions administratives, les questions certifiées s’inscriraient dans la catégorie existante suivant l’arrêt Vavilov. Or, comme notre Cour l’a affirmé dans Société canadienne des auteurs, la présomption concernant la norme de la décision raisonnable ne s’applique plus lorsque le législateur fait expressément intervenir les cours de justice dans le régime administratif :

                        La norme de la décision raisonnable est généralement celle qui respecte le mieux l’intention du législateur. Lorsque le législateur confère une compétence exclusive au décideur administratif, les cours présument que son intention était que le décideur puisse fonctionner sans faire l’objet d’une intervention judiciaire injustifiée : Vavilov, par. 24.

                        Lorsque le législateur fait expressément intervenir les cours de justice dans le régime administratif, cette présomption ne tient plus. C’est pourquoi les normes de contrôle établies par voie législative et les mécanismes d’appel prévus par la loi commandent la norme de la décision correcte. Ces caractéristiques législatives démontrent l’intention du législateur de faire intervenir les cours de justice et sa volonté d’assujettir ces décisions aux normes applicables en appel : Vavilov, par. 36. [Je souligne; par. 29‑30.]

[148]                      Comme le reconnaît mon collègue, le régime des questions certifiées de la LIPR  est un « mécanisme prévu par la loi » qui permet un appel « dans certaines circonstances », c.‑à‑d. selon la nature et la portée de la question de droit en cause (par. 9). En adoptant l’al. 74d), le Parlement a opté pour un régime qui, « loin d’exclure les cours, les intègre dans le mécanisme d’application prévu » dans certaines circonstances (Vavilov, par. 36, citant Seneca College of Applied Arts and Technology c. Bhadauria, [1981] 2 R.C.S. 181, p. 195). Selon moi, ce choix réfute fortement la présomption d’application de la norme de la décision raisonnable pour cette catégorie particulière de questions de droit, comme pour les catégories existantes qui commandent l’application de la norme de la décision correcte.

[149]                      Avant Vavilov, la Cour d’appel fédérale avait elle aussi adopté la pratique de donner une « réponse définitive à une question certifiée portant sur un point d’interprétation des lois » (voir Kanthasamy, par. 35). Une telle pratique concorde avec l’intention expresse du Parlement de faire intervenir les cours d’appel pour répondre aux questions certifiées. Dans Pushpanathan, notre Cour a abordé la question de l’intention du Parlement de la façon suivante :

                        Premièrement, le par. 83(1) serait incohérent si la norme de contrôle était autre chose que celle de la décision correcte. L’élément clef de l’intention du législateur quant à la norme de contrôle est l’utilisation des mots « une question grave de portée générale » [. . .] La portée générale de la question, c’est‑à‑dire son applicabilité à un grand nombre de cas dans le futur, justifie son examen par une cour de justice. Cet examen aurait‑il une utilité quelconque si la Cour d’appel était tenue de déférer aux décisions incorrectes de la Commission? Se peut‑il que le législateur ait prévu un appel exceptionnel devant la Cour d’appel sur des questions de « portée générale », mais ait exigé qu’en dépit de la « portée générale » de la question, la cour accepte les décisions de la Commission qui sont erronées en droit, voire clairement erronées en droit, mais non manifestement déraisonnables? [Soulignement dans l’original; par. 43.]

[150]                      La Cour a ensuite noté que, pour accorder au régime des questions certifiées la portée explicitement formulée dans la loi, les cours d’appel doivent être en mesure de répondre correctement à ces questions :

                    Il n’est possible de respecter la portée du par. 83(1), telle qu’explicitement formulée, qu’en autorisant la Cour d’appel — et, par déduction, la Section de première instance de la Cour fédérale — à substituer sa propre opinion à celle de la Commission sur les questions d’importance générale. [Je souligne; par. 43.]

[151]                      Je souscris entièrement à ce raisonnement. En ce qui concerne les questions graves de portée générale qui se posent sous le régime de la LIPR , le Parlement n’a pas voulu que les cours de justice soient contraintes de déférer à des interprétations de décideurs administratifs qui, bien que pouvant être « raisonnables », sont néanmoins erronées en droit. Comme pour le par. 83(1) de l’ancienne Loi sur l’immigration, la seule façon d’accorder à l’al. 74d) de la LIPR la portée explicitement formulée dans la loi est de permettre aux cours d’appel de substituer leurs propres réponses aux questions graves de portée générale.

[152]                      Il s’agit précisément d’une situation ayant donné du fil à retordre à la Cour d’appel fédérale depuis l’arrêt Vavilov. Dans Galindo Camayo, la juge Mactavish a déploré « l’incompatibilité entre le fait de répondre correctement à [une] question certifiée et de procéder à un examen [selon] la norme de la décision raisonnable » (par. 41) :

                        Cependant, le fait que nous ayons devant nous des questions certifiées donne lieu à une situation délicate. Les questions certifiées soulèvent généralement des questions de droit, y compris, comme en l’espèce, des questions d’interprétation législative. Toutefois, les questions formulées par la Cour fédérale appellent une réponse par un oui ou par un non. Cela invite notre Cour à procéder à un contrôle [selon] la norme de la décision correcte. Cela dit, comme nous l’avons décrit ci‑dessus, notre Cour est tenue de procéder à un contrôle [selon] la norme de la décision raisonnable des questions d’interprétation législative. Cela crée la possibilité que, dans certains cas, notre Cour puisse trouver l’interprétation de la [Section de la protection des réfugiés] d’une disposition législative comme étant raisonnable, mais notre Cour peut dire quelque chose de complètement différent en fournissant son propre point de vue sur le sujet en répondant à la question certifiée, quelque chose que la Cour suprême nous dit expressément de ne pas faire. . . [Je souligne; par. 40.]

[153]                      La solution que la cour a apportée à ce problème dans Galindo Camayo a consisté à reformuler la question certifiée afin de savoir si l’interprétation statutaire en cause était raisonnable :

                    En l’espèce, les deuxième et troisième questions, telles qu’elles sont énoncées, font appel à une réponse selon la norme de la décision correcte. Je les modifierais donc de façon à demander si l’interprétation ou l’approche législative particulière suggérée par la question est ou n’est pas raisonnable. [Je souligne; par. 44.]

[154]                      C’est aussi ce qu’a fait la Cour fédérale en l’espèce dans la cause de M. Mason, en voulant faire en sorte que la norme applicable soit celle de la décision raisonnable :

                        Chaque partie a toutefois proposé sa propre version de la question, d’une manière qui tend à appliquer la norme de la décision correcte à l’interprétation donnée par la SAI. Je reformulerai donc la question comme suit, d’une manière qui reflète la norme de contrôle de la décision raisonnable :

                        Est‑il raisonnable d’interpréter l’alinéa 34(1) e) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés , L.C. 2001, ch. 27 , d’une manière qui n’exige pas la preuve d’une conduite liée à la « sécurité nationale » ou à la « sécurité du Canada »?

                   (2019 CF 1251, [2020] 2 R.C.F. 3, par. 70)

[155]                      À mon avis, une telle approche fait entorse à l’intention qu’avait le Parlement en adoptant l’al. 74d). Je ne puis accepter que cette intention ait été de permettre aux cours de justice de reformuler les questions certifiées plutôt que d’y répondre correctement. Lorsque les cours d’appel concluent qu’une disposition statutaire contestée ne peut recevoir qu’une seule interprétation raisonnable, j’ai de la difficulté à voir quelle différence notable il y a entre celle‑ci et l’interprétation correcte de la disposition en question. Lorsque plusieurs interprétations « raisonnables » sont possibles, les cours d’appel font face à l’éventualité de devoir confirmer des décisions ayant répondu erronément à des questions de droit — par exemple, quant à l’incidence des obligations du Canada relevant du droit international sur l’interprétation de certaines dispositions de la LIPR  (voir les motifs du juge Jamal, par. 117).

[156]                     Dans le cas qui nous occupe, le fait que la SAI n’ait aucunement tenu compte de cette question était possiblement déraisonnable (voir les motifs du juge Jamal, par. 117). Or, qu’en serait‑il si la SAI avait examiné cette question, puis tiré une conclusion raisonnable, mais erronée? Dans Pushpanathan, le juge Bastarache était d’avis que la cour d’appel serait alors obligée de déférer à une telle décision. En l’espèce, cela entraînerait l’expulsion de MM. Mason et Dleiow du Canada. Dans des affaires subséquentes, des étrangers pourraient être renvoyés dans des pays où ils risquent la persécution, ce qui serait contraire aux obligations de non‑refoulement du Canada (motifs du juge Jamal, par. 104 et 109).

[157]                     À mon avis, il s’agit d’une situation non seulement indéfendable, mais contraire à l’intention expresse du Parlement de faire en sorte que les questions graves de portée générale certifiées en application de l’al. 74d)  de la LIPR  soient contrôlées et tranchées par les juridictions d’appel.

(2)          La primauté du droit

[158]                      La présomption d’application de la norme de la décision raisonnable doit également céder le pas à l’importance de préserver la primauté du droit, qui exige que les questions certifiées reçoivent une réponse cohérente et décisive (voir Société canadienne des auteurs, par. 33; Vavilov, par. 53). Selon moi, il en va ainsi pour deux raisons.

a)              Risque d’arbitraire inacceptable dans le présent contexte

[159]                      Premièrement, la primauté du droit exige une « réponse unique, décisive et définitive » (Vavilov, par. 32) à toute question certifiée comme étant grave et de portée générale sous le régime de la LIPR . Dans Lunyamila, la Cour d’appel fédérale a réitéré les critères relatifs à la certification en vertu de l’al. 74d) :

                    La question doit être déterminante quant à l’issue de l’appel, transcender les intérêts des parties au litige et porter sur des questions ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale. [Je souligne; par. 46.]

(Voir aussi Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Laing, 2021 CAF 194, par. 11 (CanLII); Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. XY, 2022 CAF 113, par. 7 (CanLII)).

[160]                      Une question dont la réponse dépend des faits distincts de l’affaire n’est pas susceptible de certification (Lunyamila, par. 46, citant Mudrak c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 178). Par définition, donc, la certification vise des questions de grande importance ou de portée générale relatives au régime canadien d’immigration et de protection des réfugiés. Selon moi, il s’agit exactement du type de questions à l’égard desquelles la primauté du droit exige des réponses cohérentes et décisives — et pour lesquelles le risque d’arbitraire est inacceptable.

[161]                      Dans Vavilov, notre Cour a noté que l’incohérence du droit va à l’encontre de la primauté du droit (par. 72). Bien que la Cour ait refusé de voir dans les questions qui sèment « constamment la discorde au sein d’un organisme administratif » une catégorie de questions distincte qui commandent l’application de la norme de la décision correcte, c’était en raison de la possibilité d’employer le cadre « plus rigoureux » de la norme de la décision raisonnable pour accorder une protection contre le risque d’arbitraire :

                        Nous ne sommes pas convaincus que la Cour devrait reconnaître l’existence d’une catégorie distincte de questions de droit qui appellent la norme de la décision correcte dans le cas où ces questions sèment constamment la discorde au sein d’un organisme administratif. Dans l’arrêt Domtar Inc. c. Québec (Commission d’appel en matière de lésions professionnelles), [1993] 2 R.C.S. 756, notre Cour a conclu que « l’absence d’unanimité [parmi les membres d’un tribunal administratif] est [. . .] le prix à payer pour la liberté et l’indépendance décisionnelle accordées aux membres de ces mêmes tribunaux » : p. 800; voir aussi Ellis‑Don Ltd. c. Ontario (Commission des relations de travail), 2001 CSC 4, [2001] 1 R.C.S. 221, par. 28. Cela dit, nous convenons que le scénario hypothétique que proposent les amici curiae — où les règles de droit dépendent de l’identité du décideur et mènent à une incohérence du droit — va à l’encontre de la primauté du droit. Nous tenons cependant à préciser que le cadre d’application plus rigoureux de la norme de la décision raisonnable énoncé ci‑dessous, qui tient compte de la valeur que représente la cohérence et du risque d’arbitraire, permet, de concert avec les processus administratifs internes qui favorisent l’uniformité et avec le contrôle que peut exercer le législateur (voir Domtar, p. 801), de se prémunir face aux menaces à la primauté du droit. [Je souligne; par. 72.]

[162]                      Même en ayant recours au cadre « rigoureux » de la norme de la décision raisonnable, il subsiste deux lacunes dans le contexte des questions certifiées. La première concerne les « processus administratifs internes » examinés dans Vavilov, qui dépendent des cours d’appel pour ce qui est de régler les désaccords sur des questions de droit de portée générale. Ainsi que l’a fait remarquer la Cour d’appel fédérale dans Huruglica, ce processus de résolution a été bien reçu par la SAI et la Section de la protection des réfugiés (« SPR ») :

                        . . . pendant de nombreuses années, la Cour fédérale a eu recours à la procédure de certification en vertu de l’alinéa 74d) afin de résoudre les divergences d’interprétation ou les désaccords sur des questions de droit d’importance générale. Le fait que notre Cour a produit la réponse correcte aux questions certifiées semble avoir été bien accueilli, notamment par la SAI et la SPR, qui ont considéré cette pratique comme utile dans l’exécution de leur mission. [Je souligne; par. 28.]

[163]                      Autrement dit, le processus de certification est précisément ce qui permet de résoudre les conflits à l’intérieur du régime administratif en ce qui concerne des questions de droit formant une catégorie spécifique. Cette catégorie de questions peut être définie avec précision (voir Société canadienne des auteurs, par. 39). Selon l’auteur Paul Daly, [traduction] « les caractéristiques uniques du régime d’immigration [au Canada] pourraient ouvrir la voie à un contrôle selon la norme de la décision correcte lorsqu’une question a été certifiée, et ce, sans que cela n’entraîne de conséquences fâcheuses dans d’autres domaines du droit » (Certified Questions, References and Reasonableness : Canada (Citizenship and Immigration) v. Galindo Camayo, 2022 FCA 50, 8 avril 2022 (en ligne)). Dans le contexte de l’immigration, le processus relatif aux questions certifiées est [traduction] « conçu spécialement de manière à ce que les questions de droit soient contrôlées selon la norme de la décision correcte » (ibid.).

[164]                     Deuxièmement, le risque d’arbitraire peut être acceptable dans le contexte des décisions relatives à la portée d’une indemnité de remplacement du revenu pendant la fermeture temporaire d’une usine (comme dans Domtar Inc. c. Québec (Commission d’appel en matière de lésions professionnelles), [1993] 2 R.C.S. 756) ou dans celui des allégations de violation d’une convention collective provinciale (comme dans Ellis‑Don Ltd. c. Ontario (Commission des relations de travail), 2001 CSC 4, [2001] 1 R.C.S. 221), pour employer les deux exemples mentionnés dans Vavilov (par. 72). Il n’est pas acceptable lorsque l’identité du décideur individuel est ce qui détermine quelles personnes ont le droit de rester au Canada, comme dans les pourvois connexes en l’espèce, ou dans le contexte des autres questions graves de portée générale sous le régime de la LIPR .

[165]                      Un certain nombre de chercheurs ainsi que plusieurs intervenants dans les présents pourvois insistent sur l’importance fondamentale que revêtent les questions certifiées, les conséquences qu’elles peuvent avoir sur les personnes concernées et le besoin correspondant que les cours de justice fournissent des réponses correctes et décisives dans ce contexte (voir, p. ex., J. C. Y. Liew, « The Good, the Bad, and the Ugly : A Preliminary Assessment of Whether the Vavilov Framework Adequately Addresses Concerns of Marginalized Communities in the Immigration Law Context » (2020), 98 R. du B. can. 398, p. 425; G. Heckman et A. Khoday, « Once More unto the Breach : Confronting the Standard of Review (Again) and the Imperative of Correctness Review when Interpreting the Scope of Refugee Protection » (2019), 42 Dal. L.J. 49, p. 62‑68 et 82; m.interv., Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés, par. 20‑21; m.interv., Conseil canadien pour les réfugiés, par. 14‑20; m.interv., Agence des Nations Unies pour les réfugiés, par. 21‑24). Je suis d’accord avec mon collègue que les conséquences potentielles d’une décision influent sur le mérite du contrôle selon la norme de la décision raisonnable (voir le par. 69). Cependant, elles influent également sur la détermination de la norme de contrôle applicable et sont pertinentes eu égard à la nécessité de fournir des réponses correctes en droit dans certaines circonstances.

[166]                      Selon les professeurs Heckman et Khoday, lorsque des décideurs différents adoptent des interprétations différentes quant à la portée de la protection accordée aux réfugiés sous le régime de la LIPR , cela signifie que tel demandeur d’asile peut se voir accorder la protection, tandis que tel autre dont la demande est identique pourrait être renvoyé dans son pays d’origine où il risquera la persécution. Compte tenu de [traduction] « l’impact considérable » de telles décisions, « l’existence d’interprétations divergentes en ce qui concerne les dispositions clés du régime s’avère arbitraire et va à l’encontre de la primauté du droit, laquelle requiert que les incohérences soient immédiatement résolues au moyen du contrôle selon la norme de la décision correcte » (p. 68).

[167]                      Dans le même ordre d’idées, le contrôle selon la norme de la décision correcte sert à alléger le fardeau des demandeurs d’asile novices, dont bon nombre font face à des conséquences d’immigration pouvant changer leur vie radicalement. Le caractère raisonnable d’une décision administrative dépend en grande partie de la preuve dont dispose le décideur et des observations des parties (Vavilov, par. 94; voir les motifs du juge Jamal, par. 61). Ce ne sont pas tous les immigrants ou demandeurs d’asile qui possèdent les ressources ou les connaissances nécessaires pour formuler des arguments contextuels et interprétatifs judicieux. Dans le contexte des questions certifiées, même un cadre rigoureux d’application de la norme de la décision raisonnable pourrait être insuffisant pour éviter le risque d’arbitraire et les conséquences qui en découleraient (voir Vavilov, par. 192).

[168]                      Bien que ce ne soient pas toutes les questions certifiées qui concernent des enjeux d’admissibilité ou d’expulsion, je suis convaincue que la primauté du droit exige néanmoins que des réponses cohérentes et décisives soient apportées à toutes les questions dûment certifiées. Je ne puis accepter quelque risque d’arbitraire dans un tel contexte.

b)             Conséquences pour le système de justice dans son ensemble ou pour d’autres institutions gouvernementales

[169]                      Deuxièmement, les questions certifiées en application de l’al. 74d) entraînent, par définition, des répercussions qui vont au‑delà des parties au litige. Outre leurs conséquences possibles en ce qui a trait aux obligations internationales du Canada, ces questions peuvent avoir une incidence sur le droit criminel ou sur d’autres lois.

[170]                      Par exemple, la Loi sur la citoyenneté  permet au ministre d’intenter une « action » devant la Cour fédérale afin qu’une personne soit déclarée « interdite de territoire pour raison de sécurité, pour atteinte aux droits humains ou internationaux ou pour criminalité organisée » au titre des art. 34 , 35  ou 37  de la LIPR  :

                    Interdiction de territoire

 (1) À la requête du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, le ministre demande, dans l’acte introductif d’instance de l’action intentée en vertu du paragraphe 10.1(1) au motif que l’acquisition, la conservation ou la répudiation de la citoyenneté de la personne ou sa réintégration dans celle‑ci est intervenue par fraude ou au moyen d’une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels liée à l’un ou l’autre des faits énoncés aux articles 34 , 35  ou 37  de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés  sauf ceux énoncés aux alinéas 36(1)a) ou b) ou (2)a) ou b) de cette loi, que la personne soit déclarée interdite de territoire pour raison de sécurité, pour atteinte aux droits humains ou internationaux ou pour criminalité organisée au titre, respectivement, du paragraphe 34(1), des alinéas 35(1)a) ou b) ou du paragraphe 37(1) de cette loi.

[171]                      L’effet du par. 10.5(1)  de la Loi sur la citoyenneté  est donc d’instaurer un cadre de juridiction partagée entre les cours de justice et les décideurs administratifs en matière d’interdiction de territoire pour raison de sécurité (art. 34), d’atteinte aux droits humains ou internationaux (art. 35) ou de criminalité organisée (art. 37). Les parties aux présents pourvois n’ont pas formulé d’arguments concernant les conséquences de cette disposition, pas même à la lumière de la nouvelle catégorie assujettie à la norme de la décision correcte que notre Cour a établie dans l’arrêt Société canadienne des auteurs. Or, il est évident que l’interdiction de territoire en application des art. 34, 35 ou 37 — qui diffère de l’interdiction de territoire fondée sur la criminalité (art. 36) ou sur les motifs moins sérieux énoncés aux art. 38 à 41 — entraîne des répercussions allant au‑delà du régime de la LIPR . Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable n’offre pas de garantie suffisante pour répondre aux impératifs d’uniformité et de cohérence juridiques dans un tel contexte.

[172]                      Par ailleurs, comme notre Cour l’a conclu dans Vavilov, certaines questions requièrent une grande uniformité en matière d’interprétation afin d’assurer le respect des obligations internationales du Canada (par. 192). Bien que ni M. Mason ni M. Dleiow ne soient des réfugiés au sens de la Convention, l’interprétation donnée à l’al. 34(1)e) par la SAI pourrait vraisemblablement compromettre dans l’avenir le respect des obligations du Canada en ce qui a trait au principe de non‑refoulement (voir les motifs du juge Jamal, par. 104‑117). Mon collègue estime que l’interprétation de la SAI était déraisonnable parce qu’elle « n’a pas tenu compte des contraintes juridiques qui lui étaient imposées par le droit international » (par. 104). Avec égards, j’estime qu’il serait déraisonnable, compte tenu de l’insistance sur l’approche qui « s’intéresse avant tout aux motifs » dans Vavilov, de conclure qu’une décision est « déraisonnable » à partir d’arguments qui n’ont pas été présentés au décideur administratif et qui ne s’appliquaient pas aux personnes qui comparaissaient devant lui. Appliquer la norme de la décision correcte aux questions certifiées permet d’éliminer de telles embûches et de veiller au respect des obligations du Canada découlant du droit international et de traités internationaux.

[173]                      Les réponses aux questions certifiées sous le régime de la LIPR  peuvent aussi avoir un impact en droit criminel (voir, p. ex., Tran, par. 39‑42). Dans de telles situations, le manque de clarté quant à la portée de l’interdiction de territoire en application de l’art. 34 pourrait empêcher des accusés de prendre une décision éclairée quant à l’opportunité de conclure une entente sur le plaidoyer. Dans R. c. Wong, 2018 CSC 25, [2018] 1 R.C.S. 696, le juge Wagner (maintenant juge en chef) (dissident, mais sur un autre point) a affirmé que,

                        [l]es conséquences indirectes qui touchent les intérêts fondamentaux de l’accusé sont susceptibles d’avoir un impact plus important sur l’accusé que la sanction pénale imposée en soi. En conséquence, il peut être essentiel que l’accusé soit au courant de ces conséquences pour pouvoir inscrire un plaidoyer de culpabilité éclairé. Cela est d’autant plus vrai dans le contexte de l’immigration, où l’accusé peut être exposé à une conséquence indirecte aussi grave que l’expulsion. Les personnes qui doivent être expulsées risquent de subir plusieurs conséquences graves qui changeront leur vie. Elles peuvent être contraintes de quitter un pays qui est le leur depuis des décennies et de retourner dans un pays où elles n’ont plus de liens personnels ou dont elles ne parlent peut‑être même plus la langue si elles l’ont quitté alors qu’elles étaient encore enfants. Si elles ont de la famille au Canada, ces personnes et leurs parents s’exposent à une rupture des liens qui les unissent ou à une séparation permanente. [par. 72]

[174]                      En somme, les questions certifiées ont tendance à avoir des répercussions importantes sur le système de justice dans son ensemble, voire sur d’autres institutions gouvernementales (Vavilov, par. 59). Dans bien des cas, de telles conséquences font vraisemblablement entrer ces questions dans la catégorie existante des questions de droit générales d’importance capitale pour le système juridique dans son ensemble. Autrement, il est tout de même justifié d’écarter la présomption d’application de la norme de la décision raisonnable en raison de l’importance accrue que revêtent ces questions, combinée à l’intention du Parlement de les soumettre aux cours de justice.

[175]                     Il convient de préciser que cette conclusion n’aurait aucune incidence sur la norme de contrôle applicable à la vaste majorité des décisions administratives rendues sous le régime de la LIPR . Les décisions de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, de même que celles rendues par les ministres, ministères et agences, continueraient d’être contrôlées selon la norme de la décision raisonnable dans la plupart des cas. Ce n’est qu’à l’égard d’un petit sous-ensemble de questions de droit spécifiques — celles certifiées comme soulevant des enjeux de grande importance ou de portée générale dans le contexte du régime statutaire — que la primauté du droit exige, en plus de l’intention du Parlement, l’application de la norme de la décision correcte.

III.         Application

[176]                     En appliquant la norme de la décision correcte, je conviens avec mon collègue que l’interdiction de territoire en application l’al. 34(1) e) de la LIPR  exige l’existence d’un lien entre les actes de violence en cause et la sécurité nationale ou la sécurité du Canada (par. 121). Parallèlement aux raisons qu’il invoque, j’insisterais brièvement sur les points suivants concernant le contexte statutaire.

[177]                     Premièrement, le gouvernement lui‑même explique que l’art. 34 est une disposition de « sécurité nationale » :

                        Cet article dispose qu’une personne est interdite de territoire au Canada pour des motifs de sécurité nationale, notamment pour espionnage, subversion et terrorisme. Il énonce clairement que résidents permanents et ressortissants étrangers sont interdits de territoire pour raison de sécurité lorsqu’ils se livrent au terrorisme ou qu’ils appartiennent à une organisation engagée dans le terrorisme. Les faits emportant interdiction de territoire en vertu de cet article comprennent les faits résultant d’omissions et ceux à l’égard desquels il y a des motifs raisonnables de croire qu’ils se sont produits, qu’ils sont en train de se produire ou qu’ils pourraient se produire. Comptent au nombre des motifs d’interdiction de territoire, le fait de constituer une menace à la sécurité du Canada ou celui de se livrer à des actes de violence qui mettraient ou pourraient mettre en péril la vie ou la sécurité des gens au Canada. [Je souligne.]

                    (Citoyenneté et Immigration Canada, Projet de loi C‑11 : Analyse article par article (septembre 2001), p. 31‑32)

[178]                     Deuxièmement, la nature sérieuse de l’interdiction de territoire pour raison de sécurité (voir les motifs du juge Jamal, par. 86‑97) est mise en évidence par un certain nombre de distinctions additionnelles au sein du régime statutaire. Aux termes du par. 36(1), les étrangers de même que les résidents permanents peuvent être interdits de territoire pour grande criminalité. En revanche, seuls les étrangers peuvent être interdits de territoire lorsqu’il est question de criminalité (par. 36(2)). La différence entre « criminalité » et « grande criminalité », lorsqu’il s’agit d’infractions commises au Canada, est que la grande criminalité exige que la personne ait été déclarée coupable d’une infraction qui, ou bien est punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins 10 ans, ou bien a entraîné une peine d’emprisonnement de plus de 6 mois (al. 36(1)a)). Le résident permanent déclaré coupable d’une infraction qui ne répond pas à ces exigences ne peut être interdit de territoire par application du par. 36(2).

[179]                     L’interprétation donnée par la SAI à l’al. 34(1)e) écarte cette distinction que le législateur a pris soin d’édicter. Un résident permanent accusé d’avoir commis un acte de violence ne pouvant être qualifié de grande criminalité aux termes du par. 36(1) pourrait autrement être interdit de territoire en application de l’al. 34(1)e), et ce, même si l’acte reproché n’a pas mené à une déclaration de culpabilité.

[180]                     De plus, le par. 64(1)  de la LIPR  restreint le droit d’appel dans le cas des résidents permanents et des étrangers qui sont interdits de territoire pour raison de sécurité en application de l’art. 34, parmi d’autres raisons graves emportant interdiction de territoire :

                    Restriction du droit d’appel

 (1) L’appel ne peut être interjeté par le résident permanent ou l’étranger qui est interdit de territoire pour raison de sécurité [(art. 34)] ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux [(art. 35)], grande criminalité [(par. 36(1))] ou criminalité organisée [(art. 37)], ni par dans le cas de l’étranger, son répondant.

[181]                     Ainsi, l’étranger qui est déclaré coupable d’un acte de violence constituant une agression et qui est ensuite interdit de territoire par la Section de l’immigration (« SI ») pour criminalité en application du par. 36(2) peut interjeter appel de cette décision à la SAI. Si la même conduite pouvait emporter interdiction de territoire en application de l’al. 34(1)e) — ainsi que l’a conclu la SAI en l’espèce —, l’étranger perdrait son droit d’interjeter appel. Il serait plus avantageux pour cet individu d’être interdit de territoire en application du par. 36(2), après avoir été déclaré coupable de l’infraction en cause, que d’être interdit de territoire en application de l’al. 34(1)e) après un retrait des accusations ou un arrêt des procédures.

[182]                     De toute évidence, il y a un risque de chevauchement entre les « acte[s] de violence » visés à l’al. 34(1)e) et la « criminalité » visée à l’art. 36. La conséquence du traitement respectif de ces dispositions dans la LIPR  est que l’interdiction de territoire pour raison de sécurité, en application de l’art. 34, est plus sérieuse que l’interdiction de territoire pour criminalité. Comme l’a noté le juge Grammond dans la cause de M. Mason, l’interprétation de l’al. 34(1)e) donnée par la SAI « fait entrer dans la catégorie la plus grave des interdictions de territoire un vaste éventail de conduites parmi lesquelles se trouvent des actes qui ne répondent pas aux critères de l’article 36 » (motifs de la C.F., Mason, par. 50). Compte tenu du libellé soigneusement employé à l’art. 36, cela ne pouvait être l’intention du Parlement.

[183]                     Troisièmement, j’invoquerais de nouveau le par. 10.5(1)  de la Loi sur la citoyenneté , qui établit également une distinction entre les faits énoncés aux art. 34, 35 et 37 de la LIPR et ceux énoncés à l’art. 36. Là encore, la distinction met en évidence le fait que l’interdiction de territoire en application de l’art. 34 est considérée comme étant l’une des plus graves et que la disposition devrait être interprétée comme s’appliquant uniquement aux actes de violence qui présentent un lien avec la sécurité nationale.

[184]                     Une telle conclusion est conforme aux seules interprétations antérieures qui ont été données à l’al. 34(1)e) ainsi qu’à la disposition qu’il a remplacée, l’al. 19(1)g) de la Loi sur l’immigration. Dans X (Re), 2017 CanLII 146735 (C.I.S.R. (S. imm.)), le commissaire King a conclu qu’une série de voies de fait simples ne permettait pas de fonder l’interdiction de territoire au titre de l’al. 34(1)e) :

                        Je juge que l’alinéa 34(1)e) ne peut être interprété de manière à inclure les actes de violence posés par une personne contre une autre dont il est question en l’espèce. Les voies de fait contre une personne sont certes indésirables, mais elles ne peuvent pas être considérées comme mettant en danger la vie ou la sécurité d’autrui au Canada ou comme étant une menace pour la sécurité de la société canadienne, comme il en est question dans le présent article de la LIPR . [par. 42]

[185]                     Le commissaire King a aussi établi une distinction entre les faits en cause dans X (Re) et ceux dont la Cour fédérale était saisie dans Moumdjian c. Canada (Comité de surveillance des activités du renseignement de sécurité), [1999] 4 C.F. 624 (C.A.), qui étaient « plus évidemment liés à la sécurité du Canada » et concernaient un complot en vue d’assassiner un diplomate turc au Canada (par. 77‑78; voir aussi Al Yamani c. Canada (Solliciteur général), [1996] 1 C.F. 174 (1re inst.)).

[186]                     Pour les motifs qui précèdent, en plus de ceux invoqués par mon collègue et par le juge Grammond à la Cour fédérale, je conclurais que l’interdiction de territoire en application l’al. 34(1)e) requiert l’existence d’un lien entre les actes de violence en cause et la sécurité nationale ou la sécurité du Canada. Toutefois, ce sont les décideurs administratifs habilités sous le régime de la LIPR  qui auront la tâche d’appliquer cette interprétation à l’avenir, notamment pour ce qui est de déterminer quels actes de violence peuvent être qualifiés de menace pour la sécurité nationale ou la sécurité du Canada.

IV.         Conclusion

[187]                     Notre Cour a indiqué clairement que le contrôle selon la norme de la décision raisonnable doit être centré sur « la décision même qu’a rendue le décideur administratif », et non sur la conclusion que la cour de justice aurait tirée à sa place (Vavilov, par. 15; voir les motifs du juge Jamal, par. 8). Et pourtant, dans le contexte des questions certifiées sous le régime de la LIPR , notre Cour a maintes fois fourni des réponses décisives et correctes aux questions contestées d’interprétation statutaire, y compris en appliquant la norme de la décision raisonnable.

[188]                     C’est ce que fait à nouveau mon collègue dans la présente affaire. Bien que je reconnaisse que l’interprétation donnée à l’al. 34(1)e) par la SAI était déraisonnable, je ne puis admettre que l’intention du Parlement était que les cours de justice fassent preuve de déférence à l’égard des réponses aux questions certifiées (y compris celle certifiée en l’espèce) qui sont raisonnables, mais erronées en droit. Dans tous les cas, de telles questions transcendent les intérêts des parties et soulèvent des enjeux de grande importance ou de portée générale dans le contexte du régime canadien d’immigration et de protection des réfugiés. C’est le type de questions à l’égard desquelles la primauté du droit exige — et auxquelles le Parlement a voulu que les juridictions d’appel fournissent — des réponses correctes (voir Vavilov, par. 10 et 69‑70). Suivant les principes et le cadre établis dans Vavilov, je suis d’avis de reconnaître que les questions certifiées sous le régime de la LIPR  forment dorénavant une nouvelle catégorie de questions assujettie à la norme de la décision correcte.

V.           Dispositif

[189]                     Compte tenu de ce qui précède, je souscris au dispositif de mon collègue (par. 123). J’accueillerais les pourvois, j’annulerais les décisions de la Cour d’appel fédérale et je ferais droit aux demandes de contrôle judiciaire. Dans l’appel de M. Mason, j’annulerais la décision de la SAI et je rétablirais donc celle de la SI. Dans l’appel de M. Dleiow, j’annulerais la décision de la SI ainsi que la mesure d’expulsion.

                    Pourvois accueillis.

                    Procureurs de l’appelant Earl Mason : Edelmann & Company Law Corporation, Vancouver.

                    Procureurs de l’appelant Seifeslam Dleiow : Robert J. Kincaid Law Corporation, Vancouver.

                    Procureurs de l’intimé : Procureur général du Canada — Bureau régional de l’Ontario, Toronto; Procureur général du Canada — Bureau régional de la Colombie‑Britannique, Vancouver.

                    Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Ontario : Procureur général de l’Ontario, Bureau des avocats de la Couronne — Droit civil, Toronto.

                    Procureur de l’intervenant le procureur général de la Saskatchewan : Government of Saskatchewan — Civil Law Branch, Legal Services Division, Regina.

                    Procureurs de l’intervenant le Conseil canadien pour les réfugiés : Downtown Legal Services, Toronto; Jackman & Associates, Toronto.

                    Procureurs de l’intervenante l’Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés : Landings, Toronto; Université d’Ottawa — Faculté de droit, Ottawa; Aide juridique Ontario, Toronto.

                    Procureurs de l’intervenant Social Planning Council of Winnipeg : Dentons Canada, Toronto; Fillmore Riley, Winnipeg.

                    Procureurs de l’intervenante l’Association canadienne des avocats musulmans : Mithoowani Waldman Immigration Law Group, Toronto; Barteaux Labour & Employment Lawyers Inc., Halifax.

                    Procureur de l’intervenante l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés : Bureau du droit des réfugiés, Aide juridique Ontario, Toronto.

                    Procureurs de l’intervenante Amnesty International Canadian Section (English Speaking) : Olthuis Van Ert, Ottawa.

                    Procureurs de l’intervenant Community & Legal Aid Services Program : Community & Legal Aid Services Program, Toronto; Mamann, Sandaluk & Kingwell, Toronto.

                    Procureurs de l’intervenante l’Association québécoise des avocats et avocates en droit de l’immigration : Cliche‑Rivard, Montréal.

                    Procureurs de l’intervenante Criminal Lawyers’ Association (Ontario) : Pender Litigation, Vancouver.



* Le juge Brown n’a pas participé au dispositif final du jugement.

[1] Lorsque le décideur administratif n’est pas tenu de motiver formellement sa décision, la cour de révision examine le raisonnement qu’il a suivi en tenant compte du contexte et en examinant le dossier dans son ensemble pour discerner le fondement de la décision (Vavilov, par. 136‑138). En pareil cas, l’analyse de la cour saisie du contrôle est « centrée sur le résultat plutôt que sur le raisonnement du décideur » (par. 138).

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