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COUR SUPRÊME DU CANADA

 

Référence : Sanis Health Inc. c. Colombie-Britannique, 2024 CSC 40

 

 

Appel entendu : 23 et 24 mai 2024

Jugement rendu : 29 novembre 2024

Dossier : 40864

 

Entre :

 

Sanis Health Inc., Shoppers Drug Mart Inc.,

Sandoz Canada Inc. et Corporation McKesson Canada

Appelantes

 

et

 

Sa Majesté le Roi du chef de la province de la Colombie-Britannique

Intimé

 

- et -

 

Procureur général du Canada, procureur général de l’Ontario,

procureur général du Québec, procureur général de la Nouvelle-Écosse,

procureur général du Nouveau-Brunswick, procureur général du Manitoba,

procureur général de l’Île-du-Prince-Édouard, procureur général de la

Saskatchewan, procureur général de l’Alberta, procureur général des

Territoires du Nord-Ouest, procureur général du Territoire du Yukon,

Groupe Jean Coutu (PJC) inc. et Pro Doc Ltée

Intervenants

 

Traduction française officielle

 

Coram : Le juge en chef Wagner et les juges Karakatsanis, Côté, Martin, Kasirer, O’Bonsawin et Moreau

 

Motifs de jugement :

(par. 1 à 110)

La juge Karakatsanis (avec l’accord du juge en chef Wagner et des juges Martin, Kasirer, O’Bonsawin et Moreau)

Motifs dissidents :

(par. 111 à 208)

La juge Côté

 

 

Note : Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada.

 

 

 

 


 

Sanis Health Inc., Shoppers Drug Mart Inc.,

Sandoz Canada Inc. et Corporation McKesson Canada                          Appelantes

c.

Sa Majesté le Roi du chef de la province de la Colombie-Britannique          Intimé

et

Procureur général du Canada,

procureur général de l’Ontario,

procureur général du Québec,

procureur général de la Nouvelle-Écosse,

procureur général du Nouveau-Brunswick,

procureur général du Manitoba,

procureur général de l’Île-du-Prince-Édouard,

procureur général de la Saskatchewan,

procureur général de l’Alberta,

procureur général des Territoires du Nord-Ouest,

procureur général du Territoire du Yukon,

Groupe Jean Coutu (PJC) inc. et Pro Doc Ltée                                      Intervenants

Répertorié : Sanis Health Inc. c. Colombie-Britannique

2024 CSC 40

No du greffe : 40864.

2024 : 23, 24 mai; 2024 : 29 novembre.

Présents : Le juge en chef Wagner et les juges Karakatsanis, Côté, Martin, Kasirer, O’Bonsawin et Moreau.

en appel de la cour d’appel de la colombie‑britannique

                    Droit constitutionnel — Partage des compétences — Extraterritorialité — Limites aux lois provinciales — Autorisation d’un recours collectif intenté contre des fabricants, négociants et distributeurs de produits opioïdes afin de recouvrer les frais de soins de santé engagés pour traiter des personnes exposées à ces produits demandée par la Colombie-Britannique — Adoption par la législature provinciale d’une loi comportant une disposition qui permet à la Colombie-Britannique d’agir à titre de représentante des demandeurs et d’ajouter d’autres gouvernements canadiens au groupe proposé sauf s’ils s’excluent du recours collectif conformément aux modalités de l’ordonnance d’autorisation — Constitutionnalité de la disposition contestée par les défenderesses — La disposition est-elle ultra vires de l’assemblée législative de la Colombie-Britannique? — Loi constitutionnelle de 1867, art. 92(13), (14) — Opioid Damages and Health Care Costs Recovery Act, S.B.C. 2018, c. 35, art. 11.

                    La Colombie‑Britannique a intenté à la Cour suprême de la province une action dans laquelle elle allègue que les fabricants, commerciaux et distributeurs de produits opioïdes ont commis des délits civils en common law et des violations de la Loi sur la concurrence. Les actes de procédure font valoir que chaque province et territoire du Canada déplore un nombre élevé de dépendances, de maladies et de décès liés à l’épidémie d’opioïdes, et que les défenderesses ont contribué à l’épidémie en présentant faussement leurs produits comme étant moins addictifs et moins susceptibles d’engendrer des problèmes de toxicomanie, de tolérance et de sevrage que d’autres médicaments contre la douleur. La Colombie‑Britannique a demandé que l’action soit autorisée en tant que recours collectif, et d’être autorisée à agir titre de représentante des demandeurs au nom d’un groupe formé de l’ensemble du gouvernement fédéral, des organismes fédéraux et des gouvernements ou organismes de provinces et de territoires ayant supporté le coût de soins de santé, de produits pharmaceutiques et de traitement liés aux opioïdes. Quelques mois après l’introduction de l’action, la législature de la Colombie‑Britannique a adopté la Opioid Damages and Health Care Costs Recovery Act (« ORA ») pour conférer par voie législative un droit d’action direct dans l’instance. L’article 11 de l’ORA autorise la Colombie‑Britannique à intenter une action au nom du groupe nommé dans le recours, mais permet à un membre du groupe de s’exclure du recours en vertu de l’art. 16 de la Class Proceedings Act de la province, de la façon indiquée dans l’ordonnance autorisant le recours collectif. La Colombie‑Britannique a modifié son avis d’action civile pour incorporer l’art. 11 de l’ORA dans ses actes de procédure.

                    Plusieurs des défenderesses, des sociétés pharmaceutiques qui fabriquent, commercialisent et distribuent des produits opioïdes partout au Canada, ont demandé une ordonnance radiant l’art. 11 de l’ORA au motif qu’il est ultra vires de la législature de la Colombie‑Britannique et inopérant suivant l’art. 52 de la Loi constitutionnelle de 1982. Elles ont soutenu qu’il ne respecte pas les limites territoriales constitutionnelles des compétences législatives provinciales, et qu’il viole l’ordre constitutionnel du Canada en portant atteinte à la souveraineté des autres gouvernements du Canada. La Cour suprême de la Colombie‑Britannique a rejeté les demandes. Elle a conclu que l’art. 11 de l’ORA constitue un mécanisme procédural visant à faciliter le déroulement des instances dans lesquelles les revendications substantielles des autres gouvernements peuvent être instruites, et qu’il relève donc du par. 92(14) de la Loi constitutionnelle de 1867, en vertu du pouvoir de la province de légiférer sur l’administration de la justice dans la province. Le juge de première instance a conclu que l’art. 11 respecte les limites territoriales fixées par la Loi constitutionnelle de 1867, puisqu’il ne touche les autres gouvernements que s’ils consentent à participer à l’instance, soit en décidant de faire partie du groupe, soit en n’exerçant pas leur droit de s’en exclure. La Cour d’appel a rejeté l’appel des défenderesses.

                    Arrêt (la juge Côté est dissidente) : Le pourvoi est rejeté.

                    Le juge en chef Wagner et les juges Karakatsanis, Martin, Kasirer, O’Bonsawin et Moreau : L’article 11 de l’ORA relève de la compétence de la province de la Colombie‑Britannique. Les juridictions inférieures ont eu raison de conclure que, de par son caractère véritable, l’art. 11 vise à créer un mécanisme procédural qui permet d’appliquer l’ORA à l’instance liée aux opioïdes déjà en cours. L’article 11 ne traite pas de droits substantiels, il a un lien significatif avec la province de la Colombie‑Britannique, et il respecte la souveraineté législative des autres gouvernements canadiens. Il relève effectivement du par. 92(14) de la Loi constitutionnelle de 1867, lequel confère aux provinces le pouvoir de légiférer sur l’administration de la justice dans la province. En vertu de ce chef de compétence, les provinces peuvent édicter des lois et prendre des règlements sur les tribunaux, les règles de procédure et la procédure civile. L’article 11 permet a priori à la Colombie‑Britannique d’agir en tant que représentante au nom d’un groupe de gouvernements canadiens qui choisissent de participer à ce recours collectif.

                    La première étape du cadre d’analyse énoncé dans l’arrêt Colombie-Britannique c. Imperial Tobacco Canada Ltée, 2005 CSC 49, [2005] 2 R.C.S. 473, lequel vise à déterminer la constitutionnalité d’une loi, consiste à cerner le caractère véritable de celle-ci, c’est-à-dire d’en dégager l’objet principal ou la caractéristique dominante ou la plus importante. Le tribunal examine l’objet et les effets de la loi en faisant appel à des éléments de preuve intrinsèques ainsi qu’à des éléments de preuve extrinsèques, et tient compte tant de ses effets juridiques que de ses effets pratiques. Le tribunal présumera de la constitutionnalité, en supposant que le législateur n’avait pas l’intention d’outrepasser ses pouvoirs, surtout si les procureurs généraux des ressorts touchés par la loi interviennent pour en défendre la validité. La deuxième étape du cadre d’analyse sert à déterminer si la disposition contestée respecte les limites territoriales de la compétence de la province qui sont énoncées à la fois dans le passage liminaire de l’art. 92 de la Loi constitutionnelle de 1867 et les mots des chefs de compétence eux‑mêmes, en établissant si la disposition conserve un lien utile avec la province et respecte la souveraineté des autres provinces. Le tribunal vérifie l’existence d’un lien significatif en examinant le lien entre la loi et le territoire qui l’a adoptée, l’objet de la loi et les personnes qui y sont assujetties.

                    L’article 11 de l’ORA a pour objet de prévoir un mécanisme procédural qui explique comment les autres dispositions de l’ORA s’appliquent au recours collectif en cours en Colombie‑Britannique. Les mots « la Couronne » peuvent désigner soit la personnification de l’État, soit la personne physique du souverain, Sa Majesté le Roi. À titre de demandeur dans une instance en vue de faire valoir un droit d’action reconnu en common law ou par la loi, la Couronne agit habituellement en sa qualité de personne physique. Ainsi, la Couronne du chef de la Colombie‑Britannique est une personne qui peut agir à titre de représentante des demandeurs en vertu de la Class Proceedings Act, et les autres gouvernements peuvent poursuivre devant tout tribunal ayant compétence dans le domaine pertinent. Rien dans la législation britanno‑colombienne n’empêche les autres gouvernements de participer à un recours collectif en Colombie‑Britannique en tant que membre d’un groupe de personnes. L’article 11 de l’ORA permet à la Colombie‑Britannique d’intenter le recours collectif en cause dans la présente affaire en vertu de la Class Proceedings Act, une loi purement procédurale. Le texte de l’art. 11 indique clairement que cet article a pour objet de prévoir un mécanisme procédural qui vise d’abord et avant tout à garantir l’efficacité continue du recours collectif intenté en Colombie-Britannique, ainsi que les avantages que lui procure l’ORA. Il ressort en outre clairement de tout le contexte de l’ORA, y compris ses autres dispositions qui confèrent des avantages à l’instance et les éléments de preuve extrinsèques, que l’art. 11 de l’ORA n’avait pas pour objet de conférer des droits substantiels à la Couronne.

                    Le justiciable qui choisit de participer à un recours collectif en tant que membre du groupé visé accepte nécessairement de renoncer à une partie des droits associés à l’autonomie dans la conduite du litige. Il ne s’ensuit pas pour autant que l’art. 11 de l’ORA soit une disposition substantielle. Le choix de la Couronne d’ester en justice dans un autre ressort et de se soumettre aux règles de procédure de ce ressort ne viole aucun principe constitutionnel. En tant que participant à un recours collectif, la Couronne sacrifie une part de son autonomie dans la conduite du litige, mais seulement si elle choisit de le faire en recourant au mécanisme d’adhésion volontaire (« opt-in ») ou d’exclusion (« opt-out »), un droit procédural reconnu comme une principale protection dont jouissent les membres du groupe dans le processus de recours collectif. Le choix de participer à l’instance, soit en décidant d’adhérer au groupe, soit en s’abstenant de s’en exclure, constitue l’exercice de l’autonomie dans la conduite du litige, même si cela implique de sacrifier d’autres aspects de l’autonomie. Le membre du groupe continue de bénéficier de nombreux aspects de son autonomie dans la conduite du litige grâce aux garanties procédurales offertes aux demandeurs qui n’agissent pas comme représentants de l’ensemble des demandeurs et en vertu du pouvoir général de surveillance du tribunal. La décision de la Couronne d’accepter les conséquences de ses choix en ce qui concerne la conduite du litige ne porte pas atteinte à son autonomie, et ces conséquences ne transforment pas l’art. 11 de l’ORA en une disposition portant sur des droits civils substantiels. Sur le plan juridique, l’art. 11 a pour effet d’encadrer la façon dont le recours collectif en cours devant les tribunaux de la Colombie‑Britannique se poursuivra sous une forme modifiée après l’entrée en vigueur de l’ORA. Les droits substantiels des autres gouvernements demeurent inchangés. L’article 11 a pour effet pratique d’obliger les autres gouvernements à décider s’ils acceptent les avantages et les contraintes procéduraux du recours collectif après avoir examiné les conséquences que ce choix peut avoir sur leurs droits.

                    L’article 11 de l’ORA conserve un lien significatif avec la Colombie‑Britannique, tant de par la nature du recours collectif que par le choix des autres gouvernements de participer à l’instance. Il concerne une seule action qui est le dénominateur commun de défendeurs, de questions et de réclamations. Les lois et les tribunaux de la Colombie‑Britannique ne dépassent les limites de la province que si le tribunal est convaincu qu’il existe des questions communes au gouvernement de la Colombie‑Britannique et aux membres du groupe proposé, et considère que la Colombie‑Britannique est l’endroit indiqué pour régler ces questions communes. Les questions communes établissent l’existence d’un lien réel et substantiel conférant au tribunal une compétence juridictionnelle. L’article 11 n’a pas pour effet d’étendre ou de modifier la compétence du tribunal; il ne fait que fournir les règles procédurales que doit appliquer le tribunal une fois sa compétence établie. Il est légitime pour une province d’exercer son pouvoir afin de fixer les règles de procédure applicables aux instances qui sont de son ressort.

                    L’article 11 de l’ORA respecte la souveraineté législative des autres gouvernements canadiens. Lorsqu’un gouvernement participe comme simple demandeur membre d’un groupe dans un recours collectif intenté dans une autre province, il se trouve alors assujetti aux règles de procédure de cette province en matière de recours collectifs. Toutefois, le droit d’action de chaque gouvernement a pris naissance sur son propre territoire et est donc soumis à ses propres règles substantielles. La coopération entre les divers gouvernements du Canada admet que des chevauchements législatifs sont inévitables à l’égard d’enjeux nationaux comme l’épidémie d’opioïdes, et que les gouvernements peuvent légiférer relativement à des objectifs légitimes dans les matières où il y a chevauchement. Dans la présente affaire, presque tous les gouvernements provinciaux et territoriaux du Canada ainsi que le gouvernement fédéral comptent participer au recours collectif. Un tribunal devrait faire preuve d’une grande prudence avant de conclure que cette coopération est inconstitutionnelle. Dans la fédération canadienne, les tribunaux exigent la reconnaissance réciproque de leurs jugements lorsque leur compétence a été régulièrement exercée. Ces objectifs sont atteints lorsque les gouvernements coopèrent entre eux pour faire juger leurs revendications de façon efficace dans le cadre d’une seule et même action. L’article 11 illustre le rôle important que jouent les recours collectifs nationaux, en fournissant un mécanisme pour faciliter la concertation de nombreux gouvernements en vue d’atteindre le même objectif. Dans un monde moderne de plus en plus complexe, où l’État règlemente davantage des secteurs d’activité qui transcendent les limites territoriales, la coopération entre les gouvernements et les tribunaux d’un ressort à l’autre devient de plus en plus nécessaire. Les recours collectifs nationaux, et plus particulièrement les recours collectifs mettant en cause plusieurs gouvernements, font en sorte que les frontières provinciales ne fassent pas obstacle à la justice. L’épidémie d’opioïdes est un exemple frappant d’une crise qui devrait appeler la coopération et la courtoisie.

                    La juge Côté (dissidente) : Il y a lieu d’accueillir le pourvoi. L’alinéa 11(1)(b) et le par. 11(2) de l’ORA sont ultra vires de la législature de la Colombie‑Britannique, et ils devraient être dissociés de la Loi. La législature de la Colombie‑Britannique ne peut autoriser la province à intenter un recours collectif pour recouvrer le coût des soins de santé engagés par une autre province selon un mécanisme d’exclusion (« opt‑out »), obligeant ainsi cette dernière à entreprendre des démarches pour éviter de participer contre son gré au recours collectif. Lier d’autres gouvernements à titre de partie au recours collectif, à moins qu’ils prennent les mesures concrètes pour s’en exclure conformément à l’ordonnance d’autorisation, signifie que les tribunaux provinciaux de la Colombie‑Britannique vont dicter la manière dont d’autres provinces et le gouvernement fédéral s’y prennent pour préserver leurs propres droits. La législature d’une province n’a pas le pouvoir de légiférer de manière à s’ingérer dans les droits et les prérogatives des gouvernements provinciaux et du gouvernement fédéral. Le caractère véritable de l’art. 11 est de légiférer à l’égard de la propriété et des droits civils à l’extérieur de la province, et ce, en violation des limites territoriales imposées par l’art. 92 de la Loi constitutionnelle de 1867. La législature de la Colombie‑Britannique cherche à regrouper les droits civils situés dans d’autres provinces en un seul recours collectif. Or, ses pouvoirs se limitent à la propriété et aux droits civils « dans la province ». Les effets de l’art. 11 ne sont pas simplement accessoires. Adopter la position par défaut de contraindre les autres gouvernements à participer au recours collectif porte atteinte à leur autonomie dans la conduite des litiges. La possibilité pour ces autres gouvernements de s’exclure du recours collectif ne saurait pour autant valider ces effets juridiques inconstitutionnels. Le caractère véritable de l’art. 11 de l’ORA ne respecte pas les limites territoriales de la compétence accordée à la législature de la Colombie‑Britannique. Bien que la coopération horizontale entre les gouvernements provinciaux et fédéral sur des enjeux communs soit un objectif louable, quelle que soit la méthode employée pour parvenir à une telle coopération, elle doit se conformer à la structure du fédéralisme canadien. Ce n’est pas le cas de l’art. 11 de l’ORA.

                    Lorsque la validité d’une loi provinciale est contestée au motif qu’elle viole les limites territoriales imposées à une législature provinciale, l’évaluation de sa validité doit se faire conformément au cadre d’analyse établi dans l’arrêt Imperial Tobacco. La première étape consiste à déterminer le caractère véritable de la loi contestée, ce qui implique d’en préciser l’essence ou la caractéristique dominante, compte tenu de son objet et de son effet. L’article 11 de l’ORA met en jeu les droits substantiels d’autres gouvernements et a ultimement des effets sur ces droits qui l’emportent largement sur les avantages procéduraux que confèrent les lois sur les recours collectifs. Il a d’importantes répercussions sur l’autonomie des autres gouvernements dans la conduite des litiges. Son caractère véritable consiste à légiférer en matière de propriété et de droits civils à l’extérieur de la province. Il permet à la Colombie‑Britannique de demander à être autorisée à exercer un recours collectif au nom d’un groupe de gouvernements qui revendiquent le droit de recouvrer les coûts des soins de santé liés aux opioïdes, en l’assortissant d’un mécanisme d’exclusion, de sorte que, par défaut, les gouvernements provinciaux et le gouvernement fédéral sont inclus dans le recours collectif. Cela crée un nouveau droit substantiel, parce que les gouvernements ne sont pas des personnes ou des membres d’un groupe de personnes pour l’application de la Class Proceedings Act. L’article 11 octroie à la province la capacité de poser une action qu’elle ne pouvait pas poser auparavant. Ses effets ne se limitent pas à l’application de l’ORA au recours collectif déjà entrepris.

                    Bien que l’art. 11 de l’ORA soit une disposition procédurale à certains égards, le fait que l’al. 11(1)(b) se trouve parmi des alinéas à caractère procédural ne signifie pas qu’il produit seulement des effets procéduraux. L’objet principal de l’art. 11 se dégage de l’al. 11(1)(b) et du par. 11(2). Le régime avec mécanisme d’exclusion prévu au par. 11(2) est essentiel au caractère véritable de l’art. 11 dans son ensemble. L’article 11 ne peut être interprété comme prévoyant un régime d’adhésion volontaire (« opt-in »); rien n’indique que d’autres gouvernements ont le choix d’adhérer volontairement au recours collectif. La Colombie‑Britannique peut introduire une instance sans consulter les autres gouvernements. En mettant en œuvre un régime avec mécanisme d’exclusion, la législature cherche à préserver des droits substantiels qu’elle s’est appropriés sans le consentement des autres gouvernements. En outre, les autres gouvernements ne peuvent intervenir de façon significative sur une foule d’aspects importants de l’instance, notamment en ce qui concerne le choix de l’avocat, la stratégie à adopter durant l’instance, les éléments de preuve à présenter, la négociation et le règlement du litige. Ils perdent leur droit d’intenter parallèlement leurs propres recours sur leur propre territoire. Les lois de la Colombie‑Britannique obligent nécessairement les autres gouvernements à faire un choix : s’exclure du recours collectif ou perdre leur autonomie en ce qui concerne la conduite du litige. Pour s’exclure du recours collectif, les autres gouvernements doivent prendre des mesures concrètes conformément à l’ordonnance d’autorisation, ce qui veut dire que les tribunaux provinciaux de la Colombie‑Britannique vont dicter la manière dont ils peuvent s’y prendre pour préserver leurs propres droits. De plus, l’art. 11 s’applique principalement — et non accessoirement — à des parties se trouvant à l’extérieur de la Colombie‑Britannique. La Couronne n’est toutefois pas une partie ordinaire. Toutes les provinces et le Parlement font appel à un procureur général qui exerce tant des fonctions exécutives que des fonctions judiciaires en sa qualité de premier conseiller juridique. Les effets de l’art. 11 sur les importantes fonctions des procureurs généraux des autres gouvernements ne sauraient être purement accessoires.

                    La possibilité pour des gouvernements de s’exclure du recours collectif ne change rien au fait que la loi constitue, à première vue, un empiètement sur la propriété et les droits civils dans d’autres provinces. On ne peut donc qualifier de purement procédural un régime avec mécanisme d’exclusion étant donné les conséquences réelles et substantielles de la loi sur l’autonomie des membres du groupe en ce qui concerne la conduite du litige. Puisque le caractère véritable de l’al. 11(1)(b) et le contexte d’exclusion dans lequel il opère consistent à légiférer sur les droits substantiels d’autres gouvernements, cet alinéa relève de « la propriété et [d]es droits civils » en vertu du par. 92(13) de la Loi constitutionnelle de 1867.

                    Les questions communes susceptibles d’asseoir la compétence de la cour supérieure d’une province sur les recours collectifs impliquant différents gouvernements canadiens n’ont rien à voir avec la constitutionnalité de l’art. 11 de l’ORA. Un lien significatif ne peut être établi entre la province ayant légiféré, l’objet du texte de loi en cause et les personnes qui y sont assujetties sur la base du test du lien réel et substantiel qui est appliqué pour déterminer si un tribunal a compétence sur une question donnée. La nature du recours collectif ainsi que le choix des autres gouvernements de participer à l’instance ne fournissent pas non plus un lien significatif; le consentement ne joue aucun rôle lorsqu’il s’agit de décider s’il y a un lien significatif. La détermination de l’existence d’un lien significatif doit se faire en tenant compte du caractère véritable de la disposition législative contestée. L’article 11 de l’ORA permet à la Colombie‑Britannique d’introduire un recours collectif au nom des tous les autres gouvernements du Canada. Le fait que l’objet de la loi concerne, en raison de son caractère véritable, les droits substantiels d’autres gouvernements signifie nécessairement qu’il n’a aucun lien significatif avec la Colombie‑Britannique. De plus, l’art. 11 a un objectif plus large que celui visant seulement à accorder un droit d’action contre les défenderesses pour des fautes commises dans la province; il concerne principalement les autres gouvernements en tant que demandeurs et l’exercice de leurs droits substantiels dans le cadre de l’action civile. Même si l’on part du principe que l’art. 11 est de nature procédurale et qu’il relève potentiellement du par. 92(14) de la Loi constitutionnelle de 1867, cette logique s’appliquerait. Pour ces motifs, on ne saurait affirmer que la Colombie‑Britannique a un lien significatif avec l’objet de l’art. 11 et les personnes qui y sont assujetties. Par conséquent, l’art. 11 ne respecte pas les limites territoriales prescrites par l’art. 92 de la Loi constitutionnelle de 1867.

                    Ayant conclu qu’il n’y a aucun lien significatif entre la province qui a adopté la loi, l’objet de la loi et les personnes qui y sont assujetties, il n’est pas nécessaire, pour trancher le présent pourvoi, de décider si l’art. 11 de l’ORA respecte la souveraineté législative des autres gouvernements provinciaux et du gouvernement fédéral. Le fait que les autres gouvernements se soient portés à la défense de la constitutionnalité de la disposition n’a toutefois aucune importance. Le soutien des autres gouvernements repose sur une mauvaise interprétation de l’art. 11 comme un mécanisme d’adhésion volontaire. Quoi qu’il en soit, les provinces ne peuvent pas modifier la Constitution par consentement mutuel.

                    Il ne convient pas d’appliquer la doctrine des pouvoirs accessoires pour confirmer la constitutionnalité de l’art. 11. L’article 11 est la seule disposition de l’ORA qui concerne des droits d’action reconnus à d’autres gouvernements provinciaux ou territoriaux en vertu de leurs propres règles substantielles. Indépendamment de l’art. 11, l’ORA fonde et établit régulièrement un droit d’action direct et distinct contre les défenderesses. L’article 11 n’est pas nécessaire à la mise en œuvre des aspects substantiels du reste de l’ORA.

                    La réparation qu’il convient d’accorder en l’espèce est la dissociation de l’al. 11(1)(b) et du par. 11(2) de l’ORA. La dissociation devrait être utilisée dans la mesure du possible afin de préserver les aspects constitutionnels des lois. Seule une invalidation partielle de la loi est nécessaire. Il n’est pas nécessaire d’invalider les autres dispositions de l’art. 11, et le reste du régime législatif demeure valide.

Jurisprudence

Citée par la juge Karakatsanis

                    Arrêt appliqué : Colombie-Britannique c. Imperial Tobacco Canada Ltée, 2005 CSC 49, [2005] 2 R.C.S. 473; arrêts mentionnés : Société canadienne des postes c. Lépine, 2009 CSC 16, [2009] 1 R.C.S. 549; Western Canadian Shopping Centres Inc. c. Dutton, 2001 CSC 46, [2001] 2 R.C.S. 534; Hollick c. Toronto (Ville), 2001 CSC 68, [2001] 3 R.C.S. 158; Rumley c. Colombie-Britannique, 2001 CSC 69, [2001] 3 R.C.S. 184; Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 R.C.S. 217; Renvois relatifs à la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre, 2021 CSC 11, [2021] 1 R.C.S. 175; Banque canadienne de l’Ouest c. Alberta, 2007 CSC 22, [2007] 2 R.C.S. 3; Renvoi relatif à la Loi sur les valeurs mobilières, 2011 CSC 66, [2011] 3 R.C.S. 837; Hunt c. T&N plc, [1993] 4 R.C.S. 289; Morguard Investments Ltd. c. De Savoye, [1990] 3 R.C.S. 1077; R. c. Parranto, 2021 CSC 46, [2021] 3 R.C.S. 366; Québec (Procureur général) c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 14, [2015] 1 R.C.S. 693; Fédération des producteurs de volailles du Québec c. Pelland, 2005 CSC 20, [2005] 1 R.C.S. 292; Renvoi relatif à la réglementation pancanadienne des valeurs mobilières, 2018 CSC 48, [2018] 3 R.C.S. 189; Endean c. Colombie-Britannique, 2016 CSC 42, [2016] 2 R.C.S. 162; Sharp c. Autorité des marchés financiers, 2023 CSC 29; R. c. Morgentaler, [1993] 3 R.C.S. 463; Murray-Hall c. Québec (Procureur général), 2023 CSC 10; Renvoi relatif à la Loi sur la non-discrimination génétique, 2020 CSC 17, [2020] 2 R.C.S. 283; Renvoi relatif à la Loi sur l’évaluation d’impact, 2023 CSC 23; Bande Kitkatla c. Colombie-Britannique (Ministre des Petites et moyennes entreprises, du Tourisme et de la Culture), 2002 CSC 31, [2002] 2 R.C.S. 146; Goodwin c. Colombie-Britannique (Superintendent of Motor Vehicles), 2015 CSC 46, [2015] 3 R.C.S. 250; SEFPO c. Ontario (Procureur général), [1987] 2 R.C.S. 2; Procureur général du Québec c. Labrecque, [1980] 2 R.C.S. 1057; Verreault (J.E.) & Fils Ltée c. Procureur général (Québec), [1977] 1 R.C.S. 41; Procureur général de l’Ontario c. Fatehi, [1984] 2 R.C.S. 536; R. c. Murray, [1967] R.C.S. 262; R. c. McColman, 2023 CSC 8; R. c. British Columbia, [1992] 4 W.W.R. 490; Nelson (Ville) c. Marchi, 2021 CSC 41, [2021] 3 R.C.S. 55; McNamara Construction (Western) Ltd. c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 654; Pro-Sys Consultants Ltd. c. Microsoft Corporation, 2013 CSC 57, [2013] 3 R.C.S. 477; Johnson c. Ontario, 2022 ONCA 725, 475 D.L.R. (4th) 344; Coburn and Watson’s Metropolitan Home c. Home Depot of Canada Inc., 2019 BCCA 308, 438 D.L.R. (4th) 533; Johnson c. Ontario, 2021 ONCA 650, 158 O.R. (3d) 266; Wannan c. Hutchison, 2020 BCSC 1233, 74 C.P.C. (8th) 222; Milios c. Zagas (1998), 38 O.R. (3d) 218; DLC Holdings Corp. c. Payne, 2021 BCCA 31, 456 D.L.R. (4th) 337; Dubuc c. 1663066 Ontario Inc., 2009 ONCA 914, 99 O.R. (3d) 476; Poffenroth Agri Ltd. c. Brown, 2020 SKCA 121, 65 C.P.C. (8th) 348; 1250264 Ontario Inc. c. Pet Valu Canada Inc., 2013 ONCA 279, 362 D.L.R. (4th) 88; 1176560 Ontario Ltd. c. Great Atlantic & Pacific Co. of Canada Ltd. (2002), 62 O.R. (3d) 535; Currie c. McDonald’s Restaurants of Canada Ltd. (2005), 250 D.L.R. (4th) 224; Herold c. Wassermann, 2022 SKCA 103, 473 D.L.R. (4th) 281; Fitzsimmons c. Cie matériaux de construction BP Canada, 2016 QCCS 1446; Tataskweyak Cree Nation c. Canada (A.G.), 2021 MBQB 153; Logan c. Ontario (Minister of Health) (2003), 36 C.P.C. (5th) 176; Dabbs c. Sun Life Assurance Co. of Canada (1998), 40 O.R. (3d) 429; Leonard c. The Manufacturers Life Insurance Company, 2022 BCCA 28, 75 B.C.L.R. (6th) 235; Berry c. Pulley, 2011 ONSC 1378, 106 O.R. (3d) 123; Alberta Government Telephones c. Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes), [1989] 2 R.C.S. 225; AIC Limitée c. Fischer, 2013 CSC 69, [2013] 3 R.C.S. 949; Bisaillon c. Université Concordia, 2006 CSC 19, [2006] 1 R.C.S. 666; Pioneer Corp. c. Godfrey, 2019 CSC 42, [2019] 3 R.C.S. 295; Di Iorio c. Gardien de la prison de Montréal, [1978] 1 R.C.S. 152; Ontario c. Criminal Lawyers’ Association of Ontario, 2013 CSC 43, [2013] 3 R.C.S. 3; Caron c. Alberta, 2015 CSC 56, [2015] 3 R.C.S. 511; Castillo c. Castillo, 2005 CSC 83, [2005] 3 R.C.S. 870; Renvoi relatif à la Upper Churchill Water Rights Reversion Act, [1984] 1 R.C.S. 297; Club Resorts Ltd. c. Van Breda, 2012 CSC 17, [2012] 1 R.C.S. 572; Global Securities Corp. c. Colombie-Britannique (Securities Commission), 2000 CSC 21, [2000] 1 R.C.S. 494; Vivendi Canada Inc. c. Dell’Aniello, 2014 CSC 1, [2014] 1 R.C.S. 3; Airia Brands Inc. c. Air Canada, 2017 ONCA 792, 417 D.L.R. (4th) 467; Harrington c. Dow Corning Corp., 2000 BCCA 605, 193 D.L.R. (4th) 67; Meeking c. Cash Store Inc., 2013 MBCA 81, 367 D.L.R. (4th) 684; Thorpe c. Honda Canada Inc., 2011 SKQB 72, [2011] 8 W.W.R. 529; Wilson c. Servier Canada Inc. (2000), 50 O.R. (3d) 219; Beals c. Saldanha, 2003 CSC 72, [2003] 3 R.C.S. 416; Canada (Procureur général) c. British Columbia Investment Management Corp., 2019 CSC 63, [2019] 4 R.C.S. 559; Wells c. Terre-Neuve, [1999] 3 R.C.S. 199; Renvoi relatif au Régime d’assistance publique du Canada (C.‑B.), [1991] 2 R.C.S. 525; Banque de Montréal c. Procureur général (Québec), [1979] 1 R.C.S. 565; Tolofson c. Jensen, [1994] 3 R.C.S. 1022; Unifund Assurance Co. c. Insurance Corp. of British Columbia, 2003 CSC 40, [2003] 2 R.C.S. 63; Canada (Procureur général) c. PHS Community Services Society, 2011 CSC 44, [2011] 3 R.C.S. 134.

Citée par la juge Côté (dissidente)

                    R. c. Parranto, 2021 CSC 46, [2021] 3 R.C.S. 366; R. c. Smith, 2019 SKCA 100, 382 C.C.C. (3d) 455; R. c. Fyfe, 2017 SKQB 5; Colombie-Britannique c. Imperial Tobacco Canada Ltée, 2005 CSC 49, [2005] 2 R.C.S. 473; Renvoi relatif à la Upper Churchill Water Rights Reversion Act, [1984] 1 R.C.S. 297; Global Securities Corp. c. Colombie‑Britannique (Securities Commission), 2000 CSC 21, [2000] 1 R.C.S. 494; Pioneer Corp. c. Godfrey, 2019 CSC 42, [2019] 3 R.C.S. 295; Western Canadian Shopping Centres Inc. c. Dutton, 2001 CSC 46, [2001] 2 R.C.S. 534; Gauthier c. The King (1918), 56 R.C.S. 176; Sharp c. Autorité des marchés financiers, 2023 CSC 29; Sparling c. Québec (Caisse de dépôt et placement du Québec), [1988] 2 R.C.S. 1015; Alberta Government Telephones c. Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes), [1989] 2 R.C.S. 225; Currie c. McDonald’s Restaurants of Canada Ltd. (2005), 74 O.R. (3d) 321; Société canadienne des postes c. Lépine, 2009 CSC 16, [2009] 1 R.C.S. 549; Turner c. Bell Mobility Inc., 2016 ABCA 21, 394 D.L.R. (4th) 325; Gillis c. BCE Inc., 2015 NSCA 32, 358 N.S.R. (2d) 39; Frey c. BCE Inc., 2013 SKCA 26, 409 Sask. R. 266; Johnson c. Ontario, 2021 ONCA 650, 158 O.R. (3d) 266; Johnson c. Ontario, 2022 ONCA 725, 164 O.R. (3d) 573; Hamm c. Canada (Attorney General), 2021 ABCA 329, 32 Alta. L.R. (7th) 213; Herold c. Wassermann, 2022 SKCA 103, 473 D.L.R. (4th) 281; Coburn and Watson’s Metropolitan Home c. Home Depot of Canada Inc., 2019 BCCA 308, 438 D.L.R. (4th) 533; Dubuc c. 1663066 Ontario Inc., 2009 ONCA 914, 99 O.R. (3d) 476; In re Criminal Code (1910), 43 R.C.S. 434; Krieger c. Law Society of Alberta, 2002 CSC 65, [2002] 3 R.C.S. 372; Ontario c. Criminal Lawyers’ Association of Ontario, 2013 CSC 43, [2013] 3 R.C.S. 3; Terre-Neuve-et-Labrador (Procureur général) c. Uashaunnuat (Innus de Uashat et de Mani-Utenam), 2020 CSC 4, [2020] 1 R.C.S. 15; Unifund Assurance Co. c. Insurance Corp. of British Columbia, 2003 CSC 40, [2003] 2 R.C.S. 63; Club Resorts Ltd. c. Van Breda, 2012 CSC 17, [2012] 1 R.C.S. 572; Hunt c. T&N plc, [1993] 4 R.C.S. 289; Castillo c. Castillo, 2005 CSC 83, [2005] 3 R.C.S. 870; Harrington c. Dow Corning Corp., 2000 BCCA 605, 193 D.L.R. (4th) 67; HSBC c. Hocking, 2008 QCCA 800, [2008] R.J.Q. 1189; Airia Brands Inc. c. Air Canada, 2017 ONCA 792, 417 D.L.R. (4th) 467; Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 R.C.S. 217; Renvoi relatif à la réglementation pancanadienne des valeurs mobilières, 2018 CSC 48, [2018] 3 R.C.S. 189; Goodwin c. Colombie‑Britannique (Superintendent of Motor Vehicles), 2015 CSC 46, [2015] 3 R.C.S. 250; R. c. Brown, 2022 CSC 18, [2022] 1 R.C.S. 374; Ontario c. Canadien Pacifique Ltée, [1995] 2 R.C.S. 1031; Attorney General of Nova Scotia c. Attorney General of Canada, [1951] R.C.S. 31; Renvoi relatif à la Loi sur la procréation assistée, 2010 CSC 61, [2010] 3 R.C.S. 457; Québec (Procureur général) c. Lacombe, 2010 CSC 38, [2010] 2 R.C.S. 453; Schachter c. Canada, [1992] 2 R.C.S. 679; Ontario (Procureur général) c. G, 2020 CSC 38, [2020] 3 R.C.S. 629.

Lois et règlements cités

Class Proceedings Act, R.S.B.C. 1996, c. 50, art. 1, 2(1), 4, 4.1, 8(3), 10, 12, 15(1), 16, 26, 35, 36(2), 44.

Crown Proceeding Act, R.S.B.C. 1996, c. 89, art. 1 « person ».

Executive Council Act, S.N.L. 1995, c. E‑16.1, art. 4(4).

Government Organization Act, R.S.A. 2000, c. G‑10, ann. 9, art. 2.

Interpretation Act, R.S.B.C. 1996, c. 238, art. 29 « corporation », « person ».

Judicature Act, R.S.P.E.I. 1988, c. J‑2.1, art. 36.

Loi constitutionnelle de 1867, partie V, partie VI, art. 91, 92.

Loi constitutionnelle de 1982, art. 52.

Loi de 2019 sur le recouvrement des dommages-intérêts et du coût des soins de santé imputables aux opioïdes, L.O. 2019, c. 17, ann. 2, art. 11, 12.

Loi sur la concurrence, L.R.C. 1985, c. C‑34, art. 52.

Loi sur le ministère de la Justice, C.P.L.M. c. J35, art. 2, 2.1.

Loi sur le ministère de la Justice, L.R.C. 1985, c. J‑2, art. 5.

Loi sur le ministère de la Justice, L.R.T.N.‑O. (Nun.) 1988, c. 97 (Suppl.), art. 5.

Loi sur le ministère de la Justice, L.R.Y. 2002, c. 55, art. 7.

Loi sur le ministère de la Justice, RLRQ, c. M‑19, art. 4.

Loi sur le ministère du Procureur général, L.R.O. 1990, c. M.17, art. 5.

Loi sur le recouvrement des dommages-intérêts et des coûts des soins de santé imputables aux opioïdes, L.N.‑B. 2023, c. 28.

Loi sur le recouvrement des dommages-intérêts et du coût des soins de santé liés aux opioïdes, L. Nun. 2023, c. 19.

Loi sur le recouvrement des dommages-intérêts et du coût des soins de santé liés aux opioïdes, L.T.N.-O. 2023, c. 18.

Loi sur le recouvrement du coût des soins de santé et des dommages-intérêts liés aux opioïdes, RLRQ, c. R‑2.2.0.0.01.

Loi sur le recouvrement du montant des dommages-intérêts et du coût des soins de santé imputables aux opioïdes, C.P.L.M., c. O55.

Loi sur le rôle du procureur général, L.R.N.‑B. 2011, c. 116, art. 2.

Opioid Damages and Health Care Costs Recovery Act, S.P.E.I. 2020, c. 77.

Opioid Damages and Health Care Costs Recovery Act, S.A. 2019, c. O-8.5, art. 12, 13.

Opioid Damages and Health Care Costs Recovery Act, S.B.C. 2018, c. 35, art. 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 10, 11, 12.

Opioid Damages and Health Care Costs Recovery Act, S.N.L. 2019, c. O‑6.2.

Opioid Damages and Health-care Costs Recovery Act, S.N.S. 2020, c. 4.

Opioid Damages and Health Care Costs Recovery Act, S.S. 2020, c. 32.

Public Service Act, R.S.N.S. 1989, c. 376, art. 29.

The Justice and Attorney General Act, S.S. 1983, c. J‑4.3, art. 10.

Tobacco Damages and Health Care Costs Recovery Act, S.B.C. 2000, c. 30, art. 5, 2(5)(a), 3(2).

Doctrine et autres documents cités

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                    POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique (les juges Newbury, Fisher et Horsman), 2023 BCCA 306, 79 B.C.L.R. (6th) 1, 484 D.L.R. (4th) 512, [2024] 2 W.W.R. 436, [2023] B.C.J No. 1477 (Lexis), 2023 CarswellBC 2178 (WL), qui a confirmé une décision du juge Brundrett, 2022 BCSC 2147, 77 B.C.L.R. (6th) 313, [2022] B.C.J. No. 2382 (Lexis), 2022 CarswellBC 3468 (WL). Pourvoi rejeté, la juge Côté est dissidente.

                    W. David Rankin et Ankita Gupta, pour les appelantes Sanis Health Inc. et Shoppers Drug Mart Inc.

                    Peter J. Pliszka, Andrew Borrell et Tom Posyniak, pour l’appelante Sandoz Canada Inc.

                    Sandra A. Forbes et Chanakya A. Sethi, pour l’appelante la Corporation McKesson Canada.

                    Reidar M. Mogerman, c.r., Katie I. Duke et Emily Lapper, pour l’intimé.

                    Christine Mohr et Michelle Kellam, pour l’intervenant le procureur général du Canada.

                    Ryan Cookson et S. Zachary Green, pour l’intervenant le procureur général de l’Ontario.

                    Pierre-Luc Beauchesne, Marie-Catherine Bolduc et Laurie Anctil, pour l’intervenant le procureur général du Québec.

                    Agnes MacNeil, c.r., et Edward A. Gores, c.r., pour l’intervenant le procureur général de la Nouvelle‑Écosse.

                    Argumentation écrite seulement par Véronique R. Guitard et Rose Campbell, pour l’intervenant le procureur général du Nouveau‑Brunswick.

                    Michael Bodner, pour l’intervenant le procureur général du Manitoba.

                    Argumentation écrite seulement par Caroline Davison et Michael Fleischmann, pour l’intervenant le procureur général de l’Île‑du‑Prince‑Édouard.

                    Noah Wernikowski et Justin Stevenson, pour l’intervenant le procureur général de la Saskatchewan.

                    Brooklyn LeClair, pour l’intervenant le procureur général de l’Alberta.

                    Argumentation écrite seulement par Mark Ishack et Thomas Wallwork, pour l’intervenant le procureur général des Territoires du Nord‑Ouest.

                    Argumentation écrite seulement par I.H. Fraser, pour l’intervenant le procureur général du Territoire du Yukon.

                    Roger J. F. Lepage et Fadi Amine, pour les intervenants Groupe Jean Coutu (PJC) inc. et Pro Doc Ltée.

                   Version française du jugement du juge en chef Wagner et des juges Karakatsanis, Martin, Kasirer, O’Bonsawin et Moreau rendu par

                   La juge Karakatsanis —

I.               Introduction

[1]                             Dans un monde moderne de plus en plus complexe, où l’État réglemente davantage des secteurs d’activité qui transcendent les limites territoriales, la coopération entre les gouvernements et les tribunaux d’un ressort à l’autre devient de plus en plus nécessaire. Notre Cour a reconnu ce besoin en préconisant une approche plus souple en matière de coopération intergouvernementale. Cette approche se traduit par le principe d’interprétation fondé sur le « fédéralisme coopératif », le respect et la reconnaissance de la compétence juridictionnelle des tribunaux de chacune des provinces dans un esprit de courtoisie mutuelle, et l’élaboration de cadres procéduraux permettant l’exercice de recours collectifs multiterritoriaux. Elle se traduit par la coopération horizontale entre les gouvernements pour le bien public.

[2]                             Au Canada, les recours collectifs nationaux, et plus particulièrement les recours collectifs mettant en cause plusieurs gouvernements, représentent la convergence de ces idées. Il y a une quinzaine d’années, notre Cour a exhorté les législatures provinciales à « porter plus d’attention au cadre des recours collectifs nationaux et aux problèmes posés par ceux‑ci » (Société canadienne des postes c. Lépine, 2009 CSC 16, [2009] 1 R.C.S. 549, par. 57). Lorsque des produits, des gens et des problèmes traversent les limites des ressorts, la coopération et la courtoisie sont essentielles pour faire en sorte que les frontières provinciales ne fassent pas obstacle à la justice.

[3]                             L’épidémie d’opioïdes qui sévit au Canada est un exemple frappant d’une crise qui appelle cette coopération et cette courtoisie. D’envergure nationale, elle met en évidence le rôle que peut jouer un recours collectif national pour assurer l’efficacité, la cohérence et l’accès à la justice pour tous les justiciables qui ont subi des préjudices, sans égard aux limites géographiques.

[4]                             Les appelantes, plusieurs sociétés pharmaceutiques qui fabriquent, commercialisent et distribuent des produits opioïdes partout au Canada, contestent l’art. 11 de la loi de la Colombie‑Britannique intitulée Opioid Damages and Health Care Costs Recovery Act, S.B.C. 2018, c. 35 (ORA). Cette disposition autorise le gouvernement de la Colombie‑Britannique à intenter une action au nom d’un groupe formé du gouvernement fédéral et d’autres gouvernements provinciaux et territoriaux du Canada afin de recouvrer les coûts de soins de santé que des [traduction] « faute[s] liée[s] aux opioïdes » auraient occasionnés pour chacun d’eux. Les appelantes font valoir qu’elle ne respecte pas les limites territoriales des compétences législatives provinciales prévues par la Loi constitutionnelle de 1867. Elles soutiennent que le cadre qu’a retenu la Colombie‑Britannique pour faciliter la coopération et la courtoisie en adoptant une loi permettant l’introduction de recours collectifs multigouvernementaux nationaux viole l’ordre constitutionnel canadien en portant atteinte à la souveraineté des autres gouvernements au Canada.

[5]                             La question fondamentale que soulève le présent pourvoi est la suivante : Plusieurs gouvernements canadiens peuvent‑ils se regrouper au sein d’un seul recours collectif devant la cour supérieure d’une seule province, sans pour autant sacrifier leur autonomie ou leur souveraineté en violation de la Constitution?

[6]                              Plus précisément, les appelantes veulent savoir si une province peut déterminer les règles d’un recours collectif qui lieraient les autres gouvernements qui choisissent d’y participer. Inversement, un gouvernement peut‑il accepter d’être lié par les règles d’une autre province, même si ces règles sont susceptibles de limiter les pouvoirs de sa législature et de celles qui lui succéderont?

[7]                              Suivant les appelantes, il faut répondre par la négative à cette question. Elles affirment que les règles encadrant les recours collectifs qui ont été édictées par la Colombie‑Britannique à l’art. 11 vont à l’encontre de notre Constitution, car elles permettraient à la province de prendre le contrôle des droits civils substantiels d’autres gouvernements. En tant que représentant des demandeurs dans un recours collectif multiterritorial, la province de la Colombie‑Britannique pourrait se charger de la conduite de l’instance au nom d’autres provinces et territoires souverains, qui seraient ainsi liés par ses décisions, ce qui porterait atteinte à leur autonomie quant à la conduite des litiges et violerait leur souveraineté législative en les empêchant d’adopter des lois potentiellement contradictoires. Les appelantes soutiennent que de telles règles ne peuvent être conciliées avec notre Constitution, qui limite la portée territoriale des lois provinciales aux matières « [d]ans chaque province » (Loi constitutionnelle de 1867, art. 92).

[8]                              En l’espèce, les juridictions inférieures n’étaient pas de cet avis. Elles ont conclu que l’art. 11 de l’ORA crée un mécanisme procédural qui permet a priori à la Colombie‑Britannique d’agir à titre de représentante des demandeurs dans une instance liée aux opioïdes au nom des autres gouvernements canadiens qui choisissent d’y participer. Elles ont statué que ce mécanisme relève de la compétence de cette province sur « [l]’administration de la justice dans la province » (par. 92(14) de la Loi constitutionnelle de 1867), et a un lien significatif avec la Colombie‑Britannique, sans pour autant compromettre la souveraineté d’un autre gouvernement.

[9]                             Je suis du même avis que les juridictions inférieures. Comme je vais l’expliquer, je n’accepte pas la thèse des appelantes selon laquelle la disposition contestée porte sur des droits substantiels et non sur des droits procéduraux. La disposition contestée a pour objet et pour effet de créer un mécanisme procédural visant à promouvoir l’efficacité des procès en regroupant les revendications de différents gouvernements canadiens qui consentent à y participer à titre de membres dans une seule et même instance, tout en veillant à ce que les réclamations de chaque gouvernement soient tranchées conformément à leur propre droit positif. L’article 11 relève de la compétence de la province sur « [l]’administration de la justice » prévue au par. 92(14) de la Loi constitutionnelle de 1867.

[10]                         L’article 11 de l’ORA respecte également les limites territoriales définies au par. 92(14), qui prévoit que le pouvoir de légiférer d’une province doit être exercé « dans la province ». Il existe un lien significatif entre l’art. 11 et la Colombie-Britannique, dans la mesure où cet article prévoit un mécanisme procédural qui ne vaut que pour l’instance introduite devant un tribunal de la Colombie‑Britannique et qui n’a des effets sur les autres gouvernements que si ceux‑ci acceptent de faire trancher ensemble leurs enjeux communs. Les réclamations des autres gouvernements canadiens demeurent assujetties à leur propre assemblée législative, de sorte que la souveraineté législative de ces gouvernements est respectée.

[11]                         Je suis d’avis de rejeter le pourvoi.

II.            Contexte

[12]                          L’émergence des recours collectifs nationaux au Canada témoigne de l’harmonie créée grâce à la coopération et à la courtoisie intergouvernementales qui imprègnent l’ordre constitutionnel de notre fédération. Les trois objectifs bien établis qui sous‑tendent les recours collectifs — l’efficacité, l’accès à la justice et la dissuasion — lesquels ont été reconnus par la Cour dans les arrêts Western Canadian Shopping Centres Inc. c. Dutton, 2001 CSC 46, [2001] 2 R.C.S. 534, Hollick c. Toronto (Ville), 2001 CSC 68, [2001] 3 R.C.S. 158, et Rumley c. Colombie-Britannique, 2001 CSC 69, [2001] 3 R.C.S. 184, peuvent, dans certains cas, requérir une coopération intergouvernementale dans un régime fédéraliste.

[13]                          Le fédéralisme est un des thèmes centraux de notre Constitution (Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 R.C.S. 217, par. 57). Il est « un principe fondateur » de notre Constitution qui vise « à concilier l’unité et la diversité » et à « favoriser la coopération entre le Parlement et les législatures dans la recherche du bien commun » (Renvois relatifs à la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre, 2021 CSC 11, [2021] 1 R.C.S. 175 (Renvois relatifs à la LTPGES), par. 48).

[14]                         Notre Cour a reconnu que la coopération et la courtoisie sont de plus en plus nécessaires au bon fonctionnement d’un système fédéral au 21e siècle (voir, p. ex., Banque canadienne de l’Ouest c. Alberta, 2007 CSC 22, [2007] 2 R.C.S. 3, par. 24). Différents ordres de gouvernement sont incités à se concerter pour établir des régimes de réglementation qui sont imbriqués, voire qui se chevauchent, afin de résoudre des problèmes qui intéressent plusieurs gouvernements (voir, p. ex., Renvoi relatif à la Loi sur les valeurs mobilières, 2011 CSC 66, [2011] 3 R.C.S. 837, par. 57‑62). On s’attend à ce que les tribunaux fassent preuve de courtoisie en reconnaissant les jugements émanant des tribunaux d’un autre ressort sur des sujets qui transcendent les frontières provinciales — ou donnent foi à ces jugements et s’en remettent entièrement à ceux‑ci (voir, p. ex., Hunt c. T&N plc, [1993] 4 R.C.S. 289, p. 324). Toute reconnaissance moindre serait « absolument contrair[e] à l’intention manifeste de la Constitution d’établir un seul et même pays » (Morguard Investments Ltd. c. De Savoye, [1990] 3 R.C.S. 1077, p. 1099).

[15]                         L’essor des recours collectifs nationaux illustre bien cette coopération essentielle. Même si les recours collectifs peuvent être intentés en common law depuis le 17e siècle, il a fallu attendre la fin du 20e siècle pour assister à l’adoption par des assemblées législatives provinciales des premières lois sur les recours collectifs dans une volonté de simplifier le regroupement, l’instruction et la résolution des demandes de ce genre au moyen d’une série de mécanismes procéduraux utiles (Dutton, par. 19 et 26; Hollick, par. 13). Toutefois, le manque de coopération entre les gouvernements et les parties dans le cadre de ces nouveaux mécanismes procéduraux a parfois donné lieu à des recours collectifs qui se chevauchaient dans plusieurs provinces et qui portaient sur les mêmes revendications, les mêmes défendeurs, voire les mêmes demandeurs.

[16]                         Pour résoudre ces problèmes interjuridictionnels, plusieurs provinces ont modifié leurs lois en matière de recours collectifs pour préciser que leurs cours supérieures respectives pouvaient autoriser l’exercice d’une action visant un groupe de demandeurs comprenant des résidents de l’extérieur de la province (voir W. K. Branch et M. P. Good, Class Actions in Canada (2e éd. (feuilles mobiles)), § 12:2‑12:9). Presque toutes les provinces ont maintenant des lois qui permettent à des demandeurs d’autres provinces de faire juger leurs réclamations efficacement dans le cadre d’une seule et même instance devant une cour supérieure, dont le jugement sera respecté et exécuté par les tribunaux de leur province « d’origine ».

[17]                         Ces recours collectifs nationaux, facilités par des régimes législatifs provinciaux axés sur la coopération, de même que par la reconnaissance judiciaire des jugements des cours supérieures conformément aux règles du droit international privé, aident les Canadiens et les Canadiennes à composer avec des produits, des personnes et des problèmes qui transcendent les limites territoriales d’une seule province. De plus, les recours collectifs mettant en cause plusieurs gouvernements sont un exemple de coordination intergouvernementale horizontale entre les provinces et le gouvernement fédéral dans le traitement d’enjeux complexes qui dépassent les limites d’un ressort.

[18]                         L’épidémie d’opioïdes qui sévit au Canada illustre de façon tragique les problèmes qui dépassent les frontières d’une seule province et qui appellent la coopération et la courtoisie entre les ressorts. L’ampleur et la portée de la crise des opioïdes sont bien connues (voir, p. ex., R. c. Parranto, 2021 CSC 46, [2021] 3 R.C.S. 366, par. 93‑97, le juge Moldaver; Comité consultatif spécial sur l’épidémie de surdoses d’opioïdes, Méfaits associés aux opioïdes et aux stimulants au Canada, septembre 2024 (en ligne)). Les opioïdes forment une catégorie d’analgésiques puissants. Bien que certains opioïdes aient été associés au trafic de stupéfiants, la plupart servent à des fins médicales légitimes lorsqu’ils sont correctement administrés. Cependant, lorsqu’ils sont mal utilisés, les opioïdes peuvent provoquer une dépendance.

[19]                         Les actes de procédure font valoir qu’au Canada on déplore un nombre élevé de dépendances, de maladies et de décès liés aux opioïdes, et que l’épidémie n’a épargné aucune province et aucun territoire au Canada et a fait des ravages dans les collectivités, les familles et la vie des citoyens à l’échelle nationale.

[20]                         Face à l’épidémie d’opioïdes, la Colombie‑Britannique a introduit en 2018 une action en justice contre 49 sociétés qui fabriquent, commercialisent et distribuent des produits opioïdes, alléguant que ces dernières ont contribué à l’épidémie des opioïdes en présentant faussement leurs produits comme étant moins addictifs et moins susceptibles d’engendrer des problèmes de toxicomanie, de tolérance et de sevrage que d’autres médicaments contre la douleur. La Colombie‑Britannique a poursuivi ces sociétés pour plusieurs délits civils en common law, y compris la négligence, l’enrichissement sans cause, des assertions inexactes et frauduleuses ainsi que des violations de l’art. 52 de la Loi sur la concurrence, L.R.C. 1985, c. C‑34.

[21]                         La Colombie‑Britannique a introduit la présente instance sous forme de recours collectif projeté en vertu de la loi de la Colombie‑Britannique intitulée Class Proceedings Act, R.S.B.C. 1996, c. 50 (CPA), en demandant au tribunal de l’autoriser en tant que représentante des demandeurs à agir au nom d’un groupe formé du gouvernement du Canada, des organismes fédéraux, ainsi que des gouvernements et organismes provinciaux et territoriaux qui ont supporté le coût de soins de santé, de produits pharmaceutiques et de traitement liés aux opioïdes.

[22]                         Peu de temps après, une loi a été adoptée pour conférer par voie législative à la province un droit d’action direct dans l’instance qu’elle avait introduite. Elle a introduit de nouvelles règles de preuve et d’autres mécanismes procéduraux, en s’inspirant d’une loi précédemment adoptée par la Colombie‑Britannique, la Tobacco Damages and Health Care Costs Recovery Act, S.B.C. 2000, c. 30 (TRA), dont notre Cour a confirmé la validité dans l’arrêt Colombie-Britannique c. Imperial Tobacco Canada Ltée, 2005 CSC 49, [2005] 2 R.C.S. 473 (voir assemblée législative de la Colombie‑Britannique, Official Report of Debates (Hansard), no 150, 3e sess., 41e lég., 1er octobre 2018, p. 5331‑5332 (l’hon. David Eby)). À titre d’exemple, ces règles déclarent admissibles en preuve les renseignements statistiques visant à établir un lien de causalité (art. 5), dispensent le gouvernement de l’obligation de prouver à l’égard d’une personne en particulier la cause de tout préjudice lié aux opioïdes (al. 2(5)(a)) et obligent le tribunal à présumer que les personnes lésées n’auraient pas consommé d’opioïdes, n’eussent été les actes fautifs des défendeurs (par. 3(2)).

[23]                         Toutefois, contrairement à la TRA précédente, l’al. 11(b) de l’ORA autorise le gouvernement de la Colombie‑Britannique, dans le cadre de l’instance qu’elle a déjà introduite, à [traduction] « intenter une action au nom d’un groupe formé » du gouvernement du Canada, d’autres gouvernements provinciaux et territoriaux canadiens, ainsi que de leurs organismes de santé publique (comme la Colombie‑Britannique l’avait déjà fait), à moins que ces gouvernements ne s’excluent du groupe en vertu de l’art. 16 de la CPA.

[24]                         L’ORA est entrée en vigueur quelques mois après l’introduction, par la Colombie‑Britannique, de son action fondée sur des droits d’action reconnus en common law et par la Loi sur la concurrence. La Colombie‑Britannique a alors modifié son avis d’action civile pour incorporer expressément l’art. 11 dans ses actes de procédure. Son avis d’action civile modifié le plus récent propose également deux sous‑catégories de demandeurs : une catégorie pour tous les gouvernements qui invoquent des causes d’action reconnues en common law et par la Loi sur la concurrence, et une autre catégorie pour [traduction] « les gouvernements qui ont adopté des lois visant expressément le recouvrement des dommages‑intérêts et du coût des soins de santé imputables à l’épidémie d’opioïdes » (d.a., vol. IV, p. 167; d.a., vol. VII, p. 136).

[25]                         Cette seconde sous‑catégorie témoigne du fait que la quasi-totalité des provinces et des territoires canadiens ont depuis adopté leur propre version d’une loi sur le recouvrement des coûts des soins de santé semblable à l’ORA de la Colombie-Britannique[1]. Chacune de ces lois comporte une disposition sensiblement similaire à l’art. 11 de l’ORA de la Colombie‑Britannique (voir, p. ex., l’Opioid Damages and Health Care Costs Recovery Act, S.A. 2019, c. O‑8.5, art. 13; Loi de 2019 sur le recouvrement des dommages-intérêts et du coût des soins de santé imputables aux opioïdes, L.O. 2019, c. 17, ann. 2, art. 12). Bon nombre de ces lois comportent également une disposition qui prévoit que, si une autre province a intenté un recours collectif, la réclamation de la province est assujettie aux règles de procédure de l’autre province, tandis que ses droits substantiels demeurent ceux que lui reconnaît sa propre ORA (voir, p. ex., l’Opioid Damages and Health Care Costs Recovery Act de l’Alberta, art. 12; Loi de 2019 sur le recouvrement des dommages-intérêts et du coût des soins de santé imputables aux opioïdes de l’Ontario, art. 11).

III.         Historique judiciaire

A.           Cour suprême de la Colombie-Britannique, 2022 BCSC 2147, 77 B.C.L.R. (6th) 313 (le juge Brundrett)

[26]                         Les sociétés pharmaceutiques appelantes ont présenté une requête visant à obtenir une ordonnance déclarant l’art. 11 de l’ORA inopérant parce qu’ultra vires de l’assemblée législative de la Colombie‑Britannique. Elles soutenaient que l’art. 11 portait sur « [l]a propriété et les droits civils », mais que, comme il traite des droits civils d’autres gouvernements, cet article ne constituait pas une disposition adoptée « dans la province » et qu’il ne relevait donc pas de la compétence qu’accorde à la législature provinciale le par. 92(13) de la Loi constitutionnelle de 1867 (par. 4).

[27]                         Le juge Brundrett a plutôt qualifié cette disposition de [traduction] « mécanisme procédural visant à faciliter le déroulement des instances prévues par l’ORA, la CPA et les Supreme Court Civil Rules dans lesquelles les revendications substantielles des autres gouvernements peuvent être instruites et plaidées devant un tribunal de la Colombie‑Britannique » (par. 58). Suivant le juge Brundrett, ce mécanisme procédural permet a priori à la Colombie‑Britannique d’agir pour le compte d’autres gouvernements dans le cadre d’une instance introduite en vertu de l’ORA et relève de la compétence que possède la province, en vertu du par. 92(14) de la Loi constitutionnelle de 1867, pour légiférer sur « [l]’administration de la justice dans la province » (par. 76).

[28]                         En ce qui concerne la question de savoir si l’art. 11 respecte les limites territoriales de la province, le juge Brundrett a conclu que cette disposition visait à encadrer une seule et même instance introduite devant les tribunaux de la Colombie‑Britannique, tout en permettant à d’autres gouvernements de faire juger leurs réclamations dans le cadre de cette instance s’ils le souhaitaient (par. 84). Dans cette optique, même s’il relevait du par. 92(13), l’art. 11 respectait tout de même les limites territoriales fixées par la Loi constitutionnelle de 1867, puisqu’il ne toucherait les autres gouvernements que s’ils consentent à participer à l’instance, soit en décidant d’adhérer au groupe, soit en n’exerçant pas leur droit de s’en exclure (par. 81 et 87). Même si la province a demandé en l’espèce l’autorisation du recours collectif selon un mécanisme d’adhésion volontaire (« opt-in ») plutôt que suivant le mécanisme d’exclusion (« opt-out ») prévu au par. 11(2) de l’ORA et de l’art. 16 de la CPA, cette demande [traduction] « ne change pas grand‑chose dans les faits », parce qu’indépendamment de la formule choisie, la décision des autres gouvernements de participer à l’instance ferait disparaître tout risque que l’art. 11 porte atteinte à leur souveraineté législative (par. 67 et 81). Le juge Brundrett a par conséquent conclu que l’art. 11 était intra vires de la législature de la Colombie‑Britannique.

B.            Cour d’appel de la Colombie-Britannique, 2023 BCCA 306, 79 B.C.L.R. (6th) 1 (la juge Newbury, avec l’accord des juges Fisher et Horsman)

[29]                         La Cour d’appel de la Colombie-Britannique a rejeté l’appel à l’unanimité. La juge Newbury, qui s’exprimait au nom de la cour, a convenu que l’art. 11 de l’ORA créait simplement un mécanisme procédural permettant à la province d’agir au nom d’autres gouvernements canadiens dans le cadre du recours collectif projeté. Puisque les réclamations substantielles des autres gouvernements seraient jugées selon leur droit substantif respectif, y compris le cas échéant selon leur propre loi de type ORA, l’art. 11 n’influait pas sur les droits civils substantiels des autres gouvernements. À l’instar des lois sur les recours collectifs, l’art. 11 était simplement un mécanisme procédural qui relevait du par. 92(14) et qui n’était pas visé par le par. 92(13).

[30]                         En ce qui concerne la portée territoriale de la disposition en cause, la juge Newbury a convenu avec le juge Brundrett que [traduction] « dans la réalité », chaque gouvernement participant choisirait de participer au recours collectif — en y adhérant volontairement (« opting in ») ou en refusant de s’en exclure (« opting out ») —, et que cela constituait un « lien significatif » entre les réclamations de ces gouvernements, la province de la Colombie‑Britannique et la Cour suprême de la Colombie‑Britannique (par. 97). De plus, l’art. 11 ne portait pas atteinte à la souveraineté législative des autres gouvernements qui avaient choisi de regrouper leurs réclamations [traduction] « pour éviter les frais et les inconvénients entraînés par une multiplication des recours au Canada et pour servir en fin de compte l’intérêt public » (par. 100). La juge Newbury s’est dite d’avis que, même s’il constituait [traduction] « une mesure audacieuse, voire expérimentale » en matière de recours collectifs nationaux, l’art. 11 relevait de la compétence de la province (par. 3).

IV.         Questions en litige et positions des parties

[31]                         La question fondamentale en l’espèce est de savoir si l’art. 11 de l’ORA est ultra vires du fait qu’il excède la compétence législative territoriale de la province de la Colombie‑Britannique, établie par l’art. 92 de la Loi constitutionnelle de 1867. Si l’art. 11 est jugé inconstitutionnel, la Cour doit également se demander si cette disposition peut être sauvegardée par la doctrine des pouvoirs accessoires.

[32]                         Les appelantes contestent la validité de l’art. 11 au motif qu’il ne respecte pas les limites territoriales imposées à la province de la Colombie‑Britannique par l’art. 92 de la Loi constitutionnelle de 1867, et qu’il est donc inopérant par application de l’art. 52 de la Loi constitutionnelle de 1982. Elles affirment que l’art. 11 permet à la Couronne du chef de la Colombie‑Britannique de prendre le contrôle des droits civils substantiels d’autres gouvernements et, en fin de compte, de les définir. Selon elles, l’art. 11 relève donc de la compétence de la Colombie‑Britannique sur « [l]a propriété et les droits civils » aux termes du par. 92(13) de la Loi constitutionnelle de 1867. Les appelantes affirment que, même s’il relevait du par. 92(14), aucune province ne pourrait avoir un lien significatif avec les réclamations substantielles des autres gouvernements, dont la souveraineté serait violée s’ils ne sont pas en mesure de légiférer sur l’instruction de ces réclamations. L’article 11 supprime le droit des autres gouvernements de contrôler le déroulement de l’instance, ce qui lie les gouvernements qui leur succéderont et viole le principe de la souveraineté parlementaire — tous des effets substantiels qui n’ont aucun lien significatif avec la Colombie‑Britannique.

[33]                         Pour sa part, la Colombie‑Britannique soutient que l’art. 11 se caractérise principalement par la création d’un mécanisme procédural qui lui permet d’intenter en Colombie‑Britannique une action au nom d’autres gouvernements qui acceptent de participer à l’action collective et qui cherchent à récupérer les coûts des soins de santé imputables aux opioïdes et qu’à ce titre, l’art. 11 relève de la compétence de la province en matière d’« administration de la justice » en vertu du par. 92(14). Il existe un lien significatif entre la portée territoriale de l’art. 11 et la Colombie‑Britannique. En effet, l’art. 11 précise le cadre procédural qui s’applique à la seule et unique action intentée devant les tribunaux de la Colombie‑Britannique; il n’a d’incidence sur les autres gouvernements que si ceux‑ci choisissent d’y participer, et il protège leur droit de faire juger leurs revendications individuelles conformément à leurs propres règles substantielles. Il demeure loisible pour les autres gouvernements de légiférer sur les aspects substantiels de leurs droits d’action.

V.           Analyse

[34]                         Pour répondre à la question de savoir si l’art. 11 relève régulièrement de la compétence de la Colombie‑Britannique pour légiférer sur des matières « dans la province », il faut appliquer le cadre d’analyse en deux volets établi par notre Cour dans l’arrêt Imperial Tobacco. Il me faut d’abord caractériser et qualifier la disposition contestée avant de déterminer si elle respecte les limites territoriales des autres provinces. La validité du texte législatif adopté par la Colombie‑Britannique dépend en fin de compte de la question de savoir s’il se trouve, comme il se doit, « dans la province », comme l’exige l’art. 92 de la Loi constitutionnelle de 1867.

[35]                         La contestation des appelantes porte essentiellement sur la question de savoir si le cadre établi par l’art. 11 en ce qui concerne les recours collectifs nationaux mettant en cause plusieurs gouvernements excède irrégulièrement les limites territoriales de la Colombie‑Britannique, prend le contrôle des droits civils substantiels d’autres gouvernements, en plus de les obliger à comparaître devant les tribunaux de la Colombie‑Britannique et à respecter les décisions rendues par ces derniers.

[36]                         Je rejette cette contestation. Je conclus que l’art. 11 constitue un cadre procédural valide qui vise à favoriser la coopération et la courtoisie entre les gouvernements, permettant ainsi à notre fédération de relever les défis du monde moderne.

[37]                         Notre Cour reconnaît depuis longtemps qu’une « interprétation, stricte et fondée sur des compartiments étanches, du partage des compétences législatives » risque de nuire aux régimes réglementaires coopératifs établis dans l’intérêt public (voir Québec (Procureur général) c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 14, [2015] 1 R.C.S. 693 (Québec (Procureur général)), par. 17). Entre le gouvernement fédéral et les provinces, cette conception de la coopération trouve sa manifestation dans le principe du « fédéralisme coopératif », un principe d’interprétation qui est appliqué en matière de partage des compétences (voir Renvois relatifs à la LTPGES, par. 50). Sur le plan horizontal, entre les provinces, une coopération utile peut prendre la forme d’une participation commune à des accords commerciaux interprovinciaux visant à établir des régimes de réglementation harmonieux (voir, p. ex., Fédération des producteurs de volailles du Québec c. Pelland, 2005 CSC 20, [2005] 1 R.C.S. 292, par. 4 et 15), de régimes coopératifs de réglementation des marchés des capitaux (voir, p. ex., Renvoi relatif à la réglementation pancanadienne des valeurs mobilières, 2018 CSC 48, [2018] 3 R.C.S. 189, par. 1‑7, 19, 21‑22 et 130), ou encore de mécanismes procéduraux imbriqués qui s’appliquent à des recours collectifs comme ceux qui sont prévus par la CPA ou par les lois équivalentes d’autres provinces.

[38]                         Outre la coopération entre les pouvoirs législatifs et exécutifs, notre Cour a souligné la nécessité pour les cours supérieures des provinces d’adopter un esprit de courtoisie sur le plan décisionnel. Un degré de coopération nationale entre elles est essentiel au sein de notre fédération dans l’intérêt de la justice en ce 21e siècle (voir, p. ex., Morguard, p. 1099‑1100; Hunt, p. 324‑325; Endean c. Colombie‑Britannique, 2016 CSC 42, [2016] 2 R.C.S. 162, par. 4, 17 et 58). Notre Cour a statué que, compte tenu de la qualité comparable de la justice offerte par nos tribunaux et des nombreux aspects de la vie moderne qui transcendent les frontières provinciales, les tribunaux canadiens se devaient une reconnaissance totale mutuelle, et que cet impératif constitutionnel s’appliquait chaque fois qu’il existe un lien réel et substantiel entre l’objet de l’action et le ressort où elle est intentée (Hunt, p. 324; voir aussi Sharp c. Autorité des marchés financiers, 2023 CSC 29, par. 110‑122).

[39]                         Une bonne coopération est par conséquent nécessaire entre les organes législatif, exécutif et judiciaire de l’État dans l’ordre constitutionnel de notre pays. Dans l’analyse qui suit, j’explique pourquoi le mécanisme choisi par la province de la Colombie‑Britannique pour faciliter cette coopération est constitutionnellement valide.

A.           Dispositions législatives applicables

[40]                          L’article 11 est la seule disposition de l’ORA que contestent les appelantes. En voici le texte :

      [traduction]

11 (1)   Si le gouvernement a introduit une instance à l’égard d’une faute liée aux opioïdes et que l’instance est en cours à la date d’entrée en vigueur du présent article :

(a)   l’instance se poursuit conformément à la présente loi;

(b)   pour l’application de l’article 4 de la Class Proceedings Act, le gouvernement peut intenter une action au nom d’un groupe formé :

(i)     d’une part, soit du gouvernement du Canada, soit de celui d’un ressort canadien, soit de plusieurs gouvernements,

(ii)  d’autre part, d’un organisme gouvernemental de paiement fédéral ou provincial qui rembourse le coût de services de la nature de services de soins de santé au sens de la présente loi;

(c)   les procédures terminées et les ordonnances rendues avant l’entrée en vigueur du présent article continuent de produire leurs effets sauf dans l’un ou l’autre des cas suivants :

(i)     elles seraient incompatibles avec la présente loi,

(ii)  une ordonnance à l’effet contraire est rendue par le tribunal;

(d)   une procédure amorcée mais non terminée avant l’entrée en vigueur du présent article doit être menée à terme conformément à la présente loi.

(2)  L’alinéa (1) (b) du présent article n’a pas pour effet d’empêcher un membre du groupe décrit dans cette disposition de s’exclure de l’instance conformément à l’article 16 de la Class Proceedings Act.

[41]                          L’article 4 de la CPA, qui est mentionné à l’al. 11(1)(b) de l’ORA, énumère en ses par. (1) et (2) les conditions qui doivent être réunies pour que le tribunal autorise le recours collectif. Les paragraphes (3) et (4) traitent expressément des facteurs dont le tribunal doit tenir compte lorsque le recours collectif projeté concerne le même objet que celui visé par une instance introduite dans une autre province, notamment en se demandant s’il serait préférable que les questions communes soulevées par les demandeurs soient réglées dans le cadre de l’instance introduite dans l’autre province plutôt que devant les tribunaux de la Colombie‑Britannique.

[42]                          L’article 16 de la CPA, qui est mentionné au par. 11(2) de l’ORA, dispose :

      [traduction]

16 (1) Tout membre d’un groupe visé par un recours collectif peut s’en exclure de la façon et dans le délai indiqués dans l’ordonnance d’autorisation.

B.            Quelle est la caractérisation correcte de l’art. 11, compte tenu de son objet et de ses effets?

[43]                         Passons à la première étape du cadre d’analyse de l’arrêt Imperial Tobacco. Il faut cerner le « caractère véritable » de l’art. 11, c’est-à-dire d’en dégager « l’objet principal ou encore la caractéristique dominante ou la plus importante » (Renvois relatifs à la LTPGES, par. 51). Le tribunal doit qualifier la disposition contestée en en faisant ressortir l’« idée maîtresse » (R. c. Morgentaler, [1993] 3 R.C.S. 463, p. 481‑483), « avec le plus de précision possible », sans égard à ses aspects accessoires ou secondaires (Renvois relatifs à la LTPGES, par. 52; voir aussi Imperial Tobacco, par. 28).

[44]                         Pour procéder à cette opération de qualification, le tribunal examine l’objet et les effets de la loi. Pour déterminer l’objet d’une loi, le tribunal fait appel à des éléments de preuve intrinsèques — c’est‑à‑dire au texte même de la loi — ainsi qu’à des éléments de preuve extrinsèques — y compris les débats parlementaires, les procès‑verbaux de comités parlementaires et les publications gouvernementales pertinentes (Murray-Hall c. Québec (Procureur général), 2023 CSC 10, par. 25). Pour déterminer les effets d’une loi, on peut tenir compte tant de ses effets juridiques — qui correspondent aux effets directs des dispositions de la loi elle‑même — que de ses effets pratiques — qui découlent de son application (Renvoi relatif à la Loi sur la non‑discrimination génétique, 2020 CSC 17, [2020] 2 R.C.S. 283, par. 51). Il s’agit d’une « opération essentiellement interprétative [qui] ne se veut ni technique, ni formaliste » (Murray-Hall, par. 24).

[45]                         Le tribunal aborde la question de la validité de la disposition législative en appliquant la présomption de constitutionnalité en matière d’interprétation législative selon laquelle le législateur est présumé ne pas avoir eu l’intention d’outrepasser ses pouvoirs, si la disposition en question peut recevoir un sens qui en limite la portée à ses champs de compétence (Renvoi relatif à la Loi sur l’évaluation d’impact, 2023 CSC 23, par. 72). Cette présomption est particulièrement forte lorsque les procureurs généraux des ressorts touchés par la loi interviennent pour en défendre la validité (Bande Kitkatla c. Colombie-Britannique (Ministre des Petites et moyennes entreprises, du Tourisme et de la Culture), 2002 CSC 31, [2002] 2 R.C.S. 146, par. 73; Goodwin c. Colombie‑Britannique (Superintendent of Motor Vehicles), 2015 CSC 46, [2015] 3 R.C.S. 250, par. 33; SEFPO c. Ontario (Procureur général), [1987] 2 R.C.S. 2, p. 19‑20). Cela étant, le rôle du tribunal consiste à statuer sur la constitutionnalité de la loi, et non à s’en remettre tout simplement à l’opinion d’un procureur général quant à sa validité.

(1)           Quel est l’objet de l’art. 11?

[46]                         Les appelantes exhortent notre Cour à conclure que l’art. 11 a pour objet de conférer à la Couronne du chef de la Colombie‑Britannique un droit d’action qui lui permet d’agir dans le cadre d’un recours collectif à titre de représentante des demandeurs pour le compte d’un groupe composé d’« autres » gouvernements, étant donné que la CPA ne lui permettrait à elle seule d’agir à ce titre. Puisque la Couronne n’est pas une « personne » comme l’exige cette loi, elle ne pourrait pas autrement agir comme demandeur dans un recours collectif. Les appelantes soutiennent que, comme l’art. 29 de l’Interpretation Act, R.S.B.C. 1996, c. 238, et l’art. 1 de la Crown Proceeding Act, R.S.B.C. 1996, c. 89, excluent tous les deux la Couronne de la définition d’une [traduction] « personne », l’art. 11 a pour objet de conférer à la Couronne du chef de la Colombie‑Britannique et à la Couronne du chef des autres provinces des droits substantiels qu’elles ne possédaient pas auparavant. Cet argument nous oblige à nous demander si, abstraction faite de l’art. 11, la Couronne est une « personne » ou fait partie [traduction] « d’un groupe de personnes » au sens du par. 2(1) et de l’al. 4(1)(b) de la CPA.

[47]                         Je suis d’avis de ne pas retenir l’argument avancé par les appelantes sur l’objet de l’art. 11. En droit anglo‑canadien, « la Couronne » (« the Crown ») s’entend à la fois de la personnification de l’État et de la personne physique du souverain, Sa Majesté le Roi (Procureur général du Québec c. Labrecque, [1980] 2 R.C.S. 1057, p. 1082; Verreault (J.E.) & Fils Ltée c. Procureur général (Québec), [1977] 1 R.C.S. 41, p. 47; P. W. Hogg, P. J. Monahan et W. K. Wright, Liability of the Crown (4e éd. 2011), p. 12; voir aussi M.‑F. Fortin, « The King’s Two Bodies and the Canadian Office of the Queen » (2021), 25 R. études const. 117). Dans ce dernier sens, en tant que personne physique, « la Couronne » jouit en vertu de la common law de bon nombre des mêmes pouvoirs qu’un simple particulier, à moins que ces pouvoirs ne soient expressément restreints par la loi (Procureur général de l’Ontario c. Fatehi, [1984] 2 R.C.S. 536, p. 551; voir aussi K. Horsman et G. Morley, Government Liability : Law and Practice (feuilles mobiles), § 1:10‑1:11). Ainsi, la Couronne peut, en tant que personne physique, détenir des biens, contracter et dépenser de l’argent comme toute autre personne (voir Hogg, Monahan et Wright, p. 12).

[48]                         Lorsque la Couronne participe à titre de demandeur à une instance en vue de faire valoir un droit d’action reconnu en common law ou par la loi, elle agit habituellement en tant que personne physique (Fatehi, p. 551‑552; Hogg, Monahan et Wright, p. 74). La Couronne peut intenter une poursuite pour atteinte à ses droits civils au même titre que tout justiciable, et ce, que la loi l’autorise ou non à le faire (R. c. Murray, [1967] R.C.S. 262; Horsman et Morley, § 1:11).

[49]                         La Couronne est toutefois soumise, en tant que personne physique, à son Parlement ou à sa législature (voir P. W. Hogg et W. K. Wright, Constitutional Law of Canada (5e éd. suppl.), § 10:13). Ainsi, bien qu’elle ait le droit d’ester en justice pour faire valoir ses droits, la Couronne peut voir cette capacité limitée par une loi si, par exemple, elle ne peut se prévaloir d’un droit ou d’une procédure en particulier.

[50]                         Les appelantes plaident que l’art. 29 de l’Interpretation Act restreint ainsi la capacité de la Couronne d’ester en justice en vertu de la CPA. L’article 29 de l’Interpretation Act — qui renferme des définitions générales applicables à toutes les lois en vigueur en Colombie‑Britannique — précise que le terme « person » (« personne ») englobe notamment [traduction] « une personne morale, une société en nom collectif ou un justiciable, et le représentant personnel ou autre représentant juridique d’une personne à laquelle peut s’appliquer le contexte selon la loi ». On trouve dans le même article la définition suivante du terme « corporation » (« personne morale ») : [traduction] « [. . .] s’entend en outre d’une personne morale individuelle autre que Sa Majesté ». Les appelantes soutiennent qu’il résulte forcément du rapprochement de ces dispositions qu’une « personne morale » est une « personne », sauf si cette personne morale est « Sa Majesté ».

[51]                         Je ne suis pas convaincue que ces définitions permettent de conclure que la Couronne ne répond pas à la définition de « personne » pour l’application de la CPA et de l’art. 11 de l’ORA. L’article 29 de l’Interpretation Act prévoit que le terme « personne » [traduction] « s’entend en outre d’une personne morale » « autre que Sa Majesté ». La présence, en anglais, du mot « includes » dans une définition indique généralement la volonté du législateur de ne fournir l’énumération qui suit qu’à titre d’exemple, et non dans le but de donner une définition exhaustive (voir R. c. McColman, 2023 CSC 8, par. 38; R. Sullivan, The Construction of Statutes (7e éd. 2022), § 4.04). La définition non exhaustive que l’Interpretation Act donne du mot « personne » ne permet pas d’écarter le sens ordinaire de ce mot ou de ne pas assimiler la Couronne, en common law, à une personne physique ayant la capacité d’ester en justice pour faire valoir ses droits (voir R. c. British Columbia, [1992] 4 W.W.R. 490, par. 17 (C.S. C.‑B.); Sullivan, § 4.04). Le fait que l’art. 29 soustrait la Couronne à l’application des lois régissant les sociétés privées n’a pas non plus pour effet de restreindre sa capacité d’ester en justice en tant que personne.

[52]                         En ce qui concerne l’art. 1 de la Crown Proceeding Act, il dispose que le terme « person » (« personne ») n’englobe pas [traduction] « le gouvernement ». Il précise toutefois que cette définition s’applique [traduction] « à la présente loi », contrairement aux définitions générales que l’on trouve dans l’Interpretation Act. La Crown Proceeding Act indique dans quels cas la Couronne peut être poursuivie en tant que défenderesse. Il s’agit d’une dérogation législative à la règle de la common law qui confère à la Couronne une immunité à l’égard de toute responsabilité, et la loi en question ne traite donc pas des cas dans lesquels la Couronne intente une poursuite en tant que demanderesse (voir Nelson (Ville) c. Marchi, 2021 CSC 41, [2021] 3 R.C.S. 55, par. 38; Hogg et Wright, § 10:12).

[53]                         Je conclus que la Couronne du chef de la Colombie‑Britannique était déjà une « personne » qui avait la capacité de faire valoir ses droits civils en vertu de la CPA, qu’elle agisse ou non à titre de représentante des demandeurs.

[54]                         La même conclusion vaut pour les « autres » gouvernements. Ils peuvent ester en justice à titre de « personne » en vertu de la CPA. Étant eux aussi des personnes physiques, les autres gouvernements « peu[vent] poursuivre devant tout tribunal ayant compétence dans le domaine pertinent » (McNamara Construction (Western) Ltd. c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 654, p. 660; voir aussi Hogg, Monahan et Wright, p. 493). [traduction] « La Couronne du chef d’une province (ou du Dominion) a les mêmes pouvoirs qu’une personne physique [. . .] et n’est pas soumise à des restrictions territoriales dans l’exercice des pouvoirs que lui confère la common law » (Hogg et Wright, § 13:8; voir aussi Horsman et Morley, § 1:11).

[55]                         Si l’on fait abstraction des questions soulevées au sujet des effets d’un recours collectif multiterritorial sur l’autonomie de la Couronne ou la souveraineté parlementaire, rien dans la CPA, l’Interpretation Act ou la Crown Proceeding Act n’empêche la Couronne du chef de la Colombie‑Britannique ou d’« autres » gouvernements de satisfaire à l’exigence la plus élémentaire d’une participation à un recours collectif, à savoir d’être [traduction] « membre d’un groupe de personnes » (CPA, par. 2(1)). Lorsque la Couronne du chef d’un ou de plusieurs ressorts intente une poursuite en tant que demanderesse, ses droits [traduction] « ne sont pas différents de ceux d’un justiciable, et ne l’ont jamais été » (Horsman et Morley, § 1:11).

[56]                         De plus, l’art. 11 n’existe pas en vase clos. L’alinéa 11(1)(b) permet à la Colombie‑Britannique d’« intenter une action » en vertu de la CPA une loi purement procédurale qui, selon notre Cour, ne confère ni ne retire de droits substantiels (voir Pro-Sys Consultants Ltd. c. Microsoft Corporation, 2013 CSC 57, [2013] 3 R.C.S. 477, par. 133). Je rejette donc l’affirmation des appelantes selon laquelle l’art. 11 a pour objet de conférer des droits substantiels à la Couronne du chef de la Colombie‑Britannique ou de retirer de tels droits aux autres gouvernements.

[57]                         Au contraire, les éléments de preuve intrinsèques qui se dégagent du texte de l’art. 11 indiquent clairement que cet article a pour objet de prévoir un mécanisme procédural qui explique comment les autres dispositions de l’ORA — y compris le droit d’action que cette loi confère à la Colombie‑Britannique et les diverses autres règles de preuve et de procédure uniques qu’elle contient — s’appliquent à l’instance en cours en Colombie‑Britannique après l’entrée en vigueur de l’ORA. Cette disposition ne crée pas de nouvelle instance. L’alinéa 11(1)(a), ainsi que le préambule de cette disposition, précise plutôt que l’instance en question relève de l’ORA et ajoute que si cette instance est toujours en cours après l’entrée en vigueur de l’ORA, elle se poursuit conformément à cette dernière. L’alinéa 11(1)(b) autorise le gouvernement à intenter son action au nom des autres gouvernements canadiens et de leurs organismes de soins de la santé, confirmant ainsi que la demande que le gouvernement a présentée en vertu des mécanismes que la CPA met déjà à sa disposition, demeure valable, tout en établissant des limites quant aux personnes que le gouvernement peut proposer d’inclure dans le groupe. L’alinéa 11(1)(c) prévoit que la procédure terminée et l’ordonnance rendue sont poursuivies, sauf en cas d’incompatibilité avec l’ORA. Enfin, le par. 11(2) confirme la possibilité pour les membres du groupe proposé de s’exclure du recours en vertu de l’art. 16 de la CPA. Le texte de l’art. 11 indique que celui‑ci vise d’abord et avant tout à garantir l’efficacité continue de l’instance en cours devant les tribunaux de la Colombie-Britannique, ainsi que les avantages que lui procurerait l’ORA, y compris l’efficience accrue qu’un recours collectif mettant en cause plusieurs gouvernements offrirait à toutes les personnes concernées.

[58]                         Cet objet de l’art. 11 ressort clairement de tout le contexte de l’ORA. Bien que le tribunal doive qualifier la disposition contestée plutôt que la loi dans son ensemble, le caractère de la disposition doit être examiné en tenant compte de l’économie générale de la loi, vu que son lien avec celle‑ci « peut être une considération importante lorsqu’il s’agit d’établir son caractère véritable » (Québec (Procureur général), par. 30). Plusieurs des dispositions de l’ORA confèrent des avantages à l’instance visée à l’art. 11, dont la plus importante est le [traduction] « droit d’action direct et distinct » que l’ORA accorde à la Colombie‑Britannique (art. 2 et 3). En outre, des dispositions permettent de conclure à la responsabilité conjointe de plusieurs défendeurs (art. 4, 7 et 8) et précise les éléments de preuve que le tribunal peut examiner pour que soit établi le lien de causalité et que soient quantifiés les dommages‑intérêts (art. 5). D’autres dispositions visent simplement à préciser, à l’instar de l’art. 11 lui‑même, ce qui arrive au moment de l’entrée en vigueur de la loi. Ainsi, l’art. 6 proroge tout délai de prescription applicable; l’art. 10 prévoit la rétroactivité de la loi, et l’art. 12 dispose que toute transaction existante demeure valide. Dans ces conditions, l’art. 11 vise à préciser les modalités d’application de ces diverses dispositions de fond et de procédure à l’instance déjà en cours devant le tribunal — une conclusion renforcée par le fait que l’art. 11 suit immédiatement l’effet rétroactif de l’art. 10.

[59]                         Les éléments de preuve extrinsèques appuient cette interprétation. Lorsque le gouvernement de la Colombie‑Britannique a annoncé qu’il entamait cette poursuite, il a indiqué dans son communiqué de presse qu’il allait présenter sous peu une mesure législative [traduction] « [p]our faciliter le processus judiciaire » (BC Government News, British Columbia files lawsuit against opioid industry, 29 août 2018 (en ligne)). Lorsque l’ORA a par la suite été présentée à l’assemblée législative, le procureur général a indiqué que cette loi visait à [traduction] « permettre au gouvernement de poursuivre les fabricants et grossistes de produits opioïdes en s’inspirant du modèle suivi pour les poursuites intentées contre des compagnies de tabac » (Official Report of Debates (Hansard), 1er octobre 2018, p. 5331 (l’hon. David Eby)). Prenant acte de l’instance en cours, le procureur général a signalé, à l’occasion de la deuxième lecture du projet de loi, que [traduction] « [l]e recours collectif qui a été intenté sera poursuivi en vertu de cette loi, qui permettra d’étendre l’application des règles de procédure qu’elle contient à l’action en cours » (Official Report of Debates (Hansard), no 152, 3e sess., 41e lég., 2 octobre 2018, p. 5390 (l’hon. David Eby)).

[60]                         J’abonde dans le sens de la Colombie‑Britannique et des juridictions inférieures. Je ne souscris pas à l’idée que l’art. 11 de l’ORA aurait pour objet de conférer des droits substantiels à la Couronne en permettant à cette dernière d’intenter une action que la CPA ne lui aurait autrement pas permis d’entamer. Selon les éléments de preuve intrinsèques et extrinsèques dont nous disposons, l’art. 11 a pour objet de prévoir un mécanisme procédural par lequel les dispositions plus générales de l’ORA pourraient s’appliquer au recours collectif mettant en cause plusieurs gouvernements proposé par la Colombie‑Britannique.

(2)           Quels sont les effets de l’art. 11?

[61]                         Les appelantes plaident que l’art. 11 a une incidence sur les droits substantiels des autres gouvernements en les forçant à renoncer au profit du gouvernement de la Colombie‑Britannique à leur [traduction] « autonomie dans la conduite du litige » (concept désignant les droits civils substantiels liés à la capacité souveraine de la Couronne d’intenter des actions en justice de façon indépendante et de se charger du déroulement de l’instance) (m.a., par. 63‑64). Elles ajoutent que cette disposition forcerait également les autres gouvernements à prendre une décision qui va à l’encontre de la Constitution en les obligeant à participer au présent recours collectif ou à s’en exclure.

[62]                         La Colombie‑Britannique rétorque que les gouvernements doivent toujours sacrifier des aspects de leur « autonomie dans la conduite du litige » lorsqu’ils décident d’ester en justice à l’extérieur de leur territoire. Cette réalité ne contrevient à aucun principe constitutionnel, même lorsque les gouvernements participent à une instance en se soumettant au cadre procédural prévu par une loi sur les recours collectifs. En l’espèce, les effets se limitent à la présente instance, une seule et même instance, qui protège les droits substantiels des autres gouvernements membres, qui seront déterminés selon leurs propres lois.

[63]                         L’« autonomie dans la conduite du litige » désigne une série de droits importants, tels que le droit de sélectionner l’avocat de son choix, le droit de participer à l’élaboration de la stratégie à adopter dans le cadre du litige et le droit de participer à des négociations en vue du règlement de l’action (Johnson c. Ontario, 2022 ONCA 725, 475 D.L.R. (4th) 344, par. 47; Coburn and Watson’s Metropolitan Home c. Home Depot of Canada Inc., 2019 BCCA 308, 438 D.L.R. (4th) 533, par. 14). [traduction] « Notre société accorde une grande importance à la capacité du justiciable d’intenter une poursuite et d’y participer, en tant qu’élément de son autonomie personnelle » (Johnson c. Ontario, 2021 ONCA 650, 158 O.R. (3d) 266, par. 16). Le justiciable qui choisit de participer à un recours collectif en tant que membre du groupé visé accepte nécessairement de renoncer à une partie de ses droits comme [traduction] « prix à payer pour pouvoir bénéficier des avantages du recours collectif » (Coburn and Watson’s Metropolitan Home, par. 14; M. H. Redish, Wholesale Justice: Constitutional Democracy and the Problem of the Class Action Lawsuit (2009), p. 135‑175).

[64]                         Dans le cas des recours collectifs mettant en cause plusieurs gouvernements, il découle de ce choix que le gouvernement au pouvoir peut obliger les gouvernements qui lui succéderont à respecter sa décision de céder certains de ses droits d’ester en justice. Les autres gouvernements se voient‑ils ainsi contraints, en violation de la Constitution, de sacrifier certains de leurs droits substantiels?

[65]                         Ma réponse est « non ». Bien que la participation à un recours collectif implique de sacrifier jusqu’à un certain point son autonomie dans la conduite du litige, il ne s’ensuit pas pour autant que l’art. 11 soit une disposition substantielle ou qu’il implique de sacrifier des droits substantiels en violation de la Constitution.

[66]                         Chaque fois que la Couronne décide d’introduire une instance pour faire valoir ses droits civils, y compris sur son propre territoire, elle renonce à une partie de son autonomie dans la conduite du litige. Ce choix peut avoir des conséquences contraignantes pour ses successeurs, sans pour autant les obliger à sacrifier des droits substantiels. Comme je l’ai expliqué, la Couronne a les mêmes pouvoirs qu’un particulier lorsqu’elle agit comme plaideur pour faire valoir ses droits civils. Comme tout autre plaideur, la Couronne ne peut pas s’exclure de l’instance ou en contrôler le déroulement une fois qu’un tribunal indépendant a été saisi de la demande, d’autant plus que les questions relatives à son autonomie dans la conduite du litige sont souvent laissées à l’appréciation du tribunal. Par exemple, le juge a le droit de refuser d’exécuter la transaction intervenue entre les parties (voir, p. ex., Wannan c. Hutchison, 2020 BCSC 1233, 74 C.P.C. (8th) 222; Milios c. Zagas (1998), 38 O.R. (3d) 218 (C.A.)). Le juge peut également refuser, dans certaines circonstances, de permettre au demandeur de s’exclure ou de se désister de son action (voir, p. ex., DLC Holdings Corp. c. Payne, 2021 BCCA 31, 456 D.L.R. (4th) 337; Dubuc c. 1663066 Ontario Inc., 2009 ONCA 914, 99 O.R. (3d) 476; Poffenroth Agri Ltd. c. Brown, 2020 SKCA 121, 65 C.P.C. (8th) 348). Donc, bon nombre des choix faits au sujet du litige ont pour conséquence de priver les parties de leur liberté d’agir comme elles le souhaiteraient.

[67]                         Lorsque la Couronne choisit d’ester en justice dans un autre ressort, ce choix aura des conséquences encore plus importantes et contraignantes. La Couronne du chef du Canada ou d’une province peut intenter des poursuites dans toute province ayant compétence sur la demande, mais la Couronne qui choisit d’ester en justice dans une autre province doit se soumettre aux règles de procédure de cette province (voir McNamara Construction, p. 660; Hogg, Monahan et Wright, p. 493; Horsman et Morley, § 13:14). Ces règles de procédure sont déterminées par l’assemblée législative de cette autre province. Comme les appelantes l’ont reconnu à l’audience, le fait pour la Couronne du chef d’une province ou d’un territoire de se soumettre aux règles de procédure d’un autre ressort dans le cadre d’un litige ordinaire ne viole aucun principe constitutionnel (transcription, jour 1, p. 6; voir Hogg et Wright, § 10:20). Ils soutiennent toutefois que le degré de renoncement à l’autonomie dans la conduite du litige qu’exigerait un recours collectif mettant en cause plusieurs gouvernements est excessif et viole la Constitution.

[68]                         Certes, en tant que participant à un recours collectif, la Couronne sacrifierait une plus grande part de son autonomie dans la conduite du litige, mais seulement si elle choisit de le faire en recourant au mécanisme d’adhésion volontaire ou d’exclusion. Ce droit procédural a été reconnu comme étant [traduction] « [l]a principale protection dont jouissent les membres absents du groupe dans le processus de recours collectif » (1250264 Ontario Inc. c. Pet Valu Canada Inc., 2013 ONCA 279, 362 D.L.R. (4th) 88, par. 41, citant 1176560 Ontario Ltd. c. Great Atlantic & Pacific Co. of Canada Ltd. (2002), 62 O.R. (3d) 535 (C.S.J.), par. 75). En décidant de participer à l’instance, soit en décidant d’adhérer au groupe, soit en s’abstenant de s’en exclure, tout membre du groupe, y compris la Couronne, profite des avantages du recours collectif (comme l’économie de coûts et l’élimination de la multiplication des recours) en échange de certaines contraintes (comme le fait d’être lié par les décisions du représentant des demandeurs) (voir Coburn and Watson’s Metropolitan Home, par. 14‑15). C’est la raison pour laquelle les avis qui doivent être donnés dans le cadre du mécanisme d’adhésion et d’exclusion constituent une protection procédurale si importante, dès lors qu’ils permettent de s’assurer que le membre du groupe est au courant des droits auxquels il renoncera s’il participe à l’instance (voir Lépine, par. 42‑43; Dutton, par. 49; Currie c. McDonald’s Restaurants of Canada Ltd. (2005), 250 D.L.R. (4th) 224 (C.A. Ont.), par. 28; Herold c. Wassermann, 2022 SKCA 103, 473 D.L.R. (4th) 281, par. 36). Le membre du groupe qui a été dûment avisé et qui choisit de participer à l’instance exerce son autonomie dans la conduite du litige, même si cela l’oblige à sacrifier d’autres aspects de son autonomie.

[69]                         Même alors, le membre du groupe continue de bénéficier de nombreux aspects de son autonomie dans la conduite du litige grâce aux garanties procédurales offertes aux demandeurs qui n’agissent pas comme représentants de l’ensemble des demandeurs dans les recours collectifs, y compris un autre gouvernement. Par exemple, le tribunal conserve le pouvoir discrétionnaire de permettre à un membre du groupe d’y adhérer ou de s’en exclure tardivement, si ce membre peut démontrer qu’il n’était pas au courant de l’instance ou s’il démontre qu’il a subi un préjudice (voir CPA, par. 8(3) et art. 10; Fitzsimmons c. Cie matériaux de construction BP Canada, 2016 QCCS 1446; Branch et Good, § 11:1). Le tribunal peut, en tout temps au cours de l’instance, permettre à un membre du groupe de participer à l’instance afin de s’assurer que les intérêts du groupe soient représentés de façon juste et appropriée (voir CPA, art. 12 et par. 15(1); voir aussi Tataskweyak Cree Nation c. Canada (A.G.), 2021 MBQB 153; Branch et Good, § 16:6). Les membres du groupe peuvent demander au tribunal de remplacer le représentant des demandeurs si celui‑ci ne représente pas de façon adéquate les intérêts du groupe (voir CPA, par. 8(3) et 10(1); Logan c. Ontario (Minister of Health) (2003), 36 C.P.C. (5th) 176 (C.S.J. Ont.); Branch et Good, § 16:4). Les membres du groupe peuvent également s’opposer au règlement proposé (voir CPA, art. 35; Dabbs c. Sun Life Assurance Co. of Canada (1998), 40 O.R. (3d) 429 (C.J. (Div. gén.)); Branch et Good, § 17:2). Les membres du groupe peuvent même demander au tribunal l’autorisation d’agir à titre de représentant des demandeurs et de se charger de l’appel d’une ordonnance rendue dans le cadre d’un recours collectif lorsque le représentant des demandeurs refuse d’agir (voir CPA, par. 36(2); Leonard c. The Manufacturers Life Insurance Company, 2022 BCCA 28, 75 B.C.L.R. (6th) 235, par. 16; Branch et Good, § 21:1). À tout cela s’ajoute le pouvoir général de surveillance du tribunal sur le déroulement de l’instance, qui s’applique dès le début du recours collectif proposé et qui oblige le tribunal à veiller à ce que les intérêts des membres du groupe soient protégés (voir CPA, art. 12; Coburn and Watson’s Metropolitan Home, par. 14; W. K. Winkler et autres, The Law of Class Actions in Canada (2014), p. 20).

[70]                         Ces garanties procédurales, qui sont inscrites dans les lois sur les recours collectifs et qui relèvent de la compétence inhérente du tribunal, protègent les aspects de l’autonomie dans la conduite du litige auxquels les membres du groupe devraient autrement renoncer lorsqu’ils participent à une action collective. Accorder une trop grande protection à l’autonomie des membres du groupe dans la conduite du litige, y compris dans le cas de la Couronne, annulerait probablement bon nombre des avantages que les lois sur les recours collectifs sont censées procurer (voir Berry c. Pulley, 2011 ONSC 1378, 106 O.R. (3d) 123, par. 62; J. Cassels et C. Jones, The Law of Large-Scale Claims : Product Liability, Mass Torts, and Complex Litigation in Canada (2005), p. 434‑438).

[71]                         Ainsi, la participation à un recours collectif comporte à la fois des avantages et des contraintes pour ce qui est de l’autonomie des membres dans la conduite du litige. La Couronne qui se prévaut des avantages que comporte une loi sur les recours collectifs en accepte aussi les contraintes (Alberta Government Telephones c. Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes), [1989] 2 R.C.S. 225, p. 284). La décision de la Couronne d’accepter les conséquences de ses choix en ce qui concerne la conduite du litige en tant que demanderesse ne porte pas atteinte à son autonomie. Des conséquences ne sont pas des règles substantielles.

[72]                         Les conséquences en question sur les choix de la Couronne quant au déroulement de l’instance ne transforment pas non plus l’art. 11 de l’ORA en une disposition portant sur des droits civils substantiels simplement parce que ces choix peuvent avoir une incidence sur les droits substantiels de la Couronne. Même si la participation au recours collectif en tant que membre du groupe a incontestablement des effets sur les droits substantiels, l’aptitude à devenir membre du groupe n’est qu’un droit procédural (AIC Limitée c. Fischer, 2013 CSC 69, [2013] 3 R.C.S. 949, par. 34). Notre Cour a affirmé à maintes reprises que les lois sur les recours collectifs sont des lois procédurales qui ne modifient ni ne créent de droits substantiels (voir, p. ex., Bisaillon c. Université Concordia, 2006 CSC 19, [2006] 1 R.C.S. 666, par. 17; Pro-Sys Consultants, par. 131‑133; Pioneer Corp. c. Godfrey, 2019 CSC 42, [2019] 3 R.C.S. 295, par. 116). Les droits substantiels de tout autre gouvernement qui choisit de participer à la présente instance seront toujours déterminés selon ses propres lois, lesquelles peuvent être modifiées par son assemblée législative et par les gouvernements qui lui succéderont.

[73]                          Je conviens donc avec les juridictions inférieures que, sur le plan juridique, l’art. 11 a pour effet d’encadrer la façon dont l’instance en cours sera reprise devant les tribunaux de la Colombie‑Britannique sous une forme modifiée, et à préciser les mécanismes procéduraux de la CPA qui s’appliqueront à cette instance après l’entrée en vigueur de l’ORA. L’article 11 autorise le gouvernement de la Colombie‑Britannique à intenter le présent recours collectif proposé au nom des membres du groupe potentiel dont il est question à l’al. 11(1)b). L’article 11 fait également relever de cette instance les autres droits substantiels et recours que l’ORA accorde exclusivement à la Colombie‑Britannique, alors que les droits substantiels des autres gouvernements qui choisissent de participer à l’instance en se conformant à ce cadre procédural demeurent inchangés.

[74]                         Les effets pratiques de l’art. 11 sont en outre limités : il ne fait qu’obliger les autres gouvernements à décider s’ils acceptent les avantages et les contraintes procéduraux du recours collectif que l’art. 11 autorise la Couronne du chef de la Colombie‑Britannique à introduire en leur nom, après avoir examiné les conséquences que ce choix peut avoir sur leurs droits. Loin de les placer devant un [traduction] « choix contraire à la Constitution », comme le prétendent les appelantes (m.a., par. 3 et 77), l’art. 11 permet aux autres gouvernements d’exercer leur autonomie et de décider s’il est dans leur intérêt de chercher à obtenir réparation pour leurs préjudices liés aux opioïdes dans le cadre d’une seule et même instance regroupant d’autres réclamations, ou de s’exclure du recours collectif et de faire cavalier seul. Comme le procureur général des Territoires du Nord‑Ouest et le procureur général de l’Île‑du‑Prince‑Édouard le soulignent, l’existence de ce choix représente peut‑être la seule façon pour les provinces et territoires plus petits d’obtenir réparation (m. interv., procureur général des Territoires du Nord‑Ouest, par. 11‑22; m. interv., procureur général de l’Île‑du‑Prince‑Édouard, par. 18). S’ils étaient acceptés, les arguments des appelantes empêcheraient les gouvernements d’exercer leur autonomie et de faire valoir efficacement leurs revendications de manière collective en prétendant qu’ils ne peuvent se prévaloir de ce choix. Je conclus qu’un gouvernement peut accepter de se soumettre aux règles de procédure d’une autre province qui s’appliquent à un recours collectif, même si ce choix peut avoir pour conséquence de limiter la capacité de son assemblée législative et de ses successeurs de se soustraire aux conséquences de ce choix.

(3)           Quel est le caractère véritable de l’art. 11?

[75]                         En somme, l’art. 11 a pour objet et pour effet de favoriser l’efficacité des procès en regroupant les revendications des gouvernements qui acceptent de participer au recours collectif à titre de membres dans une seule et même instance dont les tribunaux de la Colombie‑Britannique sont déjà saisis, pour permettre à leurs revendications individuelles de bénéficier de l’efficacité et de la cohérence qu’offrent les recours collectifs et l’ORA.

[76]                         Les juridictions inférieures ont eu raison de conclure que, de par son caractère véritable, l’art. 11 vise à créer un mécanisme procédural qui permet d’appliquer l’ORA à l’instance liée aux opioïdes déjà en cours que la province de la Colombie‑Britannique est autorisée à poursuivre en tant que représentante des demandeurs, au nom des autres gouvernements canadiens qui ont choisi d’y participer.

C.            L’article 11 relève-t-il du par. 92(13), « la propriété et les droits civils », ou du par. 92(14), « l’administration de la justice »?

[77]                         Après avoir établi le caractère véritable de la disposition en cause, elle doit être « classée » sous l’un des chefs de compétence législative prévus aux art. 91 et 92 de la Loi constitutionnelle de 1867 (Québec (Procureur général), par. 32).

[78]                         Premièrement, j’arrive à la conclusion que l’art. 11 est procédural et qu’il ne traite pas de droits substantiels. Par conséquent, l’art. 11 ne relève pas du par. 92(13), parce que, de par son caractère véritable, il ne porte pas sur « [l]a propriété et les droits civils ».

[79]                         Je conclus plutôt que l’art. 11 relève effectivement du par. 92(14) de la Loi constitutionnelle de 1867, lequel confère aux provinces le pouvoir de légiférer sur « [l]’administration de la justice dans la province, y compris la création, le maintien et l’organisation de tribunaux de justice pour la province, ayant juridiction civile et criminelle, y compris la procédure en matières civiles dans ces tribunaux ». Cette formulation est délibérément générale, étant donné qu’« [a]vant la Confédération, les pouvoirs des provinces en matière d’administration de la justice, tant civile que criminelle, étaient sans restriction » (Di Iorio c. Gardien de la prison de Montréal, [1978] 1 R.C.S. 152, p. 204). Cette disposition fournit donc une liste non exhaustive de matières sur lesquelles les provinces peuvent légiférer, sans pour autant limiter leur compétence à ces seules matières (p. 204‑205).

[80]                         En vertu de ce chef de compétence, les provinces peuvent « édicte[r] des lois et pren[dre] des règlements sur les tribunaux, les règles de procédure et la procédure civile » (Ontario c. Criminal Lawyers’ Association of Ontario, 2013 CSC 43, [2013] 3 R.C.S. 3, par. 33; voir aussi Caron c. Alberta, 2015 CSC 56, [2015] 3 R.C.S. 511, par. 79). Une loi relève généralement du par. 92(14) si elle concerne le fonctionnement administratif des tribunaux d’une province ou le cadre procédural régissant les actions dont sont saisis les tribunaux de la province (Castillo c. Castillo, 2005 CSC 83, [2005] 3 R.C.S. 870, par. 37, le juge Bastarache, motifs concordants; voir aussi Criminal Lawyers’ Association of Ontario, par. 33).

[81]                         L’article 11 de l’ORA est un mécanisme procédural qui s’applique de concert avec la CPA, une loi purement procédurale, et qui permet a priori au gouvernement de la Colombie‑Britannique d’ester en justice au nom d’un groupe de gouvernements canadiens qui acceptent de participer au recours collectif à titre de membres. Comme toute règle de procédure, l’art. 11 entre en jeu lorsqu’il s’agit de déterminer des droits substantiels et il touche ces derniers jusqu’à un certain point, sans toutefois avoir pour effet de créer ou de modifier des droits substantiels. L’article 11 aide plutôt les gouvernements à collaborer entre eux dans le cadre d’une démarche commune dans le but de faire valoir leurs revendications individuelles, et il aide les tribunaux de la Colombie‑Britannique à assurer la direction de cette démarche.

D.           L’article 11 a-t-il une portée extraterritoriale excessive?

[82]                         Pour ce qui est de la deuxième étape du cadre d’analyse de l’arrêt Imperial Tobacco, la question est de savoir si la disposition contestée respecte les limites territoriales de la compétence de la province. Ces limites sont énoncées tout d’abord dans le passage liminaire de l’art. 92, qui précise que « [d]ans chaque province », la législature pourra légiférer exclusivement sur les matières qui y sont énumérées. Elles ressortent ensuite de la formulation de plusieurs chefs de compétence eux‑mêmes, laquelle exige que les lois portent sur des matières « dans la province » (p. ex., les par. 92(8), (12), (13), (14) et (16)).

[83]                         Les limites territoriales de la compétence provinciale « reflètent les exigences d’ordre et d’équité qui sous‑tendent les structures fédérales canadiennes » (Imperial Tobacco, par. 27; voir aussi Renvoi relatif à la Upper Churchill Water Rights Reversion Act, [1984] 1 R.C.S. 297 (Churchill Falls), p. 328; Club Resorts Ltd. c. Van Breda, 2012 CSC 17, [2012] 1 R.C.S. 572, par. 31). Ces limites ont deux objectifs : garantir que les lois provinciales conservent un lien utile avec la province qui les adopte et qu’elles respectent la souveraineté législative des autres provinces dans leurs champs de compétence respectifs (Imperial Tobacco, par. 27). Si le caractère véritable de la disposition contestée est intangible, comme c’est le cas en l’espèce, le tribunal doit se demander si cette disposition respecte le double objet des limites territoriales prévues à l’art. 92 : A‑t‑elle un lien significatif avec la province qui l’adopte et respecte‑t‑elle la souveraineté législative des autres territoires (par. 36)? Dans l’affirmative, la disposition est valide.

(1)          Existe‑t‑il un lien significatif entre l’art. 11 et le territoire de la Colombie‑Britannique, l’objet de la disposition et les parties qui y sont assujetties?

[84]                         L’exigence, prévue par le cadre d’analyse de l’arrêt Imperial Tobacco, selon laquelle une loi doit avoir un « lien significatif » avec la province ou le territoire qui l’a adoptée (par. 27), s’explique par le souci de s’assurer que l’État exerce ses pouvoirs légitimement (voir Van Breda, par. 31). Une « famille de critères » a été élaborée pour déterminer s’il existe un lien entre l’organe de l’État qui essaie d’exercer un pouvoir et le sujet visé par l’exercice de ce pouvoir (Sharp, par. 118). Le critère particulier qui s’applique dans le cadre de cette analyse dépend du contexte, bien qu’il soit inévitable que certains facteurs se recoupent puisque l’objectif sous‑jacent de chaque critère demeure le même (par. 118; voir aussi les par. 119‑122).

[85]                         Lorsqu’il évalue la validité constitutionnelle d’une loi, le tribunal vérifie l’existence d’un « lien significatif » en examinant le lien entre la loi et le territoire qui l’a adoptée, l’objet de la loi et les personnes qui y sont assujetties (Imperial Tobacco, par. 36). Bien que l’existence d’un « lien solide » entre ces facteurs permette au tribunal de conclure « facilement » à l’existence d’un lien significatif entre la loi et la province, l’analyse vise d’abord et avant tout à déterminer s’il existe un « lien significatif » et non à vérifier si le lien n’a pas de portée extraterritoriale (par. 37). De simples effets accessoires qui se font sentir à l’extérieur de la province « ne rendent pas inconstitutionnelle une loi par ailleurs intra vires » (Global Securities Corp. c. Colombie-Britannique (Securities Commission), 2000 CSC 21, [2000] 1 R.C.S. 494, par. 23; voir aussi Imperial Tobacco, par. 28). Des empiètements sur les pouvoirs d’autres gouvernements « sont acceptables et prévisibles » dans une fédération où la coopération entre les gouvernements sur des enjeux qui transcendent les frontières est essentielle (Banque canadienne de l’Ouest, par. 28).

[86]                         L’article 11 concerne un recours collectif unique intenté devant les tribunaux de la Colombie‑Britannique et opposant le gouvernement de cette province et des défendeurs qui ont exercé des activités commerciales dans la province et qui y auraient causé des préjudices liés aux opioïdes.

[87]                         Toutefois, les objections que les appelantes formulent à l’encontre de l’art. 11 nous obligent à examiner son lien significatif avec la Colombie‑Britannique dans les cas où d’autres gouvernements seraient touchés. Les appelantes affirment que l’art. 11 donne ouverture à un recours collectif lorsque les réclamations substantielles présentées par les autres gouvernements pour des fautes qui auraient été commises dans d’autres provinces et territoires selon le droit applicable dans ces autres provinces et territoires feront l’objet d’une poursuite intentée par le gouvernement de la Colombie‑Britannique et seront jugées par un tribunal de la Colombie‑Britannique, éliminant ainsi, à leur avis, tout lien significatif que l’art. 11 aurait autrement pu avoir avec cette province.

[88]                         Je ne suis pas de cet avis. L’article 11 conserve un lien significatif avec la Colombie‑Britannique, tant de par la nature du recours collectif que par le choix des autres gouvernements de participer à l’instance. La disposition concerne une seule action qui est le dénominateur commun de défendeurs, de questions et de réclamations.

[89]                         L’article 11 s’accorde avec la manière dont les tribunaux se déclarent compétents à l’égard des membres du groupe de l’extérieur de la province. Rien dans l’art. 11 ne modifie ce processus. Le tribunal doit toujours conclure à l’existence d’un lien réel et substantiel entre la Colombie‑Britannique et le groupe dans son ensemble pour se déclarer compétent, et l’assemblée législative de la Colombie‑Britannique ne peut donc imposer ses règles de procédure aux autres gouvernements que si le tribunal est d’abord convaincu qu’il existe un lien réel et substantiel entre la Colombie-Britannique et le groupe. Dans l’instance que l’art. 11 permet d’introduire, les lois et les tribunaux de la Colombie‑Britannique ne dépassent les limites de la province que si le tribunal est convaincu qu’il existe des questions communes au gouvernement de la Colombie‑Britannique et aux membres du groupe proposé, et considère que la Colombie‑Britannique est l’endroit indiqué pour régler ces questions communes (voir CPA, par. 4(1) et al. 4.1(1)(a); ORA, al. 11(1)(b)).

[90]                         Notre Cour et de nombreuses autres au Canada ont souscrit à l’idée qu’il suffit que les demandeurs membres du groupe qui proviennent d’autres provinces ou territoires et le représentant des demandeurs qui réside dans le ressort du tribunal aient des questions communes à faire trancher pour conclure à l’existence d’un lien réel et substantiel conférant au tribunal une compétence juridictionnelle sur le groupe en question (voir, p. ex., Dutton, par. 52‑54; Vivendi Canada Inc. c. Dell’Aniello, 2014 CSC 1, [2014] 1 R.C.S. 3, par. 61‑63; Endean, par. 6, 17 et 58; Airia Brands Inc. c. Air Canada, 2017 ONCA 792, 417 D.L.R. (4th) 467, par. 107; Harrington c. Dow Corning Corp., 2000 BCCA 605, 193 D.L.R. (4th) 67, par. 96; Meeking c. Cash Store Inc., 2013 MBCA 81, 367 D.L.R. (4th) 684, par. 97; Thorpe c. Honda Canada Inc., 2011 SKQB 72, [2011] 8 W.W.R. 529, par. 135; Wilson c. Servier Canada Inc. (2000), 50 O.R. (3d) 219 (C.S.J.); voir aussi C. Jones, « The Case for the National Class » 1:1 (2004), 1 R.C.R.C. 29, p. 46-47; T. J. Monestier, « Personal Jurisdiction over Non‑Resident Class Members : Have We Gone Down the Wrong Road? » (2010), 45 Tex. Int’l L.J. 537, p. 546‑548; J. Walker, Canadian Conflict of Laws (7e éd. (feuilles mobiles)), § 4.03). L’article 11 de l’ORA et les dispositions pertinentes de la CPA n’ont pas pour effet d’étendre ou de modifier la compétence du tribunal à l’égard de ces demandeurs ou de ces questions de l’extérieur du ressort en question. Cette compétence découle de l’autorité souveraine du tribunal, ancrée dans le lien réel et substantiel attribuable aux questions communes des demandeurs (Dutton, par. 19‑24, 33‑34 et 39; Meeking, par. 92‑97; Thorpe, par. 119 et 135; Jones, p. 46‑47; Walker, § 4.03). L’article 11 de l’ORA et les dispositions pertinentes de la CPA ne font que fournir les règles procédurales que doit appliquer le tribunal une fois sa compétence établie. Il est légitime pour une province d’exercer son pouvoir afin de fixer les règles de procédure applicables aux instances qui sont de son ressort.

[91]                         L’article 11 autorise donc le gouvernement de la Colombie‑Britannique à intenter une action qui maintient un lien significatif avec la Colombie‑Britannique en raison des questions communes à l’instance introduite dans cette province, de la compétence du tribunal sur ces questions et du consentement de tous les gouvernements qui participent à l’instance. La disposition n’a une incidence sur les autres gouvernements que s’ils ne s’excluent pas de l’instance (ORA, par. 11(2); CPA, art. 16). Aucun gouvernement n’est contraint de participer contre son gré au recours collectif, et le mécanisme d’exclusion permet à tout gouvernement de prendre une décision libre et éclairée quant à l’opportunité de se soumettre aux tribunaux de la Colombie-Britannique et à leurs règles de procédure (Lépine, par. 42‑43). S’il choisit de participer au recours collectif, le gouvernement reconnaît que le tribunal de la Colombie-Britannique est compétent pour se charger de l’examen et du règlement des questions communes dont il reconnaît qu’elles sont essentiellement les mêmes que celles présentées par la représentante des demandeurs, confirmant ainsi encore plus le lien qui existe entre ses propres revendications et la province de la Colombie-Britannique (voir Harrington, par. 99; voir aussi Beals c. Saldanha, 2003 CSC 72, [2003] 3 R.C.S. 416, par. 37; Morguard, p. 1103‑1104; Van Breda, par. 79; Walker, § 2.02). Et si le gouvernement en question choisit de ne pas participer au recours collectif, l’affaire s’arrête là.

[92]                         L’argument des appelantes selon lequel le fait que les revendications soient formulées par d’autres gouvernements rend impossible l’existence d’un lien significatif est également mal fondé. Les cours supérieures sont souvent saisies d’affaires mettant en cause des revendications émanant d’autres territoires ou exigeant l’application du droit d’un autre territoire (voir, p. ex., Van Breda). Le fait d’appliquer le droit d’un autre territoire à une partie de l’extérieur ne détruit pas nécessairement le « lien réel et substantiel » exigé pour donner compétence au tribunal sur la demande dont il est saisi, pas plus qu’elle ne compromet le « lien significatif » entre les règles procédurales qui facilitent le déroulement de cette action et la province qui les a édictées. Aucun de ces deux critères n’exige l’absence de tout facteur de rattachement avec d’autres provinces (voir Imperial Tobacco, par. 37‑38).

[93]                         Accepter les arguments des appelantes sur ce point contredirait des décennies d’une jurisprudence constante confirmant que les cours supérieures peuvent assurer la direction de recours collectifs de portée nationale. Les tribunaux qui pilotent ces demandes doivent suivre les règles de procédure de leur propre territoire, tout en appliquant dans bien des cas les règles substantielles d’autres provinces aux revendications individuelles de chaque membre du groupe. Notre Cour a approuvé l’exercice de recours collectifs nationaux dans plusieurs décisions (voir, p. ex., Dutton; Vivendi Canada Inc.; Endean). Ces recours constituent un moyen de plus en plus important pour de nombreux Canadiens d’accéder à la justice dans notre monde moderne.

[94]                         L’article 11 a donc pour objet une instance introduite par le gouvernement de la Colombie‑Britannique devant la Cour suprême de cette province. Avant l’autorisation du recours collectif, seuls la Colombie‑Britannique et les défendeurs y sont assujettis. Après son autorisation, seuls les autres gouvernements qui consentent à y participer et qui ont des questions communes avec celles du gouvernement de la Colombie‑Britannique y sont assujettis. Il existe donc un lien significatif entre l’assemblée législative de la Colombie‑Britannique, une disposition qui concerne la procédure à suivre devant ses tribunaux et les parties qui choisissent de participer à de telles instances, où leurs questions communes seront résolues collectivement.

(2)          L’article 11 respecte‑t‑il la souveraineté législative des autres gouvernements canadiens?

[95]                         Les appelantes soutiennent que l’art. 11 ne respecte pas la souveraineté législative des autres gouvernements canadiens en les forçant soit à s’exclure de l’instance, soit à y participer et à sacrifier leur souveraineté en renonçant à leur capacité de légiférer sur leurs droits substantiels en matière de recouvrement des coûts des soins de santé liés aux opioïdes ou à leur autonomie en matière de litiges sur ces droits. Ils affirment que l’appui des autres gouvernements à cette loi n’est pas pertinent.

[96]                          Comme je l’ai expliqué, les craintes exprimées par les appelantes au sujet des effets contraignants d’un recours collectif sur l’autonomie d’une autre province dans la conduite des litiges ne compromettent pas la souveraineté de cette dernière. Tout procès comporte des conséquences, et ces conséquences peuvent être inévitables, surtout lorsqu’elles surviennent dans des ressorts qui échappent au contrôle de la législature d’un gouvernement. Aucun principe constitutionnel ne l’interdit. Les arguments des appelantes estompent la distinction entre les pouvoirs législatif et exécutif. La législature d’un ordre de gouvernement ne peut transférer à la législature d’un autre ordre son pouvoir de légiférer primaire (Renvoi relatif à la réglementation pancanadienne des valeurs mobilières, par. 75‑76). Toutefois, aucune règle de ce genre ne s’applique à la délégation de pouvoirs exécutifs de conduite d’un litige.

[97]                         Bien entendu, un gouvernement ne peut écarter les lois existantes par une intervention de l’exécutif, et « une législature a le droit d’adopter une loi qui est incompatible avec des engagements pris par le gouvernement aux termes d’un accord antérieur » (Canada (Procureur général) c. British Columbia Investment Management Corp., 2019 CSC 63, [2019] 4 R.C.S. 559, par. 92). Ainsi, selon un principe constitutionnel général, ni l’exécutif ni la législature elle‑même ne peuvent imposer des restrictions au pouvoir de légiférer des législatures futures (Renvoi relatif à la réglementation pancanadienne des valeurs mobilières, par. 54‑59; Wells c. Terre-Neuve, [1999] 3 R.C.S. 199, par. 37; Renvoi relatif au Régime d’assistance publique du Canada (C.-B.), [1991] 2 R.C.S. 525, p. 560).

[98]                         Mais ce principe général comporte des limites lorsqu’un gouvernement exerce ses droits civils en sa qualité de personne physique dans des domaines où son assemblée législative n’a pas compétence pour légiférer. Indépendamment des conséquences que cette décision peut avoir sur la volonté d’un gouvernement d’ester en justice comme il le souhaite dans un autre ressort, le gouvernement qui agit en sa capacité de personne physique dans une autre province ou un autre territoire pourrait aussi devoir assumer les conséquences juridiques qui ne relèvent pas de sa compétence législative, telles que la création de droits et de devoirs privés dans d’autres provinces. Par exemple, lorsqu’un gouvernement conclut un contrat dans une autre province, ce contrat relève de la compétence législative de cette autre province sur « [l]a propriété et les droits civils dans la province » (par. 92(13) de la Loi constitutionnelle de 1867). L’assemblée législative du gouvernement qui a conclu le contrat ne peut pas, en adoptant une loi, tenter d’annuler ces droits contractuels extraprovinciaux, et elle est liée par cette obligation contractuelle au même titre qu’une personne physique (voir Churchill Falls, p. 332‑333; voir aussi Banque de Montréal c. Procureur général (Québec), [1979] 1 R.C.S. 565, p. 574).

[99]                         Ainsi, le gouvernement qui exerce les mêmes droits civils qu’un particulier est assujetti aux conséquences de ses actes dans une autre province lorsque ces actes relèvent de la souveraineté législative de cette autre province. Bien qu’il soit souverain sur son propre territoire dans ces matières, un gouvernement ne peut se soustraire par voie législative à des situations qu’il aurait pu contrôler sur son propre territoire. Rien n’oblige une province à exercer des activités ailleurs, mais lorsqu’elle le fait, elle doit se conformer aux lois de cette autre province (voir D. Gibson, « Interjurisdictional Immunity in Canadian Federalism » (1969), 47 R. du B. can. 40, p. 60; Hogg et Wright, § 10:20).

[100]                     C’est ce qui se produit lorsqu’un gouvernement exerce ses droits civils en participant comme simple demandeur membre d’un groupe dans un recours collectif intenté dans une autre province. Il se trouve alors assujetti aux règles de procédure de cette province en matière de recours collectifs, y compris aux règles procédurales relatives au caractère contraignant des jugements du tribunal ou aux transactions négociées par les parties (CPA, art. 26 et 35).

[101]                     Toutefois, l’application de ces règles de procédure aux autres gouvernements qui participent au recours collectif ne détermine pas quelles règles substantielles s’appliquent à ces gouvernements (voir Wilson, par. 83; Thorpe, par. 135; Walker, § 4.03). En l’espèce, les actes fautifs à l’origine du droit d’action de chaque gouvernement ont été accomplis sur son propre territoire et sont donc soumis à ses propres règles substantielles (voir Tolofson c. Jensen, [1994] 3 R.C.S. 1022, p. 1050 et 1064‑1065; Unifund Assurance Co. c. Insurance Corp. of British Columbia, 2003 CSC 40, [2003] 2 R.C.S. 63, par. 25 et 80; Van Breda, par. 37; Walker, § 1.02[2][e]). Ces règles substantielles demeurent soumises à la souveraineté de chaque législature, y compris sa propre loi de type ORA qui détermine ses droits d’action.

[102]                     Je ne crois pas non plus que l’art. 11 ne respecte pas la souveraineté des autres gouvernements en raison du risque que leurs diverses lois de type ORA et les instances que celles‑ci autorisent se chevauchent et s’opposent. Le chevauchement des lois des divers ressorts est un phénomène normal dans une fédération; il ne pose pas problème, dès lors qu’il est le résultat de l’exercice de sa compétence législative légitime par le gouvernement qui adopte la loi en question (voir Canada (Procureur général) c. PHS Community Services Society, 2011 CSC 44, [2011] 3 R.C.S. 134, par. 62; Banque canadienne de l’Ouest, par. 36‑37). La participation de plusieurs gouvernements à un recours collectif national en vertu de l’autorisation que lui accorde sa propre loi est le fruit de la concertation de divers gouvernements et de la courtoisie mutuelle des tribunaux.

[103]                     La coopération entre les divers gouvernements du Canada admet que des chevauchements sont inévitables à l’égard d’enjeux nationaux comme l’épidémie d’opioïdes, et que l’on devrait permettre « aux [. . .] gouvernement[s] de légiférer relativement à des objectifs légitimes dans les matières où il y a chevauchement » (PHS Community Services Society, par. 62). Bien que les tribunaux demeurent les arbitres ultimes de la constitutionnalité des mesures prises par les gouvernements pour encadrer des questions d’envergure nationale comme celles‑ci, la tâche quotidienne que représente le maintien de l’équilibre des compétences en ce qui concerne les régimes législatifs fondés sur la coopération « relève avant tout des gouvernements » (Banque canadienne de l’Ouest, par. 24).

[104]                     Dans le cas qui nous occupe, presque tous les gouvernements provinciaux et territoriaux du Canada ont choisi de se concerter en adoptant des lois pratiquement identiques, en indiquant leur intention de participer à des recours collectifs à titre de membres du groupe visé et en intervenant dans le présent pourvoi pour soutenir la Colombie‑Britannique. Le gouvernement fédéral, qui est également intervenu en faveur de l’intimé, a fait connaître son intention de participer lui aussi au recours collectif (Débats de la Chambre des communes, vol. 151, no 216, 1re sess., 44e lég., 19 juin 2023, p. 16247 (l’hon. Carolyn Bennett)). Cette participation de plusieurs gouvernements s’inscrit dans la foulée de l’approche préconisée par notre Cour en matière de coopération intergouvernementale sur des enjeux nationaux, où la collaboration entre les organes exécutif et législatif des deux ordres de gouvernement est vitale. Compte tenu notamment de la présomption de constitutionnalité des lois, un tribunal devrait faire preuve d’une grande prudence avant de conclure qu’une coopération entre les organes exécutif et législatif de plusieurs gouvernements est inconstitutionnelle (voir Murray-Hall, par. 79 et 82; Renvoi relatif à la Loi sur l’évaluation d’impact, par. 69; Kitkatla, par. 72‑73; SEFPO, p. 19‑20).

[105]                     En ce qui concerne l’organe judiciaire de l’État, notre Cour a reconnu qu’« [u]ne plus grande courtoisie est nécessaire à l’époque moderne où les opérations internationales impliquent une circulation constante de produits, de richesses et de personnes partout dans le monde » (Hunt, p. 292). Dans notre fédération, les tribunaux offrent une justice d’une qualité comparable, et ils exigent donc la reconnaissance réciproque de leurs jugements, lorsque leur compétence a été exercée correctement (Morguard, p. 1099). En cas de chevauchement des instances, les tribunaux disposent des outils nécessaires pour prévenir tout abus de procédure (voir, p. ex., CPA, art. 4(3) à 4.1). Au sein de notre fédération, la courtoisie entre les tribunaux facilite l’accès à la justice dans un monde où les gens et les problèmes ne tiennent plus compte des frontières ou de la législature ou du tribunal dont ils relèvent.

[106]                     C’est précisément le but visé par le recours collectif, en l’occurrence « faciliter l’accès à la justice aux citoyens qui partagent des problèmes communs et qui, en l’absence de ce mécanisme, seraient peu incités à s’adresser individuellement aux tribunaux pour faire valoir leurs droits » (Bisaillon, par. 16). Notre Cour a fait observer que les recours collectifs permettent d’économiser les ressources judiciaires, de favoriser l’accès à la justice et de modifier le comportement des contrevenants qui, autrement, pourraient échapper à la responsabilité de leurs actes (Dutton, par. 27‑29; Hollick, par. 15). Ces objectifs sont atteints lorsque les gouvernements coopèrent entre eux pour faire juger leurs revendications de façon efficace dans le cadre d’une seule et même action intentée devant la cour supérieure d’une province, dont la procédure et le jugement seront respectés par les autres tribunaux de notre fédération en vertu du principe de courtoisie.

[107]                     L’article 11 de l’ORA respecte donc la souveraineté législative des autres gouvernements canadiens. Il illustre le rôle important que jouent les recours collectifs nationaux dans les affaires d’envergure nationale, en fournissant un mécanisme pour faciliter la concertation de nombreux gouvernements en vue d’atteindre le même objectif.

(3)           Conclusion sur la portée territoriale

[108]                     L’article 11 a un lien significatif avec la province de la Colombie‑Britannique, et il respecte la souveraineté législative des autres gouvernements canadiens. Tout effet extraterritorial que l’art. 11 pourrait avoir sur les droits substantiels des autres gouvernements est accessoire et n’a aucune incidence sur sa validité.

VI.         Conclusion

[109]                     L’article 11 de l’ORA est un mécanisme procédural par lequel les réclamations des autres gouvernements qui acceptent d’y participer peuvent être jugées dans le cadre d’une seule et même instance introduite devant les tribunaux de la Colombie‑Britannique, dans laquelle le gouvernement de la Colombie‑Britannique agit comme représentant des demandeurs. Ce mécanisme procédural relève de la compétence de la province sur « [l]’administration de la justice dans la province » en vertu du par. 92(14). Il comporte un lien significatif avec la province, et il respecte la souveraineté législative des autres gouvernements. En conséquence, l’art. 11 est intra vires de la province, et il n’est pas nécessaire d’examiner la doctrine des pouvoirs accessoires.

[110]                     Je suis d’avis de rejeter le pourvoi avec dépens.

                   Version française des motifs rendus par

                   La juge Côté —


 

                                             TABLE DES MATIÈRES

 

Paragraphe

I.      Introduction

111

II.    Analyse

121

A.    Caractère véritable

126

(1)   Objectif : Demander l’autorisation d’un recours pour un groupe de gouvernements qui souhaitent recouvrir le coût des soins de santé liés aux opioïdes

129

(2)   Effets : inclusion automatique des autres gouvernements

136

a)     Le régime avec mécanisme d’exclusion : droits et effets substantiels

136

b)     Les effets ne sont pas purement accessoires

155

c)     Mise en balance des effets juridiques et des effets pratiques

159

(3)   Conclusion sur le caractère véritable

163

B.   Limites territoriales

164

(1)   Lien significatif

165

a)     Compétence législative et compétence juridictionnelle

167

b)     Il n’existe pas de lien significatif en l’espèce

178

(2)   Souveraineté législative

188

(3)   Conclusion sur les limites territoriales

197

C.   Pouvoirs accessoires

198

D.   Réparation

205

III.   Conclusion

208

I.               Introduction

[111]                     La gravité de la crise des opioïdes qui sévit partout au Canada ne saurait être sous‑estimée, et la crise ne montre toujours aucun signe d’essoufflement (voir R. c. Parranto, 2021 CSC 46, [2021] 3 R.C.S. 366, par. 96, le juge Moldaver). Bien que je reconnaisse et ne souhaite aucunement minimiser la gravité de la situation concernant les opioïdes de même que ses profondes répercussions sur les Canadiens et les Canadiennes (R. c. Smith, 2019 SKCA 100, 382 C.C.C. (3d) 455, par. 90, citant R. c. Fyfe, 2017 SKQB 5, par. 157‑163), j’estime que notre Cour ne peut s’autoriser de la gravité de la situation pour modifier la Constitution. Améliorer l’accès à la justice et faciliter la coopération entre les gouvernements sont des objectifs louables, mais ces objectifs doivent être réalisés sans entrer en conflit avec la structure fondamentale du fédéralisme canadien.

[112]                     Le présent pourvoi soulève la question de savoir si l’art. 11 de la loi intitulée Opioid Damages and Health Care Costs Recovery Act, S.B.C. 2018, c. 35 (« ORA »), est ultra vires de la législature de la Colombie‑Britannique. En particulier, cette législature peut‑elle autoriser la province à intenter un recours collectif pour recouvrer le coût des soins de santé engagés par une autre province, selon un mécanisme d’exclusion (« opt‑out »), obligeant ainsi cette dernière à entreprendre des démarches pour éviter de participer contre son gré à une procédure judiciaire donnée? Outre la question en litige, le présent pourvoi aura des répercussions majeures sur l’analyse du caractère véritable et sur la recherche d’un juste équilibre entre les effets juridiques et pratiques d’une disposition législative contestée pour en déterminer le principal objet.

[113]                     Je ne remets pas en cause la constitutionnalité du régime législatif prévu par l’ORA dans la mesure où il est calqué sur celui de la Tobacco Damages and Health Care Costs Recovery Act, S.B.C. 2000, c. 30 (« TRA »), dont notre Cour a confirmé la constitutionnalité dans l’arrêt Colombie‑Britannique c. Imperial Tobacco Canada Ltée, 2005 CSC 49, [2005] 2 R.C.S. 473. Toutefois, contrairement à la TRA, l’ORA contient une disposition qui permet à la Couronne du chef de la Colombie‑Britannique, en tant que représentante des demandeurs, d’intenter un recours collectif multiterritorial au nom des autres gouvernements provinciaux et du gouvernement fédéral, et de lier ces gouvernements à titre de partie au recours collectif, à moins qu’ils prennent les mesures concrètes pour s’en exclure. En outre, la décision de s’en exclure doit être prise conformément à l’ordonnance d’autorisation, ce qui signifie que les tribunaux provinciaux de la Colombie‑Britannique vont dicter la manière dont d’autres provinces et le gouvernement fédéral s’y prennent pour préserver leurs propres droits. À mon avis, la question pertinente et connexe qu’il faut se poser est celle de savoir si la législature d’une province a le pouvoir de légiférer de manière à s’ingérer dans les droits et les prérogatives des gouvernements provinciaux et du gouvernement fédéral. Il faut répondre à cette question par la négative.

[114]                     Les appelantes, qui sont les défenderesses nommément désignées dans l’action au cœur du présent pourvoi, contestent la constitutionnalité de l’art. 11 de l’ORA. Elles font valoir que, de par son caractère véritable, l’art. 11 touche des droits substantiels et se situe en dehors des limites juridictionnelles (ou territoriales) et de la compétence législative de la Colombie‑Britannique. Elles affirment que l’art. 11 constitue un affront sans précédent à des principes constitutionnels établis. L’intimé, Sa Majesté le Roi du chef de la Colombie‑Britannique, soutient que le caractère véritable de la disposition consiste à légiférer sur des pouvoirs procéduraux de la province et respecte les limites territoriales imposées par la Loi constitutionnelle de 1867.

[115]                     Je suis d’avis que le caractère véritable de l’art. 11 de l’ORA est de légiférer à l’égard de la propriété et des droits civils à l’extérieur de la province, et ce, en violation des limites territoriales que l’art. 92 de la Loi constitutionnelle de 1867 impose nécessairement aux législatures provinciales. Par le biais de l’art. 11, la législature de la Colombie‑Britannique cherche à regrouper les droits civils situés dans d’autres provinces en un seul recours collectif. Or, ses pouvoirs se limitent à la propriété et aux droits civils « dans la province » aux termes de l’art. 92. Les effets de l’art. 11 sur les droits substantiels des gouvernements provinciaux et du gouvernement fédéral ne sont pas simplement accessoires. Les autres gouvernements se voient plutôt contraints de participer au recours collectif, dans la mesure où, en raison de son caractère véritable, l’application par défaut de cette disposition porte atteinte à l’autonomie des autres gouvernements dans la conduite du litige. Je ne prétends pas que l’art. 11 de l’ORA crée des droits substantiels, mais plutôt qu’il touche de manière non accessoire aux droits substantiels d’autres gouvernements à l’extérieur de la Colombie‑Britannique. Comme je l’explique dans les présents motifs, la possibilité pour ces autres gouvernements de s’exclure du recours collectif intenté par la Colombie‑Britannique ne saurait pour autant valider ces effets juridiques inconstitutionnels.

[116]                     Je reconnais qu’un jugement d’autorisation s’impose pour que la disposition prenne effet. À cet égard, je souligne et fais miens les arguments avancés par les avocats des appelantes qui, lors des débats, ont admis la nécessité d’une autorisation, mais ont soutenu que l’objet principal de l’art. 11 de l’ORA portait ultimement sur ce qui se passe après que le recours collectif soit autorisé. L’autorisation est un élément essentiel de l’art. 11, et un tribunal ne pourrait pas autoriser l’exercice d’un recours collectif en l’absence de cette disposition. Bien entendu, si le recours collectif proposé par la Colombie‑Britannique n’était pas autorisé, le présent débat serait vidé de son sens.

[117]                     Je conclus que le caractère véritable de l’art. 11 de l’ORA consiste à légiférer sur le droit substantiel d’autres gouvernements d’ester en justice pour recouvrer le coût de soins de santé. Je suis donc d’avis que cette disposition relève du par. 92(13) de la Loi constitutionnelle de 1867. La disposition ne respecte pas les limites territoriales de la compétence accordée à la législature de la Colombie‑Britannique, et son caractère véritable n’est pas « dans la province » pour l’application de l’art. 92. Plus précisément, il n’existe aucun lien significatif entre le territoire ayant légiféré, l’objet de la loi et les personnes qui y sont assujetties. J’en viendrais à la même conclusion dans l’hypothèse où le caractère véritable de la disposition relevait du par. 92(14). Comme je le souligne plus loin dans les présents motifs, j’exprime également de sérieuses réserves quant aux incidences qu’une telle disposition aurait sur la souveraineté législative des autres provinces.

[118]                     Je suis d’accord avec ma collègue pour dire que la coopération horizontale entre les gouvernements provinciaux et fédéral sur des enjeux communs est un objectif louable. Cependant, quelle que soit la méthode élaborée par les provinces et le gouvernement fédéral pour parvenir à une telle coopération, elle doit se conformer à la structure du fédéralisme canadien, peu importe s’il peut être avantageux d’empiéter sur la compétence d’autres gouvernements dans un cas donné. Les gouvernements pourraient décider, par exemple, sous réserve de questions de juridiction, de joindre leurs actions dans une seule province. Cela leur permettrait de partager certains frais des actions, favorisant par le fait même l’efficacité propre au mécanisme procédural du recours collectif sans empiéter sur la capacité d’autres provinces de choisir activement de participer ou non et de décider de la manière d’intenter une poursuite. Le mécanisme d’exclusion de l’ORA ne permet pas de faire activement ce choix. L’article 11 impose la participation par défaut, et cette participation oblige les autres provinces à se soumettre aux décisions en matière de contentieux de la province de la Colombie‑Britannique.

[119]                     Les appelantes ont également fait des observations selon lesquelles l’art. 11 serait inconstitutionnel même s’il instaurait un régime d’adhésion volontaire, plutôt qu’un régime avec mécanisme d’exclusion, pour les recours collectifs mettant en cause plusieurs gouvernements. J’estime néanmoins qu’il n’est pas nécessaire de me prononcer sur ce point dans les circonstances de l’espèce, car la question dont nous sommes saisis se rapporte à la constitutionnalité de l’art. 11 dans sa forme actuelle.

[120]                     Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis d’accueillir le pourvoi.

II.            Analyse

[121]                     Je suis d’accord avec ma collègue pour dire que, lorsque la validité d’une loi provinciale est contestée au motif qu’elle viole les limites territoriales imposées à une législature provinciale, l’évaluation de sa validité doit se faire conformément au cadre d’analyse à deux volets établi par notre Cour dans l’arrêt Imperial Tobacco.

[122]                     La première étape consiste à déterminer le caractère véritable de la loi contestée, ce qui implique d’en préciser « l’essence ou la caractéristique dominante », compte tenu de son objet et de ses effets (Imperial Tobacco, par. 29). Le tribunal doit ensuite déterminer de quel chef de compétence de l’art. 92 de la Loi constitutionnelle de 1867 la loi provinciale contestée relève en raison de son caractère véritable. La deuxième étape oblige le tribunal à déterminer si le caractère véritable de la disposition contestée « respecte les limites territoriales de ce chef de compétence — c.‑à‑d., s’il se trouve dans la province » (par. 36). À cet égard, la loi doit avoir un lien significatif avec la province qui l’a adoptée, et respecter la souveraineté législative des autres provinces.

[123]                     D’entrée de jeu, je tiens à faire quelques remarques pour préciser le contexte dans lequel s’inscrivent les présents motifs. Tout d’abord, je reconnais que l’analyse constitutionnelle du caractère véritable d’une disposition législative contestée met l’accent sur l’objet véritable de la loi et tolère des effets extraprovinciaux accessoires ou secondaires. Depuis l’arrêt de notre Cour dans le Renvoi relatif à la Upper Churchill Water Rights Reversion Act, [1984] 1 R.C.S. 297, p. 332, il est de jurisprudence constante que les effets extraprovinciaux simplement accessoires n’ont pas d’incidence sur la constitutionnalité d’une loi par ailleurs intra vires. Notre Cour a confirmé ce point à de nombreuses reprises (voir, p. ex., Global Securities Corp. c. Colombie‑Britannique (Securities Commission), 2000 CSC 21, [2000] 1 R.C.S. 494, par. 23; Imperial Tobacco, par. 28). Cela dit, je tiens à citer les propos que le juge McIntyre a tenus dans l’arrêt Upper Churchill, p. 332, où il écrit que « si de par son caractère véritable la loi provinciale porte atteinte à des droits extra‑provinciaux ou les élimine, elle est ultra vires » (voir aussi Global Securities Corp., par. 24).

[124]                     Ensuite, je prends acte de l’affirmation récente de notre Cour selon laquelle, dans le contexte de dispositions sur les dommages‑intérêts globaux, « les avantages offerts par les lois en matière de recours collectifs sont purement procéduraux et ne confèrent pas de droits substantiels » (Pioneer Corp. c. Godfrey, 2019 CSC 42, [2019] 3 R.C.S. 295, par. 116; voir aussi Western Canadian Shopping Centres Inc. c. Dutton, 2001 CSC 46, [2001] 2 R.C.S. 534, par. 46). Même si cela est vrai, j’estime que la disposition contestée met en jeu des droits substantiels et qu’elle a ultimement des effets sur ces droits qui l’emportent largement sur les avantages procéduraux que confèrent les lois sur les recours collectifs. En fait, cette disposition a d’importantes répercussions sur l’autonomie des autres gouvernements dans la conduite du litige.

[125]                     Mon analyse se décline en deux parties. Dans un premier temps, j’explique en quoi l’application par défaut de l’art. 11 de l’ORA fait en sorte que, de par leur caractère véritable, l’objet et les effets de la disposition ont un caractère substantiel. Je conclus que le caractère véritable de cette disposition consiste à légiférer en matière de propriété et de droits civils à l’extérieur de la province et qu’elle relève par conséquent du par. 92(13) de la Loi constitutionnelle de 1867. Dans la seconde partie, je conclus toutefois que, peu importe que l’art. 11 relève ou non du par. 92(13) ou, si mon analyse s’avérait inexacte, qu’elle relève ou non plutôt du par. 92(14), la disposition demeure ultra vires de la législature de la Colombie‑Britannique, car elle ne respecte pas les limites territoriales qui lui sont imposées par la Constitution. En effet, il n’y a pas de lien significatif entre le territoire ayant légiféré, l’objet de la loi et les personnes qui y sont assujetties. Plus précisément, il n’y a aucun lien significatif entre la Colombie‑Britannique et les autres gouvernements nommément désignés dans le recours collectif, les réclamations de ces gouvernements et l’objet de l’art. 11. Hormis la réclamation de la Colombie‑Britannique elle‑même, toutes les autres réclamations relèvent d’une émanation de la Couronne située à l’extérieur de la Colombie‑Britannique.

A.           Caractère véritable

[126]                     J’aborde maintenant le caractère véritable de la disposition contestée. Je reproduis ci‑dessous par souci de commodité l’intégralité de l’art. 11 de l’ORA :

      [traduction]

11 (1)   Si le gouvernement a introduit une instance à l’égard d’une faute liée aux opioïdes et que l’instance est en cours à la date d’entrée en vigueur du présent article :

(a)   l’instance se poursuit conformément à la présente loi;

(b)   pour l’application de l’article 4 de la Class Proceedings Act, le gouvernement peut intenter une action au nom d’un groupe formé :

(i)    d’une part, soit du gouvernement du Canada, soit de celui d’un ressort canadien, soit de plusieurs gouvernements,

(ii)  d’autre part, d’un organisme gouvernemental de paiement fédéral ou provincial qui rembourse le coût de services de la nature de services de soins de santé au sens de la présente loi;

(c)   les procédures terminées et les ordonnances rendues avant l’entrée en vigueur du présent article continuent de produire leurs effets sauf dans l’un ou l’autre des cas suivants :

(i)    elles seraient incompatibles avec la présente loi,

(ii)  une ordonnance à l’effet contraire est rendue par le tribunal;

(d)   une procédure amorcée mais non terminée avant l’entrée en vigueur du présent article doit être menée à terme conformément à la présente loi.

(2)     L’alinéa (1) (b) du présent article n’a pas pour effet d’empêcher un membre du groupe décrit dans cette disposition de s’exclure de l’instance conformément à l’article 16 de la Class Proceedings Act.

[127]                     La conclusion de ma collègue au sujet du caractère véritable de l’art. 11 de l’ORA correspond à celles des juridictions inférieures :

                        . . . de par son caractère véritable, l’art. 11 vise à créer un mécanisme procédural qui permet d’appliquer l’ORA à une instance liée aux opioïdes déjà en cours que la province de la Colombie‑Britannique est autorisée à poursuivre en tant que représentante des demandeurs, au nom des autres gouvernements canadiens qui ont choisi d’y participer. [par. 76]

                    (Voir aussi 2022 BCSC 2147, 77 B.C.L.R. (6th) 313, par. 73; 2023 BCCA 306, 79 B.C.L.R. (6th) 1, par. 54 et 85.)

[128]                     D’entrée de jeu, je conviens avec les appelantes que l’art. 11 a pour objet de permettre à la province de la Colombie‑Britannique de demander à être autorisée à exercer un recours collectif au nom d’un groupe de gouvernements qui revendiquent le droit de recouvrer les coûts des soins de santé liés aux opioïdes. À cette fin, la province peut demander au tribunal d’autoriser ce recours en l’assortissant d’un mécanisme d’exclusion, de sorte que, par défaut, les gouvernements provinciaux et le gouvernement fédéral sont inclus dans le recours collectif, si c’est ce que choisit la Colombie‑Britannique. Bien que l’intimé n’ait pas tort d’affirmer que l’art. 11 ouvre la porte aux répercussions procédurales de l’entrée en vigueur de l’ORA sur l’action relative aux opioïdes, j’estime, en réalité, que cette disposition a une incidence sur les droits substantiels des autres gouvernements.

(1)          Objectif : Demander l’autorisation d’un recours pour un groupe de gouvernements qui souhaitent recouvrir le coût des soins de santé liés aux opioïdes

[129]                     En premier lieu, je définis l’objet de l’art. 11 de l’ORA. Ma collègue affirme que la Couronne du chef de la Colombie‑Britannique était déjà une « personne » ayant la capacité d’introduire une action au nom de groupes de personnes, y compris de personnes résidant à l’extérieur de la Colombie‑Britannique. Elle suggère que l’art. 11 ne crée donc pas un nouveau pouvoir pour la province. Par conséquent, selon elle, la disposition n’a pas pour objet d’accorder de nouveaux droits à la Couronne du chef de la Colombie‑Britannique et des autres provinces. Le juge de première instance a estimé qu’il s’agissait là d’une [traduction] « question accessoire » (par. 62), et la Cour d’appel a jugé que, comme la contestation portait sur la validité de la disposition et non sur l’instance elle‑même, la question n’était pas pertinente (par. 82‑83).

[130]                     Il se peut fort bien que la province de la Colombie‑Britannique soit une [traduction] « personne » pour l’application de la Class Proceedings Act, R.S.B.C. 1996, c. 50 (« CPA »), et que, par conséquent, elle puisse intenter un recours collectif dans le cadre de ce régime. Malgré cela, je suis d’accord avec les juridictions inférieures pour dire qu’il n’est pas nécessaire de résoudre cette question dans le présent pourvoi. La question pertinente est celle de savoir si, du point de vue de l’interprétation législative, la Couronne du chef des autres provinces et la Couronne fédérale répondent à la définition de « personne » pour les besoins d’un recours collectif multiterritorial visé par la CPA (voir, p. ex., CPA, art. 1, par. 2(1) et art. 4.1 et 44). Si elles ne répondent pas à cette définition, alors l’art. 11 crée un nouveau droit substantiel d’intenter un recours collectif au nom d’autres gouvernements. Le fait que la Couronne du chef d’une province puisse se soumettre à la compétence de tribunaux d’autres provinces ou que les pouvoirs que lui reconnaît la common law ne soient pas soumis à des restrictions territoriales, n’est aucunement déterminant quant à cette démarche interprétative.

[131]                     Outre la question de savoir si ce qui précède serait acceptable sur le plan constitutionnel, on ne peut affirmer que la législature de la Colombie‑Britannique avait l’intention que d’autres gouvernements provinciaux et le gouvernement fédéral soient membres d’un groupe pour l’application de la CPA. Selon un principe bien établi, [traduction] « la Couronne n’est liée par aucun texte législatif, si ce n’est par des termes exprès ou nettement implicites. Il s’ensuit que lorsque le législateur emploie des termes généraux, te[l] que “personne” [. . .], ceux‑ci sont interprétés comme ne s’appliquant pas à la Couronne » (P. W. Hogg, P. J. Monahan et W. K. Wright, Liability of the Crown (4e éd. 2011), p. 398; voir aussi H. Brun, G. Tremblay et E. Brouillet, Droit constitutionnel (6e éd. 2014), par. IX‑86; K. Horsman et G. Morley, Government Liability : Law and Practice (édition à feuilles mobiles), § 1.15). Il s’agit du principe de l’immunité de la Couronne.

[132]                     Même lorsqu’on dit que le libellé d’une loi provinciale inclut la Couronne, il ne vise pas pour autant d’autres émanations de la Couronne. Comme l’écrivait le juge Anglin dans l’arrêt Gauthier c. The King (1918), 56 R.C.S. 176, p. 194, [traduction] « lorsqu’il est fait mention de la Couronne dans une loi provinciale, on peut, sans risque d’erreur, interpréter cette mention comme désignant uniquement la Couronne du chef de la province, à moins que les termes mêmes ou l’esprit de la loi en question n’indiquent clairement que le mot Couronne est utilisé dans un autre sens » (je souligne). Dans cette affaire, la Cour avait jugé qu’une disposition appliquant les termes d’une loi provinciale à Sa Majesté ne devait pas être interprétée comme assujettissant la Couronne fédérale aux restrictions énoncées dans cette loi.

[133]                     Ce raisonnement devrait s’appliquer à plus forte raison à la Couronne du chef d’autres provinces, compte tenu des limites territoriales imposées à la compétence législative provinciale par l’art. 92 de la Loi constitutionnelle de 1867. Une loi provinciale devrait être interprétée en conformité avec ces limites territoriales (voir Sharp c. Autorité des marchés financiers, 2023 CSC 29, par. 113‑114; P.‑A. Côté et M. Devinat, Interprétation des lois (5 éd. 2021), par. 779‑782; R. Sullivan, The Construction of Statutes (7e éd. 2022), p. 807 et 815).

[134]                     Il est vrai, comme l’affirme l’intimé, que la Couronne peut se prévaloir d’un régime législatif auquel elle ne serait pas autrement assujettie et renoncer à son immunité. Par exemple, si elle intente une action assortie de certaines restrictions, la Couronne sera liée par celles‑ci (voir Sparling c. Québec (Caisse de dépôt et placement du Québec), [1988] 2 R.C.S. 1015, p. 1027; Alberta Government Telephones c. Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes), [1989] 2 R.C.S. 225, p. 284‑286). Cette exception à l’immunité de la Couronne est restreinte et elle n’est pas adaptée au contexte présent. En effet, en raison de cette immunité, la Couronne du chef d’autres provinces et la Couronne fédérale sont présumées ne pas répondre à la définition du mot « personne » au sens de la CPA. Une législature ne peut forcer la Couronne d’une autre province (p. ex., par le biais d’un régime avec mécanisme d’exclusion) à se prévaloir d’un régime législatif qu’elle a adopté; elle ne peut forcer la Couronne d’une autre province ou l’État à renoncer à son immunité. Dans le cas qui nous occupe, je ne puis accepter l’argument de l’intimé selon lequel les autres gouvernements sont des « personnes » ou des [traduction] « membres d’un groupe de personnes » pour l’application de la CPA.

[135]                     Comme l’art. 11 de l’ORA octroie à la province de la Colombie‑Britannique la capacité de poser une action qu’elle ne pouvait pas poser auparavant, je conclus que la disposition a pour objet de permettre à la province de la Colombie‑Britannique de demander l’autorisation d’un recours pour un groupe de gouvernements revendiquant le droit de recouvrer les coûts des soins de santé liés aux opioïdes. Contrairement à ce que prétend l’intimé, le fait que la CPA ne permet pas les recours collectifs multiterritoriaux en Colombie‑Britannique importe aux fins de l’analyse constitutionnelle. Par conséquent, les effets de l’art. 11 ne se limitent pas à l’application des dispositions de l’ORA au recours collectif déjà entrepris; ils ont une portée beaucoup plus vaste.

(2)           Effets : inclusion automatique des autres gouvernements

a)       Le régime avec mécanisme d’exclusion : droits et effets substantiels

[136]                     J’aborde maintenant les effets de la disposition contestée. Je ne remets pas en question le fait que l’art. 11 de l’ORA est une disposition procédurale à certains égards. Par exemple, l’al. 11(1)(a) prévoit que l’instance introduite relativement à une faute liée aux opioïdes se poursuit conformément à l’ORA. Toute procédure qui est fondée sur d’autres droits d’action et qui a été introduite avant l’entrée en vigueur de l’ORA relève donc, sous le régime de cette loi, d’un droit d’action direct et distinct. Par conséquent, comme le démontre le dossier, la Colombie‑Britannique a, à juste titre, modifié sa demande en justice dans le cadre du présent pourvoi pour s’assurer qu’elle soit intentée en vertu de l’ORA. De même, l’al. 11(1)(c) prévoit qu’une procédure achevée et une ordonnance rendue avant l’entrée en vigueur de l’ORA continuent de produire leurs effets, sauf en cas d’incompatibilité avec l’ORA. L’alinéa 11(1)(d) prévoit que la procédure introduite, mais non terminée avant l’entrée en vigueur de l’ORA, est menée à terme conformément à l’ORA.

[137]                     Le fait que l’al. 11(1)(b) se trouve parmi des alinéas à caractère procédural ne signifie pas qu’il produit seulement des effets procéduraux. Ce fait n’est pas non plus déterminant quant au caractère véritable de l’art. 11 dans son ensemble. En fait, je partage l’avis des juridictions inférieures selon lequel l’objet principal de l’art. 11 se dégage de l’al. 11(1)(b) et du par. 11(2). En effet, la Cour d’appel a reconnu l’importance de la manière dont le par. 11(2) restreint l’al. 11(1)(b); pris isolément, l’al. 11(1)(b) aurait une [traduction] « validité douteuse » (par. 76).

[138]                     Outre le fait que l’al. 11(1)(b) se trouve entre des alinéas à caractère procédural, ma collègue souligne également la position de l’art. 11 dans son ensemble; ce dernier suit immédiatement l’effet rétroactif de l’art. 10, ce qui renforcerait sa nature procédurale (par. 58). Cependant, le fait que l’article se trouve à cet emplacement ou qu’il comporte certains aspects procéduraux ne le rend pas procédural dans son ensemble. L’impact de l’art. 11 est d’ordre substantiel.

[139]                     Le régime avec mécanisme d’exclusion prévu au par. 11(2) de l’ORA joue un rôle déterminant dans l’analyse du caractère véritable de l’art. 11 dans son ensemble. Le paragraphe 11(2) s’applique nécessairement en parallèle avec l’al. 11(1)(b), qui codifie et confère un droit d’action direct et distinct autorisant la province de la Colombie‑Britannique à poursuivre des fabricants, des grossistes ou des consultants au nom des autres gouvernements. À première vue, ces dispositions semblent n’avoir que des effets procéduraux, puisqu’elles concernent les recours collectifs et procurent les avantages associés à ces recours. Il résulte toutefois d’une lecture conjointe de l’al. 11(1)(b) et du par. 11(2) que ces deux dispositions constituent une ingérence dans la propriété et les droits civils dans d’autres provinces. À mon avis, en ce qui a trait aux droits des autres gouvernements, on ne peut considérer que ces effets substantiels sont simplement accessoires, puisqu’en réalité, ils touchent au caractère véritable de la disposition.

[140]                     Le paragraphe 11(2) de l’ORA prévoit qu’un membre du groupe peut s’exclure du recours collectif conformément à l’article 16 de la CPA même s’il a déjà été inclus dans le recours en vertu de l’al. 11(1)(b) de l’ORA. De façon connexe, l’art. 16 de la CPA dispose : [traduction] « Tout membre d’un groupe visé par un recours collectif peut s’en exclure de la façon et dans le délai indiqués dans l’ordonnance d’autorisation. » Il n’est donc pas étonnant que le par. 11(2) de l’ORA protège expressément le droit de tout gouvernement de s’exclure, droit qui lui est par ailleurs reconnu par la CPA.

[141]                     Je suis d’accord avec ma collègue pour dire que l’art. 11 de l’ORA ne peut être interprété comme prévoyant un régime d’adhésion volontaire (« opt‑in ») et qu’il doit plutôt être considéré comme un mécanisme offrant aux gouvernements la possibilité de s’exclure du recours. Rien dans le libellé de l’ORA ou de la CPA n’indique que le gouvernement fédéral ou les autres gouvernements provinciaux auraient le choix d’adhérer volontairement au recours collectif. Le sous‑alinéa 11(1)(b)(i) de l’ORA accorde à la Colombie‑Britannique le pouvoir, à tout le moins, d’introduire, de son propre chef, une action au nom d’un groupe qui comprend les autres gouvernements. En d’autres termes, la province peut introduire le recours sans consulter les autres gouvernements et sans leur consentement. Par conséquent, la Cour d’appel a eu raison de dire qu’en tout état de cause, on ne peut considérer la disposition comme autorisant une « adhésion volontaire » si l’on s’en remet uniquement au libellé de l’art. 11 (par. 54).

[142]                     Bien que ma collègue et moi‑même estimions toutes deux que l’art. 11 de l’ORA instaure un régime avec mécanisme d’exclusion, nous divergeons d’opinion quant à l’incidence de cette conclusion. Tout au long de ses motifs, ma collègue ne semble faire aucune distinction entre les effets d’un régime d’adhésion volontaire et ceux d’un régime avec mécanisme d’exclusion — les deux consistent selon elle à choisir de participer ou non à un recours collectif. Avec égards, je ne puis convenir que les effets sont les mêmes. Un régime avec mécanisme d’exclusion lie automatiquement les autres provinces et le gouvernement fédéral au droit de la Colombie‑Britannique si rien n’est fait pour en empêcher l’application.

[143]                     Un régime avec mécanisme d’exclusion est utilisé depuis longtemps en matière de recours collectifs. Les tenants de ce modèle insistent sur sa capacité à offrir une protection procédurale aux demandeurs qui ne sont pas désignés nommément (voir Currie c. McDonald’s Restaurants of Canada Ltd. (2005), 74 O.R. (3d) 321 (C.A.), par. 28; voir aussi W. K. Winkler et autres, The Law of Class Actions in Canada (2014), p. 213). Le mécanisme d’exclusion permet aux demandeurs qui se trouvent habituellement à l’extérieur de la province (ou les non‑résidents) de faire valoir leurs réclamations dans leur propre province et d’éviter d’être assujettis à la compétence juridictionnelle du tribunal de la province où a été introduit le recours collectif. Cela dit, un jugement ne lie un membre du groupe « que s’il a été avisé de la poursuite et a eu la possibilité de s’exclure de la procédure » (Western Canadian Shopping Centres, par. 49). En d’autres termes, la notification adéquate des membres du groupe à propos de la possibilité de s’exclure du recours collectif est essentielle au bon fonctionnement de ce mécanisme (voir Société canadienne des postes c. Lépine, 2009 CSC 16, [2009] 1 R.C.S. 549, par. 42; voir aussi Western Canadian Shopping Centres, par. 49). En effet, un régime avec mécanisme d’exclusion est avantageux pour ceux qui ne feraient normalement pas valoir leurs droits en justice, puisqu’ils sont automatiquement réputés être des membres potentiels du groupe visé par le recours collectif.

[144]                     En revanche, un régime avec mécanisme d’exclusion peut être contraignant et créer des obstacles pour ceux qui y sont assujettis. Essentiellement, l’existence d’un mécanisme d’exclusion nécessite d’abord que les demandeurs soient automatiquement réputés être des membres potentiels du groupe, à moins qu’ils ne choisissent en fin de compte d’exercer leur droit de s’exclure du recours collectif (voir Turner c. Bell Mobility Inc., 2016 ABCA 21, 394 D.L.R. (4th) 325, par. 11). Quiconque répond à la définition de membre du groupe pour les besoins du recours collectif déjà introduit fait [traduction] « partie du groupe de demandeurs visé par le recours collectif, à moins de s’en exclure » (Gillis c. BCE Inc., 2015 NSCA 32, 358 N.S.R. (2d) 39, par. 8; voir aussi Frey c. BCE Inc., 2013 SKCA 26, 409 Sask. R. 266). Ainsi, ces personnes [traduction] « seront généralement liées par le résultat du recours collectif dont l’exercice a été autorisé, à moins qu’elles ne prennent l’initiative de s’en exclure » (J. Walker, H. M. Rosenberg et J. Kalajdzic, Class Actions in Canada : Cases, Notes, and Materials (3e éd. 2024), p. 35). La dynamique d’un régime avec mécanisme d’exclusion est différente de celle d’un régime à adhésion volontaire : ce dernier permet à des personnes qui ne sont pas membres du groupe de prendre des mesures concrètes et positives pour devenir membres du groupe visé par le recours collectif (p. 229). Les personnes qui ne sont pas membres du groupe ne sont donc pas automatiquement considérées comme des membres potentiels du groupe visé par le recours collectif.

[145]                     À mon avis, la décision de la législature de la Colombie‑Britannique d’imposer un mécanisme avec mécanisme d’exclusion plutôt qu’un régime à adhésion volontaire a des répercussions juridiques importantes sur les droits des membres du groupe d’ester en justice. La législature de la Colombie‑Britannique a choisi de permettre à cette province d’introduire un recours collectif tout en incluant automatiquement les autres gouvernements dans le recours. Bien qu’une certaine jurisprudence considère le régime avec mécanisme d’exclusion lui‑même comme un mécanisme de protection procédurale (voir Currie, par. 28), je suis d’accord avec les appelantes pour dire qu’il est plus juste de qualifier de substantiels et de non accessoires les effets de l’imposition de ce régime (transcription, jour 1, p. 28). En mettant en œuvre un tel régime, la législature cherche à préserver des droits substantiels qu’elle s’est appropriés en imposant automatiquement le recours collectif à d’autres gouvernements. Elle introduit l’action sans le consentement des autres gouvernements (voir les motifs de la C.A., par. 76).

[146]                      En ce sens, je partage l’opinion de la Cour d’appel de l’Ontario qui, dans l’arrêt Johnson c. Ontario, 2021 ONCA 650, 158 O.R. (3d) 266, par. 15, sous la plume du juge Lauwers, déclarait ce qui suit : [traduction] « . . . le droit d’exclusion est lui‑même un droit substantiel ». Dans cette affaire, la cour a conclu que le justiciable avait [traduction] « perdu des droits substantiels d’une importance significative lorsqu’il a été débouté de sa requête en prorogation du délai qui lui était imparti pour s’exclure du recours collectif » (par. 26). La perte de droits substantiels importants découlait du fait pour le justiciable d’être automatiquement considéré comme un membre potentiel du groupe. Comme le juge Lauwers l’écrit, au par. 16 :

                        [traduction] Notre société accorde une grande importance à la capacité du justiciable d’intenter une poursuite et d’y participer, en tant qu’élément de son autonomie personnelle. Cette autonomie s’accompagne du droit de sélectionner l’avocat de son choix, de participer à l’élaboration de la stratégie à adopter dans le cadre du litige et de participer à des négociations en vue du règlement de l’action. Le droit que la loi lui reconnaît de s’exclure du recours collectif fait partie de ces droits importants.

[147]                     Comme je l’ai mentionné précédemment, une des conséquences du régime avec mécanisme d’exclusion — par opposition à un mécanisme permettant aux demandeurs « d’adhérer volontairement » au recours collectif en tant que membre du groupe visé — est le fait que les membres du groupe visé sont automatiquement réputés faire partie du recours collectif, sauf s’ils prennent des mesures proactives pour s’en exclure. Hormis le représentant des demandeurs, aucun membre du groupe ne peut intervenir de façon significative sur une foule d’aspects importants de l’instance, notamment en ce qui concerne le choix de l’avocat, la stratégie à adopter durant l’instance, les éléments de preuve à présenter, la participation aux pourparlers de négociation et, ultimement, le règlement du litige (voir le m.a., par. 49). Comme l’a souligné la Cour d’appel de l’Ontario, la faculté de s’exclure du recours collectif [traduction] « donne aux membres du groupe la possibilité de privilégier leur propre autonomie quant à la conduite du litige afin de développer leur propre stratégie, d’engager leur propre avocat, de régler le dossier ou de plaider comme ils le souhaitent en contrepartie des avantage que comporte un recours collectif mené en leur nom, mais sur lequel ils n’ont pas le contrôle » (Johnson c. Ontario, 2022 ONCA 725, 164 O.R. (3d) 573, par. 47, citant Johnson (2021), par. 16).

[148]                     Il est tout aussi important de noter que, dans le cas d’un régime avec mécanisme d’exclusion, les membres du groupe qui répondent à la définition du groupe perdent leur droit d’intenter parallèlement leurs propres recours sur leur propre territoire. Par exemple, si une autre province, comme l’Ontario, intente une action collective dans sa propre province en vertu de sa propre législation (voir, p. ex., Loi de 2019 sur le recouvrement des dommages‑intérêts et du coût des soins de santé imputables aux opioïdes, L.O. 2019, c. 17, ann. 2, par. 12(1)) et qu’elle inclut automatiquement la province de la Colombie‑Britannique parmi les membres du groupe visé, cette dernière ne serait pas en mesure de mettre en œuvre ou d’appliquer sur son propre territoire le texte législatif adopté par sa propre législature. En d’autres termes, la province de la Colombie‑Britannique ne serait pas en mesure d’intenter une action devant ses propres tribunaux en Colombie‑Britannique. Ce conflit potentiel pourrait bel et bien faire obstacle à l’application d’une loi adoptée par le législateur fédéral ou par d’autres législatures provinciales.

[149]                     Ma collègue avance l’idée que, dans le cadre du présent recours collectif, les revendications de chaque province seraient jugées conformément aux règles substantielles de chacune d’entre elles. À mon humble avis, ce constat n’a aucune incidence sur l’analyse constitutionnelle. Il ne s’agit pas d’un effet de l’art. 11 de l’ORA lui‑même ni d’une conséquence nécessaire de son application. Il s’agit plutôt d’une conséquence qui découle de la stratégie qu’a adoptée la province de la Colombie‑Britannique dans le cadre du litige pour s’assurer que la compétence juridictionnelle de la Cour suprême de la Colombie‑Britannique s’applique aux réclamations de toutes les autres provinces, et de mieux contrôler l’issue possible de l’application des règles relatives au choix de la loi applicable.

[150]                     De plus, une fois qu’un recours collectif a été introduit dans la province de la Colombie‑Britannique, les autres gouvernements deviennent également assujettis à la compétence juridictionnelle du tribunal de la province où a été introduit le recours collectif sans avoir pris de mesures pour y adhérer (Hamm c. Canada (Attorney General), 2021 ABCA 329, 32 Alta. L.R. (7th) 213, par. 15). Les lois de la Colombie‑Britannique, en l’occurrence l’ORA, obligent nécessairement les autres gouvernements à faire un choix. Ainsi, le membre du groupe qui ne s’exclut pas du recours collectif perd son autonomie en ce qui concerne la conduite du litige (Herold c. Wassermann, 2022 SKCA 103, 473 D.L.R. (4th) 281, par. 39). Ainsi que la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique l’a écrit dans l’arrêt Coburn and Watson’s Metropolitan Home c. Home Depot of Canada Inc., 2019 BCCA 308, 438 D.L.R. (4th) 533, par. 14, c’est [traduction] « le prix à payer pour pouvoir bénéficier des avantages d’un recours collectif ».

[151]                     Je m’empresse d’ajouter que la situation qui nous occupe est différente de celle où un gouvernement participe à une instance introduite devant le tribunal d’une autre province à titre de partie au litige ou d’intervenant. En pareil cas, ce gouvernement conserve malgré tout son autonomie et son pouvoir décisionnel et peut choisir de [traduction] « régler ou de renoncer à participer » à l’instance introduite devant le tribunal de l’autre province (m.r.a., par. 8). Ce gouvernement conserve son pouvoir décisionnel à l’égard de tous les aspects substantiels de sa cause, indépendamment du fait qu’il est assujetti aux règles de procédure civile du tribunal de la province où le recours collectif a été introduit. Ma collègue cite certaines décisions pour affirmer qu’un pouvoir décisionnel exercé dans le contexte d’une action en justice peut être restreint par des tribunaux étrangers dans d’autres affaires. Il s’agit de cas où un tribunal a refusé la requête présentée par un demandeur pour se retirer ou se désister d’une action. À mon humble avis, ces décisions ne sont pas utiles dans le présent contexte. Elles concernent des situations particulières dans lesquelles les demandeurs ont tenté de contourner d’importantes règles de procédure, comme celles en matière de taxation et le paiement des dépens (voir, p. ex., Dubuc c. 1663066 Ontario Inc., 2009 ONCA 914, 99 O.R. (3d) 476). Voilà des exemples de cas où les tribunaux ont enlevé certains droits individuels appartenant à des justiciables en raison de circonstances exceptionnelles. Par ailleurs, l’art. 11 est présumé avoir pour effet d’écarter pratiquement tout pouvoir décisionnel en matière de litiges.

[152]                     Les effets de la disposition contestée dans le présent pourvoi sont diamétralement à l’opposé de ce qu’est l’autonomie dans la conduite du litige. Le fait que l’art. 11 de l’ORA s’applique dans le cadre d’un régime avec mécanisme d’exclusion signifie nécessairement que, par défaut, les autres gouvernements provinciaux et le gouvernement fédéral sont inclus dans le recours collectif. Ayant été automatiquement inclus en vertu du sous‑al. 11(1)(b)(i), ces gouvernements se voient dépouillés de leur autonomie dans la conduite du litige s’ils ne prennent pas de mesures concrètes pour s’exclure de l’instance. Il faut entreprendre ces mesures conformément à l’ordonnance d’autorisation, ce qui veut dire que les tribunaux provinciaux de la Colombie‑Britannique vont dicter la manière dont les autres provinces et le gouvernement fédéral s’y prennent pour préserver leurs propres droits. D’ailleurs, leur décision de s’exclure est une décision formelle qui doit être signalée au tribunal (voir W. K. Branch et M. P. Good, Class Actions in Canada (2e éd. (feuilles mobiles)), § 11:1).

[153]                     Il convient de noter que, dans sa lettre de soutien (ou lettres d’appui), chaque gouvernement a qualifié l’art. 11 de « mécanisme d’adhésion volontaire » leur accordant la possibilité de se joindre au recours collectif après avoir pris des mesures concrètes en ce sens. Leur compréhension de l’art. 11 ne concorde pas avec le libellé explicite de cet article. Il faut signaler par ailleurs que, comme l’a reconnu la Cour d’appel en l’espèce, dans le cadre de sa stratégie en vue du procès, la province de la Colombie‑Britannique a décidé de [traduction] « demande[r] au tribunal de préciser dans l’ordonnance autorisant le recours collectif que les gouvernements qui n’ont pas “positivement adhéré” au recours seront réputés s’en être exclus » (par. 54 (en italique dans l’original)). Là encore, ce n’est pas ce que prévoit l’art. 11. Pour déterminer si l’art. 11 est constitutionnel, notre Cour doit examiner ce que l’art. 11 autorise la Colombie‑Britannique à faire, et non la tentative de cette province de restreindre les effets inconstitutionnels de la disposition en ajoutant un mécanisme d’adhésion volontaire dans l’ordonnance d’autorisation.

[154]                     Encore une fois, je reconnais que le cœur de la disposition concerne l’autorisation; mais l’objet principal de l’art. 11 n’est déterminé qu’en fonction de ce qui se passe ultimement dans le cadre du recours collectif une fois que celui‑ci a été autorisé. Dans le cas qui nous occupe, les provinces seraient, comme elles l’ont toutes reconnu, liées par les ordonnances rendues dans le cadre du recours collectif. Elles renonceraient entièrement à leur autonomie dans la conduite du litige (transcription, jour 1, p. 29). Ainsi, la disposition contestée permet à la législature de la Colombie‑Britannique de s’ingérer dans les droits et les prérogatives des autres gouvernements provinciaux et du gouvernement fédéral.

b)       Les effets ne sont pas purement accessoires

[155]                     Avec égards, je ne puis accepter la conclusion de ma collègue selon laquelle les effets de l’art. 11 sur l’autonomie des autres gouvernements dans la conduite du litige sont accessoires. Bien que les effets découlant d’une ingérence automatique ou présumée dans les droits substantiels des parties se trouvant à l’extérieur de la province puissent être accessoires dans certains cas (quoique je m’abstienne de me prononcer sur cette question), ce n’est pas le cas dans le contexte de l’art. 11 de l’ORA. Je m’explique.

[156]                     Tout d’abord, l’art. 11 s’applique principalement — et non accessoirement — à des parties se trouvant à l’extérieur de la province qui a adopté la loi. Il vise d’abord et avant tout non pas les membres du groupe qui se trouvent sur le territoire de la province, mais ceux qui sont à l’extérieur de la province, à savoir les autres gouvernements provinciaux et le gouvernement fédéral.

[157]                     Ensuite, la Couronne n’est pas une partie ordinaire. Il en est ainsi parce que toutes les législatures provinciales et le Parlement fédéral ont accordé à leur propre procureur général le pouvoir et le devoir d’ester en justice au nom de la Couronne (Loi sur le ministère de la Justice, L.R.C. 1985, c. J‑2, art. 5; Government Organization Act, R.S.A. 2000, c. G‑10, ann. 9, art. 2; Loi sur le ministère de la Justice, C.P.L.M. c. J35, art. 2 et 2.1; Loi sur le rôle du procureur général, L.R.N.‑B. 2011, c. 116, art. 2; Public Service Act, R.S.N.S. 1989, c. 376, art. 29; Loi sur le ministère du Procureur général, L.R.O. 1990, c. M.17, art. 5; Loi sur le ministère de la Justice, RLRQ, c. M‑19, art. 4; The Justice and Attorney General Act, S.S. 1983, c. J‑4.3, art. 10; Executive Council Act, S.N.L. 1995, c. E‑16.1, par. 4(4); Loi sur le ministère de la Justice, L.R.T.N.‑O. (Nun.) 1988, c. 97 (suppl.), art. 5; Judicature Act, R.S.P.E.I. 1988, c. J‑2.1, art. 36; Loi sur le ministère de la Justice, L.R.Y. 2002, c. 55, art. 7).

[158]                     Les appelantes ont raison d’affirmer que les obligations et les pouvoirs des procureurs généraux d’ester en justice au nom de leur gouvernement respectif comportent des dimensions constitutionnelles qui ont pour fondement [traduction] « la coutume, la tradition et l’usage constitutionnel » (voir In re Criminal Code (1910), 43 R.C.S. 434, p. 443, le juge Idington). La partie V de la Loi constitutionnelle de 1867 reconnaît expressément que la charge de procureur général fait partie des constitutions provinciales. De plus, les procureurs généraux exercent tant des fonctions exécutives que des fonctions judiciaires. D’ailleurs, en leur qualité de premiers conseillers juridiques de l’État, les procureurs généraux exercent leur fonction au nom du pouvoir exécutif en application de la compétence reconnue aux provinces au par. 92(14) de la Loi constitutionnelle de 1867 (voir Krieger c. Law Society of Alberta, 2002 CSC 65, [2002] 3 R.C.S. 372, par. 24‑27; Ontario c. Criminal Lawyers’ Association of Ontario, 2013 CSC 43, [2013] 3 R.C.S. 3, par. 34‑35). Les effets de l’art. 11 sur ces importantes fonctions ne sauraient être qualifiés de purement accessoires.

c)        Mise en balance des effets juridiques et des effets pratiques

[159]                     Pour les besoins de l’analyse du caractère véritable, il est vrai que ces effets juridiques s’appliquent en parallèle avec les effets pratiques découlant de la disposition contestée. Je reconnais qu’en l’espèce, le principal effet pratique consiste, pour les autres gouvernements provinciaux et le gouvernement fédéral, à choisir de s’exclure ou non du recours collectif en vertu du par. 11(2) de l’ORA. Ma collègue affirme que cela signifie que les gouvernements peuvent conserver en dernière analyse leur autonomie dans la conduite du litige en se retirant du recours collectif afin d’être en mesure de faire valoir leurs propres revendications sur leur propre territoire. Ce n’est qu’à partir du moment où les gouvernements ont officiellement décidé de ne pas s’exclure du recours collectif que leur autonomie dans la conduite du litige serait touchée.

[160]                     Avec égards, ce point de vue considère de manière beaucoup trop restrictive l’effet véritable de l’art. 11 de l’ORA. À mon avis, pour bien analyser le caractère véritable de l’art. 11, notre Cour doit accorder le poids qui convient à la considération fondamentale en cause : l’art. 11 permet à la législature de la Colombie‑Britannique de légiférer automatiquement (ou par défaut) sur la propriété et les droits civils des autres gouvernements provinciaux et du gouvernement fédéral. S’il est vrai que ces gouvernements peuvent s’exclure du recours collectif, cela ne change rien au fait que la loi constitue, à première vue, une ingérence de la Colombie‑Britannique dans les affaires d’autres gouvernements. L’effet juridique le plus important réside dans le fait que la province de la Colombie‑Britannique peut empiéter sur la propriété et les droits civils d’autres gouvernements.

[161]                     La faculté de s’exclure effectivement du recours collectif ne neutralise pas les effets automatiques ou par défaut de l’art. 11. Au contraire, ce régime avec mécanisme d’exclusion a pour effet de [traduction] « forcer » les autres gouvernements provinciaux et le gouvernement fédéral « à décider » d’assujettir ou non leurs réclamations à la compétence de la Colombie‑Britannique (voir le m.a., par. 62). J’ajouterais qu’en cherchant à minimiser ces effets juridiques très importants par le biais des aspects pratiques d’une disposition, le législateur peut modifier ou masquer l’objet véritable de sa loi. En effet, les autres gouvernements sont automatiquement présumés faire partie du recours collectif, ce qui signifie que, l’application par défaut de cette disposition compromettrait, en raison de son caractère véritable, leur autonomie dans la conduite du litige. Le fait que les autres gouvernements provinciaux et le gouvernement fédéral ont la possibilité de s’exclure du recours collectif ne saurait en aucun cas rendre valides de tels effets inconstitutionnels.

[162]                     On ne peut donc qualifier de purement procédural un régime avec mécanisme d’exclusion. À mon humble avis, cette idée fait abstraction des conséquences réelles et substantielles de la loi sur l’autonomie des membres du groupe en ce qui concerne la conduite du litige. Il semble que l’intimé ait perçu cette difficulté en faisant valoir que, si l’art. 11 de l’ORA excède la compétence législative de la législature provinciale, la disponibilité d’un régime à adhésion volontaire devrait être interprétée comme faisant partie du par. 11(2) de l’ORA (voir le m.i., par. 33 et 118‑127). Je suis d’accord avec la Cour d’appel pour dire que cette concession, qui vise à sauvegarder la constitutionnalité de l’art. 11, est mal conçue (par. 54). Sans me prononcer sur la question de savoir si un régime à adhésion volontaire rendrait l’art. 11 constitutionnel, je conclus que le texte du par. 11(2) de l’ORA et l’art. 16 de la CPA ne sauraient appuyer l’interprétation de l’intimé.

(3)           Conclusion sur le caractère véritable

[163]                     Compte tenu de l’application par défaut de l’al. 11(1)(b) de l’ORA et du contexte d’exclusion dans lequel opère l’art. 11, je conclus que le caractère véritable de cette disposition est de légiférer sur le droit substantiel d’autres gouvernements d’ester en justice pour recouvrer le coût de soins de santé. En conséquence, je partage l’opinion des appelantes et je suis d’avis de conclure que l’art. 11 de l’ORA relève de « la propriété et [d]es droits civils » en vertu du par. 92(13) de la Loi constitutionnelle de 1867.

B.            Limites territoriales

[164]                     Étant donné que le caractère véritable de la disposition contestée en l’espèce se rapporte à une matière intangible, je vais maintenant déterminer si la disposition contestée « respecte le double objet des limites territoriales prévues à l’art. 92 » (Imperial Tobacco, par. 36). Même si j’avais tort de conclure que l’art. 11 de l’ORA relève du par. 92(13) alors qu’il relèverait plutôt du par. 92(14), je suis d’avis que l’art. 11 excède les limites territoriales de la compétence législative de la Colombie‑Britannique. À mon avis, la province qui a adopté la loi n’a aucun lien significatif à la fois avec la disposition contestée et avec les personnes qui y sont assujetties. Je tiens par ailleurs à exprimer de sérieuses réserves quant aux incidences éventuelles de cette disposition sur la souveraineté législative des autres provinces.

(1)           Lien significatif

[165]                     En définitive, je conclus que l’intimé n’a pas démontré l’existence d’un lien significatif dans le cas qui nous occupe. Ayant conclu que, en raison de son caractère véritable, l’art. 11 de l’ORA est de nature substantielle, de sorte qu’il relève du par. 92(13) de la Loi constitutionnelle de 1867, je conclus que la législature qui l’a adopté n’a pas de lien significatif à la fois avec l’objet de la loi et avec les personnes qui y sont assujetties. Toutefois, même si je partais du principe que, de par son caractère véritable, cette disposition est d’ordre procédural et qu’elle relève donc du par. 92(14), je conclurais quand même qu’il n’existe aucun lien significatif entre la législature qui a adopté l’art. 11 et les personnes qui y sont assujetties.

[166]                     Tout d’abord, le fait que l’objet de la loi, de par son caractère véritable, touche les droits substantiels d’autres gouvernements veut nécessairement dire qu’il n’a aucun lien significatif avec la province qui l’a adoptée. Ensuite, les personnes « qui sont assujetties à » l’art. 11 de l’ORA sont les autres gouvernements provinciaux et le gouvernement fédéral, qui n’ont tous aucun lien significatif avec la province qui a adopté la loi. Même si ce sont les défendeurs qui sont assujettis à l’ORA dans son ensemble — tout comme c’était le cas des défendeurs assujettis à la TRA dans l’affaire Imperial Tobacco —, ce sont les autres gouvernements qui sont assujettis à l’art. 11. C’est en leur nom que le recours collectif a été introduit. Je reviendrai sur ce point plus loin dans les présents motifs.

a)        Compétence législative et compétence juridictionnelle

[167]                     Avant de procéder à mon analyse de la question du lien significatif, j’ouvre ici une parenthèse pour commenter le fait que ma collègue s’appuie sur le test du lien réel et substantiel pour étayer sa conclusion suivant laquelle, compte tenu des enjeux communs en cause, l’art. 11 de l’ORA présente un lien significatif avec la Colombie‑Britannique. Je crois qu’il est nécessaire, dans le but de circonscrire la portée du présent pourvoi, de signaler ce que j’estime être une confusion entre la compétence législative normative de la législature de la Colombie‑Britannique et la compétence juridictionnelle des tribunaux de la Colombie‑Britannique.

[168]                     Le présent pourvoi concerne la constitutionnalité de l’art. 11 de l’ORA, et non la question de savoir si l’existence de questions communes est suffisante pour asseoir la compétence de la cour supérieure d’une province sur les recours collectifs impliquant différents gouvernements canadiens, ou les recours collectifs multiterritoriaux en général. La constitutionnalité des recours collectifs nationaux n’a rien à voir avec la constitutionnalité de l’art. 11 de l’ORA parce que chacune fait intervenir des considérations différentes. Les premiers s’intéressent à la compétence juridictionnelle des tribunaux de la Colombie‑Britannique, alors que les secondes concernent les limites territoriales imposées à la compétence législative de la législature de la Colombie‑Britannique. En ce sens, je partage l’opinion exprimée par notre Cour dans l’arrêt Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Procureur général) c. Uashaunnuat (Innus de Uashat et de Mani‑Utenam), 2020 CSC 4, [2020] 1 R.C.S. 15, par. 16, selon laquelle « il importe de ne pas confondre la compétence juridictionnelle des cours supérieures provinciales avec la compétence législative des provinces ».

[169]                     Ma collègue mentionne que l’art. 11 « s’accorde avec la manière dont les tribunaux se déclarent compétents à l’égard des membres du groupe de l’extérieur de la province » (par. 89). Avec égards, il s’agit là d’un parfait exemple de la façon dont son analyse confond la compétence juridictionnelle des tribunaux et la compétence législative de la province.

[170]                     Les limites territoriales que l’art. 92 de la Loi constitutionnelle de 1867 impose au champ de la compétence législative provinciale empêchent à la fois l’adoption de lois qui, de par leur caractère véritable, portent sur des questions se situant à l’extérieur de la province et l’application d’une loi de la province à des matières qui n’ont pas de lien avec cette province. La validité d’un texte de loi exige que l’on établisse l’existence d’un « lien significatif » entre la province ayant légiféré, l’objet du texte de loi en cause et les personnes qui y sont assujetties (Imperial Tobacco, par. 36). En revanche, les tribunaux peuvent appliquer une loi, par ailleurs valide, à des personnes ou des entités situées à l’extérieur de la province lorsque l’existence d’un « lien suffisant » est établie (Unifund Assurance Co. c. Insurance Corp. of British Columbia, 2003 CSC 40, [2003] 2 R.C.S. 63, par. 56; Sharp, par. 112).

[171]                     Ces tests ne doivent pas être confondus avec celui du « lien réel et substantiel » qui est appliqué pour déterminer si le tribunal d’une province se déclarera compétent sur une question donnée ou si les règles de conflit sont incompatibles avec les limites territoriales imposées par l’art. 92 de la Loi constitutionnelle de 1867 (voir Club Resorts Ltd. c. Van Breda, 2012 CSC 17, [2012] 1 R.C.S. 572, par. 21‑34). Dans l’arrêt Hunt c. T&N plc, [1993] 4 R.C.S. 289, p. 325, le juge La Forest mentionne que le test du lien réel et substantiel « ne se voulait pas un critère rigide, mais visait simplement à exprimer l’idée que les revendications de compétence doivent être assujetties à certaines limites ». À cet égard, je suis entièrement d’accord avec le juge Bastarache lorsqu’il dit que « [l]e lien réel et substantiel nécessaire pour que les tribunaux d’une province se déclarent compétents à l’égard d’une affaire est un critère moins strict que le lien significatif requis pour qu’une province puisse légiférer à l’égard des droits en cause » (Castillo c. Castillo, 2005 CSC 83, [2005] 3 R.C.S. 870, par. 44, le juge Bastarache, motifs concordants; voir aussi Unifund, par. 58 et 80; Sharp, par. 116). Avec égards, la tentative de ma collègue d’incorporer un lien significatif dans le test du lien réel et substantiel brouille la distinction habilement énoncée par le juge Bastarache, même si la règle est claire : le premier constitue une norme plus élevée.

[172]                     En toute déférence, je suis en désaccord avec l’interprétation voulant que l’autorisation d’un recours collectif fondée sur l’existence d’un lien réel et substantiel démontrée par la présence de questions communes — ou de points communs — entre les intéressés confirme l’existence d’un lien significatif entre le territoire ayant légiféré, l’objet du texte de loi en cause et les personnes qui y sont assujetties. Compte tenu de la distinction entre lien réel et substantiel et lien significatif, conclure à l’existence du premier ne permet pas nécessairement de conclure à celle du second. Inversement, conclure qu’aucun lien significatif ne peut être établi n’a aucune incidence sur la question de savoir si les points communs entre les membres non‑résidents et le représentant des demandeurs résidant dans le ressort du recours collectif sont suffisants pour établir un lien réel et substantiel pour les besoins de la compétence juridictionnelle sur un recours collectif multiterritorial. L’analyse de ma collègue ne tient pas compte de la distinction entre les deux tests ou bien l’ignore, et ce, malgré les arguments soulevés par les appelantes sur ce point (m.i., par. 98)

[173]                     Cela dit, il serait imprudent de formuler des observations sur les conditions à remplir pour satisfaire au test du lien réel et substantiel dans le contexte des recours collectifs multiterritoriaux — une question qui n’a pas été soulevée par les parties dans le présent pourvoi. Notre Cour ne s’est jamais prononcée sur cette question. Il existe par ailleurs des opinions divergentes au sein des cours d’appel, de même qu’un débat doctrinal considérable, quant à savoir s’il suffit pour un tribunal d’autoriser les questions communes afin d’asseoir la compétence d’une cour supérieure sur les membres du groupe de l’extérieur du ressort (voir Harrington c. Dow Corning Corp., 2000 BCCA 605, 193 D.L.R. (4th) 67; HSBC c. Hocking, 2008 QCCA 800, [2008] R.J.Q. 1189; Airia Brands Inc. c. Air Canada, 2017 ONCA 792, 417 D.L.R. (4th) 467). Dans ces conditions, j’hésite à commenter cette question sans qu’elle soit soulevée sur la base d’un dossier approprié.

[174]                     Ma collègue ajoute que la « nature du recours collectif », ainsi que le « choix des autres gouvernements de participer à l’instance », est ce qui permet à l’art. 11 de conserver un lien significatif avec la Colombie‑Britannique (par. 88). On ignore à quoi peut renvoyer la « nature du recours collectif », à part l’opportunité de résoudre les questions communes. De surcroît, l’allusion, par ma collègue, au soi‑disant « choix » des autres gouvernements de participer à l’instance, ou à leur « consentement », pose problème (par. 91).

[175]                     Je ne souscris pas à l’affirmation selon laquelle les autres gouvernements ont choisi de participer. Ils ne l’ont pas fait, car la nature d’un régime avec mécanisme d’exclusion est telle que les autres gouvernements ne « choisissent » pas en fait de participer. Il n’existe pas de véritable choix, puisqu’à moins que les provinces ne prennent des mesures pour s’exclure à l’intérieur du délai et aux conditions précisées par le juge chargé de l’autorisation, elles participent déjà au recours collectif.

[176]                     De plus, même si un véritable consentement de la part des autres gouvernements était obtenu, le consentement ne jouerait malgré tout aucun rôle lorsqu’il s’agit de décider s’il y a un lien significatif. Le consentement d’autres gouvernements ne saurait établir la constitutionnalité d’une disposition attaquée. Comme je l’ai mentionné précédemment, il peut y avoir des cas où d’autres gouvernements croient que la loi d’une province leur est favorable, même si cette loi dépasse les pouvoirs législatifs de cette province. Un commun accord ne peut sauvegarder une loi ultra vires de la province.

[177]                     Ayant apporté cette précision, je passe maintenant à la question de savoir s’il est possible d’établir un lien significatif en l’espèce.

b)       Il n’existe pas de lien significatif en l’espèce

[178]                     Ma collègue conclut qu’il existe un lien significatif entre la province qui a adopté la loi, l’objet de la loi et les personnes qui y sont assujetties, conformément au test appliqué dans l’arrêt Imperial Tobacco. Elle fonde notamment sa conclusion sur le fait que, selon elle, une fois que l’autorisation d’exercer le recours collectif a été accordée, les effets extraterritoriaux sur les autres gouvernements ne découlent pas directement de l’art. 11, mais de la décision du tribunal d’autoriser le recours collectif (par. 90).

[179]                     Je ne suis pas d’accord avec cette prémisse. Les effets extraterritoriaux découlent de la disposition elle‑même, et non de l’autorisation accordée par le tribunal. Tout d’abord, l’art. 11 a pour objet de permettre à la province de demander au tribunal de l’autoriser à exercer un recours collectif. Le recours ne pourrait être autorisé si l’art. 11 n’existait pas. Ensuite, la détermination de l’existence d’un lien significatif doit se faire en tenant compte du caractère véritable de la disposition législative contestée. Je le répète : la caractéristique principale de l’art. 11 ne peut être établie qu’en fonction de ce qui se passe après que l’autorisation d’exercer le recours collectif ait été accordée.

[180]                     À mon avis, le test adopté par le juge Major dans Imperial Tobacco doit être considéré en tenant compte du contexte particulier de cette affaire, dans laquelle l’analyse portait sur la TRA dans son ensemble. Dans le présent pourvoi, l’analyse touche une disposition bien précise : l’art. 11 de l’ORA.

[181]                     De plus, il y a un écart marqué entre le contexte et la loi qui étaient en cause dans l’affaire Imperial Tobacco et ceux qui nous intéressent en l’espèce. Dans l’affaire Imperial Tobacco, les fabricants de tabac défendeurs contestaient la constitutionnalité de la TRA de la Colombie‑Britannique. Cette loi accordait à la province de la Colombie‑Britannique un droit d’action direct et distinct qui lui permettait de poursuivre les fabricants de tabac en vue de recouvrer les frais de soins de santé liés au tabac qu’elle avait engagés. C’était là le caractère véritable de cette loi, qui ne visait pas à mettre en jeu les droits d’une autre province (voir E. Edinger, « British Columbia v. Imperial Tobacco Canada Ltd. : Extraterritoriality and Fundamental Principles » (2006), 43 Rev. can. dr. comm. 301, p. 306‑307). Cette loi ne s’appliquait pas non plus dans le contexte d’un recours collectif. Le caractère véritable de la TRA consistait à créer un nouveau droit d’action dans la province et à simplifier les exigences y afférentes en matière de preuve.

[182]                     S’exprimant au nom d’une cour unanime, le juge Major a reconnu que, pour déterminer la validité d’une loi, il fallait tenir compte du « lien entre le territoire ayant légiféré, l’objet du texte de loi en cause et [les] personne[s] qu’on entendait assujettir à celui‑ci » (Imperial Tobacco, par. 35, citant Unifund, par. 63). Il a conclu que le caractère véritable de la loi se situait dans la province, indépendamment du fait que les défendeurs n’y étaient pas tous physiquement présents. En ce qui concerne le lien significatif requis, il est arrivé à la conclusion suivante, au par. 37 :

                        En l’espèce, la cause d’action qui constitue le caractère véritable de la Loi sert exclusivement à faire en sorte que les personnes ultimement responsables des maladies liées au tabac dont souffrent les Britanno‑Colombiens — à savoir les fabricants de produits du tabac qui, par leurs actes fautifs, ont exposé au tabac ces Britanno‑Colombiens — deviennent responsables des frais engagés par le gouvernement de la Colombie‑Britannique pour le traitement de ces maladies. Il existe donc un lien solide entre le territoire ayant légiféré (la Colombie‑Britannique), l’objet de la loi (l’indemnisation pour les coûts des soins de santé liés au tabac engagés par le gouvernement de la Colombie‑Britannique) et les personnes assujetties à cette loi (les fabricants de produits du tabac ultimement responsables de ces coûts). On peut alors conclure facilement à l’existence d’un lien significatif entre la Loi et la province. [Je souligne.]

[183]                     Les parties au présent pourvoi ne contestent pas qu’à l’exception de l’art. 11, la loi au cœur de la présente affaire est très semblable à la TRA examinée par notre Cour dans l’affaire Imperial Tobacco (voir le m.a., par. 13; m.i., par. 15). J’accepte cette proposition. En effet, l’ORA et la TRA accordent toutes les deux à la province qui a adopté la loi un droit d’action direct et distinct relativement à une faute particulière, qu’elle soit liée au tabac ou aux opioïdes. Je ne remets pas en question le fait que l’adoption de l’ORA, comme celle de la TRA, a eu pour effet de simplifier les règles et de conférer à la Province un droit d’action. Mais l’ORA se distingue sous un aspect important. L’article 11 permet à la province de la Colombie‑Britannique d’introduire un recours collectif au nom des tous les autres gouvernements du Canada. La TRA n’accordait aucun mécanisme semblable à la province.

[184]                     À mon avis, l’issue de l’analyse en l’espèce se distingue à deux égards. Tout d’abord, le fait que l’objet de la loi concerne, en raison de son caractère véritable, les droits substantiels d’autres gouvernements signifie nécessairement qu’il n’a aucun lien significatif avec la province qui l’a adoptée. Contrairement à la situation qui prévalait dans l’affaire Imperial Tobacco, on ne peut dire que la province de la Colombie‑Britannique a un lien significatif avec les droits substantiels des autres gouvernements provinciaux et du gouvernement fédéral. D’ailleurs, les modalités d’exercice des droits substantiels des autres provinces — en l’occurrence, la capacité d’ester en justice en vue de recouvrer les coûts des soins de santé — dans le cadre d’une action civile introduite en Colombie‑Britannique ne relèvent pas de la compétence de la province qui a adopté la loi. Pour reprendre les propos du juge McIntyre dans l’arrêt Upper Churchill, je suis d’avis de conclure qu’il s’ensuit que l’art. 11 « porte atteinte à des droits extra‑provinciaux ou les élimine » (p. 332).

[185]                     Ensuite, il y a une différence entre les personnes et les entités qui étaient « assujetties » à la loi dans l’affaire Imperial Tobacco et celles qui sont assujetties à l’art. 11 de l’ORA. Comme l’extrait précité l’illustre bien, il était allégué que les fabricants de tabac défendeurs dans Imperial Tobacco étaient assujettis à la TRA. Dans cette affaire, la loi accordait à la province de la Colombie‑Britannique un droit d’action direct et distinct contre les défendeurs en question relativement aux dommages causés par le tabac aux citoyens de la Colombie‑Britannique. Comme le juge Major l’a reconnu, « un lien critique et exclusif [unissait les défendeurs et la province] en tout temps : le recouvrement qu’autorise l’action se rapporte aux dépenses engagées par le gouvernement de la Colombie‑Britannique pour les soins de santé des Britanno‑Colombiens » (par. 38). Le droit d’action reconnu par la loi visait à simplifier et à codifier le mécanisme permettant à la province de recouvrer le coût des soins de santé à la suite des manquements des fabricants en question à leurs obligations envers « des personnes en Colombie‑Britannique » (par. 40‑41). L’action elle‑même était intentée contre les défendeurs, et l’obligation incombait à ces derniers. L’élément central de la TRA était donc le droit d’action direct et distinct contre les défendeurs qui étaient assujettis à la loi en raison des fautes qu’ils auraient commises. La province de la Colombie‑Britannique a été autorisée à intenter une action au nom de sa propre province pour les fautes commises sur son territoire.

[186]                     En revanche, l’art. 11 de l’ORA a un objectif plus large que celui visant seulement à accorder ou à conférer à la province de la Colombie‑Britannique un droit d’action contre les défenderesses : c’est là l’objet de l’ORA dans son ensemble (voir les motifs de la C.A., par. 1 et 96). Contrairement aux autres dispositions de l’ORA, l’art. 11 ne concerne pas uniquement un droit d’action reconnu par la loi relativement à des fautes liées aux opioïdes dans la province. Il ne concerne pas non plus les défenderesses dans la présente affaire. Ce sont là des objectifs qui sont traités et réalisés par le reste de l’ORA. L’article 11 concerne plutôt principalement les autres gouvernements en tant que demandeurs et à l’exercice de leurs droits substantiels dans le cadre de l’action civile. A priori, l’art. 11 permet à la province de la Colombie‑Britannique d’agir, en tant que représentant des demandeurs, au nom des autres gouvernements provinciaux et du gouvernement fédéral dans le cadre d’un recours collectif. Contrairement à ce que prétend l’intimé (voir le m.i., par. 91), ce ne sont ni la province ni les défenderesses qui sont assujetties aux restrictions de l’art. 11. Ce sont plutôt les autres gouvernements provinciaux et le gouvernement fédéral. Je suivrais la même logique si je concluais que l’art. 11 est de nature procédurale et qu’il relève potentiellement du par. 92(14) de la Loi constitutionnelle de 1867.

[187]                     Pour ces motifs, je suis d’avis que la province de la Colombie‑Britannique n’a pas de lien significatif avec l’objet de l’art. 11 ou avec les personnes qui y sont assujetties. Plus précisément, il n’existe aucun lien entre la province de la Colombie‑Britannique et les autres gouvernements nommément désignés dans l’action collective, entre la province de la Colombie‑Britannique et les réclamations des autres gouvernements et entre la province de la Colombie‑Britannique et l’objet de l’art. 11. Par conséquent, l’art. 11 de l’ORA ne respecte pas les limites territoriales prescrites par l’art. 92 de la Loi constitutionnelle de 1867.

(2)           Souveraineté législative

[188]                     Ayant conclu qu’il n’y a aucun lien significatif entre la province qui a adopté la loi, l’objet de la loi et les personnes qui y sont assujetties, il n’est pas nécessaire, pour trancher le présent pourvoi, que je me prononce sur la question de savoir si l’art. 11 de l’ORA respecte la souveraineté législative des autres gouvernements provinciaux et du gouvernement fédéral. Je tiens toutefois à exprimer certaines réserves quant à la capacité d’une législature d’empiéter sur la souveraineté législative d’autres provinces et du gouvernement fédéral, ou de lier effectivement les législatures provinciales et le Parlement par défaut.

[189]                     L’égale souveraineté des provinces et du gouvernement fédéral est un principe fondateur de notre régime fédéral (Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 R.C.S. 217, par. 56‑59). En raison des restrictions territoriales que lui impose l’art. 92 de la Loi constitutionnelle de 1867, chaque province est tenue de respecter la souveraineté législative des autres provinces dans leurs sphères législatives respectives et s’attend au même respect en retour (Unifund, par. 50‑51; Imperial Tobacco, par. 27). Une province doit par conséquent éviter d’empiéter par voie législative sur des questions qui relèvent à juste titre de la compétence exclusive d’autres provinces.

[190]                     Dans l’arrêt Imperial Tobacco, le juge Major n’a pas précisé à quelle exigence une disposition contestée doit satisfaire pour que son caractère véritable respecte la compétence législative des autres provinces. Fait important, toutefois, il a souligné que, même si le droit d’action créé par la TRA pouvait « dans une certaine mesure, viser des activités menées à l’extérieur de la Colombie‑Britannique », il n’y avait pas atteinte à la souveraineté des autres provinces parce qu’« aucun territoire autre que la Colombie‑Britannique ne pourrait prétendre à l’existence d’un lien plus fort avec cette cause d’action » (par. 38). En revanche, dans le cas qui nous occupe, on ne peut dire qu’il existe un lien très fort entre la province de la Colombie‑Britannique et le droit substantiel des autres gouvernements d’ester en justice pour recouvrer le coût de leurs soins de santé.

[191]                      Permettre à la Colombie‑Britannique de lier d’autres gouvernements provinciaux et le gouvernement fédéral à son recours collectif mettant en cause plusieurs gouvernements risque de porter atteinte à la souveraineté législative de ces gouvernements. Leur participation à ce recours collectif pourrait effectivement lier les législatures provinciales et le Parlement. En effet, dans le cas qui nous occupe, si l’exécutif ne s’exclut pas du recours collectif qui a été engagé, le pouvoir des législatures et du Parlement serait entravé, car ils ne pourraient pas légiférer valablement pour se retirer du recours. La participation au recours collectif se ferait au détriment du pouvoir des législatures et du Parlement d’encadrer le déroulement des instances introduites par des gouvernements par le biais de leurs procureurs généraux.

[192]                     Cette situation contraste nettement avec celle qui prévalait dans le Renvoi relatif à la réglementation pancanadienne des valeurs mobilières, 2018 CSC 48, [2018] 3 R.C.S. 189, dans lequel notre Cour a jugé que l’accord conclu entre l’exécutif de divers gouvernements, en vue de mettre en place un régime coopératif national de réglementation des marchés des capitaux, n’entravait pas et ne pouvait entraver la souveraineté des législatures des provinces participantes. En effet, les provinces pouvaient toujours légiférer pour retirer l’exécutif de l’accord (par. 67; voir aussi J. Poirier, « The 2018 Pan‑Canadian Securities Regulation Reference : Dualist Federalism to the Rescue of Cooperative Federalism » (2020), 94 S.C.L.R. (2d) 85).

[193]                      Il se peut que la Couronne du chef d’une province soit liée par les conséquences de ses actions lorsqu’elle décide d’exercer ses droits civils ou d’agir à l’extérieur de la province en sa qualité de personne physique (voir D. Gibson, « Interjurisdictional Immunity in Canadian Federalism » (1969), 47 R. du B. can. 40, p. 60‑61). En pareil cas, les limites territoriales imposées aux pouvoirs provinciaux empêcheraient la législature de cette province de soustraire la Couronne à ces conséquences. Il ne s’agit pas ici d’un cas où la Couronne lie la législature, mais d’une simple application des limites territoriales imposées par l’art. 92 de la Loi constitutionnelle de 1867. Contrairement à la situation qui prévalait dans Upper Churchill, lorsqu’un autre gouvernement est contraint de participer à un recours collectif en raison de l’art. 11 de l’ORA, c’est la province en question qui en subit les conséquences. On ne s’attend pas à ce qu’une province légifère à l’égard d’un contrat conclu dans une autre province. Mais on s’attend normalement à ce qu’une province puisse légiférer relativement au recouvrement du coût des soins de santé encourus dans sa propre province, indépendamment des régimes législatifs adoptés par d’autres provinces. C’est une question qui relève à bon droit de cette province. Toutefois, je remets à une autre occasion l’examen de la question de savoir si la Couronne du chef d’une province peut volontairement participer au recours collectif et ainsi lier sa propre législature.

[194]                     J’ajoute qu’à mon avis, le fait que les autres gouvernements se soient portés à la défense de la constitutionnalité de la disposition n’a aucune importance en l’espèce et ne permet pas d’en sauvegarder la validité. Il est vrai que les autres gouvernements, vu la manière dont ils conçoivent le régime, ont exprimé leur soutien à la constitutionnalité de la disposition dans des lettres d’appui (voir recueil condensé des appelantes, onglet 7). Dans leurs lettres, les autres gouvernements provinciaux et le gouvernement fédéral qualifient l’art. 11 de « mécanisme d’adhésion volontaire » qui leur accorde la liberté de prendre des mesures concrètes pour se joindre au recours collectif en tant que simples membres. Chacune de ces lettres reflète l’idée selon laquelle, si la présente action est autorisée, le gouvernement [traduction] « aura le droit d’adhérer volontairement au recours collectif » (voir, p. ex., l’onglet 7). Il s’agit là d’une interprétation erronée de la disposition, qui opère dans le contexte d’un régime avec mécanisme d’exclusion.

[195]                     Le soutien des autres gouvernements — exprimé dans leurs lettres d’appui — n’est d’aucune utilité et on ne devrait pas lui accorder beaucoup de poids. À mon humble avis, s’il est vrai que la prudence est de mise face à l’appui exprimé par d’autres procureurs généraux à l’égard de la validité d’un texte législatif adopté par une autre législature (voir Goodwin c. Colombie‑Britannique (Superintendent of Motor Vehicles), 2015 CSC 46, [2015] 3 R.C.S. 250, par. 33), cela diffère grandement de la prétention de ma collègue selon laquelle la présomption de constitutionnalité « est particulièrement forte » lorsque les autres procureurs généraux défendent la validité de la loi. En l’espèce, chacune des lettres d’appui versées au dossier interprète, de toute évidence à tort, l’art. 11 comme un mécanisme d’adhésion volontaire. Cette interprétation de la disposition contestée n’est pas défendable, et la présomption ne peut donc pas être invoquée (voir R. c. Brown, 2022 CSC 18, [2022] 1 R.C.S. 374, par. 88; Ontario c. Canadien Pacifique Ltée, [1995] 2 R.C.S. 1031, par. 15). Le régime avec mécanisme d’exclusion a pour effet d’inclure automatiquement les autres gouvernements dans le recours collectif tout en leur reconnaissant le droit de s’en exclure. Il n’offre pas aux autres gouvernements le choix d’adhérer au recours collectif, après les en avoir exclus par défaut. L’appui des gouvernements repose sur une interprétation erronée de la disposition.

[196]                     Je m’en voudrais de ne pas ajouter la remarque suivante. Tout comme les législatures provinciales ne peuvent déléguer leur compétence législative sur des questions qui relèvent de leur compétence exclusive en vertu de la partie VI de la Loi constitutionnelle de 1867, elles ne peuvent non plus consentir à ce que d’autres provinces s’arrogent ce pouvoir (voir Attorney General of Nova Scotia c. Attorney General of Canada, [1951] R.C.S. 31; Renvoi relatif à la réglementation pancanadienne des valeurs mobilières, par. 75). Les provinces ne peuvent pas modifier la Constitution par consentement mutuel.

(3)           Conclusion sur les limites territoriales

[197]                      Je conclus que l’art. 11 excède les limites territoriales de la compétence législative de la Colombie‑Britannique. À mon avis, la province qui a adopté la loi n’a pas de lien significatif avec à la fois la disposition contestée et avec les personnes qui y sont assujetties. Bien que notre Cour ait souvent insisté sur l’importance d’améliorer l’accès à la justice et de faciliter la coopération intergouvernementale, les limites constitutionnelles sur lesquelles repose la structure fondamentale du fédéralisme canadien doivent être respectées.

C.            Pouvoirs accessoires

[198]                     Vu ma conclusion selon laquelle l’art. 11 de l’ORA est ultra vires de la législature de la Colombie‑Britannique, il est nécessaire d’examiner brièvement si cette disposition à première vue invalide peut être sauvegardée par la doctrine des pouvoirs accessoires.

[199]                     La doctrine des pouvoirs accessoires applique un test rationnel et fonctionnel pour déterminer s’il existe un lien entre la disposition contestée examinée dans le cadre de l’analyse du caractère véritable et un régime législatif valide. Comme notre Cour l’a indiqué dans le Renvoi relatif à la Loi sur la procréation assistée, 2010 CSC 61, [2010] 3 R.C.S. 457, par. 127, le test de « nécessité » s’applique « lorsque l’empiétement sur la compétence de l’autre ordre de gouvernement est substantiel ». Notre Cour fait ensuite la distinction entre ces deux démarches, au par. 138 :

                        Appliquer le critère du lien rationnel et fonctionnel consiste à déterminer la nature de la relation entre les dispositions accessoires et le régime législatif par ailleurs valide qui les renferme. Les dispositions accessoires doivent appuyer le régime d’une manière rationnelle quant à l’objet et fonctionnelle quant à l’effet [. . .] Il n’est pas nécessaire d’établir que, sans les dispositions accessoires, le régime serait voué à l’échec, car il s’agirait alors du critère de la nécessité. Les dispositions accessoires doivent plutôt jouer, comme telles, un rôle de complément aux autres dispositions du régime, et elles ne peuvent avoir été insérées seulement par souci de commodité.

[200]                     Les appelantes affirment qu’il n’y a pas de lien rationnel et fonctionnel entre l’art. 11 et l’ORA, de sorte que l’art. 11 ne peut pas être sauvegardé par application de la doctrine. L’intimé soutient que s’il y a empiétement, celui‑ci est minime. L’intimé affirme plus particulièrement qu’il existe un lien rationnel et fonctionnel entre l’art. 11 de l’ORA et le régime législatif dans son ensemble.

[201]                     Tout en reconnaissant la souplesse de l’approche adoptée par notre Cour (voir Renvoi relatif à la Loi sur la procréation assistée, par. 139), ainsi que les propos de ma collègue au sujet de la coopération entre les régimes de réglementation au Canada (par. 37), je suis d’avis que la doctrine des pouvoirs accessoires ne permet pas en l’espèce de confirmer la constitutionnalité de l’art. 11 de l’ORA.

[202]                     Comme le soutiennent les appelantes, l’art. 11 de l’ORA est [traduction] « la seule disposition de l’ORA qui concerne des droits d’action reconnus à d’autres gouvernements provinciaux ou territoriaux en vertu de leurs propres règles substantielles » (m.a., par. 112). Comme je l’ai indiqué plus tôt et comme ma collègue le fait remarquer au par. 22 de ses motifs, l’ORA s’inspire par ailleurs largement de la TRA que notre Cour a examinée dans l’affaire Imperial Tobacco. La TRA avait pour objectif d’accorder ou de créer un droit d’action direct et distinct contre les défenderesses. D’ailleurs, la TRA remplit son rôle indépendamment de l’existence d’une disposition relative aux actions collectives multiterritoriales.

[203]                     Il devrait en être de même pour l’ORA. Indépendamment de l’art. 11, l’ORA fonde et établit régulièrement un droit d’action direct et distinct contre des fabricants, des grossistes ou des consultants pour des fautes liées aux opioïdes. Comme je l’ai indiqué dans les présents motifs, l’empiètement de l’art. 11 sur la compétence d’autres gouvernements est substantiel; par conséquent, « le critère à satisfaire [. . .] pour qu’[il] puisse être valid[é] sur le fondement de la doctrine des pouvoirs accessoires [est plus strict] » (Renvoi relatif à la Loi sur la procréation assistée, par. 127). Cette disposition n’est pas nécessaire à la mise en œuvre des aspects substantiels du reste de l’ORA. En fait, la province de la Colombie‑Britannique peut présenter sa propre réclamation dans sa propre province indépendamment de l’art. 11.

[204]                     Je conclus donc que la constitutionnalité de l’art. 11 de l’ORA ne peut être confirmée en vertu de la doctrine des pouvoirs accessoires. L’ORA demeure valide et contribue à la réalisation des objectifs de la législature de la Colombie‑Britannique sans l’aide de l’art. 11, puisque cette disposition n’est pas « nécessairement accessoire » à un régime par ailleurs valide et qu’elle ne contribue pas « activement à la réalisation de ses objectifs » (voir C. Mathen et P. Macklem, dir., Canadian Constitutional Law (6e éd. 2022), p. 215 et 225; Brun, Tremblay et Brouillet, par. VI‑2.49 à VI‑2.54; voir aussi Québec (Procureur général) c. Lacombe, 2010 CSC 38, [2010] 2 R.C.S. 453).

D.           Réparation

[205]                     Comme j’ai conclu que le caractère véritable de la disposition contestée ne respecte pas les limites territoriales imposées aux provinces par la Constitution, je passe à la question de la réparation à accorder.

[206]                     En résumé, la dissociation est la réparation qu’il convient d’accorder en l’espèce. Le tribunal qui a recours à la dissociation le fait dans le but de « s’ingérer le moins possible dans les lois adoptées par le corps législatif » (Schachter c. Canada, [1992] 2 R.C.S. 679, p. 696). Comme notre Cour l’a dit dans l’arrêt Schachter, p. 696, « lorsque seulement une partie d’une [. . .] disposition viole la Constitution, il est logique de déclarer inopérante seulement la partie fautive et de maintenir en vigueur le reste du texte ». Dans une décision plus récente, notre Cour a expliqué qu’au lieu d’invalider une loi au complet, ce qui est rarement la solution retenue, des réparations comme la dissociation « devraient être utilisées dans la mesure du possible afin de préserver les aspects constitutionnels des lois » (Ontario (Procureur général) c. G, 2020 CSC 38, [2020] 3 R.C.S. 629, par. 116).

[207]           À mon avis, il convient de dissocier l’al. 11(1)(b) et le par. 11(2) du reste de l’ORA et de préserver les autres dispositions de l’art. 11. L’ORA n’est pas inextricablement liée à ces dispositions, et elle est par ailleurs calquée sur la TRA, que notre Cour a jugée constitutionnelle dans l’arrêt Imperial Tobacco. Le reste du régime législatif demeure valide, et seule une [traduction] « invalidation partielle de la loi » est nécessaire (voir Mathen et Macklem, p. 1306). Il n’est pas nécessaire non plus d’invalider les autres dispositions de l’art. 11.

III.         Dispositif

[208]           Pour ces motifs, je suis d’avis d’accueillir le pourvoi et de déclarer que l’al. 11(1)(b) et le par. 11(2) sont ultra vires de la législature de la Colombie‑Britannique, et ils devraient être dissociés de l’ORA.

                    Pourvoi rejeté avec dépens, la juge Côté est dissidente.

                    Procureurs des appelantes Sanis Health Inc. et Shoppers Drug Mart Inc. : Osler, Hoskin & Harcourt, Toronto.

                    Procureurs de l’appelante Sandoz Canada Inc. : Fasken Martineau DuMoulin, Vancouver.

                    Procureurs de l’appelante la Corporation McKesson Canada : Davies Ward Phillips & Vineberg, Toronto.

                    Procureurs de l’intimé : CFM Lawyers, Vancouver; Procureur général de la Colombie-Britannique, Vancouver.

                    Procureur de l’intervenant le procureur général du Canada : Ministère de la Justice Canada, Secteur national du contentieux, Toronto.

                    Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Ontario : Procureur général de l’Ontario, Direction du droit constitutionnel, Toronto.

                    Procureurs de l’intervenant le procureur général du Québec : Bernard, Roy (Justice-Québec), Direction du contentieux de Montréal, Direction générale du contentieux du Procureur général du Québec, Sous-ministériat des affaires juridiques, Montréal; Ministère de la Justice du Québec, Direction du droit constitutionnel et autochtone, Québec.

                    Procureur de l’intervenant le procureur général de la Nouvelle-Écosse : Procureur général de la Nouvelle‑Écosse, Services juridiques, Halifax.

                    Procureur de l’intervenant le procureur général du Nouveau-Brunswick : Procureur général du Nouveau‑Brunswick, Services juridiques, Groupe de droit constitutionnel, Fredericton.

                    Procureur de l’intervenant le procureur général du Manitoba : Manitoba Justice, Legal Services Branch, Winnipeg.

                    Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Île-du-Prince-Édouard : Ministère de la Justice et de la Sécurité publique, Charlottetown.

                    Procureur de l’intervenant le procureur général de la Saskatchewan : Government of Saskatchewan, Regina.

                    Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Alberta : Alberta Justice, Constitutional and Aboriginal Law, Edmonton.

                    Procureur de l’intervenant le procureur général des Territoires du Nord-Ouest : Gouvernement des Territoires du Nord-Ouest, Division des affaires juridiques, Yellowknife.

                    Procureur de l’intervenant le procureur général du Territoire du Yukon : Ministère de la Justice, Direction des services juridiques, Whitehorse.

                    Procureurs des intervenantes Groupe Jean Coutu (PJC) inc. et Pro Doc Ltée : Miller Thomson, Regina.



[1] Opioid Damages and Health Care Costs Recovery Act, S.A. 2019, c. O-8.5; The Opioid Damages and Health Care Costs Recovery Act, S.S. 2020, c. 32; Loi sur le recouvrement du montant des dommages-intérêts et du coût des soins de santé imputables aux opioïdes, C.P.L.M., c. O55; Loi de 2019 sur le recouvrement des dommages-intérêts et du coût des soins de santé imputables aux opioïdes, L.O. 2019, c. 17, ann. 2; Loi sur le recouvrement du coût des soins de santé et des dommages‑intérêts liés aux opioïdes, RLRQ, c. R-2.2.0.0.01; Loi sur le recouvrement des dommages-intérêts et des coûts des soins de santé imputables aux opioïdes, L.N.-B. 2023, c. 28; Opioid Damages and Health-care Costs Recovery Act, S.N.S. 2020, c. 4; Opioid Damages and Health Care Costs Recovery Act, S.P.E.I. 2020, c. 77; Loi sur le recouvrement des dommages-intérêts et du coût des soins de santé liés aux opioïdes, L.T.N.-O. 2023, c. 18; Loi sur le recouvrement des dommages-intérêts et du coût des soins de santé liés aux opioïdes, L. Nun. 2023, c. 19; Opioid Damages and Health Care Costs Recovery Act, S.N.L. 2019, c. O-6.2 (pas encore en vigueur)).

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