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COUR SUPRÊME DU CANADA

 

Référence : R. c. B.E.M., 2023 CSC 32

 

 

Appel entendu : 8 décembre 2023

Jugement rendu : 8 décembre 2023

Dossier : 40221

 

Entre :

 

B.E.M.

Appelant

 

et

 

Sa Majesté le Roi

Intimé

 

- et -

 

Directrice des poursuites pénales, procureur général de l’Ontario

et Criminal Trial Lawyers’ Association

Intervenants

 

Traduction française officielle

 

Coram : Les juges Karakatsanis, Côté, Martin, Kasirer et Moreau

 

Jugement unanime lu par :

(par. 1 à 9)

 

Le juge Kasirer

 

Note : Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada.

 

 

 

B.E.M.                                                                                                               Appelant

c.

Sa Majesté le Roi                                                                                                 Intimé

et

Directrice des poursuites pénales,

procureur général de l’Ontario et

Criminal Trial Lawyers’ Association                                                       Intervenants

Répertorié : R. c. B.E.M.

2023 CSC 32

No du greffe : 40221.

2023 : 8 décembre.

Présents : Les juges Karakatsanis, Côté, Martin, Kasirer et Moreau.

en appel de la cour d’appel de l’alberta

                    Droit criminel — Procès — Plaidoiries finales — Récit par le procureur de la Couronne d’une anecdote concernant un souvenir personnel de son enfance durant les plaidoiries finales au procès de l’accusé — Accusé faisant appel des déclarations de culpabilité prononcées contre lui pour agression sexuelle et contacts sexuels et soutenant que le juge du procès a omis d’instruire le jury de ne pas tenir compte des observations inappropriées de la Couronne sur des questions sans lien avec la preuve — Rejet de l’appel par la Cour d’appel — L’anecdote inappropriée du procureur de la Couronne n’a pas rendu le procès inéquitable — Déclarations de culpabilité confirmées.

Jurisprudence

                    Arrêts mentionnés : Pisani c. La Reine, [1971] R.C.S. 738; Boucher c. The Queen, [1955] R.C.S. 16; R. c. Stephan, 2017 ABCA 380, 61 Alta. L.R. (6th) 26, inf. par 2018 CSC 21, [2018] 1 R.C.S. 633; R. c. Manasseri, 2016 ONCA 703, 132 O.R. (3d) 401; R. c. Abdullahi, 2023 CSC 19.

                    POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Alberta (les juges Slatter, Veldhuis et Schutz), 2022 ABCA 207, 45 Alta. L.R. (7th) 1, 414 C.C.C. (3d) 296, [2022] 9 W.W.R. 569, [2022] A.J. No. 712 (QL), 2022 CarswellAlta 1444 (WL), qui a confirmé les déclarations de culpabilité pour agression sexuelle et contacts sexuels prononcées contre l’accusé. Pourvoi rejeté.

                    Peter Sankoff et Elsa Wyllie, pour l’appelant.

                    Cheryl Schlecker, pour l’intimé.

                    Monique Dion et Alex Bernard, pour l’intervenante la directrice des poursuites pénales.

                    Dena Bonnet et Vallery Bayly, pour l’intervenant le procureur général de l’Ontario.

                    Alexandra Seaman et Laura Matalas, pour l’intervenante Criminal Trial Lawyers’ Association.

                    Version française du jugement de la Cour rendu oralement par

[1]               Le juge Kasirer — Nous sommes unanimement d’avis que l’appel doit être rejeté.

[2]               Il est admis que, lors des plaidoiries finales devant le jury, le procureur de la Couronne n’aurait pas dû relater une anecdote concernant un souvenir personnel de son enfance qui n’avait aucun lien avec la preuve (voir Pisani c. La Reine, [1971] R.C.S. 738, p. 740). Les anecdotes personnelles n’ont pas leur place dans des plaidoiries finales et sont fondamentalement incompatibles avec le rôle d’un avocat, et tout particulièrement d’un procureur de la Couronne (voir Boucher c. The Queen, [1955] R.C.S. 16). Toutefois, les juges majoritaires de la Cour d’appel ont eu raison de conclure que cette erreur n’a pas entraîné un procès inéquitable ou une erreur judiciaire en l’espèce (2022 ABCA 207, 45 Alta. L.R. (7th) 1).

[3]               Tant les juges majoritaires que la juge dissidente se sont appuyés sur les facteurs pertinents énoncés dans R. c. Stephan, 2017 ABCA 380, 61 Alta. L.R. (6th) 26, inf. pour d’autres motifs par 2018 CSC 21, [2018] 1 R.C.S. 633, mais ne se sont pas entendus sur leur application.

[4]               Les questions en litige devant le jury étaient la véracité et l’exactitude du souvenir personnel de la plaignante des événements liés aux agressions sexuelles dont elle aurait été victime durant son enfance. La défense a plaidé que ces événements ne s’étaient jamais produits et que les souvenirs de la plaignante étaient inégaux. Dans la mesure où cela soulevait des doutes sur la version des événements rapportée par la plaignante, tant sur le plan de la crédibilité que de la fiabilité, les commentaires inappropriés du procureur de la Couronne étaient potentiellement sérieux en ce qu’ils concernaient une question fondamentale du procès.

[5]               Cela dit, le contexte de l’anecdote limitait considérablement son effet préjudiciable. D’abord, et contrairement à l’affaire Pisani, l’anecdote personnelle ne portait pas sur une infraction ou conduite comparable à la substance des allégations en cause. En outre, l’anecdote n’était pas un aspect important de la plaidoirie finale de la Couronne.

[6]               Qui plus est, bien que le procureur de la défense ait formulé des objections à l’égard d’autres aspects des plaidoiries finales de la Couronne qui ne sont pas pertinents pour le présent appel, aucune n’a été formulée à l’égard de l’anecdote personnelle du procureur de la Couronne. Le fait que le procureur de la défense ne s’est pas opposé à l’anecdote n’est évidemment pas déterminant, mais il constitue un facteur qui doit être pris en compte dans l’appréciation en appel de l’équité du procès (voir R. c. Manasseri, 2016 ONCA 703, 132 O.R. (3d) 401, par. 107).

[7]               Le juge du procès a de fait averti le jury de ne pas considérer comme de la preuve ce que le procureur avait dit. Et bien que le juge du procès n’ait pas pris de mesures de redressement précises pour alerter les membres du jury à l’égard des commentaires inappropriés de la Couronne, son observation portant que ces derniers devaient se baser sur leur [traduction] « compréhension sensée du fonctionnement de la mémoire » (d.a., vol. I, p. 63) est conciliable avec l’idée selon laquelle l’anecdote, quoiqu’inappropriée, devrait être considérée sous cet éclairage. Rien ne tend à indiquer que l’exposé n’a pas réalisé sa fonction, soit « outiller convenablement le jury eu égard aux circonstances du procès pour qu’il tranche l’affaire conformément au droit et à la preuve » (R. c. Abdullahi, 2023 CSC 19, par. 72).

[8]               En résumé, nous sommes d’avis que l’anecdote inappropriée du procureur de la Couronne n’a pas rendu le procès de l’appelant inéquitable.

[9]               L’appel est rejeté.

                    Jugement en conséquence.

                    Procureurs de l’appelant : Sankoff Criminal Law, Edmonton; Wyllie Law, Vancouver.

                    Procureur de l’intimé : Alberta Crown Prosecutor Service, Appeals and Specialized Prosecutions Office, Edmonton.

                    Procureur de l’intervenante la directrice des poursuites pénales : Service des poursuites pénales du Canada, Edmonton.

                    Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Ontario : Ministère du Procureur général, Bureau des avocats de la Couronne — Droit criminel, Toronto.

                    Procureurs de l’intervenante Criminal Trial Lawyers’ Association : Dawson Duckett Garcia & Johnson, Edmonton; Pringle Law, Edmonton.

 

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