Cie pétrolière Impériale ltée c. Québec (Ministre de l’Environnement), [2003] 2 R.C.S. 624, 2003 CSC 58
Compagnie pétrolière Impériale ltée Appelante
c.
Procureur général du Québec pour et au nom
du ministre de l’Environnement, André Boisclair
(anciennement Paul Bégin) Intimé
et
Tribunal administratif du Québec, Ville de Lévis, Ginette
Tanguay, Marc Turgeon, Lucie Munger, Nicolas Pelletier,
Christine Duhaime, Succession de Claude Maheux, Christine
Bédard, Nancy Kidd, André Martin, Jacques Desmeules, Claude
Nadeau, Brigitte Michaud, Lucien Bélanger, Carole Roseberry,
Reynald Landry, Bernard Côté, Groupe B. Côté, Caisse populaire
Desjardins de Saint‑David, Les Entreprises Michel Verret inc.,
André Blais, Sylvie Bourget, Céline Couture, Jacques Marquis,
Normand Rodrigue, Chantale Jean, Jean‑Marc Bergeron,
Jocelyne Giasson, Lini Fortin, Martine Ringuet, Marielle
Vallières, Gilbert Caron, Rita Nolin, Renée‑Claude Gagné,
Danny Gracez et Corporation Adélaîde Capitale inc. Mis en cause
et
Procureur général de l’Ontario et Ami(e)s de la Terre Intervenants
Répertorié : Cie pétrolière Impériale ltée c. Québec (Ministre
de l’Environnement)
Référence neutre : 2003 CSC 58.
No du greffe : 28835.
2003 : 14 février; 2003 : 30 octobre.
Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Gonthier, Iacobucci, Major, Bastarache, Binnie, Arbour, LeBel et Deschamps.
en appel de la cour d’appel du québec
Droit administratif — Pouvoir discrétionnaire — Équité procédurale — Obligation d’impartialité — Conflit d’intérêts — Ministre de l’Environnement rendant une ordonnance de caractérisation contre l’ancien propriétaire de terrains pollués par des hydrocarbures alors qu’il est lui-même poursuivi en dommages-intérêts par les propriétaires actuels des terrains — Le ministre a-t-il respecté son obligation d’impartialité en rendant l’ordonnance de caractérisation? — Loi sur la qualité de l’environnement, L.R.Q., ch. Q-2, art. 31.42.
Droit de l’environnement — Décontamination et restauration — Caractérisation des terrains — Ordonnance du ministre — Nature des fonctions et des pouvoirs confiés au ministre dans l’application de la Loi sur la qualité de l’environnement — Contenu des normes d’équité procédurale pertinentes à l’exécution des fonctions du ministre — Loi sur la qualité de l’environnement, L.R.Q., ch. Q-2, art. 31.42.
À la suite de problèmes de contamination d’un site qu’avait exploité la Compagnie pétrolière Impériale, le ministre de l’Environnement du Québec lui ordonne, conformément à l’art. 31.42 de la Loi sur la qualité de l’environnement (« LQE »), de préparer à ses frais et de remettre au ministère une étude de caractérisation des lieux et des mesures de décontamination appropriées. Impériale refuse d’exécuter l’étude et demande au Tribunal administratif du Québec d’annuler l’ordonnance du ministre. Elle invoque, entre autres, une violation des règles d’équité procédurale applicables à la décision du ministre, ce dernier se trouvant en conflit d’intérêts puisqu’il est intervenu dans les travaux antérieurs de décontamination et qu’il est maintenant poursuivi au sujet de la contamination du site par les propriétaires actuels des terrains. Le Tribunal rejette l’appel, mais la Cour supérieure fait droit à la demande de révision judiciaire. Elle conclut que l’ordonnance du ministre doit être annulée parce que le Tribunal a adopté une interprétation déraisonnable de l’art. 31.42 LQE, mais aussi parce que le ministre se trouvait en situation de conflit d’intérêts. Le ministre ne possédait donc pas l’apparence d’impartialité requise par les règles d’équité procédurale. La Cour d’appel du Québec annule cette décision et confirme l’ordonnance du ministre.
Arrêt : Le pourvoi est rejeté.
Le ministre a pris un type d’ordonnance qu’il pouvait rendre en vertu de la LQE. L’article 31.42, qui exprime le principe dit du pollueur-payeur, accorde un large pouvoir discrétionnaire au ministre. Ce dernier peut, en vertu de cette disposition, imposer aux auteurs d’une contamination de l’environnement l’obligation d’effectuer les études nécessaires pour préciser la nature du problème appréhendé, de présenter un plan de travaux correctifs et, le cas échéant, d’exécuter ces derniers à leurs propres frais. Dans l’application de l’art. 31.42, le ministre remplit un rôle largement politique, qui fait appel à son pouvoir et à son devoir de choisir les meilleures méthodes d’intervention, avec le souci de protéger l’intérêt public, pour atteindre les objectifs de la législation sur la protection de l’environnement. Il ne remplit pas alors une fonction juridictionnelle. Au contraire, il exécute ses fonctions d’administration et d’application de la législation sur la protection de l’environnement.
La contestation d’Impériale repose sur une conception erronée des fonctions du ministre et de la nature des normes d’équité procédurale pertinentes. Compte tenu du contexte de l’ensemble des fonctions du ministre comme du cadre de la mise en œuvre de son pouvoir d’ordonnance, la notion d’impartialité rattachée à l’action des tribunaux de l’ordre judiciaire ne s’applique pas à sa décision. Le contenu de l’obligation d’impartialité, tout comme celui de l’ensemble des règles d’équité procédurale, est susceptible de varier pour s’adapter au contexte de l’activité d’un décideur administratif et à la nature de ses fonctions. Dans la présente affaire, le ministre devait certes se conformer aux obligations d’équité procédurale prévues par la loi, comme les avis aux intéressés et la motivation de la décision. Cela fait, les principes d’équité procédurale pertinents à la situation, codifiés d’ailleurs par la Loi sur la justice administrative, exigeaient seulement qu’il exécute les obligations procédurales prévues par la loi et qu’il considère avec soin et attention les observations de l’administré. Par ailleurs, les intérêts en cause ne correspondaient sûrement pas à un intérêt personnel au sens de la jurisprudence. Les seuls intérêts que défendait le ministre étaient l’intérêt public dans la protection de l’environnement et celui de l’État, chargé de préserver celui-ci. Dans le contexte de cette affaire, ces intérêts se dissociaient difficilement. Dans le cadre de l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, le ministre pouvait légitimement prendre en compte une solution qui se révélait moins dispendieuse pour le trésor public. Ce faisant, il mettait en application un des principes organisateurs de la LQE, celui du pollueur-payeur. Il n’existait pas de situation de conflit d’intérêts donnant ouverture à une intervention judiciaire, encore moins d’abus ou de détournement de pouvoir. Le ministre agissait dans le cadre prévu par le droit applicable et conformément à celui-ci. Il n’est utile d’invoquer ni la théorie du chevauchement des fonctions ni celle de la nécessité, car aucun moyen ne donnait ouverture à des procédures en révision de la décision du Tribunal administratif du Québec, rejetant l’appel de la décision du ministre.
Jurisprudence
Arrêt appliqué : Pearlman c. Comité judiciaire de la Société du Barreau du Manitoba, [1991] 2 R.C.S. 869; arrêts mentionnés : 114957 Canada Ltée (Spraytech, Société d’arrosage) c. Hudson (Ville), [2001] 2 R.C.S. 241, 2001 CSC 40; Valente c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 673; Committee for Justice and Liberty c. Office national de l’énergie, [1978] 1 R.C.S. 369; Bell Canada c. Association canadienne des employés de téléphone, [2003] 1 R.C.S. 884, 2003 CSC 36; Assoc. des résidents du Vieux St-Boniface Inc. c. Winnipeg (Ville), [1990] 3 R.C.S. 1170; Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817; Knight c. Indian Head School Division No. 19, [1990] 1 R.C.S. 653; SITBA c. Consolidated-Bathurst Packaging Ltd., [1990] 1 R.C.S. 282; Newfoundland Telephone Co. c. Terre-Neuve (Board of Commissioners of Public Utilities), [1992] 1 R.C.S. 623; Ocean Port Hotel Ltd. c. Colombie-Britannique (General Manager, Liquor Control and Licensing Branch), [2001] 2 R.C.S. 781, 2001 CSC 52.
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés, art. 11d).
Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q., ch. C-12, art. 23.
Déclaration de Rio sur l'environnement et le développement, Doc. NU A/Conf. 151/5/Rev. 1 (1992).
Environment Act, S.N.S. 1994-95, ch. 1, art. 2c), 69, 71, 78(2), 88, 89, 90.
Environment Management Act, R.S.B.C. 1996, ch. 118, art. 6(3).
Environmental Management and Protection Act, 2002, S.S. 2002, ch. E-10.21, art. 7, 9, 12, 14, 15, 46.
Environmental Protection Act, R.S.P.E.I. 1988, ch. E-9, art. 7, 7.1, 21.
Environmental Protection Act, S.N.L. 2002, ch. E-14.2, art. 8(1), 9, 28, 29, Part XIII.
Environmental Protection and Enhancement Act, R.S.A. 2000, ch. E-12, art. 2(i), 112, 113(1), 114(1), 116.
Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1999), L.C. 1999, ch. 33.
Loi de 1994 sur la durabilité des forêts de la Couronne, L.O. 1994, ch. 25, art. 56(1).
Loi sur la justice administrative, L.R.Q., ch. J-3, art. 2, 5, 15, 137.
Loi sur la prévention de la pollution des eaux arctiques, L.R.C. 1985, ch. A-12, art. 6, 7.
Loi sur la protection de l’environnement, L.R.O. 1990, ch. E.19, art. 7, 8, 43, 93, 97, 99, 150, 190(1).
Loi sur la protection de l’environnement, L.R.T.N.-O. 1988, ch. E-7, art. 4(2), 5.1, 6, 7, 16.
Loi sur la qualité de l’environnement, L.R.Q., ch. Q-2, art. 2c), 19.1, 19.2, 19.3, 22, 25, 27, 31.11, 31.42 [aj. 1990, ch. 26, art. 4; mod. 1997, ch. 43, art. 518], 31.43, 31.44 [aj. 1990, ch. 26, art. 4; mod. 1997, ch. 43, art. 520], 96 [mod. 1999, ch. 75, art. 32], 106 à 115, 113, 115.1 [mod. 1984, ch. 29, art. 21].
Loi sur l’assainissement des lieux contaminés, L.M. 1996, ch. 40, art. 1(1)c)(i), 9(1), 15(1), 17(1), 21a).
Loi sur les pêches, L.R.C. 1985, ch. F-14, art. 42.
Loi sur les pesticides, L.R.O. 1990, ch. P.11, art. 29, 30.
Loi sur les ressources en eau de l’Ontario, L.R.O. 1990, ch. O.40, art. 16.1 [aj. 1998, ch. 35, art. 49], 32, 84, 91.
Waste Management Act, R.S.B.C. 1996, ch. 482, art. 26.5(1), 27(1), 27.1, 28.2, 28.5.
Doctrine citée
Daigneault, Robert. « La portée de la nouvelle loi dite “du pollueur-payeur” » (1991), 36 R.D. McGill 1027.
Garant, Patrice. Droit administratif, vol. 2, Le contentieux, 4e éd. Cowansville, Qué. : Yvon Blais, 1996.
Issalys, Pierre, et Denis Lemieux. L’action gouvernementale : Précis de droit des institutions administratives, 2e éd. Cowansville, Qué. : Yvon Blais, 2002.
POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Québec, [2001] R.J.Q. 1732, [2001] J.Q. no 3541 (QL), qui a infirmé une décision de la Cour supérieure, J.E. 2000-442, qui avait annulé une décision du Tribunal administratif du Québec, [1999] T.A.Q. 1256. Pourvoi rejeté.
Pierre Legault et Olivier Therrien, pour l’appelante.
Claude Bouchard, Dominique Rousseau et Anne‑Marie Brunet, pour l’intimé.
Jacques Lemieux, pour le mis en cause le Tribunal administratif du Québec.
Michel Laliberté, pour la mise en cause Ville de Lévis.
Jack D. Coop, pour l’intervenant le procureur général de l’Ontario.
Argumentation écrite seulement par Jerry V. DeMarco, Robert V. Wright et Lynda M. Collins, pour l’intervenant les Ami(e)s de la Terre.
Le jugement de la Cour a été rendu par
Le juge LeBel —
I. Introduction
1 Cette affaire de droit de l’environnement résulte de l’application du principe législatif du pollueur-payeur que consacre maintenant la législation environnementale québécoise. À la suite de problèmes de contamination d’un site qu’avait exploité l’appelante, la Compagnie pétrolière Impériale limitée (« Impériale »), le ministre de l’Environnement du Québec (le « ministre ») lui ordonna de préparer à ses frais et de remettre au ministère une étude de caractérisation des lieux et des mesures de décontamination appropriées. Impériale attaqua en vain cette ordonnance devant le Tribunal administratif du Québec (« TAQ »). La Cour supérieure fit droit à sa demande de révision judiciaire à cause des erreurs déraisonnables commises, à son avis, par le Tribunal dans l’interprétation de la législation pertinente. Par ailleurs, la situation de conflit d’intérêts dans laquelle se serait trouvé le ministre au moment de la prise de l’ordonnance aurait invalidé celle-ci de toute façon. En effet, impliqué dans la surveillance de travaux antérieurs de décontamination du site, poursuivi en responsabilité civile par certains acquéreurs de parties de celui-ci, le ministre ne possédait pas l’apparence d’impartialité requise par les règles d’équité procédurale applicables à sa décision. La Cour d’appel du Québec infirma ce jugement. À son avis, l’état de nécessité dans lequel la nature de ses fonctions plaçait le ministre, justifiait une situation qui aurait autrement violé le principe d’impartialité du décideur administratif. De plus, l’arrêt d’appel conclut que le TAQ n’avait pas interprété déraisonnablement la Loi sur la qualité de l’environnement, L.R.Q., ch. Q-2 (« LQE »).
2 Le pourvoi a remis en discussion plusieurs des problèmes juridiques étudiés précédemment par la Cour d’appel et la Cour supérieure du Québec dans ce dossier. Pour des motifs qui diffèrent en partie de ceux de la Cour d’appel, je suggère de rejeter cet appel. En effet, le ministre a pris un type d’ordonnance qu’il pouvait rendre en vertu de la LQE. Ce faisant, en raison du rôle que lui attribue cette loi, il n’a violé aucune des règles d’équité procédurale applicables à l’exécution de son pouvoir d’ordonnance. Le concept d’impartialité a été invoqué, interprété et appliqué erronément en l’espèce.
II. L’origine du litige
3 Comme dans bien des affaires de droit de l’environnement, les origines du problème en cause remontent fort loin en arrière, dans ce cas au début ou presque du 20e siècle. Vers 1920, Impériale installe un dépôt de produits pétroliers sur des terrains qu’elle a acquis sur la rive sud du fleuve Saint-Laurent, à Lévis, en face de Québec. Elle en continue l’exploitation jusqu’en 1973. En 1979, elle vend ces immeubles. L’acquéreur démolit les installations pétrolières, puis revend le site en 1987 à un promoteur immobilier, Les Habitations de la Marina inc. (« Marina »), qui entend y réaliser la construction d’un ensemble d’immeubles résidentiels.
4 Les problèmes environnementaux apparaissent alors. Des sondages de reconnaissance des sols révèlent la présence d’hydrocarbures. La découverte de ces contaminants peut empêcher la délivrance des permis de construction. Marina fait alors exécuter des études de caractérisation des sols. Les experts consultés confirment la présence de contaminants et suggèrent deux méthodes de décontamination pour régler ce problème. Ils recommandent aussi de consulter le ministère de l’Environnement et de la Faune du Québec pour obtenir son avis sur les mesures envisagées. Le ministère exige des études additionnelles que Marina obtient et lui transmet. Le ministère approuve alors des méthodes de décontamination, afin de permettre la construction d’habitations sur l’ancien site du dépôt pétrolier. Aucun contact n’est pris avec Impériale durant cette période. Selon les exigences du ministère, les travaux de décontamination doivent être exécutés sous la surveillance d’un consultant indépendant. Le promoteur n’engage pas celui-ci, mais fait exécuter les travaux de décontamination selon les recommandations du ministère. À la fin de ces travaux, le ministère délivre un certificat d’autorisation. Des rues sont aménagées, et plusieurs maisons sont construites.
5 En 1994, le problème de la pollution du site refait surface. Les propriétaires de certains immeubles constatent à nouveau des manifestations de la présence d’hydrocarbures dans les sols et s’en inquiètent. De nouvelles études de caractérisation confirment leurs appréhensions. La présence d’huile et les concentrations décelées de graisses minérales ne permettaient pas l’usage des terrains à des fins résidentielles. En conséquence, trois poursuites judiciaires sont engagées par des propriétaires de terrains contaminés contre leur vendeur et la ville de Lévis, qui a délivré les permis de construction. Le ministère se retrouve aussi mis en cause. On lui reproche notamment sa négligence lors de la surveillance et de l’approbation des travaux de décontamination. Des mises en demeure sont transmises dans d’autres dossiers. L’affaire s’amplifie politiquement. La ville de Lévis recherche alors une solution qui satisfasse les propriétaires en cause et sa population.
6 Dans ce but, la ville de Lévis entame des discussions avec le ministère. Celui-ci examine des solutions diverses. Après des études additionnelles et des consultations prolongées, le 12 mars 1998, le ministre décide de prendre une ordonnance en vertu de l’art. 31.42 LQE demandant à Impériale, en sa qualité d’ancien propriétaire et exploitant du site, de faire exécuter, à ses propres frais, une étude dite de caractérisation des sols par un expert indépendant et de remettre le rapport requis au plus tard le 30 juin 1998. Cette étude devait inclure un examen détaillé de l’état des sols, une évaluation du degré de contamination de ceux-ci, ainsi que des recommandations sur les suites à donner au rapport. L’ordonnance dite de caractérisation ne prescrivait pas l’exécution des travaux à cette étape des procédures entamées par le ministère.
7 Impériale refuse d’exécuter l’étude de caractérisation. Elle exerce le droit d’appel prévu par l’art. 96 LQE. Elle demande au Tribunal d’annuler l’ordonnance du ministre. Son échec devant celui-ci conduit aux procédures de révision judiciaire qui font maintenant l’objet du pourvoi examiné par notre Cour. Pour identifier exactement la question juridique essentielle pour l’issue de cet appel, il importe d’examiner attentivement l’historique judiciaire de cette affaire et les motifs retenus successivement par le Tribunal administratif, la Cour supérieure et la Cour d’appel.
III. Historique judiciaire
A. Tribunal administratif du Québec, [1999] T.A.Q. 1256
8 Devant le Tribunal administratif, Impériale invoque d’abord une violation des règles d’équité procédurale applicables à la décision du ministre. Le ministre se trouvait en conflit d’intérêts puisqu’il était intervenu dans les travaux de décontamination exécutés en 1988 et 1989. En conséquence, il lui était impossible d’agir impartialement, selon les exigences des normes de justice naturelle. De plus, les faits de l’affaire ne donnaient pas ouverture à une ordonnance de caractérisation et cette dernière ne pouvait de toute façon viser Impériale. Celle-ci aurait utilisé son site conformément aux normes alors acceptables pour des terrains industriels, durant la période d’exploitation de son dépôt.
9 La décision du Tribunal administratif rejette tous les moyens de l’appelante. Le Tribunal juge d’abord sans fondement les griefs relatifs à la violation des règles d’équité procédurale. Selon lui, les avis requis ont été donnés avant la prise de l’ordonnance. Impériale a pu transmettre ses observations au ministre. Par ailleurs, d’après le Tribunal, la législation crée un chevauchement de fonctions qui fait exception à la règle d’impartialité. Ce chevauchement correspond à une nécessité d’application de la législation sur l’environnement. Limitée à l’étude de caractérisation, l’ordonnance ne constitue pas non plus un exercice déraisonnable des pouvoirs du ministre. L’argument relatif à l’absence des conditions préalables à la prise de l’ordonnance est aussi rejeté après examen de la preuve. À ce propos, le Tribunal décide que l’ordonnance peut être rendue contre une partie qui n’est plus propriétaire d’un site, si elle a pu être l’auteur de la pollution qu’on y découvre après l’aliénation ou l’abandon des lieux, suivant les art. 31.42 et 31.43 LQE. À son avis, la preuve démontre que les hydrocarbures retrouvés dans le sol, qui ont d’ailleurs migré au-delà des limites du site, proviennent de l’activité d’Impériale. Le Tribunal confirme l’ordonnance du ministre pour ces motifs.
B. Cour supérieure du Québec, J.E. 2000-442
10 Impériale porte alors l’affaire devant la Cour supérieure. Elle dépose une requête pour révision judiciaire et jugement déclaratoire. Par cette procédure, elle demande la révision et l’annulation de la décision du Tribunal administratif qui a confirmé l’ordonnance du ministre. L’appelante reprend alors ses moyens relatifs à l’absence des conditions d’ouverture à ce type d’ordonnance dans le contexte de cette affaire. Elle plaide aussi le caractère déraisonnable de la décision du Tribunal. Son argument principal semble toutefois viser la situation juridique du ministre lors de la prise de l’ordonnance. À ce sujet, elle reproche au Tribunal d’avoir confirmé une décision rendue sans compétence par le ministre. En effet, celui‑ci se serait trouvé dans une situation de conflit d’intérêts qui l’aurait privé de l’impartialité requise pour rendre cette décision. Ce conflit résulterait des poursuites déjà engagées contre le ministre au sujet de la contamination des terrains comme de celles dont il était menacé et de son implication dans les travaux de décontamination exécutés de 1987 à 1989. Impériale souligne d’ailleurs — ce qui est exact — qu’elle n’avait reçu durant cette période ni avertissement de la découverte du problème de pollution ou des travaux entrepris pour y remédier, ni demande de s’y impliquer. Elle rappelle que ces travaux ont compliqué la situation et sans doute accru considérablement les coûts des études de caractérisation et des mesures éventuelles de décontamination et de restauration du site.
11 Le juge Pelletier accueille la demande de révision judiciaire et annule la décision du Tribunal et l’ordonnance du ministre. D’abord, son jugement conclut que le Tribunal a adopté une interprétation déraisonnable de l’art. 31.42 LQE, en concluant que l’ordonnance de caractérisation n’imposerait que des coûts raisonnables à Impériale. La Cour supérieure semble penser ici que l’ordonnance de caractérisation comporte nécessairement un ordre d’exécuter des travaux et que ces deux étapes ne peuvent se dissocier. Le juge Pelletier conclut ainsi que le Tribunal a fortement sous‑estimé la portée des obligations que l’ordonnance imposait. Cette erreur, par sa gravité, aurait vicié toute l’analyse de la preuve effectuée par le Tribunal et les conclusions qu’il en a tirées. Le juge retient aussi le moyen du conflit d’intérêts. Son jugement expose que le ministre se trouvait placé dans un conflit flagrant, en raison de sa participation à la décontamination du site et des procédures engagées contre lui. Son intérêt dans le sort éventuel de cette affaire, que le juge qualifie alors de « personnel », l’empêcherait d’agir avec l’impartialité nécessaire. Ainsi, la nullité de l’ordonnance découlerait également de ce vice fondamental. On se trouverait donc devant un problème de partialité du décideur, que ne saurait régler le recours à la théorie du « built-in bias », en vertu de laquelle des limites seraient apportées à l’obligation d’impartialité en raison de la nature des structures de gestion et de décision encadrant les interventions du ministre.
C. Cour d’appel du Québec, [2001] R.J.Q. 1732
12 Saisie du pourvoi du ministre, la Cour d’appel infirme le jugement de la Cour supérieure et rejette la demande de révision judiciaire pour des motifs exposés dans l’opinion de la juge Thibault. Celle-ci considère d’abord que la Cour supérieure a conclu à tort que la LQE ne permettait pas au ministre de rendre, en deux étapes distinctes, des ordonnances relatives aux études de caractérisation puis aux travaux de restauration et de décontamination. Ensuite, elle estime que les conséquences financières de l’ordonnance ne constituent pas un critère pertinent au moment de sa délivrance. Sur ce point, l’arrêt écarte donc l’argument du caractère déraisonnable de l’interprétation de la loi.
13 L’opinion de la juge Thibault porte principalement sur le problème de l’équité procédurale, particulièrement quant à la partialité du ministre et à sa situation de conflit d’intérêts. À son avis, bien qu’il ait exercé un pouvoir administratif à caractère discrétionnaire, le ministre devait agir impartialement. Elle concède qu’une apparence de partialité existe, en raison de l’intérêt financier du ministre. Cependant, pour éviter l’annulation de la décision attaquée, elle fait alors appel à la notion de nécessité. En effet, seul le ministre peut exercer les fonctions et les pouvoirs que prévoit la loi, pour assurer l’exécution des obligations que la législation impose au pollueur afin de protéger l’environnement québécois. Cette situation de nécessité justifie la reconnaissance d’une exception au principe d’impartialité du décideur administratif. L’inhabilité reprochée au ministre découlerait des obligations que lui impose la loi et non de son acte volontaire. Enfin, la juge Thibault ne croit pas devoir examiner les moyens soulevés par Impériale au sujet de la constitutionnalité du Tribunal administratif du Québec, les estimant sans conséquence pratique en l’espèce. La demande de révision judiciaire d’Impériale se trouve ainsi totalement rejetée par la Cour d’appel du Québec. C’est à ce jugement que s’attaque le pourvoi autorisé devant notre Cour.
IV. Dispositions législatives pertinentes
14 Loi sur la qualité de l’environnement, L.R.Q., ch. Q-2
31.42. Le ministre peut, lorsqu’il a des motifs raisonnables de croire qu’un contaminant est présent dans l’environnement dans une quantité ou une concentration supérieure à celle établie par règlement adopté en vertu du paragraphe a de l’article 31.52, ordonner à quiconque y a émis, déposé, dégagé ou rejeté le contaminant, en tout ou en partie, et ce, même avant le 22 juin 1990, de lui fournir une étude de caractérisation de l’environnement, un programme de décontamination ou de restauration de l’environnement décrivant les travaux visant à décontaminer ou à restaurer l’environnement et un échéancier de la réalisation de ces travaux.
Le ministre peut également, lorsqu’il a des motifs raisonnables de croire qu’est présent dans l’environnement un contaminant dont la présence y est prohibée par règlement du gouvernement ou est susceptible de porter atteinte à la vie, à la santé, à la sécurité, au bien-être ou au confort de l’être humain, de causer du dommage ou de porter autrement préjudice à la qualité du sol, à la végétation, à la faune ou aux biens, rendre une ordonnance au même effet à l’égard de quiconque y a émis, déposé, dégagé ou rejeté le contaminant, en tout ou en partie, et ce, même avant le 22 juin 1990.
L’ordonnance contient l’énoncé des motifs du ministre et le délai dans lequel doivent lui être fournis les documents. Elle prend effet le seizième jour qui suit celui de sa notification ou à toute date ultérieure que le ministre y indique.
Dans les soixante jours de la réception des documents, le ministre approuve, avec ou sans modification, les travaux de décontamination ou de restauration projetés et l’échéancier de leur réalisation. Le responsable visé dans l’ordonnance doit, à la demande du ministre, lui fournir dans le délai qu’il fixe tout renseignement, toute recherche ou toute étude dont il estime avoir besoin pour accorder son approbation.
Le responsable visé dans l’ordonnance doit alors exécuter ces travaux conformément à l’échéancier, tels qu’ils ont été approuvés.
31.44. Avant de rendre l’une ou l’autre de ces ordonnances, le ministre, en application de l’article 5 de la Loi sur la justice administrative (chapitre J-3), notifie à quiconque a émis, déposé, dégagé ou rejeté le contaminant et, le cas échéant, au propriétaire du sol concerné un avis d’au moins 15 jours mentionnant les motifs qui la [sic] justifie, le délai dans lequel les documents exigés en vertu de l’article 31.42 devront lui être fournis ou les travaux qu’il pourra ordonner en vertu de l’article 31.43 et l’échéancier de la réalisation de ceux-ci, la date projetée pour la prise d’effet de l’ordonnance, le cas échéant, ainsi que la possibilité pour celui à qui l’avis est notifié et, le cas échéant, pour le propriétaire du sol concerné de présenter leurs observations dans le délai qu’il y indique et la possibilité pour celui à qui est notifié l’avis, de proposer, aux fins de l’article 31.43, les travaux et l’échéancier de leur réalisation.
Ce préavis est accompagné d’une copie de tout rapport d’analyse ou d’étude ou de tout autre rapport technique dont le ministre a tenu compte.
Aux fins de l’article 31.43, le ministre approuve, avec ou sans modification, les travaux et l’échéancier de leur réalisation, proposés par le responsable, le cas échéant, au moment où il a présenté ses observations.
Lorsque le ministre notifie le préavis, il en transmet copie au secrétaire-trésorier ou au greffier de la municipalité sur le territoire de laquelle se trouve le contaminant.
96. Toute ordonnance émise par le ministre, à l’exception de celles visées aux articles 29 et 32.5, au deuxième alinéa de l’article 34, aux articles 35, 49.1, 58, 61, 114, 114.1 et 120, peut être contestée par la municipalité ou la personne concernée devant le Tribunal administratif du Québec.
Il en est de même dans tous les cas où le ministre refuse d’accorder ou révoque un certificat d’autorisation, un certificat, une autorisation, une approbation, autre que celle visée au troisième alinéa de l’article 31.44, une permission ou un permis, refuse de renouveler un permis, notifie un avis en vertu de l’article 31.46, exige une modification à une demande qui lui est faite, fixe ou répartit des coûts ou des frais autres que ceux visés aux articles 32.5 ou 35, détermine une indemnité en vertu de l’article 61, notifie une dénégation de conformité à l’initiateur du projet, refuse de délivrer ou modifie, suspend ou révoque une attestation d’assainissement ou refuse de modifier ou de révoquer l’attestation d’assainissement à la demande de son titulaire.
Dans le cas où le ministre approuve des taux avec modification en vertu de l’article 32.9, l’exploitant peut contester cette décision devant le Tribunal.
115.1. Le ministre est autorisé à prendre toutes les mesures qu’il indique pour nettoyer, recueillir ou contenir des contaminants émis, déposés, dégagés ou rejetés dans l’environnement ou susceptibles de l’être ou pour prévenir qu’ils ne soient émis, déposés, dégagés ou rejetés dans l’environnement lorsque, à son avis, ces mesures sont requises pour éviter ou diminuer un risque de dommage à des biens publics ou privés, à l’homme, à la faune, à la végétation ou à l’environnement en général.
Le ministre peut, en la manière de toute dette due au gouvernement, réclamer les frais directs et indirects afférents à ces mesures de toute personne ou municipalité qui avait la garde ou le contrôle de ces contaminants et de toute personne ou municipalité responsable de l’émission, du dépôt, du dégagement ou du rejet des contaminants, selon le cas, que celle-ci ait été ou non poursuivie pour infraction à la présente loi. La responsabilité est solidaire lorsqu’il y a une pluralité de débiteurs.
Loi sur la justice administrative, L.R.Q., ch. J-3
2. Les procédures menant à une décision individuelle prise à l’égard d’un administré par l’Administration gouvernementale, en application des normes prescrites par la loi, sont conduites dans le respect du devoir d’agir équitablement.
. . .
15. Le Tribunal a le pouvoir de décider toute question de droit ou de fait nécessaire à l’exercice de sa compétence.
Lorsqu’il s’agit de la contestation d’une décision, il peut confirmer, modifier ou infirmer la décision contestée et, s’il y a lieu, rendre la décision qui, à son avis, aurait dû être prise en premier lieu.
. . .
137. Toute partie peut présenter tout moyen pertinent de droit ou de fait pour la détermination de ses droits et obligations.
V. Analyse
A. L’identification des questions en litige
15 Devant notre Cour, la nature du débat qui oppose maintenant les parties doit être bien comprise. Il faut éviter de s’égarer dans des problèmes connexes. Il importe d’aller droit à la question précise, dont la solution réglera le sort du pourvoi. Il convient toutefois, auparavant, de résumer les moyens et les problèmes que les parties ne soulèvent plus devant notre Cour. Ensuite, l’analyse portera sur la définition du problème qui demeure vraiment en cause dans le présent appel.
16 Le Tribunal administratif, la Cour supérieure, puis la Cour d’appel ont dû déterminer si le ministre pouvait rendre deux ordonnances successives, la première portant sur la caractérisation du site et la seconde sur l’exécution des travaux. On s’est interrogé sur les conditions d’ouverture à la prise de l’ordonnance de caractérisation, on a discuté la preuve présentée à ce sujet. Rien de ceci n’est encore en jeu devant notre Cour.
17 L’appel ne pose plus qu’une question, certes importante, d’équité procédurale ou de justice naturelle à l’égard de la décision du ministre. L’appelante soulève l’existence d’une situation de partialité ou, à tout le moins, d’apparence de partialité, qui vicierait radicalement la décision de prendre une ordonnance de caractérisation. L’argument repose sur le postulat voulant que le ministre soit assujetti à une obligation d’impartialité qu’il ne pouvait respecter en raison d’une situation de conflit d’intérêts. Celle-ci résulterait tant de l’implication du ministère dans les opérations de décontamination exécutées antérieurement que des conséquences économiques des poursuites engagées contre lui ou dont il est encore menacé. La Cour d’appel du Québec a fondé son raisonnement sur ce même postulat, en tempérant son contenu par la recherche d’exceptions à l’obligation d’impartialité, comme la nécessité. Il faudra alors s’interroger sur la nature et les effets de cette obligation et sur les conditions et les limites de son application à un décideur administratif tel que le ministre. Si le moyen relatif à l’existence d’une obligation d’impartialité du ministre, dans les termes définis par l’argumentation de l’appelante, s’avère mal fondé, toute la contestation de la décision du Tribunal et du ministre se trouve dépourvue de fondement juridique. Le rejet de la demande de révision judiciaire s’impose alors.
B. Le cadre législatif établi par la Loi sur la qualité de l’environnement
18 Bien que le pourvoi examiné par la Cour pose un problème de droit administratif dans le cadre d’un recours en révision judiciaire, la question en jeu se rattache à un problème de protection de l’environnement au Québec. Elle ne peut être résolue sans étudier au préalable le cadre législatif qui régit ce domaine au Québec. Cette étude permettra d’identifier et de définir correctement la nature des fonctions et des pouvoirs confiés au ministre dans l’application de la législation environnementale. Une compréhension exacte des objectifs et du fonctionnement de ce régime permettra alors de mieux définir le contenu des normes d’équité procédurale pertinentes à l’exécution des fonctions du ministre et de vérifier si elles ont été respectées lors de la prise de l’ordonnance de caractérisation (Pearlman c. Comité judiciaire de la Société du Barreau du Manitoba, [1991] 2 R.C.S. 869, p. 886, le juge Iacobucci).
19 La législation québécoise reflète la préoccupation croissante du législateur et de la société d’assurer la préservation de l’environnement. Ce souci ne correspond pas seulement à la volonté collective de le protéger dans l’intérêt de ceux qui, aujourd’hui, y vivent, y travaillent ou en exploitent les ressources. Il témoigne peut‑être de la naissance d’un sentiment de solidarité entre les générations et d’une dette environnementale envers l’humanité et le monde de demain (114957 Canada Ltée (Spraytech, Société d’arrosage) c. Hudson (Ville), [2001] 2 R.C.S. 241, 2001 CSC 40, par. 1, la juge L’Heureux-Dubé).
20 La pièce centrale de la législation environnementale québécoise se retrouve dans la Loi sur la qualité de l’environnement. Adoptée à l’origine en 1972, cette loi reconnaît en effet le droit de toute personne à la qualité de l’environnement et à la sauvegarde des espèces vivantes qui y habitent (art. 19.1 LQE). Pour assurer la mise en œuvre de ce droit et l’exécution des obligations créées pour y donner effet, la loi a prévu des mécanismes d’intervention variés. Des régimes divers d’autorisation et de contrôle encadrent les activités susceptibles de menacer l’environnement. D’autres interdisent ou limitent l’émission de contaminants et imposent des obligations de décontamination. Des sanctions pénales parfois sévères punissent les infractions à la loi. Enfin, la Cour supérieure possède un pouvoir d’injonction étendu, pour prévenir ou arrêter tout acte susceptible de mettre en péril le droit fondamental à la préservation de la qualité de l’environnement (art. 19.2 LQE).
21 Le ministre de l’Environnement est appelé à jouer un rôle clé dans l’application de la loi, ainsi que de ses règlements d’application, et dans la mise à exécution des politiques générales qui les inspirent. Le législateur a, en effet, investi le ministre de fonctions et pouvoirs importants et diversifiés à ces fins. En gros, le ministre élabore les plans de conservation et de protection de l’environnement et veille à leur mise en œuvre (al. 2c) LQE). Le législateur le charge, de plus, d’accorder les autorisations, attestations d’assainissement et permis requis pour toute activité susceptible d’entraîner le rejet de contaminants dans l’environnement ou de diminuer la qualité de celui-ci (art. 22 et 31.11 LQE). La loi attribue aussi au ministre des pouvoirs d’intervention considérables pour prévenir les atteintes à la qualité de l’environnement au moyen de catégories variées d’ordonnances prescrivant des correctifs divers (voir, par exemple, art. 25 et 27 LQE). Il peut, de même, engager les procédures civiles ou pénales nécessaires à la bonne exécution de la loi (art. 19.3 LQE et art. 106 à 115 LQE). Enfin, la législation lui reconnaît le droit de faire exécuter les travaux correctifs nécessaires et d’en recouvrer le coût des contrevenants (art. 113 à 115.1 LQE).
22 Le pouvoir d’ordonnance en cause dans le présent appel représente l’un des pouvoirs d’intervention accordés au ministre en cas de présence de contaminants dans l’environnement. D’autres dispositions de la loi, comme les art. 113 et 115.1, lui permettent de faire exécuter lui-même les travaux nécessaires pour les éliminer et de tenter d’en recouvrer plus tard le coût des auteurs de la contamination. L’article 31.42 prévoit une approche différente. En vertu de cette disposition, le ministre peut imposer aux auteurs d’une contamination de l’environnement l’obligation d’effectuer les études nécessaires pour préciser la nature du problème appréhendé, de présenter un plan de travaux correctifs et, le cas échéant, d’exécuter ces derniers à leurs propres frais. Comme on l’a vu plus haut, l’ordonnance rendue en vertu de l’art. 31.42 est sujette à appel devant le TAQ. Par ailleurs, le défaut ou le refus d’exécuter une telle ordonnance donne ouverture à des procédures judiciaires civiles ou pénales prévues notamment à la section XIII de la loi, dont nous n’avons pas à examiner le régime juridique dans le présent appel. Dans le contexte de ce dernier, il n’y a pas lieu non plus d’étudier la nature et la portée des moyens de défense qui pourraient être opposés à ces procédures. Ces questions feront sans doute l’objet de développements jurisprudentiels dans l’avenir.
23 Adopté en 1990 (L.Q. 1990, ch. 26, art. 4), l’art. 31.42 LQE applique le principe dit du pollueur-payeur, maintenant intégré dans la législation environnementale du Québec. Ce principe est d’ailleurs bien établi dans le droit de l’environnement du Canada. Il se retrouve dans presque toutes les lois fédérales ou provinciales sur l’environnement, comme on peut le constater : Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1999), L.C. 1999, ch. 33; Loi sur la prévention de la pollution des eaux arctiques, L.R.C. 1985, ch. A-12, art. 6, 7; Loi sur les pêches, L.R.C. 1985, ch. F-14, art. 42; Waste Management Act, R.S.B.C. 1996, ch. 482, art. 26.5(1), 27(1), 27.1, 28.2, 28.5; Environment Management Act, R.S.B.C. 1996, ch. 118, art. 6(3); Environmental Protection and Enhancement Act, R.S.A. 2000, ch. E‑12, art. 2(i), 112, 113(1), 114(1), 116; Environmental Management and Protection Act, 2002, S.S. 2002, ch. E-10.21, art. 7, 9, 12, 14, 15, 46; Loi sur l’assainissement des lieux contaminés, L.M. 1996, ch. 40, art. 1(1)c)(i), 9(1), 15(1), 17(1), 21a); Loi sur la protection de l’environnement, L.R.O. 1990, ch. E.19, art. 7, 8, 43, 93, 97, 99, 150, 190(1); Loi sur les pesticides, L.R.O. 1990, ch. P.11, art. 29, 30; Loi sur les ressources en eau de l’Ontario, L.R.O. 1990, ch. O.40, art. 16.1, 32, 84, 91; Loi de 1994 sur la durabilité des forêts de la Couronne, L.O. 1994, ch. 25, art. 56(1); Environment Act, S.N.S. 1994-95, ch. 1, art. 2c), 69, 71, 78(2), 88, 89, 90; Environmental Protection Act, S.N.L. 2002, ch. E-14.2, art. 8(1), 9, 28, 29, Part XIII; Environmental Protection Act, R.S.P.E.I. 1988, ch. E-9, art. 7, 7.1, 21; Loi sur la protection de l’environnement, L.R.T.N.-O. 1988, ch. E-7, art. 4(2), 5.1, 6, 7, 16. (Voir R. Daigneault, « La portée de la nouvelle loi dite “du pollueur-payeur” » (1991), 36 R.D. McGill 1027.) Ce principe est aussi reconnu au niveau international. L’un des meilleurs exemples de cette reconnaissance se trouve dans le seizième principe de la Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement, Doc. NU A/Conf. 151/5/Rev. 1 (1992).
24 Dans une optique de développement durable, ce principe impose aux pollueurs la responsabilité de corriger les situations de contamination dont ils sont responsables et d’assumer directement et immédiatement les coûts de la pollution. Il cherche en même temps à rendre les auteurs de celle-ci plus soucieux des impératifs de la préservation des écosystèmes, dans le cours de leurs activités économiques.
25 La procédure d’ordonnance rendue par le ministre et dirigée contre l’auteur de la pollution, qu’instituent l’art. 31.42 LQE et les dispositions connexes à celui-ci, représente l’un des instruments d’intervention les plus importants dans la législation environnementale du Québec. En effet, l’adoption de cette procédure paraissait particulièrement appropriée pour trouver une solution aux problèmes de contamination de terrains. La décision du TAQ a d’ailleurs cité, à ce propos, certains extraits des débats de l’Assemblée nationale du Québec, en 1990, qui confirment l’existence de cet objectif législatif. Pour mettre ce dernier en application, l’art. 31.42 accorde un pouvoir discrétionnaire large. Le ministre peut rendre une ordonnance de caractérisation ou prescrire l’exécution d’un programme de travaux. La loi autorise la prise de l’ordonnance lorsque le ministre a des motifs raisonnables de croire qu’un contaminant nuisible à l’environnement est présent dans un lieu et peut porter atteinte à la personne humaine ou à l’écosystème. L’ordonnance peut viser tous les auteurs de la contamination, y compris ceux dont l’activité est antérieure à l’entrée en vigueur de la loi, en 1990. Si discrétionnaire, si large qu’il paraisse, ce pouvoir d’ordonnance se trouve cependant encadré par des exigences procédurales importantes, qu’il faut maintenant examiner.
26 Ces règles procédurales précisent certains aspects de l’obligation générale de respect de l’équité procédurale que l’art. 2 de la Loi sur la justice administrative impose aux décideurs administratifs, en codifiant ainsi une jurisprudence constante en droit administratif canadien (P. Issalys et D. Lemieux, L’action gouvernementale : Précis de droit des institutions administratives (2e éd. 2002), p. 847). D’abord, l’art. 31.44 LQE exige que le ministre donne un préavis de 15 jours de son intention de rendre une ordonnance. Cet avis indique notamment que la personne visée peut transmettre ses observations dans les délais précisés et décrit les motifs justifiant la décision envisagée. L’article 31.44 renvoie ensuite à l’art. 5 de la Loi sur la justice administrative. Celui-ci décrit les obligations dont doit s’acquitter une autorité administrative comme le ministre avant de prendre une décision particulièrement défavorable à un administré. Cette disposition réitère l’exigence de l’avis préalable à l’administré. Elle rappelle aussi le droit de ce dernier de présenter des observations et des documents au sujet de la décision projetée et exige que cette dernière soit motivée.
27 Le dossier confirme que les avis nécessaires ont été donnés. L’appelante a pu présenter ses observations que le ministre a examinées, avant de communiquer une décision motivée. Le cadre procédural prévu par la loi a donc été respecté. Comme on l’a vu, le débat s’est alors noué autour d’une autre question, qui appartient, elle aussi, aux principes de justice naturelle, celle de la nature et de la portée de l’obligation d’impartialité qui s’imposerait au décideur, le ministre. Ce débat s’est toutefois mal engagé, à partir d’une conception erronée tant de la nature du devoir d’impartialité imposé au ministre que des conséquences des conflits d’intérêts que sa violation aurait provoqués. Au départ, il aurait mieux valu chercher à déterminer la pertinence de l’application, dans toute son ampleur, du concept d’impartialité qu’invoque l’appelante. Dans cette optique, il aurait fallu examiner l’étendue et les modalités de l’application de cette obligation d’impartialité à un décideur administratif, tel que le ministre, alors qu’il exerce un pouvoir essentiellement discrétionnaire, à caractère politique.
C. La nature et les modulations de l’obligation d’impartialité en droit administratif
28 L’exigence d’impartialité constitue l’une des obligations fondamentales des tribunaux de l’ordre judiciaire. La Charte canadienne des droits et libertés reconnaît le droit de tout prévenu à un procès devant un tribunal impartial et indépendant (al. 11d)). Dans les domaines relevant de la compétence législative du Québec, l’art. 23 de la Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q., ch. C-12, range parmi les droits fondamentaux de la personne, celui d’obtenir une audition impartiale devant un tribunal indépendant et sans préjugés. Cette notion d’impartialité réfère à l’état d’esprit du décideur (Valente c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 673, p. 685, le juge Le Dain). Celui‑ci doit trancher le problème qui lui est soumis en toute liberté d’esprit, sans être influencé par des intérêts personnels et des pressions externes. Il ne suffit pas qu’il soit impartial en lui-même, intérieurement, à la satisfaction de sa conscience. Il importe aussi qu’il paraisse impartial au regard objectif d’un observateur raisonnable et bien informé (Committee for Justice and Liberty c. Office national de l’énergie, [1978] 1 R.C.S. 369, p. 394, le juge de Grandpré; aussi : Bell Canada c. Association canadienne des employés de téléphone, [2003] 1 R.C.S. 884, 2003 CSC 36, par. 17, la juge en chef McLachlin et le juge Bastarache). Née dans l’ordre judiciaire, cette obligation fait aussi partie maintenant des principes de la justice administrative.
29 Indéniablement, en effet, les principes de justice naturelle régissent l’action des décideurs administratifs, comme l’atteste d’ailleurs l’art. 2 de la Loi sur la justice administrative (P. Garant, Droit administratif (4e éd. 1996), vol. 2, Le contentieux, p. 319-320 et 338; Assoc. des résidents du Vieux St-Boniface Inc. c. Winnipeg (Ville), [1990] 3 R.C.S. 1170, p. 1190, le juge Sopinka; Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, par. 20, la juge L’Heureux-Dubé). Impériale plaide alors que l’obligation d’impartialité s’applique dans toute sa rigueur et que le ministre ne l’a pas respectée.
30 En effet, le ministre se serait trouvé placé dans une situation de conflit d’intérêts insoluble, en raison de son implication malheureuse dans la décontamination ratée du site de la Marina de Lévis et des conséquences juridiques et financières qu’elle entraîne pour lui. L’appelante souligne que les décisions prises par le ministre et les gestes qu’il a posés lors de ces opérations de décontamination le privaient même de toute apparence d’impartialité. Dès lors, son aptitude à prendre une décision impartiale aurait été irrémédiablement compromise aux yeux de tout observateur correctement informé, objectif et raisonnable. Ce n’est toutefois pas tout. L’appelante rappelle alors que le ministre a déjà été poursuivi par quelques propriétaires de terrains contaminés qui lui réclament des dommages-intérêts substantiels. De plus, des mises en demeure ont été envoyées au ministère dans plusieurs dossiers où d’autres actions en dommages-intérêts demeurent possibles. Les risques de condamnations pécuniaires dans ces affaires placent alors le ministre dans une situation où il se trouve incapable d’agir avec l’indépendance nécessaire dans l’application de l’art. 31.42. Selon l’appelante, sa décision de recourir à la procédure de l’ordonnance de caractérisation demeure nécessairement entachée du soupçon qu’il entendait ainsi se soustraire aux conséquences judiciaires possibles de son implication malencontreuse dans les opérations de décontamination du site de la Marina. Laisser le ministre agir impunément en pareilles circonstances équivaudrait à ratifier un véritable abus ou détournement de pouvoir.
31 Le raisonnement de l’appelante traite ainsi le ministre, à toutes fins utiles, comme un juge de l’ordre judiciaire, que son intérêt personnel dans une affaire rendrait apparemment partial aux yeux d’un tiers objectif et correctement informé. On oublie alors que le contenu de l’obligation d’impartialité, tout comme celui de l’ensemble des règles d’équité procédurale, est susceptible de varier pour s’adapter au contexte de l’activité d’un décideur administratif et à la nature de ses fonctions (Baker, précité, par. 21; Knight c. Indian Head School Division No. 19, [1990] 1 R.C.S. 653, p. 682, la juge L’Heureux-Dubé; SITBA c. Consolidated-Bathurst Packaging Ltd., [1990] 1 R.C.S. 282, p. 323‑324, le juge Gonthier; Newfoundland Telephone Co. c. Terre‑Neuve (Board of Commissioners of Public Utilities), [1992] 1 R.C.S. 623, p. 636, le juge Cory). Cette variabilité du contenu effectif des principes de justice naturelle reflète la très grande diversité des situations des décideurs administratifs et des rôles qu’ils sont appelés à jouer, conformément à la volonté des législateurs (Ocean Port Hotel Ltd. c. Colombie-Britannique (General Manager, Liquor Control and Licensing Branch), [2001] 2 R.C.S. 781, 2001 CSC 52, par. 24, la juge en chef McLachlin). Les catégories d’organismes administratifs visés vont du tribunal administratif qui, dans son travail juridictionnel, est très voisin des tribunaux judiciaires, comme par exemple les arbitres de griefs en droit du travail, aux organismes remplissant des tâches multiples, où la fonction juridictionnelle ne constitue qu’un aspect d’attributions étendues qui incluent parfois l’exercice de pouvoirs réglementaires. La notion de décideur administratif inclut enfin des gestionnaires administratifs comme des ministres ou des fonctionnaires appelés à remplir des fonctions discrétionnaires, à contenu politique, au sein de l’appareil gouvernemental. L’intensité des obligations que les principes de justice naturelle imposent au décideur administratif dépend alors de la nature des fonctions exercées et de la volonté du législateur. Il faut à chaque fois examiner attentivement l’ensemble des dispositions qui définissent les fonctions d’un décideur administratif et le cadre de son action. Seule cette analyse permet de déterminer le contenu effectif des obligations d’équité procédurale pertinentes.
32 Dans le cours de sa gestion du dossier de la Marina, le ministre a pris une décision qui visait Impériale de façon particulière. Cette décision peut imposer des dépenses importantes à celui que le ministre considère comme l’auteur de la pollution du site en cause. En effet, l’ordonnance de caractérisation exige sans doute des études importantes pour déterminer l’état du site et préparer des recommandations sur les mesures propres à porter remède à la contamination des lieux. Dans ce contexte, on doit alors rechercher concrètement la nature et les limites des règles d’équité procédurale pertinentes à la décision du ministre. Une obligation d’impartialité s’applique-t-elle à lui dans toute son ampleur et sa rigueur, comme dans le cas des juges de l’ordre judiciaire ou des tribunaux administratifs remplissant essentiellement des fonctions juridictionnelles, comme le TAQ ou les arbitres de griefs en droit du travail? À cet égard, la jurisprudence de notre Cour souligne l’importance critique d’un examen attentif de la législation applicable pour déterminer la nature et la portée des règles d’équité procédurale applicables à l’action d’un décideur administratif (Ocean Port Hotel, précité, par. 20 et 22; Bell Canada, précité, par. 22).
33 La Loi sur la qualité de l’environnement définit la nature et les limites des obligations d’équité procédurale qui lient le ministre lorsqu’il rend une ordonnance de caractérisation. Ces obligations procédurales résultent des termes exprès de la loi comme des exigences de la structure de gestion des problèmes d’environnement et du type de fonctions attribuées au ministre dans ce cadre. Le mode de gestion des problèmes environnementaux choisi par le législateur crée une situation clairement voulue et acceptée par celui-ci. Le rôle que la législation a attribué au ministre place parfois celui-ci inévitablement en conflit avec des administrés, dans le cours de ses activités d’application de la législation environnementale.
34 Lorsqu’il est appelé à prendre une décision particulière à l’égard d’un administré, le ministre doit se conformer à des obligations procédurales précises, qui ont été décrites plus haut. Celles-ci lui demandent, en gros, de donner des avis à l’administré, de prendre en considération ses observations et ses informations et de lui communiquer les motifs de sa décision. Ce cadre procédural implique que le ministre doit examiner avec soin et attention les observations qui lui sont transmises. Cette obligation ne correspond toutefois pas à l’impartialité exigée d’un juge de l’ordre judiciaire ou d’un décideur administratif chargé principalement de fonctions juridictionnelles. Dans le cadre de ses fonctions, le ministre, en effet, gère un système de protection de l’environnement. Il doit prendre ses décisions dans un contexte marqué par les exigences de la gestion de longue durée de problèmes environnementaux, où il doit assurer la mise en œuvre des politiques législatives fondamentales qui inspirent l’interprétation et l’application de la législation sur la qualité de l’environnement. Responsable de la préservation de l’intérêt public dans le domaine de l’environnement, le ministre doit arrêter ses décisions en fonction de celui‑ci.
35 Reste maintenant à examiner le problème de l’intérêt personnel du ministre, selon le vocabulaire utilisé par le juge de première instance. L’arrêt Pearlman, précité, a apporté des précisions nécessaires sur la nature de l’intérêt personnel qui placerait un décideur administratif dans une situation de conflit d’intérêts, au sens des principes d’équité procédurale. Cette affaire portait sur des procédures disciplinaires engagées par le Barreau du Manitoba contre l’un de ses membres. Celui-ci soutenait que les membres du comité de discipline du Barreau se trouvaient placés dans un conflit d’intérêts inextricable. En effet, la loi constitutive de ce corps professionnel permettait de condamner le prévenu aux dépens d’une instance disciplinaire. Selon l’appelant Pearlman, les membres du comité avaient alors un intérêt financier à ordonner le paiement de frais. Ils bénéficieraient du paiement de ceux-ci en tant que membres du Barreau. Cette situation créerait une apparence inadmissible de conflit d’intérêts (Pearlman, p. 883, le juge Iacobucci).
36 La Cour rejeta ce moyen. Elle souligna à nouveau le caractère contextuel de l’application des règles de justice naturelle (p. 884-885). L’obligation de désintéressement se situait dans un contexte où les membres du comité de discipline accomplissaient leur tâche dans l’intérêt commun de la profession et pour la protection du public, et non pour leur bénéfice personnel. Leur intérêt éventuel au recouvrement des dépens de la procédure conservait un caractère trop éloigné et trop minime pour créer une apparence raisonnable de partialité aux yeux d’un observateur objectif et correctement informé (p. 891-892, le juge Iacobucci).
37 À la lumière de ce qui précède, j’estime que le ministre ne défendait, dans le contexte de la présente affaire, que les intérêts indissociables du public et de l’État dans la protection de l’environnement.
VI. L’application des règles d’équité procédurale
38 Dans la présente affaire, le ministre, rappelons-le, exerçait un pouvoir discrétionnaire, à caractère politique, dans l’application de l’art. 31.42 LQE. Face à un problème de contamination, il devait choisir la solution qu’il jugeait la plus appropriée. Ce choix tombait dans la discrétion que lui reconnaissait la loi (Issalys et Lemieux, op. cit., p. 127). Il lui fallait opter entre ne rien faire, exécuter les investigations et travaux nécessaires, puis essayer d’en récupérer le coût des responsables de la contamination des lieux, ou s’adresser directement à ceux-ci pour tenter de les contraindre à prendre les mesures requises à leurs propres frais. Le ministre ne remplissait pas alors une fonction juridictionnelle, où il aurait agi comme une sorte de juge. Au contraire, il exécutait ses fonctions d’administration et d’application de la législation sur la protection de l’environnement. Le ministre remplissait un rôle largement politique, qui faisait appel à son pouvoir et à son devoir de choisir les meilleures méthodes d’intervention, avec le souci de protéger l’intérêt public, pour atteindre les objectifs de la législation sur la protection de l’environnement.
39 Compte tenu du contexte de l’ensemble des fonctions du ministre comme du cadre de la mise en œuvre de son pouvoir d’ordonnance, la notion d’impartialité rattachée à l’action des tribunaux de l’ordre judiciaire ne s’appliquait pas à sa décision. Le ministre doit certes se conformer aux obligations d’équité procédurale prévues par la loi, comme les avis aux intéressés et la motivation de la décision. Cela fait, les principes d’équité procédurale pertinents à la situation, codifiés d’ailleurs, comme on l’a vu, par la Loi sur la justice administrative, exigeaient seulement qu’il exécute les obligations procédurales prévues par la loi et qu’il considère avec soin et attention les observations de l’administré. Par ailleurs, suivant les principes posés dans l’arrêt Pearlman, les intérêts en cause ne correspondaient sûrement pas à un intérêt personnel au sens de la jurisprudence. Les seuls intérêts que défendait le ministre étaient l’intérêt public dans la protection de l’environnement et celui de l’État, chargé de préserver celui-ci. Dans le contexte de cette affaire, ces intérêts se dissocieraient difficilement. Dans le cadre de l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, le ministre pouvait légitimement prendre en compte une solution qui se révélerait moins dispendieuse pour le trésor public. Ce faisant, il mettait en application l’un des principes organisateurs de la Loi sur la qualité de l’environnement, celui du pollueur-payeur. Il n’existait pas de situation de conflit d’intérêts donnant ouverture à une intervention judiciaire, encore moins d’abus ou de détournement de pouvoir. Le ministre agissait dans le cadre prévu par le droit applicable et conformément à celui-ci. Il n’est utile d’invoquer ni la théorie du chevauchement des fonctions ni celle de la nécessité, car aucun moyen ne donnait ouverture à des procédures en révision de la décision du Tribunal administratif du Québec, rejetant l’appel de la décision du ministre. Toute la contestation de l’appelante reposait sur une conception erronée des fonctions du ministre et de la nature des normes d’équité procédurale pertinentes.
VII. Conclusion
40 Pour ces motifs, le pourvoi doit être rejeté. J’accorderais les dépens au procureur général du Québec.
Pourvoi rejeté avec dépens.
Procureurs de l’appelante : Desjardins Ducharme Stein Monast, Montréal.
Procureur de l’intimé : Ministère de la Justice, Québec.
Procureurs du mis en cause le Tribunal administratif du Québec : Lemieux Chrétien Lahaye Corriveau, Québec.
Procureur de la mise en cause Ville de Lévis : Ville de Lévis, Lévis.
Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Ontario : Ministère du Procureur général de l’Ontario, Toronto.
Procureur de l’intervenant les Ami(e)s de la Terre : Sierra Legal Defence Fund, Toronto.