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COUR SUPRÊME DU CANADA

 

Référence : Yatar c. TD Assurance Meloche Monnex, 2024 CSC 8

 

 

Appel entendu : 15 novembre 2023

Jugement rendu : 15 mars 2024

Dossier : 40348

 

Entre :

 

Ummugulsum Yatar

Appelante

 

et

 

TD Assurance Meloche Monnex et Tribunal d’appel en matière de permis

Intimés

 

- et -

 

Procureur général du Canada, procureur général de l’Ontario, procureur général du Québec, procureur général de la Colombie-Britannique, procureur général de l’Alberta, Centre d’action pour la sécurité du revenu, Centre ontarien de défense des droits des locataires, Association canadienne des télécommunications, Bureau d’assurance du Canada, Forest Appeals Commission, Aboriginal Council of Winnipeg, Inc. et Social Planning Council of Winnipeg

Intervenants

 

Traduction française officielle

 

Coram : Le juge en chef Wagner et les juges Karakatsanis, Côté, Rowe, Martin, Kasirer, Jamal, O’Bonsawin et Moreau

 

Motifs de jugement :

(par. 1 à 78)

Le juge Rowe (avec l’accord du juge en chef Wagner et des juges Karakatsanis, Côté, Martin, Kasirer, Jamal, O’Bonsawin et Moreau)

 

 

Note : Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada.

 

 

 

 


 

Ummugulsum Yatar                                                                                        Appelant

c.

TD Assurance Meloche Monnex et

Tribunal d’appel en matière de permis                                                           Intimés

et

Procureur général du Canada,

procureur général de l’Ontario,

procureur général du Québec,

procureur général de la Colombie-Britannique,

procureur général de l’Alberta,

Centre d’action pour la sécurité du revenu,

Centre ontarien de défense des droits des locataires,

Association canadienne des télécommunications,

Bureau d’assurance du Canada,

Forest Appeals Commission,

Aboriginal Council of Winnipeg, Inc. et

Social Planning Council of Winnipeg                                                       Intervenants

Répertorié : Yatar c. TD Assurance Meloche Monnex

2024 CSC 8

No du greffe : 40348.

2023 : 15 novembre; 2024 : 15 mars.

Présents : Le juge en chef Wagner et les juges Karakatsanis, Côté, Rowe, Martin, Kasirer, Jamal, O’Bonsawin et Moreau.

en appel de la cour d’appel de l’ontario

                    Droit administratif — Contrôle judiciaire — Droit d’appel prévu par la loi limité aux questions de droit — Conclusion du tribunal administratif portant que la demande de l’assurée contestant le refus de l’assureur de verser les indemnités d’accident légales était prescrite — Droit de faire appel des décisions du tribunal administratif limité aux questions de droit par la loi provinciale — Contestation de la décision par l’assurée au moyen d’un appel portant sur des questions de droit et d’une requête en révision judiciaire soulevant des questions de fait et mixtes de fait et de droit — Appel et requête en révision judicaire rejetés — Les tribunaux auraient‑ils dû exercer leur pouvoir discrétionnaire et procéder à la révision judiciaire au fond compte tenu du droit d’appel prévu par la loi limité aux questions de droit? — Approche appropriée à l’égard de la révision judiciaire lorsqu’il existe un droit d’appel limité prévu par la loi.

                    Assurances — Assurance automobile — Indemnités d’accident légales — Refus — Délai de prescription — Assurée blessée lors d’un accident de voiture — Refus de l’assureur de verser des indemnités d’accident légales — Conclusion du tribunal administratif portant que la demande de l’assurée contestant le refus de verser les indemnités était prescrite — La décision du tribunal administratif était‑elle raisonnable?

                    Y a été blessée lors d’un accident de voiture en 2010. Son assureur lui a initialement versé des indemnités d’accident. Cependant, en janvier 2011, l’assureur a informé Y dans une lettre que le versement des indemnités avait été arrêté vu l’absence de certificat d’invalidité dûment rempli. Un formulaire de règlement des différends était joint à la lettre. Puis, en février 2011, l’assureur a informé Y que, par suite d’un examen médical, ses indemnités de remplacement de revenu étaient rétablies, mais que ses deux autres demandes d’indemnités — pour travaux ménagers et travaux d’entretien du domicile — étaient refusées. Enfin, en septembre 2011, l’assureur a informé Y que ses indemnités de remplacement de revenu étaient refusées et que les versements cesseraient. Aucun formulaire de règlement des différends n’était joint à ces deux dernières lettres.

                    Y a sollicité la médiation, qui était obligatoire à l’époque, afin de contester le refus de lui verser les indemnités qu’elle demandait. Le processus de médiation a pris fin en janvier 2014 et le médiateur a remis son rapport. Au moment de l’accident de Y, la Loi sur les assurances de l’Ontario précisait que le délai pour engager des procédures afin de contester le refus d’un assureur de verser des indemnités était de deux ans suivant ce refus. La Loi prévoyait également le prolongement du délai de prescription pendant une période de 90 jours après la remise du rapport du médiateur. Y a commencé la procédure devant le Tribunal d’appel en matière de permis (« TAMP ») en mars 2018. Sa demande a été rejetée pour cause de prescription et sa demande de réexamen a elle aussi été rejetée.

                    En vertu de la Loi de 1999 sur le tribunal d’appel en matière de permis de l’Ontario, le droit de Y d’interjeter appel de la décision de l’arbitre du TAMP sur le réexamen était limité aux questions de droit. Y a déposé un appel fondé sur des questions de droit, en plus de présenter une requête en révision judiciaire relativement à des questions de fait ou des questions mixtes de fait et de droit. La Cour divisionnaire a rejeté l’appel, statuant que Y n’avait démontré aucune erreur de droit de la part de l’arbitre du TAMP. Elle a également rejeté la requête en révision judiciaire de Y, au motif qu’il n’existait aucune circonstance exceptionnelle justifiant une révision judiciaire. La Cour d’appel a rejeté l’appel de Y, jugeant que ce serait seulement dans de rares cas que le recours en révision judiciaire serait exercé, compte tenu du régime législatif de règlement de tels différends, et que Y disposait d’un autre recours approprié. Elle a en outre conclu que, même en supposant que la requête en révision judiciaire aurait dû être examinée, elle aurait échoué puisque la décision de l’arbitre du TAMP était raisonnable.

                    Arrêt : Le pourvoi est accueilli et l’affaire est renvoyée à l’arbitre du TAMP.

                    Les cours inférieures ont fait erreur en concluant que, lorsqu’il existe un droit d’appel limité, il ne devrait être procédé à une révision judiciaire que dans des cas rares ou exceptionnels. L’existence d’un droit d’appel limité aux pures questions de droit en ce qui concerne les décisions du TAMP ne reflète pas une intention du législateur de restreindre le recours aux tribunaux à l’égard d’autres questions découlant de la décision administrative du TAMP. La décision du législateur d’établir un droit d’appel à l’égard de questions de droit dénote seulement l’intention d’assujettir à la norme de la décision correcte la révision des décisions du TAMP portant sur des questions de droit, et le fait de procéder à une révision judiciaire à l’égard de questions de fait ou de questions mixtes de fait et de droit respecte pleinement les choix du législateur en matière d’organisation institutionnelle. De plus, la décision de l’arbitre du TAMP sur le réexamen était déraisonnable, car il a omis de tenir compte de contraintes légales pertinentes. L’affaire doit être renvoyée à l’arbitre du TAMP pour réexamen.

                    Comme a statué la Cour dans Vavilov, l’existence d’un droit d’appel n’empêche pas une personne de présenter une demande de contrôle judiciaire à l’égard de questions non visées par l’appel. En présence d’un droit d’appel prévu par la loi limité aux questions de droit, la révision judiciaire est possible à l’égard de questions de fait ou de questions mixtes de fait et de droit. Toutefois, malgré l’existence du droit de présenter une demande de contrôle judiciaire, il est loisible au juge à qui une telle demande est présentée de décider s’il y a lieu d’exercer son pouvoir discrétionnaire d’accorder ou non réparation — mais ce pouvoir discrétionnaire ne va pas jusqu’à l’autoriser à refuser de considérer la demande. Le juge doit exercer son pouvoir discrétionnaire et décider, au regard du cadre d’analyse établi dans l’arrêt Strickland c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 37, s’il procédera à la révision judiciaire. Au minimum, le juge doit déterminer si le contrôle judiciaire constitue un recours approprié. Si, dans l’examen de la demande, le juge conclut à l’existence de l’un des motifs discrétionnaires justifiant de ne pas accorder une réparation, il peut refuser d’examiner au fond la demande de contrôle judiciaire. Le juge a aussi le pouvoir discrétionnaire de refuser d’accorder une réparation même s’il conclut que la décision soumise au contrôle est déraisonnable.

                    Dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, en plus de la pertinence et du caractère opportun du contrôle judiciaire dans les circonstances, la cour doit également tenir compte des autres recours disponibles. Cette mise en balance devrait prendre en compte les objectifs et les considérations de principe qui sous‑tendent le régime législatif en cause. Il existe d’autres possibilités de recours lorsque les processus internes de révision n’ont pas été épuisés ou lorsqu’il y a un droit d’appel prévu par la loi qui n’est pas limité, de telle sorte que les questions de droit, de fait et mixtes de fait et de droit peuvent être examinées en appel. Ce serait faire abstraction des enseignements de l’arrêt Strickland que de conclure que c’est seulement en présence de circonstances exceptionnelles qu’il y a ouverture à la révision judiciaire lorsqu’il existe un droit d’appel limité. Ce serait également une erreur de conclure qu’il ne devrait être procédé à la révision judiciaire que dans de rares cas seulement.

                    En l’espèce, la Cour divisionnaire aurait dû exercer son pouvoir discrétionnaire et procéder à la révision judiciaire à l’égard de questions non visées par le droit d’appel prévu par la loi. Le droit d’appel prévu par la loi et la décision de l’arbitre du TAMP sur le réexamen ne constituent pas d’autres recours adéquats. Y soulève des erreurs de fait ou des erreurs mixtes de fait et de droit qui ne sont pas révisables en vertu du droit d’appel prévu par la loi, et l’accès à la procédure de réexamen interne ne saurait représenter un recours adéquat, puisque c’est la décision sur le réexamen elle-même qui est l’objet de la révision.

                    Qui plus est, la décision de l’arbitre du TAMP sur le réexamen est déraisonnable, car il a omis de considérer l’effet du rétablissement des indemnités de remplacement de revenu entre février et septembre 2011 sur la validité du refus initial. De surcroît, il n’a pas pris en compte les décisions antérieures du tribunal administratif, dont certaines avaient jugé que, dans les cas où il y a rétablissement des indemnités d’un demandeur, le délai de prescription peut uniquement être déclenché lorsqu’il est une fois de plus mis fin valablement au versement des indemnités. Il est possible de soutenir qu’un refus valable des indemnités de remplacement de revenu était nécessaire pour déclencher le compte à rebours concernant le délai de prescription, et c’est au TAMP qu’il revient de trancher cette question.

Jurisprudence

                    Arrêts appliqués : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 R.C.S. 653; Strickland c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 37, [2015] 2 R.C.S. 713; arrêts mentionnés : Smith c. Cie d’assurance générale Co‑operators, 2002 CSC 30, [2002] 2 R.C.S. 129; Canadien Pacifique Ltée c. Bande indienne de Matsqui, [1995] 1 R.C.S. 3; Canada (Vérificateur général) c. Canada (Ministre de l’Énergie, des Mines et des Ressources), [1989] 2 R.C.S. 49; Smith c. The Appeal Commission, 2023 MBCA 23, 479 D.L.R. (4th) 121; Wongkingsri c. Alberta (Appeals Commission for Alberta Workers’ Compensation), 2022 ABQB 545, 61 Alta. L.R. (7th) 170; Zarooben c. Workers’ Compensation Board, 2021 ABQB 232, 84 Admin. L.R. (6th) 96, conf. par 2022 ABCA 50, 95 Admin. L.R. (6th) 163; Immeubles Port Louis Ltée c. Lafontaine (Village), [1991] 1 R.C.S. 326; Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235; Canada (Attorney General) c. Pier 1 Imports (U.S.), Inc., 2023 CAF 209; Canada (Procureur général) c. Best Buy Canada Ltd., 2021 CAF 161; Démocratie en surveillance c. Canada (Procureur général), 2023 CAF 39, 14 Admin. L.R. (7th) 42; Démocratie en surveillance c. Canada (Procureur général), 2022 CAF 208; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339; Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c. Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34, [2013] 2 R.C.S. 458; Veldhuizen c. Coseco Insurance Co., 1995 ONICDRG 144 (CanLII); Rudnicki c. Certas Direct Insurance Co., 2001 ONFSCDRS 60 (CanLII).

Lois et règlements cités

Annexe sur les indemnités d’accident légales — Accidents survenus le 1er novembre 1996 ou après ce jour, Règl. de l’Ont. 403/96, art. 51(2) [abr. & rempl. 45/16, art. 5].

Loi de 1999 sur le Tribunal d’appel en matière de permis, L.O. 1999, c. 12, annexe G, art. 11(6).

Loi sur la procédure de révision judiciaire, L.R.O. 1990, c. J.1, art. 2(1).

Loi sur les assurances, L.R.O. 1990, c. I.8, art. 280(3), 281(2), 281.1(1), (2)b) [abr. 2014, c. 9, annexe 3, art. 14].

Doctrine et autres documents cités

Daly, Paul. A Culture of Justification : Vavilov and the Future of Administrative Law, Toronto, UBC Press, 2023.

Daly, Paul. Understanding Administrative Law in the Common Law World. New York, Oxford University Press, 2021.

                    POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario (les juges Lauwers, Nordheimer et Zarnett), 2022 ONCA 446, 25 C.C.L.I. (6th) 1, [2022] O.J. No. 2602 (Lexis), 2022 CarswellOnt 7863 (WL), qui a confirmé une décision des juges Swinton, Penny et Kristjanson, 2021 ONSC 2507, 157 O.R. (3d) 337, [2021] O.J. No. 2154 (Lexis), 2021 CarswellOnt 5678 (WL), qui avait rejeté une requête en révision judiciaire d’une décision du Tribunal d’appel en matière de permis, 2020 CanLII 34442, 2020 CarswellOnt 6879 (WL). Pourvoi accueilli.

                    Sean Dewart, Tim Gleason et Ian McKellar, pour l’appelant.

                    Christine Lonsdale, Adam Goldenberg et Erin Chesney, pour l’intimée TD Assurance Meloche Monnex.

                    Brian Blumenthal et Valerie Crystal, pour l’intimé le Tribunal d’appel en matière de permis.

                    John Provart et Michelle Kellam, pour l’intervenant le procureur général du Canada.

                    Michael J. Sims et Matthew Chung, pour l’intervenant le procureur général de l’Ontario.

                    Stéphane Rochette et Francesca Boucher, pour l’intervenant le procureur général du Québec.

                    Meera Bennett et Katherine Reilly, pour l’intervenant le procureur général de la Colombie‑Britannique.

                    Michael Wall et Adam Ollenberger, pour l’intervenant le procureur général de l’Alberta.

                    Nabila F. Qureshi, Anu Bakshi et Anna Rosenbluth, pour l’intervenant le Centre d’action pour la sécurité du revenu.

                    Ryan Hardy, pour l’intervenant le Centre ontarien de défense des droits des locataires.

                    Paul Daly, pour l’intervenante l’Association canadienne des télécommunications.

                    Nina Bombier et Nikolas De Stefano, pour l’intervenant le Bureau d’assurance du Canada.

                    Robin J. Gage et Julia W. Riddle, pour l’intervenante Forest Appeals Commission.

                    Allison Fenske et Natalie Copps, pour les intervenants Aboriginal Council of Winnipeg, Inc. et Social Planning Council of Winnipeg.

                   Version française du jugement de la Cour rendu par

                   Le juge Rowe —

                                             TABLE DES MATIÈRES

 

Paragraphe

I.      Aperçu

1

II.    Contexte factuel

6

A.    La réclamation d’assurance sous‑jacente

6

B.    Refus des indemnités demandées et procédures subséquentes

7

III.   Historique judiciaire

11

A.    Tribunal d’appel en matière de permis

11

B.    Cour supérieure de justice de l’Ontario (Cour divisionnaire), 2021 ONSC 2507, 157 O.R. (3d) 337 (les juges Swinton, Penny et Kristjanson)

17

C.    Cour d’appel de l’Ontario, 2022 ONCA 446, 25 C.C.L.I. (6th) 1 (les juges Lauwers, Nordheimer et Zarnett)

23

IV.   Questions en litige dans le pourvoi

30

V.    Observations des parties

31

A.    Madame Yatar

31

B.    TD Assurance et Tribunal d’appel en matière de permis

34

VI.   Analyse

41

A.    Norme de contrôle

41

B.    L’existence d’un droit d’appel limité ne fait pas obstacle en soi aux requêtes en révision judiciaire

43

C.    L’exercice du pouvoir discrétionnaire d’accorder réparation en cas de contrôle judiciaire

51

D.    La décision de l’arbitre du TAMP était déraisonnable

68

VII. Conclusion

77

 

I.               Aperçu

[1]                             La présente affaire porte sur l’exercice par les tribunaux de leur pouvoir discrétionnaire de décider s’il y a lieu de procéder au fond à une révision judiciaire[1], lorsqu’il existe un droit d’appel limité prévu par la loi.

[2]                             Ummugulsum Yatar conteste le refus de lui verser les indemnités d’assurance qu’elle demandait à la suite d’un accident survenu en 2010. Après le rejet de sa demande par le Tribunal d’appel en matière de permis (« TAMP ») en 2019, pour cause de prescription, Mme Yatar a demandé le réexamen de cette décision, demande qui a elle aussi été rejetée. Ensuite, elle a simultanément fait appel de cette décision devant la Cour divisionnaire de l’Ontario et présenté à celle‑ci une requête en révision judiciaire. Le paragraphe 11(6) de la Loi de 1999 sur le tribunal d’appel en matière de permis, L.O. 1999, c. 12, annexe G (« Loi sur le TAMP »), précise qu’une décision du TAMP portant sur une question visée par la Loi sur les assurances, L.R.O. 1990, c. I.8, ne peut être portée en appel que sur une question de droit seulement.

[3]                              Suivant l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 R.C.S. 653, l’existence d’un droit d’appel n’empêche pas une personne de présenter une requête en révision judiciaire à l’égard de questions non visées par l’appel. En l’espèce, malgré la présence d’un droit d’appel prévu par la loi limité aux questions de droit, la révision judiciaire est possible à l’égard de questions de fait ou de questions mixtes de fait et de droit. La décision de procéder à la révision judiciaire relève alors du pouvoir discrétionnaire du tribunal au regard du cadre d’analyse établi dans l’arrêt Strickland c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 37, [2015] 2 R.C.S. 713.

[4]                             La Cour divisionnaire a fait erreur en concluant que c’est seulement en présence de [traduction] « circonstances exceptionnelles » qu’il y a ouverture à la révision judiciaire lorsqu’il existe un droit d’appel limité (2021 ONSC 2507, 157 O.R. (3d) 337, par. 4); cette conclusion fait abstraction des enseignements de l’arrêt Strickland. La Cour d’appel de l’Ontario a elle aussi fait erreur en jugeant que ce serait seulement dans de [traduction] « rares cas » qu’il serait procédé à la révision judiciaire (2022 ONCA 446, 25 C.C.L.I. (6th) 1, par. 42), et qu’en l’espèce Mme Yatar disposait d’un autre recours approprié. Les deux cours cherchaient à appliquer l’arrêt Strickland, mais elles ont commis des erreurs de principe à cet égard. Elles ont fait erreur en considérant que le droit d’appel prévu par la loi à l’égard de questions de droit était indicatif de l’intention du législateur de restreindre l’accès à la révision judiciaire relativement aux questions de fait et aux questions mixtes de fait et de droit. Aucune inférence de la sorte n’est justifiée. Afin d’appliquer adéquatement l’arrêt Strickland, la Cour divisionnaire aurait dû exercer son pouvoir discrétionnaire et procéder à la révision judiciaire à l’égard de questions non visées par le droit d’appel prévu par la loi.

[5]                             En ce qui concerne la décision de l’arbitre du TAMP sur le réexamen (2020 CanLII 34442 (« décision sur le réexamen »)), elle est déraisonnable, car l’arbitre a omis de considérer les effets du rétablissement des indemnités sur le délai de prescription, et il n’a pas tenu compte de la jurisprudence pertinente sur la question. Par conséquent, le pourvoi est accueilli et l’affaire est renvoyée à l’arbitre du TAMP pour réexamen.

II.            Contexte factuel

A.           La réclamation d’assurance sous‑jacente

[6]                             Madame Yatar [traduction] « a été blessée lors d’un accident de voiture en février 2010 et a réclamé des indemnités en vertu de l’Annexe sur les indemnités d’accident légales — accidents survenus le 1er novembre 1996 ou après ce jour, Règl. de l’Ont. 403/96 (“AIAL”) » (décision de la Cour divisionnaire, par. 5). L’une des deux parties intimées, TD Assurance Meloche Monnex, était son assureur à l’époque, et elle a reçu la demande d’indemnités d’accident de Mme Yatar le 22 février 2010, ainsi que son formulaire de confirmation de l’employeur le 13 mars 2010. Dans sa demande, Mme Yatar réclamait également des indemnités de remplacement de revenu (« IRR »), ainsi que des indemnités pour travaux ménagers et travaux d’entretien du domicile.

Refus des indemnités demandées et procédures subséquentes

[7]                              La demande d’indemnités de Mme Yatar a initialement été jugée valide par TD Assurance, et cette dernière lui a versé des indemnités. Toutefois, au cours des mois qui ont suivi, TD Assurance a refusé dans trois lettres les indemnités demandées :

a)   La lettre de janvier : Le 7 janvier 2011, TD Assurance a informé Mme Yatar que le versement des IRR ainsi que des indemnités pour travaux ménagers et travaux d’entretien du domicile avait été arrêté vu l’absence de certificat d’invalidité dûment rempli. La lettre contenait des instructions pour un examen médical, examen auquel Mme Yatar s’est présentée les 17 et 27 janvier. Un formulaire de règlement des différends était joint à cette lettre.

b)   La lettre de février : Le 16 février 2011, Mme Yatar a été informée par TD Assurance que, par suite de l’examen médical, sa demande d’indemnités pour travaux ménagers et travaux d’entretien du domicile était refusée. Toutefois, ses IRR étaient rétablies. Aucun formulaire de règlement des différends n’était joint à cette lettre.

c)   La lettre de septembre : Le 19 septembre 2011, Mme Yatar a été avisée que ses IRR étaient refusées par TD Assurance, et que les versements cesseraient le 28 septembre 2011. Aucun formulaire de règlement des différends n’était joint à cette lettre.

[8]                             D’importantes modifications législatives ont été apportées depuis que Mme Yatar a commencé ses procédures. Au moment de l’accident, en 2010, la Loi sur les assurances précisait que le délai pour engager des procédures était de deux ans suivant le refus de l’assureur de verser les indemnités (par. 281.1(1)), et que la médiation était une première étape obligatoire aux fins de règlement d’un différend (par. 281(2)), processus qui prolongeait le délai de prescription de 90 jours après la remise du rapport du médiateur (al. 281.1(2)b)). Madame Yatar a sollicité la médiation le 13 septembre 2012 afin de contester le refus de lui verser les indemnités qu’elle demandait. Le processus de médiation a pris fin le 14 janvier 2014.

[9]                             Cependant, l’élément le plus pertinent en l’espèce est le fait que, lorsque Mme Yatar a commencé sa procédure devant le TAMP en mars 2018, tant la Loi sur les assurances que l’AIAL avaient été remaniées. Par suite des modifications apportées à la Loi sur les assurances, le TAMP s’est vu conférer compétence exclusive, en première instance, en matière de règlement des différends portant sur l’AIAL. En outre, le processus de médiation obligatoire a été éliminé. La Loi sur le TAMP a elle aussi été modifiée afin de permettre l’appel des décisions du TAMP, mais sur des questions de droit seulement (par. 11(6)).

[10]                          Le 31 mars 2016, Mme Yatar a intenté son action devant la Cour supérieure de justice. L’action a été rejetée par voie d’ordonnance sur consentement le 27 mars 2017, et la demande à l’origine du présent pourvoi a été présentée au TAMP en mars 2018.

III.         Historique judiciaire

A.           Tribunal d’appel en matière de permis

[11]                         Dans la première décision de l’arbitre du TAMP en avril 2019 (2019 CanLII 43918 (« décision préliminaire »), l’arbitre du TAMP a examiné la demande de Mme Yatar réclamant des IRR ainsi que des indemnités pour travaux ménagers et pour travaux d’entretien du domicile, et il l’a rejetée, concluant que la demande était prescrite depuis avril 2014. Lorsque Mme Yatar a entrepris le processus de médiation au début de 2011, tant l’al. 281.1(2)b) de la Loi sur les assurances que le par. 51(2) de l’AIAL prévoyaient un délai de prescription qui expirait 90 jours après la remise du rapport du médiateur.

[12]                         L’arbitre du TAMP a statué que TD Assurance avait, dans une lettre datée du 7 janvier 2011, refusé d’accorder les IRR ainsi que les indemnités pour travaux ménagers et pour travaux d’entretien du domicile. Étant donné que [traduction] « [Mme Yatar] a déposé la présente demande au [TAMP] le 16 mars 2018, plus de sept ans après le refus de ces indemnités le 7 janvier 2011 » (par. 19), et même en tenant compte de l’allongement du délai de prescription en raison de l’évaluation et de la médiation, l’arbitre du TAMP a conclu que les demandes étaient prescrites depuis avril 2014.

[13]                         L’arbitre du TAMP a souligné que, [traduction] « [à] la lumière du témoignage de l’avocate, il est évident que les avocats de son cabinet auraient dû connaître le délai de prescription de deux ans applicable. Il est également évident que [Mme Yatar] s’est, à son détriment, fiée à l’expertise de son avocate eu égard au délai de prescription prévu par la loi » (décision préliminaire, par. 25).

[14]                         Dans la décision sur le réexamen, l’arbitre du TAMP a examiné ses motifs précédents ainsi que la preuve. L’arbitre a corrigé une erreur factuelle au par. 12 de sa décision originale, mais il a confirmé cette décision.

[15]                         L’arbitre du TAMP s’est fondé sur l’arrêt Smith c. Cie d’assurance générale Co‑operators, 2002 CSC 30, [2002] 2 R.C.S. 129. Il a conclu que le formulaire de règlement des différends qui était joint à la lettre de janvier 2011 [traduction] « énonce clairement les trois étapes du processus de règlement des différends et avertit en termes clairs et simples de l’existence du délai de prescription de deux ans » (par. 13). L’arbitre du TAMP a déclaré que, dans l’arrêt Smith c. Co‑operators, le but de la Cour suprême du Canada était de faire en sorte que le demandeur soit informé du processus de règlement des différends. Il a fait remarquer qu’il y avait eu [traduction] « acceptation implicite des refus qui avaient pris effet le 4 janvier 2011 », et il a confirmé sa conclusion précédente selon laquelle la lettre du 7 janvier 2011 constituait un refus valide des indemnités (décision sur le réexamen, par. 15; voir aussi le par. 16).

[16]                         Le délai de prescription a été prolongé jusqu’en avril 2014 par suite de la médiation. Toutefois, comme Mme Yatar a présenté sa demande d’indemnités au TAMP le 16 mars 2018, cette demande était prescrite. La demande de réexamen a été rejetée.

B.            Cour supérieure de justice de l’Ontario (Cour divisionnaire), 2021 ONSC 2507, 157 O.R. (3d) 337 (les juges Swinton, Penny et Kristjanson)

[17]                         Le droit de Mme Yatar d’interjeter appel de la décision de l’arbitre du TAMP sur le réexamen était limité aux questions de droit, conformément au par. 11(6) de la Loi sur le TAMP. À la lumière de cette limitation, Mme Yatar a déposé un appel fondé sur des questions de droit, en plus de présenter une requête en révision judiciaire relativement à des questions de fait ou des questions mixtes de fait et de droit.

[18]                         La Cour divisionnaire a jugé que son pouvoir d’entendre la requête en révision judiciaire découlait du par. 280(3) de la Loi sur les assurances et du par. 2(1) de la Loi sur la procédure de révision judiciaire, L.R.O. 1990, c. J.1; ce pouvoir n’était pas écarté par le droit d’appel limité aux questions de droit que prévoit le par. 11(6) de la Loi sur le TAMP.

[19]                         L’appel a été rejeté, étant donné que Mme Yatar n’avait démontré aucune erreur de droit de la part de l’arbitre du TAMP, et avait plutôt énuméré des [traduction] « conclusions factuelles tirées par l’arbitre [du TAMP], puis simplement affirmé que l’arbitre [du TAMP] avait commis une erreur de droit, sans identifier l’erreur de droit en question ou quelque principe juridique isolable » (décision de la Cour divisionnaire, par. 27).

[20]                         En ce qui concerne la requête en révision judiciaire visant des questions de fait et des questions mixtes de fait et de droit, la Cour divisionnaire a conclu, sur la base de l’arrêt Vavilov, que le droit d’appel limité prévu par la Loi sur le TAMP n’avait pas pour effet de [traduction] « priver la cour du pouvoir d’examiner d’autres aspects d’une décision dans le cadre d’une procédure de révision judiciaire » (par. 36). La cour a ajouté que la révision judiciaire est un recours discrétionnaire, et qu’il faudrait donc refuser d’y procéder lorsque d’autres recours sont adéquats (voir Strickland, par. 37 et 40).

[21]                         Relativement à la question de savoir s’il y avait lieu qu’elle exerce son pouvoir discrétionnaire de procéder à la révision judiciaire en l’espèce, la Cour divisionnaire a considéré quatre facteurs : (i) l’intention du législateur de limiter aux questions de droit seulement la révision judiciaire des décisions du TAMP sur les indemnités en matière d’accidents, (ii) l’étendue du pouvoir de réexamen du TAMP, (iii) la nature des erreurs alléguées, et (iv) les difficultés systémiques associées au traitement d’une révision judiciaire et d’un appel (par. 41‑45).

[22]                         La Cour divisionnaire a conclu qu’il n’existait en l’espèce [traduction] « aucune circonstance exceptionnelle » justifiant une révision judiciaire (par. 46). Sur ce fondement, la Cour divisionnaire a refusé d’accueillir la requête en révision judiciaire.

C.            Cour d’appel de l’Ontario, 2022 ONCA 446, 25 C.C.L.I. (6th) 1 (les juges Lauwers, Nordheimer et Zarnett)

[23]                         Deux questions ont fait l’objet de l’appel à la Cour d’appel : (i) la question de savoir si [traduction] « la Cour divisionnaire a[vait] fait erreur en limitant la révision judiciaire, dans les cas où il y a appel prévu par la loi [. . .], aux cas présentant des “circonstances exceptionnelles” », et (ii) la question de savoir si « la décision du [TAMP] sur le réexamen [était] raisonnable » (par. 27).

[24]                         La Cour d’appel a fait remarquer que, lorsque la Cour divisionnaire avait discuté de l’ouverture du recours en révision judiciaire, [traduction] « l’utilisation de l’expression “circonstances exceptionnelles” avait été malencontreuse » et risquait de susciter de la confusion (par. 35). La Cour d’appel a jugé que le message que la Cour divisionnaire [traduction] « tentait de communiquer était que ce serait seulement dans de rares cas que le recours en révision judiciaire serait exercé, compte tenu du régime législatif de règlement des différends relatifs à l’AIAL » (par. 42).

[25]                         La Cour d’appel a conclu qu’un droit d’appel limité prévu par la loi ne fait pas obstacle à la révision judiciaire. Le droit de demander la révision judiciaire existe toujours, mais cela [traduction] « ne change [pas] le fait que la révision judiciaire est un recours discrétionnaire » (par. 41). La Cour d’appel a aussi déclaré, en s’appuyant sur l’arrêt Strickland, que [traduction] « [l]e pouvoir discrétionnaire du tribunal en ce qui concerne la révision judiciaire s’applique tant à sa décision de procéder à la révision qu’à celle d’accorder réparation » (par. 44).

[26]                         La Cour d’appel a statué que la Cour divisionnaire avait correctement considéré les facteurs énoncés dans Strickland relativement à la question de savoir s’il existe ou non d’autres recours que la révision judiciaire. Il y a [traduction] « intention du législateur de limiter l’accès aux tribunaux à l’égard de ces différends » (par. 43).

[27]                         La Cour d’appel a conclu que, même en supposant que [traduction] « la requête en révision judiciaire aurait dû être examinée », Mme Yatar n’avait pas démontré que la décision de l’arbitre du TAMP sur le réexamen était déraisonnable : [traduction] « . . . cette demande aurait échoué suivant la présomption voulant que la norme de la décision raisonnable soit la norme applicable . . . » (par. 52).

[28]                         La Cour d’appel a jugé que la conclusion sous‑jacente de l’arbitre du TAMP selon laquelle le refus valide des indemnités avait déclenché le début du délai de prescription était elle aussi raisonnable :

     [traduction] . . . le délai de prescription aurait expiré en 2013, n’eût été le processus de médiation [. . .] qui a prolongé ce délai jusqu’en avril 2014. Mais dans un cas comme dans l’autre, le fait que [Mme Yatar] n’a pas présenté sa demande au [TAMP] avant le 16 mars 2018 signifiait que celle‑ci était hors délai. [par. 51]

[29]                         En conséquence, bien que la Cour d’appel ait conclu que la révision judiciaire de la décision de l’arbitre du TAMP n’aurait pas dû être effectuée, la requête en révision judiciaire aurait échoué puisque la décision de l’arbitre du TAMP sur le réexamen était raisonnable.

IV.         Questions en litige dans le pourvoi

[30]                         Dans le présent pourvoi, Mme Yatar soulève deux questions : premièrement, la question de savoir si la Cour d’appel a fait erreur en concluant que la décision du législateur de limiter aux [traduction] « pures » questions de droit le droit de faire appel des décisions du TAMP avait pour effet de restreindre aux cas « rares » ou « inhabituels » l’ouverture de la révision judiciaire à l’égard des décisions du TAMP pour les erreurs de fait ou des erreurs mixtes de fait et de droit; et, deuxièmement, la question de savoir si la Cour d’appel a fait erreur en concluant que la décision de l’arbitre du TAMP sur le réexamen était raisonnable (m.a., par. 28).

V.           Observations des parties

A.           Madame Yatar

[31]                         Madame Yatar fait valoir que la Cour d’appel a fait erreur en concluant que l’existence d’un droit d’appel limité prévu par la loi peut constituer un fondement permettant de refuser de procéder à une révision judiciaire à l’égard de questions débordant le champ d’application de l’appel prévu par la loi. L’arrêt Vavilov confirme que [traduction] « le droit d’interjeter appel à l’égard d’une question de droit n’est pas le recours approprié si le justiciable sollicite le contrôle judiciaire à l’égard d’une question de fait ou d’une question mixte de fait et de droit, [. . .] les deux recours sont complémentaires » (m.a., par. 52).

[32]                         Pour ce qui est de la révision judiciaire en l’espèce, Mme Yatar prétend que, comme aucun formulaire de règlement des différends n’était joint aux lettres de février et septembre 2011, ces lettres ne peuvent pas être considérées comme des refus valides de verser des indemnités. L’arbitre du TAMP a commis une erreur en considérant que la lettre de janvier 2011 constituait un refus valide, car il s’agissait d’une suspension temporaire des indemnités qui [traduction] « ne constituait pas un avis en “termes clairs et simples — qu’un profane peut saisir — ” indiquant que les indemnités ne seraient pas versées » (m.a., par. 79). Par conséquent, la lettre de janvier 2011 ne saurait être le point de départ du délai de prescription.

[33]                         Madame Yatar soutient que le fait que l’arbitre du TAMP ne s’est pas penché sur la question des « ambiguïtés » de la lettre de janvier 2011 représente une lacune fondamentale de son analyse, et la décision de ce dernier est en conséquence déraisonnable.

B.            TD Assurance et Tribunal d’appel en matière de permis

[34]                         TD Assurance plaide que la Cour divisionnaire n’a pas fait erreur en exerçant son pouvoir discrétionnaire pour refuser de procéder à la révision judiciaire de la décision de l’arbitre du TAMP sur le réexamen. La législature ontarienne a choisi de limiter aux questions de droit l’intervention des tribunaux en appel.

[35]                         La révision judiciaire est un recours qui relève du pouvoir discrétionnaire des tribunaux, et la décision de la Cour divisionnaire d’exercer ou non ce pouvoir discrétionnaire commande la déférence. Comme l’a reconnu notre Cour dans l’arrêt Canadien Pacifique Ltée c. Bande indienne de Matsqui, [1995] 1 R.C.S. 3, les brefs de prérogative sont des « recours extraordinaires ». Le droit de présenter une demande de contrôle judiciaire n’emporte pas « le droit d’exiger que la cour procède effectivement à ce contrôle », indépendamment de la nature de la question (par. 30; Canada (Vérificateur général) c. Canada (Ministre de l’Énergie, des Mines et des Ressources), [1989] 2 R.C.S. 49, p. 93).

[36]                         TD Assurance avance que les facteurs énoncés dans l’arrêt Strickland constituent un fondement suffisant pour rejeter le présent pourvoi. Si d’autres recours que la révision judiciaire sont adéquats, comme c’est le cas en l’espèce, il est alors « approprié » de donner effet à l’intention du législateur, et de refuser de procéder à la révision judiciaire. D’autres facteurs tirés de la jurisprudence confirment que la révision judiciaire n’était pas appropriée en l’espèce, notamment : la nature du régime législatif, la nature de la décision et le processus suivi pour y arriver, l’importance de la décision pour la ou les personnes touchées, et la question de savoir si l’affaire présente de l’intérêt pour le public.

[37]                         Subsidiairement, TD Assurance soutient que, s’il y a lieu de réviser judiciairement la décision de l’arbitre du TAMP sur le réexamen, l’arbitre a conclu de manière raisonnable que la demande était prescrite.

[38]                         Le TAMP affirme que la Cour d’appel a correctement jugé que ce serait [traduction] « seulement dans de rares cas » que devrait être exercé le pouvoir discrétionnaire de procéder à la révision judiciaire à l’égard de questions de fait et de questions mixtes de fait et de droit (motifs de la C.A., par. 42). Autrement, la concrétisation de l’intention qu’a exprimée le législateur en édictant une disposition restreignant le droit d’appel serait compromise.

[39]                         Le TAMP prétend que les observations qui précèdent sont conformes aux conclusions de l’arrêt Strickland quant à l’exercice du pouvoir discrétionnaire de procéder ou non à la révision judiciaire. L’arrêt Vavilov n’a pas modifié l’état du droit relatif au pouvoir discrétionnaire de refuser de procéder à la révision judiciaire lorsqu’un autre recours existe; l’arrêt Vavilov n’a pas écarté l’arrêt Strickland.

[40]                         De l’avis du TAMP, si on interprète ensemble les arrêts Vavilov et Strickland, on arrive à la conclusion que l’exercice du pouvoir discrétionnaire de procéder ou non à la révision judiciaire doit tenir compte du caractère adéquat du droit d’appel limité en tant qu’autre recours tout en respectant le choix du législateur de créer un droit d’appel limité aux questions de droit seulement. Le TAMP ne formule pas de position quant au caractère raisonnable de sa décision.

VI.         Analyse

A.           Norme de contrôle

[41]                          La principale question en litige dans le présent pourvoi porte sur la décision de la Cour divisionnaire et de la Cour d’appel de ne pas procéder à la révision judiciaire. Comme il s’agit d’une décision discrétionnaire, elle commande la déférence (voir Strickland, par. 39). Toutefois, une telle décision peut être écartée si le juge a « tenu compte de facteurs non pertinents, [. . .] omis de prendre en considération des facteurs pertinents ou [. . .] tiré une conclusion déraisonnable » (Bande indienne de Matsqui, par. 39). Comme je vais l’expliquer, la Cour divisionnaire et la Cour d’appel ont fait erreur dans l’application de l’arrêt Strickland, en ce qu’elles ont agi sur la base d’un « principe erroné » (Bande indienne de Matsqui, par. 112, le juge Sopinka).

[42]                         Une fois qu’il est décidé qu’il est approprié de procéder à la révision judiciaire dans la présente affaire, la question qui se pose consiste à se demander si la décision de l’arbitre du TAMP sur le réexamen était raisonnable. Aux termes de l’arrêt Vavilov, il existe une « présomption voulant que la norme de la décision raisonnable soit la norme applicable chaque fois qu’une cour contrôle une décision administrative » (par. 16). Cette présomption n’est pas réfutée en l’espèce.

B.            L’existence d’un droit d’appel limité ne fait pas obstacle en soi aux requêtes en révision judiciaire

[43]                         Lorsque le différend a pris naissance au début de 2011, la médiation était une première étape obligatoire dans toute contestation visant le refus d’un assureur de verser des indemnités. Tant l’al. 281.1(2)b) de la Loi sur les assurances que le par. 51(2) de l’AIAL précisaient que le délai de prescription était prolongé de 90 jours après la remise du rapport du médiateur. Madame Yatar a entrepris un processus de médiation en septembre 2012. Lorsqu’elle a commencé sa procédure devant le TAMP en mars 2018, le régime législatif avait été modifié et prévoyait qu’il pouvait être interjeté appel à l’encontre d’une décision du TAMP portant sur une question visée par la Loi sur les assurances à l’égard de questions de droit seulement.

[44]                         En l’espèce, la Cour divisionnaire et la Cour d’appel ont jugé qu’une partie peut à la fois exercer un droit d’appel prévu par la loi et présenter une requête en révision judiciaire à l’égard de questions débordant le champ d’application de ce droit d’appel. D’autres tribunaux ont eux aussi conclu qu’un droit d’appel prévu par la loi ne fait pas obstacle à la révision judiciaire (voir Smith c. The Appeal Commission, 2023 MBCA 23, 479 D.L.R. (4th) 121; Wongkingsri c. Alberta (Appeals Commission for Alberta Workers’ Compensation), 2022 ABQB 545, 61 Alta. L.R. (7th) 170; Zarooben c. Workers’ Compensation Board, 2021 ABQB 232, 84 Admin. L.R. (6th) 96, conf. par 2022 ABCA 50, 95 Admin. L.R. (6th) 163).

[45]                         La question qui demeure est la suivante : Quel rôle joue le droit d’appel dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire de procéder au contrôle judiciaire? Pour trancher cette question, il est important de se référer aux principes fondamentaux. Dans l’arrêt Immeubles Port Louis Ltée c. Lafontaine (Village), [1991] 1 R.C.S. 326, notre Cour a jugé que « [l]e principe de subordination de l’administration publique au pouvoir de surveillance des cours supérieures est la pierre angulaire du système de droit administratif canadien et québécois. Ce contrôle judiciaire est une conséquence nécessaire de la [primauté du droit] » (p. 360).

[46]                         L’importance du contrôle judiciaire a été confirmée par la Cour dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, par. 27 :

     Sur le plan constitutionnel, le contrôle judiciaire est intimement lié au maintien de la primauté du droit. C’est essentiellement cette assise constitutionnelle qui explique sa raison d’être et oriente sa fonction et son application. Le contrôle judiciaire s’intéresse à la tension sous‑jacente à la relation entre la primauté du droit et le principe démocratique fondamental, qui se traduit par la prise de mesures législatives pour créer divers organismes administratifs et les investir de larges pouvoirs.

[47]                         Dans Vavilov, au par. 52, notre Cour a statué que l’intention du législateur de limiter les droits d’appel prévus par la loi ne fait pas obstacle en soi aux demandes de contrôle judiciaire :

      La présence d’un droit d’appel circonscrit dans le cadre d’un régime législatif ne fait pas obstacle en soi aux demandes de contrôle judiciaire visant des décisions ou des questions qui ne sont pas visées par le mécanisme d’appel, ni aux recours intentés par des personnes qui n’ont aucun droit d’appel.

[48]                         Ce précédent de la Cour envisage le cas d’une personne qui présente à la fois un appel prévu par la loi sur la base de questions de droit, ainsi qu’une demande de contrôle judiciaire sur la base de questions de fait et de questions mixtes de fait et de droit. Dans un tel cas, comme il est précisé dans Vavilov, au par. 37, les questions de droit visées par l’appel seraient contrôlées selon la norme de la décision correcte (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235), et les questions de fait ainsi que les questions mixtes de fait et de droit le seraient suivant la norme de la décision raisonnable (voir Vavilov).

[49]                         Une personne a le droit de présenter une demande de contrôle judiciaire, et [traduction] « [c]onférer aux tribunaux le pouvoir discrétionnaire de ne pas entendre des demandes de contrôle judiciaire en raison de leur perception de la qualité et de la quantité des mesures de réexamen internes disponibles permettrait à un pouvoir discrétionnaire judiciaire de supplanter un principe constitutionnel » (P. Daly, A Culture of Justification : Vavilov and the Future of Administrative Law (2023), p. 226, note 94). Bien que les tribunaux aient le pouvoir discrétionnaire d’entendre ou non au fond une demande de contrôle judiciaire et de refuser d’accorder réparation, ce pouvoir discrétionnaire ne va pas jusqu’à les autoriser à refuser de considérer la demande, comme je vais l’expliquer ci‑après.

[50]                         Je prends acte d’arrêts récents de la Cour d’appel fédérale concernant l’ouverture du recours en contrôle judiciaire en présence d’une clause privative, c.‑à‑d. une clause qui vise à exclure ou à restreindre ce recours (voir, p. ex., Canada (Attorney General) c. Pier 1 Imports (U.S.), Inc., 2023 CAF 209; Canada (Procureur général) c. Best Buy Canada Ltd., 2021 CAF 161; Démocratie en surveillance c. Canada (Procureur général), 2023 CAF 39, 14 Admin. L.R. (7th) 48; Démocratie en surveillance c. Canada (Procureur général), 2022 CAF 208). Cependant, il ne s’agit pas là de la question en litige dans la présente affaire. Par conséquent, je reporte à une autre occasion l’examen de cette question.

C.           L’exercice du pouvoir discrétionnaire d’accorder réparation en cas de contrôle judiciaire

[51]                         Malgré l’existence du droit de présenter une demande de contrôle judiciaire, il est loisible au juge à qui une telle demande est présentée de décider s’il y a lieu d’exercer son pouvoir discrétionnaire d’accorder ou non réparation. Notre Cour a déclaré ce qui suit dans Strickland, par. 37, citant Canada (Ministre de l’Énergie, des Mines et des Ressources), p. 90 :

      Le contrôle judiciaire effectué au moyen des anciens brefs de prérogative a toujours été considéré comme étant discrétionnaire. Cela signifie que, même si le demandeur établit le bien‑fondé de sa demande de contrôle judiciaire, la cour de révision dispose du pouvoir discrétionnaire prépondérant de refuser d’accorder la réparation demandée [. . .]. Les déclarations de droit, qu’elles soient sollicitées au moyen d’une demande de contrôle judiciaire ou d’une action, sont également des réparations discrétionnaires : [traduction] « . . . les tribunaux ont la plus grande discrétion pour décider s’il s’agit d’une affaire où le jugement déclaratoire demandé devrait être accordé » . . . [Je souligne.]

[52]                         Dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, par. 135, le juge Rothstein a dit ceci :

      En common law, le pouvoir discrétionnaire de refuser d’accorder réparation dans le cadre du contrôle judiciaire a traditionnellement été exercé en fonction de la conduite des parties, d’un retard excessif et de l’existence d’autres recours possibles : Immeubles Port Louis Ltée c. Lafontaine (Village), [1991] 1 R.C.S. 326, p. 364. Comme le confirme l’arrêt Harelkin [c. Université de Regina, [1979] 2 R.C.S. 561], à la p. 575, les tribunaux judiciaires peuvent exercer leur pouvoir discrétionnaire de ne pas accorder réparation aux demandeurs si ceux‑ci « sont responsables d’un retard déraisonnable ou d’une faute ou s’il existe un autre recours approprié, même s’ils ont fait la preuve de l’incompétence du tribunal d’instance inférieure ou de l’omission d’accomplir un devoir public ». Comme dans le cas des injonctions interlocutoires, les cours de justice exercent leur pouvoir discrétionnaire d’accorder réparation dans le cadre d’un contrôle judiciaire en tenant compte de l’intérêt public, de tout effet disproportionné sur les parties et des intérêts des tiers. [Je souligne.]

[53]                         En l’espèce, la Cour d’appel a affirmé que [traduction] « [l]e pouvoir discrétionnaire du tribunal en ce qui concerne la révision judiciaire s’applique tant à sa décision de procéder à la révision qu’à celle d’accorder réparation » (par. 44). Cet énoncé n’est pas clair; il est donc nécessaire de le clarifier.

[54]                         Lorsqu’une personne présente une demande de contrôle judiciaire, le juge doit examiner la demande : au minimum, cela signifie que le juge doit déterminer si le contrôle judiciaire constitue un recours approprié. Si, dans l’examen de la demande, le juge conclut à l’existence de l’un des motifs discrétionnaires justifiant de ne pas accorder une réparation, il peut refuser d’examiner au fond la demande de contrôle judiciaire (Strickland, par. 1, 38 et 40; Matsqui, par. 31). Le juge a aussi le pouvoir discrétionnaire de refuser d’accorder une réparation, même s’il conclut que la décision soumise au contrôle est déraisonnable (Khosa, par. 135; Strickland, par. 37, citant Ministre de l’Énergie, des Mines et des Ressources, p. 90).

[55]                         La Cour d’appel a initialement conclu à l’absence d’erreur révisable dans la décision de la Cour divisionnaire de refuser d’instruire la requête en révision judiciaire et, à l’instar de la Cour divisionnaire, elle a jugé : (i) qu’il existait d’autres recours, et (ii) que le régime législatif démontrait [traduction] « l’intention du législateur de limiter l’accès aux tribunaux à l’égard de ces différends » (par. 43). La Cour d’appel a ensuite procédé à la révision judiciaire, tout comme l’avait fait la Cour divisionnaire.

[56]                         D’après l’arrêt Strickland, l’exercice du pouvoir discrétionnaire exige que la cour de révision décide du caractère approprié du contrôle judiciaire : « La cour doit tenir compte non seulement de l’autre recours disponible, mais aussi de la pertinence et du caractère opportun du contrôle judiciaire dans les circonstances. Bref, la question ne consiste pas simplement à décider si quelque autre recours est adéquat, mais également s’il convient de recourir au contrôle judiciaire. [. . .] Cette mise en balance devrait prendre en compte les objectifs et les considérations de principe qui sous‑tendent le régime législatif en cause . . . » (par. 43‑44).

[57]                         Avec égards, la Cour d’appel a fait erreur dans l’application des facteurs énoncés dans Strickland. Comme je vais l’expliquer, il n’y a pas de fondement adéquat permettant d’inférer que le législateur entendait écarter la révision judiciaire dans le cas des questions (de fait et des questions mixtes de fait et de droit) qui débordent le champ d’application de l’appel prévu par la loi. De surcroît, il n’existait pas d’autre recours adéquat à la disposition de Mme Yatar à l’égard des questions de fait et des questions mixtes de fait et de droit.

[58]                         La Cour d’appel a fait erreur en concluant que le droit d’appel limité reflétait l’intention de restreindre le recours aux tribunaux à l’égard d’autres questions découlant de la décision administrative, et que la révision judiciaire devrait en conséquence être rare. La décision du législateur d’établir un droit d’appel à l’égard de questions de droit dénote seulement l’intention d’assujettir à la norme de la décision correcte la révision des décisions du TAMP portant sur des questions de droit. L’idée que les décisions du TAMP ne devraient pas faire l’objet de recours en révision judiciaire sur la base de questions de fait et de questions mixtes de fait et de droit ne saurait être inférée de ce qui précède.

[59]                         L’intimée TD Assurance plaide que le régime législatif et ses modifications de 2016 reflètent le choix de politique d’intérêt général du législateur de limiter considérablement l’intervention des tribunaux dans les différends portant sur les indemnités liées aux accidents : [traduction] « Le paragraphe 11(6) de la Loi sur le TAMP limite les appels aux questions de droit seulement. [. . .] Dans le cas des décisions que rend le TAMP en vertu d’environ vingt autres lois, le législateur a prévu qu’il peut être interjeté appel à l’égard de toutes les questions » (m.i., par. 62‑63). TD Assurance prétend en outre que [traduction] « l’application d’une norme de révision déférentielle (la décision raisonnable) à l’égard des questions de fait et des questions mixtes découlant des décisions du TAMP concernant l’AIAL ne respecterait pas de manière appropriée les choix du législateur en matière d’organisation institutionnelle » (par. 84).

[60]                         Avec égards, je ne suis pas d’accord. Le législateur aurait pu décider d’englober tous les types d’erreurs dans le droit d’appel, mais il ne l’a pas fait. De plus, le par. 2(1) de la Loi sur la procédure de révision judiciaire maintient le droit des plaideurs de solliciter une révision judiciaire « malgré tout droit d’appel ». Les erreurs de fait ou les erreurs mixtes de fait et de droit ne sont par conséquent pas assujetties à une révision suivant la norme de la décision correcte. À la lumière de ce qui précède, le fait de procéder à une révision judiciaire à l’égard de questions de fait ou de questions mixtes de fait et de droit respecte pleinement les choix du législateur en matière d’organisation institutionnelle.

[61]                         Dans Vavilov, notre Cour a conclu que, « étant donné que le contrôle judiciaire bénéficie de la protection de l’art. 96  de la Loi constitutionnelle de 1867 , le législateur ne peut soustraire le processus décisionnel administratif à tout examen judiciaire » (par. 24). Le professeur Paul Daly soutient que [traduction] « [d]ans les cas où la compétence des tribunaux en matière de contrôle judiciaire a été écartée avec succès par la loi [. . .] le législateur a prévu une voie particulière permettant de surveiller la légalité, la rationalité et l’équité procédurale de l’action administrative » (Understanding Administrative Law in the Common Law World (2021), p. 188 (en italique dans l’original)). En d’autres mots, il existait dans ces cas‑là un autre forum ou redressement approprié.

[62]                         Le droit d’appel prévu par la loi et la décision de l’arbitre du TAMP sur le réexamen ne constituent pas d’autres recours adéquats. Le droit d’appel prévu au par. 11(6) de la Loi sur le TAMP se limite aux erreurs de droit seulement. Madame Yatar soulève des erreurs de fait ou des erreurs mixtes de fait et de droit. La révision de ces questions n’est pas possible en vertu du droit d’appel prévu par la loi.

[63]                         L’accès à la procédure de réexamen interne ne saurait représenter un recours adéquat, puisque c’est la décision sur le réexamen elle-même qui est l’objet de la révision. Il existe concrètement d’autres possibilités de recours lorsque les processus internes de révision n’ont pas été épuisés ou lorsqu’il y a un droit d’appel prévu par la loi qui n’est pas limité, de telle sorte que les questions de droit, de fait et mixtes de fait et de droit peuvent être examinées en appel. Ce n’est toutefois pas le cas en l’espèce.

[64]                         Dans l’arrêt Strickland, par. 43, notre Cour a également mis l’accent sur le caractère approprié du contrôle judiciaire eu égard aux circonstances, parlant d’une « mise en balance » :

     La liste des facteurs pertinents n’est pas limitée, car il appartient aux cours de justice de les cerner et de les soupeser dans le contexte d’une affaire donnée : Matsqui, par. 36‑37, citant [Ministre de l’Énergie, des Mines et des Ressources], p. 96. Il ne s’agit donc pas, pour déterminer s’il existe un autre recours approprié, de suivre une liste de vérification axée sur les similitudes et les différences entre les recours potentiels. L’examen auquel il faut se livrer est encore plus poussé. La cour doit tenir compte non seulement de l’autre recours disponible, mais aussi de la pertinence et du caractère opportun du contrôle judiciaire dans les circonstances. Bref, la question ne consiste pas simplement à décider si quelque autre recours est adéquat, mais également s’il convient de recourir au contrôle judiciaire. En définitive, cela requiert une analyse du type de la prépondérance des inconvénients : Khosa, par. 36; TeleZone, par. 56. Comme l’a dit le juge en chef Dickson au nom de la Cour : « Se demander si l’autre recours disponible est approprié équivaut à examiner l’opportunité d’exercer le pouvoir discrétionnaire d’accorder le contrôle judiciaire recherché. C’est aux tribunaux qu’il appartient d’identifier et de mettre en équilibre les facteurs applicables . . . » [Ministre de l’Énergie, des Mines et des Ressources], p. 96. [Je souligne.]

[65]                         Les deux intimés ont plaidé que la révision judiciaire n’était pas un recours approprié dans les circonstances, étant donné que l’intention du législateur était de [traduction] « simplifier le processus de règlement des différends et de réduire les coûts » (m.i., TD Assurance, par. 61). Avec égards, je dois exprimer mon désaccord. L’utilisation économique des ressources judiciaires est une préoccupation légitime. Toutefois, cette préoccupation est pondérée par la considération qui consiste à veiller à ce que les justiciables dont les intérêts dépendent de décisions prises par un titulaire de pouvoirs délégués par une loi disposent d’un moyen utile et adéquat de contester les décisions qui, considèrent-ils, sont déraisonnables sur le plan de leur substance et de leur justification, ou ont été prises d’une manière inéquitable sur le plan de la procédure.

[66]                         En conséquence, dans la présente affaire, les aspects de la décision sur le réexamen qui ne sont pas visés par le droit d’appel limité devraient être révisés judiciairement.

[67]                         Je vais maintenant examiner la question de savoir si la décision de l’arbitre du TAMP était raisonnable.

D.           La décision de l’arbitre du TAMP était déraisonnable

[68]                         En janvier 2011, Mme Yatar a reçu de l’assureur une lettre l’avisant qu’elle ne recevrait plus d’IRR ni d’indemnité pour travaux ménagers et travaux d’entretien du domicile, au motif qu’elle n’avait pas présenté de certificat d’invalidité. Un formulaire de règlement des différends était joint à la lettre.

[69]                         Madame Yatar a fourni le certificat d’invalidité demandé et, d’après la lettre qu’elle a reçue de l’assureur en février 2011, ses IRR ont été rétablies, mais celles visant les travaux ménagers et les travaux d’entretien du domicile lui ont été refusées. À la suite d’un autre examen médical, l’assureur a refusé de verser d’autres IRR, comme cela était indiqué dans la lettre de septembre 2011.

[70]                         Madame Yatar soutient que les lettres de février et de septembre 2011 ne sont pas des refus valides, parce qu’aucun formulaire de règlement des différends n’y était joint. Bien que l’arbitre du TAMP soit lui aussi arrivé à cette conclusion, Mme Yatar affirme qu’il a fait erreur en concluant que la lettre de janvier constituait un refus valide.

[71]                         Suivant l’arrêt Vavilov, deux catégories de lacunes peuvent rendre une décision déraisonnable : premièrement, un « manque de logique interne du raisonnement » et, deuxièmement, la présence « d’une décision indéfendable sous certains rapports compte tenu des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur la décision » (par. 101). Il faut « considérer comme un tout » la décision de l’arbitre du TAMP sur le réexamen « et s’abstenir de faire une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur » (Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c. Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34, [2013] 2 R.C.S. 458, par. 54).

[72]                         L’arbitre du TAMP s’est fondé sur l’arrêt Smith c. Co‑operators, et il a conclu de l’affidavit produit par Mme Yatar qu’il y avait eu [traduction] « acceptation implicite des refus qui avaient pris effet le 4 janvier 2011 » (décision sur le réexamen, par. 15) et que son avocate aurait dû connaître le délai de prescription de deux ans, mais que rien n’a été fait pour protéger les droits de Mme Yatar.

[73]                         À l’époque, tant l’al. 281.1(2)b) de la Loi sur les assurances que le par. 51(2) de l’AIAL précisaient que le délai de prescription était prolongé de 90 jours après la remise du rapport du médiateur. L’arbitre du TAMP a pris en compte le fait que Mme Yatar a commencé le processus de médiation après avoir reçu la lettre de septembre. L’arbitre a pris en considération les lettres ainsi que le processus de médiation, et il a conclu que [traduction] « [l]e délai de prescription avait expiré le 14 avril 2014, au terme de la période de prolongation de quatre‑vingt‑dix jours prévue par la loi à la suite du rapport du médiateur » (décision préliminaire, par. 26, conf. par la décision sur le réexamen, par. 17).

[74]                         Cependant, l’arbitre du TAMP a omis de considérer l’effet du rétablissement des IRR entre février et septembre. L’arbitre n’a pas pris en compte les décisions antérieures du tribunal administratif, dont certaines avaient jugé que, dans les cas où il y a rétablissement des indemnités d’un demandeur, le délai de prescription peut uniquement être déclenché lorsqu’il est une fois de plus mis fin valablement au versement des indemnités (voir Veldhuizen c. Coseco Insurance Co., 1995 ONICDRG 144 (CanLII); Rudnicki c. Certas Direct Insurance Co., 2001 ONFSCDRS 60 (CanLII)).

[75]                         Il n’est pas contesté que Mme Yatar a demandé la médiation en septembre 2012. La médiation s’est déroulée entre le 18 juin 2013 et le 14 janvier 2014. Le 14 janvier 2014, le médiateur a remis son rapport. Toutefois, l’al. 281.1(2)b) de la Loi sur les assurances et le par. 51(2) de l’AIAL (tels qu’ils étaient rédigés à l’époque) ne déclenchent pas un délai de prescription de 90 jours commençant à courir à partir de la remise du rapport du médiateur. Ces dispositions prévoient plutôt une prolongation du délai de prescription de deux ans, à partir du moment où le médiateur remet son rapport. En d’autres mots, il est possible de soutenir qu’un refus valable des IRR continuait d’être nécessaire pour déclencher le compte à rebours. Je n’entends pas trancher cette question; cela revient au TAMP.

[76]                         L’arbitre du TAMP a omis de tenir compte de contraintes légales pertinentes. À la lumière de cela, sa décision est déraisonnable.

VII.      Conclusion

[77]                         Le pourvoi est accueilli. Ayant conclu que la décision sur le réexamen est déraisonnable, je renvoie l’affaire à l’arbitre du TAMP pour qu’il examine la question des effets du rétablissement des indemnités sur la validité du refus initial et, en conséquence, sur le délai de prescription.

[78]                         Comme Mme Yatar a eu gain de cause à l’égard de la question jurisprudentielle concernant l’exercice du pouvoir discrétionnaire de procéder à la révision judiciaire lorsqu’il existe un droit d’appel limité prévu par la loi, ainsi qu’à l’égard de la révision judiciaire, elle a droit à ses dépens devant notre Cour et devant les cours inférieures, payables par TD Assurance.

                    Pourvoi accueilli avec dépens.

                    Procureurs de l’appelant : Dewart Gleason, Toronto.

                    Procureurs de l’intimée TD Assurance Meloche Monnex : McCarthy Tétrault, Toronto.

                    Procureur de l’intimé le Tribunal d’appel en matière de permis : Tribunaux décisionnels Ontario — Unité des services juridiques, Toronto.

                    Procureurs de l’intervenant le procureur général du Canada : Ministère de la Justice du Canada — Bureau régional de l’Ontario, Secteur national du contentieux, Toronto; Ministère de la Justice du Canada — Bureau régional du Québec, Secteur national du contentieux, Montréal.

                    Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Ontario : Ministère du Procureur général — Bureau des avocats de la Couronne — Droit civil, Toronto.

                    Procureur de l’intervenant le procureur général du Québec : Ministère de la Justice du Québec, Québec.

                    Procureur de l’intervenant le procureur général de la Colombie-Britannique : Ministry of the Attorney General, Legal Services Branch, Vancouver.

                    Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Alberta : Alberta Justice, Legal Services Division — Constitutional and Aboriginal Law Team, Edmonton.

                    Procureur de l’intervenant le Centre d’action pour la sécurité du revenu : Centre d’action pour la sécurité du revenu, Toronto; Clinic Resource Office — Legal Aid Ontario, Toronto.

                    Procureur de l’intervenant le Centre ontarien de défense des droits des locataires : Centre ontarien de défense des droits des locataires, Toronto.

                    Procureur de l’intervenante l’Association canadienne des télécommunications : Paul Daly Law, Ottawa.

                    Procureurs de l’intervenant le Bureau d’assurance du Canada : Lenczner Slaght, Toronto.

                    Procureurs de l’intervenant Forest Appeals Commission : Arvay Finlay, Victoria.

                    Procureur des intervenants Aboriginal Council of Winnipeg, Inc. et Social Planning Council of Winnipeg : Centre juridique d’intérêt public, Winnipeg.



[1]  L’expression « révision judiciaire » est utilisée dans la Loi sur la procédure de révision judiciaire, L.R.O. 1990, c. J.1, de l’Ontario. Le synonyme « contrôle judiciaire » est également utilisé dans les présents motifs.

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